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PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

QUESTIONS PLATONIQUES.

 

 

texte grec

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QUESTIONS PLATONIQUES.

PR�FACE DU TRADUCTEUR

L'objet de ce trait� est d'expliquer certains termes m�taphysiques employ�s par Platon, et quelques effets physiques que ce philosophe rapporte sans en assigner la cause. La premi�re et la derni�re de ces questions roulent seules sur des objets diff�rents.

Dans l'une Plutarque examine en quel sens Socrate disait que Dieu lui avait ordonn� de faire � l'�gard des hommes les fonctions de sage-femme, et il expose la mani�re dont cet illustre Ath�nien proc�dait dans la recherche de la v�rit�; l'autre contient une discussion grammaticale sur les diverses parties d'oraison, d'apr�s la d�finition que Platon a donn�e du discours. Parmi ces questions, il y en a d'int�ressantes ; la premi�re surtout nous offre un tableau touchant du z�le de Socrate � rechercher la v�rit� et � la faire conna�tre aux autres. On aime � p�n�trer avec Plutarque dans le c�ur de cet homme estimable, � y voir son attachement et son z�le pour la vertu, sa fid�lit� � suivre la mission � laquelle il se croyait appel� par la Providence, d'exciter les hommes � l'amour du bien, en les rendant attentifs aux notions naturelles que Dieu a mises dans leur �me, en les aidant � d�velopper ces germes pr�cieux, � les conduire � leur maturit�, � leur faire produire des fruits abondants et durables.

Les questions qui roulent sur des objets de m�taphysique ont moins d'int�r�t, parce qu'elles sont toujours m�l�es d'un peu d'obscurit� ; que les anciens philosophes, et surtout Platon, en augmentaient encore les t�n�bres en les rev�tant des formes d'une dialectique tr�s serr�e, en les pr�sentant sous des id�es abstraites, emprunt�es de la g�om�trie ou d'autres sciences aussi difficiles. Nous trouverons en particulier ici la doctrine pythagoricienne des nombres, doctrine si obscure que Cic�ron lui-m�me, pour parler d'une chose inintelligible, dit qu'elle est plus obscure que les nombres de Platon. Si un philosophe tel que Cic�ron trouvait de l'obscurit� dans la m�taphysique de Platon, je crois que nous pouvons sans honte avouer le peu d'intelligence que nous en avons. Pour moi, je reconnais sinc�rement qu'il y a des choses que je suis loin de comprendre, et dans lesquelles je me bornerai � approcher du


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sens le plus qu'il me sera possible. La sixi�me question traite de quelques objets physiques sur lesquels Plutarque ne donne pas des solutions bien satisfaisantes, parce que de son temps ces objets n'�taient pas encore assez connus. Je rapprocherai des opinions anciennes les observations nouvelles, afin de suppl�er � ce que les explications de Plutarque ont d'insuffisant. La discussion grammaticale trait�e dans la derni�re question est un peu aride, mais elle contient des remarques utiles sur la langue grecque, et en particulier sur des mots dont l'usage est tr�s fr�quent dans les �crivains de cette nation, et qui, variant beaucoup dans leurs acceptions, offrent aux lecteurs plus de difficult�s. Ce trait� n'�tant pas susceptible d'une analyse suivie, puisqu'il ne contient que des questions d�tach�es, je me contenterai d'une simple table de ces questions, comme je l'ai d�j� fait pour d'autres trait�s semblables  (Voyez l� table � la fin du volume, page 578. )


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QUESTIONS PLATONIQUES.

I.

[999c] Pourquoi Socrate dit-il, dans le Th��t�te (01) de Platon, que Dieu lui avait ordonn� de faire � l'�gard des autres lus fonctions de sage-femme, et de ne rien enfanter lui-m�me?

Ce n'est pas une ironie de la part de ce philosophe, qui n'e�t pas employ� en jouant le nom de Dieu, quoique [999b] dans ce m�me dialogue Platon lui fasse tenir plusieurs discours pleins de confiance en soi-m�me et presque de fiert� ; en voici un exemple : � Telle est, mon ami, la disposition de bien des gens � mon �gard, que, toutes les fois que je leur �te quelque folle opinion, ils sont pr�ts � se jeter sur moi pour me d�chirer. Ils ne peuvent se persuader que je le fasse par bienveillance pour eux : ils sont bien �loign�s de croire qu'aucun dieu ne veut du mal aux mortels, et que moi-m�me je ne fais jamais rien par mauvaise volont� contre eux, mais parce qu'il m'est impossible de consentir au mensonge ou de cacher la v�rit�. �

Donnait-il le nom de dieu � son esprit, � cause de la profondeur de son jugement et de sa grande f�condit�, comme M�nandre a dit :

C'est un vrai dieu que notre intelligence?

H�raclite dit aussi : [999eL'esprit de l'homme est un dieu. Ou bien �tait-ce r�ellement une puissance c�leste et divine


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qui inspirait � Socrate ce genre de philosophie par laquelle, en interrogeant toujours les autres, il les gu�rissait de la pr�somption, de l'erreur et de la vanit�, d�fauts qui les rendaient insupportables d'abord � eux-m�mes, et ensuite � ceux avec qui ils vivaient? Le hasard avait fait qu'alors la Gr�ce �tait inond�e de sophistes que les jeunes gens payaient fort cher pour ne remporter de leurs le�ons qu'une haute opinion de leur savoir, qu'une vaine �mulation qui leur faisait consumer tout leur temps dans des disputes et des entretiens oiseux, sans rien acqu�rir d'honn�te et d'utile (02). Socrate donc, qui poss�dait l'art de r�futer et de convaincre, comme un rem�de propre � gu�rir les erreurs, [999f] obtenait d'autant plus de confiance en combattant les opinions des autres, que jamais il n'affirmait rien lui-m�me ; et il s'insinuait d'autant plus dans l'esprit de ses auditeurs, qu'il paraissait chercher avec eux la v�rit� plut�t que d�fendre son opinion particuli�re. [1000a] Le jugement est une facult� tr�s utile, mais elle se nuit � elle-m�me en voulant �tablir ses propres opinions. L'amiti� nous aveugle sur les objets que nous aimons, et rien ne nous est aussi cher que nos opinions et nos pens�es. Le partage qui, par rapport aux enfants d'une m�me famille, est plein de justice, devient souverainement injuste dans les opinions. L�, chacun doit prendre le sien ; ici, il faut choisir ce qu'il y a de meilleur, quoiqu'il appartienne � autrui : celui donc qui produit ses opinions particuli�res devient plus mauvais juge de celles des autres (03).


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Un sophiste disait que les �l�ens d�cerneraient avec plus de justice les prix des jeux olympiques si aucun �l�en n'y �tait admis (04). De m�me celui qui veut prononcer �quitablement entre plusieurs opinions ne doit pas lui-m�me [1000b] aspirer � la victoire ni disputer avec les contendants. Les g�n�raux grecs s'�tant assembl�s, apr�s la d�faite des Perses, pour d�cerner le prix de la valeur, chacun se l'adjugea � soi-m�me. Il n'est aucun philosophe qui n'en fit autant, except� ceux qui, comme Socrate, font profession de ne rien dire d'eux-m�mes. Ce sont les seuls qui se montrent des juges purs et incorruptibles de la v�rit�. Si l'air contenu dans la capacit� de l'oreille n'est pas parfaitement tranquille et qu'il �prouve de l'agitation, il ne transmet pas exactement � notre organe les discours dont il est le canal. Il en est de m�me de l'esprit quand il juge des opinions philosophiques; [1000c] s'il en a de personnelles qui retentissent fortement au dedans de lui-m�me, il aura de la peine � saisir ce qu'on lui dira du dehors. Son opinion particuli�re et, pour ainsi dire, domestique, quel qu'en soit l'objet, lui para�tra toujours la plus philosophique, la plus vraie; toutes les autres ne seront au plus que vraisemblables. S'il est vrai d'ailleurs que l'homme ne puisse rien comprendre ni rien savoir parfaitement, c'�tait avec raison que Dieu d�fendait � Socrate de produire de ces faux germes d'opinions incertaines et mensong�res, et qu'il l'obligeait � r�futer et � convaincre ceux qui en avaient de semblables. Le pouvoir de gu�rir les hommes des plus grands de leurs maux, l'erreur et l'illusion, �tait le pr�sent le plus utile que Dieu p�t lui faire.

Il n'a pas fait ce don aux enfants d'Esculape (05).

[1000d] car Socrate se proposait, non de gu�rir les maladies


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du corps, mais de purifier de leurs vices secrets les �mes corrompues.

