Laurentiu Andrei
Blaise Pascal University, Philosophy, PhD in Philosophy, Associated Researcher to "Philosophies et rationalités" Research Centre
Ochanomizu University, Department of Philosophy, Former Research fellow of the Japan Society for the Promotion of Science
PhD in Philosophy
Titre de la thèse: Quel soi ? Une réflexion comparative sur l’idée de soi dans le stoïcisme et dans le bouddhisme zen
Résumé :
Cette étude de philosophie comparée propose une herméneutique de l’idée de soi à partir d’une analyse de la dimension ascétique de la question « quel soi ? », qui se manifeste à travers les disciplines de libération mises en place par les traditions du Portique et du Zen. Déclinée sous différentes formes, cette question constitue la pierre angulaire des pratiques de soi propres aux deux traditions. Il apparaît que sa principale fonction est celle d’orienter l’idée de soi, eu égard à une polarité soi ↔ non-soi, afin de parvenir à la condition du sage, celle d’un accord libérateur avec une nature originelle commune à tous. Ainsi, au lieu de désigner simplement un fondement ontologique – réel ou supposé – l’idée de soi joue alors bien plutôt un rôle de vecteur, qui, selon son orientation, permet ou non d’actualiser cet accord. Par la prise en compte comparative du rôle de la négation (détachement) de soi, cette étude cherche donc à élargir le spectre des processus de subjectivation ou des pratiques de soi et, ainsi, de mettre au jour un aspect assez négligé par l’histoire occidentale de la subjectivité. Par là même, cette thèse permet de mieux comprendre comment une (méta)physique stoïcienne du plein peut être à même de penser la négation (détachement) de soi et, inversement, comment une métaphysique bouddhiste de la vacuité peut développer une pensée de la subjectivité morale et de la responsabilité.
Title: What Self? A Comparative Study of the Idea of Self in Stoicism and Zen Buddhism
Abstract :
This study in comparative philosophy offers a hermeneutics of the idea of self. It explores the ascetic dimension of the question “what self?” apparent across the various disciplines of liberation developed by the Stoic and Zen traditions. In its diverse guises, this question is the cornerstone of specific practices of the self within these traditions. As such, its main function is to guide the idea of self, with regard to the polarity self ↔ non-self, in order to achieve the status of the sage, which represents a kind of harmony with an original nature that is common to all individuals. Therefore, rather than simply designating an ontological foundation – real or alleged – the idea of self has the role of a vector, which, depending on its orientation, allows one to actualise (or not) this harmony. Through comparative analysis of the role of negation (detachment) of the self, this study seeks to broaden the spectrum of the processes of subjectification or practices of the self and, thus, to bring to light an aspect that has been somewhat neglected by the Western history of subjectivity. In doing so, this thesis enables better understanding of how the full-bodied (meta)physics of the Stoics is able to think the negation (detachment) of the self and, conversely, of how the Buddhist metaphysics of emptiness can develop an idea of moral subjectivity and responsibility.
Titre de la thèse: Quel soi ? Une réflexion comparative sur l’idée de soi dans le stoïcisme et dans le bouddhisme zen
Résumé :
Cette étude de philosophie comparée propose une herméneutique de l’idée de soi à partir d’une analyse de la dimension ascétique de la question « quel soi ? », qui se manifeste à travers les disciplines de libération mises en place par les traditions du Portique et du Zen. Déclinée sous différentes formes, cette question constitue la pierre angulaire des pratiques de soi propres aux deux traditions. Il apparaît que sa principale fonction est celle d’orienter l’idée de soi, eu égard à une polarité soi ↔ non-soi, afin de parvenir à la condition du sage, celle d’un accord libérateur avec une nature originelle commune à tous. Ainsi, au lieu de désigner simplement un fondement ontologique – réel ou supposé – l’idée de soi joue alors bien plutôt un rôle de vecteur, qui, selon son orientation, permet ou non d’actualiser cet accord. Par la prise en compte comparative du rôle de la négation (détachement) de soi, cette étude cherche donc à élargir le spectre des processus de subjectivation ou des pratiques de soi et, ainsi, de mettre au jour un aspect assez négligé par l’histoire occidentale de la subjectivité. Par là même, cette thèse permet de mieux comprendre comment une (méta)physique stoïcienne du plein peut être à même de penser la négation (détachement) de soi et, inversement, comment une métaphysique bouddhiste de la vacuité peut développer une pensée de la subjectivité morale et de la responsabilité.
