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Obéissance à la loi ?

2015, Pouvoirs

Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l'adresse Article disponible en ligne à l'adresse https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2015-4-page-73.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s'abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Obéissance à la loi ? François Sureau Dans Pouvoirs 2015/4 (N° 155), 155) pages 73 à 80 Éditions Le Seuil © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2015-4-page-73.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) ISSN 0152-0768 ISBN 9782021232684 DOI 10.3917/pouv.155.0073 Fr a n ç o i s S u r e au OBÉISSANCE À LA LOI ? © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) ur plusieurs drapeaux de la Révolution, conservés au musée Carnavalet à Paris, on peut lire ces mots : « obéissance à la loi ». D’autres mentionnent : « liberté, égalité, fraternité, ou la mort ». Ainsi donc la vie, la vraie, la seule, devait naître de cette soumission à la loi, instrument du projet républicain. Des bruits mécaniques et pré-totalitaires sortaient bien sûr de cette fabrique de l’homme nouveau. Reste que la France a vécu pendant deux siècles de ces principes, auxquels la tournure d’esprit de la fin du xixe a donné, malgré les embardées de la persécution anticatholique, un air plus aimable. Se combinaient alors l’idée et le réel : l’idée, c’était que la vie ne valait pas d’être vécue sans que les droits du citoyen libre fussent garantis, et de manière égale, par l’effet de la loi. Le réel, c’était la France, relue par Michelet, Lavisse et Malet-Isaac, cet espace romancé, presque magique, où devait s’incarner, malgré les erreurs, à travers les vicissitudes, la conscience universelle d’un homme à la fois enraciné par nature et cosmopolite par destinée : les républicains sont des hommes, les esclaves sont des enfants, comme on peut l’entendre dans le « Chant du départ ». L’obéissance était donc un devoir sacré. Les lycées eux-mêmes copiaient les casernes et, sur les photographies, Lautréamont, Rimbaud, Vallès jeunes ressemblent à des élèves officiers. Les ordres militaires s’exécutaient « sans hésitation ni murmure ». Les juges, du tribunal de police à la Cour de cassation, n’étaient que la « bouche de la loi », renfermés dans le prononcé des sentences et l’application du tarif. Chaque mois, le La Martinière quittait Saint Martin-de-Ré pour le bagne de Cayenne, et, tous les trente ans, la guerre venait réconcilier les hommes et les femmes, et mettre à l’épreuve l’esprit de sacrifice. C’était un monde dur, assez vite borné par la mort, où l’on ne plaisantait pas. P O U V O I R S – 1 5 5 . 2 0 1 5 73 © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) S F R A N Ç O I S S U R E A U 74 © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) Mais ce monde a cédé sous son propre poids, entraînant avec lui le rêve de la loi et l’idée d’obéissance absolue qui l’accompagnait. La grande époque libérale de l’idéal républicain s’est achevée dans la guerre civile européenne de 1914-1918, opposant des pays qui, pour l’essentiel, partageaient la même ambition émancipatrice, ouvrant la voie à ce grand procès en imposture dont l’art de l’entre-deux-guerres a recueilli les traces. La vogue des totalitarismes a conduit le xxe siècle sur le chemin de la déréliction politique et morale. Au centre du procès d’Eichmann, on trouve la question de l’obéissance. L’administration, les juges de la France occupée, n’ont pas mis trois semaines, l’extraordinaire journal de Maurice Garçon en témoigne 1, pour abandonner les principes les mieux assis, poursuivant sans ciller leurs carrières – jusqu’assez loin dans l’après-guerre. Le droit positif compromis par le statut des juifs, la nation discréditée par son abaissement, l’Europe et les droits de l’homme – traité de Rome, Convention européenne des droits de l’homme –, sont venus combler un grand vide politique et moral. Dans ce contexte nouveau, la question de l’obéissance à la loi se pose de manière différente, pour plusieurs raisons. En premier lieu, comme le relève Pierre Manent dans La Raison des nations 2, le « projet occidental » sur lequel se fonde la philosophie des droits et la philosophie de l’Europe apparaît, après bien des vicissitudes historiques, réalisé : la relative égalité des conditions sociales et l’égalité devant la loi. L’échafaudage juridique subsiste, mais le bâtiment est apparemment