S'il est une science de la v�rit�, comme la v�rit� est une, l'homme qui l'apprend de celui qui l'a trouv�e ne la poss�de pas moins que son inventeur. Mais celui qui ne croit pas l'avoir n'en parvient que plus s�rement � sa possession, parce qu'il choisit ce qu'il y a de mieux, comme celui qui n'a pu avoir des enfants adopte le meilleur de ceux qu'il conna�t. La po�sie, les math�matiques, l'�loquence, les opinions des sophistes et toutes les autres connaissances semblables m�ritaient sans doute que Socrate s'y appliqu�t ; cependant la Divinit� lui d�fendit de rien produire en ce genre. Mais la science que Socrate regardait seule comme la v�ritable sagesse, celle qui se propose la connaissance de Dieu et des choses intelligibles, et qui, selon lui, est l'objet de notre amour, [1000e] ce ne sont pas les hommes qui la produisent ou qui l'inventent : elle n'est en eux qu'un ressouvenir. Voil� pourquoi Socrate n'enseignait rien, et qu'il sugg�rait seulement aux jeunes gens des commencements de doute qui, �tant pour eux comme les premi�res douleurs de l'enfantement, r�veillaient, excitaient et mettaient en mouvement les connaissances qu'ils avaient re�ues de la nature. C'�tait l� ce qu'il appelait l'art de faire accoucher les pens�es, art qui n'apportait pas du dehors l'intelligence � ses auditeurs, comme les autres philosophes se vantaient de le faire, mais qui leur d�couvrait celle qu'ils avaient naturellement en eux-m�mes, laquelle, confuse et imparfaite, avait besoin d'�tre d�velopp�e par l'instruction.

II.

Pourquoi Platon a-t-il appel� le souverain Dieu P�re et Cr�ateur de toutes choses ?

Entend-il qu'il est, suivant l'expression d'Hom�re, le


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p�re des dieux engendr�s (06) [1000f] et des hommes, et le cr�ateur des �tres inanim�s et priv�s de raison? car, selon Chrysippe, on n'appelle pas proprement le p�re d'un champ celui qui l'a ensemenc�, quoique les fruits naissent de la semence. Ou Platon, suivant son usage, a-t-il, par figure, appel� P�re du monde celui qui en est la cause efficiente, comme dans son Banquet il nomme Ph�dre le p�re des propos amoureux parce que c'�tait lui qui les avait mis le premier en avant, et que, [1001a] dans le dialogue qui porte le nom de Ph�dre, il appelle Lysias le p�re des discours philosophiques parce qu'il avait donn� occasion � plusieurs excellents entretiens qui furent tenus sur des mati�res de philosophie? Ou bien y a-t-il une diff�rence r�elle entre p�re et cr�ateur, entre g�n�ration et cr�ation ? Car tout ce qui a �t� engendr� a �t� fait; mais, au contraire, tout ce qui a �t� t'ait n'a pas �t� engendr�. Ainsi celui qui a �t� engendr� a aussi fait. La g�n�ration d'un �tre anim� est un acte par lequel il est fait. L'ouvrage d'un architecte, d'un tisserand, d'un facteur d'instruments, d'un statuaire, et en g�n�ral de tout artiste, est distinct et s�par� de celui qui l'a produit. Mais le principe, la facult� qui engendre, est comme infuse dans l'�tre engendr� ; il participe � sa nature, parce qu'il est une portion [1001b] ] de la substance de celui qui l'a engendr�. Puis donc que le monde n'est pas un assemblage de plusieurs pi�ces travaill�es s�par�ment et ensuite rapport�es les unes avec les autres, mais qu'il contient une portion consid�rable de vie, et m�me de divinit�, que Dieu a m�l�e et comme infus�e de sa propre substance dans la mati�re, c'est avec raison qu'il est appel� le p�re et le cr�ateur du monde, qui est un �tre anim�. Cette explication �tant parfaitement conforme �


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l'opinion de Platon, voyons si on ne pourrait pas dire avec beaucoup de vraisemblance que le monde �tant compos� de deux substances, d'�me et de corps, [1001c] Dieu n'a pas engendr� celui-ci, mais la mati�re s'�tant offerte � lui toute produite, il l'a form�e, il l'a dispos�e, et a donn� � son �tendue ind�finie les bornes et les figures qui lui convenaient le mieux. L'�me, qui est dou�e d'intelligence, de raisonnement, d'ordre et d'harmonie, n'est pas seulement l'ouvrage de Dieu, mais une partie de son �tre ; elle n'a pas �t� seulement faite par lui, mais de lui et de sa propre substance.

Ainsi Platon, dans sa R�publique, apr�s avoir divis� l'univers comme une ligne qu'on couperait en deux parlies in�gales, divise encore chaque partie en deux autres dans la m�me proportion. Il suppose deux genres d'�tres qui comprennent, l'un les choses sensibles, l'autre les substances purement intelligibles. Entre celles-ci, il met au premier rang les premi�res formes ou id�es, et au second les notions math�matiques. Dans le genre des choses sensibles, il place d'abord les corps solides, et en second lieu leurs images et leurs figures. Il assigne � chacun [1001d] de ces quatre genres une facult� propre qui en est le juge : aux id�es, l'entendement ; aux notions math�matiques, la pens�e; aux corps solides, la certitude; aux images et aux figures des corps, la conjecture. Dans quelle vue a-t-il donc divis� l'univers en deux sections in�gales? et de ces deux sections, quelle est la plus grande? est-ce celle des substances intelligibles ou celle des �tres sensibles? car il ne s'est pas expliqu� sur cela.

Il semble d'abord que la classe des �tres sensibles doive �tre la plus grande, parce que la substance individue des substances intelligibles, qui est toujours semblable � elle-m�me, est resserr�e dans un espace �troit et ne souffre pas de m�lange ; mais la substance qui est diss�min�e, et, pour ainsi dire, errante sur les corps, a produit le genre des �tres 


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sensibles. D'ailleurs la substance incorporelle a ses limites naturelles; le corps, qui est infini et ind�termin�, � raison de sa mati�re, devient [1001e] sensible lorsqu'il est born� par la participation de la substance intelligible. De plus, comme chacune des choses sensibles a plusieurs images, plusieurs figures et plusieurs ombres, qu'en g�n�ral la nature et l'art peuvent tirer d'un seul mod�le un tr�s grand nombre de copies, il suit de l� n�cessairement que les choses sensibles qui sont ici-bas doivent �tre, suivant Platon, beaucoup plus nombreuses que les substances intelligibles qui sont au-dessus de nous, puisque ces substances intelligibles sont les id�es, les exemplaires des choses sensibles, et que celles-ci sont les images et les copies des premi�res.

J'ajoute que Platon assigne au genre des notions math�matiques l'intelligence des id�es que l'on con�oit, abstraction faite des corps ; que de la science des nombres il applique ces id�es � la g�om�trie, de cette derni�re science � l'astronomie, [1001f] et enfin � l'harmonie. Car les id�es deviennent g�om�triques quand au nombre se joint la grandeur ; les corps acqui�rent de la solidit� par l'accession de la profondeur � la grandeur ; ils sont astronomiques quand le mouvement s'unit � la solidit� ; enfin ils sont harmoniques lorsque la voix suit le mouvement. Si donc nous faisons abstraction de la voix dans les corps en mouvement, du mouvement dans les corps solides, de la profondeur dans les surfaces et de la grandeur dans les quantit�s, [1002a] nous voil� revenus aux id�es intelligibles qui n'ont aucune diff�rence entre elles, consid�r�es dans l'unit� et la monade. Car l'unit� ne produit pas de nombre, � moins qu'elle ne soit jointe � la dyade, qui est infinie de sa nature. C'est alors que produisant le nombre, elle va d'abord aux points, ensuite aux lignes, puis aux surfaces, aux profondeurs, aux corps et aux qualit�s que ceux-ci prennent dans leurs affections.


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Les choses intelligibles n'ont qu'un juge, qui est l'entendement ; car la pens�e est l'intelligence appliqu�e aux math�matiques, dans lesquelles les choses intelligentes sont repr�sent�es comme dans des miroirs. Mais parce que les corps sont tr�s nombreux, la nature nous a donn� pour les conna�tre et les juger cinq organes diff�rents ; encore ne pouvons-nous pas les saisir tous, [1002b] parce qu'un tr�s grand nombre, par leur petitesse, �chappent � nos sens. Ainsi chacun de nous �tant compos� d'�me et de corps, la facult� intellectuelle qui domine en nous occupe peu d'espace et est comme enfonc�e dans une vaste masse de chair. La proportion doit �tre la m�me dans l'univers, entre les �tres intelligibles et les choses sensibles ; car les �tres intelligibles sont le principe des substances corporelles, et chaque �tre est toujours plus grand que le principe qui l'a produit.