Title: What Self? A Comparative Study of the Idea of Self in Stoicism and Zen Buddhism
Abstract :
This study in comparative philosophy offers a hermeneutics of the idea of self. It explores the ascetic dimension of the question “what self?” apparent across the various disciplines of liberation developed by the Stoic and Zen traditions. In its diverse guises, this question is the cornerstone of specific practices of the self within these traditions. As such, its main function is to guide the idea of self, with regard to the polarity self ↔ non-self, in order to achieve the status of the sage, which represents a kind of harmony with an original nature that is common to all individuals. Therefore, rather than simply designating an ontological foundation – real or alleged – the idea of self has the role of a vector, which, depending on its orientation, allows one to actualise (or not) this harmony. Through comparative analysis of the role of negation (detachment) of the self, this study seeks to broaden the spectrum of the processes of subjectification or practices of the self and, thus, to bring to light an aspect that has been somewhat neglected by the Western history of subjectivity. In doing so, this thesis enables better understanding of how the full-bodied (meta)physics of the Stoics is able to think the negation (detachment) of the self and, conversely, of how the Buddhist metaphysics of emptiness can develop an idea of moral subjectivity and responsibility.
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Papers by Laurentiu Andrei
Seated Meditation: Thinking about the Non-Thinking. A Spiritual Exercise in Dōgen’s Zen
The Japanese monk Dōgen Kigen (1200-1253) views seated meditation (zazen) as the essence of what is called dhyāna in Sanskrit and zen in Japanese. The practice of such a kind of meditation draws on rules governing precisely one’s manner of seating so as to be able to “think about the non-thinking”. It has often been considered an amoral, anti-intellectual or quietist perspective. But the instruction to think neither about good nor evil is neither amoral nor anti-intellectual. It is intended as a means of overcoming, within practice itself, any dualistic attitude regarding self and world, by way of a genuine spiritual exercise that equally involves body and mind.
Plan de l'article
Une technique du corps et de l’esprit
Sans penser au bien ou au mal ; penser au sans penser
S’asseoir sans visée
L’injonction delphique, « Connais-toi toi-même ! », outre le fait qu’elle a été le leitmotiv de la démarche socratique, mit à l’épreuve la sagacité des stoïciens. Pour ce qui est du Zen, Dōgen rappelle qu’il consiste dans une quête de soi. Depuis cette perspective, la similarité entre stoïcisme et Zen est frappante. La connaissance de soi est une tâche urgente qui requiert une ascèse. Ce qui n’empêche pas qu’elle soit entendue comme une tendance naturelle. Dès lors, comment comprendre la connaissance de soi située entre spontanéité naturelle et techniques propres à une discipline ? Quel est son objet ? Quel “soi” s’agit-il de connaître et à quelle fin ? Pour explorer ces questions un poème de Coleridge servira de tertium comparationis permettant des va-et-vient entre stoïcisme et Zen.
English:
The Delphic injunction, “Know thyself !” was the leitmotif of the Socratic approach and also a challenge for the Stoic philosophers. As for Zen, the Japanese Master Dōgen says that it consists in a quest of the self. From this perspective, the similarity between Stoicism and Zen is striking. Self-knowledge is understood as an urgent task that requires asceticism. This does not prevent it from being understood primarily as a natural tendency. Therefore, how to understand selfknowledge thus located between natural spontaneity and discipline-specific techniques ? What is its object ? What “self” is there to be known and to what end ? To explore these questions a Coleridge poem will be used as tertium comparationis, allowing round-trips between Stoicism and Zen.
