Des chiffres et des lettres
Évaluation, expressions du jugement de qualité et hiérarchies sur le
marché de l'hôtellerie
Vincent Cardon
Dans Réseaux 2014/1 (n° 183),
183) pages 207 à 245
Éditions La Découverte
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ISSN 0751-7971
ISBN 9782707178398
DOI 10.3917/res.183.0205
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Popularisés au milieu des années 1990 par Amazon, les commentaires en ligne
sont aujourd’hui omniprésents sur Internet. Le dispositif repose sur la mise
en forme d’un bouche-à-oreille généralisé, et constitue une modalité de mise
au travail du consommateur. Aucun marché (lave-linge, films, lieux de sorties, pompes funèbres, assurances, produits cosmétiques, serruriers, appareils
photos ou chaînes Hifi, etc.) n’échappe à cette forme nouvelle d’évaluation
(Beauvisage et al., 2013). Ces sites ont fait l’objet d’une attention soutenue de
la part de la sociologie économique, mais également de l’économie, du marketing et des computer sciences. Certains travaux explorent les gratifications
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L
a sociologie économique a abondamment démontré que les marchés
étaient équipés d’acteurs, de normes et de dispositifs ayant pour vocation de bâtir un accord sur les qualités valorisables des biens et services, et de réduire ainsi l’incertitude sur la qualité à laquelle est confronté le
consommateur. Le voyageur en quête d’un hôtel, ou plutôt du bon hôtel pour
lui, peut appuyer sa prospection sur différents outils, produits par des instances
nombreuses : normes hôtelières – les étoiles –, guides, émissions et magazines
spécialisés, etc. Ces dispositifs, comme l’a montré L. Karpik dans son étude
du Guide rouge Michelin (Karpik, 2000), ne débouchent pas uniquement sur
une évolution de la manière dont s’oriente la demande. Ils participent de la
construction du marché du tourisme et de la détermination des critères de qualité qui y prévalent. Ces équipements de marché ont tous en commun de reposer
sur une expertise, certifiée de manière variable (accréditation, recrutement par
une entreprise spécialisée, etc.) et composée le plus souvent de plusieurs dimensions : qualification technique, connaissance fine d’un contexte local (principe
de recrutement des auteurs de guide) et, lorsqu’il y a lieu, sûreté reconnue du
goût. Internet offre la possibilité à des individus non reconnus comme experts,
et diversement qualifiés de « profanes » (Cardon, 2010), d’« amateurs » ou de
« quidams » (Flichy, 2010), de s’exprimer librement sur tous sujets, notamment
sur les biens et services qu’ils consomment. Aux côtés des blogs, sites individuels et forums de discussion ouverts en théorie à tout un chacun, certains sites
Internet (marchands ou strictement dédiés à la recommandation marchande
(pure players) proposent de concentrer les contributions et de les synthétiser
algorithmiquement. Il s’agit des sites de Notes et Avis (N&A).
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symboliques et sociales associées à ces contributions (Hennig-Thurau et. al.,
2004 ; Pinch, 2008 ; Pinch et Kesler, 2011 ; Dupuy-Salle, 2012). D’autres
se concentrent sur le niveau et la distribution des notes attribuées aux biens
et services évalués, montrant que ces dispositifs d’évaluation sont régulièrement saisis par les internautes pour adresser des recommandations (Hu et al.,
2006, 2009). Les effets de dépendance de sentier et l’influence des premières
évaluations sur les suivantes (Moe et Trusov, 2011), mais encore la nature
des biens les plus évalués (biens de niche ou de grande consommation), ont
également suscité l’intérêt d’analyses économétriques (Dellarocas, 2003 ;
Dellarocas et al., 2010) dont certaines visent à déterminer les effets économiques des notes laissées par les internautes. Ces derniers travaux débouchent
sur le constat qu’il est malaisé de déterminer, du nombre de notes laissées
sur un produit ou de leur valence, quel est le facteur influant le plus sur le
niveau des ventes (Liu, 2006 ; Chevalier et Mayzlin 2006 ; Chintagunta et al.,
2010 ; Luca, 2011 ; Anderson et Magruder, 2012). Des analyses, enfin, s’intéressant au cas du tourisme, étudient l’influence que ce dispositif exerce sur les
entreprises qu’il vise et les réactions et appropriations qu’il suscite chez les
propriétaires d’hôtels et de chambres d’hôtes (Scott et Orlikowski, 2012), ou
l’influence de la destination sur le niveau de l’évaluation (Bulchand-Gidumal
et al., 2013). Dans ces travaux majoritairement quantitatifs, on constate donc
un intérêt marqué pour les notes laissées par les internautes. Les auteurs se
focalisant sur la critique « amateur » (textuelle) sur Internet se sont penchés,
quant à eux, sur le jeu d’influences réciproques liant critique « experte » et
« profane » (Verboord, 2010, 2013), dans un effort de compréhension des
conséquences de cette dernière sur la formation de la consécration artistique
et, plus généralement, sur celle des hiérarchies à l’œuvre sur le marché des
biens culturels. Mais ces auteurs n’ont pas travaillé spécifiquement sur des
évaluations mêlant notation et texte. Nous proposons pour notre part, précisément, de placer la focale sur la manière dont s’articulent le versant quantifié
des dispositifs N&A et leur dimension textuelle.
À quelques nuances près, la mise en forme dont les N&A font l’objet sur les
sites qui les hébergent – marchands ou de recommandation marchande – est
très régulière : elle se compose d’une note chiffrée, généralement de 1 à 5, et
d’un commentaire écrit. Les consommateurs, anonymes ou anonymisés, sont
invités, grâce à Internet, à se prononcer sur les qualités et le niveau de qualité
des biens 1 qu’ils consomment, et à publiciser cet avis, censé être utile aux
1. Sur cette distinction, cf. Eymard-Duvernay (1989).
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Des chiffres et des lettres 209
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L’opération d’évaluation qui consiste à attribuer une note assortie d’un commentaire est en effet remarquablement courante. Quiconque a fréquenté l’institution scolaire, a enseigné ou réalisé des audits, est familier de ce format
et l’utilise, modulo quelques variations, notamment de finesse de métrique.
Pourtant, le lien entre les deux versants de ce dispositif a finalement fait l’objet
de peu d’attention, sinon dans le cadre scolaire et universitaire 2. Son exploration nous semble néanmoins pertinent pour saisir les catégories d’entendement et de jugement qui structurent certains univers économiques et sociaux,
afin de mettre au jour comment s’expriment les hiérarchies marchandes, dans
notre cas sur le marché de l’hôtellerie. Les marchés sont ordonnés, du côté des
entreprises, par des hiérarchies de statut (Podolny, 1993 ; Podolny et Phillips,
1996 ; Zuckerman, 1999), de « pureté », dans certains univers de production
symbolique (Accominotti, 2010) ou plus généralement de qualité, qui donnent
leur forme à l’horizon d’attente des consommateurs. Les strates de qualité
sur lesquels se positionnent les producteurs (White, 2008) renvoient non uniquement à des qualités substantielles des biens et services, mais également à
2. Dans la première partie de l’article qu’ils consacrent à l’exploration des catégories de
l’entendement professoral, P. Bourdieu et M. Saint-Martin (Bourdieu et Saint-Martin, 1975)
retiennent le lien entre le capital scolaire, approximé par la note moyenne obtenue en philosophie dans une première supérieure parisienne et catégories de jugement mobilisées par
l’enseignant comme entrée privilégiée sur le lien entre hiérarchies scolaires et sociales. Les
auteurs travaillent, dans cet article, à partir de l’analyse des fiches individuelles produites par
un évaluateur unique. Il s’agit, dans notre cas, d’étudier la relation entre évaluation chiffrée et
verbalisée d’évaluateurs nombreux. Comme nous ne disposons pas de données sur les propriétés sociales des contributeurs, l’accent est mis sur la relation entre catégories de jugement et
hiérarchies marchandes.
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autres consommateurs, présentés comme leurs pairs. Chaque consommateur
a une opinion, plus ou moins informée, sur ce qu’il consomme. La nouveauté
tient à la portée (au sens balistique) de sa publicisation et à l’introduction,
dans un dispositif en ligne, de métriques – sous la forme de notes – et d’un
espace d’expression (écrite). D’un côté commensuration, i.e. transformation
de qualités en quantités (Espeland et Stevens, 1998) incluses, de ce fait, dans
un espace de comparaison commun. De l’autre possibilité expressive. L’objet
de cet article est d’apporter, à partir d’une étude de cas fondée sur l’analyse
du site TripAdvisor, quelques éléments de compréhension de la manière dont
dialoguent ces deux dimensions des contributions, qui renvoient à des pratiques d’évaluation qui, pour être souvent liées, n’en sont pas moins de nature
différente.
