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The Weight of Absence

2023, HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe)

Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques Hiatus, lacuna and absences: identifying and interpreting archaeological gaps Actes du 29 e Congrès préhistorique de France 31 mai-4 juin 2021, Toulouse L'économie invisible des produits en matériaux recyclables

Le poids de l’absence… Sylvie Boulud-Gazo, Muriel Mélin, Francis Bordas To cite this version: Sylvie Boulud-Gazo, Muriel Mélin, Francis Bordas. Le poids de l’absence… : Estimation des masses métalliques manquantes dans les dépôts terrestres de la fin de l’âge du Bronze atlantique. Collectif. Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques, Société préhistorique française, 2023, 29e Congrès préhistorique de France. ฀hal-04117488฀ HAL Id: hal-04117488 https://hal.science/hal-04117488 Submitted on 6 Jun 2023 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Open licence - etalab| Sylvie Boulud-Gazo, et al. Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques Hiatus, lacuna and absences: identifying and interpreting archaeological gaps Actes du 29e Congrès préhistorique de France 31 mai-4 juin 2021, Toulouse L’économie invisible des produits en matériaux recyclables Session publiée sous la direction de Pierre-Yves Milcent, Marilou Nordez, et Thibaud Poigt Paris, Société préhistorique française, 2023 p. 63-78 Le poids de l’absence… estimation des masses métalliques manquantes dans les dépôts terrestres de la fin de l’âge du Bronze atlantique The Weight of Absence... Estimating Missing Metal Masses in Late Atlantic Bronze Age Hoards Sylvie Boulud-gazo, Muriel Mélin, Francis Bordas Résumé : Les dépôts métalliques terrestres de l’extrême fin de l’âge du Bronze atlantique (BFa 3, soit entre 950 et 800 avant notre ère) sont caractérisés par des compositions particulièrement hétéroclites et par une très forte fragmentation. Les objets entiers y sont en minorité et les fragments, nombreux, recollent rarement entre eux. Cela suppose donc qu’une partie des objets est manquante et a connu une destinée différente de celle qui a été fossilisée au sein des dépôts. Dans le cadre de cette étude, nous nous intéresserons justement à cette partie manquante des dépôts terrestres du BFa 3 et nous tenterons d’en estimer partiellement la masse afin de la rendre plus tangible. Cela revient en fait à se poser la question du nombre minimum d’objets ayant été nécessaires pour constituer les dépôts à l’origine et de la quantité de métal ayant disparu entre le moment où les objets étaient entiers et le moment où ceux-ci, fragmentés volontairement pour beaucoup, ont été enfouis. Pour ce faire, nous nous baserons sur une sélection d’objets pour lesquels il est possible de calculer une masse médiane d’une part, et d’établir un nombre minimum d’individus (NMI) et un nombre de restes (NR) pour chaque dépôt étudié d’autre part. La méthode proposée sera appliquée à plusieurs dépôts originaires de différentes régions d’un large quart nord-ouest de la France. Interroger les lacunes des dépôts terrestres et tenter de les quantifier permet de mieux appréhender les masses métalliques nécessaires à la constitution de ces ensembles du Bronze final. Cela conduit nécessairement, dans un second temps, à se poser la question du devenir des fragments non enfouis et donc à réfléchir aux modalités de constitution des dépôts ainsi qu’aux temporalités de fragmentation des objets et de disparition d’une partie d’entre eux. Mots-clés : masse métallique, dépôt terrestre, Bronze final atlantique 3, masse médiane, circulation du métal, recyclage, fragmentation, production métallique, quart nord-ouest de la France. Abstract: The terrestrial metallic hoards of the extreme end of the Atlantic Bronze Age (BFa 3, i.e. between 950 and 800 B.C.) are characterised by particularly heterogeneous compositions and by a very strong fragmentation. Whole objects are in the minority and the numerous fragments rarely fit together. This means that some of the objects are missing and have had a different destiny from that which was fossilised in the deposits. In this study, we will focus on this missing part of the BFa 3 terrestrial hoards and we will try to estimate its mass in order to make it more tangible. This amounts to asking the question of the minimum number of objects that were necessary to constitute the original hoards and the quantity of metal that disappeared between the time when the objects were whole and the time when they were buried, many of which were fragmented on purpose. To do this, we will base ourselves on a selection of objects for which it is possible to calculate a median mass on the one hand, and on the establishment of a Minimum Number of Individuals (NMI) and a Number of Remains (NR) for each hoard studied on the other. The proposed method will be applied to several hoards originating from different regions of 64 Sylvie Boulud-gazo et al. a large north-western quarter of France. Questioning the gaps in the terrestrial hoards and attempting to quantify them allows a better understanding of the metal masses necessary for the constitution of these Final Bronze Age ensembles. This necessarily leads, in a second phase, to the question of the fate of the unburied fragments and thus to reflect on the modalities of constitution of the hoards as well as on the temporalities of fragmentation of the objects and the disappearance of a part of them. Keywords: Metallic mass, hoards, Atlantic Late Bronze Age 3, median mass, circulation of metal, recycling, fragmentation, metallic production, north-western quarter of France. inTRoDucTion Le bronze, un alliage de cuivre et d’étain, auquel du plomb est également ajouté à partir du Bronze final dans certaines régions, est un matériau recyclable, tout comme les autres métaux en circulation. Cette propriété, nouvelle au regard des matières mises en œuvre jusqu’alors, fait assurément partie des caractéristiques ayant contribué à singulariser les métaux et à leur conférer un attrait tout particulier. Apparus dès le début de l’âge du Bronze, les objets en alliage cuivreux sont rares en contexte d’habitat, et leur présence est très irrégulière à l’intérieur des sépultures. Ce sont donc avant tout les dépôts et les immersions volontaires qui ont permis à de nombreux objets en bronze de parvenir jusqu’à nous. Les pratiques de dépôt, emblématiques de la période, ont ainsi contribué à constituer notre principale source d’information pour tenter d’évaluer les flux de circulation du métal. Cependant, les dépôts pourraient bien être l’arbre qui cache la forêt, une forêt d’objets métalliques majoritairement disparus, car en grande partie recyclés. 