„Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
Geta MOROŞAN
[email protected]
Université « Ştefan cel Mare » de Suceava (Roumanie)
Abstract: Tustreiul (The Trine) is an etiological story, built according to a canonical
compositional formula, but displaying a complex surface as well as deep structure in which the
dramatic element, the fantastic tale, and the poem in prose are interwoven in an unexpected
manner, concurring to achieve an oratorial discourse marked by a strong didactic tone. The author,
B.V. Anania, takes issue with a „rusty” vision of the relationship between the human and the divine,
on which he offers a fresh perspective, shedding light on matters of high theology by transposing
them into an accessible code, suitable to contemporary man’s level of consciousness.
Keywords: La Trinité, Anania, discours oratoire, Mystère, humain.
« La culture ne peut se développer indéfiniment.
Elle n’est pas un but en soi (...); plus tôt ou plus tard, la
pensée, l’art ou la vie sociale atteignent leur limite; alors il lui
faut choisir : rester dans l’infini vicieux de sa propre
immanence, s’enivrer de sa nudité, ou bien dépasser les
limites qui l’étouffent et, dans une transparence d’eaux
claires, refléter le transcendant. » (Evdochimov, 1993: 60-61)
L’œuvre de B.V. Anania illustre pleinement l’appartenance à la catégorie de l’Art
religieux, théocentrique, « remplissant (...) une énigme théophanique » (Evdochimov, 1993 : 61) et
assumant une fonction initiatique, surtout de préparation de la conscience des autres, qui se
trouvent pris dans le piège d’un temps historique ankylosé et amnésique (l’époque communiste),
ce dernier ayant caché la porte donnant sur le sacré, en s’autoproclamant autosuffisant.
Une dimension essentielle des textes de B.V. Anania est la relation de mystérieuse et
intime proximité entre temps historique (profane) et temps sacré, relation aux conséquences
révélatrices dans la clarification de l’identité de l’homme et de sa destinée dans l’ici-bas. Le
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temps historique choisi par l’auteur n’est pas non plus un temps quelconque, mais un temps
chargé de hautes significations qui lui donne accès au Temps sacré, qui l’absorbe
insaisissablement, le purifie, le sanctifie, le revitalise par un transfert d’énergies spirituelles et
le fait renaître plus jeune et doté d’un nouveau pouvoir, auquel l’homme doit faire attention,
qu’il doit percevoir et avec lequel il doit résonner. Cette façon d’alerter l’homme quant à la
nécessité impérieuse de se réveiller de la paresse de son esprit et de son cœur, pour capter le
message du temps resacralisé, se dévoile comme objectif majeur du récit „Tustreiul” (« La
Trinité ») du volume Amintirile peregrinului apter (Les Souvenirs du pèlerin aptère).
Dans un autre de ses textes, B.V. Anania confessait à son sujet ne pas faire de
littérature, mais « une reconstitution ». Or, la reconstitution, comme on sait, n’est pas la
réalité saisie « en direct », mais sa simulation, dans ses éléments essentiels, de sorte que le
spectateur (dans notre cas, le lecteur) se trouve au plus près de la vérité dans sa
compréhension et son interprétation des faits relatés. Le récit Tustreiul est une claire
illustration de ce que signifie « reconstitution » à travers la littérature, c’est-à-dire à travers
l’usage des instruments et des espèces littéraires. Les commentateurs de sa prose montrent
que sa démarche narative ne se soumet généralement pas aux canons en place. On peut
néanmoins constater que, dans la plupart des cas, y compris dans celui qui nous intéresse
ici, son récit garde la formule canonique, en se déployant dans le cadre d’une structure
ternaire (Adam; Revaz, 1999 : 60) typique : le héros se trouve dans une situation initiale
(quand il souffre d’un manque, d’habitude de quelque chose de grande valeur), il subit
ensuite une transformation, pour qu’au final on le découvre dans un état de plénitude et
d’accomplissement. Mais à l’intérieur de ce cadre canonique, la façon de dire, la structure
compositionnelle prennent une tournure compliquée et insolite, en raison du sujet et sous
la pression du but que poursuit le conteur. Pour atteindre ce but, l’écrivain a recours à des
éléments spécifiques du genre dramatique, du conte, de l’histoire fantastique, mais aussi du
poème en prose, en construisant avec tout ceci un discours oratoire d’une impressionnante
force persuasive, par lequel il démontre que Dieu « est plus que la perfection abstraite d’un
concept philosophique; Il est Le Vivant, Celui qui est; Amour, Il est Trinité (...) »
(Evdochimov, 1993 : 26) et que, entre humain et divin, il existe une communion qui
demande à être toujours renouvelée.
C’est dans ce texte que l’écrivain s’affirme comme orateur qui se sert de ce type de
« narratio » destinée « d’une part à INFORMER – INSTRUIRE son auditoire et, d’autre
part, à le CONVAINCRE de la justesse de la cause défendue (...). NARRATIO est donc
une mise en scène, où certains éléments sont mis en évidence, tandis que d’autres sont
intentionnellement omis » (Evdochimov, 1993 : 98).
Le sujet en question, formulé brusquement dès la première phrase de l’exorde, pour
une captation immédiate de l’attention du lecteur, inscrit le récit dans la catégorie des récits
étiologiques, qui « ont pour but d’expliquer les énigmes du monde » et où « la mise en
intrigue offre une réponse à une question ou à un problème ». (Evdochimov, 1993 : 99) La
formulation lapidaire d’une vérité axiomatique affirme de toute évidence son caractère de
thèse qui va être démontrée : « La présence de tout mystère éveille la curiosité et fait naître
des questions. Mais la résolution ne peut venir que si toi, celui qui demandes, te trouves
déjà au coeur de la réponse » (Tustreiul, p. 241).
Le contexte de résolution du mystère est, bien entendu, paradoxal. Il avertit qu’il
ne peut s’agir d’un mystère quelconque, mais du Grand Mystère, un Mystère dans lequel
l’homme est impliqué ontologiquement. Ce contexte a son rôle, propice non seulement à
l’accroissement de l’attention de l’auditoire/lectorat, mais aussi apte à provoquer
consternation, étonnement et une avalanche de questions, puisqu’il est adressé aux profanes,
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à ceux qui ne savent pas encore la vérité, équivalant à l’énigmatique phrase d’Anania,
formulée avec clarté dans les pages du livre de Paul Evdochimov: « Si l’homme pense
Dieu, c’est parce qu’il se trouve déjà à l’intérieur de la pensée divine, parce que Dieu pense
en lui ». (Evdochimov, 1993 : 62) Ou bien « nul ne peut se figurer le visage du Seigneur
autrement qu’en étant ravi dans le Saint Esprit ». (Evdochimov, 1993 : 10)
Que l’assertion de la thèse réfère à la vérité quant à la divinité (Sainte Trinité), et
qu’elle est proposée pour être résolue par les profanes, le confirme l’option de l’auteur
pour le titre, un mot roumain ancien, populaire, Tustreiul, résultat de la fusion (pronom
indéfini + numéral), qui est une expression heureuse et très suggestive de l’idée d’unité et
de différenciation, absolument inséparables, ainsi que d’une note de mystère, puisque le
mot est un synonyme expressif du syntagme « le triple visage de Dieu l’unique »
(Evdochimov, 1993: 21); de même, la forme articulée de ce substantif roumain ainsi
obtenue souligne l’idée de perfection et d’unité de l’entité dénommée.
