LA RÉTINITE
À CMV
GUIDE
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DE COU
Catherine TOURETTE-TURGIS
Maître de Conférences des Universités Co-fondatrice de Comment Dire
MERCI…
L’auteur remercie tous les patients et les soignants qui
ont accepté de témoigner de leur propre expérience et
plus particulièrement Madame le Professeur Katlama et
son équipe du Service Maladies Infectieuses et Tropicales
de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, Arcat Sida, le groupe Clin
D’Œil de Aides, le Centre de Rééducation Fonctionnelle
de l’APAM de Marly-le-Roi, la Rose Resnick Lighthouse
à San Francisco, les Universités de Rouen et de Berkeley,
et Air France. Nous remercions également le Docteur G.
Ruault-Boubel qui s’est chargé du chapitre sur l’approche
médicale de la rétinite à cytomégalovirus.
2
SOMMAIRE
Remerciements
Introduction
2
6
1 - LE CONTEXTE MÉDICAL DE LA RÉTINITE À CMV
8
1.1 – La rétinite à CMV : la localisation la plus fréquente
et avec les encéphalites, une des plus redoutées
1.2 – La rétinite à CMV : découverte lors d’un fond d’œil
systématique dans 40% des cas, et provoquant la cécité
en quelques mois dans environ 20% des cas
11
12
2 - LE CONTEXTE PSYCHOLOGIQUE ET SOCIAL
16
2.1 - Impact psychologique de la rétinite à CMV
avec modifications sensorielles et psychomotrices,
chez les personnes séropositives
2.2 - Impact psychologique et social des traitements
de la rétinite à CMV chez les patients
2.3 - Les trois dimensions à l’œuvre dans la maladie
17
19
24
3 - LA PRATIQUE DU COUNSELING
DANS LE CADRE DE LA RELATION DE SOIN
28
3.1 - Le counseling adapté à la prise en charge des patients
à chaque phase de la rétinite à CMV
3.2 - L’annonce de la rétinite à CMV
3.3 - Le suivi
• Comment aider la personne à intégrer la rétinite à CMV
dans sa trajectoire de vie ?
• Comment aborder la relation aux traitements
dans les entretiens ?
• Comment aider la personne à faire face au débordement
émotionnel ?
• Comment identifier les idéations suicidaires
et prévenir le risque suicidaire ?
• Comment faciliter la réadaptation des personnes
présentant des troubles visuels ?
29
30
36
4 - OUTILS DU COUNSELING
50
4.1 - Les attitudes facilitant la relation d’aide
4.2 - Les techniques d’entretien
52
54
Adresses utiles
58
4
INTRO
SOMMAIRE
Pourquoi personne
n’ose me demander comment
la vie se passe pour moi…?
Pourquoi personne
n’ose me demander quels sont
mes projets, quels sont
mes rêves les plus fous…?
Pourquoi personne
n’ose me demander
si je me réveille parfois
la nuit en pleurs…?
Pourquoi personne n’ose
me parler de mes yeux
que j’ai perdus ?
François, 37 ans.
5
SOMMAIRE
Pour le patient, la rétinite à cytomégalovirus (CMV), de par son caractère
récidivant et invalidant, signe l’entrée dans une phase de l’infection à VIH où les
choses ne seront jamais plus comme avant.
Associée à une baisse visuelle voire à la perte de la vue, elle survient, au
décours de l’infection à VIH, dans un contexte d’immunodépression aggravé qui
le confronte à un ensemble d’incertitudes sur son devenir.
Cette phase représente un moment particulièrement éprouvant pour le patient
qui doit intégrer une problématique de handicap dans l’histoire de sa maladie,
ce à quoi il n’est pas forcément préparé. Face au traumatisme de l’annonce du
diagnostic et aux changements liés à la survenue de cette affection, sa vie et son
rapport à sa maladie s’en trouvent profondément bouleversés.
Pour les soignants, la survenue de la rétinite à CMV chez un malade du Sida
représente un challenge qui peut se résumer ainsi : comment faire face dans la
relation de soin à l’émergence d’un handicap survenant à un stade avancé de la
maladie ? Comment gérer l’effet traumatique de l’annonce du diagnostic et les
risques post-traumatiques au cours du suivi ?
Si la rétinite à CMV ne signifie pas pour autant que le patient a des problèmes
psychologiques qui doivent donner lieu systématiquement à une orientation vers
un psychologue ou vers un psychiatre, elle signifie néanmoins que la relation de
soin est plus que jamais traversée par de nouvelles composantes qu’il est difficile
pour les praticiens d’ignorer, surtout quand celles-ci ont des conséquences directes
sur l’état du malade, sur les relations qu’il entretient avec sa maladie voire avec ses
traitements et sur la relation soignant-soigné.
Le counseling, en tant que relation d’aide intégrée à la relation de soin, permet
aux soignants la prise en compte et le traitement des composantes psychologiques
et sociales à l’œuvre dans la maladie et ses traitements.
Il permet en effet d’articuler la réponse médicale à une écoute, un soutien et un accompagnement visant à améliorer la qualité de vie du patient et la qualité du soin.
Il a pour objectif de faciliter le changement en aidant le patient à en être l’acteur et à reprendre son évolution personnelle là où pratiquement l’irruption de
chaque affection grave risque de le figer. Le counseling est d’autant plus important que les patients arrivés à ce stade ont des difficultés à nouer de nouveaux
attachements. S’ils n’ont pas de famille, de partenaires aimants ou «d’amis de
longue date», ils n’ont personne avec qui parler de leurs émotions, leurs peines,
leurs incertitudes, leurs espoirs et leurs projets.
La pratique du counseling est une pratique d’accompagnement spécifique dont
l’outil majeur est l’entretien. C’est la raison pour laquelle nous proposons ce guide
d’entretien aux soignants afin qu’ils puissent s’en inspirer pour conduire leurs entretiens auprès des personnes confrontées à la rétinite à CMV. Pour le construire, nous
avons mené nous-mêmes pendant une année une série d’entretiens auprès de
personnes confrontées à la rétinite en France et aux Etats-Unis et avons demandé
à des équipes soignantes de nous faire part de leurs interrogations et des thèmes
qu’ils souhaitaient voir aborder dans ce guide.
6
SOMMAIRE
7
SOMMAIRE
1
LE CONTEXTE MÉDICAL
DE LA RÉTINITE
À CYTOMÉGALOVIRUS
(CMV)
8
SOMMAIRE
La place de la maladie à cytomégalovirus (CMV), et plus particulièrement celle
de la rétinite à CMV qui représente 85% des localisations de CMV, s’est accrue
considérablement ces dernières années. Cet accroissement est lié à l’allongement
de la survie des patients, secondaire aux traitements antirétroviraux et à la prophylaxie des pathologies opportunistes telles la pneumocystose et la toxoplasmose.
Infection grave et redoutée car première cause de cécité au cours du sida, la rétinite
à CMV touche 20 à 40% des patients (1) à un stade d’immunodépression évolué ; la
plupart des patients présentant une rétinite ont moins de 50 CD4/mm3, souvent
même moins de 25 CD4/mm3.
Le Docteur D. JABS (2) affirmait récemment lors d’une réunion de l’Académie
Américaine d’Ophtalmologie, que la rétinite à CMV touche pratiquement la
moitié des patients infectés par le VIH, et que par ailleurs, la rétinite à CMV est
aujourd’hui l’infection intra-oculaire la plus fréquente dans les grands centres
urbains aux USA.
SOMMAIRE
En France, dans 6 à 7% des cas, la rétinite à CMV constitue le mode d’entrée dans
la maladie Sida. (BEH - 1995). La survie moyenne des patients après le diagnostic
de rétinite à CMV, inférieure à 2 mois en 1986, est actuellement comprise entre
12 et 18 mois (3).
La fréquence de l’infection à CMV n’est pas surprenante puisque l’incidence de
la séropositivité pour le CMV dans la population générale est de 50 à 80%, et de
94% chez l’homosexuel masculin.
Si plus de 80% des sujets séropositifs pour le VIH sont porteurs de CMV, tous ne
développent pas pour autant de maladie à CMV; 40% d’entre eux développeront
une maladie à CMV, la réactivation virale survenant à la faveur d’une immunodépression sévère (4,5).
Dans plus de 80% des cas, la maladie à CMV apparaît à moins de 50 CD4,
voire moins de 20 CD4/mm3, l’incidence augmentant en cas de prophylaxie de la
pneumocystose.
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(1) Pertel P.J. Acquired Immun. Defic. Synd. 1992 ; 5 : 1069-1174.
(2) Arch. Ophtalmol. 1995 ; 113, 25-27.
(3) Roarty et al. Ophtalmology 1993 ; 100, 11 : 1685-1688.
(4) Wilkes M.S. Lancet 1988 ; 2-852.
(5) Drew W.L. Clin. Infect. Dis. 1992 ; 14 : 608-615.
10
SOMMAIRE
SOMMAIRE
1.2
1.1
LA RÉTINITE À CMV : LA LOCALISATION
LA PLUS FRÉQUENTE ET AVEC LES
ENCÉPHALITES, UNE DES PLUS REDOUTÉES
La rétinite est sans conteste la localisation la plus fréquente ; elle
représente 85% des atteintes à CMV (6).
Les manifestations digestives (principalement œsophagites et colites) sont
estimées à 15% ; les 6% d’atteintes neurologiques sont vraisemblablement
sous-estimées en raison de leur caractère non spécifique et de la difficulté
à obtenir un diagnostic de certitude par les examens histologiques.
L’infection du système nerveux par le CMV est devenue une cause majeure
de décès chez les patients infectés par le VIH.
La rétinite à CMV semble constituer un facteur de risque indépendant
d’encéphalite (risque relatif = 9,5), principalement en cas de localisation
péripapillaire (7).
Les atteintes du système nerveux central sont dominées par les encéphalites
et les ventriculo-encéphalites, responsables de signes non spécifiques
de souffrance cérébrale diffuse, sans déficit focal. Si certaines formes sont
asymptomatiques et de découverte autopsique, d’autres, d’évolution rapide,
entraînent un syndrome confusionnel et des troubles de la vigilance.
Les atteintes du système nerveux périphérique sont dominées par les
myelo-méningoradiculites et neuropathies multifocales.
Le diagnostic d’une pneumopathie à CMV, entité récemment encore
contestée, est difficile car les manifestations cliniques et radiologiques
ne sont pas spécifiques et la présence de CMV banale dans le poumon :
17 à 51,6% des lavages broncho-alvéolaires ; le CMV est rarement un
pathogène pulmonaire au cours de l’infection à VIH ; le diagnostic doit être
un diagnostic d’élimination.
(6) Polis M.A., Masur H. Jama 1995 ; 273, 18, 1457-1459.
(7) Bylsma et al. Arch. Ophtalmol. 1995 ; 113, 89-95.
11
LA RÉTINITE À CMV : DÉCOUVERTE LORS
D’UN FOND D’ŒIL SYSTÉMATIQUE DANS 40%
DES CAS (8), ET PROVOQUANT LA CÉCITÉ EN
QUELQUES MOIS DANS ENVIRON 20% DES CAS (9)
Dans 40% des cas en effet, la rétinite à son début ne s’accompagne
d’aucun signe fonctionnel, c’est dire le caractère impératif du fond d’œil
systématique dont la périodicité est dictée par la profondeur du déficit
immunitaire. Entre 200 et 250 CD4, un contrôle tous les 4 à 6 mois est à
conseiller, de 100 à 200 CD4, tous les 3 à 4 mois, de 50 à 100 CD4, tous les
2 mois, et en-dessous de 50 CD4, un fond d’œil mensuel est recommandé.
