Articles by Mathias Thura
Socio-logos, 2023
Membres du comité scientifique d’une collection de bandes dessinées sociologiques, nous proposons... more Membres du comité scientifique d’une collection de bandes dessinées sociologiques, nous proposons ici de rendre compte de notre expérience de transposition de travaux sociologiques en fictions dessinées. L’explicitation des conditions de création de la collection Sociorama chez Casterman et de production des adaptations nous amène à analyser les effets produits par le choix de ligne éditoriale sur le discours sociologique. Ce retour sur expérience souligne à quel point le processus d’adaptation a questionné les modes d’écritures académiques de la sociologie. Notre analyse souligne les réussites de la collection, mais aussi les obstacles et les limites de la mise en fictions dessinées de la sociologie.
Sociologica, 2021
As members of the scientific committee of a collection of sociological comic strips, we offer fee... more As members of the scientific committee of a collection of sociological comic strips, we offer feedback here on our experience of translating qualitative sociological research into graphic fictions. Through the presentation of main editorial choices and the organization of the adaptation work, we explain and discuss the effects produced by this type of adaptation on sociological discourse. We present a "lesson learned" from this adaptation process that disrupted and challenged the inherent assumptions of academic sociological writing. This review of Sociorama albums highlights some advantages and successes, as well as some limitations and obstacles introduced by this comic-ization.
Les Champs de Mars, 2019
À partir des années 1970, la sociologie a été mobilisée par les armées afin d’éclairer la gestion... more À partir des années 1970, la sociologie a été mobilisée par les armées afin d’éclairer la gestion des carrières et la politique de recrutement des soldats. Cadrant la question sous l’angle des problématiques des ressources humaines, cette demande militaire de sociologie a eu des effets persistants sur la façon de penser et d’étudier l’« engagement » des soldats.
À partir d’une mise en perspective historique de la sociologie militaire produite sur le sujet, cet article examine quelques pistes pour un renouvellement théorique et méthodologique du traitement de la question à l’aune d’une sociologie des trajectoires biographiques et de la socialisation.
Les Cahiers de la Revue Défense Nationale, 2017
Dynamiques internationales, Jan 2015
L’histoire des savoirs sociologiques produits sur les militaires et les armées a principalement é... more L’histoire des savoirs sociologiques produits sur les militaires et les armées a principalement été documentée dans la perspective d’une histoire des idées peu préoccupée par les contraintes de production exercées sur le travail des scientifiques. La littérature produite en France sous le label de « sociologie militaire » n’a pas mis en œuvre de réflexion méthodologique systématique quant aux conditions d’enquête dans l’institution militaire. Les chercheurs se sont certes interrogés sur les relations contractuelles qui les unissent à l’institution dans le cadre de leurs enquête, les armées se faisant souvent à la fois l’objet et le financeur de leurs investigations, mais l’analyse des effets de ces relations jusque sur leurs démarches ou sur le contenu de leurs productions ou la manière de mener l’enquête reste liminaire
D’où ce qui nous est apparu être une nécessité : interroger les conditions de production des savoirs sociologiques sur les militaires et les armées, afin de mieux comprendre leurs orientations théoriques, méthodologiques et empiriques.De la sorte, il s’agit de se donner les moyens de mieux comprendre les limites de notre science, d’en interroger les routines, et de s’armer en conséquence pour tenter de les dépasser.Si la demande oriente probablement le travail de ceux qui y répondent, elle n’explique pas les mécanismes par lesquels une certaine frange de la sociologie s’est historiquement imposée dans l’institution comme manière légitime d’en faire l’analyse. Nous nous concentrerons donc sur le contexte institutionnel des années 1960 à 1990, au sein du Centre de sociologie de la Défense nationale (CSDN) et du Centre d’études en sciences sociales de la Défense (C2SD) . Ce processus va aboutir à la production d’une sociologie « de service », en réponse aux problèmes que se posent les militaires quant aux réformes qui touchent leur institution. Une sociologie inscrite dans un espace conceptuel bien délimitable dont on se propose de faire un tour d'horizon.
Les Champs de Mars, 2015
Il est tentant de penser que l’institution militaire – en raison de ses caractéristiques sociales... more Il est tentant de penser que l’institution militaire – en raison de ses caractéristiques sociales, juridiques et fonctionnelles – constitue un terrain d’investigation spécifique. Par ses finalités propres et par son usage des moyens les plus radicaux de la violence déployée au nom de l’État, ce terrain d’enquête serait ainsi fondamentalement différent d’autres milieux d’investigation tels que les milieux hospitalier, policier, carcéral, scolaire, associatif, etc. Cette tentation, fréquente, s’appuie sur le présupposé essentialiste d’une différenciation historique entre société militaire et société civile. Ce présupposé, parfois défendu par les militaires eux-mêmes, est au fondement de l’identité du métier des armes, mais le réalisme sociologique et historique d’une telle bipartition du monde social n’est pas démontré, bien que cela soit un enjeu au sein même de l’institution. Ainsi, d’un point de vue strictement empirique, il est frappant de constater que les problématiques et difficultés rencontrées sur le terrain par les auteurs de ce numéro, et plus généralement par les sociologues dont les travaux portent sur les forces armées ou le fait militaire, ne sont en aucune façon spécifiques ni étrangères aux expériences de recherche effectuées dans les autres espaces du monde social. Aussi, tenir pour acquise l’hypothèse d’une spécificité de l’enquête en terrain militaire est une inclination discutable.
Terrain. Anthropologie & sciences humaines, Sep 2014
Le temps de la conscription, révolu depuis 2001, a puissamment ancré dans les représentations du ... more Le temps de la conscription, révolu depuis 2001, a puissamment ancré dans les représentations du sens commun l’idée que le quotidien des soldats est fait d’attentes et d’ennui, autant de « temps morts » que les soldats cherchent à occuper tant bien que mal. La disponibilité juridique des militaires a des conséquences très concrètes sur l’organisation de leur travail et informe leur rapport au temps engagé dans l’activité de préparation au combat. L’attente fait partie du « boulot ». Elle est à la fois un levier de pouvoir et un effet induit par l’organisation du travail militaire. L’idée du présent article n’est pas de scruter le « temps de l’engagement » par rapport aux temporalités sociales structurant les biographies, mais bien le temps dans l’engagement, lorsque les troupes sont au travail. Durant leur préparation au déploiement opérationnel, se transmettent des attentes et des anticipations sur ce que sera le combat. Ce faisant, le collectif militaire s’entretient. De l’attente on passe aux attentes, et les maximes militaires sur le temps d’attente deviennent révélatrices du rapport entretenu par les soldats à la temporalité objective du combat.