Le soi, en tant qu'auto-détermination de l'amour, doit s'aimer soi-même. Toutefois, cet amour n'est pas à entendre seulement comme amour de soi, mais aussi comme amour de l'autre. Envisagé comme une relation dialectique où l'altérité est essentielle pour la détermination du soi, le véritable amour est celui où le soi voit en soi-même l'autre absolu. Tout en le rapprochant de l'agapè chrétienne, et en particulier des écrits d'Augustin concernant l'amour de Dieu en son rapport au soi, Nishida appelle cet amour éveil à soi du néant absolu. C'est pourquoi ce rapprochement avec le christianisme apparaît problématique car il met face à face deux conceptions du monde très éloignées: une métaphysique du néant et une métaphysique de la création et de la chute.
Pour tenter de comprendre ce qui permet à Nishida d'associer ces deux métaphysiques autour du thème de l'amour, il convient d'analyser la manière dont il entend l'amour chrétien. L'hypothèse que je soutiens consiste en ceci que le rapprochement opéré par Nishida nécessite une lecture particulière de l'agapè, indépendante de son aspect créationniste au sens strict. Tandis que l'amour chez Augustin est ce qui permet de regagner, après la chute, son lieu propre établi par Dieu en fonction d'un ordre du monde, chez Nishida, au contraire, le basho n'implique pas une telle chute. C'est pourquoi l'influence du bouddhisme a infléchi, à mon sens, la lecture nishidéenne de l'amour chrétien. Il me semble notamment que le concept de basho, lieu de l'amour comme relation dialectique, doit en partie son élaboration à une notion bouddhiste comme celle de position dharmique (hōi). Ceci impliquerait que dans l'interprétation nishidéenne de l'amour se trouve également, en creux, une pensée de l'interdépendance (engi).
Conference Presentations by Laurentiu Andrei
En reprenant à son compte la formule, le maître japonais semble vouloir désigner par là une discipline de la pensée, une sorte d’exercice spirituel, intrinsèquement liée à une posture corporelle : zazen. Il s’agira, dans la présente communication, d’interroger la nature de cette pratique : en quoi consiste-t-elle et quelle est sa visée, si visée il y a ? S’agit-il là d’une technique – d’un moyen habile (<j> hōben 方便) ? Ou bien la non-pensée est-elle l’éveil lui-même ? Que s’agit-il de suspendre dans la pensée pour parvenir à la non-pensée, propice à l’éveil ? À travers ses interrogations, nous chercherons à rendre compte de la conception de la pratique mise en avant par Dōgen et de l’usage original qu’il en fait dans ses conseils adressés aux disciples.
Sooner or later all comparative philosophers have to face this fundamental question. I intend to address it here through a specific example, namely a comparison between Zen and Stoicism. Bringing these schools into comparison is not only particularly important because of their tremendous influences that shaped the ideas of their respective cultural context (see for instance the influence of Stoicism on Christianity and Enlightenment and that of Zen on Kyoto school philosophy), but also justified by the peculiar emphasis which both these schools put on the relationship between discourse (theoretical aspect) and practice (spiritual aspect). As we shall see, the way they considered this relationship is not without importance when it comes to the way philosophy itself can be conceived.
A philosophical comparison between Zen and Stoicism meets two objections primarily. The first one is related to cultural differences. As history deeply determines cultural context, trying to understand and compare different traditions, when no contact has ever been historically attested between them, seems to be futile. In this perspective the comparison between Zen and Stoicism appears thus useless and irrelevant. Indeed, some would argue that in order not to incur the risk of reductionism, or worse, caricature, it is prudent to avoid cross-cultural comparison of this kind, for, in fine, one can only compare what is comparable (i.e. what shares a common historical/cultural ground). Nevertheless I think that what appears here to be an attitude of prudence, for the sake of steering clear of a dialogue of the deaf between two philosophical traditions, it is only a form of resignation in front of intrinsic cultural differences. By stressing on cultural incommensurability, those who uphold this position fail (and even refuse) to engage into a trans-cultural dialogue. I believe, on the contrary, that this kind of dialogue needs to be engaged not only because it can shed new light on many philosophical questions, but also because it has an important ethical dimension, as it contributes to mutual understanding.