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Plus que sur les effets du dispositif N&A sur la structuration du marché de
l’hôtellerie, la focale est donc placée dans cet article sur les contributeurs
et les contributions. Il ne nous appartient pas de juger du caractère autorisé
ou non de leur jugement, et nous préférons aux termes d’« amateur » et de
« profane » celui, finalement plus neutre, de contributeur ou de consommateur. C’est à ce titre-là qu’in fine, les internautes notent les hôtels et écrivent
publiquement sur eux. Il ne s’agit pas de déterminer pourquoi les consommateurs contribuent et quelles sont les gratifications symboliques associées
à cette forme de participation au Web, mais bien davantage de s’interroger
sur la nature de leurs contributions. Quels en sont les déclencheurs révélés par l’activité d’évaluation ? Autrement dit, que notent-ils (ce qui les
a séduits ou, au contraire, déçus) et comment le notent-ils ? Par ailleurs,
qu’en écrivent-ils et comment ? En d’autres termes, quels sont les mots et
les formes textuelles et argumentatives employés pour juger de la qualité
d’un hôtel et comment les catégories de l’entendement touristique révélées
par les commentaires s’articulent-elles avec les notes qu’attribuent les internautes ? Il conviendra, enfin, d’étudier non uniquement la production des
avis, mais aussi la mise en forme dont ils font l’objet pour comprendre comment le Web participatif traite algorithmiquement les participations individuelles des internautes.
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des modes de qualification différents, eux-mêmes définis par le cadrage de
l’expérience de consommation opéré par les consommateurs. Très schématiquement, sur certains segments de ce qu’une analyse surplombante peut
considérer comme un même marché, par exemple celui de l’hôtellerie, les
biens relèvent d’une économie strictement ordonnée par les prix. Sur d’autres
ils relèvent davantage d’une économie de la singularité, pour reprendre les
termes de Karpik (Karpik, 2007), caractérisée par une coordination par les
qualités et une subjectivation forte du rapport au bien consommé. Notre hypothèse est que l’évaluation opérée par les internautes révèle ces cadrages de
l’expérience de consommation. L’intérêt de TripAdvisor est qu’en plus d’être
fondé sur le dispositif standard des N&A, le commentaire est peu contraint :
il ne fait pas l’objet d’un investissement de forme important de la part de la
plate-forme. Les contributeurs s’expriment donc avec une relative liberté, et
l’analyse de leurs textes permet donc de mettre au jour les catégories pratiques de jugement, ainsi que les formes rhétoriques qu’ils mettent en œuvre
spontanément.
Des chiffres et des lettres 211
Méthodologie 3
Lancé en février 2000 et ayant pris son essor à partir de 2004, TripAdvisor
est l’une des nombreuses déclinaisons de ce dispositif standard, et constitue
une entreprise lucrative 4. Sa montée en puissance (le site cumule en 2013
100 millions d’avis sur plus de 2,5 millions d’hébergements, restaurants et
attractions, pour 200 millions de visiteurs uniques mensuels) et la généralisation du dispositif Notes et Avis (N&A) sur les sites d’e-réservation d’hôtels
n’est pas anodine pour l’industrie hôtelière : Internet est très largement utilisé
par les consommateurs pour préparer leur voyage et/ou réserver des hôtels et
des vols. Une étude de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT, 2010)
réalisée sur les internautes européens montre ainsi que 89 % des Suédois et
des Finlandais, mais encore 56 % des Français, utilisent Internet pour préparer leurs voyages.
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3. Cet article s’inscrit dans un travail plus vaste, entamé lors d’un contrat postdoctoral au
laboratoire TECH-SENSE d’Orange Labs. L’enquête sur les relations de l’industrie hôtelière
aux sites d’avis en ligne inclut notamment des entretiens avec hôteliers et prescripteurs traditionnels (responsables éditoriaux de guides de voyage), une enquête par questionnaire auprès
des hôteliers explorant leur rapport et leurs réactions aux avis en ligne ayant reçu 815 réponses,
une enquête exploratoire auprès des plus gros contributeurs de TripAdvisor, l’analyse du forum
« comment améliorer TripAdvisor », animé de nombreux débats sur le sens que les contributeurs imputent à leur activité, sur la valeur des avis, leur véracité, la définition de l’expertise
mise en œuvre dans les critiques, etc., et, enfin, l’analyse du processus de certification des
avis en ligne entamé à l’AFNOR, processus dans lequel les syndicats du tourisme ont été très
largement moteurs.
4. La société est basée aux États-Unis. Elle compte près de 1 600 employés dans le monde et a
réalisé un chiffre d‘affaires de 763 millions d‘euros en 2012, pour un bénéfice net de 194 millions
d‘euros (cf. interview du CEO de TripAdvisor datée du 13 juillet 2013 : http://www.journaldunet.
com/ebusiness/commerce/stephen-kaufer-stephen-kaufer-tripadvisor.shtml). Le modèle économique de sites pure players d’avis comme TripAdvisor repose sur les ressources publicitaires et
les accords commerciaux avec les plates-formes d’e-réservation.
5. TripAdvisor revendique une croissance de 50 % du nombre d’avis hébergés en 2012. Cette
augmentation n’entame pas la validité des analyses menées dans cet article, fondées sur l’examen d’un volume très important de notes et avis (678 000). Que le volume des avis ait crû
n’implique pas une modification substantielle de la teneur de ces derniers.
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L’analyse du site et de la place que les N&A y occupent, de la mise en forme
dont ils font l’objet, a été un préalable à l’étude quantitative des contributeurs
et de leurs contributions, fondée principalement sur des bases de données
constituées par « aspiration » (via le design de crawlers spécifiques) du site
TripAdvisor en janvier 2012 5. Trois niveaux d’aspiration ont été distingués :
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L’étude du dialogue entre objectivation par la note et saisie par les internautes de la possibilité expressive incluse dans le dispositif (via le commentaire) s’effectuera en trois temps. L’analyse de la structuration du site
Internet témoigne du fait que les notes attribuées sont le principe premier
de hiérarchisation de l’information parce qu’elles constituent une métrique
instaurant un espace de comparaison homogène, propre à l’établissement
de classements. En dépit de comportements variables, la myriade de très
petits contributeurs 7 s’étant exprimés sur un établissement hôtelier français recommandent ce qu’ils ont aimé davantage qu’ils ne sanctionnent ce
qui les a déçus (partie 1). Les contributions écrites, reléguées plus profondément dans l’ergonomie du site, constituent à l’inverse un matériau très
hétérogène, tant en termes de volume (longueur de l’avis) que de style et de
rapport à l’objet évalué. L’analyse lexicométrique des commentaires, reposant sur la cartographie de réseaux hétérogènes révèle que les commen6. La plate-forme technologique Cortext de l’Ifris (Institut Francilien Recherche, Innovation,
Société) est spécialisée dans l’analyse de corpus textuels. Une description en est fournie à
l’adresse suivante : www.cortext.net. L’outil employé pour la réalisation des traitements est
Cortext Manager http://manager.cortext.net.
7. Les débats sur l’authenticité des avis en ligne, particulièrement sur TripAdvisor, dépassent
très largement le cadre de cet article. Nous faisons l’hypothèse que, du point de vue de l’analyse textuelle, il importe peu que les commentaires soient vrais ou faux. Un commentaire faux
doit rester vraisemblable ou crédible. À tout le moins, il doit « sonner juste », ce qui implique
qu’il se doit d’être ajusté aux catégories stylistiques et de jugement du monde évalué. On peut
donc raisonnablement supposer qu’ils ne modifient pas radicalement l’appréhension quantitative que l’on peut avoir des expressions verbales associées aux catégories de jugement de la
qualité hôtelière et celle du rapport aux hôtels exprimés dans les commentaires.
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celui des hôtels, celui des commentaires, celui, enfin, des contributeurs. Pour
les deux premiers niveaux, le principe d’échantillonnage est géographique :
n’ont été retenus que les établissements et attractions présents sur le sol français. Sur cet ensemble, les données sont exhaustives. Elles contiennent des
informations sur près de 29 800 hébergements, et le titre et le texte intégral
des quelque 680 000 commentaires sur des hôtels français laissés par les
377 400 contributeurs ayant laissé au moins un avis sur un établissement en
France. Les bases contributeurs ont, elles, une extension géographique plus
large : l’ensemble des profils, incluant les commentaires sur les hôtels, restaurants et attractions en dehors de la France est disponible dans ces jeux de
données. Les analyses textuelles conduites dans le cadre de cet article ont
mobilisé la plate-forme Cortext, développée par l’Ifris 6. Une description plus
nourrie de la méthodologie est proposée dans la deuxième partie.
Des chiffres et des lettres 213
taires ne sont pas toujours de simples justifications de la note (partie 2).
Ils relèvent de registres d’écriture, d’énonciation de la qualité et de qualification de l’expérience de consommation variés. Des régularités peuvent
cependant être mises au jour, entre ces modes d’expression et la position
de l’hôtel dans la hiérarchie hôtelière et dans celle des notes. En d’autres
termes, les hiérarchies marchandes ont aussi leurs expressions textuelles
(partie 3).