construit. On en prend l’impression – souvent fausse – qu’on pourrait le démonter par endroits (pour assurer plus de sécurité, plus de répression, ou moins d’immigration) sans trop de dommages. En deuxième lieu, la mobilisation collective, même implicite, à laquelle ce projet avait donné lieu, apparaissant désormais vaine, elle se trouve remplacée par les vagues successives des revendications particulières visant à établir, au bénéfice de chaque groupe intéressé, des droits de créance sur la société immobile dans laquelle nous vivons (lois mémorielles, particularismes sexuels, etc.). En troisième lieu, le surgissement du droit naturel, conséquence de la faillite morale du droit positif, ébranle l’institution judiciaire dans les fondements de son activité intellectuelle (Convention européenne des droits de l’homme, question prioritaire de constitutionnalité). En quatrième lieu enfin, le 1. Maurice Garçon, Journal (1939-1945), Paris, Les Belles Lettres, 2015. 2. Paris, Gallimard, 2006. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) Origines O B É I S S A N C E À L A L O I ? cadre national, qui était jusqu’alors le cadre naturel de la garantie des droits et de la réalisation du projet émancipateur, cède devant le progrès du droit européen, animé à la fois par des valeurs communes et par une énergie technocratique inentamée, d’autant plus facilement que le patriotisme, jugé coupable, inutile ou daté, s’affadit dans les consciences. À chaque instant donc, l’obéissance à la loi peut être mise en cause, y compris par ceux qui ont la charge de la faire respecter. D’absolue, elle est devenue contingente. Je ne sais pas s’il faut s’en plaindre ou s’en féliciter. On peut y voir les signes avant-coureurs de la dislocation du système des libertés ou, au contraire, l’indice d’une plus grande fidélité au réel dans la poursuite du respect des droits. Je voudrais en donner quelques exemples tirés de l’histoire juridique récente. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) Dans la conception ancienne, où la loi ne peut mal faire et où force doit lui rester, la désobéissance était à peu près impossible. Désobéir, ce n’était pas seulement faire preuve d’esprit d’insoumission, c’était, plus profondément, compromettre cet avenir radieux que l’obéissance préparait. La désobéissance ne pouvait se concevoir que sur un mode révolutionnaire ou pathologique. Les tempéraments étaient peu nombreux. Ils tenaient soit à la substitution d’un ordre à l’autre en période de circonstances exceptionnelles (la « désobéissance gaulliste » face au régime de Vichy), soit, dans l’ordinaire des jours, à ces concessions sociales (droit de grève dans la fonction publique) ou morales (l’ordre manifestement illégal) justifiées par exception. Conséquence de l’évolution rappelée plus haut, le refus d’exécution de l’ordre illégal s’est vu plus largement consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 3. Dans le même temps, la Cour investissait le champ de l’obéissance pour réduire la portée d’exceptions autrefois généralement admises : 2 octobre 2014, Mattely c. France, sur le droit syndical et la liberté d’association des militaires. On se reportera aussi là-dessus à l’article de la professeure Lochak sur les lanceurs d’alerte, sujet désormais largement débattu 4. Mais il ne s’agit là, en définitive, que de progrès dans l’application d’une norme ancienne. Plus préoccupant est le surgissement d’une hypothèse 3. cedh, 12 février 2008, Guja c. Moldavie ; et 8 janvier 2013, Bucur et Toma c. Roumanie. 4. Danièle Lochak, « L’alerte éthique, entre dénonciation et désobéissance », AJDA, 2014, p. 2236 et suiv. 75 © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) L’ a v è n e m e n t d e l a d é s o b é i s s a n c e l é g i t i m e F R A N Ç O I S 76 S U R E A U de désobéissance rendue possible par l’affadissement du caractère « transcendant » de la loi, justifiant qu’on s’abstienne de l’exécuter lorsqu’elle vous déplaît et qu’on milite pour une abrogation que l’accoutumance à l’instabilité législative rend en effet possible. Sous ce rapport, les destructeurs de maïs transgénique, tout comme les maires refusant de marier les personnes de même sexe, sont moins, pour de larges fractions de l’opinion, des coupables que des précurseurs, qui attendent simplement dans l’illégalité que l’illégalité disparaisse par l’effet d’un changement de la loi. Que le Conseil constitutionnel ait, à juste titre, refusé d’admettre la clause de conscience de l’officier d’état civil ne change rien 5. L’hypothèse de l’abrogation fait partie du débat politique, et ce fait en lui-même est significatif. Il est assez logique qu’il en aille ainsi, puisque la loi désormais vise moins à fixer des normes intangibles qu’à procéder à des ajustements. Sous ce rapport, l’usage administratif de la loi, sa substitution au règlement, le fait qu’il soit devenu un simple prolongement du discours politique, son caractère émotionnel, et pour finir la prolifération qui en résulte, ne contribuent pas peu à entraîner une désaffection qui en retour rend toute désobéissance moins coupable. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) On en voudra pour preuve l’apparition d’un phénomène assez nouveau : la désobéissance à la norme des institutions chargées de la faire appliquer. Jusque-là exceptionnels, ces comportements deviennent plus fréquents, au point qu’on peut essayer d’en faire la typologie. J’en exclus tout d’abord ce qui ne relève pas de la désobéissance, mais du dialogue des juges dans un univers incertain, où la validité de la loi française peut, dans des ordres de juridiction différents, être contestée par rapport aux normes européennes, constitutionnelles ou conventionnelles. Même en cas de persévérance dans des solutions différentes 6, il ne s’agit pas là de désobéissance mais du jeu d’appréciations complexes 5. Décision 2013-353 QPC du 18 octobre 2013. 6. cedh, 2 février 2012, I. M. c. France : la cedh sanctionne l’absence de recours suspensif dans la procédure « prioritaire » qui autorise le renvoi de demandeurs d’asile dans leurs pays avant la fin de l’examen de leurs craintes d’y être persécutés et la juge incompatible avec les obligations issues de la Convention européenne des droits de l’homme ; 26 juin 2014, Mennesson & Labassée c. France : la France est condamnée pour son refus de transcrire sur l’état civil français l’acte de naissance d’un enfant né par mère porteuse à l’étranger ; et 14 octobre 2010, Brusco c. France : la cedh estime que le droit français ne répond pas aux exigences du procès équitable et que les personnes gardées à vue doivent pouvoir bénéficier d’un avocat dès le début de la procédure et durant tous les interrogatoires. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) L a d é s o b é i s s a n c e d e l’ É tat À L A L O I ? © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) dans un univers globalement plus favorable aux libertés individuelles. J’en exclus aussi des manifestations que tout le monde connaît, mais qui n’ont jamais pour autant que je sache donné lieu à des sanctions significatives ou à des arrêts de principe, et d’abord la violation fréquente par les juges d’instruction, au bénéfice de la presse qui les encense, du secret de l’instruction, c’est-à-dire, en pratique, de la présomption d’innocence. On peut en premier lieu relever les cas de refus d’exécution directs de la part de l’État, refus qui n’est guère sanctionné, qu’il s’agisse de la carence à exécuter les jugements (le cas est très fréquent en matière de demande d’asile 7) ou, plus significativement, de la rébellion pure et simple. On connaît l’exemple de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré, où deux décisions rendues à cinq ans d’intervalle ont été nécessaires pour obtenir l’application de la norme 8. La réticence de l’administration – sur laquelle les ministres paraissent, trop adonnés qu’ils sont aux congrès et aux réseaux sociaux, insusceptibles d’exercer une autorité suffisante – à se plier à une norme qui lui déplaît ou remet en cause ses pratiques a été de nombreuses fois commentée. Deviennent également courants les refus d’exécution indirects, lorsque l’administration reprend à l’identique une mesure annulée par le juge 9. Sont assimilables à ce cas les occurrences où l’administration réintroduit par voie de circulaire des dispositions dont l’illégalité a été constatée par le juge, par exemple en ce qui concerne le compte nominatif des détenus 10 ou le mode de calcul de l’aide juridictionnelle 11. La matière du droit d’asile offre quantité d’exemples navrants et rarement sanctionnés de refus d’exécution résultant de la pratique, essentiellement préfectorale : refus, ou délais injustifiés, de délivrance de la liasse ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour les réexamens, contraires à la jurisprudence 12 ; refus d’examen personnalisé de la situation du demandeur pour l’application de la clause de souveraineté, en ce qui concerne les renvois dans un autre État de l’Union européenne selon les règlements dits Dublin II et Dublin III 13. 