Les Champs de Mars, 2015
Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment ... more Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Éducation permanente, 2013
Le recours à l’improvisation théâtrale dans la formation repose sur l’évidence qu’elle participe ... more Le recours à l’improvisation théâtrale dans la formation repose sur l’évidence qu’elle participe au développement de compétences directement utiles au monde professionnel. Or, le transfert de ces compétences de la scène à l’office pose question. L’étude d’entraînements au match d’improvisation théâtrale permet de dégager le caractère fondamentalement collectif des compétences qui y sont travaillées et de repenser les conditions d’élaborations d’exercices adaptés aux situations professionnelles.
Revue de synthèse, Dec 2012
La traduction de la métaphore théâtrale goffmanienne en France a induit un déplacement théorique ... more La traduction de la métaphore théâtrale goffmanienne en France a induit un déplacement théorique au coeur de son oeuvre. Elle a exagéré le caractère dramaturgique des interactions, laissant de côté certaines nuances initiales. Une relecture du texte anglais remet la métaphore à sa place et en fait un instrument analytique pour les sciences sociales. Nous proposons de repenser cet instrument à partir de l’étude de l’improvisation théâtrale, dont pourrait découler un modèle qui tient compte de l’indétermination dans la dynamique des interactions. Translating the goffmanian theatrical metaphor has resulted in a theoretical displacement at the heart of his work. The dramaturgical aspect of social interactions has been exaggerated, leaving some initial nuances on the sidelines. Reading the English text again allows us to restore the original meaning of the goffmanian metaphor and make it an analytical instrument for social science. The article suggests rethinking the metaphor based on the study of theatrical improvisation, from which follows a model that takes into consideration the indeterminate character of social interactions. In Frankreich hat die Übersetzung der Goffman’schen Theatermetapher dazu geführt, dass dessen Werk im Kern eine theoretische Akzentverschiebung erfahren hat. So wurde der dramaturgische Charakter von Interaktionen überbetont, während bestimmte ursprüngliche Nuancen verloren gingen. Die erneute Lektüre des englischen Originaltexts vermag die Theatermetapher wieder ins rechte Licht zu rücken und aus ihr ein analytisches Instrument für die Sozialwissenschaften zu generieren. Unser Ansatz besteht darin, das Konzept ausgehend von Untersuchungen zum Improvisationstheater zu überdenken, um ein Modell zu gewinnen, das der Unbestimmtheit von Interaktionsdynamiken gerecht wird. El acto de traducción de la metáfora teatral goffmaniana en Francia ha inducido un desplazamiento teórico en el corazón de su obra. Se ha exagerado el carácter dramatúrgico de las interacciones, dejando de lado ciertos matices iniciales. Una relectura del texto inglés pone la metáfora en su sitio y la convierte en un instrumento analítico para las ciencias sociales. Proponemos repensar este instrumento a partir del estudio de la improvisación teatral, del que se desprende un modelo que tiene en cuenta la indeterminación en la dinámica de las interacciones.
Chapitres d'ouvrages by Mathias Thura
in Pierre J. et Pichot L., Le sport au travail. Bien être & management, Toulouse, Octarès, 2020
Communications (colloques, journées d'étude) by Mathias Thura
A travers cette communication, je voudrais évoquer comment l’imaginaire qui accompagne le travail... more A travers cette communication, je voudrais évoquer comment l’imaginaire qui accompagne le travail des militaires est mis à l’épreuve de la réalité lorsque de jeunes hommes s’engagent à porter l’uniforme.
Lorsqu’on arrive à franchir les grilles d’un régiment et qu’on observe les soldats dans la quotidienneté de leur travail, on constate l’écart significatif entre d’une part les représentations du métier de soldat dans les spots publicitaires de recrutement, ou tout n’est que droiture, rigueur, cohésion, sang-froid et précision, et l’investissement des soldats dans les tâches routinières auxquelles ils s’astreignent.
S’il dépend probablement d’une appétence initiale pour la vie militaire, liée à des prédispositions acquises lors d’une socialisation antérieure, leur investissement dans le travail se comprend à l’articulation de leurs trajectoires passées, de leur place relative dans l’organisation et à leurs trajectoires futures probables dans l’institution.
À partir d’une enquête ethnographique par observation directe au sein d’une unité de combat de l’... more À partir d’une enquête ethnographique par observation directe au sein d’une unité de combat de l’infanterie, nous voudrions montrer comment s’opère le travail d’inculcation des gestes du combat au sein de l’armée française. En suivant l’interrogation de Julien Clément quant aux manières dont la culture du rugby passe sous la peau des joueurs samoans, nous proposons de déplacer la focale des APS pour montrer comment la « tactique militaire » passe sous la peau des jeunes soldats, engageant leur corps et leur esprit dans un long travail visant l’acquisition durable de dispositions physiques et morales bien particulières : celles considérées comme nécessaires pour faire un fantassin.
Il s’agit ici de considérer la socialisation des fantassins aux techniques militaires du corps et de l’esprit, ainsi que les modalités pédagogiques de transmission de ces dernières, pour saisir très concrètement comment sont produits des corps articulés avec des instruments de combat, mais aussi articulés entre eux et avec un environnement, leur permettant d’agir de concert sans se concerter, que ce soit sur un terrain de sport ou un champ de bataille.
Depuis la suspension du service militaire en 2001, les armées françaises sont désormais re-profes... more Depuis la suspension du service militaire en 2001, les armées françaises sont désormais re-professionnalisées. Elles ne sont plus constituées de conscrits qui y paient une forme d’impôt sur le temps mais de jeunes hommes et femmes qui s’engagent de leur propre initiative pour une durée déterminée. Alors que la sociologie militaire s’est concentrée à analyser les effets de la suspension du service national sur le recrutement et sur le fonctionnement de l’institution, très peu d’études ont été consacrées au travail concret de ces nouveaux « professionnels » que sont les soldats, tant et si bien que leur métier et les conditions d’effectuation de ce dernier demeurent largement méconnus.
À partir d’une enquête par observation directe, je voudrais apporter quelques éclairages sur le travail des soldats professionnels dans un régiment de combat. L’ethnographie servira de point d’appui à l’exploration de ce qui constitue le quotidien du métier de militaire et de la condition de soldat.