Mais peut-�tre dira-t-on qu'en comparant les choses sensibles avec les substances intelligibles, nous �galons en quelque sorte les choses mortelles aux divines ; car Dieu est au nombre des substances intelligibles. D'ailleurs, en toutes choses, le contenu est moindre que le contenant. Or, la nature de l'univers enferme le sensible [1002c] dans l'intelligible ; car Dieu ayant plac� l'�me au centre du monde, l'a distribu�e dans toute son �tendue, de mani�re qu'elle enveloppe au dehors tout l'univers (07). L'�me est invisible et inaccessible � tous les sens, comme Platon le dit dans ses livres des Lois. Ainsi chacun de nous est p�rissable, mais l'univers ne p�rira jamais : c'est que dans chacun de nous le principe de la vie est contenu dans une substance mortelle et corruptible. Dans l'univers, au contraire, la partie principale, qui reste toujours la m�me, conserve la substance corporelle qu'elle contient au milieu d'elle. Dans la nature corporelle, on appelle indivisibles


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dt sans parties les corps les plus petits ; les �tres [1002d] incorporels et intelligibles sont tels par la simplicit� de leur substance, par leur puret�, leur sinc�rit�, par leur exemption de toute solidit� et de toute diversit�.

D'ailleurs il est absurde de vouloir juger des �tres incorporels par les substances corporelles. Le moment actuel s'appelle indivisible et sans parties ; cependant il est en m�me temps partout, et nulle partie de l'univers n'en est priv�e. Bien plus, toutes les affections, toutes les actions, toutes les g�n�rations et les corruptions qui arrivent dans le monde sont contenues dans ce moment actuel. L'entendement est le seul juge des choses intelligibles, � cause de sa simplicit� et de son �galit�, comme la vue est le seul juge de la lumi�re. Mais les corps, � raison du grand nombre de leurs diff�rences et de leurs in�galit�s, ont, pour �tre connus, des juges diff�rents qui nous les font discerner : ce sont nos organes. [1002e] C'est donc injustement qu'on d�prise la facult� spirituelle et intelligente qui est en nous, car elle est pleine de grandeur, elle a une multitude de rapports, elle surpasse tout ce qui est sensible et s'�l�ve jusqu'aux substances divines. Ce qui est encore plus important, c'est ce que Platon dit dans son Banquet, o� il enseigne que pour bien user de la facult� d'aimer, il faut retirer son �me de l'affection des beaut�s corporelles et s'attacher aux beaut�s intellectuelles. Par l�, il nous exhorte � ne pas nous asservir � la beaut� d'aucun corps, d'aucune �tude ou d'aucune science, mais � nous s�parer de ces objets si petits en soi, pour nous porter vers le vaste oc�an de la beaut� divine (08).

III.

Pourquoi Platon, qui assure toujours que l'�me est


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plus ancienne [1002f] que le corps, qu'elle est son principe et la cause de sa g�n�ration (09), dit-il cependant que l'�me n'e�t pas exist� sans le corps, ni l'entendement sans l'�me, mais que l'�me est dans le corps et l'entendement dans l'�me (10) ?

Il semblerait d'apr�s cela que le corps serait tout � la fois et ne serait pas, puisqu'il existerait avec l'�me et qu'il serait produit par l'�me. Est-il vrai, comme nous l'avons souvent dit, que l'�me, encore s�par�e de l'entendement, et le corps priv� de toute forme, ont toujours exist� ensemble, et que l'un et l'autre n'ont eu ni g�n�ration ni principe? Mais quand l'�me eut re�u l'intelligence et l'harmonie, et que cet accord eut produit en elle la sagesse, alors elle fut cause du changement qu'�prouva la mati�re, dont les mouvements furent forc�s d'ob�ir � ceux de l'�me, qui, se soumettant la mati�re, l'attira et la changea en elle. Ce fut ainsi que le corps du monde re�ut .sa g�n�ration de l'�me, qui lui donna la forme, la figure et la ressemblance avec elle-m�me. Car l'�me ne tira point le corps de sa propre substance, et elle ne le cr�a pas non plus de rien ; mais, d'une mati�re sans ordre et sans figure, elle forma un corps [1003b] bien ordonn� et docile � ses mouvements. Celui qui dirait que la facult� des germes productifs est toujours avec le corps, et que cependant le corps du figuier, par exemple, ou de l'olivier, a �t� produit par ces germes, ne dirait rien d'absurde. En effet, le corps ayant re�u de la semence le mouvement et le changement qui s'est fait en lui, a germ� et s'est d�velopp� tel qu'il existe. De m�me la mati�re qui �tait ind�termin�e et sans forme ayant �t� fa�onn�e par l'arme qui r�sidait en elle, a re�u la forme et la disposition qu'elle a maintenant (11).


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IV.

Pourquoi, entre les diff�rents corps compos�s les uns de lignes droites et les autres de lignes circulaires, assigne-t-il pour principes des corps compos�s de lignes droites le triangle isoc�le et  [1003c] le triangle scal�ne, dont le premier a form� le cube, qui est l'�l�ment de la terre, et le second la pyramide, l'octa�dre et l'icosa�dre, dont l'une est le principe du feu, l'autre de l'air, et le troisi�me de l'eau? Pourquoi omet-il absolument les corps circulaires, quoiqu'il ait fait mention du sph�ro�de et qu'il ait dit que chacune des figures ci-dessus nomm�es peut diviser une circonf�rence en parties �gales ?

Est-ce, comme quelques uns l'imaginent, parce qu'il assigne au sph�ro�de le dod�ca�dre, lorsqu'il dit que Dieu employa cette figure pour la formation de l'univers? Car la multitude des �l�ments [1003d] du dod�ca�dre et la grande ouverture de ses angles font que, s'�loignant beaucoup de la ligne droite, il se courbe facilement, et son p�rim�tre, comme dans les sph�res compos�es de douze pi�ces r�unies, approche davantage de la forme circulaire et contient un tr�s grand espace. Il y a vingt angles solides, dont chacun est renferm� dans trois angles plans et obtus qui contiennent chacun un angle droit et la cinqui�me partie de cet angle. D'ailleurs le dod�ca�dre est form� de douze pentagones, dont les c�t�s et les angles sont �gaux, et compos�s chacun des trente premiers triangles scal�nes. Il semble donc �tre une image du zodiaque et


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de l'ann�e, puisque ses divisions sont �gales � l'un et � l'autre.

Est-ce que la figure droite pr�c�de naturellement la figure circulaire (12), ou plut�t cette derni�re est-elle une modification de l'autre? [1003e] Car en courbant la ligne droite, on d�crit un cercle de l'intervalle du centre � la circonf�rence, intervalle qui n'est que la ligue droite par laquelle le cercle est mesur�; car la circonf�rence est, dans tous les points, �galement �loign�e du centre. Le c�ne et le cylindre sont le produit de lignes droites : le premier a pour �l�ment un triangle dont un des c�t�s demeure immobile, et l'autre est men� circulairement autour de sa base. Le cylindre est form� par un mouvement semblable fait sur un parall�logramme. De plus, ce qui a moins de longueur est plus pr�s de son principe. Or, la ligne droite est la moins longue de toutes; mais, dans une circonf�rence, la partie int�rieure est concave et la partie ext�rieure convexe. Outre cela, les nombres sont ant�rieurs aux figures. Ainsi l'unit� est avant le point, qui n'est proprement que l'unit� pos�e (13). Or, l'unit� est un triangle ; car, si � tout nombre triangulaire pris huit fois on ajoute l'unit�, il devient un carr�, ce qui arrive aussi � l'unit�. Ainsi le triangle est avant le cercle, et par cons�quent la ligne droite est ant�rieure � la circonf�rence. D'ailleurs, l'�l�ment ne se divise point dans les corps qui en sont compos�s, au lieu que les autres substances se r�solvent en leurs �l�ments. [1004a] Si donc le triangle ne se r�sout jamais en une figure circulaire, tan-


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dis que deux diam�tres divisent le cercle en quatre triangles, il s'ensuit que la figure rectiligne est ant�rieure � la circonf�rence, et a, plus que celle-ci, la nature de l'�l�ment. Ainsi la ligne droite est naturellement la premi�re, et la ligne circulaire n'en est que l'accessoire et pour ainsi dire la modification, comme Platon lui-m�me l'a prouv� en disant que la terre est compos�e de cubes dont chacun est born� par des surfaces rectilignes, ce qui nous donne � entendre qu'elle, est de forme ronde et sph�rique. Il n'a donc pas fallu assigner aux corps sph�riques un �l�ment particulier, puisque les figures rectilignes, unies et dispos�es d'une mani�re convenable, peuvent constituer [1004b] les corps de cette forme. J'ajoute que la ligne droite, qu'elle soit plus ou moins grande, conserve toujours la m�me rectitude ; mais les circonf�rences des cercles ont plus de courbure et d'�tranglement quand elles sont plus petites; et plus elles sont grandes, plus elles ont d'ouverture et d'�tendue. Ainsi les circonf�rences des plus petits cercles, pos�es sur des surfaces planes, ne les touchent que par un point, et celles des plus grands cercles par une ligne, d'o� l'on peut conjecturer que la circonf�rence d'un cercle est compos�e de plusieurs petites lignes droites plac�es � la suite l'une de l'autre. Peut-�tre m�me n'y a-t-il ici-bas de cercle ni de sph�re parfaits ; mais la situation des lignes droites, leur courbure ou la petitesse de leurs parties nous cachent cette [1004c] diff�rence et nous font para�tre rondes des figures qui ne le sont r�ellement pas. Aussi aucun des corps terrestres ne d�crit-il naturellement un mouvement circulaire ; ils suivent tous une ligne droite. La figure parfaitement ronde n'est pas une propri�t� des corps sensibles ; elle est l'�l�ment de l'�me et de l'entendement, auxquels Platon attribue le mouvement circulaire, comme propre � leur nature.