So in order to overcome this kind of objection I will argue that cultural difference, far from being an obstacle, can on the contrary become an interesting opportunity allowing a complete change of perspective that can confer a fresh look into a specific question such as the one concerning the relationship between philosophical discourse and practice. Emphasised in both Stoic and Zen schools, this relationship, when comparatively approached, reveals, as I mentioned before, some essential issues concerning the way philosophy itself is conceived by those willing to engage in such a cross-cultural dialogue.
This brings us to the second objection that could stand against a philosophical comparison between Zen and Stoic schools. Far too often, under the influence of such a great figure as Suzuki Daisetsu Teitarō, Zen was (and still is) considered as a non-discursive undertaking and therefore fundamentally irrational and intellectually inaccessible. By the same token, someone well-versed in comparative studies, like Izutsu Toshihiko, writes for instance that “Zen tends to entertain a violent aversion toward philosophization and talking about Zen experience in rational terms”. This kind of argument rests on the Buddhist refusal of any void speculation, that manifested in Zen as a distrust towards language. That is why Zen was considered more a spiritual practice as opposed to a theoretical and speculative endeavour and, as such, it was viewed anti-philosophical. At this point, one must stress that the conception of philosophy involved here rests on a radical opposition between theoretical knowledge and spiritual practice, the former being attributed to Western philosophy and the latter to Eastern ways of liberation such as Zen Buddhism.
Comparing Zen with the Stoic school will reveal that such conception of philosophy not only opposes Zen and philosophy in a questionable way, but also seems to ignore the multiple forms of philosophizing, pretending that the whole of Western philosophy could boil down to purely theoretical aspects. Yet, scholars such as Pierre Hadot stressed out that philosophy was more than a theoretical enterprise from the start: it is (also) a way of living. Furthermore, because of its extremely systematic doctrine, the Stoic school is a privileged example of Western philosophy which, as André-Jean Voelke reminds us, allows to go beyond the banal opposition between knowledge and action. Therefore, I will argue that insofar as Suzuki (et alii)’s position is built on a too sharp opposition between theory and practice and endorses a strict separation between knowledge and spirituality, it can be considered a reductive conception of philosophy. Then, a comparative enterprise can contribute to reconsider the conception one uses when one reflects on the presence and peculiarity of philosophy in other cultural horizons.
Une des manières les plus célèbres d’aborder cette question est la philosophie de René Descartes, où le corps et l’esprit sont entendus, malgré leur union, comme deux substances distinctes : l’une étendue et l’autre pensante. Cette conception a marqué non seulement l’histoire de la pensée occidentale, mais elle a également eu un certain écho dans d’autres traditions, notamment au Japon. Dès l’école de Kyoto, on s’est intéressé à la pensée de Descartes. Chez un auteur plus tardif, Yuasa Yasuo, cette philosophie est abordée par le prisme du Zen. Yuasa prend, en effet, la mesure des conséquences de ce qu’on a appelé le dualisme cartésien du corps et de l’esprit pour la philosophie et les sciences. Il en critique la tendance à minimiser le rôle du corps par rapport à celui de l’esprit, lorsqu’il s’agit de rendre compte de ce qu’est véritablement un individu dans son rapport au monde. Pour pallier la prééminence accordée à l’esprit dans la perception de soi et du monde du sujet connaissant, il propose une théorie du corps qui repose sur une conception non-duelle du corps et de l’esprit, manifeste au sein de la pratique du Zen.
La question est, dès lors, celle de savoir en quel sens cette approche philosophique de la pratique du Zen a pu refléter une distinction cartésienne ?
Through a comparative approach, I will argue that Stoic and Zen disciplines are not conceived merely as means serving an external goal but the very essence of accomplishment. Grounded on a fundamental relation to oneself, the main function of these exercises is to clarify this relation, to lead to a harmonious state through a self-transformation.
