page 163 POMP�E I. Haine des Romains contre Strabon, p�re de Pomp�e. Leur amour pour son fils. - II. Attachement extraordinaire de Flora pour Pomp�e. II est accus� de trop aimer les femmes. Sa frugalit�. � III.. Il sauve la vie � son p�re et apaise la s�dition de son arm�e. - IV. II est cit� en justice. - V. Meurtre de Cinna. Pomp�e rassemble des troupes et va joindre Sylla. -VI. Il remporte plusieurs avantages sur les chefs du parti oppos�. - VII. Honneurs que lui rend Sylla. Pomp�e va en Gaule pour secourir M�tellus. - VIII. Il r�pudie sa femme Antistia , pour �pouser �milie. - IX. II marche en Sicile contre les g�n�raux du parti contraire. X. II passe en Afrique. - XI. Il bat Domitius, et soumet l'Afrique en quarante jours. XII. Sylla le rappelle et lui donne le surnom de Grand. - XIII. Il obtient, malgr� Sylla, les honneurs du triomphe. - XIV. Jalousie que Sylla con�oit de sa gloire. - XV. II chasse L�pidus de l'Italie. - XVI. Il va en Espagne faire la guerre � Sertorius. - XVII. Bataille de page 164
Sucron. - XVIII. Pomp�e �crit au s�nat pour lui demander de l'argent. -
XIX. La mort de Sertorius finit la guerre. Pomp�e taille en pi�ces les
restes des esclaves r�volt�s. - XX. Il est nomm� consul avec Crassus. -
XXI. II r�tablit le tribunat. - XXII. Pomp�e et Crassus se r�concilient.
Leur conduite apr�s le consulat. � XXIII. Origine de la guerre des
pirates. Leurs succ�s. � XXIV.. Leur insolence. � XXV. Pomp�e est nomm�
pour aller leur faire la guerre. - XXVI. Opposition de tous les bons
citoyens au pouvoir excessif qu'on avait accord� � Pomp�e. Il finit par
l'emporter. - XXVII. Rapidit� de ses succ�s. - XXVIII. Il revient � Rome
et va ensuite � Ath�nes. -XXIX. II termine toute cette guerre. � XXX. Sa
conduite par rapport aux corsaires retir�s en Cr�te. - XXXI. II est
choisi pour aller faire la guerre � Mithridate. Comment il en re�oit la
nouvelle. - XXXII. Sa conduite ind�cente envers Lucullus. - XXXIII.
Mithridate, enferm� dans son camp par Pomp�e, s'�chappe � son insu. �
XXXIV. Bataille o� ce prince est vaincu. � XXXV. Tigrane met � prix la
t�te de Mithridate. � XXXVI. Pomp�e fait la paix avec Tigrane. - XXXVII.
II d�fait les Albaniens et les lb�riens. - XXXVIII. Il remporte une
seconde victoire sur les Albaniens. - XXXIX. Stratonice livre � Pomp�e
le ch�teau o� �taient les richesses de Mithridate. - XL. Il prend un
autre ch�teau , o� il trouve des lettres de ce prince. - XLI. II fait la
conqu�te de la Syrie et de la Jud�e. � XLII. Insolence d'un de ses
affranchis nomm� D�m�trius. - XLIII. - Il apprend la mort de
Mithridate. - XLIV. Pr�sents que Pharnace lui envoie. II va � Mityl�ne
et � Rhodes. - XLV. Comment il d�truit les bruits qu�on avait r�pandus �
Rome contre lui. -XLVI. Caton lui refuse ses deux ni�ces en mariage;
l'une pour lui-m�me et l'autre pour son fils. - XLVII. Triomphe de
Pomp�e. - XLVIII. R�flexions sur la conduite par laquelle Pomp�e pr�pare
ses malheurs. - XLIX. Discours s�ditieux et violences de Pomp�e. - L.
Insolences de Clodius. - LI. Pomp�e fait rappeler Cic�ron de son exil. -
LII. Il est charg� de faire venir du bl� � Rome , et il y r�tablit
l'abondance - LIII. C�sar vient en Italie. Ligue entre lui, Crassus et
Pomp�e.- LIV. Pomp�e et Crassus se font nommer consuls par force, et
font continuer � C�sar le gouvernement de la Gaule. - LV. Mort de Julia.
- LVI. Pomp�e et C�sar se divisent. -LVII. Pomp�e est nomm� seul consul.
- LVIII. Il �pouse Corn�lie. - LIX. II se fait continuer son
gouvernement pour quatre ans. - LX. Il demande le consulat pour C�sar,
alors absent. - LXI. Folle pr�somption de Pomp�e. - LXII. C�sar s'avance
vers l'Italie. - LXIII. Pr�paratifs de Pomp�e contre C�sar.
Celui-ci passe le Rubicon. � LXIV. Pomp�e est mis � la t�te de la
r�publique avec un pouvoir absolu. � LXV. �pouvante g�n�rale � Rome. �
LXVI. C�sar y arrive. � LXVII. Il se rend ma�tre de toute l'Italie. -
LXVIII. Pomp�e assemble des forces de terre et de mer. Personnages
distingu�s qui se r�unissent � lui. � LXIX. Accommodement propos� par
C�sar et refus� par Pomp�e qui ne sait pas profiter d'un premier
avantage. � LXX. Pr�somption que ce succ�s inspire � Pomp�e. � LXXI. Il
se met � la poursuite de C�sar. � LXXII. Propos d�savantageux r�pandus
contre Pomp�e. � LXXIII. page 165 toire. � LXXVII. Fuite de Pomp�e. � LXXVIII. P�ticius le re�oit sur un vaisseau. �LXXIX. Il va rejoindre Corn�lie � Lesbos. � LXXX. Il conseille aux Mityl�niens de se rendre � C�sar. � LXXXI. Il fait quelques efforts pour remettre des troupes sur pied. � LXXXII. Il se retire en �gypte. � LXXXIII. Ptol�m�e se d�termine � le faire assassiner, � LXXXIV. Il envoie Ag�silas au-vain de lui. � LXXXV. Pomp�e est mis � mort. LXXXVI. Philippe, son affranchi, br�le son corps. � LXXXVII. Sa mort est veng�e par C�sar. � Parall�le d'Ag�silas et de Pomp�e. M. Dacier place l'exp�dition d'Afrique par Pomp�e � l'an du monde 3869, la 4e ann�e de la 174e olympiade, l'an de Rome 672 , 79 ans avant J.-C. � Les �diteurs d'Amyot renferment sa vie depuis l'an 648 jusqu'� l'an 706 de Rome, 48 ans avant J.-C (01) I. Le peuple romain semble avoir �t� de tr�s bonne heure envers Pomp�e dans la m�me disposition que Prom�th�e montre dans Eschyle � l'�gard d'Hercule, lorsqu'il dit � ce H�ros, qui venait de le d�lier : Autant j'aime le fils, autant je hais le p�re. Jamais, en effet, les Romains ne firent para�tre pour aucun autre g�n�ral une haine aussi forte et aussi violente que celle qu'ils eurent pour Strabon, p�re de Pomp�e. Sa puissance dans les armes (car c'�tait un grand homme de guerre) le leur avait rendu redoutable pendant sa vie ; mais quand il fut mort d'un coup de foudre et qu'on porta son corps sur le b�cher, ils l'arrach�rent du lit fun�bre et lui firent mille outrages. Au contraire, jamais aucun Romain n'a �prouv� comme Pomp�e de la part de ce m�me peuple une bienveillance si forte, qui ait commenc� si t�t, qui ait pers�v�r� plus longtemps dans sa prosp�rit� et qui se soit soutenue avec plus de constance dans ses revers. L'extr�me aversion qu'on eut pour son p�re ne venait que d'une seule cause, de son insatiable avarice ; mais l'amour qu'on eut pour le fils avait plusieurs motifs : sa temp�rance dans la mani�re de vivre, son adresse aux exercices des armes, son �loquence persuasive, la bonne foi qui paraissait dans ses m�urs et la facilit� de son abord. Personne ne demandait des services avec plus de r�serve et n'obligeait page 166 de meilleure gr�ce ; il donnait sans arrogance et recevait avec dignit�. (2) D�s ses premi�res ann�es, la douceur de ses traits, en pr�venant l'effet de ses paroles, contribua beaucoup � lui gagner les c�urs. Il joignait � l'air aimable de son visage une gravit� temp�r�e par la bont� ; dans la fleur m�me de sa jeunesse, on voyait �clater en lui la majest� de l'�ge m�r ; et ses mani�res nobles lui conciliaient le respect. Ses cheveux �taient un peu relev�s ; ses regards, doux et � la fois pleins de feu, lui donnaient avec Alexandre une ressemblance plus frappante qu'elle ne le paraissait dans les statues de ce prince ; aussi re�ut-il de bonne heure le nom d'Alexandre, qu'il ne refusait pas. D'autres, il est vrai, le nommaient ainsi par raillerie ; et on rapporte � ce sujet qu'un jour Philippe, homme consulaire, dit, en plaidant pour lui, qu'on ne devait pas s'�tonner qu'�tant Philippe, il aim�t Alexandre.II. La courtisane Flora conservait encore dans sa vieillesse un souvenir agr�able de ses liaisons avec Pomp�e : elle disait qu'apr�s avoir pass� la nuit aupr�s de lui, elle ne s'en s�parait jamais sans lui faire quelque morsure. Elle racontait qu'un des amis de Pomp�e, nomm� Geminius, �tant devenu amoureux d'elle, l'importunait par ses sollicitations ; elle lui dit enfin, pour s'en d�faire, que son amour pour Pomp�e, l'emp�chait de consentir � ses d�sirs. Geminius ayant pri� Pomp�e de le servir dans sa passion, il voulut bien s'y pr�ter, mais depuis il n'eut plus aucun commerce avec elle et cessa m�me de la voir, quoiqu'il par�t toujours l'aimer. Flora ne supporta pas cette perte en courtisane ; elle fut longtemps malade de douleur et de regret. Cette femme �tait d'une si grande beaut�, que C�cilius Metellus, qui voulait orner des plus belles statues et des plus beaux tableaux le temple de Castor et de Pollux, y fit mettre le portrait de Flora (01). Pomp�e se conduisit avec beaucoup de sagesse � l'�gard de la femme de D�m�trius, son affranchi, lequel avait eu aupr�s de lui le plus grand cr�dit, et qui, en mourant, laissa quatre mille page 167 talents de bien (02). Cette femme s'�tait rendue c�l�bre par sa beaut�, et rien ne r�sistait � ses attraits : Pomp�e, contre la douceur de son naturel, la traita avec beaucoup de duret�, parce qu'il craignit qu'on ne l'accus�t de s'�tre laiss� vaincre par ses charmes. Mais sa retenue et les pr�cautions qu'il prenait ainsi de loin ne purent le garantir des calomnies de ses ennemis, qui l'accusaient de vivre avec des femmes mari�es et de dilapider les revenus publics, qu'il livrait � leur dissipation. On cite de lui un mot qui m�rite d'�tre conserv� et qui prouve la simplicit� et la facilit� de son r�gime. Il eut une maladie assez grave, accompagn�e d'un grand d�go�t, pour lequel son m�decin lui ordonna de manger une grive ; mais la saison de ces oiseaux �tait pass�e, et l'on n'en trouva pas une seule � acheter dans Rome. Quelqu'un lui ayant dit qu'on en trouvait chez Lucullus, qui en faisait nourrir toute l'ann�e : � Eh quoi ! r�pondit-il, si Lucullus n'�tait pas si friand, Pomp�e ne pourrait pas vivre ? � Il laissa l'ordonnance du m�decin, et se contenta d'un mets plus facile � trouver. Mais cela n'eut lieu que longtemps apr�s l'�poque o� nous sommes. III. Dans sa premi�re jeunesse, comme il servait sous son p�re, qui faisait la guerre � Cinna, il avait pour ami un certain Lucius Terentius, avec lequel il partageait sa tente, et qui, gagn� par l'argent que Cinna lui offrit, promit de tuer Pomp�e, pendant que d'autres conjur�s mettraient le feu � la tente du g�n�ral. Pomp�e, inform� � table de ce complot, ne laissa para�tre aucun trouble ; il but m�me plus qu'� son ordinaire, fit beaucoup de caresses � Terentius, et, apr�s qu'on fut all� se coucher, il sortit secr�tement de sa tente, pla�a des gardes autour de celle de son p�re, et se tint tranquille. Lorsque Terentius crut que l'heure �tait venue, il se l�ve, va, l'�p�e nue � la main, au lit de Pomp�e ; et, s'approchant du matelas sur lequel il le croyait couch�, il donne plusieurs coups dans les couvertures. En m�me temps il s'�l�ve dans le camp un page 168 grand tumulte caus� par la haine qu'on portait au g�n�ral : d�j� les soldats se mettent en mouvement pour aller se rendre � l'ennemi ; ils plient leurs tentes et prennent les armes. Le g�n�ral, effray� de ce mouvement s�ditieux, n'ose sortir de sa tente ; Pomp�e, se pr�sentant au milieu de ces mutins, les conjure avec larmes de ne pas abandonner son p�re : ne pouvant les apaiser, il se jette enfin en travers sur la porte du camp, le visage contre terre, et, tout baign� de pleurs, il leur ordonne, s'ils veulent absolument s'en aller, de lui passer sur le corps. Les soldats, honteux de le voir en cet �tat, chang�rent de disposition ; et, � l'exception de huit cents, ils se r�concili�rent tous avec leur g�n�ral. IV. Apr�s la mort de son p�re, il eut, en sa qualit� d'h�ritier, un proc�s � soutenir sur le crime de p�culat dont Strabon �tait accus�. Pomp�e ayant d�couvert qu'un des affranchis de son p�re, nomm� Alexandre, avait d�tourn� � son profit la plus grande partie des derniers publics, le traduisit devant ses juges. Mais il fut accus� en son propre nom d'avoir retenu des filets de chasse et des livres pris � Asculum ; son p�re, en effet, les lui avait donn�s du butin de cette ville, et il les avait perdus depuis, lorsque les satellites de Cinna, apr�s le retour de ce g�n�ral � Rome, forc�rent la maison de Pomp�e et la pill�rent. Dans le cours de ce proc�s, il eut de grands combats � livrer contre son accusateur ; et il fit para�tre dans sa d�fense une p�n�tration et une fermet� au-dessus de son �ge, qui lui acquirent autant de r�putation que de faveur. Le pr�teur Antistius, qui pr�sidait � ce jugement, con�ut pour lui une telle affection, qu'il r�solut de lui donner sa fille en mariage, et lui en fit faire la proposition par ses amis. Pomp�e la re�ut avec joie, et le mariage fut arr�t� ; mais il resta secret. Cependant l'int�r�t qu'Antistius montrait pour Pomp�e le fit d�couvrir au peuple ; et � la fin du proc�s, lorsque le pr�teur pronon�a la sentence qui d�clarait Pomp�e absous, la multitude, comme si elle en e�t re�u l'ordre, se mit � crier plusieurs fois : A Talasius ! mot qui, de toute antiquit�, s'emploie � page 169 Rome dans les noces. Voici, dit-on, l'origine de cet usage. Lorsque les plus nobles d'entre les Romains enlev�rent les filles sabines qui �taient venues � Rome pour y voir c�l�brer des jeux, des p�tres et des bouviers ravirent une jeune fille d'une beaut� et d'une taille distingu�es ; et, de peur qu'elle ne leur f�t enlev�e par quelqu'un des nobles, ils cri�rent en courant : A Talasius ! C'�tait le nom d'un des Romains les plus connus et les plus estim�s. Quand les passants l'entendirent nommer, ils battirent des mains et r�p�t�rent ce cri, comme un signe de leur approbation et de leur joie. Ce mariage ayant �t� tr�s heureux pour Talasius, on a depuis r�p�t�, par mani�re de jeu, cette acclamation pour ceux qui se marient. Ce r�cit est ce qui m'a paru de plus vraisemblable sur l'origine du cri de Talasius (03). V. Peu de jours apr�s le jugement de cette affaire, Pomp�e �pousa la fille d'Antistius, et se rendit ensuite au camp de Cinna, o� il se vit bient�t en butte � des calomnies qui, lui donnant des sujets de crainte, l'oblig�rent de se d�rober secr�tement. Comme il ne reparut pas, le bruit se r�pandit dans l'arm�e que Cinna l'avait fait tuer ; � l'instant ceux qui avaient pour ce g�n�ral une haine d�clar�e coururent pour se jeter sur lui. Il prit la fuite ; mais, atteint par un capitaine qui le poursuivait l'�p�e � la main, il se jette � ses genoux et lui pr�sente son cachet, qui �tait d'un fort grand prix. � Je ne viens pas sceller un contrat, lui r�pondit avec insulte le �capitaine, mais punir un tyran aussi injuste qu'impie ;� et en disant ces mots il le tua. Cinna ayant p�ri de cette mani�re eut pour successeur dans la conduite des affaires, Carbon, tyran plus cruel encore. Bient�t Sylla revint, d�sir� de la plupart des Romains, � qui les maux dont ils �taient accabl�s faisaient envisager comme un grand bien un changement de ma�tre. Tel �tait le sort d�plorable o� les malheurs pass�s avaient r�duit la ville, que d�sesp�rant de recouvrer sa libert�, elle ne cherchait qu'une servitude plus douce. Pomp�e page 170 �tait alors dans le Pic�num, contr�e de l'Italie o� il avait des terres ; il s'y �tait retir� parce qu'il se plaisait dans ce pays, dont les villes avaient pour sa famille une affection h�r�ditaire. Il vit que les plus consid�rables et les plus honn�tes d'entre les Romains abandonnaient leurs maisons pour se rendre de tous c�t�s au camp de Sylla, comme dans un port assur�. Il prit aussi la r�solution d'y aller ; mais il ne crut pas qu'il f�t de sa dignit� d'y para�tre comme un fugitif qui ne contribuait en rien � la d�fense commune et qui venait mendier du secours. Il voulut, en rendant � Sylla un service important, arriver d'une mani�re honorable dans son camp, � la t�te d'une arm�e. Il commen�a donc � sonder les Pic�niens et � les solliciter de prendre les armes ; ils y consentirent, et ne voulurent pas m�me �couter les �missaires de Carbon. Un d'entre eux, nomm� Vindicius, leur ayant dit que Pomp�e, � peine sorti de l'�cole, �tait donc devenu pour eux un grand orateur, ils en furent tellement irrit�s, qu'ils se jet�rent sur lui et le massacr�rent. Pomp�e, alors �g� de vingt-trois ans, n'attendit pas qu'on lui d�f�r�t le commandement ; mais, s'en donnant � lui-m�me l'autorit�, il fit dresser un tribunal sur la place d'Auximum, ville consid�rable du Pic�num ; l� il rendit une sentence pour ordonner � deux fr�res, nomm�s Ventidius, qui �taient les premiers du pays, et qui, par int�r�t pour Carbon, s'opposaient aux desseins de Pomp�e, de sortir sur l'heure de la ville. Ayant ensuite lev� des gens de guerre, nomm� des capitaines, des chefs de bande et �tabli les divers grades de la milice romaine, il parcourut les autres villes et fit partout de m�me. Tous les partisans de Carbon se retiraient � son approche et lui c�daient la place ; les autres s'�taient joints � lui avec empressement. Il eut bient�t compl�t� trois l�gions et rassembl� les vivres, les bagages, les chariots et tout l'appareil n�cessaire. Alors il se mit en chemin pour aller trouver Sylla, sans h�ter sa marche, sans vouloir se cacher ; au contraire ; il s'arr�tait souvent sur sa route, pour faire le plus de mal qu'il pouvait � ses en- page 171 nemis et pour exciter toutes les villes d'Italie � se d�clarer contre Carbon. VI. Trois chefs du parti contraire vinrent l'assaillir en m�me temps ; c'�taient Carrinnas, C�lius et Brutus ; ils ne l'attaqu�rent pas de front ni tous ensemble, mais par trois diff�rents c�t�s et avec trois corps d'arm�e s�par�s, dans l'espoir de l'envelopper et de l'enlever facilement. Pomp�e, sans s'effrayer de leur nombre, rassemble toutes ses forces, tombe sur les troupes de Brutus avec sa cavalerie, qu'il commandait en personne et qu'il avait plac�e au front de la bataille. La cavalerie des ennemis, compos�e de Gaulois, donna aussi la premi�re ; Pomp�e, pr�venant celui qui en �tait le chef et qui paraissait le plus fort de la troupe, le perce de sa lance et le renverse par terre ; � l'instant tous les autres tournent le dos, jettent le d�sordre parmi l'infanterie et l'entra�nent dans leur fuite. Cette d�route mit la division entre les trois g�n�raux, qui se retir�rent chacun de son c�t� ; les villes, attribuant � la crainte cette dispersion des ennemis, se rendirent � Pomp�e. Le consul Scipion marcha aussi contre lui ; mais, avant que les deux arm�es fussent � la port�e du trait, les soldats de Scipion, saluant ceux de Pomp�e, pass�rent de leur c�t�, et Scipion fut oblig� de prendre la fuite. Enfin, Carbon ayant d�tach� contre lui, pr�s de la rivi�re d'Arsis, plusieurs compagnies de sa cavalerie, Pomp�e les chargea si vigoureusement, qu'il les mit en fuite, et que, les ayant poursuivies avec vivacit�, il les for�a de se jeter dans des lieux difficiles, o� la cavalerie ne pouvait agir ; elle perdit tout espoir de se sauver, et se rendit � Pomp�e avec ses chevaux et ses armes. VII. Sylla ignorait encore tous ces combats ; mais aux premi�res nouvelles qu'il en re�ut, il craignit pour Pomp�e, en le voyant environn� de tant et de si grands capitaines ; et il se h�ta d'aller � son secours. Pomp�e, inform� de son approche, ordonne � tous ses officiers de faire prendre les armes � leurs soldats et de les ranger en bataille, afin que l'arm�e par�t devant son g�n�ral dans le meilleur �tat et dans l'appareil le page 172 plus brillant. Il s'attendait � de grands honneurs, et il en re�ut de plus grands encore. D�s que Sylla le vit venir � lui, et qu'il aper�ut ses troupes dans le plus bel ordre, toutes compos�es de beaux hommes, � qui leurs succ�s inspiraient autant de fiert� que de joie, il descendit de cheval, et salu� par Pomp�e du nom d'imperator, il le salua du m�me titre, au grand �tonnement de tous ceux qui l'environnaient, et qui ne s'attendaient pas que Sylla communiqu�t � un jeune homme qui n'�tait pas encore s�nateur un titre si honorable, pour lequel il faisait la guerre aux Scipion et aux Marius. Le reste de sa conduite r�pondit � ces premiers t�moignages de satisfaction : il se levait toujours devant Pomp�e, et �tait de dessus sa t�te le pan de sa robe, ce qu'il ne faisait pas facilement pour tout autre, quoiqu'il f�t environn� d'un grand nombre d'officiers distingu�s. Pomp�e ne s'enfla point de ces honneurs ; au contraire, Sylla ayant voulu l'envoyer dans la Gaule, o� Metellus commandait et ne faisait rien qui r�pond�t aux grandes forces dont il disposait, il lui repr�senta qu'il ne serait pas honn�te d'enlever le commandement de l'arm�e � un g�n�ral plus �g� que lui et qui jouissait d'une plus grande r�putation ; mais que si Metellus y consentait et qu'il l'engage�t de lui-m�me � venir l'aider dans cette guerre, il �tait tout pr�t � l'aller joindre. Metellus accepta volontiers cette offre, et lui �crivit de se rendre aupr�s de lui. Pomp�e entra donc dans la Gaule, o� les exploits �tonnants qu'il fit r�chauff�rent l'audace et l'ardeur guerri�re de Metellus, que la vieillesse avait presque �teintes : ainsi, le fer embras� et mis en fusion, si on le verse sur un fer dur et froid, l'amollit et le fond plus vite que le feu m�me. Lorsqu'un athl�te est devenu le premier entre tous ses rivaux, et qu'il s'est couvert de gloire dans tous les combats, on ne parle plus des victoires de son enfance, on ne les inscrit pas dans les fastes publics ; de m�me j'ai �vit� de toucher aux exploits que fit alors Pomp�e, quelque admirables qu'ils soient en eux-m�mes, parce qu'ils sont comme ensevelis sous le nombre et la grandeur de ses derni�res actions ; je n'ai pas page 175 voulu, en m'arr�tant trop sur les premiers, m'exposer � passer l�g�rement sur ses plus beaux faits d'armes et sur les �v�nements de sa vie qui font le mieux conna�tre le caract�re et les m�urs de cet homme c�l�bre. VIII. Sylla, devenu ma�tre de l'Italie et d�clar� dictateur, r�compensa ses lieutenants et ses capitaines par des richesses, des dignit�s et des gr�ces de toutes sortes, qu'il leur accordait avec autant de lib�ralit� que de satisfaction ; mais plein d'estime et d'admiration pour la vertu de Pomp�e, et le jugeant propre � donner un grand appui � son autorit�, il voulut absolument se l'attacher par une alliance. Sa femme M�tella �tant entr�e dans ce projet, ils persuad�rent � Pomp�e de r�pudier Antistia et d'�pouser Emilie, petite-fille de Sylla par M�tella sa fille, femme de Scaurus, laquelle �tait d�j� mari�e et actuellement enceinte. Ce mariage, dict� par la tyrannie, �tait plus convenable aux temps de Sylla qu'� la vie et aux m�urs de Pomp�e : quoi de moins digne en effet de lui que d'introduire dans sa maison une femme enceinte, du vivant m�me de son mari, et d'en chasser, avec autant d'ignominie que de duret�, Antistia, dont le p�re venait de p�rir pour ce mari m�me qui la r�pudiait ? Car Antistius avait �t� tu� dans le s�nat, parce que son alliance avec Pomp�e fit croire qu'il �tait du parti de Sylla. La m�re d'Antistia, ne pouvant supporter l'affront de sa fille, se tua de sa propre main ; et cette mort funeste fut comme un �pisode de la trag�die de ses noces, que suivit bient�t celle d'�milie, qui mourut en couche dans la maison de Pomp�e. IX. On apprit dans le m�me temps � Rome que Perpenna s'�tait empar� de la Sicile, dont il voulait faire une retraite pour tous ceux qui restaient encore de la faction contraire � celle de Sylla ; que Carbon croisait avec une flotte dans les mers de cette �le; que Domitius �tait pass� en Afrique, et que les plus illustres d'entre les bannis qui avaient pu �chapper � la proscription s'y �taient retir�s. Pomp�e, envoy� contre eux avec une puissante arm�e, n'eut pas plut�t paru qu'il page 174 fit abandonner la Sicile � Perpenna ; il adoucit le sort des villes opprim�es, et les traita avec beaucoup d'humanit�, � l'exception des Mamertins, habitants de Messine, qui, se fondant sur une ancienne loi des Romains, refusaient de compara�tre � son tribunal, et d�clinaient sa juridiction. � Ne cesserez-vous pas, leur dit Pomp�e, de nous all�guer vos lois, � nous qui portons l'�p�e ? � On trouva qu'il insultait, avec une sorte d'inhumanit�, au malheur de Carbon ; si sa mort �tait n�cessaire, comme elle pouvait l'�tre, il fallait le faire mourir aussit�t qu'il avait �t� arr�t�, et l'odieux en serait retomb� sur celui qui l'avait ordonn�e ; au contraire, Pomp�e fit tra�ner devant lui, charg� de cha�nes, un Romain illustre, trois fois honor� du consulat ; du haut de son tribunal, il le jugea lui-m�me en pr�sence d'une foule nombreuse, qui faisait �clater sa douleur et son indignation, et donna ordre qu'on l'emmen�t pour �tre ex�cut� : lorsqu'on l'eut conduit au lieu du supplice, et qu'il vit l'�p�e nue, il demanda � se retirer un moment � l'�cart pour un besoin qui le pressait. Ca�us Oppius, l'ami de C�sar, rapporte que Pomp�e traita avec la m�me inhumanit� Quintus Val�rius : comme il le connaissait pour un homme de lettres et d'un savoir peu commun, quand on l'eut amen�, il le tira � part, se promena quelque temps avec lui et, apr�s l'avoir interrog� et en avoir appris ce qu'il voulait savoir, il ordonna � ses satellites de le conduire au supplice ; mais il ne faut croire qu'avec beaucoup de r�serve ce qu'Oppius �crit des ennemis et des amis de C�sar. Pomp�e ne pouvait se dispenser de faire punir les ennemis de Sylla les plus connus, et ceux qui avaient �t� pris au su de tout le monde ; pour ceux qui purent s'�chapper, il fit semblant, autant que cela fut possible, de ne pas s'en apercevoir ; il y en eut m�me dont il favorisa la fuite. Il avait r�solu de ch�tier les Him�r�ens, qui avaient embrass� le parti de ses ennemis ; mais un de leurs orateurs, nomm� Sth�nis, ayant demand� la permission de parler, lui repr�senta qu'il serait injuste de