L’armée est réputée close, difficile d’accès pour le sociologue ou l’ethnographe, autant physique... more L’armée est réputée close, difficile d’accès pour le sociologue ou l’ethnographe, autant physiquement que symboliquement : il y a des murs à franchir et des autorisations à obtenir pour y entrer, mais aussi des seuils symboliques, de la distance sociale à réduire avec les enquêtés ; qui sont autant d’obstacles à franchir et qui n’ont rien de spécifique au monde militaire.
L’Armée résiste à l’investigation, contrôle son discours et le discours de ses membres dans la mesure du possible. Elle entretient son pré carré par une rhétorique identitaire articulée entre d’un côté le monde militaire et de l’autre le monde des civils. Distinction réaffirmée de multiples manières – juridiquement et statutairement avec la notion de « spécificité militaire » – et qui fonde, pour les soldats, l’idée que ce monde est spécifique, juridiquement, culturellement, socialement, et qu’il faut « en être » (a minima en être « fana ») pour y entrer et le comprendre.
En ce sens, le Grand Partage entre « civils » et « militaires » reproduit peu ou prou la dichotomie maintenant classique entre outsiders et insiders dans la relation d’enquête (Becker 1985). Cette dichotomie sert justement d’opérateur de positionnement pour les chercheurs qui s’intéressent à la chose militaire, tant une telle césure semble rendre compte de la barrière symbolique que l’Armée érige entre l’intérieur et l’extérieur de son périmètre. L’article de Clément Martin et Christophe Pajon, « La sociologie militaire par les personnels de la Défense : une sociologie d’insiders ? » (Martin, Pajon, à paraître), mais aussi le chapitre de Christophe Pajon intitulé « Le sociologue enrégimenté » (Pajon 2005) témoigne de cette propension. L’usage qui est fait de la distinction entre observateur in et observateur out reprend le discours de l’Institution, en contrebande, et l’idée selon laquelle il faut en être pour pouvoir rendre compte ethnographiquement d’une situation sociale.
Et de fait, depuis la suspension du service national, les enquêtes d’ordre ethnographiques – du moins par observation directe – dans les armées sont généralement menées par des chercheurs qui entretiennent un rapport contractuel avec leur terrain et qui défendent le fait d’« en être » comme une condition nécessaire pour l’enquête. Qu’ils soient officiers devenus chercheurs (Caillet 1994 ; Goya 2006 ; Martin et Pajon 2011 ; Thiéblemont éd. 1999), chercheurs devenus militaires (Bryon-Portet 2011 ; Clément 2003 ; Prévot 2001), chercheurs recrutés par l’institution (Bardiès 2011 ; Haddad 2005 ; Pajon 2005 ; Weber 2012) voire commandités (Dufoulon et al. 1995), l’institution entretien toujours un lien contractuel, sous différentes modalités, avec les chercheurs, et c’est ce lien contractuel qui leur donne l’accès au terrain. Plus rare sont les chercheurs totalement dégagés de liens contractuels (Bruneteaux 1995 ; Coton 2008) . Derrière ces positionnements et ses « engagements », au sens littéral, se joue donc l’accès au terrain et les conditions de possibilités de l’enquête.
Une de ces modalités contractuelles, moins contraignantes, est l’allocation de recherche de la Direction Générale de l’Armement (DGA) associée au CNRS. Elles ont d’ailleurs été le support initial de plusieurs recherches (Alber 2007 ; Jakubovski 2005 ; Sorin 2003 ; Weber 2000), et c’est depuis ce dispositif de financement que sera articulée la suite de mon propos. L’objectif est de montrer en quoi le fait d’être financé par l’institution militaire permet d’occuper toute une déclinaison de « places » rendant l’enquête possible, places qui sont bien plus nuancées que la simple dichotomie in/out. Le fait « d’en être » n’est qu’une des postures envisageables. On peut ainsi aller à rebours de l’idée que l’univers symbolique des militaires est tellement spécifique qu’il faudrait « en être » pour pouvoir le saisir.
À partir de ma trajectoire de recherche m’amenant vers le terrain militaire et l’obtention d’une allocation de recherche DGA-CNRS, je voudrais montrer comment le dispositif administratif de ce financement rend possible la démarche ethnographique et insère le chercheur sur le terrain dans une position qui lui assure l’autonomie relative nécessaire pour mener à bien son travail. Partant de là, je présenterai les différentes identités qu’il m’a été possible de négocier et que j’ai occupées sur dans la compagnie . Ce qui me permettra d’interroger le degré d’engagement sur le terrain et le type de posture d’observation qui s’en dégage, pour ainsi discuter la distinction in/out. La dernière partie me permettra de poser quelques pistes sur ce que le financement implique comme « compte rendu » en retour et les possibilités d’instrumentalisation a posteriori de la recherche.
L'ordre social militaire est dual. Il s’appuie sur une division technique du travail, assignant d... more L'ordre social militaire est dual. Il s’appuie sur une division technique du travail, assignant des places à chacun de ses membres selon des modalités de classement propre à l’institution (à chacun sa tâche selon sa place, à chacun sa place selon son grade) tout en demeurant prise avec les hiérarchies sociales. Pourtant, la rhétorique de la professionnalisation militaire se déploie dans un déni des classes sociales et s’articule autour de la technicité et du métier. L’organisation de l’armée et la division du travail en son sein réfractent les rapports sociaux entre ses membres à travers des catégories hiérarchiques qui lui sont propre (les trois corps : militaires du rang, sous-officiers et officiers ; les grades : de soldat à général d’armée).
Dans cet univers, l’attribution des distinctions ne serait pas informée par l’origine des soldats mais par leurs mérites. Cette logique méritocratique se retrouve dans nombre de pratiques quotidiennes au sein des régiments, pratiques qui visent à instaurer un ordonnancement spécifique des individus reposant sur des critères propres à l’institution et oblitérant les autres marqueurs distinctifs.
Ce visage réglementé et réglementaire que donne à voir l’Armée se retrouve à tous les niveaux de l’organisation. La « Grande muette » s’avère être une institution d’oblitération des différences sociales, voire de leur occultation, puisque le discours qu'elle porte sur elle-même repose sur « la cohésion » et « l’unité » des individus formant les corps des troupes.