7. Cf. par exemple, dans le domaine du versement de l’allocation temporaire d’attente, ta Montreuil, 26 novembre 2014 ou, dans le domaine de l’attribution de logement, cedh, 9 avril 2015, Tchokontio Happi c. France. 8. cedh, 7 juin 2001, Kress c. France ; et 12 avril 2006, Martini c. France. 9. On lira en ce sens, sur la question des fouilles, ce, 6 juin 2013, Section française de l’observatoire international des prisons. 10. ce, 18 octobre 2006, Section française de l’observatoire international des prisons. 11. ce, sect., 18 décembre 2002, Duvignères. 12. ta Cergy-Pontoise, 4 juin 2008 ; AJDA 2009, p. 60. 13. ce, 29 août 2013, n° 371572 ; et 29 janvier 2015, n° 387329. 77 © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) O B É I S S A N C E 78 S U R E A U © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) Les rapports de la Cimade 14 et du Gisti 15 présentent un désolant catalogue de ces comportements abusifs. La même matière fournit également un exemple topique, et trop rarement commenté, du refus d’exécution par simple carence. En 2010, le Conseil constitutionnel a censuré la composition des tribunaux maritimes en ce qu’ils comprenaient des fonctionnaires soumis à l’autorité hiérarchique 16. Cette jurisprudence a été confirmée par deux décisions relatives à la composition du tribunal pour enfants 17 et à celle de la commission d’asile sociale 18. Première juridiction française par le nombre de dossiers traités, la Cour nationale du droit d’asile, qui statue sur la base de principes fondamentaux, soit constitutionnels, soit conventionnels, dans un domaine hautement symbolique, rendant des décisions qui engagent la vie des personnes à un degré de gravité que personne ne conteste, peut, en l’état des textes, compter parmi ses juges des fonctionnaires en activité de service. Le Conseil d’État refuse de transmettre les questions de constitutionnalité y relatives 19, comme de sanctionner directement l’irrégularité de la composition de cette juridiction 20. Ni l’administration ni même les juridictions n’ont en ce domaine le monopole de la désobéissance à la loi. Signe du caractère désormais tout relatif de celle-ci et, en conséquence, du respect qui lui est dû, le Parlement méconnaît aussi fréquemment la portée de la jurisprudence constitutionnelle (à propos de la taxation des boissons énergisantes 21). La théorie de ces relations compliquées entre le Parlement et son juge constitutionnel a été présentée par Marc Guillaume 22. On peut penser que la suppression – hors lois de financement de l’année – de la saisine directe mettrait un terme à l’ambiguïté des rapports du législateur et du Conseil constitutionnel. D’une manière plus générale, on relèvera que le contempt of court (« mépris du tribunal ») est d’ailleurs une figure obligée de la rhétorique politique française, des propos du général de 14. Voyage au centre de l’asile : enquête sur la procédure de détermination d’asile, 2010. 15. Droit d’asile en France : conditions d’accueil. État des lieux, 2013. 16. Décision 2010-10 QPC du 2 juillet 2010, avec un commentaire aux cahiers, n° 30. 17. Décision 2011-147 QPC du 8 juillet 2011. 18. Décision 2012-250 QPC du 8 juin 2012. 19. ce, 21 octobre 2013, n° 370480 ; et 5 juillet 2013, n° 347271. 20. ce, 5 mars 2014, n° 370480. 21. Cf., en ce sens, décision 2012-659 DC du 12 décembre 2012, puis décision 2014-417 QPC du 19 septembre 2014. 22. « L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 30, janvier 2011. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) F R A N Ç O I S O B É I S S A N C E À L A L O I ? Gaulle après la décision d’assemblée Canal de 1962 à telles éructations récentes d’hommes d’État de moindre calibre. L a m i s e e n t r e pa r e n t h è s e s , f o r m e u lt i m e d e l a d é s o b é i s s a n c e 79 © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) On touche là au domaine, non plus de la jurisprudence, mais de l’impalpable. Voici plusieurs années déjà que les valeurs les mieux établies font l’objet de critiques assez rudes, par lesquelles les grands principes sont appelés à céder devant les « nécessités de l’heure ». Ces critiques sont aussi vieilles que la démocratie. Tout au long du xixe, puis du xxe, par exemple, l’idée que les méchants ne sauraient être efficacement poursuivis qu’en l’absence de l’avocat