Lorsque les signes fonctionnels existent, ils ne sont pas spécifiques :
amputation du champ visuel, baisse d’acuité visuelle, myodésopsies
(«mouches volantes»). L’œil est blanc et indolore. La perception d’un
scotome central témoigne d’une atteinte de la macula, celle de la papille
peut entraîner une cécité.
Le fond d’œil permet de faire un diagnostic dans 90% des cas. Au moment
du diagnostic, la rétinite est bilatérale dans environ 20% des cas et elle se
bilatéralise ultérieurement dans 60% des cas en l’absence de traitement.
Elle se présente initialement comme une plage blanche de nécrose rétinienne,
parsemée d’hémorragies, des microfoyers en périphérie se rejoignent et
forment un nouveau front de prolifération.
Il existe des engainements vasculaires, l’infection se prolongeant le long des
vaisseaux rétiniens ; en l’absence de traitement elle aboutit à la nécrose de
la rétine en 2 ou 3 mois.
La découverte d’une rétinite à CMV impose la mise en route d’un traitement
antiviral spécifique, par voie intraveineuse, dit traitement d’attaque ou
d’induction, de 14 à 21 jours et en tout cas jusqu’à cicatrisation des lésions.
Ensuite, et compte tenu de l’activité virustatique des produits disponibles, un
traitement d’entretien ou de maintenance sera nécessaire, et ce, à vie.
Les rechutes sont inéluctables, même en présence d’un traitement
d’entretien bien conduit. Le délai moyen de réactivation de la rétinite à CMV
est de 8 semaines. Ainsi, le traitement fera appel à l’alternance de traitements
d’attaque et de traitements d’entretien.
Les complications les plus fréquentes sont le décollement de rétine,
l’atrophie optique et les occlusions vasculaires.
(8) Marcel P. et al. - 1994
(9) Zazoun L. Visions Internationales 1996 ; Hors série, 5.
12
SOMMAIRE
SOMMAIRE
L’incidence du décollement de rétine augmente avec le temps ; de 11% à 6
mois, 24% à 1 an, elle atteint 50% à 2 ans. L’incidence d’un décollement de
rétine bilatéral est de 17 à 67% (10). Trois facteurs de risque ont été mis en
évidence : la localisation de la nécrose rétinienne en zone 2 et 3, la surface de
la rétine détruite et l’activité de la rétinite (10).
L’apparition de cette complication, principale cause de cécité au cours de la
rétinite à CMV (10), est actuellement un des problèmes majeurs ; les patients
vivent plus longtemps avec des CD4 bas, et le traitement de la rétinite permet
de contrôler l’infection en épargnant le nerf optique et la macula.
Les décollements de rétine doivent être traités chirurgicalement pour
espérer maintenir une fonction visuelle utile, le plus longtemps possible chez
des patients dont la durée de vie est appelée à s’améliorer encore.
Parmi les autres complications, on trouve par ordre décroissant de fréquence,
les papillites, les occlusions artérielles, l’iritis, et parfois une cataracte.
Le retentissement de la rétinite sur la fonction visuelle est évident ;
il dépend de la localisation de la rétinite (macula), de son caractère
évolutif et de la survenue de complications.
La perte progressive de la vision, chez des patients ayant par ailleurs
conservé une activité professionnelle, diminue lourdement leur autonomie, les rendant dépendants pour toutes les activités de la vie quotidienne.
La perte de la vision est rapportée comme étant source de suicide,
ou cause d’abandon de tout suivi médical.
Diverses études ont évalué le pronostic fonctionnel des rétinites à CMV
; Roarty (3) rapporte une acuité visuelle de 20/70 ou moins dans 79% des
yeux, de 1 à 19 mois (moyenne : 7,6 mois) après le diagnostic. L’absence de
perception de la lumière est rapportée dans 49% des yeux 7 à 21 mois après
le diagnostic (moyenne : 16 mois) (3).
L’annonce du diagnostic de rétinite à CMV a pour corollaire la perspective
d’un traitement lourd par voie parentérale. Il devra être poursuivi à vie et
son efficacité, compte tenu de l’activité virustatique des produits disponibles
et de l’aggravation inéluctable du déficit immunitaire, est relative.
Après le traitement d’attaque de 2 à 3 semaines, la persistance de l’immunodépression, favorisant la reprise de la réplication virale, impose un traitement
d’entretien ; le traitement de référence fait appel à la voie veineuse.
Quel qu’il soit, le traitement d’entretien IV nécessite la mise en place d’une
voie d’abord centrale ; les contraintes inhérentes à ce mode d’administration
retentissent sur la qualité de vie de la personne en termes de souffrance,
de dépendance, d’immobilisation, de risque infectieux et d’atteinte à
l’intégrité corporelle.
La forme orale offre une alternative efficace à l’IV en traitement d’entretien
des rétinites à CMV, lorsque le maintien de la voie veineuse est contre-indiqué ou irréalisable.
Les délais de rechute observés sont légèrement plus courts qu’avec la voie
veineuse. Ce résultat est à confronter aux bénéfices liés à la suppression
de l’abord veineux : évitement de la souffrance induite par la perfusion et
recouvrement de l’autonomie du patient, lui permettant de préserver une
vie professionnelle et sociale ...
Les traitements locaux, s’agissant d’injections intra-vitréennes ou d’implants intra-vitréens, s’ils ne préviennent pas les localisations extra-oculaires
ou même l’atteinte de l’autre œil, constituent néanmoins un traitement
d’appoint dans certaines situations et dans les mains de chirurgiens
expérimentés ...
D’autres recherches sont en cours, dans l’objectif d’améliorer la prise en
charge thérapeutique de la rétinite à CMV, qu’il s’agisse de l’amélioration
des traitements, ou qu’il s’agisse d’une nécessaire prophylaxie de la
maladie à CMV.
Cette dernière, rendue nécessaire par la gravité de cette infection opportuniste
très redoutée des patients et des soignants, permettrait, à l’instar de ce qui
a été observé pour la pneumocystose et la toxoplasmose, d’en réduire une
incidence aujourd’hui croissante.
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(3) Roarty et al. Ophtalmology 1993 ; 100, 11 : 1685-1688.
(10) Badelon I. Visions Internationales 1996 ; Hors série, 25-26.
13
14
SOMMAIRE
SOMMAIRE
«Je suis dehors, donc je suis»
«La réduction des capacités
de contrôle à l’œuvre
dans la communication
interindividuelle
risque d’entraîner
une forme d’isolement :
la suppression de feed-back
dans les interactions
rend plus difficile
la communication.
15
2
LE CONTEXTE
PSYCHOLOGIQUE
ET SOCIAL
16
SOMMAIRE
SOMMAIRE
2.1
IMPACT PSYCHOLOGIQUE DE LA RÉTINITE
À CMV AVEC MODIFICATIONS SENSORIELLES
PSYCHOMOTRICES CHEZ LES PERSONNES
SÉROPOSITIVES POUR LE VIH
Pour le malade du Sida, le diagnostic de rétinite à CMV signe l’entrée dans
une nouvelle phase de sa maladie. Cette atteinte oculaire est une épreuve
désorganisatrice et déstabilisante qui l’amène à s’interroger et à interroger
les soignants sur «le temps qui lui est alloué», «la durée et l’efficacité des
traitements», «les risques de récidive».
Par sa nature, l’atteinte oculaire ne touche pas seulement les yeux mais la
personne dans sa globalité. Le patient est alors confronté à de nombreux
changements dont le plus important réside dans la confrontation à la perte
d’une capacité fonctionnelle et à la gestion de nouvelles dépendances. Cela
suscite en lui des peurs multiples comme celles de tomber en se déplaçant,
d’être blessé ou de se déplacer, d’être dépendant, de ne plus pouvoir lire, etc.
Soudainement, il est contraint de réorganiser sa vie et ses activités autour de
ce handicap et d’un traitement qui exige régularité et assiduité, ce qui nécessite de sa part la remobilisation de son potentiel et de ses ressources psychologiques, la plupart du temps déjà bien entamées. En effet, comment intégrer
une dimension supplémentaire au sens progressivement construit de l’infection à VIH jusque-là ? Comment élaborer à partir de ce nouveau symptôme
de nouvelles valeurs pour réaliser son projet de développement personnel ?
La perte des capacités visuelles, en touchant aux fonctions de contrôle et
de vigilance, désorganise le fonctionnement de l’appareil psychique. En effet,
celui-ci utilise la voie sensori-motrice pour réguler une partie des tensions
internes accumulées au cours de la vie diurne et nocturne. Dans la mesure
où la vue est fondamentale dans l’usage des fonctions motrices, la privation
de ce sens modifie toute l’organisation psychomotrice ce qui n’est pas sans
répercussions sur l’économie psychique de la personne qui perd brutalement
une voie de régulation de ses états internes et se trouve dépossédée de plusieurs fonctions de contrôle.
17
Les effets observés :
La perte des fonctions de contrôle d’ordre externe se signale par la perte
et la nécessité de restaurer la capacité à :
• contrôler la distance physique entre soi et les autres, entre soi et les objets,
• ajuster ses réactions dans la communication grâce à la lisibilité des réactions des autres,
• maîtriser toute la sphère de la motricité fine qui requiert l’exercice des fonctions oculomotrices (se servir à table, conduire, coudre, se maquiller, ...),
• gérer l’image externe de son corps.
La perte des fonctions de contrôle d’ordre interne se signale par la perte et
la nécessité de restaurer :
• la capacité d’utiliser la voie sensori-motrice pour décharger un trop plein
d’excitations (bouger, se déplacer corporellement pour réduire une tension,
gestes et mouvements du corps anti-stress),
• la capacité de mise à distance de ses émotions, fonction habituellement
remplie pour une part par la vue qui permet une séparation franche entre le
monde intérieur et le monde extérieur (ex: terreurs nocturnes arrêtées par la
lumière, émotions et pensées régulées par l’alternance du jour et de la nuit
...),
• la part des capacités de sublimation assurées par des activités qui requièrent
la vue (la plupart des activités culturelles et esthétiques).
Les risques encourus :
La faillibilité des centres de contrôle interne et externe ont pour effet d’entamer la sécurité de base du patient qui se trouve exposé à la ré-émergence
de peurs comme la peur d’être attaqué, d’être blessé, de tomber, de se blesser, d’être envahi par les autres, de ne pas savoir mettre de limites entre soi
et les autres, d’être dépendant et maltraité.
La réduction des capacités de contrôle sur l’environnement entraîne de nouvelles dépendances qui entament l’image de soi et l’estime de soi.
La réduction des capacités de contrôle à l’œuvre dans la communication interindividuelle risque d’entraîner une forme d’isolement : la suppression de
feed-back dans les interactions rend plus difficile la communication.
La réduction des capacités de contrôle sur le monde intérieur risque d’entraîner des conduites de retrait émotionnel : la gestion des émotions négatives devient si difficile, du fait de la disparition de la barrière qui délimite le
monde extérieur et le monde intérieur, que la personne finit par se déconnecter totalement de ses émotions.