Respectant un autre principe du discours oratoire, fondamental dans l’art de la
persuasion, à savoir celui de la sincérité (Maingueneau, 2007 : 140), le narrateur (qui est aussi
personnage) assure son auditoire/lecteur que la réponse aux questions relatives à la
résolution de ce Mystère aura été obtenue à travers l’expérience, par le vécu personnel,
indiquant par la même occasion la nature particulière de la vérité découverte, vue comme
un don, une « chance » saisie dans un moment très chargé émotionnellement: « Ce fut ma
chance à moi, apprenti du peintre Andrei, que j’ai saisie au moment où intervint la dispute
entre lui et ses camarades de travail » (p. 241).
Cette précision introduit du même coup l’auditoire/le lecteur dans la « narratio »,
dans le récit proprement-dit, dont la situation initiale était déjà en déséquilibre, comme on
l’apprend, un déséquilibre provoqué par un profond désaccord, une bagarre entre les
maîtres choisis pour peindre la petite église du couvent de Surpatele, au sujet de l’icône
représentant la Sainte Trinité, que le maître Andrei de Hurezi avait peinte d’après le modèle
de celle d’Andrei Rublev. Le temps historique, où se passent les événements relatés n’est pas
pris au hasard par l’écrivain, ce n’est pas un temps quelconque, mais celui du règne de
Constantin Brancovan (« dans la 19e année de son règne »), réputé pour être mort en
raison de son entêtement dans sa croyance chrétienne orthodoxe. L’ordre de bâtir le
couvent de bonnes sœurs à Surpatele fut donné par Madame Marica, l’épouse du prince
régnant, à propos de laquelle il est dit qu’elle faisait partie de « ceux qui réfléchissent à de
hautes idées » (p. 253). Il faut dire qu’il arrive que l’écrivain glisse discrètement dans
d’autres textes des affirmations concernant les « hauts » pouvoirs spirituels des anciens
princes roumains. Le lieu choisi pour la construction du couvent, lieudu miraculeux
mystère évoqué dans le point culminant du récit, n’est pas non plus un espace quelconque,
mais un espace marqué par une « blessure », « une large crevasse dans la terre, côté nord »,
qui s’était transformée dans un « haut ravin ». Le lieu prit d’ailleurs le nom, Surpatele (en
roumain, a se surpa = se crevasser), d’après son apparence qui, dans la symbolique de
l’écrivain, suggère avec insistance l’idée d’avènement d’une rupture, d’une fissure dans la
communication entre le monde des humains et la divinité.
Les signes et les effets de cette fissure, de ce vide profond en attente d’être rempli
par les bienfaits du Saint Esprit, quand l’heure sera venue, sont partout ; ils se montrent non
seulement dans la souffrance de l’espace, mais aussi des personnages. En empruntant des
éléments au théâtre expressionniste, l’écrivain met en scène des personnages symboliques,
mentionnés par le nom de leur vocation : le maître Andrei, l’apprenti (qui n’a pas de nom,
étant identifié par son seul statut, reconnu, ou pas encore, de « fils »), ainsi qu’une sorte de
personnage collectif, fantastique, formé par le groupe des trois maîtres – qui travaillent
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toujours ensemble, tels un seul être ! Les deux premiers personnages, le maître et son
« apprenti », pressentent l’absence de quelque chose d’essentiel, pour lequel ils ne peuvent
agir au nom de leur vérité intérieure, car ils n’en ont pas encore eu connaissance. Le maître
Andrei était tourmenté par la pensée qu’il ne pouvait savoir si, un siècle plus tard, son travail
serait, après les innombrables transformations que subirait le plâtre, tel qu’il l’avait envisagé.
L’absence de cette certitude lui avait été suggérée par son apprenti d’avant, grâce à un
« pouvoir » qu’il était seul à détenir, mais il était parti loin, quelque part dans le monde, depuis
de nombreuses années. L’« apprenti » qui lui a succédé (le narrateur des événements du récit)
vivait, à son tour, un sentiment de frustration, puisque, confesse-t-il : « bien que des années
étaient passées depuis que je mangeais du pain à leur table (...) le maître et son épouse ne se
décidaient toujours pas à me dire « notre fils », ce nom leur paraissant en quelque sorte
comme saint et réservé à mon énigmatique jumeau. Leur réserve me faisait croire qu’entre
l’ancien apprenti et moi-même n’existaient pas que des ressemblances, mais aussi quelques
différences que je n’avais pas été capable de dépasser » (p. 242). Tant maître Andrei que le
nouvel apprenti trouveront la résolution du mystère concernant la nature de leur identité et
de leur mission un peu plus tard, dans une circonstance particulière, quand ils « se trouvèrent
à l’intérieur de la réponse » recherchée.
Préparant avec soin les étapes du discours, l’écrivain-orateur parsème tout au long
de la séquence marquant la situation narrative initiale des indices assez transparents, à même
d’aider l’auditoire à comprendre progressivement (et à s’en convaincre) la justesse de la
Vérité entière qui va être dévoilée. Ainsi, on apprend que maître Andrei avait atteint « la
seconde moitié de sa vie », sans avoir eu d’enfants avec sa femme Asineta, mais en
bénéficiant toutefois pour un temps de la présence d’un enfant d’environ 4 ans, étranger et
étrange, « surgi de nulle part » dans leur cour, qui montrait un autre type de savoir et une
certaine façon de parler : uniquement « des yeux »; il était resté aux côtés du maître comme
« apprenti » durant sept ans, recevant le nom de « notre fils » de la famille du maître, qui le
prononçait comme s’il leur avait paru « en quelque sorte un saint », après quoi il avait
disparu « quelque part » pour encore sept ans, au bout desquels il transmet « aux siens »
qu’il vit, qu’il « ne les a pas oubliés » et qu’il se trouve au Mont Sinaï.