a constitué un lieu commun de la police et de la partie la plus répressive de la magistrature. Vers 1930, le président Bouchardon, qui ne passait pourtant pas pour un tendre, s’élevait déjà contre ces idées avec vigueur. Puis c’est la multiplication des garanties qui a fait l’objet des critiques des tenants d’un État plus moderne, plus fort, plus efficace, pour ne rien dire de la dévalorisation des droits « formels » par les droits « réels ». La situation redevient préoccupante aujourd’hui, l’absence de réelle culture juridique de la population et de la classe politique et administrative française empêchant de voir que la multiplication des exceptions aux principes, non seulement ne permet pas plus d’efficacité, mais dégrade le climat de liberté du pays dans son ensemble. On trouve, à l’origine de ces errements, le rêve spécifiquement moderne de l’éradication d’un mal auquel nulle philosophie, nulle religion, ne vient plus habituer le regard (prévention absolue de la récidive, éloignement des étrangers nécessairement perturbateurs, déchéance de la nationalité, lois d’exception). Cet état d’esprit se trouve aggravé par la prééminence d’un État qui ne trouve ni sa limite ni sa raison d’être dans la défense de la personne, mais se justifie par la nécessité de maintenir quoi qu’il en coûte un « ordre public » imprécis, dont l’énoncé en dit long – comme d’ailleurs l’incessante invocation de la République – sur le sentiment de fragilité qui habite la nation française. Ainsi par exemple la fonction de la justice administrative, si on la considère d’un peu loin, n’est-elle pas de défendre les libertés, mais d’enseigner à l’administration à ne point trop les méconnaître, ce qui est très différent. L’absence, à cet égard, de toute limite communément partagée ne favorise d’ailleurs pas seulement les emballements répressifs traditionnels, pénaux (l’absurde responsabilité pénale des personnes morales) ou fiscaux (la taxation à 75 % des revenus supérieurs à un million d’euros par an ou la garde à 80 S U R E A U © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) vue en matière fiscale alignée sur celle du terrorisme, deux errements heureusement censurés par le Conseil constitutionnel), mais propulse aussi la France au premier rang des pays adonnés à cette effarante législation « comportementale », dont les dispositions relatives au « paquet neutre » – c’est-à-dire à la présentation uniformisée des paquets de cigarettes – offrent un bon exemple et qui risque de transformer les pays qui y cèdent en autant d’espaces « lugubres et lunatiques », pour reprendre un mot de Simon Leys. Si l’on se porte à l’autre bord de la philosophie des droits du xviiie siècle, le bord américain, on observera qu’aucun constitutionnaliste aux États-Unis ne contestera jamais que le crime n’était ni moins douloureux ni moins blâmable au temps des Pères fondateurs qu’aujourd’hui. Cette pensée lui suffit, en général, pour mettre en balance – avec un résultat naturellement variable selon la philosophie de chacun – l’effet particulier de la mesure projetée et ses conséquences générales. Les débats récents autour de la rétention de sûreté 23 ou de la loi sur le renseignement montrent à l’inverse une résistance insuffisante de la société française aux divagations liberticides. À celles-ci, le Conseil constitutionnel est pratiquement le dernier et le seul obstacle. Qu’il faille l’en féliciter ne suffit pas à nous garantir contre toute inquiétude. Il s’agit bien ici de la désobéissance ultime, qui nous amène à nous affranchir, peu à peu et sans vraiment le savoir, des principes qui nous constituent, et sans lesquels il est à la fin impossible de légiférer ou de juger. 23. Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008. R É S U M É La notion, centrale en démocratie, d’obéissance à la loi s’est transformée au fil du temps, pour deux raisons : le sens de la norme a changé, et l’obéissance n’est plus conçue, dans les sociétés développées, en termes aussi radicaux qu’autrefois. Il en résulte une incertitude profonde sur le licite et l’illicite dont il est difficile d’imaginer les conséquences à long terme. À cet égard, l’auteur s’interroge particulièrement sur un phénomène nouveau : la « désobéissance » à la loi des organes de l’État chargés de l’appliquer, et en particulier de ceux qui relèvent de sa fonction exécutive. © Le Seuil | Téléchargé le 03/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 34.235.139.123) F R A N Ç O I S