1. cADRe De L’éTuDe D ans le cadre de cet article, nous nous concentrerons sur les dépôts terrestres et productions métalliques de la dernière étape de l’âge du Bronze final à l’intérieur du domaine atlantique. Notre corpus d’étude est ainsi constitué d’ensembles et d’objets métalliques caractéristiques des horizons de Longueville et de Vénat, soit entre 950 et 800 av. J.-C. (Milcent, 2012). Actuellement, plus de 250 dépôts terrestres correspondant à plus de 18 000 objets et fragments sont recensés pour cette étape dans le domaine atlantique. À l’échelle de la France, le nombre total de dépôts terrestres est estimé à 328, soit 55 dépôts enfouis par génération (fig. 1 ; Boulud-Gazo et al., 2021 et à paraître). Les dépôts du Bronze final atlantique 3 (BFa 3) sont caractérisés par une composition hétéroclite, avec un très large spectre de types d’objets, et par une forte fragmentation, à l’image de ce que l’on observe, par exemple, dans le dépôt de Draveil (Essonne ; fig. 2). Longtemps qualifiés de « dépôts de fondeurs » du fait, notamment, de cette forte fragmentation et de leur apparence de « bric-à-brac », les dépôts de cette étape répondent en réalité à des règles de composition régionale et ne peuvent plus être strictement perçus comme résultant d’une collecte aléatoire d’éléments métalliques à recycler (Bordas, 2023). Les objets rassemblés se présentent dans des états très variés : certains sont entiers, d’autres sont complets, mais en plusieurs morceaux et, enfin, beaucoup sont incomplets et représentés uniquement par un seul ou quelques fragments. Cette dernière catégorie est de loin la plus fréquente (tabl. 1). Ainsi sur les 18 000 restes recensés pour le BFa 3, seuls 159 individus sont constitués de plusieurs fragments jointifs. Cela évoque une possible sélection de type pars pro toto dans laquelle un fragment choisi pourrait symboliser la totalité de l’objet (Hansen, 2016, p. 186), mais il n’est pas certain que cette représentation partielle des objets soit en réalité volontaire. En effet, ces fragments isolés ne recollant pas entre eux pourraient très bien résulter de processus antérieurs à la constitution du dépôt, comme la circulation de fragments métalliques destinés à être mobilisés dans le cadre d’échanges prémonétaires (Milcent, 2017 ; Brandherm, 2018). D’autres pratiques, d’ordre rituel, funéraire et/ou social, pourraient tout aussi bien expliquer la circulation de fragments métalliques au sein des sociétés de l’âge du Bronze final (Dietrich, 2014 ; Brück, 2016 ; Hansen, 2016). Quelle que soit l’origine de cette fragmentation, et nous reviendrons plus loin sur les explications qui peuvent être proposées, cet état de fait suppose qu’une partie des pièces utilisées pour constituer les dépôts est manquante et a connu une destinée différente de celle qui a été fossilisée au sein des enfouissements volontaires. C’est l’un des traits caractéristiques des dépôts du BFa 3 qui rend l’appréciation des masses métalliques manipulées et réellement mobilisées dans le cadre des enfouissements extrêmement compliquée. La partie absente des dépôts est justement celle que nous tentons de quantifier de manière à mettre en lumière les masses métalliques ayant préexisté aux enfouissements, mais dont le traitement préalable à la mise en dépôt a conduit à leur disparition ou à leur invisibilité (fig. 3). Notre démarche vise avant tout à interroger les modalités de constitution des dépôts terrestres et de fragmentation des objets, et non pas à essayer de comprendre pourquoi ces objets ont été enfouis. Cette étude se place dans la continuité d’une communication présentée lors du colloque Pezzi Scelti (Rome, 2012), dont une version actualisée a été publiée depuis (Boulud-Gazo et Mélin, 2022). Le poids de l’absence… 65 Fig. 1 – Carte de répartition des dépôts métalliques terrestres de deux objets et plus datés de la troisième étape du Bronze final en France. Les points rouges correspondent aux dépôts pris en compte dans cette étude (d’après Boulud-Gazo et al., 2021 ; DAO F. Bordas). 1. La Villate, Challans, Vendée (Verney, 1990), NR = 304 ; 2. La Prairie de Mauves, Nantes, Loire-Atlantique (Briard, 1966 ; Boulud et Fily, 2009), NR > 585 ; 3. Le Jardin des Plantes, Nantes, Loire-Atlantique (Briard, 1972), NR > 168 ; 4. La Tiédenaie, Saint-Père-enRetz, Loire-Atlantique (Maggi, 1994), NR > 225 ; 5. Keriéro, Bangor, Belle-Île, Morbihan (Bordas, 2019), NR > 1200 ; 6. Menez Tosta, Gouesnac’h, Finistère (Briard, 1958), NR > 114 ; 7. Kergaradec 1, Gouesnac’h, Finistère (Fily, 2009), NR = 171 ; 8. Kergaradec 2, Gouesnac’h, Finistère (Fily, 2009), NR = 457 ; 9. Cadoret, Saint Mary, Jersey, Royaume-Uni (Driscoll, 2011), NR = 221 ; 10. La Roche Bottin, Cerisy-la-Salle, Manche (Verney et Desloges, 2000), NR = 345 ; 11. Graville-Sainte-Honorine, Le Havre, Seine-Maritime (Dubus, 1911), NR = 240. Fig. 1 – Distribution map of terrestrial metallic hoards of two or more objects dated to the third stage of the Final Bronze Age in France. The red dots correspond to the hoards considered in this study (from Boulud-Gazo et al., 2021; CAD F. Bordas). 1. La Villate, Challans, Vendée (Verney, 1990), NR = 304; 2. La Prairie de Mauves, Nantes, Loire-Atlantique (Briard, 1966 ; Boulud and Fily, 2009), NR > 585; 3. Le Jardin des Plantes, Nantes, Loire-Atlantique (Briard, 1972), NR > 168; 4. La Tiédenaie, Saint-Père-en-Retz, Loire-Atlantique (Maggi, 1994), NR > 225; 5. Keriéro, Bangor, Belle-Île, Morbihan (Bordas, 2019), NR > 1200; 6. Menez Tosta, Gouesnac’h, Finistère (Briard, 1958), NR > 114; 7. Kergaradec 1, Gouesnac’h, Finistère (Fily, 2009), NR = 171; 8. Kergaradec 2, Gouesnac’h, Finistère (Fily, 2009), NR = 457; 9. Cadoret, Saint Mary, Jersey, Royaume-Uni (Driscoll, 2011), NR = 221; 10. La Roche Bottin, Cerisy-la-Salle, Manche (Verney et Desloges, 2000), NR = 345; 11. Graville-Sainte-Honorine, Le Havre, Seine-Maritime (Dubus, 1911), NR = 240. 