pardonner au coupable, et de faire p�rir ceux qui n'avaient aucun tort. page 175 Pomp�e lui demanda de quel coupable il voulait parler : � De moi-m�me, lui r�pondit Sth�nis ; c'est moi qui ai s�duit mes amis et forc� mes ennemis de se jeter dans le parti qu'ils ont suivi �. Pomp�e, charm� de sa franchise et de sa magnanimit�, lui pardonna d'abord, et ensuite � tous les autres Him�r�ens. Inform� que ses soldats commettaient des d�sordres dans leur marche, il scella leurs �p�es de son cachet, et punit tous ceux qui rompirent le sceau. X. Pendant qu'il agissait ainsi en Sicile, il re�ut un d�cret du s�nat et des lettres de Sylla, qui lui ordonnaient de passer en Afrique, et d'y faire vigoureusement la guerre � Domitius, qui avait mis sur pied une arm�e beaucoup plus nombreuse que celle qu'avait Marius lorsqu'il �tait repass� depuis peu d'Afrique en Italie, et que, de fugitif devenu tyran, il avait port� dans Rome le trouble et le d�sordre. Pomp�e fit promptement tous les pr�paratifs n�cessaires ; et, laissant pour commander � sa place, en Sicile, Memnius, le mari de sa s�ur, il se mit en mer avec cent vingt vaisseaux de guerre et quatre-vingts vaisseaux de charge qui portaient des vivres, des armes, de l'argent et de machines de guerre. Sa flotte eut � peine abord�, partie � Utique, partie � Carthage, que sept mille des ennemis vinrent se rendre � lui et se joindre aux six l�gions compl�tes qu'il avait amen�es. Il eut l�, dit-on, une aventure assez plaisante : quelques-uns de ses soldats trouv�rent un tr�sor consid�rable, qu'ils partag�rent entre eux ; le bruit s'en �tant r�pandu, tous les autres furent persuad�s que ce lieu �tait plein de richesses que les Carthaginois y avaient cach�es dans le temps de leurs revers. Il ne lui fut pas possible pendant plusieurs jours, de tirer aucun service de ses troupes, qui ne travaillaient qu'� chercher des tr�sors ; il se promenait lui-m�me au milieu d'eux, riant de voir tant de milliers d'hommes fouiller et remuer tout le sol de cette plaine : lass�s enfin de ces recherches inutiles, ils lui dirent qu'il pouvait les mener o� il voudrait, et qu'ils �taient assez punis de leur sottise. XI. Domitius avait mis son arm�e en bataille ; mais, comme page 176 il avait devant lui une fondri�re profonde et difficile � passer, que d'ailleurs il tombait depuis le matin une pluie abondante, accompagn�e d'un grand vent, il crut qu'on ne pourrait pas combattre ce jour-l�, et fit donner l'ordre de se retirer. Pomp�e, au contraire, saisissant cette occasion favorable, se met promptement en marche, et passe la fondri�re. Les ennemis, quoique en d�sordre et troubl�s d'une attaque impr�vue, o� ils ne pouvaient agir tous ensemble ni prendre leurs rangs, soutinrent le choc, incommod�s d'ailleurs par la pluie, que le vent leur poussait dans le visage. L'orage nuisait aussi aux Romains, qui ne pouvaient ni se voir ni se distinguer les uns les autres : Pomp�e lui-m�me fut en danger d'�tre tu�, parce qu'il ne r�pondit pas assez t�t � un soldat qui, ne le reconnaissant pas, lui demanda le mot. Mais enfin ils enfonc�rent les ennemis, et en firent un horrible carnage : sur vingt mille qu'ils �taient, il ne s'en sauva que trois mille. Les soldats de Pomp�e le salu�rent du nom d'imperator ; mais il leur d�clara qu'il n'accepterait pas ce titre tant que le camp des ennemis subsisterait ; et que, s'ils le jugeaient digne de cet honneur, il fallait commencer par abattre ces retranchements. Ils vont � l'instant les assaillir ; et Pomp�e, pour ne plus courir le danger auxquels il venait d'�tre expos�, combattit sans casque ; le camp fut emport� de force, et Domitius y p�rit. Cette victoire attira la plupart des villes dans le parti de Sylla, et l'on emporta d'assaut celles qui firent quelque r�sistance. Pomp�e fit prisonnier le roi Barbas, qui avait combattu avec Domitius, et il donna son royaume � Hiempsal. Mais, pour profiter de sa fortune et de l'ardeur de ses troupes, il se jeta dans la Numidie, s'y avan�a de plusieurs journ�es de chemin, soumit tout ce qui �tait sur son passage, et rendit la puissance des Romains plus redoutable � ces barbares, qui commen�aient � ne plus tant la craindre. Il ne fallait pas m�me, disait-il, laisser les b�tes f�roces r�pandues dans l'Afrique, sans leur faire �prouver la force et la fortune des Romains. Il passa donc plusieurs jours � la chasse des page 177 lions et des �l�phants, et ne mit, � ce qu'on assure, que quarante jours � d�truire les ennemis, � soumettre l'Afrique, � terminer les affaires des rois du pays ; et il n'avait encore que vingt-quatre ans. XII. De retour � Utique, il re�ut des lettres de Sylla, qui lui ordonnait de licencier ses troupes, et d'attendre l�, avec une seule l�gion, le capitaine qui devait le remplacer. Cet ordre lui causa un secret d�plaisir, qu'il eut de la peine � contenir ; mais les soldats t�moign�rent ouvertement leur indignation ; et lorsque Pomp�e les pria de partir pour l'Italie, ils �clat�rent en injures contre Sylla ; ils protest�rent qu'ils n'abandonneraient point Pomp�e, et qu'ils ne souffriraient pas qu'il se fi�t � un tyran. Il essaya d'abord de les adoucir par ses repr�sentations ; mais, voyant qu'il ne pouvait rien gagner sur eux, il descendit de son tribunal, ils pass�rent la plus grande partie du jour, eux � le presser de rester et de garder le commandement, lui � les prier d'ob�ir et de ne pas se r�volter. Comme ils continuaient leurs instances et leurs cris, il leur jura que s'ils voulaient le forcer, il se tuerait lui-m�me ; ce qui eut encore bien de la peine � les calmer. La premi�re nouvelle qui vient � Sylla fut que Pomp�e �tait en r�bellion ouverte. � Il est donc de ma destin�e, dit-il � ses amis, d'avoir dans ma vieillesse � combattre contre des enfants ! �. Il disait cela � cause du jeune Marius, qui lui avait donn� beaucoup d'inqui�tude, et l'avait mis dans le plus grand danger. Mais, quand il apprit la v�rit�, et qu'il sut d'ailleurs que tout le peuple allait au-devant de Pomp�e et l'accompagnait en lui prodiguant des t�moignages de bienveillance, il voulut les surpasser tous ; il sortit � sa rencontre, l'embrassa de la mani�re la plus affectueuse, et le proclama du nom de Grand, en ordonnant � tous ceux qui le suivaient de lui donner le m�me titre. Suivant d'autres historiens, ce surnom lui avait �t� d�j� donn� en Afrique par toute l'arm�e ; et Sylla page 178 en le lui confirmant le rendit irr�vocable. Mais Pomp�e fut le dernier � le prendre, et ne se le donna que longtemps apr�s, lorsqu'il fut envoy� en Espagne contre Sertorius, avec le titre de proconsul ; alors seulement il commen�a � mettre dans ses lettres et dans ses ordonnances Pomp�e le Grand ; ce titre auquel on �tait accoutum� ne pouvait plus exciter l'envie. Cet exemple doit nous faire admirer ces anciens Romains, qui r�compensaient par des titres et des surnoms honorables non seulement les exploits militaires, mais encore les vertus politiques. Il y avait d�j� eu deux hommes � qui le peuple avait conf�r� le nom de Maximus, tr�s grand : l'un fut Val�rius, pour avoir r�concili� le peuple avec le s�nat ; et l'autre Fabius Rullus, pour avoir chass� du s�nat quelques fils d'affranchis, qui � la faveur de leurs richesses s'�taient fait �lire s�nateurs. XIII. Pomp�e, de retour � Rome, demanda le triomphe, qui lui fut refus� par Sylla, sous pr�texte que la loi ne l'accordait qu'� des consuls ou des pr�teurs ; que le premier Scipion lui-m�me, apr�s avoir remport� en Espagne les victoires les plus glorieuses et les plus importantes sur les Carthaginois, ne l�avait pas demand�, parce qu�il n��tait ni consul ni pr�teur : si donc Pomp�e, qui �tait encore sans barbe, et � qui sa jeunesse ne permettait pas d'�tre s�nateur, entrait triomphant dans Rome, cette distinction rendrait odieuse la puissance dictatoriale, et deviendrait pour Pomp�e lui-m�me une source d'envie. A ces motifs de refus le dictateur ajouta qu'il s'opposerait � son triomphe, et que si Pomp�e s'y obstinait, il emploierait tout son pouvoir � r�primer son ambition. Pomp�e, sans s'�tonner de sa r�sistance, lui dit de consid�rer que plus de gens adoraient le soleil levant que le soleil couchant ; voulant lui insinuer par l� que sa propre puissance croissait tous les jours, et que celle de Sylla ne faisait que diminuer et s'affaiblir. Sylla, qui ne l'avait pas bien entendu, et qui s'aper�ut au visage et aux gestes des autres qu'ils �taient saisis d'�tonnement, demanda ce qu'il avait dit. Lorsqu'on le lui eut r�p�t�, surpris de son audace, il s'�cria par page 179 deux fois : "Qu'il triomphe, qu'il triomphe ! ". Et comme Pomp�e vit que la plupart de ceux qui �taient pr�sents t�moignaient du d�pit et de l'indignation, il r�solut, pour les irriter encore davantage, de triompher sur un char tra�n� par quatre �l�phants ; car il en avait amen� d'Afrique un grand nombre qu'il avait pris aux rois vaincus. Mais la porte de la ville s'�tant trouv�e trop �troite, il y renon�a, et son char fut tra�n� par des chevaux. Ses soldats, qui n'avaient pas eu de lui tout ce qu'ils en avaient esp�r�, voulaient exciter du tumulte et troubler son triomphe ; mais il d�clara qu'il s'en souciait fort peu et qu'il aimerait mieux ne pas triompher que de se soumettre � les flatter. Ce fut alors que Servilius, un des plus illustres personnages de Rome, et qui s'�tait le plus oppos� � son triomphe, avoua qu'il voyait maintenant dans Pomp�e un homme v�ritablement grand et digne du triomphe. Il para�t certain, d'apr�s cela, qu'il n'e�t tenu qu'� lui d'�tre re�u d�s lors dans le s�nat ; mais il ne montra aucun empressement pour y entrer, parce qu'il ne cherchait, dit-on, la gloire que dans les choses extraordinaires. Il n'e�t pas �t� surprenant que Pomp�e f�t s�nateur avant l'�ge ; mais quelle gloire pour lui d'avoir obtenu les honneurs du triomphe avant d'�tre s�nateur ! Cette distinction lui gagna m�me de plus en plus l'affection du peuple, qui vit avec plaisir qu'apr�s avoir �t� d�cor� du triomphe il restait dans l'ordre des chevaliers, soumis comme eux � la revue des censeurs. XIV. Sylla ne le voyait pas sans peine s'�lever � un si haut degr� de gloire et de puissance ; mais il eut honte d'y mettre obstacle, et se tint en repos jusqu'� ce que Pomp�e eut, par force et malgr� le dictateur, fait nommer L�pidus au consulat en l'appuyant de son cr�dit et lui rendant le peuple favorable. Sylla, qui apr�s l'�lection le vit traverser la place publique suivi d'une foule nombreuse, lui adressa la parole : � Jeune homme, lui dit-il, je vous vois tout glorieux de votre victoire. N'est-ce pas en effet un exploit bien honorable et bien flatteur que d'�tre parvenu, par vos intrigues aupr�s du page 180 peuple, � faire que Catulus, le citoyen le plus vertueux, ne f�t nomm� au consulat qu'apr�s L�pidus, le plus m�chant des hommes ? Je vous pr�viens, au reste, de ne pas vous endormir, mais de veiller avec soin vos propres affaires ; car vous vous �tes donn� un adversaire beaucoup plus fort que vous. � Ce fut surtout dans son testament que Sylla fit para�tre son peu d'affection pour Pomp�e. Il laissa des legs � tous ses amis, et nomma des tuteurs � son fils, sans faire seulement mention de lui. Pomp�e supporta cette mortification avec une douceur digne d'un homme d'�tat, au point que, L�pidus et quelques autres voulant emp�cher que Sylla f�t enterr� dans le champ de Mars et qu'on f�t publiquement ses fun�railles, Pomp�e les arr�ta et procura � ses obs�ques la d�cence et la s�ret�. XV. Sylla fut � peine mort, qu'on vit se v�rifier ses pr�diction sur L�pidus, qui, voulant succ�der � l'autorit� du dictateur, au lieu d'user de d�tours et de d�guisements, prit sur-le-champ des armes ; et, rallumant les restes des anciennes factions qui avaient �chapp� aux recherches de Sylla, il se fortifia de leur puissance. Catulus, son coll�gue au consulat, � qui la meilleure et la plus saine partie du s�nat et du peuple s'�tait attach�e, avait la plus grande r�putation de sagesse et de justice, et passait pour le plus grand des Romains. Mais on le jugeait plus propre � l'administration civile qu'au commandement des arm�es. Pomp�e, qui se voyait appel� au gouvernement par la nature m�me des circonstances, ne balan�a pas sur le parti qu'il devait suivre ; il se rangea du parti le plus honn�te, et fut nomm� g�n�ral de l'arm�e qu'on faisait marcher contre L�pidus, qui, avec les troupes de Brutus, avait d�j� soumis la plus grande partie de l'Italie, et occupait les contr�es de la Gaule cisalpine. La pr�sence seule de Pomp�e eut facilement r�duit toutes les villes ; Mutine seule, d�fendue par Brutus, l'arr�ta longtemps. Cependant L�pidus, profitant de ce d�lai, et s'�tant port� vers Rome, campa sous ses murs avec une troupe de gens sans aveu, dont il ef- page 181 frayait les Romains, et il demandait un second consulat. Mais une lettre de Pomp�e, qui mandait que la guerre avait �t� termin�e sans combat, dissipa cette frayeur. Brutus, ou tra�tre � son arm�e, ou trahi par elle, se rendit � Pomp�e, qui lui donna quelques cavaliers pour l'escorter jusqu'� une petite ville situ�e sur le P�, o� il se retira ; le lendemain, Pomp�e envoya Geminius avec ordre de le tuer. Ce meurtre fut g�n�ralement bl�m� ; car, aussit�t apr�s le changement de Brutus, Pomp�e avait �crit au s�nat que ce g�n�ral s'�tait rendu volontairement, et ensuite il �crivit une autre lettre pour accuser Brutus, qu'il venait de faire mourir. Ce Brutus �tait p�re de celui qui, avec Cassius, donna la mort � C�sar ; mais ce fils ne ressembla � son p�re ni dans la mani�re de faire la guerre ni dans le genre de sa mort, comme nous l'avons rapport� dans sa vie. L�pidus, chass� de l'Italie, se r�fugia dans la Sardaigne, o� il mourut, d'une maladie que lui causa non la douleur de voir ses affaires ruin�es, mais le chagrin d'avoir appris, par une lettre qui lui tomba entre les mains, l'adult�re de sa femme. XVI. Cependant Sertorius, g�n�ral si diff�rent en tout de L�pidus, s'�tait rendu ma�tre d'une partie de l'Espagne et se faisait redouter des Romains, qui se voyaient menac�s des plus grands revers. Tous les restes des guerres civiles, tels qu'une derni�re maladie du corps politique, s'�taient rassembl�s autour de lui. Il avait d�j� d�fait plusieurs g�n�raux sans exp�rience ; et alors il faisait la guerre contre Metellus Pius, capitaine distingu� et d'une grande r�putation, mais qui, appesanti par l'�ge, laissait �chapper les occasions favorables que la guerre lui pr�sentait et que Sertorius lui ravissait toujours par sa promptitude et son activit�. Celui-ci paraissait tout � coup devant Metellus avec une extr�me audace, et, faisant la guerre � la mani�re des brigands, il troublait sans cesse par ses emb�ches, par ses courses impr�vues, un g�n�ral accoutum�, comme un athl�te, � des combats r�guliers, et qui ne savait conduire que des troupes pesamment arm�es, page 182 faites pour combattre de pied ferme. Pomp�e, qui avait encore toutes ses troupes, intriguait � Rome pour �tre envoy� au secours de Metellus, et, sans �gard � l'ordre que lui avait donn� Catulus de licencier ses troupes, il se tenait, sous divers pr�textes, toujours en armes autour de la ville, jusqu'� ce qu'enfin, sur la proposition de Philippe, on lui donna le commandement qu'il d�sirait. Quelqu'un des s�nateurs ayant demand� � Philippe avec �tonnement s'il croyait qu'il fall�t envoyer Pomp�e en Espagne pour le consul : � Non seulement pour le consul, repartit Philippe, mais pour les consuls ; voulant faire entendre par l� que les deux consuls n'�taient propres � rien. Pomp�e ne fut pas plut�t arriv� en Espagne, que les nouvelles esp�rances qu'il fit concevoir, comme il est ordinaire � un nouveau g�n�ral qui jouit d'une grande r�putation, chang�rent les dispositions des esprits ; les peuples qui n'�taient pas solidement attach�s � Sertorius se r�volt�rent contre lui ; et Sertorius, vivement piqu� de cette d�sertion, se permit contre Pomp�e des propos pleins d'arrogance et des railleries insultantes : � Si je ne craignais cette vieille, disait-il en parlant de Metellus, je ne ferais usage contre cet enfant que de la f�rule ou du fouet. � Mais au fond il redoutait Pomp�e ; et cette crainte l'obligea de se tenir sur ses gardes et de faire la guerre avec plus de pr�cautions. Car Metellus (ce qu'on aurait eu peine � croire) menait une vie d�r�gl�e et s'abandonnait � toutes sortes de volupt�s ; il s'�tait fait subitement en lui un changement si extraordinaire, qu'il donnait dans le plus grand luxe et faisait une d�pense excessive. Cette conduite attirait � Pomp�e une bienveillance singuli�re, et augmentait de plus en plus la bonne opinion qu'on avait de lui : on le voyait avec plaisir ajouter de jour en jour � une frugalit� qui ne paraissait pas susceptible de retranchement ; car il �tait naturellement port� � la temp�rance et � la mod�ration dans tous ses d�sirs. XVII. Des divers �v�nements qui eurent lieu dans cette guerre, aucun n'affligea autant Pomp�e que la prise de Lau- page 183 ron par Sertorius ; il croyait le tenir renferm� devant cette ville, et il s'en �tait m�me vant� avec assez de complaisance, quand tout � coup il se trouva lui-m�me tellement envelopp�, que, n'osant faire aucun mouvement, il vit Lauron livr�e aux flammes en sa pr�sence. Il est vrai que bient�t apr�s il vainquit, pr�s de Valence, H�rennius et Perpenna, deux officiers distingu�s qui s'�taient r�fugi�s aupr�s de Sertorius, dont ils �taient les lieutenants, et leur tua plus de dix mille hommes. Enfl� de cette victoire, il con�ut de plus hautes esp�rances, et se h�ta de marcher contre Sertorius, afin que Metellus ne partage�t point avec lui l'honneur de la victoire. Les arm�es en vinrent aux mains vers la fin du jour, pr�s de la rivi�re de Sucron ; les deux g�n�raux craignaient �galement l'arriv�e de Metellus : Pomp�e, pour combattre seul ; Sertorius, pour n'avoir � combattre qu'un g�n�ral. Le succ�s fut douteux, il y eut des deux c�t�s une aile victorieuse ; mais, des deux g�n�raux, Sertorius y acquit plus de gloire, car il renversa et mit en d�route l'aile qui lui �tait oppos�e. Durant l'action, Pomp�e fut attaqu� par un cavalier d'une taille avantageuse qui �tait d�mont� ; ils se charg�rent vigoureusement, et, leurs �p�es ayant gliss� sur leurs mains avec des effets bien diff�rents, Pomp�e fut l�g�rement bless�, et il coupa la main de son ennemi. Une foule de barbares, voyant les troupes de Pomp�e en fuite, coururent tous ensemble sur lui ; mais il se sauva contre toute esp�rance, en abandonnant son cheval, dont le harnais d'or et les riches ornements arr�t�rent les ennemis, qui en se battant pour le partage du butin donn�rent � Pomp�e le temps de s'�chapper. Le lendemain, � la pointe du jour, les deux g�n�raux remirent leurs troupes en bataille, pour assurer la victoire que chacun d'eux disait avoir remport�e ; mais l'arriv�e de Metellus obligea Sertorius de se retirer et de laisser son arm�e se d�bander ; car ses soldats �taient accoutum�s ainsi � se disperser et � se rassembler en un instant ; en sorte que souvent Sertorius errait seul dans la campagne, et que tout � coup il reparaissait � la t�te de cent page 184 cinquante mille combattants, comme un torrent qui, souvent � sec, se trouve plein en un instant. XVIII. Apr�s la bataille, Pomp�e alla au-devant de Metellus ; et quand il fut pr�s de lui, il donna ordre � ses lieutenants de baisser leurs faisceaux, pour faire honneur � ce g�n�ral, qui le surpassait en dignit�. Metellus s'y opposa, et en toute occasion il montra la plus grande modestie, ne s'attribuant, soit comme consulaire, soit comme son ancien d'autres pr�rogatives que de donner, quand ils campaient ensemble, le mot d'ordre � toute l'arm�e : mais le plus souvent leurs camps �taient s�par�s, car ils avaient affaire � un ennemi qui, toujours en activit�, et sachant en un clin d'�il les attirer d'un combat � un autre, les obligeait de diviser souvent leurs forces ; enfin, en leur coupant les vivres, en ravageant tout le pays, en se rendant ma�tre de la mer, il les chassa tous deux de l'Espagne, et les for�a faute de subsistances, de se retirer dans d'autres provinces. Cependant Pomp�e, qui avait sacrifi� � cette guerre la plus grande partie de sa fortune, �crivit au s�nat de lui envoyer de l'argent, s'il ne voulait pas qu'il ramen�t son arm�e en Italie. Lucullus, alors consul, et ennemi de Pomp�e, aspirant � �tre charg� de la guerre contre Mithridate, r�ussit � lui en faire envoyer ; il craignait que le refus de cet argent ne fourn�t � Pomp�e le pr�texte qu'il cherchait de laisser l� Sertorius et de tourner ses armes contre Mithridate, qui lui offrait une exp�dition plus glorieuse, et un adversaire plus facile � vaincre. XIX. Cependant Sertorius victime de la trahison de ses propres officiers : � la t�te de cette conjuration �tait Perpenna, qui crut pouvoir le remplacer, parce qu'il avait la m�me arm�e et les m�mes appareils de guerre ; mais il n'avait pas le m�me talent pour en faire usage. Pomp�e, qui s'�tait aussit�t mis en campagne, inform� que Perpenna ne savait par o� s'y prendre, lui d�tacha dix cohortes, comme une amorce pour le combat, avec ordre de s'�tendre dans la plaine. Perpenna, ayant donn� dans le pi�ge, se mit � la pour- page 185 suite de ces troupes ; mais Pomp�e, paraissant tout � coup avec le reste de son arm�e, le charge, le d�fait et le met en d�route. La plupart des officiers p�rirent dans le combat ; Perpenna fut pris et amen� � Pomp�e, qui le fit tuer sur-le-champ : en cela il ne manqua pas � la reconnaissance, et n'oublia pas les services qu'il en avait re�us en Sicile, comme quelques-uns l'en ont accus� ; au contraire, il fit un trait de grandeur d'�me qui sauva la R�publique : car Perpenna, s'�tant saisi des papiers de Sertorius, montrait des lettres des plus puissants d'entre les Romains qui, dans l'intention de troubler l'Etat et de changer la forme du gouvernement, appelaient ce g�n�ral en Italie. Pomp�e, qui craignit que la publicit� de ces lettres n'allum�t des guerres plus vives que celles qu'on venait d'�teindre, les br�la sans les lire et fit mourir Perpenna. Apr�s avoir s�journ� en Espagne autant de temps qu'il en fallut pour assoupir les plus grands troubles, pour apaiser et dissiper les �motions qui auraient pu ranimer la guerre, il ramena son arm�e en Italie, o� il arriva fort � propos, lorsque la guerre des esclaves �tait dans sa plus grande vigueur. Crassus, qui commandait les Romains contre ces rebelles, sachant que Pomp�e approchait, se h�ta de livrer t�m�rairement la bataille ; il eut le bonheur de la gagner, et tua douze mille trois cents de ces esclaves ; mais la fortune, qui voulait absolument faire partager � Pomp�e la gloire de ce succ�s, fit que cinq mille de ces fugitifs qui s'�taient sauv�s du combat, tomb�rent entre ses mains ; il les tailla tous en pi�ces, et, se h�tant de pr�venir Crassus, il �crivit promptement au s�nat qu'� la v�rit�, lui il avait extirp� les racines de cette guerre ; ce que les Romains, remplis d'affection pour Pomp�e, aimaient � entendre et � r�p�ter. Pour la d�faite de Sertorius en Espagne, personne n'e�t os� dire, m�me en plaisantant, qu'un autre que Pomp�e y e�t eu part. XX. Malgr� l'estime singuli�re qu'on avait pour lui, et les hautes esp�rances qu'il avait fait concevoir, les Romains ne page 186 laissaient pas de craindre qu'il ne voul�t pas licencier son arm�e, et que, s'�levant par la force � la supr�me puissance, il ne succ�d�t � la tyrannie de Sylla. Aussi, dans cette foule si nombreuse qui allait au-devant de lui sur les chemins pour le recevoir, la crainte en conduisait autant que l'affection ; mais l'assurance qu'il donna qu'apr�s son triomphe il cong�dierait ses troupes ayant dissip� ce soup�on, ses envieux n'eurent plus � lui reprocher que la pr�f�rence qu'il donnait au peuple sur le s�nat, et le projet qu'il avait form�, pour plaire � la multitude, de relever la dignit� du tribunat, abattue par Sylla : ce reproche �tait fond�, car il n'y avait rien que le peuple romain ne d�sir�t plus ardemment et avec plus de fureur que le r�tablissement de cette magistrature. Pomp�e regardait donc comme un grand bonheur pour lui l'occasion qui se pr�sentait de la lui rendre ; il sentait que s'il �tait pr�venu par un autre, il ne s'offrirait jamais une gr�ce � faire au peuple, par laquelle il p�t reconna�tre l'affection qu'on lui portait. Il obtint � la fois un second triomphe, et le consulat et la r�union de ces deux honneurs n'ajouta point � l'estime et � l'admiration qu'il inspirait ; mais ce qui parut le t�moignage le plus illustre de sa grandeur, c'est que Crassus, le plus riche, le plus �loquent, la plus grand de tous ceux qui avaient part au gouvernement, qui m�prisait m�me Pomp�e et tous les autres magistrats n'osa cependant briguer le consulat qu'apr�s en avoir demand� la permission � Pomp�e, � qui cette d�marche fit plaisir ; car depuis longtemps il cherchait l'occasion d'obliger Crassus et de se lier avec lui ; aussi appuya-t-il sa demande avec le plus grand z�le, et en sollicitant le peuple en faveur de Crassus il protesta qu'il ne saurait pas plus de gr� du consulat m�me, que du choix qu'on ferait de Crassus pour son coll�gue. Cependant, lorsqu'ils eurent �t� nomm�s consuls, ils ne cess�rent d'�tre toujours en opposition. XXI. Crassus avait plus d'autorit� dans le s�nat, et Pomp�e plus de cr�dit aupr�s du peuple ; il lui avait rendu le tribunat page 187 et avait