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V.

Pourquoi Platon dit-il, dans son Ph�dre, que la nature de l'aile qui �l�ve dans les airs les corps graves, est, de toutes les parties qui dirigent le corps, celle qui participe le plus � la Divinit� (14) ?

Est-ce parce qu'en cet endroit il parle de l'amour qui s'attache ordinairement � la beaut� corporelle ; et que la beaut�, par la ressemblance qu'elle a [1004d] avec les substances divines, �meut l'�me, et en excite en elle le souvenir? Ou plut�t, sans y chercher un sens d�tourn�, faut-il entendre tout simplement qu'entre les diverses facult�s de l'�me qui ont leur si�ge dans le corps, la facult� de la raison et de l'intelligence est celle^qui participe le plus � la Divinit�, et qui peut s'appliquer davantage aux choses divines et c�lestes? C'est donc par une expression assez propre qu'il lui a donn� le nom d'aile, parce qu'elle �l�ve l'�me des choses basses et mortelles � la contemplation des objets les plus sublimes.

VI.

Pourquoi Platon dit-il que l'action et le mouvement de l'air environnant (car il n'admet point de vide dans la nature), est la cause des effets produits dans les ventouses, dans la d�glutition, dans la descente des corps  [1004e] graves, dans le mouvement des liquides, dans la chute de la foudre, dans l'attraction de l'ambre et de l'aimant, et dans les accords des sons (15)?


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Il para�t absurde d'attribuer � une seule et m�me cause tant d'effets diff�rents. Il a bien prouv� que la respiration se fait par cette action de l'air environnant; mais pour les autres effets qui semblent, dit-il, des prodiges de la nature, et qui au fond ne sont rien, puisque ce n'est autre chose que des corps qui se poussent les uns les autres et reviennent occuper leurs places respectives, il nous a laiss� � examiner, comment ils s'op�rent.

Commen�ons par expliquer l'effet de la ventouse. L'air qui s'y trouve renferm� et qui touche imm�diatement la peau, �tant tr�s �chauff� par la chaleur [1004f] du corps, et devenu plus rare que les pores du cuivre de la ventouse, s'�chappe, non dans un espace vide, puisqu'il n'en existe point de tel, mais dans l'air ext�rieur qui environne la ventouse, et il le presse. Celui-ci pousse � son tour l'air qu'il trouve devant lui. Ainsi, de proche en proche, l'air �tant press� et c�dant tour � tour � cette pression, le premier vient occuper la place que l'autre a laiss�e vide, [1005a] jusqu'� ce que retombant sur la peau que la ventouse a saisie, et y entrant en fermentation, il attire l'humeur dans la ventouse.

La d�glutition se fait de la m�me mani�re. Les cavit�s de la bouche et de l'estomac sont toujours pleines d'air. Lors donc que les aliments sont pouss�s dans ces cavit�s par la langue et par les amygdales qui s'�tendent, l'air comprim� dans le palais pousse celui qui le touche, et qui, c�dant � son action, entra�ne avec lui les aliments.

Les corps graves que l'on jette, en frappant l'air, le fendent et le divisent. L'air, dont la propri�t� est de gagner toujours l'espace qui est abandonn� autour de lui et de le remplir, reflue par-derri�re, suit le corps qui descend, et en acc�l�re le mouvement.

[1005b] La chute de la foudre est semblable � la projection des corps graves. La mati�re ign�e, violemment press�e par la nue, s'�lance


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dans l'air, qui, �tant bris� avec effort, c�de � cette impulsion, et se rapprochant ensuite au-dessus de la foudre, la pousse violemment, et la force de descendre contre sa nature (16).

Quant � l'ambre, il n'attire, non plus que l'aimant ; aucun des corps qu'on lui pr�sente, ni ceux qui sont dans leur voisinage, ne s'�lancent sur eux spontan�ment; mais la pierre d'aimant jette hors d'elle des �manations flatueuses et fortes, par lesquelles l'air contigu �tant press�, pousse l'air qui est devant lui : celui-ci, agit� circulairement, et revenant toujours occuper la place qu'il trouve vide, [1005c] pousse fortement le fer et l'entra�ne avec lui. L'ambre contient une mati�re ign�e et flatueuse qui s'exhale, quand on le frotte � la surface, parce que ses pores sont plus ouverts parce frottement, et ces exhalaisons, en se r�pandant au dehors, font le m�me effet que la pierre d'aimant ; elles attirent les plus l�gers et les plus secs des corps qui se trouvent aupr�s de l'ambre, et qui, faibles et minces, c�dent facilement � son action; car il n'a ni assez de force, ni assez de poids et d'imp�tuosit� pour pousser une grande quantit� d'air, avec laquelle il puisse, comme l'aimant, agir sur de plus grands corps et les entra�ner.

Mais pourquoi l'air ne pousse-t-il ni la pierre ni le bois, et qu'il n'am�ne � l'aimant que le fer seul? Cette objection est commune, et � ceux qui croient que la r�union de ces deux corps a pour cause l'attraction de la pierre, et � ceux qui l'attribuent au mouvement naturel du fer. [1005d] Ce m�tal n'est pas d'une contexture rare comme le bois ; il n'est pas non plus aussi compacte que l'or et la pierre ; mais il a des pores, des ouvertures et des asp�rit�s, qui, par leurs in�galit�s, sont propres � donner entr�e � l'air ; de mani�re qu'au lieu de glisser sur la surface du fer, il


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est retenu dans les vides du fer, qui ne lui oppose qu'une r�sistance m�diocre : et ainsi en retournant vers la pierre d'aimant, il pousse et entra�ne le fer avec lui. Voil� les causes de ce double ph�nom�ne (17).

Par rapport au mouvement des liquides le long des terres, il n'est pas aussi facile d'expliquer comment l'action de l'air ambiant le leur imprime. Mais il faut savoir que les eaux des lacs sont stagnantes et sans mouvement, parce que l'air qui les environne et les presse de tous c�t�s [1005e] est immobile, et ne laisse aucun espace vide. Ainsi, l'eau qui occupe la surface des lacs et des mers, se soul�ve et tourbillonne quand l'air est agit�, parce qu'elle suit son mouvement, et qu'� cause de ses in�galit�s elle coule avec lui. Quand l'air frappe l'eau par-dessus, la vague se creuse : lorsque c'est en dessous, elle s'enfle jusqu'� ce que l'air soit redevenu calme, et que l'espace qui renferme l'eau, soit tranquille. Ainsi, les eaux suivant toujours le mouvement de l'air qui leur c�de, et pouss�es par les eaux qui surviennent, s'�coulent continuellement et ne s'arr�tent jamais. Voil� pourquoi [1005f] les fleuves grossis par des eaux abondantes ont un cours plus rapide ; mais quand leur lit est bas, ils coulent plus lentement, parce que �tant plus faibles, l'air c�de moins � leur impulsion, et que son mouvement n'acc�l�re pas leur cours. Il faut n�cessairement aussi que les eaux de source jaillissent � la surface de la terre, parce que l'air ext�rieur p�n�trant dans les espaces vides qui sont dans son sein, en chasse l'eau au dehors. [1006a] Si dans une maison ombrag�e et o� l'air soit parfaitement tranquille, on arrose le plancher, il en r�sulte un courant d'air, parce qu'il est chass� de sa place par la chute de l'eau qui le frappe. Car il est de la nature de ces deux substances de se presser mutuellement et de c�der 


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l'une � l'autre, d'autant qu'il n'y a point de vide dans lequel l'une se trouvant plac�e, ne se ressente pas du changement que l'autre �prouve (18). Quant � l'harmonie, Platon lui-m�me a expliqu� comment se font les accords des sons. Un son rapide est aigu, et un son lent est grave. Voil� pourquoi les sons aigus affectent les premiers l'oreille. Lorsqu'ils commencent � s'affaiblir et � se perdre, [1006b] si les sons graves viennent � s'y m�ler, l'union des uns et des autres, et l'accord qui en r�sulte, causent un plaisir agr�able qu'on appelle harmonie. Ce que nous avons dit pr�c�demment prouve que I'air est l'instrument elle canal de cette sensation; car la voix est l'impression que l'organe de l'ou�e re�oit de l'air, qui, frapp� et mis en mouvement par un corps quelconque, frappe � son tour le tympan de l'oreille. Si le coup qu'il donne est fort, le son est aigu ; si le mouvement est faible, le son est plus doux. L'air frapp� avec force et avec roideur arrive le premier � l'oreille, et pendant qu'il revient sur lui-m�me, il rencontre l'air dont l'action est plus lente, et qui lui communique son impression, qu'il porte avec lui jusqu'� notre organe.

