Books by Yona Hanhart-Marmor
Septentrion, 2020
Tant les thèmes abordés par Pierre Michon que sa manière d'écrire se caractérisent par un refus... more Tant les thèmes abordés par Pierre Michon que sa manière d'écrire se caractérisent par un refus de la ligne droite, de l’approche directe.
Il faut détourner le regard du centre pour s’intéresser à la périphérie : petites gens, province, gestes de l’écriture qu’on aurait de prime abord jugés inintéressants.
Si Michon décline l’obliquité sous ses formes les plus variées, c’est afin d’en proposer, d’une façon elle-même oblique, une théorie. Les grands thèmes, les enjeux véritables ne peuvent s’appréhender qu’en partant du détail, de la périphérie, de la digression.
Obliquement, Michon nous dit le monde de façon bien plus percutante qu’une approche frontale ne saurait le faire. Mieux, Michon nous invite à cette gymnastique de l’esprit. Il s’agira donc de débusquer, dans la rigueur de ses phrases, les effets obliques du dire, de dépasser l’imposture de l’écrit pour atteindre la constellation essentielle de la vie même.
Voir dans l’ekphrasis, description d’une œuvre d’art, l’une des clés essentielles du roman, et pa... more Voir dans l’ekphrasis, description d’une œuvre d’art, l’une des clés essentielles du roman, et par là-même ouvrir une réflexion novatrice sur le texte, l’image et leurs multiples intrications : tel est le défi qui sous-tend cet essai. A travers une analyse fouillée des processus que Claude Simon élabore afin de rendre inopérante l’habituelle distinction entre récit et pause descriptive, le regard se dévoile comme catalyseur de l’écriture, en ce qu’il la détermine tout en se laissant happer par elle. Cette relecture du corpus simonien, qui s’effectue au plus proche du texte, met en évidence le rôle capital de l’ekphrasis dans le passage du regard au mot. Dans cette approche, l’ekphrasis constitue le moteur de la démarche simonienne, constant tâtonnement entre le dire et le voir. L’étude de la nature et du rôle de l’ekphrasis permet ainsi d’éclairer des pans entiers de l’œuvre, tributaire qu’est celle-ci du regard dans la détermination des objets ekphrastiques. La réflexion se poursuit par une interrogation sur le statut de ces objets de passage. La mise en écriture du temps s’avère dès lors cruciale pour tenter de dépasser ce que l’écriture pourrait avoir d’anecdotique et lui imprimer le sceau de l’universel, du non-datable ; ce qui ne manque pas de susciter des collisions fécondes entre différentes temporalités. A la lecture de cet ouvrage, qui s’inspire notamment de la pensée de Walter Benjamin et de Georges Didi-Huberman, et qui perçoit dans l’ekphrasis bien davantage qu’une simple pause dans le récit, on voit apparaître un système de mises en résonance dont l’objet auratique constitue le noyau fondamental.
Papers by Yona Hanhart-Marmor
MemWar, Memorie e oblii delle guerre e dei traumi del XX secolo,, 2021
Cet article s’interroge sur la spécificité des récits de voyages mémoriels par des descendants de... more Cet article s’interroge sur la spécificité des récits de voyages mémoriels par des descendants de victimes de la Shoah parus en France dans les deux dernières décennies. S’appuyant sur deux exemples appartenant à des catégories génériques différentes, Pitchipoï, un récit de Guillaume Adler et Nous n’irons pas voir Auschwitz, un roman graphique de Jérémie Dres, il explore le paradoxe qui se trouve au fondement même de ces textes : définis par leurs auteurs comme des entreprises visant à restituer la mémoire familiale, ils sont constitués de différents mécanismes qui subvertissent le projet initial, voire le transforment en son contraire. L’étude menée est douée d’une double ambition : celle de repérer et d’analyser les différents mécanismes au moyen desquels la quête mémorielle se transforme en travail d’amnésie, qu’il s’agisse du désinvestissement intellectuel des auteurs-narrateurs, de l’assimilation de l’existence juive à du folklore ou des significations dissimulées des titres, et celle de tirer les conséquences théoriques de ces résultats. En effet, la lecture de ces textes dans cette perspective neuve permet de les appréhender sous l’angle du temps long, de les replacer dans l’histoire complexe de la relation entre la France et les Juifs depuis la Révolution française et, en les considérant comme les derniers maillons d’une chaîne qui remonte à plus de deux siècles, d’en faire les clés d’une lecture contemporaine des rapports entre la France et la judéité.