18
SOMMAIRE
SOMMAIRE
2.2
IMPACT PSYCHOLOGIQUE ET SOCIAL
DES TRAITEMENTS DE LA RÉTINITE À CMV
CHEZ LES PATIENTS
Les traitements à vie d’induction et de maintien sont très lourds pour
le patient. Ils entament la qualité de sa vie personnelle, sociale et professionnelle.
Dans la mesure où les rechutes peuvent survenir sous traitement, la croyance
aux traitements est souvent remise en question. Par ailleurs, les traitements
d’induction et de maintien faisant appel à des perfusions, le patient est
aux prises non seulement à une limitation de son autonomie mais aussi à
l’impact psychique des traitements comme par exemple le fantasme du
corps connecté. De même, l’introduction de traitements lourds à domicile,
de par leur visibilité, peut entraîner des bouleversements dans ses relations
avec son entourage.
Enfin, la gestion médicale de la rétinite, dans la mesure où elle requiert
régularité et assiduité, transforme la maladie en «activité à temps complet»
pour le patient et empiète sur sa vie sociale, familiale et professionnelle.
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Les attendus des traitements :
Les traitements du CMV sont lourds au niveau psychique d’autant plus
qu’ils viennent s’ajouter à d’autres traitements et à une multitude d’autres
médicaments par voie orale. Ne pouvant plus parier sur son corps et sur ses
traitements, le patient ne peut plus parier que sur lui-même. Mais ce pari
nécessite une aide.
Les liens entre le vécu somatique et le vécu psychique deviennent
quelquefois difficiles quand le patient n’a plus de point de repères pour
savoir si somatiquement il va bien ou non.
Ainsi, Pierre qui avait l’habitude de se fier à une lecture empirique de son corps
nous explique qu’il est maintenant parvenu à un stade de sa maladie où :
«à part les résultats de la balance pour mon poids, j’ai perdu le contrôle
de ce qui m’arrive car comme point de repère je ne peux plus me servir
de mon corps. Je suis dépendant des résultats de mes analyses de sang ...
Donc je peux me sentir très bien et avoir des résultats désastreux ...
Depuis le CMV, je n’ai plus de point de repères sur l’évolution de ma maladie
et je ne peux pas mesurer moi-même l’efficacité de mes traitements».
Comme Pierre n’a plus de point de repères sur son vécu somatique, il a
développé une dépendance aux soignants qui sont les seuls à savoir où il en
est. Il vient tous les quinze jours à l’hôpital de jour pour savoir où il en est de
«son CMV». C’est donc la régularité de ses résultats qui donnent un sens à sa
maladie pour Pierre. Chaque entretien sur l’évolution de son CMV est donc
fondamental.
Le nouveau besoin de Pierre est donc d’être informé très régulièrement de
l’effet de ses traitements.
François ne voit presque plus. Il continue ses perfusions mais le fait d’avoir
«rechuté» et perdu la vue, alors qu’il était sous traitement d’entretien,
l’a plongé dans un grand désarroi.
«Non seulement j’ai suivi les traitements mais ils ont échoué».
Cet échec est vécu douloureusement par François qui envisage d’arrêter ses
perfusions :
«Que puis-je espérer de plus... au moins je pourrais essayer de voyager un peu».
Le fantasme du corps connecté :
Le traitement d’attaque nécessite habituellement par jour deux heures
de perfusion et le traitement d’entretien requiert parfois une perfusion
quotidienne à vie. Cette astreinte perfusionnelle produit chez certains
patients le fantasme d’un corps connecté. Comme l’exprime l’un d’entre eux :
«A partir de mon CMV je savais que je ne serais plus jamais propriétaire à part
entière de mon corps. Je partage la copropriété de mon corps avec toute une équipe
soignante... L’infirmière qui me connecte le matin et le soir, l’hôpital qui contrôle
les résultats dans mon sang».
19
20
SOMMAIRE
SOMMAIRE
Les réactions de l’entourage par rapport
à la visibilité des traitements
Si Paul exerce dans sa nouvelle tâche ses capacités à la décision, il adopte
aussi les inquiétudes propres aux décisionnels.
Les perfusions accentuent la visibilité de la maladie et nécessitent des aménagements comme les soins à domicile qui peuvent bouleverser le système
relationnel de la personne.
Ainsi, Julien :
«Moi ce que je crains le plus c’est de faire une faute d’asepsie...
mais bon c’est comme cela il y a toujours un risque à courir quand vous vous
risquez à faire quelque chose que vous n’avez jamais appris...
Je connais bien ce type de questionnement.»
«Ma mère a commencé à me soutenir lorsqu’elle a vu arriver à la maison tout
le matériel pour ma perfusion. Les bouteilles étaient rangées dans des grands sacs
des Galeries Lafayette. Elle a été impressionnée et je crois qu’elle a eu peur pour moi.»
À l’inverse, les perfusions quotidiennes ont fragilisé les liens que François
entretient avec son compagnon de vie.
«Quand il a vu arriver le matériel, cela lui a rappelé son ancien compagnon
qui est mort il y a 3 ans ... J’ai senti qu’il avait besoin d’être protégé de cela.
Mais si je me fais hospitaliser, d’un autre côté comme il termine tard tous les soirs,
il ne pourra pas me rendre visite ... alors, je me lève avec lui et en général
il est parti avant l’arrivée de l’infirmière du matin.»
En moyenne les personnes malades du sida passent six heures par jour à
des activités directes ayant trait à leur maladie, si on inclut dans ces heures
les activités de soin, la gestion de leur situation administrative et sociale
et les heures de sommeil supplémentaires requises par leur état de santé.
Les activités de perfusion représentent un temps d’activité autour duquel
le patient doit réorganiser sa vie.
Emmanuel vit mal ce qu’il appelle «les matinées pyjamas».
«En fait, je ne peux plus m’habiller avant midi parce que j’attends le passage
de l’infirmière à domicile.»
être malade : un travail à temps complet
L’intensité des traitements, la multiplication des consultations et les examens
de laboratoire complémentaires ont pour effet de faire entrer la personne
dans un statut nouveau : le statut d’une personne dont la santé constitue
une activité à temps complet.
Par exemple, René (35 ans), salarié dans un service public jusqu’en octobre
dernier, nous a expliqué ainsi son emploi du temps :
«Le lundi, tous les quinze jours, je vais à l’hôpital pour ma chimiothérapie,
le mercredi tous les 15 jours je viens passer cinq heures pour mon CMV,
mes prélèvements et mes résultats de laboratoire. Je remplis une fiche ou un carnet
de bord si par exemple un produit par perfusion nécessite un prélèvement régulier
de mes urines, bref je travaille à temps complet.
Rentré chez moi, je reprends le rythme biquotidien de mes perfusions...
Si vous ajoutez cela que je me déplace lentement vous voyez bien que ma semaine
est bien remplie. Par exemple hier après-midi, cela m’a pris cinq heures pour aller
de la place d’Italie à la gare Saint Lazare pour aller me faire couper les cheveux.»
Un autre patient, Paul, 37 ans, qui dans le monde du travail appartenait à la sphère
des décisionnels a effectué un transfert de ses compétences dans les soins.
«En fait j’étais habitué à prendre des décisions à haut niveau,
alors pour les perfusions comme j’ai plusieurs produits à faire passer
sur huit heures, j’ai appris à faire tout moi-même, tenez regardez je ne gaspille
aucune compresse.»
21
À l’inverse, Christopher utilise son heure de perfusion pour méditer et prendre
toutes ses décisions :
«Je m’installe confortablement et je laisse mes pensées aller et venir. …
Mes perfusions, c’est mon temps de méditation quotidienne, c’est un temps
enrichissant pour moi pendant lequel je ne veux aucune visite. ...
J’ai appris beaucoup pendant la circulation des produits dans mon corps.»
Peter, plutôt que de faire appel à un service à domicile, se déplace tous les
jours au Service externe des perfusions à l’hôpital Davies, dans le quartier de
Castro à San Francisco. Les postes de transfusion y sont disposés à l’intérieur
d’un cercle pour favoriser les échanges entre les patients.
Ceux-ci viennent s’asseoir dans des fauteuils et «se connectent» eux-mêmes
aux bornes de transfusion. Ils peuvent discuter entre eux, se faire du café,
lire des magazines, discuter avec les soignants ou encore bénéficier d’une
prestation de counseling sur site.
Peter a institutionnalisé sa perfusion. C’est sa sortie quotidienne et :
«une occasion d’avoir des nouvelles des uns et des autres.
Je viens à pied, cela me fait sortir de chez moi.»
22
SOMMAIRE
SOMMAIRE
2.3
LES TROIS DIMENSIONS À L’ŒUVRE
DANS LA MALADIE
On observe chez les grands malades une accélération du développement
psychologique. L’éventualité d’une aggravation de leur état accélère leurs
stades de développement.
Les grands malades adoptent ce qu’ils appellent souvent eux-mêmes des attitudes et des comportements «de personnes âgées». Ils éprouvent le besoin
de réinterroger leur vie en termes d’accomplissements et se préoccupent de
réaliser certains désirs auxquels ils avaient accepté de surseoir jusqu’à maintenant.
Ainsi Vincent qui avait toujours rêvé de dessiner va demander un stage de
programmation assistée par ordinateur et va tenter de sauver le peu d’acuité
visuelle dont il dispose pour réaliser ce qu’il va appeler son rêve d’enfant.
C’est la raison pour laquelle en counseling, il est important d’ouvrir du côté
du projet et qu’il est également important de prendre en compte l’expérience acquise au cours des dernières années, ce d’autant que les personnes
confrontées à la rétinite à CMV ont déjà en moyenne une expérience de la
maladie de plus d’une dizaine d’années. Cette ouverture a pour effet de mobiliser les forces dynamisantes à l’oeuvre chez la personne en lui reconnaissant le droit aux trois temps psychiques qui soutiennent la vie et l’histoire de
chacun d’entre nous : un passé, un présent, un futur, quelque soient les liens
que nous effectuons tout au long de notre vie entre ces trois dimensions.
Certains événements modifient les valeurs attribuées à chacune de ces
dimensions : un choc, une séparation, une naissance, une maladie, une mort,
bouleversent inévitablement notre rapport au temps. Ainsi :
Jean (41 ans), qui n’y voit plus mais qui était un grand amateur de cinéma,
a demandé qu’on lui repasse sur son magnétoscope tous les grands films
de l’histoire du cinéma qui ont jalonné sa vie.
François (43 ans), pour se préparer au fait qu’il risque de devenir aveugle
a refusé que la responsable des soins à domicile vienne le voir.
Il lui a expliqué qu’il voulait rester en contact à tout jamais avec sa voix
et les images qu’il avait mises dessus.
23
24
SOMMAIRE
SOMMAIRE
Ce travail autour des dimensions
de la temporalité se matérialise en counseling
par l’exercice de trois niveaux d’écoute possible :
• Le niveau des faits :
pour le patient qui s’exprime, il s’agit de faire part des événements
qui sont survenus ou qui sont susceptibles de survenir.
• Le niveau du ressenti :
pour le patient, il s’agit de faire part de la manière dont il a vécu et vit
les événements tout en ouvrant sur le futur (anticipation des émotions).