VII.

Pourquoi Platon dit-il, dans son Tim�e, que les �mes ont �t� form�es sur la terre, sur la lune et les autres instruments du temps?

[1006c] Croyait-il que la terre avait le m�me mouvement que le soleil, la lune et les cinq autres plan�tes qu'il appelle les instruments du temps, � cause de leurs r�volutions, et pensait-il qu'il ne faut pas se figurer que la terre soit immobile, et comme attach�e sur l'axe du monde, mais qu'elle fait une r�volution enti�re autour de cet axe,


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comme Aristarque et S�leucus l'ont depuis montr� (19). Il est vrai que le premier de ces philosophes l'a seulement suppos�, et que l'autre l'a affirm� d'une mani�re positive. Au reste, Th�ophraste raconte que Platon, dans sa vieillesse, se repentit d'avoir plac� la terre au centre du monde, place qui ne lui convenait pas. [1006d] Ou comme ce sentiment est contraire � plusieurs opinions ouvertement soutenues par Platon, faut-il, par un l�ger changement dans le texte, substituer le datif au g�nitif; lire au temps, au lieu du temps, et entendre par les instruments du temps, non les astres eux-m�mes, mais les corps des animaux ; ainsi Aristote a d�fini l'�me, l'acte d'un corps naturel organis�, et qui a la vie en puissance ? Alors le sens du passage de Platon serait, que les �mes ont �t� sem�es en un espace de temps, dans des corps organis�s d'une mani�re convenable. Mais cette interpr�tation est encore contraire � son opinion; car il a dit, et en plus d'un endroit, que les astres sont les instruments du temps, et que le soleil lui-m�me [1006e] a �t� fait avec les autres plan�tes pour distinguer et conserver les intervalles du temps.

Il est donc plus conforme au sentiment de Platon, d'entendre que la terre est l'instrument du temps, non qu'elle soit en mouvement, comme les astres, mais parce que �tant fix�e � la m�me place, elle marque le lever, le coucher des astres qui font leur r�volution autour d'elle; et c'est par leur lever et leur coucher que sont d�termin�es les premi�res mesures du temps, c'est-�-dire le jour et la nuit ; voil� pourquoi il appelle la terre la gardienne et l'auteur v�ritable de la nuit et du jour. Ainsi les styles des cadrans solaires qui, toujours immobiles, ne suivent pas la progression de l'ombre, sont n�anmoins les instruments et les mesures du temps ; ils repr�sentent la terre, dont l'ombre


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nous d�robe la lumi�re du soleil, qui se meut autour d'elle, comme le dit Emp�docle :

La terre en s'opposant � l'astre qui nous luit
Couvre notre horizon des ombres de la nuit.

[1006f] Voil� comme on peut expliquer ce passage de Platon.

Peut-�tre aussi qu'il para�tra ridicule et absurde de dire que le soleil, la lune et les plan�tes aient �t� faits pour distinguer les temps. Car le soleil est l'astre le plus grand en dignit�, et Platon lui-m�me, dans sa R�publique, l'appelle le seigneur et le roi de l'univers sensible, [1007a] comme le bien essentiel l'est du monde intelligible. Le soleil est sa production, il fait exister et para�tre les choses visibles, comme le souverain bien fait exister et conna�tre les substances intelligibles. Or, il ne para�t ni raisonnable ni d�cent de pr�tendre qu'un dieu qui a une telle nature et une si grande puissance, soit un instrument du temps et qu'il mesure sensiblement la diff�rence de lenteur et de vitesse qu'ont entre elles les huit sph�res c�lestes. Ceux donc que troublent ces consid�rations croient par erreur que le temps, suivant la d�finition qu'en donne Aristote, est la mesure du mouvement et qu'il est le nombre � raison de l'ant�riorit� et de la post�riorit�, ou qu'il est la quantit� dans le mouvement, comme l'a d�fini Speusippe, [1007b] ou l'intervalle du mouvement et rien autre chose, comme le disent les sto�ciens, qui le d�finissent par un de ses accidents, sans consid�rer ni son essence ni sa facult�, que Pindare semble avoir assez bien comprises lorsqu'il dit :

Le temps surpasse seul tous les �tres c�lestes.

Pythagore, interrog� sur la nature du temps, dit qu'il �tait l'�me du ciel (20) ; car le temps n'est ni une affection


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ni un accident d'un mouvement quelconque, mais la cause, la puissance et le principe de la proportion et de l'ordre qui conservent tous les �tres cr��s, qui font mouvoir la nature anim�e de l'univers, ou plut�t [1007c] cette proportion et cet ordre m�me en mouvement s'appellent le temps,

Qui sans bruit s'avan�ant dans sa marche paisible,
R�gle avec �quit� tout ce monde visible.

Car la substance de l'�me, suivant les anciens, est un nombre qui se meut lui-m�me.

C'est pourquoi Platon a dit que le temps avait �t� produit avec le ciel, mais que le mouvement avait pr�c�d� la naissance du ciel lorsque le temps n'existait pas encore, qu'il n'y avait ni ordre, ni mesure, ni distinction, mais seulement un mouvement d�termin�, qui �tait comme la mati�re du temps priv�e encore de forme et de figure. Quand enfin la nature eut form� la mati�re, en lui donnant la couleur et la figure, et qu'elle eut assign� au mouvement ses r�volutions, elle fit de l'une le monde et de l'autre le temps, qui sont tous deux les images de Dieu, [1007d] le premier celle de sa substance, et l'autre, par son mouvement, l'est de son �ternit�, comme dans la g�n�ration le monde est un dieu cr��. Ce philosophe croit donc que le monde et le temps ont commenc� et finiront ensemble, si toutefois ils doivent jamais p�rir. Il est impossible que ce qui a �t� produit existe s�par�ment du temps, comme ce qui est intelligible ne peut exister sans l'�ternit�, s'il doit toujours durer, et que ce qui a �t� engendr� ne doive jamais se dissoudre. Le temps donc ayant une connexion et une affinit� n�cessaires avec le ciel, il n'est pas


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simplement un mouvement, mais, comme je l'ai d�j� dit, un mouvement accompagn� d'ordre qui a sa mesure, ses termes et ses r�volutions, dont le soleil est comme l'inspecteur et [1007e] le surveillant; il les d�termine, les dirige, rend sensibles les changements qu'ils �prouvent, et distingue les saisons de l'ann�e, qui, suivant H�raclite, produisent toutes choses. Ainsi cet astre est le coop�rateur du premier et du ma�tre de tous les dieux, non dans les choses ordinaires et communes, mais dans les op�rations les plus grandes et les plus importantes.

VIII.

Platon, dans sa R�publique, en discourant sur les facult�s de l'�me, ayant tr�s bien compar� l'accord de ces trois facult�s, la raisonnable, l'irascible et la concupiscible, � la connaissance de l'octave, dont l'intervalle est rempli par la m�se, l'hypate et la n�te, on peut demander s'il a plac� au milieu la facult� raisonnable ou l'irascible, car il ne s'est pas bien expliqu� l�-dessus (21). 

