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TABLE DES MATIERES DE PLUTARQUE

 

 

 

 

PLUTARQUE

 

OEUVRES MORALES

 

DE LA CR�ATION DE L'�ME

 

D'APR�S LE TIM�E DE

 

 PLATON.

 

texte grec

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OEUVRES

MORALES

DE PLUTARQUE.

TOME V.


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TYP. LACRAMPE ET COMP., RUE DAMIETTE, 2.


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OEUVRES

MORALES

DE PLUTARQUE,

TRADUITES DU GREC

PAR RICARD.

TOME CINQUI�ME.

A PARIS,

CHEZ LEF�VRE, �DITEUR,

RUE DE L'�PERON, 6;

CHEZ CHARPENTIER, �DITEUR,

RUE DE SEINE, 29.

1844.


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DE LA CR�ATION DE L'�ME

D'APR�S LE TIM�E DE PLATON.

PR�FACE DU TRADUCTEUR.

Ce trait�, le plus difficile de tous cens qui composent le recueil des Oeuvres morales de Plutarque, a pour objet de d�velopper les principes d'apr�s lesquels Platon a voulu expliquer la formation de l'�me du monde. Ce philosophe n'avait fait lui-m�me que commenter les id�es de Tim�e de Locres sur cette mati�re; et il a donn� le nom de ce c�l�bre pythagoricien au plus beau comme au plus fameux de ses dialogues, dans lequel il examine cette question importante. Tim�e �tait n� � Locres, ville d'Italie dans la grande Gr�ce, environ cinq cents avant J�sus-Christ. L'ouvrage qu'il avait compos� sur l'�me du monde ne nous a �t� conserv� que par le soin que Proclus a eu, lorsqu'il a comment� le trait� de Platon, de placer � la t�te de son commentaire le texte original sur lequel Platon avait travaill�. Mais les id�es du philosophe locrien sont en g�n�ral simples, claires et concises ; son commentateur, en voulant l'embellir, en a corrompu la simplicit�. La doctrine des nombres harmoniques, sur laquelle est fond� en grande partie, le d�veloppement rte son syst�me, y jette une telle obscurit�, qu'en .bien des endroits il est inintelligible. Les anciens eux-m�mes en jugeaient ainsi, et j'ai d�j� rapport� le mot de Cic�ron, qui, parlant a Atticus de quelque chose qu'il n'avait pu comprendre, lui dit qu'il l'a trouv� plus obscur que les Nombres de Platon.

Le trait� de Plutarque n'est, en bien des endroits, ni moins obscur ni moins h�riss� d'�pines que l'ouvrage qu'il se propose


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d'�claircir. Je n'entreprendrai point d'expliquer toutes les difficult�s qu'il renferme; ce serait me jeter dans un labyrinthe inextricable. Chalcidius et Proclus, qui nous ont laiss� de tr�s longs commentaires sur le Tim�e de Platon, sont loin de nous y avoir tout fait entendre; et la doctrine des nombres harmoniques reste toujours pour nous une �nigme dont vraisemblablement nous n'aurons jamais la solution, faute d'en conna�tre assez les �l�ments et les bases. Je me contenterai donc de joindre � ma traduction les notes qui me para�tront indispensables. 


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OEUVRES

MORALES

DE PLUTARQUE.

DE LA CR�ATION DE L'�ME

D'APR�S LE TIM�E DE PLATON.

Plutarque � ses deux fils, Autobule et Plutarque, salut (01).

(1012b) Puisque vous avez souhait� que je r�unisse en un seul �crit ce qui se trouve r�pandu dans plusieurs de mes ouvrages sur le sentiment de Platon par rapport � l'�me, tel du moins que je l'ai con�u, je me suis conform� � vos d�sirs. Mais comme cette discussion, difficile en soi, demande d'ailleurs une grande r�serve, parce que je suis sur ce point d'une opinion contraire � la plupart des sectateurs de Platon, je rapporterai d'abord le texte de ce philosophe tel qu'on le lit dans le Tim�e.

� De la substance indivisible, qui, toujours la m�me, n'est sujette � aucun changement, et de celle qui est divisible dans les corps, Dieu fit un m�lange, (1012c) d'o� r�sulta une troisi�me substance interm�diaire entre les deux pr�c�dentes (02), et qui tient de la nature de la substance indi-


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visible et de celle qui est divisible dans les corps. Il prit ensuite ces trois substances ; il les m�la ensemble pour n'en faire qu'une seule essence, et for�a la nature de l'�tre changeant � se pr�ter, malgr� sa r�pugnance, � son m�lange avec la nature de l'�tre toujours le m�me. Apr�s les avoir m�l�es toutes les trois et n'en avoir fait qu'une seule, il divisa de nouveau le tout en autant de portions qu'il le jugea n�cessaire, et dont chacune �tait un m�lange des trois substances. Il commen�a ainsi sa division. �

Et d'abord, vouloir exposer toutes les interpr�tations diff�rentes auxquelles ce passage a donn� lieu, ce serait un travail (1012d) infini et superflu pour vous, qui en connaissez le plus grand nombre. Mais comme les philosophes les plus distingu�s ont adopt�, les uns l'explication de X�nocrate, qui d�finissait l'�me un nombre qui se meut de lui-m�me (03), les autres celle de Crantor de Soli (04), qui pr�tendait que l'�me �tait un compos� de la nature intellectuelle et de la nature sensible, objet de l'opinion, je crois que le d�veloppement de ces deux explications, qui ne demandent pas une discussion bien longue, nous facilitera l'intelligence de ce que nous cherchons. Ceux qui suivent X�nocrate pensent que ce philosophe n'entend par l'�me que la g�n�ration qui se fait du nombre par le m�lange  (1012e) de la substance indivisible et de celle qui est divisible, que l'unit� est en soi indivisible et la pluralit� divisible.


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De l�, disent-ils, est n� le nombre, parce que l'unit� borne la pluralit� et met un terme � l'infinit�, qu'ils appellent la dyade ind�finie. C'est pourquoi Zaratas, le ma�tre de Pythagore (05), disait que la dyade �tait la m�re des nombres, et que l'unit� en �tait le p�re ; que les meilleurs nombres �taient ceux qui ressemblaient le plus � l'unit�, laquelle cependant n'est pas encore l'�me, parce qu'il lui manque la facult� de mouvoir et d'�tre mue.

Mais quand la substance de l'�tre qui est toujours le m�me et celle de l'�tre changeant furent m�l�es ensemble, comme l'une est le principe du mouvement et du changement et l'autre celui du repos, alors exista l'�me, qui n'est pas moins (1012f) la facult� d'avoir la stabilit� et de la donner que celle de mouvoir et d'�tre mue.

Crantor, qui croit que le propre de l'�me est de juger des choses intelligibles et des choses sensibles, ainsi que des ressemblances et des diff�rences qu'elles ont, soit en elles-m�mes, soit les unes envers les autres, dit que l'�me est compos�e de toutes les choses qui existent, afin (1013a) qu'elle puisse juger de toutes; et toutes les choses, selon lui, sont de quatre esp�ces : la nature intelligible, qui est toujours la m�me et toujours semblable ; la nature passible et muable, qui existe dans les corps ; la nature de l'�tre toujours le m�me, et enfin celle de l'�tre changeant, parce que les deux premi�res participent des qualit�s des deux autres. Tous ces philosophes croient �galement que l'�me n'a pas �t� faite dans le temps, qu'elle ne peut pas m�me avoir �t� engendr�e, mais qu'elle a plusieurs facult�s, dans lesquelles Platon, par une simple sp�culation, r�solvant sa substance, suppose, seulement de paroles, qu'elle est n�e et qu'elle est le r�sultat d'un m�lange. Ils disent qu'il pensait de m�me sur le


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monde, qu'il savait tr�s bien qu'il �tait �ternel et n'avait pas �t� engendr� ; (1013b) mais que, sentant toute la difficult� de comprendre comment il est compos� et gouvern� si on n'admet, dans l'origine des choses, sa g�n�ration et un concours de causes qui l'aient produit, il avait adopt� cette m�thode de raisonner.

Voil� en g�n�ral ce que disent les platoniciens, et Eudorus (06) croit que l'une et l'autre explication ont de la vraisemblance. Mais si nous voulons en juger d'apr�s les r�gles de la probabilit�, et, au lieu d'exposer nos propres opinions, chercher � conna�tre celle de Platon, je pense que ni les uns ni les autres n'ont pris le vrai sens de la doctrine de ce philosophe. Car il n'est pas d�montr� que ce m�lange de la substance intelligible et de la nature sensible duquel ils parlent exprime la g�n�ration de l'�me plut�t que celle de toute autre chose. Car ce monde (1013c) lui-m�me et chacune de ses parties sont compos�s de la substance intelligible et de la nature corporelle ; celle-ci a fourni la mati�re et le sujet, et l'autre la forme et l'esp�ce. La portion de mati�re form�e par la participation et la ressemblance avec la substance intelligible devient aussit�t tactile et visible, au lieu que l'�me ne peut tomber sous aucun de nos sens. D'ailleurs, Platon n'a jamais dit que l'�me f�t un nombre, mais une substance qui se meut toujours d'elle-m�me, et qui est le principe et la source du mouvement. Il est vrai qu'il a dou� sa nature de nombre, de proportion et d'harmonie, parce qu'elle est susceptible de ces diff�rentes propri�t�s, qui lui donnent la forme la plus belle. Or, ce n'est pas, ce me semble, (1013d) une m�me chose que l'�me soit form�e d'apr�s un nombre, ou que sa substance soit un nombre. Elle est faite avec harmonie, mais elle n'est pas pour cela une harmonie, comme


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Platon lui-m�me l'a prouv� dans son trait� sur l'�me (07). Ces philosophes paraissent aussi avoir ignor� ce que signifient l'�tre toujours le m�me et l'�tre changeant ; car ils disent que dans la g�n�ration de l'�me, le premier lui donne la stabilit� et l'autre le mouvement, tandis que Platon, dans son Sophiste, suppose et d�termine cinq id�es distinctes, s�par�es l'une de l'autre, et qui sont l'�tre, la substance toujours la m�me, la substance sujette au changement, le mouvement et le repos.

Mais ces philosophes et le plus grand nombre des sectateurs (1013e) de Platon, par l'effet d'une crainte excessive, s'efforcent de d�tourner le sens de quelques uns de ses passages, sous pr�texte que c'est une opinion horrible, et qu'on ne saurait attribuer � Platon, que de lui faire dire que le monde et son �me n'ont pas �t� compos�s de principes existants de toute �ternit� et qui n'eussent pas leur essence depuis un temps infini. J'en ai trait� ailleurs sp�cialement. Il me suffira donc de dire ici que toutes ces personnes �branlent ou plut�t d�truisent absolument l'opinion que Platon a soutenue en faveur des dieux contre les ath�es, avec plus de vigueur que son �ge ne le comportait. Car si le monde n'a pas �t� engendr�, c'en est fait de cette assertion de Platon, que l'�me est plus ancienne que le (1013f) corps, qu'elle est le principe de tout mouvement et de tout changement, et, pour me servir de ses propres paroles, qu'elle en est en lui la premi�re et la principale cause. Mais qu'est-ce que l'�me, et quel est le corps qu'elle pr�c�de en anciennet�? c'est ce qu'on verra par la suite. C'est faute de l'avoir connu qu'on a eu des doutes sur cette mati�re et qu'on a obscurci la v�rit�.

Je vais donc exposer d'abord mon sentiment, m'attachant, autant qu'il me sera possible, � la vraisemblance.


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Je ferai en sorte d'expliquer ce qu'il para�t avoir de contraire aux opinions re�ues, ensuite j'appliquerai ma d�monstration aux paroles du texte. Voici donc ce que j'en pense. H�raclite dit que

� ni aucun dieu ni aucun homme n'a fait ce monde, �

comme s'il e�t craint qu'en �tant � Dieu la g�n�ration du monde, on ne f�t forc� de l'attribuer � un homme (08). Mais il vaut mieux dire po�tiquement avec Platon que le monde est n� de Dieu ;

car le monde est le plus parfait des ouvrages, comme Dieu est le meilleur (1014b) des ouvriers.

