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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

 

DES CONTRADICTIONS DES STO�CIENS.

 

I. DES CONTRADICTIONS DES STO�CIENS.

II. QUE LES STO�CIENS DISENT DES CHOSES PLUS �TRANGES QUE LES PO�TES EUX-M�MES.

III. DES NOTIONS COMMUNES CONTRE LES STO�CIENS.

 

 
 

texte grec

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DES CONTRADICTIONS DES STO�CIENS.

PR�FACE DU TRADUCTEUR.

L'honn�te, le judicieux Plutarque ne fut pas toujours exempt de pr�vention et de partialit�. Tromp� par son amour m�me pour la v�rit�, et par la droiture de ses intentions, il se livra plus qu'un autre aux pr�jug�s qu'il avait une lois con�us. Nous en avons vu des exemples frappants dans les jugements qu'il a port�s de deux hommes c�l�bres de l'antiquit�, H�rodote et Aristophane, dont le premier est aussi estimable par sa sinc�rit� et son exactitude comme historien qu'int�ressant et agr�able par toutes les qualit�s qui forment un bon �crivain; l'autre, moins digne d'estime par son caract�re moral, fut un po�te distingu� par ses talents, qui lui m�rit�rent les suffrages de son si�cle et ceux de la post�rit�. Les deux trait�s qu'on va lire sont une nouvelle preuve de l'injustice dont l'esprit de parti rend coupables ceux qui s'y livrent, et jusqu'� quel point il peut �garer les esprits les plus honn�tes et d�naturer leur caract�re. Plutarque �tait acad�micien, et il avait embrass� les dogmes de cette �cole avec ce z�le et cette ardeur qu'inspir� ordinairement aux �mes vertueuses la persuasion qu'elles poss�dent la v�rit�, et qui va quelquefois jusqu'� l'enthousiasme. Le bon Plutarque le poussa jusqu'� l'intol�rance d'opinions a l'�gard de quelques autres sectes. Il avait surtout vou� l'opposition, je dirais presque l'antipathie la plus d�clar�e aux philosophes du Portique; je dis aux philosophes, et non pas � l'�cole du Portique. Car cette esp�ce de haine qu'il fait en toute occasion �clater sans m�nagement contre cette secte ne se borne pas � combattre leurs principes; il cherche encore � couvrir leurs personnes de ridicule et de m�pris, � les faire passer pour des profanateurs de la vraie philosophie, aussi ennemis de la vertu que de la raison, et qui semblaient avoir pris � l�che de renverser les notions communes que la nature a mises dans tous les hommes pour �tre la r�gle de leurs jugements et de leur conduite: triste exemple de ce que peut l'attachement � un parti, lors m�me que la v�rit� nous y conduit, si l'on n'y porte pas en m�me temps un esprit de mod�ration et du justice!

Donc il faut bien se garder de juger des sto�ciens et de leurs opinions d'apr�s l'id�e que Plutarque nous en donne dans ces deux


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trait�s. Ce n'est pas un expos� de leur doctrine qu'il nous pr�sente ; il ne nous met pas sous les yeux les principes et les dogmes dont on faisait profession dans le Portique, pour les combattre ensuite avec les armes du raisonnement et les proc�d�s de la bonne foi. Il choisit dans les nombreux ouvrages sortis de cette �cole les endroits les plus faibles; il rapproche les passages de plusieurs de ces philosophes qui n'�taient pas d'accord entre eux : diversit� d'opinions commune � toutes les sectes, et dont celle de Plutarque n'�tait pas elle-m�me plus exempte que les autres. C'est d'apr�s un choix si partial qu'il accuse les sto�ciens d'�tre sans cesse en contradiction avec eux-m�mes et de d�truire les id�es les plus communes du bon sens. Mais ce qui prouve plus sensiblement encore sa partialit�, c'est qu'entre tous les philosophes de cette secte, il s'est particuli�rement attach�, pour en faire l'objet de ses d�clamations, � celui d'entre eux dont le caract�re et les �crits pr�taient le plus � la critique, mais dont aussi, par cela m�me, les erreurs, les incons�quences et les contradictions devaient �tre moins imput�es � une �cole c�l�bre qui profita de ses lumi�res sans partager ses �carts; car d'ailleurs Chrysippe, ce philosophe si d�cri� par Plutarque, n'�tait pas sans m�rite et sans talents. Il abusa sans doute de sa subtilit� naturelle dans l'art de la dialectique, pour soutenir les paradoxes les plus absurdes, pour �tablir des principes qu'il se faisait ensuite un jeu de combattre et de d�truire. Il n'abusa pas moins de sa prodigieuse facilit� pour la composition, puisque ses ouvrages, suivant Diog�ne La�rce, �taient au nombre de sept cent cinq ; mais, ajoute cet auteur, s'il a produit un si grand nombre d'�crits, cela vient de ce qu'il composait plusieurs fois sur la m�me mati�re, qu'il faisait usage de tout ce qui lui venait dans la pens�e, et qu'il farcissait, pour ainsi dire, ses ouvrages d'une infinit� de preuves et de citations.


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DES CONTRADICTIONS DES STO�CIENS.

(1033a) Je voudrais qu'on v�t toujours un accord parfait entre les maximes des hommes et leur conduite ; il est encore moins n�cessaire que l'orateur et la loi aient un m�me langage, comme (1033b) le dit Eschine, qu'il ne l'est que la vie d'un philosophe soit conforme � ses discours. La doctrine d'un philosophe est la loi particuli�re qu'il s'est volontairement impos�e, si toutefois il est vrai, comme on n'en peut douter, que la philosophie soit, non un jeu et une subtilit� d'esprit qui n'ait pour objet qu'une vaine gloire, mais une �tude importante qui m�rite toute notre application.

Z�non lui-m�me, Cl�anthe et Chrysippe (01), ont �crit plusieurs ouvrages de pure sp�culation sur l'administration publique, sur le commandement et l'ob�issance, sur les fonctions de juge et d'avocat. Mais, dans la pratique, on ne trouve pas un seul sto�cien qui ait administr� une r�publique ou �tabli des lois, qui ait paru dans le S�nat (1033c) ou au barreau, qui se soit arm� pour la d�fense de sa patrie, qui ail �t� en ambassade ou fait quelque largesse au public. Ils ont pass� tout le cours d'une vie tr�s longue dans des pays �trangers, retenus par l'amour de la tranquillit�, comme s'ils eussent go�t� du lotus (02), uniquement occup�s d'�crire, de disputer et de se promener. Ne r�sulte-t-il pas �videmment de cette conduite qu'ils ont


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v�cu conform�ment � ce que les autres ont dit ou �crit, plut�t que d'apr�s leurs propres principes, et qu'ils ont pass� toute leur vie dans ce repos, si fort recommand� par �picure et par Hi�ronyme.

Chrysippe lui-m�me, dans son quatri�me livre des Vies (03), pr�tend que la vie des gens de lettres ne diff�re point de celle des voluptueux.  (1033d) Je vais rapporter ses propres paroles :

� Ceux qui croient que le genre de vie qui convient le plus aux philosophes est celui qui les �loigne de l'administration des affaires publiques, sont dans l'erreur. Ils veulent qu'on ne s'applique � la philosophie que par amusement ou par quelque autre motif semblable, et qu'on tra�ne ainsi toute sa vie dans l'�tude, c'est-�-dire, pour parler ouvertement, dans une douce oisivet�. Et l'on ne peut se m�prendre sur leur opinion, puisque plusieurs s'en expliquent clairement, quoique beaucoup d'autres le fassent d'une mani�re plus obscure. �

Mais quels hommes ont plus vieilli dans cette vie litt�raire que Chrysippe, que Cl�anthe, que Diog�ne (04), que Z�non et Antipater, qui tous abandonn�rent leurs patries, dont ils n'avaient pas � se plaindre, et seulement pour (1033e) aller mener ailleurs, loin des affaires (05), une vie plus douce, uniquement occup�s � �tudier et � disputer? Aristocr�on, disciple et parent de Chrysippe (06), lui ayant �rig� une statue de bronze, y fit graver cette inscription :


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� Ce bronze fut dress� par Aristocr�on,
Pour immortaliser la m�moire et le nom
De Chrysippe, l'honneur des �coles sto�ques,
Et le glaive tranchant des n�uds acad�miques. �

Tel fut Chrysippe, ce vieillard, ce philosophe, ce pan�gyriste de la vie des rois et des hommes d'�tat, qui croit que la vie des gens de lettres ne diff�re point de celle des voluptueux.

Ceux d'entre ces philosophes qui se m�lent des affaires publiques sont encore plus en contradiction (1033f) avec leurs principes. Ils exercent des magistratures, ils jugent, ils d�lib�rent, ils font des lois, ils punissent, ils r�compensent, avec la persuasion qu'il n'y a de v�ritables r�publiques que celles o� ils gouvernent eux-m�mes, de s�nateurs et de juges int�gres que ceux qui ont �t� nomm�s par le sort, de pr�teurs l�gitimes que ceux qui le sont par les suffrages des citoyens, de lois sages que celles de Clisth�ne (07), de Lycurgue et de Solon, tandis qu'ils regardent ces l�gislateurs comme des insens�s et des m�chants (08). Lors donc que les sto�ciens administrent les affaires publiques, ils sont en contradiction avec eux-m�mes.

(1034a) Antipater, dans son ouvrage sur la dispute entre Cl�anthe et Chrysippe, dit que Z�non et Cl�anthe refus�rent d'�tre citoyens d'Ath�nes pour ne pas faire injure � leur patrie. Je n'observerai pas ici que, s'ils ont eu raison en cela, Chrysippe a eu tort de se faire inscrire sur le r�le des citoyens. Mais il me semble qu'il y a bien de l'incons�-


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quence � transporter ainsi sa personne et sa vie dans une terre �trang�re, et � ne laisser que son nom dans sa patrie. C'est imiter un homme qui abandonnerait sa femme l�gitime pour vivre avec une autre dont il aurait des enfants, et qui refuserait seulement de l'�pouser pour ne point para�tre outrager la premi�re. (1034b) D'ailleurs Chrysippe, qui, dans son trait� de Rh�torique, dit que le sage parlera en public, et se m�lera des affaires du gouvernement, parce qu'il regarde les richesses, la gloire et la sant� comme de v�ritables biens, n'avoue-t-il pas que tous ses discours ne sont que de vaines paroles, que des pr�ceptes contraires � toute politique, et que ses principes ne sauraient s'accorder avec les actions et les besoins de la vie humaine?

Z�non, dans un de ses pr�ceptes, d�fend de b�tir des temples aux dieux, parce qu temple n'est pas un �difice sacr� et digne de nos respects, et qu'�tant l'ouvrage d'artisans grossiers, il ne peut avoir un grand prix. Cependant ces m�mes philosophes, qui louent de telles maximes, se font initier � nos myst�res, montent au temple de Minerve dans la citadelle, adorent les images des dieux, et (1034c) couronnent ces autels, qui sont l'ouvrage de vils artisans. Ils accusent les �picuriens de contredire leurs dogmes quand ils offrent des sacrifices aux dieux (09) ; mais ils sont bien plus contraires � eux-m�mes lorsqu'ils sacrifient sur des autels et dans des temples qu'ils voudraient ne pas voir exister, et qu'il est, selon eux, ind�cent de construire.

Z�non, � l'exemple de Platon, distingue plusieurs vertus � raison de leurs diff�rences; telles que la prudence, la force, la temp�rance et la justice. Il convient qu'elles sont ins�parables, mais que cependant elles diff�rent entre elles. Quand ensuite il vient


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� les d�finir, il dit que la force est la prudence dans l'ex�cution, que la justice est la prudence dans la distribution, comme s'il n'y avait qu'une seule vertu qui n'e�t que des rapports diff�rents selon la diversit� des actions. (1034d) Ce n'est pas seulement Z�non qui se contredit lui-m�me sur cette mati�re, mais encore Chrysippe, qui, apr�s avoir bl�m� Ariston de ce qu'il regarde les diff�rentes vertus comme des modifications d'une seule, justifie les d�finitions que Z�non a donn�es de chaque vertu. Cl�anthe dit, dans ses M�moires de Physique,

� que le ressort de tous les �tres est l'effet de l'impression du feu, et que, s'il est assez actif dans l'�me, pour lui faire accomplir ses devoirs, on l'appelle alors force et puissance ; �

apr�s quoi il ajoute en propres termes :

� Quand cette force et cette puissance s'exercent sur des choses d'�clat dans lesquelles il faille pers�v�rer, elle se nomme continence ; si c'est � des choses qu'on doive supporter, elle s'appelle force; s'il faut l'appliquer aux divers degr�s de m�rite, c'est la justice; (1034e) s'il s'agit de ce qu'il faut poursuivre ou rejeter, c'est la temp�rance. �

On dit commun�ment :

� Il faut pour bien juger, ou�r les deux parties. �

Z�non, pour contredire cette maxime, raisonne ainsi :

� Ou le premier qui a parl� a prouv� son dire, et alors il ne faut pas �couter le second, puisque la question est d�cid�e, ou bien il ne l'a pas prouv�, et alors c'est comme s'il n'avait pas comparu en justice ou qu'il n'e�t dit que de vaines paroles. Soit donc qu'il ait prouv� son affaire ou qu'il ne l'ait pas prouv�e, il est inutile de laisser parler le second. �

Cependant, apr�s avoir propos� ce dilemme, il a �crit contre la R�publique de Platon, il a enseign� la m�thode de r�soudre les sophismes, et il a exhort� ses disciples � l'�tude de la dialectique, (1034f) comme un art propre � leur apprendre ces solutions. Mais on peut lui


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dire : Ou Platon, dans sa R�publique, a prouv� le sujet qu'il traitait, ou il ne l'a pas prouv�. Or, dans l'un et l'autre cas, vous n'aviez pas besoin d'�crire contre lui, et tout ce que vous avez �crit est inutile et superflu. On doit en dire autant par rapport aux sophismes.

(1035a) Chrysippe veut que les jeunes gens apprennent d'abord la logique, ensuite la morale, puis la physique, et que dans celle-ci on r�serve la question des dieux pour la derni�re. Il l'a souvent dit dans ses ouvrages, mais il. suffira de rapporter le passage suivant de son quatri�me livre des Vies :

�  Il me semble, dit-il, que, d'apr�s la division exacte des anciens, on distingue trois parties dans la philosophie sp�culative, la logique, la morale, et la physique. Je crois qu'il faut commencer par la logique, passer ensuite � la morale, et finir par la physique, dans laquelle ce qui regarde les dieux doit �tre plac� le dernier. (1035b) C'est pour cela que la partie o� l'on en traite en t�l�te (10). �

Cependant cette instruction sur les dieux, qu'il prescrit de placer la derni�re, il la met toujours lui-m�me � la t�te de toutes les questions morales. Jamais vous ne le verrez traiter des fins de nos actions, de la justice, des biens et des maux, du mariage, de l'�ducation des enfants, des lois, et de l'administration publique, qu'� l'exemple de ceux qui, dans les villes, commencent leurs d�crets par des v�ux pour la prosp�rit� de l'�tat, il ne place � la t�te de son trait� les noms de Jupiter, du Destin et de la Providence ; qu'il ne dise que le monde est unique, qu'il est fini, et qu'une seule puissance le conserve. Or, on ne (1035c) peut �tre persuad� d'aucun de ces points qu'on n'ait p�n�tr� dans les profondeurs de la


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philosophie naturelle. �coutee ce qu'il dit lui-m�me dans son troisi�me livre des dieux :

� On ne saurait imaginer aucune autre source de la justice que Jupiter et la nature universelle (11). C'est de ce principe qu'il faut que nous partions lorsque nous voulons traiter des biens et des maux. �

Il dit encore, dans ses Questions naturelles :

� La mani�re la plus convenable, ou plut�t la seule d'entrer dans les questions des biens et des maux, des vertus et du bonheur, est de commencer par la nature universelle et par le gouvernement de l'univers. �

Il ajoute, un peu plus loin :

(1035d) � C'est � ce principe qu'il faut lier les questions des biens et des maux, parce qu'il n'est point de meilleur commencement ni de meilleure relation, et que l'�tude de la nature ne doit avoir d'autre but que de conna�tre la diff�rence des biens et des maux. �

Ainsi, selon Chrysippe, la physique est tout � la fois et avant et apr�s la morale, ou plut�t c'est renverser tout ordre que de mettre � la derni�re place des questions sans la connaissance desquelles les premi�res qu'on traite ne sauraient �tre comprises. Et c'est une contradiction manifeste d�dire que la physique est le principe de l'enseignement sur les biens et les maux, et de vouloir cependant qu'on ne l'enseigne qu'apr�s celle-ci.

(1035e) Si quelqu'un m'oppose que Chrysippe, dans son trait� sur l'usage du discours, dit qu'en commen�ant par apprendre la logique, on ne doit pas pour cela s'abstenir des autres sciences, mais s'en instruire, autant que possible, il dit vrai, mais aussi il confirmera le reproche que je lui fais. Car il se contredit lui-m�me en prescrivant tant�t qu'on n'apprenne qu'en dernier la science qui traite des dieux, et qui, pour cela, est appel�e t�l�te, et tant�t qu'on commence par s'instruire de celle-l�. Il n'y a plus aucun ordre, s'il faut tout embrasser � la fois. Et,


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ce qui est bien plus fort encore, c'est qu'apr�s avoir dit que l'instruction sur les biens (1035f) et sur les maux doit �tre pr�c�d�e par celle qui traite des dieux, il ne veut pas que ceux qui s'appliquent � l'�tude de la morale commencent par celle-ci; mais qu'en apprenant la morale, ils s'instruisent de l'autre autant qu'ils le pourront pour passer ensuite de la morale � la science des dieux, sans laquelle, de son aveu m�me, on ne peut entrer dans la morale ni y faire aucun progr�s.

Quant � la m�thode de soutenir le pour et le contre sur une m�me mati�re, il ne la condamne pas absolument, mais il veut qu'on en use avec r�serve, comme dans les tribunaux, o� l'on ne soutient pas les raisons de la partie adverse, (1036a) et o� l'on cherche seulement � en d�truire la probabilit�.

� Ceux qui n'affirment jamais rien (12) peuvent, dit-il, s'accommoder de cette m�thode, parce qu'elle convient au but qu'ils se proposent. Mais ceux qui veulent acqu�rir une science v�ritable qui leur serve de r�gle de conduite doivent, dans toute la suite de leur ouvrage, �tablir des principes certains, et seulement, lorsque l'occasion s'en pr�sente, faire mention des opinions contraires, comme dans les tribunaux on discute la probabilit� des raisons de son adversaire. �

Voil� ce qu'il dit en propres termes. J'ai prouv� ailleurs (13), contre Chrysippe, combien il est absurde de prescrire � des philosophes de rapporter les opinions de leurs (1036b) adversaires, non avec toutes leurs preuves, mais en les affaiblissant � la mani�re des avocats, comme s'ils devaient disputer pour la


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gloire de vaincre, et non pour d�couvrir la v�rit�. Mais lui-m�me, dans plusieurs antres de ses ouvrages que ceux de controverse, il expose souvent des opinions contraires aux siennes d'une mani�re si s�rieuse et si forte, qu'il n'est pas facile de distinguer ce qui lui pla�t le plus. C'est ce que reconnaissent ceux m�mes qui admirent sa subtilit� en ce genre. Ils disent que Carn�ade  (14), en disputant, ne tirait rien de son propre fonds, mais que, prenant les arguments dont Chrysippe s'�tait servi pour prouver l'opinion contraire � celle qu'il soutenait, il les faisait valoir contre lui, et que souvent il lui criait dans la dispute :

� Malheureux ! ton courage am�nera ta perte ; �

(1036c) C'est qu'il fournissait lui-m�me des arguments � ceux qui voulaient attaquer et renverser ses opinions.

Les partisans de Chrysippe triomphent si fort de ce qu'il a �crit contre la coutume, et ils le vantent avec tant d'emphase, qu'� les en croire, les ouvrages de tous les acad�miciens ensemble ne m�ritent pas d'entrer en parall�le avec ce que Chrysippe a �crit contre la s�duction des sens. Mais cette pr�tention prouve de leur part ou une grande ignorance ou un grand amour-propre. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'ayant voulu depuis d�fendre la coutume et les sens, il a �t� bien inf�rieur � lui-m�me ; et ce dernier ouvrage est �crit d'un style plus l�che. Ainsi il se (1036d) contredit lui-m�me, puisque ayant prescrit de proposer les opinions des adversaires, non en les soutenant, mais en prouvant leur fausset�, il a montr� plus de force pour combattre ses propres sentiments que pour les d�fendre. Apr�s avoir conseill� aux autres de traiter avec r�serve les


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opinions qui leur �taient contraires, parce qu'elles pouvaient emp�cher que la leur ne f�t bien saisie, il a lui-m�me apport� des raisons plus fortes pour affaiblir son opinion que pour la confirmer. On voit clairement qu'il le craignait lui-m�me, lorsqu'il dit, dans son quatri�me livre des Vies :

� Il ne faut pas proposer au hasard les preuves qui �tablissent l'opinion contraire (1036e) � celle qu'on soutient; mais user en cela de beaucoup de r�serve, de peur que les auditeurs, pr�occup�s par ces raisons, ne saisissent pas celles qu'on veut leur faire adopter, et que, n'�tant pas capables d'en bien comprendre la solution, ils ne se d�tachent des premi�res opinions qu'on leur avait expos�es. Car ceux m�me qui, par un effet de l'habitude, comprennent ais�ment les choses sensibles et celles qui en d�pendent, les abandonnent facilement, entra�n�s dans des opinions contraires par les subtilit�s rn�gariques (15) et par d'autres arguments plus nombreux et plus forts. �

Je demanderais volontiers aux sto�ciens s'ils croient ces subtilit�s m�gariques plus puissantes que celles que Chrysippe a propos�es en six livres,(1036f)  ou plut�t c'est � Chrysippe lui-m�me qu'il faut le demander. Voyez ce qu'il dit des subtilit�s m�gariques dans son trait� sur l'Usage du discours :

� Il est arriv�, dit-il, quelque chose de semblable � Stilpon et � M�n�d�me. Ces philosophes, si c�l�bres par leur sagesse, ont �t� bl�m�s du genre d'arguments qu'ils employaient, et on trouve aujourd'hui les uns trop communs, les autres trop sophistiques. �

(1037a) Mais, homme simple que vous �tes, dirai-je � Chrysippe, ces m�mes arguments, que vous tournez en ridi-


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cule, que vous dites �tre l'opprobre de leurs ailleurs et contenir un vice manifeste, vous craignez, cependant qu'ils n'emp�chent quelques uns de vos auditeurs de comprendre ce que vous leur enseignez. Et vous-m�me, qui avez �crit contre la coutume un si grand nombre d'ouvrages, o� la vaine ambition de surpasser Arc�silas vous a fait ajouter � ce qu'il avait dit le peu que vous avez pu inventer, ne comptiez-vous pas �branler quelques uns de vos lecteurs ? En effet, il ne se contente pas d'all�guer contre la coutume de simples raisonnements ; mais, comme s'il composait un plaidoyer, il se passionne pour sa cause, il taxe de folie ses adversaires et leur reproche de se donner une peine inutile. Et afin de ne pas laisser � d'autres le soin (1037b) de l'accuser de contradiction, il dit lui-m�me, dans ses Propositions naturelles :

 � On peut, lors m�me qu'on a compris une chose, la combattre par quelques raisonnements et la d�fendre autant qu'il est possible; et quelquefois m�me, si on ne comprend aucune des deux opinions, discourir en faveur de l'une et de l'autre. �

Dans son trait� sur l'Usage du discours, apr�s avoir dit que dans des choses qui ne le comportent pas il ne faut pas user de toute la force de la raison, comme on a soin de m�nager ses armes pour le combat, il ajoute :

� Il faut l'employer pour la recherche de la v�rit�, pour tout ce qui lui est analogue, et non pour ce qui lui est contraire, quoique plusieurs philosophes le fassent. �

Lorsqu'il dit plusieurs,  il entend peut-�tre (1037c) ceux qui suspendent leur jugement. Mais ces philosophes, ne comprenant aucune des deux opinions, all�guent, pour l'une et pour l'autre, les raisons qui leur paraissent plausibles, persuad�s que c'est le seul, ou du moins le plus s�r moyen de d�couvrir la v�rit�, si toutefois il y a quelque chose qu'on puisse savoir v�ritablement. Mais vous, Chrysippe, qui les bl�mez, tandis que vous �crivez, au sujet de l'habitude, le contraire de ce que vous croyez sa-


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voir, et qu'avec le z�le d'un d�fenseur, vous exhortez les autres � faire de m�me, ne convenez-vous pas que vous vous �tes livr� � une vaine et pu�rile ambition, en employant votre �loquence � soutenir des choses inutiles et m�me nuisibles?

Les sto�ciens disent que la loi ordonne les bonnes actions et qu'elle d�fend les mauvaises ; que c'est pour cela que la loi fait beaucoup de d�fenses aux (1037d) m�chants et ne leur commande rien, parce qu'ils sont incapables de faire le bien. Mais qui ne voit que celui qui ne peut pas faire le bien doit n�cessairement commettre le mal ? Ils mettent donc la loi en contradiction avec elle-m�me, puisqu'ils supposent qu'elle commande � certains hommes ce qu'ils ne peuvent pas faire, et qu'elle leur d�fend ce dont ils ne sauraient s'abstenir. L'homme incapable d'�tre temp�rant et sage ne peut �tre que fou et intemp�rant. Ils disent eux-m�mes que quand le magistrat fait une d�fense, il �nonce une chose, il en d�fend une autre et en commande une troisi�me. Mais celui qui dit : Vous ne d�roberez point, en m�me temps qu'il prononce ces paroles, d�fend bien de d�rober, (1037e) mais il n'ordonne rien. La loi ne d�fendra donc rien aux m�chants lorsqu'elle ne leur commandera rien. Ils disent aussi qu'un m�decin commande � son �l�ve de faire une amputation, d'appliquer un caut�re et de suivre � propos et avec adresse les le�ons qu'on lui a donn�es. Un musicien ordonne de m�me � son disciple de jouer de la lyre et de chanter en mesure. Aussi punissent-ils ceux qui le font mal et contre les r�gles de l'art, parce que, ayant re�u l'ordre de le bien faire, ils l'ont mal ex�cut�. Le sage donc, lorsqu'il ordonne � son esclave de dire ou de faire quelque chose, et qu'il le punit pour l'avoir mal fait, lui avait s�rement command� de faire une action parfaitement, et non pas m�diocrement bonne. (1037f) Mais si les sages prescrivent aux m�chants des actions m�diocrement bonnes, qui emp�che que celles que


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la loi impose ne soient de la m�me nature? Or, ce que les sto�ciens appellent inclination n'est, suivant la d�finition qu'en donne Chrysippe lui-m�me, dans son trait� de la Loi, que la raison qui ordonne � l'homme de faire quelque chose. L'aversion, au contraire, sera donc la raison qui d�fend d'agir ; et cette aversion est conforme � la raison. (1038a) La pr�caution est aussi la raison qui �loigne le sage de faire une chose; et celte vertu, qui est propre au sage, ne se trouve jamais dans les m�chants. Si donc la raison du sage est autre chose que la raison de la loi, cette pr�caution, qui est naturelle aux sages, se trouve contraire � la loi ; mais si la loi n'est pas diff�rente de la raison du sage, la loi d�fend donc aux sages ce qu'ils ont soin d'�viter.

Chrysippe dit que rien n'est utile aux gens vicieux, et qu'ils n'ont proprement besoin de rien. Apr�s avoir avanc� cela dans son premier livre des Devoirs, il dit que l� reconnaissance et l'action de gr�ce sont du genre des actions m�diocrement bonnes ou indiff�rentes, (1038b) dont, suivant ces philosophes, aucune n'est utile. Il ajoute, au m�me endroit, que rien n'est propre et convenable au m�chant, et, cons�quemment, que rien n'est �tranger au sage et que rien n'est bon au m�chant, parce que ce qui est bon � l'un est mauvais � l'autre. Pourquoi donc nous r�p�te-t-il sans cesse, dans tous ses ouvrages de physique et de morale, que, d�s l'instant de notre naissance, nous sommes unis, par des rapports naturels, avec nous-m�mes et avec tout ce qui fait partie de nous ou qui en a �t� tir� ?  Il ajoute, dans son premier livre de la Justice, que les b�tes brutes elles-m�mes, si l'on excepte les poissons, ont des liaisons naturelles avec leur prog�niture. Car les petits se nourrissent de la substance de leurs m�res. Mais il n'y a point de sentiment o� il n'y a point de sensibilit�, ni de rapport naturel o� rien n'est selon la nature, (1038c) parce que ce rapport semble �tre le sentiment et l'ap-


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pr�hension de ce qui est naturel � une chose. Cette opinion est une cons�quence de' leurs dogmes principaux.

Quoique Chrysippe ait, en plusieurs endroits de ses ouvrages, �crit le contraire, on voit cependant qu'il pense que les fautes et les vices ne sont pas plus grands les uns que les antres; il croit aussi qu'il n'y a point de vertu ou de bonne action qui soit plus parfaite qu'une autre. En effet, il dit, dans le troisi�me livre de la Nature :

� Comme il convient � Jupiter de penser avantageusement de lui-m�me et de se glorifier de sa vie, (1038b) parce que sa conduite justifie de tels sentiments, tous les sages peuvent en faire autant, attendu que Jupiter ne les surpasse en rien. (16) �

Il dit encore, dans son troisi�me livre de la Justice, que ceux qui placent la derni�re fin de l'homme dans la volupt� d�truisent la justice ; mais qu'il n'en est pas de m�me de ceux qui disent simplement que la volupt� est un bien. Voici ses propres termes :

� Peut-�tre qu'en laissant � la volupt� la qualit� de bien, et non celle de lin derni�re, en la mettant au nombre des choses qui sont bonnes et d�sirables par elles-m�mes, nous trouverons le moyen de conserver Injustice ; ce sera reconna�tre que l'honn�tet� et la justice sont des biens pr�f�rables � la volupt�. �

Mais s'il n'y a de bien que ce qui est honn�te, celui qui veut que la volupt�  soit un bien est dans l'erreur, quoiqu'� la v�rit� il y soit moins que celui (1038e) qui en fait la derni�re fin de l'homme. Celui-ci an�antit la justice, et l'autre du moins la conserve; l'un d�truit toute soci�t� humaine, l'autre laisse encore subsister la bienfaisance et l'humanit�. Je ne m'arr�te point � relever ce qu'il dit dans son livre sur


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Jupiter, que les vertus sont susceptibles de progr�s ; je craindrais de para�tre m'attacher aux mots, quoiqu'en ce genre, il traite lui-m�me sans aucun m�nagement Platon et d'autres philosophes. Mais quand il ne veut pas qu'on loue tout ce qui se fait de conforme � la vertu, il montre clairement qu'il y a de la diff�rence entre les bonnes actions. Voici comme il s'exprime, (1038f) dans son trait� sur Jupiter :

� Les actions �tant proportionn�es aux vertus qui les produisent, il faut louer les premi�res au m�me degr� que celles-ci. Par exemple, il serait froid et insipide de faire un m�rite � quelqu'un d'avoir �tendu son bras, comme s'il avait fait un irait de bravoure, de s'�tre abstenu d'une femme d�cr�pite et d'avoir compris tout de suite que trois ne font pas quatre. �

(1039a) Il dit la m�me chose dans son troisi�me livre des Dieux.