This article examines the unique nature of accounts of journeys to Poland in search of family memories written by descendants of Holocaust victims that have been published in France over the past two decades. Focusing on two examples, Pitchipoï, a narrative by Guillaume Adler, and Nous n’irons pas voir Auschwitz (We Won’t Go to Aushwitz), a graphic novel by Jérémie Dres, the article explores the paradox that lies at the very heart of the two texts. Defined by their authors as attempts to restore their family histories, they in fact make use of a number of different mechanisms that ultimately serve to subvert the stated project, or even, at times, refute it. The article thus has a double goal. The first is to identify and analyze these, often unconscious, mechanisms, such as the intellectual disinvestment of the author-narrators, the assimilation of Jewish existence into folklore, or the underlying, subconscious, import of their titles, by which the quest for memory is transformed into a work of amnesia. The second is to sketch out the theoretical consequences of these mechanisms. I further maintain that reading these texts from this perspective enables us to understand and place them in the context of the complex history of the relationship between France and the Jews from the French Revolution on. Further, by positioning them as the latest links in a chain dating back over two centuries, it enables us to understand these texts as providing the keys to a contemporary reading of the relationship between France and Jewishness.
Etudes littéraire, 2022
Cet article s'attache à considérer les enquêtes françaises contemporaines autour de la Soah sous ... more Cet article s'attache à considérer les enquêtes françaises contemporaines autour de la Soah sous l'angle de leur inscription dans un temps long: celui du développement du franco-judaïsme, cette forme particulière de rapport à la judéité née de la Révolution française. Consacré à deux récits représentatifs, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus d'Ivan Jablonka (2012) et 209 rue Saint-Maur de Ruth Zylberman (2020), il analyse les mécanismes au moyen desquels, derrière l'entreprise mémorielle, se profile un travail d'amnésie dès lors qu'est en jeu non pas une judéité exsangue définie par l'extermination mais un judaïsme vécu, empli de positivité. Cette exploration révèle l'ambivalence de textes qui abandonnent leur éthique de la restitution, du scrupule et de la rigueur lorsqu'ils risquent de se confronter à une vision dérangeante du judaïsme.
Taking the long range perspective and context of Franco-Judaism, a unique relationship developed by French Jews to their Jewishness beginning with the French Revolution in the 18th century and on, this paper examines contemporary French explorations of the Holocaust by focusing on two representative narratives, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (A History of the Grandparents I Never Had, 2012) by Ivan Jablonka and 209 rue Saint-Maur (209 Saint Maur Street, 2020) by Ruth Zylberman. The work analyses the mechanisms by which, behind these presumably memorial projects, lies an undertow of ambivalence and amnesia. It shows how this amnesia arises as soon as the text is forced to come to terms not with a sterile and blighted Jewishness, defined by extermination, but with a lived Judaism, filled with positivity. The study reveals the ways in which the texts abandon their ethics of restitution, scruple, and rigor when straying too close to a vision of traditional Judaism perceived as disturbing and uncomfortable.
Roman 20-50, 2021
La mélancolie se trouve au cœur même du processus dont rendent compte les récits d'enquête contem... more La mélancolie se trouve au cœur même du processus dont rendent compte les récits d'enquête contemporains autour de la Shoah. Ceux-ci constituent un cas de figure éminemment représentatif de la façon dont les narrateurs contemporains réinvestissent à leur façon la figure du mélancolique et réactivent la dimension paradoxale qui est la sienne depuis le fameux Problème XXX attribué à Aristote. La mélancolie y est revisitée à la lumière du présentisme, le régime d'historicité qui caractérise notre époque, et son statut est foncièrement paradoxal, puisqu'elle en constitue à la fois le symptôme, mais aussi la réponse qui permet aux narrateurs d'échapper au déshéritage. Ces récits d'enquête réactualisent d'une façon originale les paradoxes de la mélancolie : c’est dans le retournement de la dynamique généalogique, dans la façon dont échoit au fils la tâche de transmettre un testament à son père et de réparer la fêlure familiale et identitaire, que se trouvent explorées et exploitées ses virtualités toujours renouvelées.