La substance et la mati�re dont le monde est compos� n'a pas �t� engendr�e, mais elle a toujours �t� soumise � l'artiste supr�me afin qu'il la dispos�t, la m�t en ordre et lui imprim�t sa ressemblance autant qu'il serait possible. Ainsi le monde n'a pas �t� engendr� de ce qui n'existait pas, mais de ce qui n'�tait pas bien ordonn�, comme de mati�res d�j� existantes on fait une maison, un habit, une statue. Avant la r�g�n�ration du monde, ce n'�tait que confusion et que chaos, et ce chaos n'�tait pas sans quelque esp�ce de corps (09), ni sans mouvement et sans �me. Mais ce corps n'avait point de forme et de consistance ; ce mouvement �tait sans r�gle et sans mesure ; c'�tait le d�sordre d'une �me que lu raison ne conduit pas. Car Dieu n'a pas fait corps ce qui �tait incorporel, ni �me (1014c) ce qui n'�tait pas anim�. Mais, comme un musicien qui compose les mesures et le chant ne fait ni les sons ni les mouvements, el qu'il met seulement de l'harmonie dans les sons et de la sym�trie dans les mouvements, de m�me Dieu n'a pas donn� au corps


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la tangibilit� et la r�sistance, ni � l'�me les facult�s d'imaginer et de mouvoir ; mais, ayant pris ces deux principes, l'un obscur et t�n�breux, l'autre aveugle et emport�, tous deux imparfaits et ind�termin�s, il leur a donn� l'ordre, la r�gularit�, l'harmonie, et il en a form� l'animal le plus beau et le plus parfait, qui est le monde. La substance du corps n'est autre chose que la nature, qu'il appelle le r�cipient, le si�ge et In nourrice de tout ce qui est engendr�.

Quant � la substance de l'�me, il l'appelle,  (1014d) dans son Phil�be, une infinit�, une privation de nombre et de proportion qui n'a en soi ni mesure, ni terme, ni exc�s, ni d�faut, ni similitude, ni diff�rence. Quand il dit, dans son Tim�e, qu'elle est m�l�e avec l'essence indivisible dans les corps, et qu'elle devient divisible dans les corps, il ne faut pas entendre que ce soit une multitude accrue par des unit�s ou des points, en longueur ou en largeur; car ces propri�t�s existent plut�t dans les corps que dans l'�me. Mais il a voulu d�signer ce principe d�sordonn�, ind�fini, qui se meut de lui-m�me et qui a la facult� de mouvoir, qu'il appelle en plusieurs endroits n�cessit�, et  que dans ses lois (1014e) il nomme ouvertement une �me d�sordonn�e et malfaisante. Elle l'�tait par sa nature, mais elle fut dou�e d'intelligence, de raisonnement et d'harmonie, afin qu'elle devint l'�me du monde (10). Car ce principe mat�riel, r�cipient universel de toutes les substances, avait de la grandeur, de l'�tendue et de l'espace, mais il manquait de beaut�, de forme et de proportion dans ses figures : il fut pourvu de toutes ces qualit�s lorsque l'ordre que Dieu y mit fit na�tre la terre, la mer, le ciel, les astres, les plantes, les animaux, enfin les corps et les �tres de toute esp�ce. Ceux qui attribuent � la ma-


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ti�re et non pas � l'�me ce qu'il appelle dans son Tim�e n�cessit�, et dans son Phil�be infinit� de plus et de moins, d'exc�s et de d�faut, comment entendront-ils ce qu'il dit si souvent, que la mati�re est sans forme (1014f) et sans figure, qu'elle est destitu�e de toute qualit� et de toute facult� qui lui soit propre, semblable aux huiles (1015a) qui, n'ayant par elles-m�mes aucune odeur, servent de base � tous les parfums ? Car il n'est pas possible que Platon suppose que ce qui de soi est sans qualit�, sans action, sans d�termination quelconque, soit la cause et le principe du mal, ni qu'il l'appelle une infinit� d�sordonn�e et malfaisante, ou qu'il la nomme une n�cessit� qui souvent est rebelle � Dieu et rejette le frein qu'il veut lui imposer.

Car cette n�cessit� qui, comme il le dit dans son Politique, agite le ciel et le fait tourner en sens contraire, cette concupiscence inn�e et cette confusion de l'ancienne nature, qui n'�tait que discorde avant qu'elle e�t la forme que nous lui voyons maintenant, d'o� sont-elles venues, si le sujet qui en est la mati�re �tait sans aucune qualit� et priv� de toute cause (1015b) efficiente, surtout, l'ouvrier �tant bon de sa nature et voulant, autant qu'il �tait possible, rendre tout semblable � lui-m�me ? Car, outre ces deux principes, ils n'en connaissent pas un troisi�me. Nous tomberons donc dans les m�mes difficult�s que les sto�ciens, si nous voulons introduire le mal dans le monde sans une cause pr�c�dente qui l'ait engendr�. En effet, des deux principes qui existent, il n'est pas possible que celui qui est bon, ni celui qui est priv� de toutes qualit�s, aient pu produire le mal. Mais Platon n'a pas fait comme les philosophes qui sont venus apr�s lui, et qui, faute d'avoir connu un troisi�me principe, une troisi�me cause interm�diaire entre Dieu et la mati�re, ont admis cette opinion absurde qui fait venir accidentellement et comme par hasard le mal de je ne sais quel principe. Ils ne veillent pas accorder � �picure (1015c) la plus l�g�re d�cli-


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naison d'un seul atome, sous pr�texte qu'il fait produire un mouvement par une cause qui n'existe pas (11). Et eux-m�mes, ils pr�tendent que tant de vices et de crimes, tant d'infirmit�s et d'imperfections corporelles naissent naturellement l'un de l'autre, sans qu'il y en ait aucune cause efficiente.

Ce n'est point l� le sentiment de Platon. Il refuse � la mati�re toute qualit�, et il rejette bien loin de Dieu tout principe de mal. Voici donc ce qu'il dit du monde dans son Politique :

� Le monde a re�u toutes sortes de biens de celui qui l'a compos� ; mais de ses dispositions pr�c�dentes et ext�rieures d�rive tout ce qui se fait de mauvais et de d�r�gl� (1015d) au ciel, et il le communique aux animaux. �

Il ajoute un peu plus bas :

� Par la suite du temps, l'oubli s'y �tant gliss�, la passion de son ancien d�sordre a pris un nouvel empire, et il est � craindre que, venant � se dissoudre, il ne retombe dans l'ab�me immense de sa premi�re in�galit�.�

Or, il ne peut y avoir d'in�galit� dans une mati�re qui n'a ni qualit� ni diff�rence. Eud�me (12), et plusieurs autres philosophes, faute d'avoir connu ce principe, se moquent de Platon et lui reprochent de n'avoir pas assign� pour premi�re cause, pour racine et principe des maux, la m�me mati�re qu'il appelle souvent la m�re et la nourrice des substances.

Platon donne bien � la mati�re ces d�nominations, mais


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il place (1015e) le principe du mal dans celle puissance motrice de la mati�re, qui devient divisible dans les corps dont le mouvement est sans ordre et sans raison, mais non pas sans �me, et que dans ses lois, comme je l'ai d�j� dit, il appelle une �me r�fractaire et rebelle � l'�me qui est le principe du bien. Ainsi l'�me est la cause et le principe du mouvement, et l'entendement est la cause de l'ordre et de l'harmonie du mouvement. Car Dieu n'a pas organis� une mati�re qui f�t sans activit�, niais il lui a donn� de la stabilit�, afin qu'elle ne f�t plus troubl�e par une cause aveugle et stupide. Il n'a pas mis dans la nature les principes de ses passions et de ses changements, mais l'ayant trouv�e sujette � toutes sortes du passions et de vicissitudes d�sordonn�es, il lui a �t� son d�sordre et son irr�gularit� ; et pour cela, il a employ� l'harmonie, la proportion et le nombre, comme des instruments destin�s, non � produire dans les substances, par le changement et le mouvement, les (1015f) passions et les vicissitudes de l'�tre changeant, mais plut�t � les rendre fixes et stables, et � leur communiquer les affections de la substance, qui est toujours la m�me et toujours semblable.

Tel est, selon moi, le sentiment de Platon ; et la premi�re preuve que j'en donnerai, c'est que mon explication sauve la contradiction dans laquelle on veut que ce philosophe (1016a) soit tomb�. Car on n'oserait attribuer, je ne dis pas � un homme tel que Platon, mais � un sophiste en d�lire, une telle incons�quence, que dans une mati�re qu'il a trait�e avec le plus grand soin, il ait avanc� qu'une m�me nature �tait engendr�e et non engendr�e; qu'il ait dit dans son Ph�dre qu'elle n'avait pas �t� engendr�e, et dans son Tim�e, qu'elle l'avait �t�. Le passage du Ph�dre est dans la bouche de tout le monde. Il y prouve que l'amc est incorruptible, parce qu'elle n'a pas �t� engendr�e, et qu'elle n'a pas cl� engendr�e parce qu'elle se


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meut de soi-m�me. Voici le passage du Tim�e :

� Dieu n'a pas fait l'�me plus jeune que le corps, quoique nous disions maintenant qu'elle lui est post�rieure. Il n'e�t jamais souffert qu'une substance plus ancienne, li�e � une autre (1016b) plus nouvelle, f�t command�e par celle-ci. C'est nous qui, agissant avec beaucoup de t�m�rit� et presque au hasard, parlons de m�me ; mais Dieu a form� l'�me la premi�re en g�n�ration et en vertu. Il l'a unie au corps pour en �tre la ma�tresse et lui commander comme il son sujet. �

Ensuite, apr�s avoir dit que

� l'�me, en revenant sur elle-m�me, a eu le principe divin d'une vie sage et �ternelle, �

il ajoute :

� Le corps du ciel a �t� fait visible, mais l'�me est invisible. Dou�e de raison et d'harmonie, elle est la meilleure des choses engendr�es par le plus parfait des �tres intelligibles et toujours subsistants. �

Puisque dans ce passage il appelle Dieu le plus parfait des �tres �ternels, et l'�me la meilleure (1016c) des choses engendr�es, on voit que par ce contraste frappant, il refuse � l'�me la propri�t� d'�tre �ternelle et incr��e. Et quel autre moyen de concilier les contrari�t�s qu on lui reproche que celui qu'il offre lui-m�me � tous ceux qui veulent l'entendre? Il d�clare que l'�me, qui, avant la g�n�ration du monde, faisait tout mouvoir confus�ment et en d�sordre, n'a pas �t� engendr�e, et qu'au contraire celle-l� a �t� engendr�e que Dieu composa d'un m�lange de cette premi�re et de la substance stable et tr�s bonne, qu'il doua de sagesse et d'ordre, et dans laquelle il ajouta de sa propre substance, comme pour lui servir de forme, l'entendement � la facult� sensible, l'ordre au mouvement ; et il en fit ainsi la ma�tresse et la directrice de l'univers.

Platon a prononc� de m�me que (1016d) le corps du monde n'a pas �t� engendr� sous un rapport, cl qu'il l'a �t� sous un autre, Quand il dit que tout ce qui est visible, loin d'�tre dans un �tat de repos, �tait mu en d�sordre, et


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que Dieu le prit et le disposa, qu'il ajoute que les quatre �l�ments, le feu, l'eau, la terre et l'air, avant que l'univers f�t form� de leur composition, agitaient la mati�re et en �taient agit�s � leur tour � cause des in�galit�s de leur m�lange, il suppose que les corps existaient dans un certain �tat avant la g�n�ration du monde. Au contraire, lorsqu'il assure que le corps est plus jeune que l'�me et que le monde a �t� engendr�, puisqu'il est visible, tactile, et qu'il a un corps, (1016e) et que les substances de cette nature ont �t� n�cessairement engendr�es, il est �vident qu'il admet la g�n�ration de la nature corporelle. Mais il s'en faut bien qu'il se contredise et qu'il soit en opposition avec lui-m�me sur des points aussi importants; car il ne dit pas que ce soit de la m�me mani�re, ni un m�me corps que Dieu ait engendr� et qui exist�t avant d'�tre n�.  Ce serait parler en vrai charlatan ; mais il nous apprend lui-m�me ce qu'il faut entendre par g�n�ration.