• Le retentissement :
pour le patient, il s’agit de faire part de ce à quoi les événements
et la manière dont il les vit s’articulent avec d’autres situations
ou d’autres émotions déjà éprouvées au cours de son histoire,
tout en ouvrant sur ce qui pourrait changer au niveau
des situations ou des émotions.
OBSERVATION
Il semble parfois difficile
de demander à une personne
aux prises avec un pronostic sévère
de continuer à se projeter et souvent
on a tendance, avec les grands malades,
à ne pas oser travailler avec des techniques
actives parce qu’on a peur de rencontrer
leur dépression ou au contraire parce qu’on a peur
de les rendre encore plus tristes.
Mais en fait si on ne fait rien, le grand malade réduit
peu à peu à néant sa vie émotionnelle parce que personne
ne le sollicite émotionnellement et on observe alors très
vite une dégradation où les pulsions de vie cèdent la place aux
pulsions de mort. Les grands malades ont besoin d’un entourage
revitalisant pour les aider à soutenir leurs propres forces vitales.
Il ne s’agit pas de pousser une personne à accepter sa maladie
(on a le droit de mourir sans avoir accepté sa maladie), il s’agit de considérer le
malade comme un «ayant droit à l’existence», c’est à dire comme une personne
qui a des émotions, des sentiments et surtout des désirs et des projets.
25
QUESTIONS OU SOLLICITATIONS QUI FACILITENT
LE TRAVAIL D’ÉCOUTE À TROIS NIVEAUX :
Autour des faits
• Qu’est ce qui se passe ?
• Que vous arrive-t-il ?
• Racontez-moi tout ce qui s’est passé en détail.
• Décrivez-moi tout ce qui s’est passé en suivant l’ordre des faits..
• Dites-moi tout ce qui vous est arrivé.
• Qu’est-ce qui pourrait bien se passer d’autre selon vous ?
Autour du ressenti
• De quoi auriez-vous le plus besoin maintenant ?
• Qu’est ce que vous ressentez ?
• Comment vivez-vous cela ?
• Comment avez-vous d’abord réagi ?
Et maintenant ?
• Comment pensez-vous que vous réagirez à tout cela d’ici quelques semaines ?
• Qu’est ce que vous avez d’abord éprouvé ?
Et maintenant ?
Est-ce que cela pourrait changer ?
Comment ?
Autour du retentissement
• À quoi cela vous a fait penser que vous ayez déjà éprouvé ?
À l’occasion de quel événement ?
• Comment vous êtes-vous déjà sorti d’une situation analogue ?
• Qu’est-ce qui est le plus dur pour vous à dépasser ?
• Qu’est ce que vous avez l’impression de ne pas pouvoir maîtriser ?
• Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous ?
Sur quelle part de vous-même pouvez-vous vous appuyer ?
• À quel type de changement, ce qui se passe en ce moment
et ce qui va se passer après, vous confronte et va vous confronter ?
26
SOMMAIRE
SOMMAIRE
«cette colère aurait pu me tuer sur place
tellement elle était violente (…).
Jamais je n’avais ressenti cela de toute ma vie.
Peut-être je n’avais pas laissé échapper assez de colère
lors de l’annonce de ma séropositivité, je ne sais pas.
Il y avait sûrement là-dedans toutes les colères de ma vie !»
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3
LA PRATIQUE
DU COUNSELING
DANS LE CADRE
DE LA RELATION DE SOIN
28
SOMMAIRE
3.1
LE COUNSELING
ADAPTÉ À LA PRISE EN CHARGE DES PATIENTS
À CHAQUE PHASE DE LA RÉTINITE À CMV
Nos entretiens auprès de soignants et de patients nous ont révélé les points
suivants, incontournables dans le counseling auprès des patients confrontés
à la rétinite à CMV :
• l’annonce de la rétinite est une annonce comportant des éléments
traumatiques mettant en danger la personne au niveau psychologique,
• les traitements de la rétinite particulièrement lourds, ont un impact sur
la qualité de vie et le maintien de la socialisation des patients, ce d’autant
qu’ils sont à vie,
• la réduction de l’acuité visuelle ou la perte de la vue implique des
réaménagements importants dans toutes les sphères de la vie du patient.
Par ailleurs, l’accompagnement des patients confrontés à la perte ou à la
baisse de l’acuité visuelle suppose un travail à deux niveaux :
• AU NIVEAU PSYCHOLOGIQUE : il est essentiel de développer une écoute et
un échange centrés sur le cheminement émotionnel de chaque personne
ayant pour objet à la fois de réduire la charge traumatique et de permettre
à la personne de poursuivre son développement personnel dans une
dynamique de changement et d’adaptation à de nouvelles réalités.
• AU NIVEAU INSTRUMENTAL : il est important de proposer au patient, selon
ses besoins, des apprentissages instrumentaux visant prioritairement au
maintien de l’indépendance (réapprendre à se déplacer et à communiquer, réorganiser son espace de vie, pouvoir utiliser des aides visuelles,...).
L’expérience du groupe de counseling de la Lighthouse à San Francisco pour
les personnes confrontées à des troubles visuels liés à la rétinite à CMV ainsi
que le Centre de Rééducation de l’A.P.A.M. (Association pour les Personnes
Aveugles ou Mal Voyantes) nous ont montré l’intérêt à articuler la dimension
psychologique et instrumentale. L’approche de la réalité instrumentale
facilite l’adhésion progressive à une démarche de réadaptation qui peutêtre sans cela aurait du mal à se frayer un passage à travers les émois
dépressifs et la tendance au retrait des personnes confrontées à la rétinite.
29
3.2
L’ANNONCE DE LA RÉTINITE À CMV
LES RÉACTIONS IMMÉDIATES :
Nous avons observé qu’elles étaient de plusieurs ordres : la sidération,
la colère, la détresse, la peur, le choc plus ou moins important en fonction
ou non de l’anticipation du diagnostic.
Le choc peut avoir lieu sans manifestations émotionnelles apparentes.
Ses effets se retrouvent dans d’autres troubles du sommeil ou des peurs
incontrôlées ou bien encore des rêves de frayeur.
Pierre a d’abord éprouvé une colère immense à l’issue du diagnostic :
.... «cette colère aurait pu me tuer sur place tellement elle était violente ;
je l’ai sentie dans ma nuque, le long de mon dos et derrière mes jambes.
Jamais je n’avais ressenti cela de toute ma vie. Peut-être je n’avais pas laissé
échapper assez de colère lors de l’annonce de ma séropositivité, je ne sais pas.
Il y avait sûrement là-dedans toutes les colères de ma vie !»
Christopher ne se souvient pas d’avoir été en colère :
«En fait quand j’ai eu mon diagnostic de CMV, je n’ai pas été en colère mais
plutôt surpris, pris de court. Je pouvais accepter les autres maladies et Dieu sait
si j’en ai eues et j’ai été de nombreuses fois à l’hôpital mais que cela affecte
mes yeux, c’était un autre problème! Jusqu’ici, j’avais gagné sur ma maladie mais
là c’était trop! J’ai été alors envahi par de nombreuses peurs et elles sont encore
là; il n’y a rien de pire que de penser que l’on va perdre la vue.»
De plus, cette annonce réveille parfois le traumatisme de l’annonce de la
séropositivité : c’est comme si ces deux annonces délimitaient les contours
d’un scénario avec un début et une fin catastrophiques.
Ce diagnostic peut donc exposer la personne à un effondrement avec des
effets psychiques désorganisateurs plus ou moins intenses dont la voie
de sortie peut être une réalisation suicidaire.
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
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DANS CET ENTRETIEN, EN ABORDANT DIRECTEMENT LES CRAINTES DU PATIENT,
LE MÉDECIN PERMET À CE DERNIER DE HIÉRARCHISER SES PEURS :
médecin
Qu’est-ce que vous craignez le plus ?
patient
Comment réduire l’impact traumatique
lié à l’annonce ?
Ce qui m’inquiète le plus, c’est la façon dont va réagir mon ami.
En fait, il m’arrive la même chose qu’à l’ami qu’il a perdu il y a deux ans.
médecin
«Un choc inattendu, non préparé et écrasant,
agit pour ainsi dire comme un anesthésique.
Mais comment cela se produit-il ?
Apparemment par l’arrêt de toute activité psychique.»
Ferenczi, 1933
Qu’est-ce qui s’est passé ?
patient
Son ami a perdu la vue huit mois avant sa mort.
médecin
Vous craignez qu’il associe ce qui se passe pour vous à ce qui s’est passé
pour son ami, mais vous qu’est-ce que vous en pensez ?
patient
Moi, je ne veux pas avoir à porter plusieurs histoires à la fois.
médecin
Ce serait trop lourd pour vous?
patient
POINTS À ABORDER DANS L’ENTRETIEN
• Accueillir les réactions immédiates verbales et non verbales du patient
• Explorer avec le patient ses peurs, ses incertitudes, ses attentes et ses espoirs
• Explorer avec le patient l’impact de la rétinite et de ses traitements
(traitement immédiat et traitement à vie)
• Identifier les nouveaux besoins et les changements
liés à sa nouvelle condition somatique
• Évaluer les capacités de soutien de son entourage
• Aider le patient à résoudre les problèmes concrets posés par l’évolution
de la rétinite et ses traitements (emploi, prise en charge, problèmes financiers, ...)
31
Oui, en fait si vraiment je dois avoir un problème aux yeux,
je préfère me préparer dès maintenant à cela.
médecin
Comment voyez-vous cette préparation ?
patient
Je ne sais pas. Il doit bien y avoir un moyen de faire avec cela.
L’annonce de la rétinite réveille chez ce patient un ensemble de craintes
dont celle d’être identifié par son partenaire à une personne qui va mourir.
L’entretien va l’aider à exprimer son propre désir : trouver un moyen de s’en
sortir par lui-même pour faire face à la peur de son partenaire.
32
SOMMAIRE
SOMMAIRE
L’ENTRETIEN SUIVANT MONTRE COMMENT LE MÉDECIN,
EN AIDANT LE PATIENT À EXPRIMER CE QUI SE PASSE POUR LUI ET EN VALIDANT
DANS UN PREMIER TEMPS SES ÉMOTIONS SANS AUCUNE AUTRE INTERVENTION,
VA LUI PERMETTRE DE FAIRE UN PREMIER PAS VERS L’ACCEPTABILITÉ
De plus, le patient va découvrir une face cachée de lui-même.
Le médecin pourra alors l’aider à résoudre un certain nombre de difficultés concrètes.
patient
Ce que vous m’annoncez est insupportable !
médecin
Qu’est-ce qui est le plus insupportable pour vous ?
patient
Eh bien, je pense que je vais peut-être devenir aveugle.
médecin
C’est à dire ?
patient
Eh bien plus de télévision, plus de livres, je ne vais plus pouvoir conduire,
je ne vais plus pouvoir rien faire. En fait on va me prolonger mais moi
je ne suis déjà plus là. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de mes
journées ? Il y a quelque chose qui s’est arrêté, je ne peux rien en faire.
médecin
Je sais c’est insupportable.
patient
J’ai peur d’être obligé de quitter mon appartement
alors que j’ai organisé ma vie autour de ma liberté et j’ai toujours refusé
d’habiter avec quelqu’un.
médecin
C’est ce qui représente pour vous la limite de ce qui est supportable ?
patient
Oui, c’est cela et des amis m’ont déjà proposé à Montpellier
de m’accueillir chez eux mais pour moi c’est difficile d’accepter
leur proposition parce que cela remet en question tout mon style de vie.
médecin
Au fond, c’est comme si dans cette situation difficile,
vous étiez confronté à une autre forme de relation aux autres.