Talks by Laurentiu Andrei
Eu égard aux problèmes d’ordre métaphysique et éthique qu’elle soulève, on comprend que la coproduction conditionnée ait pu exercer la sagacité de générations de pratiquants et de bouddhologues qui se sont attachés à en clarifier le sens à travers une littérature abondante. Prenant appui sur certains de ces travaux, la présente communication souhaite aborder la question de la causalité en sa dimension éthique à partir de trois écrits du moine zen Dōgen (道元) (1200-1253) : La grande pratique (Daishugyō 大修行), Les trois temps karmiques (Sanjigo 三時業) et Foi profonde en cause et effet (Shinjin inga 深信因果).
Seated Meditation: Thinking about the Non-Thinking. A Spiritual Exercise in Dōgen’s Zen
The Japanese monk Dōgen Kigen (1200-1253) views seated meditation (zazen) as the essence of what is called dhyāna in Sanskrit and zen in Japanese. The practice of such a kind of meditation draws on rules governing precisely one’s manner of seating so as to be able to “think about the non-thinking”. It has often been considered an amoral, anti-intellectual or quietist perspective. But the instruction to think neither about good nor evil is neither amoral nor anti-intellectual. It is intended as a means of overcoming, within practice itself, any dualistic attitude regarding self and world, by way of a genuine spiritual exercise that equally involves body and mind.
Plan de l'article
Une technique du corps et de l’esprit
Sans penser au bien ou au mal ; penser au sans penser
S’asseoir sans visée
L’injonction delphique, « Connais-toi toi-même ! », outre le fait qu’elle a été le leitmotiv de la démarche socratique, mit à l’épreuve la sagacité des stoïciens. Pour ce qui est du Zen, Dōgen rappelle qu’il consiste dans une quête de soi. Depuis cette perspective, la similarité entre stoïcisme et Zen est frappante. La connaissance de soi est une tâche urgente qui requiert une ascèse. Ce qui n’empêche pas qu’elle soit entendue comme une tendance naturelle. Dès lors, comment comprendre la connaissance de soi située entre spontanéité naturelle et techniques propres à une discipline ? Quel est son objet ? Quel “soi” s’agit-il de connaître et à quelle fin ? Pour explorer ces questions un poème de Coleridge servira de tertium comparationis permettant des va-et-vient entre stoïcisme et Zen.
English:
The Delphic injunction, “Know thyself !” was the leitmotif of the Socratic approach and also a challenge for the Stoic philosophers. As for Zen, the Japanese Master Dōgen says that it consists in a quest of the self. From this perspective, the similarity between Stoicism and Zen is striking. Self-knowledge is understood as an urgent task that requires asceticism. This does not prevent it from being understood primarily as a natural tendency. Therefore, how to understand selfknowledge thus located between natural spontaneity and discipline-specific techniques ? What is its object ? What “self” is there to be known and to what end ? To explore these questions a Coleridge poem will be used as tertium comparationis, allowing round-trips between Stoicism and Zen.
Le soi, en tant qu'auto-détermination de l'amour, doit s'aimer soi-même. Toutefois, cet amour n'est pas à entendre seulement comme amour de soi, mais aussi comme amour de l'autre. Envisagé comme une relation dialectique où l'altérité est essentielle pour la détermination du soi, le véritable amour est celui où le soi voit en soi-même l'autre absolu. Tout en le rapprochant de l'agapè chrétienne, et en particulier des écrits d'Augustin concernant l'amour de Dieu en son rapport au soi, Nishida appelle cet amour éveil à soi du néant absolu. C'est pourquoi ce rapprochement avec le christianisme apparaît problématique car il met face à face deux conceptions du monde très éloignées: une métaphysique du néant et une métaphysique de la création et de la chute.