� Au commencement, dit-il, tout �tait sans proportion et sans mesure; mais lorsque Dieu entreprit de donner de l'ordre � l'univers et de disposer d'abord le feu, l'eau, la terre et l'air, qui avaient bien alors quelques traces de leurs formes actuelles, mais (1016f) qui �taient dans l'�tat o� doivent �tre naturellement les choses que Dieu n'anime pas, alors il donna � tous ces �l�ments les formes et les nombres qui leur convenaient. �

Il avait d'abord dit qu'il ne suffisait pas d'une seule proportion, et qu'il en fallait n�cessairement deux pour lier la masse enti�re du monde, qui a de la solidit� et de la profondeur; et apr�s avoir expos� comment Dieu, qui avait mis l'eau et l'air entre le feu et l'eau, unit et lia le ciel avec ces �l�ments, il ajoute :

� C'est de ces (1017a) quatre esp�ces de substances que le corps du monde a �t� engendr� ; il est fond� sur des proportions convenables et tellement d'accord avec ces �l�ments, qu'une fois ainsi r�unis, il n'est rien qui puisse les d�lier que celui m�me qui les a joints. �

N'est-ce pas enseigner


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clairement que Dieu est le p�re et l'auteur, non pas seulement du corps ou de la masse du monde et de sa mati�re, mais de la sym�trie qui est dans le corps, de sa beaut� et de sa ressemblance avec celui qui l'a produite. Il faut en dire autant de l'�me ; il y en a unique Dieu n'a pas engendr�e, et qui n'est pas l'�me du monde, mais seulement une facult� imaginative, objet de l'opinion, priv�e de raison et d'ordre, emport�e par une aveugle imp�tuosit� qui se meut d'elle-m�me et est (1017b) sans cesse en mouvement; pour l'autre �me, Dieu l'ayant engendr�e et dispos�e d'apr�s les proportions et les nombres convenables, l'a �tablie ma�tresse et ordonnatrice du monde qu'il a form�.

Une preuve, entre plusieurs autres, que c'est l� le vrai sentiment de Platon, et qu'il n'a pas suppos� seulement par th�orie la g�n�ration et la composition tant du monde que de l'�me, c'est qu'il dit, comme je l'ai d�j� observ�, (1017c) que l'�me a �t� et n'a pas �t� engendr�e, que le monde a �t� fait et engendr�, et qu'il ne dit jamais qu'il soit �ternel et qu'il n'ait pas �t� engendr�. Qu'est-il besoin de rapporter ce qu'il dit � ce sujet dans son Tim�e, puisque ce trait� ne roule d'un bout � l'autre que sur la g�n�ration du monde. Mais dans son Atlantique, Tim�e adressant sa pri�re � l'�tre supr�me, dit de lui, qu'anciennement il se montra Dieu par ses ouvrages, et qu'il l'est maintenant aux yeux de la raison (13). Dans son Politique, l'h�te de Parm�nide dit que le monde a re�u de Dieu, son auteur, un grand nombre de biens, et que s'il s'y trouve quelque chose de mauvais et de vicieux, cela vient du m�lange de son �tat primitif, qui n'�tait que d�sordre et d�r�glement. Dans sa R�publique, en parlant du nombre que


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quelques uns appellent mariage  (14), Socrate commence ainsi :

� Le Dieu engendr� a son p�riode, qui est compris dans le nombre parfait. �

Par le Dieu engendr�, il n'entend autre chose que le monde (15).

(1017d) La premi�re copulation de ce nombre est form�e de 1 et de 2, la seconde de 3 et de 4, la troisi�me de 5 et de 6, et aucune de ces trois ne donne un nombre carr� ni en soi, ni unie aux autres (16); la quatri�me est de 7 et de 8, et r�unie avec les premi�res, elle produit le nombre carr� 36. Mais le quaternaire des nombres employ�s par Platon il une g�n�ration bien plus parfaite. Les nombres pairs y sont multipli�s par des intervalles pairs, et les nombres impairs par des intervalles impairs. Il contient d'abord l'unit�, principe commun des nombres pairs et impairs; ensuite, au-dessous d'elle, 2 et 3, premiers nombres plans (17), puis 4 et 9, premiers carr�s, et enfin 8 et 27, premiers cubes (1017e) dans les nombres, en faisant abstraction de l'unit�. On voit �videmment qu'il n'a pas voulu que tous ces nombres fussent plac�s les uns sur les autres en ligne droite, mais alternativement et sur deux lignes, les pairs d'un c�t�, et les impairs de l'autre, comme on le voit


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dans la figure suivante  (18). Par l� les copulations des nombres semblables se trouveront ensemble, et produiront des nombres plans, soit par leur addition, soit par leur multiplication : par addition, de cette mani�re : 2 et 3 donnent 5, 4 et 9 font 13, 8 et 27 font 35. De ces nombres, les pythagoriciens appellent le nombre 5 le ton, (1017e) parce qu'ils croient qu'entre les intervalles de ce ton ou les consonnances, la quinte est la premi�re qui se fasse entendre ; ils expriment par le nombre 13 le limma ou demi-ton, parce qu'ils d�sesp�rent, aussi bien que Platon, de pouvoir partager le ton en parties �gales. Ils donnent au nombre 35 le nom d'harmonie, parce qu'il est compos� des deux premiers cubes form�s du premier nombre pair et du premier impair 8, et de ces quatre nombres 6, 8, 9, 12, qui contiennent les proportions arithm�tique et harmonique.

Soit donc un parall�logramme rectangle, d�sign� par A, B, G, D, dont le c�t� AB comprenne cinq carr�s, et le c�t� AD sept. Le c�t� plus petit AB soit divis� en deux parties in�gales en K, l'une de deux carr�s et l'autre de trois. Le c�t� plus long AD soit aussi coup� en deux sections in�gales au point L, l'une de trois carr�s et l'autre de quatre ; que des points d'intersection on tire des lignes droites qui se coupent r�ciproquement dans la direction des points K, M, N et des points L, M, O. L'espace com-


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pris entre �, K, M, L contiendra six carr�s, et celui compris entre K, M, B, O en aura neuf. L, M, N D en contiendra huit, et M, O, C, N en renfermera douze. Cela deviendra plus sensible par une figure.

Tout le parall�logramme divis� en 35 carr�s contient dans le nombre de ses aires (1018b) les proportions des premi�res consomm�es musicales ; car de 6 � 8 on a la proportion �pitrite (ou sesqui-tierce), qui est l'accord de la quarte (19). De 6 � 9 c'est la proportion sesqui-alt�re (ou la quinte). 6 et 12 donnent la proportion double, qui est le diapason (ou l'octave).


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s'y trouve aussi : c'est celle de 8 � 9 (20). Voil� pourquoi ils ont appel� harmonie ce nombre de 35, qui contient toutes les proportions. Ce m�me nombre, multipli� par 6, donne 210, qui est le nombre des jours dans lesquels les enfants qui naissent � sept mois ont acquis, dit-on, toute leur perfection.

(1018c) Si on proc�de par une autre esp�ce de multiplication, 2 fois 3 donnent 6, 4 fois 9 36, et 8 fois 27 216, Le nombre 6 est donc un nombre parfait, parce qu'il est �gal � ses parties, et on lui donne le nom de mariage, comme form� du premier pair et du premier impair. D'ailleurs il est compos� du principe de tous les nombres, qui est l'unit� du premier pair et du premier impair, 2 et 3. 36 est le premier nombre qui soit � la fois un carr� et un triangle : le carr� de 6, et le triangle de 8. Il est encore le produit des deux premiers carr�s, 4 et 9, multipli�s l'un par l'autre, et de la r�union des trois premiers cubes, 1, 8, 27, qui, pris ensemble, donnent pour total 36. Enfin il forme deux parall�logrammes in�gaux, l'un de trois fois 12, et l'autre de quatre fois 9.

(1018d) Maintenant, si on prend les nombres des c�t�s de ces diff�rentes figures, le 6 du carr�, le 8 du triangle, le 9 d'un des parall�logrammes, et le 12 de l'autre, on aura les proportions de toutes les consonnances : celle de la quarte est exprim�e par le rapport de 12 � 9 ; c'est celui de la n�te � la m�se. La quinte est dans le rapport de 12 � 8, comme de la m�se � l'hypate (21). 216 est le cube de 6, et il est �gal


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� son p�rim�tre. Ces nombres donc ayant toutes ces propri�t�s, le dernier, qui est 27, a cela de particulier (1018e) qu'il est �gal � tous les autres pris ensemble. D'ailleurs, c'est le nombre des jours dans lesquels la lune ach�ve son mois p�riodique (22). C'est encore � ce nombre qu'entre les intervalles harmoniques les pythagoriciens attachent le ton ; et c'est pourquoi ils appellent le nombre 13 limma (c'est-�-dire reste), parce qu'il s'en faut d'une unit� qu'il ne soit la moiti� de 27. Il est ais� de voir aussi que ces nombres contiennent les proportions des consonnances musicales. Car de 2 � 1 la proportion est double, c'est le diapason (ou l'octave) ; de 3 � 2, c'est la proportion sesqui-alt�re (ou la quinte). De 4 � 3 la proportion est sesqui-tierce, (1018f) et c'est la quarte ; de 9 � 3, la proportion est triple, et c'est l'octave avec la quinte ; elle est quatruple de 8 � 2, et c'est la double octave ; de 8 � 9 la proportion est sesqui-octave, et c'est celle du ton. Maintenant si on prend l'unit�, qui est commune � tous les nombres pairs et impairs, toute la suite des nombres proc�dera par dizaines; car les quatre premiers nombres pris ensemble font 10, et les quatre premiers nombres pairs 1, 2,  4, 8 font 15, premier nombre triangulaire form� de cinq. (1019a) D'un autre c�t�, la s�rie des nombres impairs donne 40, produit de 13 et de 27 (23), et c'est par ces deux nombres que les math�maticiens mesurent pr�cis�ment les intervalles des sons qu'ils appellent l'un le di�se, et l'antre le ton. Ce nombre 40 est encore le produit de la multiplication du quaternaire ; car si vous


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prenez quatre fois chacun des quatre premiers nombres, vous aurez 4, 8, 12 et 16 (24), dont la somme totale est 40, nombre qui contient encore toutes les proportions des consonnances musicales ; car de 16 � 12, c'est la proportion sesqui-tierce, de 16 � 8 c'est la proportion double, de 16 � 4 elle est quadruple, (1019b) de 12 � 8, sesqui-alt�re, et triple de 12 � 4, ces proportions donnent les accords de la quarte, de la quinte, de l'octave et de la double octave. De plus, le nombre 40 est �gal aux deux premiers carr�s 1 et 4, et aux deux premiers cubes 8 et 27, dont la somme totale est 40. Ainsi le quaternaire de Platon est, dans sa disposition, plus vari� et plus parfait que celui de Pythagore.

Mais comme dans les nombres propos�s il n'y a point de place pour les m�di�tet�s (25) que Platon a introduites, il a �t� n�cessaire (1019c) de prendre des termes plus �tendus, en conservant les m�mes proportions ; il faut les faire conna�tre et traiter premi�rement les m�di�tet�s. La premi�re est celle o� le nombre moyen surpasse le premier extr�me, et est surpass� par l'autre de la m�me quantit� ; on l'appelle m�di�tet� arithm�tique. Celle o� le moyen surpasse un des extr�mes et est surpass� par l'autre dans la m�me proportion, se nomme sous-contraire. Les termes de la m�di�tet� arithm�tique sont 6, 9 et 12, dans laquelle 9 surpasse 6 de la m�me quantit� qu'il est lui-m�me surpass� par 12; les termes de la sous-contraire sont 6, 8 et 12, o� 8 surpasse 6 de 2 et est moindre que 12 de 4. Or, 2 est le tiera de 6, comme4 est le tiers de 12. Ainsi, dans la m�di�tet� arithm�tique, le (1019d) terme moyen exc�de un des extr�mes, et est surpass� par l'autre de la m�me quantit�. Dans la sous-contraire, il surpasse un des


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extr�mes, et est surpass� par l'autre d'une m�me portion des extr�mes. Car dans la premi�re de celles que nous avons donn�es, 3 est le tiers du terme moyen, et dans la derni�re 2 et 4 sont les tiers des deux extr�mes, c'est pourquoi on l'appelle sous-contraire. On la nomme aussi harmonique, parce qu'elle renferme dans ses termes les premi�res consonnances : du plus grand extr�me au plus petit, c'est le diapason (ou l'octave) ; du plus grand extr�me au moyen, la quinte; du moyen au plus petit extr�me, la quarte. Ainsi le plus grand des extr�mes �tant plac� sur la n�te, et le plus petit sur l'hypate, le (1019e) moyen sera sur la m�se, laquelle, avec le plus grand extr�me, fera la quinte, et avec le plus petit, la quarte ; en sorte que 8 r�pond � la m�se, 12 � la n�te, et 6 � l'hypate. Eudorus a imagin� une m�thode simple et claire de trouver ces m�di�tet�s. Voyons d'abord pour l'arithm�tique. Apr�s avoir pos� les extr�mes, prenez la moiti� de chacun et ajoutez ensemble ces deux moiti�s ; le r�sultat donnera le terme moyen dans les proportions doubles comme dans les triples. Pour la sous-contraire, dans les proportions doubles, apr�s avoir pos� les extr�mes, prenez le tiers (1019f) du plus petit terme et la moiti� du plus grand, le produit sera le terme moyen. Dans les proportions triples, au contraire, il faut prendre la moiti� du plus petit des extr�mes et le tiers du plus grand. Par exemple, soit, dans une proportion triple, 6 le plus petit des extr�mes, et 12 le plus grand. Prenez la moiti� de 6, qui est 5, et le tiers de 18, qui est 6, et joignez ces deux nombres; vous aurez 9, qui surpasse l'un des extr�mes et est surpass� par l'autre dans la m�me proportion (26). Voil� comment se trouvent les m�di�tet�s.