L’examen des possibilités de carrières au sein des armées donnera à voir que derrière le grade, il est avant tout question de classes sociales. Cet examen sera complété par les indices récoltés au cours d’un travail ethnographique portant sur l’organisation du travail opérationnel d’une compagnie de combat. Au-delà des similitudes de surface, on y trouve des mécanismes de distinction à l’œuvre. Ces mécanismes tendent à assurer la reproduction sociale du corps des officiers (selon le point d’entrée dans la carrière, renforcé par la professionnalisation), à faciliter les carrières en fonction d’homologies d’habitus entre les officiers et certaines fractions du corps des militaires du rang (par la recommandation pour les écoles de sous-officiers), et à opérer des distinctions entre les corps des officiers, des sous-officiers et des militaires du rang. Les rapports de classes sociales, sont reconvertis sur fond de rapports hiérarchiques, dans le langage de professionnalité militaire, permettant l'euphémisation des rapports de force qui parcourent les unités.
Cette communication s’attachera à poser la question du lien pouvant exister entre stratification sociale et stratification hiérarchique militaire, et à proposer des pistes permettant une reconstruction des effets de classes sociales dans le travail militaire au quotidien.
Quelle sociologie pour le combat ? Proposition d’éléments d’analyse du rapport à l’incertitude da... more Quelle sociologie pour le combat ? Proposition d’éléments d’analyse du rapport à l’incertitude dans l’activité combattante.
Depuis une vingtaine d’années, la sociologie militaire française semble se développer le long de deux axes principaux. D’une part une sociologie des professions s’intéressant aux évolutions des identités militaires au gré des réformes successives de l’institution et, de l’autre, de questionnements puisés dans les sciences politiques sur la représentativité sociale de l’institution, le lien armé nation et l’articulation entre le domaine politique et le domaine militaire.
Plusieurs publications récentes marquent le retour d’une sociologie de terrain au sein de l’institution par des études au long terme. Rares sont cependant les travaux consacrés à l’organisation concrète du travail des militaires et c’est à la croisée de ces deux derniers courant que s’inscrit la démarche présentée ici. Si la sociologie des organisations s’est développée à partir de l’étude des entreprises et de la société civile, force est de constater l’absence d’enquête de terrain portant sur la dimension organisée du travail en tant que tel dans les armées.
Dans le cadre de cette communication, je voudrais proposer une démarche méthodologique et théorique pour constituer sociologiquement la perspective entretenue par les soldats sur l’incertitude au combat au travers du prisme de l’organisation spécifique du travail au sein de l’institution militaire. Par perspective, j’entends le rapport subjectif que les individus entretiennent avec les phénomènes (la situation dans laquelle ils sont engagés et dans laquelle ils agissent) qui se produisent objectivement (en dehors d’eux). C’est donc une question de point de vue sur l’action, et je voudrais montrer ici comment le « point de vue » des militaires sur l’incertitude au combat n’est pas seulement l’affaire de représentation subjective et psychologique, mais aussi conséquent à la place qu’ils occupent dans un dispositif social particulier : une unité de combat d’infanterie d’une armée régulière occidentale.
Based on a fieldwork within a fighting infantry’s unit during its operational training before its... more Based on a fieldwork within a fighting infantry’s unit during its operational training before its deployment in Afghanistan, this presentation deals with a specific military activity: the tactical planning. This step is mostly carried out by junior officers who are going to conduct their troops later on the battlefield. I want to pay attention to the socialization to the constitutive uncertainty of war phenomenon as well as to the instruments at the disposal of junior officers which help them to cope with this uncertainty.
Communications (séminaires, ateliers) by Mathias Thura
Intervention dans le séminaire "Sciences sociales et stochastique : calculs, attentes, mémoire et... more Intervention dans le séminaire "Sciences sociales et stochastique : calculs, attentes, mémoire et division du travail", organisé par Eric Brian, le vendredi 12 juin 2015. L'idée de cette intervention est de présenter l'ouvrage probablement le plus méconnu de l'oeuvre d'Erving Goffman, Strategic Interaction, à travers lequel il s'inspire du modèle de la théorie des jeux pour concevoir des interactions sociales qui engagent une incertitude quant à la validité des informations (impressions) transmises par les interactants. Reproduisant le geste de "La présentation de soi", Goffman emprunte ici un modèle, non pas pour l'appliquer tel quel à la réalité social, mais comme dispositif heuristique pour penser des interactions et des dilemmes de la vie ordinaire. En cela, Goffman s’inspire de la théorie des jeux, mais pour construire un tout autre modèle de l’interaction et du jeu, un modèle qui engage une théorie de la connaissance et une théorie du social : dans certaines situations , les individus socialisés agissent de façon spécifique en vue de s’ajuster aux attentes sociales (normes, habitudes) d’autres individus, ceci afin de les mystifier, de ne pas éveiller leur soupçon ou de ne pas laisser paraître qu’ils ne sont pas tout à fait ce qu’ils prétendent être.
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Articles by Mathias Thura
À partir d’une mise en perspective historique de la sociologie militaire produite sur le sujet, cet article examine quelques pistes pour un renouvellement théorique et méthodologique du traitement de la question à l’aune d’une sociologie des trajectoires biographiques et de la socialisation.
D’où ce qui nous est apparu être une nécessité : interroger les conditions de production des savoirs sociologiques sur les militaires et les armées, afin de mieux comprendre leurs orientations théoriques, méthodologiques et empiriques.De la sorte, il s’agit de se donner les moyens de mieux comprendre les limites de notre science, d’en interroger les routines, et de s’armer en conséquence pour tenter de les dépasser.Si la demande oriente probablement le travail de ceux qui y répondent, elle n’explique pas les mécanismes par lesquels une certaine frange de la sociologie s’est historiquement imposée dans l’institution comme manière légitime d’en faire l’analyse. Nous nous concentrerons donc sur le contexte institutionnel des années 1960 à 1990, au sein du Centre de sociologie de la Défense nationale (CSDN) et du Centre d’études en sciences sociales de la Défense (C2SD) . Ce processus va aboutir à la production d’une sociologie « de service », en réponse aux problèmes que se posent les militaires quant aux réformes qui touchent leur institution. Une sociologie inscrite dans un espace conceptuel bien délimitable dont on se propose de faire un tour d'horizon.
Chapitres d'ouvrages by Mathias Thura
Communications (colloques, journées d'étude) by Mathias Thura
Lorsqu’on arrive à franchir les grilles d’un régiment et qu’on observe les soldats dans la quotidienneté de leur travail, on constate l’écart significatif entre d’une part les représentations du métier de soldat dans les spots publicitaires de recrutement, ou tout n’est que droiture, rigueur, cohésion, sang-froid et précision, et l’investissement des soldats dans les tâches routinières auxquelles ils s’astreignent.