permis que, par une loi expresse, les jugements fussent de nouveau transf�r�s aux chevaliers. Le peuple le vit avec un plaisir singulier para�tre devant les censeurs pour demander l'exemption du service militaire. C'�tait la coutume � Rome que les chevaliers, apr�s avoir servi le temps prescrit par la loi amenassent leur cheval sur la place publique, devant les deux magistrats qu'on appelle censeurs ; et l�, apr�s avoir nomm� les g�n�raux et les capitaines sous lesquels ils avaient servi, apr�s avoir rendu compte des campagnes qu'ils avaient faites, ils obtenaient leur cong� et recevaient publiquement l'honneur ou la honte que chacun m�ritait par sa conduite. Les censeurs Gellius et Lentulus �taient assis alors sur leur tribunal, avec les ornements de leur dignit�, et ils faisaient la revue des chevaliers, lorsqu'on vit de loin Pomp�e descendre vers la place, pr�c�d� de tout l'appareil de la dignit� consulaire, et menant lui-m�me son cheval par la bride. Quand il fut assez pr�s pour �tre reconnu des censeurs, il ordonna � ses licteurs de s'ouvrir, et approcha son cheval du tribunal de ces magistrats. Le peuple, saisi d'admiration, gardait un profond silence ; et les censeurs � cette vue montraient une joie m�l�e de respect. Le plus ancien de ces magistrats lui adressant la parole : � Pomp�e le Grand, lui dit-il, je vous demande si vous avez fait toutes les campagnes ordonn�es par la loi. - Oui, je les ai toutes faites, r�pondit Pomp�e � haute voix, et je n'ai jamais eu que moi pour g�n�ra (04)l. � A ces mots, le peuple poussa de grands cris, et, dans les transports de sa joie, il ne pouvait mettre fin � ses acclamations ; les censeurs se lev�rent et le reconduisirent chez lui, pour faire plaisir � la foule de citoyens qui le suivaient avec de grands applaudissements. page 188 XXII. Le consulat de Pomp�e touchait � sa fin, et ses dissensions avec Crassus n'avaient fait qu'augmenter ; un certain Ca�us Aur�lius, de l'ordre des chevaliers, qui ne prenait aucune part aux affaires publiques, montant � la tribune un jour d'assembl�e, dit publiquement que Jupiter lui avait apparu dans son sommeil et lui avait ordonn� de dire aux consuls de ne point sortir de charge avant de s'�tre r�concili�s. Pomp�e, apr�s cette d�claration, resta toujours debout, sans prof�rer une seule parole ; mais Crassus, lui prenant la main et le saluant le premier, dit � haute voix : � Romains, je ne crois pas descendre au-dessous de ma dignit� en faisant les avances � Pomp�e, � cet homme que vous avez vous-m�mes honor� du titre de Grand dans sa premi�re jeunesse (05), et � qui vous avez d�cern� le triomphe avant qu'il e�t entr� au s�nat. � Apr�s cette r�conciliation publique ils se d�mirent du consulat. Crassus continua le genre de vie qu'il avait men� jusqu'alors, et Pomp�e �vita de plaider, autant qu'il lui fut possible ; il se retira peu � peu de la place, parut rarement en public et toujours accompagn� d'une suite nombreuse ; il n'�tait plus facile de le voir et de lui parler qu'au milieu de la foule ; il aimait � se monter entour� d'un grand nombre de personnes qui lui faisaient la cour, persuad� que ce cort�ge lui donnait un air de grandeur et de majest� qui attirait le respect, et qu'il fallait pour conserver sa dignit� ne jamais se familiariser avec des gens d'une condition obscure. Ceux en effet qui doivent leur grandeur � leurs succ�s dans les armes, et qui ne savent pas se plier � l'�galit� populaire, courent risque d'�tre m�pris�s quand, reprenant la toge, ils veulent �tre les premiers dans la ville, comme ils l'ont �t� dans les camps : d'un autre c�t�, ceux qui n'ont jou� � l'arm�e qu'un r�le inf�rieur ne peuvent supporter de ne pas avoir au moins dans la ville le premier rang ; aussi quand ils tiennent dans les assembl�es un homme qui s'est page 189 illustr� par ses victoires, ils le rabaissent autant qu'ils peuvent, et le mettent presque sous leurs pieds ; mais s'il leur c�de dans la ville d'honneur et l'autorit�, alors ils ne lui envient pas sa gloire militaire ; c'est ce que donn�rent clairement � conna�tre les �v�nements qui eurent lieu peu de temps apr�s. XXIII. La puissance des pirates, qui prit naissance en Cilicie, eut une origine d'autant plus dangereuse, qu'elle fut d'abord � peine connue. Les services qu'ils rendirent � Mithridate pendant sa guerre contre les Romains augment�rent leurs forces et leur audace. Dans la suite, les Romains, qui, occup�s par leurs guerres civiles, se livraient mutuellement des combats jusqu'aux portes de Rome, laiss�rent la mer sans arm�e et sans d�fense. Attir�s insensiblement par cet abandon, les pirates firent de tels progr�s, que, non contents d'attaquer les vaisseaux, ils ravageaient les �les et les villes maritimes. D�j� m�me les hommes les plus riches, les plus distingu�s par leur naissance et par leur capacit�, montaient sur des vaisseaux corsaires et se joignaient � eux; il semblait que la piraterie f�t devenue un m�tier honorable et qui d�t flatter l'ambition. Ils avaient en plusieurs endroits des arsenaux, des ports et des tours d'observation tr�s bien fortifi�s ; leurs flottes, remplies de bons rameurs et de pilotes habiles, fournies de vaisseaux l�gers, que leur vitesse rendait propres � toutes les man�uvres, affligeaient encore plus par leur magnificence qu'elles n'effrayaient par leur appareil : leurs poupes �taient dor�es ; ils avaient des tapis de pourpre et des rames argent�es ; on e�t dit qu'ils faisaient troph�e de leur brigandage : on entendait partout, on voyait des hommes plong�s dans l'ivresse ; partout, � la honte de la puissance romaine, des officiers du premier ordre �taient jet�s dans les fers et des villes captives se rachetaient � prix d'argent : on comptait plus de mille de ces vaisseaux corsaires qui infestaient les mers et qui d�j� s'�taient empar�s de plus de quatre cents villes. Les temples, jusqu'alors inviolables, �taient profan�s page 190 et pill�s ; tels que ceux de Claros, de Didyme, de Samothrace, ceux de C�r�s � Hermione et d'Esculape � �pidaure ; ceux de Neptune dans l'isthme, � T�nare et � Calaurie, d'Apollon � Actium et � Leucade ; enfin, ceux de Junon � Samos, � Argos et � Lacinie. Ils faisaient aussi des sacrifices barbares qui �taient en usage � Olympe, et ils c�l�braient des myst�res secrets, entre autres ceux de Mithr�s, qui se sont conserv� jusqu'� nos jours, et qu'ils avaient, les premiers, fait conna�tre. XXIV. Non contents d'insulter ainsi les Romains, ils os�rent encore descendre � terre, infester les chemins par leurs brigandages et ruiner m�me les maisons de plaisance qui avoisinaient la mer. Ils enlev�rent deux pr�teurs, Sextilius et Bellinus, v�tus de leurs robes de pourpre, et les emmen�rent avec leurs domestiques et les licteurs qui portaient les faisceaux devant eux. La fille d'Antonius, magistrat honor� du triomphe, fut aussi enlev�e en allant � sa maison de campagne, et oblig�e, pour obtenir sa libert�, de payer une grosse ran�on. Leur insolence, enfin, �tait venue � un tel point, que lorsqu'un prisonnier s'�criait qu'il �tait Romain et qu'il disait son nom, ils feignaient d'�tre �tonn�s et saisis de crainte ; ils se frappaient la cuisse, se jetaient � ses genoux et le priaient de leur pardonner. Leur humiliation, leur �tat de suppliants faisaient d'abord croire au prisonnier qu'ils agissaient de bonne foi ; car les uns lui mettaient des souliers, les autres une toge, afin, disaient-ils, qu'il ne f�t plus m�connu. Apr�s s'�tre ainsi longtemps jou�s de lui et avoir joui de son erreur, ils finissaient par descendre une �chelle au milieu de la mer, lui ordonnaient de descendre et de s'en retourner paisiblement chez lui ; s'il refusait de le faire, ils le pr�cipitaient eux-m�mes dans les flots et le noyaient. XXV. Toute notre mer (06), infest�e par ces pirates, �tait ferm�e � la navigation et au commerce. Ce motif, plus qu'aucun autre, d�termina les Romains, qui, commen�ant � manquer de vivres, craignaient d�j� la famine, � envoyer Pomp�e contre page 191 ces brigands, pour leur �ter l'empire de la mer. Gabinius, un de ses amis, en proposa le d�cret, qui non seulement conf�rait � Pomp�e le commandement de toutes les forces maritimes, mais qui lui donnait encore une autorit� monarchique et une puissance absolue sur toutes les personnes, sans avoir � en rendre compte ; il lui attribuait aussi l'empire sur toute la mer, jusqu'aux colonnes d'Hercule, et sur toutes les c�tes � la distance de quatre cents stades (07). Cet espace renfermait la plus grande partie des terres de la domination romaine, les nations les plus consid�rables et les rois les plus puissants. Il �tait autoris� enfin � choisir dans le s�nat quinze lieutenants, qui rempliraient sous lui les fonctions qu'il voudrait leur assigner ; � prendre chez les questeurs et les receveurs des deniers publics tout l'argent qu'il voudrait ; � �quiper une flotte de deux cents voiles, � lever tous les gens de guerre, tous les rameurs et tous les matelots dont il aurait besoin. XXVI. Ce d�cret, lu publiquement, fut ratifi� par le peuple avec l'empressement le plus vif. Mais les premiers et les plus puissants d'entre les s�nateurs jug�rent que cette puissance absolue et illimit�e, si elle pouvait �tre au-dessus de l'envie, �tait faite au moins pour inspirer de la crainte ; ils s'oppos�rent donc au d�cret, � l'exception de C�sar, qui l'approuva, moins pour favoriser Pomp�e que pour s'insinuer de bonne heure dans les bonnes gr�ces du peuple et se m�nager � lui-m�me sa faveur. Tous les autres s'�lev�rent avec force contre Pomp�e ; et l'un des consuls lui ayant dit qu'en voulant suivre les traces de Romulus, il aurait la m�me fin que lui, il fut sur le point d'�tre mis en pi�ces par le peuple, qui le respectait, l'�couta dans le plus grand silence. Il fit d'abord un grand �loge de Pomp�e, sans laisser voir aucun sentiment d'envie ; il conseilla au peuple de le m�nager, de ne pas exposer sans cesse aux p�rils de tant de guerres un si grand personnage. � Car enfin, leur dit-il, si vous venez � le perdre, quel autre page 192 g�n�ral aurez-vous pour le remplacer ? - Vous-m�me, � s'�cria-t-on tout d'une voix. Catulus, voyant qu'il ne pouvait rien gagner sur le peuple, se retira. Roscius se pr�senta ensuite ; et personne n'ayant voulu l'�couter, il fit signe des doigts qu'il ne fallait pas nommer Pomp�e seul, mais lui donner un second. Le peuple, impatient� par ces difficult�s, jeta de si grands cris, qu'un corbeau qui volait dans ce moment au-dessus de l'assembl�e en fut �tourdi et tomba au milieu de la foule : ce qui prouve que ce n'est pas la rupture et la s�paration de l'air agit� qui fait quelquefois tomber des oiseaux � terre ; cela vient de ce qu'ils sont frapp�s par ces clameurs qui, pouss�es avec force, excitent dans l'air une secousse violente et un tourbillon rapide. L'assembl�e se s�para sans rien conclure ; mais le jour qu'on devait donner les suffrages Pomp�e s'en alla secr�tement � la campagne ; et d�s qu'il sut que le d�cret avait �t� confirm� il rentra de nuit dans Rome, pour �viter l'envie qu'aurait excit�e l'empressement du peuple � aller � sa rencontre. XXVII. Le lendemain, � la pointe du jour, il sortit pour sacrifier aux dieux ; et le peuple s'�tant assembl�, il obtint presque le double de ce que le d�cret lui accordait pour ses pr�paratifs de guerre. Il �tait autoris� � �quiper cinq cents gal�res, � mettre sur pied cent vingt mille hommes d'infanterie et cinq mille chevaux. On choisit pour ses lieutenants vingt-quatre s�nateurs, qui tous avaient command� des arm�es, et on y ajouta deux questeurs. Le prix des denr�es ayant baiss� tout � coup, le peuple satisfait en prit occasion de dire que le nom seul de Pomp�e avait d�j� termin� cette guerre. Pomp�e divisa d'abord toute la mer M�diterran�e en treize r�gions ; il assigna � chaque division une escadre avec un commandant ; et, �tendant ainsi de tous c�t�s ses forces navales, il enveloppa, comme dans des filets, tous les vaisseaux des corsaires, leur donna la chasse, et les fit conduire dans ses ports. Ceux qui, l'ayant pr�venu, s'�taient h�t�s de lui �chapper en se s�parant, avaient cherch� une retraite en divers endroits de la Cilicie, page 193 comme des essaims d'abeilles dans leurs ruches : il se disposa � les poursuivre avec soixante de ses meilleurs vaisseaux ; mais il ne voulut partir qu'apr�s avoir purg� la mer de Toscane et celles d'Afrique, de Sardaigne, de Corse et de Sicile, des brigands qui les infestaient ; il le fit en quarante jours : il est vrai qu'il lui en co�ta des peines infinies, et que ses lieutenants le second�rent avec la plus grande ardeur. XXVIII. Cependant � Rome le consul Pison, transport� de col�re et d'envie, cherchait � ruiner les pr�paratifs de Pomp�e, et d�j� il avait cong�di� les rameurs. Pomp�e, qui en fut instruit, envoya toutes ses flottes � Brunduse, et se rendit lui-m�me � Rome par la Toscane. D�s qu'on y fut inform� de son arriv�e, le peuple sortit en foule au-devant de lui, comme s'il y e�t eu longtemps qu'il l'avait conduit hors de la ville � son d�part. Ce qui causait la joie de la multitude, c'est que, par un changement aussi prompt qu'inesp�r�, les vivres arrivaient avec la plus grande abondance. Aussi Pison risqua-t-il d'�tre d�pos� du consulat : Gabinius en avait d�j� dress� le d�cret ; mais Pomp�e emp�cha qu'il ne f�t propos�. Apr�s avoir termin� les affaires avec beaucoup de douceur et avoir pourvu � tous ses besoins, il se rendit � Brunduse, o� il s'embarqua. Comme il �tait press� par le temps, il n'entra dans aucune des villes qui se trouvaient sur son passage ; il s'arr�ta seulement � Ath�nes, et, apr�s y avoir fait des sacrifices aux dieux et salu� le peuple, il s'en retourna. En sortant, il vit des inscriptions qu'on avait faites � sa louange, et qui n'avaient chacune qu'un seul vers, l'une �tait au-dedans de la porte, et disait : Plus tu te montres homme, et plus tu parais dieu ; L'autre, plac�e en dehors, �tait con�ue en ces termes : Ath�nes t�attendait : elle te voit, t�honore (08). XXIX. Quelques-uns de ces pirates qui, r�unis ensemble, �cumaient encore les mers, ayant eu recours aux pri�res, il les page 194 avait trait�s avec beaucoup de douceur : ma�tre de leurs vaisseaux et de leurs personnes, il ne leur avait fait aucun mal. Cet exemple ayant donn� � un grand nombre d'autres d'heureuses esp�rances, ils �vit�rent les lieutenants de Pomp�e et all�rent se rendre � lui avec leurs enfants et leurs femmes. Il leur fit gr�ce � tous et se servit d'eux pour suivre � la piste ceux qui, se sentant coupables de trop grands crimes pour en esp�rer le pardon, se cachaient avec soin ; il en prit plusieurs. Le plus grand nombre (c'�taient aussi les plus puissants) ayant mis en s�ret� leurs familles, leurs richesses, et la multitude inutile, dans des ch�teaux et des forteresses du mont Taurus, mont�rent sur leurs vaisseaux devant la ville de Corac�sium en Cilicie, et attendirent Pomp�e, qui venait les attaquer. Apr�s un grand combat, dans lequel ils furent battus, ils se renferm�rent dans la ville, o� Pomp�e les assi�gea ; mais bient�t, ayant demand� � �tre re�us � composition, ils se rendirent, livr�rent les villes et les �les qu'ils occupaient et qu'ils avaient si bien fortifi�es, qu'elles �taient non seulement difficiles � forcer, mais presque inaccessibles. Leur soumission termina la guerre. Pomp�e n'avait pas mis plus de trois mois � purger les mers de tous ces pirates. Il prit un tr�s grand nombre de vaisseaux, entre autres quatre-vingt-dix gal�res arm�es d'�perons d'airain, et fit vingt mille prisonniers. Il ne voulut pas les faire mourir ; mais il ne crut pas s�r de renvoyer tant de gens pauvres et aguerris, ni de leur laisser la libert� de s'�carter ou de se rassembler de nouveau. R�fl�chissant que l'homme n'est pas, de sa nature, un animal farouche et indomptable ; qu'il ne le devient qu'en se livrant au vice contre son naturel ; qu'il s'apprivoise en changeant d'habitation et de genre de vie, que les b�tes sauvages elles-m�mes, quand on les accoutume � une vie plus douce, d�pouillent leur f�ro- page 195 cit�, il r�solut d'�loigner ces pirates de la mer, de les transporter dans les terres et de leur inspirer le go�t d'une vie paisible, en les occupant � travailler dans les villes ou � cultiver les champs. Il pla�a les uns dans les petites villes de la Cilicie les moins peupl�es, qui les re�urent avec plaisir, parce qu'il leur donna des terres pour leur entretien. Il en mit un grand nombre dans la ville de Soles, que Tigrane avait depuis peu d�truite et d�peupl�e, et qu'il fit reb�tir. Enfin, il envoya les autres � Dyme, ville d'Acha�e, qui manquait d'habitants, et dont le territoire �tait aussi �tendu que fertile. XXX. Cette conduite fut bl�m�e par ses envieux ; mais ses proc�d�s en Cr�te � l'�gard de Metellus afflig�rent ses meilleurs amis m�mes. Ce Metellus, parent de celui que Pomp�e avait eu pour coll�gue en Espagne, �tait all� commander en Cr�te avant que Pomp�e f�t nomm� pour faire la guerre aux corsaires. Apr�s la Cilicie, l'�le de Cr�te �tait une seconde p�pini�re de pirates ; Metellus, en ayant pris un grand nombre, les avait fait punir de mort. Ceux qui restaient, �tant assi�g�s par ce g�n�ral, envoy�rent des d�put�s � Pomp�e pour le supplier de venir dans leur �le, qui faisait partie de son gouvernement et se trouvait renferm�e de tous c�t�s dans l'�tendue de mer soumise � son autorit�. Pomp�e accueillit leur demande et �crivit � Metellus pour lui d�fendre de continuer la guerre. Il manda aussi aux villes de ne plus recevoir les ordres de Metellus, et envoya son lieutenant Lucius Octavius pour commander � sa place. Octavius �tant entr� dans les villes assi�g�es, y combattit pour la d�fense des pirates et rendit Pomp�e non moins ridicule qu'odieux, de pr�ter ainsi son nom � des sc�l�rats, � des impies, et par suite de sa rivalit�, de sa jalousie contre Metellus, de les couvrir de sa r�putation comme d'une sauvegarde : car, disait-on, Achille m�me dans Hom�re se conduit non en homme sens�, mais comme un jeune �tourdi qu'emporte un vain amour de gloire, lorsqu'il fait signe aux autres Grecs de ne pas tirer sur Hector, Pour qu'on laisse � lui seul l'honneur de la victoire page 196 Que penser donc de Pomp�e combattant pour sauver les ennemis communs du genre humain, afin de priver des honneurs du triomphe un g�n�ral qui avait pris tant de peine � les d�truire ? Metellus ne c�da point � l'autorit� de Pomp�e ; il prit d'assaut ces corsaires, les fit punir de mort ; et apr�s avoir accabl� de reproches Octavius au milieu m�me du camp, il le renvoya couvert de m�pris. XXXI. Quand on apprit � Rome que la guerre des pirates �tait termin�e, et que Pomp�e profitait de son loisir pour visiter les villes de son gouvernement, un tribun du peuple, nomm� Manilius, proposa un d�cret qui, donnant � Pomp�e le commandement de toutes les provinces et de toutes les troupes que Lucullus avait sous ses ordres, y joignait la Bithynie, occup�e par Glabrion, le chargeait d'aller faire la guerre aux rois Mithridate et Tigrane, l'autorisait � conserver toutes les forces maritimes et � commander avec la m�me puissance qu'on lui avait conf�r�e pour la guerre pr�c�dente. C'�tait soumettre � un seul homme tout l'empire romain ; car les provinces que le premier d�cret ne lui donnait pas � gouverner, telles que la Phrygie, la Lycaonie, la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie, la Haute Colchide et l'Arm�nie, lui �taient attribu�es par le second, avec toutes les forces, toutes les arm�es que Lucullus avait employ�es � vaincre Mithridate et Tigrane. Le tort que ce d�cret faisait � Lucullus, en le privant de la gloire de ses exploits, en lui donnant un successeur aux honneurs du triomphe plut�t qu'aux travaux de la guerre, affligea les nobles, qui ne pouvaient se cacher l'injustice et l'ingratitude dont on payait ses services ; mais ce n'�tait pas ce qui les touchait le plus : rein ne leur paraissait plus intol�rable que de voir �lever Pomp�e � un degr� de puissance qu'ils regardaient comme une tyrannie v�ritable et d�j� tout �tablie. Ils s'encourageaient donc les uns les autres � faire rejeter cette loi et � ne pas trahir la cause de la libert�. Mais quand le jour fut venu, la crainte qu'ils eurent du peuple leur �ta le courage, et ils gard�rent tous le silence, � l'exception de Catulus, qui, page 197 apr�s avoir longtemps combattu la loi, voyant qu'il ne gagnait personne du peuple, adressa la parole aux s�nateurs et leur cria plusieurs fois, du haut de la tribune, de chercher, comme leurs anc�tres, une montagne ou une roche, o� ils pussent se retirer et se conserver libres. Mais tout fut inutile ; la loi passa au suffrage unanime des tribus ; et Pomp�e, absent, fut d�clar� ma�tre absolu de presque tout ce que Sylla avait usurp� par les armes, en faisant la guerre � sa patrie. Quand il re�ut les lettres qui lui apprenaient ce que le peuple venait de d�cr�ter pour lui, et que ceux de ses amis qui �taient pr�sents l'en f�licit�rent, il fron�a les sourcils, se frappa la cuisse et s'�cria, comme afflig� et surcharg� m�me de ce nouveau commandement : � Ah ! mes travaux ne finiront donc pas ! Quel bonheur pour moi si je n'avais �t� qu'un particulier inconnu ! Passerai-je sans cesse d'un commandement � un autre ! Ne pourrai-je jamais me d�rober � l'envie et mener � la campagne, avec ma femme, une vie douce et paisible ! �. Cette dissimulation d�plut � ses meilleurs amis, qui savaient tr�s bien que son ambition naturelle et sa passion pour le commandement, enflamm�es encore par ses diff�rends avec Lucullus, lui rendaient tr�s agr�able ce nouvel emploi. XXXII. Ses sanctions l'eurent bient�t d�masqu�, car il fit afficher partout ses ordonnances pour rappeler les gens de guerre et mander aupr�s de lui les rois et les princes compris dans l'�tendue de son gouvernement. Quand il fut arriv� en Asie, il ne laissa rien subsister de ce que Lucullus avait ordonn�, remit aux uns les peines prononc�es contre eux, priva les autres des r�compenses qui leur avaient �t� d�cern�es ; enfin, il prit � t�che de monter aux admirateurs de Lucullus que ce g�n�ral n'avait plus aucune autorit�. Lucullus lui en fit porter ses plaintes par des amis communs, qui furent d'avis qu'ils eussent ensemble une conf�rence ; elle eut lieu dans la Galatie : comme c'�taient deux grands g�n�raux, qui s'�taient illustr�s par les plus glorieux exploits, les faisceaux des licteurs qui marchaient devant eux �taient entour�s de branches page 198 de laurier. Ces officiers furent les premiers qui se rencontr�rent. Lucullus venait d'un pays couvert de bois et de verdure ; Pomp�e, au contraire, avait fait une longue marche � travers des lieux arides, o� l'on ne trouvait pas un seul arbre. Les licteurs de Lucullus, voyant que ceux de Pomp�e avaient leurs lauriers fl�tris et dess�ch�s, leur firent part des leurs qui �taient fra�chement cueillis et en couronn�rent leurs faisceaux : on en tira le pr�sage que Pomp�e venait pour frustrer Lucullus du prix de ses victoires et lui en d�rober toute la gloire. Lucullus avait sur Pomp�e l'avantage d'avoir �t� plus t�t consul que lui et d'�tre plus �g� ; Pomp�e, honor� de deux triomphes, avait plus de dignit�s. Leur entrevue fut d'abord tr�s honn�te ; ils se donn�rent r�ciproquement les plus grandes marques d'amiti�, exalt�rent les exploits l'un de l'autre et se f�licit�rent de leurs succ�s ; mais dans la suite de leur conversation ils ne gard�rent plus ni tenue ni mesure, et en vinrent jusqu'aux injures ; Pomp�e bl�ma l'avarice de Lucullus, Lucullus censura l'ambition de Pomp�e, et leurs amis eurent bien de la peine � les s�parer. Lucullus distribua comme il voulut les terres de la Galatie qu'il avait conquises, et fit beaucoup d'autres pr�sents. Pomp�e, s'�tant camp� aupr�s de lui, d�fendit de lui ob�ir et lui enleva tous ses soldats, � la r�serve de seize cents, dont il voyait bien qu'il ne pourrait tirer lui-m�me aucun service, � cause de leur mutinerie, et qu'il savait d'ailleurs mal dispos�s pour Lucullus. Non content de ces mauvais proc�d�s, il d�criait hautement ses exploits : Lucullus, disait-il, n'avait fait la guerre que contre la pompe et le vain faste des deux rois, et lui avait laiss� � combattre leur v�ritable puissance, puisque Mithridate, instruit enfin par ses revers, avait eu recours aux boucliers, aux �p�es, et � la cavalerie qui faisait sa force. Lucullus, usant de repr�sailles, disait qu'il ne restait plus � Pomp�e qu'un fant�me, une ombre de guerre; que, comme un oiseau de proie l�che et timide, il avait coutume de se jeter sur les corps qu'il n'avait pas tu�s et de d�chirer, pour ainsi dire, des restes de guerre; il s'�tait de m�me attribu� la d�- page 199 faite de Sertorius, celles de L�pidus et de Spartacus, quoiqu'elles fussent l'ouvrage de Crassus, de Metellus et de Catulus ; il n'�tait donc pas �tonnant qu'il voul�t usurper la gloire d'avoir termin� les guerres d'Arm�nie et du Pont, lui qui �tait parvenu, par toutes sortes de voies, � s'ing�rer dans le triomphe de Crassus pour les esclaves fugitifs. XXXIII. Lucullus ne tarda pas � partir pour l'Italie ; et Pomp�e, apr�s avoir occup� avec sa flotte toute la mer qui s'�tend depuis la Ph�nicie jusqu'au Bosphore, afin d'en rendre la navigation s�re, alla par terre chercher Mithridate : ce prince avait une arm�e de trente mille hommes de pied et de deux mille chevaux ; mais il n'osait risquer la