LES FORMES DE L’ÉVALUATION HÔTELIÈRE EN LIGNE
La synthèse de l’information sur TripAdvisor est similaire, modulo quelques
variations d’ergonomie, à celle de tous les sites d’avis sur des hôtels (pure
players comme agences de réservation en ligne. Il est impossible de savoir,
pour le moment, comment les internautes utilisent, dans le cadre de leurs
prises de décision, cet outil, mais l’analyse du site fait apparaître une centralité des métriques (note moyenne, prix, position dans le classement, etc.) dans
la structuration de l’information.
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TripAdvisor est un annuaire à l’information hiérarchisée par l’agrégation
algorithmique des contributions. La navigation reste structurée d’abord selon
un principe d’organisation géographique : la recherche se fait par lieu. Prenons par exemple Paris. Par défaut, le moteur de recherche de TripAdvisor
renvoie vers une page présentant les premières positions de son classement,
tous hôtels confondus. Autrement dit, le classement ne tient pas compte des
catégories hôtelières, ou de prix : les établissements les plus prestigieux,
tout comme les plus anonymes et les moins chers, sont inclus dans un même
espace de comparaison. Un certain nombre de filtres peuvent néanmoins être
appliqués : par date de séjour (TripAdvisor supprime alors les hôtels n’ayant
pas de disponibilités chez ses partenaires marchands), par type de voyage, par
catégorie hôtelière, etc. Sur la page figurent la note, la position dans le classement à l’échelle de la ville (tous établissements confondus), une carte de la
ville et quelques titres de commentaires.
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Investissements de forme et place des contributions
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Figure 1. Les avis sir TripAdvisor à l’échelle de la ville
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L’élément permettant à un hôtel d’apparaître sur les premières pages du classement, les plus consultées, est donc le versant chiffré du dispositif, les notes.
Lorsque l’on descend à l’échelle de l’hôtel, les critères d’appréciation se précisent. Apparaît notamment la distribution des notes attribuées par les internautes
à l’établissement. Elle révèle s’il fait consensus ou si les avis le concernant sont
au contraire contrastés. Là encore l’élément mis en avant est la notation, celle
des sous-catégories cette fois. L’information textuelle est réduite à une sélection
de titres de commentaires. Les commentaires, tronqués, n’apparaissent qu’au
niveau suivant de profondeur du site. Il faut cliquer sur chacun pour pouvoir le
lire dans son intégralité – sachant qu’il est par ailleurs possible de filtrer les critiques en fonction de leur degré d’appréciation de la qualité de l’hôtel (d’excellent
à épouvantable). Chaque commentaire intégral est donc au moins à quatre clics
de l’entrée du site, finalement relégué après les métriques (classement, fondé sur
les notes globales, puis notation des sous-catégories) et leur synthèse qu’est le
titre. Ces métriques permettent d’ordonner les contributions, qui manifestent la
permanence, dans ce dispositif d’évaluation, d’une logique de recommandation.
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Source : TripAdvisor
Des chiffres et des lettres 215
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Source : TripAdvisor
Éléments de morphologie des contributions
La plupart des études sur les internautes et leurs contributions montrent que ces
dernières sont très inégalement réparties. Sur les groupes et forums de discussion, 1 % des utilisateurs fournit 50 % des réponses, tandis que sur les réseaux
peer-to-peer, 98 % des fichiers sont fournis par 20 % des utilisateurs (Adar et
Huberman, 2001). La même distribution fortement inégalitaire de l’activité
contributive s’observe sur les sites de réseau social et de partage (Cha et al,
2007). En d’autres termes, la grande majorité des internautes se comportent
conformément à ce que prédit la théorie économique : ils consomment et
consultent mais ne contribuent pas (Beuscart et al., 2009). Corollaire : la
population des contributeurs est clivée entre de très petits contributeurs et
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Figure 2. Les avis des internautes à l’échelle de l’hôtel
216 Réseaux n° 183/2014
d’autres très investis. Le même type de phénomènes se retrouve sur TripAdvisor, à quelques nuances près : le volume individuel de contribution est, là
aussi, globalement faible, rapporté à la fréquentation revendiquée par le site et
enregistrée par les entreprises de mesure d’audience, et l’on observe de fortes
inégalités d’investissement entre les contributeurs, quoique moindres que dans
d’autres espaces d’Internet. Les internautes ayant laissé un commentaire sur
un hôtel français ont réalisé 2 411 239 évaluations sur des établissements ou
attractions dans le monde. 42,2 % des membres n’ont laissé qu’un commentaire (soit 6,6 % des avis), et plus de 75 % des avis ont été écrits par un peu
moins de 25 % des membres. La distribution des avis sur l’espace des contributeurs a donc, classiquement, une forme de loi de puissance (graphique 1).
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Lecture : 159 128 contributeurs (Ln(159 128) = 11,977) ont laissé 1 commentaire sur TA
Les évaluations se concentrent sur les hôtels (69,5 %) et les restaurants
(21,8 %). Le membre moyen du site a laissé en tout 6,38 commentaires. Cette
moyenne est très largement tirée à la hausse par quelques gros contributeurs,
ce que signale son écart à la médiane (égale à 2). Le dernier décile est défini
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Graphique 1. Distribution du nombre des avis par contributeur
(échelle logarithmique)
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par un nombre de contributions supérieur ou égal à 16, et 1 020 membres
ont rédigé plus de 100 critiques, ce qui est peu rapporté aux top reviewers
d’Amazon (cf. Pinch, 2008) ou d’AlloCiné. Le contributeur le plus important,
Jannerblock, a 895 avis à son actif.
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Éléments de morphologie des notes et des commentaires
Les membres de TripAdvisor sont invités à laisser une note, représentée par
un point 9, comprise entre 1 (« horrible ») et 5 (« excellent »), 3 correspondant à « moyen », 2 à « mauvais » et 4 à « très bien ». Ils s’expriment le plus
souvent pour recommander plus que pour sanctionner un hôtel. La moyenne
de leurs évaluations est élevée : 3,84 en moyenne sur 5, la note modale étant
égale à la médiane, et s’établissant à 4 (« Très bon »). Classiquement sur ce type
8. Certains modestes, comme DaoDao (372) ou Agoda (852), d’autres beaucoup plus volumineux, tels TripAdvisor (un voyageur de TA) lui-même (13 818 critiques), Hotels.com (26 348),
Accordhotels.com (55 777) ou encore Expedia (61 892), soit, dans les deux derniers cas, respectivement 8,2 % et 9,1 % du total des critiques.
9. Pour se conformer aux recommandations de l’Hotrec, organisation syndicale européenne du
secteur, ce ne sont pas des étoiles mais des points qui sont utilisés, pour éviter la confusion avec
une évaluation professionnelle et officielle des hôtels.
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Lorsque l’on se concentre sur le cas des commentaires laissés sur les hôtels
français, il apparaît que les avis sur TripAdvisor ont été produits par une
myriade de tout petits contributeurs : 378 000 contributeurs ont rédigé
680 000 commentaires. Le nombre de commentaires laissés sur des hôtels
français par les membres est faible : 1,35 en moyenne (médiane égale à 1) une
fois écartés les très gros contributeurs, qui sont en fait des collectifs – « un
voyageur de » [l’un des principaux partenaires de l’entreprise 8]. Ces contributeurs anonymes et collectifs représentent 24,7 % des critiques laissées sur des
hôtels français. Le contributeur individuel le plus important a évalué 65 hôtels
métropolitains. Seuls 10 % des internautes ont écrit 2 avis et plus. Une étude
plus fine de la population des membres de TripAdvisor est délicate. Les pages
profils des évaluateurs étant très lacunaires, il est impossible d’établir un portrait sociodémographique des membres. Ainsi, le sexe, comme l’âge, sont des
variables très mal renseignées : 51 % des profils ne font pas apparaître le sexe.
Pour 55,6 % d’entre eux la catégorie d’âge manque. Les analyses ne peuvent
utiliser ces variables à croiser. Les contributeurs sont donc analysés, dans la
suite de cet article, essentiellement au travers de leurs contributions.
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Les contributeurs sont également invités à laisser des notes sur différents
aspects de la prestation hôtelière. Le soubassement de l’évaluation sur TripAdvisor, telle qu’elle s’affiche dans l’ergonomie du site, consiste ainsi en la
commensuration des catégories usuelles d’appréciation de la qualité hôtelière : rapport qualité-prix, emplacement, literie, chambres, propreté, service, etc. La transparence des catégories n’est pourtant que de pure forme
(Scott et Orlikowski, 2012) : alors que chacun peut laisser une note 12,
c’est-à-dire une mesure, sur chacune de ces dimensions, chacune est en fait
soumise à l’interprétation subjective de l’internaute – dépendant de goûts
et préférences que la note ne saurait expliciter – et marquée par une certaine ambiguïté, comme l’indiquent par exemple certaines différences de
traduction. Ainsi, l’internaute francophone est-il appelé à se prononcer sur
10. Il a été démontré, dans d’autres travaux, que plus l’acte de consommation est arrimé à
des attentes contractualisées (assurance, compagnies aériennes, location de voiture), plus la
moyenne des notes est faible (Beauvisage et al., 2012).