� Il serait, je crois, ridicule de louer quelqu'un pour s'�tre abstenu d'une vieille femme ou pour avoir support� courageusement la piq�re d'une mouche, quoiqu'au fond ce soient des actes de vertu. �

Quel autre accusateur attend-il donc de ses opinions que lui-m�me? Si celui qui loue de telles actions est froid et insipide, combien plus doit l'�tre celui qui veut les faire passer pour des actes de la vertu la plus parfaite ! Si c'est �tre brave que de supporter courageusement la piq�re d'une mouche, et continent que de s'abstenir d'une vieille femme, il n'y a pas, je crois, de diff�rence � louer un homme de bien sur l'une et sur l'autre de ces actions. (1039b) De plus, dans son second livre sur l'Amiti�, o� il enseigne qu'on ne doit pas rompre avec ses amis pour toutes sortes de fautes, il dit en propres termes :

� Il est des fautes qu'il faut dissimuler; il en est qu'il faut reprendre l�g�rement ; il y en a qui exigent des r�primandes s�v�res, et d'autres m�ritent qu'on renonce totalement � l'amiti�. �

Et, ce qui est plus fort encore, il dit, dans ce m�me livre, qu'�tant plus li�s avec certaines personnes qu'avec d'au-


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tres, les uns seront plus nos amis et les autres moins ; que cette diff�rence s'�tend si loin, que, parmi nos amis m�me, il y en aura qui obtiendront de nous plus (1039c) d'attachement, de confiance et d'autres affections pareilles. Que fait-il autre chose dans tous ces passages, que de mettre de tr�s grandes diff�rences entre les divers sentiments qui accompagnent l'amiti�? Cependant, pour prouver qu'il n'y a de bon que ce qui est honn�te, voici comment il s'exprime dans son trait� de l'Honn�tet� :

� Le bien est d�sirable par lui-m�me ; ce qui est d�sirable pla�t ; ce qui pla�t est louable; ce qui est louable est honn�te. �

Il dit ailleurs :

� Ce qui est bon donne de la satisfaction ; ce qui cause ce sentiment est honorable ; et ce qui est honorable est honn�te. �

Toutes ces maximes combattent l'opinion de Chrysippe ; car si tout ce qui est bon est louable, il le sera aussi de s'abstenir d'une femme d�cr�pite. Mais une telle action n'est ni bonne ni agr�able. Ainsi tout ce qui est bien n'est pas honorable et ne donne point de plaisir. Sa raison donc tombe d'elle-m�me. (1039d) Car est-il possible que l'on soit insipide et froid pour louer de pareilles choses, et que celui qui s'en r�jouit et en tire vanit� ne le soit pas?

Voil� quel est Chrysippe dans la plupart de ses ouvrages. Mais quand il dispute contre les autres, il s'embarrasse tr�s peu d'�tre en contradiction avec lui-m�me. Dans son trait� de l'Exhortation, en bl�mant Platon d'avoir dit que celui qui ne sait pas bien user de la vie aurait de l'avantage � en �tre priv�, il dit en propres termes :

� Un tel discours est une contradiction palpable et n'est nullement propre � encourager. D'abord, en nous montrant qu'il ne nous est pas utile de vivre, et en nous conseillant en quelque sorte de mourir, il nous exhorte � toute autre chose (1039e) qu'� la culture de la philosophie; car il n'est pas possible de s'y appliquer si on n'est vivant, ni de devenir prudent, quelque temps que l'on vive, si l'on


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vit dans le mal et dans l'ignorance. �

Il dit un peu plus loin qu'il convient aussi aux m�chants de rester dans la vie ; apr�s quoi il ajoute en termes expr�s:

� Premi�rement, la vertu, consid�r�e en elle-m�me, n'a rien qui puisse nous engager � vivre, ni le vice n'a rien qui doive nous d�terminer � sortir de la vie. �

 Il n'est pas n�cessaire de parcourir d'autres ouvrages de Chrysippe, pour prouver ses contradictions. Dans ceux que j'ai d�j� cit�s, il rapporte avec �loge ce mot d'Antisth�ne, qu'il faut faire provision de bon sens ou d'un lacs pour se pendre, et cite ce vers du po�te Tyrt�e :

� Renoncez � la vie, ou soyez vertueux. �

(1039f) Mais que veulent dire ces maximes, sinon que, pour les m�chants et les insens�s, la mort est pr�f�rable � la vie? Ailleurs, il corrige Th�ognis, et pr�tend qu'il n'aurait pas d� dire :

� Faites tout, cher Cyrnus, pour fuir la pauvret�,  �

mais plut�t,

� Cher Cyrnus, croyez-moi, pour �chapper au vice,
Jetez-vous dans la mer ou dans un pr�cipice.  �

(1040a) Que fait-il autre chose par l�, que de transcrire dans ses propres ouvrages les maximes qu'il efface et qu'il condamne dans ceux des autres? Il bl�me Platon d'avoir dit qu'il vaut mieux ne pas vivre que de rester dans le vice et dans l'ignorance, et il conseille � Th�ognis de dire que pour �chapper au vice, il faut se jeter dans la mer ou dans un pr�cipice. Il loue Antisth�ne de proposer un licol pour se pendre � ceux qui manquent de bon sens, et il condamne celui qui a dit que le vice n'est pas un motif suffisant pour abandonner la vie.

En combattant ce que Platon a dit sur la justice, il commence par ce qui regarde les dieux, et il dit (1040b) que C�-


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phalus a tort de d�tourner les hommes de l'injustice, par la consid�ration de la crainte des dieux; que ce motif peut �tre facilement affaibli et produire m�me un effet tout contraire ; que ce qu'il dit de la vengeance divine est susceptible de plusieurs r�ponses tr�s vraisemblables, et que ses raisonnements sur cette mati�re ne diff�rent pas des contes d'Acco et d'Alphito, dont les femmelettes effraient les petits enfants pour les d�tourner de mal faire (17).

Apr�s avoir ainsi d�chir� Platon, il cite souvent avec �loge ces vers d'Euripide :

� Vainement nous bravons la justice des dieux.
Nos forfaits ne sauraient �chapper � leurs yeux.  �

De m�me, dans son premier livre sur la Justice, apr�s avoir rapport� ces vers d'H�siode :

� Le souverain des dieux, arm� de son tonnerre,
Fait pleuvoir les fl�aux qui d�solent la terre,
La peste, la famine et la cruelle mort, �

il dit que les dieux en agissent ainsi afin que la punition des m�chants soit un exemple pour les autres, et qu'ils en soient moins hardis � commettre le mal.

Dans ses livres sur la Justice, il dit que ceux qui regardent la volupt� comme un bien, mais non comme la fin derni�re de l'homme, conservent au moins la justice. Voici ses propres termes :

� Peut-�tre qu'en laissant � la volupt� la qualit� de bien, et non celle de fin derni�re en la mettant au nombre des choses qui sont bonnes et d�sirables par elles-m�mes, nous trouverons le moyen de conserver la justice; ce sera reconna�tre (1040b) que l'honn�tet�


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et la justice sont des biens pr�f�rables � la volupt� (18).�

Voil� comment, dans cet ouvrage, il parle de la volupt�. Mais dans ce qu'il a �crit contre Platon, en bl�mant ce philosophe d'avoir mis la sant� au nombre des biens, il dit que non seulement la justice, mais encore la magnanimit�, la temp�rance et toutes les autres vertus sont an�anties si on donne la qualit� de biens � la volupt�, � la sant�, ou g�n�ralement � tout ce qui n'est pas honn�te. J'ai dit ailleurs, en combattant Chrysippe, ce qu'il y avait � all�guer pour la d�fense de Platon  (19). Mais ici la contradiction est �vidente de la part d'un homme qui, dans un endroit, dit qu'on conserve la justice en admettant que la volupt� est un bien ainsi que l'honn�tet�, et qui, dans un autre, accuse ceux qui reconnaissent d'autre bien que l'honn�tet�, (1040e) de d�truire toutes les vertus ; et pour ne laisser aucune excuse � ses contradictions, dans son trait� de la Justice contre Aristote, il le bl�me d'avoir dit que mettre la fin derni�re de l'homme dans la volupt�, c'est d�truire la justice et avec elle toutes les autres vertus. Il pr�tend qu'� la v�rit� cette opinion an�antit la justice, mais que rien n'emp�che que les autres vertus ne soient sinon d�sirables par elles-m�mes, du moins des vertus r�elles et bonnes. Il les parcourt ensuite l'une apr�s l'autre ; mais il vaut mieux rapporter ses propres termes :

(1040f) � Encore que, dans cette opinion, la volupt� semble �tre la fin derni�re de l'homme, je ne crois pas pour cela que tous y soient compris. Il faudra donc dire qu'aucune vertu n'est d�sirable par elle-m�me, ni aucun vice n'est par lui-m�me � �viter, mais qu'il faut rapporter et les vertus et les vices � un but d�termin�. Cependant rien n'emp�chera, selon les d�fenseurs


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de cette opinion, que la prudence, la force, la continence, la patience et les autres vertus semblables ne soient des biens, et les qualit�s contraires des vices � fuir. �

(1041a) Mais qui fut jamais plus inconsid�r� dans ses paroles que Chrysippe, qui, en attaquant deux des plus grands philosophes, impute � l'un de d�truire toute vertu en n'admettant pas qu'il n'y ait de bien que ce qui est honn�te, et � l'autre de ne pas croire qu'en donnant � la volupt� la qualit� de fin derni�re, toutes les vertus puissent subsister, la justice seule except�e ? Quelle plus �tonnante licence que d'�tablir sur une m�me mati�re ce qu'il bl�me dans Aristote, pour le d�truire ensuite quand il attaque Platon? Mais, dans ses D�monstrations sur la justice, il dit formellement que toute bonne action est conforme � la loi et � la justice. Or, (1041b) tout acte qui est l'effet de la continence, de la patience, de la prudence et de la force, est une bonne action ; elle est donc aussi conforme � la justice. Comment donc peut-il refuser la justice � ceux � qui il conserve la prudence, la continence et la force, puisque tous les actes qu'ils font de conformes � ces vertus sont des actions bonnes, et par cons�quent justes ?

Platon a dit que l'injustice est la corruption et la r�volte de l'�me, et que, conservant une domination tyrannique sur ceux qui s'y livrent, elle trouble, elle agite l'homme m�chant et le met en guerre contre lui-m�me. Chrysippe bl�me cette maxime, et pr�tend qu'il est absurde de dire qu'un homme se fasse tort � lui-m�me ; que l'injustice a toujours rapport � autrui, et non � soi. Mais ensuite, oubliant ce principe, (1041c) il dit, clans ses D�monstrations sur la justice, que l'homme injuste se fait tort � lui-m�me ; que l'injustice dont il se rend coupable envers autrui retombe sur lui-m�me, puisqu'elle lui fait transgresser les lois, en quoi il se fait � lui-m�me une


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offense injuste. Dans son ouvrage contre Platon, il soutient que l'injustice n'a jamais rapport � soi, mais � autrui .

� Les hommes injustes envers eux-m�mes devraient, pour ainsi dire, �tre compos�s de plusieurs individus qui seraient contraires les uns aux autres ; et en recevant une injustice, ils seraient affect�s comme une seule personne peut l'�tre par plusieurs. Or, un seul homme ne peut �prouver rien de semblable en lui-m�me, mais seulement � l'�gard des autres  (20). �

(1041d) Ensuite, dans ses D�monstrations sur la justice, voici comment il raisonne pour prouver que l'homme injuste se fait tort � lui-m�me:

� La loi d�fend d'�tre la cause d'une transgression de la loi ; or, commettre une injustice, c'est transgresser la loi. Celui donc qui est cause qu'il commet lui-m�me une injustice se rend coupable d'une transgression de la loi ; mais celui qui viole la loi au pr�judice de quelqu'un lui fait tort. De m�me, celui qui commet une injustice contre quelque homme que ce soit se fait tort � lui-m�me. �

Il dit encore :

� Une faute est une sorte de dommage : par cons�quent, tout homme qui commet une faute se cause � lui-m�me du dommage ; sa faute est un tort qu'il se fait injustement ; il est donc injuste envers lui-m�me. Celui qui est bless� par un autre s'offense injustement lui-m�me, et c'est l� commettre une injustice. Ainsi tout homme qui est offens� (1041e) par quelque personne que ce soit, est injuste envers lui-m�me. �

Il pr�tend que la doctrine qu'il expose et qu'il approuve sur les biens et sur les maux s'accorde parfaite-


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ment avec la vie humaine, et qu'elle a le plus grand rapport avec les notions que nous avons en nous-m�mes : c'est ce qu'il �tablit dans le troisi�me livre des Exhortations. Et il avait dit au contraire dans le premier que cette doctrine d�tourne l'homme de tous les autres objets, comme n'ayant aucun rapport avec nous et ne contribuant en -rien � notre bonheur. Voyez comment il est d'accord avec lui-m�me, quand il dit qu'une doctrine qui nous rend indiff�rents � la vie, � la sant�, au repos, � l'int�grit� des sens, et qui nous fait regarder comme �trangers (1041f) pour nous les biens que nous demandons aux dieux, est tr�s conforme � la vie humaine et aux notions communes que nous avons re�ues de la nature. Et afin qu'on ne puisse pas nier cette contradiction, il s'exprime ainsi dans son troisi�me livre sur l� Justice :

� L'excellence et la beaut� de nos maximes les font regarder comme des fables qui ne sauraient convenir � la nature humaine. �

(1042a) Est-il possible de se reconna�tre plus ouvertement en contradiction avec soi-m�me que ne le fait cet homme, qui pr�tend que l'excellence de ses opinions les fait regarder comme des fables qui sont au-dessus de la nature de l'homme, et que cependant elles s'�accordent parfaitement avec la vie humaine, et ont le plus grand rapport avec les notions que la nature a mises en nous ?

Il soutient que l'essence du malheur est dans le vice, et il assure, dans tous ses ouvrages de physique et de morale, que vivre dans le vice, c'est �tre malheureux. Mais, dans son troisi�me livre de la Nature, apr�s avoir dit qu'il vaut mieux pour l'insens� de vivre que d'�tre priv� de la vie, encore qu'il n'ait aucune esp�rance de devenir sage, (1042b) il ajoute :

� Car il y a pour les hommes une sorte de biens qui fout que les maux m�mes sont pr�f�rables pour eux aux choses indiff�rentes. �

Je ne fais pas remarquer ici qu'ayant dit pr�c�demment que rien ne profitait aux insens�s, il soutient ensuite qu'il leur est utile de vivre.


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Mais dans l'opinion des sto�ciens, les choses indiff�rentes n'�tant ni bonnes ni mauvaises, dire que les mauvaises l'emportent sur les indiff�rentes, c'est dire que les choses mauvaises valent mieux que celles qui ne le sont pas, et qu'�tre malheureux est un �tat meilleur que de ne l'�tre pas. S'il n'est pas, selon lui, plus avantageux de n'�tre pas malheureux, il croit donc aussi que cette exemption de malheurs est plus nuisible. Il est vrai que, pour adoucir un peu cette �trange doctrine, il dit en parlant des maux :

(1042c) � Ce ne sont pas les maux qui valent mieux, mais la raison, qui fait que la vie est pr�f�rable, m�me avec la certitude de n'�tre jamais sage. �

Premi�rement, il donne le nom de maux au vice et � ce qui tient de la nature du vice, et � rien autre chose. Or le vice est uni � la raison, ou plut�t c'est une raison d�prav�e. Vivre donc m�me avec la raison lorsqu'on manque de sagesse, c'est vivre dans le vice. D'ailleurs, vivre sans sagesse, c'est �tre malheureux. En quoi donc les maux sont-ils pr�f�rables aux choses indiff�rentes? Sans doute il n'a pas voulu dire que ces choses indiff�rentes fissent le bonheur ou le malheur; car Chrysippe (1042d) au dire des sto�ciens, n'a jamais cru qu'il fall�t mettre au rang des biens de demeurer dans la vie, ni au nombre des maux d'en sortir; mais il a pens� que c'�taient des choses indiff�rentes de leur nature, et par cons�quent qu'il convient quelquefois aux gens heureux de sortir de la vie, et aux malheureux d'y rester.

Mais dans quelle plus grande contradiction peut-on tomber, par rapport aux choses � rechercher et � fuir, que de vouloir que ceux qui sont parfaitement heureux renoncent, pour l'absence d'une chose indiff�rente, � tous les biens pr�sents, tandis que les sto�ciens soutiennent que rien de ce qui est indiff�rent n'est par soi-m�me � rechercher ou � fuir, mais que le bien seul est d�sirable, et que le mal seul doit �tre �vit�? Il suit de l�, disent-ils, que quand on d�lib�re sur le parti qu'on prendra,  (1042e) il ne


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faut avoir �gard ni aux biens ni aux maux, mais qu'en se proposant d'autres choses, qui ne sont ni � rechercher ni � fuir, on d�cidera d'apr�s ces sortes de choses si l'on doit vivre ou mourir.

Chrysippe convient que les biens diff�rent essentiellement des maux, et il faut bien que cela soit, puisque les uns rendent l'homme tr�s malheureux, et que les autres sont pour lui le souverain bonheur. Dans son premier livre sur la Fin de nos actions, il dit que les biens et les maux sont du nombre des choses sensibles. Voici ses expressions :

� Les raisons suivantes nous obligent de convenir que les biens et les maux sont dans la classe des choses sensibles, car non seulement les passions et leurs diff�rentes (1042f) esp�ces, comme la tristesse, la crainte et les autres affections semblables, sont de ce nombre, mais encore le larcin, l'adult�re et les autres crimes de cette nature, et m�me en g�n�ral la folie, la l�chet�, et tous les vices pareils. Il faut y comprendre aussi non seulement la joie, la bienfaisance et plusieurs autres bonnes actions, mais la prudence, la force et les autres vertus. �

Je ne rel�ve pas tout ce ce qu'il y a d'absurde dans ces paroles. Il n'est personne qui ne sente combien elles sont en contradiction avec ce qu'ils avancent ailleurs, qu'un homme devient sage sans qu'il s'en aper�oive; car si le bien est sensible, s'il a une si grande diff�rence avec le mal, (1043e) n'est-il pas de la derni�re absurdit� de dire qu'on peut de m�chant devenir homme de bien sans le savoir, sans sentir la pr�sence de la vertu, cl en se" croyant toujours plong� dans le vice? Peut-on ignorer qu'on a toutes les vertus, lorsqu'on les poss�de r�ellement? peut-on m�me en douter? Si cela �tait, il faudrait dire qu'il y a une diff�rence tr�s peu sensible et difficile � discerner entre le vice et la vertu, entre la mis�re et le bonheur, entre la vie la plus vicieuse et la conduite la plus honn�te, puisqu'on ne s'apercevrait pas du passage de l'un de ces �tats � l'autre.


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Son ouvrage sur les Vies est divis� en quatre livres. Il dit dans le quatri�me que le sage fuit les affaires publiques ou qu'il s'en m�le peu, et ne s'occupe gu�re que des siennes. (1043b) Voici ses propres termes :

�  Je crois que l'homme prudent �vite les affaires publiques, qu'il se m�le de peu de chose, et ne s'occupe gu�re que des siennes ; car c'est assez le caract�re des gens de m�rite de ne se m�ler en g�n�ral que de ce qui les regarde. �

Il r�p�te � peu pr�s la m�me chose dans son trait� des Biens qui sont d�sirables par eux-m�mes :

� La vie tranquille et �loign�e des affaires est, dit-il, la moins expos�e et la plus s�re, quoique peu de personnes puissent comprendre cette v�rit�. �

On voit clairement qu'il approche bien de l'erreur d'�picure, qui d�truit la Providence en livrant les dieux � une enti�re oisivet�. Mais Chrysippe lui-m�me, dans son premier livre des Vies, dit que le sage acceptera volontiers (1043c) la royaut�, pour en retirer le plus d'avantages qu'il pourra, et que s'il ne peut r�gner lui-m�me, il ira du moins � la cour et suivra le prince � l'arm�e, f�t-il tel qu'Indathyrse, roi des Scythes, ou Leucon, roi du Pont. Je rapporterai ses propres paroles, afin qu'on juge si, comme de la n�te et de l'hypate on fait un accord d'octave, de m�me il peut y avoir de l'accord dans la conduite d'un homme qui pr�f�re, dit-il, de vivre sans rien ou presque rien faire, et qui ensuite va courir � cheval avec les Scythes, et, pour la plus l�g�re n�cessit�, se charge des affaires du roi du Bosphore.

� Nous examinerons de nouveau, dit-il, si le sage ira � la guerre avec les princes et s'il vivra � leur cour, (1043b) d'autant que quelques personnes ne soup�onnent pas m�me qu'il doive le faire, entra�n�es par des raisonnements de cette nature, que nous leur abandonnons aussi, pour des raisons � peu pr�s pareilles. �

Il ajoute bient�t apr�s :

� Il ira m�me chez d'autres que ceux qui ont fait des progr�s dans la science des m�urs et dans la vertu, tels qu'Indathyrse et Leucon. �


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Il y en a qui bl�ment Callisth�ne d'avoir pass� la mer dans l'esp�rance d'obtenir d'Alexandre le r�tablissement d'Olynthe comme Aristote avait obtenu celui de Stagyre. An contraire, ils louent �phore de Cumes, X�nocrate et M�ned�me d'avoir refus� de vivre aupr�s d'Alexandre (21). Mais Chrysippe envoie son sage, au risque de se rompre le cou, jusqu'� la ville de Panticap�e et dans les d�serts de la Scythie, (1043e) par l'espoir seul du gain. Il a d�clar� d'avance qu'il ne le faisait agir que par ce motif quand il a propos� au sage trois moyens de gagner de l'argent. Le premier, la lib�ralit� des rois; le second, les bienfaits de ses amis; et le troisi�me, lu profession de sophiste. Cependant il loue jusqu'� la sati�t� ces vers d'Euripide :

� Que faut-il aux mortels pour vivre exempt de peines,
Que les dons de C�r�s et l'eau de nos fontaines? �

Il dit, dans son trait� de la Nature, que le sage qui se verrait enlever la plus grande fortune, croirait avoir � peine perdu une drachme. Mais apr�s l'avoir ainsi �lev� et enfl� d'orgueil, il le rabaisse ici jusqu'� en faire un mercenaire et un sophiste qui tient une �cole publique ; car il veut qu'il exige son salaire, (1043f) et qu'il le re�oive m�me d'avance de ses disciples, ou du moins en partie, lorsqu'ils entrent dans son �cole, et le reste apr�s que leur temps sera fini.  Il avoue qu'il serait plus honn�te de ne l'exiger qu'alors; mais il dit que l'autre parti est le plus s�r, parce qu'il pr�vient les fraudes auxquelles on est expos�. Voici comment il s'exprime :

� Les ma�tres bien avis�s n'exigent pas tous leur salaire de leurs disciples de la m�me mani�re, mais suivant ce que leur dictent les circonstances. Ils ne s'engagent pas � les instruire dans l'espace d'un an, mais


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seulement ils promettent de le faire autant qu'il sera en eux dans un certain temps d�termin�. �

Il ajoute un peu plus loin :

(1044a) � Le sage saura distinguer quand il] faudra recevoir son salaire au moment o� ses disciples entreront dans son �cole, comme le font un grand nombre de ma�tres, et quand il sera � propos de leur fixer un terme, mani�re plus honn�te � la v�rit�, mais aussi plus sujette � inconv�nient. �

Comment donc le sage pourra-t-il avoir du m�pris pour l'argent, s'il contracte rengagement d'enseigner � prix fait la vertu, et s'il re�oit son salaire, lors m�me qu'il ne l'a pas enseign�e, comme s'il avait d�j� rempli son but? Ou comment sera-t-il au-dessus des dommages qu'on peut lui causer, s'il prend tant de pr�cautions pour n'�tre pas frustr� de son salaire? Quand on ne souffre pas d'injustice, on ne re�oit pas de dommage. Cependant, apr�s avoir dit ailleurs (1044b) que le sage n'�prouvait jamais d'injustice, il dit ici que la profession d'enseigner l'expose � souffrir du dommage.

Dans ses livres de la R�publique, il enseigne que les citoyens ne doivent rien faire ni rien rechercher par l'amour de la volupt�, et il loue singuli�rement les vers d'Euripide que je viens de citer. Bient�t apr�s il approuve Diog�ne, qui, commettant en public une action inf�me, disait aux spectateurs : Pl�t aux dieux que je pusse chasser ainsi la faim de mon ventre! Quelle incons�quence de louer dans un m�me ouvrage, et celui qui rejette toute volupt�, et celui que la volupt� (1044c) porte � commettre publiquement une infamie de cette esp�ce ! Dans son trait� de la Nature, il dit que la nature a produit un grand nombre d'animaux, seulement � cause de leur beaut�, parce qu'elle aime � varier ses productions; et il ajoute � cette occasion ce propos si singulier, que le paon n'a �t� cr�� que pour la beaut� de sa queue. Mais dans sa R�publique il bl�me avec aigreur ceux qui �l�vent des paons et des rossignols. Il contrarie ainsi les lois du souverain l�gislateur


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de l'univers, et semble insulter � la nature, qui se pla�t � produire de ces animaux que le sage n'admettrait pas dans sa R�publique. N'est-il pas absurde de bl�mer ceux qui en �l�vent, tandis qu'il loue la Providence de les avoir produits? Apr�s avoir dit, dans son (1044d) cinqui�me livre de la Nature, que les punaises sont utiles en ce qu'elles nous tirent du sommeil, et les souris parce qu'elles nous rendent soigneux et nous font tout mettre � sa place, et que la nature se pla�t avarier ses ouvrages, il ajoute en propres termes :

� C'est ce qu'on voit sensiblement dans la queue du paon; il para�t que cet animal n'a �t� cr�� que pour sa queue, et non la queue pour l'animal, car sa femelle n'est pas � beaucoup pr�s aussi belle que lui. �

Dans son trait� de la R�publique, apr�s avoir dit que peu s'en faut que nous ne fassions peindre des �tables � fumier, il ajoute que bien des gens embellissent leurs campagnes de ceps de vignes mari�s � des ormeaux, et de plantations de myrtes, qu'ils nourrissent des paons, des pigeons, des perdrix et des rossignols, pour avoir le plaisir d'entendre leurs cris ou leurs chants. (1044e) Je voudrais bien savoir ce qu'il pense des abeilles et du miel; car, apr�s avoir dit que les punaises �taient utiles, il �tait cons�quent de dire que les abeilles n'�taient d'aucune utilit� ; et s'il souffre ces derniers animaux dans sa R�publique, pourquoi d�fend-il � ses citoyens ceux dont le plumage ou le chant flattent les oreilles ou les yeux? Il serait absurde de bl�mer des convives qui mangeraient de la p�tisserie, des mets d�licats et boiraient d'excellent vin, et de louer celui qui les ayant invit�s, leur servirait ces choses agr�ables. De m�me le philosophe qui loue (1044f) la Providence d'avoir produit des poissons, du gibier, du miel et du vin, et qui en m�me temps bl�me ceux qui en font usage, et qui ne savent pas se contenter

� Des tr�sors de C�r�s, et de l'eau des fontaines, �


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choses qui suffisent � nos besoins et que nous avons toujours sous la main ; celui-l� ne para�t nullement craindre d'�tre en contradiction avec lui-m�me.

Dans son trait� des Exhortations, il dit qu'on a eu tort de d�fendre d'avoir commerce avec sa m�re, sa fille ou sa s�ur, d'interdire l'usage de certaines viandes, et l'entr�e des temples au sortir du lit (1045a) ou d'aupr�s d'un cadavre ; et pour cela, il nous renvoie � l'exemple des brutes, dont la conduite nous prouve, dit-il, qu'il n'y a dans tout cela rien d'absurde et de contraire � la nature, et qu'on peut tr�s bien s'autoriser de leur exemple, puisque ni leur accouplement, ni leur enfantement, ni leur mort, ne souillent les temples. Mais dans son cinqui�me livre de la Nature, il dit qu'H�siode a eu raison de nous avertir de ne pas r�pandre notre urine dans les rivi�res ou dans les fontaines, et � plus forte raison au pied d'un autel ou devant la statue d'une divinit�; qu'il ne faut pas s'y croire autoris� par l'exemple des chiens, des �nes et des enfants, qui ne sont pas capables de discerner ce qu'ils font, et qui n'y pensent m�me pas. (1045b) Il est donc absurde de proposer, pour justifier les autres crimes, l'exemple des brutes, et de ne vouloir pas qu'on s'en autorise dans ces derniers objets.

Certains philosophes, pour expliquer les inclinations qui semblent produites forc�ment par des causes ext�rieures, placent dans la facult� principale de l'�me un mouvement accidentel qui est surtout sensible dans les choses entre lesquelles il faut faire un choix. Lorsque, de deux objets semblables et d'une �gale importance, il est n�cessaire d'en choisir un, sans qu'aucun motif nous d�termine vers l'un plut�t que vers l'autre, parce qu'on ne voit entre eux aucune diff�rence, alors cette facult� accidentelle agit sur la volont� et d�termine son choix. Chrysippe, qui accuse ces philosophes (1045c) de faire violence � la nature, en supposant des effets sans cause, all�gue


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souvent l'osselet et la balance, et plusieurs autres corps semblables, qui ne peuvent tomber ou pencher d'un c�t� ou de l'autre sans quelque cause, sans quelque diff�rence qui leur soit intrins�que ou accidentelle. Il croit qu'un effet sans cause n'existe pas plus que le pur hasard, et que dans ces mouvements spontan�s, admis par quelques philosophes, il y a toujours des causes secr�tes, qui, sans �tre senties, nous d�terminent vers l'un des deux objets. Cette doctrine a �t� le plus souvent et le plus ouvertement enseign�e par Chrysippe ; (1045b) mais ce qu'il a dit de contraire �tant moins connu, je citerai ses propres termes. Dans son trait� des Jugements, il suppose deux athl�tes qui arrivent au m�me instant au bout de la carri�re, et il demande ce que le juge doit faire en pareil cas :

� Le juge est-il libre de donner la palme � qui il lui pla�t, quoique les deux athl�tes soient tellement ses amis, qu'il serait bien plus dispos� � leur donner du sien qu'� les priver de quelque chose qui leur appartienne ? Ou la palme �tant commune aux deux, peut-il, (1045e) comme s'il les faisait tirer au sort, suivre au hasard son inclination ? je dis au hasard, comme, quand on nous pr�sente deux drachmes absolument semblables, nous prenons l'une plut�t que l'autre. �

Dans son sixi�me livre des Offices, apr�s avoir dit qu'il y a des choses qui ne m�ritent pas beaucoup de soin et d'attention, il croit qu'il faut en abandonner le choix � l'inclination fortuite de la pens�e, comme aune esp�ce de sort :

� Par exemple, dit-il, si l'on fait l'essai de deux drachmes, et que quelqu'un dise que l'une est meilleure que l'autre, (1045f) comme la diff�rence ne peut jamais �tre bien grande, alors, sans faire un plus long examen de leur valeur respective, on prendra indiff�remment l'une ou l'autre, quoiqu'en abandonnant ainsi le choix au hasard, il puisse arriver que nous prenions la moins bonne. �

Dans ce passage, en supposant le choix un effet du hasard ou d'un mouvement r�fl�chi


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de l'�me, n'introduit-il pas entre des choses indiff�rentes un choix qui n'est d�termin� par aucune cause ?

Dans son troisi�me livre de la Dialectique, apr�s avoir dit que Platon, Aristote et leurs disciples, jusqu'� Pol�mon et Straton, (1046a) mais principalement Socrate, s'�taient fort appliqu�s � la dialectique, il ajoute avec emphase qu'il n'aurait pas honte de se tromper avec tant et de si grands hommes. Ensuite il dit en propres termes :

� Si ces philosophes n'eussent trait� cette mati�re qu'en passant, peut-�tre pourrait-on les soup�onner d'erreur; mais comme ils s'en sont occup�s avec tout le soin qu'exigeait une science des plus importantes et des plus n�cessaires, il n'est pas vraisemblable que des hommes que nous voyons si instruits dans toutes les parties de la philosophie, se soient si fort tromp�s. �

Eh quoi! pourrait-on lui dire, ne cesserez-vous pas de combattre des philosophes si illustres, (1046b) et de les accuser d'avoir donn� dans l'erreur sur les objets les plus importants? Est-il vraisemblable qu'ils aient mis � la dialectique tant de soins et d'application, et qu'ils n'aient trait� que l�g�rement et comme un jeu des principes et des derni�res fins de l'homme, de la justice et des dieux, tous sujets o� vous pr�tendez que leur raison est aveugle, qu'ils sont en contradiction avec eux-m�mes, et qu'ils sont tomb�s dans une foule d'erreurs ?

Il soutient que la joie du mal d'autrui n'existe pas, que jamais un homme bien n� ne se r�jouira de voir quelqu'un dans la peine. Mais dans le second livre de son trait� sur le Bien, apr�s avoir dit que l'envie est une douleur du bien d'autrui, caus�e par le d�sir de rabaisser ses voisins pour s'�lever au-dessus d'eux, (1046c) il joint � cette passion la joie du mal d'autrui :

� Cette joie, dit-il, suit toujours l'envie, parce que les hommes d�sirent, pour des motifs semblables, de rabaisser leurs voisins ; mais rappel�s ensuite � d'autres mouvements plus conformes � la nature,


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ils se sentent port�s � la compassion. �

 Il est clair par ce passage qu'il regarde la joie du bien d' autrui comme une passion r�elle, aussi bien que l'envie et la piti�, quoiqu'il e�t dit ailleurs qu'elle n'existait pas, non plus que la haine des m�chants et le d�sir d'un gain honteux.