S’il dépend probablement d’une appétence initiale pour la vie militaire, liée à des prédispositions acquises lors d’une socialisation antérieure, leur investissement dans le travail se comprend à l’articulation de leurs trajectoires passées, de leur place relative dans l’organisation et à leurs trajectoires futures probables dans l’institution.
Il s’agit ici de considérer la socialisation des fantassins aux techniques militaires du corps et de l’esprit, ainsi que les modalités pédagogiques de transmission de ces dernières, pour saisir très concrètement comment sont produits des corps articulés avec des instruments de combat, mais aussi articulés entre eux et avec un environnement, leur permettant d’agir de concert sans se concerter, que ce soit sur un terrain de sport ou un champ de bataille.
À partir d’une enquête par observation directe, je voudrais apporter quelques éclairages sur le travail des soldats professionnels dans un régiment de combat. L’ethnographie servira de point d’appui à l’exploration de ce qui constitue le quotidien du métier de militaire et de la condition de soldat.
L’Armée résiste à l’investigation, contrôle son discours et le discours de ses membres dans la mesure du possible. Elle entretient son pré carré par une rhétorique identitaire articulée entre d’un côté le monde militaire et de l’autre le monde des civils. Distinction réaffirmée de multiples manières – juridiquement et statutairement avec la notion de « spécificité militaire » – et qui fonde, pour les soldats, l’idée que ce monde est spécifique, juridiquement, culturellement, socialement, et qu’il faut « en être » (a minima en être « fana ») pour y entrer et le comprendre.
En ce sens, le Grand Partage entre « civils » et « militaires » reproduit peu ou prou la dichotomie maintenant classique entre outsiders et insiders dans la relation d’enquête (Becker 1985). Cette dichotomie sert justement d’opérateur de positionnement pour les chercheurs qui s’intéressent à la chose militaire, tant une telle césure semble rendre compte de la barrière symbolique que l’Armée érige entre l’intérieur et l’extérieur de son périmètre. L’article de Clément Martin et Christophe Pajon, « La sociologie militaire par les personnels de la Défense : une sociologie d’insiders ? » (Martin, Pajon, à paraître), mais aussi le chapitre de Christophe Pajon intitulé « Le sociologue enrégimenté » (Pajon 2005) témoigne de cette propension. L’usage qui est fait de la distinction entre observateur in et observateur out reprend le discours de l’Institution, en contrebande, et l’idée selon laquelle il faut en être pour pouvoir rendre compte ethnographiquement d’une situation sociale.
Et de fait, depuis la suspension du service national, les enquêtes d’ordre ethnographiques – du moins par observation directe – dans les armées sont généralement menées par des chercheurs qui entretiennent un rapport contractuel avec leur terrain et qui défendent le fait d’« en être » comme une condition nécessaire pour l’enquête. Qu’ils soient officiers devenus chercheurs (Caillet 1994 ; Goya 2006 ; Martin et Pajon 2011 ; Thiéblemont éd. 1999), chercheurs devenus militaires (Bryon-Portet 2011 ; Clément 2003 ; Prévot 2001), chercheurs recrutés par l’institution (Bardiès 2011 ; Haddad 2005 ; Pajon 2005 ; Weber 2012) voire commandités (Dufoulon et al. 1995), l’institution entretien toujours un lien contractuel, sous différentes modalités, avec les chercheurs, et c’est ce lien contractuel qui leur donne l’accès au terrain. Plus rare sont les chercheurs totalement dégagés de liens contractuels (Bruneteaux 1995 ; Coton 2008) . Derrière ces positionnements et ses « engagements », au sens littéral, se joue donc l’accès au terrain et les conditions de possibilités de l’enquête.
Une de ces modalités contractuelles, moins contraignantes, est l’allocation de recherche de la Direction Générale de l’Armement (DGA) associée au CNRS. Elles ont d’ailleurs été le support initial de plusieurs recherches (Alber 2007 ; Jakubovski 2005 ; Sorin 2003 ; Weber 2000), et c’est depuis ce dispositif de financement que sera articulée la suite de mon propos. L’objectif est de montrer en quoi le fait d’être financé par l’institution militaire permet d’occuper toute une déclinaison de « places » rendant l’enquête possible, places qui sont bien plus nuancées que la simple dichotomie in/out. Le fait « d’en être » n’est qu’une des postures envisageables. On peut ainsi aller à rebours de l’idée que l’univers symbolique des militaires est tellement spécifique qu’il faudrait « en être » pour pouvoir le saisir.
À partir de ma trajectoire de recherche m’amenant vers le terrain militaire et l’obtention d’une allocation de recherche DGA-CNRS, je voudrais montrer comment le dispositif administratif de ce financement rend possible la démarche ethnographique et insère le chercheur sur le terrain dans une position qui lui assure l’autonomie relative nécessaire pour mener à bien son travail. Partant de là, je présenterai les différentes identités qu’il m’a été possible de négocier et que j’ai occupées sur dans la compagnie . Ce qui me permettra d’interroger le degré d’engagement sur le terrain et le type de posture d’observation qui s’en dégage, pour ainsi discuter la distinction in/out. La dernière partie me permettra de poser quelques pistes sur ce que le financement implique comme « compte rendu » en retour et les possibilités d’instrumentalisation a posteriori de la recherche.
Dans cet univers, l’attribution des distinctions ne serait pas informée par l’origine des soldats mais par leurs mérites. Cette logique méritocratique se retrouve dans nombre de pratiques quotidiennes au sein des régiments, pratiques qui visent à instaurer un ordonnancement spécifique des individus reposant sur des critères propres à l’institution et oblitérant les autres marqueurs distinctifs.
Ce visage réglementé et réglementaire que donne à voir l’Armée se retrouve à tous les niveaux de l’organisation. La « Grande muette » s’avère être une institution d’oblitération des différences sociales, voire de leur occultation, puisque le discours qu'elle porte sur elle-même repose sur « la cohésion » et « l’unité » des individus formant les corps des troupes.