bataille. Camp� d'abord sur une montagne tr�s forte d'assiette et o� il n'�tait pas facile de l'attaquer, il fut oblig� de l'abandonner, parce qu'il y manquait d'eau. Pomp�e s'en saisit aussit�t ; et, conjecturant, par la nature des plantes qu'elle produisait et par les ravins qui la coupaient en plusieurs endroits, qu'il devait y avoir des sources, il fit creuser partout des puits, et dans peu de temps le camp eut de l'eau en abondance. Pomp�e ne concevait pas que Mithridate e�t ignor� si longtemps un tel avantage. Il alla se camper autour de ce prince, dont il environna le camp d'une muraille ; mais Mithridate, qu'il y tenait assi�g� depuis quarante-cinq jours, se sauva sans �tre aper�u, avec l'�lite de son arm�e, apr�s avoir fait tuer tous les malades et toutes les personnes inutiles. XXXIV. Pomp�e, l'ayant atteint pr�s de l'Euphrate, campa dans son voisinage ; et, craignant qu'il ne se press�t de passer le fleuve, il fit marcher au milieu de la nuit son arm�e en ordre de bataille, et, � ce qu'on assure, � l'heure m�me o� Mithridate avait eu, pendant son sommeil, une vision qui lui pr�sageait sa destin�e future. Il lui sembla que, faisant voile sur la mer du Pont par un vent favorable, il �tait d�j� en vue du Bosphore, et que, ne doutant plus de son salut, il s'en r�jouissait avec ceux qui �taient dans le vaisseau, lorsqu'il se vit subitement priv� de tout secours et emport� au gr� page 200 des vents sur un des d�bris de son naufrage : comme il �tait violemment agit� par ce songe, ses amis entr�rent dans sa tente pour le r�veiller et lui apprendre que Pomp�e allait arriver. Il se vit dans la n�cessit� de combattre pour la d�fense de son camp ; et ses g�n�raux, ayant fait prendre les armes � ses troupes les rang�rent en bataille. Pomp�e, averti qu'ils se pr�paraient � le recevoir, n'osait risquer un combat nocturne ; il voulait se borner � les envelopper pour emp�cher qu'ils ne prissent la fuite, et les attaquer le lendemain � la pointe du jour avec des troupes meilleures que celles des ennemis ; mais les plus vieux officiers le d�termin�rent, par leurs plus vives instances, � combattre sans diff�rer, parce que la nuit n'�tait pas tout � fait obscure, et que la lune, qui �tait d�j� basse, faisait suffisamment reconna�tre les objets. Ce fut l� surtout ce qui trompa les troupes du roi. Les Romains avaient la lune derri�re le dos, et, comme elle penchait vers le couchant, les ombres des corps, en se prolongeant fort loin, tombaient sur les ennemis et les emp�chaient de juger avec s�ret� quel �tait l'intervalle qui les s�parait des troupes de Pomp�e. Ils s'en croyaient donc tr�s pr�s, et, comme si l'on en f�t d�j� venu aux mains, ils lan�aient leurs javelots, qui n'atteignaient personnes. Les Romains s'en �tant aper�us courent sur eux en jetant de grands cris, et les barbares n'osant pas les attendre, saisis de frayeur, prennent ouvertement la fuite: il en p�rit plus de dix mille, et leur camp tomba au pouvoir de Pomp�e. XXXV. D�s le commencement de l'action, Mithridate s'�tait fait jour � travers les Romains avec huit cents chevaux, et avait abandonn� le champ de bataille ; mais bient�t ses cavaliers se dispers�rent, et il resta seul avec trois personnes, parmi lesquelles �taient Hypsicratia, une de ses concubines, qui avait toujours montr� un courage si m�le et une audace si extraordinaire, que le roi l'appelait Hypsicrat�s (09) : habill�e ce jour-l� � la mode des perses et montant aussi un cheval, perse, elle supporta sans page 201 fatigue les plus longues courses, servant toujours le roi et pansant elle-m�me son cheval, jusqu'� ce qu'enfin ils arrivassent � une forteresse appel�e Inora, o� �taient les tr�sors et les meubles de Mithridate : l� ce prince prit les robes les plus magnifiques, qu'il distribua � ceux qui s'�taient rassembl�s autour de lui, et donna � chacun de ses amis un poison mortel, afin qu'aucun d'eux ne tomb�t vivant, malgr� lui, entre les mains des ennemis. De l� il prit le chemin de l'Arm�nie pour aller joindre Tigrane, qui lui refusa l'entr�e de ses Etats, et fit m�me publier qu'il donnerait cent talents (10) � quiconque lui apporterait sa t�te; ce qui obligea Mithridate d'aller passer l'Euphrate � sa source, pour s'enfuir par la Colchide. XXXVI. Cependant Pomp�e entra dans l'Arm�nie, o� il �tait appel� par le jeune Tigrane, qui s'�tait d�j� r�volt� contre son p�re et qui vint au-devant du g�n�ral romain jusqu'aux bords de l'Araxe : ce fleuve prend sa source dans les m�mes lieux que l'Euphrate, et, continuant son cours vers le levant, il va se jeter dans la mer Caspienne. Lorsque Pomp�e et le jeune Tigrane se furent joints, ils avanc�rent ensemble dans le pays et re�urent les villes qui se soumettaient. Le roi Tigrane, qui venait d'�tre enti�rement d�fait par Lucullus, inform� que Pomp�e �tait d'un caract�re doux et facile, re�ut dans sa capitale une garnison romaine ; et, prenant avec lui ses parents et ses amis, il partit pour aller se rendre � Pomp�e. Il arrivait � cheval pr�s des retranchements, lorsque deux licteurs de Pomp�e, allant � sa rencontre, lui ordonn�rent de descendre de cheval et d'entrer � pied, en lui disant que jamais on n'avait vu personne � cheval dans un camp romain. Tigrane ob�it et �ta m�me son �p�e, qu'il remit aux licteurs. Quand il fut aupr�s de Pomp�e, il d�tacha son diad�me pour le mettre aux pieds de ce g�n�ral, et, en se prosternant bassement � terre, lui embrasser les genoux. Pomp�e le pr�vint, et, le prenant par la main, il le conduisit dans sa tente, le fit asseoir � un de ses c�t�s, et Tigrane, son fils, � l'autre : � Ti- page 202 grane, lui dit-il, c'est � Lucullus que vous devez vous en prendre des pertes que vous avez faites jusqu'ici; c'est lui qui vous a enlev� la Syrie, la Ph�nicie, la Cilicie, la Galatie et la Soph�ne : je vous laisse tout ce que vous aviez lorsque je suis venu dans ces contr�es, � condition que vous payerez aux Romains six mille talents (11), pour r�parer les torts que vous leur avez faits : je donne � votre fils le royaume de Soph�ne. � Tigrane, satisfait de ces conditions et salu� roi par les Romains, fut si transport� de joie, qu'il promit de donner � chaque soldat une demi-mine, dix mines � chaque centurion et un talent � chaque tribun (12); mais son fils parut tr�s m�content, et Pomp�e l'ayant fait inviter � souper, il r�pondit qu'il n'avait pas besoin de Pomp�e ni des honneurs qu'il donnait ; qu'il trouverait d'autres Romains qui sauraient lui en procurer de plus consid�rables. Pomp�e, piqu� de cette r�ponse, le fit charger de cha�nes, et le r�serva pour son triomphe. Peu de temps apr�s, Phraate, roi des Parthes, envoya redemander ce jeune prince, qui �tait son gendre, et repr�senter � Pomp�e qu'il devait borner ses conqu�tes � l'Euphrate. Pomp�e r�pondit que le jeune Tigrane tenait de plus pr�s � son p�re, qu'� son beau-p�re, et que la justice r�glerait seule les bornes qu'il mettrait � ses conqu�tes. XXXVII. Apr�s avoir pr�pos� Afranius � la garde de l'Arm�nie, il fut oblig�, pour suivre Mithridate, de prendre sa route � travers les nations qui habitent les environs du Caucase. Les plus puissantes sont les Albaniens et les Ib�riens ; ces derniers s'�tendent jusqu'aux montagnes Moschiques et au royaume du Pont ; les Albaniens tournent plus � l'orient et vers la mer Caspienne. Ces derniers accord�rent d'abord le passage que Pomp�e leur avait demand� sur leurs terres ; mais l'hiver ayant surpris son arm�e dans leur pays, et la f�te des Saturnales �tant arriv�e dans ce temps-l�, ces barbares, au nombre au moins de quarante mille, voulurent les attaquer ; page 203 et dans cette intention ils pass�rent le fleuve Cyranus, qui prend sa source dans les montagnes d'Ib�rie et, apr�s avoir re�u l'Araxe, qui descend de l'Arm�nie, se jette par douze embouchures dans la mer Caspienne. Suivant d'autres auteurs, le Cyrnus ne re�oit pas l'Araxe ; il a son cours s�par� pr�s de ce dernier fleuve et se d�charge dans la m�me mer. Pomp�e e�t pu facilement s'opposer au passage des ennemis ; mais il les laissa traverser sans obstacle ; et d�s qu'ils furent pass�s il les chargea si brusquement qu'il les mit en fuite et en fit un grand carnage. Leur roi eut recours aux pri�res, et envoya des ambassadeurs � Pomp�e, qui lui pardonna son injustice, fit la paix avec lui, et marcha contre les Ib�riens, qui, aussi nombreux et plus aguerris que les Albaniens, avaient le plus grand d�sir de servir Mithridate et de repousser Pomp�e. Ces Ib�riens n'avaient jamais �t� soumis ni aux M�des ni aux Perses ; ils avaient m�me �vit� l'empire des Mac�doniens, parce qu'Alexandre avait �t� oblig� de quitter promptement l'Hyrcanie. Pomp�e les vainquit dans un grand combat, leur tua neuf mille hommes, et fit plus de dix mille prisonniers : il entra tout de suite dans la Colchide, o� Servilius vint le retrouver � l'embouchure du Phase, avec les vaisseaux qui lui avaient servi � garder le Pont-Euxin. XXXVIII. La poursuite de Mithridate, qui s'�tait cach� parmi les nations du Bosphore et du Palus Maeotis, entra�nait de grandes difficult�s : d'ailleurs Pomp�e re�ut la nouvelle que les Albaniens s'�taient r�volt�s de nouveau. La col�re et le d�sir de se venger l'ayant ramen� contre eux, il repassa le Cyrnus avec beaucoup de peine et de danger : les barbares en avaient fortifi� la rive par une palissade de troncs d'arbres : apr�s l'avoir travers�, il lui restait une longue route � faire dans un pays sec et aride; il fit donc remplir d'eau dix mille outres et continua sa marche pour aller joindre les ennemis, qu'il trouva rang�s en bataille sur le bord du fleuve Abas : ils avaient soixante mille hommes de pied, et douze mille chevaux ; mais ils �taient mal arm�s et n'avaient la plupart, pour page 204 toute d�fense que des peaux de b�tes. Cosis, fr�re du roi, les commandait : d�s que le combat fut engag�, ce prince, courant sur Pomp�e, lui lan�a son javelot et l'atteignit au d�faut de sa cuirasse. Pomp�e, l'ayant joint, le per�a de sa javeline, et l'�tendit roide mort. On dit que les Amazones, descendues des montagnes voisines du fleuve Thermodon, combattirent � cette bataille avec les barbares ; car les Romains en d�pouillant les morts apr�s le combat trouv�rent des boucliers et des brodequins tels que les Amazones en portent ; mais on ne d�couvrit pas un seul corps de femme. Les Amazones habitent la partie du Caucase qui regarde la mer d'Hyrcanie; elles ne sont pas limitrophes des Albaniens, dont les G�les et les L�ges les s�parent ; elles vont tous les ans passer deux mois avec ces derniers peuples sur les bords du Thermodon; et ce terme expir� elles rentrent dans leur pays, o� elles vivent absolument seules, sans aucun commerce avec les hommes. XXXIX. Apr�s ce combat, Pomp�e se mit en chemin pour aller dans l'Hyrcanie, et de l� jusqu'� la mer Caspienne; il n'en �tait qu'� trois journ�es de chemin, mais, arr�t�s par le grand nombre de serpents venimeux qu'on trouve dans ces contr�es, il revint sur ses pas et se retira dans la petite Arm�nie, o� il re�ut des ambassadeurs des rois des Elymiens et des M�des, � qui il �crivit des lettres remplies de t�moignages d'amiti�. Le roi des Parthes s'�tait jet� dans la Gordyenne, o� il opprimait les sujets de Tigrane ; Pomp�e d�tacha contre lui Afranius qui le chassa et le poursuivit jusqu'� l'Arb�litide. Pomp�e ne voulut voir aucune des concubines de Mithridate qui lui furent amen�es ; il les renvoya toutes � leurs parents ou � leur proches, car elles �taient la plupart femmes ou filles des capitaines et des courtisans de Mithridate. Stratonice, celle qui avait le plus de cr�dit aupr�s du roi, et � qui il avait confi� la garde de la forteresse o� �tait d�pos�e la plus grande partie de ses richesses, �tait, dit-on, fille d'un musicien vieux et pauvre. Un jour qu'elle chanta, pendant le souper, devant Mithridate, ce prince en fut si ravi qu'il voulut l'avoir la nuit page 205 m�me, et qu'il renvoya le p�re tr�s m�content de ce qu'il ne lui avait pas dit un seul mot d'honn�tet� ; mais le lendemain, � son r�veil, il vit dans la maison o� il �tait des tables couvertes de vaisselle d'or et d'argent, un grand nombre de domestiques, des eunuques et des pages qui lui apportaient des habits magnifiques, et � sa porte un cheval couvert d'un riche harnais, tel qu'on en donnait aux amis du roi (13). Il crut que c'�tait une plaisanterie, et voulut s'enfuir de sa maison ; mais ses domestiques l'arr�t�rent, et lui dirent que le roi lui avait donn� la maison d'un homme fort riche qui venait de mourir ; que ce n'�tait l� qu'un �chantillon et comme une montre des autres biens qui lui reviendraient de cette succession. Il avait de la peine � croire ce qu'on lui disait ; mais enfin il se laissa rev�tir d'une robe de pourpre, et, montant � cheval, il traversa la ville, en criant : � Tous ces biens sont � moi ! � et lorsqu'il voyait quelqu'un se moquer de lui : � Ce ne sont pas mes folies, disait-il, qui doivent vous surprendre; vous devez plut�t vous �tonner que, dans cet exc�s de joie qui me rend fou, je ne jette pas des pierres � tous les passants. � Voil� de quelle famille et de quel sang �tait Stratonice. Elle livra � Pomp�e la forteresse qu'elle avait en garde, et lui fit de riches pr�sents ; mais Pomp�e ne prit que ce qui pouvait servir � la d�coration des temples et � l'ornement de son triomphe; il voulut que Stratonice gard�t tout le reste pour elle. XL. Le roi des Ib�riens lui envoya un lit, une table et un tr�ne, le tout d'or massif, et le fit prier de les recevoir comme un gage de son amiti�. Pomp�e les remit aux questeurs pour le tr�sor public. Dans un ch�teau appel� C�non, il trouva des papiers secrets de Mithridate, qu'il lut avec plaisir, parce qu'ils contenaient des preuves frappantes du caract�re de ce prince. C'�taient des M�moires qui attestaient qu'il avait empoisonn� page 206 plusieurs personnes, entre autres son fils Ariarathe et Alc�e de Sardis, qui avait remport� sur lui le prix de la course des chevaux (14). Il y avait des explications des songes qu'il avait eus, lui et ses femmes ; enfin, des lettres amoureuses de Monime � Mithridate, et de ce prince � Monime. Th�ophane pr�tend qu'il y trouva aussi un discours de Rutilius, dont le but �tait d'engager Mithridate � faire massacrer tous les Romains qui �taient dans l'Asie ; mais la plupart des auteurs soup�onnent, avec bien de la vraisemblance, que c'est une m�chancet� de Th�ophane, qui ha�ssait Rutilius, sans doute parce qu'il ne lui ressemblait en rien. Peut-�tre a-t-il invent� ce fait pour faire plaisir � Pomp�e, dont le p�re �tait repr�sent� dans l'histoire de Rutilius comme le plus m�chant des hommes. Pomp�e, s'�tant remis en marche, gagna la ville d'Amisus, o� son ambition lui fit tenir la conduite la plus bl�mable : il avait repris Lucullus avec aigreur d'avoir, avant la fin de la guerre, dispos� des gouvernements, d�cern� des dons et des honneurs, ce que les vainqueurs ne font ordinairement que lorsque la guerre est termin�e ; et lui-m�me lorsque Mithridate dominait encore dans le Bosphore, qu'il y avait rassembl� une puissante arm�e, il fit ce qu'il avait condamn� dans Lucullus ; et comme si la guerre e�t �t� finie, il donna des commandements de provinces et distribua des pr�sents. Plusieurs capitaines et plusieurs princes, entre autres douze rois barbares, se rendirent aupr�s de lui ; et pour lui faire plaisir, en �crivant au roi des Parthes, il ne lui donna pas dans ses lettres, comme les autres princes le faisaient, le titre de roi des rois. XLI. Pendant son s�jour dans cette ville, il con�ut le plus violent d�sir de reconqu�rir la Syrie et de p�n�trer par l'Arabie jusqu'� la mer Rouge, afin d'avoir de tous c�t�s, pour bornes de ses conqu�tes, l'Oc�an, qui environne la terre. En Afrique, il �tait le premier qui se f�t ouvert par ses victoires, un che- page 207 min jusqu'� la mer ext�rieure (15) ; en Espagne, il avait donn� la mer Atlantique pour borne � l'empire romain ; et tout r�cemment encore, en poursuivant les Albaniens, il s'�tait approch� de bien pr�s de la mer d'Hyrcanie. Il partit donc dans la r�solution de faire le tour de la mer Rouge ; car il voyait que Mithridate �tait difficile � suivre � main arm�e, et plus dangereux dans sa fuite que dans sa r�sistance. Et, disant qu'il allait lui laisser un ennemi plus fort que lui-m�me, c'est-�-dire la famine, Pomp�e mit des vaisseaux en croisi�re sur le Pont-Euxin, afin d'enlever les marchands qui porteraient des provisions dans le Bosphore ; la peine de mort �tait d�cern�e contre tous ceux qui seraient pris. En poursuivant sa route avec la plus grande partie de son arm�e, il arriva sur le champ de bataille o� �taient les cadavres des soldats romains qui, sous Triarius, avaient combattu malheureusement contre Mithridate, et dont les corps �taient rest�s sans s�pulture. Il les fit tous enterrer avec autant de soin que de magnificence ; ce devoir, n�glig� par Lucullus, fut, � ce qu'il para�t, une des principales causes de la haine que ses soldats con�urent contre lui. Pomp�e, apr�s avoir soumis, par son lieutenant Afranius, les Arabes qui habitent autour du mont Amanus, descendit dans la Syrie ; et, comme elle n'avait pas de rois l�gitimes, il en fit une province romaine. Il subjugua la Jud�e et fit prisonnier le roi Aristobule ; il y fonda quelques villes, rendit la libert� � d'autres et punit les tyrans qui en avaient usurp� l'autorit�. Mais il s'y occupa surtout de rendre la justice, de concilier les diff�rends des villes et des rois; et quand il ne pouvait s'y transporter en personne, il y envoyait ses amis : c'est ce qu'il fit en particulier pour les Arm�niens et les Parthes qui se disputaient quelque province ; ils s'en rapport�rent � sa d�cision, et il leur envoya trois arbitres pour juger leurs pr�tentions respectives, car l'opinion qu'on avait de sa justice et de sa douceur �galait celle de sa puissance ; c'�tait m�me par l� qu'il couvrait la plupart des fautes de ses amis et de ceux qui avaient sa confiance : page 208 trop faible pour les emp�cher de les commettre ou pour les en punir, il montrait une si grande douceur � ceux qui venaient se plaindre, qu'il leur faisait supporter patiemment l'avarice et la duret� de ses agents. XLII. D�m�trius, son affranchi, �tait de tous ses domestiques celui qui avait le plus de cr�dit aupr�s de son ma�tre ; il �tait jeune et ne manquait pas d'esprit, mais il abusait de sa fortune. On raconte � ce sujet que Caton le philosophe, qui dans sa jeunesse m�me avait d�j� une grande r�putation de sagesse et de grandeur d'�me, alla voir la ville d'Antioche, pendant que Pomp�e en �tait absent. Il marchait � pied, selon sa coutume, et ses amis le suivaient � cheval. En arrivant aux portes de la ville, il vit une foule de gens v�tus de robes blanches, et des deux c�t�s du chemin de jeunes gar�ons et des enfants rang�s en haie. Caton, qui crut que tous ces pr�paratifs �taient faits pour lui et qu'on venait par honneur au-devant de lui, en fut tr�s m�content, car il ne voulait aucune c�r�monie. Il ordonna donc � ses amis de descendre de cheval et de l'accompagner � pied. Lorsqu'ils eurent joint cette troupe, celui qui r�glait la f�te et qui avait plac� tout le monde, �tant venu au-devant d'eux, avec une verge � la main et une couronne sur la t�te, leur demanda o� ils avaient laiss� D�m�trius et � quelle heure il arriverait. Les amis de Caton �clat�rent de rire : � O malheureuse ville ! � s'�cria Caton; et il continua sa route sans rien ajouter. Il est vrai que Pomp�e lui-m�me adoucissait la haine qu'on portait � son affranchi, par la patience avec laquelle il souffrait son audace sans jamais se f�cher. On assure que souvent Pomp�e attendait les convives qu'il avait pri�s � souper, afin de les recevoir, pendant que D�m�trius �tait d�j� assis � table et qu'il avait sur sa t�te son bonnet insolemment enfonc� jusqu'au-dessous des oreilles. Avant son retour en Italie, il avait acquis dans les environs de Rome les plus belles maisons de campagne, les plus beaux parcs pour les exercices ; il avait des jardins magnifiques qu'on appelait les jardins de D�m�trius, tandis que Pomp�e jusqu'� son page 209 troisi�me triomphe �tait log� de la mani�re la plus simple et la plus modeste. Ce ne fut qu'apr�s avoir construit ce th��tre si magnifique et si c�l�bre qui porte son nom, qu'il se fit b�tir, comme une esp�ce d'accessoire, une maison plus belle que la premi�re, mais qui n'�tait pas faite pour exciter l'envie. Aussi celui qui en fut le ma�tre apr�s Pomp�e, �tonn�, en y entrant, de sa simplicit�, demanda o� �tait la salle � manger du grand Pomp�e ; c'est du moins ce qu'on rapporte. XLIII. Le roi de l'Arabie P�tr�e, qui ne s'�tait pas fort inqui�t� jusqu'alors de la puissance romaine, effray� � l'approche de Pomp�e, lui �crivit qu'il �tait dispos� � faire tout ce qu'il lui ordonnerait. Pomp�e, pour l'affermir dans cette r�solution, mena son arm�e devant P�tra : mais cette exp�dition fut g�n�ralement bl�m�e ; on crut que c'�tait un pr�texte pour cesser de poursuivre Mithridate, contre lequel il devait, disait-on, tourner toutes ses forces, parce que c'�tait l'ancien ennemi des Romains, qu'il commen�ait � rallumer la guerre, et que, d'apr�s les nouvelles qu'on en avait re�ues du Bosphore, il se pr�parait � traverser la Scythie et la P�onie, pour entrer avec son arm�e en Italie. Pomp�e, persuad� qu'il �tait plus facile de ruiner sa puissance, en lui laissant continuer la guerre, que de le prendre dans la fuite, ne voulut pas inutilement le poursuivre ; et pour gagner du temps, il chercha dans l'intervalle � faire d'autres exp�ditions. Mais la fortune trancha la difficult� : il n'�tait pas loin de P�tra, et, apr�s avoir assis son camp pour ce jour-l�, il s'exer�ait hors des retranchements � faire man�uvrer un cheval, lorsqu'il vit arriver du royaume du Pont des courriers qui lui apportaient d'heureuses nouvelles ; on le reconnut aux lauriers qui en pareil cas entourent, selon la coutume des Romains, la pointe de leurs javelines. Les soldats, les ayant aper�us accoururent aupr�s de Pomp�e ; il voulait, avant de donner audience aux courriers, achever son exercice ; mais, les soldats l'ayant suppli� � grands cris de lire ces lettres, il descendit de cheval, prit les d�p�ches et rentra dans son camp. Il n'y avait point de tribunal dress�, page 210 et les soldats, aussi curieux qu'impatients de savoir les nouvelles, ne se donnent pas le temps d'en �lever un, tel qu'il est d'usage de le faire dans les camps ; ils coupent d'�paisses mottes de terre qu'ils entassent les unes sur les autres, mettent en un monceau les b�ts des b�tes de somme et en font un tribunal. Pomp�e y monte et leur annonce que Mithridate est mort ; que la r�volte de son fils Pharnace l'a port� � se tuer lui-m�me ; que Pharnace s'est empar� de tous les �tats de son p�re, et qu'il lui mande dans ses lettres, qu'il en a pris possession pour lui et pour les Romains. XLIV. Aussit�t l'arm�e, se livrant aux transports de joie que devait lui causer cette nouvelle, fit des sacrifices et des festins, comme si la mort de Mithridate l'e�t d�livr�e d'un nombre infini d'ennemis. Pomp�e, ayant ainsi mis � ses exploits une fin beaucoup plus facile qu'il n'avait pu l'esp�rer, partit de l'Arabie, et, traversant d'une marche rapide les provinces qui la s�parent de la Galatie, il se rendit � Amisus, o� il trouva des pr�sents magnifiques que Pharnace lui envoyait, et plusieurs corps morts des princes du sang royal, au nombre desquels �tait celui de Mithridate : ce dernier n'�tait pas facile � reconna�tre aux traits du visage, parce que les esclaves qui l'avaient embaum� avaient oubli� d'en dess�cher la cervelle ; mais ceux qui furent curieux de l'examiner le reconnurent � des cicatrices qu'il avait au visage. Pomp�e refusa de le voir, et, pour d�tourner de lui la vengeance c�leste ; il le renvoya � Sinope. Mais il admira la magnificence de son habillement, la grandeur et l'�clat de ses armes. Car un certain Publius avait vol� le fourreau de son �p�e qui avait co�t� quatre cents talents (16), et qu'il vendit � Ariarathe; Ca�us, qui avait �t� nourri avec Mithridate, prit le diad�me de ce prince, dont le travail �tait admirable, et qu'il donna secr�tement � Faustus, fils de Sylla, qui le lui avait demand�. Pomp�e ignora alors ces deux vols ; mais dans la suite Pharnace les ayant d�couverts en fit punir les auteurs. Pomp�e, apr�s avoir tout r�gl�, tout affermi dans ces page 211 provinces, voyagea avec beaucoup de pompe, en c�l�brant sur sa route des f�tes et des r�jouissances publiques. A Mityl�ne, il d�clara la ville libre, par estime pour Th�ophane, et il assista aux combats des po�tes usit�s dans ce pays ; ils avaient pris pour sujet de leurs ouvrages de po�sie les exploits de Pomp�e. Il fut si charm� de leur th��tre, qu'il en fit lever et dessiner le plan pour en faire ex�cuter � Rome un pareil, mais plus grand et plus magnifique. De l� passant � Rhodes, il y entendit discourir tous les sophistes, et leur donna � chacun un talent (17). Posidonius a laiss� par �crit le discours qu'il pronon�a devant lui, pour r�futer l'opinion d'Hermagoras sur la question g�n�rale. Dans Ath�nes, il traita les philosophes avec la m�me g�n�rosit� qu'� Rhodes, et fit pr�sent � la ville de cinquante talents (18)pour la r�parer. XLV. Pomp�e comptait arriver en Italie combl� de gloire, et aussi d�sir� dans sa maison qu'il d�sirait lui-m�me de s'y retrouver. Mais ce d�mon