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ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE PLUTARQUE
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PLUTARQUE
OEUVRES MORALES LES D�LAIS DE LA JUSTICE DIVINE. AUTRE TRADUCTION fran�aise de Victor B�TOLAUD, Oeuvres compl�tes de Plutarque - Oeuvres morales, t. II, Paris, Hachette, 1870.
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1 OEUVRES MORALES DE PLUTARQUE. LES D�LAIS DE LA JUSTICE DIVINE. Plutarque entreprend dans cet ouvrage de plaider contre les �picuriens la cause de la Providence, et il la d�fend avec une sagesse et une mod�ration qui l'ont honneur � sa philosophie, et qui mettent dans le plus grand jour les v�rit�s pr�cieuses pour lesquelles il combat. Il a donn� � ce trait� la forme du dialogue, et les interlocuteurs sont Plutarque lui-m�me ; Timon, son fr�re ; Patrocl�as, qu'il appelle ailleurs son parent, et Olympiacus, personnage qui n'est point connu d'ailleurs. Ce sujet important, plein d'une excellente philosophie puis�e dans les meilleures sources, n'est pas moins agr�able que solide, par la mani�re int�ressante dont Plutarque l'a trait�, par la vari�t� qu'y r�pandent les traits d'histoire dont il l'a sem�, par les exemples dont il est enrichi, par les images et les ornements du style, qui rel�vent le m�rite du fond et couvrent de fleurs la discussion d'une mati�re �pineuse et d�licate. [1] Nous �tions au bout du Portique, mon cher Quintus (01), quand �picure (02), sans attendre notre r�ponse aux propos qu'il venait de tenir, nous quitta brusquement et disparut. Surpris d'une conduite si extraordinaire, nous 2 nous arr�t�mes, et apr�s nous �tre regard�s quelque temps en silence, nous continu�mes notre promenade. Enfin, Patrocl�as prenant le premier la parole, � Qu'en pensez-vous? nous dit-il; abandonnerons-nous cette mati�re, ou r�pondrons-nous aux objections qu'il a faites, comme s'il �tait pr�sent? � Pouvez-vous en douter? r�pondit Timon. Si en nous quittant il e�t perc� d'une fl�che quelqu'un de nous, n'�terions-nous pas bien vite le trait dont il l'aurait bless�? Brasidas, dit-on, atteint d'un javelot, l'arracha � l'instant m�me, en frappa son ennemi et l'abattit � ses pieds. Pour nous, sans penser � nous venger de ceux qui ont voulu jeter dans notre �me des opinions fausses et ridicules, qu'il nous suffise de les en arracher avant qu'elles aient eu le temps d'y prendre racine. � Mais, leur dis-je alors, de cette foule d'invectives et de calomnies qu'il a ramass�es au hasard de tous c�t�s, et que dans son emportement il s'est permises contre la Providence, quelle est celle qui vous a frapp�s davantage? [2] � Pour moi, r�pondit Patrocl�as, l'objection qu'il a faite sur le d�lai de la justice divine � punir les coupables m'a paru la plus forte, et, je vous l'avoue, il a renvers� toutes mes id�es et m'a rendu tout neuf sur cette mati�re. Depuis longtemps je ne lisais pas sans une sorte d'indignation ce que dit Euripide de la Divinit� : Elle aime � diff�rer; tel est son caract�re. La lenteur de Dieu, toujours d�plac�e, ce me semble, l'est surtout � l'�gard des m�chants, qui, loin de temporiser pour faire le mal, y sont port�s par leurs passions avec la plus grande activit�. La punition qui suit de pr�s le crime, dit Thucydide, arr�te dans leur course ceux que les succ�s enhardissaient � l'injustice. Rien ne d�courage tant l'innocent opprim�, et n'inspire plus d'audace au m�chant, 3 que de voir diff�rer le ch�timent que la justice doit aux coupables. Mais la peine est-elle � c�t� du crime, elle pr�vient de nouveaux forfaits, et elle est pour ceux qui ont �t� maltrait�s un puissant motif de consolation. � Je ne crains pas, disait Bias � un sc�l�rat, que ton crime soit impuni, mais que je ne sois pas t�moin de ta punition.� Cette parole, sur laquelle je r�fl�chis souvent, me fait toujours de la peine. En effet, de quoi servit le supplice d'Aristocrate � ceux des Mess�niens qu'il avait fait p�rir? Il les avait trahis � la bataille qui se donna aupr�s de la grande fosse ; et pendant plus de vingt ans que son crime �tait rest� secret, il avait r�gn� sur les Arcadiens. Sa trahison fut enfin d�couverte, et lui puni de mort; mais les malheureux Mess�niens n'�taient plus. � Les Orchom�niens, � qui la trahison de Lyciscus (03) avait enlev� leurs enfants, leurs proches et leurs amis, furent-ils consol�s de cette perte par le ch�timent de ce tra�tre, qui, longtemps apr�s, eut tout le corps rong� de plaies? ch�timent qu'il semblait avoir provoqu� lui-m�me lorsque, se lavant les pieds dans une rivi�re, il souhaitait qu'ils tombassent en pourriture, s'il �tait vrai qu'il e�t trahi les Orchom�niens. � Les Ath�niens firent exhumer et transporter hors de leur territoire les ossements de ceux qui avaient massacr� les partisans de Cylon (04). Mais les petits-fils de ceux qui avaient p�ri ne purent �tre t�moins de cette punition. Aussi rien ne me para�t plus absurde que la raison dont 4 (manquent les pages 4 et 5 reprises dans la traduction de Victor B�TOLAUD ) Euripide se sert pour d�tourner les hommes de faire le mal : "Sois tranquille : sur toi la c�leste vengeance, Ni sur les sc�l�rats qui sont de ton engeance, En te frappant au coeur soudain ne fondra pas : Au jour dit elle vient, sans bruit, et pas � pas." Ne cherchez point ailleurs d'autres raisons : ce sont pr�cis�ment celles-l� qui d�terminent tout naturellement les criminels. Ils s'encouragent, ils s'enhardissent � consommer l'iniquit�, convaincus que le fruit en est tout aussit�t m�r et � leur port�e, tandis que l'expiation, selon eux, est tardive et ne viendra que bien longtemps apr�s la jouissance.� [3] Patrocl�s ayant ainsi discouru, Olympicus prit la parole. �Il y a encore � remarquer, dit-il, que les d�lais et les retards de la Divinit� en ces mati�res sont une grave incons�quence. Une pareille lenteur emp�che qu'on n'ait foi en la Providence. Les m�chants que l'expiation atteint, non pas � la suite de chaque crime, mais seulement plus tard, finissent par la regarder plut�t comme un malheur que comme un ch�timent. Elle ne leur est d'aucune utilit�, et ils s'irritent plus du mal qui leur arrive qu'ils ne se repentent de ce qu'ils ont fait. De m�me que si, au moment o� un cheval bronche et fait un faux pas, on emploie le fouet et l'�peron, il se corrige et se remet � marcher comme il faut, tandis que si l'on attend plus tard pour le tirer, pour le ramener, pour crier � ses oreilles, on semble songer � toute autre chose plut�t qu'� le corriger, et on le tourmente sans r�former sa mauvaise habitude; de m�me, si, chaque fois que le m�chant bronche et succombe, le ch�timent venait l'atteindre et le r�primer, malgr� lui il deviendrait pensif, il s'humilierait, il tremblerait devant Dieu comme devant un juge qui a l'oeil sur les actes, sur les passions, et qui ne remet pas la justice au lendemain. Mais la vengeance c�leste ne vient �que tard et d'un pas lent,� comme dit Euripide. Elle tomb� accidentellement sur les coupables; et elle semble un effet du hasard bien plut�t que de la Providence, tant elle est incertaine, h�sitante et irr�guli�re. De sorte que je ne vois pas l'utilit� de ces meules des Dieux, lesquelles sont dites moudre lentement : elles obscurcissent l'id�e de la justice divine, et elles suppriment dans le coupable tout sentiment de terreur.� [4] A la suite de ces paroles d'Olympicus, je demeurais pensif en moi-m�me. Alors Timon : �Dois-je, dit-il, mettre � mon tour le comble du doute en ce qui regarde cette question, ou bien laisserai-je d'abord celui-ci s'escrimer contre de semblables arguments? � A quoi bon, repris-je, ajouter, comme on dit, une troisi�me vague, et nous noyer sous les difficult�s, s'il est incapable de r�soudre les premi�res objections ou de s'en d�gager? Tout d'abord d�butons par nous inspirer, comme � un foyer de famille, de la circonspection qui caract�rise les philosophes acad�miciens � l'�gard de la Divinit�, et abstenons-nous pieusement de laisser croire que nous puissions parler de semblables mati�res en connaissance de cause. Il y a moins de pr�somption � discourir sur la musique sans s'y conna�tre, ou sur la guerre sans avoir jamais �t� soldat, qu'il n'y en a, pour des cr�atures humaines, � contr�ler les actes des Dieux et des G�nies. C'est comme si des gens �trangers aux arts pr�tendaient saisir la pens�e des savants artistes par conjecture et par des suppositions qui n'auraient que de la vraisemblance. Si ce n'est pas l'affaire d'un ignorant de vouloir expliquer pour quelles raisons le m�decin a amput� le lendemain plut�t que la veille, ordonn� un bain aujourd'hui plut�t qu'hier; de m�me il n'est ni facile ni s�r � un mortel de sonder les desseins de la Divinit�. On ne peut, � cet �gard, avancer rien autre chose, si ce n'est que Dieu conna�t � merveille le moment o� il faudra gu�rir le vice, c'est-�-dire o� il faudra lui appliquer, comme rem�de, le ch�timent m�rit�. La mesure de ce ch�timent, pas plus que l'heure de l'expiation, n'est ni commune, ni la m�me pour tous. La m�decine qui a l'�me pour objet, et cette m�decine s'appelle l'�quit� et la justice, est le plus grand de tous les arts, comme en t�moigne, entre mille autres, le po�te Pindare : Le Dieu souverain et ma�tre de toutes choses est, dit Pindare, �l'artiste par excellence�, attendu qu'il administre la justice, et que les attributions de la justice sont de d�terminer la 6 nature et l'�tendue de la punition que chaque coupable m�rite. Platon raconte que Minos avait appris de Jupiter, son p�re, cet art sublime, pour nous faire entendre qu'il est impossible de dispenser fid�lement la justice, ou m�me de juger si elle est bien administr�e, � moins que d'en avoir acquis la science. Les lois humaines n'ont pas, aux yeux de tout le monde, des motifs raisonnables de ce qu'elles prescrivent ; il en est m�me qui paraissent tr�s ridicules. A Lac�d�mone, par exemple, quand les �phores entrent en charge, ils font publier un ordre � tous les citoyens de raser leurs moustaches (05) et d'ob�ir aux lois, s'ils ne veulent pas en �prouver la rigueur. Les Romains qui mettent un esclave en libert� le frappent d'une baguette sur l'�paule (06). Quand ils font leur testament, ils vendent leurs biens � d'autres qu'� ceux qu'ils instituent leurs h�ritiers (07), ce qui para�t contradictoire. Mais rien, ce semble, n'est plus absurde que la loi de Solon qui note d'infamie tout citoyen qui, dans une s�dition, ne se sera pas d�clar� pour un des deux partis (08). Combien d'au- 7 tres lois qui, au premier coup d'�il, paraissent d�raisonnables, faute de conna�tre l'intention et les motifs du l�gislateur ! Si nous avons tant de peine � entrer dans l'esprit des institutions humaines, serons-nous �tonn�s de ne pouvoir expliquer la conduite de Dieu dans la punition plus ou moins lente des coupables ? [5] Au reste, je ne cherche point ici � �luder la question propos�e. Je sollicite seulement votre indulgence, afin que la vue d'un port assur� m'enhardisse � opposer des raisons plausibles � la difficult� qui nous occupe. Consid�rez d'abord que Dieu, selon la pens�e de Platon, s'est propos� lui-m�me comme le mod�le de toutes les perfections, et que, par la vertu qu'il met dans nos �mes, il nous fait marcher sur ses traces et nous rend en quelque sorte semblables � lui. L'univers, qui, dans son principe, n'�tait qu'une masse confuse et sans ordre, n'a commenc� � prendre une forme r�guli�re que lorsqu'il a �t� ordonn� selon la volont� de Dieu. Ce m�me philosophe ajoute que la nature a mis en nous l'organe de la vue afin que la contemplation des corps c�lestes et de la beaut� de leurs mouvements accoutum�t notre �me � sentir et � aimer l'ordre et la d�cence, � rejeter les mouvements irr�guliers des passions, � �viter la pr�cipitation et la l�g�ret�, sources ordinaires de nos erreurs et de nos vices. Et quelle plus douce jouissance l'homme peut-il obtenir de Dieu, que d'�tre, par l'imitation de ses perfections divines, solidement �tabli dans la vertu ? Si donc Dieu punit lentement et, pour ainsi dire, � loisir, ce n'est pas qu'il craigne de se tromper en h�tant la punition ou d'avoir � s'en repentir : il veut nous apprendre par son exemple � n'user jamais de violence et de cruaut� dans nos punitions, � ne pas les faire dans ces 8 moments d'une col�re effr�n�e o� la passion transportant l'�me hors d'elle-m�me, Lui fait de la raison m�conna�tre l'empire. Il veut qu'alors, loin de nous jeter avec fureur sur ceux qui nous ont offens�s, et d'assouvir sur-le-champ notre vengeance comme un besoin naturel, nous imitions sa cl�mence et sa lenteur, nous agissions avec ordre et mod�ration, et surtout que nous prenions conseil du temps, dont les avis exposent rarement au repentir. C'est un moindre mal, disait Socrate, de boire par intemp�rance des eaux bourbeuses, que d'aller, le c�ur troubl� par la col�re et transport� de fureur, sans attendre que l'�me soit calm�e, assouvir sa passion dans le sang de son semblable. La vengeance la plus raisonnable, suivant Thucydide, n'est pas celle qui suit de pr�s l'offense, mais celle qui en est la plus �loign�e. Quand la col�re, dit M�lanthius, A chass� la raison, tout est dans le d�sordre.