11. La variable a 27 % de valeurs manquantes.
12. L’exploitation statistique montre que cette démarche n’est pas systématique. Certains internautes ne remplissent pas ces champs ou n’en complètent que certains.
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de sites, les notes élevées sont très largement sur-représentées (Beauvisage et
al., 2013b) : le dispositif N&A est plutôt utilisé par l’émetteur d’avis pour
manifester que ses attentes ont été comblées. On constate cependant que certains hébergements font l’objet de notations plus généreuses que d’autres : les
chambres d’hôte ont une moyenne supérieure aux hôtels, sans doute parce que
la relation du propriétaire au client est moins explicitement contractualisée 10
que dans le cas des hôtels, et s’établit davantage sur le mode de la rencontre
personnelle. Noter l’hébergement revient également à noter le propriétaire, et
les travaux sur la notation des personnes, notamment sur Couchsurfing (Adamic et al., 2011), montrent qu’alors les notes sont élevées. La générosité de la
notation varie également avec la catégorie hôtelière considérée : sans grande
surprise, l’ascension dans l’ordre de la hiérarchie hôtelière se traduit par des
notes croissantes. Le niveau élevé des notes varie également en fonction de
la nature des séjours ayant débouché sur une évaluation, majoritairement des
voyages d’agrément. Près des deux tiers des membres actifs de TripAdvisor
voyagent en amoureux (48,6 %) ou en famille (22 %) 11. Les autres catégories
de voyage, (professionnel (11,2 %), en solo (9 %) et entre amis (9,2 %)) suscitent, elles, nettement moins d’évaluations en ligne. Les « amoureux » sont,
en moyenne, plus généreux dans leurs évaluations que les autres catégories de
voyageurs.
Des chiffres et des lettres 219
la literie, soit la qualité du couchage (attribut de l’hôtel), quand le membre
anglophone note la qualité de son sommeil. La note vient objectiver selon
une métrique opaque (au sens où la note est univoque, mais ses raisons
peuvent être très variables) une dimension subjective du rapport à l’hôtel.
L’analyse de la distribution des notes sur ces critères d’évaluation qui permettent de raffiner, en théorie, la compréhension de l’évaluation que font
les contributeurs de la qualité hôtelière montre une forte cohérence de la
note globale et des sous-notations. Cette cohérence est d’autant plus forte
que la note globale renvoie à des évaluations plus proches des extrêmes
(excellence ou médiocrité), les notes 3 et 4 correspondant à des sous-notations davantage mêlées – la note globale « Très bon » pouvant voisiner, par
exemple, avec une note afférente aux « business services » moyenne.
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Champ : ensemble des notes laissées sur des hôtels français 13
13. Une version haute résolution de cette ACM est disponible en ligne : http://bit.ly/HZOjVj.
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Graphique 2. Analyse des correspondances multiples
des notes et sous-notes sur TripAdvisor
220 Réseaux n° 183/2014
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14. La détermination de la nationalité des contributeurs à partir de nos données est problématique. C’est une variable très lacunaire des profils des membres de TripAdvisor. La nationalité est approximée ici par la langue initiale de rédaction des commentaires (avant traduction
automatique par le site). On parlera alors, par exemple, malgré toutes les réserves que ce type
de raccourci implique, de clientèle anglo-saxone et de clientèle francophone, en posant l’hypothèse que le grand nombre d’avis assure la justesse globale de cette dénomination. Une étude
publiée par Nomao souligne que la longueur des commentaires varie notamment selon la nationalité de l’évaluateur (cf. Nomao, 2012)
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Alors même que les critères de l’évaluation hôtelière renvoient potentiellement à des espaces de jugement ou de qualcul (calcul sur des qualités)
(Cochoy, 2002) différents, la magie de l’agrégation donne sens à cette hétérogénéité de critères d’appréciation, et semble fédérer un espace d’évaluation suffisamment homogène pour instituer le dispositif comme une instance
collective de calcul (Callon et Muniesa, 2003) sur laquelle les acteurs économiques peuvent appuyer leurs prises de décision. Le tableau de l’homogénéité des notes contraste avec la grande variabilité de l’activité consistant à
formuler verbalement un jugement écrit. Tout d’abord, les avis sont rédigés
dans des langues très nombreuses. Sur l’échantillon des commentaires sur les
hôtels français, ils sont majoritairement rédigés en anglais (45 %), un peu plus
du tiers seulement étant écrit en français 14 (37,4 %), le reste des avis étant
écrit pour l’essentiel dans des langues européennes. Les contraintes de format
sont faibles et ne portent que sur la longueur des avis, qui doivent se situer
entre 200 et un peu plus de 3 900 caractères. Le degré d’investissement des
contributeurs dans l’écriture du commentaire est très variable, comme l’atteste la distribution du nombre de caractère par commentaire (graphique 3).
Les avis sont globalement brefs. En moyenne, un avis comporte 629 signes,
l’avis médian étant plus court (467). Si certains internautes se saisissent de
l’outil pour narrer, sur l’équivalent d’une page de document Word A4 (les avis
sont bornés à 3 952 signes), leur expérience hôtelière, telle n’est pas la règle.
Des chiffres et des lettres 221
Graphique 3. Longueur des avis sur TripAdvisor
1200
1000
Nombre de commentaires
800
600
400
200
0
0
221 315 500
1000
1500
2000
2500
Longueur commentaire (nombre de signes)
3000
3500
4000
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La distribution de la longueur des commentaires, étale, est également bimodale. Ce fait est lié à l’introduction par TripAdvisor d’un plancher de longueur pour les critiques. Les commentaires hôteliers ne peuvent plus, depuis
quelques années, comporter moins de 200 signes. Les avis de longueur inférieure à ce seuil 15 sont donc également les plus anciens, ou des commentaires
rapatriés d’autres sites partenaires. 75 % des commentaires font moins de
802 signes. Les avis négatifs sont globalement plus longs que les commentaires positifs (753 caractères pour la note 2 (médiocre) contre 618 pour la
note 5 (excellent)), la longueur des commentaires variant également en fonction de la langue dans laquelle ils sont écrits. Les commentaires anglo-saxons
sont en moyenne plus longs (797 signes) que ceux écrits en français (474), en
allemand (529), en italien (546) ou en espagnol (594). Dans le cas français,
la confrontation avec la longueur des avis du Guide du Routard et du Lonely
Planet Paris montre qu’en termes stricts de nombre de signes, les avis d’internautes de longueur moyenne et médiane et ceux formulés par les auteurs
de guides, sont comparables. La longueur varie également selon la catégorie
hôtelière et le contexte de voyage déclaré. Par exemple, les hôtels de luxe sont
15. 2,3 % étant de longueur nulle.
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Lecture : 1 067 commentaires comportent 315 caractères. 1 108 sont longs de 221 caractères
222 Réseaux n° 183/2014
des biens appelant de plus longs développements (854 signes en moyenne)
que les hôtels une étoile (565 signes). Ceux qui déclarent voyager entre amis
(714 signes), en amoureux (701), en famille (763) ou en solo (706), écrivent
en moyenne plus longuement que ceux qui voyagent pour affaire (547) ou ne
renseignent pas le contexte de leur séjour à l’hôtel (443). Il reste que la navigation assidue sur TripAdvisor révèle une grande variabilité, non uniquement
du contenu mais également du style des commentaires. Le lien entre note et
texte n’est pas systématiquement de simple justification.
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Si les catégories de notation sont prédéfinies par la plate-forme, les internautes sont invités à s’exprimer avec de très faibles contraintes de format sur
les qualités qu’ils imputent aux hôtels. En d’autres termes, on peut s’interroger non seulement sur les catégories de jugement, potentiellement différents de ceux mis en avant par le site Internet pour la notation, qu’ils mettent
en œuvre, mais également sur les modes d’écriture qu’ils retiennent. Autrement dit, évalue-t-on dans les mêmes termes les hôtels que l’on recommande
ou ceux que l’on déconseille, ceux que l’on a fréquentés dans le cadre d’un
voyage d’affaires ou dans un voyage « en amoureux » ? Par ailleurs, le site
traite différemment deux types de matériaux textuels : le titre et le commentaire, le premier étant davantage mis en avant. Se dit-il la même chose dans
ces deux types d’écrits ?
Variations stylistiques
Les différences de longueur de commentaire mises au jour se doublent de
modes variables d’élocution des qualités des hôtels et de manières différentes de se saisir des plates-formes d’avis pour énoncer la qualité hôtelière.
On constate en effet, d’un contributeur à l’autre, de fortes variations stylistiques. Les contributions vont du conseil très bref et sans étai (« n’y allez
pas »/« allez-y ») au témoignage plus ou moins épanché, en passant par la
description rapide, sèche et objectivante, justifiant, ni plus ni moins, le niveau
des notes sur les sous-critères.