ennemi qui a toujours soin de m�ler aux plus grands biens et aux plus �clatantes faveurs de la fortune cette portion de mal qui suffit pour les corrompre, lui pr�parait depuis longtemps un retour triste et affligeant. Sa femme Mucia avait tenu depuis son d�part la conduite la plus scandaleuse ; tant qu'il fut �loign�, il ne tint aucun compte des bruits qui lui en revenaient. Mais quand il se vit pr�s de l'Italie et qu'il eut r�fl�chi � loisir sur les rapports qu'on lui avait faits, il lui envoya l'acte de divorce, sans avoir fait conna�tre ni alors ni depuis les motifs de cette r�pudiation ; mais on les trouve dans les lettres de Cic�ron. Il avait �t� pr�c�d� � Rome par divers bruits qui couraient sur son compte ; ils y caus�rent m�me un grand trouble, parce qu'on avait r�pandu qu'il entrerait dans la ville avec son arm�e et qu'il usurperait le pouvoir souverain. Crassus, soit qu'il le craignit r�ellement, ou, comme il est plus vraisemblable, pour accr�diter ce bruit calomnieux et aigrir encore l'envie qu'on portait � Pomp�e, sortit secr�tement de Rome avec ses enfants et ce qu'il avait de plus pr�cieux. page 212 Mais Pomp�e, � peine entr� en Italie, assembla ses soldats ; et, apr�s leur avoir parl� selon que l'exigeaient les circonstances, et les avoir remerci�s de leurs services, il leur ordonna de se disperser chacun dans sa ville et de ne pas oublier de revenir � Rome pour son triomphe. Son arm�e se s�para ; et la nouvelle s'en �tant bient�t r�pandue partout, elle produisit un effet admirable. Les villes qu'il traversait dans sa route voyant le grand Pomp�e sans aucune escorte de gens de guerre, accompagn� seulement d'un petit nombre d'amis, comme au retour d'un simple voyage, entra�n�es par un vif sentiment d'affection, se r�pandirent en foule au-devant de lui, et le suivirent jusqu'� Rome, o� il arriva avec de plus grandes forces que celles qu'il avait ramen�es ; et s'il avait eu envie de remuer et d'introduire des nouveaut�s dans le gouvernement, il n'aurait pas eu besoin de son arm�e. XLVI. La loi ne lui permettant pas d'entrer dans Rome avant son triomphe, il envoya prier le s�nat de diff�rer l'�lection des consuls et de lui accorder la gr�ce de pouvoir solliciter en personne pour Pison. Mais, sur l'opposition de Caton, sa demande fut rejet�e. La libert� de Caton et sa fermet� � soutenir ouvertement le parti de la justice inspiraient tant d'admiration � Pomp�e, qu'il d�sira vivement de l'acqu�rir � quelque prix que ce f�t. Il r�solut donc d'�pouser une de ses deux ni�ces et de donner l'autre � son fils. Caton, ayant soup�onn� que cette demande �tait un moyen imagin� par Pomp�e pour le corrompre et le s�duire � la faveur de cette alliance, le refusa, au grand regret de sa femme et de sa s�ur, qui ne lui pardonnaient pas de rejeter l'alliance du grand Pomp�e. Cependant Pomp�e, qui voulait porter Afranius au consulat, r�pandit de l'argent parmi les tribus : et ce fut dans ses jardins m�mes qu'on le distribua. On le sut bient�t dans toute la ville, et Pomp�e fut g�n�ralement bl�m� de rendre v�nale, pour des hommes qui ne pouvaient l'obtenir par leur vertu, une charge qu'il avait lui-m�me obtenue comme le prix de ses exploits. � Voil�, dit alors Caton � sa femme et � sa s�ur, voil� les re- page 213 proches que notre alliance avec Pomp�e nous aurait fait partager. � Elles convinrent qu'il avait mieux jug� qu'elles ce qu'il convenait de faire. XLVII. Quoique le triomphe de Pomp�e e�t occup� deux journ�es enti�res, ce temps ne suffit pas pour en �taler toute la magnificence. Une grande partie de ce qu'on avait pr�par� ne put �tre expos�e aux regards du public ; et ce qui resta �tait si consid�rable, qu'on aurait pu en orner un second triomphe : la pompe �tait pr�c�d�e de plusieurs �criteaux qui portaient les noms des nations conquises; c'�taient le Pont, l'Arm�nie, la Cappadoce, la Paphlagonie, la M�die, la Colchide, les Ib�riens, les Albaniens, la Syrie, la Cilicie, la M�sopotamie, la Ph�nicie, la Palestine, la Jud�e, l'Arabie, les pirates vaincus sur terre et sur mer. On y lisait que, dans ces divers pays, Pomp�e avait pris mille forteresses et pr�s de trois cent villes, enlev� aux pirates huit cents vaisseaux, et repeupl� trente-neuf villes que leurs habitants avaient abandonn�es. On y voyait que les revenus publics, qui ne montaient avant Pomp�e qu'� cinq mille myriades ou cinquante millions de drachmes, avaient �t� port�s par ses conqu�tes � huit mille cinq cents myriades, ou quatre-vingt un millions cinq cent, vingt mille talents (20), outre ce qu'il avait donn� � ses soldats, dont le moins r�compens� avait re�u quinze cents drachmes (21). Les prisonniers men�s en triomphe furent, outre les chefs des pirates, le fils de Tigrane, roi d'Arm�nie, avec sa femme et sa fille ; Zozime, femme du vieux Tigrane ; Aristobule, roi des Juifs ; la s�ur de Mithridate, avec cinq de ses enfants, des femmes scythes ; les otages des Albaniens et des Ib�riens, et ceux du roi de Commag�ne ; on y portait autant de troph�es qu'il avait gagn� de batailles, soit en page 214 personne, soit par ses lieutenants. Mais ce qui relevait encore plus sa gloire, et qui n'�tait arriv� � aucun autre Romain avant lui, c'est qu'apr�s avoir triomph� de deux parties du monde, il triomphait alors de la troisi�me. On avait bien vu d�j� d'autres Romains honor�s de trois triomphes ; mais Pomp�e avait triomph� la premi�re fois de l'Afrique ; la seconde, de l'Europe, et la troisi�me, de l'Asie : ainsi dans ses trois triomphes il avait triomph� de la terre enti�re. Il �tait pourtant encore assez jeune ; et ceux qui, le comparant � Alexandre, veulent, � quelque prix que ce soit, qu'il ressembl�t en tout � ce prince, disent qu'il n'avait pas tout � faire trente-quatre ans ; mais, dans la v�rit�, il approchait de quarante (22). XLVIII. Heureux s'il e�t termin� sa vie � cette �poque, et qu'il n'e�t v�cu qu'autant de temps qu'il conserva la fortune d'Alexandre ! mais dans le reste de sa vie il n'eut plus, ou que des prosp�rit�s qui lui attir�rent l'envie, ou que des adversit�s qui furent sans rem�de ; en faisant servir � l'injustice d'autrui l'autorit� qu'il avait acquise par des voies l�gitimes, il perdait de sa r�putation autant qu'il en augmentait la puissance de ceux qu'il favorisait. Ainsi, sans s'en apercevoir, il trouva sa perte dans sa force m�me et dans sa grandeur. Les endroits les mieux fortifi�s des villes assi�g�es communiquent aux ennemis qui s'en emparent ce qu'elles ont de force ; de m�me C�sar, agrandi par la puissance de Pomp�e, le ruina ensuite et le renversa par la force m�me qu'il avait re�ue de lui contre ses concitoyens : je dois dire comment arriva cette fatale catastrophe. Quand Lucullus revint d'Asie, o� Pomp�e l'avait accabl� d'outrages, le s�nat le re�ut de la mani�re la plus honorable ; et le pressa vivement, apr�s le retour de Pomp�e, de page 215 s'occuper des affaires du gouvernement. Mais le courage et l'activit� de Lucullus �taient bien refroidis ; il s'�tait abandonn� � l'oisivet�, et � toutes les jouissances que donnent les richesses. Cependant, lorsque Pomp�e fut arriv�, il reprit de l'ardeur, et l'attaqua si vigoureusement sur l'injure qu'il lui avait faite en Asie en cassant toutes ses ordonnances, que, soutenu de l'appui de Caton, il prenait d�j� le dessus et l'emportait sur lui dans le s�nat. Pomp�e, qui se sentait le plus faible et se voyait rebut� partout, fut forc� de recourir aux tribuns du peuple et de s'attacher une foule de jeunes gens. Le plus sc�l�rat et le plus audacieux d'entre eux, nomm� Clodius, s'�tant empar� de lui, le jetait � la t�te du peuple et avilissait sa dignit� en le tra�nant sans cesse apr�s lui dans les assembl�es publiques, o� il le faisait servir � confirmer toutes les nouveaut�s qu'il proposait, dans la vue de flatter la populace et de s'insinuer dans sa faveur. Il alla plus loin encore, et comme s'il e�t rendu � Pomp�e des services importants tandis qu'il ne faisait que le d�shonorer, il exigea et obtint de lui, pour salaire, le sacrifice de Cic�ron, le meilleur ami de Pomp�e, et qui, dans le cours de son administration, avait tout fait pour lui. Cic�ron, dans le danger dont il �tait menac�, eut recours � Pomp�e, qui ne voulut pas le voir ; il fit m�me refuser l'entr�e de sa maison � ceux qui venaient de sa part, et sortit par une porte de derri�re. Cic�ron, qui craignit l'issue du jugement, se d�roba de la ville et s'en alla en exil. Quelque temps auparavant, C�sar, revenu de sa pr�ture d'Espagne, avait form� une intrigue politique qui lui acquit dans ce moment une grande faveur et dans la suite une puissance consid�rable, mais qui devint funeste � Pomp�e et � Rome. Il demandait son premier consulat ; et, sentant bien que tant que Crassus et Pomp�e seraient mal ensemble il ne pourrait s'attacher � l'un sans avoir l'autre pour ennemi, il travailla � les r�concilier : action d'une sage politique sans doute, mais faite par un mauvais motif, et aussi adroite qu'insidieuse. Cette puissance, divis�e entre deux rivaux, conservait l'�quilibre page 216 dans Rome, comme une cargaison �galement distribu�e le maintient dans un vaisseau : mais d�s qu'elle fut r�unie, et qu'elle pesa tout enti�re sur un seul point, elle devint si forte, que n'ayant plus de contrepoids, elle finit par renverser la R�publique. XLIX. On disait un jour devant Caton que les diff�rends qui survinrent dans la suite entre C�sar et Pomp�e avaient caus� la ruine de la R�publique : � Vous vous trompez, leur dit-il, d'imputer ce malheur � ces derniers �v�nements ; ce n'est ni leur discorde, ni leur inimiti�, mais plut�t leur amiti� et leur union, qui ont �t� la premi�re et la plus funeste cause de nos calamit�s. � Ce fut, en effet, cette liaison qui porta C�sar au consulat ; et il l'eut � peine obtenu, que, flattant la populace, les pauvres et les indigents, il proposa des lois pour �tablir de nouvelles colonies et faire des partages de terres ; n'ayant pas honte d'avilir ainsi la dignit� de sa magistrature et de faire d�g�n�rer en un vrai tribunal la puissance consulaire. Bibulus, son coll�gue, s'opposait fortement � ces entreprises ; et Caton se pr�parait � le soutenir de tout son pouvoir, lorsque C�sar, amenant Pomp�e � la tribune, lui demande � haute voix s'il approuve ses lois. Sur sa r�ponse affirmative, il lui demande encore : � Si quelqu'un veut s'opposer par la force � leur autorisation, ne viendrez-vous pas aupr�s du peuple pour le soutenir ? - J'y viendrai, r�pondit Pomp�e ; et contre ceux qui nous menacent de l'�p�e, j'apporterai l'�p�e et le bouclier. � Pomp�e n'avait encore rien fait ni rien dit de si violent ; et ses amis pour l'excuser disaient que cette parole lui �tait �chapp�e sans r�flexion. Mais tout ce qu'il fit depuis ne prouva que trop qu'il s'�tait enti�rement livr� aux volont�s de C�sar. Car peu de temps apr�s, contre l'attente de tout le monde, il �pousa Julie, fille de C�sar, d�j� promise � C�pion, qui devait l'�pouser bient�t ; et pour calmer le ressentiment de celui-ci il lui donna sa fille, dont le mariage avec Faustus, fils de Sylla, �tait arr�t�. C�sar �pousa Calpurnie, fille de Pison. D�s ce moment page 217 Pomp�e, remplissant la ville de soldats, s'empara des affaires � force ouverte. Le consul Bibulus �tant descendu � la place publique avec Lucullus et Caton, les soldats se jet�rent sur ce premier magistrat et bris�rent ses faisceaux ; quelqu'un m�me d'entre eux osa lui jeter sur la t�te un panier plein de fumier, et deux tribuns du peuple qui l'accompagnaient furent bless�s. Par ces violences ils chass�rent de la place publique tous ceux qui voulurent leur r�sister, et ils firent passer la loi qui ordonnait un partage de terres. Le peuple, s�duit par cet app�t, se laissa conduire � leur gr�, et, ne songeant pas m�me � faire la moindre opposition, il donna son suffrage sans rien dire. Pomp�e fit confirmer toutes celles de ses ordonnances que Lucullus attaquait ; C�sar eut pour cinq ans le gouvernement des Gaules cisalpine et transalpine, et celui de l'Illyrie avec quatre l�gions compl�tes ; on d�signa consul pour l'ann�e suivante Pison, beau-p�re de C�sar, et Gabinius, le plus outr� des flatteurs de Pomp�e. L. Bibulus, ne pouvant arr�ter ces d�sordres, se tint renferm� dans sa maison, et n'en sortit pas les huit derniers mois de son consulat pour remplir les fonctions de sa charge : il les bornait � envoyer afficher des placards pleins d'invectives et d'accusations contre C�sar et Pomp�e. Caton, comme inspir� par un esprit proph�tique, annon�ait dans le s�nat les malheurs qui mena�aient Rome et Pomp�e lui-m�me. Lucullus, renon�ant aux affaires, auxquelles son �ge le rendait peu propre, vivait tranquille dans la retraite; ce fut alors que Pomp�e lui dit qu'il �tait moins de saison pour un vieillard de s'abandonner aux d�lices que de s'occuper d'administration. Mais lui-m�me se laissa bient�t amollir par l'amour qu'il avait pour sa jeune femme. Uniquement occup� de lui plaire, il passait les journ�es enti�res avec elle, dans ses maisons de campagne ou dans ses jardins, et ne songeait plus aux affaires publiques. Aussi Clodius m�me, alors tribun du peuple, n'ayant plus pour lui que du m�pris, osa se porter aux entreprises les plus audacieuses. Apr�s qu'il eut chass� Cic�ron de page 218 Rome, et rel�gu� Caton � Chypre, sous pr�texte d'une exp�dition militaire; qu'il eut vu C�sar partir pour la Gaule et qu'il fut assur� du d�vouement du peuple, � qui il s'�tudiait � complaire dans toute son administration, il entreprit de casser quelques ordonnances de Pomp�e; il lui enleva de force le jeune Tigrane, son prisonnier, qu'il retint chez lui, et suscita des proc�s aux amis de Pomp�e, pour essayer, dans leurs personnes, jusqu'o� allait la puissance de leur protecteur. Enfin, un jour que Pomp�e assistait � l'instruction d'un proc�s, Clodius, entour� d'une troupe de sc�l�rats audacieux, monta sur un lieu �lev�, d'o� il pouvait �tre vu de toute l'assembl�e, et fit � haute voix les questions suivantes : � Quel est le souverain intemp�rant ? Quel est l'homme qui cherche un homme ? Qui est celui qui se gratte la t�te avec un doigt ? � Apr�s chacune de ces questions, Clodius secouait sa robe, et ses satellites, comme un ch�ur qui r�pond alternativement � un des personnages, r�p�taient avec de grands cris : � C'est Pomp�e ! �. LI. Ces outrages causaient un v�ritable chagrin � Pomp�e, qui n'�tait pas accoutum� � se voir outrager publiquement, et qui n'�tait pas fait � ces sortes de combats; il �tait encore plus afflig� de la joie qu'en t�moignait le s�nat, qui regardait ces insultes comme la juste punition de la l�chet� qu'il avait eue de sacrifier Cic�ron � Clodius. Mais lorsqu'on en fut venu aux mains sur la place publique m�me, et qu'il y eut eu plusieurs personnes de bless�es ; qu'un esclave de Clodius, qui s'�tait gliss� dans la foule jusqu'aupr�s de Pomp�e, eut �t� surpris avec un poignard, Pomp�e prit pr�texte de la crainte que lui ordonnaient l'insolence et les calomnies de Clodius, pour ne plus para�tre aux assembl�es tant que Clodius fut en charge, et, se tenant retir� dans sa maison, il s'occupait des moyens de calmer le ressentiment du s�nat et des meilleurs citoyens. Il rejeta le conseil que lui donnait Call�on de r�pudier Julie et de renoncer � l'amiti� de C�sar, pour s'attacher au s�nat ; mais il �couta ceux qui lui propos�rent de rappeler page 219 Cic�ron, l'ennemi le plus d�clar� de Clodius, et fort ami du s�nat. Il mena lui-m�me, accompagn� d'une troupe nombreuse, le fr�re de Cic�ron sur la place publique, pour faire au peuple la demande de son rappel. Il y eut encore � cette occasion un grand nombre de bless�s et quelques morts de part et d'autre; mais enfin Pomp�e l'emporta sur Clodius. LII. Cic�ron, rappel� par un d�cret du peuple, ne fut pas plut�t de retour � Rome, qu'il r�concilia Pomp�e avec le s�nat ; il fit passer la loi qui le chargeait de faire venir des bl�s en Italie, et le rendit, en quelque sorte, une seconde fois ma�tre de tout l'empire romain, et sur terre et sur mer. Cette loi mettait dans sa d�pendance tous les ports, tous les march�s, toutes les ventes de fruits, en un mot, tout le commerce maritime et tout le trafic des laboureurs. Clodius bl�mait cette loi ; il pr�tendait qu'elle n'avait pas �t� faite pour pourvoir � la disette des bl�s, mais qu'on avait fait expr�s la disette pour avoir un pr�texte de loi, afin que, par cette nouvelle commission, Pomp�e p�t ranimer sa puissance, qui commen�ait � languir, et � tomber, pour ainsi dire, en faiblesse. D'autres disent que ce fut une ruse du consul Spinther, qui, d�sirant d'�tre envoy� en Egypte au secours du roi Ptol�m�e, avait voulu comme renfermer Pomp�e dans un emploi plus important. Cependant le tribun Canidius proposa, par un autre d�cret, d'envoyer Pomp�e en Egypte sans troupes et avec deux licteurs seulement, pour remettre en paix le roi avec le peuple d'Alexandrie. Ce d�cret ne paraissait pas d�plaire � Pomp�e ; mais le s�nat le rejeta, sous le pr�texte honn�te qu'il craignait pour un si grand personnage. Cependant on trouvait souvent sur la place, et devant le lieu o� le s�nat s'assemblait, des billets qui portaient que Ptol�m�e lui-m�me demandait pour g�n�ral Pomp�e, au lieu de Spinther. Suivant Timag�ne, Ptol�m�e quitta l'Egypte sans n�cessit� et � l'instigation de Th�ophane, qui voulait procurer � Pomp�e des moyens de s'enrichir, et de nouveaux sujets de faire la guerre; mais la m�chancet� de Th�ophane ne saurait donner � ce conte page 220 autant de vraisemblance que le caract�re de Pomp�e le rend incroyable ; car jamais il ne fut m�chant et ne souilla son ambition par aucune bassesse. Charg� donc de la commission de procurer des bl�s � Rome, il envoya de tous c�t�s ses lieutenants et ses amis ; et, s'�tant embarqu� lui-m�me pour la Sicile, la Sardaigne et l'Afrique, il en fit des provisions consid�rables. Comme il allait se remettre en mer, il s'�leva un vent si imp�tueux, que les pilotes balan�aient � partir. Mais Pomp�e, montant le premier sur son vaisseau, ordonne qu'on l�ve les ancres et crie � haute voix : � Il est n�cessaire que je parte ; il ne l'est pas que je vive. � Son audace et son activit� trouv�rent la fortune favorable : arriv� en Italie, il remplit de bl� tous les march�s, et couvrit la mer de vaisseaux ; le superflu de ces provisions immenses suffit aux peuples voisins, et fut comme une source f�conde qui coula partout sans interruption. LIII. Dans ce m�me temps les guerres des Gaules augmentaient chaque jour la puissance de C�sar : plac� � un grand �loignement de Rome, il ne paraissait attach� qu'� combattre les Belges, les Su�ves et les Bretons; et cependant, sans qu'on s'en dout�t, il �tait au milieu du peuple, et conduisant avec la plus grande habilet� les principales affaires, il minait peu � peu le cr�dit de Pomp�e, s'incorporait en quelque sorte son arm�e, et l'employait moins pour faire la guerre aux barbares, qu'il ne se servait de ces combats comme de chasses militaires pour endurcir ses soldats, pour les rendre redoutables et invincibles : il envoyait � Rome tout l'or et l'argent, toutes les d�pouilles et les autres richesses qu'il prenait sur un si grand nombre d'ennemis, et il les faisait servir � corrompre ceux qui pouvaient lui �tre utiles ; les riches pr�sents qu'il faisait aux �diles, aux pr�teurs, aux consuls et � leur femmes, lui gagnaient un grand nombre de partisans ; aussi, lorsqu'il eut repass� les Alpes et qu'il vint hiverner � Lucques, il se rendit de Rome dans cette ville une foule innombrable d'hommes et de femmes, qui accouraient � l'envi : dans ce page 221 nombre il se trouva deux cents s�nateurs, en particulier Crassus et Pomp�e, et l'on voyait tous les jours � sa porte jusqu'� cent vingt faisceaux de proconsuls et de pr�teurs; il les renvoya tous combl�s de ses dons et remplis des plus belles esp�rances ; mais il fit avec Crassus et Pomp�e un trait� secret, qui portait que ces deux derniers demanderaient ensemble un second consulat ; que C�sar, pour appuyer leur brigue enverrait � Rome un grand nombre de ses soldats, qui donneraient leurs suffrages en leur faveur ; qu'aussit�t apr�s leur �lection, ils travailleraient � obtenir pour eux-m�mes des gouvernements de provinces, des commandements d'arm�e, et � faire continuer C�sar pour cinq ans dans ceux qu'il avait d�j�. D�s que ce trait� fut connu dans Rome, il excita parmi les principaux citoyens une telle indignation, que le consul Marcellinus, s'�tant lev� dans l'assembl�e du peuple, demanda � Crassus � et � Pomp�e s'ils brigueraient le consulat ; et le peuple leur ayant ordonn� de r�pondre, Pomp�e prit le premier la parole, et dit qu'il le briguerait peut �tre, et que peut-�tre aussi il ne le briguerait pas. Crassus, en politique plus habile, r�pondit qu'il ferait ce qui lui para�trait plus utile pour le bien public. Marcellinus donc, s'attachant � Pomp�e, lui parla avec un tel emportement, que Pomp�e lui reprocha d'�tre le plus injuste et le plus ingrat des hommes, d'avoir oubli� que c'�tait lui qui, de muet et d'affam� qu'il �tait, lui avait rendu la parole et lui avait donn� les moyens de se rassasier jusqu'� rendre gorge. LIV. Tous les autres pr�tendants au consulat s'�tant d�sist�s de leur poursuite, Lucius Domitius continua seul de le briguer, � la persuasion de Caton, qui, pour l'encourager � ne pas abandonner sa brigue, lui repr�senta que dans cette lutte il s'agissait moins du consulat que de la libert� publique, qu'il fallait d�tendre contre les tyrans. Les partisans de Pom page 222 p�e, redoutant la fermet� de Caton, et craignant qu'ayant d�j� le s�nat pour lui, il ne f�t changer la plus saine partie du peuple et ne l'entra�n�t dans son parti, r�solurent d'emp�cher que Domitius ne descend�t � la place publique pour solliciter les suffrages. Des gens arm�s qu'ils envoy�rent contre lui tu�rent l'esclave qui marchait devant son ma�tre avec un flambeau et oblig�rent les autres de prendre la fuite; Caton, bless� au bras droit en d�fendant Domitius, se retira le dernier. Parvenus au consulat par ces violences, Crassus et Pomp�e ne montr�rent pas plus de mod�ration dans le reste de leur conduite; et d'abord, voyant que le peuple, qui voulait �lever Caton � la pr�ture, commen�ait � lui donner les suffrages, Pomp�e rompit l'assembl�e, sous pr�texte qu'il avait eu quelque augure d�favorable (23) ; et, ayant ensuite corrompu les tribus � prix d'argent, ils port�rent � la pr�ture Antias et Vatinius, firent proposer, par le tribun du peuple Tr�bonius, les d�crets dont ils �taient convenus � Lucques: l'un continuait � C�sar pour cinq ans les gouvernements dont il �tait d�j� pourvu, un second donnait � Crassus la Syrie et la conduite de la guerre contre les Parthes ; le troisi�me attribuait � Pomp�e le gouvernement de toute l'Afrique et des deux Espagnes, avec quatre l�gions ; il en pr�ta deux � C�sar, qui les lui demanda pour la guerre des Gaules. Crassus, � la fin de son consulat, partit pour son gouvernement. Pomp�e resta dans Rome pour la d�dicace de son th��tre, et fit c�l�brer des jeux gymniques, des ch�urs de musique, et des combats d'animaux, o� il y eut jusqu'� cinq cents lions de tu�s, ils furent termin�s par un combat d'�l�phants, le plus terrible des spectacles. LV. Cette magnificence lui m�rita de nouveau l'admiration et la bienveillance du peuple ; mais bient�t il ne fut pas moins page 223 l'objet de son envie, quand on le vit abandonner � ceux de ses lieutenants qu'il ch�rissait le plus ses gouvernements et ses arm�es, et passer son temps � se promener avec sa femme dans ses plus belles maisons de plaisance, soit qu'il f�t toujours amoureux d'elle, soit qu'en �tant tendrement aim� il n'e�t pas la force de s'en s�parer, car on en donne cette derni�re raison. Il est vrai que l'amour de Julie pour Pomp�e �tait connu de tout le monde, non qu'il f�t d'�ge � �tre aim� si passionn�ment ; mais la tendresse de cette femme prenait sa source dans la sagesse de son mari, qui n'aimait point d'autre femme qu'elle, et dans sa gravit� naturelle, qui n'avait rien d'aust�re et �tait temp�r�e par une conversation remplie de gr�ce, propre surtout � s'insinuer dans l'esprit des femmes ; car on ne peut r�voquer en doute le t�moignage que lui rendait sur ce point la courtisane Flora. Un jour d'assembl�e pour l'�lection des �diles, on en vint aux mains ; plusieurs personnes furent tu�es aupr�s de Pomp�e, qui, �tant tout couvert de sang, fut oblig� de changer d'habit. Ses esclaves coururent rapporter chez lui ses v�tements souill�s de sang ; leur pr�cipitation ayant caus� du trouble et du tumulte dans la maison, Julie, qui �tait enceinte, s'�vanouit � la vue de cette robe ensanglant�e ; elle eut beaucoup de peine � reprendre ses sens ; et l'inqui�tude, la frayeur qu'elle avait eue, la firent avorter. Cet accident inspira tant d'int�r�t pour elle, que ceux qui condamnaient le plus l'attachement de Pomp�e pour C�sar ne pouvaient bl�mer sa tendresse pour sa femme. Elle devint grosse une seconde fois, et accoucha d'une fille ; mais elle mourut dans son travail, et l'enfant ne lui surv�cut que peu de jours. Pomp�e se disposait � la faire inhumer dans sa terre d'Albe, lorsque le peuple, usant de violence, emporta le corps au champ de Mars, moins pour faire plaisir � C�sar et � Pomp�e, que pour t�moigner la compassion que lui inspirait cette jeune femme ; et dans les honneurs qu'il lui rendait il paraissait en faire beaucoup plus pour C�sar absent, que pour Pomp�e, qui �tait alors � Rome. page 224 LVI. Mais cette mort fut bient�t suivie d'une agitation violente, qui excita la plus grande fermentation : l'alliance entre C�sar et Pomp�e, qui couvrait leur ambition plut�t qu'elle ne la r�primait, �tant rompue, on ne parlait dans la ville que de division et de rupture. Peu de temps apr�s, on apprit que Crassus avait �t� d�fait et tu� par les Parthes, et sa mort faisait tomber la plus forte barri�re qui rest�t encore contre la guerre civile. La crainte que C�sar et Pomp�e avaient de Crassus leur faisaient observer l'un envers l'autre jusqu'� un certain point les lois de la justice ; mais quand la fortune leur eut �t� cet athl�te, qui pouvait lutter contre celui des deux � qui la victoire serait rest�e, alors on put leur appliquer ces vers d'un po�te comique :