Apr�s avoir dit en plusieurs endroits que les hommes qui ont �t� longtemps heureux ne le sont pas plus que ceux qui n'ont joui que d'un instant de bonheur, il r�p�te souvent qu'il ne faut pas se donner la moindre peine (1046d) pour acqu�rir une sagesse momentan�e, qui passe comme un �clair. Mais il suffira de rapporter ce qu'il a �crit sur ce sujet dans le sixi�me livre de ses Questions morales. Il commence par �tablir que toute esp�ce de bien ne cause pas une �gale joie, et que toute bonne action ne donne pas un �gal sujet de gloire, et il ajoute ensuite :

� Celui qui ne devra avoir la prudence que pour un moment, ou au dernier instant de sa vie, ne se donnera pas le moindre mouvement pour une sagesse �ph�m�re, puisque, pour �tre longtemps heureux, les hommes n'ont pas une plus grande somme de bonheur, et qu'une f�licit� �ternelle n'est pas plus d�sirable qu'un bonheur d'un instant. �

(1046e) S'il croyait que la prudence est un bien qui produit le bonheur, comme le pensait �picure, il n'y aurait � reprendre dans ce .passage que ce qu'il a d'absurde et de paradoxal ; mais puisque, suivant Chrysippe lui-m�me, la prudence ne diff�re pas du bonheur, ou plut�t n'est que le bonheur m�me, n'est-ce pas une contradiction manifeste que de dire qu'un bonheur �ternel n'est pas plus d�sirable qu'une f�licit� passag�re, et que celle-ci n'est d'aucun prix?

Il avance que toutes les vertus se suivent l'une et l'autre, non  seulement en ce sens que celui qui en a une  les a toutes, mais aussi parce que celui qui agit d'apr�s une seule d'apr�s toutes. Un homme, (1046f) selon lui, n'est parfait autant qu'il poss�de toutes les vertus, comme une


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action n'est parfaite que lorsqu'elle est produite par toutes les vertus. Cependant il dit dans le sixi�me livre de ses Questions morales, qu'un homme de c�ur manque quelquefois de courage, et qu'un l�che ne se conduit pas toujours l�chement, parce que certains objets qui viennent frapper leur imagination font que l'un persiste dans ses jugements et que l'autre s'en �carte. (1047a) Il ajoute qu'il n'est pas vraisemblable qu'un homme intemp�rant le soit toujours. Si donc �tre brave ou l�che, c'est agir avec courage ou avec l�chet�, les sto�ciens se contredisent lorsqu'ils soutiennent que tous les vices se trouvent r�unis dans un homme vicieux, et toutes les vertus dans un homme vertueux ; qu'un homme de c�ur n'est pas toujours brave, ni un homme timide toujours l�che.

Il d�finit la rh�torique un art qui a pour objet l'ornement et la disposition du discours. Voici ce qu'il dit � ce sujet dans le premier livre :

� Il ne faut pas seulement orner ses discours avec �l�gance et simplicit�, mais encore conformer ses gestes, le son de sa (1047b) voix, l'air de son visage et tous les mouvements de ses mains � la nature du sujet qu'on traite. �

Apr�s s'�tre montr� en cet endroit si recherch� et si subtil, �coutons comment, dans ce m�me livre, il parle de la rencontre des voyelles :

� Il faut peu s'embarrasser de ces sortes de n�gligences, et s'occuper d'objets plus importants ; on peut m�me se permettre quelques obscurit�s, quelques phrases d�fectueuses, et jusqu'� des sol�cismes, quoique la plupart des orateurs en aient honte. �

Un homme qui tant�t veut qu'on s'observe en parlant en public jusqu'� prendre une contenance d�cente, et qui tant�t permet de n'avoir aucun �gard � des obscurit�s, � des phrases d�fectueuses, et m�me � des sol�cismes, prouve qu'il dit sans r�flexion tout ce qui lui vient en pens�e.

(1047c) Dans ses Questions de physique, apr�s avoir recommand� de suspendre son jugement sur les choses qu'on


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 ne peut apprendre  que par sa propre exp�rience,  ou par l'instruction des autres, il ajoute:

� Ainsi nous ne croirons pas avec Platon que les aliments liquides entrent dans les poumons et les nourritures solides dans l'estomac ; nous n'approuverons pas plusieurs autres erreurs semblables �.

Peur moi, je ne vois pas de plus grande contradiction, ni d'erreur plus honteuse, que de faire ce qu'on reproche aux autres. Or il a dit lui-m�me, que dix propositions sont  susceptibles de plus d'un million de combinaisons, (1047d) quoiqu'il n'ait pas fait, � cet �gard, toutes les recherches qu'il fallait et qu'il ne se soit pas fait instruire de la v�rit�, par des savants vers�s dans ces mati�res. Mais Platon a pour lui le suffrage des m�decins les plus c�l�bres, tels qu'Hippocrate (23), Philistion, Dioxippe, disciple d'Hippocrate: et, parmi les po�tes, Euripide, Alc�e, Eupolis et �ratosth�ne, qui tous disent que la boisson va dans les poumons. Pour Chrysippe, son assertion est contredite par tous les math�maticiens, et entre autres par Hipparque, qui d�montre qu'il y a dans son raisonnement une grande erreur de calcul, puisque, dans ces dix propositions, les affirmatives ne donnent que cent trois mille quarante-neuf (1047e) combinaisons, et les n�gatives que trois cent dix mille neuf cent cinquante deux  (24)].


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Quelques anciens philosophes ont dit  qu'il �tait arriv� � Z�non, comme � ce marchand dont le vin commen�ait � s'aigrir, et qui ne pouvait plus le vendre ni comme vin ni comme vinaigre. De m�me Z�non n'a pu d�biter ce qu'il  appelle les biens pr�alables (25), ni comme bons ni comme indiff�rents. Mais Chrysippe les a rendus encore d'une d�faite moins ais�e. Car il dit quelque part, qu'il faut �tre fou pour ne faire aucun cas de la richesse, de la sant�, du repos, de l'int�grit� du corps, et pour n�gliger de se les procurer ; il cite ce vers d'H�siode :

(1047f) Pers�s, ch�ri des dieux, travaillez sans rel�che :

et il dit qu'il n'y aurait qu'un fou qui p�t dire au contraire :

Pers�s, ch�ri des dieux, renoncez au travail.

Dans son trait� des Vies, il dit que le sage fera sa cour aux rois par int�r�t, qu'il exercera la profession de sophiste pour de l'argent, qu'il se fera payer d'avance par quelques-uns de ses disciples et par d'autres � un terme convenu. Il ajoute m�me, dans son septi�me livre des Offices, qu'il ira jusqu'� faire, s'il le faut trois, fois la culbute, pour gagner un talent. (1048a) Dans le premier livre des Biens, il permet, en quelque sorte, de donner � ces avantages pr�alables le nom de biens, et d'appeler maux, leurs contraires. Voici ses termes :

� Si quelqu'un, d'apr�s ces changements de termes, veut appeler bien et mal ce qui l'est par rapport � lui-m�me, et les rechercher, sans se d�tourner vers d'autres objets, il peut,  pourvu qu'il ne se trompe pas sur le vrai sens des termes, suivre les d�nominations communes �.

Apr�s avoir ainsi mis ces pr�alables si pr�s des biens, et les y avoir, pour ainsi dire, m�l�s, (1048b) il dit au contraire, dans son troisi�me livre des Exhortations, que rien de tout cela ne nous int�resse et que la raison nous en �loigne. Dans le troisi�me livre de la Nature, il pr�tend que quelques-uns regardent comme heureux les rois et les gens libres, principalement, parce qu'ils ont des bassins et des franges d'or; mais que l'homme de bien n'est pas plus affect� de la perte de toute fa fortune, que de celle d'une drachme, et d'une maladie grave que d'une l�g�re contusion au pied.

Il a soumis � ces sortes de contradictions, non seulement la vertu, mais encore la providence. Car la vertu fera bien stupide et bien m�prisable,


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 si elle s'occupe de choses de cette esp�ce, et que, pour les acqu�rir, elle oblige le sage d'aller jusqu'au Bosphore et de faire la culbute. (1048c) Jupiter est ridicule lorsqu'il se pla�t � �tre nomm� le dieu qui donne les richesses, qui prodigue les fruits et qui fait na�tre la joie dans le c�ur des mortels, puisqu'il ne donne aux m�chants que des bassins et des franges d'or, et que les richesses que sa providence procure aux gens de bien valent � peine une drachme. Apollon est encore plus digne de ris�e, de s'amuser � rendre des oracles sur des bassins et des franges d'or, ou sur des faibles contusions au pied (26).

La d�monstration dont ils font usage rend encore la contradiction plus sensible. Les choses, disent-ils, dont on peut bien ou mal user, ne sont ni des biens ni des maux. Or, tous les gens vicieux usent mal de la richesse, de la sant�, de la force du corps ; (1048b) ainsi aucun de ces avantages ne peut s'appeler un bien. Si donc Dieu ne donne pas la vertu aux hommes, et que le bien m�rite par lui-m�me notre choix, ou si Dieu donne la richesse et la sant� sans la vertu, il les donnera � des hommes qui en useront mal, c'est-�-dire pour leur honte et pour leur perte. Mais si les dieux peuvent donner la vertu et qu'ils ne le fassent pas, ils ne sont pas bons, et s'ils ne peuvent pas rendre les hommes vertueux, ils ne peuvent pas non plus leur �tre utiles, puisque, sans la vertu, rien n'est bon ni utile. Il ne sert de rien de dire que les dieux jugent d'apr�s leur force et leur vertu ceux qui sont devenus bons sans leur secours. Les gens de bien jugent aussi les m�chants sur leur force et sur leur vertu. (1048e) Ainsi les dieux ne feront pas plus d'avantage aux hommes qu'ils n'en recevront d'eux. Mais Chrysippe ne se croit bon ni lui-m�me ni aucun de ses amis ou de ses ma�tres. Que doivent-ils donc penser des autres, si ce qu'ils disent est vrai, que Ions les hommes sont des insens�s, des furieux, des impies, des transgresseurs des lois, qu'ils sont plong�s dans la mis�re, dans un ab�me de malheurs?

Ils disent cependant que, quoique malheureux � ce point, nous sommes gouvern�s par la Providence ; mais si les dieux, venant � changer de nature, voulaient nous affliger, nous tourmenter et nous accabler de maux, ils ne pourraient pas nous r�duire dans un pire �tat que celui o� nous sommes, puisque, selon Chrysippe, (1048f) notre vie ne saurait �tre ni plus d�prav�e ni plus malheureuse, au point que, si elle pouvait parler, elle dirait avec Hercule :

� De malheurs accabl�e, en ai-je encore � craindre? �

Quelles maximes donc plus contradictoires que celles que Chrysippe avance sur les dieux et sur les hommes? Il dit des premiers, (1049a) qu'ils disposent tout avec la plus grande sagesse, et des autres, qu'ils ne peuvent �tre dans un �tat plus malheureux.

Quelques pythagoriciens le bl�ment d'avoir dit dans son trait� de la Justice que les coqs ont �t� produits pour une fin utile, parce qu'ils nous r�veillent, qu'ils font la chasse aux scorpions et qu'ils nous animent aux combats par l'exemple de leur force et de leur courage ; que cependant il faut les manger, de peur que leur trop grande multiplication ne nuise aux services qu'ils nous rendent. Mais Chrysippe se moque de ceux qui le bl�ment, au point que dans son troisi�me livre des Dieux, il s'exprime ainsi sur le compte de Jupiter, de ce dieu sauveur et cr�ateur, p�re de la justice, des lois et de la paix :

(1049b) � Comme les villes dont la population devient trop nombreuse, envoient au loin des colonies ou entreprennent quelque guerre, de m�me Dieu m�nage des causes de destruction. �

Et il cite en t�moignage Euripide et d'autres po�tes qui disent que les dieux suscit�rent la guerre de Troie pour diminuer le trop grand nombre d'hommes.


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Je passe bien d'autres absurdit�s, car je ne me suis propos� que de relever les contradictions des sto�ciens, et non toutes leurs erreurs. Mais ce qui est digne de remarque, c'est qu'en donnant toujours � Dieu les d�nominations les plus belles et qui supposent le plus d'amour pour les hommes, il lui attribue en m�me temps des actions cruelles et dignes des peuples barbares de la Galatie. En effet, ces terribles destructions d'hommes, (1049c) caus�es par des guerres sanglantes, comme celles de Troie, de Perse ou du P�loponn�se, ne ressemblent point du tout � des envois de colonies, � moins que ces philosophes n'aient �t� inform�s qu'il s'est �tabli quelques villes sous terre et dans les enfers. Mais Chrysippe fait de Dieu un autre D�jotarus, lequel ayant plusieurs enfants, et voulant laisser � un seul son royaume de Galatie et toutes ses richesses, fit p�rir tous les autres comme on coupe les branches d'un cep de vigne, afin que celle qu'on conserve devienne plus belle et plus vigoureuse. Encore le vigneron ne fait-il ce retranchement que sur les branches faibles et petites. De m�me, afin de m�nager une chienne, nous lui �tons plusieurs de ses petits lorsqu'ils viennent de na�tre et qu'ils n'ont pas encore les yeux ouverts. (1049d) Au contraire Jupiter, qui a lui-m�me form� les hommes, qui les fait cro�tre et avancer en �ge, se pla�t ensuite � les tourmenter, � leur pr�parer des causes de destruction, tandis qu'il �tait bien plus simple de ne pas les faire na�tre. Mais c'est peu de chose aupr�s de ce que je vais dire. Il ne s'�l�ve jamais de guerre parmi les hommes, qu'elle ne soit caus�e par quelque passion vicieuse. L'une a pour cause la volupt�, l'autre l'avarice, celle-ci l'amour de la gloire, celle-l� l'ambition. Si donc Dieu est l'auteur des guerres, il l'est aussi des vices, et c'est lui qui irrite les passions des hommes et qui d�prave leur c�ur. Cependant Chrysippe, dans son trait� des Jugements et dans son second livre des Dieux, dit (1049e) qu'il est contre toute rai-


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son de supposer que Dieu soit l'auteur d'aucune action vicieuse; que comme les lois ne sont jamais cause des transgressions qui les font violer, de m�me les dieux ne sont auteurs d'aucune impi�t�. Il est �galement conforme � la raison de croire que les dieux soient jamais cause d'aucune action honteuse.

Mais quoi de plus honteux pour les hommes que de se d�truire les uns les autres ? C'est cependant, selon Chrysippe, ce dont Dieu leur suscite les occasions. Mais, dira quelqu'un, ne loue-t-il pas au contraire Euripide d'avoir  dit:

Si les dieux font le mal, ils cessent d'�tre dieux?

Et ailleurs :

Oui, d'accuser les dieux, il est toujours facile.

Mais que faisons-nous autre chose que de rapporter les maximes et les paroles de ce philosophe, qui sont contradictoires les unes aux autres? Car ce vers d'Euripide, que nous venons de citer, peut �tre all�gu� contre Chrysippe lui-m�me, non pas une, ni deux, ni trois fois, mais mille; et c'est de lui qu'on peut dire :

Oui, d'accuser les dieux, il vous est bien facile.

D'abord, dans le premier livre de la Nature, il compare la cause du mouvement � une coupe qui contient un breuvage compos� de sucs diff�rents, et dans laquelle tous les �tres sont agit�s chacun � leur mani�re. Apr�s quoi il ajoute :

(1050a) � Puisque telle est l'administration de l'univers, il est n�cessaire que nous nous y conformions, soit que les maladies nous affectent, soit que. nous soyons mutil�s, soit enfin que nous soyons grammairiens ou musiciens. �

Il dit encore :

� En cons�quence, nous dirons la m�me chose de nos vertus et de nos vices, et en g�n�ral de la connaissance et de l'ignorance des arts, comme


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je l'ai d�j� observ�. �

Bient�t apr�s, �tant toute esp�ce d'�quivoque, il ajoute :

� Les choses particuli�res, m�me les plus petites, ne peuvent arriver que conform�ment � la raison de la nature universelle. �

Or, que la nature universelle (1050b) et sa raison soient la m�me chose que le Destin, la Providence et Jupiter, c'est, je crois, ce qui n'est pas ignor�, m�me aux antipodes ; car ils le r�p�tent � tout propos, et ils disent qu'Hom�re a parl� tr�s exactement quand il a dit :

Ainsi de Jupiter l'ordre s'ex�cutait; �

ce qu'il entendait, disent-ils, du Destin et de la nature universelle par qui tout est gouvern�. Maintenant comment ces deux choses sont-elles vraies, et que Dieu n'est la cause d'aucune action honteuse, et que rien, jusqu'aux plus petites choses, ne peut se faire que conform�ment � la nature universelle et � sa raison ? Car certainement, dans toutes les choses qui se font, sont comprises les actions honteuses.

�picure se met l'esprit � la torture et imagine toutes sortes de subtilit�s (1050c) pour affranchir notre libre arbitre du mouvement �ternel, afin de laisser au vice tout le bl�me qu'il m�rite. Chrysippe le met � cet �gard en pleine libert�. En effet, selon lui, le vice est produit non seulement par la n�cessit� et la destin�e, mais encore par la raison m�me de Dieu, et conform�ment � la nature la plus parfaite. Voici ses propres expressions :

� La nature universelle s'�tendant � tout, il faut que tout ce qui se fait par la raison ou par quelqu'une de ses parties .se fasse suivant cette nature et conform�ment � sa raison, et que tout se suive sans obstacle, puisque rien au dehors ne peut arr�ter (1050d) son op�ration, et qu'aucune de ses parties ne peut avoir de mouvement ou d'affection qui ne soit conforme � cette nature universelle.�

Mais quelles sont ces affections, et ces mouvements des parties de la nature ? Il est clair que les


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affections sont les vices et les maladies de l'�me, comme l'avarice, la volupt�, l'ambition, la l�chet� et l'injustice. Les mouvements sont les actions qui naissent de ces vices : les adult�res, les vols, les trahisons, les meurtres, les parricides. Chrysippe croit qu'aucun de ces crimes ne se fait que conform�ment � la raison de Jupiter, � la loi, � la justice et � la Providence, de mani�re que les pr�varications de la loi ne sont pas contraires � la loi, que les torts qu'on fait � autrui et les crimes que l'on commet ne blessent ni la justice ni la Providence.

(1050e) Il dit cependant que Dieu ch�tie le vice et qu'il fait bien des choses pour la punition des m�chants. Voici comme il s'exprime dans le second livre des Dieux :

� Les gens de bien �prouvent quelquefois des accidents f�cheux, non, il est vrai, par punition, comme les m�chants, mais par une autre sorte de dispensation divine, ainsi qu'on le voit dans les r�publiques. �

Il dit encore dans ce m�me ouvrage :

� Premi�rement, il faut entendre ce qui regarde les maux dans le sens que nous avons d�j� expliqu�; en second lieu, il faut savoir qu'ils sont distribu�s d'apr�s la raison de Jupiter, soit par punition, soit par une autre dispensation qui int�resse tout l'univers. �

N'est-ce pas d�j� une chose bien indigne que le vice se fasse d'apr�s la raison de Jupiter, et que cependant ce Dieu le punisse? Mais il rend cette contradiction encore plus choquante, lorsqu'il dit dans le second livre de la Nature :

(1050f) � Le vice, consid�r� m�me dans les actions les plus atroces, a une raison qui lui est particuli�re, car il se fait conform�ment � la raison de la nature, et on peut presque dire qu'il n'est pas sans quelque utilit� par rapport � l'univers; car autrement il n'y aurait pas de biens. �

Et apr�s cela il reprend ceux qui disputent pour et contre, (1051a) lui qui, par l'envie de toujours parler et de dire quelque chose de singulier et d'extraordinaire, pr�tend qu'il n'est pas sans quelque utilit� qu'il y ait des coupeurs de bourse,


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des d�lateurs, des voluptueux; que ce n'est pas inutilement qu'il y a des gens inutiles, pernicieux et mis�rables. Qu'est-ce donc que ce Jupiter? j'entends celui de Chrysippe, pour punir ainsi des actions qui ne sont ni volontaires ni inutiles ? Car d'apr�s le raisonnement de ce philosophe, le vice est absolument irr�pr�hensible, et Jupiter, au contraire, tr�s bl�mable, soit qu'il ait produit le vice sans aucune utilit�, soit qu'il le punisse apr�s l'avoir produit pour une fin utile.

Dans son premier livre sur la Justice, apr�s avoir dit des dieux qu'ils s'opposent � quelques injustices, il ajoute qu'il n'est pas possible de d�truire (1015b) enti�rement le vice, et que quand m�me cela se pourrait, il ne serait pas exp�dient de le faire. Il n'est pas de mon sujet d'examiner s'il ne serait pas exp�dient de d�truire les transgressions des lois, les injustices et toutes les folies humaines; mais Chrysippe, qui, par ses pr�ceptes philosophiques, s'efforce autant qu'il peut d'extirper tous les vices, ce qu'il n'est pas, selon lui, exp�dient de faire, contredit en cela et Dieu et la raison. D'ailleurs, en disant qu'il y a des injustices auxquelles Dieu s'oppose, il prouve qu'il y a des actions impies et criminelles.

Apr�s avoir dit en plusieurs endroits qu'il n'y a rien de r�pr�hensible et de bl�mable dans ce monde, parce que tout y est r�gl� conform�ment � la plus parfaite nature, il admet ailleurs des n�gligences r�pr�hensibles, et sur des choses qui ne sont ni petites ni l�g�res. Il dit, dans (1015c) son troisi�me livre de la Substance, que des fautes de cette nature peuvent arriver m�me aux gens de bien ; apr�s quoi il ajoute : � Cela vient-il de ce qu'on n�glige les moindres objets, comme dans une grande maison il se perd des grains de bl� ou un peu de son, quoique tout le reste y soit dans le plus grand ordre? Ou bien y a-t-il quelques mauvais g�nies qui pr�sident � ces sortes de d�tails dans lesquels il se glisse des n�gligences r�pr�hensibles? � II dit aussi que la n�cessit� y entre pour beau-


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coup. Je ne m'arr�terai pas � relever ici la l�g�ret� avec laquelle il compare � du son qui se perd les malheurs qu'ont �prouv�s les hommes les plus vertueux, comme la condamnation de Socrate, la mort de Pythagore, br�l� vif par les Cyloniens (27), les tourments affreux dans lesquels les tyrans D�mylus et (1051d) Denys firent expirer Zenon et Antiphon (28); mais dire qu'il y a de mauvais g�nies que la Providence divine a pr�pos�s � ces sortes d'�v�nements, n'est-ce pas calomnier Dieu, et le repr�senter comme un roi qui confie le gouvernement de ses provinces � des satrapes et � des ministres pervers, et qui les laisse avec indiff�rence outrager et tourmenter les meilleurs de ses sujets ?

Mais s'il est vrai que la n�cessit� entre pour beaucoup dans les �v�nements humains, Dieu ne tient pas tout sous sa puissance, et tout n'est pas gouvern� conform�ment � sa raison.

Chrysippe combat vivement �picure et ceux (1051e) qui d�truisent la Providence ; et pour les r�futer, il fait valoir l'id�e naturelle que nous avons des dieux, et qui nous les fait regarder comme les amis et les bienfaiteurs des hommes. Cette doctrine est si souvent r�p�t�e dans les ouvrages des sto�ciens, qu'il est inutile de citer ici leurs propres paroles. Cependant tous les hommes ne croient pas que les dieux soient bons. Voyez, par exemple, ce que les Syriens et les Juifs pensent de la Divinit� (29).


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Voyez de combien de superstitions sont remplis les �crits des po�tes. Presque personne, parmi les sto�ciens, ne croit que Dieu ait �t� engendr� et qu'il soit corruptible. Pour ne pas les citer tous, je me bornerai au seul Antipater de Tarse, qui dit dans son ouvrage sur les dieux :

� Afin de jeter plus de jour sur cette mati�re, j'exposerai en peu de mots l'opinion que j'ai des dieux. (1051f) Je crois donc que Dieu est un animal heureux, incorruptible et bienfaiteur des hommes. �

Ensuite, en expliquant chacun de ces termes, il ajoute :

� En effet, tous les hommes croient les dieux incorruptibles. �

Mais Chrysippe n'est point de l'opinion qu'Antipater attribue � tous les hommes. Il croit que de tous les dieux Jupiter seul est incorruptible, (1052a) que tous les autres, sans exception, ont �t� engendr�s, et qu'ils doivent tous p�rir. Il le r�p�te presque dans tous ses ouvrages ; je ne citerai qu'un passage de son troisi�me livre des Dieux :

� Il en est, dit-il, autrement des dieux, car les uns ont �t� engendr�s et sont corruptibles, les autres n'ont pas �t� produits. La d�monstration de cette doctrine est un des premiers objets de la philosophie naturelle. Le soleil, la lune et les autres dieux de m�me nature ont �t� engendr�s; Jupiter seul est �ternel. �

Il dit un peu plus loin :

� Nous dirons la m�me chose de Jupiter et des autres dieux quant � leur origine et � leur corruptibilit� ; car ceux-ci sont sujets � p�rir, et les parties de l'autre sont incorruptibles. �

Je rapprocherai de cette doctrine de Chrysippe un passage d'Antipater :

(1052b) � Tous ceux, dit ce philosophe, qui citent aux dieux leur bienfaisance, affaiblissent en partie les notions premi�res que nous avons de la Divinit�. Il faut en dire autant de


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ceux qui les croient sujets � la g�n�ration et � la corruption. �

Si donc celui qui croit les dieux p�rissables tombe dans la m�me absurdit� que celui qui nie leur providence et leur amour pour les hommes, Chrysippe n'est pas moins dans l'erreur qu'�picure, puisque l'un �te aux dieux leur immortalit�, et l'autre leur bienfaisance.

Dans son troisi�me livre des Dieux, Chrysippe, en parlant de la mani�re dont ils se nourrissent, s'exprime ainsi :

� Les autres divinit�s usent de nourriture � peu pr�s comme nous, et c'est par ce moyen qu'ils entretiennent leur vie ; mais (1052c) Jupiter et le monde se nourrissent d'une autre mani�re que les dieux engendr�s et qui doivent p�rir par le feu. �

Il soutient ici que tous les dieux, except� Jupiter et le monde, prennent de la nourriture ; et dans son premier livre de la Providence, il dit que Jupiter prend de l'accroissement, jusqu'� ce que toutes choses soient consomm�es en lui, parce que la mort �tant la s�paration de l'�me d'avec le corps, et l'�me du monde ne se s�parant jamais d'avec lui, mais prenant des accroissements successifs, jusqu'� ce qu'elle ait consum� en elle-m�me l'universalit� de la mati�re, on ne peut pas dire que le monde doive mourir. Quelle plus grande contradiction que d'avancer qu'un m�me dieu se nourrit et ne se nourrit point? Il n'est pas besoin de raisonnements pour prouver cette incons�quence ; car il le dit ouvertement au m�me endroit :

(1052d) � Le monde se suffit � lui-m�me, parce qu'il contient tout ce qui lui est n�cessaire; il se nourrit de lui-m�me et prend de l'accroissement, parce que ses parties se changent les unes dans les autres. �

Non seulement donc il se contredit quand il avance dans un endroit, que tous les dieux prennent de la nourriture, except� Jupiter et le monde, et dans un autre que le monde se nourrit aussi ; mais il le fait bien davantage, lorsqu'il assure que le monde s'accro�t en se nourrissant de lui-m�me. Au contraire, il fallait plut�t


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dire que le monde seul ne prend pas d'accroissement, puisqu'il ne se nourrit que de sa propre destruction, et que les autres dieux en prennent, puisqu'ils tirent du dehors leur nourriture ; et par cons�quent que c'est le monde qui se consume en eux, s'il est vrai qu'il tire de (1052e) lui-m�me sa nourriture, et que les dieux la re�oivent de lui. En second lieu, une autre id�e que renferme naturellement la notion des dieux, est celle de leur bonheur et de leur perfection. Aussi les sto�ciens louent-ils Euripide d'avoir dit :

� Au-dessus des besoins, Dieu, par son rang supr�me,
Parfaitement heureux se suffit � lui-m�me. �

Mais Chrysippe, dans les passages que je viens de citer, pr�tend que le monde seul se suffit � lui-m�me, parce que seul il contient en soi tout ce dont il a besoin. Que suit-il de cette assertion? Que ni le soleil, ni la lune, ni aucun des autres dieux ne se suffisent � eux-m�mes, et par cons�quent qu'ils ne sont pas heureux. 

(1052f) Il croit que le f�tus est nourri par la nature, dans le sein de la m�re, comme une plante dans la terre ; qu'aussit�t qu'il est n�, il est refroidi et fortifi� par l'air, ses esprits changent de nature, et il devient un animal; qu'ainsi c'est avec raison que le nom qu'on donne � l'�me vient du mot qui signifie rafra�chissement. Mais bient�t, en contradiction avec lui-m�me, il dit que l'�me est un esprit d'une nature plus subtile, et compos� de parties tr�s d�li�es. (1053a) Car comment est-il possible qu'un corps naturellement �pais devienne subtil et d�li� par le refroidissement et la condensation ? Et ce qui est encore plus fort, comment, apr�s avoir affirm� que c'est le refroidissement qui fait que le corps devient anim�, peut-il croire que le soleil, qui est d'une nature ign�e, soit anim�, et qu'il ait �t� produit par une exhalaison convertie en feu? Voici ce qu'il dit dans son troisi�me livre de la Nature :

� Le chan-


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gement du feu se fait de la mani�re suivante : par l'air il est chang� en eau ; de cette eau � laquelle la terre sert de soutien, l'air se r�sout en vapeur, et quand l'air est att�nu�, l'�ther prend une forme circulaire, et les �toiles sont enflamm�es par la mer ainsi que le soleil. �

Quoi de plus contraire � l'embrasement que le refroidissement, � la rar�faction, que la condensation, (1053b) dont l'une de l'air et du feu produit l'eau et la terre, et l'autre change en feu et en air les substances humides et terreuses? Cependant Chrysippe donne pour principe de l'animalit�, tant�t l'embrasement, tant�t le refroidissement. Il dit que lorsque l'inflammation est compl�te, l'�tre vit et est anim� ; mais quand il vient � s'�teindre et � s'�paissir, il se tourne en eau, en terre et en substance purement corporelle. Voici comment il s'en explique dans son premier livre sur la Providence :

� D�s que le monde est tout entier en nature de feu, il a aussit�t son �me et sa facult� dominante; mais lorsqu'il se change en une substance humide, dans laquelle l'�me est comme contenue, alors il prend une nature qui est une sorte de compos� d'�me et de corps, et il acquiert des rapports diff�rents. �

 (1053c) Dans ce passage, il dit clairement que les parties inanim�es du monde sont elles-m�mes, par leur inflammation, chang�es en des �tres anim�s, et qu'au contraire, par leur extinction, l'�me s'affaiblit, devient humide, et retourne � la nature corporelle. C'est donc une absurdit� de sa part, tant�t d'animer par le refroidissement les choses insensibles, et. tant�t de r�duire en substances inanim�es et insensibles la plus grande partie de l'�me du monde.

Mais, outre cela, le raisonnement qu'il fait sur la g�n�ration de l'�me a pour base des preuves qui d�truisent son opinion. Il pr�tend que l'�me se forme dans un enfant d�s qu'il est sorti du sein de sa m�re, parce que (1053d) ses esprits changent de nature, et se fortifient par le refroi-


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dissement comme le fer se durcit parla trempe. Et pour prouver que l'�me n'est produite qu'apr�s la naissance de l'enfant, son plus fort argument est que les enfants ont des m�urs el des inclinations semblables � celles de leurs p�res. Mais ici la contradiction saute aux yeux; car est-il possible que l'�me, qui n'est produite qu'apr�s l'enfantement, ait ses inclinations et ses m�urs form�es avant l'enfantement? ou bien il faudra dire qu'une �me est semblable � une autre, avant qu'elle soit produite, c'est-�-dire qu'elle est par similitude et qu'elle n'est pas, puisqu'elle n'existe pas encore. Et si quelqu'un pr�tend que c'est par l'organisation des corps que cette ressemblance s'imprime, et qu'ainsi les �mes, apr�s �tre form�es, changent d'inclination, alors il d�truit sa preuve de l'origine de l'�me ; car il suit de l� que (1053e) quand m�me l'�me ne serait pas engendr�e, une fois entr�e dans le corps, elle prouverait un changement, et prendrait cette ressemblance qui serait l'effet de l'organisation.