66 Sylvie Boulud-gazo et al. Fig. 2 – Dépôt de Draveil (Essonne ; clichés et DAO F. Bordas). Fig. 2 – Draveil hoard (Essonne; photo and CAD F. Bordas). Le poids de l’absence… familles 67 entiers quasi complets entiers et fragmentés quasi entiers et fragmentés 0 0 6 2 Épées fragments inconnus 1916 1 Total indice de fragmentation 1925 99,6 Poignards 21 12 0 0 489 15 537 93,7 Lingots 106 0 1 0 896 105 1108 89,3 Bracelets 286 16 7 0 1857 20 2186 85,7 Pointes de lance 194 42 4 0 824 41 1105 77,4 Haches 607 275 6 0 2150 164 3202 70,8 Racloirs 67 20 8 0 211 3 309 69,0 Marteaux 13 4 1 0 28 3 49 60,9 62,5 Gouges 49 5 0 0 90 3 147 Herminettes 15 3 0 0 9 0 27 33,3 Boutons 164 8 0 0 68 3 243 28,3 Pendeloques 91 4 0 0 35 0 130 26,9 Anneaux 707 8 0 0 262 11 988 26,8 Perles 718 2 0 0 109 1 830 13,1 Tabl. 1 – État des objets à l’intérieur des dépôts terrestres du BFa 3 et indice de fragmentation pour les différentes familles d’objets. Les lignes grisées correspondent aux objets pour lesquels un référentiel de masse médiane a été calculé : leur indice de fragmentation varie entre 62 % pour les gouges et presque 100 % pour les épées. Table 1 – Status of objects within the BFa 3 terrestrial hoards and fragmentation index for the different families of objects. The shaded lines correspond to objects for which a median mass reference was calculated: their fragmentation index varies between 62% for gouges and almost 100% for swords. dépôt masse connue fragmentation ce que l’on cherche fragmentation destination(s) inconnue(s) masse absente inconnue fragmentation fragmentation Fig. 3 – Modèle théorique de constitution d’une partie des dépôts du BFa 3. Seuls certains fragments provenant de différents objets sont enfouis ; une partie de la masse métallique constituant ces mêmes objets n’apparaît pas dans les dépôts : c’est cette masse « absente » que nous tentons ici d’estimer (DAO S. Boulud-Gazo et M. Mélin). Fig. 3 – Theoretical model of the constitution of part of the BFa 3 hoards. Only certain fragments from different objects are buried; part of the metallic mass constituting these same objects does not appear in the hoards: it is this “absent” mass that we are attempting to estimate here (CAD S. Boulud-Gazo and M. Mélin). 68 Sylvie Boulud-gazo et al. 2. LA MéThoDe D es estimations de masses métalliques immobilisées dans les dépôts terrestres de l’âge du Bronze ont déjà été réalisées par F. Pennors (2004). En masse, c’est le Bronze moyen 2 qui forme le pic le plus important, avec presque 3 t de métal. Le Bronze final 3 correspond au deuxième pic le plus marqué, avec environ 1,7 t de métal enfoui. Ces estimations nécessiteraient bien sûr d’être actualisées du fait des nombreuses découvertes effectuées au cours des vingt dernières années. Pour le Bronze final 3, par exemple, les calculs les plus récents indiquent environ 1,6 t de métal uniquement pour les régions atlantiques (Bordas, 2023). Les résultats obtenus par F. Pennors donnent tout de même, et pour la première fois, une bonne idée des masses métalliques découvertes en dépôt pour l’âge du Bronze. Si l’on regarde non plus la masse immobilisée, mais le nombre de restes placés en dépôt, c’est le Bronze final 3 qui apparaît cette fois-ci comme la période présentant le plus fort pic. Ceci est justement dû au fait que les dépôts terrestres de cette période rassemblent un très grand nombre de fragments. RÉFÉRENTIEL Bien que située dans la continuité des approches pondérales appliquées aux dépôts métalliques (Gabillot, 2004 ; Pennors, 2004), notre étude présente un objectif différent : nous tentons ici de quantifier non pas la masse immobilisée à l’intérieur des dépôts du BFa 3, mais bien celle qui a échappé à cette fossilisation (fig. 3). Il s’agit pour nous de rendre tangible, chiffres à l’appui, une partie des masses métalliques en circulation à la fin de l’âge du Bronze, mais disparues depuis. En 2012, nous avons réfléchi à une méthode simple ayant pour objectif de donner une estimation de la masse métallique absente des dépôts. Cette méthode sera exposée uniquement dans ses grandes lignes ici, et nous renvoyons à l’article paru qui explicite la démarche de manière plus détaillée (Boulud-Gazo et Mélin, 2022). La masse métallique manquante à l’intérieur des dépôts peut théoriquement être calculée par déduction dès lors que l’on connaît la masse médiane des objets, que l’on calcule le nombre minimum d’individu (NMI) et que la masse déposée est également connue. La démarche peut ainsi se décomposer en quatre étapes (fig. 4) : 1. constitution d’un référentiel des masses médianes des objets présents dans le dépôt ; MASSE NÉCESSAIRE AVANT DÉPÔT MASSE ABSENTE DU DÉPÔT 4 épées LdC 4 x 644 = 2576 g 1556 g DÉPÔT X NMI épées LdC = 4 Masse dans le dépôt = 1020 g 1 épée LdC Masse médiane = 644 g Fig. 4 – Principe théorique d’estimation de la masse métallique absente du dépôt à partir du calcul du nombre minimum d’individus (NMI). La méthode est ici présentée à partir de l’exemple de fragments d’épées de type à lame en langue de carpe (LdC) (DAO S. Boulud-Gazo et M. Mélin). Fig. 4 – Theoretical principle for estimating the metal mass absent from the hoard from the calculation of the Minimum Number of Individuals (MNI). The method is presented here using the example of fragments of carp-tongue type swords (CAD S. Boulud-Gazo and M. Mélin). Le poids de l’absence… 69 2. détermination du NMI pour chacun des objets à l’intérieur du dépôt ; 3. calcul de la masse nécessaire avant dépôt à partir de l’estimation de la masse médiane des objets et du NMI ; 4. comparaison entre la masse nécessaire avant dépôt et la masse réellement déposée. types d’objets parmi les plus fréquents dans les dépôts terrestres du BFa 3 (tabl. 1 et 2). Chaque objet a été considéré dans son groupe typologique large sans tenir compte des subtilités morphologiques qui auraient conduit à morceler le corpus : en effet, les dépôts fournissent majoritairement des fragments qui ne peuvent que rarement être rattachés à des types précis ou à des variantes de type. Les pointes de lance, par exemple, dont la