Je vois
ces deux rivaux pr�parer leurs combats : tant la fortune a peu de pouvoir sur la nature, dont elle ne saurait satisfaire les d�sirs ! car une si grande autorit�, une si vaste �tendue de pays, ne purent assouvir l'ambition de ces deux hommes, qui cependant avaient souvent lu et entendu dire :
Qu'en
trois parts l'univers divis� par les dieux Ils n'�taient que deux � partager l'empire romain, et ils ne croyaient pas qu'il p�t leur suffire. Cependant Pomp�e, en parlant du peuple, dit qu'il avait obtenu toutes les charges beaucoup plus t�t qu'il ne l'avait esp�r�, et qu'il les avait toujours quitt�es plus t�t qu'on ne s'y �tait attendu, Il avait en effet pour t�moins de cette v�rit� les arm�es qu'il avait toujours licenci�es de bonne heure ; mais alors, persuad� que C�sar ne cong�dierait pas la sienne, il voulut, sans rien innover, sans para�tre se d�fier de lui, mais plut�t le m�priser et n'en tenir aucun compte, il voulut, dis-je, se faire des principales dignit�s de la R�publique un rempart contre lui ; mais, quand il vit que les citoyens, corrompus � prix d'argent, ne page 225 distribuaient pas les magistratures selon ses d�sirs, il laissa r�gner l'anarchie dans la ville. LVII. D'abord on sema le bruit qu'il fallait nommer un dictateur ; le tribun Lucilius osa le premier en faire la proposition et conseiller au peuple d'�lire Pomp�e. Caton s'�leva contre le tribun avec tant de force, que ce magistrat fut en danger de perdre sa charge ; plusieurs amis de Pomp�e se pr�sent�rent pour le justifier, et assur�rent qu'il n'avait jamais ni demand� ni d�sir� la dictature. Caton donna de grands �loges � Pomp�e et lui demanda de veiller � la R�publique. Pomp�e alors eut honte de ne pas s'y pr�ter, et il veilla si bien, que Domitius et Messala furent nomm�s consuls (24); mais bient�t une nouvelle anarchie ayant fait proposer par plusieurs personnes, avec encore plus d'audace, l'�lection d'un dictateur, Caton, qui craignit d'�tre forc�, r�solut d'abandonner � Pomp�e une grande autorit�, mais limit�e par les lois, afin de s'�loigner d'une magistrature dont la puissance tyrannique ne connaissait point de bornes. Bibulus lui-m�me, tout ennemi qu'il �tait de Pomp�e, proposa le premier dans le s�nat de l'�lire seul consul. � Par l�, disait-il, la ville sortira de la confusion o� elle est, ou du moins elle sera dans la puissance de l'homme qui vaut le mieux. � Cet avis ayant paru fort extraordinaire de la part de Bibulus, Caton se leva ; et, comme on ne douta point que ce ne f�t pour le combattre, il se fit un grand silence : � Jamais, dit-il, je n'aurais ouvert l'avis que vous venez d'entendre, mais puisqu'un autre l'a fait, je crois que vous devez le suivre ; je pr�f�re � l'anarchie un magistrat, quel qu'il puisse �tre, et je ne connais personne de plus propre que Pomp�e � commander dans de si grands troubles. � Le s�nat suivit son opinion, et d�cr�ta que Pomp�e serait nomm� seul au consulat ; que s'il croyait avoir besoin d'un coll�gue, il le choisirait lui-m�me; mais que ce ne pourrait �tre avant deux mois. Pomp�e, d�clar� seul consul par Sulpicius, qui ce jour-l� faisait, pendant l'interr�gne, les page 226 fonctions de roi, alla embrasser Caton et lui donna les plus grands t�moignages d'amiti� ; il avoua qu'il ne devait qu'� lui l'honneur qu'il recevait, et le conjura de l'aider de ses conseils dans l'exercice de sa charge : Vous ne me devez aucune reconnaissance, lui r�pondit Caton ; en opinant, je n'ai rien dit par consid�ration pour vous, et je n'ai consult� que l'int�r�t de la R�publique. Je vous aiderai en particulier de mes conseils toutes les fois que vous me les demanderez ; si vous ne me les demandez pas, je dirai toujours publiquement ce que je penserai. � Tel �tait Caton dans toute sa conduite. LVIII. Pomp�e, �tant rentr� dans Rome, �pousa Corn�lie, fille de Metellus Scipion, et depuis peu veuve de Publius, fils de Crassus, � qui elle avait �t� mari�e fort jeune, et qui venait de p�rir chez les Parthes. Cette femme avait, outre sa beaut�, bien des moyens de plaire; elle �tait vers�e dans la litt�rature, jouait tr�s bien de la lyre, savait la g�om�trie et lisait avec fruit les ouvrages de philosophie : avec tant d'avantages, elle avait su se garantir de ces airs de fiert�, de ces mani�res d�daigneuses que donnent ordinairement aux jeunes femmes ces sortes de connaissance ; elle avait d'ailleurs un p�re irr�prochable dans sa naissance et dans sa r�putation. Cependant ce mariage ne fut presque approuv� de personne : les uns y bl�maient la disproportion de l'�ge : Corn�lie �tait assez jeune pour avoir �t� mari�e plus convenablement au fils de Pomp�e. Les plus honn�tes citoyens trouvaient que dans cette occasion il avait sacrifi� les int�r�ts de la R�publique, qui dans l'extr�mit� o� elle �tait r�duite l'avait choisi par son m�decin et s'en �tait rapport�e � lui seul de sa gu�rison : au lieu de r�pondre � cette confiance, on le voyait, couronn� de fleurs, faire des sacrifices et c�l�brer des noces, tandis qu'il aurait d� regarder comme une calamit� publique ce consulat qu'il n'aurait pas eu, contre les lois, seul et sans coll�gue, si Rome e�t �t� plus heureuse. LIX. Il s'occupa d'abord de faire proc�der contre ceux qui page 227 avaient achet� les suffrages pour parvenir aux charges, et fit des lois pour r�gler les jugements. Il mit dans tout le reste de sa conduite autant de dignit� que d'int�grit� ; et, en pr�sidant lui-m�me � ces jugements avec des gens arm�s, il y r�tablit l'ordre et la tranquillit�. Mais, Scipion, son beau-p�re, ayant �t� cit� en justice, Pomp�e fit venir chez lui les trois cent soixante juges, et les pria d'�tre favorables � l'accus�. L'accusateur, voyant Scipion reconduit par les juges, de la place publique jusqu'� sa maison, se d�sista de sa poursuite. Cette incons�quence fit tort � Pomp�e. Il fut encore plus bl�m� lorsque, au m�pris d'une loi qui d�fendait de louer les accus�s dans le cours de l'instruction du proc�s, et dont il �tait l'auteur, il se pr�senta lui-m�me pour faire l'�loge de Plancus. Caton, qui �tait au nombre des juges, se boucha les oreilles avec les deux mains, en disant qu'il ne convenait pas d'entendre louer un accus� contre la disposition des lois. On en prit pr�texte pour r�cuser Caton avant qu'il donn�t son avis ; mais, � la honte de Pomp�e, Plancus n'en fut pas moins condamn� par tous les autres juges. Peu de jours apr�s, Hypsaeus, homme consulaire, appel� de m�me devant les tribunaux, attendit Pomp�e au moment o� il sortait du bain pour aller se mettre � table ; et, se jetant � ses genoux, il implora sa protection. Pomp�e passa outre avec un air m�prisant, et lui dit, pour toute r�ponse, qu'il ne gagnait, en le retenant, que de faire g�ter son souper. Cette in�galit� de conduite fut g�n�ralement bl�m�e; il mit d'ailleurs dans tout le reste le plus grand ordre, et se donna, pour les cinq mois qui restaient de son consulat, son beau-p�re pour coll�gue. On lui continua ses gouvernements pour quatre autres ann�es, et on l'autorisa � prendre tous les ans dans le tr�sor public mille talents pour l'entretien et la solde des troupes. LX. Les amis de C�sar se pr�valurent de cet exemple pour demander qu'on e�t �gard � tous les combats qu'il livrait pour �tendre l'empire romain ; il m�ritait, disaient-ils, ou page 228 qu'on lui donn�t un second consulat, ou qu'on lui continu�t son gouvernement, afin qu'un successeur ne v�nt pas lui continuer son gouvernement, afin qu'un successeur ne v�nt pas lui enlever la gloire de tant de travaux, et que, commandant seul dans les lieux qu'il avait soumis, il jou�t en paix des honneurs que ses exploits lui avaient m�rit�s. Cette demande ayant donn� lieu � une grande discussion, Pomp�e, comme s'il e�t voulu, par amiti�, d�tourner l'envie qu'elle pouvait exciter contre C�sar, dit qu'il avait des lettres de lui par lesquelles il demandait qu'on lui donn�t un successeur, et qu'il f�t d�charg� de cette guerre; que, pour le consulat, il lui paraissait juste qu'on lui perm�t de le demander, quoique absent (25). Caton s'opposa avec force � cette proposition ; il exigea que C�sar, r�duit � l'�tat de simple particulier, apr�s avoir pos� les armes, v�nt en personne solliciter aupr�s de ses concitoyens la r�compense de ses services. Pomp�e n'insista plus ; et, comme vaincu par les raisons de Caton, il garda le silence, et fit soup�onner que ces dispositions pour C�sar n'�taient pas sinc�res. Il lui fit m�me redemander les deux l�gions qu'il lui avait pr�t�es, et all�gua la guerre des Parthes, dont il �tait charg�. C�sar, qui ne se m�prit point sur le motif de cette demande, les lui renvoya, combl�es de pr�sents. LXI. Bient�t apr�s, Pomp�e tomba dangereusement malade � Naples ; il gu�rit cependant ; et les Napolitains, par le conseil de Praxagoras, firent des sacrifices d'actions de gr�ces pour sa gu�rison. Les peuples voisins suivirent leur exemple, et ce z�le se communiqua tellement � toute l'Italie, qu'il n'y eut point de ville, petite ou grande, qui ne c�l�br�t des f�tes pendant plusieurs jours. Il n'y avait pas d'endroits assez spacieux pour contenir tous ceux qui venaient au-devant de lui : les grands chemins, les bourgs et les ports �taient pleins de gens qui faisaient des sacrifices et des banquets pour t�moi page 229 gner leur joie de son r�tablissement. Un grand nombre, couronn�s de fleurs, allaient le recevoir avec des flambeaux et l'accompagnaient en lui jetant des fleurs ; le cort�ge dont il �tait suivi dans sa marche offrait le spectacle le plus agr�able et le plus magnifique. Mais aussi ce ne fut pas une des moindres causes de la guerre civile. L'opinion pr�somptueuse qu'il con�ut de lui-m�me et l'extr�me joie qu'il ressentit de tous ces honneurs surmont�rent tous les raisonnements que la nature m�me des affaires devait lui sugg�rer : oubliant cette sage pr�voyance qui jusque-l� avait assur� ses prosp�rit�s et le succ�s de ses entreprises, il se laissa aller � une confiance audacieuse, � un m�pris insens� de la puissance de C�sar, jusqu'� croire qu'il n'avait besoin contre lui ni d'armes ni d'efforts, et qu'il le renverserait plus facilement qu'il ne l'avait �lev�. Il �tait dans ces dispositions lorsque Appius lui ramena de Gaule les troupes qu'il avait pr�t�es � C�sar. Cet officier affecta de rabaisser les exploits qui s'�taient faits dans cette contr�e et de r�pandre des bruits injurieux � C�sar. Il fallait, disait-il, que Pomp�e conn�t bien peu ses forces et sa r�putation pour vouloir se d�fendre contre C�sar avec d'autres troupes que celles qu'il avait ; il le vaincrait avec les l�gions m�mes de son ennemi, aussit�t qu'il para�trait, tant les soldats ha�ssaient C�sar et d�siraient de revoir Pomp�e ! Ces vains propos lui enfl�rent si fort le c�ur, et, en lui inspirant une confiance pr�somptueuse, le jet�rent dans une telle n�gligence, qu'il se moquait de ceux qui craignaient cette guerre : et quand on lui disait que si C�sar marchait contre Rome on ne voyait pas avec quelles troupes on pourrait lui r�sister, il r�pondait avec un air riant et un visage serein qu'il ne fallait pas s'en inqui�ter, qu'en quelque endroit de l'Italie qu'il frapp�t du pied, il en sortirait des l�gions. LXII. C�sar, de son c�t�, suivait ses propres affaires avec plus d'ardeur que jamais ; il s'approchait de l'Italie, et ne cessait d'envoyer des soldats � Rome pour se trouver aux �lections. Il corrompait secr�tement plusieurs des magistrats, entre page 230 autres Paulus, un des consuls, qu'il attira � son parti en lui donnant quinze cents talents ; Curion, tribun du peuple, dont il paya les dettes immenses, et Marc-Antoine, qui, ami intime de Curion, s'�tait rendu caution pour ses dettes. Un des capitaines que C�sar avait envoy�s � Rome, et qui se tenait � la porte du s�nat, ayant su que les s�nateurs lui refusaient la prolongation de son gouvernement, frappa de sa main sur la garde de son �p�e, en disant � Celle-ci la lui donnera. � C'�tait en effet le but vers lequel C�sar dirigeait toutes ses d�marches et tous ses pr�paratifs. Il est vrai que les propositions que Curion faisait pour lui paraissaient plus raisonnables et plus populaires : il demandait de deux choses l'une : ou que Pomp�e licenci�t ses troupes, ou que C�sar ret�nt les siennes. R�duits � l'�tat de simples particuliers, disait-il, ils en viendront � des conditions �quitables; o� s'ils restent arm�s, ils se contenteront de ce qu'ils poss�dent, et se tiendront tranquilles : affaiblir l'un par l'autre, ce serait doubler la puissance qu'on craint. Le consul Marcellus, en r�pondant � Curion, traita C�sar de brigand, et proposa, s'il ne voulait pas mettre bas les armes, de le d�clarer ennemi de la patrie ; mais Curion, soutenu par Antoine et par Pison, parvint � faire mettre � l'�preuve l'opinion du s�nat ; il ordonna que ceux qui voulaient que C�sar seul pos�t les armes et que Pomp�e ret�nt le commandement se missent tous du m�me c�t� ; ce fut le plus grand nombre. Il dit ensuite � ceux qui �taient d'avis qu'ils posassent tous deux les armes, et qu'aucun ne conserv�t son arm�e, de passer du m�me c�t� ; il n'y en eut que vingt-deux qui rest�rent fid�les � Pomp�e, tous les autres se rang�rent aupr�s de Curion, qui, fier de sa victoire et transport� de joie, courut � l'assembl�e du peuple, qui le re�ut avec de vifs applaudissements, et le couvrit de bouquets de fleurs et de couronnes. Pomp�e n'�tait pas alors au s�nat ; il n'est pas permis aux g�n�raux qui reviennent � la t�te de leurs arm�es d'entrer dans Rome ; mais Marcellus, s'�tant lev�, dit qu'il ne resterait pas tranquillement assis � �couter page 231 de vaines paroles, lorsqu'il voyait d�j� dix l�gions s'avancer du sommet des Alpes vers la ville ; qu'il allait envoyer contre elles un homme capable de les arr�ter et de d�fendre la patrie. LXIII. D�s ce moment on changea d'habit dans Rome, comme pour un deuil public. Et Marcellus, traversant la place, suivi de tout le s�nat, alla trouver Pomp�e, et s'arr�tant devant lui : � Pomp�e, lui dit-il, je vous ordonne de secourir la patrie, de vous servir pour cela des forces que vous avez d�j�, et d'en rassembler de nouvelles. � Lentulus, l'un des consuls d�sign�s pour l'ann�e suivante, lui fit la m�me d�claration. Pomp�e commen�a donc � faire des lev�es ; mais les uns refus�rent de donner leurs noms; d'autres, en petit nombre, y vinrent de mauvaise gr�ce, et la plupart demand�rent qu'on pr�t des voies de conciliation. Car Antoine, malgr� le s�nat, avait lu devant le peuple une lettre de C�sar, qui contenait des propositions tr�s propres � attirer la multitude dans son parti : il demandait que Pomp�e et lui, apr�s avoir quitt� leurs gouvernements et licenci� leurs troupes, se pr�sentassent devant le peuple pour y rendre compte de leurs actions. Lentulus, qui �tait d�j� dans l'exercice de sa charge, n'assemblait point le s�nat ; Cic�ron, nouvellement arriv� de la Cilicie, proposait pour accommodement que C�sar quitt�t la Gaule et licenci�t son arm�e, dont il ne conserverait que deux l�gions, avec le gouvernement de l'Illyrie, o� il attendrait son second consulat. Pomp�e ayant d�sapprouv� ce moyen de conciliation, les amis de C�sar consentirent � lui proposer de licencier une des deux l�gions ; mais Lentulus s'�tant encore oppos� � cette proposition, et Caton criant de son c�t� que Pomp�e faisait une grande faute en se laissant ainsi tromper, la n�gociation fut rompue. On apprit en m�me temps que C�sar s'�tait empar� d'Ariminium, ville consid�rable de l'Italie, et qu'il marchait droit � Rome avec toute son arm�e. Mais cette derni�re circonstance �tait fausse; il n'avait avec lui que trois cents chevaux et cinq mille hommes d'infanterie ; il �tait parti sans attendre le reste de ses troupes, qui �taient encore au-del� page 232 des Alpes, parce qu'il voulait tomber brusquement sur des gens troubl�s et qui ne l'attendaient pas, au lieu de leur donner le temps de revenir de leur frayeur, et d'avoir � les combattre bien pr�par�s. Arriv� sur les bords du Rubicon, qui faisait les limites de son gouvernement, il s'y arr�ta, plong� dans un profond silence ; et, r�fl�chissant en lui-m�me sur la grandeur et sur la t�m�rit� de son entreprise, il diff�ra quelque temps de passer ce fleuve. Mais enfin, comme ceux qui se pr�cipitent du haut d'un rocher dans un ab�me profond, il fit taire le raisonnement, et, s'�tourdissant sur le danger, il dit � haute voix, en langue grecque, � ceux qui l'environnaient : � Le sort en est jet� ! � et il fit passer le Rubicon � son arm�e. LXIV. Cette nouvelle, port�e � Rome, jeta toute la ville dans un �tonnement, un trouble et une frayeur dont il n'y avait pas encore eu d'exemple. A l'instant le s�nat en corps et tous les magistrats se rendirent pr�cipitamment aupr�s de Pomp�e. Tullus lui ayant demand� quelles forces et quelle arm�e il avait � sa disposition, Pomp�e, apr�s quelques moments de r�flexion, lui r�pondit d'un ton mal assur� qu'il avait de pr�tes les deux l�gions que C�sar lui avait renvoy�es, et que les nouvelles lev�es pourraient fournir promptement trente mille hommes. � Pomp�e, s'�cria Tullus, vous nous avez tromp�s : �et il conseilla d'envoyer des ambassadeurs � C�sar. Un certain Favonius, qui, sans �tre m�chant, croyait, par une audace obstin�e et souvent insultante, imiter la franchise de Caton, dit � Pomp�e de frapper du pied la terre pour en faire sortir les l�gions qu'il avait promises. Pomp�e souffrit avec douceur une raillerie si d�plac�e; et Caton lui ayant rappel� ce qu'il lui avait pr�dit d�s le commencement au sujet de C�sar : � Dans tout ce que vous m'en avez dit, lui r�pondit Pomp�e, vous avez mieux devin� que moi; dans tout ce que j'ai fait, je me suis plus conduit en ami. � Caton ouvrit l'avis de nommer Pomp�e g�n�ral, avec un pouvoir absolu, en disant que ceux qui font les grands maux sont aussi ceux qui savent mieux y apporter des rem�des. Pomp�e partit aussit�t pour la page 233 Sicile, dont le gouvernement lui �tait �chu par le sort, et tous les autres magistrats se rendirent de m�me dans les provinces qui leur avaient �t� assign�es. LXV. Cependant l'Italie �tait presque enti�rement soulev�e, et l'on �tait partout dans la plus grande perplexit�. Ceux qui se trouvaient absents de Rome y accouraient de toutes parts, tandis que ceux qui l'habitaient se h�taient d'en sortir, et d'abandonner une ville o�, dans une si grande temp�te, dans un trouble si violent, les citoyens bien intentionn�s �taient trop faibles, et ceux qui pouvaient nuire opposaient aux magistrats une force redoutable et difficile � r�duire. Il �tait m�me impossible de calmer la frayeur g�n�rale; et Pomp�e n'avait pas la libert� de suivre ses propres conseils pour rem�dier au d�sordre : chacun voulait lui inspirer la passion dont il �tait le plus affect�, soit de crainte, de tristesse, d'agitation ou d'inqui�tude: aussi prenait-il dans un m�me jour les r�solutions les plus contraires. Il ne pouvait rien savoir de certain sur les ennemis; on lui rapportait au hasard des choses oppos�es; et s'il refusait de les croire, on s'irritait contre lui. Enfin, apr�s avoir d�clar� que dans la confusion o� l'on �tait il ne pouvait rien r�soudre, il ordonna � tous les s�nateurs de les suivre, protesta qu'il regarderait comme partisans de C�sar tous ceux qui resteraient dans Rome, et en sortit lui-m�me sur le soir. Les consuls abandonn�rent aussi la ville, sans avoir fait aux dieux les sacrifices d'usage avant de partir pour la guerre. Ainsi, dans une telle circonstance il restait digne d'envie pour l'affection que tout le monde lui t�moignait. Si la plupart des Romains bl�maient cette guerre, personne ne ha�ssait le g�n�ral ; et il en vit un grand nombre le suivre, moins par amour pour la libert� que parce qu'ils ne pouvaient se r�soudre � l'abandonner lui-m�me. LXVI. Peu de jours apr�s, C�sar entra dans Rome, et, s'en �tant rendu ma�tre, il traita avec douceur ceux qui �taient rest�s, et les rassura. Seulement Metellus, un des tribuns, ayant voulu l'emp�cher de prendre de l'argent dans le tr�sor public, page 234 il le mena�a de la mort ; et � cette terrible menace il ajouta cette parole, plus terrible encore, qu'il lui �tait moins difficile de le faire que de le dire. Ayant ainsi �cart� Metellus, et pris tout l'argent dont il avait besoin, il se mit � la poursuite de Pomp�e, qu'il voulait �loigner promptement de l'Italie, avant que les troupes qu'il attendait d'Espagne fussent arriv�es. Pomp�e s'�tait empar� de Brindes ; et, apr�s avoir ramass� un grand nombre de vaisseaux, il embarqua les consuls avec trente cohortes, qu'il envoya devant lui � Dyrrachium. Il fit partir en m�me temps pour la Syrie Scipion son beau-p�re, et Cn�ius Pomp�ius, son fils, qu'il chargea de lui �quiper une flotte. Lui-m�me, apr�s avoir barricad� les portes de la ville, et plac� sur les murailles les soldats les plus agiles ; apr�s avoir ordonn� aux Brindisiens de se tenir tranquillement renferm�s dans leurs maisons, il fit couper toutes les rues par des tranch�es qu'il remplit de pieux pointus, et qu'il couvrit de claies ; il ne r�serva que deux rues, par lesquelles il se rendait au port. Au bout de trois jours, il eut paisiblement embarqu� le reste de ses troupes; alors, �levant tout � coup un signal aux soldats qui gardaient les murailles, ils accoururent promptement; il les prit dans ses vaisseaux, et traversa la mer. LXVII. D�s que C�sar vit les murailles d�sertes, il se douta de la fuite de Pomp�e, et, en se pressant de le suivre, il manqua d'aller s'enferrer dans les pieux qui bordaient les tranch�es que Pomp�e avait fait creuser dans les rues ; mais, averti par les Brindisiens, il �vita de passer dans la ville, et, ayant pris un d�tour pour aller au port, il trouva toute la flotte partie, � l'exception de deux vaisseaux mont�s de quelques soldats. On regarde cet embarquement comme un des meilleurs exp�dients dont Pomp�e p�t se servir ; mais C�sar s'�tonnait qu'ayant en son pouvoir une ville aussi forte que Rome, attendant des secours d'Espagne et �tant ma�tre de la mer, il e�t abandonn� et livr� l'Italie. Cic�ron m�me le bl�me d'avoir dans une situation d'affaires plus semblable � celle o� se trouvait P�ricl�s qu'� celle o� �tait Th�mistocle, imit� ce page 235 dernier plut�t que l'autre. C�sar lui-m�me fit voir, par sa conduite, combien il craignait les effets du temps ; car, ayant fait prisonnier Num�rius, un des amis de Pomp�e, il l'envoya � Brindes pour proposer un accommodement � des conditions raisonnables ; mais Num�rius s'embarqua avec Pomp�e. C�sar s'�tant ainsi rendu, en soixante jours, ma�tre de toute l'Italie sans verser une goutte de sang, voulait sur-le-champ se mettre � la poursuite de Pomp�e ; mais, faute de vaisseaux, il fut oblig� de changer de dessein, et prit aussit�t la route d'Espagne pour attirer � son parti les troupes qui servaient dans cette province. LXVIII. Cependant Pomp�e avait assembl� les forces les plus consid�rables ; sa flotte pouvait passer pour invincible ; elle �tait compos� de cinq cents vaisseaux de guerre, avec un plus grand nombre de brigantins et d'autres vaisseaux l�gers. Dans son arm�e de terre, la cavalerie �tait la fleur des chevaliers de Rome et de l'Italie ; il en avait sept mille, tous distingu�s par leur naissance et par leurs richesses, autant que par leur courage. Son infanterie, form�e de soldats ramass�s de toutes parts, avait besoin d'�tre disciplin�e : aussi l'exer�a-t-il sans rel�che pendant son s�jour � B�ro� ; lui-m�me, toujours en activit� et comme s'il e�t �t� dans la vigueur de l'�ge, faisait les m�mes exercices que ses soldats. C'�tait pour ses troupes un grand motif d'encouragement, que de voir le grand Pomp�e, � l'�ge de cinquante-huit ans, s'exercer � pied tout arm�, monter ensuite � cheval, tirer facilement son �p�e en courant � toute bride, et la remettre aussi ais�ment dans le fourreau, lancer le javelot, non seulement avec justesse, mais encore avec force et � une distance que la plupart des jeunes gens ne pouvaient passer. Il voyait arriver chaque jour � son camp les rois et les princes de nations voisines ; et le grand nombre de capitaines romains qui s'y rendaient de tous c�t�s pr�sentait l'image d'un s�nat complet : on y vit aussi arriver Labi�nus, qui avait abandonn� C�sar, dont il �tait l'ami intime et avec qui il avait fait la guerre des Gaules. Brutus, fils de page 236 celui qui avait �t� tu� dans la Gaule, homme d'un grand courage, qui jusqu'alors n'avait jamais voulu ni parler � Pomp�e ni m�me le saluer, parce qu'il le regardait comme le meurtrier de son p�re, ne voyant