 L'ordre dans lequel ces facult�s [1007f] sont plac�es semble exiger que la partie irascible soit dans le lieu le plus �lev�,-d�sign� par l'hypate, nom que les anciens donnaient � tout ce qui �tait le premier et au-dessus de tout. Aussi X�nocrate appelle-t-il Jupiter Hypate celui qui r�side parmi les substances dont la nature est toujours la m�me, et Jupiter N�ate celui qui pr�side aux �tres sublunaires (22). Avant lui Hom�re avait nomm� le dieu supr�me


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l'hypate des rois. [1008a] C'est avec sagesse que la nature a donn� la place la plus �lev�e � la facult� la plus parfaite, et qu'elle a mis le si�ge de la raison dans la t�te pour y �tre comme le guide et le conducteur de l'homme ; qu'au contraire elle a rel�gu� au loin dans le lieu le plus bas la facult� concupiscible. Les lieux inf�rieurs s'appellent n�ates, comme le prouvent les d�nominations qu'on donne aux morts. Quelques uns m�me veulent que le vent qui souffle des lieux bas et obscurs de la terre soit, pour cette raison, appel� Notus. Puis donc que la partie raisonnable de l'�me est autant oppos�e � la partie concupiscible que le premier l'est au dernier et le plus haut au plus bas, il n'est pas possible que la raison, qui est la premi�re et la plus �lev�e de nos facult�s, soit autre chose que l'hypate. Car ceux [1008b] qui lui attribuent la m�se (ou le milieu), comme � la facult� principale, ne voient pas qu'ils �tent � l'hypate le droit d'occuper la place la plus distingu�e, laquelle ne saurait convenir ni � la col�re ni � la cupidit� ; car ces deux facult�s sont faites pour ob�ir � la raison et pour la suivre, non pour la commander ou pour la pr�c�der. D'ailleurs la place la plus naturelle de la col�re est au milieu des deux autres, puisque la raison ne doit que commander, et que le partage de la col�re est tout � la fois d'ob�ir � la raison et de commander � la cupidit�, de la ch�tier m�me lorsqu'elle se r�volte contre la raison. Comme dans la grammaire les semi-voyelles tiennent le milieu entre les consonnes [1008c] et les voyelles, parce qu'elles rendent plus de son que les premi�res et moins que les secondes, de m�me dans l'�me humaine la facult� irascible n'est pas uniquement livr�e � la passion, mais elle a souvent la perception du bien, qui se joint en elle au d�sir de r�primer et de punir la cupidit�. Platon lui-m�me, en comparant l'�me � un attelage de


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deux chevaux et au cocher qui les guide, d�signe �videmment par le cocher la facult� raisonnable. Entre les deux chevaux, celui qui repr�sente la cupidit�, naturellement indocile et rev�che, a les oreilles velues, il est sourd � la voix du cocher et n'ob�it qu'avec peine au fouet et � l'aiguillon. Celui qui est l'image de la col�re ob�it le plus souvent � la raison, et quelquefois m�me il la seconde (23). Comme dans cet attelage ce n'est pas [1008d] le cocher qui tient le milieu en vertu et en puissance, mais l'un des chevaux, qui vaut moins que le conducteur et qui est meilleur que son compagnon, de m�me dans l'�me, Platon n'a pas assign� la place du milieu � la facult� principale, mais � celle qui est plus sujette aux passions que la premi�re, et qui est plus raisonnable que la troisi�me. Cet ordre conserve la proportion de la consonnance que la partie irascible a avec la partie raisonnable, qui est l'accord de l'hypate au diatessaron (ou la quarte), et avec la partie concupiscible, qui est l'accord de la n�te au diapente (ou la quinte). Mais la proportion de la facult� raisonnable � la concupiscible est de l'hypate � la n�te, c'est-�-dire le diapason (ou l'octave.) Mais si on place la raison au milieu, [1008e] la col�re sera trop �loign�e de la cupidit� ; et cependant quelques philosophes, fond�s sur une sorte de ressemblance, ont cru que ces deux facult�s �taient une seule et m�me chose (24). Combien n'est-il pas ridicule de vouloir attribuer aux places m�mes le premier rang, le milieu et le dernier, lorsque nous voyons que dans la lyre l'hypate occupe la premi�re et la plus haute place, et que dans la fl�te, elle est � la plus basse et � la derni�re? D'ailleurs en quelque endroit de la lyre que la m�se soit plac�e, elle rend toujours un m�me son qui est plus aigu que l'hypate et plus grave que la n�te.


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Les yeux ne sont pas situ�s de m�me dans tous les animaux, mais, en quelque lieu qu'ils soient plac�s, ils sont l'organe naturel de la vue.

Un p�dagogue, [1008f] soit qu'il marche devant ou derri�re son enfant, le conduit toujours; et ce chef des Troyens,

Qui tant�t conduisait les premiers combattants,
Et tant�t se pla�ait parmi les derniers rangs,

dans l'un et l'autre cas, �tait toujours le premier et avait la principale puissance. De m�me il ne faut pas fixer le rang des facult�s de l'�me par la place qu'elles occupent ni par les noms qu'elles portent, mais par leur puissance et par la proportion qu'elles ont entre elles. [1009a] En effet, que la raison occupe dans le corps humain la premi�re place, c'est une chose accidentelle ; mais elle a la premi�re et la principale puissance, et elle est � l'�gard de la partie concupiscible dans le, rapport de la m�se � l'hypate, et avec la partie irascible dans la proportion de la n�te. Elle tend et rel�che tour � tour leurs ressorts, elle �tablit entre elles l'accord et l'harmonie, en retranchant l'exc�s de l'un et de l'autre, et en emp�chant aussi qu'elles ne s'appesantissent et ne tombent dans l'engourdissement ; car c'est dans un juste milieu que consistent la mod�ration et la sym�trie. Ou plut�t c'est une imperfection que de mettre dans les passions ces milieux de la facult� raisonnable qui sont appel�s les substances sacr�es [1009b] qui lient les extr�mes avec la raison, et sont li�es entre elles par le moyen m�me de la raison ; car dans l'attelage de Platon, le meilleur des deux chevaux n'est pas plac� au milieu, et le cocher ne conduit pas le char de la place la plus �lev�e ; mais le milieu est plut�t dans l'in�galit� de la vitesse et de la lenteur des deux chevaux. De m�me la force de la raison, quand elle r�siste aux passions qui se laissent emporter � des mouvements immod�r�s et qu'elle les range, pour ainsi dire, autour d'elle-m�me dans une juste propor-


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tion, y �tablit entre elles cette mod�ration qui tient le milieu entre le d�faut et l'exc�s.

IX.

Pourquoi Platon a-t-il dit que le discours est compos� de noms et de verbes (25)?

Il semble par l� compter pour rien toutes les autres parties du discours qu'Hom�re, par une recherche assez pu�rile, renferma dans un seul vers (26), o� l'on trouve un pronom, un participe, un nom, un verbe, une pr�position, un article, une conjonction et un adverbe. Car la particule δὲ est l� pour la pr�position εἰς; (dans) ; en sorte que ce mot κλισίηνδε (dans la tente) est dit dans le m�me sens qu'ἀθήναζε (� Ath�nes).

Que dirons-nous donc pour la d�fense de Platon? Est-ce que les anciens appelaient discours ce qu'on a depuis nomm� �nonc� d'une proposition, ou axiome, lequel, sit�t qu'il est prof�r�, exprime toujours le vrai ou le faux ? Il est compos� d'un nom et d'un verbe, dont le premier est appel� par les dialecticiens, le sujet, et l'autre, l'attribut. Lorsqu'on nous dit : Socrate enseigne, ou bien : Socrate se tourne, nous disons tout de suite, sans avoir besoin d'autre chose, que l'un est vrai, et que l'autre est faux. Il est vraisemblable que les hommes, d�s l'origine, eurent besoin de la voix et d'un langage articul� pour se communiquer et s'expliquer mutuellement leurs actions, pour d�signer ceux qui les avaient faites, pour exprimer leurs passions et les personnes qui en �taient l'objet. Puis


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donc, comme l'a dit Platon lui-m�me, que le verbe exprime clairement les actions et les affections humaines, et que le nom d�signe les personnes qui font les unes et qui �prouvent les autres', il para�t que. ces deux parties d'oraison sont les seules qui d�signent ces choses. Pour les autres parties, on pourrait dire qu'elles ne les expriment pas. Par exemple, les g�missements et les lamentations des acteurs, souvent m�me leur sourire et leur r�ticence, donnent plus d'emphase au discours ; mais ils ne sont pas l'expression n�cessaire des choses, comme le nom et le verbe ; ils n'ont qu'une signification accessoire qui met de la vari�t� dans le langage, comme on diversifie les sons des lettres en y ajoutant des esprits et des accents, en les faisant longues ou br�ves; ce qui ne constitue point de nouvelles lettres, mais des accidents, des affections et des vari�t�s de celles qui existent d�j�; c'est ce qu'on voit �videmment chez les anciens, � qui seize lettres ont suffi pour parler et pour �crire.