Pour tenter de comprendre ce qui permet à Nishida d'associer ces deux métaphysiques autour du thème de l'amour, il convient d'analyser la manière dont il entend l'amour chrétien. L'hypothèse que je soutiens consiste en ceci que le rapprochement opéré par Nishida nécessite une lecture particulière de l'agapè, indépendante de son aspect créationniste au sens strict. Tandis que l'amour chez Augustin est ce qui permet de regagner, après la chute, son lieu propre établi par Dieu en fonction d'un ordre du monde, chez Nishida, au contraire, le basho n'implique pas une telle chute. C'est pourquoi l'influence du bouddhisme a infléchi, à mon sens, la lecture nishidéenne de l'amour chrétien. Il me semble notamment que le concept de basho, lieu de l'amour comme relation dialectique, doit en partie son élaboration à une notion bouddhiste comme celle de position dharmique (hōi). Ceci impliquerait que dans l'interprétation nishidéenne de l'amour se trouve également, en creux, une pensée de l'interdépendance (engi).
En reprenant à son compte la formule, le maître japonais semble vouloir désigner par là une discipline de la pensée, une sorte d’exercice spirituel, intrinsèquement liée à une posture corporelle : zazen. Il s’agira, dans la présente communication, d’interroger la nature de cette pratique : en quoi consiste-t-elle et quelle est sa visée, si visée il y a ? S’agit-il là d’une technique – d’un moyen habile (<j> hōben 方便) ? Ou bien la non-pensée est-elle l’éveil lui-même ? Que s’agit-il de suspendre dans la pensée pour parvenir à la non-pensée, propice à l’éveil ? À travers ses interrogations, nous chercherons à rendre compte de la conception de la pratique mise en avant par Dōgen et de l’usage original qu’il en fait dans ses conseils adressés aux disciples.
Sooner or later all comparative philosophers have to face this fundamental question. I intend to address it here through a specific example, namely a comparison between Zen and Stoicism. Bringing these schools into comparison is not only particularly important because of their tremendous influences that shaped the ideas of their respective cultural context (see for instance the influence of Stoicism on Christianity and Enlightenment and that of Zen on Kyoto school philosophy), but also justified by the peculiar emphasis which both these schools put on the relationship between discourse (theoretical aspect) and practice (spiritual aspect). As we shall see, the way they considered this relationship is not without importance when it comes to the way philosophy itself can be conceived.
A philosophical comparison between Zen and Stoicism meets two objections primarily. The first one is related to cultural differences. As history deeply determines cultural context, trying to understand and compare different traditions, when no contact has ever been historically attested between them, seems to be futile. In this perspective the comparison between Zen and Stoicism appears thus useless and irrelevant. Indeed, some would argue that in order not to incur the risk of reductionism, or worse, caricature, it is prudent to avoid cross-cultural comparison of this kind, for, in fine, one can only compare what is comparable (i.e. what shares a common historical/cultural ground). Nevertheless I think that what appears here to be an attitude of prudence, for the sake of steering clear of a dialogue of the deaf between two philosophical traditions, it is only a form of resignation in front of intrinsic cultural differences. By stressing on cultural incommensurability, those who uphold this position fail (and even refuse) to engage into a trans-cultural dialogue. I believe, on the contrary, that this kind of dialogue needs to be engaged not only because it can shed new light on many philosophical questions, but also because it has an important ethical dimension, as it contributes to mutual understanding.
So in order to overcome this kind of objection I will argue that cultural difference, far from being an obstacle, can on the contrary become an interesting opportunity allowing a complete change of perspective that can confer a fresh look into a specific question such as the one concerning the relationship between philosophical discourse and practice. Emphasised in both Stoic and Zen schools, this relationship, when comparatively approached, reveals, as I mentioned before, some essential issues concerning the way philosophy itself is conceived by those willing to engage in such a cross-cultural dialogue.