Tant�t il avance que l'air est l�ger, et qu'il a la propri�t� de s'�lever ; tant�t, qu'il n'est ni grave ni l�ger. Dans son second livre du Mouvement, il dit que le feu n'ayant aucune pesanteur, gagne toujours le haut, et qu'il en est de m�me de l'air ; que l'eau tient plus de la nature de la terre, et l'air de celle du feu. Dans ses Pr�ceptes physiques, il penche vers l'opinion contraire, et il dit que l'air par lui-m�me n'a ni pesanteur ni l�g�ret�, qu'il est t�n�breux de sa nature, et la preuve qu'il en donne, c'est qu'il est le principe du froid ; que son obscurit� est oppos�e � la clart�, et son froid � la chaleur du feu. (1053f) Apr�s avoir expos� ses principes dans le premier livre de ces Questions naturelles, il dit dans son trait� des Habitudes, que les habitudes ne sont que des modifications de l'air, qu'elles seules donnent aux corps leur consistance; que c'est l'air qui fait qu'un corps, contenu par une habitude, a une certaine qualit�, parce qu'il lui


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donne cette consistance qu'on appelle duret� dans le fer, densit� dans la pierre et blancheur dans l'argent.

(1054a) On sent tout ce que cette opinion a d'absurde et de contradictoire ; car si l'air conserve toujours sa nature, comment, dans ce qui n'est pas blanc, la noirceur se changera-t-elle en blancheur, la mollesse en duret� dans ce qui n'est pas dur, et la rarit� en densit� dans ce qui n'est pas dense? Ou si l'air, en se m�lant dans ces corps, s'assimile � eux et subit des changements, comment est-il une habitude, ou une facult�, ou la cause de ces effets, auxquels il est  lui-m�me assujetti ? Car un changement qui lui fait perdre ses qualit�s, prouve qu'il est passif plut�t qu'agent, et qu'il est plus affaibli par les autres corps qu'il ne leur donne leur consistance. D'ailleurs les sto�ciens soutiennent hautement que la mati�re, qui par elle-m�me n'a ni action ni mouvement, est susceptible de toutes sortes de qualit�s; (1054b) que ces qualit�s sont des esprits qu'ils appellent des tensions de l'air, et qu'elles donnent la forme et la figure aux parties de la mati�re auxquelles elles s'attachent. Mais cela ne saurait s'accorder avec la nature qu'ils ont attribu�e � l'air; car, s'il est une habitude et une tension, il doit assimiler � lui tous les corps qui par leur mollesse sont susceptibles de changement. Si, au contraire, par son m�lange avec les corps, il prend des formes contraires � celles qu'il a naturellement, il s'ensuit qu'il est en quelque sorte le sujet de la mati�re et non pas sa facult�.

 Chrysippe dit souvent que hors du monde il y a un vide infini, et que l'infini n'a ni commencement, ni milieu, ni fin. C'est le principal argument dont se servent les sto�ciens pour r�futer l'opinion d'�picure, qui attribue aux atomes un mouvement naturel (1054c) vers le bas, parce que dans l'infini, disent-ils, il n'y a point de diff�rence locale qui fasse que certains corps soient en haut et d'autres en bas. Mais dans son quatri�me livre des Possibles,


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il suppose un milieu dans lequel le monde est plac�. Voici ses expressions :

� Il faut dire que le monde est incorruptible : cette assertion aurait peut-�tre besoin de preuve ; mais je la crois certaine, et ce qui doit contribuer beaucoup � L'incorruptibilit� du monde, c'est qu'il occupe le milieu; car si on le supposait plac� ailleurs, alors il serait absolument corruptible. �

Il ajoute bient�t apr�s :

(1054d) � Ainsi sa substance a �ternellement occup� le milieu, et, par cette situation qu'il a eue d�s son origine, par plusieurs causes diff�rentes, et aussi par un heureux hasard, il n'est pas susceptible de corruption, et par cons�quent il est �ternel. �

Ce passage offre d'abord une premi�re contradiction manifeste, puisqu'il suppose un milieu � l'infini ; mais il en contient une seconde, qui est moins frappante et plus absurde. Puisqu'il croit que le monde, s'il occupait une autre place que le milieu dans le vide infini, ne se conserverait pas incorruptible, on voit clairement qu'il a craint que les parties qui forment sa substance, (1054e) en se portant alors vers le milieu, n'entra�nassent la dissolution et la destruction du monde. Mais il n'aurait pas eu cette crainte s'il n'e�t pens� que les corps tendent naturellement de tous les c�t�s vers le milieu, non de la substance elle-m�me, mais de l'espace qu'elle occupe. Et c'est ce qu'il a souvent dit �tre impossible et contre nature, parce qu'il n'y a dans le vide aucune diff�rence qui fasse que les corps se portent d'un c�t� plut�t que d'un autre, et que c'est la composition m�me du monde qui est la cause du mouvement que les corps ont vers le centre, et qui les fait s'y porter de tous les c�t�s. Il suffit de ci ter ici un passage de son second livre du Mouvement. Apr�s avoir dit (1054f) que le monde est un corps parfait, mais que ses parties ne le sont point, parce qu'elles existent moins pour elles-m�mes que par rapport � l'univers, il parle ensuite de son mouvement, dont telle �tait la nature, que toutes ses parties tendaient � l'affermir, �


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le conserver, et non � le dissoudre et � le rompre ; apr�s quoi, il ajoute :

� Ainsi l'univers ayant un mouvement et une tendance vers un m�me point, et ses parties, � raison de leur nature corporelle, ayant aussi ce m�me mouvement, il est vraisemblable que (1055a) tous les corps ont, par leur nature, ce premier mouvement vers le centre du monde, que l'univers se meut ainsi vers lui-m�me, et ses parties aussi, comme �tant des portions de lui-m�me. �

Mais, mon ami, pourrait-on lui dire, par quel accident avez-vous donc oubli� ces paroles, pour affirmer ensuite que si, par un hasard heureux, le monde n'e�t pas occup� le milieu, il aurait �t� sujet � la dissolution et � la mort ? Si son mouvement naturel est de tendre toujours vers son centre, et que ses parties s'y portent aussi de tous les c�t�s, dans quelque partie du vide qu'il e�t �t� plac�, comme il se serait toujours contenu et resserr� lui-m�me, il serait toujours rest� indissoluble et (1055b) incorruptible. Car les corps qui se brisent et se divisent n'�prouvent cette dissolution que par la s�paration de chacune de leurs parties, qui, abandonnant le lieu qu'elles occupaient contre leur nature, vont prendre la place qui leur convient. Mais vous qui croyez que si le monde occupait une autre place dans le vide, il serait sujet � une destruction totale, qui le d�clarez m�me, et qui, pour cela, mettez un milieu dans un infini qui ne peut en avoir, vous avez donc abandonn� ces tensions, ces adh�rences, ces inclinaisons, comme de faibles garants de sa conservation; vous n'avez attribu� qu'� la place qu'il occupe la cause de sa dur�e, et, comme si vous preniez plaisir � vous r�futer vous-m�me, vous ajoutez encore :

� Il est naturel que chaque partie du monde soit mue par elle-m�me, (1055d) de la m�me mani�re qu'elle se meut dans sa liaison avec les autres parties, quand m�me, par une simple supposition, nous la concevrions plac�e dans quelque espace vide du monde. Comme alors, contenue de toutes


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parts, elle se porterait vers le centre, elle pers�v�rerait dans le m�me mouvement, en supposant m�me qu'il se ferait subitement du vide autour d'elle ; d'ailleurs, une partie quelconque environn�e par le vide ne perd point sa tendance naturelle vers le centre du monde; et le monde lui-m�me, si le hasard ne lui e�t pas donn� la place qu'il occupe dans le milieu, e�t perdu cette tension qui le contient et le conserve, parce que les diff�rentes parties de sa substance se seraient port�es de diff�rents c�t�s. �

Il y a dans ce passage des contradictions (1055d) bien choquantes contre la physique ; mais il est encore plus oppos� � Dieu et � la Providence, � qui il �te la principale et la plus importante influence, pour ne leur laisser que les plus l�g�res. En effet, la cause qui contribue le plus � la conservation du monde, c'est que sa substance �tant intimement li�e � ses parties, elle est contenue par elle-m�me. Mais, suivant Chrysippe, cette disposition est l'effet du hasard ; car si c'est le lieu que le monde occupe qui le rend incorruptible, et que ce soit le hasard qui l'y ait plac�, il est �vident que l'univers doit sa conservation au hasard, et non au Destin ni � la Providence.

Mais quelle contradiction entre la doctrine que Chrysippe enseigne sur le possible et celle qu'il �tablit sur la destin�e ! Car si le possible (1055e) n'est point ce qui est ou qui sera vrai, comme le pr�tend Diodore, mais tout ce qui peut �tre, quand m�me il ne devrait jamais exister, il y aura beaucoup de choses possibles qui ne seront pas produites par le Destin immuable, lequel soumet tout � son in�vitable pouvoir. Ainsi le Destin perd sa puissance ; ou, s'il est tel que Chrysippe se le figure, ce qui pourrait �tre deviendra souvent impossible ; tout ce qui est vrai sera n�cessaire, parce qu'il sera compris dans la plus absolue de toutes les n�cessit�s, et tout ce qui est i'aux sera impossible, parce que la plus puissante des causes s'opposera � ce qu'il soit jamais vrai. Car comment est-il possi-


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bl� (1055f) qu'un homme meure sur terre, quand le Destin a d�termin� qu'il mourrait sur mer? ou comment un homme qui est � M�gare peut-il aller � Ath�nes, si le Destin s'y oppose?

Ce qu'il avance avec tant de l�g�ret� sur les objets qui frappent notre imagination est encore contraire au pouvoir du Destin. Pour montrer que ces objets ne sont pas par eux-m�mes des causes parfaites de consentement, il dit que les sages nous feraient un tort r�el en excitant en nous de fausses imaginations, s'il �tait vrai qu'elles d�terminassent enti�rement notre volont�. Car souvent les sages emploient le mensonge (1056a) � l'�gard des m�chants, et ils offrent � leur imagination des motifs vraisemblables, mais qui ne sont pas la cause de leur consentement ; autrement ils le seraient aussi d'une opinion fausse et de l'erreur. On pourra donc transporter ce raisonnement du sage au Destin, et dire que le Destin ne d�termine pas le consentement ; car autrement il serait la cause de consentements faux, d'erreurs et d'opinions nuisibles. Ainsi la raison, qui fait que le sage ne nuit � personne, nous montre aussi que le Destin n'est pas la cause de tout. Car si le Destin ne produit pas les opinions des hommes, et s'il ne leur cause aucun dommage, ce ne sera pas lui non plus qui les fera agir (1056b) avec droiture et avec prudence, qui les rendra fermes dans leurs opinions et qui leur procurera des avantages, ce qui d�truit cette assertion des sto�ciens, que le Destin est la cause de tout. Si quelqu'un m'objecte que Chrysippe ne dit pas que le Destin soit la cause absolue de tout, mais seulement la cause ant�c�dente, il prouvera encore que ce philosophe est en contradiction avec lui-m�me, puisqu'il loue singuli�rement ce qu'Hom�re dit de Jupiter :

Et des biens et des maux Jupiter est l'arbitre.

Et ce vers d'Euripide :


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Jupiter, l'homme tient de ta seule puissance
Sa raison, ses talents et toute sa prudence.

(1056b) Chrysippe, apr�s avoir �crit beaucoup de choses analogues � ces maximes, finit par dire que rien n'est en repos et que rien ne se meut, m�me ce qu'il y a de plus petit, que conform�ment � la raison de Jupiter, qu'il dit �tre une m�me chose avec le Destin. Mais une cause ant�c�dente est plus faible qu'une cause absolue, et, forc�e de c�der � des obstacles qui lui r�sistent, elle ne parvient pas � produire son effet. Or Chrysippe, pour montrer que le Destin est une cause invincible que rien ne peut arr�ter ni changer, lui donne les noms d'Atropos, d'Adrast�e, de N�cessit�, de Fin d�terminante, parce qu'il donne � toutes choses leur fin et leur terme (30).

Dirons-nous donc que ni les consentements, (1056d) ni les vertus, ni les vices, ni les bonnes, ni les mauvaises actions ne sont en notre pouvoir? Ou croirons-nous que le Destin n'atteint pas � son but, qu'une facult� faite pour donner � toutes choses leur terme ne les termine point, et que les mouvements et les habitudes de Jupiter n'ont pas leur accomplissement? L'une de ces cons�quences suit de l'opinion qui veut que le Destin soit une cause absolue, et l'autre de celle qui n'en fait qu'une cause ant�c�dente : s'il est une cause absolue, il d�truit notre libre arbitre et le choix de notre volont�; s'il n'est qu'une cause ant�c�dente, il n'aura plus le pouvoir d'arriver sans obstacle aux fins qu'il se propose. Or, dans tous ses ouvrages, et principalement dans ceux de physique, (1056e) Chrysippe ne cesse de r�p�ter que les natures particuli�res et leurs mouvements �prouvent beaucoup d'obstacles et d'emp�chements, au lieu que le mouvement de l'univers n'en conna�t aucun. Mais si les mouve-


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ments des �tres particuliers rencontrent des obstacles, comment est-il possible que le mouvement de l'univers, qui renferme celui des �tres particuliers, n'en �prouve point? La nature de l'homme ne trouvera-t-elle pas de l'emp�chement dans ses fonctions, si le pied et la main n'ont pas toute leur libert�? ou le mouvement d'un vaisseau peut-il �tre libre, quand il y a de l'embarras dans les voiles ou dans les rames? Et sans cela, si les imaginations ne sont pas produites par le Destin, elles n'op�rent pas les consentements. Ou si Chrysippe pr�tend que lorsque les imaginations conduisent aux consentements, ceux-ci sont d�termin�s par le Destin, comment le Destin pourrait-il n'�tre pas (1056f) contraire � lui-m�me, puisque dans les choses les plus importantes il nous imprime des imaginations oppos�es et qui tirent nos pens�es en sens contraire ? Ils disent cependant que ceux qui se d�terminent d'apr�s l'une ou l'autre de ces imaginations, et qui ne retiennent pas leur consentement, se rendent coupables; que s'ils c�dent � des imaginations obscures, ils se heurtent � chaque pas ; si elles sont fausses, ils donnent dans l'erreur ; si elles sortent de l'appr�hension commune, ils n'ont que des opinions vagues et incertaines. Il faut donc de trois choses l'une, ou que toute imagination ne soit pas l'effet du Destin, ou que tout consentement � une imagination soit exempte de bl�me, ou enfin que le Destin lui-m�me ne soit pas irr�pr�hensible ; (1057a) car je ne vois pas comment il serait excusable de produire des imaginations qu'il faut combattre et r�primer, et auxquelles on ne peut c�der sans �tre coupable.

Enfin, dans les disputes contre les acad�miciens, Chrysippe et Antipater se donnent beaucoup de peine pour prouver que nous ne faisons et n'entreprenons rien sans y donner notre consentement, et que ceux-l� avancent des fables et de vaines suppositions, qui pr�tendent que d�s qu'il s'offre � nous une imagination convenable,


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nous nous d�terminons � agir sans c�der ni consentir. Chrysippe dit encore que Dieu et le sage (1057b) impriment en nous des imaginations fausses, non qu'ils veuillent que nous y c�dions ou que nous y donnions notre consentement, mais seulement afin de nous faire agir et de nous porter vers l'objet qui nous est pr�sent� ; et que c'est par un effet de notre corruption naturelle et de notre faiblesse que nous consentons � ces sortes d'imaginations. Le d�sordre et la contradiction de ces principes sautent aux yeux ; car celui qui n'a pas besoin que nous donnions notre consentement aux imaginations qu'il imprime en nous, mais seulement que nous agissions d'apr�s les objets qui nous sont pr�sentes, que ce soit Dieu ou le sage, sait tr�s bien que ces sortes d'imaginations suffisent pour nous faire agir, et que notre consentement en est une suite n�cessaire. Si donc, sachant que l'imagination nous d�termine � agir sans avoir besoin de notre consentement, il nous envoie des imaginations fausses on simplement probables, il est la cause volontaire des erreurs dans lesquelles nous tombons en donnant notre consentement (1057c) � des choses que nous ne saurions comprendre.


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QUE LES STO�CIENS DISENT DES CHOSES PLUS �TRANGES QUE LES PO�TES EUX-MEMES.

(1057c) On a bl�m� Pindare d'avoir feint, contre toute vraisemblance,  que le corps de C�n�e �tait invuln�rable, et  que, (1057d) sans avoir re�u aucune blessure, il s'enfon�a sous la terre,

� Dont son pied sans effort entr'ouvrit les ab�mes. �

Mais le Lapithe (31), forg� pour ainsi dire d'impassibilit� comme d'un diamant imp�n�trable, est bien quelquefois bless�, atteint par la maladie ou par la douleur ; mais il n'�prouve ni crainte ni tristesse ; il n'est point vaincu, il ne c�de point � la force lors m�me qu'on le frappe, qu'on le fait souffrir, qu'on le tourmente, qu'il voit sa patrie saccag�e et qu'il est expos� � tous les malheurs de la vie. Le C�n�e de Pindare, quoique accabl� de coups, n'�tait jamais bless�. Le sage des sto�ciens est tenu prisonnier sans perdre sa libert� ; jet� dans un pr�cipice, (1057e) il ne souffre point de violence ; on l'applique � la torture, et il n'est pas tourment�; on le br�le, et il ne re�oit point de mal; renvers� � la lutte, il reste invincible ; environn� de fortifications, il n'est point assi�g�; vendu par les ennemis, il n'est jamais captif, mais il est comme ces vaisseaux qui, portant ces inscriptions pompeuses : Heureuse navigation, providence conservatrice, abri salutaire, n'en sont pas moins agit�s par la temp�te et quelquefois bris�s ou ab�m�s sous les flots.

L'Iolas d'Euripide, de vieillard d�cr�pit qu'il est, devient tout � coup


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jeune et vigoureux pour les combats. Le sage des sto�ciens �tait hier l'homme le plus m�chant et le plus corrompu, et aujourd'hui il se trouve subitement  (1057f) vertueux. Il �tait p�le, rid�, et, comme dit Eschyle,

� Accabl� par les ans, press� par la douleur; �

et tout � coup le voil� beau, d'une figure noble et presque divine.

(1058a) Minerve, dans Hom�re, �te � Ulysse ses rides et ses difformit�s ; elle couvre de cheveux sa t�te chauve, et lui rend sa premi�re beaut�. Le sage des sto�ciens, lors m�me que son corps reste appesanti sous le poids de la vieillesse, qu'il est chaque jour accabl� de nouvelles infirmit�s, qu'il est m�me �dent�, borgne et bossu, n'est cependant ni laid ni difforme (32).

Les escarbots, dit-on, fuient les bonnes odeurs et recherchent les mauvaises. De m�me les sto�ciens pr�f�rent les hommes les plus laids et les plus difformes, pour en faire leurs amis; et apr�s les avoir, par des pr�ceptes de sagesse, rendus agr�ables et beaux, ils les abandonnent.

A en croire ces philosophes, un homme qui, (1058b) le matin, �tait tr�s m�chant, le soir, se trouve tr�s vertueux; celui qui s'�tait endormi stupide, ignorant, injuste, intemp�rant, et, qui plus est, esclave, pauvre, indigent, se l�ve le matin roi, riche, heureux, et m�me temp�rant, juste, ferme et invariable dans ses opinions. Ce n'est pas qu'il se trouve tout � coup un corps vigoureux et une jeunesse florissante ; c'est dans une �me faible, molle, eff�min�e et inconstante qu'il acquiert un entendement parfait, une prudence extr�me, une disposition toute divine, une science infaillible et une habitude immuable que rien ne peut faire changer. Ce n'est


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point par degr�s que son ancienne d�pravation dispara�t ; c'est en un instant que, d'une esp�ce de b�te f�roce, il devient presque un h�ros, un g�nie ou un dieu. Depuis qu'il a puis� la vertu dans le Portique, on peut lui dire :

� (1058c) Tu n'as qu'� d�sirer, tu seras satisfait. �

La vertu donne � ces philosophes les richesses, la royaut�, la fortune, le bonheur ; elle les met au-dessus de tous les besoins, et ils se suffisent � eux-m�mes, quoiqu'ils ne poss�dent pas une drachme. Les fables des po�tes, plus sens�es encore que les maximes des sto�ciens, ne nous repr�sentent jamais Hercule affranchi des n�cessit�s de la vie ; seulement toutes les choses dont il avait besoin coulaient comme de source pour lui et pour ses compagnons (33). Mais celui qui a pu saisir une fois la corne Amalth�e des sto�ciens, est aussit�t enrichi quoiqu'il mendie son pain; il est roi, et il apprend, pour de l'argent, � r�soudre et � expliquer des syllogismes ; seul il poss�de tout, (1058d) et il tient � loyer la maison qu'il occupe ; il emprunte pour acheter de la farine, ou il demande de l'argent � ceux m�me qui sont dans l'indigence. A la v�rit�, le roi d'Ithaque mendiait, mais c'�tait pour n'�tre pas reconnu ; aussi prenait-il, autant qu'il lui �tait possible,

� Tous les dehors honteux du plus vil mendiant. �

Mais un philosophe du Portique qui crie � pleine t�te :

� C'est moi seul qui suis roi, c'est moi seul qui suis riche,�

va souvent de porte en porte, et dit d'un ton humble :

� A ce pauvre Hypponax donnez un v�tement,
(1058e) Il est transi de froid, tout son corps est tremblant.


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DES NOTIONS COMMUNES CONTRE LES STO�CIENS.

DIALOGUE.

texte grec

LAMPRIAS, DIADUM�NE (34).

(1058e) LAMPRIAS.

Il me para�t, Diadum�ne, que, dans votre �cole, on se met fort peu (1058f) en peine du reproche de raisonner contre les notions communes, puisque, de votre aveu, vous ne tenez pas m�me un grand compte des sens naturels d'o� viennent cependant la plupart de nos perceptions qui ont leur fondement et leur autorit� dans les objets qui frappent nos sens. Pour moi, (1059a) qui �prouve un trouble singulier, je viens aupr�s de vous en chercher le rem�de, soit dans vos raisonnements, soit dans des charmes magiques, soit enfin dans quelque autre moyen que vous pourrez trouver, tant sont vives l'agitation et la perplexit� dans lesquelles m'ont jet� quelques sto�ciens, philosophes tr�s estimables, et, qui plus est, mes amis, mais qui d�clament avec trop d'emportement et d'amertume contre l'Acad�mie. Ils ont r�pondu avec aigreur � quelques observations modestes, je puis m�me dire respectueuses, que j'ai pris la libert� de leur faire. Emport�s par la col�re, ils ont trait� les anciens philosophes de sophistes, de corrupteurs, de fl�aux des plus saines maximes de la philosophie. Apr�s bien d'autres propos encore plus �tranges, (1059b) ils sont tomb�s enfin sur les notions communes, et ils ont accus� les acad�miciens de les confondre et de les d�truire. Un d'entre eux a ajout� qu'il regardait non comme l'effet du hasard, mais comme une disposition particuli�re de la Providence, que Chrysippe ne f�t venu au monde qu'apr�s Arc�silas et avant


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Carn�ade (35), dont l'un a, le premier, outrageusement attaqu� les id�es re�ues (36), et l'autre a joui, dans l'Acad�mie, de la plus grande r�putation. Chrysippe, plac� entre ces deux philosophes, a, par ses �crits contre Arc�silas, foudroy� d'avance l'�loquence de Carn�ade, et il a laiss� � nos sens des armes puissantes pour repousser l'attaque qu'on leur livrait. Il a fait cesser (1059c) la confusion qu'on avait jet�e dans nos pr�notions et nos conceptions communes; il les a dirig�es et mises chacune dans leur place naturelle, de mani�re que ceux qui, depuis, ont voulu renouveler ce d�sordre et faire violence � la nature des choses, ont manqu� leur but et n'ont fait qu'attester leur mauvaise foi et leur go�t pour les sophismes. �chauff� d�s le matin par tous les propos que j'ai entendus, j'ai besoin de calmants pour faire cesser des doutes cruels qui, tels que des humeurs violentes, fermentent dans mon esprit.

DIADUM�NE.

Vous n'�prouvez en cela qu'une affection tr�s ordinaire, mon cher Lamprias; mais si vous ajoutez foi au r�cit des po�tes qui disent que l'ancienne Sipyle ne ne fut d�truite par la Providence divine qu'en punition du crime de Tantale (37), croyez-en aussi nos amis du Portique, lorsqu'ils (1059d) assurent que ce n'est pas la Fortune, mais cette m�me Providence qui a fait na�tre Chrysippe, quand elle a voulu tout confondre et bouleverser dans la vie humaine ; car personne ne fut plus propre que lui � remplir de pareilles vues. Caton disait que personne, avant C�sar, n'avait mis de la sobri�t� et de la prudence


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dans le projet de d�truire la r�publique. On peut dire aussi, ce me semble, que Chrysippe a mis le plus grand soin et la plus grande adresse � renverser, � abolir les id�es re�ues, autant du moins qu'il �tait en lui. Et c'est ce qu'attestent ceux m�me qui l'ont en plus grande estime, lorsqu'ils disputent avec lui sur l'esp�ce de sophisme qu'on nomme le menteur (38). En effet, mon ami, soutenir qu'une conclusion tir�e de pr�misses contraires n'est pas �videmment (1059e) fausse, et, d'un autre c�t�, pr�tendre que des syllogismes dont les pr�misses et les inductions sont vraies peuvent cependant avoir les contraires de leurs conclusions vraies, n'est-ce pas d�truire tout principe de d�monstration et toutes les bases sur lesquelles la certitude est fond�e ? Le polype, dit-on, mange ses bras pendant l'hiver; mais la dialectique de Chrysippe, qui s'enl�ve et se coupe pour ainsi dire � elle-m�me ses principes et ses moyens, quelle id�e laisse-t-elle � l'abri du soup�on de fausset� ? Car il est impossible de rien �lever de solide quand on l'assied sur des fondements fragiles ou sur des appuis douteux et incertains. (1059f) Quand on est couvert de boue ou de poussi�re et qu'on se frotte aupr�s de quelqu'un, au lieu d'�ter l'ordure, on ne fait que l'�tendre davantage. De m�me il est des gens qui, bl�mant les acad�miciens, se trouvent eux-m�mes charg�s des reproches qu'ils leur font. Qui d'eux, en effet, ou des sto�ciens, renversent les notions communes ? (1060a) Mais si vous le voulez, au lieu d'accuser nos adversaires, justifions-nous de leurs inculpations.


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LAMPRIAS.

Je me trouve aujourd'hui, Diadum�ne, bien changeant et bien versatile. Je suis venu, il n'y a qu'un instant, dans l'humiliation et la d�fiance de moi-m�me, solliciter une apologie : je veux maintenant faire le r�le d'accusateur, et savourer le plaisir de la vengeance en voyant tous ces philosophes convaincus de raisonner contre les id�es et les notions communes, tandis qu'ils exaltent ambitieusement leur philosophie, comme la seule conforme � la nature.

DIABUM�NE.

Eh bien! commencerons-nous par ces assertions (1060b) si c�l�bres qu'ils appellent eux-m�mes des paradoxes, en avouant par l� assez ing�nument toute leur absurdit� : que les sages sont seuls rois, seuls riches et beaux, seuls citoyens et juges; ou voulez-vous que, renvoyant toutes ces r�veries dans la classe des choses vieilles et us�es, nous nous attachions surtout aux points de leur doctrine qu'ils traitent plus s�rieusement et qui portent sur des objets de pratique?

LAMPRIAS.

Je l'aime beaucoup mieux, Diadum�ne; car qui n'est pas d�j� plein des arguments par lesquels on r�fute leurs paradoxes?

DIADUM�NE.

Eh bien! consid�rez en premier lieu si, d'apr�s les id�es du sens commun, on peut regarder comme conforme � la nature une doctrine qui enseigne que les avantages naturels sont indiff�rents, que la sant�,  (1060c) la bonne constitution, la beaut�, la force, ne sont ni d�sirables, ni utiles, ni profitables, ni propres � op�rer la perfection qui est selon la nature, et que les affections contraires, telles que la privation des membres, les douleurs, les difformit�s, les maladies, ne sont pas nuisibles, et qu'il ne faut pas chercher � s'en garantir. Cependant ils disent eux-m�mes qu'entre ces affections oppos�es, il en est dont la nature nous �loigne, et d'autres avec lesquelles elle nous concilie. Mais quoi de plus contraire au sens commun que de dire que la nature nous porte vers les objets qui ne nous


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sont ni bons ni utiles, et qu'elle nous �loigne de ceux qui ne sont ni mauvais ni nuisibles, et ce qui est plus fort encore, qu'elle produit ce double effet � un tel point, que la privation de ceux-ci et la chute dans les autres sont des motifs suffisants pour (1060d) d�tester la vie, et m�me pour l'abandonner?

N'est-ce pas encore heurter le sens commun que de regarder la nature m�me comme indiff�rente, et la conformit� avec la nature comme le plus grand des biens ? Peut-il �tre bon et honn�te de suivre la loi et d'ob�ir � la raison, si la raison et la loi ne sont ni bonnes ni honn�tes? Mais ce n'est encore l� qu'une bagatelle ; car si, comme Chrysippe l'a dit dans son premier livre de l'Exhortation, la vie heureuse est le partage de la vertu seule, si tout le reste ne nous int�resse point et ne contribue en rien � notre bonheur, la nature n'est pas seulement indiff�rente pour nous, mais elle est extravagante et insens�e (1060e) de nous incliner vers des objets qui sont pour nous sans int�r�t, et c'est � nous-m�mes une folie de placer le bonheur dans notre conformit� avec la nature, tandis qu'elle nous porte � ce qui ne peut faire notre f�licit�. Quoi de plus conforme au bon sens que de croire que, comme les choses d�sirables par elles-m�mes contribuent � notre utilit�, de m�me les choses naturelles nous font vivre selon la nature? Mais ce n'est pas l� ce que disent les sto�ciens ; au contraire, en admettant que vivre selon la nature est la derni�re fin de l'homme, ils pr�tendent que les choses naturelles sont indiff�rentes.

Il ne r�pugne pas moins au sens commun de soutenir que l'homme sage et prudent, loin d'�tre �galement affect� par des biens de m�me nature, doit ne faire aucun cas des uns (1060f) et tout endurer pour les autres, quoique ceux-ci ne soient ni plus ni moins grands que les premiers. Ils disent encore qu'il n'y a pas plus de m�rite � mourir pour sa patrie qu'� s'abstenir d'une femme d�cr�pite, parce que, dans l'un et l'autre cas, on ne fait que son


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devoir. Cependant ils veulent que la premi�re action soit grande et honorable ; (1061a) mais il serait ridicule, disent-ils, de se vanter de la seconde. Chrysippe lui-m�me a dit dans son trait� de Jupiter et dans son troisi�me livre des Dieux, qu'il serait pu�ril et absurde de louer certaines actions, par exemple, de supporter courageusement la piq�re d'une mouche, et de s'abstenir d'une femme qui a d�j� un pied dans la fosse, quoique ces actions aient la vertu pour principes. N'est-ce pas aller contre le bon sens que de rougir de louer des actions qu'ils regardent comme les plus belles du monde ? Peut-on, sans se montrer sot et ridicule, d�sirer et choisir ce qu'on ne doit ni louer ni admirer?