Qu’est-ce que pourrait vous apporter ce nouveau type de relation ?
patient
Accepter qu’on s’occupe de moi.
33
On découvre au fil de l’entretien toutes les peurs du patient : la peur de ne
pas pouvoir faire face, la peur de perdre son indépendance, la peur du
changement, la peur de dépendre des autres, la peur de l’intrusion.
Le médecin n’apporte pas de réponses concrètes mais il valide les émotions du
patient. Ce qui arrive au patient est effectivement insupportable. Il l’aide à définir
les limites de ce qui est pour lui supportable et ce faisant permet au patient de
découvrir une face cachée qu’il n’avait jamais explorer : permettre aux autres de
s’occuper de lui.
Pouvoir exprimer son anxiété, ses craintes, ses peurs, ses incertitudes quand
on en ressent le besoin est un facteur de qualité de vie essentiel.
Les réactions d’après-coup : émergence
d’un syndrome post-traumatique ou non ?
On pourrait définir le traumatisme comme une situation dans laquelle
la personne est confrontée à un événement qui la place dans une totale
impossibilité de maîtriser ce qui lui arrive et qui la met en danger.
Selon le DSM-III-R, le traumatisme se reconnaît à la présence simultanée
des éléments suivants :
• La personne a été confrontée à une situation inhabituelle mettant en jeu
gravement sa vie ou son intégrité physique.
• La personne est sujette périodiquement à des accès de détresse,
des attaques de panique, des frayeurs nocturnes,
des flash-back terrorisants.
• La personne observe des attitudes d’évitement face à tout élément
pouvant être associé avec l’événement traumatique (rupture avec
l’entourage existant avant l’événement, arrêt des activités antérieures,
sentiment de détachement et d’étrangeté, perte du sens du futur, impression de temps arrêté, perte du sentiment amoureux, perte de tout espoir).
• La personne souffre d’au moins de l’apparition de deux symptômes
parmi les suivants : insomnies, troubles de concentration, hypervigilance,
crises de colère, réactions physiologiques comme des sueurs
ou des tremblements corporels.
• Les symptômes doivent avoir duré plus d’un mois.
Dans la rétinite à CMV, le risque traumatique est d’autant plus prégnant
que ce diagnostic atteint des personnes qui par ailleurs sont affaiblies
somatiquement et psychiquement. Ces personnes ont donc peu de moyens de
défense du Moi pour intégrer l’événement.
Les mécanismes de défense habituels sont mis en échec. L’événement ne peut
pas être l’objet d’une mise en sens. La sidération qui suit le choc traumatique
se rapproche du sentiment d’effroi. On peut alors observer une fracture dans le
temps avec un avant et un après séparés par une faille.
La douleur psychique conduit à la mise en place de mécanismes de défense
pathologiques comme le clivage et la dénégation qui empêchent alors toute
élaboration d’une demande d’aide.
34
SOMMAIRE
SOMMAIRE
Des réactions de ce type lors de l’annonce de la rétinite à CMV laissent
présager de la présence d’un syndrome traumatique.
L’observation de ces symptômes doit donner lieu à l’établissement d’une
réponse en termes de soutien faute de laisser la personne s’installer dans
des attitudes rigidifiées, un retrait, un repli sur des mécanismes de défenses
pathologiques, une fermeture au monde organisée autour d’une vie
opératoire où la pensée est sidérée et l’imaginaire arrêté.
La vie de la personne est alors ponctuée par l’insupportable qui donne lieu
alternativement à des périodes de vide et à des mouvements de colère ou à des
explosions d’angoisse persécutives.
comment faire ?
Les praticiens qui travaillent avec des personnes aux prises avec un syndrome
post-traumatique ont intérêt à utiliser un modèle d’intervention de crise.
L’entretien peut tourner autour des quatre questions qui se posent
généralement à toute personne à l’issue d’une situation traumatique :
«Que m’est-il arrivé ?»
Toute personne après un danger a tendance à se placer dans une relation
d’extériorité à elle-même (difficultés à trouver de nouveaux repères, besoin de
vérifier auprès des autres la réalité des événements, difficultés à intérioriser ce
qui se passe). La réponse à apporter se trouve dans la qualité de la présence
et de la relation à l’intérieur de laquelle le praticien peut alors mettre des
mots sur la réalité.
«Qu’est ce qui va se passer maintenant pour moi ?»
Le patient, arrivé à ce point, a besoin de points de repère dans la réalité pour
s’assurer de ses capacités de survie et d’auto-protection. Le rôle du praticien
consiste à l’aider à s’exprimer sur ce qu’il anticipe et faire une première
exploration de ses besoins, dans l’ici et maintenant, tout en explorant les
capacités de soutien de l’entourage.
3.3
LE SUIVI
COMMENT AIDER LA PERSONNE À INTÉGRER
LA RÉTINITE À CMV DANS SA TRAJECTOIRE DE VIE ?
L’objectif du counseling dans les entretiens qui suivent l’annonce
est d’éviter d’introduire une perturbation trop brutale dans l’approche
subjective de la maladie, construite jusqu’alors par le patient, tout en
sauvegardant au maximum son potentiel vital et ses capacités
d’adaptation aux changements qui ne peuvent que survenir ici.
Le sens que la personne malade donne à sa maladie relève d’une construction toujours susceptible d’être déconstruite et reconstruite.
L’important est que chaque événement qui survienne puisse être réintégré
en permanence dans la trajectoire de vie.
Pour les aidants, la position à adopter est celle qui consiste à se demander
tout au long du suivi de la personne : que peut-elle faire de ce qui lui arrive ?
Quelle évolution et quel avenir peut envisager la personne dont je
m’occupe même si sa vie doit s’organiser autour d’une atteinte organique
irréversible ?
L’objectif est d’amener la personne à se poser elle-même ces questions.
Faute de l’accompagner dans cette démarche, que le patient initie souvent
de lui-même mais que personne ne veut entendre ou reprendre, le malade
est condamné à être une victime «passivisée», objet de compassion, privée
de tout moyen de connaissance et d’action. De plus, une incapacité à penser
ce qui lui arrive entraîne chez le patient une incapacité à penser tout court
et stoppe sa vie imaginaire.
«Qu’est-ce qui va m’arriver si je ne vais pas mieux ?»
Le patient a besoin de reconstruire un pont entre l’avant et l’après.
Les questions sur l’avenir, même si elles sont agrémentées de l’expression de
sentiments de désarroi et d’impuissance, sont un excellent élément prédictif
de la personne à se projeter à nouveau dans l’avenir. Le praticien peut les
reprendre une à une et apporter les éléments de réponse qu’il possède.
«Est-ce que c’est normal que je réagisse ainsi ?»
Le patient est souvent surpris par ses propres réactions et par l’irruption de
sentiments ou d’émotions qui lui sont étrangers comme une forte irritabilité,
des peurs inappropriées et inconnues jusqu’alors.
Le praticien a une fonction importante dans cette situation : il réassure le
patient sur la normalité de ses réactions et l’aide à se ré-enraciner dans la vie
concrète en jouant, de par sa simple fonction d’écoute et de par sa présence
active, le rôle de pare-excitations.
35
POINTS À ABORDER DANS L’ENTRETIEN
• Explorer avec le patient la manière dont il a réorganisé régulièrement sa vie
autour de ses problèmes de santé dans les dernières années, les derniers mois,
les dernières semaines.
• Explorer les changements intervenus dans sa vie sociale et dans son entourage.
• Anticiper les changements liés à la rétinite à CMV.
• Explorer les modifications dans sa vie émotionnelle.
• Aider le patient à identifier ses nouveaux besoins.
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
L’intérêt à poser des questions sur les changements intervenus est de
permettre au patient d’être reconnu comme quelqu’un qui de fait est un
acteur du changement.
En ouvrant l’entretien sous une forme dynamique, on peut ensuite travailler
une écoute à deux niveaux : un premier niveau peut s’en tenir à
l’approche des thèmes de la vie concrète du patient, un second niveau
peut s’attacher aux sentiments et aux émotions.
L’ENTRETIEN QUI SUIT MONTRE COMMENT LE MÉDECIN
EN OUVRANT SUR LE CHANGEMENT PERMET AU PATIENT D’EXPRIMER
LES DIFFICULTÉS QUE CES CHANGEMENTS ONT POSÉ À SON ENTOURAGE.
À partir de là, on va voir comment le patient va envisager
d’introduire de lui-même d’autres changements.
médecin
En quoi tout ce qui vous est arrivé ces dernières années a changé
votre point de vue sur l’idée que vous vous faisiez de l’infection à VIH ?
patient
J’ai longtemps cru que ma séropositivité était un accident. C’est seulement
depuis peu que j’ai intégré que ce n’est pas un accident mais une maladie.
médecin
Comment cela ?
patient
Je n’ai plus le même rapport aux autres, je vois bien que je suis différent
surtout depuis que je suis si fatigué.
médecin
En quoi ce que vous appelez votre fatigue a modifié
vos relations avec les autres ?
patient
J’ai l’impression que mes amis en ont marre de m’entendre dire
que je suis fatigué et que je ne peux pas m’engager pour les activités
qu’ils me proposent. Comme ils se sentent impuissants, ils préfèrent que
je me taise et à la limite que je ne parle plus de mes problèmes de santé.
médecin
En fait, ils n’acceptent pas d’être impuissants
alors que vous ne leur demandez pas d’être puissants !
patient
C’est vrai et au fond moi aussi, j’étais comme cela avant. Je faisais mille
choses et ne disais jamais que j’étais fatigué. C’est là que cette rétinite change
des choses pour moi; toutes ces perfusions me fatiguent profondément.
médecin
Qu’est-ce que vous auriez envie de leur dire ?
patient
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êt
à
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n
ti
n
si la vie co
Soit je parle moins de ma fatigue, soit je leur dis que je n’attends
pas d’eux qu’ils me guérissent !
médecin
Vous attendez quoi d’eux ?
patient
Qu’ils m’acceptent comme je suis devenu, c’est à dire quelqu’un de fragile !
C’est seulement quand ils auront accepté cela, qu’ils pourront accepter
mon nouveau problème de santé : ma rétinite !
37
38
SOMMAIRE
Comment aborder la relation
aux traitements dans les entretiens ?
Ce patient est aux prises avec les difficultés de son entourage à faire face à ce
qu’il veut exprimer de sa maladie. Son état de santé a remis en question son
système de valeurs fondé sur la primauté accordée à la puissance.
Deux options s’offrent à lui : protéger son entourage en s’exprimant moins sur
sa fatigue ou dire plus aux autres ce qu’il attend d’eux. En même temps, les
réactions des autres mobilisent chez lui son désir de maintenir un certain degré
de socialisation. Il va donc progressivement intégrer dans sa trajectoire de vie ce
qui lui arrive tout en se préoccupant de préserver son tissu relationnel.
Le processus de counseling consiste à explorer avec le patient le contexte
existentiel plus large des traitements afin qu’il puisse s’engager plus avant
dans un nouvel univers qui mobilise chez lui plusieurs dimensions de son
existence : physique, sociale et personnelle.