Un autre indice qui donne à penser au lecteur est d’apprendre que « l’existence
(…) auprès du maître Andrei » du nouvel apprenti « était due à d’étranges ressemblances »
que le maître trouvait entre le nouveau et l’ancien apprenti : tous les deux « avaient surgi du
vaste monde, sans avoir des parents connus, (…), tous les deux avaient des yeux profonds
et chaleureusement enveloppants », leurs faits et gestes étaient « un fruit du silence », tous
les deux « s’approchaient du cœur d’autrui, (…) de la façon la plus naturelle, sans effort ni
ruse » (p. 241). A travers une séquence ultérieure, « l’apprenti » du présent de la narration
apprend de la confession indirecte du maître Andrei quel était le « pouvoir » que son
prédécesseur avait et que lui-même n’avait pas encore acquis : « (...) que ne cent ans plus
tard, quand toutes les transformations se seront produites et que la peinture sera rentrée
dans sa vérité ? Mon apprenti avait ce pouvoir. Dès que nous terminions de peindre un
certain champ, il s’asseyait devant et soufflait profondément au-dessus, profondément et
rondement, comme quand on souffle sur un miroir, sauf que son souffle ne couvrait pas
l’icône de buée, mais de limpidité, repoussant le temps jusqu’à ce lointain moment quand, à
l’intérieur, il ne se passera plus rien. C’est ainsi que je savais si mon travail avait bien
comencé ou non » (p. 250). Ce « pouvoir » de l’apprenti se dévoile ainsi comme une preuve
du fait que le « souffle » du Saint Esprit était descendu sur le « fils » de l’homme, en lui
offrant la grâce d’ouvrir le temps historique sur le temps sacré, c’est-à-dire sur l’éternité. De
cette « troisième forme » du temps, dénommée « existentielle », on apprend que : « chaque
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moment peut s’ouvrir de l’intérieur sur une autre dimension, ce qui nous offre la possibilité
de vivre « l’éternité dans l’instant, dans le présent éternel ». C’est le temps sacré ou
liturgique (…). L’éternité n’est ni avant, ni après le temps, elle est cette dimension sur
laquelle le temps peut s’ouvrir ». (Evdochimov, 1993 : 116)
Un autre indice, encore plus troublant par la signification de sa symbolique, nous
est offert à travers l’image des trois autres maîtres, qui se différentiaient et de maître Andrei
et de son apprenti ; ils appartenaient d’ailleurs à un autre monde, celui monastique, et ils se
manifestaient comme êtres fantastiques, surtout pendant le travail. Voilà ce que dit à leur
sujet le narrateur : « Avec Andrei étaient aussi venus à Surpatele le hiéromonaque Iosif,
avec ses deux camarades Hrănite et Ştefan. Ces trois-là n’avaient pas d’apprentis, ils
travaillaient toujours ensemble, tels un peintre à six mains ; ils préparaient tout seuls leurs
couleurs et les couches de plâtre et se passaient facilement de l’un à l’autre la douleur et la
perfection d’un commencement ». (p. 242).
Dans le couple formé par Andrei et Asineta qui se réjouissent dans leurs vieux jours
de la présence d’un fils offert par miracle divin, le lecteur avisé peut aisément identifier
Abraham et Sarah, premiers hôtes auxquels s’arrêtèrent les trois étrangers divins « à l’ombre du
chêne de Mambré », pour refaire (renouer) la communion interrompue. Dans le récit à l’air
de conte de fées du maître Andrei au sujet de l’enfant surgi « de nulle part » et qui guide les
villageois dans l’accomplissement de quelques pratiques secrètes et dans le « pouvoir » qu’il
était seul à détenir, tout comme dans la description qu’il fait de son apprenti, dont il souligne
la pureté morale, l’attitude pleine d’amour et de communion naturelle avec « l’âme de
l’homme », on reconnaît la nature théandrique, divine et humaine, de Jésus, le seul qui peut
« conduire l’homme à la lumière absolue du sens de son existence ou à la vie éternelle, en le
soustrayant à l’obscurité de l’absence de sens ». (Stăniloaie, 1993 : 99) Plus inattendue encore
pour le lecteur est la suggestion insinuée à travers l’image des « trois » maîtres, auxquels se
rapporte de façon récurrente l’adverbe « ensemble », qui souligne l’idée de leur inséparabilité,
de leurs compétences égales dans l’accomplissement de l’ouvrage commencé, de la parfaite
synchronisation dans tous leurs actes, à une seule exception, révélée au moment où ils
entrent en dialogue avec le maître Andrei où un seul parle à ce dernier, celui à qui on avait
prévu un statut hiérarchique plus élevé, le « hiéromonaque Iosif », que les deux autres se
contentent d’approuver silencieux. A travers quelques traits simples, le talent de l’orateur
réussit à offrir à son auditoireune image sommaire, mais suffisamment explicite, de ce qui
peut être compris par Sainte Trinité. C’est une première tentative d’explication, puisque le
narrateur reviendra sur cette « supra-réalité » avec deux autres variantes, dans des formules
artistiques totalement différentes ayant un niveau supérieur de complexité, par la
multiplication des données du savoir, à mesure que la compréhension de ces « choses
élevées » devient de plus en plus claire pour le lecteur.
L’intention fortement éducative de l’écrivain se fait donc évidente tout au long du
texte par ce recours exhaustif à l’« exemplum », l’une des « formes les plus anciennes de
l’inventio rhétorique », « l’un des moyens utilisés pour persuader » : « De fait, tous les
orateurs, pour convaincre, démontrent par des exemples ou des entimèmes ; il n’y a pas
d’autres moyens », et « l’exemplum opère par induction, c’est-à-dire par analogie »
(Aristote, Rhétorique, II, 2, in Adam ; Revaz, 1999 : 100).
Les personnages principaux sont maintenant en scène, avec leur statut assez
clairement défini, mais, avant le déclenchement du moment de tension où se dévoile la
vérité en lien avec le mystère de la Sainte Trinité, le narrateur offre encore quelques indices
qui suggèrent que le temps historique était prêt à être renouvelé : ainsi, maître Andrei, qui
avait déjà peint l’icône du patron de l’église et qu’il n’avait pas encore montrée à ses
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camarades, reçoit-il des présents et un message, apportés par le commerçant Toma qui était
de retour du Mont Athos; le maître avait commandé uniquement de la « poudre de pierre »,
« moulue dans le rocher rougeâtre des Météores, qui donne aux peintres la meilleure
poudre pour la couleur du porphyre ». En outre, « le petit moine » peintre, « très jeune et
bien fait », rencontré par le marchand au Mont Athos, lui fait parvenir des présents
« beaucoup plus précieux » : « un sac de poudre azurée, un bleu, (...), également obtenu par
l’effritement d’une pierre, mais d’une pierre des profondeurs, que pas n’importe qui sait
découvrir, faire brûler et utiliser »; cette précision a son sens initiatique, en annonçant au
maître que désormais il est prêt à recevoir des vérités que « pas n’importe qui » peut
supporter. Dans le langage iconographique, le rouge symbolise l’amour divin, tandis que le
bleu – la vérité céleste; mais, cette fois-ci, le cadeau coloré est investi dans le message du
jeune d’une signification particulière, de l’importance de laquelle le maître est averti de tenir
compte par la précision même que fait le commerçant à la fin de sa mission de messager :
« Pour ce qui est du bleu, c’est celui du ciel serein quand il devient miroir de la mer verte,
pour l’union des choses d’en bas avec celles d’en haut. (n. s.) C’est ainsi qu’il s’adressa à moi et je me
suis efforcé de ne rien oublier », ajouta le commerçant Toma (p. 244). Que la nouvelle d’un
moment de secrète transformation est proche le laisse entendre aussi l’autre cadeau du
jeune peintre d’Athos, qui envoie « aux siens », c’est-à-dire à la famille du maître Andrei, un
autoportrait, ce qui apporte au maître de la joie, mais qui le trouble beaucoup quand il
constate que le visage de son ancien apprenti « ressemblait comme deux gouttes d’eau avec
chacun des trois jeunes qu’il avait (...) à peine peints dans l’icône patronale de l’église ». De
même, il ne comprenait pas que leur « fils » même « avait osé affronter l’une des
interdictions les plus sévères du peintre, celle d’écrire soi-même, de sa main, son propre
visage », et encore là-haut, au Mont Athos, « où il est probable que les serments des
peintres sont respectés sans aucune dérogation, surtout quand ceux-ci sont aussi des
moines » (p. 245). Le maître Andrei n’aurait-il pas compris la vraie signification de l’
« audace » de « leur fils », celle de se montrer une fois l’heure venue dans Sa Vérité à ceux
qui, tels l’apprenti-narrateur, sachant « si peu de choses » sur Lui, ont l’impression
d’entendre parler « de lui comme d’un mort » (p. 245), ou bien l’incompréhension et le
trouble du maître sont-ils une stratégie de l’écrivain pour attirer l’attention sur l’importance
du message à déchiffrer dans ce « précieux présent » ?