Au contraire, la
raison a-t-elle banni loin d'elle la col�re et l'emportement, tout est dans
l'ordre, tout se fait avec la plus exacte justice. Les hommes ne
s'adoucissent-ils pas quand on leur raconte des traits de mod�ration et de
douceur? Platon, par exemple, ayant lev� le b�ton sur un de ses esclaves, tint
longtemps son bras suspendu, afin, disait-il lui-m�me, de ch�tier sa col�re.
Archytas, au retour d'une exp�dition militaire, trouva que ses esclaves avaient
fort n�glig� la culture de ses terres. Mais se sentant trop courrouc�, il ne
voulut pas les punir, et se contenta de leur dire, en s'en allant : �Vous �tes
bien heureux que je sois en col�re. � Puis donc que les actions et les paroles
des grands hommes r�priment en nous les exc�s de la col�re, quelle impression ne
doit pas 9
faire sur nous l'exemple de Dieu, qui, tout incapable qu'il est de crainte et de
repentir, diff�re cependant la punition des m�chants ? Ne devons-nous pas
regarder comme un des effets de sa vertu divine, cette douceur et cette patience
dont il use? Il emploie sur bien peu de coupables des ch�timents prompts, mais
il en ram�ne un grand [6] En second lieu, les peines les plus justes que les lois civiles infligent ne font que punir le crime ; la punition est la compensation du mal. Les lois se taisent d�s que le crime est puni ; voil� pourquoi elles recherchent avec beaucoup d'ardeur les coupables qui cherchent � se soustraire � leur s�v�rit�, afin que la punition ne soit pas �loign�e du crime. Mais je crois que Dieu, avant d'exercer sa justice, examine les dispositions des hommes vicieux, et qu'il accorde des d�lais � celui dont la corruption n'est pas incurable, et qui donne encore quelque espoir de retour. Il conna�t la portion de sagesse qu'il a donn�e � chaque homme lors de sa naissance, et il sait que les principes de vertu qu'il a grav�s dans leur c�ur sont inalt�rables. Les vices qui y germent ne sont pas son ouvrage : ils sont l'effet de l'exemple et de la soci�t� des m�chants (09). Il en est plusieurs que de sages le�ons ont retir�s du vice, et qu'elles ont rendus � leur premi�re vertu. Le ch�timent n'est pas toujours �galement prompt ; il punit de mort sans d�lai ceux qui sont incorrigibles, parce que l'habitude du crime fait qu'ils nuisent beaucoup aux autres et encore plus � eux-m�mes. En voit-il qui soient tomb�s dans le vice plut�t par l'ignorance du bien que par un choix libre du mal, il leur donne le temps 10 de rentrer en eux-m�mes. S'ils pers�v�rent dans le mal, il les punit comme les autres, sans craindre qu'ils �chappent � sa justice. Consid�rez tous les changements qui s'op�rent dans la vie et dans les m�urs des hommes. C'est sous ce rapport que les Grecs ont donn� aux m�urs des noms qui expriment le changement et l'habitude, pour montrer qu'elles sont une suite de l'habitude, qui, une fois �tablie dans l'�me, s'y enracine fortement. Si les anciens donnaient � C�crops deux formes diff�rentes, ce n'est pas, comme quelques uns le veulent, parce que de bon roi il �tait devenu un tyran farouche et sanguinaire (10). Je crois, au contraire, qu'il avait �t� d'abord m�chant et cruel, et qu'il r�gna dans la suite avec beaucoup de douceur et d'humanit�. Mais voulez-vous des exemples dont nous soyons certains ? Voyez en Sicile G�lon et Hi�ron, et Pisistrate � Ath�nes : parvenus � la tyrannie par des voies injustes, ils s'y conduisirent en princes vertueux. Cette autorit� qu'ils avaient acquise en foulant aux pieds la justice, ils l'exerc�rent avec mod�ration et la firent servir � l'utilit� publique. �tablir des lois sages, faire fleurir l'agriculture, retirer leurs sujets d'une vie oisive et frivole pour les rendre sobres et laborieux, tel fut l'usage qu'ils firent de leur pouvoir. G�lon, en particulier, ayant remport� sur les Carthaginois une grande victoire, il ne leur accorda la paix qu'� condition qu'ils cesseraient d'immo- 11 ler leurs enfants � Saturne (11). Lydiade avait envahi l'autorit� souveraine � M�galopolis (12) ; dans la suite, il se repentit de son usurpation; et pour en r�parer l'injustice, il donna des lois � ses concitoyens, et mourut glorieusement en combattant pour sa patrie. Si l'on e�t fait p�rir Miltiade pendant qu'il exer�ait la tyrannie dans la Cherson�se ; si l'on e�t appel� Cimon en justice lorsqu'il vivait dans un commerce incestueux avec sa propre s�ur, ou que Th�mistocle e�t �t� chass� d'Ath�nes pour la vie licencieuse qu'il y menait, comme Alcibiade le fut depuis pour de semblables exc�s, n'aurions-nous pas perdu les belles victoires de Marathon, d'Eurym�don et d'Art�mise,
O� les Ath�niens ont
autrefois jet� Les naturels excellents ne produisent rien de m�diocre. Ce qu'ils ont de force et d'�nergie ne peut demeurer oisif; ils sont longtemps comme une mer orageuse que les temp�tes agitent sans cesse, et ne se calment enfin que lorsque leurs m�urs ont pris une habitude ferme et durable. Qu'un homme ignorant en agriculture voie une terre h�riss�e de broussailles et de plantes sauvages, coup�e de marais fangeux qui servent de retraite � des b�tes f�roces, il la d�daignera et ne la croira propre � rien de bon ; mais aux yeux d'un homme instruit, accoutum� � juger sainement de ces sortes de choses, ce seront autant d'indices d'un sol riche et d'un fond vigoureux : il en est de m�me des grandes �mes, leurs premi�res productions sont presque toujours des fruits sauvages ; les �pines qui les couvrent nous rebutent, et nous croyons devoir, � l'in- 12 stant m�me qu'ils paraissent, les retrancher impitoyablement. Mais un juge plus �clair� que nous, qui reconna�t � ces signes m�mes la bont� et l'�nergie de leur naturel, attend avec patience la saison de la sagesse et de la vertu, dans laquelle ces caract�res g�n�reux produiront les fruits qui leur sont propres. Mais en voil� assez sur cet objet. [7] N'approuvez-vous pas que quelques peuples de la Gr�ce aient adopt� cette loi d'�gypte qui ordonne de diff�rer l'ex�cution d'une femme enceinte condamn�e � mort, jusqu'� ce qu'elle soit d�livr�e ? � Assur�ment, � r�pondirent-ils. Eh bien ! leur dis-je, supposons qu'un homme ait con�u une belle entreprise, ou form� quelque grand dessein qui doive �clore dans un temps marqu� ; qu'il puisse d�couvrir un mal secret et inconnu, donner un conseil salutaire ou faire une d�couverte utile. Je vous le demande, ne serait-il pas plus sage de suspendre sa punition, pour donner lieu au service qu'il peut rendre, que de s'en priver par un ch�timent trop prompt? Pour moi, je le crois ainsi. � Nous sommes tous de votre avis, � r�pondit Patrocl�as. Vous avez raison, repris-je alors. En effet, si Denys e�t �t� puni au commencement de son usurpation, serait-il rest� un seul Grec dans toute la Sicile ? Les Carthaginois, qui l'auraient ravag�e, ne les en eussent-ils pas tous chass�s(13)? Des colonies grecques auraient-elles peupl� les villes d'Apollonie, d'Anactorium, et la presqu'�le de Leucadie, si la punition de P�riandre n'e�t pas �t� longtemps diff�r�e (14)? Celle de Cassandre ne semble-t-elle pas aussi n'avoir �t� retard�e que pour lui donner le temps de re- 13 b�tir la ville de Th�bes (15). La plupart des �trangers qui, dans la guerre sacr�e, pill�rent ce temple o� nous sommes maintenant (16), furent conduits en Sicile par Timol�on, qui se servit d'eux pour battre les Carthaginois et d�truire la tyrannie ; mais enfin ils re�urent eux-m�mes, par un ch�timent exemplaire, la juste peine de leurs crimes (17) . Dieu se sert quelquefois des m�chants pour ex�cuter sur des coupables les arr�ts de sa justice ; apr�s quoi, il les brise � leur tour, comme il a fait de la plupart des tyrans. Le fiel de l'hy�ne et la pr�sure du phoque (18), animaux d'ailleurs tr�s dangereux, ont des propri�t�s �prouv�es pour certaines maladies. Ainsi, quand les hommes ont besoin d'une forte punition qui les r�veille, Dieu leur envoie un tyran cruel, un magistrat dur et s�v�re, et il ne leur �te ce fl�au vengeur que lorsque le mal est enti�rement gu�ri. Tel fut un Phalaris pour les habitants d'Agri- 14 gente, un Marius pour les Romains. Lorsque ceux de Sicyone mirent en pi�ces le jeune T�l�tias, couronn� aux jeux pythiques, en voulant l'enlever � ceux de Cl�on�e, sous pr�texte qu'il �tait leur concitoyen (19), l'oracle ne leur d�clara-t-il pas formellement qu'ils avaient besoin de quelqu'un qui les ch�ti�t avec s�v�rit�? En effet, ils eurent pour tyran Orthagoras, et apr�s lui Myron et Clisth�ne (20), qui mirent fin � leur licence. Les Cl�on�ens, qui n'ont pas eu le m�me rem�de, sont aujourd'hui presque r�duits � rien (21). Vous savez ce que dit Hom�re :
Il a re�u le jour
d'un p�re sc�l�rat, Cependant, ce fils de Copr�e n'avait rien fait de bien m�morable. Mais les descendants d'un Sisyphe, d'un Autolycus (23), d'un Phl�gyas (24), se distingu�rent entre les plus grands rois par leurs vertus et par leur gloire. P�ricl�s �tait n� d'une famille maudite (25). Le grand Pomp�e eut 15 pour p�re ce Strabon, qui fut si odieux au peuple romain qu'on arracha son corps de dessus le brancard sur lequel on le portait, et qu'on le foula aux pieds (26). Qu'a donc de si �trange la conduite de Dieu ? Un cultivateur cueille le fruit d'une plante �pineuse avant que de l'arracher. Les Lybiens tirent la gomme du ladanum avant que d'en couper les branches pour le br�ler. Dieu se conduit avec la m�me prudence. Il ne d�truit une mauvaise tige d'o� doit na�tre une race illustre, qu'apr�s qu'elle a donn� le fruit qu'il en attendait. N'e�t-il pas mieux valu encore pour les Phoc�ens qu'Iphitus perdit un plus grand nombre de b�ufs et de chevaux, et pour ceux de Delphes qu'on enlev�t de leur temple de plus grandes richesses, que de ne pas voir na�tre dans la Gr�ce Ulysse, Esculape et tant d'autres grands hommes qui, sortis d'anc�tres vicieux, ont rendu les services les plus signal�s � leur patrie ? [8] Ne croyez-vous pas qu'une punition trop prompte est bien moins utile que celle qui se fait � propos et de la mani�re la plus convenable? Ainsi, Callippus ayant tu� Dion, dont il feignait d'�tre l'ami, fut dans la suite massacr� par ses amis, et du m�me poignard dont il s'�tait servi (27). Mitius d'Argos avait p�ri dans une s�dition; son meurtrier assistait un jour � des jeux dans la place publique; une statue d'airain tomba sur lui et le tua. Vous savez, dis-je � Patrocl�as, l'histoire de Dessus le P�onien, 16 et d'Ariston d'Et�e ? � Non, me r�pondit-il ; mais je serais bien aise de l'apprendre. � Ariston emporta, du consentement des tyrans, les bijoux d'Eriphyle, qui �taient en d�p�t dans le temple, et en fit pr�sent � sa femme. Dans la suite, son fils, irrit� contre sa m�re, je ne sais pour quel sujet, la br�la dans sa maison avec tous ceux qui y �taient renferm�s. Bessus, dit-on, avait tu� son p�re, et ce parricide resta longtemps secret. Un jour enfin qu'il �tait all� souper chez un de ses amis, il abattit de sa pique un nid d'hirondelles et tua les petits. Tous les convives se r�cri�rent avec raison sur une action si �trange. � Ne les entendez-vous pas, dit-il, crier depuis longtemps apr�s moi et m'accuser faussement d'avoir tu� mon p�re?� Les assistants, surpris de cette r�ponse, la rapport�rent au prince ; et le fait ayant �t� av�r�, Bessus porta la juste peine de son parricide. [9] Ce que je viens de dire porte sur la supposition d�j� admise que Dieu, pour de bonnes raisons, diff�re la punition des m�chants ; ce qui n'emp�che pas que nous n'ajoutions foi au po�te H�siode, qui dit, non comme Platon, que le remords, juste ch�timent du crime, le suit toujours de pr�s, mais qu'il est du m�me �ge que lui, qu'ils ont un sol et une tige commune : D'un perfide dessein on est souvent victime. Et ailleurs : En conseillant le mal on se nuit � soi-m�me. La mouche cantharide, qui r�unit, dit-on, des propri�t�s oppos�es, porte avec elle son contrepoison. La m�chancet�, qui produit toujours un sentiment p�nible, porte en soi le ch�timent de l'homme injuste et punit le crime au m�me instant qu'il est commis. Les criminels qu'on conduit au lieu de l'ex�cution sont charg�s chacun de l'instrument de leur supplice. De m�me le vice, � chaque 17 faute qu'il fait commettre, se forge lui-m�me son ch�timent. Artisan f�cond de tourments et de peines, outre la honte qui l'accompagne, il inspire des craintes de toute esp�ce, il excite des passions violentes et des troubles cruels, il fait na�tre de longs repentirs.