(1020a) Mais il faut les placer et les ins�rer dans les nombres de mani�re qu'elles remplissent les intervalles doubles et 


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les triples. Or, entre ces nombres, les uns n'ont aucun espace moyen, et celui des autres n'est pas suffisant. On les augmente donc en conservant toujours la m�me proportion, en sorte qu'ils aient des intervalles assez grands pour recevoir ces m�di�tet�s. Et premi�rement, au lieu de l'unit� pour le moindre terme, on prend 6, parce que c'est le premier nombre qui se divise en moiti� et en tiers ; on multiplie tous les nombres qui suivent par 6, afin de recevoir les m�di�tet�s dans les intervalles doubles et triples, comme on le voit par l'exemple suivant (27).

Platon dit dans son Tim�e :

� Les intervalles �tant sesqui-alt�res, sesqui-tierces et sesqui-octaves, des liaisons (1020b) que Dieu avait faites dans les intervalles pr�c�dents, il remplit tous les intervalles triples par l'intervalle sesqui-octave, laissant une portion de chacun; et l'intervalle de cette portion laiss�e, pris de nombre � nombre, a pour termes 256 et 243. �

Ces paroles de Platon les ont oblig�s de donner encore plus d'�tendue � ces nombres ; car il en fallait deux qui fussent en proportion sesqui-octave ; or, le nombre 6 ne pouvait donner cette proportion par lui-m�me, et, divis� en plusieurs fractions d'unit�, il en aurait rendu l'explication beaucoup plus difficile. Il fut donc n�cessaire d'avoir recours � la multiplication, (1020c) comme dans les muances (28) de la


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musique, si on �tend le premier nombre, il faut augmenter dans la m�me proportion toute la progression des notes. Eudorus donc, � l'exemple de Crantor, a pris pour premier nombre 384, produit de 64 multipli� par 6 ; ce qui les a d�termin�s � le prendre, c'est que le nombre 64 a pour sesqui-octave 8 dans la proportion de 72. Mais il est plus conforme au texte de Platon de ne prendre que la moiti� du premier nombre 384, c'est-�-dire 192, car alors le limma sera en proportion sesqui-octave avec les nombres 236 et 243 suppos�s par Platon. (1020d) Et si l'on prend pour premier nombre le double de 192, le limma conservera la m�me proportion, mais dans un nombre double, et ce sera comme de 512 � 484. Car 256 est en proportion sesqui-tierce avec 192, comme 512 avec 484. La r�duction � ce nombre n'est pas destitu�e de raison et elle appuie l'opinion de Crantor; car 64 est le cube du premier carr� et le carr� du premier cube. Multipli� par 5, premier nombre impair, premier nombre triangulaire, premier parfait et premier sesqui-alt�re, il donne pour produit 192, qui a aussi son sesqui-octave, comme nous le montrerons.

(1020e) Mais d'abord vous comprendrez mieux ce que c'est que le limma, et quelle est la pens�e de Platon, si vous voulez simplement vous rappeler ce qu'on a coutume de dire dans les �coles des pythagoriciens. Car intervalle, en mati�re de chant, est tout espace compris entre deux sons qui diff�rent d'�tendue. De ces intervalles, l'un s'appelle ton, et c'est l'exc�s de la quinte sur la quarte. De ce ton divis� en deux, il se fait, suivant les musiciens, deux intervalles chacun d'un demi-ton. Mais les pythagoriciens, qui


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ne croient pas qu'il soit possible de le diviser �galement, (1020f) donnent � la plus petite des sections in�gales dans lesquelles on le divise le nom de limma, parce qu'il est moindre que le demi-ton. C'est pourquoi les uns forment l'accord de la quarte de deux tons et demi, et d'autres le font de deux tons et du limma. En cela les musiciens semblent s'en rapporter � l'oreille, et les math�maticiens � la d�monstration ; voici comment elle se fait. C'est une observation v�rifi�e par les instruments que l'octave est en proportion double, la quinte en proportion sesqui-alt�re, la quarte en proportion sesqui-tierce, et le ton en proportion  (1021a) sesqui-octave. On peut s'en assurer en suspendant � deux cordes �gales deux poids in�gaux en proportion double, ou en faisant deux fl�tes d'�gale grosseur, mais dont l'une soit double de l'autre en longueur. La plus longue donnera un son plus grave, qui sera dans le rapport de l'hypate � la n�te ; et des deux cordes, celle qui sera tendue par le poids double, donnera un son beaucoup plus aigu, dans le rapport de la n�te � l'hypate; et c'est l'accord de l'octave. De m�me trois poids ou trois longueurs compar�s avec deux donneront la quinte, et quatre avec trois donneront la quarte ; l'une est dans la proportion sesqui-tierce, et l'autre dans la proportion sesqui-alt�re. Si l'in�galit� des poids et des longueurs est comme de 9 (1021b) � 8, elle donnera le ton, qui n'est pas pr�cis�ment un accord, mais qui est assez propre � l'harmonie. Car si on touche les tons l'un apr�s l'autre, ils forment un chant doux et agr�able ; mais si on les faisait entendre tous � la fois, le r�sultat en serait dur et offenserait l'oreille. Pour les consonnances, qu'on les entende toutes � la fois ou l'une apr�s l'autre, notre organe �prouve toujours de leur accord une sensation agr�able. D'ailleurs cela se d�montre par le raisonnement. Dans l'harmonie, l'octave est form�e de la quinte et de la quarte, et dans les nombres la proportion double est compos�e de la sesqui-alt�re et de la


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sesqui-tierce ; car 12 est en proportion sesqui-tierce de 9, en proportion sesqui-alt�re de 8, (1021c) et on proportion double de 6. Ainsi la proportion double est compos�e des proportions sesqui-alt�re et sesqui-tierce, comme l'octave est compos�e de la quarte et de la quinte. Mais comme ici la quinte a un ton de plus que la quarte, de m�me dans les nombres la proportion sesqui-alt�re surpasse la sesqui-tierce de la sesqui-octave. Il est �vident d'apr�s cela que l'octave est en proportion double, la quinte en proportion sesqui-alt�re, la quarte en sesqui-tierce, et le ton en sesqui-octave.

Cela �tant d�montr�, voyons maintenant si la proportion sesqui-octave peut �tre divis�e en deux portions �gales. Si elle ne peut l'�tre, le ton ne le pourra pas �tre non plus. 9 et 8 (1021d) sont les nombres qui forment la premi�re proportion sesqui-octave, et ils ne laissent pas d'intervalle entre eux. Si on les double l'un et l'autre, le nombre qui se trouve entre les deux forme deux intervalles ; et si ces deux intervalles sont �gaux, il est clair que la proportion sesqui-octave peut se diviser en deux parties �gales. Or, le double de 9 est 18, et le double de 8 est 16, entre lesquels se trouve 17. Il y a donc un des deux intervalles qui est plus petit et l'autre plus grand; car le premier est de 18 � 17, et le second de 17 � 16. La proportion sesqui-octave se divise donc en sections in�gales, et par cons�quent le ton aussi. Ainsi la division �tant faite, aucune des sections n'est proprement le demi-ton, et c'est avec raison que les math�maticiens ont appel� l'une limma (d�faut). (1021e) C'est pour cela que Platon dit que Dieu remplissant les intervalles sesqui-tierces par les sesqui-octaves, laissa une partie de chacun d'eux, et la proportion de cette partie est de 236 � 245. Que l'on prenne une quarte en deux nombres qui soient entre eux dans une proportion sesqui-tierce comme 256 et 192, dont le moindre 192 soit plac� sur la note la plus basse du t�tra-


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corde, et le plus grand 256 sur la plus haute, il faudra d�montrer que cet espace �tant rempli par deux sesqui-octaves, il reste un intervalle aussi grand qu'entre les deux nombres 256 et 243. (1021f) Car la note basse �tant tendue d'un ton, ce qui fait la sesqui-octave, on a 217 ; et si on l'augmente encore d'un ton, on a 243, qui surpasse 216 de 27, comme 216 exc�de 192 de 24. Or, 27 est le sesqui- octave de 243, et 24 l'est de 216. Ainsi de ces trois nombres le plus grand est sesqui-octave du moyen, comme celui-ci l'est du plus petit, et la distance du plus petit au plus grand, c'est-�-dire de 192 � 213, est de deux tons remplis par deux (1022a) sesqui-octaves, et cette distance �tant �t�e, il ne reste que l'intervalle entre les deux nombres 243 et 236, qui est 13, et c'est pourquoi on appelle ce nombre limma.

Je crois donc que ces nombres repr�sentent tr�s exactement l'opinion de Platon. D'autres, mettant le plus haut terme de la quarte dans le nombre 288, et le plus bas dans le nombre 216, conservent pour le reste la m�me proportion, except� qu'ils placent deux limma dans les deux intervalles. Car le plus bas �tant mont� d'un ton, on a 243, et le plus haut �tant aussi baiss� d'un ton, on a 236. Or, 243 est sesqui-octave de 216, et 288 (1022b) de 256, de sorte que chaque intervalle est d'un ton, et il reste entre 245 et 236 un limma qui est un peu moins d'un demi-ton ; car 288 exc�de 256 de 32,243 surpasse 216 de 27, et 236 est plus grand que 243 de 13, qui est moindre que les deux autres exc�s d'un nombre sur l'autre. Ainsi la quarte est compos�e de deux tons et du limma, et non pas de deux tons et demi, ce qu'il fallait d�montrer. Et d'apr�s ce qui pr�c�de, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi Platon, en disant qu'il y avait des intervalles sesqui-alt�res, sesqui-tierces et sesqui-octaves, (1022c) et en remplissant les sesqui-tierces par les sesqui-octaves, n'a pas fait mention des sesqui-alt�res et les a laiss�s � l'�cart; c'est


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que la proportion sesqui-alt�re est remplie en ajoutant la sesqui-tierce � la sesqui-oclave, ou la sesqui-octave � la sesqui-tierce.

Ces divers objets �tant d�montr�s, il ne s'agit plus que de remplir les intervalles et d'y ins�rer les m�di�tet�s. Si personne n'en avait encore enseign� la m�thode, je vous la laisserais chercher, afin d'exercer votre esprit. Mais comme des philosophes c�l�bres, tels que Crantor, Cl�arque et Th�odore, tous trois natifs de Soli, l'ont d�j� fait, il ne sera pas inutile de dire un mot de la diff�rence qui se trouve entre eux � cet �gard. (1022d) Th�odore ne fait pas, comme les deux autres, deux s�ries de nombres correspondantes, il place de suite sur une m�me ligne les doubles et les triples, et il s'appuie d'abord sur cette premi�re division de la substance, qui fait d'un tout deux parties, et non pas quatre de deux. C'est ainsi, dit-il, que les m�di�tet�s s'interposent naturellement ; autrement il y aurait du trouble et de la confusion, si on passait tout de suite du premier double au premier triple, au lieu d'y placer ce qui doit remplir l'un et l'autre. Crantor a, en faveur de sa m�thode, la position dans laquelle on place les nombres plans avec les plans, les carr�s (1022e) avec les carr�s, les cubes avec les cubes, qui se trouvent ainsi vis-�-vis les uns des autres en s�ries oppos�es, et non sur la m�me ligne, mais les pairs alternativement avec les impairs... (29).