L’objectif de l’exploration de cet univers est de permettre au patient de mieux
se saisir de son expérience pour être capable de faire face aux ambiguïtés, aux
incertitudes, aux contradictions auxquelles l’expose l’empiétement inévitable
de la sphère médicale sur sa sphère sociale et privée.
Il s’agit aussi de permettre au patient de réévaluer ses idéaux derrière ses
modes d’adaptation à la maladie. Entrer en contact avec le monde idéal d’un
patient, c’est explorer avec lui le sens qu’il donne à sa maladie.
L’aider à formuler les valeurs qui fondent son adhésion aux traitements
constitue souvent le premier pas dans la résolution de ses problèmes.
médecin
Comment se passent vos perfusions à domicile ?
patient
Au début cela se passait bien parce que je croyais que j’allais me sentir
mieux immédiatement mais en fait je ne constate aucun changement
sinon que je n’ai plus de temps pour moi et je n’en vois plus la fin.
médecin
Qu’est-ce que vous attendiez de votre traitement ?
patient
Qu’il m’aide à aller mieux alors qu’en fait ces perfusions
sont une charge supplémentaire dans ma vie.
médecin
Quelle charge ?
patient
J’étais habitué à prendre mes comprimés discrètement
voire même quelquefois à ne pas les prendre.
Mais là avec tout le matériel, comment voulez-vous que je m’en sorte ?
Je prends cinq minutes pour oublier ma maladie et hop !
coup de sonnette : c’est l’heure de ma perfusion !
médecin
Qu’est-ce qui serait bien pour vous ?
patient
Je voudrais apprendre à faire ma perfusion moi-même
mais j’ai peur de la faute d’asepsie.
POINTS À ABORDER DANS L’ENTRETIEN
• Explorer avec le patient comment il a intégré ses traitements
dans sa vie quotidienne.
• Explorer ses attentes en matière de résultats.
• Évaluer avec le patient les coûts psychologiques des modalités des traitements.
• Identifier les besoins du patient.
• Anticiper les émotions liées à la perception subjective
de l’évolution de l’infection à VIH.
39
En fait, le médecin découvre au fil de l’entretien la charge psychologique de
la perfusion qui, par sa visibilité, ne permet pas beaucoup d’échappement.
À l’issue de cet entretien, le service de soins à domicile va organiser pour le
patient une séance de travail sur les règles d’asepsie.
Cette participation plus active à son traitement va avoir pour le patient
un impact sur la restauration du sentiment de contrôle de sa propre vie,
même si l’inquiétude sur la faute d’asepsie demeure.
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
patient
Je ne crois pas à mon traitement, je voudrais tout arrêter et voyager
pendant le peu de temps qui me reste.
médecin
Qu’est-ce qui vous gêne le plus dans vos traitements à l’heure actuelle ?
patient
Je ne peux plus quitter mon domicile et je n’ai pas le courage d’emmener
tous mes flacons avec moi en week-end.
médecin
Qu’est-ce qui fait que c’est maintenant que vous avez envie d’arrêter ?
patient
J’ai encore perdu un ami cette semaine !
Cette illustration suivante montre que les événements qui surviennent dans
la vie du patient peuvent modifier son degré d’adhésion aux traitements.
Le médecin va alors continuer l’entretien non plus sur les traitements mais
sur l’impact émotionnel de la perte de cet ami.
médecin
Au fond la disparition de votre ami vous a fait perdre confiance
dans vos traitements et en même temps
vous a fait prendre conscience d’un de vos souhaits : voyager !
Comment aider la personne à faire face
au débordement émotionnel ?
Non seulement l’économie psychique occupe une place importante dans
l’économie psychosomatique mais l’appareil mental fonctionne en liaison
étroite avec l’appareil somatique. La désorganisation d’un élément dans le
système sensoriel exige donc de la personne un ensemble de réorganisations.
La vision a une double dimension : elle nous met en relation avec le monde
extérieur, ce qui nous permet de nous orienter dans l’espace, de nous saisir des
objets et d’éviter les dangers. Elle nous procure ainsi un plaisir en soi non assorti
nécessairement d’activités : le plaisir de voir lié à une excitation intérieure.
La vision est donc plus qu’une activité instrumentale, elle occupe une place
importante dans les plaisirs et les émotions. Elle participe à la qualité de la
vie relationnelle.
À ce titre la relation d’aide auprès d’une personne confrontée à la rétinite
à CMV doit comporter un travail sur les émotions visant à lui permettre de
trouver les moyens de restaurer sa sécurité narcissique et à trouver des voies de
dégagement possible de l’angoisse qui envahit inévitablement l’appareil
psychique dès qu’il est confronté à une perte fonctionnelle essentielle touchant
directement au corps.
La stratégie d’aide consiste à réduire la production et l’impact chez le patient
des insomnies, des angoisses diffuses, des terreurs nocturnes, des tensions
douloureuses, des accès de panique, des frayeurs auxquels il ne peut mettre
fin parfois que par l’élaboration d’un scénario suicidaire :
patient
Oui c’est cela, j’ai envie de sortir de la ville.
C’est bientôt l’été et je n’en peux plus d’être enfermé !
«Il n’y a plus que cela qui arrête mes pleurs chaque nuit, l’idée que je peux encore
décider de tout arrêter si la vie continue à être aussi intolérable.»
médecin
Si vous allez dans un lieu où on peut vous organiser votre perfusion,
qu’est-ce qui vous empêche de partir pour un week-end ?
ou bien encore :
patient
En fait, j’ai peur de me retrouver seul et de penser à cet ami
et à la mort, ma mort aussi !
Il est important pour les patients de pouvoir exprimer leurs émotions et
leurs peurs mais souvent leur entourage fait tout pour leur éviter d’aborder les
questions qui sont les leurs, croyant par-là les protéger.
En fait, le médecin dans cet entretien ne va faire que reprendre les thèmes
abordés d’entrée de jeu par le patient tout en les ouvrant progressivement.
Cela permet au patient de poursuivre son cheminement émotionnel.
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«Je vais bien quelques heures puis je suis envahi malgré moi d’idées effroyables
et je suis pris à la gorge. Je crois que je ne supporte pas de voir partir mes yeux
jour après jour, il ne me reste qu’une petite surface sur un œil
qui me permet de voir encore un peu.»
Il s’agit d’aider le patient à faire face à l’irruption de tendances dépressives
et à limiter les forces auto-destructives en jeu dans tout processus de perte.
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
médecin
Est-ce qu’il y a des choses dont vous avez besoin maintenant
et auxquelles vous n’aviez jamais pensé auparavant ?
LE COUNSELING A DONC POUR OBJECTIFS DE RESTAURER :
• l’assurance d’habiter son corps, remise en question par la perte de la vue
et les traitements de cette affection (perfusions régulières coexistant souvent
avec d’autres traitements lourds comme une chimiothérapie),
• une fonction de vigilance et de contrôle qui était assurée auparavant
par la vue
• le sentiment d’estime de soi réduit par la perte de contrôle.
patient
J’ai besoin de plus de temps pour me déplacer et faire les choses.
J’ai besoin d’apprendre à demander de l’aide sans me sentir dépendant.
médecin
Par exemple ?
patient
Je viens ici tous les quinze jours à l’hôpital de jour, le fait que je ne puisse
plus conduire et que je n’y vois plus assez bien pour y aller en métro
m’oblige à demander à ma mère qu’elle m’accompagne ou m’appelle
un taxi. Pour moi, c’est angoissant de lui demander quelque chose alors
qu’elle a été très malade il y a trois mois.
Par ailleurs, je ne peux plus sortir ma chienne deux fois par jour et je dois
me déplacer avec une canne pour ne pas me cogner dans les escaliers.
médecin
Qui d’autre que votre mère pourrait vous aider ?
patient
COMMENT FAIRE ?
• Aider le patient à identifier les peurs et les frayeurs qui l’envahissent
(quels types de peurs ? où ? quand ? fréquence).
En parler réduit leur charge anxiogène.
• Aider le patient à trouver un moyen de réduire l’intensité de ses peurs
et de son anxiété (mentalisation, entamer une activité motrice, techniques
d’apaisement par le toucher, en référer à un membre de l’entourage, visualisation,
objet transitionnel réassurant, ...).
• Mettre des mots sur ce que le patient ressent et lui proposer une description
de ses sentiments dans laquelle il peut se reconnaître.
• Reconnaître l’intensité du travail psychique fourni par le patient
lors du remaniement de son système de croyances et de valeurs
(ex : le patient pensait qu’il n’accepterait jamais d’être dépendant des autres
pour se déplacer. Il lui a fallu pour cela accepter le fait que son indépendance
n’était pas contradictoire avec le fait d’avoir besoin d’aide pour traverser
dans un passage clouté).
• Aider le patient à apprivoiser certains sentiments comme la colère
ou la tristesse en lui montrant que celles-ci ne sont pas destructrices
mais permettent au contraire de découvrir des peurs sous-jacentes
(sentiment d’être menacé, peur d’être abandonné).
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Je ne sais pas, c’est peut-être le moment de faire appel à une association ;
jusqu’à maintenant je n’en avais pas besoin. Le plus dur pour moi ce sont
mes deux heures de perfusion dans la journée.
Je ne sais pas quoi faire pendant ce temps-là.
J’étais si actif à mon travail que je ne peux pas rester tranquille.
médecin
Est-ce qu’il y a des idées ou des images particulières
qui vous viennent pendant la perfusion ?
patient
Je sens qu’on me prolonge parce qu’il y a de nouveaux traitements
mais en fait je suis sûr que je ne verrai pas deux fois le printemps.
médecin
Est-ce que ces choses que vous abordez pour la première fois avec moi
font partie des nouveaux besoins que vous évoquiez tout à l’heure ?
patient
En fait depuis ma rétinite, j’ai besoin de faire le point sur ma vie
avant qu’il ne soit trop tard. J’ai besoin de réfléchir à tout cela
et la santé de ma mère m’inquiète plus que tout !
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
Eléments permettant de repérer
des idéations suicidaires :
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Comment identifier les idéations suicidaires
et prévenir le risque suicidaire ?
Les études sur le suicide et l’infection à VIH révèlent l’existence de trois pics
dans les idéations et réalisations suicidaires :
• l’annonce de la séropositivité,
• l’entrée dans la maladie (premières hospitalisations, symptômes invasifs,
lourdeur de certains traitements),
• la confrontation à la phase terminale directement associée
à une détérioration dans la qualité de la vie (perte de l’indépendance,
perte de l’espoir, modifications corporelles, douleurs, perte de contrôle
des fonctions corporelles, épuisement physique et psychique).
Une idéation suicidaire joue parfois le rôle de l’angoisse auto-protectrice dans
l’attente imminente d’un danger. Le suicide, dans la mesure où il ne donne lieu
à aucune tentative de réalisation, constitue pour certains patients le seul
contrôle anticipatoire sur leur vie qui leur soit accessible.
«J’arrêterai tout quand je ne pourrai pas aller plus loin...
j’arrêterai là si la situation devient insupportable.»
En revanche, lorsqu’elle est répétitive et fréquente, l’idéation suicidaire devient
persécutrice et, comme nous l’avons vu dans certains cas, menaçante pour
l’intégrité de la personne et désorganisatrice.