détermination typologique demeure complexe, peuvent rarement être attribuées à un type précis dès lors que l’on ne dispose que d’un fragment de douille ou de flamme. Pour certains objets connus majoritairement par des fragments placés en dépôt, la masse médiane n’a pu être estimée qu’à partir d’un nombre restreint d’exemplaires complets et dont on connaît la masse. Lorsque cela était possible, nous avons fait appel au corpus des découvertes issues de milieux humides qui livre une majorité d’objets entiers, en particulier des épées. Dans certains cas, la valeur de l’écart type est élevée, du fait d’une plus grande variabilité morphologique de l’échantillon, et donc de l’existence d’individus très grands (plus lourds) ou au contraire très petits (moins lourds) qu’il est impossible de discriminer lorsque l’on ne dispose que de fragments. Les boîtes à moustaches permettent de bien visualiser la dispersion des données pour chaque objet par rapport à la médiane, ainsi que l’existence, dans la plupart des échantillons, de valeurs aberrantes (fig. 5). La dispersion des valeurs est limitée pour les pointes de lance, les gouges ou les racloirs et, au contraire, assez étendue pour d’autres objets, comme les épées de type Ewart Park-Challans et les haches à ailerons. Malgré ces limites et réserves d’usage, les résultats obtenus sont relativement proches de ceux calculés et proposés par F. Pennors (Pennors, 2004 ; Boulud-Gazo et Mélin, 2022). Notre référentiel est cependant plus robuste et précis, car il a été construit à partir d’un nombre plus important d’objets entiers tous datés du BFa 3. Il s’appuie également sur le calcul d’une masse médiane, qui, Comme nous l’avons déjà précisé, le spectre des types d’objets représentés dans les dépôts du BFa 3 est extrêmement vaste, et la fragmentation, parfois très forte, interdit de pouvoir identifier la totalité des pièces. Ces limites, qui semblent rédhibitoires dans un premier temps, peuvent cependant être dépassées si l’on accepte de se concentrer sur une partie des objets seulement, à savoir ceux qui sont fréquents à l’intérieur des dépôts et qui doivent aussi être connus par un nombre suffisant d’exemplaires complets afin de pouvoir calculer leur masse médiane. C’est l’option que nous avons retenue, sachant qu’elle ne nous permettra pas d’estimer la totalité de la masse métallique absente des dépôts, mais d’en percevoir tout de même une part importante. 2.1. constitution d’un référentiel de masses médianes des objets présents dans le dépôt Nous avons donc commencé par construire un référentiel de masse médiane pour six objets caractéristiques des dépôts du BFa 3. Dans un premier temps, nous avons pris en compte les épées à lame en langue de carpe et celles de type Ewart Park-Challans, les poignards à languette ou à douille, les pointes de lance, les haches à douille et les haches à ailerons. Grâce aux données rassemblées par l’un d’entre nous dans le cadre d’une thèse (Bordas, 2023), nous avons ensuite pu intégrer les gouges à douille et les racloirs, mais aussi consolider les précédents résultats en ajoutant de nouvelles pesées d’objets entiers. Le référentiel ainsi obtenu concerne huit nombre d’objets entiers pesés Masse médiane (en grammes) Masse moyenne (en grammes) écart type Épées type langue de carpe 25 644 621 94 Épées type Ewart Park-Challans 109 508 554 166 Poignards à languette/ à douille 22 26 34 17 Pointes de lance 113 89 94 37 Haches à douille 163 220 220 47 Haches à ailerons 85 364 368 90 Gouges 29 75 77 25 Racloirs 45 70 70 14 Types d’objet Tabl. 2 – Référentiel de masse médiane pour huit types d’objet fréquemment rencontrés dans les dépôts terrestres du BFa 3, avec indication du nombre d’objets entiers pesés et de l’écart type. Table 2 – Median mass reference for eight object types frequently encountered in BFa 3 terrestrial hoards with indication of the number of whole objects weighed and the standard deviation. 70 Sylvie Boulud-gazo et al. dire la masse métallique des objets entrant dans la constitution du dépôt, au moment où ils étaient tous complets. Une fois cette masse calculée, il suffit de lui soustraire la masse réellement placée en dépôt pour obtenir la masse absente de ce dernier (fig. 4). 3. APPLicATionS 3.1. estimations basses : calcul à partir du nMi laborée à partir du dépôt de la Prairie de Mauves, à Nantes (Loire-Atlantique), pour lequel nous disposions de données précises, cette méthode a ensuite été appliquée à trois autres ensembles du BFa 3 originaires ou proche de la région nantaise (Boulud-Gazo et Mélin, 2022). Dans tous les cas, la masse réelle à l’intérieur du dépôt est apparue nettement inférieure à la masse minimale nécessaire estimée ayant réellement existé avant la fragmentation des objets et leur enfouissement. Ces premiers calculs, très prometteurs, ont ainsi révélé une différence parfois très importante entre la masse nécessaire avant dépôt et la masse déposée. Ces valeurs, après ajout dans le calcul des racloirs et des gouges qui n’y figuraient pas dans un premier temps, sont respectivement de 19 % et 20 %, pour les dépôts de la Prairie de Mauves, à Nantes, et de Challans (Vendée), et de 41 % et 54 %, pour ceux du Jardin des Plantes, à Nantes (Loire-Atlantique), et de Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), soit entre 3 kg et 5 kg de métal n’ayant pas été placé à l’intérieur des dépôts. Les différences sont du même ordre pour la nouvelle série de dépôts exploités ici : 21 % et 24 %, pour les ensembles de Cadoret, à Saint Mary (Jersey), et de Kergaradec 2, à Gouesnac’h (Finistère), mais 46 % et 51 %, pour ceux de Cerisy-la-Salle (Calvados) et de Keriéro, à Bangor (Morbihan), pour ne citer que ces exemples (tabl. 3). É Fig. 5 – Représentation graphique des masses médianes et des écarts types calculés pour huit types d’objets fréquents dans les dépôts terrestres du BFa 3. Fig. 5 – Graphical representation of the median masses and standard deviations calculated for eight frequent object types in the BFa 3 terrestrial hoards. contrairement à la moyenne, offre l’avantage de nuancer la tendance centrale d’une distribution éventuellement asymétrique, comme c’est le cas pour les épées de type Ewart Park-Challans par exemple. 