(1061b) Mais sans doute que vous trouverez encore moins sens� de pr�tendre que le sage ne fait pas plus de cas de la jouissance qu'il ne se plaint de la privation des plus grands biens, et qu'il se conduit dans leur usage et leur disposition comme il ferait � l'�gard des choses les plus indiff�rentes; car nous tous

Qui consumons les fruits que la terre nous donne,

nous estimons qu'une chose dont la jouissance nous est commode, dont la privation se fait sentir et excite nos d�sirs, est bonne, utile et digne d'�tre recherch�e, et nous ne regardons comme indiff�rentes que celles que nous ne voudrions pas acqu�rir par la moindre peine, � moins que ce ne f�t pour s'amuser et pour passer le temps ; car la plus grande diff�rence que l'on connaisse (1061c) entre un homme laborieux et celui qui ne se fait que des occupations frivoles, c'est que celui-ci se fatigue pour des choses indiff�rentes et inutiles, et l'autre pour des choses utiles et importantes. Les sto�ciens en jugent tout autrement. Selon eux, l'homme sage et prudent, qui a plusieurs perceptions et plusieurs souvenirs de perceptions, en voit peu d'int�ressantes pour lui, ne fait point de cas des autres, et


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croit qu'il lui est tr�s indiff�rent de se souvenir qu'il a vu, il y a quelques jours, un de ses amis �ternuer ou jouer � la paume. Cependant toute perception et tout souvenir, quand ils portent sur des bases solides, forment la science dans l'esprit du sage, et c'est pour lui un bien et un tr�s grand bien. (1061d) Mais peut-il �tre tranquille et indiff�rent quand il est priv� de la sant�, quand il souffre dans quelque partie de son corps, quand il a perdu ses biens? Mais plut�t, d�s qu'il est malade, n'appelle-t-il pas un m�decin ? Ne va-t-il pas pour gagner de l'argent � la cour de Leucon, prince du Bosphore, ou d'Indathyrse, roi des Scythes, comme le dit Chrysippe lui-m�me? Il est m�me des privations qui le d�terminent � quitter la vie. Peuvent-ils nier qu'ils ne renversent toutes les id�es communes, lorsqu'ils se donnent tant de peine et de soin pour les choses indiff�rentes, et qu'ils ne sont pas plus affect�s de la jouissance que de la privation des plus grands biens?

(1061e) Est-il plus sens� de dire qu'un homme ne sent pas de plaisir � passer de l'exc�s des maux au comble des biens? Telle est cependant la disposition de leur sage. Lorsque de la corruption la plus profonde il s'�l�ve � la vertu la plus parfaite, qu'il sort de la vie la plus mis�rable pour entrer dans l'�tat le plus heureux, il ne donne aucun signe de joie ; il ne s'�l�ve ni ne s'�meut d'un tel changement, qui, de l'ab�me des vices et du sein de la mis�re, le fait parvenir � la plus grande abondance des biens les plus solides elles plus durables.

Il est aussi peu raisonnable de dire que l'assurance d'�tre exempt d'erreur dans ses opinions et dans ses jugements �tant le plus grand bien de l'homme, elle n'est pas n�cessaire (1061f) � celui qui est parvenu au plus haut point de perfection, qui n'en appr�cie pas la jouissance, qu'il ne daignerait pas m�me �tendre la main pour obtenir cette certitude et cette stabilit�, qu'ils regardent cependant comme le bien le plus grand et le plus parfait. Ils


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vont encore plus loin :

ils pr�tendent que le bien ne s'accro�t pas par sa dur�e, (1062a) que l'homme qui aura �t� sage pendant une heure ne sera pas moins heureux que celui qui aura constamment pratiqu� la vertu, et qui lui aura heureusement consacr� toute sa vie. Et apr�s avoir soutenu cette assertion avec la plus grande force, ils disent que la vertu qui dure peu de temps ne sert de rien ; car quel profit retirerait de la sagesse celui qui, aussit�t apr�s l'avoir acquise, ferait naufrage ou tomberait dans un pr�cipice? De quoi e�t-il servi � Lichas d'avoir pass� subitement du vice � la vertu, quand Hercule le lan�a dans la mer, comme on lance une pierre avec une fronde (39) ?

Ce n'est pas l� seulement renverser les notions communes ; c'est encore confondre ses propres id�es, (1062b) que de soutenir que la possession la plus courte de la vertu rend infiniment heureux, et cependant de n'en faire aucun cas.

Mais ce n'est pas l� ce qu'il y a de plus �tonnant dans la doctrine des sto�ciens; ce qui doit surprendre bien davantage, c'est de leur entendre dire que la pr�sence de la vertu et du bonheur est le plus souvent insensible pour l'homme ; qu'il ne s'aper�oit pas que de l'exc�s de la mis�re et de la folie il est pass� tout d'un coup � un �tat de sagesse et de f�licit�. Non seulement c'est une chose ridicule de vouloir qu'un homme qui vient d'acqu�rir la prudence ignore pr�cis�ment qu'il est devenu sage et qu'il est sorti de l'ignorance ; mais, en g�n�ral, c'est �ter � la vertu tout ce qu'elle a de force et de poids, que de supposer qu'elle entre dans l'homme sans qu'il s'en aper-


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�oive ; (1062c) car, d'apr�s leur propre opinion, le bien n'est pas de nature � n'�tre pas senti, et Chrysippe lui-m�me dit formellement dans son trait� des Fins de l'homme, que le bien est sensible, et il le d�montre. Il reste donc � dire que lorsque ceux en qui il est pr�sent ne s'en aper�oivent pas, c'est par sa faiblesse et sa m�diocrit� qu'il �chappe � leur sentiment. Mais ne serait-il pas absurde de dire qu'une vue qui distingue les objets d'une blancheur m�diocre ne peut pas apercevoir ceux qui sont d'une blancheur �clatante, ou que le tact qui sent une chaleur mod�r�e n'est pas affect� par une chaleur br�lante ? Combien le serait-il davantage de vouloir qu'un homme qui aurait la perception des choses communes et conformes � la nature, telles que la sant� et une bonne complexion, ignor�t qu'il poss�de la (1062b) vertu, qui, suivant les sto�ciens eux-m�mes, a la plus grande conformit� avec la nature? Quoi de plus contraire au sens commun que de dire qu'on distingue tr�s bien la sant� de la maladie, et qu'on ne sent pas la diff�rence de la sagesse et de la folie? qu'on peut croire l'une pr�sente, apr�s m�me qu'elle a disparu, et ignorer la pr�sence de l'autre lorsqu'on la poss�de? Puisque le dernier degr� de perfection fait l'�tat de bonheur et de vertu, il faut de deux choses l'une : ou que le progr�s dans le bien ne soit pas le vice et le malheur, ou qu'il n'y ait pas une grande diff�rence entre le vice et la vertu, entre la mis�re et la f�licit�, et que la diff�rence des biens aux maux soit presque imperceptible ; (1062e) car autrement les hommes n'ignoreraient pas qu'ils passent de l'un de ces �tats � l'autre. Lors donc que les sto�ciens ne veulent pas renoncera leurs contradictions, et qu'ils soutiennent ouvertement ces maximes : que ceux qui ont d�j� fait des progr�s dans la vertu sont encore insens�s et vicieux, que les hommes deviennent bons et sages sans s'apercevoir du changement qui s'op�re en eux, qu'il n'y a presque point de diff�rence entre la sagesse et la folie,


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ne vous paraissent-ils pas merveilleusement d'accord avec eux-m�mes dans leur doctrine ?

Cela para�t encore mieux dans leur conduite, lorsqu'�pr�s avoir dit que tous les hommes qui ne sont pas parfaitement sages sont �galement injustes, infid�les, insens�s et m�chants, ils fuient cependant les uns, les abhorrent, (1062f) et leur refusent m�me le salut quand ils les rencontrent, tandis qu'ils confient � d'autres leur argent, qu'ils les �l�vent aux charges publiques et leur donnent leurs filles en mariage. Si c'est pour plaisanter qu'ils parlent et agissent ainsi, qu'ils quittent donc leurs sourcils fronc�s ; s'ils parlent s�rieusement et comme des philosophes, c'est renverser toutes les id�es communes que de bl�mer, (1063a) d'accuser �galement tous les hommes, et cependant de traiter les uns comme des gens sens�s et raisonnables, et les autres comme des sc�l�rats ; d'avoir pour Chrysippe une admiration outr�e, et de tourner Alexinus (40) en ridicule, tandis qu'ils ne croient pas l'un moins fou que l'autre.

 � Cela est vrai, diront-ils, mais comme celui qui n'est plong� dans la mer qu'� une coud�e de sa surface ne se noie pas moins que celui qui y est enfonc� de cinq cents brasses, de m�me ceux qui ne sont encore que dans le chemin de la vertu ne tiennent pas moins au vice que ceux qui en sont tout � fait �loign�s. Les aveugles qui touchent au moment de recouvrer la vue sont toujours dans la c�cit� ; et ceux qui font des progr�s dans le bien demeurent toujours insens�s et vicieux tant qu'ils ne poss�dent pas une vertu parfaite. �

 (1063b) Oui, messieurs, les hommes qui avancent dans la vertu ne ressemblent ni � des aveugles ni � des gens qui se noient, mais seulement � des personnes dont la vue n'est pas per�ante ou qui nagent vers la terre, et m�me assez pr�s du port, et c'est


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ce que les sto�ciens eux-m�mes attestent par leur conduite ; car autrement ils ne choisiraient pas dans cette derni�re classe des conseillers, des magistrats, des l�gislateurs, comme les aveugles prennent des guides; ils n'imiteraient pas leurs actions, leurs discours et leur vie, s'ils les croyaient tous �galement plong�s dans la folie et dans le vice.

Mais, sans insister sur cette incons�quence, admirez avec moi ces hommes que leurs propres exemples ne portent pas � abandonner des sages qui ne se connaissent pas eux-m�mes, (1063c) qui ne sentent point qu'ils ne sont pas submerg�s sous les flots des vices, qu'ils commencent � voir la lumi�re, et que, surnageant au-dessus des passions, ils respirent enfin librement. Est-il moins contraire au sens commun de vouloir qu'un homme qui jouit de tous les biens, � qui rien ne manque pour �tre parfaitement heureux, renonce cependant � la vie? Il est encore plus absurde de dire que celui qui n'a et n'aura jamais aucun bien, qui est destin� pour toujours � la condition la plus dure et la plus mis�rable, ne doit pas cesser de vivre, � moins qu'il ne lui arrive quelqu'un de ces accidents qu'ils mettent au nombre des choses indiff�rentes. Voil� les lois qu'on dicte dans le Portique, et qui portent un grand nombre de sages de cette �cole � sortir de la vie, (1063d) sous pr�texte qu'ils seront plus heureux, quoique, selon les principes des sto�ciens, le sage soit fortun�, heureux, combl� de biens, exempt de tout danger, et �tabli dans une s�ret� parfaite; qu'au contraire l'homme m�chant et insens� soit, pour ainsi dire, tellement p�tri de vices qu'on ne saurait trouver en lui un seul endroit qui en soit exempt. Ils pr�tendent cependant qu'il lui convient de rester dans la vie, et au sage d'en sortir.

� Et ce n'est pas sans raison que nous le croyons ainsi, dit Chrysippe : car ce n'est ni par les biens ni par les maux qu'il faut estimer la vie, mais par ce qui est conforme � la nature. �


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Voil� comment les sto�ciens maintiennent la conduite ordinaire et raisonnent d'apr�s les notions communes.

Mais � quoi pensez-vous, Chrysippe? Quoi! celui qui d�lib�re s'il restera dans la vie ou s'il la quittera ne doit pas examiner

Et le bien et le mal qu'il a dans sa maison?

Il ne doit pas, la balance � la main, (1063e) peser ce qui contribue au bonheur ou ce qui cause l'infortune, et voir s'il a plus de biens que de maux? Est-ce sur des choses qui ne lui sont ni utiles ni nuisibles qu'il doit se d�cider � vivre ou � mourir? Faut-il qu'en suivant vos principes et vos raisonnements, il pr�f�re de vivre quand il a en partage ce que tout le monde fuit, et qu'il se d�cide � mourir quand il poss�de tout ce qu'on doit naturellement d�sirer ? Mais, mon cher Chrysippe, s'il est contraire � la raison de quitter la vie quand on n'y �prouve aucun malheur, il l'est bien davantage d'abandonner une jouissance si douce, parce qu'on manque d'une chose indiff�rente, (1063f) comme font les sto�ciens qui renoncent � la f�licit� et � la vertu qu'ils poss�dent, parce qu'ils n'ont pas les richesses et la sant�. Jupiter � Glaucus �ta l'entendement, lorsque ce guerrier �changea pour des armes d'airain des armes d'or qui valaient dix fois plus. Cependant des armes d'airain ne sont pas moins utiles dans le combat que des armes d'or ; mais la bonne complexion et la sant� ne sont, aux yeux des sto�ciens, d'aucun prix pour le bonheur, (1064a) cependant ils sont pr�ts � donner la sagesse pour la sant�; car ils pr�tendent qu'Heraclite et Ph�r�cyde auraient bien fait de renoncer, s'ils l'avaient pu, � la vertu et � la prudence pour se d�livrer, l'un de l'hydropisie, et l'autre de la maladie p�diculaire ; qu'entre les deux breuvages de Circ�, dont l'un changeait les sages en insens�s et l'autre rendait sages les fous, Ulysse aurait


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d� boire celui qui causait la folie, plut�t que de se voir changer en b�te, e�t-il d� m�me conserver sa vertu, et par cons�quent son bonheur. Ils soutiennent que (1064b) c'est la prudence elle-m�me qui dicte ce choix, et qui leur dit : Abandonnez-moi et laissez-moi p�rir, si je dois errer �a et l� sous la forme d'un �ne. Mais ne pourrait-on pas leur dire que cette prudence est celle d'un �ne, parce que la sagesse et le bonheur sont de grands biens, et qu'avoir la figure d'un �ne est en soi une chose assez indiff�rente? On dit qu'il y a dans l'�thiopie un peuple qui est gouvern� par un chien qu'on proclame roi (41), et qui jouit de tous les honneurs et de toutes les pr�rogatives de la royaut�. Les hommes y exercent sous cet animal les fonctions qui dans les villes appartiennent aux chefs et aux magistrats. N'en est-il pas de m�me de la vertu chez les sto�ciens? Elle a le nom et l'apparence du bien, ils disent qu'elle est seule d�sirable, (1064d) utile et pr�cieuse, mais ils raisonnent, ils agissent, ils vivent ou meurent � l'ordre, pour ainsi dire, des choses indiff�rentes. Au reste, chez les �thiopiens, personne ne tue le chien qui r�gne ; au contraire il est honor� et respect� de tout le monde ; mais les sto�ciens d�truisent, an�antissent leur vertu, pour conserver la sant� et les richesses.

Le dernier sceau que Chrysippe a mis � cette belle doctrine me dispense d'en dire davantage. Comme il y a dans la nature des biens et des maux et des choses moyennes qu'on appelle indiff�rentes, il n'est personne


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qui ne pr�f�re le bien (1064d) � ce qui est indiff�rent, et ce qui est indiff�rent au mal. Nous en prenons � t�moin les dieux eux-m�mes, lorsque nous leur demandons avant tout la jouissance des biens ou du moins l'exemption des maux; car c'est � la place du mal, et non � celle du bien, que nous voulons avoir ce qui n'est ni bon ni mauvais. Chrysippe renversant cet ordre de la nature, transporte ce qui tient le milieu � la derni�re place, et ram�ne au milieu ce qui est au dernier rang ; il fait comme les tyrans qui donnent aux m�chants la premi�re place. Il nous ordonne de choisir d'abord ce qui est (1064e) bon, et ensuite ce qui est mauvais, et de regarder ce qui est indiff�rent comme le pire de tout; c'est la m�me chose que si l'on pla�ait apr�s le ciel le s�jour des enfers, et qu'on rejet�t la terre et tout ce qui l'environne dans le Tartare,

Cet ab�me profond qui se perd sous la terre.

Apr�s avoir dit dans son troisi�me livre sur la Nature qu'il vaut encore mieux vivre insens� que de ne point vivre, quand m�me on ne devrait jamais acqu�rir la sagesse, il ajoute ces propres termes :

� Telle est la nature des biens humains, que les maux m�mes pr�c�dent les choses indiff�rentes, non qu'ils l'emportent r�ellement sur celles-ci, mais la raison nous persuade qu'il vaut encore mieux vivre, quand nous ne devrions jamais parvenir � la sagesse, et m�me quand nous devrions rester injustes, transgresseurs des lois, ennemis des dieux et des hommes et souverainement malheureux; (1064f) car voil� l'�tat des hommes qui vivent dans la folie. �

Ainsi, selon Chrysippe, il vaut mieux �tre malheureux que de ne pas l'�tre, souffrir des maux que d'en �tre exempt, commettre des injustices que de s'en abstenir, transgresser les lois que de ne pas les violer; ce qui veut dire qu'il faut faire ce qui ne doit pas �tre fait, et qu'il convient de vivre d'une mani�re non convenable.

� Assur�ment, vous


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dira-t- il, car c'est un �tat pire d'�tre priv� de raison et de sentiment que d'�tre fou. �

Mais � quoi pensent ces philosophes de ne vouloir pas reconna�tre comme un mal ce qui est pire que le mal m�me, et qui seul est capable de nous faire pr�f�rer la folie, puisque non seulement il n'est pas moins convenable, (1065a) mais qu'il l'est infiniment plus de fuir une disposition qui n'est pas
susceptible de cette folie?

Mais pourquoi s'indigner contre ces maximes, quand on se souvient de ce que Chrysippe a �crit dans son second livre de la Nature, o� il affirme que ce n'est pas sans utilit� pour l'univers que le vice a �t� produit. Il est bon de rapporter cette doctrine dans ses propres expressions, afin que vous sachiez quel rang assignent au vice et ce qu'en disent ces hommes qui bl�ment X�nocrate et Speusippe de ne pas met Ire la sant� dans la classe des choses indiff�rentes, et de ne pas croire la sagesse inutile :

� Le vice, dit-il, n'est qu'accidentel par rapport aux biens; il est m�me, (1065c) � certains �gards, conforme � la nature, et on pourrait presque dire qu'il n'est pas sans utilit� pour l'univers, puisque autrement le bien ne pourrait pas subsister. �

Il n'y a donc aucun bien parmi les dieux, puisqu'il n'y a point de vice ; et lorsque Jupiter, apr�s avoir consum� toute la mati�re en lui-m�me, sera le seul �tre existant, et qu'il aura an�anti toutes les diff�rences qui ont aujourd'hui lieu dans l'univers, il ne restera plus aucun bien, puisque le mal ne subsistera plus (42).

Un ch�ur de musique est parfaitement d'accord quand aucun des musiciens qui le composent ne d�tonne; le corps est en pleine sant� quand aucun membre ne souffre. Mais la vertu n'existe point sans quelque m�lange de


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vice, et comme on fait entrer dans certains rem�des le venin du serpent et le fiel de l'hy�ne, (1065c) de m�me, pour faire para�tre dans toute sa perfection la justice de Socrate et la probit� de P�ricl�s, il fallait la m�chancet� de M�litus et l'insolence de Cl�on. Jupiter e�t-il pu faire na�tre Hercule et Lycurgue, s'il n'e�t produit aussi Sardanapale et Phalaris ? Que ne disent-ils donc aussi que la phtisie contribue � la sant�, et la goutte � la l�g�ret� de la course, et qu'Achille n'aurait pas eu une belle chevelure, si Thersite n'avait pas �t� chauve? En effet, quelle diff�rence y a-t-il entre ces r�ves extravagants et la doctrine de ceux qui pr�tendent que la d�bauche n'est pas inutile � la temp�rance et l'injustice � l'�quit�? (1065d) D'apr�s cela, il faut prier les dieux d'entretenir toujours en nous la malice,

La fraude, le mensonge et les discours trompeurs,

puisque leur privation entra�nerait pour nous celle de la vertu.

Mais voulez-vous conna�tre ce que l'�loquence de Chrysippe a de plus doux et de plus persuasif? Le voici :

� Comme les com�dies, dit-il, contiennent des �pigrammes qui, malignes en soi, font rire les spectateurs et donnent une certaine gr�ce � tout l'ouvrage, de m�me le vice, bl�mable en soi, n'est pas inutile sous d'autres rapports. �

N'est-ce pas le comble de l'absurdit� de vouloir que le vice ait �t� produit par la Providence divine, comme une �pigramme maligne est n�e du caprice d'un po�te? A ce compte, pourquoi les dieux nous dispenseraient-ils les biens (1065e) plut�t que les maux? Comment ha�ront-ils le vice? et qu'aurons-nous � opposer � ces maximes scandaleuses des po�tes :

Quand dieu veut notre perte, il sait nous y conduire;
Quel Dieu de ce h�ros excita la querelle?


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D'ailleurs une �pigramme mordante est un ornement dans une com�die, et sert � la fin que le po�te se propose, qui est de plaire aux spectateurs et de les faire rire. Mais Jupiter, � qui nous donnons les noms de p�re, de dieu supr�me, d'auteur de la justice, et que Pindare appelle l'ouvrier le plus parfait, qui n'a pas form� le monde comme une pi�ce de th��tre, dont le sujet �tendu et vari� offre plusieurs incidents, (1065f) mais plut�t comme une ville commune aux dieux et aux hommes, pour y vivre dans la paix et dans le bonheur, sous les lois de la justice et l'influence de la vertu, qu'avait-il besoin, pour une fin si belle et si auguste, de brigands, d'assassins, de parricides et de tyrans? Car Dieu n'a point introduit le vice dans le monde comme un pr�lude doux et agr�able. (1066a) Ce n'est point par amusement ou par plaisanterie qu'il l'a comme associ� � la vie humaine, puisque le vice n'a pas m�me l'ombre de cette conformit� avec la nature si fort c�l�br�e par les sto�ciens. D'ailleurs une �pigramme maligne n'est qu'une bien faible partie d'une pi�ce, et n'y occupe qu'un tr�s petit espace. Ces sortes de traits n'y abondent m�me pas, et ils ne d�truisent pas le m�rite et la gr�ce de ce qu'il y a r�ellement de bon dans la com�die. Mais dans le monde tout est plein de vices, et la vie humaine, qui, depuis l'entr�e et le pr�lude jusqu'au d�nouement, est remplie de d�sordres, de troubles et d'erreurs ; qui, de l'aveu m�me des sto�ciens, n'a rien de pur et d'irr�pr�hensible, est, de tous les drames, (1066b) le moins agr�able et le plus triste.

Mais je demanderais volontiers � Chrysippe de quelle utilit� est le vice dans l'univers. Il ne r�pondrait pas sans doute qu'il sert aux choses c�lestes et divines ; il serait trop ridicule de dire que si le vice n'e�t pas r�gn� parmi les hommes, s'ils n'eussent �t� ni avares, ni menteurs, ni brigands, ni calomniateurs, ni meurtriers, le soleil n'aurait pas tenu la route qui lui est prescrite, le monde n'au-


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rait pas joui du retour p�riodique des temps et des saisons, et la terre ne serait point plac�e au centre de l'univers pour y produire les vents et les pluies. Il reste donc (1066c) � dire que c'est � nous et � nos affaires que le vice est utile, et sans doute c'est ainsi que les sto�ciens l'entendent. Sommes-nous donc plus sains, pour �tre vicieux? Avons-nous plus en abondance les choses n�cessaires � la vie? Le vice nous rend-il plus beaux et plus forts? Ils disent eux-m�mes que nous n'en retirons aucun de ces avantages ; mais la vertu n'est pour eux qu'un vain nom, une id�e vaine et obscure, fruit des r�ves des sophistes, qui n'est pas expos�e aux regards de tout le inonde, comme le vice, qui ne participe � rien d'utile, et moins encore � la vertu, pour laquelle nous avons �t� form�s. Et quelle absurdit� de vouloir que ce qui est utile � un laboureur, � un pilote, les conduise � la fin qu'ils se proposent, et que l'homme, que Dieu a fait pour la vertu, (1066d) l'ait d�truite et an�antie? Mais je crois qu'il est temps de laisser l� ce point de leur doctrine, et de passer � un autre.

LAMPRIAS.

Non, je vous en conjure, mon cher Diadum�ne. Je suis curieux de savoir comment ces philosophes placent les maux avant les biens et le vice avant la vertu.

DIADUM�NE.

Il est vrai, mon cher Lamprias, que c'est un article de leur doctrine assez curieux, et sur lequel ils balbutient beaucoup. En un mot, ils pr�tendent que si on supprime les maux on d�truit aussi la prudence, qui est la science des biens et des maux, comme l'existence du vrai suppose n�cessairement celle du faux, de m�me � peu pr�s disent-ils que les biens ne peuvent exister sans les maux.

(1066e) LAMPRIAS.

L'une de ces assertions me para�t fond�e, et je crois saisir l'autre, car j'aper�ois la diff�rence entre les deux. De ce qu'une chose n'est pas vraie, il s'ensuit


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qu'elle est fausse ; mais ce qui n'est pas un bien n'est pas n�cessairement un mal, parce qu'il n'y a point de milieu entre le vrai et le faux; au lieu que l'indiff�rent tient le milieu entre le bien et le mal, et l'un n'existe pas n�cessairement avec l'autre. Le bien peut �tre dans la nature sans qu'elle ait besoin du mal ; il lui faut seulement ce qui n'est ni bien ni mal ; mais je serais bien aise de savoir ce que vos philosophes disent sur la premi�re assertion.

DIADUM�NE.

 Ils en disent bien des choses, mais il faut pour le pr�sent se borner au n�cessaire ; et d'abord, il est contraire au bon sens de croire (1066f) que le bien et le mal ne subsistent que par rapport � la prudence ; car les biens et les maux existaient d�j�, et la prudence est venue ensuite, comme la m�decine n'a �t� invent�e qu'apr�s que les choses salutaires et nuisibles � la sant� ont exist�. Ce n'est donc pas afin que la prudence ait lieu de s'exercer que le bien et le mal existent ; mais la facult� par laquelle nous jugeons le bien et le mal qui existent d�j� se nomme la prudence, comme la vue est la perception des objets blancs et noirs ; et ces objets n'ont pas �t� faits pour que l'organe de la vue exist�t en nous, (1067a) mais plut�t c'est pour discerner ces couleurs que nous avons besoin de la vue. En second lieu, quand le monde sera consum� par un embrasement g�n�ral, comme le croient les sto�ciens, il ne restera plus aucune trace de mal, et l'univers n'en sera pas moins prudent et sage. Il est donc vrai que la prudence peut exister sans le mal ; et de ce que la prudence existe, il ne suit pas n�cessairement que le mal existe aussi. D'ailleurs, en supposant que la prudence ne soit que la science des biens et des maux, quel inconv�nient y aurait-il que, les maux �tant d�truits, il n'y e�t plus de prudence, et qu'elle f�t remplac�e par une autre vertu qui ne serait pas la science des biens et des maux, mais seulement celle des maux? Si, parmi les couleurs, le noir


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venait � dispara�tre enti�rement, (1067b) et qu'on voul�t nous forcer � dire que l'organe de la vue a �t� aussi d�truit, puisqu'il ne peut plus �tre le discernement du noir et du blanc, qui nous emp�cherait de r�pondre qu'il n'y a aucun mal � n'avoir plus ce dernier genre de perception, mais une autre sensation qui nous ferait apercevoir les objets blancs et tous ceux d'une autre couleur ? Le go�t et le tact seraient-ils d�truits, s'il n'y avait plus ni saveur am�re ni douleur? La prudence ne le serait pas davantage si le mal �tait an�anti. Les sensations des choses douces et agr�ables, et de celles qui ne le sont pas, subsisteraient toujours, de m�me que la prudence, qui serait alors le discernement de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas. (1067c) Que ceux qui pensent autrement suppriment le nom et nous laissent la chose. D'ailleurs, qui emp�che que le mal n'existe qu'en id�e, et que le bien ait une existence r�elle? C'est ainsi, par exemple, que les dieux poss�dent la sant�, et ne connaissent que par la pens�e la fi�vre et la pleur�sie; que nous-m�mes, qui, selon les sto�ciens, n'avons que des maux sans aucun bien, nous ne laissons pas d'avoir l'id�e de la prudence, du bien et du bonheur. D'apr�s cela, n'est-il pas bien surprenant que ces philosophes soutiennent que nous ayons la perception de la vertu lors m�me qu'elle n'est pas en nous, et qu'ils veuillent nous en faire conna�tre la nature, tandis que nous ne pouvons, suivant eux, avoir l'id�e du vice qu'autant qu'il existe?

(1067d) Voyez encore ce que pr�tendent nous persuader ces hommes qui raisonnent avec tant de bon sens. Ils disent que c'est l'imprudence qui nous donne l'id�e de la prudence, et que, sans elle, la prudence n'aurait ni la perception d'elle-m�me ni celle de l'imprudence. Mais si la nature avait eu absolument besoin de produire le mal, un ou deux exemples auraient pu suffire ; admettons m�me, s'ils le veulent, qu'il e�t fallu dix hommes vicieux, mille ou


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m�me dix mille, au moins ne lui aurait-il pas fallu une si prodigieuse abondance de vices, que ni les grains de sable et de poussi�re, ni les plumes si vari�es des oiseaux ne peuvent les �galer, tandis qu'il y aurait eu � peine une ombre de vertu. (1067e) A Sparte, ceux qui pr�sidaient aux repas communs des citoyens faisaient entrer dans la salle deux ou trois Ilotes ivres, afin que les jeunes gens, qui voyaient combien l'ivresse �tait un vice honteux, apprissent � l'�viter et � �tre sobres. Mais, dans la vie humaine, combien d'exemples d'ivresse? Personne n'y est sobre pour la vertu ; nous errons tous au hasard, et nous menons une vie aussi honteuse que mis�rable, tant la raison elle-m�me nous jette dans l'ivresse et nous remplit de folie ! Nous ressemblons � ces chiens d'�sope qui, voyant des peaux flotter sur les ondes, (1067f) entreprirent de boire la mer, et crev�rent avant que d'avoir pu approcher de ces peaux. Il en est de m�me de notre raison ; nous esp�rons, en la suivant, arriver � la vertu et au bonheur; mais, avant que nous ayons pu y parvenir, elle nous corrompt, elle nous perd, pleins que nous sommes d�j� d'une m�chancet� qu'aucun bien ne rach�te, s'il est vrai, comme les sto�ciens le disent, que ceux m�me qui ont fait les plus grands progr�s dans la vertu n'�prouvent aucune am�lioration, et ne sauraient respirer un seul instant sous le poids du vice et du malheur qui les accablent.

(1068a) Mais voulez-vous voir comment Chrysippe nous d�peint le vice, qu'il pr�tend n'�tre pas sans utilit�; et de quel usage il le suppose pour l'homme vicieux? �coutez ce qu'il dit dans son trait� des Devoirs. Il y �tablit que l'homme sujet au vice ne manque et n'a besoin de rien, que rien ne lui est utile ni convenable. Mais comment le vice peut-il �tre de quelque utilit�, puisque avec lui. ni la sant�, ni la richesse, ni le progr�s m�me dans la vertu, ne servent de rien? Il n'a besoin d'aucune de ces choses


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dont les unes sont des biens pr�alables qui m�ritent qu'on les recherche, et sont m�me tr�s utiles, et les autres, de leur aveu m�me, sont conformes � leur nature. Personne ne retirera aucun profit de tous ces biens s'il n'est sage. L'homme vicieux n'a donc pas besoin de devenir sage? (1068b) Et, avant de l'�tre devenu, les hommes n'ont ni faim ni soif; ou, lorsqu'ils �prouvent ces sensations, ils n'ont besoin ni d'eau ni de pain, semblables � ces h�tes commodes qui ne demandent que le couvert et le feu. De m�me, sans doute, celai qui disait :

A ce pauvre Hypponax donnez un v�tement,
Je suis transi de froid, tout mon corps est tremblant;

n'avait besoin ni de logement ni de manteau.

Mais voulez-vous avancer un paradoxe plus singulier et plus �tonnant? Dites que le sage ne manque de rien et n'a besoin de rien. Il est fortun�, il n'a point de d�sir, il se suffit � lui-m�me, il est heureux, il est parfait. (1068b) Mais quel est donc ce vertige, de vouloir que le sage, � qui rien ne manque, ait besoin des biens qu'il poss�de, et que le m�chant, � qui il manque tant de choses, n'ait besoin de rien? car voil� ce que dit Chrysippe. Selon lui, les gens vicieux manquent de beaucoup de choses, mais ils n'ont besoin de rien ; c'est ainsi qu'il se joue des notions communes, et qu'il les ballotte, pour ainsi dire, de c�t� et d'autre, comme des osselets. Car tous les hommes croient que la privation d'une chose en pr�c�de le besoin; ils estiment que celui-l� a des besoins, qui manque des choses qu'il n'a pas sous la main ou qui ne sont pas d'une acquisition facile. On ne peut pas dire qu'un homme manque d'ailes et de cornes, parce qu'elles ne lui sont pas n�cessaires; mais nous disons qu'il manque d'armes, d'argent et d'habits, lorsque, en ayant besoin, il n'en a pas et ne peut s'en procurer. (1068b) Mais tel est le go�t des sto�ciens pour heurter les id�es communes, que souvent


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cette manie de dire des choses nouvelles les fait, comme dans cette occasion, tomber en contradiction avec eux-m�mes.