«Je suis envahi sans que je m’y attende par des idées de suicide. Cela me vient
comme cela en plein milieu du jour ou de la nuit. Quelquefois, même si je suis occupé à une activité cela me passe dans la tête et cela se termine en angoisse c’est-àdire que je prends alors un comprimé parce que je suis terrassé et que j’ai peur de ne
plus pouvoir rien contrôler.»
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• un désir clairement exprimé d’attenter à sa vie alternant avec des périodes
au cours desquelles prédomine un désintérêt pour la résolution des
difficultés rencontrées,
• un arrêt brutal ou progressif dans les activités de la vie quotidienne assorti
de troubles de sommeil, d’une absence d’appétit, et d’un désinvestissement
de sa propre image (hygiène, tenue vestimentaire...),
• un repli et un retrait de la vie sociale,
• une rupture de communication avec l’entourage
ou une crise dans les relations affectives existantes,
• un abandon des ses responsabilités au sein du couple ou de la famille,
• une alternance de comportements oscillant entre l’hyperactivité
et une totale passivité,
• un intérêt soudain pour la vie après la mort.
POINTS À ABORDER DANS L’ENTRETIEN
• Explorer les idéations suicidaires de la personne et l’aider à distinguer
ce qui relève d’un désir de contrôle de sa propre vie
et ce qui relève des limites du supportable.
• Aider la personne à prendre une part active dans son traitement,
par exemple lui enseigner les techniques de perfusion à domicile, des techniques
de gestion du stress ou toute autre moyen visant à améliorer sa qualité de vie.
• Accorder de l’importance aux perceptions subjectives de la personne
concernant l’évolution de sa maladie (degré d’espoir).
• Encourager la personne à exprimer ses sentiments et ses émotions
(les idéations suicidaires peuvent être un mode d’expression de la colère dirigée
contre l’entourage ; à l’inverse, la personne peut vouloir se suicider par altruisme
pour préserver son entourage contre la lourde charge qu’elle a peur
de représenter pour eux).
• Valider le chagrin qu’éprouve la personne face à la perte de son indépendance,
face à son handicap visuel et à la perte anticipée de ses autres capacités.
• Permettre à la personne d’exprimer ses pensées négatives relatives
à elles-mêmes ou à son entourage et ensuite voir avec elle ce qu’elle désire
communiquer aux personnes qui l’entourent.
• Proposer à la personne une éventuelle hospitalisation si elle manifeste le désir
d’être protégée momentanément de l’intrusion de ses idéations suicidaires.
46
SOMMAIRE
SOMMAIRE
Comment faciliter la réadaptation
des personnes présentant des troubles visuels ?
Pour réduire l’état de dépendance, il est important que la personne puisse
continuer à se déplacer et toutes les personnes que nous avons rencontrées
ont insisté sur l’importance du maintien de leurs capacités de mobilité.
Cela suppose en retour d’introduire dans la relation d’aide l’apprentissage
de compétences spécifiques facilitant la mobilité et la maîtrise des gestes
afférant à la vie quotidienne.
En effet, il persiste une image de la rééducation des aveugles réduite à
l’apprentissage du Braille, apprentissage considéré comme trop long et trop
épuisant pour une personne malade et affaiblie. Pourtant, beaucoup de choses
peuvent être réalisées pour faciliter le développement des patients ayant
perdu l’usage de la vision. On peut par exemple activer la stimulation visuelle
de la personne et lui apprendre à discriminer, identifier, percevoir les objets
dans son environnement. On peut lui permettre d’affiner son appréciation des
distances, la précision de ses gestes, lui apprendre à se servir d’aides
visuelles, à utiliser ses perceptions corporelles pour se déplacer, à disposer
ses objets familiers dans sa cuisine et sa chambre.
LES ORIENTATIONS DANS LA PRISE EN CHARGE DES BASSES VISIONS :
Pour certaines personnes, un travail sur la restauration de l’image de soi peut
être nécessaire avant tout type de réadaptation fonctionnelle.
Pour d’autres personnes, il peut être plus important de commencer par
l’acquisition de compétences fonctionnelles, par exemple dans le domaine de
la locomotion, avant de restaurer leur image d’eux-mêmes.
Des études sur les ajustements émotionnels face à la perte de la vision
révèlent l’existence de quatre stades : le déni et l’isolement, la colère, le
sentiment de perte et la dépression, l’acceptation.
La confrontation au sentiment de perte représente l’étape la plus
douloureuse pour la personne parce que la perte ne peut être réduite à
une fonction instrumentale et par conséquent elle ne peut être comblée
uniquement par une réponse fonctionnelle ou instrumentale.
LES AXES DE LA RÉADAPTATION :
La réadaptation dans le domaine visuel est une réadaptation de type
pluridisciplinaire adaptée au profil particulier de chaque personne en
fonction de ses besoins quotidiens. Il est donc important d’évaluer et de
définir avec la personne ses besoins avant de lui proposer un programme
personnalisé.
On peut répartir les besoins en trois axes :
• Communication
• Mobilité
• Activités instrumentales en jeu dans la vie quotidienne
Évaluer avec la personne la spécificité de ses besoins a pour intérêt de
mobiliser quelque chose de l’ordre de l’élaboration d’une demande.
Par ailleurs, nous avons découvert que les professionnels, par manque de
connaissances, n’orientaient pas assez souvent les patients vers des centres de
rééducation. De même, peu de patients expriment, par manque d’informations,
une demande de cet ordre.
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CE QUE L’ENTOURAGE ET LES AIDANTS DOIVENT SAVOIR
• Quand on rencontre une personne ayant une vision réduite, il est important
de lui manifester verbalement notre présence et de dire qui on est.
• À la maison quand on reçoit une personne qui a perdu la vue, il est important
de lui présenter tous les autres invités, de la prévenir s’il y a un chien ou un chat
et de guider sa main vers un siège où elle peut s’asseoir.
• Au restaurant, quand un plat est servi, on peut décrire le contenu de l’assiette
en utilisant la technique du cadran solaire : les pommes de terre sont à 12,
les carottes à 3, le steak à 6, et les rondelles de tomate à 9.
• Lorsque l’on donne une information à une personne qui n’y voit pas,
il est important d’éviter d’employer des prépositions vagues comme «ici»,
«là» ou «là-bas». Il est préférable d’être plus précis et d’utiliser des termes
comme «la porte est à ta droite».
• Dans la mesure où notre culture est visuellement orientée, on peut continuer
à utiliser des expressions qui réfèrent à la vision lorsque l’on communique
avec une personne qui a perdu la vue. Il n’est pas nécessaire d’ôter du langage
courant des expressions comme : «Je suis heureux de te voir» ou encore, lorsque
la personne continue à regarder la télévision malgré son handicap,
«Est-ce que tu as vu ce film ?»
• Une personne qui a perdu l’usage de la vue est heureuse lorsque l’on lui décrit
les choses. Il ne faut pas hésiter à lui demander si elle désire qu’on lui décrive
en détail quelque chose ou quelqu’un.
• Si la personne vous demande de décrire une image ou un vêtement ou une autre
personne, il est important d’éviter de donner sa propre opinion avant d’avoir
d’abord effectué le travail de description demandé.
• Une personne qui a perdu la vue possède une mémoire visuelle et il peut être
bénéfique de réactiver celle-ci en demandant à la personne de remémorer
ses souvenirs visuels.
48
SOMMAIRE
SOMMAIRE
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la vérité,
49
4
OUTILS
DU COUNSELING
50
SOMMAIRE
SOMMAIRE
4.1
LES ATTITUDES FACILITANT
LA RELATION D’AIDE
Développer ses capacités d’empathie
MÉMENTO POUR LE PRATICIEN DU COUNSELING
• Utiliser des questions ouvertes.
• Utiliser des questions hypothétiques portant sur le futur.
• Apporter un autre éclairage sur un problème exposé et si possible aider
le patient à lui-même apporter ce nouvel éclairage modifie positivement
les états psychiques du patient (les croyances irrationnelles et les peurs inhibent
les comportements, et entament les capacités décisionnelles).
• Éviter la dépersonnalisation du patient au profit de la médicalisation
de ses problèmes.
• Éviter les conceptions traditionnelles de la santé (opposition maladie/santé)
dans la mesure où tout au long du décours de l’infection à V.I.H. on demande aux
patients d’adopter des comportements de santé ou de maintenir leur état de santé.
À la différence de la sympathie ou de l’antipathie, l’empathie est un
processus dans lequel le praticien tente de faire abstraction de ses propres
conceptions pour se centrer sur la manière dont la personne perçoit la
réalité. Elle se résume par une question à se poser régulièrement :
«Qu’est-ce qui se passe actuellement
chez la personne qui est en face de moi ?»
L’adoption de cette attitude est difficile dans certaines situations graves qui
nous poussent naturellement à nous sentir à la fois affecté, impuissant et
mobilise en nous des sentiments comme l’injustice ou l’inquiétude.et stoppe
sa vie imaginaire.
Et pourtant une personne confrontée à une situation difficile a d’abord
besoin de quelqu’un présent à ses côtés qui l’aide à faire face à ce qui lui
arrive et non d’une personne qui réagit à sa place.
COMMENT MANIFESTE-T-ON SON EMPATHIE ?
• en mettant des mots sur ce que l’on perçoit comme l’émotion dominante
chez le patient,
• en lui demandant de nous dire ce dont il aurait le plus besoin dans l’ici
et maintenant,
• en essayant de comprendre son point de vue et en reformulant ce dernier
sans tenter de le modifier (c’est de lui-même dans un deuxième temps
que la patient modifiera son point de vue sur sa situation).
LES EFFETS DE L’EMPATHIE DANS LA RELATION DE SOIN :
• augmentation du degré d’estime de soi du patient : «on peut donc comprendre ce que je ressens sans me renvoyer que j’ai tort de penser cela»,
• amélioration de la qualité de la communication : «il ne se contente pas
de me répondre que lui aussi peut mourir en sortant d’ici»,
• ouverture à l’expression d’émotions plus profondes : «c’est vrai que
derrière cette colère il y a en fait toutes mes peurs».
51
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
Développer ses capacités d’acceptation
de l’autre dans sa singularité
Le patient a avant tout besoin d’être accepté comme il est, comme il se sent,
comme il dit qu’il se sent avant de pouvoir explorer le changement. Souvent
au décours de ses affections opportunistes, il découvre que l’acceptation
qu’il croyait acquise de tel ou tel membre de son entourage ne l’était pas
réellement. Les personnes séropositives ont presque toujours été confrontées au deuil de l’amour inconditionnel de leur entourage. La confrontation
au handicap, par les angoisses qu’elle suscite, réduit aussi les capacités d’acceptation de l’entourage qui, ayant des difficultés à se confronter à la souffrance du patient, se tient à distance.
COMMENT MANIFESTER SON DEGRÉ D’ACCEPTATION ?
• en aidant le patient à restaurer son image de soi, et son estime de soi,
• en aidant le patient à développer une plus grande acceptation de luimême (souvent les patients sont très sévères avec eux-mêmes : par
exemple, ils ne s’autorisent pas au repos, ils se sentent coupables d’être
malades,...).
L’IMAGE DE SOI :
Elle est constituée par l’ensemble des représentations que le patient
se fait de lui-même. Il a tel physique, se reconnaît telles qualités et telles
capacités. Il évolue dans telle position et dans un certain nombre de rôles
(social, familial, conjugal, etc.).