Mais la plupart des
hommes ressemblent � des enfants qui, voyant sur nos th��tres des sc�l�rats
richement v�tus et couronn�s de fleurs s'amuser � des jeux et � des danses, les
regardent avec admiration et envient leur bonheur jusqu'au moment o� ils sont
rudement ch�ti�s, perc�s de coups ou consum�s par les flammes qui sortent du
milieu m�me de ces habits pr�cieux. Ainsi dans le monde les m�chants, souvent
possesseurs de maisons magnifiques, �lev�s � des dignit�s �minentes, environn�s
d'un �clat imposant, ne paraissent subir le ch�timent de leurs crimes que
lorsqu'ils sont massacr�s ou pr�cipit�s. Mais c'est moins la le commencement que
la suite et l'accomplissement de leur punition. Platon dit qu'H�rodicus de
S�lymbr�e, �tant attaqu� d'une maladie incurable, unit le premier � la m�decine
l'art de la gymnastique, et par l� prolongea la vie pour lui-m�me et pour tous
ceux qui �taient atteints de la m�me maladie (28) .
Ne Au reste, c'est seulement par rapport � nous que je parle d'un temps plus long; car, � l'�gard des dieux, la plus longue vie n'est rien. Quelle diff�rence y a-t-il pour eux qu'un coupable soit puni � l'heure m�me ou trente ans apr�s? c'est comme. s'il �tait ex�cut� le soir au lieu de l'�tre le matin. Enferm� dans la vie comme dans une 18 prison d'o� il ne peut ni sortir ni s'�chapper, il s'occupe en attendant de mille choses, il r�gale ses amis, il leur fait des pr�sents ; il est comme ces prisonniers qui jouent aux osselets tandis qu'ils ont l' instrument de leur supplice suspendu sur leur t�te. [10] Les criminels enferm�s jusqu'au temps de l'ex�cution ne sont-ils donc punis qu'au moment o� on leur tranche la t�te? Celui qui, apr�s avoir bu la cigu�, se prom�ne � grands pas jusqu'� ce que le poison fasse son effet, ne subit-il sa condamnation que lorsque l'extinction totale de sa chaleur naturelle glace ses membres et lui �te le sentiment de la vie? Voil� pourtant ce qu'il faudra dire, si l'on ne veut compter le ch�timent que de l'instant o� il finit, et qu'on n'y comprenne pas tout ce que les coupables �prouvent dans l'intervalle, ces troubles int�rieurs, ces craintes, cette attente du supplice et ces remords vengeurs dont un criminel est saisi aussit�t apr�s son forfait. Dira-t-on qu'un poisson qui a aval� l'hame�on avec l'app�t n'est r�ellement pris que lorsqu'il a �t� coup� par morceaux et mis sur le feu ? Tout coupable est donc prisonnier de la justice divine aussit�t qu'il a commis une action injuste et qu'amorc� par l'attrait du vice, il s'est laiss� prendre � cet app�t. Les remords qui s'�l�vent dans son �me l'agitent et le tourmentent, Comme un monstre en nageant fait soulever les flots. La p�tulance et l'audace du crime ne se conservent dans leur force et leur activit� que jusqu'� la consommation du, forfait. Alors la passion, amortie, comme un vent qui tombe peu � peu, se dissipe insensiblement, et l'�me reste en proie aux terreurs de la vengeance divine. Aussi, le songe de Clytemnestre dans St�sichore est-il imagin� par ce po�te d'apr�s la. v�rit� et l'exp�rience. Il fait dire � cette reine homicide :
19
J'ai cru voir un dragon dont la t�te sanglante Les songes, les spectres qu'on croit voir en plein jour, les voix du ciel qu'on s'imagine entendre, les prodiges mena�ants et tout ce qu'on croit venir imm�diatement de Dieu, excitent dans le c�ur des coupables mille troubles et mille frayeurs. C'est ainsi qu'Apollodore crut voir en songe les Scythes qui l'�corchaient tout vif et le faisaient bouillir dans une marmite, d'o� son c�ur lui disait tout bas : � C'est moi qui suis la cause de ton supplice, � tandis que ses filles, dont le corps �tait en feu, couraient autour de lui (29). Hipparque, fils de Pisistrate, peu de jours avant sa mort, vit en songe V�nus qui tenait une coupe � la main et lui jetait du sang au visage (30). Les amis de Ptol�m�e C�raunus song�rent qu'il �tait appel� en justice par S�leucus et qu'il avait pour juges des loups et des vautours qui distribuaient aux ennemis une grande quantit� de viandes (31). Pausanias �tant � Byzance avait donn� rendez-vous la nuit � une jeune tille de condition libre nomm�e Cl�onice. Le bruit qu'elle fit en entrant dans sa chambre l'ayant r�veill� en sursaut, il la prit pour un ennemi, et, dans le trouble qu'il en eut, il la tua. Depuis, il crut la voir souvent en songe qui lui disait :
20
Marche vers ton supplice; il attend sa victime : Comme le spectre continuait � le poursuivre, il se rendit � H�racl�e, au lieu destin� pour l'�vocation des �mes. L�, par les expiations et les sacrifices d'usage, il �voqua l'ombre de cette .fille, qui lui apparut et lui annon�a que ses maux finiraient d�s qu'il serait de retour � Lac�d�mone. Il n'y fut pas plut�t arriv�, qu'il y p�rit (32). [11] S'il �tait vrai que l'�me finit avec le corps, et qu'apr�s la mort il n'y e�t plus de r�compense � attendre ni de peine � craindre, ne pourrait-on pas dire que Dieu traite avec plus de douceur et d'indulgence ceux qu'il punit de mort aussit�t apr�s leur crime ? Quand les m�chants n'auraient d'autre peine dans le cours d'une longue vie que d'�tre bien convaincus que l'injustice est une jouissance st�rile, qui ne paie d'aucun fruit r�el les travaux et les combats qu'elle co�te, le sentiment seul de cette v�rit� suffirait pour jeter le trouble dans leur �me. On raconte que Lysimaque, press� d'une soif ardente, se rendit prisonnier aux G�tes avec toute son arm�e. Lorsqu'il eut apais� sa soif aux d�pens de sa libert�, il s'�cria : � Quelle l�chet� d'avoir, pour un plaisir si court, perdu un si beau royaume ! � A la v�rit�, il est bien difficile de r�sister � un besoin forc� de la nature. Mais quand un homme, pour satisfaire son avarice, son ambition ou sa volupt�, se permet une action criminelle, et qu'ensuite le temps ayant �teint cette soif furieuse qui l'avait pouss� au crime, lui laisse voir qu'au lieu des avantages et des biens qu'il s'en promettait, il ne lui reste que le sentiment p�nible et cruel de son injustice, ne doit-il pas �tre sans cesse tourment� par cette pens�e, que pour un d�sir de gloire, pour un plaisir bas et infructueux, il a foul� aux pieds les droits les plus sacr�s, il s'est couvert de honte et a r�pandu sur sa vie le trouble et l'amertume ? 21 Simonide disait en riant qu'il trouvait toujours le coffre de l'argent plein, et celui de la reconnaissance toujours vide. Ainsi, quand les m�chants consid�rent en eux-m�mes leur injustice, ils voient qu'apr�s une satisfaction vaine et momentan�e, leur c�ur est vide des biens qu'ils s'en �taient promis, et ils n'y trouvent � la place que des craintes, des chagrins, des souvenirs f�cheux, des d�fiances sur le pr�sent, des soup�ons sinistres pour l'avenir. C'est ainsi que sur nos th��tres on entend Ino s'�crier dans les remords que lui causent ses crimes :
Puis-je encor d'Athamas
habiter le palais! Il est vraisemblable que l'�me de tout sc�l�rat, agit�e de ces m�mes pens�es, se dit souvent � elle-m�me : Comment pourrais-je d�truire le souvenir de mes crimes, �touffer les cris de- ma conscience et, purifi� de toutes mes souillures, substituer � la conduite que j'ai men�e jusqu'ici une vie tout oppos�e? En effet, � moins que de vouloir d�f�rer � l'injustice le titre de sagesse, peut-on s'emp�cher de reconna�tre qu'il n'y a ni fermet�, ni constance, ni stabilit� dans les desseins du m�chant? Examinez de pr�s un homme livr� � l'avarice, � l'amour des volupt�s, � l'inimiti�, � la haine : vous trouverez toujours que ces passions rec�lent en lui une superstition m�prisable, une mollesse ennemie de toute application, la crainte de la mort, une mobilit� continuelle dans ses go�ts, une recherche de la vaine gloire, fruit d'un ridicule orgueil. Effray� de la censure, il craint m�me les louanges. Comme il ne les doit qu'� l'erreur o� l'on est sur son compte, il croit faire injustice � ceux qu'il trompe : il les regarde comme des ennemis d'autant plus d�clar�s des m�chants, qu'ils louent plus volontiers les gens de bien. La roideur et la duret� du vice ressemblent � celle du mauvais fer, qui casse facilement et se r�duit en poussi�re. 22 Aussi, quand un homme vicieux vient enfin � se reconna�tre pour ce qu'il est, il se d�pla�t � lui-m�me, il se hait, il abhorre sa vie pass�e. S'il a rendu un d�p�t qu'on lui avait confi�, s'il s'est engag� pour un ami, si, par un mouvement d'ambition, il a fait quelque largesse a sa patrie, il s'en repent aussit�t, il a regret � sa g�n�rosit�, tant sa volont� est mobile et inconstante. Il en est qui, re�us au th��tre avec les applaudissements de tout le peuple, en g�missent bient�t, parce que l'avarice reprenant ses droits bannit de leur c�ur l'ambition' Et apr�s cela, croirons-nous que ceux qui sacrifient des victimes humaines pour cimenter de leur sang des conjurations et usurper l'autorit� souveraine, comme Apollodore (33), ou qui d�pouillent des amis de leurs biens, comme Glaucus, le fils d'Epicyde (34), ne soient pas d�chir�s de remords et n'aient pas horreur d'eux-m�mes et de leur conduite ? Pour moi, si j'ose dire ma pens�e, je crois qu'il n'est besoin, pour punir les sc�l�rats, ni de Injustice de Dieu ni de celle des hommes. Une vie toute corrompue et troubl�e par le crime n'est-elle pas pour eux un assez grand supplice? [12] Mais peut-�tre, leur dis-je, trouvez-vous que je passe les bornes que le temps nous prescrit. � Cela pourrait �tre, me r�pondit Timon, � en juger par ce qui nous reste � dire. Car maintenant que vous vous �tes assez bien tir� 23 des premi�res difficult�s, je vais vous en opposer une derni�re : ce sera pour vous un nouvel adversaire � combattre. Le reproche qu'Euripide ose faire ouvertement aux dieux, D'imputer aux enfants les fautes de leurs p�res, je le leur fais moi-m�me en secret. En effet, ou les auteurs du crime ont �t� punis, et dans ce cas, comme il serait injuste de ch�tier deux fois un coupable pour une m�me faute, il l'est encore davantage de punir des innocents; ou bien les dieux ayant, par une sorte de mollesse, n�glig� dans le temps la punition des sc�l�rats, ils la font retomber ensuite sur des innocents ; et alors ils sont bl�mables de r�parer leur n�gligence par une injustice. � Par exemple, on raconte qu'�sope vint � Delphes, de la part de Cr�sus, avec une grande somme d'argent, pour faire au dieu de ce temple de magnifiques offrandes et distribuer aux habitants quatre mines par t�te. Il prit querelle avec eux, et dans le ressentiment qu'il en eut, il fit seulement le sacrifice, et ne croyant pas les Delphiens dignes de la lib�ralit� que Cr�sus voulait leur faire, il renvoya le reste de l'argent � Sardes. Les habitants de Delphes l'accus�rent de sacril�ge, et l'ayant condamn� � mort, ils le pr�cipit�rent du haut de la roche Hyamp�e. Apollon, dit-on, irrit� de ce meurtre, frappa leur pays de st�rilit� et l'affligea de maladies cruelles. Ils firent donc publier dans toutes les villes de la Gr�ce que quiconque voudrait avoir satisfaction de la mort d'�sope pouvait se pr�senter, qu'ils se soumettraient � tout. Ce ne fut qu'� la troisi�me g�n�ration qu'il vint de Samos un certain Idmon, qui n'�tait nullement parent d'�sope, mais qui descendait seulement de ceux qui l'avaient achet� dans cette ville. Les Delphiens lui firent la satisfaction qu'il exigea et furent d�livr�s des fl�aux qu'ils �prouvaient. C'est, dit-on, depuis cette �poque que le supplice 24 des sacril�ges fut transf�r� de la roche Hyamp�e � celle de Nauplia. � Les plus grands partisans d'Alexandre, et nous sommes de ce nombre, n'approuvent point qu'il ait ras� de fond en comble la ville des Branchides et pass� tous ses habitants au fil de l'�p�e, pour expier le crime que leurs anc�tres avaient commis en livrant le temple de Milet 35). � Les Corcyr�ens demandaient au tyran Agathocle pourquoi il ravageait leur �le: � C'est, leur r�pondit-il avec un ris moqueur, parce que vos anc�tres ont donn� l'hospitalit� � Ulysse (36).� Ceux d'Ithaque se plaignaient � ce m�me Agathocle de ce que ses soldats emportaient leurs moutons. � Et votre roi, leur|dit-il, lorsqu'il vint en Sicile, non content d'enlever les n�tres, ne creva-t-il pas l'�il au berger ? � �Mais Apollon n'est-il pas, ce me semble, encore moins raisonnable, s'il ruine aujourd'hui les Ph�n�ates et s'il inonde leur pays, en fermant les gouffres qui donnaient l'�coulement aux eaux, parce que Hercule enleva, dit-on, il y a plus de mille ans, le tr�pied du temple de Delphes, pour le transporter � Ph�n�e (37)? N'a-t-il pas eu plus de tort de d�clarer aux Sybarites que leurs malheurs 25 ne cesseraient que lorsqu'ils auraient apais� par trois destructions de leur ville la col�re de Junon Leucadienne? Il n'y a pas longtemps que les Locriens ont cess� d'envoyer � Troie, en punition de l'incontinence d'Ajax, de jeunes filles (38).