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LES CATÉGORIES DE L’ENTENDEMENT HÔTELIER :
UNE ANALYSE QUANTITATIVE
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Source : TripAdvisor
Ainsi, deux avis titrant l’un « rapport qualité-prix correct », l’autre « bon hôtel
dans la gamme de prix, mais quelques détails à revoir », relèvent d’une entreprise d’objectivation des qualités de l’hôtel. Le locuteur ne se met pas en
scène. Le premier fournit une justification brève des notes attribuées. L’autre
repose sur une explication très détaillée de ses critères de jugement permettant au lecteur de se faire une idée précise, tant de la personnalité que des
pratiques hôtelières de cet internaute familier des hôtels Ibis : le flexible de
douche, son matériau et sa longueur ne sont pas, pour lui, des éléments anodins de son évaluation.
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Des chiffres et des lettres 223
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Mais une autre modalité de commentaire, régulièrement saisie par les contributeurs, consiste en la mise en récit d’une expérience personnelle et formant,
à proprement parler, histoire. Le contributeur s’y met en scène ou en tout
cas apparaît : la « magie » d’un lieu, en l’espèce le Bristol, est par exemple
rapportée au fait que cet hôtel a été le théâtre d’un mariage. Elle ne s’est pas
dissipée. D’autres empruntent résolument la voie narrative et débutent leur
commentaire par « Une nuit au mois d’octobre dernier, le choix de l’hôtel
s’est décidé aisément » ‒ ce qui n’empêche pas de donner des « astuces pour
la junior suite ». Lorsque le commentaire opte pour la voie du récit subjectivant l’expérience hôtelière, il relève du témoignage compris entre les deux
pôles du récit enthousiaste et enchanté, et de la mise en narration de l’expérience mémorable parce qu’affreuse, faisant du détail éloquent la métonymie
du pire que peut offrir le parc hôtelier.
24
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Source : TripAdvisor
Des chiffres et des lettres 225
Source : TripAdvisor
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Source : TripAdvisor
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Le récit trouve, enfin, parfois, un élément d’illustration dans les photographies,
qu’elles témoignent de l’horreur hôtelière ou au contraire de la singularité
d’un moment heureux dans lequel il arrive que l’internaute se mette en scène.
226 Réseaux n° 183/2014
Peut-on dégager des régularités dans cette variabilité des commentaires, tant
en termes de critères de jugement mobilisés que de style employé ?
Méthodologie de l’analyse lexicale
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Deux corpus ont été distingués : les titres des commentaires d’une part, le
texte des commentaires d’autre part, l’hypothèse sous-jacente étant qu’on
n’exprime pas la qualité de la même manière dans ces deux types de textes,
faisant par ailleurs l’objet de traitements différents de la part de la plateforme. Nous concentrant dans un premier temps sur les commentaires rédigés
en français, nous avons d’abord procédé à l’extraction terminologique 16 de
500 groupes nominaux issus de l’analyse de la totalité des titres des commentaires rédigés en français d’une part, et du texte intégral des avis d’autre
part. Cette étape s’appuie sur un étiquetage grammatical des textes, dont sont
extraits les groupes nominaux les plus pertinents, extraction qui repose sur
des critères fréquentiels et de spécificité 17. L’algorithme, s’il exclut les verbes,
prend en compte les adjectifs 18. Les expressions (de six termes au maximum)
sont ensuite lemmatisées 19 pour constituer des familles lexicales élargies.
16. Cf. http://docs.cortext.net/lexical-extraction/
17. Le calcul de la proximité entre deux entités i et j repose sur la comparaison entre le nombre
théorique de co-occurrences de i et de j et le nombre observé de ces co-occurrences dans le corpus. La mesure du chi2 est alors égale au carré du ratio entre cette différence au carré divisée
par la racine du nombre théorique de co-occurrences.
18. Dont on a pu montrer par ailleurs, et dans un tout autre univers, celui du cinéma, qu’ils
sont des opérateurs cruciaux du jugement de qualité en régime d’évaluation de singularité. Leur
importance dans la communication entre professionnels impliqués dans le recrutement de la
distribution artistique et dans les prises de décision de recrutement est nodale (Cardon, 2011).
19. Opération qui consiste à retenir la forme canonique d’un mot, pour un nom commun, par
exemple, le masculin singulier.
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L’analyse textuelle et la constitution de réseaux hétérogènes, fondés sur la
projection d’un réseau lexical sur un autre type d’espace (celui de la note, du
contexte de voyage, par exemple) permettent de raffiner la compréhension
des expressions qu’emprunte la critique usuellement qualifiée de « profane ».
La démarche, comparable à celle mise en œuvre par Cointet et Parasie dans
leur analyse des commentaires laissés sur le forum de discussion de La Voix
du Nord pendant les élections municipales de mai 2008 (Cointet et Parasie,
2012), et consécutive à l’analyse quantitative des contributions, emprunte
deux étapes.
Des chiffres et des lettres 227
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La deuxième étape a consisté à mesurer et cartographier 20 les relations de
proximité existant entre les catégories sémantiques issues du titre et du texte
des commentaires avec différentes catégories disponibles dans les bases de
données. Chaque commentaire est alors envisagé comme un événement liant
de manière plus ou moins étroite les entités que représentent les catégories
sémantiques avec d’autres entités, comme une note de commentaire, un
contexte de voyage, une note globale de l’hôtel, une longueur de commentaire. L’étroitesse de cette relation (ou son absence) repose sur une mesure de
distance, dans notre cas, le Chi2. Une fois l’ensemble de ces distances et relations calculées, celles-ci sont représentées sous la forme agrégée d’un réseau.
La taille des liens pondérés reflète la force des associations. Les disques de
couleur représentent quant à eux des clusters isolables d’entités hétérogènes
(cf. figures 1 à 3).
20. Cf. la thèse de J.-P. Cointet (2009).
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La liste de termes a ensuite été apurée. Nous avons choisi de ne pas les regrouper en grandes catégories (par exemple : rapport subjectif/objectif/technique
à l’hôtel, ou encore détail rédhibitoire ou au contraire laudatif). Seuls ont été
rassemblés les termes rigoureusement synonymes ou écrits régulièrement
de manière suffisamment différente ou avec des fautes d’orthographe assez
récurrentes pour avoir été isolés par le logiciel. « Qualité-prix » ou « rapport
qualité-prix » ont ainsi été regroupés, tout comme « petit déjeuner » et « petit
dej ». Les adjectifs ont été quant à eux systématiquement conservés, partant
du principe, par exemple, que « rapport qualité prix » n’est pas équivalent à
« bon » rapport qualité-prix. Conserver cette finesse de grain permet de déterminer dans quel contexte les internautes s’expriment sur « le rapport qualitéprix » de l’hôtel et ceux dans lequel ils évoquent le fait que ce rapport qualité
prix est « bon », « très bon », « excellent » ou à l’inverse « mauvais ». D’un
côté, « rapport qualité-prix » renvoie à une forme de jugement. De l’autre,
l’internaute qualifie ce jugement. Les termes très peu spécifiques (« hôtel de »
ou encore « Rue de l’ ») ont été retranchés. Chaque corpus (titres et texte intégral du commentaire) a ensuite été réindexé avec la liste apurée des termes qui
en avait été extraits.
228 Réseaux n° 183/2014
Les expressions du jugement hôtelier
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Par définition plus longs, et partant plus détaillés, des commentaires renvoient, eux, à des critères d’évaluation ou à des détails plus variés. Une première analyse des listes de termes extraits des commentaires montre que les
évaluateurs francophones mettent davantage en avant que dans le titre certains éléments de l’hôtel ou du séjour. Bien représentées, les considérations
sur le « rapport qualité-prix » ou la localisation (« cœur de Paris ») sont
cependant moins fréquentes que les développements consacrés au « petitdéjeuner » (terme le plus récurrent), dont les contributeurs du site détaillent
par ailleurs volontiers la composition, qu’il s’agisse du « jus d’orange », des
« confitures maison » ou des « fruits frais ». Le commentaire inclut également
des descriptions relatives à certains éléments de la chambre, tels que la salle
de bains, la literie (« grand lit », « bonne literie »), et entrent parfois dans
des descriptions techniques sur le « double vitrage », évoquent le personnel,
non seulement d’accueil (« excellent accueil »), mais également d’entretien
(« femme de ménage »), ou certaines prestations, telles que le « wifi gratuit ».
L’extraction de 500 termes, des titres et des commentaires, donne à voir un
très grand luxe de critères descriptifs et appréciatifs. Ces groupes nominaux
renvoient à des degrés de précision et de généralité, d’évaluation technique
et esthétique, d’objectivation et de subjectivation de l’expérience hôtelière
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Un simple classement des termes les plus fréquents dans les des commentaires français témoigne de l’importance de certains critères d’appréciation,
tout autant que du fait que le dispositif est d’abord utilisé comme un outil de
recommandation. Dans le titre, le jugement, synthétique, est global. « Bon
hôtel » (mais encore « hôtel charmant » ou « excellent hôtel »), voisine avec
« bon séjour » au sommet des expressions les plus fréquentes. Nombre de
titres font par ailleurs apparaître des critères de jugement reprenant certains
items de notation proposés par le site. Ainsi, le critère d’appréciation le plus
mis en avant dans le titre des commentaires sur les hôtels concerne le rapport
qualité-prix, agrémenté d’une appréciation positive « bon rapport qualitéprix ». La qualité de l’accueil est également fréquemment évoquée (« accueil
chaleureux »), tout comme certains éléments de localisation (« centre-ville »,
« situation idéale »). Les expressions égocentrées, ou relevant d’un jugement
général plus que d’une description des prestations et de leur degré de qualité,
ou encore celles marquant un rapport subjectif à l’hôtel sont également très
nombreux, qu’il s’agisse du « bon souvenir », du « coup de cœur » ou de la
« bonne impression » faite par l’hôtel.