Ainsi structurée, l’image de soi est un point de repère central qui permet
à la personne de se situer par rapport aux autres, de contrôler
ses états internes et les excitations extérieures.
Dans la mesure où l’expérience de la maladie vient contredire la
construction de cette image, notamment en s’attaquant à l’image du corps
(amaigrissement, perte des capacités physiques, perte du rôle social,...),
l’image de soi du patient s’en trouve profondément ébranlée.
L’ESTIME DE SOI :
Elle représente la relation que la personne entretient avec ce qu’elle
s’imagine être. Selon son degré d’estime de soi, la personne se sent plus
ou moins bien dans sa peau, confiante dans ses capacités et portée à se
valoriser. La dépendance entraînée par la maladie est souvent vécue
comme un échec ou un aveu d’impuissance qui affectent en retour le niveau
d’estime de soi de la personne.
Dans la mesure où l’infection à VIH touche des personnes jeunes a l’acmé
de leur développement, elles ne sont pas du tout préparées à assumer
une limitation de leur indépendance.
53
4.2
LES TECHNIQUES D’ENTRETIEN
Elles sont au service de la relation qui s’établit entre le praticien du
counseling et le patient.
Elles ont pour rôle de faciliter l’expression et de progresser dans l’analyse
d’un problème. Les techniques ne remplacent pas la relation mais elles
contribuent au maintien de sa qualité dans la mesure où elles améliorent le
niveau d’écoute et de communication dans les entretiens.
Pour faciliter l’expression :
QUESTIONS OUVERTES
Ce sont les questions auxquelles on ne peut répondre ni par oui, ni par non.
Elles ont pour objectif de faciliter l’exploration des faits, des sentiments,
des émotions. Elles invitent le patient à une élaboration personnelle à partir
d’un événement. Elles facilitent la description précise d’attitudes ou de
comportements. Elles aident le patient à se centrer sur ses sentiments.
Comment faire ?
La meilleure façon de pratiquer la technique de la question ouverte est de
se centrer sur tous les «allant de soi» dans l’entretien et de considérer que
tout doit être sujet à description. Par exemple, la simple phrase «je ne me
sens pas triste» est un allant de soi qui nécessite une description plus fine car
chaque patient a sa propre définition de la tristesse.
On peut donc par une simple question ouverte tenter de cerner plus
exactement ce que le patient éprouve réellement («Pouvez-vous me
dire ce que vous éprouvez exactement lorsque vous vous sentez triste ?
À quoi vous pensez dans ces moments-là ?» etc.).
REFORMULATION DE CONTENUS ET RECENTRAGE
La reformulation permet de vérifier que l’on a bien compris ce que le
patient voulait nous dire et elle permet de recentrer l’entretien quand
celui-ci semble prendre plusieurs directions à la fois.
54
SOMMAIRE
SOMMAIRE
Pour faciliter la compréhension
LA TECHNIQUE DE REFLET
Elle consiste à distinguer et nommer le sentiment qui affleure à la surface.
LA REFORMULATION DES ÉMOTIONS ET DES SENTIMENTS
Cela consiste à essayer de formuler les émotions et les sentiments qu’une
personne éprouve ou tente de nous exprimer pour l’aider à mieux se
comprendre elle-même.
Cela suppose que le praticien se concentre non seulement sur ce que la
personne dit mais aussi sur la manière dont elle le dit.
Les six émotions de base :
• la peur (inquiet, méfiant, ...)
• la colère (frustré, agressif, ...)
• la tristesse (abattu, peiné, ...)
• le dégoût (déçu, écoeuré, ...)
• la surprise (étonné, saisi, ...)
• la joie (satisfait, content, ...).
Fonctions du reflet
• Permettre à la personne de s’ouvrir à ce que ce sentiment ou cette
émotion lui signale (par exemple : la peur signale l’existence d’une
menace, la tristesse signale l’existence d’une blessure, la colère renvoie
à l’existence d’une entrave).
• Aider la personne à reconnaître le sentiment exprimé.
• Vérifier que l’on a bien compris.
• Permettre à la personne d’accéder ensuite à une autre émotion
sous-jacente.
Pour faciliter la résolution de problèmes
LA FOCALISATION
Elle a pour objet de stimuler le processus exploratoire.
Il existe plus de deux cent termes pour exprimer les sentiments.
Face à la rétinite à CMV, les sentiments les plus souvent exprimés sont :
le désarroi, la peur, l’injustice, l’inquiétude, l’effroi, l’impuissance,
la dévalorisation, l’exaspération, la perte, la solitude, la vulnérabilité,
la honte, le désespoir, la panique, l’insuffisance, le découragement,
la finitude mais aussi l’accomplissement, la réalisation, le libre choix,
la vérité, l’authenticité, l’infini, la nostalgie.
Comment travailler les sentiments négatifs ?
Le praticien doit fonctionner, face à un sentiment négatif, comme un
miroir renvoyant au patient son propre «Moi», le rendant capable à partir
de cette nouvelle perception de se réorganiser.
Quand le patient est découragé, quand il a pensé au suicide, quand il se sent
accablé par sa maladie, la tendance naturelle est d’essayer de dédramatiser
la situation. En fait, il est préférable d’aider le patient à faire face à ses
sentiments et à les reconnaître pour ce qu’ils sont afin qu’ils puissent les
prendre en compte et en faire quelque chose.
On découvre ainsi, à l’occasion, que se cache derrière un sentiment
négatif un désir positif inconnu de la personne (ex: sous le découragement
se cache une colère sous laquelle se cache une peur qui, elle-même,
permet l’expression d’un désir que le patient avait en lui mais qu’il n’osait
pas réaliser).
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Les fonctions de la focalisation
• Faire passer à l’expression d’une émotion plus profonde.
• Retrouver l’origine d’un sentiment.
• Permettre à la personne de se réapproprier son problème.
• Faciliter la résolution de problèmes.
Les questions facilitant la focalisation
• Pouvez-vous essayer de dire ou d’imaginer à qui s’adresse votre colère ?
• Qu’avez-vous envie de dire à cette personne ? Si elle était là avec nous,
qu’est-ce que vous lui diriez ?
• Comment est-ce que vous pourriez lui dire ce que vous ressentez ?
• Comment pensez-vous que votre entourage va réagir ?
• Qu’est-ce que vous retenez de tout cela ?
• Qu’est-ce que vous allez faire de tout ce que vous avez découvert
maintenant sur vous même ?
• Comment voyez-vous la solution à votre problème ?
• Qu’est-ce que cette solution suppose ?
• Comment vous sentez-vous face à ce nouveau problème ?
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SOMMAIRE
ADRESSES
UTILES
57
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SOMMAIRE
SOMMAIRE
Guides et Centres
de Documentation
ANNUAIRE DES ASSOCIATIONS, ETABLISSEMENTS
ET ORGANISATIONS POUR AVEUGLES ET MALVOYANTS
Edition : l’U.C.A.A.T. - 9, rue Mayet 75006 Paris ;
Co-éditeur : La Cause - 69, rue E. Joly 78300 Carrières sous Poissy
C.T.N.E.R.H.I. (Centre Technique National d’Etude et de Recherche sur les
Handicaps et les Inadaptations)
236 Bis, rue de Tolbiac 75013 Paris
ASSOCIATIONS
LES C.R.I.P.S.
Région Ile de France : C.R.I.P.S. 192, rue Lecourbe – 75015 Paris
Tél : 53 68 88 88
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C.R.I.P.S. Hôtel Dieu, Place Daniel – 13224 Marseille cedex 2 Tél : 91 38 16 00
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247, rue de Belleville - 75019 Paris
Groupe d’échange et de soutien destiné spécifiquement
aux personnes atteintes de rétinite à CMV et à leurs proches.
Boîte vocale 24h/24h : 44 52 33 57
LES PERMANENCES RÉGIONALES DE SIDA INFO SERVICE
Numéro vert – appel gratuit : 05 36 66 36 Ce service fonctionne 24h/24h
tous les jours de la semaine. Les appels sont anonymes et gratuits.
Subdivisé en pôles régionaux (France métropolitaine uniquement),
il offre une information et une orientation locales.
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5, rue Duroc - 75007 Paris.
Tél Standard : 44 49 27 27
Service de vente de matériel spécialisé pour déficients visuels :
Tél : 44 49 27 37
VIH INFO SOIGNANTS :
Tél : 36 63 05 15 Numéro réservé aux professionnels.
F.R.D.V.
40, rue du Père Corentin - 75014 Paris
Organisme de Conseil spécialisé en matériels d’aide professionnelle
pour déficients visuels.
Tél Standard : 45 40 30 70
GROUPEMENT DES INTELLECTUELS AVEUGLES OU AMBLYOPES (G.I.A.A.)
5, avenue Daniel Lesueur - 75007 Paris
Tél Standard : 47 34 30 00
Diffuse un guide de l’utilisateur regroupant l’ensemble des services
et activités proposés (Réadaptation, vente d’outils d’aide au travail
et à la vie quotidienne, librairie sonore, loisirs ...).
LES AUXILIAIRES DES AVEUGLES
71, avenue de Breteuil - 75015 Paris
Guides et services pratiques destinés aux déficients visuels.
Tél Standard : 43 06 39 68
V.L.S. (Vaincre le sida)
41, rue Volta - 75003 Paris
Tél : 44 78 75 55
Propose des services à domicile d’aide à la vie quotidienne.
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Pour mieux connaître
l’adresse d’autres associations
et obtenir leurs coordonnées
à jour, vous pouvez contacter :
centres de rééducation
fonctionnelle :
A.P.A.M. (Association pour les Personnes Aveugles et Malvoyantes) :
Paris : 3, rue Jacquier 75014 Paris
Tél Standard : 40 44 48 00
Tél Rééducation : 40 44 66 77
Tél Centre de ressources : 40 44 67 25
Tél Matériel : 40 44 67 15
Tél Formation : 40 44 67 69
Marly le Roi : 3, av Louvois 78160 Marly le Roi
Tél Standard : 39 16 36 05
Tél Centre des Ombrages : 39 58 31 54
C.R.A.R. (Centre de l’Auberderie)
27, Chemin de l’Auberderie 78160 Marly le Roi
A.R.A.M.A.V. (Association de Réinsertion pour Aveugles et Malvoyants)
12, Chemin du Belvédère 30900 Nîmes
Tél Standard : 66 23 48 55
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À PROPOS DE L’AUTEUR
Catherine Tourette-Turgis est maître de conférences en
Education à la Santé à l’Université de Rouen (France).
Elle est chargée d’enseignement sur la psychologie de la
santé à l’Ecole de Santé Publique de l’Université de Berkeley
(U.S.A.).
Elle est l’auteur de nombreux articles et d’un ouvrage sur
le counseling paru en juillet 1996 («Le counseling», édition
Presses Universitaires de France, collection Que Sais-Je ?).
Elle est aussi, avec Maryline Rébillon, co-fondatrice
de «COMMENT-DIRE», agence de formation et de communication sociale.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays y compris
la Suède et la Norvège. Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite.
Une copie ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande
magnétique, disque ou autres, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi
du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.
© 1996, Catherine Tourette-Turgis
© 1996, COMMENT DIRE 11, rue Delambre – 75014 Paris (France)
Réédition 2021
(1ère édition 1996)