2.2. Détermination du nMi pour chacun des objets à l’intérieur du dépôt L’étape suivante consiste à calculer le NMI des objets dont on connaît la masse médiane à l’intérieur de chaque dépôt. Pour les objets les moins fragmentés, ce calcul ne pose pas véritablement problème, mais il s’avère par contre très délicat et imprécis pour les pièces ayant les plus forts indices de fragmentation (tabl. 1). Nous estimons, du fait de la forte fragmentation des objets dans les dépôts du BFa 3, que les NMI obtenus sont majoritairement sous-estimés par rapport à la réalité. Pour les épées, par exemple, différentes méthodes ont été testées, mais le calcul du NMI se fait nécessairement à partir d’un élément comme la languette ou la pointe. Pourtant, dans de nombreux dépôts, le nombre de fragments de lame est le plus important, sans que les tronçons coïncident ou recollent entre eux, mais cette partie ne peut être retenue pour estimer le NMI. 2.3. calcul de la masse nécessaire avant dépôt et comparaison avec la masse réellement déposée À partir des deux données précédentes, la masse médiane d’une part et le NMI d’autre part, il devient possible d’estimer la masse nécessaire avant dépôt, c’est-à- 3.2. estimations hautes : calcul à partir du nombre de restes (nR) Les premiers résultats obtenus et les différences nettes entre les dépôts interrogent fortement : sont-ils le reflet de modalités de fragmentation et de constitution différentes ? Ou bien découlent-ils d’une estimation faussée du NMI ? Dans le dépôt de la Prairie de Mauves, à Nantes, et dans celui de Challans, les fragments de lame seule sont plus nombreux que dans les deux autres ensembles ligériens pris en compte : le NMI y est donc probablement largement sous-estimé, ce qui conduit à ne révéler qu’une partie de la masse absente. Afin de contourner ce problème de la sous-estimation des NMI à l’intérieur des dépôts les plus fragmentés, nous avons décidé d’effectuer le même calcul que précédemment, mais en raisonnant cette fois-ci à partir du nombre de restes (NR ; fig. 6). Cela revient à établir une estimation haute de la masse métallique nécessaire avant dépôt et de la masse métallique absente. Ce nouveau mode de calcul dans lequel un fragment est 11,5 kg 15,6 kg 20 kg 23,5 kg 20,6 kg 20,6 kg Estimation masse minimale absente du dépôt 3,2 kg 4,9 kg 4,7 kg 3,1 kg 4,4 kg 5,6 kg 5,2 kg Proportion manquante par rapport à la masse déposée 19 % 54 % 41 % 20 % 22 % 24 % 25 % Saint Mary, cadoret (Jersey) 9,2 kg Le havre, graville-Sainte-honorine (Seine-Maritime) Estimation masse minimale 17,2 kg nécessaire, avant dépôt 12,4 kg 15,6 kg 17,9 kg 15,4 kg cerisy-la-Salle (Manche) 6,7 kg bangor, Keriéro (Morbihan) Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique) 4,2 kg Masse réelle placée en dépôt gouesnac’h, Menez Tosta (finistère) nantes, Jardin des Plantes (Loire-Atlantique) 13,9 kg épées, poignards, pointes de lance, haches, racloirs et gouges challans (vendée) nantes, Prairie de Mauves (Loire-Atlantique) gouesnac’h, Kergaradec 2 (finistère) 71 gouesnac’h, Kergaradec 1 (finistère) Le poids de l’absence… 10 kg 3,8 kg 6,6 kg 7,8 kg 7 kg 8,8 kg 9,9 kg 10,6 kg 3,2 kg 2,1 kg 2,1 kg 51 % 46 % 25 % 21 % Tabl. 3 –Estimation pour une sélection de dépôts du BFa 3 des masses minimales absentes et des masses minimales nécessaires avant dépôt. Les calculs sont réalisés à partir du nombre minimum d’individus (NMI) et pour les huit types d’objet sélectionnés uniquement. Table 3 – Estimation of the minimum missing masses and the minimum masses required before deposition for a selection of BFa 3 hoards. The calculations are based on the minimum number of individuals (MNI) and for the eight selected object types only. MASSE NÉCESSAIRE AVANT DÉPÔT RÉFÉRENTIEL MASSE ABSENTE DU DÉPÔT DÉPÔT X 7996 g NR épées LdC = 14 Masse dans le dépôt = 1020 g 1 épée LdC Masse médiane = 644 g 14 épées LdC 14 x 644 = 9016 g Fig. 6 – Principe théorique d’estimation de la masse métallique absente du dépôt à partir du calcul du nombre de restes (NR). La méthode est ici présentée à partir de l’exemple de fragments d’épées de type à lame en langue de carpe (LdC) (DAO S. Boulud-Gazo et M. Mélin). Fig. 6 – Theoretical principle for estimating the metal mass absent from the hoard from the calculation of the Number of Remains (NR). The method is presented here using the example of fragments of carp-tongue type swords (CAD S. Boulud-Gazo and M. Mélin). 72 Sylvie Boulud-gazo et al. 39 kg 54,2 kg 34,5 kg 62,8 kg 29,7 kg 81,1 kg 34,1 kg 26,5 kg 40,8 kg Saint Mary, cadoret (Jersey) Estimation masse maximale 63,1 kg 23,7 kg nécessaire, avant dépôt Le havre, graville-Sainte-honorine (Seine-Maritime) 12,4 kg 15,6 kg 17,9 kg 15,4 kg cerisy-la-Salle (Manche) 6,7 kg bangor, Keriéro (Morbihan) Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique) 4,2 kg Masse réelle placée en dépôt gouesnac’h, Menez Tosta (finistère) nantes, Jardin des Plantes (Loire-Atlantique) 13,9 kg épées, poignards, pointes de lance, haches, racloirs et gouges challans (vendée) nantes, Prairie de Mauves (Loire-Atlantique) Les 11 dépôts pris en compte pour cet exercice ont été sélectionnés parmi les ensembles d’un large quart nordouest de la France, depuis la Vendée jusqu’à l’embouchure de la Seine, datant du BFa 3 récent, soit l’horizon de Vénat (fig. 1), et sont considérés comme plutôt fiables gouesnac’h, Kergaradec 2 (finistère) 3.3. Rendre compte des masses absentes des dépôts… quant à leur composition. Cette sélection rassemble des dépôts, allant de 3,8 kg à 17,9 kg, soit cinq dépôts pesant moins de 10 kg, et six pesant plus de 10 kg. La figure 7 présente, pour chacun des dépôts de notre corpus, une comparaison très visuelle entre la masse réellement enfouie et les estimations basses (calculées à partir du NMI) et hautes (calculées à partir du NR) de la masse métallique non placée en dépôt. Bien que ces résultats ne s’appuient que sur une sélection de types d’objets, ils permettent déjà d’apprécier significativement l’importance des masses manquantes. Ainsi, les estimations de la masse métallique absente sont de l’ordre de 19 % à 54 %, en prenant comme base de calcul le NMI, et de 48 % à 89 % de la masse nécessaire avant dépôt dans les estimations hautes calculées à partir du NR. Pour ne prendre que deux exemples