Des chiffres et des lettres 229
remarquablement hétérogènes. Mais une liste de mots, si elle permet de saisir
les critères d’évaluation mobilisés par les évaluateurs, n’autorise pas à mettre
au jour des registres d’énonciation de ces critères. Comment ces registres se
structurent-ils ? La construction d’une cartographie de réseaux sémantiques et
sa projection sur l’espace des notes ou des contextes de voyage constituent un
outil d’analyse précieux pour comprendre comment s’énoncent les qualités, et
est qualifiée l’expérience de consommation.
LES RÉSEAUX SÉMANTIQUES DE L’ÉVALUATION
Les clusters issus de l’analyse lexicale sont cohésifs et centrés. Cette caractéristique témoigne de régularités fortes liant le niveau de la note et les mots, et
donc les critères d’appréciation qui y sont associés.
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Nous avons vu que le titre et le corps du texte des avis n’avaient pas le même
statut sur le site qui, sur ce point, ne fait pas exception : la plupart des sites
de N&A optent pour le même type de position des contributions textuelles
dans leur ergonomie. La cartographie de réseaux hétérogènes montre que les
réseaux sémantiques ne se projettent pas uniformément sur l’espace des notes.
La segmentation des espaces d’énonciation de la qualité hôtelière n’obéit pas
à une métrique continue et discrète identique à celle de la note. La comparaison des cartographies représentées dans les figures 1 et 2 montre que cette
segmentation n’est pas identique dans le titre et dans le commentaire. Le titre
est beaucoup plus discriminant et arrimé aux notes que le texte du commentaire, ce dont témoigne le nombre supérieur de clusters dans le premier cas.
Le corpus des titres est scindé analytiquement en quatre ensembles : ceux de
l’expérience épouvantable et médiocre, moyenne, très bonne et excellente,
celui de l’excellence se distinguant très nettement des autres. Celui des commentaires n’est divisé, lui, qu’en trois espaces : exécrable à moyen, très bon,
et excellent.
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Les réseaux sémantiques et le niveau de la note
230 Réseaux n° 183/2014
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Dans les titres des commentaires en français, les notes 1 et 2 sont confondues dans
le même cluster, caractérisé par des chambres minuscules, un mauvais rapport
qualité-prix, un mauvais accueil. De même, les notes 3 et 4 partagent certaines
expressions, comme le « personnel agréable », le « court séjour », la « grande
chambre », « l’excellent emplacement », etc. Certains termes sont ambigus, en
21. Une version haute définition est disponible à l’adresse : http://bit.ly/HVpwBw.
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Figure 3. Réseaux sémantiques des titres et note de l’avis (Français) 21
Des chiffres et des lettres 231
position d’intermédiarité, et renvoient à des ordres d’appréciation très différents :
le « cadre superbe », tout comme l’« hôtel-restaurant » ou la « vue imprenable »
sont ainsi reliés à la fois au pire (notes 1, 2), comme au moyen (3), au très bon (4)
ou à l’excellent (5). Éléments positifs de l’évaluation, ils sont régulièrement
modalisés dans les commentaires : adjuvants appréciés d’une expérience positive,
ils peuvent ne constituer qu’un bémol dans un commentaire négatif ou moyen,
dans le cadre d’énoncés dont la forme typique serait, en substance, qu’en dépit
d’une proximité au vieux port, tel hôtel n’offre que de très piètres prestations.
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22. Une version haute définition est disponible à l’adresse : http://bit.ly/17EJffr.
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Figure 4. Réseaux sémantiques des commentaires et note de l’avis (français) 22
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Il faut cependant nuancer le constat d’une différence entre la teneur des titres
et celle des commentaires : les lignes de force de l’évaluation hôtelière sont
partagées dans les deux corpus. Dans les deux cas, la note 4 (« très bon ») est
ainsi fortement associée au « rapport qualité-prix » et au « bon rapport qualité-prix ». De même les commentaires français in extenso font la part belle
à la salle de bains et au petit-déjeuner, souvent pour évoquer leurs défauts
(cf. cluster notes 1 à 3, figure 2). L’élévation dans l’ordre de la hiérarchie des
notes coïncide avec l’apparition d’adjectifs laudatifs ou d’adverbes superlatifs. Le « bon » et le « très » (dans les titres) sont associés à la note 4, le « merveilleux » et le « magnifique », le « parfait », revoyant à la note 5. Notons
cependant que les évaluations « très bonnes » relèvent d’une critériologie nettement différente de celle de l’excellence. L’accent y est fortement mis sur des
considérations relatives au rapport qualité-prix, souvent « bon », et plus généralement, ce qui est noté « très bon » est décrit sous les espèces du « bon »
(hôtel, accueil, week-end, séjour, plan, choix etc.). L’univers de l’excellence,
dans les titres comme dans les commentaires, est celui des superlatifs et de
la disparition de considérations économiques (prix ou rapport qualité-prix).
Il est souvent caractérisé comme celui du « petit » (« petit coin de paradis »,
« petit hôtel de charme ») et donc de l’intime, du beau (« bel établissement »)
et du rapport personnalisé, subjectivé, à l’hôtel, mettant l’accent sur l’ambiance, la chaleur de l’accueil, la « magie » (d’un « paradis sur terre », d’un
« cadre enchanteur ») et enfin la découverte (« belle découverte »), voire sur
la rencontre avec des « hôtes charmants », « aux petits soins », fournissant
un « service impeccable » et parés de qualités non uniquement professionnelles mais aussi morales : ils ne sont pas seulement efficaces et professionnels, mais également « gentils ». Le registre de l’excellence est aussi celui du
« coup de cœur » qui ne réclame pas de description précise, mais emprunte
plus volontiers, comme on le verra, le ressort rhétorique du récit.
L’examen du texte des commentaires témoigne du fait que l’évaluation est
d’autant plus technique et objectivante qu’elle est mauvaise : dans le cluster mêlant les notes 1, 2 et 3 de la figure 2, il est question de salle de bains,
de propreté, de sèche-cheveux, de prix, et lorsqu’il est question d’« eau
chaude », c’est généralement pour déplorer sa rareté. De même, le « rideau
de douche » existe surtout par ses défauts dans les avis qui le mentionnent. Le
trouble à l’intimité est aussi associé aux jugements négatifs à moyens, lorsque
les « chambres voisines » sont suffisamment mal insonorisées pour que l’on
entende les « autres clients ». Cet espace d’évaluation correspond à celui du
calcul, dans lequel le contributeur souligne les « points positifs » et les points
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232 Réseaux n° 183/2014
Des chiffres et des lettres 233
négatifs, dont le solde comptable détermine la note. À l’inverse, les éléments
valorisables (centralité, literie, séjour, chaleur de l’accueil, etc.) sont suffisamment nombreux dans l’évaluation « très bonne », pour que certains détails ne
justifient que des « bémols ». Au sommet de la hiérarchie des évaluations, la
note renvoie à un monde de l’hôtellerie faisant disparaître la qualité de prestation de service technique fournie par un hôtel, métamorphosée en relation
individuelle et personnelle, pour laquelle il est naturel d’adresser un « grand
merci », par exemple pour des « confitures maison » ou l’aptitude à avoir su
créer un « havre de paix ». À mesure que l’on progresse dans la hiérarchie des
notes, les critères techniques se font plus discrets et laissent place à des jugements plus globaux (« un bijou »/« un hôtel charmant ») et l’expression d’une
relation subjective à l’hôtel et à son personnel. L’évaluation fait alors la part
belle aux jugements de goût, notamment sur la décoration, et insistent sur des
détails distinctifs, qu’il s’agisse de la taille de la salle de bains, de la composition de la carte des vins, etc., permettant de recommander cet hébergement
« les yeux fermés ».
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Relevons que certains types d’hébergement débouchent sur des évaluations
fortement clivées : c’est le cas, particulièrement, de la « chambre d’hôtes »
qui, plus proche du cluster de l’excellence, est liée aussi à celui des jugements négatifs. « L’appart hôtel », fortement associé aux évaluations négatives, peut néanmoins faire l’objet d’évaluations de niveau moyen. Certains
types de voyages sont spécifiés dans le titre, comme le « voyage d’affaires ».
Ce dernier est associé de manière privilégiée à la note « moyen » (3) et, tout
en étant lié à toutes les notes comprises entre 1 et 4, ne l’est pas à la note
maximale. À l’inverse, le « voyage en amoureux » est très proche du centre
du cluster de l’excellence. L’enthousiasme évaluatif a donc ses contextes et
ses cadrages, qui définissent les horizons d’attente de la consommation et des
prises de parole de tonalité variable. C’est ce dont témoigne la projection des
réseaux sémantiques du texte du commentaire sur les contextes de voyage
déclarés : les mots employés pour évaluer la qualité hôtelière varient selon le
contexte du voyage.