D’ailleurs, le maître Andrei se voit attribuer le rôle d’un « ignorant », qui s’occupe
de ses affaires, également dans la séquence d’après, où il se fait insistant à travers des
questions cruciales, audacieuses, provoquant des explications et des démonstrations, qui
offrent à l’auteur une modalité de clarifier des questions pointues de théologie dans un
langage plus accessible aux non initiés. Le dialogue entre maître Andrei et les trois autres
maîtres qui se prononcent uniquement par la bouche de leur « frère », le hiéromonaque
Iosif, se déroule dans les cadres d’une authentique scénette, l’écrivain ayant recours cette
fois-ci à ses habiletés de dramaturge, les personnages deviennent des acteurs qui « jouent »
leurs rôles devant les spectateurs, en impliquant de la sorte aussi ces derniers, en leur
offrant une démonstration, afin que le message soit compris au mieux et qu’il ait un impact
le plus fort possible. On obtient ainsi une mise en scène, dans le sens concret du mot, qui
s’ouvre en même temps que le dévoilement, en présence des trois maîtres, de l’icône
patronale de l’églisedu couvent de Surpatele, peinte par le maître Andrei. L’ordre qui avait
été donné par Madame Marica était que l’icône représentât la « Sainte Trinité », mais
l’image qui prenait corps devant les regards de l’hiéromonaque Iosif et des deux autres
maîtres, Hrănite et Ştefan, éveilla leur indignation, puisqu’elle s’avérait être une copie
d’après le modèle créé par un autre Andrei, celui du XVe siècle, Andrei Rublev. Tout
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comme dans l’icône-modèle de son prédécesseur, dans celle du maître Andrei on pouvait
apercevoir toujours « les trois pélerins assis à table, avec leurs longues et frêles cannes,
telles des roseaux, à la main gauche, faisant un signe de bénédiction de la main droite, les
ailes au repos, les yeux sources de douceur et de bonté, tels qu’ils avaient été à la cène
d’Abraham. Sur la table couverte d’un simple tissu, il n’y avait rien d’autre, sauf une coupe
en argent » (p. 251).
Cette vision de la « Sainte Trinité » constitue le nœud de l’intrigue, le sujet de la
dispute entre les personnages et, implicitement, de la polémique entre l’auteur-narrateur et
les partisans du concept vieux de cinq siècles, imposé par l’icône peinte par Andrei Rublev.
Il s’agit de l’icône élevée « au rang de modèle de l’iconographie et de toute représentation
de la Trinité », et à propos de laquelle, on a pu affirmer : « On peut dire avec certitude qu’il
n’existe nulle part ailleurs quelque chose de similaire en ce qui concerne le pouvoir de
synthèse théologique, la richesse du symbolisme et la beauté artistique ». (Evdochimov,
1993 : 209-210). L’auteur et ses personnages ne se laissent en revanche intimidés ni par la
célébrité ni par la « beauté artistique » sans pareille de la Trinité de l’icône de Rublev. La
dispute « jouée » par les maîtres se déclenche lors du constat d’une omission grave dans
l’icône de la Sainte Trinité du maître Andrei de Hurezi, omission qui répète celle de l’autre
Andrei, des territoires russes (la coïncidence de noms a son sens caché, vaguement insinué
par l’auteur) : dans les deux icônes, étaient absents les hôtes, Abraham et Sarah, chez
lesquels s’étaient arrêtés pour dîner les trois anges. La question-reproche de
l’hiéromonaque Iosif, adressée deux fois au maître Andrei, « – Où sont-ils Abraham et
Sarah ? », occupe la place centrale dans le débat dans lequel s’engagent spontanément les
deux protagonistes, avec une passion et une persévérance qui attirent l’attention du lecteur
sur le fait que le problème en discussion est beaucoup plus important qu’il ne paraît et qu’il
vise une signification qui dépasse la sphère de l’esthétique. Les réponses du maître sont des
justifications invraisemblables, qui semblent avoir été planifiées pour inciter son
interlocuteur à réagir avec des arguments et à les multiplier, jouant ainsi un rôle de vieux
Ion Roată, qui ne cesse de faire semblant de ne rien comprendre, afin que l’autre dévoile de
plus en plus de ce qu’il connaît et que la vérité ressortisse sans l’ombre d’un doute. Il
répond à l’hiéromonaque en disant tout d’abord qu’il n’a pas mis les hôtes dans l’icône
parce qu’il « n’ a pas eu besoin d’eux », le patron du couvent étant la « Sainte Trinité, non la
Sainte Cinquième », ensuite qu’il aurait pu représenter les hôtes aussi, si on lui avait
ordonné de peindre « la philoxénie d’Abraham » (pp. 251 et 252).
De l’autre côté, l’hiéromonaque attire l’attention du maître, en lui signalant deux
aspects qui plaçaient ce dernier dans une perspective erronnée : « – (...) Votre Trinité ne
semble pas se situer sur terre », erreur perpétuée par la reprise du modèle de Rublev, qui
« nous prit la Trinité de la terre pour la jeter au ciel »; le deuxième aspect vise une autre vérité
qui semble avoir échappé au maître : celle concernant le fait que la Sainte Trinité est descendue
sur terre, donc elle doit être peinte telle que peut la voir l’homme (« à la mesure de l’homme »),
nous ne savons pas comment elle se montre au ciel, et elle est venue chez l’homme (pour
l’homme) comme invité (n. s.), c’est pourquoi, il est normal que dans l’icône se trouvent aussi
les hôtes : « car c’est pour cela qu’elle s’est arrêtée dans la cour de l’ancêtre Abraham » (p.
252). Dans ce sens, l’hiéromonaque lui demande aussi des explications en ce qui concerne
l’absence de denrées sur la table. Le maître Andrei, faisant toujours semblant de ne pas être
attentif et paraissant peu convaincu de la vérité révélée par le « frère » Iosif, se justifie avec la
même suspecte invraisemblance, en motivant que nul source ne précise « au détail près ce
qu’il faut mettre sur la table », que les uns mettent certaines denrées, tandis que d’autres… et
que, de fait, ne s’agissant pas d’hospitalité (il tient même à souligner qu’il « n’a pas
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compris » !), « mais de la Trinité en soi » (erreur fondamentale du maître, dans la vision de
l’auteur), nul besoin de mettre des denrées sur la table.