Qui, les pieds nus, sans
voile, en esclaves trait�es, Est-ce l� une conduite raisonnable et qu'on puisse justifier? � Ne bl�mons-nous pas les Thraces, qui, m�me aujourd'hui, pour venger la mort d'Orph�e, font des incisions au visage de leurs femmes? et ces Barbares qui, sur les rives du P�, portent encore le deuil de Pha�ton ? Ceux-ci ne seraient-ils pas bien plus ridicules si leurs anc�tres, au temps de Pha�ton, n'avaient t�moign� aucun regret de sa perte, et que ce f�t seulement cinq ou m�me dix g�n�rations apr�s qu'on e�t commenc� � en porter le deuil et � le pleurer? Apr�s tout, il n'y aurait en cela que de la folie, sans aucun mal ni aucune injustice. Mais par quel motif le courroux des dieux, apr�s avoir �t� comme assoupi sur les auteurs du crime, vient-il ensuite, comme l'inondation subite d'un fleuve, foudre tout � coup sur des innocents et les accabler des plus grands malheurs?� [13] Comme il s'interrompit un moment et que je craignis qu'il ne d�bit�t encore un plus grand nombre d'absurdit�s pareilles, je pris sur-le-champ la parole : Eh quoi ! 26 lui dis-je, croyez-vous que tous ces faits soient vrais? � Quand ils ne le seraient pas tous, me r�pondit-il, et qu'il n'en faudrait croire qu'une partie, pensez-vous que la difficult� ne subsist�t pas dans toute sa force? � Peut- �tre, lui r�pliquai-je. Dans une fi�vre ardente, qu'on ait une ou plusieurs couvertures, le degr� de chaleur est � peu pr�s le m�me ; cependant c'est soulager d'autant le malade, que d'en diminuer le nombre. Mais, si vous m'en croyez, laissez l� ces histoires, presque toutes fabuleuses, et rappelez-vous plut�t la f�te que nous avons vu c�l�brer il y a peu de jours et cette portion honorable qu'on met � part pour les descendants de Pindare, comme le h�raut le proclame � haute voix. Combien ce spectacle vous parut noble et touchant! �Eh! quel homme, reprit-il, � moins que, selon l'expression de Pindare, Son �me n'e�t du fer toute la duret� (39), n'aurait vu avec plaisir une distinction si flatteuse et qui peint si bien l'ancienne simplicit� de la Gr�ce?� Je ne parle point, lui dis-je, d'une semblable proclamation qui se fait � Sparte : C'est apr�s le chantre lesbien, pour honorer la m�moire de l'ancien Terpandre (40). C'est pour l'une et pour l'autre le m�me motif. Mais vous-m�me ne pr�tendez-vous pas m�riter des pr�f�rences, et dans la B�otie, comme descendants d'Ophelte (41), et chez les Phoc�ens � cause de Da�phan- 27 te (42) ? Ne f�tes-vous pas les premiers � vous d�clarer pour moi, lorsque parlant en faveur des Lycormiens et des Satil�ens, qui demandaient � �tre maintenus dans les honneurs accord�s anciennement aux H�raclides, et dans le droit de porter la couronne aux f�tes publiques, je disais que rien n'�tait plus juste que de conserver en entier aux descendants d'Hercule des honneurs que ce h�ros n'avait pas re�us lui-m�me lorsqu'il rendait � la Gr�ce les services les plus signal�s? �Vous nous rappelez, me dit-il, un combat bien honorable � la philosophie. � Cessez donc, lui dis-je, d'accuser les dieux avec tant de vivacit� et de trouver mauvais que les fils d'un p�re coupable soient punis, ou n'approuvez pas qu'on honore dans les enfants la vertu de leurs p�res. Si nous croyons juste d'�tendre aux. derni�res g�n�rations la reconnaissance que m�rite la vertu, pourquoi le serait-il moins de prolonger jusqu'� des temps �loign�s la punition du crime? Ne convient-il pas que tout soit �gal de part et d'autre? Celui qui voit avec plaisir les descendants de Cimon honor�s � Ath�nes (43), et qui s'indigne que ceux de Lachar�s et d'Ariston (44) en soient bannis, est un homme faible et incons�quent, ou plut�t il est difficile � l'�gard des dieux et cherche des pr�textes pour censurer leur conduite. Si les enfants d'un homme injuste sont dans la prosp�rit�, il se plaint. Voit-il la race des m�chants proscrite et �teinte, il se plaint encore, �galement m�content des dieux, quand ils laissent dans l'adversit� et les enfants d'un sc�l�rat et ceux d'un homme de bien. 28 [14] Regardez, lui dis-je, ces r�flexions comme une barri�re contre ces censeurs amers de la Divinit�. Pour nous, reprenons le fil qui doit nous conduire dans le d�dale obscur o� nous marchons, et t�chons d'arriver � ce qu'on peut d�couvrir de plus vraisemblable dans un pareil sujet; car, pour la certitude enti�re, nous ne saurions l'avoir dans nos propres actions. Pourquoi, par exemple, fait-on tenir assis, et les pieds dans l'eau, les enfants de ceux qui sont morts du marasme ou de l'hydropisie, jusqu'� ce que les corps de leurs p�res aient �t� consum�s par les flammes, et qu'on croit par l� les pr�server de la maladie ? Pourquoi une ch�vre qui prend dans sa bouche du chardon � cent t�tes fait-elle arr�ter tout le troupeau jusqu'� ce que le berger vienne le lui �ter? (45) Combien d'autres effets, par des communications secr�tes et insensibles, se propagent � de grandes distances avec une incroyable rapidit� ! Mais nous ne sommes gu�re frapp�s que de l'intervalle des temps et non de celui des lieux. Pour moi, je suis plus �tonn� que la peste se soit r�pandue de l'�thiopie jusqu'� Ath�nes, o� elle enleva P�ricl�s et manqua de faire p�rir Thucydide (46), que de voir les enfants des Phoc�ens et ceux des Sybarites punis des crimes de leurs p�res. Ces effets physiques ont une force active dont les influences s'�tendent, se communiquent de proche en proche, et quoique le principe nous en soit inconnu, il ne laisse pas de produire son effet. [15] Les vengeances publiques que les dieux exercent sur les villes ont un motif de justice que tout le monde doit apercevoir. Une ville est toujours un seul et m�me corps qu'on peut comparer � un animal dont la nature n'est chang�e ni par la succession du temps ni par les variations qu'il �prouve dans ses diff�rents �ges. Toujours le 29 m�me dans sa substance et dans ses propri�t�s, il a en soi la cause de ses actions, soit pr�sentes, soit pass�es, tant que la liaison intime qui en joint les diff�rentes parties et n'en fait qu'un m�me tout le conserve dans son unit�. Vouloir, � raison des divers temps, d'une seule ville en faire plusieurs, c'est diviser un homme en plusieurs, sous pr�texte qu'il a �t� successivement jeune, homme fait et vieillard (47). C'�tait, en fait de raisonnement, la m�thode d'�picharme, d'o� les sophistes ont form� l'esp�ce d'argument qu'ils appellent croissant. Un homme qui a emprunt� de l'argent il y a longtemps ne le doit plus aujourd'hui, attendu qu'il est maintenant tout autre qu'il n'�tait alors. Celui que vous avez invit� hier � souper y vient aujourd'hui sans �tre convi�, car ce n'est plus le m�me homme. Or, les divers �ges de la vie mettent encore dans chacun de nous de plus grandes diff�rences que le temps ne fait dans une m�me ville. Quiconque aurait vu Ath�nes il y a trente ans la reconna�trait parfaitement aujourd'hui. Les m�urs, les allures, les jeux, les soins, les plaisirs, les emportements du peuple y sont les m�mes que ceux des anciens. Pour un homme, quelque ami, quelque familier qu'on ait �t� avec lui, si l'on est longtemps sans le voir, on a bien de la peine � le reconna�tre. Les m�urs, plus mobiles encore que la figure, changent selon les motifs, les travaux, les affections et les lois qui nous dirigent ; aussi offrent-elles tant de variations et de contrari�t�s, que les personnes qui se voient habituellement en sont toujours dans une nouvelle surprise ; cependant, cela n'emp�che point qu'on ne regarde un homme, depuis sa naissance jusqu'� sa mort, comme un seul et m�me in- 30 dividu. Une ville �tant aussi toujours la m�me, n'est-il pas juste qu'elle participe au bl�me de ses anc�tres, comme elle partage leur puissance et leur gloire ? Voudrions-nous imprudemment tout pr�cipiter dans ce fleuve d'H�raclite o� personne, disait ce philosophe, ne descend deux fois le m�me, parce que la nature fait subir � tous les �tres des changements continuels ? [16] Si une ville est un corps unique et toujours le m�me, ne doit-on pas, � plus forte raison, le dire d'une seule famille sortie d'une tige commune, qui r�pand son influence sur tout ce qu'elle produit et lui transmet ses qualit�s? Les branches qui en proviennent ne sont pas s�par�es d'elle comme l'ouvrage l'est de l'ouvrier ; elles sont produites, non par elle, mais d'elle-m�me, et elles portent en soi une portion de la substance dont elles tirent leur origine ; il convient donc qu'elles en partagent les punitions et les r�compenses. Me soup�onnerez-vous de vouloir plaisanter si je dis que les Ath�niens furent plus injustes quand ils firent fondre la statue de Cassandre, et les Syracusains lorsqu'ils transport�rent le corps de Denys hors de leur territoire, que s'ils avaient puni leurs descendants des fautes de leurs p�res? car enfin la statue de Cassandre ne tenait en rien de la nature de ce prince, et l'�me de Denys avait abandonn� son corps. Mais Nys�e et Apollocrate (48), mais Antipater et Philippe (49), et en g�n�ral ceux qui ont eu pour anc�tres des hommes vicieux, ont en eux-m�mes une portion dominante du naturel de leurs p�res ; et cette portion n'est ni oisive ni tranquille : c'est elle qui les fait vivre et qui les nourrit ; c'est elle qui dirige leurs sentiments et leur 31 conduite. Faut-il donc trouver �trange qu'ils participent aux inclinations de ceux dont ils sont sortis? En un mot, c'est ici comme dans la m�decine, o� tout ce qui est utile est juste. Il serait ridicule d'accuser un m�decin d'injustice parcequ'il fait un caut�re au bras d'un homme qui souffre de la hanche, ou qu'il scarifie le bas-ventre � celui dont le foie. est' ulc�r�. On rogne l'extr�mit� des cornes aux b�ufs qui ont l'ongle du pied trop mou ; pourquoi donc vouloir exiger dans les punitions d'autre justice que la gu�rison m�me du vice ? pourquoi trouver mauvais qu'on l'applique aux uns pour servir de rem�de aux autres, comme pour calmer l'inflammation des yeux on fait ouvrir la veine? N'est-ce pas borner sa vue � ce qui frappe les sens ? Ne voit-on pas un ma�tre d'�cole contenir tous les enfants par la punition d'un seul, et un g�n�ral, en d�cimant ses soldats, faire rentrer dans le devoir l'arm�e enti�re ? Les affections en bien ou en mal se communiquent non seulement d'un membre � l'autre, mais d'�me � �me, plus encore que de corps � corps. Dans ceux-ci, les impressions et les changements sont un effet n�cessaire : l'�me est souvent entra�n�e par l'imagination et peut devenir meilleure ou se d�t�riorer, selon qu'elle se laisse aller � la confiance ou � la crainte. [17] Je parlais encore, lorsque Olympiacus m'interrompit. � Vous supposez l�, me dit-il, un point de doctrine bien sujet � discussion, l'immortalit� de l'�me. � C'est un point, lui dis-je, que vous ne me contestez pas, ou plut�t que vous m'avez d�j� accord�. Tout ce que nous avons dit jusqu'ici a eu pour base cette supposition, que Dieu nous traite chacun selon son m�rite. � Eh quoi ! r�pliqua-t-il, de ce que Dieu a l'�il ouvert sur les actions des hommes et donne � chacun ce qui lui est d�, vous concluez que nos �mes sont immortelles, ou du moins qu'elles subsistent un certain temps apr�s notre mort? � Non, 32 lui dis-je ; mais Dieu n'est pas assez minutieux ni assez d�s�uvr� pour donner tous ses soins � des hommes qui n'auraient rien de divin, de solide et de durable, rien qui les rend�t semblables � lui, � des hommes qui seraient, selon l'expression d'Hom�re, comme les feuilles qui se fl�trissent et se dess�chent en peu d'instants. Croyez-vous que, semblable � ces femmes qui cultivent dans des pots de terre les jardins d'Adonis (50), il fasse v�g�ter dans une chair d�licate, incapable d� jeter de profondes racines, une �me �ph�m�re sujette � s'�teindre au moindre souffle? Mais voulez-vous que, sans nous arr�ter aux autres dieux, nous ne parlions que de celui qu'on adore dans ce temple? Est-ce parce qu'il sait que les �mes p�rissent aussit�t apr�s la mort et se dissipent comme un nuage ou une fum�e, qu'il prescrit pour les morts un si grand nombre de sacrifices, qu'il exige qu'on leur rende tant d'honneurs fun�bres, et qu'il se joue ainsi de la cr�dulit� des mortels? Pour