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Type de séjour et critères de jugement
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Rappelons que ce sont les voyageurs « en amoureux » qui donnent majoritairement leur avis sur TripAdvisor, et ils sont plus enthousiastes que, par
exemple, les voyageurs d’affaires. L’analyse du lien entre contexte de voyage
et mots employés dans les commentaires montre tout d’abord la grande proximité, en termes de catégories d’évaluation, entre les voyageurs d’affaires et
23. Une version haute définition est disponible à l’adresse : http://bit.ly/183Puiy.
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Figure 5. Réseaux sémantiques et contexte du voyage (français) 23
Des chiffres et des lettres 235
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Cartographier les registres d’énonciation
La question du mode d’élocution pour lequel optent les évaluateurs est délicate. Ces différences d’énonciation sont liées à des modes de qualification
distincts de l’expérience de consommation, eux-mêmes arrimés à des hiérarchies hôtelières et évaluatives. Le lien entre les différentes variables considérées jusqu’à présent (langue de rédaction, longueur de l’avis, contexte déclaré,
note, catégorie hôtelière) et expressions témoignant d’un choix rhétorique
peut être mis au jour à l’aide d’une analyse des correspondances multiples
(ACM). La construction de cette analyse multivariée a requis dans un premier
temps de mettre au jour des ensembles lexicaux renvoyant à des univers rhétoriques, tels que la narrativité et la mise en scène de soi, la description objective, les hiérarchies hôtelières, la hiérarchie d’évaluation, etc.
24. Ou prétendument expérimentée par un faussaire suffisamment au fait des catégories d’entendement hôtelier pour savoir quel registre d’énonciation « s’impose », ou est le plus naturel
ou efficace, en fonction de la position de l’établissement évalué dans la hiérarchie hôtelière.
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les voyageurs « en solo », tout comme l’absence de spécificité de la catégorie
« voyage entre amis », dont le barycentre est très éloigné du centre du cluster
qu’il partage avec les voyageurs en amoureux. Le voyageur d’affaires et le
voyageur solitaire mettent l’accent sur le rapport qualité-prix, sur la centralité
et la proximité aux transports, ainsi que sur les éléments techniques (qualité
du couchage par exemple, ou encore propreté ou présence d’un mini-bar),
alors que les voyageurs « en amoureux » subjectivent davantage leur relation
à l’établissement, évoquent le « bon souvenir » qu’il a laissé, et soulignent
le « cadre magnifique », la décoration, le repas du soir ou le personnel « aux
petits soins » de la « chambre d’hôtes ». Ces éléments constituent des indices
que le mode d’écriture varie selon le type de voyage : la mise en scène de
l’expérience singulière de consommation comme entrée rhétorique sur l’hôtel
propre aux voyageurs en amoureux contraste avec des évaluations plus techniques et objectivantes des voyageurs d’affaires. Il est raisonnable de supposer qu’à ces démarches d’évaluation correspondent des modes d’écriture
ou des styles différents corrélés à la qualification non uniquement de l’hôtel
et de l’évaluation de sa qualité, mais également de la situation expérimentée 24, du voyage, en somme, compris entre le simple déplacement, idéalement
confortable et commode, et l’expérience singulière et intime, dont on attend
qu’elle constitue un souvenir. Ces cadrages différents appellent-ils des modes
d’énonciation différents ?
236 Réseaux n° 183/2014
Nous avons procédé à une extraction lexicale sur un corpus multilingue, dont
les langues ont été regroupées en trois catégories (anglais, français, autres langues européennes) 25. La liste de 1 000 expressions, dont certaines contiennent
des verbes, l’outil étant incapable, sur un corpus multilingue, de distinguer
groupes nominaux et groupes verbaux, a été apurée de tous les termes trop
génériques ou ambivalents. « Have a », « que c’est », « et que », « esto es »,
etc., ont donc été retranchés de l’indexation. Les groupes sémantiques restants
ont ensuite été classés en huit catégories :
– Description centrée sur l’hôtel – et ses prestations – (« the bath-room », « le
petit-déjeuner ») lorsqu’ils ne qualifiaient pas la prestation technique fournie
par l’établissement.
– Éléments narratifs : pour toutes les entités linguistiques incluant la personne du contributeur. Il s’agit donc de tous les éléments égocentrés du commentaire : « we arrived », « our first day in », « nous avons séjourné », etc.
– Localisation (« center of », « centre-ville », « éloigné de », « si trova »,
etc.).
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– Jugement de qualité, lorsque les éléments de la description de l’hôtel
incluent une qualification (« good », « comfortable room », etc.) ou évoquent
explicitement la qualité (« la qualité de », « great quality », etc.).
– Jugement relatif à la qualité et au prix, renvoie aux éléments évoquant cette
dimension spécifique de l’évaluation (« good value », « petit prix », etc.).
– Recommandation adressée – à autrui –, lorsque les rédacteurs d’avis
s’adressent directement aux autres internautes (« if you are looking », « je
recommande »).
– Nuance/réserve : certains marqueurs de nuances se trouvent dans la liste
extraite, comme « seul bémol », « is a little ».
25. Les commentaires écrits dans des langues rares et, plus généralement, ceux correspondant à des modalités représentant moins de 2 % de l’effectif sur les variables introduites dans
l’ACM ont été supprimés. Les ACM surpondèrent les individus statistiquement marginaux, et
les modalités rares peuvent donc introduire des outliers dont la prise en compte est susceptible
de créer des effets artificiellement importants.
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– Élément relationnel, qui agrège toutes les notations relatives à la dimension
de service (« hotel staff », « personnel accueillant », etc.).
Des chiffres et des lettres 237
Ces catégories sémantiques font varier la distance au locuteur et à l’hôtel
d’une part (allant du plus proche de l’hôtel au plus proche du locuteur, en passant par les dimensions relationnelles associées à la prestation de service), et
les modalités de l’évaluation (jugement de qualité objectivant, expression de
nuances sur les dimensions de l’évaluation de la qualité) et de la recommandation (globale et subjective), d’autre part.
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26. L’algorithme d’indexation employé indique par ailleurs quand le commentaire ne contient
pas tel élément discursif, raison pour laquelle le graphique 4 contient des points légendés
« Non », par exemple Cat. Non-jugement de qualité.
27. En excluant les hôtels 1 étoile (ancienne norme hôtelière), qui représentent moins de 2 %
des hébergements évalués. Les catégories de prix ne sont pas bien renseignées sur la plateforme, aussi n’avons-nous pas pu inclure la variable prix dans l’analyse. De même, les descripteurs sociodémographiques usuels des internautes n’ont pas pu être inclus dans les traitements
statistiques.
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En faisant l’hypothèse, fondée sur les analyses précédentes, que la langue de
rédaction, la note globale de l’avis, la longueur de ce dernier et le contexte
de voyage avaient une incidence sur la manière de s’exprimer sur les hébergements payants, ces différentes variables ont été introduites dans le modèle,
en plus de la variable dont les catégories sémantiques précédemment définies
sont les modalités 26. Afin d’éviter une analyse purement internaliste des critiques coupant l’évaluation de toute dimension économique, nous incluons
également, en champ supplémentaire, un élément renvoyant, lui, à la position
de l’hôtel évalué dans l’espace hôtelier : le nombre d’étoiles déclaré sur TripAdvisor. Cette dernière variable constitue également un indicateur, certes
imparfait, mais le seul dont nous disposions, du prix de la nuitée 27.
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Champ : ensemble des commentaires sur TripAdvisor 28
Le premier plan de l’ACM résume 33 % de la variance du nuage de points
constitué par l’ensemble des commentaires positionnés dans l’espace à
6 dimensions définies par les variables prises en compte. Ce premier plan
d’ACM distingue très nettement l’univers des évaluations très positives et
celui des évaluations moyennes. Le premier axe (20,05 %) s’interprète
comme celui de la structuration des discours apparaissant dans les évaluations très enthousiastes (notes « très bon » et « excellent ») dans le cadre de
commentaires de longueurs extrêmes (très longs vs très courts). Le second axe
renvoie, lui, à l’espace des évaluations moyennes et médiocres 29. Aux deux
28. Une version haute définition est disponible à l’adresse suivante : http://bit.ly/1fRoJNV et,
au format html, à l’adresse suivante : http://bit.ly/1aoGZ07.