En lui expliquant, avec la supérieure Ilisafta, quele code du couvent avait établi que
la plus importante forme d’obéissance était l’hospitalité, et qu’il « y avait un lien entre
obéissance (...) et l’icône du patron du couvent », ordonnée par Madame Brancovan,
l’hiéromonaque Iosif fait encore une précision, laissant paraître un autre indice devant le
maître, dans cette recherche de la vérité : « Sa Seigneurie sait que la Sainte Trinité qui
patronne le couvent ne peut être autre que celle du chêne de Mamvri, là où Abraham et
Sarah avaient invité les voyageurs étrangers à dîner » (p. 253) ; donc, non pas toute
représentation de la Trinité, mais celle qui évoque la descente de la divinité dans sa création,
sur terre, pour rencontrer les humains et leur offrir un Fils par la puissance de son amour.
On ne pouvait pas plus clairement expliquer pourquoi était aussi nécessaire la présence des
hôtes dans l’icône patronale du couvent, et il est incroyable que le maître Andrei, qui avait
toute sa vie peint des églises, n’ait pas compris de la lecture des livres saints la vérité sur
« l’immanence réciproque de Dieu et de l’homme » (Evdochimov, 1993 : 26), sur le fait que la
divinité ne peut être conçue comme transcendance absolue, séparée de sa création : « Si
l’existence de l’homme suppose celle de Dieu, l’existence de Dieu suppose celle de l’homme »
(Evdochimov, 1993 : 59) ;par conséquent, l’icône, comme symbole sacré, doit être « porteuse
de la totalité divine-humaine ». (Evdochimov, 1993 : 171)
Mais en dépit des arguments repris exhaustivement par le hiéromonaque Iosif, le
maître Andrei continue de jouer son rôle d’« ignorant » rebelle, parce que l’auteur doit
encore clarifier avec son aide d’autres vérités, en faisant chanceler non seulement la rigueur
de la beauté de l’icône d’Evdokimov, mais bouleversant aussi l’inertie, fixée par la tradition,
d’un certain mode de pensée (ou de non-pensée) sur la divinité. Ainsi, le maître Andrei se
défend-il de la réprimande du hiéromonaque Iosif, en motivant cette fois-ci le fait de ne
pas avoir mis Abraham et Sarah dans l’icône au lieu fixé par la tradition iconographique,
c’est-à-dire « derrière l’hôte du milieu », celui qui aurait occupé « la place d’honneur », parce
qu’on ne pouvait savoir où cette place d’honneur était. Et, pour convaincre ses
contradicteurs, il déclare qu’ « entre les trois invités, quelle que soit leur place respective à
table, on peut imaginer les côtés d’un triangle, aux sommets duquel se trouvent, donc,
eux » : il inscrit même le triangle dans un cercle, en leur demandant d’une voix triomphale :
« si, d’un côté, la table des hôtes était ronde et si, d’un autre côté, les invités ne pouvaient
pas avoir entre eux qu’une même distance, où est donc la tête de la table, c’est-à-dire la
place d’honneur derrière laquelle devrais-je asseoir Abraham et Sarah ? » Il est évident que
le maître n’avait pas encore renoncé à son idée initiale de placer la Sainte Trinité dans un
plan transcendant, le cercle étant ici « symbole du monde spirituel, invisible et
transcendant ». (Chevalier ; Gheerbrant, 1994 : 294)
Inspiré par l’entêtement du maître sur sa position, le hiéromonaque Iosif décide
d’inscrire le cercle dans un carré, « de sorte que l’un des sommets du triangle atteigne le
milieu de l’un des deux côtés »; ainsi, les deux autres sommets « n’atteignent plus les côtés
du carré, mais restent à l’intérieur », et il conclut que « en gardant et le triangle et le cercle »,
« la place de choix ne peut être que celle qui touche le côté du carré » (p. 255). Il est bien
connu que le carré « est le symbole de la terre », et que le « cercle et le carré symbolisent
deux aspects fondamentaux de Dieu : l’unité et la manifestationdivine. Le cercle exprime le
céleste, le carré le terrestre, ce dernier pas tellement comme opposé du céleste, mais
comme créé par le céleste. Il y a distinction et partage entre cercle et carré ». (Chevalier ;
Gheerbrant, 1994 : 50, 54) Les deux opposants réussissent ainsi, l’un à l’aide de l’autre, à
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Geta MOROŞAN – „Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
offrir une démonstration « à la mesure de l’homme », sur la façon dont « le divin et
l’humain s’unissent sans se confondre et sans se séparer ». (Evdochimov, 1993 : 56)
Il paraît que le maître ait enfin compris pourquoi il existe une seule place
d’honneur ; c’est uniquement puisque le divin et l’humain se touchent par un seul moyen.
Néanmoins, il revient à ses questions initiales : « qui exactement se trouve au-delà? » et
« Pourquoi à cette place-là, dite d’honneur ou située en tête de table, doit-il y avoir toujours
un seul et même invité ? »La réponse du hiéromonaque, rappelant que l’on « connaît » le
fait que « cette place-là est celle d’Elohim » révolta à nouveau le maître Andrei, qui « éleva
la voix », en lui répliquant : « Nul n’en sait rien » et, trahissant pour un moment son rôle d’
« ignorant », il donne à comprendre que ce n’est pas par l’intelect que l’on accède à un tel
type de connaissance.
La réponse à une telle question, le « dénouement » de ce mystère ne peuvent venir
– la preuve en est dans la suite du déroulement des faits – que par le vécu personnel et par
un autre type de connaissance. Et, pour illustrer ce type spécifique de connaissance,
l’auteur fait appel maintenant aux instruments du fantastique littéraire, qui acquiert dans ses
textes des nuances d’une originalité certaine, puisque, comme on a pu le dire, « ce qu’on
appelle couramment l’horizon fantastique de ces proses appartiendrait plutôt aux
ouvertures vers le sacré que pratique un esprit religieux ». (Ungureanu, 2003 : 56) Les
personnages, le maître Andrei, avec sa femme, Asineta, et l’apprenti vivront ensemble la
révélation de la rencontre avec la divinité, par l’entrée dans le temps sacré, puisqu’ils sont
les élus, puisque « le temps historique s’ouvre sur le temps sacré pour les seuls yeux de la
foi ». (Evdochimov, 1993 : 116) Et afin que le miracle de ce mystère devienne possible, le
réel montre les signes d’une transformation préliminaire : tout d’abord, on constate au
couvent la disparition mystérieuse des trois maîtres en peinture, qui « étaient partis avant
l’aube, sans mot dire à quiconque, ni sur les raisons du départ ni sur leur destination », en
laissant le travail inachevé ; ensuite, le temps s’adoucit soudainement, dès le matin (« il ne
faisait pas froid, il ne ventait pas »), et le lieu où se trouvait le couventfut enveloppé « de
brouillards de fin de septembre, blancs et doux, surplombant légèrement les forêts » (p.