moi, je ne renoncerai jamais � la doctrine de l'immortalit� de l'�me, � moins qu'on ne vienne, comme autrefois Hercule, enlever le tr�pied de la pythie et an�antir les oracles. Mais tant qu'on donnera dans ce temple des r�ponses semblables � celle qu'y re�ut Corax de Naxe, je regarderai comme une impi�t� de croire que l'�me soit mortelle. � Quelle est donc cette r�ponse et quel �tait ce Corax ? me demanda Patrocl�as : l'un et l'autre me sont �galement inconnus. � C'est ma faute, lui dis-je, si vous ne l'avez pas reconnu ; je l'ai d�sign� par son surnom, au lieu de dire son nom propre. Ce fut lui qui tua Archiloque dans un combat ; il s'appelait Callond�s, et son surnom �tait Corax. Rejet� d'abord par la pr�tresse comme 33 meurtrier d'un homme consacr� aux Muses, il eut recours aux pri�res les plus humbles et chercha � excuser son action. L'oracle alors lui ordonna d'aller � la maison de T�tix pour y apaiser l'�me d'Archiloque. Cette maison �tait la ville de T�nare, o� T�tix, parti de Cr�te, vint d�barquer avec sa flotte et b�tit une ville pr�s de l'endroit o� l'on �voquait les �mes des morts (51). L�s Spartiates aussi, sur l'ordre que l'oracle leur donna d'apaiser l'�me de Pausanias, firent venir d'Italie des ministres sacr�s (52), qui par leurs sacrifices chass�rent du temple l'ombre de ce prince. [18] La providence divine et l'immortalit� de l'�me sont donc �tablies sur les m�mes preuves. Chercher � d�truire l'une de ces v�rit�s, c'est vouloir an�antir l'autre ; mais puisque l'�me existe apr�s la mort, il est plus vraisemblable qu'elle re�oit alors les r�compenses ou les peines qui lui sont dues. La vie a �t� pour elle un temps de combat; et ses travaux �tant termin�s, on lui d�cerne ce qu'elle a m�rit�. Les honneurs ou les ch�timents qu'elle re�oit dans l'autre vie, lorsqu'elle est s�par�e du corps, font peu d'impression sur nous, qui les ignorons ou ne les croyons pas ; mais les peines qui poursuivent les enfants des coupables et s'attachent � leur race, �tant visibles et connues de tout le monde, elles effraient un grand nombre de m�chants et les d�tournent du crime. Est-il une punition plus affligeante et plus ignominieuse que de voir ses descendants tourment�s pour les fautes qu'on a commises soi-m�me? Quand l'�me d'un sc�l�rat ou d'un impie voit apr�s sa mort, non pas ses 34 statues renvers�es et ses honneurs abolis, mais ses enfants, ses amis et tous ceux qui lui appartenaient plong�s pour ses propres crimes dans les plus grands malheurs, quel doit �tre son tourment et son d�sespoir? Quel homme, s'il en �tait le t�moin, voudrait alors, pour tous les honneurs m�me de Jupiter, avoir �t� injuste ou d�bauch� ? Je pourrais vous rapporter � ce sujet une histoire que j'ai apprise il n'y a pas longtemps ; mais je craindrais que vous ne la prissiez pour une fable, et je ne veux rien dire qui ne soit fond� en vraisemblance. � Ne craignez rien, me dit Olympiacus, et racontez-nous votre histoire. � Tous les autres m'ayant fait la m�me pri�re, � Laissez- moi, leur dis-je, vous achever les preuves qui me restent � d�duire ; ensuite, puisque vous le voulez, nous passerons � la fable, si toutefois c'en est une. � [19] Bion pr�tend que si Dieu punissait les enfants pour les fautes de leurs p�res, il serait plus ridicule qu'un m�decin qui traiterait le fils ou le petit-fils d'un homme actuellement malade ; mais ces deux choses, semblables en un point, diff�rent dans un autre. Le traitement qu'on fait � un malade n'en gu�rit pas un autre atteint de la m�me maladie, et jamais homme ne fut d�livr� de la fi�vre ou de l'ophtalmie pour en avoir vu traiter un autre de ces deux maladies. Mais le supplice des m�chants s'ex�cute devant tout le monde, parce que l'effet d'une punition inflig�e avec justice est de retenir les uns par le ch�timent des autres. Bion lui-m�me n'a pas senti en quoi sa comparaison touchait � la question propos�e. Un homme attaqu� d'une maladie grave, mais non incurable, s'est-il lui-m�me conduit � la mort par son intemp�rance, et son fils, sans �tre actuellement atteint de la m�me maladie, para�t-il y avoir de la disposition, un m�decin, un ami, un instituteur ou un bon ma�tre connaissant en lui ce vice de temp�rament, l'assujettissent � un r�gime aust�re, lui inter- 35 disent les rago�ts, la p�tisserie, le vin et les femmes, lui prescrivent des rem�des fr�quents, fortifient son corps par des exercices continuels, et par l� ils dissipent les germes encore faibles d'un mal dangereux et l'emp�chent de faire des progr�s. Lorsque nous connaissons des enfants n�s d'un p�re ou d'une m�re infirme, ne les avertissons-nous pas de veiller sur eux-m�mes avec le plus grand soin, de ne pas n�gliger leur �tat et de chasser au plus t�t ces principes de maladie qu'ils ont re�us avec la vie et qu'on peut d�truire facilement quand on s'y prend de bonne heure, mais qui, n�glig�s, peuvent avoir les plus f�cheuses suites? � Cela est tr�s vrai, � me r�pondirent-ils. Est-ce donc une chose absurde et ridicule, ou plut�t n'est-il pas utile, et m�me n�cessaire, de prescrire aux enfants des �pileptiques, des m�lancoliques et des goutteux, des exercices, des rem�des et un r�gime convenables, quoiqu'ils ne soient pas actuellement sujets � ces maladies, et par le seul motif de les pr�venir ? Un corps form� d'un autre mal constitu� a besoin, non de punition, mais de rem�des et de pr�cautions ; et quiconque regarde comme un ch�timent le r�gime qu'on lui impose, parce qu'il le prive des plaisirs et lui .cause des douleurs vives, est un homme timide et l�che qu'il ne faut pas �couter. Eh quoi ! on pense en pareil cas devoir au corps ce traitement et ces pr�servatifs, et lorsqu'une �me aura re�u dans sa naissance m�me une conformit� de vice qui, dans un naturel encore tendre, ne demande qu'� germer et � cro�tre, il faudra la n�gliger et attendre avec indiff�rence que ce germe vicieux, une fois d�velopp� se manifeste par les passions, et, selon l'expression dle Pindare, D'un esprit corrompu fusse �clore les fruits? [20] N'est-ce pas un pr�cepte digne de la sagesse de Dieu m�me; que celui qu'H�siode nous donne
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C'est apr�s un banquet c�l�br� pour les dieux, Comme la g�n�ration peut transmettre non seulement les principes du vice et de la vertu, mais encore les impressions de la joie, de la tristesse et de toutes les autres affections, il veut qu'on n'y proc�de qu'avec un esprit tranquille et serein. Mais ce qui est au-dessus des pr�ceptes d'H�siode, ce qui demande, non une sagesse humaine, mais celle de Dieu m�me, c'est de reconna�tre et de sentir la conformit� ou la diff�rence des naturels avant que les passions les manifestent par de grands crimes. Les petits des ours, des loups et des singes montrent tout de suite leur caract�re, que rien ne voile ou ne d�guise ; mais le caract�re de l'homme est cach� sous la forme que lui donnent les m�urs, les opinions et les lois. Ses d�fauts sont voil�s ; il para�t souvent homme de bien ; quelquefois il d�truit les vices qui infectaient son c�ur ; quelquefois aussi il se couvre d'un voile artificieux qui nous cache toute sa m�chancet�, et nous ne connaissons sa perversit� que par ses injustices. Il n'en commet aucune qui ne nous frappe et ne nous �tonne, et � peine en sentons-nous toute la malice. Nous croyons qu'il n'est injuste que quand il nous fait une injustice ; qu'il n'est intemp�rant que quand il se livre � la d�bauche, et qu'il n'est l�che que quand il prend la fuite. Personne n'est assez simple pour croire que le scorpion n'a son dard qu'� l'instant o� il pique, ou la vip�re son venin que quand elle mord ; et l'on croirait que le m�chant n'est tel que lorsqu'il le para�t? Non, la malice est n�e avec lui. Le voleur d�robe, et le tyran foule aux pieds les lois, d�s qu'ils en ont l'occasion et le pouvoir. Mais Dieu, qui n'ignore pas le caract�re et les dispositions de chacun de nous, � qui la nature de notre �me 37 est encore plus connue que celle de notre corps, n'attend pas, pour punir les coupables, que leur violence, leur effronterie et leur libertinage �clatent par des voies de fait, par des paroles et des actions lascives. Ce n'est pas pour se venger du mal ou des affronts qu'on lui a faits, qu'il punit l'homme adult�re, injuste ou ravisseur; c'est plut�t pour gu�rir ceux qui sont sujets � ces vices, et pour leur �ter leur malice, comme on traite un �pileptique avant qu'il tombe dans l'acc�s. [21] Nous cependant, qui tout � l'heure trouvions mauvais que Dieu diff�r�t la punition des m�chants, maintenant nous lui faisons un crime de pr�venir la mauvaise disposition de quelques uns d'entre eux avant qu'elle �clate par des injustices. C'est que nous ignorons que souvent l'avenir serait pire que le pr�sent, et ce qui est cach�, plus affreux que ce qui para�t au dehors. Sommes-nous donc capables de discerner pour quels motifs Dieu juge plus convenable de laisser quelques m�chants tranquilles, apr�s les crimes qu'ils ont commis, et de pr�venir dans quelques autres ceux qu'ils avaient projet�s? Ne voit-on pas des rem�des qui, sans effet sur des gens actuellement malades, sont utiles � d'autres qui, sans �tre affect�s de la m�me maladie, sont plus en danger que ceux qui en sont atteints? De l� vient que les dieux n'imputent pas toujours aux enfants les fautes de leurs p�res. Si un homme corrompu engendre un fils vertueux, comme quelquefois d'un p�re infirme il na�t un enfant robuste, Dieu l'affranchit de la punition r�serv�e � sa race, parce que de la famille du vice il est entr� dans celle de la vertu. Mais le fils d'un p�re criminel en a-t-il toutes les inclinations, il est juste qu'il porte la peine de ses vices comme une dette de succession. Antigone ne fut point puni pour les crimes de D�m�trius (53), ni Phyl�e et Nestor pour ceux d'Augias et 38 de N�l�e (54) parce que, n�s de p�res m�chants, ils avaient �t� vertueux eux-m�mes. Pour ceux dont le naturel avait pris toute l'empreinte de la malice de leurs p�res, la justice divine a puni en eux cette conformit� dans le vice. Les verrues, les taches et les autres marques qui sont sur le corps des p�res, ne se communiquent point aux enfants, et reparaissent ensuite sur les petits-fils. Une femme grecque �tant accouch�e d'un enfant noir, elle fut accus�e d'adult�re ; mais on d�couvrit qu'elle descendait au quatri�me degr� d'un �thiopien. Pithon de Nisibe passait pour un descendant des compagnons de Cadmus ; celui de ses enfants qui est mort depuis peu, avait sur son corps la figure d'une lance, signe distinctif de cette famille, lequel, sorti pour ainsi dire du fond d'un ab�me, s'�tait, apr�s tant de si�cles, remontr� dans sa personne. Ainsi, les affections et les qualit�s de l'ame souvent cach�es, et comme ensevelies pendant ces premi�res g�n�rations, se reproduisent dans des rejetons post�rieurs, et la nature d�veloppe peu � peu leur ressemblance dans le vice ou dans la vertu, avec la tige d'o� ils sont sortis. [22] Je me tus � ces mots ; mais Olympiacus prenant la parole, me dit en souriant : � Nous n'applaudissons pas encore, de peur que vous n'imaginiez que nous croyons la mati�re suffisamment prouv�e, et que nous vous tenons 39 quitte de votre histoire. Nous ne prononcerons que quand vous l'aurez racont�e. � . Je repris donc mon discours en ces termes : Thesp�sius, natif de Soli, en Cilicie, ami intime de ce Protog�ne que nous avons vu ici (55), ayant pass� sa premi�re jeunesse dans le libertinage, eut bient�t dissip� tout son patrimoine. R�duit � la mis�re, il devint injuste; et, dans le regret d'avoir perdu son bien, il eut recours, pour s'enrichir, aux voies les moins honn�tes. Ainsi des hommes d�bauch�s m�prisent leurs femmes pendant qu'ils vivent avec elles. Lorsqu'ils s'en sont s�par�s, et qu'elles sont remari�es � d'autres, ils les recherchent dans des vues criminelles, et t�chent de les corrompre. Les moyens les plus honteux lui �taient bons, d�s qu'ils pouvaient lui procurer des plaisirs ou de l'argent. Aussi acquit-il en peu de temps, sinon beaucoup de richesses, au moins une r�putation bien �tablie de m�chancet� et de sc�l�ratesse. Mais