dans le détail, on notera que le dépôt de Kergaradec 1, à Gouesnac’h, « cache » entre 4,4 kg et 18,9 kg de métal qui ont été en circulation à un moment donné, en prenant seulement en compte les huit types d’objets dont on a estimé la masse médiane. Mais les résultats concernant le dépôt de Keriéro, à Bangor, sont encore plus significatifs et révélateurs des quantités mises en jeu et des masses non visibles que peuvent cacher les dépôts du BFa 3. Il ressort des estimations que pas moins de 71 kg peuvent être absents du dépôt. En prenant en compte d’autres types d’objets, comme les lingots ou les pièces de char, il faudrait s’attendre, pour cet ensemble bellilois, à ce que la masse de métal nécessaire avant dépôt dépasse sans difficulté la centaine de kilos. Quel que soit le mode de calcul retenu, les quantités de métal ayant échappé à l’immobilisation à l’intérieur des dépôts terrestres deviennent un tant soit peu tangibles gouesnac’h, Kergaradec 1 (finistère) égal à un objet pourrait sembler maximaliste, mais les études répétées d’un grand nombre de dépôts du BFa 3 nous poussent à penser, certes de manière en partie intuitive, qu’une majorité d’objets ne sont représentés que par une unique portion d’eux-mêmes. Il s’agit d’une pratique déjà identifiée dans d’autres ensembles métalliques, par exemple les dépôts launaciens, avec lesquels notre sujet d’étude trouve de nombreux points de comparaison (Verger et Pernet, 2013, p. 128-130). Avec ce nouveau mode de calcul, les différences obtenues entre la masse métallique enfouie et la masse métallique nécessaire avant dépôt sont d’un tout autre ordre… Par exemple dans le cas du dépôt de Kergaradec 2, à Gouesnac’h, la masse absente estimée est de l’ordre de presque 45 kg ; elle est de 71 kg pour celui de Keriéro, à Bangor. Selon cette estimation maximale, la masse métallique absente des dépôts oscillerait entre 55 % et 89 % soit à chaque fois plusieurs dizaines de kilos de métal (tabl. 4). Nous considérons que les estimations réalisées sur la base du nombre de restes sont plus proches de la réalité que celles réalisées sur la base du NMI, en particulier du fait de l’impossibilité d’atteindre un NMI satisfaisant pour les épées, comme nous l’avons indiqué plus haut. 10 kg 3,8 kg 6,6 kg 7,8 kg Estimation masse maximale 48,9 kg 19,7 kg 32,2 kg 41,7 kg 18,9 kg 44,9 kg 14,2 kg absente du dépôt 71 kg Proportion manquante par rapport à la masse déposée 88 % 78 % 83 % 83 % 77 % 55 % 71 % 48 % 30,3 kg 19,8 kg 32,9 kg 89 % 75 % 81 % Tabl. 4 – Estimation pour une sélection de dépôts du BFa 3 des masses maximales absentes et des masses maximales nécessaires avant dépôt. Les calculs sont réalisés à partir du nombre de restes (NR) et pour les huit types d’objet sélectionnés uniquement. Table 4 – Estimation of the maximum absent and maximum required pre-deposit masses for a selection of BFa 3 hoards. The calculations are based on the number of remains (NR) and for the eight selected object types only. Le poids de l’absence… 73 Fig. 7 – Histogramme pour une sélection de dépôts du BFa 3 des masses réelles placées en dépôt et des estimations minimales et maximales des masses nécessaires avant dépôt. Fig. 7 – Histogram for a selection of BFa 3 hoards of the actual masses placed in deposit and the minimum and maximum estimates of the masses required before deposit. et laissent supposer des masses sans commune mesure avec celles qui sont parvenues jusqu’à nous puisque non recyclées. Les différences constatées au sein même de ce modeste échantillon de dépôts traduisent des taux de fragmentation distincts. Ainsi, les fragments d’épées de type à lame en langue de carpe de Kergaradec 1, à Gouesnac’h (Finistère), sont pour l’essentiel plus longs et donc plus lourds en moyenne que ceux du dépôt de Keriéro, à Bangor (Morbihan) : respectivement 100,9 g contre 53,6 g (tabl. 5). Étant donné que ce phénomène s’observe dans tous les types d’objets (Bordas, 2019), il semble bien que cela traduise une tendance de fond plutôt qu’un simple hasard : il existerait donc des ensembles ayant été volontairement constitués par un nombre important de petits fragments, et ce quels que soient les types d’objets mobilisés. Le regard que nous portons sur ces différences Masse moyenne (en grammes) ne peut aller plus loin dans l’immédiat. Une investigation à plus large échelle, faisant notamment intervenir des données spatialisées, serait nécessaire. L’objectif pourrait à l’avenir consister à observer si ces différences s’accordent ou non avec des constantes géographiques, traduisant éventuellement des tendances régionales. Les dépôts de Gouesnac’h font partie d’un site à dépôts multiples, dont trois ont été trouvés dans les années 2000 et ont pu être fouillés en place (Fily, 2009). Ils constituent donc un ensemble cohérent qu’il est intéressant d’observer plus dans le détail. On constate que les masses mobilisées pour chacun d’entre eux en fragments d’épées, de pointes de lance, de haches, etc. sont globalement du même ordre (15,6 kg et 17,9 kg ; tabl. 3). Tous objets compris, ces deux dépôts présentent des masses légèrement différentes : 32,5 kg pour Kergaradec 1 et 46,2 kg pour Kergaradec 2. Pour ce second dépôt, notons que la masse Kergaradec 1, gouesnac’h Keriéro, bangor Épée type LDC 100,9 53,6 Épée type Ewart Park 91,3 38,6 Poignard à languette/à douille 65,8 19,4 Pointe de lance 73,8 22,7 Hache à douille 155,9 39,2 Hache à ailerons 276,6 21,5 Racloir 57,3 37,1 Tabl. 5 – Comparaison de la masse moyenne (en grammes) des fragments dans les deux dépôts de Kergaradec 1 (Gouesnac’h, Finistère) et de Keriéro (Bangor, Morbihan), pour les huit types d’objet pris en compte dans cette étude. Table 5 – Comparison of the average mass (in grams) of fragments in the two hoards of Kergaradec 1 (Gouesnac’h, Finistère) and Keriéro (Bangor, Morbihan) for the eight object types considered in this study. 