256) ; mais cet espace, protégé et délimité de telle sorte qu’il devienne un réceptacle du
sacré, se devait aussi d’être retiré du profane, purifié de toute manifestation de la nonvérité ; c’est cela la signification de l’évocation de l’étrange histoire de l’icône de Sainte
Marie, « offerte au couvent par l’égumène Ioan de Hureziet gardée, jusqu’au temps de la
consacration de l’église », dans une pièce qui servait de chapelle.
Cette icône, « habillée d’or » avec un talent inouï et beaucoup louée, « protégée
dans un ciboirefermé sur les côtés avec de l’argent et devant par une vitre épaisse et claire,
par laquelle la chaîne de pierres précieuses qui décorait le cou de la Vierge acquérait un
éclat encore plus vif », subit trois jours de suite l’intervention d’un pouvoir mystérieux, qui
dévoile le mensonge caché sous les apparences de sa beauté trompeuse : le premier jour, la
supérieure trouve le collier du cou de la Vierge à terre, les pierres dispersées, et le maître
découvre que celles-ci ne sont pas de vraies perles, des topazes et des émeraudes, comme
ils l’avaient cru, mais seulement « du verre coloré » ; le lendemain, il s’avéra que l’or qui
couvrait l’icône était en réalité du cuivre, qui, au contact de l’air, s’était couvert de vert-degris (puisque le maître avait cassé la vitre pour accéder au collier, avec l’intention de le
réparer), et le surlendemain, la supérieure et les trois qui étaient restés au couvent
furentsaisis de tremblement par une « vue (...) absolument terrifiante » : « le cadre de l’icône
était détaché sur les côtés et il gisait renversé au pied de l’ostensoire. Sur le bois, on
n’apercevait que les visages de la Vierge et de l’Enfant, flottant dans le champ vide (...). (...)
deux têtes détachées de leurs corps et sans nul autre appui matériel, fût-il une pique ou un
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Geta MOROŞAN – „Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
pieu » ; le peintre inconnu « n’avait écrit sur le bois que ce qui allait rester visible, c’est-àdire seuls les visages, ce qui était une vraie blasphémie ». (p. 259).
L’omission du peintre est si sévèrement qualifiée par le narrateur non seulement
parce qu’elle est la preuve de la superficialité et du manque de dévotion, mais parce qu’elle
représentait, dans une autre variante, la répétition de l’erreur de l’icône de Rublev, en
offrant la même fausse vision de la séparation du spirituel et du corporel, du matériel.
D’autre part, les prodiges qui se produisent autour de l’icône ne constituent pas le
seul élément mystérieux des actes précurseurs du grand Evénement ; entre les moments de
découverte des faux et des mensonges, le narrateur introduit les histoires des bonnes sœurs
qui apportaient de la nourriture au couvent, relatant à propos des apparitions et des
disparitions inexpliquables des trois étrangers, vus se reposer chaque fois au même endroit,
« sur le petit chemin surplombant le ravin», sur la même pile de bois. Le narrateur
maintient une ambiguïté qui protège encore la logique du sens commun au sujet de leur
identité. Leur présence dans un endroit aussi solitaire, leur façon de se cacher du regard des
bonnes sœurs, comme s’ils n’avaient pas voulu être reconnus, justifiait le maître Andrei
dans sa supposition qu’ils pouvaient être les trois maîtres qui avaient quitté en cachette,
« avant l’aube », le couvent, voulant arriver chez l’égumène Ioan de Hurezi. Mais on apprit
qu’ils n’y étaient pas parvenus et cela ne manqua pas d’intriguer maître Andrei, qui
commença à se poser des questions et à comprendre que « ces étrangers-là » n’étaient pas
« des voyageurs/pèlerins quelconques », puisqu’ils ne s’étaient pas éloignés après s’être
reposés, mais ils étaient restés dans les environs (p. 260).
Les moments de tension lors de la confrontation entre le hiéromonaque Iosif, qui
ne le « deliver » pas de sa question persistante, ainsi que le troublant événement autour de
l’icône, enveloppé de mystère, ont pour mission de faire monter l’émotion du maître, au
fur des vérités démontrées ou suggérées progressivement, d’activer et d’intensifier son
intuition, en le préparant à l’expérience du sacré. Pour le moment, le maître se montre
hanté par le soupçon qu’il « pourrait y avoir un lien » entre « les histoires de l’icone » et
l’apparition répétée des trois inconnus dans la proximité du cloître, convaincu qu’ « une
telle icône ne peut faire de miracles ». Mais les soupçons et la convictions du maître
semblent, de nouveau, plutôt un stratagème apte à provoquer l’ « apprenti » à reconnaître,
fût-ce indirectement, que ses puissances s’étaient accrues.
A partir de ce moment, à travers son comportement, maître Andrei se montre
toujours plus distrait face à la réalité de son temps : « il n’avait plus la tête au travail. Il se
mouvait d’une part et d’autre, sans but, et sans rien accomplir », et il regarda plusieurs fois
« dans les solitudes profondes émanant de Râpa Naltă (Haut Ravin). Il regardait au loin,
comme s’il était en train d’attendre quelqu’un ». Mais, quoique « personne ne se montrât »,
dès que « l’après-midi toucha à sa fin », maître Andrei agit avec une détermination qui
prouvait qu’il avait acquis une certitude : tout d’abord, il ordonna à Asineta de mettre la
table, en la couvrant « du napperon neuf », d’enfourner le pain « pétri de la meilleure
farine » et de mettre « quelque bon morceau de viande à frire », « pour que la nourriture
soit bonne et suffisante », et il conseilla son apprenti à « changer ses vêtements de travail »
avec d’autres, propres, signe qu’il était en attente d’invités. Il s’entend avec son apprenti en
peu de mots : « – Croyez-vous, maître, qu’il viendra ? ! – Le coeur me le dit… ».
A la tombée de la nuit, le pressentiment que les hôtes s’approchaient du cloître
détermina le maître à sortir de la cour et à s’avancer à leur rencontre. Soudain, « au sommet
de la colline apparurent trois silhouettes humaines, qui ne se dirigèrent pas vers le cloître,
mais tournèrent vers le Ravin, sur un chemin qui semblait être uniquement le leur ».
L’image encore incertaine des trois inconnus surgissant comme « silhouettes humaines »
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Geta MOROŞAN – „Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
sur une certaine hauteur, souligne, semble-t-il, l’extension à l’infini de la perspective,
comme s’ils avaient parcouru les eaux ondoyantes du temps pour arriver ici, et elle marque
de façon presque insaisissable la descente du temps sacré (liturgique) en temps historique.