Prenons garde d'ailleurs au vrai sens des paroles de Platon ; il ne dit pas que le discours est form� par les noms et les verbes, mais qu'il est form� de noms et de verbes. Ne faisons pas comme celui qui bl�merait quelqu'un de ce qu'en parlant d'une drogue compos�e de cire et de galbanum, il aurait oubli� le feu et le vase o� elle a �t� faite; n'allons pas de m�me reprocher � Platon d'avoir omis les conjonctions, les pr�positions et les autres termes de cette esp�ce ; car le discours n'est pas compos� de ces sortes de parties, mais il l'est par leur moyen, et il ne peut exister sans elles. Celui qui dit battre, �tre battu, ou bien Socrate, Pythagore, nous donne � entendre et � penser quelque chose. Mais, s'il pronon�ait seulement car, mais, il ne porterait � l'esprit aucune id�e de corps ou de chose. Si ces mots ne sont accompagn�s ni de verbes ni de noms, ils ne seront que des sons vagues et de vains bruits ; car ni par eux-m�mes, ni joints avec d'autres sem-


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blables, ils ne peuvent rien signifier. Nous aurons beau m�ler et unir ensemble des conjonctions, des articles et des pr�positions, pour t�cher d'en faire un discours suivi, nous ne formerons que des sons confus, et non un langage v�ritable. Mais d�s qu'un nom est joint avec un verbe, il en r�sulte aussit�t un discours li�, un langage intelligible. Aussi quelques uns ne regardent-ils que ces deux sortes de mots comme des parties d'oraison, et c'est peut-�tre ce qu'Hom�re a voulu faire entendre lorsqu'il a dit en plusieurs endroits : Il parla, il pronon�a ces mots. Par le terme ἔπος;, il d�signe le verbe, comme dans ce
vers :

Femme, votre discours m'a vivement bless�.

Et ailleurs :

Recevez mes adieux, respectable �tranger;
Si rien dans mon discours avait pu vous blesser,
Que le vent pour jamais bien loin de vous l'emporte.

Ce n'est ni une conjonction, ni un article, ni une pr�position qui blessent et qui affectent vivement le c�ur : c'est un verbe, lorsqu'il exprime une action honteuse, inspir�e par une passion condamnable. Voil� pourquoi pour bl�mer ou pour louer les po�tes et les autres �crivains, nous disons : Un tel emploie des mots attiques et bien choisis; cet autre use d'expressions triviales. Mais on ne dira jamais qu'Euripide et Thucydide ont �crit en articles attiques, ou qu'ils en ont employ� de mauvais.

Eh quoi ! dira-t-on, ces autres parties d'oraison ne servent de rien dans le discours? Au contraire, elles y sont ce que le sel est pour les aliments et l'eau pour le pain. Evenus disait que le feu �tait le meilleur des assaisonnements; cependant ni le feu ni le sel ne sont essentiels aux aliments, mais nous ne pouvons nous passer de ceux-ci. Il en est de m�me de .ces parties d'oraison qui ne sont


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pas absolument n�cessaires au discours. On le voit en particulier dans la langue latine, dont presque toutes les nations font usage aujourd'hui. Elle a supprim� toutes les pr�positions, � l'exception d'un petit nombre, et elle n'use d'aucun article que pour l'ornement du discours. Et il ne faut pas s'en �tonner, puisque Hom�re, qui surpasse tous les autres po�tes par la beaut� de ses vers, ne joint des articles qu'� tr�s peu de noms, comme on met des anses � des vases qui ne peuvent s'en passer, ou des panaches � des casques. Aussi remarque-t-on les vers o� il en a fait usage, tels que ceux-ci :

Entre tous ces guerriers, un si puissant langage
Du fils de T�lamon excita le courage.

Et cet autre :

Il voulait de ce monstre �viter la poursuite (27).

Il y en a quelques uns de ce genre, mais dans une infinit� d'autres, la suppression des articles n'�te rien � la phrase de sa clart� ni de son �l�gance. Il n'est point d'animal, ni d'instrument, ni d'arme, ni aucune autre esp�ce de chose que la privation d'une de ses parties rende plus belle, plus agr�able ou plus agissante. Au contraire, dans le discours, quand on supprime les conjonctions, la phrase acquiert plus de v�h�mence, plus de persuasion, comme dans ces vers :

Elle en prend un tout vif, un autre frais bless�;
Un autre est sans blessure; un quatri�me expire,
Et tous hors du combat la d�esse les tire.

Tel est encore ce passage de D�mosth�ne dans son oraison contre Midias: �Un homme qui en frappe un autre peut faire bien des choses dont celui qui a �t� battu ne


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saurait en rendre une grande partie par son geste, son regard, sa voix, quand cet homme l'a outrag�, quand il Ta trait� en ennemi, quand il t'a accabl� de coups de poing, quand il l'a frapp� sur la joue. Voil� ce qui �meut, voil� ce qui transporte hors de soi l�s hommes qui ne sont pas accoutum�s aux outrages (28). � Et plus loin :� Midias se conduit autrement. Depuis ce jour, il est toujours dans la tribune, il injurie, il crie sans cesse, il obtient les suffrages du peuple. Midias Anagyrasien est proclam�, il loge chez lui les d�put�s de Plutarque (29), il conna�t les secrets de ce tra�tre ; Ath�nes ne peut plus le contenir (30). �

Voil� pourquoi ceux qui traitent des figures de rh�torique recommandent fort l'usage de celle qu'ils appellent asynd�te (31) ; et ils bl�ment les �crivains qui, trop esclaves des r�gles ordinaires, ne retranchent jamais aucune conjonction, et par l� rendent leur style l�che, pesant, d�nu� d'int�r�t, parce qu'il manque de vari�t�. De ce que les dialecticiens ont besoin de ces conjonctions pour lier, encha�ner et distinguer leurs propositions, comme les cochers ont besoin de joug pour atteler leurs chevaux, et comme il fallut � Ulysse des joncs pour attacher les moutons du Cyclope, il ne s'ensuit pas que ces particules soient des parties d'oraison, mais seulement des moyens de liaison, comme leur nom m�me l'exprime, et qui servent � unir non tous les mots d'une phrase', mais seulement ceux qui ne sont pas �nonc�s simplement. Autrement il faudrait dire que la courroie dont un ballot est


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H�, ou la colle qui attache les feuillets d'un livre, en font partie, ou que les distributions d'argent font partie du gouvernement, comme D�made disait que l'argent qu'on donnait au peuple pour assister aux jeux �tait la colle du gouvernement populaire (32). Et quelle est la conjonction qui ne fasse qu'une proposition de plusieurs, en les liant et les unissant ensemble aussi intimement que le marbre fondu au feu lie le fer? Cependant on ne dit pas pour cela que le marbre fasse partie du fer, quoique ces corps, ainsi fondus et m�l�s ensemble, ne fassent de plusieurs mati�res qu'une substance commune. Pour les conjonctions, il y a des gens qui croient qu'elles ne font pas un seul tout des parties qu'elles unissent, mais qu'elles forment une esp�ce d'�num�ration, comme si on comptait par ordre une suite de jours. Quant aux autres parties d'oraison, il est �vident que le pronom est une esp�ce de nom, moins encore en ce qu'il se d�cline comme le nom, que parce qu'il d�signe naturellement et d'une mani�re tr�s propre des choses pr�c�demment d�termin�es. Car je ne vois pas que celui qui nomme Socrate le d�signe plus express�ment que celui qui dit cet homme en montrant Socrate. Le participe, qui est comme un m�lange du nom et du verbe, n'est proprement rien par lui-m�me, non plus que ces noms communs qui conviennent aux m�les et aux femelles ; mais il se construit avec les noms et avec les verbes; il tient � ceux-ci par les temps, et aux premiers par les noms. Les dialecticiens les appellent r�fract�s, comme ayant la force de noms et d'appellations ; ainsi on dit un militant pour un militaire ; un aimant pour un amoureux. Les pr�positions, qui sont moins des mots v�ritables que des accompagnements de mots, peuvent �tre compar�es aux pana-


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ches des casques, aux bases et aux pi�destaux des statues. Prenez garde m�me qu'elles ne soient plut�t des parties et des fragments de mots, comme ceux qui �crivent tr�s vite ne forment pas les lettres tout enti�res et n'en donnent que des abr�viations. Par exemple, ces deux mots ἐμβῆναι et ἐκβῆναι, dont l'un signifie entrer, et l'autre sortir, sont manifestement deux abr�viations de ἐντὸς βῆναι, aller dedans, et de ἐκτὸς βῆναι aller dehors. Προγένεσθαι est une syncope de πρότερον γένεσθαι, �tre devant,  κατίζειν de κατωίζειν, s'asseoir au-dessous. Ainsi λιθοβολεῖν et τοιχωρυχεῖν sont pour λίθους βάλλειν, jeter des pierres, et τοίχους ὁρύσσειν, saper des murs. Ces abr�viations ont �t� faites pour parler plus vite et avec plus de pr�cision. Chacun de ces mots est donc de quelque usage dans le discours ; mais ils ne sont pas pour cela des parties et des �l�ments d'oraison. Il n'y a, comme on l'a d�j� dit, que le nom et le verbe qui forment dans la phrase cette premi�re liaison qui contient le vrai ou le faux, nomm�e par les uns proposition, par d'autres axiome (33), et que Platon appelle discours.

FIN DU QUATRI�ME VOLUME.
 


(01) Le Th��t�te est un dialogue de Platon dans lequel Socrate, avec plusieurs interlocuteurs, parmi lesquels est un jeune homme nomm� Th��t�te, qui aime � s'instruire, examine ce que c'est que la science, quels en sont les avantages et les effets, comment elle s'acquiert, et combien est vainc la confiance qu'on a dans les sciences humaines.