Pour vous en convaincre, rappelez-vous ce que nous avons dit un peu plus haut. C'est une de leurs assertions contraires au sens commun que rien ne profite au m�chant. Cependant plusieurs re�oivent avec fruit les instructions qu'on leur donne; d'autres sont affranchis de l'esclavage ou d�livr�s d'un si�ge; ceux-ci, priv�s de la vue, trouvent des guides fid�les ; ceux-l� sont gu�ris de leurs maladies. N'importe, disent les sto�ciens, tous ces avantages ne leur servent de rien ; ils ne re�oivent pas de bienfaits, il n'est pas m�me pour eux de bienfaiteurs, et ils ne peuvent jamais �tre ingrats. (1068e) Mais les sages ne le sont pas non plus. Il n'existe donc point d'ingratitude, puisque les bons ne manquent pas � la reconnaissance qu'ils doivent, et que les m�chants ne sont pas susceptibles de bienfaits. �coutez-les maintenant. La bienfaisance, disent-ils, est au rang des choses indiff�rentes; il n'appartient qu'aux sages de donner et de recevoir des bienfaits ; les m�chants peuvent bien en recevoir aussi, mais tous ceux qui y ont part n'en partagent point pour cela l'usage. L'utilit� et l'agr�ment ne se trouvent pas partout o� s'�tend le bienfait. Mais qu'est-ce qui donne � un service le caract�re de bienfait, si ce n'est l'utilit� qu'envisag� la personne qui le rend en faveur de celui qui le re�oit?

LAMPRIAS.

Laissez, je vous prie, ce point-l�, mon cher Diadum�ne, (1068f) et dites-moi en quoi consiste celte utilit� dont ils font si grand cas, et qu'ils bornent aux sages seuls, comme le bien le plus d�sirable, sans vouloir m�me en laisser le nom aux m�chants.

DIADUM�NE.

Si un seul sage, disent-ils, en quelque lieu qu'il soit, ouvre seulement la main � propos, tous les sages qui sont sur la terre en retirent du profit. Tel est l'effet de l'utilit� sto�cienne : c'est � s'aider r�ciproque-


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ment que se bornent les vertus de leurs sages. (1069a) Aristote et X�nocrate ont radot� lorsqu'ils ont dit que les hommes retiraient de grands avantages des dieux, de leurs parents et de leurs ma�tres. Ils ignoraient cette utilit� si admirable que les sages se procurent mutuellement quand ils agissent d'apr�s leur vertu, quoiqu'ils ne soient pas ensemble et qu'ils ne se connaissent m�me pas. Tous les hommes regardent comme des soins utiles de recueillir les fruits de la terre, de les conserver, d'en faire une sage dispensation, parce que alors on en retire du profit et de l'avantage. (1069b) Un bon �conome ferme ses greniers, et, gardant avec soin ses richesses,

Il en ouvre � propos le d�p�t pr�cieux.

Mais de ramasser des choses qui ne sont bonnes � rien, de les conserver p�niblement, ce n'est pas l� un soin estimable et utile, c'est se donner une peine ridicule. Si Ulysse e�t employ� le n�ud dont Circ� lui avait enseign� la forme (43), � lier, non les tr�pieds, les vases, les habits, l'or et l�s autres pr�sents qu'il avait re�us d'Alcino�s, mais des pierres, des chiffons et d'autres effets d'aussi vil prix ; qu'il e�t fait son bonheur de les consid�rer, de les garder avec le plus grand soin, aurait-on pu lui envier une pr�voyance si folle et si inutile? (1069c) Telle est cependant la beaut�, la grandeur et la f�licit� de cette conformit� avec la nature que les sto�ciens vantent si fort. Elle n'est compos�e que d'un amas de choses inutiles et indiff�rentes, qu'ils conservent avec le plus grand soin. Les choses qu'ils regardent comme conformes � la nature nous sont purement ext�rieures ; et nos plus grands biens, ils les regardent comme des franges et des vases d'or destin�s aux plus vils usages, ou m�me comme de ch�tives buret-


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tes. Mais ensuite, semblables � ceux qui, apr�s avoir trait� avec le dernier m�pris le culte des dieux ou des g�nies, rentrent en eux-m�mes, s'humilient, se prosternent et rendent gloire � la Divinit�, les sto�ciens, comme ch�ti�s par N�m�sis de cette vaine et arrogante fiert�, (1069d) s'occupent laborieusement de ces choses indiff�rentes qui ne les int�ressent nullement; ils crient � pleine t�te qu'il est beau, qu'il est honorable de les amasser et de les conserver avec grand soin; ils veulent que ceux qui ne peuvent se les procurer cessent de vivre, se laissent mourir de faim ou se donnent eux-m�mes la mort, en disant un long adieu � la vertu. Aussi traitent-ils Th�ognis d'esprit faible et pusillanime, parcequ'il dit :

Pour fuir la pauvret� jetez-vous dans la mer,
Ou pr�cipitez-vous du sommet d'un rocher.

(1069e) Ils ne lui pardonnent point de s'�tre montr� si l�che dans ses vers. Mais eux-m�mes ils disent dans leur prose que pour fuir une grande maladie, une douleur violente, si on n'a pas sous la main une �p�e ou de la cigu�, il faut se jeter dans la mer ou se pr�cipiter du haut d'une roche, parce que ni l'un ni l'autre de ces partis n'est ni mauvais, ni nuisible, ni funeste, et qu'il ne rend pas malheureux ceux qui les prennent.

� Par o� donc commencerai-je ? demande Chrysippe, quel fondement donnerai-je aux devoirs, et quelle mati�re � la vertu? car je laisse et la nature et ce qui lui est conforme. �

Mais, mon ami, lui r�pondrai-je, par o� ont commenc� Aristote et Th�ophraste? Quels fondements ont �tabli X�nocrate et Pol�mon? Z�non lui-m�me n'a-t-il pas suivi les traces de ces philosophes, (1069f) en posant pour base du bonheur la nature et ce qui lui est conforme? Mais ces philosophes s'y sont arr�t�s comme � des choses d�sirables, bonnes et utiles; et, y ajoutant la vertu, qui seule fait de ces biens l'usage le plus convenable, ils ont


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cru par l� tracer le plan d'une vie parfaite en tout point, et donner une base solide et constante � cette conformit�, � cet accord v�ritable avec la nature que vous recommandez tant. Ils n'ont pas fait comme ceux qui s'�l�vent un moment de terre pour y retomber aussit�t ; (1070a) ils n'ont pas tout brouill�, tout confondu, en disant que les m�mes choses sont � fuir et � rechercher, qu'elles ont de la conformit� avec la nature et qu'elles ne sont pas bonnes, qu'elles donnent du profit et qu'elles sont inutiles, qu'elles ne nous int�ressent en rien et qu'elles sont les principes de nos devoirs. La vie de ces philosophes �tait conforme � leur langage, et ils avaient grand soin que leurs actions fussent d'accord avec leurs discours. Mais la secte du Portique, semblable � cette femme rus�e d'Archiloque, qui portait de l'eau dans une main et du feu dans l'autre, admet la nature dans quelques uns de ses dogmes, et la rejette dans d'autres. Ou plut�t, dans leurs actions, dans toute leur conduite, ils s'attachent aux choses qui sont conformes � la nature, parce qu'ils les croient bonnes et dignes d'�tre recherch�es ; (1070b) mais, dans leur discours, ils les m�prisent, ils les rejettent comme indiff�rentes, et comme inutiles � la vertu pour la conduire au bonheur. En g�n�ral, tous les hommes regardent le bien comme une source de plaisir; ils le croient digne de nos v�ux, capable de faire notre bonheur, plein de dignit�, tenant lieu de tout et remplissant tous nos besoins. Comparez avec ces qualit�s celles que les sto�ciens donnent � leur souverain bien. Croyez-vous que ce soit une source de plaisir, que d'�tendre le doigt avec prudence? Est-ce une chose d�sirable, qu'une torture appliqu�e avec pr�caution? Est-on heureux quand on se jette, par un motif raisonnable, dans un pr�cipice ? Quelle grande dignit�, dans un bien que la raison rejette souvent, pour lui pr�f�rer ce qui n'est pas au nombre des biens ? Est-ce l� un bien parfait, et qui se suffise � lui-m�me, quand, malgr�


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sa jouissance, ces philosophes croient devoir se condamner � mourir s'ils ne peuvent y joindre des choses indiff�rentes?

Il estime autre opinion des sto�ciens, (1070c) qui viole ouvertement les id�es re�ues, qui d�truit les notions naturelles et l�gitimes pour y en substituer d'�trang�res et d'absurdes, qu'elle veut nous forcer de recevoir � la place des premi�res (44). Cette opinion est celle qui traite des biens et des maux, des objets � fuir et � rechercher, des choses analogues ou contraires � la nature, dont cependant les notions doivent �tre plus claires et plus frappantes que celles du froid et du chaud, du noir et du blanc. Car ces derni�res perceptions sont introduites du dehors par les organes des sens, et les autres tirent naturellement leur origine des biens qui sont en nous. Mais les sto�ciens, arm�s de leur vaine dialectique, (1070d) ont fait irruption dans le s�jour du bonheur, comme dans le menteur et le dominant (45); et au lieu de r�soudre les difficult�s inh�rentes � cette question, ils en ont introduit de nouvelles. Personne n'ignore qu'entre les deux esp�ces de bien, dont l'une est la fin et l'autre le moyen, la premi�re est la plus grande et la plus parfaite. Chrysippe lui-m�me reconna�t cette diff�rence, comme on le voit clairement dans le troisi�me livre de son trait� sur les Biens. Il est de l'avis de ceux qui croient que la science est une fin pour l'homme, (1070e) et il le r�p�te dans son trait� de la Justice. Il dit que celui qui fait consister le souverain bien dans la volupt� d�truit la justice ; mais il est d'accord avec ceux qui donnent simplement � la volupt� la qualit� de bien, et non celle de fin.

Je crois inutile de rapporter ici ses propres expressions,


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parce que ce troisi�me livre de son trait� sur les Biens se trouve partout. Lors donc qu'ils disent, mon cher Lamprias, que nuls biens ne sont plus ou moins grands que d'autres, et que ceux qui sont la fin de l'homme �galent ceux qui ne sont que le moyen, ils contredisent non seulement les notions communes, mais leurs propres assertions. D'ailleurs de deux maux, dont l'un nous rend pires que nous n'�tions, et l'autre nous nuit, � la v�rit�, mais ne nous fait pas devenir plus m�chants, le premier est, ce me semble, le plus grand. Or, Chrysippe lui-m�me avoue qu'il y a des craintes, des douleurs, et des erreurs qui nous sont nuisibles, mais qui ne nous rendent pas pires que nous n'�tions.

(1070f) Lisez son premier livre sur la Justice, qu'il a compos� contre Platon; car il est utile, pour plusieurs raisons, de conna�tre les r�veries de cet homme qui parle sur toutes sortes de mati�res, qui traite toutes les questions, soit celles qui sont particuli�res � sa secte, soit celles qui lui sont �trang�res, et toujours en heurtant les id�es communes. Il dit, par exemple, qu'il y a deux objets et deux fins propos�s � notre vie, et que toutes nos actions ne se rapportent pas � une fin unique. (1071a) Mais n'est-il pas encore plus contraire au sens commun de soutenir qu'il y a une fin qui nous est propos�e pour agir; que cependant nos actions se rapportent � une autre, et qu'il faut n�cessairement agir pour l'une des deux? Car si les choses qui sont les premi�res selon la nature ne doivent pas �tre recherch�es pour elles-m�mes, et ne sont pas notre fin derni�re, mais que ce soit plut�t le choix raisonnable que nous en faisons pour nous y attacher; si chacun doit faire tout ce qui est en lui pour obtenir ces premiers biens conformes � la nature, et que toutes nos actions se rapportent � cette fin, je veux dire � acqu�rir ces premiers biens naturels; si, dis-je, ils sont dans cette opinion, il faut que sans d�sirer d'obtenir ces biens comme fin, ils


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en aient une autre � laquelle ils rapportent le choix qu'ils font de ces premi�res choses naturelles, et non ces choses elles-m�mes. (1071b) Or, cette fin sera de les choisir et de les recevoir avec prudence. Mais ces choses m�mes et leur possession auront peu de prix, et ne seront, pour ainsi dire, que la mati�re et le sujet d'un choix qui soit digne de nous. Il me semble que ce sont l� les expressions dont ils se servent pour faire conna�tre cette diff�rence.

LAMPRIAS.

Vous avez retenu � merveille leurs opinions et la mani�re dont ils les expriment.

DIADUM�NE.

Mais remarquez qu'ils font comme ceux qui veulent sauter par-dessus leur ombre. Ils ne laissent pas derri�re eux l'absurdit� de leurs discours, ils la transportent part ont, et font voir la r�pugnance manifeste qu'ils ont avec le sens commun. Si quelqu'un venait nous dire qu'un homme qui tire de l'arc (1071c) ne fait pas tout ce qui est en lui pour atteindre le but, mais qu'il veut seulement faire tout ce qui est en lui, un pareil discours serait pour nous une �nigme inexplicable. N'en est-il pas de m�me des assertions de ces triples radoteurs, lorsqu'ils veulent nous persuader que ce n'est pas l'acquisition des biens conformes � la nature, mais seulement leur choix qui est la fin que nous devons avoir en les recherchant ; que le d�sir et la poursuite de la sant� ne se terminent pas pour chacun de nous � la sant�, mais qu'au contraire c'est la sant� qui se rapporte a ce d�sir et � cette poursuite ; que les promenades, les lectures � voix haute, et qui, plus est, les amputations, les rem�des administr�s � propos, sont les fins de la sant� et non la sant�, la fin de tous ces moyens? N'est-ce pas l� r�ver aussi r�ellement que celui qui dirait : (1071d) Soupons, afin de sacrifier aux dieux, ou afin de nous baigner? Les assertions des sto�ciens sont encore plus contraires aux id�es re�ues, et renversent plus ouvertement l'ordre et les usages �tablis. Ce n'est donc cas pour faire la digestion que nous nous promenons dans un


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temps favorable, mais nous dig�rons afin de pouvoir nous promener � propos. Sans doute que la nature nous aura donn� aussi (1071e) la sant� � cause de l'ell�bore, et non l'ell�bore pour la sant�. Car que leur reste-t-il � dire, pour arriver au comble du. paradoxe, que d'avancer de pareilles sottises? Quelle diff�rence y a-t-il � soutenir que la sant� est faite pour les rem�des, et non les rem�des pour la sant�, ou � pr�tendre que le choix des rem�des, leur composition et leur usage sont pr�f�rables � la sant�? ou plut�t � vouloir que la sant� ne soit pas m�me au rang des choses d�sirables, et que le soin qu'exigent les rem�des en soit la fin? N'affirment-ils pas que la jouissance se rapporte au d�sir, et non le d�sir � la jouissance? Mais, disent-ils, au d�sir est joint naturellement le soin d'agir avec raison et avec prudence. Sans doute, leur r�pondrons nous, si le d�sir se rapporte � la jouissance et � la possession de ce qu'il poursuit. Autrement, c'est �ter � l'homme toute raison, que de supposer qu'il fait tout pour acqu�rir des choses qu'il n'est ni honorable ni heureux de poss�der.

(1071f) LAMPRIAS.

Puisque nous sommes tomb�s sur cette mati�re, il me semble que ce qu'il y a de moins conforme au sens commun, c'est de pr�tendre qu'on peut d�sirer et poursuivre un bien dont on n'a aucune id�e. Car vous voyez que Chrysippe lui-m�me presse vivement Ariston par l'objection qu'il lui fait d'avoir suppos� qu'avant que nous ayons l'id�e du bien et du mal, il existe des choses indiff�rentes qui ne sont ni bonnes ni mauvaises. Comment ces choses indiff�rentes peuvent-elles subsister? (1072a) Comment peut-on m�me en avoir l'id�e avant que le bien soit connu? Jusqu'alors il n'existe r�ellement que le bien seul.

DIADUM�NE.

Consid�rez maintenant ce qu'est cette indiff�rence que les sto�ciens n'admettent pas, et ce qu'ils appellent convenance, et voyez comment et par o� elle a


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fait conna�tre le bien. Si sans le bien il n'est pas possible de concevoir l'indiff�rence pour ce qui n'est pas un bien, � plus forte raison la prudence ne donnera pas l'intelligence du bien � ceux qui n'en ont pas eu d'avance l'id�e. Mais comme on ne peut avoir de notion de l'art qui traite des choses salubres et insalubres avant que ces choses elles-m�mes ne soient connues ; de m�me on ne saurait poss�der la science des biens et des maux (1072b) qu'auparavant on n'ait connu les biens et les maux. Qu'est-ce donc que le bien ? Rien autre chose que la prudence. Qu'est-ce que la prudence? Rien autre chose que la science du bien. On trouve partout dans leurs discours le Corinthus de Jupiter (46). Car je ne veux pas leur appliquer le proverbe du pilon qu'on agite sans cesse (47), pour ne pas trop me moquer d'eux, quoique apr�s tout leur enseignement ne soit gu�re que cela. Car, pour avoir l'intelligence du bien, l'id�e de la prudence est n�cessaire, et c'est dans la prudence qu'il faut puiser la connaissance du bien ; ainsi l'on a toujours � chercher l'un dans l'autre, sans pouvoir atteindre aucun des deux, puisque pour l'intelligence- de l'un on a toujours besoin d'une pr�notion que la connaissance de l'autre peut seule donner. On peut reconna�tre encore


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d'une autre mani�re, je ne dis pas la perversit�, mais la subversion, l'an�antissement total (1072c) que leur doctrine fait de la raison. Ils font consister la substance du bien dans le choix raisonnable des choses conformes � la nature. Or ce choix, comme on l'a dit plus haut d'apr�s eux-m�mes, n'est pas raisonnable lorsqu'il est dirig� vers une fin. Qu'est-ce donc qu'une fin? Rien autre chose, selon eux, que de proc�der raisonnablement dans le choix de ce qui est conforme � la nature. Premi�rement, c'est d�truire et faire dispara�tre toute notion du bien ; car proc�der raisonnablement est une qualit� accidentelle qui na�t de l'habitude de bien raisonner. Si donc on veut faire d�pendre l'intelligence de cette habitude de la fin, et non celle de la fin de cette habitude, c'est nous faire manquer la connaissance de l'une et de l'autre. Et ce qui est plus encore, (1072b) il faut, d'apr�s la plus exacte raison, que ce choix raisonnable porte sur des choses bonnes et utiles, et qui coop�rent � la fin qu'on se propose. Car peut-il jamais �tre conforme � la raison de choisir des choses qui ne sont ni utiles, ni honorables, ni dignes d'�tre recherch�es? Supposons, comme ils le disent, qu'il y ait un choix raisonnable de choses propres � nous rendre heureux, et voyons � quelle conclusion admirable les m�ne cette assertion. La fin, selon eux, est ce choix que la raison nous fait faire des choses qui peuvent nous conduire au bonheur. (1072e) N'�tes-vous pas �tonn�, mon cher Lamprias, d'entendre des discours si extraordinaires?

LAMPRIAS.

Assur�ment; mais je voudrais comprendre ce qu'ils disent.

DIADUM�NE.

Cela demande une attention particuli�re, car c'est une �nigme qui n'est pas facile � deviner. Ainsi, �coutez bien et r�pondez-moi. Latin n'est-elle pas, suivant eux, la rectitude de la raison dans le choix des choses qui sont conformes � la nature?

LAMPRIAS.

Oui, c'est ce qu'ils disent.


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DIADUM�NE.

Mais ces choses qui sont conformes � la nature, les choisissent-ils comme des biens qui aient del� dignit�, et qui conduisent au bonheur?

LAMPRIAS.

C'est par ce dernier motif.

DIADUM�NE.

Est-ce pour parvenir � une fin, ou par quoique autre vue ?

LAMPRIAS.

Je crois qu'ils n'en ont pas d'autre que de parvenir � une fin.

DIADUM�NE.

Maintenant que vous avez d�couvert le secret de leur doctrine, (1072f) voici ce qui en est. Ils disent que la fin est ce raisonnement juste qui guide dans le choix qu'on fait ; qu'ils ne peuvent poss�der ni conna�tre d'autre f�licit� que cette rectitude si pr�cieuse de la raison dans le choix de choses estimables. Au reste, il y a des gens qui croient que ces r�flexions ne tombent que sur Antipater, et non sur toute la secte du Portique; que ce fut lui qui, se sentant press� par Carn�ade, imagina ces solutions ridicules.  Mais les opinions du Portique sur l'amour ne r�pugnent pas moins au bon sens, et l'absurdit� en est commune � toute la secte. (1073a) Ils disent que les jeunes gens vicieux et insens�s sont laids et difformes, qu'il n'y a de beaux que ceux qui sont sages, et qu'entre ces derniers aucun n'est ni aim� ni digne de l'�tre. Ce n'est pas l� le plus fort ; ils pr�tendent qu'on cesse d'aimer des jeunes gens laids d�s qu'ils sont devenus beaux. Qui jamais a connu cette esp�ce d'amour qui, form� et entretenu par la laideur du corps et la m�chancet� de l'�me, se fl�trit et s'�teint �  l'aspect de la beaut� accompagn�e de la prudence, de la justice et de la temp�rance ? N'est-ce pas ressembler aux moucherons qui fuient le bon vin et ne s'arr�tent qu'� son �cume et au vinaigre? (1073b) Quant � ce qu'ils disent qu'il y a toujours une apparence de beaut� qui, selon eux, est l'attrait de l'amour, cela n'a pas m�me de vraisemblance. Cette apparence de beaut� ne peut se trouver dans des


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jeunes gens tr�s m�chants et tr�s laids, s'il est vrai, comme ils le disent, que la d�pravation de leurs m�urs soit empreinte sur leur visage. Que signifie encore ce que pr�tendent plusieurs d'entre eux qu'un jeune homme laid est digne d'�tre aim�, parce qu'il doit un jour devenir beau, puisque, selon eux, quand il a acquis la beaut� et la vertu, il n'est plus aim� de personne? Car l'amour, disent-ils, est la poursuite d'un jeune homme qui n'est pas encore arriv� � la perfection, mais qu'un heureux naturel a fait pour la vertu (48).

LAMPRIAS.

Que faisons-nous maintenant, (1073c) mon cher Diadum�ne, que de convaincre cette secte de renverser les notions communes par des opinions invraisemblables et par des expressions hors de tout usage? Car personne ne s'oppose � l'empressement de ces philosophes pour des jeunes gens vertueux, puisqu'il est exempt de ce sentiment passionn� que tout le monde appelle amour, tel que dans les poursuivants de P�n�lope, qui tous

Br�laient d'un vif d�sir de s'unir � la reine :

el comme Jupiter disait � Junon :

Jamais aucune femme, ou mortelle ou d�esse,
Ne me fit �prouver une plus douce ivresse.

DIADUM�NE.

Voil� comment les sto�ciens jetant, pour ainsi dire, la morale dans un labyrinthe d'opinions obscures, d�prav�es et h�riss�es de difficult�s, l'avilissent et la rendent m�prisable. Cependant ils se moquent des autres philosophes, comme s'ils �taient les seuls qui eussent �tabli sur des bases convenables la nature et la coutume, et qui eussent r�gl� leurs discours (1073b) d'apr�s l'une


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et l'autre. Elles attirent et dirigent chaque �tre vers�e qui lui est propre, par des d�sirs, des impulsions et des attraits; au lieu que l'habitude del� dialectique, quand elle d�g�n�re en pures subtilit�s, ne produit rien de bon et de salutaire ; elle est comme une oreille malade qui croit toujours entendre des sons obscurs et confus. Nous en parlerons, si vous voulez, dans la suite, en partant d'un autre principe.

Passons maintenant � la philosophie naturelle des sto�ciens, et parcourons-en les principaux objets; nous verrons qu'ils n'y renversent pas moins les notions communes que lorsqu'ils traitent des fins de l'homme. En g�n�ral, il est absurde et contraire au bon sens de dire que ce qui n'est pas existe, (1073e) et que ce qui existe n'est pas. Mais ce qu'ils disent de l'univers est bien d'une autre absurdit� : ils supposent un vide infini hors du monde, et ils pr�tendent que l'univers n'est ni corporel ni incorporel. Il s'ensuit que l'univers n'est pas un �tre, puisque, suivant eux, il n'y a d'�tres que les corps. Et comme le propre d'un �tre quelconque est d'agir et de recevoir l'action, et que l'univers n'est pas un �tre, il n'agira point, il ne recevra point d'action, il ne sera pas m�me dans un lieu; car tout corps occupe une place, et l'univers n'est pas un corps. La propri�t� de ce qui occupe un espace est de subsister; l'univers [donc ne subsistera pas, puisqu'il n'occupe point de place. Il n'aura m�me jamais un premier mouvement, parce que, pour se mouvoir, il faut un lieu et un espace. (1073f) D'ailleurs, ce qui est mu l'est ou par lui-m�me ou par autrui. Ce qui se meut de soi-m�me a des inclinations relatives � sa pesanteur ou � sa l�g�ret� ; la l�g�ret� et la pesanteur sont des habitudes, des facult�s et des diff�rences des corps. Or, l'univers n'est pas un corps ; (1074a)  il n'est donc n�cessairement ni pesant ni l�ger, et il n'a pas en soi le principe du mouvement. Il ne l'aura pas non plus d'ailleurs, puisqu'il n'y a rien outre l'uni-


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vers. Ils sont donc forc�s de dire, comme ils le disent en effet, que l'univers n'est ni stable ni en mouvement. En un mot, puisque dans leur syst�me il ne faut pas dire que l'univers soit un corps, et que cependant le ciel, la terre, les animaux, les plantes, les hommes et les pierres sont des corps, il s'ensuivra que ce qui n'est point corps aura pour ses parties des corps, que ce qui n'a point d'�tre sera compos� d'�tres, que ce qui n'est point pesant aura des parties pesantes, et ce qui n'est pas l�ger aura des parties l�g�res (49).

Peut-on imaginer des r�ves plus contraires aux notions communes? (1074b) D'ailleurs, quoi de plus �vident et de plus conforme au sens commun que ce raisonnement : ce qui n'est point anim� est inanim�, et au contraire, ce qui n'est point inanim� a une �me ? Cependant ils d�truisent autant qu'il est en eux cette �vidence, en soutenant que l'univers n'est ni anim� ni inanim�. De plus, personne ne se repr�sente l'univers comme imparfait, puisqu'il ne lui manque aucune partie. Mais les sto�ciens pr�tendent que l'univers n'est point parfait, parce que, disent-ils, (1074c) ce qui est parfait est termin�, et l'univers, qui est infini, ne peut pas �tre termin�. Il existe donc, selon eux, quelque chose qui n'est ni parfait ni imparfait. L'univers n'est pas non plus la partie d'un tout, puisqu'il n'y a rien de plus grand que lui ; il n'est pas un tout, parce qu tout est ordonn� et que l'univers, �tant infini, n'a ni terme ni ordre. Il n'y a donc pas de cause


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�trang�re qui ait produit l'univers, puisqu'il n'y a rien au del� (50); il n'est pas la cause d'autres �tres ni de lui-m�me, parce que naturellement il ne peut pas agir, et qu'on ne saurait concevoir d'effet sans cause. Supposons maintenant qu'on demande � tous les hommes ce que c'est que le n�ant et quelle id�e ils s'en forment, ne r�pondront-ils pas que c'est ce qui n'est point cause et qui n'a point de cause; qui n'est ni tout ni partie d'un tout; qui n'est ni parfait, ni imparfait, ni anim�, ni inanim�, ni stable, ni en mouvement, ni corporel, ni incorporel ? (1074d) Ils ne le d�finiront jamais autrement. Puis donc qu'ils attribuent seuls � l'univers ce que tous les hommes affirment du n�ant, il semble que, dans leurs principes, l'univers et le n�ant sont une m�me chose. Il faut par cons�quent comprendre sous le nom de n�ant le temps, le sujet, la proposition, la conjonction et la complexion, termes qu'ils emploient plus qu'aucune autre secte de philosophes, et qui, selon eux, ne sont pas des �tres. Ils disent encore que ce qui est vrai n'existe pas, qu'il est seulement l'objet de l'intelligence, le motif de notre cr�dibilit�, quoiqu'il n'ait aucune substance ni aucun
�tre. N'est-ce pas le comble de l'absurdit�?

Mais comme ces objets semblent plut�t tenir aux �pines de la dialectique,  (1074e) passons � des points de philosophie naturelle. Puisque, d'apr�s eux-m�mes,

Jupiter est d� tout le principe et la fin,

Ils devaient donc corriger, redresser et tourner � un meilleur sens ce qu'il y avait d'erron� dans les notions que les hommes avaient de la Divinit�, ou du moins laisser � chaque peuple les opinions que les lois de leur pays ou un usage g�n�ral leur avait transmises :

Non, ce ne sont point l� des v�rit�s nouvelles.


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Elles sont de tout temps ; on voudrait vainement,
De leur naissance antique assigner le moment.

Mais les sto�ciens ayant en quelque sorte commenc� par Vesta (51) � attaquer ce qui �tait universellement �tabli, (1074f) � �branler les opinions que chaque peuple avait re�ues de ses anc�tres sur la nature des dieux, n'ont laiss� aucune de ces notions sans l'alt�rer et la corrompre. Quels hommes, si on en. excepte ces philosophes, n'ont pas toujours cru que Dieu est incorruptible et �ternel ? Et dans les id�es qu'on a commun�ment des dieux, en est-il de plus g�n�ralement avou�es que celles-ci :

Les dieux y sont toujours parfaitement heureux.
Les dieux sont immortels, et l'homme doit mourir.
Les dieux ne craignent point la vieillesse et les maux;
(1075a) Ils ne passeront pas ces redoutables eaux,
Dont le br�lant Cocyte enceint les tristes ombres.

Peut-�tre serait-il possible de trouver des peuples assez barbares pour ne point conna�tre de dieu; mais il n'est pas un seul homme qui, ayant l'id�e de Dieu, ne le croie incorruptible et �ternel. Les philosophes m�me qui ont eu le surnom d'ath�es, tels que les Th�odore, les Diagoras, les Hippon, n'ont pas os� dire que Dieu f�t corruptible ; ils ont seulement dit qu'il n'existait pas un �tre incorruptible ; et s'ils niaient l'incorruptibilit�, du moins ils laissaient subsister l'id�e qu'on avait de la Divinit�. Mais Chrysippe et Cl�anthe, qui, dans leurs ouvrages, ont (1075b) pour ainsi dire rempli de dieux le ciel, la terre, les airs et la mer, dans cette multitude de divinit�s, ne supposent incorruptible et �ternel que Jupiter seul, en qui tous les autres doivent �tre consum�s ; en sorte que son action consiste � tout d�truire, ce qui ne vaut gu�re mieux que d'�tre soi-m�me d�truit ; car c'est toujours


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par faiblesse qu'on p�rit en se changeant en la substance d'un autre, ou qu'on se nourrit et se conserve par la r�solution des autres en soi. Il n'en est pas de cette absurdit� comme de tant d'autres qui sont des cons�quences et des inductions qu'on tire naturellement de leurs principes et de leur doctrine. Ici ce sont eux-m�mes qui, dans leurs �crits sur les dieux, sur la Providence, le Destin et la nature, nous crient ouvertement (1075c) que tous les dieux ont �t� engendr�s et qu'ils p�riront par le feu, qui les fondra comme s'ils �taient de cire ou d'�tain.

Est-il moins contre le sens commun de supposer Dieu mortel, que de faire l'homme immortel? Ou plut�t, je ne vois pas quelle diff�rence il y aura entre Dieu et l'homme, si Dieu n'est qu'un �tre raisonnable et corruptible. Que s'ils r�pondent par cette belle et subtile distinction que l'homme est mortel, mais que Dieu ne l'est pas, et qu'il est seulement corruptible, voyez ce qui en r�sulte : ils diront ou que Dieu est � la fois immortel et corruptible, ou qu'il n'est ni mortel ni immortel ; et quand on s'�tudierait � forger � plaisir des absurdit�s en ce genre, serait-il possible d'aller plus loin ? (1075d) Je suppose d'autres philosophes que les sto�ciens ; car, pour eux, il n'est point de si grande extravagance qu'ils n'aient avanc�e. Cl�anthe surtout, lorsqu'il se bat les flancs pour �tablir que l'embrasement g�n�ral de l'univers aura lieu, dit que le soleil rendra semblables � soi la lune et les autres astres, et qu'il les changera en sa substance. Mais si les astres, qui sont des dieux, doivent concourir avec le soleil pour leur propre destruction et faciliter leur embrasement, n'est-il pas ridicule de leur adresser des pri�res pour notre conservation, et de les invoquer comme les sauveurs des hommes ; tandis que, par leur nature m�me, ils h�tent (1075e) leur propre destruction ?