Ce qui est constamment le m�me, c'est la forme et l'esp�ce; mais ce qui est divisible dans les corps, c'est la mati�re et le sujet, et ce m�lange des deux produit l'ouvrage complet. Quant � la substance indivisible, qui est toujours la m�me et toujours semblable, il ne faut pas


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croire que ce soit � cause de sa petitesse qu'elle se refuse � toute division, comme les atomes. C'est sa simplicit�, son impassibilit�, sa puret� et son �galit�, qui font qu'elle n'a point de parties et (1022f) qu'elle est indivisible. C'est en vertu de cette simplicit�, que lorsqu'elle s'applique on quelque sorte � des substances compos�es, divisibles fit vari�es, elle fait cesser toute diversit� et y fixe une m�me habitude en leur imprimant sa ressemblance. Si quelqu'un veut donner le nom de mati�re � la substance qui est divisible dans les corps, comme soumise � la premi�re substance et participant � sa nature, cet usage d'un terme �quivoque ne fait rien � la question pr�sente. Mais ceux qui veulent que la mati�re corporelle soit m�l�e avec la substance indivisible sont dans l'erreur : (1023a) premi�rement, parce que Platon ne s'est point servi dans cet endroit du nom de mati�re corporelle ; car il a coutume de l'appeler le r�cipient universel, la nourrice de tous les �tres qui n'est pas divisible dans les corps, mais qui plut�t est le corps lui-m�me s�par� en individus. D'ailleurs quelle diff�rence y aura-t-il entre la g�n�ration du inonde et celle de l'�me, si la composition de l'un et de l'autre est faite de la mati�re et des choses intelligibles? Platon lui-m�me, pour �carter l'id�e que l'�me ait �t� engendr�e du corps, dit que Dieu a mis au dedans d'elle la substance corporelle, (1023b) qui ensuite a �t� couverte et envelopp�e par l'�me. Enfin, apr�s avoir expos� la cr�ation de l'�me, il passe � celle de la mati�re, dont il n'avait pas eu besoin de parler lorsqu'il s'occupait de l'�me, qui avait �t� engendr�e sans m�lange de mati�re.

On peut en dire autant de Posidonius, car il n'a pas non plus trop s�par� l'�me de la mati�re. Mais ayant entendu la doctrine de Platon dans ce sens, que la substance des extr�mit�s est divisible dans les corps (30), et la


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m�lant avec la substance intelligible, il a affirm� que l'�me est l'id�e de ce qui a toutes les dimensions, suivant des nombres harmoniques, parce que les notions math�matiques sont plac�es entre les premi�res substances intelligibles et les premi�res sensibles. Et l'�me ayant en soi l'�ternit� des �tres intelligibles et (1023c) la passibilit� des �tres sensibles, il est naturel que sa substance tienne le milieu entre les deux. Mais il n'a pas vu que Dieu, apr�s avoir form� l'�me, employa les extr�mit�s du corps, pour donner la forme � la mati�re, et que bornant sa substance, qui de sa nature flottait sans liaison et sans limites, il l'environna de surfaces compos�es de triangles joints ensemble. Il est encore plus absurde de faire de l'�me une id�e, puisque l'�me est toujours en mouvement, et que l'id�e est immobile (31) ; que celle-ci ne peut avoir aucun commerce avec les choses sensibles, et que l'�me est enferm�e dans le corps. D'ailleurs, Dieu a travaill� d'apr�s son id�e, comme d'apr�s un mod�le, et il a form� l'�me comme son ouvrage. (1023d) Or, Platon, ainsi que nous l'avons d�j� dit, ne croit pas que la substance de l'�me soit un nombre, mais qu'elle a �t� form�e sur une proportion de nombres.

Mais une preuve commune contre ces deux opinions, c'est que ni dans les nombres, ni dans les extr�mit�s des corps, il n'y a pas la moindre trace de cette facult�, par laquelle l'�me juge naturellement des choses sensibles ; son intelligence et sa facult� de percevoir sont en elle un effet de sa participation au principe intelligible ; mais les opinions, les persuasions, les imaginations et les affections que lui font �prouver les qualit�s sensibles des


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corps, personne ne dira qu'elles viennent des unit�s, des lignes et des surfaces. Ce ne sont pas seulement les �mes humaines qui ont la facult� (1023e) de juger les choses sensibles.

� Quand l'�me m�me du monde, dit Platon, tournant sur elle-m�me, rencontre un �tre dont la substance est vague et incertaine, ou m�me la substance indivisible, elle fait conna�tre, en se mouvant tout enti�re, et ce qui est toujours le m�me et ce qui a une nature changeante ; elle montre ce � quoi chaque chose est singuli�rement propre, en quoi et comment elle est affect�e par chaque substance. �

Aussit�t apr�s, donnant une id�e des dix cat�gories, il s'explique encore plus clairement :

� Quand la raison vraie, dit-il, s'attache aux choses sensibles, et que le cercle de l'�tre changeant, suivant un mouvement droit, porte dans toute son �me le sentiment de son intelligence, alors il se forme des opinions (1023f) et des persuasions fermes et vraies. Mais lorsqu'elle est dans la facult� intelligente, et que le cercle de l'�tre toujours le m�me, tournant avec agilit�, le lui fait reconna�tre, alors la science parvient n�cessairement � sa perfection ; et vouloir que la substance, qui re�oit ces deux esp�ces de connaissances, soit autre chose que l'�me, c'est �tre dans l'erreur. �

Mais d'o� l'�me a-t-elle re�u ce mouvement, qui lui fait juger les choses sensibles, qui produit ses opinions et diff�re du mouvement intelligible (1024b) qui la conduit � la science ? C'est ce qu'on ne peut dire, � moins d'admettre comme une chose certaine qu'en cet endroit ce n'est pas simplement l'�me, mais l'�me du monde, que Platon compose des deux natures �nonc�es plus haut, de la substance la plus parfaite, qui est l'essence indivisible, et de la substance moins bonne, divisible dans les corps, et qui n'est autre chose que la facult� motrice, principe des opinions, des imaginations et des affections excit�es par les objets sensibles, facult� qui n'a point �t� engendr�e,


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mais qui est immortelle comme l'autre. Car la nature, dou�e de la facult� de comprendre, a aussi celle de former des opinions ; mais la premi�re de ces facult�s est immobile, impassible et fond�e sur la substance qui subsiste toujours; l'autre est divisible et errante, parce qu'elle est attach�e � une nature mobile et toujours flottante. (1024b) Car d'abord la mati�re sensible n'�tait assujettie � aucun ordre, elle n'avait ni forme ni limites, et la facult� qui lui �tait attach�e n'avait point d'opinions distinctes, ni des mouvements r�gl�s ; l� plupart ressemblaient � des songes t�m�raires et importuns qui agitaient la facult� corporelle, � moins que le hasard ne les fit se rencontrer avec la facult� plus parfaite ; car elle �tait plac�e entre l'une et l'autre, et avait avec elles du rapport et de la sympathie, tenant � la mati�re par sa facult� sensible, et aux choses intelligibles par la facult� de juger. C'est ainsi que Platon s'en explique; voici ses propres termes :

� Le r�sultat de mon opinion est qu'avant l'origine du ciel, trois choses existaient s�par�ment, l'�tre, l'espace et la g�n�ration. �

(1024c) Il appelle espace la mati�re, comme il dit ailleurs qu'elle est le si�ge et le r�cipient de toutes choses. Par �tre, il entend la substance intelligible. La g�n�ration, quand le monde n'existait pas encore, ne peut �tre que la substance sujette aux changements et aux mouvements divers, plac�s entre la cause qui donne la forme et le sujet qui la re�oit, et transmettant aux objets d'ici-bas les images des substances sup�rieures. C'est pour cela qu'elle a �t� appel�e divisible, et aussi parce qu'il faut n�cessairement que la facult� sensitive soit attach�e aux choses sensibles, et la facult� imaginative aux objets qui peuvent l'affecter; car la facult� sensible qui est propre � l'�me se meut vers les objets sensibles; (1024b) mais l'entendement est de lui-m�me stable et immobile ; et ayant �t� imprim� dans l'�me pour la diriger et la gouverner, il tourne sur lui-m�me, suit un mouvement


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circulaire, et s'applique principalement � la substance qui est toujours la m�me.

Aussi fut-il difficile de faire le m�lange de la substance divisible, qui est toujours en mouvement, avec celle qui est indivisible et immobile, et de forcer l'�tre changeant � s'unir � l'�tre qui est toujours le m�me; car le premier n'�tait pas le mouvement, comme le second n'�tait pas la stabilit�. Ils �taient la source de la diversit� et de l'identit�; car ils proc�dent l'un et l'autre de principes diff�rents : l'�tre toujours le m�me vient de l'utilit�, et l'�tre changeant vient de la dyade, et leur premier m�lange s'est fait ici-bas (1024e) dans l'�me, o� ils sont li�s par des nombres, des proportions et des m�di�tet�s harmoniques. L'�tre changeant, uni avec l'�tre toujours le m�me, produit la diversit�, et celui-ci joint � l'autre y �tablit l'ordre. On le voit sensiblement dans les premi�res facult�s de l'�me, qui sont celles de juger et de mouvoir. Le mouvement parait d'abord dans le ciel, et nous y fait voir la diversit� dans l'identit� par la r�volution des �toiles fixes, et l'identit� dans la diversit�, par l'ordre des plan�tes. L'�tre toujours le m�me domine dans les premi�res, et c'est tout le contraire dans les globes qui roulent autour de la terre. Le jugement a aussi deux principes ; l'entendement, qui proc�de d� l'�tre toujours le m�me, pour juger les choses universelles, et les sens, (1024f) qui tirent leur origine de l'�tre changeant, pour juger des choses particuli�res. La raison est un m�lange des deux, elle est l'intelligence, par rapport aux choses intelligibles, et l'opinion pour les choses sensibles. Les instruments qu'elle emploie sont les souvenirs et les imaginations. Les premiers font agir l'�tre toujours le m�me sur l'�tre changeant, et les secondes font agir l'�tre changeant sur l'�tre toujours le m�me. Car l'intelligence est le mouvement de l'entendement vers les objets stables et permanents, et l'opinion est la constance de la facult� sensible envers les objets qui sont en mouve-


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ment. (1025a) Quant � l'imagination, qui est la liaison de l'opinion avec le sentiment, l'�tre toujours le m�me la place fixement dans la m�moire. L'�tre changeant, au contraire, la met en mouvement, en lui faisant saisir la diff�rence du pass� et du pr�sent, et l'appliquant en m�me temps � la diversit� et � l'identit�.

Mais pour comprendre d'apr�s quelle proportion Dieu a compos� l'�me, il faut prendre pour exemple la constitution du corps du monde. Il y avait le feu pur et la terre, qu'il �tait bien difficile, � raison de leur nature, ou plut�t impossible de m�ler et de composer ensemble. Il pla�a donc entre eux l'air � c�t� du feu, et l'eau pr�s de la terre ; il m�la d'abord ces deux milieux, et ensuite, par leur moyen, (1025b) les deux extr�mes, qu'il lia, soit entre eux, soit avec les milieux. Il r�unit de nouveau l'�tre toujours le m�me et l'�tre changeant, ces puissances ennemies, ces extr�mes contraires, et les lia, non imm�diatement par eux-m�mes, mais par l'interposition de deux autres substances, l'indivisible, qu'il pla�a pr�s de l'�tre toujours le m�me, et la divisible, qu'il mit devant l'�tre changeant : il les disposa chacune dans l'ordre qui leur convenait, et ayant ainsi m�l� les deux extr�mes avec les deux milieux, il forma toute la substance de l'�me, et fit, autant qu'il �tait possible, une substance unique et semblable de plusieurs natures diff�rentes. Il y en a qui bl�ment Platon d'avoir dit que la nature de l'�tre changeant se pr�tait difficilement an m�lange, puisqu'au contraire, (1025c) loin de n'�tre pas susceptible de changement, elle le d�sire. C'est plut�t, disent-ils, la substance de l'�tre toujours le m�me, qui, de sa nature, �tant stable et permanente, n'admet pas facilement le m�lange qui suit le changement, elle le rejette m�me, parce qu'elle veut rester simple, pur et sans alt�ration. Mais ceux qui font ce reproche � Platon ignorent que l'�tre toujours le m�me est l'id�e des choses qui sont toujours de la m�me mani�re, et que l'�tre changeant est l'id�e des choses susceptibles


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de variation. L'effet de celui-ci est de diviser, de s�parer tout ce qu'il touche ; celui-l�, au contraire, joint et r�unit tout, afin que, par cette similitude, plusieurs substances n'aient qu'une m�me forme et une m�me facult�.