(02) Les sophistes dont parle ici Plutarque �taient des hommes vains et pr�somptueux qui, se parant d'une fausse sagesse, abusaient de leur talent pour pervertir l'usage de la parole, pour remplir les esprits de vaines subtilit�s, et corrompre les c�urs par une morale toute favorable aux passions. Socrate �tait le fl�au de ces hommes arrogants, dont il d�masquait les vices et combattait les erreurs ; il en fut aussi la victime, car rien n'est plus intol�rant que cette fausse philosophie, quand elle voit la sagesse et la venu d�voiler ses artifices et lui arracher le masque dont elle couvrait sa corruption secr�te. 

(03) Cette maxime n'est vraie que pour les esprits faux ou pr�venus.

(04) Diodore de Sicile, tom. I, chap. 95, attribue ce mol � Amasis, roi d'�gypte.

(05) C'est un vers de Th�ognis, po�te �l�giaque.

(06) Par les dieux engendr�s, Platon entend avec Tim�e le monde et ses diff�rentes parties, c'est-�-dire toutes les sph�res, depuis celle des �toiles exclusivement, jusqu'au centre de la terre. Ces philosophes les supposaient anim�es, et leurs �mes �taient form�es d'une portion de la substance m�me de l'�me divine.

(07) Plutarque copie ici Platon, qui lui-m�me n'a fait que suivre Tim�e.

(08) Platon, tom. IIl,  pag. 210, d'o� Plutarque a pris ce qu'il dit ici presque mol � mot.

(09) Cette doctrine de Platon se trouve fr�quemment dans ses ouvrages et en particulier dans son Xe livre des Lois.

(10) Voyez le Tim�e de Platon.

(11) On voit par ce passage, dans lequel Plutarque copie plusieurs textes de Platon, que ce philosophe distinguait entre la mati�re et le corps. Par la premi�re, il entendait la substance mat�rielle con�ue, sans ordre, sans forme et sans figure ; et par le corps, cette m�me mati�re rev�tue de forme et organis�e. Il est bon de dire aussi que souvent Platon, par ce mot mati�re, entend le r�cipient et, pour ainsi dire, la matrice de tous les �tres qui ont �t� produits et qui frappent nos sens ; invisible par elle-m�me et informe, elle est capable de [recevoir en soi tout ce qui peut exister.

(12) Aristote, dans le second livre du Ciel, chap. 4, dit que toute figure plane est contenue dans des lignes droites ou dans des lignes courbes ; que la premi�re esp�ce est form�e de plusieurs lignes, et l'autre d'une seule; or, en toutes choses, ce qui est un pr�c�dant ce qui est compos�, il s'ensuit que le cercle est la premi�re des figures planes. 

(13) Ceci est emprunt� d'Aristote ; il dit que l'unit� est une substance qui n'est pas pos�e, ce qui signifie sans doute qu'elle n'est que dans la pens�e, au lieu que le point est une substance pos�e, c'est-�-dire qui est �crite ou trac�e.

(14) Voici le passage entier tel qu'il est dans l'endroit du Ph�dre cit� : La propri�t� de l'aile est d'�lever les corps graves dans les r�gions sup�rieures, o� habitent les �tres c�lestes. De tout ce qui est autour du corps, l'ame est ce qui participe le plus � la Divinit�. C'est ainsi que Serranus, interpr�te latin de Platon, l'a traduit. On voit, par la suite du texte et par l'explication que Plutarque va donner, qu'il s'agit de l'�l�vation de l'�me vers les beaut�s c�lestes; et c'est ce qui m'a d�termin� � suivre ce sens, quoique l'autre put d'ailleurs �tre justifi�.

(15) Voyez le Tim�e de Platon.

(16) La nature et la cause de la gravit� ne sont gu�re plus connues aujourd'hui que du temps de Plutarque.

(17) Les connaissances des anciens �taient born�es sur les effets de ce ph�nom�ne, qui, entre les mains des modernes, a produit des exp�riences si belles, si vari�es et si importantes.

(18) La th�orie du mouvement des liquides �tait peu connue du temps de Plutarque.

(19) Aristarque de Samos fut un des plus c�l�bres astronomes de l'�cole d'Alexandrie. Il vivait vers la cent trenti�me olympiade.

(20) Pythagore disait que le temps est la sph�re qui environne le monde, et par cette sph�re, il entendait vraisemblablement l'�me du monde; car on a vu dans la seconde de ces questions, que Dieu ayant plac� l'�me au centre du monde, l'avait distribu�e dans toute son �tendue, de mani�re qu'elle enveloppe au dehors tout l'univers. Aussi quelques interpr�tes substituent-ils ici le nom de monde � celui du ciel.

(21) Voyez le IVe livre de la R�publique. 

(22) Par Jupiter, les anciens d�signaient souvent l'air. Ainsi le Jupiter Hypate signifiait l'air le plus �lev�, ou l'�ther, et le Jupiter inf�rieur marquait l'air sublunaire. Les philosophes divisaient l'univers en deux parties, dont l'une s'�tendait depuis la derni�re circonf�rence ext�rieure du monde jusqu'� la lune ; elle contenait les sph�res c�lestes, dont la nature est toujours la m�me, c'est-�-dire qui ne sont sujettes � aucun changement, et qui sont environn�es d'un fluide tr�s l�ger nomm� �ther. L'autre allait de la lune jusqu'� la terre, ut les �tres qu'elle renfermai! �taient sujets � beaucoup de vicissitudes; et le fluide qui les entourait �tait l'air, beaucoup moins subtil que l'�ther, et qu'ils appelaient Jupiter N�ate, ou inf�rieur.

(23)  Voyez le Ph�dre de Platon, o� cette comparaison est tr�s d�velopp�e. 

(24) Les mois m�mes qui expriment en grec ces deux facult�s ont une racine commune, parce qu'en effet elles ont un rapport naturel.

(25) Voyez dans le tome 1er des �uvres de Platon, deux dialogues, le Sophiste et le Cratylus, o� cette question est d�velopp�e dans le plus grand d�tail.

(26) Ce vers d'Hom�re est dans le 1er livre de l'Iliade, vers 185; je ne l'ai point traduit, parce que seul il ne fait point un sens complet, el que d'ailleurs il �tait impossible d'y conserver, comme dans le grec, toutes les parties d'oraison.

(27) Dans ces deux passages, l'article joint au nom d'Ajax et au mot monstre, donne plus de force � l'expression, et fixe l'attention du lecteur sur la personne qui a fait l'action, ou sur la chose dont on parle.

(28) Voyez D�mosth�ne contre Midias.

(29) Plutarque d'�r�trie, ville d'Eub�e, serr� de pr�s par Philippe, d�j� ma�tre d'une partie de l'�le, d�puta vers les Ath�niens pour leur demander du secours. Les Ath�niens lui envoy�rent quelques troupes sous la conduite de Phocion; mais Plutarque, payant d'ingratitude ses bienfaiteurs, conspira contre eux et voulut les repousser � force ouverte. Cette trahison impr�vue n'�tonna point Phocion, il poursuivit son exp�dition, gagna une bataille et chassa Plutarque d'�r�trie.

(30) D�mosth�ne adv. Midiam

(31) C'est-�-dire, qui supprime les conjonctions.

(32) On peut dire qu'� Ath�nes cette distribution d'argent fut une peste populaire qui corrompit et fit p�rir la r�publique. Voyez D�mosth�ne dans ses Olynthiennes et ses Philippiques.

(33) Ce mot, que nous trouvons souvent dans les anciens, avait chez eux, le plus souvent, une autre signification que dans notre langue ; il veut dire proprement dignit�, grandeur. Les dialecticiens eu faisaient un usage fr�quent, mais ils ne lui donnaient pas tons la m�me acception. Proclus, dans son second livre sur le premier livre des �l�ments d'Euclide, dit que les sto�ciens et les p�ripat�ticiens le prenaient dans des sens diff�rents. Les premiers entendaient par axiome une �nonciation vraie ou fausse, compos�e seulement d'un nom et d'un verbe, et qui pr�sente un sens complet; telles sont ces propositions : Socrate lit, Platon marche. Cic�ron l'a traduit plusieurs fois dans cette acception. Chez les disciples du Lyc�e,l'axiome �tait une de ces propositions qui servent de principe aux d�monstrations, et qui n'ayant pas de moyen terme, ne peuvent �tre elles-m�mes d�montr�es; elles frappent l'esprit par leur �vidence, et entra�nent la conviction. De ce nombre sont les propositions suivantes : Le tout est plus grand que sa partie. Deux choses �gales chacune � une troisi�me sont �gales entre elles. C'est toujours dans ce sens que nous prenons le mot axiome.