plus en lui que le d�fenseur de la libert� de Rome, alla se ranger sous ses �tendards. Cic�ron m�me, qui avait donn� de vive voix et par �crit des conseils tout oppos�s � ceux qu'on suivait, eut honte de n'�tre pas du nombre de ceux qui s'exposaient au danger pour la patrie. Tidius Sextilius, d�j� dans l'extr�me vieillesse et boiteux d'une jambe, alla joindre l'arm�e en Mac�doine ; les autres officiers en le voyant se mirent � rire et � le plaisanter ; Pomp�e ne l'eut pas plut�t aper�u, que, se levant de son si�ge, il courut au-devant de lui, regardant comme un t�moignage bien honorable � sa cause le concours de ces vieillards, qui, s'�levant au-dessus de leur �ge et de leurs forces, pr�f�raient � la s�ret� qu'ils auraient trouv�e ailleurs le danger qu'ils venaient courir aupr�s de lui ; mais quand le s�nat, sur la proposition de Caton, eut d�cr�t� qu'on ne ferait mourir aucun citoyen romain ailleurs que dans le combat et qu'on ne pillerait aucune des villes soumises � la R�publique, le parti de Pomp�e prit encore plus de faveur ; ceux que leur �loignement ou leur faiblesse faisait n�gliger, et qui par l� ne prenaient point de part � la guerre, le favorisaient par leurs d�sirs, et soutenaient, du moins par leurs discours, les int�r�ts de la justice ; ils regardaient comme ennemi des dieux et des hommes quiconque ne souhaitait pas la victoire � Pomp�e. LXIX. C�sar, de son c�t�, se montra doux et mod�r� dans ses succ�s. En Espagne, o� il vainquit et fit prisonni�re l'arm�e de Pomp�e, il renvoya les capitaines et retint les soldats. Repassant aussit�t les Alpes et traversant l'Italie, il arrive � Brindes vers le solstice d'hiver; il passa la mer et va d�barquer � Oricum, d'o� il envoie � Pomp�e Vibius, qu'il avait fait prisonnier et qui �tait ami de ce g�n�ral, pour lui demander une conf�rence, lui proposer de licencier, au bout de trois jours, toutes leurs troupes, de renouer leur ancienne liaison, page 237 et, apr�s l'avoir confirm�e par le serment, de retourner tous deux en Italie. Pomp�e, qui regarda ces propositions comme un nouveau pi�ge, se h�ta de descendre vers la mer, se saisit de tous les postes, de tous les lieux fortifi�s propres � loger une arm�e de terre, de tous les ports, de toutes les rades commodes pour les vaisseaux. Dans cette position, tous les vents le favorisaient pour faire venir ais�ment des vivres, des troupes et de l'argent. C�sar, au contraire, environn� de difficult�s et par terre et par mer, cherchait, par n�cessit�, tous les moyens de combattre. Chaque jour il attaquait Pomp�e dans ses retranchements, et le provoquait � une action d�cisive : il avait ordinairement l'avantage dans ces escarmouches ; mais dans une derni�re attaque il fut sur le point d'�tre enti�rement d�fait et de perdre toute son arm�e. Pomp�e combattit avec un tel courage, qu'il mit ses troupes en fuite et lui tua deux mille hommes, mais il ne put ou plut�t il n'osa pas le poursuivre et entrer avec les fuyards dans son camp. C�sar avoua � ses amis que ce jour-l� les ennemis avaient la victoire entre les mains si leur g�n�ral avait su vaincre. LXX. Ce premier avantage inspira tant de confiance aux troupes de Pomp�e, qu'elles voulurent terminer promptement la guerre par une action g�n�rale. Pomp�e lui-m�me �crivit aux rois, aux officiers et aux villes de son parti, comme s'il �tait d�j� vainqueur : il redoutait cependant l'issue d'une bataille, et penchait plut�t � miner par le temps et par les fatigues des hommes invincibles sous les armes, accoutum�s depuis longtemps � toujours vaincre, quand ils combattaient ensemble; mais qui, hors d'�tat par leur vieillesse de soutenir les autres travaux de la guerre, de faire de longues marches, de d�camper tous les jours de creuser des tranch�es, d'�lever des fortifications, devaient �tre press�s d'en venir aux mains, et de tout terminer par une bataille. Malgr� tous ces motifs, Pomp�e eut bien de la peine � persuader � ses troupes de se tenir tranquilles; mais lorsque C�sar, r�duit par le dernier combat � une disette extr�me, eut d�camp� pour gagner la Thessalie, page 238 par le pays des Athamanes, il ne fut plus possible � Pomp�e de contenir la fiert� de ses soldats; ils se mirent � crier que C�sar s'enfuyait et demand�rent, les uns qu'on se m�t � sa poursuite, les autres qu'on retourn�t en Italie ; quelques-uns m�me envoy�rent leurs amis ou leurs domestiques � Rome, pour y retenir les maisons les plus voisines de la place, dans l'espoir de briguer bient�t les charges. Plusieurs enfin firent voile vers Lesbos, o� Pomp�e avait fait passer Corn�lie, afin de lui apprendre que la guerre �tait termin�e. LXXI. Le s�nat s'�tant assembl� pour d�lib�rer sur ces diff�rentes propositions, Afranius ouvrit l'avis de regagner l'Italie, dont la possession �tait le plus grand prix de cette guerre, et entra�nerait celle de la Sicile, de la Sardaigne, de la Corse, de l'Espagne et de toutes les Gaules : ce qui devait, ajouta-t-il, toucher encore plus Pomp�e, c'�tait que, la patrie lui tendant de si pr�s les mains, il serait honteux de la laisser en proie aux esclaves et aux flatteurs des tyrans, qui l'accablaient d'outrages et la r�duisaient � la plus indigne servitude ; mais Pomp�e e�t cru fl�trir sa r�putation en fuyant une seconde fois, et s'exposant � �tre poursuivi par C�sar, quand la fortune lui donnait le moyen de le poursuivre ; d'un autre c�t�, il trouvait injuste d'abandonner Scipion et les autres personnages consulaires, qui, r�pandus dans la Gr�ce et dans la Thessalie, tomberaient aussit�t au pouvoir de C�sar, avec des tr�sors et des troupes consid�rables ; que le plus grand soin qu'on p�t prendre de Rome, c'�tait de combattre pour elle le plus loin de ses murs qu'il serait possible et de la pr�server des maux de la guerre, afin qu'�loign�e m�me du bruit des armes elle attend�t paisiblement le vainqueur. Son avis ayant pr�valu, il se mit � la poursuite de C�sar, r�solu d'�viter le combat, mais de le tenir assi�g�, de le ruiner par la disette, en s'attachant � le suivre de pr�s : outre qu'il regardait ce parti comme le plus utile, on lui avait rapport� que les chevaliers avaient dit entre eux qu'il fallait se d�faire promptement de C�sar, pour se d�barrasser tout de suite apr�s de page 239 Pomp�e. Ce fut m�me, dit-on, pour cela qu'il ne donna � Caton aucune commission importante; lorsqu'il marcha contre C�sar, il le laissa sur la c�te pour garder les bagages, craignant qu'apr�s que C�sar serait vaincu Caton ne le for��t lui-m�me � d�poser le commandement. LXXII. Quand on le vit ainsi poursuivre tranquillement les ennemis, on se plaignit hautement de lui, on l'accusa de faire la guerre, non � C�sar, mais � sa patrie et au s�nat, afin de se perp�tuer dans le commandement et d'avoir toujours aupr�s de lui pour satellites et pour gardes ceux qui devaient commander � l'univers entier. Domitius Enobarbus, en ne l'appelant jamais qu'Agamemnon et roi des rois, excitait contre lui l'envie. Favonius le blessait autant par ses plaisanteries que les autres par une trop grande libert�. � Mes amis, criait-il � tout moment, vous ne mangerez pas cette ann�e des figues de Tusculum. � Lucius Afranius, celui qui avait perdu les troupes d'Espagne et qui �tait accus� de trahison, voyant Pomp�e �viter le combat, s'�tonnait que ses accusateurs n'osassent pas se pr�senter, pour attaquer un homme qui trafiquait des provinces. Pomp�e, trop sensible � ces propos, domin� d'ailleurs par l'amour de la gloire et par une honte ridicule, qui le soumettait aux d�sirs de ses amis se laissa entra�ner par leurs esp�rances, et renon�a aux vues sages qu'il avait suivies jusqu'alors : faiblesse qui e�t �t� inexcusable dans un simple pilote, � plus forte raison dans un g�n�ral qui commandait � tant de nations et � de si grandes arm�es. Il louait ces m�decins qui n'accordent jamais rien aux d�sirs d�r�gl�s de leurs malades ; et lui-m�me c�dait � la partie la moins saine de ses partisans, par la crainte de leur d�plaire dans une occasion o� il s'agissait de leur vie. Peut-on regarder en effet comme des esprits sains des hommes, dont les uns, en se promenant dans le camp, songeaient � briguer les consulats et les pr�tures, dont les autres, tels que Spinther, Domitius et Scipion, disputaient entre eux avec chaleur, et cabalaient pour la charge de souverain pontife, dont C�sar �tait page 240 rev�tu ? On e�t dit qu'ils n'avaient � combattre que contre un Tigrane, roi d'Arm�nie, ou un roi des Nabat�ens, et non pas contre ce C�sar et contre cette arm�e qui avaient pris d'assaut un millier de villes, dompt� plus de trois cents nations, gagn� contre les Germains et les Gaulois, sans jamais avoir �t� vaincus, des batailles innombrables, fait un million de prisonniers, et tu� un pareil nombre d'ennemis en bataille rang�e. LXXIII. Peu touch�s de ces consid�rations, ils ne cessaient de presser et d'importuner Pomp�e : � peine descendus dans la plaine de Pharsale, ils le forc�rent d'assembler un conseil, dans lequel Labi�nus, commandant de la cavalerie, se levant le premier, jura qu'il ne cesserait de combattre qu'apr�s avoir mis les ennemis en fuite ; et ce serment fut r�p�t� par tous les autres. La nuit suivante, Pomp�e crut voir en songe qu'il �tait re�u au th��tre par le peuple avec de vifs applaudissements, et qu'il ornait de riches d�pouilles la chapelle de V�nus Nic�phore (26). Si cette vision le rassurait d'un c�t�, elle le troublait de l'autre, en lui faisant craindre que C�sar, qui rapportait son origine � V�nus, ne tir�t des d�pouilles de son rival plus d'�clat et de gloire. Dans ce moment, des terreurs paniques qui s'�lev�rent dans son camp l'�veill�rent en sursaut ; et le matin, comme on posait les gardes, on vit tout � coup sur le camp de C�sar, o� r�gnait la plus grande tranquillit�, s'�lever une vive lumi�re � laquelle s'alluma un flambeau ardent qui vint fondre sur le camp de Pomp�e. C�sar lui-m�me dit l'avoir vue en allant visiter ses gardes. A la pointe du jour, C�sar se disposait � porter son camp pr�s de Scoluse, et d�j� les soldats, levant leurs tentes, faisaient partir devant eux les valets et les b�tes de somme, lorsque ses coureurs vinrent lui rapporter qu'il avaient aper�u un grand mouvement d'armes dans le camp des ennemis ; que le bruit et le tumulte qu'on y entendait annon�aient les pr�paratifs d'un combat; bient�t apr�s il en arriva d'autres qui assur�rent que les premiers rangs s'�taient d�j� mis en bataille. page 241 LXXIV. A cette nouvelle, C�sar s'�cria qu'enfin arrivait ce jour attendu depuis si longtemps, o� ils allaient combattre non contre la faim et la disette, mais contre des hommes; il ordonne en m�me temps qu'on place devant sa tente une cotte d'armes de pourpre, signal ordinaire de la bataille chez les Romains. A peine les soldats l'on aper�ue, que, poussant des cris de joie, ils laissent leurs tentes et courent aux armes. Les officiers les conduisent aux postes qui leur �taient assign�s, et chacun prend sa place avec autant d'ordre et de tranquillit� que si l'on n'e�t arrang� qu'un ch�ur de trag�die. Pomp�e commandait l'aile droite, et avait Antoine en t�te. Le centre �tait occup� par son beau-p�re Scipion, qui se trouvait oppos� � Lucius Albinus : il pla�a Domitius � l'aile gauche, qu'il fortifia par la cavalerie ; car presque tous les chevaliers romains s'y �taient port�s, dans l'espoir de forcer C�sar et de tailler en pi�ces la dixi�me l�gion, qui �tait c�l�bre par sa valeur, et au milieu de laquelle C�sar avait coutume de combattre. Mais quand il vit la gauche des ennemis soutenue par une cavalerie si nombreuse, craignant pour ses soldats l'�clat �tincelant des armes des chevaliers de Pomp�e, il fit venir du corps de r�serve six cohortes qu'il pla�a derri�re la dixi�me l�gion avec ordre de se tenir tranquilles sans se montrer aux ennemis, et lorsque leur cavalerie commencerait la charge, leurs javelots, comme font ordinairement les plus braves qui sont press�s d'en venir � l'�p�e, de les porter droit � la visi�re du caque, et de frapper les ennemis aux yeux et au visage : � Car, leur disait-il, ces beaux danseurs si fleuris, jaloux de conserver leur jolie figure, ne soutiendront pas l'�clat du fer qui brillera de si pr�s � leurs yeux. � Telles furent les dispositions de C�sar. Pomp�e, de son c�t�, �tant mont� � cheval, consid�rait l'ordonnance des deux arm�es; et voyant que celle des ennemis attendait tranquillement le signal de l'attaque ; qu'au contraire la plus grande partie des siens, au lieu de rester immobiles dans leurs rangs, s'agitaient dans page 242 un grand d�sordre, faute d'exp�rience, il craignait que d�s le commencement de l'action ils ne rompissent leur ordonnance : il envoya donc � ses premiers rangs l'ordre de rester fermes dans leurs postes, de se tenir serr�s les uns contre les autres, et de soutenir ainsi le choc de l'ennemi. C�sar bl�me cette disposition; il pr�tend qu'elle affaiblit la vigueur que donne aux coups que portent les soldats l'imp�tuosit� de leur course; qu'elle �mousse cette ardeur d'o� naissent l'enthousiasme et la fureur guerri�re qui sont l'�me des combattants; que les chocs mutuels enflamment de plus en plus les courages, �chauff�s encore par la course et les cris. En leur �tant ces avantages, Pomp�e amortit et gla�a, pour ainsi dire, le c�ur de ses soldats. C�sar avait environ vingt-deux mille hommes, et Pomp�e un peu plus du double. LXXV. D�s que les trompettes eurent donn� de part et d'autre le signal du combat, chacun, dans cette grande multitude, ne songea qu'� ce qu'il avait � faire personnellement; mais un petit nombre des plus vertueux d'entre les Romains, et quelques Grecs qui se trouvaient sur les lieux, hors du champ de bataille, en voyant arriver l'instant d�cisif, se mirent � r�fl�chir sur la situation affreuse o� l'empire romain se trouvait r�duit par l'avarice et l'ambition de ces deux rivaux. C'�taient des deux c�t�s les m�mes armes, la m�me ordonnance de bataille, des enseignes semblables, la fleur des guerriers d'une m�me ville; enfin, une seule puissance qui, pr�te � se heurter elle-m�me, allait donner le plus terrible exemple de l'aveuglement et de la fureur dont la nature humaine est capable, quand la passion la ma�trise. Si, contents de jouir de leur gloire, ils avaient voulu commander au sein de la paix, n'auraient-ils pas eu, et sur terre et sur mer, la plus grande et la meilleure partie de l'univers soumise � leur autorit� ? ou s'ils voulaient satisfaire cet amour des troph�es et des triomphes, et en �tancher la soif, n'avaient-ils pas � dompter les Parthes et les Germains ? La Scythie et les Indes n'ouvraient-elles pas un vaste champ � leurs exploits ? N'avaient-ils pas un pr�texte page 243 honn�te de leur d�clarer la guerre, en couvrant leur ambition du dessein de civiliser ces nations barbares ? Et quelles richesses des Indiens, auraient pu soutenir l'effort de soixante-dix mille Romains arm�s, command�s par C�sar et Pomp�e, dont ces peuples avaient connu les noms avant celui des Romains ? tant ces deux g�n�raux avaient port� loin leurs victoires ! Tant ils avaient dompt� de nations sauvages et barbares ! Mais alors ils �taient sur le m�me champ de bataille pour combattre l'un contre l'autre, sans �tre touch�s du danger de leur gloire, � laquelle ils sacrifiaient jusqu'� leur patrie, et qu'ils allaient d�shonorer l'un ou l'autre en perdant le titre d'invincible; car l'alliance qu'ils avaient contract�e, les charmes de Julie et son mariage, avaient �t� plut�t les otages suspects et trompeurs d'une soci�t� dict�e par l'int�r�t, que les liens d'une amiti� v�ritable. LXXVI. D�s que la plaine de Pharsale fut couverte d'hommes, d'armes et de chevaux, et que dans les deux arm�es on eut donn� le signal de la charge, on vit courir le premier � l'ennemi, du c�t� de C�sar, Ca�us Crassianus, qui, � la t�te d'une compagnie de cent vingt hommes, se montrait jaloux de tenir tout ce qu'il avait promis � son g�n�ral. C�sar l'avait rencontr� le premier en sortant du camp; et, l'ayant salu� par son nom, il lui demanda ce qu'il pensait de la bataille. Crassianus lui tendant la main : � C�sar, lui dit-il, vous la gagnerez avec gloire, et vous me louerez aujourd'hui mort ou vif. � Il se souvenait de cette parole; et, s'�lan�ant le premier hors des rangs, il entra�ne avec lui plusieurs de ses camarades, et se pr�cipite au milieu des ennemis. On en vint l� tout de suite aux �p�es, et le combat y fut sanglant. Crassianus poussait toujours en avant, et faisait main basse sur tous ceux qui lui r�sistaient; mais enfin un soldat ennemi, l'attendant de pied ferme, lui enfonce son �p�e dans la bouche avec tant de force, que la pointe sortit par la nuque du cou. Crassianus tomba mort; mais le combat se soutint en cet endroit avec un �gal page 244 avantage. Pomp�e, au lieu de faire charger promptement son aile droite, jetait les yeux de c�t� et d'autre pour voir ce que ferait sa cavalerie, et par l� perdit un temps pr�cieux. D�j� cette cavalerie �tendait ses escadrons afin d'envelopper C�sar, et de repousser sur son infanterie le peu de gens de cheval qu'il avait. Mais C�sar ayant �lev� le signal dont il �tait convenu, ses cavaliers s'ouvrent, et les cohortes qu'il avait cach�es derri�re sa dixi�me l�gion, au nombre de trois mille hommes, courent au-devant de la cavalerie de Pomp�e pour l'emp�cher de les tourner, la joignent de pr�s et, dressant la pointe de leurs javelots, suivant l'ordre qu'ils en avaient re�u, ils portent leurs coups au visage. Ces jeunes gens, qui ne s'�taient jamais trouv�s � aucun combat et qui s'attendaient encore moins � ce genre d'escrime, dont ils n'avaient pas m�me l'id�e, n'eurent pas le courage de soutenir les coups qu'on leur portait aux yeux : ils d�tourn�rent la t�te, se couvrirent le visage avec les mains, et prirent honteusement la fuite. Les soldats de C�sar ne daign�rent pas m�me les poursuivre, et coururent charger l'infanterie de cette aile, qui, d�nu�e de sa cavalerie, �tait facile � envelopper; ils la prirent en flanc, pendant que la dixi�me l�gion la chargeait de front. Elle ne soutint pas longtemps ce double choc; et se voyant elle-m�me envelopp�e, au lieu de tourner les ennemis, comme elle l'avait esp�r�, elle abandonna le champ de bataille. Pomp�e, voyant la poussi�re que cette fuite faisait �lever, se douta de ce qui �tait arriv� � sa cavalerie. Il n'est pas facile de conjecturer quelle fut sa pens�e dans ce moment; mais il eut l'air d'un homme frapp� tout � coup de vertige, et qui a perdu le sens : oubliant qu'il �tait le grand Pomp�e, il se retira � petits pas dans son camp, sans rien dire � personne; parfaitement semblable � Ajax, de qui Hom�re dit :
Mais dans
ce m�me instant le souverain des dieux
Et, de son bouclier couvrant son large dos, LXXVII. Pomp�e entra de m�me dans sa tente, et s'y assit en silence, jusqu'� ce que les ennemis, qui poursuivaient les fuyards, �tant arriv�s � ses retranchements, il s'�cri�t : � Quoi ! jusque dans mon camp ? � et, sans ajouter un mot de plus, il se leva, prit une robe convenable � sa fortune pr�sente, et sortit sans �tre vu de personne. Ses autres l�gions ayant aussi pris la fuite, les ennemis s'empar�rent du camp, o� ils firent un grand carnage des valets et des soldats qui �taient rest�s pour le garder. Car de ceux qui combattirent, il n'y en eut, au rapport d'Asinius Pollion, qui �tait � cette bataille dans l'arm�e de C�sar, que six mille de tu�s. Apr�s que le camp eut �t� forc�, on vit jusqu'� quel point les ennemis avaient port� la folie et la l�g�ret� : toutes les tentes �taient couronn�es de myrtes, les lits couverts d'�toffes pr�cieuses, les tables charg�es de vaisselle d'argent et d'urnes pleines de vin; tout annon�ait l'appareil d'une f�te et les dispositions d'un sacrifice, plut�t que les pr�paratifs d'un combat : tant, en partant pour l'arm�e, ils avaient �t� s�duits par les plus vaines esp�rances et remplis d'une folle t�m�rit� ! Quand Pomp�e, qui n'avait avec lui que tr�s peu de personnes, se fut un peu �loign� du camp, il quitta son cheval ; et, ne se voyant pas poursuivi, il marcha lentement, tout entier aux r�flexions qui devaient naturellement occuper un homme accoutum� depuis trente-quatre ans � tout subjuguer, et qui, dans sa vieillesse, faisait la premi�re exp�rience de la d�route de la fuite. Il se demandait � lui-m�me comment une gloire et une puissance qui s'�taient toujours accrues par tant de combats et de victoires avaient pu s'�vanouir en une heure : comment, apr�s s'�tre vu nagu�re environn� de tant de milliers de gens de pied et de cavaliers, et escort� de flottes nombreuses, il �tait maintenant si faible, et r�duit � un �quipage si simple, que les ennemis m�mes qui le cherchaient ne pouvaient le reconna�tre. Il passa la ville de Larisse sans s'y arr�ter, et entra dans la vall�e de Temp�, o�, page 246 press� par la soif, il se jeta le visage contre terre et but dans la rivi�re. Apr�s s'�tre relev�, il traversa la vall�e, et se rendit au bord de la mer. Il passa la nuit dans une cabane de p�cheur; et d�s le point du jour, montant dans un bateau de rivi�re avec les personnes de condition libre qui l'avaient accompagn�, il ordonna aux esclaves de se rendre aupr�s de C�sar et de ne rien craindre. LXXVIII. Il c�toyait le rivage, lorsqu'il aper�ut un grand vaisseau de charge pr�t � lever l'ancre : il avait pour patron un Romain qui n'avait jamais eu de rapport avec Pomp�e et qui ne le connaissait que de vue; il s'appelait P�ticius. La nuit pr�c�dente, Pomp�e lui avait apparu en songe, non tel qu'il l'avait souvent vu, mais s'entretenant avec lui dans un �tat d'humiliation et d'abattement. P�ticius, comme il est d'ordinaire � des gens d�s�uvr�s quand ils ont eu des songes sur quelques objets importants, racontait le sien aux passagers, et tout � coup un des matelots lui dit qu'il apercevait un bateau de rivi�re qui venait � eux en for�ant de rames, et des hommes qui faisaient signe avec leurs robes en leur tendant les mains. P�ticius s'�tant lev� reconnut d'abord Pomp�e tels qu'il l'avait vu en songe, et, se frappant la t�te de douleur, il ordonna aux matelots de descendre l'esquif. En m�me temps il tendit la main � Pomp�e, en l'appelant par son nom, et conjectura, par l'�tat dans lequel il le voyait, le changement de sa fortune. Aussi, sans attendre de sa part ni pri�re ni discours, le re�ut-il dans son vaisseau, et avec lui tous ceux que voulut Pomp�e, entre autres les deux Lentulus et Favonius. Il mit aussit�t � la voile. Peu de temps apr�s ils virent sur le rivage le roi D�jotarus, qui faisait des signes pour �tre aper�u d'eux; et ils le re�urent dans leur vaisseau. Quand l'heure du repas fut venue, le patron lui-m�me l'appr�ta avec les provisions qu'il avait ; et Favonius, voyant que Pomp�e, faute de domestiques, �tait lui-m�me ses habits pour se baigner, courut � lui, le d�shabilla, le mit dans le bain et le frotta d'huile. Depuis ce moment il ne cessa d'en avoir soin et de lui rendre page 247 tous les services qu'un esclave rend � son ma�tre, jusqu'� lui laver les pieds et lui pr�parer ses repas. Quelqu'un, voyant avec quelle noblesse et quelle simplicit� �loign�e de toute affectation il s'acquittait de ce service, s'�cria : Grands dieux ! comme tout sied aux �mes g�n�reuses ! LXXIX. Pomp�e, ayant pass� devant Amphipolis, fit voile de l� vers Mytil�ne, pour y prendre Corn�lie et son fils. Lorsqu'il eut jet� l'ancre devant l'�le, il envoya � la ville un courrier, non tel que Corn�lie l'attendait, apr�s les nouvelles agr�ables qui lui avaient �t� annonc�es de vive voix et par �crit, et qui lui faisaient esp�rer que, la victoire de Dyrrachium ayant termin� la guerre, Pomp�e n'aurait plus eu qu'� poursuivre C�sar. Le courrier, la trouvant toute pleine de cette esp�rance, n'eut pas la force de la saluer; mais, lui faisant conna�tre l'exc�s de ses malheurs plus par ses larmes que par ses paroles, il lui dit de se h�ter si elle voulait voir Pomp�e sur un seul vaisseau, qui m�me ne lui appartenait pas. A cette nouvelle, Corn�lie se jette � terre et y reste longtemps, l'esprit �gar�, sans prof�rer une seule parole. Revenue � elle-m�me avec peine, et sentant que ce n'�tait pas le moment des g�missements et des larmes, elle traverse la ville et court au rivage. Pomp�e alla au-devant d'elle et la re�ut dans ses bras pr�s de s'�vanouir. � O mon �poux ! lui dit-elle, ce n'est pas ta mauvaise fortune, c'est la mienne qui t'a r�duit � une seule barque; toi qui, avant d'�pouser Corn�lie, voguais sur cette mer avec cinq cents voiles ! Pourquoi venir me chercher ? Que ne m'abandonnais-tu � ce funeste destin qui seul attire sur toi tant de calamit�s ? Quel bonheur pour moi, si j'avais pu mourir avant que d'apprendre la mort de Publius Crassus, mon premier mari, qui a p�ri par la main des Parthes ! ou que j'aurais �t� sage, si, apr�s sa mort, j'avais quitt� la vie, comme j'en avais d'abord eu le dessein ! Je ne l'ai donc conserv�e que pour faire le malheur page 248 du grand Pomp�e ! �Telles furent, dit-on, les paroles de Corn�lie � son mari : � Corn�lie, lui r�pondit Pomp�e, tu n'avais connu encore que les faveurs de la fortune : et c'est sans doute leur dur�e au-del� du terme ordinaire qui fait aujourd'hui ton erreur. Mais, puisque nous sommes n�s mortels, il faut savoir supporter les disgr�ces et tenter encore la fortune : ne d�sesp�rons pas de revenir de mon �tat pr�sent � ma grandeur pass�e, comme de ma grandeur je suis tomb� dans