Romanistisches Jahrbuch, 2021
This study analyses the contemporary narrator’s paradoxical legitimacy and reveals how it mirrors... more This study analyses the contemporary narrator’s paradoxical legitimacy and reveals how it mirrors the equally paradoxical filiation that is taking on new shape in contemporary thought. It also addresses the ability of literature to form unexpected connections; sheds new light on the nature of contemporary filiation by linking it to the spiritual filiation in Christianity; and addresses the definition of filiation itself within literary texts as reflecting some of the main issues of contemporary filiation. The study begins with the examination of the status of the narrator in several contemporary works, revealing one of the most interesting paradoxes of contemporary literature, and going on to analyze the configuration of a conceptual model in which paradoxical filiation becomes the condition for the emergence of success from a narrative of failure.
Territoire de la non-fiction, Alexandre Gefen and Serge Moura dir., Brill , 2020
Ma réflexion est partie de la question suivante : quelle est la légitimité d'un auteur de non-fic... more Ma réflexion est partie de la question suivante : quelle est la légitimité d'un auteur de non-fiction ?
Claude Simon, une expérience de la complexité, Ilias Yoacaris et David Zemmour dir., Paris, Classiques Garnier, 2020
Sur la complexité temporelle à l'oeuvre chez Claude Simon, beaucoup d'encre a déjà coulé, de même... more Sur la complexité temporelle à l'oeuvre chez Claude Simon, beaucoup d'encre a déjà coulé, de même que sur les particularités de sa syntaxe toute en méandres et en sinuosités, en digressions, corrections, reprises et emboîtements. J'aimerais montrer que ces deux plans n'en forment qu'un, et que les nombreuses strates de temporalités superposées, emboîtées, enchâssées les unes dans les autres, ou plutôt la forme unique et complexe de temporalité présente dans l'univers romanesque de Claude Simon est rendue possible, créée par cette syntaxe si particulière. En d'autres termes, il n'y aurait pas différents niveaux, différents aspects de la complexité dans l'oeuvre de Claude Simon, mais une économie générale de la complexité qui informerait tous les étages de l'oeuvre, rendant du même coup obsolète toute distinction entre style, contenu et composition. Proposition qui coïncide précisément avec le refus simonien de la dichotomie entre le fond et la forme, refus sur l'écrivain est inlassablement revenu dans ses textes et entretiens, déclarant ainsi : « On a [...] parlé de structures engendrant un texte ou une fiction. Mais est-ce que ce n'est pas là un truisme qui risque dangereusement [sic] d'accréditer de nouveau l'académique et aberrante distinction entre "fond" et "forme 1 " ? », ou encore : « je ne distingue pas entre forme et fond 2 ».
The Representation of the Relationship between Center and Periphery in contemporary Novel, Ruth Amar and Françoise Saquer-Sabin dir., Cambridge Scholars Publishing, 2018
Cet article s’interroge sur le moteur du désir d’art qui caractérise les protagonistes des œuvres... more Cet article s’interroge sur le moteur du désir d’art qui caractérise les protagonistes des œuvres de Pierre Michon, ainsi que sur les conditions nécessaires à la réalisation d’un chef-d’œuvre selon l’esthétique qui se dessine en filigrane dans ces œuvres. Il tente d’étayer l’hypothèse selon laquelle c’est dans la tension entre centre et périphérie que résideraient à la fois le désir d’accéder à la peinture (les artistes de Michon sont des provinciaux éblouis par la toute-puissance des artistes), la certitude de ne pouvoir jamais y parvenir d’être condamnés à demeurer dans une périphérie ontologique, et, paradoxalement, la création de chefs-d’œuvre dont la réussite provient justement de cet incessant tournoiement entre centre et périphérie. Il tire enfin les conclusions de cette analyse en les appliquant à l’écriture de Pierre Michon elle-même.