Le maître les appelle (« – Hé, (...), bonnes gens ! »), « en leur faisant des signes
engageants, en baissant son bras jusqu’à terre », tandis que « vsur son visage s’était figé un
grand étonnement ». Pour que de tels hôtes s’approchent, il faut les attendre avec
détermination et patience, les appeler avec ardeur, les « tenter » avec insistance et humilité,
comme le fit maître Andrei, dont les gestes sont une métaphore de la prière. Les voyageurs
s’arrêtèrent uniquement pour se reposer, sur la même « pile de bois », mais à présent leur
image était plus claire pour les yeux du maître et de son apprenti : ils « étaient jeunes,
portaient de hautes et fines cannes, comme leur taille, et on ne pouvait les distinguer que
d’après leurs habits, même si ceux-ci avaient la même coupe, c’est-à-dire un long vêtement
sacerdotal par-dessous et un vêtement riche par-dessus (...). Les couleurs étaient
différentes, mais guère faciles à distinguer. Par exemple, le pèlerin du milieu avait le
vêtement du dessus d’un rouge sang, alors que ceux des deux autres étaient bleus. Nos
yeux se fixèrent alors sur les couleurs des longs vêtements du dessous. Celui du pèlerin du
milieu était bleu, raison pour laquelle Andrei et moi chuchotâmes que, faute d’un nom,
nous pouvions l’appeler Saphyre. Celui de droite portait un vêtement couleur du sang ;
donc, Rubin. Celui de gauche, portait un rouge clair et nous nous empressâmes de l’appeler
Porphyre. Tout cela pour pouvoir les suivre sans les confondre. » (pp. 261-262). C’est ainsi
qu’explique l’auteur-orateur, d’abord à travers les couleurs, l’unité de nature ou d’essence
entre les Trois Personnes (Hypostases) de la Sainte Trinité, formulée de façon lapidaire
dans les écrits dogmatiques, avec un plus de chaleur dans la variante que nous offre D.
Stăniloaie : « L’être unique de l’existence suprême (...) est lui-même, dans toute sa puissance
et son amour libre, dans chacune des Trois Personnes ». (Stăniloaie, 1993 : 99)
La même idée sur l’identité d’essence est reprise par notre auteur, dans sa tendance
spécifique à multiplier les exemples explicatifs, par la description de l’aspect physique des
Trois visages de la Sainte Trinité : « D’une part, ils ressemblaient au visage du papier
apporté par le négociant Toma. D’autre part, les têtes des trois étaient semblables les unes
les autres, avec les mêmes chevelures bouclées et ramenées en arrière dans une courte
crinière, les mêmes yeux sereins, la même joue claire, le même cou jeune, tout était fait
d’après la même coupe, comme il se fût passé si un peintre avait utilisé la même matrice
pour trois saints avoisinants. Il devenait maintenant plus clair que leurs êtres ne se
distinguaient par rien d’autre en dehors des couleurs de leurs habits. » (p. 262).
Ainsi, la Sainte Trinité se montre-t-elle à l’homme uniquement à visage humain,
puisque quoique « en soi, Dieu est par-dessus toute image (...) son visage tourné vers le
monde s’en approprie la vue ; il trouve une image convenant au mystère de son Amour des
humains ; telle est l’apparence humaine ». (Evdochimov, 1993 : 169) Et dans la modalité de
communication entre divin et humain ce n’est pas la parole qui est utilisée, mais cette
faculté de percevoir « de l’intérieur » la pensée transmise : « Et il se passait une autre chose
inhabituelle encore personne ne parlait, mais tous se comprenaient. C’était comme s’ils
s’étaient parlé à l’intérieur, dans un langage qui n’avait pas besoin de paroles. Je crois que
dans ces circonstances-là il ne pouvait pas y avoir d’autre moyen de communication » (p.
262). Et puisqu’il s’agit d’une vérité vécue, l’apprenti (auquel s’identifie le narrateur) avoue :
« les hôtes en visite et ceux d’accueil ne s’entendaient pas seulement entre eux, mais je les
entendais moi-même, comme si on m’avait fait don d’une ouïe intérieure » (p. 262);
autrement dit, l’apprenti reçoit le don d’une « ouïe liturgique ».
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Geta MOROŞAN – „Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
Une autre précision doit être faite à l’égard de l’auditeur/lecteur et elle porte sur la
position fixe qu’occupe chacune des Trois Personnes : « en nulle circonstance ils ne
changeaient de place, Saphyre se tenait toujours au milieu, tandis que Rubin et Porphyre se
tenaient l’un à sa gauche, l’autre à sa droite et en arrière d’un demi-pas. Cela semblait être
un ordre auquel ils ne se soustrayaient jamais » (p. 262). Cette image confirme pour le
lecteur la justesse de la démonstration du hiéromonaque Iosif, celle liée à la figure
géométrique du triangle inscrit dans un cercle, inscrit, à son tour, dans un carré (symbole
de la terre), pour révéler la vérité selon laquelle seul « l’un des sommets du triangle » atteint
« le milieu de l’un des côtés du carré », alors que « les deux autres (…) restent à l’intérieur ».
Les couleurs des vêtements, différentes par des détails qui peuvent échapper au
spectateur inattentif, et le lieu fixe gardé par chaque Personne dans la hiérachie secrète de
la Trinité ne peuvent être identifiés qu’à travers une présentation « en marche », car, dit
l’auteur, « l’éternité ne se laisse découvrir que si on la met en mouvement » (p. 264). Par
conséquent, l’écrivain ne se résume pas à décrire une image iconographique statique de la
cène sacrée, susceptible d’être contemplée plutôt esthétiquement, mais il crée, au
contraire, par la puissance des mots, une véritable icône vivante de celle-là, en lui
restituant la fonction de « visage visible des choses invisibles » (Evdochimov, 1993 : 169) :
il met ses personnages « en mouvement », en les évoquant dans leurs tourments, dans
l’agitation et les gestes d’accueil, en montrant comment la divinité s’approche et se montre
à l’homme, comment s’est déroulée la cène et les gestes des participants, en réussissant
ainsi à rendre plus facilement perceptibles ses troublantes significations.
La scène de l’hospitalité constitue le point culminant de cette démarche narrative
d’une persistante intentionnalité didactique. Par contraste avec les moments d’agitation, de
trouble, de suppositions et de doute, précédant l’accueil des invités, la cène se déroule dans
une atmosphère de paix, de sérénité et de calme, où des gestes participant d’un rituel
s’accomplissent avec une solennité naturelle, suivant un ordre imposé depuis les débuts des
temps ; la dame Asineta venait de mettre la table et « dans l’air abondait l’odeur de pain
d’azyme chaud » ; « le crépuscule tombait en silence, les brouillards se dissipèrent, l’air était
chaud et amical » ; invités à s’asseoir, « les hôtes demandèrent la permission d’entrer
d’abord dans l’église et de prier, alors même que lasainte demeure n’était encore consacré
ni la peinture achevée ». Leur geste avait, bien entendu, une double et secrète signification :
d’abord que désormais la petite église pouvait être un réceptacle pur de la théophanie, la
maison de Dieu, porteuse de la présence du Saint Esprit ; et puis l’idée que seulement à
travers l’églisela divinité peut réaliser la communion avec l’homme, « à la mesure de
l’homme », tout en gardant l’énigme de l’identité de chacune des Trois Hypostases : à la
sortie de l’église, « les invités se montraient différents. Ils avaient changé d’habits, et ceux-ci
étaient maintenant, tous, d’une même couleur, gris, de sorte qu’il n’y avait plus de
différences, l’un pouvant passer pour l’autre ». Par conséquent, maître Andrei se vit encore
une fois dans l’impossibilité de connaître qui était celui qui occupait « la place d’honneur »
devant la chaumière. Lui et Asineta « se tenaient debout, prêts à servir derrière le siège
placé en direction de la tente », alors que l’apprenti était placé « de l’autre côté, ayant en
face de lui celui qui occupait „ la place d’honneur” » ; ainsi, dans cette seule circonstance,
l’apprenti est consacré comme « le Fils », seul Lui, porteur d’une nature divine et humaine,
pouvait regarder « en face » Celui du milieu et pouvait se mirer dans l’archétype de son
identité divine.