Voil� quelles sont les facult�s de l'�me du monde, lesquelles �tant plac�es dans des organes (1025d) passibles et mortels, qui sont les corps, y rendent plus sensible le principe de la dyade ind�termin�e, tandis que la forme de l'unit� simple n'y para�t que d'une mani�re plus obscure. Car il ne peut y avoir en l'homme ni une passion totalement d�pourvue de raison, ni une op�ration de sa raison o� il ne se m�le quelque mouvement de cupidit�, d'ambition, de joie ou de douleur. Aussi, parmi les philosophes, les uns veulent-ils que les passions soient des esp�ces de raisons, parce que toutes les cupidit�s, les douleurs et les col�res sont des jugements. D'autres pr�tendent que les vertus sont des passions ; car, disent-ils, la force agit sur la crainte, la temp�rance sur la volupt�, et la justice sur l'amour du gain. Mais l'�me (1025e) �tant � la fois contemplative et active, consid�rant les choses g�n�rales et particuli�res, les unes par le moyen de l'entendement et les autres par le secours des sens, la raison, qui est commune aux deux facult�s, et qui trouve l'�tre toujours le m�me dans l'�tre changeant et celui-ci dans le premier, s'efforce de s�parer, par des divisions et des bornes pr�cises, l'unit� de la pluralit�, la substance indivisible de la substance divisible ; mais elle ne peut jamais exister parfaitement pure, ni dans l'un ni dans l'autre, tant ces deux principes sont m�l�s et confondus ensemble.

C'est pourquoi Dieu a fait de la substance qui est compos�e de l'essence indivisible et de l'essence divisible, un r�cipient � l'�tre toujours le m�me et � l'�tre changeant, afin que l'ordre se trouv�t dans la diversit�; (1025f) et c'est l� ce qu'on appelle �tre engendr�, puisque sans cela, l'�tre toujours le m�me n'aurait pas eu de diff�rence, ni


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par cons�quent de mouvement et de g�n�ration, et l'�tre changeant n'e�t pas eu d'ordre, ni cons�quemment de g�n�ration et de consistance; car s'il �tait arriv� � l'�tre toujours le m�me de devenir variable avec l'�tre changeant, et � celui-ci de rester en soi,  comme l'�tre toujours le m�me (32), cette participation mutuelle n'aurait rien produit qui p�t amener la g�n�ration. Il faut une troisi�me substance, qui serve comme de mati�re pour les recevoir, et qui soit dispos�e par ces deux principes. (1026a) C'est cette mati�re que Dieu constitua la premi�re, en terminant l'infinit� de la nature mobile des corps par la stabilit� de la substance intelligible.

Il y a une sorte de voix inarticul�e et non distincte, qui n'exprime rien, au lieu que la parole est une voix qui transmet � l'�me la pens�e. L'harmonie est compos�e de sons et d'intervalles, le son est simple et toujours le m�me, l'intervalle est la diff�rence et la diversit� des sons, et c'est du m�lange des sons et des intervalles que r�sultent le chant et la m�lodie. De m�me, la partie passible de l'�me �tait ind�termin�e et flottait dans l'instabilit� ; elle fut ensuite termin�e, quand la vari�t� et l'inconstance de son mouvement furent assujetties � une forme et � une esp�ce d�termin�e. L'�tre toujours le m�me et l'�tre changeant, ayant donc �t� r�unis par des ressemblances et des diff�rences de nombres qui, de la diversit� font na�tre l'accord, il en est r�sult� cette �me, principe (1026b) de la vie de l'univers, de sa sagesse, de son harmonie et de sa raison, qui conduit la persuasion et la n�cessit� m�l�es ensemble. La plupart des hommes donnent � la derni�re le nom de destin�e. Emp�docle appelle ces deux principes amiti� et discorde; Heraclite dit


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qu'ils forment l'harmonie contrastante du inonde, et il la compare � la tension des cordes d'un arc ou d'une lyre. Parm�nide les appelle lumi�re et t�n�bres; Anaxagore, entendement et infinit�; Zoroastre, Dieu et le d�mon, le premier sous le nom d'Orosmade, et le second sous celui d'Arimanius (33). Euripide a donc eu tort d'employer la particule disjonctive au lieu de la conjonction, lorsqu'il a dit :

Je vois dans Jupiter, ou la n�cessit�
Dont les puissantes lois encha�nent la nature,
Ou des �tres pensants l'intelligence pure.

(1026d) En effet cette puissance, qui p�n�tre partout, est en m�me temps et l'intelligence et la n�cessit�. C'est ce que les �gyptiens nous font entendre �nigmatiquement, lorsqu'ils disent qu'apr�s qu'Horus eut �t� condamn�, son esprit et son sang furent donn�s � son p�re, sa chair et sa graisse � sa m�re (34). Ainsi il n'y a rien de l'�me qui demeure pur, sans m�lange et s�par� du reste ; car, selon H�raclite, l'harmonie cach�e est meilleure que celle qui est apparente, parce que Dieu a m�l�, cach� et enfonc� dans la premi�re les diff�rences et les diversit�s. On voit n�anmoins, dans sa partie brute, des mouvements d�sordonn�s, et dans sa partie raisonnable, l'ordre et la r�gularit�; dans sa partie sensitive, la n�cessit� ; dans sa partie intelligente, le pouvoir sur elle-m�me. Mais la facult� terminante s'attache aux substances universelles et indivisibles, � cause de son rapport avec elles. (1026e) Au contraire, la facult� qui divise, se porte vers les choses particuli�res parce qu'elle a de divisible ; et tout l'ensemble se r�jouit du changement de l'�tre toujours le m�me en l'�tre changeant quand il est n�cessaire. Les penchants contraires


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de l'�me vers le vice et l'honn�tet�, vers le plaisir et la douleur, les transports des amants et les fr�missements qu'ils �prouvent, les combats de l'honneur contre la volupt�, montrent sensiblement que notre �me est un m�lange d'une substance divine et impassible et d'une substance mortelle, sujette aux affections du corps. Platon appelle l'une la concupiscence des plaisirs, qui nous est naturelle, et l'autre une opinion �trang�re, qui nous fait rechercher le souverain bien. (1026e) Car la facult� passible est produite naturellement dans l'�me, mais ce qu'elle a d'entendement lui vient du dehors, et lui est infus� par le meilleur principe, qui est Dieu.

La nature m�me du ciel n'est pas exempte de ce m�lange de substances contraires. Elle est maintenant emport�e par la r�volution de l'�tre toujours le m�me, qui est la plus forte, et qui gouverne le monde. Mais il viendra un temps, qui m�me est d�j� arriv� plusieurs fois, o� le principe intelligent tombera dans une sorte de sommeil et d'engourdissement, et perdra de sa sagesse. Alors le principe qui, d�s l'origine, est li� d'habitude et de sympathie avec le corps, entra�nera le monde dans un sens contraire, et en (1026f) retardera la marche. Cependant il ne pourra l'interrompre totalement ; et le meilleur principe, reprenant l'empire, se r�glera sur son divin mod�le, qui le r�tablira dans sa premi�re r�gularit�. (1027a) Tout nous prouve donc que l'�me n'est pas tout enti�re l'ouvrage de Dieu ; mais qu'ayant en elle-m�me une portion inn�e de mal, elle a �t� sagement ordonn�e par cet ouvrier intelligent, qui a born� son infinit� par l'unit�, pour en faire une substance d�termin�e ; et par la force de l'�tre toujours le m�me et de l'�tre changeant, il a m�l� en elle l'ordre et le changement, la diff�rence et la similitude ; et, en employant les nombres et l'harmonie, il a mis entre ces diff�rentes qualit�s toute la communication et l'amiti� dont elles �taient susceptibles.


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Quoique cette doctrine vous soit connue depuis longtemps, soit par les ouvrages que vous avez lus, soit par les conf�rences o� vous l'avez entendu traiter; je ne crois pas inutile d'en dire ici quelque chose, et de vous rapporter d'abord les propres paroles de Platon.

� Dieu, dit-il, s�para premi�rement une portion de l'univers (35) ; ensuite il en �ta une seconde double de la premi�re ; puis une troisi�me sesqui-alt�re de la seconde et triple de la premi�re, une quatri�me double de la seconde, une cinqui�me triple de la troisi�me, une sixi�me octuple de la premi�re ; enfin une septi�me vingt-sept fois plus grande que la premi�re  (36). Apr�s cela, il remplit les intervalles doubles et triples, en retranchant encore d'autres portions de ces premi�res, et les pla�ant dans ces intervalles de mani�re que chaque intervalle �tait occup� par deux m�di�tet�s dont l'une surpassait un des extr�mes, et �tait surpass�e par l'autre (1027c) de la m�me quantit�, et dont l'autre surpassait et �tait surpass�e de la m�me portion des extr�mes (37). Les intervalles �tant sesqui-alt�res, sesqui-tierces et sesqui-octaves, des liaisons que Dieu avait, faites dans les intervalles pr�c�dents, il remplit tous les intervalles triples par l'intervalle sesqui-oclave, laissant une portion de chacun, et l'intervalle de cette portion laiss�e, pris de nombre � nombre a pour termes 256 et 243. �

On demande premi�rement quelle est la quantit� de ces


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nombres, secondement quel est leur ordre, et troisi�mement quelle en est la valeur; par rapport � leur quantit�, quels sont ceux qui sont pris en intervalles doubles ; pour leur ordre, s'il faut les ranger (1027d) tous sur une m�me ligne, comme fait Th�odore, ou plut�t en leur donnant, � l'exemple de Cranlor, la figure de cette lettre grecque A, o� le premier nombre est plac� au sommet, ensuite les doubles � part, et les triples de m�me sur deux lignes diff�rentes. Quant � leur usage et � leur valeur, on demande comment ils contribuent � la composition de l'�me. Sur la premi�re question, nous rejetterons l'avis de ceux qui disent que dans les proportions il suffit de consid�rer la nature des intervalles et des m�di�tet�s qui les remplissent, parce que la d�monstration s'en fait �galement, quels que soient les nombres qu'on emploie, pourvu qu'ils aient des espaces capables de (1027e)  recevoir ces proportions. Quand cela serait vrai, la d�monstration faite sans exemples, est toujours obscure, et d'ailleurs elle nous �loigne d'une autre th�orie qui joint l'agr�ment � l'instruction.

Si donc commen�ant par l'unit� nous mettons d'un c�t� les nombres doubles, et les triples de l'autre, comme Platon nous en donne la r�gle, nous aurons pour premi�re s�rie 2, 4, 8, et pour seconde 3, 9, 27, ce qui fera en tout sept nombres en prenant l'unit� commune aux deux s�ries, et poussant la multiplication jusqu'� 4. Car ce n'est pas seulement dans cette occasion, mais en plusieurs autres qu'on voit la sympathie (1027f) du nombre 3 avec le nombre 7. Or, ce nombre quaternaire tant c�l�br� par les pythagoriciens, c'est-�-dire le nombre 36, a cela d'admirable, qu'il est compos� des quatre premiers nombres pairs, et des quatre premiers impairs, et il est le r�sultat de la quatri�me connexion des deux s�ries de nombres ; car la premi�re connexion est de 1 et de 2, la seconde est des nombres impairs 1 et 3. Il prend d'abord l'unit� commune aux deux s�ries, ensuite 8 (1028a) produit des nombres pairs, et puis 27


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produit des impairs ; et par l� il nous montre, pour ainsi dire du doigt, quel espace il laisse dans l'un et l'autre genre.