rien ne le rendit plus fameux que la r�ponse que lui fit faire l'oracle d'Amphiloque. Il avait, dit-on, envoy� demander au dieu s'il vivrait mieux � l'avenir qu'il n'avait fait par le pass�. L'oracle r�pondit que cela irait beaucoup mieux apr�s sa mort. La pr�diction s'accomplit en quelque sorte peu de temps apr�s. �tant tomb� d'un endroit assez �lev�, la t�te la premi�re, il n'eut point de blessure grave, mais seulement une contusion qui le fit s'�vanouir. On le crut mort ; mais trois jours apr�s, comme on se pr�parait � l'enterrer, il revint � lui. Il reprit en peu de jours ses esprits et ses forces, et il se fit dans sa vie le changement le plus merveilleux. Dans toute la Cilicie, on ne connut point de son temps d'homme plus juste dans les affaires, plus religieux envers les dieux, plus s�r pour ses amis, et plus redoutable aux ennemis. Tous ceux qui l'avaient connu d�siraient de savoir la 40 cause d'un changement si prodigieux, qu'on ne pouvait attribuer � un motif ordinaire. Et cela �tait vrai, comme on peut en juger par ce qu'il raconta lui-m�me � Protog�ne, et � d'autres amis non moins estimables. [221] Il disait qu'au moment o� il perdit connaissance il se trouva dans le m�me �tat qu'un pilote qu'on aurait pr�cipit� au fond de la mer ; qu'ensuite, s'�tant peu � peu relev�, il lui sembla qu'il respirait parfaitement, et que ne voyant plus que des yeux de l'�me, il portait ses regards sur tout ce qui l'environnait. Il ne vit plus aucun des objets qu'il avait coutume de voir, mais des astres d'une prodigieuse grandeur, et s�par�s entre eux par des intervalles immenses. Ils jetaient une lumi�re �blouissante et d'une couleur admirable ; son �me, port�e sur cet oc�an lumineux, comme un vaisseau sur une mer calme, voguait l�g�rement et se portait partout avec rapidit�. Passant sons silence une foule de choses qu'il avait vues, il racontait que les �mes des morts, prenant la forme de bulles de feu, s'�levaient au travers de l'air qui leur ouvrait un passage ; qu'ensuite, ces bulles venant � crever- sans bruit, les �mes en sortaient sous une forme humaine d'un volume peu consid�rable, et avec des mouvements diff�rents. Les unes, s'�lan�ant avec une �tonnante l�g�ret�, montaient en ligne droite ; les autres, tournant en rond comme des sabots qu'on fouette, montaient et descendaient tour � tour d'un mouvement confus et irr�gulier, et n'avan�aient que par des efforts longs et p�nibles. Dans cette multitude d'�mes qui lui �taient inconnues, il en aper�ut deux ou trois qu'il connaissait, et dont il voulut s'approcher pour leur parler; mais elles ne l'entendirent m�me pas : hors d'elles-m�mes et comme frapp�es de vertige, elles ne se laissaient ni voir ni toucher. Elles erraient d'abord �� et l� s�par�ment, et � mesure qu'elles en rencontraient d'autres affect�es de la m�me 41 mani�re, elles s'entrela�aient, couraient confus�ment, et poussaient des sons inarticul�s, semblables � des cris aigus arrach�s par la terreur. D'autres, plac�es au sommet de leur atmosph�re, avaient un visage riant ; elles s'approchaient les unes des autres d'un air de confiance et d'amiti�, et fuyaient les �mes agit�es et tumultueuses. Elles montraient, en se resserrant, les mouvements de peine dont elles �taient affect�es, et leurs�sentiments de plaisir et de joie, en se d�ployant avec libert�. Il vit dans ce nombre l'�me d'un de ses parents, qu'il eut de la peine � reconna�tre, parce qu'il �tait mort dans son enfance. Mais elle s'approcha, et lui dit : � Bonjour Thesp�sius. � Surpris de s'entendre nommer ainsi, il dit � cette �me qu'il s'appelait Arid�e, et non Thesp�sius. � C'�tait autrefois votre nom, reprit-elle ; mais � l'avenir vous porterez celui de Thesp�sius, car vous n'�tes pas mort ; seulement la partie intelligente de votre �me est venue ici par une volont� particuli�re des dieux ; ses autres facult�s sont rest�es unies � votre corps comme une ancre qui le retient. La preuve que je vous en donne, c'est que les �mes des morts ne font point d'ombre, et que leurs yeux sont sans mouvement. � A ces mots, Thesp�sius rentrant en lui-m�me et s'examinant avec plus d'attention, voit autour de lui une sorte d'ombre assez obscure qui suivait tous ses mouvements, au lieu que ces �mes �taient transparentes et environn�es de lumi�res, non pas toutes �galement, il est vrai, mais les unes jetaient un �clat pur et uni, comme la pleine lune dans sa plus grande clart� ; les autres avaient par intervalles des �cailles ou des cicatrices l�g�res. Celles-ci �taient marqu�es de taches noires, comme des serpents, ce qui leur donnait une figure extraordinaire ; d'autres enfin avaient des incisions assez profondes. [222] Ce parent de Thesp�sius (car rien n'emp�che de donner aux �mes le nom qu'elles ont port� pendant leur vie 42 lui expliqua tout en d�tail. � Adrast�e, lui dit-il, fille de Jupiter et de la N�cessit� (56), plac�e au lieu le plus �lev�, est pr�pos�e � la punition de tous les crimes, et aucun coupable, ni grand ni petit, ne peut, par force ou par ruse, �chapper � sa vengeance. Elle a sous ses ordres trois furies, dont chacune est charg�e d'un minist�re particulier. La premi�re, qui se nomme Peine, prompte et active, se saisit sur-le-champ de ceux qui pendant leur vie ont �t� punis dans leur corps et par leur corps m�me. Ses punitions sont douces et l�g�res; elle laisse m�me impunies plusieurs fautes qui auraient besoin d'expiation. Ceux dont la malice demande un traitement plus s�v�re, sont, apr�s leur mort, remis par un g�nie entre les mains de la seconde, nomm�e Dic�. Pour ceux dont la m�chancet� est sans rem�de, et qui ont �t� repouss�s par Dic�, l� troisi�me des ministres d' Adrast�e, qu'on appelle Erinnys, et qui est la plus cruelle, s'attache � leur poursuite, et quoiqu'ils se dispersent dans leur fuite, elle les atteint, les tourmente d'une mani�re d�plorable, et les pr�cipite dans un ab�me de t�n�bres dont l'horreur est inexprimable. � L'esp�ce de ch�timent qu'on inflige � ceux qui ont �t� punis pendant leur vie ressemble � la punition dont on use chez quelques nations barbares. En Perse, par exemple, on arrache les poils des habits et des tiares de ceux qu'on veut punir, et on les frappe, tandis que, les larmes aux yeux, les coupables demandent gr�ce. De m�me les punitions qui s'exercent sur les biens et sur le corps ne coupent pas dans le vif, et ne p�n�trent point jusqu'au vice m�me. Elles n'ont gu�re pour but que de frapper les sens des autres, et de les retenir par la crainte. Mais une �me arrive-t-elle dans ces lieux sans avoir �t� punie et purifi�e de ses fautes, Dic� s'en empare aussit�t, et 43 la montre dans toute sa nudit�, sans qu'elle puisse ni couvrir, ni pallier, ni d�guiser sa malice. Expos�e ainsi aux yeux de tout le monde, elle para�t d'abord devant ceux qui lui ont donn� le jour, pour lui faire voir, s'ils ont �t� vertueux, combien elle a d�g�n�r� et s'est rendue indigne d'eux; et s'ils ont �t� m�chants, afin qu'elle voie leur supplice et qu'ils soient t�moins du sien. Elle est longtemps punie, jusqu'� ce que toutes ses fautes soient expi�es par des douleurs et des tourments dont la grandeur et la violence surpassent autant ceux du corps que la r�alit� est au-dessus d'une vaine apparence. Les traces et les cicatrices de chaque crime restent plus ou moins longtemps imprim�es sur chacune de ces �mes. � Consid�rez, ajouta-t-elle, la diff�rence et la multitude de leurs couleurs. Ce gris sombre, et noir�tre est la marque d'une sordide avarice ; ce rouge de sang et de feu annonce la cruaut� ; le bleu fonc� d�signe l'intemp�rance dans les plaisirs ; et ce violet p�le et livide, presque semblable � la liqueur noire qui sort du corps des seiches (57), est le signe de la malignit� et de l'envie. Sur la terre, les couleurs du visage sont l'effet des passions dont l'�me est agit�e : ici, elles marquent la fin de ses expiations et de ses peines. Lorsque ces diff�rentes nuances ont enti�rement disparu, l'�me reprend l'�clat de sa couleur simple et originelle ; mais tant que ces couleurs y restent empreintes, elle �prouve des retours de passions, dont les mouvements et les saillies, plus faibles dans les unes, s'�teignent facilement, et ont, dans les autres, plus de force et de roideur. Il en est qui, ch�ti�es � plusieurs reprises, recouvrent enfin toute la puret� qui convient � leur nature ; d'autres, entra�n�es par leur ignorance et par l'attrait des volupt�s, vont se renfermer dans le corps de 44 quelque animal. Parmi ces derni�res, les unes, par la faiblesse de leur raison et l'inertie naturelle de leur intelligence, se portent � exercer leur facult� productive. Les autres, ne cherchant qu'� satisfaire leurs app�tits sensuels et � assouvir leurs d�sirs par la jouissance, demandent � recouvrer, par le moyen du corps, l'organe de leurs plaisirs; car ici elles n'ont qu'une ombre l�g�re, et, pour ainsi dire, un songe de volupt� qu'elles ne peuvent jamais pleinement satisfaire. � [223] A ces mots, elle conduisit Thesp�sius, avec beaucoup de c�l�rit�, � travers un espace qui lui parut immense, mais qu'il parcourut facilement et sans obstacle, port� sur des rayons de lumi�re, comme sur des ailes rapides. Parvenu � un gouffre vaste et profond, il se sentit abandonn� de cette force �trang�re qui le soutenait, et il vit que les autres �mes �prouvaient la m�me impression. Resserr�es comme des troupes d'oiseaux qui volent pr�s de terre, elles tournaient � l'entour du gouffre, sans oser p�n�trer plus avant. L'int�rieur, semblable aux antres de Bacchus, �tait tapiss� d'arbrisseaux, de plantes et de fleurs de toute esp�ce. Il s'en exhalait une vapeur douce et agr�able qui r�pandait an loin une odeur d�licieuse, et faisait �prouver une sensation pareille � celle du vin. Cette haleine odorif�rante dont les �mes se repaissent les p�n�tre de joie, et dans leurs transports, elles s'embrassent avec une tendresse mutuelle. Ce n'est partout aux environs de ce gouffre que jeux, que ris, que chants et divertissements agr�ables. C'�tait par l�, disait le parent de Thesp�sius, que Bacchus �tait mont� au s�jour des dieux, et qu'il y avait dans la suite conduit S�m�l� (58). Ce lieu s'appelle L�th�. Thesp�sius voulut s'y arr�ter, mais son 45 parent ne le lui permit pas; et, l'en arrachant de force, il lui dit que la raison est amollie et comme fondue par la volupt�; que la partie animale de nous-m�me, humect�e, �paissie par le plaisir, r�veille dans l'�me le souvenir du corps ; de ce souvenir na�t un d�sir violent de la g�n�ration, ainsi appel�e parce qu'elle est un penchant que l'�me a vers la terre, lorqu'elle est appesantie par des humeurs grossi�res. [224] Lorsqu'il eut fait autant de chemin qu'il venait d'en parcourir, il lui sembla voir une grande coupe, dans laquelle se d�chargeaient plusieurs ruisseaux, dont l'un roulait des eaux d'une blancheur plus �clatante que celle de la neige ou de l'�cume de la mer ; un autre d'un pourpre aussi vif que celui de l'arc-en-ciel, et d'autres de couleurs diff�rentes qui, de loin, �taient tr�s distinctes � la vue. Mais lorsqu'il s'en fut approch�, l'air qui environnait la coupe s'�vanouit, les couleurs s'obscurcirent, et la coupe ne conserva qu'une grande blancheur. Alors il vit trois g�nies plac�s triangulairement, qui m�laient ensemble ces ruisseaux dans une certaine proportion. Le parent de Thesp�sius lui dit qu'Orph�e s'�tait avanc� jusque-l�, lorsqu'il vint chercher l'�me de son �pouse, et que sa m�moire n'ayant pas �t� bien fid�le, il avait r�pandu faussement parmi les hommes que l'oracle de Delphes �tait commun � Apollon et � la Nuit, mais que ces deux divinit�s n'avaient nul rapport ensemble. � C'est avec la lune, ajouta-t-il, que la Nuit a un oracle commun, qui ne p�n�tre point jusqu'� la terre, qui n'a pas de demeure fixe, mais qui erre en tous lieux, et envoie aux hommes les visions et les songes. C'est de l� que ces apparitions nocturnes, m�l�es, comme vous le voyez, de faux et de vrai, d'artifice et de simplicit�, se r�pandent dans tout l'univers. Pour l'oracle d'Apollon, vous ne l'avez point vu ni ne pouvez le voir. La partie terrestre de l'�me n'est jamais assez d�gag�e de ses liens pour s'�lever aux r�- 46 gions c�lestes ; toujours d�pendante des sens, elle penche vers la terre. � En m�me temps il emm�ne Thesp�shis pour t�cher de lui faire voir la lumi�re qui partait, disait-il, du tr�pied, et allait, � travers le sein de Th�mis, se r�fl�chir sur le mont Parnasse. Thesp�sius d�sirait fort de la voir, mais il en fut emp�ch� par l'�clat �blouissant qu'elle jetait. Seulement il entendit, en passant, la voix aigu� d'une femme qui parlait en vers, et pr�disait, entre autres choses, le temps auquel Thesp�sius devait mourir. Le g�nie lui dit que c'�tait la voix de la sibylle qui, tournant dans l'orbite de la lune, annon�ait l'avenir. Thesp�sius e�t bien voulu en entendre davantage ; mais, repouss� par l'imp�tuosit� de la lune comme par un tourbillon rapide, il ne put saisir que bien peu de chose de ses pr�dictions, comme celles qui regardaient l'�ruption du Mont-V�suve, l'embrasement de Dic�archie, et ces vers qui regardaient l'empereur alors r�gnant :