L’examen des possibilités de carrières au sein des armées donnera à voir que derrière le grade, il est avant tout question de classes sociales. Cet examen sera complété par les indices récoltés au cours d’un travail ethnographique portant sur l’organisation du travail opérationnel d’une compagnie de combat. Au-delà des similitudes de surface, on y trouve des mécanismes de distinction à l’œuvre. Ces mécanismes tendent à assurer la reproduction sociale du corps des officiers (selon le point d’entrée dans la carrière, renforcé par la professionnalisation), à faciliter les carrières en fonction d’homologies d’habitus entre les officiers et certaines fractions du corps des militaires du rang (par la recommandation pour les écoles de sous-officiers), et à opérer des distinctions entre les corps des officiers, des sous-officiers et des militaires du rang. Les rapports de classes sociales, sont reconvertis sur fond de rapports hiérarchiques, dans le langage de professionnalité militaire, permettant l'euphémisation des rapports de force qui parcourent les unités.
Cette communication s’attachera à poser la question du lien pouvant exister entre stratification sociale et stratification hiérarchique militaire, et à proposer des pistes permettant une reconstruction des effets de classes sociales dans le travail militaire au quotidien.
Depuis une vingtaine d’années, la sociologie militaire française semble se développer le long de deux axes principaux. D’une part une sociologie des professions s’intéressant aux évolutions des identités militaires au gré des réformes successives de l’institution et, de l’autre, de questionnements puisés dans les sciences politiques sur la représentativité sociale de l’institution, le lien armé nation et l’articulation entre le domaine politique et le domaine militaire.
Plusieurs publications récentes marquent le retour d’une sociologie de terrain au sein de l’institution par des études au long terme. Rares sont cependant les travaux consacrés à l’organisation concrète du travail des militaires et c’est à la croisée de ces deux derniers courant que s’inscrit la démarche présentée ici. Si la sociologie des organisations s’est développée à partir de l’étude des entreprises et de la société civile, force est de constater l’absence d’enquête de terrain portant sur la dimension organisée du travail en tant que tel dans les armées.
Dans le cadre de cette communication, je voudrais proposer une démarche méthodologique et théorique pour constituer sociologiquement la perspective entretenue par les soldats sur l’incertitude au combat au travers du prisme de l’organisation spécifique du travail au sein de l’institution militaire. Par perspective, j’entends le rapport subjectif que les individus entretiennent avec les phénomènes (la situation dans laquelle ils sont engagés et dans laquelle ils agissent) qui se produisent objectivement (en dehors d’eux). C’est donc une question de point de vue sur l’action, et je voudrais montrer ici comment le « point de vue » des militaires sur l’incertitude au combat n’est pas seulement l’affaire de représentation subjective et psychologique, mais aussi conséquent à la place qu’ils occupent dans un dispositif social particulier : une unité de combat d’infanterie d’une armée régulière occidentale.
Communications (séminaires, ateliers) by Mathias Thura
À partir d’une mise en perspective historique de la sociologie militaire produite sur le sujet, cet article examine quelques pistes pour un renouvellement théorique et méthodologique du traitement de la question à l’aune d’une sociologie des trajectoires biographiques et de la socialisation.
D’où ce qui nous est apparu être une nécessité : interroger les conditions de production des savoirs sociologiques sur les militaires et les armées, afin de mieux comprendre leurs orientations théoriques, méthodologiques et empiriques.De la sorte, il s’agit de se donner les moyens de mieux comprendre les limites de notre science, d’en interroger les routines, et de s’armer en conséquence pour tenter de les dépasser.Si la demande oriente probablement le travail de ceux qui y répondent, elle n’explique pas les mécanismes par lesquels une certaine frange de la sociologie s’est historiquement imposée dans l’institution comme manière légitime d’en faire l’analyse. Nous nous concentrerons donc sur le contexte institutionnel des années 1960 à 1990, au sein du Centre de sociologie de la Défense nationale (CSDN) et du Centre d’études en sciences sociales de la Défense (C2SD) . Ce processus va aboutir à la production d’une sociologie « de service », en réponse aux problèmes que se posent les militaires quant aux réformes qui touchent leur institution. Une sociologie inscrite dans un espace conceptuel bien délimitable dont on se propose de faire un tour d'horizon.
Lorsqu’on arrive à franchir les grilles d’un régiment et qu’on observe les soldats dans la quotidienneté de leur travail, on constate l’écart significatif entre d’une part les représentations du métier de soldat dans les spots publicitaires de recrutement, ou tout n’est que droiture, rigueur, cohésion, sang-froid et précision, et l’investissement des soldats dans les tâches routinières auxquelles ils s’astreignent.
S’il dépend probablement d’une appétence initiale pour la vie militaire, liée à des prédispositions acquises lors d’une socialisation antérieure, leur investissement dans le travail se comprend à l’articulation de leurs trajectoires passées, de leur place relative dans l’organisation et à leurs trajectoires futures probables dans l’institution.
Il s’agit ici de considérer la socialisation des fantassins aux techniques militaires du corps et de l’esprit, ainsi que les modalités pédagogiques de transmission de ces dernières, pour saisir très concrètement comment sont produits des corps articulés avec des instruments de combat, mais aussi articulés entre eux et avec un environnement, leur permettant d’agir de concert sans se concerter, que ce soit sur un terrain de sport ou un champ de bataille.
À partir d’une enquête par observation directe, je voudrais apporter quelques éclairages sur le travail des soldats professionnels dans un régiment de combat. L’ethnographie servira de point d’appui à l’exploration de ce qui constitue le quotidien du métier de militaire et de la condition de soldat.
L’Armée résiste à l’investigation, contrôle son discours et le discours de ses membres dans la mesure du possible. Elle entretient son pré carré par une rhétorique identitaire articulée entre d’un côté le monde militaire et de l’autre le monde des civils. Distinction réaffirmée de multiples manières – juridiquement et statutairement avec la notion de « spécificité militaire » – et qui fonde, pour les soldats, l’idée que ce monde est spécifique, juridiquement, culturellement, socialement, et qu’il faut « en être » (a minima en être « fana ») pour y entrer et le comprendre.
En ce sens, le Grand Partage entre « civils » et « militaires » reproduit peu ou prou la dichotomie maintenant classique entre outsiders et insiders dans la relation d’enquête (Becker 1985). Cette dichotomie sert justement d’opérateur de positionnement pour les chercheurs qui s’intéressent à la chose militaire, tant une telle césure semble rendre compte de la barrière symbolique que l’Armée érige entre l’intérieur et l’extérieur de son périmètre. L’article de Clément Martin et Christophe Pajon, « La sociologie militaire par les personnels de la Défense : une sociologie d’insiders ? » (Martin, Pajon, à paraître), mais aussi le chapitre de Christophe Pajon intitulé « Le sociologue enrégimenté » (Pajon 2005) témoigne de cette propension. L’usage qui est fait de la distinction entre observateur in et observateur out reprend le discours de l’Institution, en contrebande, et l’idée selon laquelle il faut en être pour pouvoir rendre compte ethnographiquement d’une situation sociale.