Je laisse � d'autres de plus longs d�tails; mais ce qui suit appartient � mon sujet. Car ce n'est pas sans n�cessit� et pour faire parade de ses connaissances en math�matiques, que Platon a ins�r� dans un trait� de physique, des m�di�tet�s arithm�tiques et harmoniques, mais parce que cette m�thode convenait singuli�rement pour expliquer la composition de l'�me. En effet, il y en a qui cherchent ces proportions dans les vitesses des plan�tes, d'autres dans leurs distances, ceux-ci dans les grandeurs des astres; ceux qui semblent y mettre plus d'exactitude (1028b) les placent dans les diam�tres des �picycles (38), comme si le supr�me architecte e�t, par ce seul motif, attach� l'�me aux corps c�lestes, et l'e�t divis�e en sept parties (39). Plusieurs transportent ici les proc�d�s des pythagoriciens, en triplant la distance des corps depuis le milieu. Cela se fait en attribuant l'unit� au feu, le nombre 3 � la terre qui est oppos�e � la n�tre, 9 � notre globe, 27 � la lune, 18 � Mercure, 243 � V�nus et 729 au soleil, parce que ce nombre est � la fois un carr� et un cube. C'est pourquoi ils d�signent le soleil (1028c) tant�t sous le nom de t�tragone, et tant�t sous celui de cube ; c'est en triplant ainsi les nombres qu'ils r�duisent les autres astres en proportions. Mais ils sont dans une grande erreur, si les d�monstrations g�om�triques sont de quelque poids, et ceux qui en font usage m�ritent beaucoup plus de confiance, quoique eux-m�mes ils n'aient pas donn� des mesures bien exactes. Cependant ils ont assez approch� de la v�rit�, lors-


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qu'ils ont dit que le diam�tre du soleil est � celui de la terre dans la proportion de 12 � 1 (40) ; que le diam�tre de la terre est � celui de lune dans la proportion triple (41) ; que celle des �toiles fixes, qui para�t la plus petite, n'a pas un diam�tre moindre (1028d) que la troisi�me partie de celui de la terre (42) ; que la niasse totale de la terre est � celle de la lune comme 27 est � 1 (43); que les diam�tres de V�nus et de la terre sont en proportion double, et leurs masses en raison octuple (44) ; que l'ombre de la terre, qui cause les �clipses de lune, est dans sa largeur triple du diam�tre de cette plan�te ; que l'espace dont la lune s'�carte des deux c�t�s du cercle de l'�cliptique est une douzi�me partie (45) ; que ses positions � l'�gard du soleil � des distances triangulaires et quadrangulaires forment les phases de son premier quartier et de sa forme bossue ; qu'elle devient pleine lorsqu'elle a parcouru six signes du zodia-


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que ; (1028e) ce qui est comme un accord de diapason form� de six. tons ; que le mouvement du soleil est le plus lent aux solstices, et qu'il est le plus acc�l�r� aux �quinoxes, o� ce qu'il �te � la longueur des jours il l'ajoute � celle des nuits. Au contraire, dans le premier mois apr�s le solstice d'hiver, il fait cro�tre les jours de la sixi�me partie (46) de  l'exc�s que la plus grande nuit avait sur le jour le plus court ; le mois suivant, il y ajoute la troisi�me partie, et la moiti� dans les autres jours jusqu'� l'�quinoxe, compensant ainsi par des intervalles sescuples et triples l'in�galit� du temps.

Les Chald�ens disaient que le rapport du printemps (1028f) avec l'automne �tait la quarte, avec l'hiver la quinte, avec l'�t� l'octave. Mais les saisons changent dans la proportion de l'octave, du moins si Euripide en a bien fix� les limites :

Les chaleurs des �t�s et les froids des hivers
Tour � tour quatre mois r�gnent sur l'univers.
De fleurs durant deux mois le printemps se couronne,
Et laisse un m�me espace aux doux fruits de l'automne.

D'autres assignent � la terre la note prostambanom�ne, � la lune (1029a) celle de l'hypate, � Mercure et � V�nus celle du diatonos et du lichanos, et ils placent le soleil sur la m�se, comme tenant le milieu du diapason, parce qu'il est �loign� de la terre d'une quinte, et de la sph�re des �toiles fixes d'une quarte. Mais ni l'id�e ing�nieuse des uns ne va droit � la v�rit�, ni le calcul des autres n'est exact. Ceux donc qui ne veulent pas que Platon ait jamais eu ces pens�es, conviennent cependant qu'elles s'accor-


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dent parfaitement avec les proportions musicales. Comme il y a cinq t�tracordes, le premier des hypates, le second des m�ses, le troisi�me des conjointes, le quatri�me des disjointes, et le cinqui�me des supr�mes, ils disent que les plan�tes sont aussi plac�es � cinq distances diff�rentes, dont la premi�re est depuis la lune jusqu'au soleil, et aux deux plan�tes qui l'accompagnent, (1029b) Mercure et V�nus (47) ; la seconde depuis ces trois plan�tes jusqu'� la sph�re de Mars ; la troisi�me depuis Mars jusqu'� Jupiter ; la quatri�me jusqu'� Saturne, et la cinqui�me depuis Saturne jusqu'au ciel des �toiles fixes ; en sorte que les sons qui d�terminent l'�tendue des cinq t�tracordes ont les m�mes proportions que les intervalles des astres.

Nous savons d'ailleurs que les anciens avaient dans leurs t�tracordes deux hypates, trois n�tes, une m�se, et une param�se, et qu'ainsi le nombre de leurs notes �galait celui des sept plan�tes. Les modernes, en y ajoutant la prostambanom�ne, qui est d'un ton plus basse que l'hypate, ont renferm� tout le syst�me musical dans une double octave ; mais ils n'ont pas conserv� (1029c) l'ordre naturel des accords, parce que alors la quinte se fait avant la quarte, en ajoutant dans le bas un ton, au lieu qu'il est certain que Platon l'ajoutait dans le haut. Car il dit, dans sa R�publique, que chacune des sph�res roule dans les cieux en portant une sir�ne ; que ces sir�nes chantent toutes sur un ton diff�rent, et forment par la r�union de ces divers tons un concert agr�able ; que, ravies elles-m�mes de leur harmonie, elles chantent les choses divines, et accompagnent leurs chants d'une danse sacr�e, que dirige la douce m�lodie de leurs huit cordes : comme


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il y avait huit premiers termes pour les proportions doubles et triples, en comptant dans chaque s�rie de nombres l'unit� (1029d) pour un terme. Les anciens ont aussi suppos� neuf Muses, dont huit veillent, suivant Platon, sur les choses c�lestes, et la neuvi�me pr�side aux choses terrestres, les adoucit, les mod�re, en bannit le d�sordre et l'in�galit�, qui �taient la suite de leur nature turbulente.

Or, consid�rez si l'�me �tablie dans la sagesse et la justice ne conduit pas le ciel et les choses c�lestes par les accords et les mouvements qui sont en elle ; et cette bont�, qui lui est naturelle, elle la doit aux proportions harmoniques dont les images sont empreintes sur les corps et sur les parties visibles du monde. (1029e) Mais la premi�re et la principale force de ces proportions est plus sensiblement encore imprim�e dans l'�me, qui conserve par l� un accord parfait et une soumission enti�re � la facult� la meilleure et la plus divine, celle � qui toutes les autres sont �galement soumises ; car le supr�me architecte ayant trouv� le d�sordre et la confusion dans les mouvements de l'�me qui se laissait emporter � sa folle t�m�rit� et �tait toujours en discorde avec elle-m�me, il en borna et s�para quelques parties, il en r�unit d'autres et les coordonna par le moyen des proportions et des nombres, qui font que les corps m�me les plus insensibles, tels que les pierres, les bois, les �corces d'arbres, les nerfs des animaux, unis, dispos�s et combin�s ensemble, (1029f) produisent des figures admirables, des statues, des parfums d�licieux, et des instruments dont les accords nous ravissent.

Aussi Z�non de Cittie exhortait-il les jeunes gens � aller entendre des joueurs de fl�te, pour voir quels sons m�lodieux on tirait des cornes, des bois, des roseaux et des autres mati�res semblables, lorsqu'on y appliquait les proportions et les accords; car cette assertion des pythagoriciens, que tout ressemble aux nombres, a besoin de


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preuve. (1030a) Mais que la soci�t� et l'accord qui r�gnent aujourd'hui dans toutes les substances, entre lesquelles il y avait auparavant tant de dissimilitude et d'in�galit�, soient l'effet de la mod�ration et de l'ordre qu'ont mis en elles les proportions et les nombres harmoniques, c'est ce que n'ont pas ignor� les po�tes eux-m�mes, qui d�signent les choses douces et aimables par le terme d'accord, et qui donnent � celles qui nous sont d�sagr�ables et contraires l'�pith�te de discordantes, comme si l'inimiti� n'�tait autre chose qu'un d�faut d'harmonie et de proportion. Le po�te qui a fait l'�loge fun�bre de Pindare dit de lui :

Par l'accord de ses m�urs, par son doux caract�re,
Pindare aux citoyens, aux �trangers sut plaire.

Il montre par l� qu'il regarde comme une vertu cette facilit� de m�urs. Pindare lui-m�me a dit de Cadmus :

Le mortel dont la vie est dans un juste accord
Ne craint point dans enfers le redoutable sort.

(1030b) Les th�ologiens des si�cles pass�s, qui sont les plus anciens des philosophes, ont mis des instruments dans les mains des statues de leurs dieux ; non qu'ils regardassent comme un exercice convenable aux dieux de jouer de la lyre ou de la fl�te ; mais ils croyaient que rien n'�tait plus analogue � leur nature que l'accord et l'harmonie. Celui qui voudrait trouver des proportions sesqui-tierces, sesqui-alt�res et doubles dans le corps, le manche ou les clefs d'une lyre et d'un luth, se ferait moquer de lui ; non qu'il ne faille que ces parties des instruments soient proportionn�es entre elles pour la longueur et la grosseur ; mais ce n'est que dans les sons qu'il faut chercher l'harmonie. De m�me il est vraisemblable que les corps des astres, les intervalles de leurs orbites, les vitesses de leurs r�volutions, semblables � des instru-


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ments (1030c) bien mont�s sont proportionn�s, soit entre eux, soit avec le reste de l'univers, encore que la mesure et la quantit� de ces proportions nous soient inconnues. Mais il faut croire que le v�ritable effet de ces nombres et de ces proportions dont le souverain architecte du monde a fait usage, est l'accord et l'harmonie de l'�me avec elle-m�me ; que ce fut par le moyen de ces nombres qu'elle remplit le ciel d'une infinit� de biens, temp�ra les choses terrestres par la vicissitude des saisons, et les ordonna de la mani�re la plus propre, soit � la production, soit � la conservation des substances cr��es.


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EXTRAIT DU TRAIT� DE LA CR�ATION DE L'�ME.

Le trait�, qui a pour titre de la Cr�ation de l'�me, d'apr�s le Tim�e, contient ce que Platon et ses sectateurs ont �crit avec beaucoup de soin, sur cette mati�re. On y expose aussi certaines proportions et certains rapports g�om�triques, qu'on croit utiles � la th�orie de l'�me ; on y voit enfin des th�or�mes de musique et d'arithm�tique. Il y est dit que la mati�re a �t� form�e par l'�me ; car on y attribue une �me � l'univers, comme on en donne une � chaque animal, pour le conduire et le gouverner. L'auteur la suppose en partie non engendr�e, et en partie soumise � la g�n�ration. Il dit que la mati�re est �ternelle, mais que Dieu lui a donn� sa forme par le moyen fie l'�me ; que le mal est une production de la mati�re, afin, dit-il, que Dieu ne soit pas l'auteur du mal (48).


(01) Plutarque avait eu quatre fils et une fille. Deux de ses fils moururent avant lui : Autobule, qu'on croit avoir �t� l'a�n�, et Charon, le plus jeune des quatre. Les deux, autres �taient Lamprias, qui nous a laiss� le catalogue des ouvrages de son p�re, et Plutarque, qui fut fort instruit, et que quelques critiques croient l'auteur du trait� des Apophtegmes.

(02) Platon dit, mot � mot, la substance du m�me et celle de l'autre. Il nomme aussi ces deux substances l'essence individus et l'essence dividus. Comme ces expressions reviennent tr�s fr�quemment dans ce trait�, et qu'en fran�ais elles ne pr�sentent pas des id�el bien claires et bien pr�cises pour le grand nombre des lecteurs, je les �viterai et je ferai usage de celles-ci : L'�tre qui est toujours le m�me, l'�tre toujours changeant, la substance indivisible et la substance divisible, d'autant qu'elles rendent le vrai sens des expressions de Platon.

(03) X�nocrate de Chalc�doine succ�da � Speusippe dans l'�cole de Platon,
o� il commen�a � enseigner la seconde ann�e de la cent dixi�me olympiade, et continua pendant vingt-cinq ans.

(04) Crantor de Soli �tait un acad�micien tr�s c�l�bre.

(05) Zaratas, que d'autres appellent Nazaratus, �tait, dit-on, d'Assyrie, et enseigna la philosophie � Pythagore. Il y a des auteurs qui croient que c'est le m�me que Zoroastre.

(06) Il y a eu trois philosophes de ce nom, l'un pythagoricien, l'autre sectateur du Lyc�e, et le troisi�me platonicien. Il y a apparence qu'il s'agit ici du dernier.

(07) Il y a erreur dans celte citation. C'est dans le Ph�don, et non dans le trait� de l'�me ou le Tim�e, que Simmias soutient que la nature de l'�me consiste dans l'harmonie, et que Socrate combat celte opinion.

(08) Suivant H�raclite, le feu �tait le principe de toutes choses, il existait de toute �ternit�, toutes les substances �taient sorties de lui, et il est le terme de tout, parce que tout doit se r�soudre en cet �l�ment. Ainsi, dans ce syst�me, ni les dieux ni les hommes n'avaient aucune part � la formation du monde

(09)  Par le mot corps, les anciens entendaient autre chose que mati�re; celle-ci n'avait ni forme ni figure ; le corps �tait la mati�re form�e, et r�duite � telle ou telle esp�ce.