29. La fréquence des notes « épouvantable » est trop faible pour avoir été incluse dans l’ACM.
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Graphique 4. Figure Cartographie de l’espace des avis (ACM)
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extrémités du premier axe se situent deux régimes de discours associés à des
contextes particuliers. L’analyse oppose ainsi les écritures narratives, dans un
cadre privé (voyage en amoureux ou entre amis), principalement de langue
anglaise 30, aux discours peu spécifiques et brefs rédigés dans les « autres
langues européennes ». Plus souvent que dans le cas des commentaires rédigés en français, davantage tempérés en termes de notation, les commentaires
rédigés en anglais, plus souvent associés à la note « excellent », décrivent
l’hôtel et ses caractéristiques à travers le récit d’une expérience singulière
de consommation. La relation chronologique du séjour offre la possibilité de
donner force détails sur l’hôtel, ses environs, l’accueil, etc. Le contributeur
opte alors pour une expression à la première personne, n’hésite pas à s’adresser aux autres internautes pour leur recommander chaudement un établissement généralement cher et à la qualité déjà attestée par les normes hôtelières.
Ces modes d’écriture sont surtout associés aux hôtels 4 étoiles. Ce mode
d’énonciation de la qualité suggère que sur ce segment du marché hôtelier,
c’est moins la capacité de l’établissement à fournir une prestation de service
technique de qualité qui est évaluée et valorisée que son aptitude à être l’écrin
d’un « moment », à s’inscrire dans le fil biographique d’un souvenir. Alors,
la recommandation emprunte aisément la voie du récit égocentré attestant de
la capacité de l’hôtel en question à avoir rempli ce contrat implicite, et de la
mise en scène et en mots du fait que tel hôtel est à même de fournir une expérience relevant d’une forme d’incommensurabilité qui appelle le récit singulier. Le profil des voyageurs évoque alors une forme de carnet, public, de ses
voyages. Cette exposition de soi, plus caractéristique de l’espace d’Internet
que D. Cardon (Cardon, 2010) définirait comme en « clair-obscur », dans
lequel les internautes rendent visibles leur quotidien, leur intimité, leur vie
sociale, mais dans lequel ils s’adressent principalement à un réseau social
de proches, est inattendue sur un site d’évaluation marchande, et souligne
l’ambiguïté de ce qui est évalué : l’hôtel ou une expérience hôtelière. Cette
ambiguïté varie en intensité selon le segment de l’espace hôtelier considéré.
30. L’extraction lexicale réalisée à partir du corpus des commentaires rédigés en anglais révèle
en effet qu’une différence sensible avec les évaluations laissées par le public francophone tient
à la fréquence, dans les premiers, de très nombreux marqueurs se rapportant au séjour plus qu’à
l’hôtel : tous les étages « 1st floor », « 2nd floor », « Top floor », etc., sont ainsi présents pour
spécifier le contexte du séjour, tout comme apparaissent des marqueurs temporels très largement absents des commentaires français, tels que « First day », « Next day », « Second trip »,
etc., qui renvoient à une écriture plus narrative et centrée sur le voyage et le voyageur.
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On peut opposer, en reprenant une distinction introduite par P. Bourdieu et
A. Darbel dans L’Amour de l’art (Bourdieu et Darbel 1966), les commentaires dont la tonalité est celle du jugement docte (objectivant et reprenant
à son compte le style des guides de voyage) et ceux qui optent pour le jugement esthète (insistant sur la rencontre entre le consommateur et un hôtel, qui
définit un séjour). Cette différence tient aux variations, très importantes, d’un
contributeur à l’autre, de la distance du locuteur à « l’objet hôtel », qui dépend
fortement de la qualification du séjour et de la qualité certifiée (nombre
d’étoiles) de l’hôtel. On constate donc que le site héberge des contributions
hétérogènes, tant individuellement que collectivement : leur teneur ainsi que
le mode d’écriture retenu varient notamment selon la langue de rédaction, qui
renvoie à des contextes de voyage, mais également à des modes nationaux de
structuration des attentes hôtelières différents. En d’autres termes, la note, qui
sert de base à la synthèse algorithmique de l’information ne renvoie pas à des
univers de valuation structurés de manière rigoureusement identiques dans les
cas français et anglo-saxon.
Conclusion
La synthèse algorithmique des contributions sur TripAdvisor repose pour l’essentiel sur des métriques (note globale de l’hôtel, position dans le classement,
catégorie de prix ou catégorie hôtelière, etc.) qui structurent la navigation sur
le site, même si l’internaute conserve la possibilité d’explorer les contributions de leur niveau le plus agrégé (la note moyenne, la position dans le classement) au plus fin (la note/le texte du commentaire individuel). L’analyse
du matériau textuel hébergé par la plate-forme révèle que, largement libérée
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Dans certains contextes de voyage, et dans certaines positions dans la hiérarchie hôtelière, c’est bien l’hôtel qui fait l’objet du commentaire, particulièrement (autre extrémité de l’axe 1) dans le cadre de notes très bonnes
mais dans des contextes non renseignés, ou dans l’espace des évaluations
moyennes et médiocres, qui est décrit par l’axe 2. Ce dernier oppose quant
à lui les hôtels de 2 et 3 étoiles, d’une part, et les évaluations médiocres et
moyennes, d’autre part. Les contributeurs écrivant en français jugent plus fréquemment que le public anglo-saxon les hôtels 3 étoiles dans un contexte
de voyage d’affaires. Les hôtels 2 étoiles sont, eux, davantage jugés dans un
contexte de voyage en famille, avec une description de longueur moyenne, et
peu spécifique en termes de choix d’écriture.
Des chiffres et des lettres 241
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Que TripAdvisor peine à traiter algorithmiquement les contributions textuelles est finalement ce qui permet d’étudier ce qui est commensuré dans
ce dispositif d’évaluation, et de montrer que si la note prime donc, en termes
d’organisation de l’information, elle renvoie, en fonction de son niveau et
de qui la laisse (public français ou anglo-saxon par exemple), à des modes
d’évaluation, à des registres d’énonciation de la qualité et de qualification de
l’expérience hôtelière sensiblement différents. La mise au jour des différences
sémantiques entre commentaires, et l’examen de la manière dont elles se projettent sur la hiérarchie des notes, témoignent toutefois de régularités dans la
relation unissant énonciation de la et des qualités d’une part, et position dans
une hiérarchie d’évaluation (la note) et dans la hiérarchie hôtelière d’autre
part. Ainsi, les régimes d’élocution de la qualité hôtelière n’obéissent pas à
une segmentation rigoureusement étalonnée sur la métrique réglée que constitue la note (5 positions). La cartographie de réseaux hétérogènes et l’analyse
en composante multiple font apparaître la coexistence de trois régimes d’évaluation, l’univers du passable et moyen, celui du très bon et celui, enfin, de
l’excellence, qui ne correspondent pas aux mêmes expressions de la qualité
hôtelière, que ce soit en termes lexicaux ou rhétoriques. Alors que sur les
premiers segments de ces hiérarchies hôtelières et évaluatives, les internautes
décrivent et objectivent, sur le dernier, ils ont tendance à se narrer.
L’apparition des sites de notes et avis en ligne a suscité de très fortes réactions de la part de l’industrie hôtelière, qui a été fortement motrice dans la
constitution d’un groupe de réflexion à l’Agence Française de Normalisation
(AFNOR). Au-delà de l’authentification des avis, certains hôteliers revendiquent un contrôle restauré sur les critères de jugement hôtelier et les modes
d’évaluation par les internautes. Paradoxalement, alors même que les commentaires écrits sont globalement relégués dans l’architecture du site, ce sont
ces commentaires, et la propension de certains internautes à relater longuement leur expérience singulière, plus encore que les notes laissées, qui font
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des contraintes de format propres à la critique « experte » contenue dans la
plupart des guides, cette évaluation par les internautes emprunte des formes
d’une très grande hétérogénéité, tant en termes de lexique d’énonciation de
la qualité que de rhétoriques mises en œuvre. L’analyse lexicale témoigne
d’un large accord sur les critères de jugement de la qualité hôtelière. Mais
elle permet de mettre au jour que, selon la note laissée, la catégorie hôtelière
ou encore le contexte de l’expérience de consommation hôtelière, la nature
textuelle des contributions varie.
242 Réseaux n° 183/2014
réagir certains hôteliers. Ces derniers réclament notamment la standardisation de l’évaluation, particulièrement celle des contributions textuelles. Ces
réactions permettent de souligner que l’apparition des sites de notes et avis
constitue un choc exogène qui bouleverse l’organisation d’un monde – au
sens beckerien – de caractère hétérarchique 31. Les effets de ce choc font l’objet d’une étude, en cours.
Remerciements
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31. « Heterarchy represents an organizational form of distributed intelligence in which units
are laterally accountable according to diverse principles of evaluation » (Stark, 2009, p. 19).
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Cette étude n’aurait pas été possible sans le concours de Thomas Beauvisage.
Il a réalisé le scrapping du site TripAdvisor. Je tiens à le remercier, ainsi que
Jean-Samuel Beuscart, Kevin Mellet et Marie Trespeuch, pour les nombreuses
discussions que nous avons pu avoir sur le sujet des N&A. Ma gratitude va
également à Jean-Philippe Cointet, qui a guidé mes premiers pas sous Cortext
et à Marc Barbier pour m’avoir encouragé à utiliser cet outil. Merci enfin à
Vinciane Zabban, Philippe Breucker, Olivier Pilmis et Ionela Roharik.
Des chiffres et des lettres 243
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