Ce prince vertueux, par
une mort paisible, [225] De l� ils all�rent voir les supplices des criminels; ils furent frapp�s d'horreur � la vue de tant de maux et de douleurs. Bient�t Thesp�sius y reconnut, avec la plus grande surprise, plusieurs de ses parents, de ses amis et de ses proches, qui, condamn�s aux tourments les plus cruels et les plus ignominieux, l'appelaient en g�missant, et versaient des torrents de larmes. Il y vit enfin son propre p�re, qui, sortant d'une caverne profonde, couvert de plaies et de cicatrices, lui tendait les mains. Il e�t voulu garder le silence, mais les ministres de son supplice le forc�rent d'avouer qu'ayant re�u chez lui des �trangers 47 qui avaient beaucoup d'argent, il avait eu la perfidie de les faire p�rir par le poison pour s'emparer de leurs richesses ; que son crime �tait rest� secret sur la terre, mais, qu'en ayant �t� convaincu dans les enfers, il avait d�ja subi une partie de sa peine, et qu'il �tait conduit au lieu o� devait s'achever l'expiation de son forfait. Thesp�sius, saisi de frayeur, n'osa pas demander gr�ce pour son p�re; il voulut m�me retourner sur ses pas et prendre la fuite. Mais tout � coup, au lieu de ce guide complaisant qui l'avait conduit jusque-l�, il aper�ut des figures hideuses qui le pouss�rent en avant et le forc�rent de parcourir le reste de l'espace. Il vit que les ombres de ceux qui avaient �t� ouvertement corrompus, ou qui, sur la terre, avaient d�j� subi une partie de leur ch�timent, �taient moins tourment�es, moins d�figur�es que les autres, et souffraient moins dans la partie animale de leur �me, si�ge des d�sirs et des passions. Pour celles qui, sous l'ext�rieur d'une fausse vertu, avaient cach� une corruption secr�te, d'autres �mes, plac�es autour d'elles, les contraignaient � des efforts p�nibles et douloureux pour retourner au dehors le dedans de leur �me. On les voyait s'agiter et se tordre avec violence, comme les scolopendres de mer retournent leur estomac quand elles ont aval� l'hame�on. D'autres, �corch�es et montr�es ainsi � d�couvert, laissaient voir les diff�rents vices qui avaient infect� leur raison, cette portion la plus noble de leur �me. Il disait en avoir vu qui s'entrela�aient deux � deux, et trois � trois, ou m�me en plus grand nombre, comme des vip�res, et qui se d�chiraient mutuellement par le ressentiment des maux qu'elles avaient faits ou soufferts pendant leur vie. L� il vit encore plusieurs lacs parall�les et remplis, l'un d'un or en fusion et tout bouillant, un autre, d'un plomb plus froid que la glace, le troisi�me, d'un fer tr�s rude. La garde en �tait confi�e � des g�nies qui, arm�s de te- 48 nailles semblables � celles des forgerons, plongeaient dans ces lacs et en retiraient tour � tour les �mes de ceux que l'avarice et une insatiable cupidit� avaient conduits au crime. Apr�s qu'elles avaient �t� plong�es dans le lac d'or, o� l'ardeur du feu les rougissait et les rendait transparentes, on les jetait dans le lac de plomb. L�, gel�es par le froid, et devenues aussi dures que la gr�le, elles �taient transport�es dans le lac de fer, o� elles contractaient une noirceur horrible. Rompues alors, et bris�es � cause de leur duret�, elles changeaient de forme, passaient de nouveau dans le lac d'or, et souffraient, disait-il, dans ces divers �tats, des douleurs inexprimables. [226] Mais il n'y en avait point qui �prouvassent des tourments plus affreux que celles qui, paraissant avoir satisfait � la justice divine, �taient de nouveau conduites au supplice. C'�taient les �mes dont les fautes �taient retomb�es sur leurs enfants ou sur leur post�rit�. Quand quelqu'un de leurs descendants les rencontre, il se jette sur elles avec furie en poussant de grands cris ; il leur montre les marques des tourments qu'il a soufferts pour leurs crimes, il les accable de reproches et s'attache � leur poursuite. Elles veulent s'enfuir et se cacher, mais en vain. Les bourreaux accourent � l'instant, qui les saisissent et les ram�nent au supplice toutes d�sol�es par le pressentiment des maux qu'elles vont souffrir. Un grand nombre d'elles �taient attach�es � leurs descendants comme des essaims d'abeilles ou des troupes de chauves-souris, et bourdonnaient de col�re (60), par le souvenir des tourments qu'elles enduraient � cause d'eux. Il vit en dernier lieu les �mes de ceux qui devaient re- 49 tourner � la vie, et qu'on for�ait avec violence de prendre les formes de toutes sortes d'animaux. Des ouvriers charg�s de cette transformation forgeaient � coups d'instruments certaines parties, donnaient � d'autres une forme nouvelle, en faisaient dispara�tre enti�rement quelques unes, pour rendre ces �mes propres � un autre genre de vie et � d'autres m�urs. Dans ce nombre il aper�ut l'�me de N�ron qui avait d�j� souffert de longs tourments, et �tait attach�e avec des clous rougis au feu. Les ouvriers la saisissaient pour lui donner la forme d'une vip�re, sous laquelle il devait vivre, apr�s avoir d�vor� le sein qui l'aurait port� ; mais tout � coup il parut une lumi�re �clatante, du milieu de laquelle il sortit une voix qui ordonna de le changer en une esp�ce plus douce, et d'en faire un animal qui chant�t le long des lacs et des �tangs; qu'il avait expi� tous ses crimes, et que les dieux lui devaient quelque r�compense pour avoir mis en libert� les Grecs, le peuple le plus juste de tous ceux qui lui �taient soumis, et le plus ch�ri des dieux (61). Jusque-l� Thesp�sius n'avait �t� que simple spectateur de tous ces objets ; mais comme il �tait sur le point de s'en retourner, il �prouva toutes les angoisses de la frayeur. Une femme d'une beaut� et d'une taille admirables le prit par la main, en lui disant : � Approchez, je veux que vous conserviez parfaitement le souvenir de tout ce que vous venez de voir. � En m�me temps elle fit mine de le toucher avec une petite baguette rougie au feu, et semblable � celle dont les peintres se servent (62); mais un autre l'en emp�cha. Alors il se sentit saisi par un vent violent et imp�tueux qui, l'entra�nant avec force, le 50 fit rentrer dans son corps, et il ouvrit les yeux au moment m�me o� on allait l'ensevelir (63) . (01) Il y a dans le grec Cynius; MM. Reiske et Wittenbach lisent Quintus, et ils pensent que c'est celui � qui Plutarque a adress�, ainsi qu'� son fr�re Nigrinus, le trait� de l'amiti� fraternelle. (02) Le commencement de ce trait� est perdu. Il contenait la d�clamation d'un philosophe nomm� �picure ( qui n'est pas le c�l�bre �picure ) contre la Providence. Apr�s avoir �puis� ses arguments, il se s�parait de ses auditeurs sans leur donner le temps de se reconna�tre. (03) Ce Lyciscus et le fait qui lui est relatif ne ta trouvent nulle part. M. Reiske observe avec raison que Plutarque rapporte volontiers des traits particuliers � la B�otie, dont l'histoire a �t� assez n�glig�e par les autres auteurs. (04) Cylon, riche Ath�nien qui aspirait � la tyrannie, s'�tait empar� de la citadelle d'Ath�nes, aid� des troupes de son beau-p�re, tyran de M�gare. Les citoyens en firent aussit�t le si�ge et la reprirent. Cylon trouva le moyen de s'�vader, et ceux de son parti se r�fugi�rent aupr�s de l'autel des Eum�nides. On les en fit sortir avec la promesse de leur conserver la vie. D�s que les Ath�niens les eurent entre les mains, ils les firent mourir. (05) i Cet ordre de raser les moustaches avait pour but d'�prouver l'ob�issance des citoyens sur les choses les moins importantes, les Lac�d�moniens, au reste, laissaient cro�tre leur barbe et ne rasaient que la l�vre sup�rieure. (06) C'est l'esp�ce d'affranchissement que les Romains appelaient per vindiciam. Le ma�tre prenait l'esclave par la t�te ou par quelque autre partie du corps, et pronon�ait ces paroles : je veux que cet homme soit libre; apr�s quoi il lui donnait un soufflet. Enfin le magistrat appuyait sur la t�te de l'esclave une baguette que les Latins appelaient vindicia, en disant: je d�clare que tu et libre par le droit des Romains. (07) Dans cette forme de testament on appelait cinq t�moins, citoyens romains, en �ge de pubert�, et un peseur. Il fallait que ces six personnes ne fussent ni au pouvoir du testateur ni au pouvoir de l'acheteur. Devant elles, le testateur faisait une vente simul�e de son h�ritage � une septi�me, qui �tait pr�sente aussi, et qui, pour symbole du prix qu'elle en donnait, comptait un peu d'argent au vendeur, dont il faisait ainsi passer les biens en son pouvoir. L'acheteur, dans cet acte solennel, n'avait d'h�ritier que le nom. L'h�ritage passait � un autre dont le vendeur et lui �taient convenus. (08) Plutarque, dans la Vie de Solon, dit que le motif de cette loi �tait qu aucun citoyen ne f�t indiff�rent aux malheurs publics; mais que, se joignant tout de suite au meilleur parti, il en partage�t les p�rils, plut�t que d'attendre, sans aucun risque, � voir de quel c�t� pencherait la victoire. (09) Quoique les anciens donnassent aux aines humaines une origine divine, ils croyaient qu'elles �taient souill�es ou par une portion de mal qui accompagnait leur naissance, ou par leur commerce .avec le corps, et par une suite de l'�ducation. Cette doctrine se trouve d�velopp�e dans les Tusculanes de Cic�ron. (10) Il y a dans le grec comme un dragon. C�crops, premier roi d'Ath�nes, qui vivait quinze cent cinquante-six ans avant J�sus-Christ, �tait, dit la Fable, moiti� homme et moiti� serpent. Quelques auteurs donnent une autre explication de ces deux natures qu'on lui attribuait. Ils disent que c'�tait une allusion aux deux langues, �gyptienne et grecque, que ce prince parlait, ou aux deux peuples qu'il gouvernait, les �gyptiens et les Grecs, ou � l'�tablissement de la soci�t� du mariage, qu'il avait introduite chez les Ath�niens, peuple alors sauvage et barbare, et qui ne fait qu'un seul corps des deux. Au reste, ce fut un des plus grands princes de l'antiquit� ; il donna des m�urs et des lois � la Gr�ce, et y porta la connaissance des arts. (11) L'usage barbare d'immoler des enfants � Saturne dura jusqu'au temps d'Agathocle. (12) Plutarque, dans la Vie d'Aratus, parle plus en d�tail de ce tyran, qu'il appelle Lysiade. (13) Denys l'Ancien, apr�s avoir re�u d'abord quelques �checs de la part des Carthaginois, finit par remporter sur eux une victoire compl�te, et les obligea de sortir de toute la Sicile. (14) Plutarque veut dire que si P�riandre e�t �t� puni de l'ambition qui l'avait engag� � r�gner, il n'e�t pas fait autant de bien qu'il en fit pendant un long r�gne, � moins que sa punition n'e�t �t� longtemps diff�r�e. (15) Cassandre fil p�rir Olympias, la m�re d'Alexandre, Roxane, femme de ce prince, avec le fils qu'elle en avait eu, ensuite Hercule, fils d'Alexandre et de Barsine ; et ce fut par tous ces meurtres qu'il se fraya le chemin au tr�ne. Il est vrai que toutes ces cruaut�s ne pr�c�d�rent pas la reconstruction de Th�bes. Il fit mourir Olympias vers la seconde ann�e de la cent seizi�me olympiade, et reb�tit Th�bes dans le m�me temps, par haine contre Alexandre, qui avait d�truit cette ville, et ce ne fut que la seconde ann�e de la cent dix-septi�me olympiade qu'il commit les autres