Cependant il n'est rien que les sto�ciens ne disent et ne fassent contre �picure ; ils crient contre lui oh ! oh ! ils


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l'accusent de confondre toutes les id�es de la Divinit� en niant sa Providence, parce que nous concevons les dieux comme des �tres non seulement immortels et heureux, mais bons, humains et bienfaisants, et ils le sont en effet. Si donc ceux qui d�truisent la Providence an�antissent aussi la notion de la Divinit�, que faudra-t-il dire de ceux qui, en admettant cette Providence, soutiennent que les dieux ne nous sont d'aucun secours, qu'ils ne nous donnent pas de vrais biens, mais des choses indiff�rentes, puisque nous ne recevons pas d'eux la vertu, mais la richesse, (1075f) la sant�, les enfants et les autres choses semblables, dont aucune n'est ni utile, ni commode, ni digne de nos recherches? N'est-ce pas l� d�truire l'id�e de la Divinit� ? Les sto�ciens n'insultent-ils pas et n'outragent-ils pas les dieux, lorsqu'ils en reconnaissent qui pr�sident aux fruits, au mariage, � la m�decine, (1076a) � la divination, tandis que la sant�, la naissance des enfants et l'abondance des fruits ne sont pas des biens r�els, mais des choses indiff�rentes et inutiles � ceux qui les poss�dent ?

Une troisi�me notion qui entre commun�ment dans l'id�e que nous avons des dieux, c'est que rien ne met entre les hommes et eux une plus grande diff�rence que la f�licit� et la vertu. Mais si nous en croyons Chrysippe, ils n'ont pas m�me cet avantage sur les mortels. Il pr�tend que Jupiter n'a pas plus de vertu que Dion; que Jupiter et Dion �tant tous les deux sages, s'entraident �galement quand l'un participe au mouvement de l'autre ; que c'est l� l'unique bien que les hommes re�oivent des dieux, et les dieux des hommes qui sont parvenus (1076b) � la sagesse ; que l'homme qui n'est pas inf�rieur aux dieux en vertu, ne l'est pas non plus en f�licit� ; qu'il est aussi heureux que Jupiter d�s l� qu'il est sage, f�t-il d'ailleurs assez accabl� de maladies, assez tourment� par la douleur pour se donner lui-m�me la mort. Mais un tel homme


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n'existe point et n'a jamais exist� sur la terre, tandis qu'il est un nombre infini d'hommes qui vivent souverainement malheureux sous les lois de Jupiter et sous sa providence, qui, selon les sto�ciens, est toujours pleine de sagesse. Mais quoi de plus contraire au sens commun que de dire que, sous le gouvernement le plus sage, les hommes sont souverainement malheureux ? Si donc, ce qu'� Dieu ne plaise, Jupiter ne voulait plus �tre appel� le sauveur, le lib�rateur et le protecteur des hommes, (1076c) ni leur faire �prouver les effets de ces appellations honorables, il serait impossible de rien ajouter � la grandeur et � la multitude de nos maux, puisque, suivant eux, tous les hommes seraient parvenus � l'exc�s de la mis�re, et que ni le vice ni le malheur ne seraient plus susceptibles d'accroissement.

Mais ce n'est pas l� ce qu'il y a de plus fort : ils s'indignent contre M�nandre, pour avoir dit po�tiquement :

L'exc�s des biens pour l'homme est la source des maux.

Ils pr�tendent que cette maxime est contraire au sens commun. Eux cependant, ils veulent que Dieu, qui est essentiellement bon, soit la cause de nos maux; car, selon eux, la mati�re n'a pas produit le mal par elle-m�me, puisqu'elle est sans qualit� (1076d) et que toutes les diff�rences dont elle est susceptible lui viennent de la facult� qui lui donne le mouvement et la forme. Si donc c'est de la raison qu'elle les re�oit parce qu'elle ne peut se les donner elle-m�me, il faut n�cessairement que le mal, s'il n'a aucune cause, soit produit par le n�ant, ou, si c'est par le principe de son mouvement, qu'il ait Dieu m�me pour cause. S'ils croient que Jupiter ne domine point sur les parties de sa substance (52) et qu'il n'use pas de chacune d'elles conform�ment � sa raison, ils renver-


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sent les notions du bon sens en se forgeant un �tre anim� en qui la plupart de ses parties n'ob�issent pas � sa volont�, et ont leurs actions et leurs op�rations particuli�res, auxquelles le tout ne donne pas l'impulsion et le principe du mouvement. (1076e) En effet, est-il un �tre tellement d�sordonn� que, contre sa volont�, les pieds marchent, la langue parle, les cornes frappent et les dents mordent? Or, Dieu lui-m�me �prouvera la plupart de ces contrari�t�s, si les m�chants, qui sont des parties de lui-m�me, mentent contre son gr�, commettent des injustices, se pillent et se tuent les uns les autres; si, comme le veut Chrysippe, la plus petite partie de Jupiter n'agit jamais autrement qu'il ne l'ordonne, mais que tout �tre anim� soit constitu� de mani�re qu'il s'arr�te ou se mette en mouvement, selon que Jupiter le tourne, le retient ou le dispose.

Ce discours est encore bien plus pernicieux,

car il �tait moins d�raisonnable de supposer qu'un grand nombre des parties (1076f) de Jupiter, faisant violence � sa faiblesse, agissent en bien des choses contre la nature et la volont� de ce dieu, que de pr�tendre qu'il n'est point d'intemp�rance et de crime dont Jupiter ne soit la cause. Quant �-ce qu'ils disent que le monde est une ville dont les astres sont les citoyens, si cela est, il faut donc qu'il y ait aussi des tribus et des magistrats, que le soleil soit le consul, et l'�toile du soir le pr�teur ou l'�dile. (1077a) Je ne sais, en v�rit�, si, en voulant r�futer leurs absurdit�s en ce genre, on ne finirait pas par en dire de plus choquantes que celles qu'ils avancent eux-m�mes.

N'est-ce pas encore renverser les id�es communes, que de dire que la semence est plus grande que ce qu'elle produit? Ne voyons-nous pas, au contraire, que la nature, dans la production de tous les animaux, de toutes les plantes, m�me des arbrisseaux sauvages, fait sortir les


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plus grands de ces individus de graines minces, petites et souvent imperceptibles ? Non seulement elle tire d'un grain un �pi de bl� et d'un p�pin un cep de vigne, mais d'un noyau d'olive ou d'un gland qui aura �chapp� � un oiseau, elle d�veloppe les germes d'une g�n�ration f�conde, comme une faible �tincelle produit un vaste embrasement; elle en fait na�tre le tronc d'un buisson, d'un ch�ne, d'un palmier, (1077b) d'un pin, et des arbres les plus �lev�s. Aussi le mot qui signifie semence exprime-t-il une grande masse envelopp�e dans une petite, et celui de nature marque une esp�ce de gonflement et de diffusion faite d'apr�s les nombres et les proportions dont elle cause le d�veloppement. Le feu, suivant les sto�ciens eux-m�mes, n'est-il pas la semence du monde, et apr�s l'embrasement g�n�ral, l'univers ne sera-t-il pas chang� en cette semence qui, d'un corps et d'une masse peu consid�rables, deviendra une substance tr�s abondante et s'emparera, par des accroissements immenses, de tout le vide? Et quand le monde aura re�u de nouveau toute sa forme, (1077c) cette grandeur immense se r�tr�cira et diminuera peu � peu, parce que la mati�re, apr�s le travail de sa g�n�ration, se resserrera en elle-m�me.

Il est bon de les entendre eux-m�mes et de lire ces nombreux ouvrages dans lesquels ils d�clament contre les acad�miciens, qu'ils accusent de tout confondre par leurs identit�s, en voulant que deux substances n'aient qu'une qualit�. Cependant il n'est personne qui ne comprenne cette doctrine et qui ne regarde l'opinion contraire comme un paradoxe singulier. Ainsi un pigeon ramier est en tout temps semblable � un pigeon ramier, une abeille � une abeille, un grain de froment � un grain de froment, une figue � une figue.  (1077d) Mais ce qui est v�ritablement contraire au sens commun, c'est ce qu'ils imaginent eux-m�mes, que dans une seule substance il existe s�par�ment deux qualit�s, et qu'une substance qui,


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ayant d�j� une qualit� particuli�re, en re�oit une seconde, les conserve toutes les deux. Car si deux, si trois et quatre qualit�s, ou m�me cinq et tant qu'on voudra, peuvent se trouver dans une seule substance, je ne dis pas dans ses diff�rentes parties, mais qu'elles soient toutes �galement dans toute la substance, qui emp�che qu'il n'y en ait une infinit� ? Chrysippe dit que Jupiter et le monde sont semblables � l'homme, et que la Providence ressemble � l'�me ; et lorsque l'embrasement universel aura eu lieu, Jupiter, le seul des dieux qui soit incorruptible, (1077e) se retirera dans la Providence ; et l�, l'un et l'autre, r�unis dans la substance seule de l'�ther, y subsisteront ensemble �ternellement.

Mais laissons l� les dieux, et apr�s les avoir pri�s de donner � ces philosophes le sens commun et des id�es qui s'accordent avec celles de tout le monde, voyons ce qu'ils pensent des �l�ments. Il est contraire aux id�es re�ues qu'un corps soit le lien d'un autre et qu'il le p�n�tre, tandis qu'aucun des deux n'a de vide ; en sorte que ce soit le plein qui entre dans le plein, et qu'une substance qui, �tant une et continue, ne laisse aucun intervalle, re�oive un corps qui se m�le intimement avec elle. Ils ne se contentent pas de mettre ainsi un, deux, trois corps ou m�me dix dans un autre; mais morcelant, pour ainsi dire, (1077f) l'univers en plusieurs parties, ils les jettent dans le premier corps venu ; ils pr�tendent que le plus petit objet sensible est capable de contenir le plus grand, et, comme en beaucoup d'autres points, ils font avec t�m�rit� un nouveau dogme de ce qui sert de conviction contre eux, et raisonnent d'apr�s des suppositions absurdes. Il suit de ce principe qui fait entrer ainsi les corps tout entiers les uns dans les autres, que les sto�ciens admettent les assertions les plus �tranges et les plus monstrueuses, (1078a) par exemple, que trois font quatre ; ce


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trer dans la pens�e. Ils disent qu'un verre de vin m�l� avec deux verres d'eau leur devient �gal en se confondant dans leur totalit�, et qu'il s'�tend de mani�re, par l'�galit� du m�lange, que d'un seul verre il en fait r�ellement deux. Ainsi il est toujours un, mais il s'�tend autant que deux et est �gal � son double. Et comme par son m�lange il s'�tend assez pour �galer seul la mesure des deux verres d'eau, cette mesure est � la fois celle de trois et de quatre; de trois, parce qu'on n'a m�l� qu'un verre de vin avec deux verres d'eau ; et de quatre, (1078b) parce que ce verre seul, m�l� � deux autres, les �gale en quantit�. Voil� les beaux r�sultats qu'ils obtiennent quand ils veulent soutenir que les corps sont p�n�trables et qu'ils leur supposent une mani�re de se contenir r�ciproquement qui ne saurait entrer dans l'imagination. Car de toute n�cessit�, quand des corps se p�n�trent et se confondent ainsi mutuellement, l'un ne contient et ne re�oit pas l'autre, qui n'est pas non plus contenu et re�u par celui-ci ; car alors ce ne serait pas une p�n�tration, mais un contact, une application des surfaces, dont l'une entrerait dans l'autre, qui l'environnerait par dehors, et toutes les autres parties resteraient exemptes de tout m�lange. Ainsi un corps sera compos� de plusieurs corps diff�rents ; car n�cessairement, si le m�lange se fait comme ils le disent, les corps se p�n�trent de mani�re qu'un m�me corps est � la fois contenant et contenu, (1078c) re�u et r�cipient, et qu'aucun des deux ne peut plus se s�parer de l'autre, parce que le m�lange a fait passer l'un dans l'autre ; ainsi il ne reste plus une seule partie des deux, elles sont toutes remplies les unes des autres.

Venons maintenant � cette comparaison d'une cuisse, si rebattue dans les �coles, et dont Arc�silas se servait pour tourner en ridicule les absurdit�s du Portique. Si les m�langes des corps se font du tout au tout, qui emp�che qu'une cuisse coup�e et jet�e dans la mer, o� elle pourrira,


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s'y �tende tellement, que non seulement la flotte d'Antigonus, comme le disait Arc�silas, (1078b) fasse voile � travers cette cuisse, mais que les douze cents vaisseaux de Xerx�s et les trois cents gal�res des Grecs s'y livrent bataille? Car la cuisse ne cessera point de s'�tendre, ni le corps le plus petit de p�n�trer le plus grand; ou autrement le m�lange aura un terme, et son extr�mit� venant enfin � s'arr�ter, elle ne p�n�trera pas toute la substance de l'autre corps, et la mixtion ne sera jamais parfaite. Mais si la cuisse se m�le en entier avec toute la mer, alors elle fournira sans peine � l'arm�e des Grecs un vaste champ de bataille. Il est vrai qu'il faut pour cela qu'elle pourrisse et qu'elle subisse un changement total. Mais si un verre ou m�me une seule goutte de vin venait � tomber dans la mer �g�e ou dans celle de Cr�te, elle se m�lerait avec tout l'Oc�an et toute la mer Atlantique, et non seulement elle en colorerait la surface, (1078e) mais elle les p�n�trerait dans leur longueur, largeur et profondeur. C'est ce que Chrysippe admet lui-m�me au commencement du premier livre de ses Questions naturelles, o� il dit que rien n'emp�che qu'une goutte de vin ne s'infuse dans toute la mer; et pour faire cesser notre �tonnement de cette assertion, il va jusqu'� soutenir qu'elle pourrait s'�tendre dans tout l'univers. Se peut-il rien de plus absurde? Mais est-il moins contraire au bon sens de pr�tendre qu'il n'est point dans la nature de corps extr�me, soit premier, soit dernier, auquel se termine la grandeur des corps, et que quelque corps qu'on suppose, il y en a toujours un au del� jusqu'� l'infini. (1078f) Car on ne pourra concevoir une grandeur qui en surpasse une autre ou qui soit moindre, si on peut des deux c�t�s �tablir une progression � l'infini, et qu'on �te ainsi de la nature toute in�galit�. En admettant des corps in�gaux, l'un arrive enfin aux derni�res parties de sa division, et un autre les exc�de. Si cette in�galit� n'existe pas, il n'y aura pas non plus d'asp�rit� ni


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de rudesse sur la surface des corps ; car l'asp�rit� est proprement l'in�galit� d'une surface en elle-m�me, (1079a) et la rudesse est l'asp�rit� jointe � la duret�. Or, c'est �ter l'un et l'autre � tous les corps que de ne pas y admettre de derni�res parties et d'en multiplier le nombre � l'infini. Mais pour qui n'est-il pas �vident que l'homme est compos� de plus de parties que son doigt, et que le monde en a beaucoup plus que l'homme ? C'est ce que savent et soutiennent tous les hommes, � moins qu'ils ne deviennent sto�ciens; car alors ils pensent tout le contraire; ils disent que l'homme n'est pas compos� de plus de parties que le doigt, ni le monde que l'homme; que la division des corps va jusqu'� l'infini ; (1079b) que dans l'infini, il n'y a ni plus ni moins, ni de nombre qui en exc�de un autre, et que les parties de ce qui reste peuvent toujours subir de nouvelles divisions et fournir encore une multitude d'autres parties.

Comment donc se tirent-ils de ces embarras ? Avec autant de subtilit�s que de courage. Vous demande-t-on, dit Chrysippe, si vous �tes compos� de parties, et de combien, si ces parties en ont elles-m�mes d'autres et quel en est le nombre, il faut user de distinction et dire que le corps est compos� de la t�te, de la poitrine et des cuisses ; car c'est sur cela que portent le doute et la question. Mais si l'on pousse l'interrogation jusqu'aux derni�res parties, on r�pondra qu'il ne faut rien d�terminer � cet �gard, et dire qu'elles ne sont point compos�es (1079c) d'autres parties, ni d'un certain nombre, ni de finies ou d'infinies. J'ai rapport� � peu pr�s ses propres expressions, pour vous faire juger comment il se conforme aux id�es communes, en voulant nous persuader que chaque corps n'est point compos� de parties, ni d'un certain nombre, ni de parties finies ni d'infinies. Si, comme ce qui est indiff�rent tient le milieu entre le bien et le mal, il y a aussi un milieu entre le fini et l'infini, il fallait le d�finir et r�- 


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soudre ainsi la difficult�. Si, au contraire, comme deux corps qui ne sont pas �gaux et incorruptibles sont par cela seul in�gaux et corruptibles, de m�me ce qui n'est pas fini est aussit�t con�u comme infini, dire qu'un corps n'est compos� (1079d) ni de parties finies ni de parties infinies, c'est la m�me chose que s'il soutenait qu'un raisonnement n'est compos� ni de propositions vraies ni de propositions fausses, ni une somme quelconque de nombres pairs et impairs. Ensuite, avec une pr�somption de jeune homme, il ajoute qu'une pyramide �tant compos�e de triangles, les c�t�s inclin�s vers l'endroit o� ils se joignent sont in�gaux, et que toutefois l'un n'exc�de pas l'autre et n'est pas plus grand. Voil� comment il conserve les notions communes; car si une chose est plus grande qu'une autre, et que cependant elle ne l'exc�de pas, il arrivera donc qu'une chose sera plus petite qu'une autre sans �tre moindre, (1079e) et que, quoique in�gale, elle n'aura ni plus ni moins de grandeur, c'est-�-dire qu'une m�me chose sera �gale et in�gale, plus grande et moindre, plus petite et moins petite.

Voyez maintenant comment il r�pond � D�mocrite, qui, par un doute tr�s philosophique, demandait si dans un c�ne coup� horizontalement � sa base, les surfaces des sections �taient �gales ou in�gales. Si elles sont in�gales, le c�ne aura donc aussi plusieurs asp�rit�s sensibles, et sera lui-m�me tr�s in�gal ; si elles sont �gales, les sections le seront aussi, et alors le c�ne sera comme le cylindre compos� de cercles �gaux et non pas in�gaux, ce qui est tr�s absurde. (1079f) Ici Chrysippe, taxant D�mocrite d'ignorance, pr�tend que les surfaces ne sont ni �gales ni in�gales, mais que les corps sont in�gaux parce que leurs surfaces ne sont ni �gales ni in�gales. Donner comme une loi de physique que des corps sont in�gaux quoique leurs surfaces ne soient pas in�gales, c'est bien d'un homme qui s'arroge une �tonnante licence de dire tout ce qui lui


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vient en pens�e. La raison, au contraire, ne nous montre-t-elle pas avec �vidence que les surfaces des corps in�gaux sont in�gales, que celle du corps le plus grand est plus grande, (1080a) � moins qu'on ne veuille que l'exc�s du plus grand sur le plus petit ne soit priv� de surface ; car si les surfaces des corps plus grands ne surpassent point celles des corps moindres et qu'elles finissent plus t�t, il s'ensuivra qu'un corps qui est termin� aura une de ses parties qui sera sans terme et sans fin. Dire qu'il est oblig� de le croire ainsi parce que l'in�galit� des surfaces peut occasionner des asp�rit�s in�gales, ce n'est point l� donner une raison; car ces asp�rit�s qu'il imagine dans le c�ne sont produites par l'in�galit� des corps et non par celle des surfaces. Il est donc ridicule d'�ter l'in�galit� des surfaces et de la laisser dans les corps.

(1080b) Si l'on s'en tient � sa supposition, quoi de plus contraire au bon sens que de forger de pareils r�ves? Car si nous admettons qu'une surface n'est ni �gale ni in�gale � une autre, il faudra dire aussi qu'une grandeur ou un nombre ne sont ni �gaux ni in�gaux � d'autres ; et cependant nous ne saurions concevoir de milieu entre l'�galit� et l'in�galit�. D'ailleurs, s'il y a des surfaces qui ne soient ni �gales ni in�gales, qui emp�che d'imaginer aussi des cercles qui ne soient ni �gaux ni in�gaux entre eux? car les surfaces des sections d'un c�ne sont des cercles. Si l'on suppose des cercles qui ne soient ni �gaux ni in�gaux entre eux, il faudra admettre aussi des diam�tres de cercle qui n'aient ni cette �galit� ni cette in�galit�, et, par une cons�quence n�cessaire, des (1080c) angles, des triangles, des parall�logrammes, des parall�l�pip�des et des corps qui ne soient ni �gaux ni in�gaux entre eux. S'il y a des grandeurs qui ne soient ni �gales ni in�gales entre elles, il y aura aussi des poids, des percussions et des mouvements qui ne le seront pas. Apr�s cela, comment oseront-ils bl�mer ceux qui admettent des vides, et qui supposent


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qu'il y a des corps indivisibles qui, combattant les uns contre les autres, ne sont ni en mouvement ni en repos, tandis qu'eux-m�mes ils traitent de faux les axiomes suivants : Si des choses ne sont pas �gales entre elles, elles sont in�gales ; ces choses ne sont pas �gales entre elles, elles sont donc in�gales. Mais puisque Chrysippe dit qu'il est des corps plus grands que d'autres et qui cependant ne les exc�dent pas, il est naturel de demander si ces corps (1080d) appliqu�s l'un sur l'autre cadreront ensemble. S'ils cadrent, comment l'un des d'eux est-il plus grand ? s'ils ne cadrent pas, est-il possible que l'un n'exc�de pas l'autre, et que celui-ci ne soit pas plus petit? Car ce sont deux choses contraires que de dire : il ne cadrera point, ou il cadrera avec le plus grand. Voil� dans quelles difficult�s se jettent n�cessairement ceux qui renversent ainsi les id�es communes.

Il est encore contre le sens commun de dire que rien n'est touch� par rien, et il ne l'est pas moins de pr�tendre que les corps se touchent mutuellement et qu'ils ne sont touch�s par rien. Voil� cependant les assertions que sont forc�s d'admettre ceux qui ne reconnaissent pas dans les corps des parties tr�s petites, mais qui supposent quelque chose d'ant�rieur � ce qui semble les toucher, et poussent ainsi la progression � l'infini. (1080e) Ce qu'ils opposent donc le plus aux partisans des corps indivisibles, c'est qu'il n'y a point de contact du tout au tout, ni des parties aux parties; que ce n'est point un contact, mais un m�lange, et que le contact n'est pas m�me possible, parce que les corps indivisibles n'ont point de parties. Mais ne tombent-ils pas eux-m�mes dans une pareille difficult�, puisqu'ils ne laissent dans les corps aucune partie qui soit la premi�re ou la derni�re, et que, suivant eux, les corps se touchent, non du tout au tout ni par une partie, mais par une extr�mit�? Or, cette extr�mit� n'est pas un corps. Ainsi un corps en touchera un autre par ce qui


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est incorporel; mais d'un autre c�t� il ne le touchera point, parce qu'il y aura entre les deux quelque chose d'incorporel. (1080f) S'il le touche, il exercera une action sur une chose incorporelle, et la recevra aussi, tout corps qu'il est; car cette r�ciprocit� d'action et ce contact mutuel sont des propri�t�s des corps. Mais si un corps re�oit le tact de ce qui est incorporel, il en recevra aussi le contact, le m�lange et la coalition. D'ailleurs, dans ces contacts et ces m�langes, il faut n�cessairement que les extr�mit�s des corps ou se conservent ou ne se conservent pas et soient d�truites, et l'un et l'autre est contre le sens commun. Car ils n'admettent pas eux-m�mes la g�n�ration et la corruption des �tres incorporels, et il ne peut y avoir ni contact ni m�lange (1081a) dans des corps qui conservent leurs extr�mit�s; car ce sont les extr�mit�s qui d�terminent et constituent la nature des corps; et les m�langes, si par l� on n'entend point la juxtaposition mutuelle des parties, confondent en une seule les substances totales qui se m�lent. Il faut donc, disent-ils, admettre que, dans les m�langes, les extr�mit�s des corps sont d�truites, et qu'au contraire elles sont form�es quand ils se s�parent. Mais c'est ce qu'il n'est pas facile de comprendre; car les endroits par o� les corps se touchent sont aussi ceux par o� ils se pressent, se serrent et se froissent les uns contre les autres. Mais l'un et l'autre est impossible � des �tres incorporels; on ne saurait m�me le concevoir. Voici n�anmoins comment ils veulent nous forcer en quelque sorte de le comprendre. (1081b) Si une boule, disent-ils, touche un corps plan par un seul point, il est clair qu'elle roulera aussi sur ce seul point. Si la boule est peinte en rouge, elle tracera dans sa marche une ligne rouge sur la surface de ce corps plan ; si elle est br�lante, elle le noircira. Mais qu'une chose incorporelle soit peinte en rouge ou soit br�lante, c'est ce qui choque le sens commun. Et si nous supposons que la boule soit de terre ou de cristal, et


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qu'elle tombe de haut sur la surface d'une pierre, il serait absurde de croire qu'elle ne se briserait pas en frappant contre un plan dur et solide ; mais il le serait bien davantage de dire qu'elle se briserait en tombant sur une de ses extr�mit�s et par un point incorporel. (1081c) Ainsi, de toutes mani�res ils d�rangent les notions communes que nous avons sur les �tres incorporels, ou plut�t ils les renversent par toutes leurs suppositions impossibles.

Il est contre le bon sens de n'admettre qu'un temps pass� et un temps futur, et de nier l'existence du temps pr�sent, de regarder comme existant le temps qui vient de passer, et non le moment actuel. C'est cependant ce que font les sto�ciens, qui ne laissent pas au temps le plus petit de ses espaces, et qui ne veulent pas que le moment actuel soit indivisible. Ils. pr�tendent que du temps qu'on con�oit comme pr�sent, il y a une portion qui appartient au pass�, et l'autre au futur, de mani�re qu'il ne reste pas dans l'intervalle la plus petite partie de temps pr�sent, et que ce qu'on regarde comme pr�sent est divis� en avenir (1081d) et en pass�. Il faut donc de deux choses l'une, ou qu'en disant : le temps fut, le temps sera, on ne puisse pas dire le temps est ; ou qu'en admettant le temps pr�sent, une partie en soit d�j� pass�e et l'autre soit encore � venir ; que par cons�quent du temps qui est actuellement une partie ne soit plus et une autre ne soit pas encore. Ainsi, du temps qu'on appelle maintenant, une portion sera avant et l'autre apr�s, et ce mot maintenant exprimera ce qui n'est pas encore pr�sent et ce qui n'est plus pr�sent ; car ni ce qui est d�j� pass� ni ce qui est � venir ne sont le pr�sent. Et puisqu'ils divisent ainsi le temps pr�sent, ils devraient donc dire aussi que de l'ann�e et du jour, une portion appartient � l'ann�e pass�e et l'autre � l'ann�e prochaine, et que de ce qui existe en m�me temps une partie est avant et l'autre apr�s. (1081e) Voil� comme ils brouillent et confondent �galement ce qui n'est pas


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encore, ce qui est d�j� et ce qui n'est plus, ce qui est pr�sent et ce qui ne l'est pas. Tous les autres hommes entendent et disent que ces mots nagu�re et peu apr�s expriment des portions du temps pr�sent dont l'une le pr�c�de et l'autre le suit. Arched�me, qui voulait que le temps pr�sent f�t le principe et la liaison du temps qui s'est �coul� et de celui qui arrive, ne s'apercevait pas qu'il d�truisait tout � fait le temps; car si le moment actuel n'est pas le temps, mais l'extr�mit� du temps, et que toute portion du temps soit la m�me chose (1081f) que ce moment actuel, il semble que le temps en g�n�ral n'aura aucune partie, et qu'il se dissoudra, pour ainsi dire, en extr�mit�s, en liaisons et en commencements. Chrysippe, qui veut faire des divisions subtiles, dit dans son trait� du Vide et dans quelques autres, que le pass� et le futur n'existent point, niais que l'un a exist� et que l'autre va exister, et que le pr�sent seul existe. Mais dans les troisi�me, quatri�me et cinqui�me livres des Parties, il dit qu'une portion du temps pr�sent est pass�e, et que l'autre est pr�s de venir. (1082a) Ainsi il divise le temps existant en parties qui n'existent point, ou, pour mieux dire, il ne laisse exister aucun temps, puisque, selon lui, le pr�sent n'a aucune partie qui ne soit ou pass�e ou future. D'apr�s cette id�e, le temps est pour eux comme l'eau qu'on veut saisir : plus on serre la main, moins on en retient.

D'ailleurs, dans cette opinion, tout ce qui regarde les actions et les mouvements est si absurde, que toute �vidence y est confondue ; car si le temps pr�sent se divise en pass� et en futur, il faut aussi de toute n�cessit� que dans un corps qui se meut actuellement une partie ait �t� d�j� mue, et qu'une autre soit encore � se mouvoir; qu'il n'y ait plus dans le mouvement ni commencement ni fin; (1082b) que dans aucune action il n'y ait rien de premier ni de dernier, puisque les actions sont distribu�es dans le temps. Car comme ils veulent que du temps pr�sent


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une partie soit pass�e et l'autre future, de m�me dans une action une partie est d�j� faite et l'autre est encore � faire. Quand est-ce donc que les actions de d�ner, d'�crire et de marcher commenceront et finiront, si tout homme qui d�ne ou qui marche a en partie d�n� et march�, d�nera et marchera en partie? Mais la plus grande de toutes les absurdit�s est de dire que si celui qui vit a en partie v�cu et vivra en partie, la vie n'a donc pas eu de commencement et n'aura point de fin, et sans doute chacun de nous sera n� sans avoir commenc� de vivre, et il mourra sans cesser de vivre. (1082c) Car s'il n'y a jamais dans la vie un dernier instant, et que celui qui vit actuellement ait toujours une portion future de la vie, il ne sera jamais faux de dire : Socrate vivra, tant qu'on pourra dire avec v�rit� : Socrate vit ; et tant qu'il sera vrai que Socrate vit, il sera toujours faux que Socrate soit mort. Si donc pendant des portions infinies de temps on pourra dire avec v�rit� que Socrate vivra, il ne sera vrai dans aucune de ces portions que Socrate soit mort. Mais quelle sera la fin d'une action, et quand cesserez-vous d'agir, si, autant de fois qu'il sera vrai de dire : cela se fait, autant de fois on peut dire avec v�rit� : cela se fera? Ce sera mentir que de dire : (1082d) � Platon finit d'�crire ou de disputer, � puisqu'il ne cessera jamais de faire l'un ou l'autre, si jamais il n'est faux de dire d'un homme qui �crit ou qui dispute : � Il �crira, il disputera,  Dailleurs, dans une action qui se fait actuellement, il n'y aura aucune partie qui ne soit ou faite ou � faire, ou pass�e ou future. Bien plus, ce qui a �t� fait et ce qui se fera, ce qui est pass� et ce qui est � venir ne produiront aucune sensation, et par cons�quent il n'y aura de sensation de quoi que ce soit; car nous ne voyons ni n'entendons ce qui est pass� et ce qui est futur, et nul autre de nos sens ne peut nous donner la sensation des choses pass�es ou futures. Les choses pr�sentes ne sont pas sensibles elles-m�mes, s'il est vrai qu'une por-


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lion du pr�sent soit toujours pass�e et l'autre toujours future, que l'une ait d�j� �t� et que l'autre doive �tre. (1082e) Cependant ils accusent �picure de renverser indignement les id�es communes, en attribuant � tous les corps une vitesse �gale, et en soutenant que l'un ne se meut pas avec plus de v�locit� qu'un autre. Mais il est bien moins tol�rable et plus contraire au sens commun de pr�tendre qu'aucun corps en mouvement ne peut en atteindre un autre ;

Que jamais le coursier, dans son ardeur bouillante,
N'atteindra la tortue en sa marche pesante,

comme dit le proverbe. Cela doit n�cessairement arriver dans les choses qui sont mues l'une devant et l'autre derri�re, quand les intervalles qu'elles parcourent sont, comme ils le pr�tendent, divisibles � l'infini ; car si la tortue pr�c�de seulement le cheval de la longueur d'un arpent, ceux qui divisent cet espace � l'infini, (1082f) et qui placent ces deux animaux l'un devant et l'autre derri�re, ne feront jamais atteindre le plus lent par celui qui va plus vite, parce que le premier ajoutera toujours � sa marche quelque espace qui sera divisible en une infinit� de parties. Pr�tendre que l'eau qu'on verse d'un vase ou d'une coupe ne se r�pand jamais tout enti�re, c'est assur�ment renverser les id�es communes ; mais c'est une cons�quence de leurs principes; (1083a) car peut-on concevoir qu'un mouvement de priorit� qui est divisible en portions infinies puisse jamais �tre termin� ? il restera toujours quelque portion � diviser, en sorte que l'effusion enti�re des liquides, toute la progression des solides et la chute des corps graves ne s'ach�veront jamais.