This brings us to the second objection that could stand against a philosophical comparison between Zen and Stoic schools. Far too often, under the influence of such a great figure as Suzuki Daisetsu Teitarō, Zen was (and still is) considered as a non-discursive undertaking and therefore fundamentally irrational and intellectually inaccessible. By the same token, someone well-versed in comparative studies, like Izutsu Toshihiko, writes for instance that “Zen tends to entertain a violent aversion toward philosophization and talking about Zen experience in rational terms”. This kind of argument rests on the Buddhist refusal of any void speculation, that manifested in Zen as a distrust towards language. That is why Zen was considered more a spiritual practice as opposed to a theoretical and speculative endeavour and, as such, it was viewed anti-philosophical. At this point, one must stress that the conception of philosophy involved here rests on a radical opposition between theoretical knowledge and spiritual practice, the former being attributed to Western philosophy and the latter to Eastern ways of liberation such as Zen Buddhism.
Comparing Zen with the Stoic school will reveal that such conception of philosophy not only opposes Zen and philosophy in a questionable way, but also seems to ignore the multiple forms of philosophizing, pretending that the whole of Western philosophy could boil down to purely theoretical aspects. Yet, scholars such as Pierre Hadot stressed out that philosophy was more than a theoretical enterprise from the start: it is (also) a way of living. Furthermore, because of its extremely systematic doctrine, the Stoic school is a privileged example of Western philosophy which, as André-Jean Voelke reminds us, allows to go beyond the banal opposition between knowledge and action. Therefore, I will argue that insofar as Suzuki (et alii)’s position is built on a too sharp opposition between theory and practice and endorses a strict separation between knowledge and spirituality, it can be considered a reductive conception of philosophy. Then, a comparative enterprise can contribute to reconsider the conception one uses when one reflects on the presence and peculiarity of philosophy in other cultural horizons.
Une des manières les plus célèbres d’aborder cette question est la philosophie de René Descartes, où le corps et l’esprit sont entendus, malgré leur union, comme deux substances distinctes : l’une étendue et l’autre pensante. Cette conception a marqué non seulement l’histoire de la pensée occidentale, mais elle a également eu un certain écho dans d’autres traditions, notamment au Japon. Dès l’école de Kyoto, on s’est intéressé à la pensée de Descartes. Chez un auteur plus tardif, Yuasa Yasuo, cette philosophie est abordée par le prisme du Zen. Yuasa prend, en effet, la mesure des conséquences de ce qu’on a appelé le dualisme cartésien du corps et de l’esprit pour la philosophie et les sciences. Il en critique la tendance à minimiser le rôle du corps par rapport à celui de l’esprit, lorsqu’il s’agit de rendre compte de ce qu’est véritablement un individu dans son rapport au monde. Pour pallier la prééminence accordée à l’esprit dans la perception de soi et du monde du sujet connaissant, il propose une théorie du corps qui repose sur une conception non-duelle du corps et de l’esprit, manifeste au sein de la pratique du Zen.
La question est, dès lors, celle de savoir en quel sens cette approche philosophique de la pratique du Zen a pu refléter une distinction cartésienne ?
Through a comparative approach, I will argue that Stoic and Zen disciplines are not conceived merely as means serving an external goal but the very essence of accomplishment. Grounded on a fundamental relation to oneself, the main function of these exercises is to clarify this relation, to lead to a harmonious state through a self-transformation.
Eu égard aux problèmes d’ordre métaphysique et éthique qu’elle soulève, on comprend que la coproduction conditionnée ait pu exercer la sagacité de générations de pratiquants et de bouddhologues qui se sont attachés à en clarifier le sens à travers une littérature abondante. Prenant appui sur certains de ces travaux, la présente communication souhaite aborder la question de la causalité en sa dimension éthique à partir de trois écrits du moine zen Dōgen (道元) (1200-1253) : La grande pratique (Daishugyō 大修行), Les trois temps karmiques (Sanjigo 三時業) et Foi profonde en cause et effet (Shinjin inga 深信因果).