meurtres. (16) On voit par ce passage et par quelques autres de ce trait� que cet entretien a eu lieu dans le temple de Delphes. (17) Dans la guerre sacr�e, Philom�le et Onomarchus, s'�tant mis � la t�te de plusieurs �trangers qu'ils avaient pris � leur solde, pill�rent le temple de Delphes. Diodore de Sicile raconte fort au long les divers ch�timents qu'�prouv�rent les chefs de cette entreprise sacril�ge. La plus grande partie de leurs soldats pass�rent en Sicile avec Timol�on, et d�tr�n�rent Denys le Jeune, qui fut envoy� � Corinthe ; ensuite ils remport�rent plusieurs victoires sur les Carthaginois ; et apr�s qu'ils eurent aid� Timol�on � les chasser enti�rement de la Sicile, les uns pass�rent en Italie, o� ils furent tous massacr�s par les Bruttiens; les autres p�rirent successivement en Sicile dans quelques exp�ditions dont ils avaient �t� charg�s par Timol�on. (18) L'hy�ne est un animal dont on trouve la description dans M. de Buffon, ainsi que celle du phoque, esp�ce d'animal amphibie. (19) L'histoire de ce jeune T�l�tias ne se trouve nulle autre part. Sicyone �tait une ville de l'Acha�e dans le P�loponn�se, pr�s de l'Isthme de Corinthe. (20) Orthagoras, tyran de Sicyone, avait �t� cuisinier. Ses descendants r�gn�rent � Sicyone l'espace de cent ans; Myron et Clisth�ne furent deux de ses successeurs. Il parait qu'Andr�e, p�re de Myron, fut le premier qui succ�da � Orthagoras, et que cette tyrannie finit � Clisth�ne, qui ne laissa qu'une fille. (21) Cl�one, ville de l'Acha�e, avait �t� tr�s florissante. Mais, dans la suite, elle tomba dans un �tat de d�gradation qui fut pour cette ville la suite naturelle de la servitude que les Romains lui avaient impos�e. (22) Hom�re, en cet endroit, parle d'un citoyen de Myc�ne nomm� P�riph�te, fils de Copr�e, h�raut charg� de porter � Hercule les ordres d'Euristh�e, pour les diff�rentes entreprises dont ce prince lui imposait l'obligation. (23) Autolycus, fils de Mercure, fut un des Argonautes. (24) Phl�gyas, fils de Mars et p�re d'Ixion et de Coronis, r�gnait dans la B�otie el fut un des hommes les plus valeureux de son temps. Apollon, apr�s avoir s�duit sa fille Coronis dont il avait eu Esculape, la fil tuer par Diane, pour la punir de son infid�lit�. Phl�gyas, pour s'en venger, br�la le temple de Delphes; et Apollon le pr�cipita dans les enfers. (25) P�ricl�s descendait d'une famille complice du sacril�ge commis sur les partisans de Cylon, dont il a �t� question au commencement de ce trait�. (26) Plutarque, dans la Vie de Pomp�e, dit que jamais les Romains n'eurent pour personne autant de haine que pour Strabon. La cause de cette grande haine, selon Plutarque, �tait son avidit� insatiable pour les richesses. (27) Callippus, qui vivait famili�rement avec Dion, forma le dessein de se d�faire de lui, pour exercer � sa place l'autorit� souveraine � Syracuse. Dion eut plusieurs avis de la conjuration ; mais, ne voulant pas ou se d�fier d'un homme qu'il croyait son ami, ou se rendre odieux au peuple en le faisant p�rir, il fut assassin� dans sa propre maison. (28) H�rodicus, m�decin de S�lymbr�e ou S�lybr�e, ville de Thrace dans la Propontide. Il �tait fr�re de Gorgias le sophiste, et avait eu Hippocrate pour disciple. (29) Apollodore s'�tait empar� de Cassandra, ville de la Mac�doine sur les confins de la Thrace; elle s'appelait auparavant Potid�e, et Cassandre, qui la fit reb�tir, lui donna son nom. Tous les auteurs qui ont parl� de ce tyran s'accordent � le poindre comme l'homme le plus violent el le plus cruel, et le mettent � c�t� de Phalaris. (30) Hipparque, la veille des panath�n�es, pendant lesquelles il fut tu�, crut voir en songe un homme d'une taille et d'une beaut� extraordinaires qui lui disait : Lion, souffre avec courage let plus grands maux ; il n'est point d'homme injuste qui �chappe � la punition. Le lendemain matin, il voulut d'abord consulter les devins ; mais ensuite, m�prisant cette vision, il alla � la f�le, o� il p�rit. (31) Ptol�m�e C�raunus, roi de Mac�doine, avait fait p�rir en trahison S�leucus Nicanor, roi de Syrie, le premier qui fonda le royaume des S�leucides eu Asie. (32) Voyez Plutarque, vie de Cimon. (33) Cet Apollodore est celui dont il a �t� question plus haut. Ce sc�l�rat, lorsqu'il aspirait � la tyrannie, pour unir davantage les complices de son entreprise parla soci�t� d'un m�me crime, immola un jeune homme de ses amis nomm� Callim�le, dont ils Lurent avec avidit� le sang, qu'ils avaient m�l� dans du vin. (34) Glaucus de Sparte avait re�u de l'argent en d�p�t d'un de ses amis de Milet dont les enfants �tant venus le lui redemander apr�s la mort de leur p�re; il refusa de le leur rendre, en disant qu'il ne se souvenait pas d'avoir rien re�u de son ami. Il les renvoya � quatre mois de l�, et alla consulter l'oracle pour savoir s'il pouvait garder cette somme en niant de l'avoir re�ue. Sur la r�ponse du dieu, il avoua sa faute et rendit le d�p�t; mais il mourut bient�t apr�s, et au bout de cent ans, il ne restait plus personne de sa race. (35) Apollon avait � Milet, dans le lieu appel� Didyme, un temple et un oracle, dont le soin tut confi� � un nomm� Branchus, que ce dieu avait aim�, et, apr�s lui, � ses descendants, nomm�s Branchides. Lorsque Xerx�s, � son retour de Gr�ce, passa par Milet, ils lui livr�rent le temple avec tous ses tr�sors. Comme ils craignirent le ressentiment de leurs concitoyens, ils demand�rent � ce prince la permission de b�tir dans la Sogdiane une ville qu'ils appel�rent de leur nom, la ville des Branchides. Alexandre, en haine de cette trahison sacril�ge, fit d�truire la ville et massacrer tous les habitants. (36) Corcyre ou Corfou �tait l'ancienne �le des Ph�aques, dont le roi Alcino�s avait fait un accueil si favorable � Ulysse. (37) Aupr�s de Nonacris, ville d'Arcadie voisine de celle de Ph�n�e, est la source du Styx. Les eaux de ce fleuve p�n�traient sous terre par une ouverture qu'on appelait le gouffre, et qui, s'�tant bouch�e par hasard, occasionna une inondation qui renversa la ville de Ph�n�e. L'opinion commune attribua ce d�sastre � la col�re d'Apollon, qui voulait se venger de ce qu'hercule avait emport� le tr�pied de Delphes � Ph�n�e. (38) Apr�s la prise de Troie, Ajax, roi des Locriens, viola Cassandre dans le temple m�me de Minerve. La d�esse, non contente de l'avoir fait p�rir dans un naufrage, �tendit sa vengeance sur tous les Locriens, en les affligeant de plusieurs maladies; ils all�rent consutter l'oracle, qui leur prescrivit d'envoyer � Troie, pendant mille ans, deux jeunes filles qui rempliraient les minist�res les plus bas dans le temple de Minerve- lis l'observ�rent religieusement jusqu'� la guerre des Phoc�ens du temps de Philippe de Mac�doine, c'est-�-dire plus de quatre cents ans avant Plutarque. (39) C'est une chose remarquable qu'il rest�t encore en B�otie, du temps de Plutarque, des descendants de Pindare. (40) Les Spartiates, �tant troubl�s par des dissensions civiles, envoy�rent consutter l'oracle, qui leur ordonna d'appeler chez eux un musicien de Lesbos. Ils firent venir Terpandre, qui, par la douceur de ses chants, calma les esprits et r�tablit la concorde dans la ville. Les Spartiates attribu�rent depuis le premier rang aux musiciens de Lesbos, et lorsqu'ils en avaient entendu chanter quelque autre, ils disaient sur-le-champ : � Il n'est qu'apr�s le chantre lesbien. � De l� naquit le proverbe que Plutarque rappelle ici. (41) Ophelte �tait un B�otien fils de ce P�n�l�e qui, selon Hom�re, commandait, au si�ge de Troie, les troupes des Th�bains. Il ne r�gna pas lui-m�me � Th�nes, mais seulement son p�re et son fils. (42) Voyez l'histoire de Da�phante, dans le Trait� des actions vertueuses des femmes. (43) On sait avec quelle g�n�rosit� Cimon en usait envers ses concitoyens. (44) Lachar�s, aid� de Cassandre, roi de Mac�doine, s'empara de l'autorit� souveraine � Ath�nes ; mais il n'en jouit pas longtemps. Ariston, philosophe �picurien, s'�tait fait tyran d'Ath�nes, sa patrie ; mais il se rendit � Sylla l'ann�e suivante, lorsque ce g�n�ral eut mis le si�ge devant cette ville. (45) Ces deux faits sont �galement erron�s. (46) Il s'agit de cette peste terrible qui, ayant commenc� en �thiopie, se r�pandit sur l'Attique la deuxi�me ann�e de la guerre du P�loponn�se. (47) Plutarque va donner une raison solide de cette punition que Dieu exerce sur les villes longtemps apr�s que les crimes qu'il ch�tie y ont �t� commis. C'est la conformit� de moeurs et d'inclinations que les enfants ont avec leur p�res. (48) Nys�e et Apollocrate �taient fils, le premier de Denys l'Ancien, et l'autre de Denys le Jeune. (49) Philippe et Antipater �taient fils de Cassandre. Le premier meure de consomption peu de temps apr�s son p�re. Antipater, qui lui succ�da fut bient�t mis � mort ou par Alexandre, son fr�re, ou par D�metrius. (50) Les jardins d'Adonis �taient pass�s en proverbe pour d�signer des choses frivoles, qui ne produisaient aucun fruit et ne donnaient qu'un plaisir court et passager. (51) Le T�nare est un promontoire du P�loponn�se, dans la Laconie, que les anciens prenaient pour un soupirail des enfers. (52) C'�taient des pr�tres qui, par des charmes magiques, pr�tendaient avoir la vertu d'�voquer les �mes des morts et de les rendre pr�sentes � ceux qui d�siraient de les apaiser. Ce Pausanias est celui qu'on avait enferm� et laiss� mourir de faim dans le temple de Minerve, pour avoir voulu livrer la Gr�ce � Xerx�s. (53) Il s'agit d'Antigone, surnomme Gonatas, qui succ�da � D�m�trius Poliorc�te, son p�re, au tr�ne de Mac�doine, el dont Plutarque a lou� la pi�t� filiale dans ses Apophtegmes. (54) Hercule ayant re�u ordre d'Eurysth�e d'aller nettoyer les �tables d'Augias, roi d'�lide, convint d'un certain prix pour cette entreprise assez difficile. Quand elle fut achev�e, Augias lui refusa le prix convenu. Phyl�e, son fils, fut pris pour arbitre, et pronon�a en faveur d'Hercule. Son p�re irrit� le chassa de ses �tats; mais Hercule, ayant vaincu Augias, rappela Phyl�e de Dulychium, o� il s'�tait relire, et le pla�a sur le tr�ne. Nestor fut aussi chass� par son p�re N�l�e, pour n'avoir pas voulu le seconder, lui et ses fr�res, dans le vol qu'ils firent des boeufs d'Hercule. Ce h�ros attaqua N�l�e, le tua dans un combat avec ses onze fils, dont il ne conserva que Nestor, � qui il donna le royaume de son p�re. (55) Protog�ne �tait un grammairien de Tarse en Cilicie, qui passa quelque temps � Delphes chez Plutarque. (56) Adrast�e est la m�me que N�m�sis, d�esse de la vengeance. (57) On sait que c'est une esp�ce de poisson qui, pour �chapper aux ennemis qui le poursuivent, r�pand autour de lui une liqueur presque aussi noire que de l'encre, � la faveur de laquelle il se d�robe � leur poursuite. (58) On sait que S�m�l�, qui eut la curiosit� de voir Jupiter dans tout l'�clat de sa divinit�, ne put le soutenir, et qu'elle expira subitement. Bacchus, son fils, dont elle �tait enceinte, sauv� par Jupiter, eut, dans la suite, la permission de la retirer des enfers et de la conduire au ciel. (59) L'empereur dont il est parl� en cet endroit est Vespasien, qui mourut paisiblement dans son lit, au lieu que la plupart des princes, ou plut�t des monstres qui r�gn�rent avant lui, avaient p�ri d'une mort violente. (60) Il y a dans le grec τετριγῦιας qui exprime un murmure secret, un bruit sourd: c'est l'expression dont Hom�re se sert lorsqu'il repr�sente les �mes des amants de P�n�lope qui descendent aux enfers, o� Mercure les conduit. (61) N�ron, parvenu � l'empire, affranchit la Gr�ce, et principalement l'Acha�e, de tout tribut. (62) Il s'agit ici de la peinture encaustique, dans laquelle on applique les couleurs sur les �maux avec le feu.
(63)
On peut
comparer avec cette fable all�gorique celle qui, comme nous l'avons d�j� dit,
termine le dixi�me livre de la R�publique de Platon, et d'o� il parai� que
Plutarque a emprunt� bien des id�es ; celle qui est � la fin da son Gorgias, et
qu'on a vu rapport�e en partie vers la fin du Trait� de la consolation �
Apollonius; et enfin celles du Ph�don et du Ph�dre, dont Plutarque a aussi
profit�.
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