Et de fait, depuis la suspension du service national, les enquêtes d’ordre ethnographiques – du moins par observation directe – dans les armées sont généralement menées par des chercheurs qui entretiennent un rapport contractuel avec leur terrain et qui défendent le fait d’« en être » comme une condition nécessaire pour l’enquête. Qu’ils soient officiers devenus chercheurs (Caillet 1994 ; Goya 2006 ; Martin et Pajon 2011 ; Thiéblemont éd. 1999), chercheurs devenus militaires (Bryon-Portet 2011 ; Clément 2003 ; Prévot 2001), chercheurs recrutés par l’institution (Bardiès 2011 ; Haddad 2005 ; Pajon 2005 ; Weber 2012) voire commandités (Dufoulon et al. 1995), l’institution entretien toujours un lien contractuel, sous différentes modalités, avec les chercheurs, et c’est ce lien contractuel qui leur donne l’accès au terrain. Plus rare sont les chercheurs totalement dégagés de liens contractuels (Bruneteaux 1995 ; Coton 2008) . Derrière ces positionnements et ses « engagements », au sens littéral, se joue donc l’accès au terrain et les conditions de possibilités de l’enquête.
Une de ces modalités contractuelles, moins contraignantes, est l’allocation de recherche de la Direction Générale de l’Armement (DGA) associée au CNRS. Elles ont d’ailleurs été le support initial de plusieurs recherches (Alber 2007 ; Jakubovski 2005 ; Sorin 2003 ; Weber 2000), et c’est depuis ce dispositif de financement que sera articulée la suite de mon propos. L’objectif est de montrer en quoi le fait d’être financé par l’institution militaire permet d’occuper toute une déclinaison de « places » rendant l’enquête possible, places qui sont bien plus nuancées que la simple dichotomie in/out. Le fait « d’en être » n’est qu’une des postures envisageables. On peut ainsi aller à rebours de l’idée que l’univers symbolique des militaires est tellement spécifique qu’il faudrait « en être » pour pouvoir le saisir.
À partir de ma trajectoire de recherche m’amenant vers le terrain militaire et l’obtention d’une allocation de recherche DGA-CNRS, je voudrais montrer comment le dispositif administratif de ce financement rend possible la démarche ethnographique et insère le chercheur sur le terrain dans une position qui lui assure l’autonomie relative nécessaire pour mener à bien son travail. Partant de là, je présenterai les différentes identités qu’il m’a été possible de négocier et que j’ai occupées sur dans la compagnie . Ce qui me permettra d’interroger le degré d’engagement sur le terrain et le type de posture d’observation qui s’en dégage, pour ainsi discuter la distinction in/out. La dernière partie me permettra de poser quelques pistes sur ce que le financement implique comme « compte rendu » en retour et les possibilités d’instrumentalisation a posteriori de la recherche.
Dans cet univers, l’attribution des distinctions ne serait pas informée par l’origine des soldats mais par leurs mérites. Cette logique méritocratique se retrouve dans nombre de pratiques quotidiennes au sein des régiments, pratiques qui visent à instaurer un ordonnancement spécifique des individus reposant sur des critères propres à l’institution et oblitérant les autres marqueurs distinctifs.
Ce visage réglementé et réglementaire que donne à voir l’Armée se retrouve à tous les niveaux de l’organisation. La « Grande muette » s’avère être une institution d’oblitération des différences sociales, voire de leur occultation, puisque le discours qu'elle porte sur elle-même repose sur « la cohésion » et « l’unité » des individus formant les corps des troupes.
L’examen des possibilités de carrières au sein des armées donnera à voir que derrière le grade, il est avant tout question de classes sociales. Cet examen sera complété par les indices récoltés au cours d’un travail ethnographique portant sur l’organisation du travail opérationnel d’une compagnie de combat. Au-delà des similitudes de surface, on y trouve des mécanismes de distinction à l’œuvre. Ces mécanismes tendent à assurer la reproduction sociale du corps des officiers (selon le point d’entrée dans la carrière, renforcé par la professionnalisation), à faciliter les carrières en fonction d’homologies d’habitus entre les officiers et certaines fractions du corps des militaires du rang (par la recommandation pour les écoles de sous-officiers), et à opérer des distinctions entre les corps des officiers, des sous-officiers et des militaires du rang. Les rapports de classes sociales, sont reconvertis sur fond de rapports hiérarchiques, dans le langage de professionnalité militaire, permettant l'euphémisation des rapports de force qui parcourent les unités.
Cette communication s’attachera à poser la question du lien pouvant exister entre stratification sociale et stratification hiérarchique militaire, et à proposer des pistes permettant une reconstruction des effets de classes sociales dans le travail militaire au quotidien.
Depuis une vingtaine d’années, la sociologie militaire française semble se développer le long de deux axes principaux. D’une part une sociologie des professions s’intéressant aux évolutions des identités militaires au gré des réformes successives de l’institution et, de l’autre, de questionnements puisés dans les sciences politiques sur la représentativité sociale de l’institution, le lien armé nation et l’articulation entre le domaine politique et le domaine militaire.
Plusieurs publications récentes marquent le retour d’une sociologie de terrain au sein de l’institution par des études au long terme. Rares sont cependant les travaux consacrés à l’organisation concrète du travail des militaires et c’est à la croisée de ces deux derniers courant que s’inscrit la démarche présentée ici. Si la sociologie des organisations s’est développée à partir de l’étude des entreprises et de la société civile, force est de constater l’absence d’enquête de terrain portant sur la dimension organisée du travail en tant que tel dans les armées.
Dans le cadre de cette communication, je voudrais proposer une démarche méthodologique et théorique pour constituer sociologiquement la perspective entretenue par les soldats sur l’incertitude au combat au travers du prisme de l’organisation spécifique du travail au sein de l’institution militaire. Par perspective, j’entends le rapport subjectif que les individus entretiennent avec les phénomènes (la situation dans laquelle ils sont engagés et dans laquelle ils agissent) qui se produisent objectivement (en dehors d’eux). C’est donc une question de point de vue sur l’action, et je voudrais montrer ici comment le « point de vue » des militaires sur l’incertitude au combat n’est pas seulement l’affaire de représentation subjective et psychologique, mais aussi conséquent à la place qu’ils occupent dans un dispositif social particulier : une unité de combat d’infanterie d’une armée régulière occidentale.