(10) Ce n'�tait donc pas seulement la mati�re qui, avant que Dieu e�t pens� � l'organiser, �tait dans un �tat de trouble et de d�sordre, l'�me du monde elle-m�me �tait dans un semblable chaos.

(11)i �picure attribuait � ses atomes la figure, la grandeur  et la pesanteur; celle-ci �tait la seule qui leur f�t essentielle : mais elle aurait d� ne faire d�crire aux atomes que des lignes droites, et alors ils n'auraient jamais pu se rencontrer et former en s'accrochant les uns les autres aucune combinaison. Ce fut pour sauver celle difficult�, insoluble dans son syst�me, qu'il imagina de leur donner encore un mouvement de d�clinaison; et comme il supposait ce mouvement sans en assigner aucune cause, les sto�ciens attaquaient vivement celte hypoth�se gratuite.

(12)  Plusieurs anciens philosophes ont port� ce nom, et la plupart �taient p�ripat�ticiens. Il y a apparence que celui-ci est Eud�me de Rhodes, disciple d'Aristote, auquel on croit que ce philosophe a adress� les livres de morale qui portent le nom d'Eud�me.

(13) Le passage que Plutarque cite ici ne se trouve pas dans l'Atlantique de Platon. Il est vrai que ce trait� ne nous est parvenu que tr�s incomplet : nous n'en avons gu�re que le commencement. Il �tait comme une suite du Tim�e, et avait en partie les m�mes interlocuteurs.

(14) Nous verrons plus bas le nom de mariage, donn� au nombre 6, parce que ce nombre, dit Plutarque, est compos� du premier nombre pair 2 et du premier nombre impair 3, ce que saint Cl�ment d'Alexandrie, Stromat. VI, page 811, explique en disant que le nombre impair 3, pris deux fois, donne. 6. Or, dans la doctrine des nombres, le nombre impair est l'image de l'homme, el le nombre pair celle de la femme.

(15) Il y a ici une lacune consid�rable.

(16) Cette phrase est mutil�e dans son premier membre; mais il est facile de suppl�er ce qui manque, parce que Plutarque dit que la somme de ces divers nombres assembl�s deux � deux, pair el impair, donne pour produit 36. Alors la premi�re copulation est de 4 et 3, et la deuxi�me de 3 et 4, etc.

(17) Commun�ment, les nombres plans sont ceux qui repr�sentent la surface quand on applique les nombres � la g�om�trie. 1 repr�sente le point, 2 et 3 la ligne, et c'est pourquoi on les appelle nombres lin�aires.  4 et 9 sont les premiers nombres plans, parce qu'ils repr�sentent la surface, comme 8 et 27, qui sont des cubes, figurent les solides.

(18) i Voici celle figure, telle qu'on la trouve dans l'�dition d'Amyot par Vascosan.

C'est-�-dire de 8, cube de 2, premier nombre pair, et de 27, cube de 3, premier impair,
premier impair.

(19) La proportion du ton qui est sesqui-octave La proportion �pitrite ou sesqui-tierce, est celle qui contient la valeur du nombre ou de la mesure pr�c�dente, et de plus son tiers, comme 8 contient 6, et plus le tiers de 6, qui est 2. La proportion sesqui-alt�re contient le nombre pr�c�dent et puis sa moiti�, comme 9 contient 6 et la moiti� de 6, qui est 3.

(20) Ainsi la proportion sesqui-octave est celle qui contient le nombre pr�c�dent et sa huiti�me partie, comme 9 confient 8 et son huiti�me, qui est 1. Les anciens divisaient le ton en neuf parties.

(21) N�te, m�se et hypate �taient les trois noms que les Grecs donnaient aux cordes de leurs t�tracordes. La n�te �tait la quatri�me corde ou la plus aigu� de chacun des trois t�tracordes, qui suivaient les deux premiers du grave � l'aigu. N�te signifie derni�re, inf�rieure; car les anciens, dans leurs diagrammes, mettaient en haut les sons graves, et en bas les sons aigus. La m�se �tait la corde la plus aigu� du second t�tracorde, en commen�ant � compter du grave. L'hypate �tait la plus basse corde de chacun des deux plus bas t�tracordes, ce qui, pour eux, �tait tout le contraire.

(22) On distingue dans le cours de la lune le mois p�riodique dans lequel elle ach�ve sa r�volution autour de la terre; il est de vingt-sept jours entiers, et le mois synodique, qui est le temps qu'elle met � rattraper le soleil, qui, pendant ces vingt-sept jours, s'est avanc� de vingt-sept degr�s dans le zodiaque; et ce mois synodique est de vingt-neuf jours et demi.

(23) Ces quatre nombres impairs sont ceux qui, dans la figure triangulaire qu'on a vue ci-dessus, sont plac�s � droite, et qui proc�dent, par une multiplication triple, 1, 3, 9, 27. Les trois premiers donnent 13, qui, joint �  27, fait 40.

(24) Ces quatre premiers nombres sont encore 1,2, 3 et 4, qui, pris chacun quatre fois, donnent pour produit 40.

(25) Quand on a trois nombres proportionnels, cela se nomme m�di�t� arithm�tique, ou g�om�trique, ou harmonique, suivant que la proposition est arithm�tique, g�om�trique ou harmonique.

(26) C'est-�-dire de la moiti�; car 9 surpasse 6, le plus petit des extr�mes, de la la moiti� de cet extr�me, qui est de 3 ; et il est surpass� par 18, le plus grand des extr�mes, de la moiti� de ce terme.

(27)  L'exemple annonc� par Plutarque ne se trouve pas dans le grec, mais le voici tel qu'il est dans l'�dition de Vascosan :

12, 2

6

3, 18
24, 4 9, 54
48, 8 27, 162

On voit que tous les chiffres � gauche repr�sentent les intervalles doubles, el ceux � droite les intervalles triples.

(28) Muance, en musique, signifie les changement qui pouvaient arriver dans la suite d'un chant ou d'une modulation ; ces changements �taient de quatre sortes : 1� dans le genre, lorsque le chant passait d'un genre � un autre, du chromatique, par exemple, au diatonique ou a l'enharmonique, et r�ciproquement ; 2� dans le syst�me, lorsque la modulation sortait d'un t�tracorde conjoint, c'est-�-dire uni � son voisin par un son commun, pour entrer dans un t�tracorde disjoint ou s�par�  de son voisin par l'intervalle d'un ton, et au contraire; 3� dans le mode, lorsque apr�s avoir chant� une partie de quelque air sur le ton dorien, par exemple, on en chantait une autre partie sur le lydien ou sur le phrygien, etc. ; 4�. enfin, dans la m�lop�e, lorsqu'on passait d'un chant grave, s�rieux, magnifique, � un chant gai, enjou�, imp�tueux.

(29) Il y a encore ici une lacune consid�rable dans l'original ; elle devait contenir la suite de la m�thode de Crantor et celle de Cl�arque, pour l'interposition des m�di�tet�s ; apr�s quoi Plutarque reprenait la cr�ation de l'�me.  Ce qui suit en est la preuve.

(30) Tim�e, el apr�s lui Platon, croyaient que la mati�re, consid�r�e dans son premier �tat, n'avait ni forme, ni qualit�, ni rien de ce qui peut constituer un �tre, mais qu'elle recevait toutes les formes et toutes les figures, et devenait divisible en devenant corps. (Voyez Tim�e de Locres, chap. 1. num. 5.)

(31) Il s'agit ici de l'id�e d'apr�s laquelle Dieu a form� l'�me : id�e immuable et qui tient � l'essence de l'�tre intelligent, ou plut�t qui n'est que le principe intelligent de Platon, consid�r� sous une autre face.

(32)  Plutarque, sans doute, veut dire Ici que si l'�tre toujours le m�me et l'�tre changeant, ces deux principes oppos�s, se fussent unis, ou plut�t eussent tent� de s'unir Imm�diatement l'un et l'autre, leur extr�me opposition e�t emp�ch� qu'il ne sort�t de ce m�lange aucune organisation, aucune substance dou�e de qualit�s d�termin�es.

(33) Ces deux principes, l'un du bien et l'autre du mal, sont commun�ment appel�! Oromase et Arimane. Plutarque en parle dans son traite d'Isis et d'Osiris.

(34) Horus �tait fils d'Isis et d'Osiris. Il en sera parl� dans le trait� d'Isis.

(35) Platon entend ici par univers le compos� qui r�sulta du m�lange que Dieu avait fait de la substance indivisible et de la substance divisible ; ce m�lange forma une troisi�me substance interm�diaire qui tenait de la nature des deux autres.

(36) Platon explique ici les proportions num�riques que Dieu employa pour la formation de l'�me, et que nous avons d�j� vues au commencement du trait� dans la figure triangulaire, sur les c�t�s de laquelle �taient plac�s les nombres pairs el impairs.

(37) Ceci a rapport aux proportions num�riques sur lesquelles Platon supposait que l'�me du monde avait �t� form�e, el aux intervalles des consonnances musicales. Plutarque a expos� plus haut, fort au long, les unes et les autres.

(38) Apollonius de Perge, vers l'an 230 ou 240 avant J�sus-Christ, inventa les �picycles, ou du moins d�montra la proportion n�cessaire entre l'�picycle cl le d�f�rent pour produire les stations et les r�trogadations. (Voyez
Bailly, Histoire de l'Astronomie, tom. I, pag. 45.)

(39) C'est-�-dire dans les sept plan�tes qui ont chacune une portion de celle �me du monde en proportion in�gale.

(40) Il s'en fallait bien que celle proportion approch�t de la v�rit�. Il est reconnu aujourd'hui, par les observations les plus modernes, que le diam�tre du soleil est cent treize fois plus grand que celui de la terre, qui est de deux mille huit cent soixante-cinq lieues de vingt-cinq au degr�. Par cons�quent le diam�tre du soleil est de trois millions deux cent trente-un mille cent cinquante-cinq lieues.

(41)  Le diam�tre de la lune est de sept cent quatre-vingt-deux lieues, et �
peu pr�s quatre fois plus petit que celui de la terre.

(42) Le diam�tre r�el est incalculable, � cause de leur grande distance, qui fait seulement pr�sumer avec raison qu'elles sont prodigieusement grosses.  Il est r�ellement reconnu que Sirius, une, de celles qui para�t le plus proche de nous, en est cent mille fois plus �loign�e que le soleil. (Bailly, Astronomie moderne, tom. II, pag. 684.)

(43) La lune n'est, par son volume, que la quarante-neuvi�me partie de la
terre.

(44) Le diam�tre de V�nus est � peu pr�s �gal � celui de la terre, et sa grosseur en fait les quatre cinqui�mes.

(45) � Hipparque, en observant la lune, s'aper�ut que tant�t elle s'�levait de cinq degr�s au-dessus de l'�cliptique, et tant�t s'abaissait du m�me nombre de degr�s au-dessous. Il en conclut que la route dans laquelle elle se meut est inclin�e de cinq degr�s � ce cercle : c'est ce qu'on appelle la plus grande latitude de la lune. Celle roule coupe l'�cliptique dans des points qu'on appelle les n�uds. Hipparque v�rifia ce qu'Eudoxe avait avanc�, savoir que les n�uds sont mobiles, el r�pondent successivement � diff�rents points de l'�cliptique. � (Bailly, ibid., tom. I,  pag. 94.)

(46) Ce calcul n'est pas trop exact; � trente-cinq degr�s de latitude, qui est le milieu de la Gr�ce, le jour le plus court est de neuf heures quarante minutes, la nuit de quatorze heures vingt minutes; la diff�rence est quatre heures quarante minutes; dans le premier mois apr�s le solstice, le jour augmente de vingt-huit minutes, et ce n'est que la dixi�me partie de l'exc�s de la grande nuit sur le jour le plus court, au lieu de la sixi�me partie. (De Lalande.)

(47) Ces deux plan�tes, dont les apparitions tant�t avant, tant�t apr�s le soleil, ont conduit les modernes au syst�me qui place le soleil au centre du monde, �taient fort embarrassantes pour ceux qui y mettaient la terre. Quelque; anciens les faisaient tourner autour du soleil dans des �picycles, comme la lune autour de la terre dans les syst�mes modernes.

(48) La suite �le cet extrait, qui est assez �tendu, ne fait que r�p�ter absolument dans les m�mes termes ce qu'on vient de voir dans le trait� pr�c�dent, depuis ces mots, p. 29 : On en peut dire autant de Posidonius, jusqu'� ceux-ci, p. 34 : Il y en a qui bl�ment Platon d'avoir dit, etc. J'ai cru fort inutile de le transcrire ici de nouveau.