L’Œuvre et ses miniatures. Les objets autoréflexifs dans la littérature européenne, Luc Fraisse and Eric Wessler eds, Paris, Classiques Garnier, 2018
Cet article se propose d'analyser le statut de l'objet dans Le Planétarium de Nathalie Sarraute. ... more Cet article se propose d'analyser le statut de l'objet dans Le Planétarium de Nathalie Sarraute. Objet qui permet une double mise en abyme de l'œuvre, représentant l'exacte antithèse de l'écriture sarrautienne, ou au contraire se faisant image fidèle de cette dernière. Autour de lui se nouent de la sorte les interrogations fondamentales du roman, portant sur l'essence du travail de l'écrivain ainsi que sur le lien toujours problématique entre l'œuvre littéraire et le réel.
French Studies Oxford, 2022
Résumé
Cet article explore la dynamique particulière de plusieurs récits parus dans les dernières... more Résumé
Cet article explore la dynamique particulière de plusieurs récits parus dans les dernières décennies consistant en enquêtes menées par des descendants de victimes de la Shoah à la recherche de leur passé familial : Un secret de Philippe Grimbert, L’Origine de la violence de Fabrice Humbert et Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka. Il reconstruit le processus au cours duquel les narrateurs, privés de testament, confrontés au silence, au secret et à l’interdiction d’accéder à la vérité, vont, par la décision même de mener l’enquête puis par la mise en mots de celle-ci, inverser la relation intergénérationnelle, et se faire eux-mêmes transmetteurs d’un héritage qu’ils pourront léguer à leurs pères. C’est ce retournement qui leur permettra de trouver leur juste place dans la chaîne des générations, qui leur conférera la légitimité auctoriale qui leur faisait défaut et qui fera du régime mémoriel de leurs récits une réponse au présentisme qui caractérise notre époque.
Abstract
This article explores the unique dynamics of several stories published over the last decades, wherein descendants of Holocaust victims investigate into their family history. These stories include Secret by Philippe Grimbert, The Origin of violence by Fabrice Humbert and A History of the Grandparents I Never Had by Ivan Jablonka. This article retraces the process in which the stories’ narrators, deprived of a will, faced with silence and secrecy, banned from achieving the truth, are able to invert the intergenerational relationship, and become themselves transmitters of an inheritance they can bequeath to their fathers, by the act of carrying out their investigation and narrating it into words. The inversion itself allows the narrators to find their rightful place on the generational chain, which in turn gives them the authorial legitimacy they lacked and sets their stories’ efforts at remembrance as an alternative to the presentism that marks our time.
Littérature , 2019
Cet article constitue une réflexion sur la façon dont laquelle le jeu sur la citation et l'intert... more Cet article constitue une réflexion sur la façon dont laquelle le jeu sur la citation et l'intertextualité à l'oeuvre dans Corps du roi de Pierre Michon constitue la façon dont celui-ci propose obliquement une définition de ce que signifient pour lui les concepts d'auteur, d'oeuvre littéraire et d'écriture.
French Forum
Cet article s’interroge sur les zones ambivalentes séparant, dans Les Années d’Annie Ernaux, les ... more Cet article s’interroge sur les zones ambivalentes séparant, dans Les Années d’Annie Ernaux, les descriptions photographiques de la reprise de la narration. Il étaye l’hypothèse selon laquelle ces zones indécidables révèleraient, en marge de la finalité déclarée de l’œuvre – celle de constituer l’autobiographie d’une époque – un autre de ses enjeux cruciaux, et permettraient de lire Les Années comme le récit d’une vocation d’écrivain. Les Années serait dès lors à lire aussi comme le récit de son propre avènement. Cet aspect se manifesterait tout particulièrement par l’importance croissante des références à la Recherche proustienne, qui consiste en l’histoire de sa propre émergence.