Attablés, les Trois « commencèrent à se régaler sobrement, en goûtant un peu de
tout », autrement dit, ils bénissaient les mets ; « ils ne burent pas de vin, mais celui près de
la chaumière leva le verre qu’il avait en face de lui et le tendit, tour à tour à Andrei et à
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Geta MOROŞAN – „Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
Asineta. Ils goûtèrent et leurs visages s’illuminèrent ». Ensuite il le tendit à l’apprenti : « J’y
goûtais et je m’illuminai », avoue-t-il. La signification de cette séquence est que l’être des
trois terriens a été purifiée, transfigurée par le don du Saint Esprit ; ou, comme on l’a dit,
« les attributs bien connus de l’esprit sont la Vie et la Lumière ». L’Esprit – selon
l’explication offerte par Saint Siméon – « transforme en lumière celui qu’elle illumine. Plus
que cela, il est la source de toute connaissance ». (Evdochimov, 1993: 12) En fait, ce qui se
passe lors de cette cène prend le visage d’une liturgie cosmique, à laquelle l’homme
participe nécessairement, car il est « co-producteur de liturgie, à l’œuvre avec Dieu »
(Evdochimov, 1993: 52), et où s’accomplit le miracle de l’eucharistie complète : la
matière cosmique (le pain, le vin, la viande, etc.) est « changée en cette matière céleste
qu’est le corps transfiguré du Christ », administré comme sacrement à l’homme. Plus que
cela, la divinité elle-même reçoit la communion des fruits sur lesquels elle avait fait son
œuvre sainte, l’image symbolisant « la communion (…) de l’être créé (…) avec l’incréé des
énergies divines » (Evdochimov, 1993 : 32),ou, avec les mots de l’auteur, « le mariage des
choses d’en bas avec celle d’en haut ».
A la fin de la cène, « quelques petits oiseaux descendirent des branches et se
mirent à picorer autour de la table », signe que tout le cosmos était sanctifié par la
communion avec la grâce divine : « La liturgie n’est pas (…) une simple réplique du céleste,
mais son jaillissement dans l’histoire. Dieu descend, sanctifie les âmes, mais aussi toute la
nature et les espaces cosmiques ». (Evdochimov, 1993 : 109) Et chaque fois qu’elle
s’accomplit, elle se réitère comme acte sacré primordial, placé « in illo tempore », au temps
sacré : « le mémorial liturgique (…) ne comprend pas des images du passé, mais les
événements eux-mêmes, dont nous devenons contemporains ». (Evdochimov, 1993 : 117)
Avant de s’en aller, les hôtes entrèrent à nouveau dans l’église et, à la sortie, « leurs
habits étaient comme au début, mais ils se mouvaient dans le même ordre, à savoir Saphyre
au milieu, Rubin à droite et Porphyre de l’autre côté ». Leur éloignement du cloître « à
travers le chemin qui se perdait quelque part au loin, dans l’horizon sombre de Gomorrhe »
(p. 263), marque la clôture du temps sacré.
Dans la séquence finale, le dénouement, les personnages rentrent dans le temps
historique, mais un temps régénéré par la descente de la grâce du Saint Esprit. Après le
départ des hôtes, maître Andrei, « sous l’impulsion d’une flamme intérieure », se mit à
refaire l’icône de la Sainte Trinité, « et il mit à leurs places Abraham et Sarah », comme un
homme qui « avait été éclairé », qui « avait vu » et compris pourquoi la présence de ceux-ci
était nécessaire, avec la Sainte Trinité, dans l’espace sacré de l’icône. Il n’est pas dépourvu
de signification, concernant cette nouvelle vision, révélée dans le texte, quant au rôle de
l’humanité dans l’accomplissement du plan divin, le fait que, dans la bande en-dessous du
Pantocrator, laissée inachevée par ses compagnons, le maître, « saisi de fièvre et comme
pressé pour ne rien oublier de ce qu’il avait tout frais dans son esprit », peint, dans la nuit
même, « la ronde unique des six icônes qui racontent la halte de ce soir-là » (p. 264), et non
la Passion ni la Crucifixion, ou encore la Descente aux enfers et l’Ascension, comme il
l’avait initialement prévu.
Dans cinq des six icônes, « le maître avait pris soin de garder les couleurs des
vêtements tels que les voyageurs les avaient portés en marchant. Mais dans la quatrième, qui
figurait la cène, tout comme dans l’icône patronale, où ils sont vus « paisiblement autour de la
table, leurs habits étaient pareils, semblables à l’énigme qu’ils portaient, en cachant l’identité
de chacun des trois » (p. 264). C’est pourquoi, maître Andrei, qui a compris le sens de « la
visite », reste encore « travaillé » (ou peut-être tel reste le lecteur !) par la pensée que « jamais
nous ne pourrons peut-être savoir qui se met à la place d’honneur ». Toujours lié à son
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Geta MOROŞAN – „Tustreiul”/« La Trinité ». Temps historique – temps sacré
« ignorance », il y a le fait que c’est à ce moment-là seulement qu’il s’adresse à son apprenti en
l’appelant « mon fils », puisque « personne ne peut dire : Jésus est Dieu, s’il ne le fait en étant
pénétré de l’Esprit Saint ». (Evdochimov, 1993 : 10) Ainsi, si lui-même ne pouvait savoir, il
savait qui pouvait l’aider à savoir. Ce n’est pas par hasard qu’il se plaint auprès de son
apprenti, dans lequel il reconnaît son « fils » : « Que ne donnerais-je pour savoir qui j’ai servi
hier soir, qui a été celui qui tourna son regard versle verre auquel nous goûtâmes ! »
Parcouru d’« un frisson au dos », en entendant son maître l’appeler de ce nouveau
nom, l’apprenti, « le fils », « se vit souffler sur l’icône qu’il avait en face » (la quatrième) et
« [sa] buée déposa sur elle tout un long siècle. Des habits gris jaillirent les couleurs
fermentées dans le crépi, au bout d’inconnues transformations : à la place d’honneur
siégeait Porphyre, ayant à sa droite Saphyre, et celui-ci gardant à sa droite Rubin ». En
d’autres termes, l’ordre était inchangé, mais le fait qu’à la place d’honneur on voyait
Porphyre (c’est-à-dire le Saint Esprit) peut renvoyer à deux significations : l’une serait que
la roue du temps profane avait tourné et que le maître regardaient les Trois depuis son
point, la seconde est liée à la vérité révélée par le « Dogme trinitaire », selon lequel « si le
Fils est Parole que le Père prononce et qui prend corps, l’esprit est celui à travers lequel elle
se manifeste, celui grâce auquel elle peut être entendue et qui nous offre la possibilité de Le
connaître à travers l’Evangile ; Lui-même reste néanmoins caché, secret, silencieux (...) ».
(Evdochimov, 1993 : 10)
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