74 totale enfouie est à peu près égale à la masse manquante, selon une estimation haute et seulement en prenant en compte les fragments des huit types d’objet dont on a pu estimer la masse médiane (tabl. 4). Par ailleurs, que ce soit pour l’un ou l’autre de ces deux ensembles, la moitié de la masse totale déposée correspond à des lingots : pour Kergaradec 1, sur 32,5 kg, 14 kg de métal ont été déposés sous forme de lingots ; pour Kergaradec 2, ce sont 23,3 kg de lingots, pour un total déposé de 46,2 kg. Ajoutons à cette réflexion l’existence, sur le site à dépôts multiples de Gouesnac’h, d’un troisième dépôt fouillé, Kergaradec 3 : celui-ci ne contenait que des lingots, pour une masse totale de 55,4 kg, constituant ainsi le plus lourd des trois dépôts. On le voit ici très bien, l’absence de l’objet « lingot » dans l’exercice proposé est particulièrement significatif et très limitatif pour un travail d’estimation des masses métalliques mobilisées dans les pratiques de dépôt. Malheureusement, l’extrême diversité des masses et des dimensions des lingots rend l’intégration de ces objets relativement délicate ; elle nécessiterait des études plus poussées des lingots eux-mêmes pour proposer des estimations similaires. Pourtant ils constituent, en termes de masses métalliques, les objets ayant le plus de conséquences dans ces estimations. Notre corpus d’étude, constitué de seulement onze dépôts terrestres, totalise près de 114 kg de métal immobilisés au cours du ixe siècle av. notre ère. Les estimations proposées laissent apparaître par ailleurs plus de 375 kg de métal « manquant », alors que notre méthode de calcul ne tient pas compte de la totalité des types d’objets enfouis, soit quatre fois la masse enfouie. Ce résultat laisse rêveur quant aux projections qui pourraient être faites si l’on avait la possibilité d’intégrer la totalité des productions métalliques à ce calcul. Il s’agit bien sûr d’estimations, mais cet exercice à l’avantage de mettre en lumière des quantités de métal généralement non prises en compte lorsque l’on réfléchit aux masses métalliques mobilisées par les pratiques de dépôt. Les estimations réalisées par F. Pennors ont permis d’évaluer à environ 1,7 t la masse métallique enfouie au cours du Bronze final 3 (Pennors, 2004). L’exercice proposé ici sur une modeste sélection de dépôts atlantiques de cette même étape laisse envisager des chiffres bien plus significatifs de la réalité des masses métalliques manipulées, bien qu’il ne s’agisse que d’une (infime ?) partie du métal en circulation : celle rendue visible par la pratique de dépôt, puisque fossilisée et parvenue jusqu’à nous. 4. DiScuSSion SuR LA fRAgMenTATion AvAnT DéPôT u-delà de ces aspects quantitatifs, la représentation de la masse absente permet de nous projeter un peu plus dans la temporalité des étapes de constitution des dépôts. En effet, comme nous l’avons mentionné plus haut, la place de la fragmentation dans les chaînes opératoires ayant conduit aux enfouissements est régu- A Sylvie Boulud-gazo et al. lièrement questionnée. Il est en effet difficile de trancher entre l’idée d’une fragmentation participant directement à la pratique des dépôts et l’hypothèse très différente d’un acte déconnecté spatialement et/ou temporellement et non motivé par la préparation d’un dépôt à enfouir. Or, en estimant que la masse métallique nécessaire à la constitution de certains dépôts pourrait avoisiner des dizaines de kilos, les implications de ces deux scénarios se précisent. L’hypothèse de la pars pro toto renverrait ainsi à une pratique consistant à rassembler, préalablement à la mise en terre, une importante quantité d’objets complets en vue de leur fragmentation pour n’en enfouir finalement qu’une petite partie destinée à représenter, symboliquement, la totalité des objets mobilisés. La relative facilité à briser le métal dans des conditions adéquates de chauffe a été démontrée à plusieurs reprises, notamment par M. Knight (2018 et 2019), ce qui autorise à réfuter l’argument parfois avancé de la nécessité de l’intervention d’un spécialiste du métal afin de briser les objets métalliques. D’un point de vue strictement technique, cette étape ne pose donc pas réellement problème. Mais on peut cependant imaginer qu’elle pouvait obéir à des règles précises entraînant l’obligation de procéder dans un cadre particulier et avec des opérateurs spécifiques. Pour reprendre l’exemple du dépôt de Keriéro, à Bangor, ce seraient ainsi au moins 71 épées, 123 haches, 50 pointes de lance, 7 gouges et 22 racloirs, tous complets, qui seraient mobilisés dans le cas où le nombre de restes enfouis correspondrait peu ou prou au nombre d’objets entiers manipulés. Cette hypothèse, tout à fait soutenable en l’état, impliquerait que la pratique des dépôts serait une activité très encadrée, sans doute à forte valeur symbolique et communautaire, et réalisée éventuellement de manière ponctuelle à des moments spécifiques. Une variation de cette hypothèse ferait intervenir la fragmentation de lots moins importants d’objets dans un cadre plus restreint, mais toujours dans l’intentionnalité première d’une agrégation ultérieure, un peu en amont ou lors de l’immobilisation définitive. Dans ce cas également, il faudrait compter avec une étape de fragmentation incluant de nombreuses ressources, mobilisées certes de manière plus éparse, mais toujours lors de moments spécifiques. Pour la dernière étape du Bronze final qui nous intéresse ici, les estimations les plus récentes recensent 328 dépôts, soit environ 55 enfouissements par génération de vingt-cinq ans, ou un peu plus de deux par année (Boulud-Gazo et al. 2021, p. 257). Rapportés à l’échelle du territoire métropolitain, ces chiffres sont finalement assez modestes, alors qu’ils correspondent pourtant à l’un des pics de cette pratique. Bien évidemment, on ne raisonne ici que sur la base des dépôts connus, et non pas sur la totalité des ensembles métalliques réellement enfouis. Cela permet tout de même de relativiser la fréquence des enfouissements d’objets métalliques, bien que les pratiques de dépôts demeurent absolument remarquables et marquantes d’un point de vue archéologique. Projeter l’organisation de rassemblements au cours desquels de très nombreux objets métalliques seraient mobilisés pour être fragmentés, puis en partie enfouis, paraît ainsi tout à fait envisageable. Les objets déposés complets après Le poids de l’absence… avoir été brisés en plusieurs morceaux, pourraient être rapportés à ce type d’événement. Cependant, différentes caractéristiques observées à l’intérieur des dépôts laissent supposer un