Cette présentation revient sur la spécificité des conditions de vie des soldats dans un casernement. A partir d'un matériel collecté en marge du cadre de mon travail de thèse au sein d'un régiment d'infanterie, l'objectif est de mettre en lumière comment "la chambrée" peut être considérée comme un lieu bifide où se trouvent intriquées la sphère domestique et la sphère disciplinaire. A la fois lieu de vie et lieu de travail, les conditions d'hébergement en casernement troublent la distinction usuelle entre ces deux sphères et renseignent tout à la fois sur les groupes sociaux masqués derrière les uniformes.
Dans le cadre de la préparation de ses troupes au combat, l’Armée de terre a recourt à la simulation pour l’entraînement et la formation de ses unités. Cette simulation revêt deux formes que j’ai directement observées, la première que je qualifierai de réelle, parce qu’elle cherche à reproduire grandeur nature l’espace du combat, et la seconde de virtuelle, puisque se déroulant sur des ordinateurs.
Ces deux types de simulation posent une même catégorie de problèmes pratiques aux concepteurs et utilisateurs, celui du respect des conditions de « réalisme » du combat, parce que conduire la guerre est une activité collective qui se déroule simultanément dans des temps et des espaces très hétérogènes : du trou de combat pour le « grenadier-voltigeur », à l’État major de Paris, en passant par les États-majors locaux, les véhicules de commandement sur le terrain, etc.
Le combat est un phénomène social marqué par l’incertitude, et l’institution militaire cherche à y apporter une réponse qui lui apparaît adéquate. Une de ces réponses est la simulation. A travers cette activité, il est possible de saisir comment l'institution militaire connait ce phénomène dans une certaine mesure – il n’est connu qu’en probabilités –, mais une mesure qui reste imprévisible. Elle met en place des instruments pour anticiper et se préparer à ce phénomène, dont la simulation. Cette dernière n’est pas sans poser de problèmes aux praticiens, les militaires, qui seront effectivement engagés sur le terrain. C’est cet écart entre la guerre simulée et la guerre telle qu’elle se déroulera pour eux « demain » que je voudrais mettre en lumière.
L’analyse des instruments de simulation est une source pour comprendre les processus sociaux de traitement de l’incertitude quant à des phénomènes "à-venir", mais que des groupes sociaux cherchent à anticiper.
Le motif de ce recueil est un hommage rendu à Bernard Cousin, professeur d’université émérite à Aix-en-Provence et pionnier dans l’élaboration d’une analyse statistique au service de l’histoire. Il a consacré une large part de sa carrière à l’étude des ex-voto, inscriptions laissées dans les églises provençales en remerciement de l’aide reçue de la part d’un saint. Ainsi, sont principalement associés autour de ce livre des chercheurs rattachés au laboratoire Telemme (Temps, espaces, langages, Europe méridionale – Méditerranée), centre pluridisciplinaire dont Bernard Cousin fut directeur. Ce contexte éditorial explique probablement en partie l’éclatement des objets et des époques investiguées à travers les différentes contributions qui composent le volume.
Chacune des contributions s’articule cependant autour d’un même questionnement : retrouver comment s’éprouvait la temporalité de l’existence et du monde – leur continuité ou discontinuité – à plusieurs époques et par des agents variés, à partir de leurs évocations du futur et de l’avenir depuis leurs perspectives historiques respectives. Il est donc question des modalités d’anticipation (d’attente) entretenues par des agents historiquement et socialement situés : des projections de croyances sur l’avenir, explorées rétrospectivement par les historiens.
L’introduction de Régis Bertrand, Maryline Crivello et Jean-Marie Guillon pose le cadre général : il s’agit d’examiner la façon dont des futurs étaient estimés possibles, désirables et prédictibles, et de saisir par quels moyens concrets ou abstraits les agents historiques ont cherché à les faire advenir, ou à l’inverse, à en écarter les éventualités et à s’en prémunir. Prédire, prévoir, se prémunir, voici trois positionnements vis-à-vis de l’avenir. Les contributeurs les déclinent afin d’appréhender les évolutions du rapport entretenu au temps et l’émergence de l’idée d’une possibilité d’action pour faire advenir un futur d’une certaine forme. La perspective entretenue au temps s’inverse durant la période considérée ici (moderne et contemporaine) : ce n’est plus la providence divine qui fait l’avenir des hommes et des femmes, mais bien ces derniers qui se considèrent comme les participants de la destinée de leur monde.
Rarement étudiées de près, les appareils militaires demeurent généralement conçus comme de vastes boîtes noires. Les politologues s’intéressent plus particulièrement à leurs élites ou aux effets de l’emploi de l’appareil militaire par l’autorité politique et plus rarement à leurs mécanismes concrets de fonctionnement interne. De son côté, la sociologie militaire s’est centralisée ses quarante dernières années sur des problématiques de recrutement et de “professionnalisation”, endossant souvent implicitement l’idée que l’institution militaire forme une sorte d’isolat social. Afin de dépasser cette situation, le programme de ce séminaire a été conçu à mi-chemin entre sociologie et science politique, avec pour souci constant de valoriser des recherches mettant en œuvre des enquêtes empiriques “sur le terrain”.
Au travers des différentes séances, il s’agira de discuter des dispositifs empiriques permettant de constituer des matériaux d’enquête exploitables, mais aussi de “départiculariser” et “désexoticiser” l’objet armée et ses composantes connexes, afin d’en réinscrire l’étude dans les problématiques générales et génériques portées par le programme scientifique des sciences sociales et politiques : sociologie des élites, de l’action publique, de l'État, des relations internationales, de la violence, des rapports de domination, des groupes professionnels et du travail, des rapports sociaux de sexes, contrôle moral de la jeunesse, sociologie des mobilisations et des organisations.
Les séances seront articulées autour de la présentation d’enquête empiriques récentes ou en cours, en présence de leurs auteur-rice-s, et l’occasion d’en discuter les partis pris méthodologiques, leurs apports théoriques originaux, leurs limites, et les nouvelles questions qu’elles soulèvent.