même des injustices, dues aux différences entre les éléments comparés. À ce propos, Victor
Goldschmidt invoque une sorte de « loi de géométrie spirituelle » en vertu de laquelle, parfois, il
n’est possible que « d’aller du centre d’un système étudié à un point périphérique du système
comparé » (V. Goldschmidt, Le système stoïcien et l’idée de temps, Paris, Vrin, 1998, p. 9). Mais, si la loi de géométrie spirituelle dont parle Goldschmidt doit être assumée
comme une difficulté intrinsèque à la comparaison elle-même, ce n’est pas la seule. En effet,
d’autres obstacles, de nature différente, peuvent s’ériger sur le chemin d’une telle entreprise. C’est
précisément la question de ces obstacles qui fera l’objet de cette communication, dont la finalité est
de réfléchir à l’intérêt de la voie comparatiste en philosophie. En prenant l’exemple d’une
comparaison entre stoïcisme et bouddhisme zen, je vais analyser, tout d’abord, trois arguments qui
semblent l’interdire.
La première pierre d’achoppement est le fait que le bouddhisme soit généralement considéré
comme une religion et le stoïcisme, comme une philosophie. Après avoir brièvement discuté la
pertinence d’une telle distinction, deux autres arguments seront ensuite analysés. L’un, historiciste,
consiste à invoquer l’hétérogénéité culturelle de ces traditions, afin de conclure à leur
incommensurabilité. Aborder cet argument offrira l’occasion d’examiner certains problèmes liés au
rôle joué par la temporalité ou l’historicité d’un discours. La controverse historique/anhistorique
sera dénoncée comme étant une fausse alternative. Pour ce qui est de l’autre argument, il consiste à
soutenir une incompatibilité entre zen et pensée rationnelle qui rendrait impraticable le terrain de la
comparaison philosophique. Reposant sur une opposition radicale entre connaissance théorique et
pratique spirituelle, cet argument interroge la légitimité d’une comparaison entre philosophie et
bouddhisme zen. La question sera donc de mesurer la portée de ces arguments et de savoir s’ils
peuvent constituer des obstacles insurmontables pour une comparaison philosophique.
Pour finir, je vais argumenter en faveur d’une finalité pratique de la philosophie comparée ;
son intérêt, qui peut être celui de la recherche d’un savoir pour lui-même, réside principalement
dans le développement d’un questionnement d’ordre éthique, qui vise un apprentissage de soi à
travers une sortie vers l’autre.
Troisième colloque du Réseau européen de philosophie japonaise (European Network of Japanese Philosophy)
contact: [email protected]
Programme consultable sur : www.enojp.org
Confirmed Keynote Speakers: Prof. Michael Lucken, Institut national des langues et civilisations orientales Prof. John Maraldo, University of North Florida Prof. Emmanuel Lozerand, Institut national des langues et civilisations orientales
Intervenants invités : Prof. Michael Lucken, Institut national des langues et civilisations orientales Prof. John Maraldo, University of North Florida Prof. Emmanuel Lozerand, Institut national des langues et civilisations orientales
Une attention toute particulière sera portée aux notions de méthode, de métaphysique et de principes cartésiens. Ces notions fondamentales et leurs interprétations influencent profondément la pensée philosophique occidentale. Dès lors, il convient de savoir dans quelle mesure cette influence est présente dans le développement philosophique au Japon. Quels sont donc les croisements, parallèles, points d'accord et de désaccord?
La démarche du colloque se propose dès lors d'interroger et de questionner les éléments cartésiens qui donnent ou qui ne donnent pas lieu à une (ré)appropriation par les philosophes qui travaillent au Japon. Soulignons que cette interrogation essentiellement philosophique implique des questionnements métaphysiques, ontologiques tout aussi bien qu'éthiques.
Cette investigation présente une conséquence inéluctable sur notre conception de la philosophie cartésienne et occidentale de manière plus générale. Ce colloque invite à se réinterroger, à partir de la réception de la philosophie cartésienne au Japon, sur le statut de l'interprétation cartésienne en Occident. C’est en conséquence ce regard philosophique croisé qui nous intéresse et que nous souhaitons aborder.
This work offers an overview of Cartesian research done in Japan from the Edo period to today. It also examines how to articulate Descartes’ philosophy - according to a philosophical In-Sein - with thought that is radically different.