séquençage plus long de la fragmentation des objets et le fait que celle-ci pourrait être en partie, voire totalement, désynchronisée de la constitution des ensembles métalliques et de leur enfouissement (Milcent, 2017). Tout d’abord, la présence d’objets anciens, parfois qualifiés de « reliques », informe sur la circulation parfois très longue de certaines productions métalliques. Quelles que soient les raisons de leur longue utilisation (parce qu’ils sont porteurs d’une charge symbolique et/ou magique ? parce qu’ils sont hérités ? parce qu’ils sont encore fonctionnels ?, etc.), ils témoignent, indirectement, de la circulation de certains artefacts et de fragments métalliques sur le temps long. Par ailleurs, le fait que les objets ne présentent pas tous les mêmes traitements et les mêmes états – puisque certains sont entiers et neufs quand d’autres sont cassés, écrasés, tordus, et ce à différents stades de leur fabrication – laisse supposer l’existence de différents types de vécu parmi les objets représentés, et donc de divers cheminements antérieurs à la constitution même du dépôt à enfouir. En ce cas, l’hypothèse d’une étape de fragmentation mobilisant d’importantes ressources à des moments très spécifiques serait remplacée par un continuum de gestes de fragmentation plus réguliers, étalés dans le temps et surtout réalisés dans un cadre moins exceptionnel, par exemple domestique, et bien en amont de la constitution du dépôt. Cette hypothèse s’accorderait sans doute plus avec les résultats de cette étude, d’autant qu’elle expliquerait au moins en partie les différences de traitement constatées d’un type d’objet à un autre au sein d’un même dépôt. Nous pourrions ainsi nous trouver dans une situation comparable à celle qui est actuellement reconnue pour les dépôts launaciens : ces derniers, en immobilisant certains fragments, ont peut-être définitivement fossilisé des réseaux d’échange, alors que d’autres fragments, notamment de parures féminines originaires du centre et du centre-est de la Gaule, ont parfois cheminé jusqu’à certains sanctuaires et dépôts méditerranéens (Verger et Pernet, 2013). Les dépôts du BFa 3 pourraient ainsi eux aussi correspondre, comme le propose S. Verger (Verger et Pernet, 2013, p. 125), à du « métal à refondre qui échappe à la refonte », soit en réalité une infime partie du métal immobilisé à un moment donné quand l’écrasante majorité des masses métalliques est inéluctablement recyclée. Il est évident que de nombreux facteurs nous échappent dès lors que l’on travaille sur les pratiques de dépôts au cours de l’âge du Bronze. Cela implique donc d’avancer avec la plus grande prudence sur les interprétations que l’on peut proposer dans la restitution de leur chaîne opératoire. 75 concLuSion P ar l’exercice théorique que nous présentons ici, nous avons tenté de mettre en lumière ce qui ne nous est pas accessible physiquement, mais qui est latent à la grande majorité des dépôts du BFa 3 en Gaule : les manques qui transparaissent par l’absence de certaines parties d’objets. Transposer ces manques en éléments quantifiables a pour objectif, in fine, d’avoir une idée plus juste des masses métalliques concernées, de près ou de loin, et possiblement à différents moments, par les pratiques de dépôt. Cette quantification est malaisée pour diverses raisons découlant en particulier d’une très forte fragmentation au sein des dépôts atlantiques de la toute fin de l’âge du Bronze. Les estimations obtenues sont sans doute fortement minimisées lorsque l’on raisonne à partir du NMI. Au contraire, il semble raisonnable de penser qu’un calcul s’appuyant sur le nombre de restes permet d’approcher de manière plus juste les masses réellement manipulées et impliquées dans ces pratiques. Les huit types d’objets à partir desquels nous avons construit notre raisonnement ne représentent qu’une sélection à l’intérieur d’un large éventail de pièces déposées, mais ils concernent la part la plus importante des dépôts, et la plus lourde, à l’exception notable, il est vrai, des lingots. À terme, il sera nécessaire d’intégrer ces derniers à nos estimations, afin d’obtenir un outil méthodologique plus robuste. Malgré ces limites dont nous avons pleinement conscience, l’exercice a le mérite de rendre perceptible, de comparer et de mettre en perspective les masses de métal manipulées et de mieux saisir l’importance des quantités de métal mises en jeu dans la pratique des dépôts. Les résultats obtenus nous incitent à penser qu’il ne convient décidément pas de tenir pour acquis que les masses métalliques placées en dépôt au cours de l’âge du Bronze pourraient être un tant soit peu représentatives des masses métalliques réellement en circulation à un moment donné : il ne fait aucun doute qu’elles ne le sont pas. Les objets volontairement enfouis ne représentent probablement qu’une infime partie du métal produit et consommé, celle ayant échappé au recyclage. Ce constat confirme que l’emploi, auparavant généralisé, de l’expression « dépôt de fondeur » est sans doute inapproprié dans la plupart des cas. Réfléchir sur le métal absent des dépôts entraîne divers questionnements connexes, par exemple sur le devenir des portions d’objets non enfouis ou bien sur la temporalité de la (ou des) fragmentation(s). Ces questions complexes n’étaient pas directement au cœur de notre démarche et nous admettons volontiers n’avoir fait que les effleurer. 76 Sylvie Boulud-gazo et al. Sylvie Boulud-gazo Nantes Université UMR 6566 CReAAH, LARA, Nantes [email protected] Muriel Mélin Service départemental d’archéologie du Morbihan UMR 6566 CReAAH, Rennes [email protected] francis Bordas Université Toulouse Jean-Jaurès UMR 5608 Traces, Toulouse [email protected] Le poids de l’absence… 77 RéféRenceS bibLiogRAPhiqueS Bordas F. (2019) – Le dépôt de Keriéro, à Bangor, et la fin de l’âge du Bronze dans le Morbihan, document préparatoire, service régional de l’archéologie, Bretagne, Rennes, 319 p. Bordas F. (2023) – Les dépôts métalliques du BFa 3 (950800 av. J.-C.) en Gaule atlantique. Modalités de circulation, de manipulation et d’enfouissement du métal, thèse de doctorat, université Toulouse 2 - Jean-Jaurès, Toulouse. Boulud S., Fily M. 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