l'�tat o� tu me vois. � LXXX. Corn�lie fit venir de Mytil�ne ses domestiques et ses effets les plus pr�cieux; les Mytil�niens vinrent saluer Pomp�e, et le pri�rent d'entrer dans leur ville; mais il le refusa, et leur dit de se soumettre au vainqueur avec confiance : � Car, ajouta-t-il, C�sar est bon et cl�ment. � Se tournant ensuite vers le philosophe Cratippe, qui �tait descendu de Mytil�ne pour le voir, il se plaignit de la Providence divine, et t�moigna quelques doutes sur son existence. Cratippe pouvait r�pondre en lui montrant que, dans le d�sordre o� la R�publique �tait tomb�e, elle avait besoin d'un gouvernement monarchique. Il aurait pu lui dire encore : � Comment et � quelle marque pourrions-nous croire, Pomp�e, que si la victoire s'�tait d�clar�e en votre faveur, vous auriez us� mieux que C�sar de votre fortune ? � Mais laissons l� ces questions, comme toutes celles qui regardent les dieux. LXXXI. Pomp�e, ayant pris sur son vaisseau sa femme et ses amis, continua sa route sans s'arr�ter ailleurs que dans les ports, quand le besoin de faire de l'eau et de prendre des vivres le for�ait de rel�cher. La premi�re ville o� il descendit fut Attalie, dans la Pamphylie. Il y arriva quelques gal�res qui venaient de Cilicie, et il parvint � rassembler quelques troupes; il eut m�me bient�t aupr�s de lui jusqu'� soixante page 249 s�nateurs; et, ayant appris que sa flotte n'avait re�u aucun �chec, que Caton, apr�s avoir recueilli un grand nombre de soldats de la d�route de Pharsale, �tait pass� en Afrique, il se plaignit � ses amis et se fit � lui-m�me les plus vifs reproches de s'�tre laiss� forcer � combattre avec sa seule arm�e de terre, sans employer ses troupes de mer, qui faisaient ses principales forces; ou du moins de ne s'�tre pas fait comme un rempart de sa flotte, qui, en cas d'une d�faite sur terre, lui aurait fourni une autre arm�e si puissante, si capable de r�sister � l'ennemi. Il est vrai que la plus grande faute de Pomp�e, comme la ruse la plus habile de C�sar, fut d'avoir plac� le lieu du combat aussi loin du secours que Pomp�e pouvait tirer de sa flotte. Cependant celui-ci, forc� de tenter quelque entreprise avec les faibles ressources qui lui restaient, envoya ses amis dans quelques villes, alla lui-m�me dans d'autres pour demander de l'argent et �quiper des vaisseaux; mais, craignant qu'un ennemi aussi prompt et aussi actif que C�sar ne vint subitement lui enlever tous les pr�paratifs qu'il aurait pu faire, il examinait quelle retraite, quel asile il pouvait esp�rer dans sa fortune pr�sente. LXXXII. Apr�s en avoir d�lib�r� avec ses amis, il ne vit aucune province de l'empire o� il p�t se retirer en s�ret�. Entre les royaumes �trangers, il ne voyait que celui des Parthes qui pour le moment f�t le plus propre � les recevoir, � prot�ger d'abord leur faiblesse, ensuite � les remette en pied et � les renvoyer avec des forces consid�rables. La plupart de ses amis penchaient pour l'Afrique et pour le roi Juba; mais Th�ophane de Lesbos repr�senta que ce serait la plus grande folie de laisser l� l'Egypte, qui n'�tait qu'� trois journ�es de navigation, dont, � la v�rit�, le roi Ptol�m�e sortait � peine de l'enfance, mais devait � Pomp�e tant de connaissance pour les services et les t�moignages d'amiti� que son p�re en avait re�us, et d'aller se jeter entre les mains des Parthes, la plus perfide de toutes les nations : � Serait-il raisonnable, ajouta-t-il, que Pomp�e, qui refuse d'�tre le se- page 250 cond apr�s un Romain dont il a �t� le gendre pour �tre le premier de tous les autres, qui ne veut pas faire l'�preuve de la mod�ration de C�sar, all�t livrer sa personne � un Arsace, qui n'a jamais pu avoir en sa puissance Crassus vivant ? M�nerait-il une jeune femme du sang des Scipions au milieu de ces Barbares, qui ne mesurent leur pouvoir que sur la licence qu'ils prennent d'assouvir leurs passions brutales ? Et quand elle ne devrait recevoir aucun outrage, ne serait-il pas indigne d'elle d'�tre seulement expos�e au soup�on d'en avoir souffert, par cela seul qu'elle aurait �t� avec des hommes capables de le faire ? � Cette derni�re raison fut, dit-on, la seule qui d�tourn�t Pomp�e de prendre le chemin de l'Euphrate, si toutefois ce fut la r�flexion de Pomp�e, et non pas son mauvais g�nie, qui lui fit prendre l'autre route, l'avis de se retirer en Egypte. Il apprit que Ptol�m�e �tait � P�luse avec son arm�e, et qu'il faisait la guerre � sa s�ur : il se mit en chemin pour s'y rendre et se fit pr�c�der par un de ses amis, charg� d'informer le roi de son arriv�e et de lui demander un asile dans ses Etats. LXXXIII. Ptol�m�e �tait extr�mement jeune; mais Pothin, qui exer�ait sous son nom toute l'autorit�, assembla sur-le-champ un conseil des principaux courtisans, qui tous n'avaient d'autre pouvoir que celui qu'il voulait bien leur communiquer, et leur ordonna de dire chacun son avis. Il �tait d�j� bien humiliant pour le grand Pomp�e que son sort d�pend�t de la d�lib�ration d'un Pothin, valet de chambre du roi; d'un Th�odote de Chio, gag� par le prince pur lui enseigner la rh�torique, et de l'Egyptien Achillas; car ces trois hommes, pris entre les valets de chambre du roi et parmi ceux qui l'avaient �lev�, �taient ses principaux ministres : voil� le conseil dont Pomp�e, arr�t� � l'ancre et loin du rivage, attendait la d�- page 251 cision, lui qui n'avait pas cru qu'il f�t de sa dignit� de devoir sa vie � C�sar. Les opinions furent tellement oppos�es, que les uns voulaient qu'on renvoy�t Pomp�e, les autres qu'on le re��t; mais Th�odote, pour faire parade de son art de rh�teur, soutint qu'il n'y avait de s�ret� dans aucun de ces deux avis; que recevoir Pomp�e, c'�tait se donner C�sar pour ennemi et Pomp�e pour ma�tre; que si on le renvoyait, il pourrait les faire repentir un jour de l'avoir chass�, et C�sar de l'avoir oblig� de le poursuivre : le meilleur parti �tait donc de le recevoir et de le faire p�rir; par l� ils obligeraient C�sar, sans avoir � craindre Pomp�e : � Car, ajouta-t-il en souriant, un mort ne mord pas. � LXXXIV. Tout le conseil adopta cet avis; et Achillas, ayant �t� charg� de l'ex�cution, prit avec lui deux Romains, nomm�s Septimius et Salvius, qui avaient �t� autrefois l'un chef de bande, et l'autre centurion sous Pomp�e, y joignit trois ou quatre esclaves et se rendit avec cette suite � la gal�re de Pomp�e, o� les principaux d'entre ceux qui l'avaient accompagn� s'�taient rassembl�s pour voir quel serait le succ�s de son message. Lorsqu'au lieu d'une r�ception magnifique et digne d'un roi, telle que Th�ophane en avait donn� l'esp�rance, ils ne virent que ce petit nombre d'hommes qui venaient dans un bateau de p�cheur, ce m�pris affect� leur parut suspect, et ils conseill�rent � Pomp�e de gagner le large, pendant qu'ils �taient encore hors de la port�e du trait. Cependant le bateau s'�tant approch�, Septimius se leva le premier, et, saluant Pomp�e en sa langue, il lui donna le titre d'imperator. Achillas, l'ayant salu� en langue grecque, l'invita � passer dans sa barque, parce que la c�te �tait trop vaseuse, et que la mer, h�riss�e de bancs de sable, n'avait pas de profondeur pour sa gal�re. On voyait en m�me temps armer des vaisseaux du roi et des soldats se r�pandre sur le rivage; ainsi la fuite devenait impossible � Pomp�e, quand m�me il aurait chang� d'avis; d'ailleurs, montrer de la d�fiance, c'�tait fournir aux assassins l'excuse de leur crime. Apr�s avoir emb- page 252 rass� Corn�lie, qui pleurait d�j� sa mort, il ordonna � deux centurions de sa suite, � Philippe, un de ses affranchis, et � un de ses esclaves, nomm� Scyth�s, de monter les premiers dans la barque; et, voyant Achillas lui tendre la main de dessus le bateau, il se retourna vers sa femme et son fils, et leur dit ces vers de Sophocle :
Dans la
cour d'un tyran quiconque s'est jet�, Ce furent les derni�res paroles qu'il dit aux siens, et il passa dans la barque. LXXXV. Il y avait loin de sa gal�re au rivage ; et comme, dans le trajet, aucun de ceux qui �taient avec lui dans la barque ne lui disait un mot d'honn�tet�, il jeta les yeux sur Septimius : � Mon ami, lui dit-il, me tromp�-je, ou n'as-tu pas fait autrefois la guerre avec moi ? � Septimius lui r�pondit affirmativement par un signe de t�te, sans lui dire une parole, sans lui montrer aucun int�r�t. Il se fait de nouveau un profond silence; et Pomp�e, prenant des tablettes o� il avait �crit un discours grec qu'il devait adresser � Ptol�m�e, se mit � le lire. Lorsqu'ils furent pr�s du rivage, Corn�lie, en proie aux plus vives inqui�tudes, regardait avec ses amis de dessus la gal�re ce qui allait arriver; elle commen�ait � se rassurer, en voyant plusieurs officiers du roi venir au d�barquement de Pomp�e, comme pour lui faire honneur. Mais dans le moment o� il prenait la main de Philippe son affranchi, pour se lever plus facilement, Septimius lui passa le premier, par derri�re, son �p�e au travers du corps, et aussit�t Salvius et Achillas tir�rent leurs �p�es. Pomp�e, prenant sa robe avec ses deux mains, s'en couvrit le visage, et sans rien dire ni rien faire d'indigne de lui, jetant un simple soupir, il re�ut avec courage tous les coups dont on le frappa. Il �tait �g� de cinquante-neuf ans et fut tu� le lendemain du jour de sa naissance. A la vue de cet assassinat, ceux qui �taient dans la gal�re de Corn�lie et dans les deux autres navires pouss�rent des cris affreux qui page 253 retentirent jusqu'au rivage; et, levant les ancres, ils prirent pr�cipitamment la fuite, pouss�s par un vent fort qui les prit en poupe; les �gyptiens, qui se disposaient � les poursuivre, renonc�rent � leur dessein. Les assassins coup�rent la t�te � Pomp�e, et jet�rent hors de la barque le corps tout nu, qu'ils laiss�rent expos� aux regards de ceux qui voulurent se repa�tre de ce spectacle. LXXXVI. Apr�s qu'ils s'en furent rassasi�s, Philippe, qui ne l'avait point quitt�, lava le corps dans l'eau de mer, l'enveloppa, faute de v�tement, de se propre tunique, et ramassa sur le rivage quelques d�bris d'un bateau de p�cheur, presque pourris de v�tust�, mais qui suffirent pour composer un b�cher � un corps nu qui n'�tait pas m�me entier. Pendant qu'il rassemblait ces restes pour les porter sur le b�cher, un Romain, d�j� vieux, qui dans sa jeunesse avait fait ses premi�res campagnes sous Pomp�e, s'approcha de lui : � Qui es-tu, mon ami, lui dit-il, toi qui te disposes � faire les obs�ques du grand Pomp�e ? � Philippe lui ayant r�pondu qu'il �tait son affranchi : � Tu n'auras pas seul cet honneur, reprit le vieillard; conduit ici par un hasard favorable, je m'associerai � cette pieuse c�r�monie. Je n'aurai pas � me plaindre en tout de mon s�jour dans une terre �trang�re, puisque, apr�s tant de malheurs, j'�prouve la consolation de toucher et d'enterrer le corps du plus grand capitaine que les Romains aient eu. � Voil� les fun�railles qu'on fit � Pomp�e. Le lendemain, Lucius Lentulus, qui ignorait ce qui s'�tait pass� et qui, venant de Chypre, longeait la c�te d'�gypte, vit le feu du b�cher, et tout aupr�s Philippe, qu'il ne reconnut pas. � Quel est celui, dit-il en lui-m�me, qui est venu terminer ici sa destin�e et s'y reposer de ses travaux ? � Un moment apr�s, jetant un profond soupir : � H�las ! dit-il, c'est peut-�tre toi, grand Pomp�e ! � Lentulus, ayant d�barqu� bient�t apr�s, fut pris et tu�. Ainsi finit le grand Pomp�e. LXXXVII. C�sar ne fut pas longtemps sans se rendre en �gypte, et trouva ce royaume agit� des plus grands troubles; page 254 quand il vit la t�te de Pomp�e, il ne put soutenir la vue du sc�l�rat qui la lui pr�sentait et se d�tourna avec horreur. On lui remit son cachet, qu'il re�ut en pleurant : il avait pour empreinte un lion qui tient une �p�e. Il fit mettre � mort Achillas et Pothin : le roi Ptol�m�e, d�fait dans un combat pr�s du Nil, disparu et ne fut pas retrouv� depuis. Th�odote le Sophiste se d�roba � la vengeance de C�sar : ayant trouv� moyen de s'enfuir d'�gypte, il fut longtemps errant, r�duit � la derni�re mis�re et d�test� de tout le monde. Mais, dans la suite, Marcus Brutus, apr�s avoir tu� C�sar et s'�tre rendu le ma�tre en Asie, y d�couvrit Th�odote et le fit expirer au milieu des tourments les plus cruels. Les cendres de Pomp�e furent port�es � Corn�lie, qui les d�posa dans un tombeau � sa maison d'Albe. PARALL�LE D�AG�SILAS ET DE POMP�E
page 255 pas moins fait pour Sylla que Sylla n�avait fait pour Pomp�e; au lieu que Lysandre avait mis Ag�silas sur le tr�ne de Sparte et lui avait procur� le commandement de toute la Gr�ce. La troisi�me diff�rence, c'est que Pomp�e ne commit d'injustice dans le gouvernement que par une suite des alliances qu'il avait contract�es; il ne le fit le plus souvent que pour les int�r�ts de ses beaux-p�res Scipion et C�sar. Ag�silas, en sauvant Sphodrias qui m�ritait la mort pour son entreprise contre Ath�nes, n'eut d'autre motif que de favoriser la passion de son fils. Quand il mit tant de z�le � d�fendre Ph�bidas qui avait viol� la paix faite avec les Th�bains, il le fit �videmment en faveur du crime m�me. En un mot, tous les maux que Pomp�e fut accus� d'avoir faits aux Romains, par mauvaise honte ou par ignorance, Ag�silas les fit aux Lac�d�moniens par une suite de sa col�re et de son opini�tret�, qui seules le port�rent � allumer la guerre contre les Th�bains. II. S'il faut attribuer � la fortune les fautes de l'un et de l'autre, on peut dire que les Romains ne devaient pas s'attendre � celles de Pomp�e; et qu'Ag�silas ne permit pas aux Lac�d�moniens d'�viter celles dont les mena�ait ce r�gne boiteux, contre lequel ils avaient �t� pr�venus. En effet, L�othychidas e�t-il �t� mille fois plus �tranger et b�tard, la famille des Eurytionides aurait pu facilement donner � Sparte un roi l�gitime et ferme sur ses deux pieds, si Lysandre, pour favoriser Ag�silas, n'e�t jet� � dessein de l'obscurit� sur le sens de l'oracle. Le rem�de qu'Ag�silas sugg�ra, apr�s la bataille de Leuctres, en conseillant aux Spartiates, qui ne savaient comment punir les fuyards, de laisser dormir les lois ce jour-l�, est, il faut l'avouer, une invention politique toute nouvelle, et la vie de Pomp�e n'a point d'action qu'on puisse lui comparer. Au contraire, ce dernier, pour montrer � ses amis toute l'�tendue de son pouvoir, viole les lois qu'il avait lui-m�me �tablies. Mais Ag�silas, r�duit � la n�cessit� de les violer pour sauver ses concitoyens, sait trouver un moyen de conserver les lois sans s�vir contre les coupables. Je mets encore au nombre des ver- page 256 tus politiques d'Ag�silas cette preuve incomparable de soumission qu'il donne aux �phores, lorsque, sur une scytale de ces magistrats, il abandonne � l'instant m�me ses conqu�tes en Asie, loin d'imiter Pomp�e, qui fait, des services qu'il a rendus � son pays, les instruments de sa propre grandeur. Ag�silas, pour l'int�r�t de sa patrie, sacrifie une puissance et une gloire que personne, avant et apr�s lui , n'�gala jamais, si l'on excepte Alexandre-le-Grand. III. Mais pour consid�rer ce parall�le sous un autre rapport, celui de leurs exp�ditions et de leurs exploits, je ne crois pas que X�nophon lui-m�me voul�t mettre en comparaison les faits militaires d'Ag�silas avec la grandeur des arm�es que Pomp�e a conduites, avec le grand nombre de batailles qu'il a gagn�es et des troph�es qu'il a dress�s, quoique d'ailleurs on ait permis � cet historien comme une r�compense singuli�re de toutes ses belles qualit�s, de dire et d'�crire tout ce qu'il a voulu sur le compte de ce prince. Je crois encore que, sous le rapport de la g�n�rosit� envers les ennemis, ces deux personnages ont entre eux une grande diff�rence : l'un, pour asservir Th�bes, la m�tropole de la B�otie, et d�truire Mess�ne, une des principales villes de son pays, manqua de ruiner Sparte; du moins il lui fit perdre sa pr��minence sur la Gr�ce. Pomp�e , apr�s avoir d�fait les pirates, donna des villes � habiter � ceux qui voulurent changer de profession; et lorsqu'il eut en sa puissance le roi Tigrane, qu'il pouvait attacher � son char de triomphe, il aima mieux en faire un alli� du peuple romain, et dit � cette occasion qu'il pr�f�rait � la gloire d'un jour la gloire de tous les si�cles. IV. S'il faut adjuger le prix de la vertu guerri�re au g�n�ral qui a fait les plus grands et les plus importants exploits, et qui a donn� les conseils les plus utiles, le Spartiate, � cet �gard, l'emporte de beaucoup sur le Romain. Il n'abandonna pas Lac�d�mone, il ne la livra point � l'ennemi, quoiqu'elle f�t attaqu�e par soixante-dix mille hommes, et qu'il n'e�t avec lui qu'un petit nombre de troupes, qui m�me venaient d'�tre page 257 battues � la journ�e de Leuctres. Pomp�e n'a pas plus t�t vu C�sar, avec cinq mille trois cents hommes seulement, ma�tre d'une ville d'Italie, que la frayeur le fait sortir de Rome, soit qu'il ait fui honteusement devant une poign�e de soldats, ou qu'il s'en soit exag�r� le nombre; il emm�ne sa femme et ses enfants et laisse ceux des autres citoyens priv�s de toute d�fense; tandis qu'il devait ou vaincre en combattant pour sa patrie, ou recevoir la loi d'un vainqueur, son concitoyen et son alli�. Ainsi ce m�me homme, � qui il n'avait pu se r�soudre de prolonger le commandement dans les Gaules, et d'accorder un second consulat, il lui donne lieu, en le laissant ma�tre de Rome, de dire � M�tellus qu'il le regardait comme son prisonnier de guerre, lui et tous les autres Romains. V. Un des premiers talents d'un g�n�ral d'arm�e, c'est de savoir forcer les ennemis � combattre quand il est le plus fort, et de ne jamais s'y laisser forcer quand il est le plus faible. Ag�silas, qui sut pratiquer �galement l'un et l'autre, fut toujours invincible. C�sar ne risqua jamais non plus contre Pomp�e un genre de combat o� il �tait inf�rieur en forces ; il sut le contraindre � combattre sur terre, o� il �tait lui-m�me sup�rieur, et � mettre toute sa fortune au hasard d'une bataille qui en un instant rendit C�sar ma�tre de tout l'argent de son ennemi , de ses provisions et de la mer, dont Pomp�e e�t conserv� l'empire, s'il e�t �vit� le combat. La justification qu�on croit la meilleure en faveur d'un si grand g�n�ral est pr�cis�ment la plus grave accusation qu'on puisse faire contre lui. Qu'un jeune chef d'arm�e, sans exp�rience, troubl� par les plaintes et les clameurs de ses troupes , par les reproches de mollesse et de l�chet� qu'on lui fait, se laisse entra�ner hors des r�solutions les plus sages et les plus s�res qu'il a form�es; cette faiblesse est possible et m�me pardonnable. Mais le grand Pomp�e, dont les Romains appelaient le camp leur patrie, et la tente leur s�nat, regardant comme des d�serteurs et des tra�tres les pr�teurs et les consuls qui �taient rest�s � Rome � la t�te du gouvernement ; ce Pomp�e qu'on n'avait jamais sou- page 258 mis au commandement d'un autre, qui n'avait jamais eu dans ses campagnes d'autre chef que lui-m�me et qui les avait toutes faites avec succ�s, peut-on lui pardonner d'avoir c�d� aux railleries d'un Favonius et d'un Domitius? d'avoir �t� vaincu par la honte d'�tre appel� un nouvel Agamemnon ? de s'�tre laiss� presque forcer, par des motifs si frivoles, � hasarder une bataille qui devait d�cider de l�empire et de la libert� de Rome? VI. S'il ne consid�rait que la honte du moment, il devait d�s le commencement de la guerre faire t�te � C�sar, et combattre pour la d�fense de Rome; ou, apr�s avoir pr�tendu imiter dans sa fuite le stratag�me de Th�mistocle, il ne fallait pas ensuite se croire d�shonor� en diff�rant de livrer bataille dans la Thessalie. La plaine de Pharsale n'�tait pas un th��tre ou une ar�ne que les dieux eussent fix�e � ces deux rivaux; il n'y avait pas �t� appel� par un h�raut pour descendre dans la lice, sous peine, s'il refusait, d'abandonner la couronne � un autre. Il avait assez d'autres plaines; il avait des milliers de villes, ou plut�t la terre enti�re; et l'empire de la mer, que lui assurait sa flotte, lui laissait la libert� du choix, s'il avait voulu imiter Fabius Maximus, Marius ou Lucullus, ou Ag�silas lui-m�me, qui n'eut pas de moindres assauts � soutenir � Sparte, lorsqu'on voulait le forcer d'aller combattre contre les Th�bains pour la d�fense de son pays; ni moins de reproches et de calomnies � essuyer en �gypte par la folie du roi, lorsqu'il conseillait � ce prince de ne rien entreprendre. En suivant ainsi les r�solutions sages qu�il avait prises d�s son arriv�e en �gypte, non seulement il sauva les �gyptiens malgr� eux-m�mes, et conserva seul la ville de Sparte, dans une secousse si violente; mais encore il �leva dans sa patrie un troph�e de sa victoire sur les Th�bains; et, en ne se laissant pas contraindre de courir � une perte certaine, il fit gagner aux Spartiates une seconde bataille. Aussi Ag�silas fut-il enfin lou� par ceux m�mes qu'il n'avait sauv�s qu'en leur r�sistant avec force; et Pomp�e, qui fit une si grande faute en c�dant � page 259 la volont� d'autrui, eut pour accusateurs ceux dont il avait suivi les conseils. On dit, il est vrai, qu'il fut tromp� par Scipion son beau-p�re, qui, pour s'approprier les sommes immenses qu'il avait apport�es d'�gypte, les cacha, et pressa Pomp�e de donner la bataille, en lui disant qu'il manquait d'argent. Mais quand cela serait vrai, un g�n�ral devait-il se laisser ainsi induire en erreur ? ou, apr�s avoir �t� tromp� si facilement, exposer au plus grand danger la fortune publique? Ces divers traits font assez conna�tre le caract�re de l'un et de l'autre. VII. Maintenant, pour parler de leur voyage d'�gypte, Pomp�e fut forc� de le faire pour se d�rober � ses ennemis par la fuite. Ag�silas le fit sans n�cessit�, par le motif peu honn�te d'y amasser de l'argent, et d'avoir de quoi faire la guerre aux Grecs avec celui qu'il gagnerait en servant les Barbares. D'ailleurs, le reproche que nous faisons aux �gyptiens par rapport � Pomp�e, les �gyptiens le font de leur c�t� � Ag�silas; car Pomp�e fut cruellement tromp� pour s'�tre fi� aux �gyptiens, et Ag�silas, � qui les �gyptiens avait donn� toute leur confiance , les abandonna et passa dans le parti oppos� � ceux qu'il �tait venu secourir. (01) Le texte r�p�te : � cause de sa beaut�. (02) Environ vingt millions de notre monnaie. (03) Voy. la Vie de Romulus, chap. XVII. (04) L'expression dont se sert ici Pomp�e est singuli�re; elle signifie un g�n�ral rev�tu d'un pouvoir absolu, un autocrate; mais le terme n'est pas plus singulier que la chose; c'�tait le premier exemple d'un homme qui, ayant commenc� � servir tr�s-jeune, e�t fait plusieurs campagnes sans avoir jamais d'autre chef que lui-m�me. (05) Mot � mot :avant qu'il n'e�t de la barbe. (06) La mer de Toscane, ou la mer Adriatique. (07) Vingt de nos lieues communes.
(08) Pomp�e ne vit ces inscriptions qu'en
sortant, parce qu'elles n'avaient �t� faites que depuis son entr�e dans
la ville, et pendant le s�jour qu'il y fit. Horace a rendu le sens de la
premi�re dans ce beau vers, o� il dit au peuple romain, et par lui �
Auguste : � C'est � votre soumission aux dieux que vous devez l'empire du monde. " (09) Pour faire entendre qu'elle avait le courage d'un homme. (10) Environ cinq cent mille livres. (11) Trente millions de livres. (12) La demi-mine valait quarante cinq livres; les dix mines, neuf cents livres; le talent, cinq mille livres. (13) C'�tait l'usage des rois d'Orient, de donner, � ceux de leurs amis qu'ils voulaient honorer, un des plus beaux chevaux de leur �curie, aussi richement enharnach� que ceux qu'ils montaient eux-m�mes. L'histoire de Mardoch�e, dans le livre d'Esther, en est une preuve. (14) Les rois d'Orient avaient soin de faire tenir des registres exacts de tout ce qui se passait � la cour, et quelquefois ils se faisaient lire les annales des r�gnes pr�c�dents, ou m�me celles de leur r�gne, comme l'histoire d'Esther le prouve encore. (15) L'Oc�an. (16) Environ deux millions de notre monnaie. (17) Cinq mille livres. (18) Deux cent cinquante mille livres. (20) Les cinquante millions de drachmes faisaient environ quarante-huit millions de notre monnaie actuelle ; les quatre-vingt-un millions cinq cent mille drachmes, environ soixante-dix-huit millions. Les vingt mille talents valent plus de cent millions. (21) Environ treize cent cinquante livres. (22) Il doit y avoir ici une faute de copiste; Pomp�e �tait n� l'an de Rome six cent quarante-huit, la m�me ann�e que Cic�ron, cent six ans avant l'�re chr�tienne; il obtint ce troisi�me triomphe l'an de Rome six cent quatre-vingt-treize, soixante et un ans avant J.-C., le jour m�me de l'anniversaire de sa naissance ; il avait donc quarante-cinq ans, et non pas quarante. Voy. les Tables chronologiques de l'Histoire universelle de Lenglet-Dufresnoy. (23) On sait qu'� Rome, toutes les fois que le peuple �tait assembl� pour donner ses suffrages, il suffisait que le consul ou un autre magistrat d�t qu'il avait vu un augure d�favorable. pour faire rompre aussit�t l'assembl�e; ainsi on avait toujours un pr�texte pour emp�cher tout ce qui d�plaisait. (24) L'an de Rome 701. (25) Une loi d�fendait aux absents de demander le consulat. Pomp�e y avait fait ajouter une exception pour ceux � qui on le permettrait nomm�ment, ce qui �tait rendre la loi inutile ; les hommes puissants, et surtout ceux qui avaient des troupes � leurs ordres, �taient bien s�rs d'obtenir cette permission.
(26) C'est � dire victorieuse.
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