Je passe sous silence un grand nombre de leurs absurdit�s, parce que je veux me borner � celles qui heurtent le sens commun. La dispute sur l'accroissement des substances est tr�s ancienne ; Chrysippe dit qu'elle a �t� trai-


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t�e par Epicharme (53). Les acad�miciens regardent cette question comme embarrassante et difficile � r�soudre. Sur cela les sto�ciens crient contre eux avec emportement, et les accusent (1083b) de renverser les id�es communes, tandis qu'eux-m�mes, bien loin de les respecter, d�truisent m�me le bon sens ; car c'est une chose toute simple, et dont les sto�ciens eux-m�mes admettent les principes, que les substances particuli�res ont toutes des �manations, qu'elles les r�pandent et les re�oivent mutuellement ; que celles qui les re�oivent en grand nombre ne restent pas les m�mes, et que cette accession d'�manations �trang�res change et accro�t leur substance ; que c'est contre la v�rit�, et par l'empire seul de l'habitude, qu'on a appel� ces changements accessions et diminutions, et qu'il �tait plus naturel de les nommer g�n�rations et corruptions, parce qu'elles forcent les substances de passer d'un �tat � un autre, (1083c) au lieu que l'accroissement et la diminution sont les affections d'un corps qui subsiste dans un �tat permanent. Apr�s avoir �tabli de pareils principes, que veulent encore ces d�fenseurs de l'�vidence, ces r�gles vivantes des notions communes? Ils disent que chacun de nous est double et a (1083d) deux natures, non comme ces Molionides (54) qui, suivant les po�tes, �taient joints par certaines parties de leurs corps et s�par�s par d'autres; mais ce que personne n'avait vu avant les sto�ciens, c'est que nous avons deux corps qui ont l'un et l'autre m�me couleur, m�me figure, m�me poids et m�me espace. Ces philosophes seuls ont vu cette composition, cette duplicit�, et, pour ainsi dire, cette ambi-


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gu�t� qui font que chacun de nous est un double sujet dont l'un est substance et l'autre intelligence ; l'un est dans une �manation et un mouvement continuels, sans cro�tre ni diminuer, et ne reste jamais enti�rement semblable � lui-m�me ; l'autre est toujours le m�me, il cro�t et d�cro�t, il a des affections toutes contraires � celles du premier, quoiqu'il soit incorpor�, uni et presque confondu avec lui, et qu'il n'y ait entre eux aucune diff�rence que les sens puissent apercevoir.

On rapporte que Lync�e avait la vue si per�ante, qu'il voyait � travers les pierres et les arbres, et qu'un homme plac� en Sicile, sur une hauteur, distinguait � une journ�e et une nuit de navigation les vaisseaux qui sortaient du port de Carthage. Callicrate et Myrm�cide (1083e) faisaient, dit-on, des chars si petits, qu'une aile de mouche les couvrait en entier, et ils gravaient sur un grain de millet des vers d'Hom�re. Mais personne n'a vu en nous cette diversit� de substance, et nous-m�mes nous n'avons jamais senti que nous fussions doubles; que, par une partie de nous-m�mes, nous eussions des �manations continuelles, et que par l'autre partie, depuis la naissance jusqu'� la mort, nous restassions toujours dans le m�me �tat. J'ai rapport� leur opinion plus simplement qu'ils ne l'exposent eux-m�mes; car ils supposent qu'il y a en chacun de nous quatre sujets, ou plut�t que chacun de nous est quatre. Mais il suffit de deux pour montrer toute leur absurdit�. Quand nous entendons dire � Penth�e, dans une trag�die, qu'il voit deux soleils et deux villes de Th�bes, (1083f) nous ne croyons pas qu'il les voie r�ellement, nous pensons que le trouble de son esprit �gare sa vue. Lors donc que les sto�ciens nous disent, non pas qu'une seule ville, mais que tous les hommes, tous les animaux, tous les arbres, tous les instruments, les v�tements et les meubles sont doubles et compos�s de deux natures, devons-nous �couter des philosophes qui veulent, non �clairer notre


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esprit, mais le pervertir? Au reste, on doit peut-�tre leur pardonner (1084a) cette diversit� de natures qu'ils imaginent dans tous les sujets, parce qu'ils ne trouvent pas d'autre moyen de conserver et de d�fendre ces accroissements qu'ils ont tant � c�ur de maintenir.

Mais quel est leur motif, ou quelles autres suppositions veulent-ils faire valoir lorsqu'ils admettent dans l'�me des diff�rences en quelque sorte corporelles, et des id�es presque innombrables ? C'est ce qu'il n'est pas facile de dire, � moins qu'ils ne le fassent � dessein pour changer, ou plut�t pour d�truire absolument toutes les id�es communes, et y en substituer d'autres aussi �tranges que nouvelles. N'est-il pas de la derni�re absurdit� de dire que les vertus, les vices, et, qui plus est, les arts, tout ce qui est du ressort de la m�moire, les imaginations, (1084b) les passions, les d�sirs et les consentements, sont des corps qui ne subsistent dans aucun sujet, et de leur laisser seulement dans le c�ur un passage de la largeur d'un point, dans lequel ils placent la partie principale de l'�me, qui y est environn�e d'un si grand nombre de corps, que la plupart �chappent � la p�n�tration de ceux qui savent le mieux distinguer un objet d'un autre. Ils en font non seulement des corps, mais des animaux raisonnables, et en nombre prodigieux, lesquels ne sont ni doux ni apprivois�s, et que leur m�chancet� naturelle soul�ve contre l'�vidence et la coutume. (1084c) Ils font encore des �tres anim�s, des vertus et des vices, des passions telles que la col�re, l'envie, la douleur, la joie du mal d'autrui ; des compr�hensions, des imaginations et des erreurs; des arts, tels que ceux du cordonnier et du forgeron. Ils �tendent enfin cette id�e de corps et d'animalit� � nos actions, telles que de se promener, de danser, de raisonner, d'adresser la parole � quelqu'un, de dire des injures; par cons�quent le rire, le pleurer seront aussi des animaux, et ceux-l� une fois admis, pourquoi ne pas mettre


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dans la m�me classe la toux, l'�ternuement, le g�missement, le cracher, le moucher, et cent autres actions de ce genre trop connues pour les d�tailler? Et s'ils trouvent mauvais qu'on les am�ne ainsi de cons�quence en cons�quence � de pareilles absurdit�s, qu'ils se souviennent de ce que dit Chrysippe dans le premier livre de ses Questions naturelles. Voici ses propres termes :

(1084d) � La nuit n'est-elle pas un corps ? Le soir, le matin, le milieu de la nuit, le jour, ne sont-ils pas des corps? Pourquoi donc le premier jour du mois, le dixi�me, le quinzi�me, le trenti�me et le mois entier, ne le seraient-ils pas aussi bien que l'�t�, l'automne et l'ann�e enti�re? �

Dans tout ce que j'ai dit jusqu'� pr�sent ils font violence aux notions communes ; mais dans ce que je vais ajouter ils d�truisent leurs propres principes; ils font produire la substance qui a le plus de chaleur par la r�frig�ration, et celle qui est la plus subtile, par la condensation. Rien n'est plus chaud et plus subtil que l'�me ; et ils pr�tendent qu'elle est produite par la r�frig�ration et la condensation (1084e) du corps, dont les esprits vitaux re�oivent une esp�ce de trempe qui, de v�g�tatifs, les rend anim�s. Ils disent aussi que le soleil a �t� anim� parce que son humidit� s'est chang�e en un feu dou� d'intelligence. Il est assez singulier que le soleil ait �t� form� par les vapeurs humides et froides qui l'environnaient. Quelqu'un ayant rapporte � X�nophane qu'il avait vu des anguilles- vivantes dans une eau tr�s chaude : Nous les feront donc cuire dans de l'eau froide, lui dit-il. Puis donc que les sto�ciens font venir la chaleur de la r�frig�ration et la l�g�ret� de la condensation, ils doivent, par une cons�quence naturelle, donner le froid pour principe de la chaleur, faire produire la condensation des corps par la diffusion, et leur gravit� par la rar�faction : ce sera du moins mettre de la suite dans leurs absurdit�s.

(1084f) Mais la nature du sens commun n'est-elle pas d�ter-


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min�e par ces philosophes contre le sens commun m�me ? Car la conception est une sorte d'imagination, et l'imagination est une forme imprim�e dans l'�me ; la nature de l'�me n'est qu'une sorte de vapeur sur laquelle il est difficile de former une impression, � cause de sa substance rare, et apr�s m�me l'avoir re�ue, elle ne pourrait pas la conserver. Comme elle est engendr�e et nourrie par des substances humides, (1085a) elle �prouve une alternative continuelle d'accroissement et de diminution. La respiration, en se m�lant avec l'air, produit une nouvelle exhalaison qui est sans cesse chang�e et alt�r�e par le courant d'air qu'on aspire et qu'on expire tour � tour. On concevrait plus facilement qu'un courant d'eau conserv�t les formes et les figures qu'on y aurait trac�es, que ne le pourrait un esprit qui, sortant en exhalaisons et en vapeurs, est sans cesse m�l� avec un air ext�rieur qui lui est �tranger et qui reste sans action. Mais les sto�ciens sont si peu d'accord avec eux-m�mes, qu'apr�s avoir d�fini les notions communes, des pens�es mises en r�serve, des m�moires (1085b) stables et des impressions d'habitude, apr�s avoir suppos� aux sciences une solidit� in�branlable, ils leur donnent ensuite pour base et pour appui une substance fragile prompte � se dissiper, et qui ne cesse de s'exhaler et de se r�pandre.

La notion d'�l�ment et de principe est commune � presque tous les hommes ; ils les con�oivent purs, simples et sans composition. Car le principe et l'�l�ment n'admettent point de m�lange, mais ils forment les �tres m�l�s et compos�s. Les sto�ciens, qui, en reconnaissant Dieu pour le principe de toutes choses, le d�finissent un corps intelligent, un entendement uni � la mati�re, en font par l� une substance qui, loin d'�tre pure, simple et sans composition, est form�e d'une autre et par une autre. La mati�re, n'ayant de soi ni raison (1085c) ni qualit�, a cette simplicit�^ qui convient � un principe; mais si Dieu n'est


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ni incorporel ni immat�riel, il participe � la mati�re comme � son principe. Si la mati�re et la raison sont une m�me chose, ils ont tort de dire que la mati�re est priv�e de raison ; mais si elles sont deux choses diff�rentes, alors Dieu sera un compos� de l'une et de l'autre, il ne sera plus une essence simple, mais compos�e, puisque l'�tre intelligent aura emprunt� de la mati�re la substance corporelle.

En donnant le nom d'�l�ments aux quatre premiers corps, la terre, l'eau, l'air et le feu, je ne vois pas pourquoi ils supposent les uns purs et simples, les autres mixtes et compos�s. Ils disent que la terre et l'eau ne peuvent se donner � elles-m�mes (1085d) ni aux autres corps de la subsistance, et que c'est par leur participation avec l'air et par l'action du feu qu'elles conservent leur unit� ; qu'au contraire l'air et le feu se maintiennent par leur force naturelle, et que, m�l�s avec les deux autres �l�ments, ils leur donnent de la force, de la consistance et de la stabilit�. Comment donc la terre et l'eau sont-elles des �l�ments, si elles ne sont pas des corps premiers et simples, et si, au lieu de se suffire pour leur conservation, elles ont besoin d'un lien ext�rieur qui affermisse et conserve leur substance? Ils ne leur laissent pas m�me l'id�e de substance; (1085e) et en g�n�ral tout ce qu'ils disent de la terre est plein de confusion et d'obscurit�. Elle subsiste, selon eux, par elle-m�me, mais alors quel besoin a-t-elle que l'air lui serve de lien et d'appui? Si cela est, ni la terre ni l'eau ne seront form�es par leur propre substance; mais l'air, en pressant et condensant la mati�re, en aura fait la terre, et ensuite, en l'amollissant et la dissolvant, il en aura form� l'eau; et ni l'une ni l'autre ne seront des �l�ments, puisqu'un autre principe leur aura donn� et la g�n�ration et la substance.

Ils soutiennent aussi que la substance et la mati�re subsistent par leurs qualit�s, et c'est � peu pr�s la d�fi-


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nition qu'ils en donnent. Mais d'un autre c�t� ils pr�tendent que les qualit�s sont des corps ; tout cela fait une �trange confusion. Car si les qualit�s ont une substance particuli�re qui en fasse des corps, (1085f) elles n'ont pas besoin d'une autre substance pour subsister, puisqu'elles en ont une qui leur est propre ; mais si elles sont seulement ce sujet commun qu'ils appellent essence et mati�re, il est clair qu'elles participent � la nature corporelle, mais qu'elles ne sont pas des corps v�ritables ; car ce qui est sujet et r�cipient doit diff�rer de ce qu'il re�oit et dont il est le sujet. Mais les sto�ciens ne voient que la moiti� de la v�rit� : ils disent que la mati�re n'a point de qualit�, (1086a) et ils ne veulent pas que les qualit�s soient immat�rielles. Mais comment peuvent-ils imaginer des corps sans qualit�s, eux qui ne con�oivent pas des qualit�s sans corps? Une opinion qui unit le corps � toutes les qualit�s ne permet pas que la pens�e s'applique � aucun corps qui n'ait quelque qualit�. Celui donc qui ne veut pas que les qualit�s soient immat�rielles doit nier aussi que la mati�re soit sans qualit�s, ou celui qui s�pare l'un de l'autre les divise tous deux. Ce que plusieurs d'entre eux avancent, que si la mati�re est dans qualit�, ce n'est pas qu'elle en soit enti�rement priv�e, (1086b) mais c'est qu'elle les r�unit toutes, est plus que tout le reste contraire au bon sens. Personne ne con�oit sans qualit� ce qui n'est priv� d'aucune qualit�, ni sans passion ce qui de sa nature peut recevoir toutes sortes d'affections, ni enfin sans mouvement ce qui se meut en tout sens. Mais comment se fait-il qu'en concevant toujours la mati�re avec quelque qualit�, on regarde cependant la mati�re et la qualit� comme deux choses diff�rentes. C'est une difficult� qui subsiste toujours.


(01) Z�non avait compos� un trait� de la R�publique, dont quelques uns, suivant Diog�ne La�rce, disaient en badinant qu'il l'avait �crit sous la queue d'un chien, par allusion, disent les uns, � la constellation du chien, ou, selon d'autres, au style piquant avec lequel il �tait �crit. Cl�anthe fut le premier successeur de Z�non dans l'�cole du Portique. L'estime que le chef de cette secte avait con�ue pour sa vertu fit qu'il lui donna la pr�f�rence sur un grand nombre d'autres disciples d'un m�rite distingu�.

(02) Le lotus, dit Hom�re, Odyss., liv. IX, �tait une plante dont le suc �galait la douceur du miel ; quiconque en avait mang� oubliait sa patrie, ses amis, et ne voulait plus vivre qu'avec les Lotophages, que ce po�te place  dans la Sicile.

(03) Ce trait� ne ne trouve pas dans le catalogue des ouvrages de Chrysippe par Diog�ne La�rce ; il est vrai qu'il est tr�s incomplet.

(04) C'est Diog�ne le Babylonien, de la secte sto�que,et dont Antipater de Tarse fut le disciple. 

(05) Il y a dans le grec ἐπὶ ζωτῆρος, qui veut dire mot � mot sur la ceinture. C'�tait une expression m�taphorique qui signifiait l'administration des affaires. Les anciens ne paraissaient jamais en public que la robe attach�e avec une ceinture pour �tre plus libres, soit dans leur marche, soit dans leurs occupations.

(06) Aristocr�on �tait fils de la s�ur de Chrysippe, aussi bien que Philocrate. Diog�ne dit que ce philosophe les instruisit, et que s'�tant attir� des disciples, il fut le premier qui s'enhardit � enseigner en plein air dans le Lyc�e.

(07) Clisth�ne, magistrat d'Ath�nes, de la famille des Alcrn�onides, divisa en dix tribus le peuple d'Ath�nes, qui n'en formait auparavant que quatre. Ce fut lui qui �tablit la fameuse loi de l'ostracisme, par laquelle il fit chasser le tyran Hippias, fils de Pisistrate, la troisi�me ann�e de la soixante-dix-huiti�me olympiade, cinq cent dix ans avant J�sus-Christ. Clisth�ne �tait a�eul de P�ricl�s.

(08) Les sto�ciens mettaient tous les vices et lentes les fautes sur un m�me rang, et confondaient le plus petit vol avec le sacril�ge. Ce ne peut �tre que sous ce rapport qu'ils traitaient de m�chants et d'intenses des hommes tels que ces l�gislateurs c�l�bres, dont ils estimaient eux-m�mes les lois.,

(09) Les �picuriens soutenaient que les dieux ne se m�laient point des affaires humaines, et que nous n'avions pas besoin de leur offrir des v�ux ni des sacrifices.  

(10)  Le mot t�l�te, employ� pour les choses sacr�es, signifiait initiation. cons�cration. Il vient d'un mot grec qui veut dire fin, parce que l'initialion aux v�rit�s secr�tes qui regardaient les dieux �tait une des derni�res c�r�monies des myst�res. C'est � celle acception que Chrysippe fait allusion.

(11) Selon les sto�ciens, la nature universelle �tait la m�me chose que la Providence, le Destin, la raison universelle.

(12) Chrysippe d�signe ici les sectateurs de la nouvelle Acad�mie fond�e par Arc�silas, qui disaient ne savoir rien positivement, et ne pouvoir rien affirmer, � l'imitation de Socrate, qui disait : Je ne sais qu'une seule chose, c'est gu� je ne sais rien.

(13) Plutarque indique vraisemblablement ici un ouvrage en cinq livres qu'il avait compos� sur la mani�re de soutenir le pour et le contre, que nous avons perdu, et dont le titre est dans le catalogue de ses ouvrages, par son fils Lamprias.

(14) Carn�ade, c�l�bre philosophe acad�micien, mourut dans la cent soixante-dixi�me olympiade, � l'�ge de quatre-vingt-cinq ans. Il fut d�put� � Rome par les Ath�niens avec Diog�ne le Sto�cien, et Critola�s, du temps de Scipion l'Africain, et de L�lius.

(15)  Euclide, math�maticien c�l�bre et dialecticien tr�s subtil, �tait n� et enseigna � M�gare. Il avait invent� plusieurs sortes de raisonnements tr�s captieux, qui donn�rent � son �cole une grande r�putation, et qu'on appelait les Questions m�gariques, mais dont on pouvait dire avec Quintilien : Stultum est difficiles habere nugat: c'est une folie de s'occuper de bagatelles si difficiles.

(16) Celle pr�tention insens�e �tait commune � tous les sto�ciens. S�n�que, si rempli de l'orgueil de sa secte, en donne pour raison que Jupiter est sage par n�cessit�, au lieu que le sage l'est par choix. Une cons�quence qu'ils tiraient de ce dogme impie, c'est qu'on n'avait pas besoin de demander � Jupiter les biens de l'�me, mais seulement ceux du corps et de la fortune.

(17) Acco, suivant l'auteur de l'Etymologicum magnum, �tait une femme de Samos connue par sa folie, et qui, plac�e devant un miroir, avait coutume de s'entretenir avec son image, comme si c'e�t �t� une autre femme.  Il ajoute qu'elle faisait semblant de refuser ce qu'elle d�sirait le plus et que de l� �tait venu le proverbe tir� du nom de cette femme, ἀκτίζεσθαι, feindre, dissimiler. Aphito ne m'est point connue.

(18) Plutarque rapporte un peu plus haut ce m�me passage mot pour mot.

(19) Il y a apparence qu'il d�signe ici un trait� que nous avons perdu, et qui se trouve dans le catalogue de Lamprias, sous ce titre :  Quelle est, suivant Platon, la fin de nos actions ?

(20) Ce passage de Chrysippe est si obscur dans le texte, qu'il y a grande apparence qu'il  est mutil� ; car on ne peut en tirer aucun sens raisonnable. Le voici mot � mot : Les gens particuli�rement injustes sont compos�s de plusieurs qui disent le contraire. Et d'ailleurs, l'injustice �tant re�ue, comme dans plusieurs envers eux-m�mes, ils sont ainsi dispos�s. Mais rien de semblable ne convenant � un seul, mais en tant que cela regarde ceux qui sont pr�s de lui, il est ainsi dispos�. M. Reiske dit que cette phrase est plus obscure pour lui que l'�nigme du sphinx. 

(21) �phore de Cumes, historien c�l�bre, qui avait �t� disciple d'Isocrate.  X�nocrate �tait de Chalc�doine, et M�n�d�me, de M�gare.

(22) Panticap�e �tait une tr�s grande ville m�tropole de toutes celles du Bosphore, situ�e � l'entr�e des Palus-M�otides. Son nom lui venait du fleuve Panticapus, sur les bords duquel elle  �tait b�tie.

(23) Plutarque de trompe ici en attribuant � Hippocrate une opinion absolument contraire � celle qui a �t� enseign�e par ce grand homme. Voyez ce que nous en avons dit dans les propos de table, o� cette question est trait�e fort en en d�tail.

(24) Il serait, je crois, inutile de v�rifier ces calculs. Il suffit de savoir en g�n�ral que les mots et les propositions sont susceptibles de combinaisons qui peuvent �tre pouss�es presque � l'infini.

(25) Ces biens pr�alables, comme on va  le voir plus bas, �taient la richesse, la sant�, le repos, que les Sto�ciens en g�n�ral pla�aient au rang des choses indiff�rentes.  Z�non leur donnait le nom de biens pr�alables, apparemment parce qu'il les regardait comme des avantages propres � conduire au bonheur; le mot grec du moins semble le faire entendre.

(26) Dans les derniers temps, on allait consulter les dieux pour les plus simples bagatelles ; nous avons vu  Plutarque s'en plaindre dans le trait� sur les Oracles de la pythie.

(27)  Non seulement Pythagore, mais ses disciples, furent presque tous br�l�s. Celte pers�cution fut excit�e par Cylon, qui avait fort d�sir� d'�tre admis dans l'�cole de Pythagore, et qui, pour se venger du refus qu'il en �prouva, f�t mettre le feu � la maison dans laquelle ses disciples �taient assembl�s.

(28) Il s'agit ici de Z�non d'�l�e,que le tyran de sa patrie, nomm� N�arque par Diog�ne La�rce dans la Vie de ce philosophe, fil piler dans un mortier, parce qu'il avait conspir� contre lui. Antiphon citait un po�te tragique qui fut mis � mort par Denys, jaloux de ce qu'il faisait de meilleures trag�dies que lui.

(29) Les Syriens pr�tendaient que si quelqu'un mangeait de certains poissons, la d�esse de Syrie, qui �tait Junon selon les uns et Cyb�le suivant d'autres, lui rongeait la partie ant�rieure des jambes, couvrait son corps d'ulc�res, et lui faisait tomber le foie en pourriture. Quant aux Juifs, le m�pris dans lequel ils �taient tomb�s � l'�poque du temps de Plutarque apr�s la prise de J�rusalem, et les superstitions absurdes dans lesquelles donnaient ceux qui cherchaient � faire trafic d'un pr�tendu savoir, avaient donn� lie� aux calomnies les plus grossi�res contre la religion juda�que.

(30) Le nom d'Atropos vient de ἀ privatif, et d'un autre mot qui signifie changer. Celui d'Adrast�e veut dire : qu'on ne peut pas fuir. Le dernier, qui en grec est πέπρωμαι, vient du mot grec qui signifie terme, fin.

(31) C'est le sage que Plutarque d�signe ainsi, parce que C�n�e �tait un des Lapithes qui, dans le fameux combat des centaures et des Lapithes, fut accabl� par un amas d'arbres que les centaures jet�rent sur lui. Il avait �t� fille sons le nom de C�nis ; Neptune la changea en homme et la rendit invuln�rable.

(32) Ce que dit Plutarque para�t exag�r�; cependant il n'est pas le seul qui expose ainsi les qualit�s que les sto�ciens attribuaient � leur sage. Cic�ron, dans ses Paradoxes, Horace, dans la satire troisi�me du livre premier, sont d'accord avec lui. 

(33) Il s'agit ici de la corne d'Amalth�e, que les po�les supposaient fournir � Hercule et � sa suite tous les aliments dont ils pouvaient avoir besoin. (Voyez Apollonius dans son Histoire po�tique.)

(34) Ce philosophe acad�micien ne m'est point connu d'ailleurs.

(35) Arc�silas, fondateur de la moyenne Acad�mie, florissait vers la cent vingti�me olympiade ; Chrysippe mourut dans la cent quarante-troisi�me, et Carn�ade la quatri�me de la cent soixante-dixi�me.

(36)  Arc�silas rejetait le t�moignage des sens, d'apr�s lequel nous avons coutume de juger, comme �tant toujours sujet � l'illusion. 

(37) Sipyle, ville de Phrygie, fut d�truite par un tremblement de terre du vivant m�me de Tantale, en punition de l'impi�t� de ce prince, qui, pour �prouver la divinit� de Jupiter, lui avait Tait servir les membres de P�lops, son fils.

(38) C'�tait un de ces raisonnements captieux dont les uns attribuent l'invention � l'�cole de M�gare fond�e par Euclide, et les autres aux sto�ciens. Si ces derniers ne les avaient pas invent�s, ils en firent du moins un grand usage, et Plutarque n'est pas le seul qui le leur ait reproch�. On lui a donn� le nom de menteur parce que le menteur y �tait pris pour exemple. On demandait : Un homme qui dit qu'il ment ment-il r�ellement? Si on r�pondait qu'il ment, on opposait aussit�t qu'il ne montait point, puisqu'il avait dit vrai en disant qu'il mentait.

(39) Lichas �tait un serviteur d'Hercule que D�janire, devenue jalouse de son mari, chargea de porter � ce h�ros la robe que le centaure Nessus lui avait donn�e comme un moyen s�r de fixer la tendresse de son mari. Hercule ne l'eut pas plut�t mise sur lui, que le poison dont celle robe �tait impr�gn�e le fit entrer en fureur; il saisit le malheureux Lichas et il le lan�a du haut du mont Oeta dans la mer. Les dieux le chang�rent en rocher.

(40) Alexinus d'�l�e, disciple d'Eubulide de Milet, s'�tait rendu tr�s fameux dans les disputes scolastiques, au point qu'on changeait son nom en celui d'Elexinus, qui signifie disputeur.

(41) � Le chien � qui on rendait ce culte religieux, dit Dupuis, est le m�me sans doute qu'on adorait en �gypte comme le symbole du chien c�leste; et le titre de roi qu'on lui donnait ici lui appartenait comme au g�nie qui �tait cens� avoir pr�sid� au commencement de la grande p�riode, et donn� l'impulsion � toute la sph�re. � Ce chien c�leste �tait Sirius, dont le lever annon�ait aux �gyptiens le prochain d�bordement du Nil, dont les eaux fertilisaient leurs plaines et faisaient toute leur richesse. Ce lever concourait avec le commencement de l'ann�e �gyptienne, et avait donn� lieu � la grande p�riode de quatorze cent soixante ans, nomm�e Sothiaque, de Sothis, nom �gyptien de la constellation de Sirius.

(42)  Plutarque repr�sente ici l'opinion des sto�ciens, qui soutenaient que tous les �tres devaient un jour, par un embrasement g�n�ral, se r�soudre dans la substance de Jupiter, qui, selon eux, �tait un feu artiste et intelligent qui organisait toute la nature.

(43) Avant l'usage des clefs, on avait coutume de fermer avec des n�uds que chacun faisait � sa fantaisie, et dont quelquefois celui qui l'avait fait avait seul le secret : tel �tait le n�ud gordien.

(44) Mot � mot : Il y a une autre opinion... qui viole ouvertement la coutume,  et lui �te ses notions naturelles qui sont ses enfants l�gitimes, et lui en suppose de b�tards, de f�roces et d'indignes d'elle, qu'elle la force de nourrir et de soigner.

(45) Nous venons de voir ce qu'�tait le menteur; quant au dominant, les anciens en parlent beaucoup, mais ils n'en donnent point d'exemple et n'expliquent pas en quoi il consistait.

(46) C'�tait un proverbe qu'on appliquait � ceux qui redisaient ou faisaient souvent les m�mes choses. Voici quelle en fut l'origine la plus vraisemblable, car on en raconte plusieurs : Les M�gariens �taient anciennement tributaires des Corinthiens, et, supportant avec peine cette esp�ce d'asservissement, ils cherchaient � s'en affranchir. Les Corinthiens en �tant instruits, envoy�rent � M�gare un d�put� qui parla au peuple avec beaucoup de fiert�, et qui, entre autres choses, r�p�ta souvent d'un ton de col�re : Corinthus, fils de Jupiter, ne le souffrira pat, par allusion � un roi de Corinthe de ce nom qui passait pour fils de Jupiter. Le peuple, m�content de cette esp�ce de menace si souvent r�p�t�e, s'�cria : Frappez, frappez le Corinthus de Jupiter, et en m�me temps il chassa le d�put�. (Voyez les  proverbes d'�rasme, qui rapporte les autres origines de ce proverbe. Chil. Il, cent 1, ad. 30.)

(47) C'�tait un autre proverbe dont le sens �tait le m�me que celui du pr�c�dent; un homme qui pile dans un mortier, et qui agite sans cesse le pilon de la m�me mani�re, est l'image de ceux qui r�p�tent sans fin les m�mes choses.

(48) On voit par l� qu'il s'agit ici de cette affection vertueuse qu'inspiraient  des jeunes gens bien n�s, et qui avait pour bu! de les former et de les instruire. C'est, disaient les sto�ciens, un go�t de bienveillance qui na�t des agr�ment! de ceux qu'il a pour objet, el qui ne va point jusqu'� des sentiments plut forts, mais demeure renferm� dans les bornes de l'amiti�.

(49) Ces cons�quences, tout absurdes qu'elles sont, d�coulent naturellement des principes que Plutarque vient d'exposer. Mais qui nous r�pondra, apr�s la partialit� qu'il a montr�e dans ses deux trait�s contre cette secte, qu'il les a rendus fid�lement ? Diog�ne La�rce, qui, dans la Vie de Z�non, a donn� une analyse des opinions des sto�ciens sur les trois parties de la philosophie, la logique, la morale el la physique, ne donne pas � beaucoup pr�s le m�me r�sultat que Plutarque ; et quoique son extrait ne soit pas fort �tendu, il est probable qu'ayant parl� assez en d�tail de l'id�e que les sto�ciens s'�taient form�e de l'univers, il n'aurait pas oubli� ces �tranges paradoxes.

(50)  Les sto�ciens comprenaient le vide dans l'univers, qui, selon eux, �tait compos� du monde et du vide.

(51) Ce proverbe fait allusion � l'usage o� �taient les anciens d'offrir les pr�mices de tous leurs sacrifices � la d�esse Vesta, ou, selon d'autres, aux dieux lares; car le mot gr�e signifie �galement l'un et l'autre.

(52) Jupiter est pris ici pour le monde m�me, pour l'univers.

(53) �picharme, philosophe pythagoricien qui florissait vers la soixante-quinzi�me olympiade, environ quatre cent soixante-seize ans avant notre �re, avait compos� des ouvrages sur la nature et sur la m�decine.

(54) Les Molionides, fils de Molione, �taient deux fr�res nomm�s �l�atus et Euryte, dont Neptune passait pour le v�ritable p�re. Ils furent mis � mort par Hercule. On les repr�sentait avec un seul corps qui avait deux t�tes, quatre jambes et quatre bras.