This articles examines the ambivalent passages which separate, in Annie Ernaux’s Les Années, the photographic descriptions from the narration. It supports the idea that these undefinable passages reveal, apart from he book’s stated aim – constituting the autobiography of an era – another crucial issue allowing us to read Les Années as the story of a vocation as a writer. We should then read Les Années as the story of its own birth. This dimension becomes apparent in the book with the growing importance of references to Proust’s Recherche, which tells the story of it’s own emergence.
French Forum, 2018
Cet article s'interroge sur l'hétérogénéité, l'apparente incohérence et la surabondance de détail... more Cet article s'interroge sur l'hétérogénéité, l'apparente incohérence et la surabondance de détails dans le texte consacré à Balzac, le premier du recueil Trois Auteurs de Pierre Michon. Au vu de son inscription dans la seule œuvre de Michon (à l'exception de Corps du roi) à s'interroger explicitement sur la littérature, il tente d'éclairer le lien entre ces caractéristiques semblant toutes situer ce texte du côté de l'anecdotique et les interrogations cruciales qui s'y font jour. Émerge alors la présence dans l'écriture michonienne d'une esthétique de l'obliquité. L'essentiel ne pourrait être approché que par des voies indirectes, par des sentiers sinueux, par des détours. Notre travail se propose d'essayer de comprendre à la fois le pourquoi et le comment de ce paradoxal fonctionnement de l'écriture.
French Review, Vol. 91.1
Cet article s’interroge sur les deux volets d’un diptyque de Pierre Michon, Abbés et Corps du Roi... more Cet article s’interroge sur les deux volets d’un diptyque de Pierre Michon, Abbés et Corps du Roi. L'élucidation de leur parenté met en lumière le caractère crucial de la question des sources. Il s'avère que le statut de l'auteur constitue l'enjeu central d’Abbés :ce sont les conditions d'énonciation du récit plus que le récit lui-même qui sont évoquées, comme si la préoccupation du narrateur était de détecter l'origine de la narration. La conflictualité opposant le narrateur à ses sources émerge alors, ainsi que la volonté d'asseoir l'autorité narratoriale. Se révèle l'affrontement entre deux conceptions antagonistes de la littérature: l'une, ancillaire, dans la tentative de reconstitution, et l'autre, d'une littérature souveraine, faisant entendre sa propre voix.
Cent ans de jalousie proustienne, Philippe Chardin et Erika Fulöp éds., Classiques Garnier, 2014., 2014
Mon interprétation de la place de jalousie dans La Bataille de Pharsale et de son rapport à La re... more Mon interprétation de la place de jalousie dans La Bataille de Pharsale et de son rapport à La recherche du temps perdu rend justice, je l’espère, à la pénétration de la lecture de l’œuvre proustienne par Claude Simon, pénétration qui permet que cette lecture constitue les assises de la fabrication du roman simonien. Lecture ayant bien perçu que, chez Proust, le motif de la jalousie est déjà une étape vers la découverte des Essences par le truchement de l’œuvre d’art. Et que c’est en dernière analyse le style qui peut aboutir à la révélation de cette Essence. Lecture créative, à la fois déférente et contestataire. Déférente, puisque chez Claude Simon également, un motif, aussi omniprésent soit-il, n’est jamais uniquement cela, mais aussi un élément formel essentiel pour la construction de l’œuvre ; contestataire, parce que l’aboutissement de l’œuvre ne réside plus, comme chez Proust, dans la révélation platonicienne des Essences par l’Art, mais dans les procédés d’une écriture qui par les effets de collision, de télescopage, de montage qui sont les siens, suffit à créer l’univers propre de l’œuvre. Il semble impossible de ne pas reprendre, pour conclure, la phrase fameuse du Temps retrouvé qui énonce qu’on ne peut refaire ce qu’on aime qu’en le renonçant, tant à la fois l’imitation créatrice et la prise de distance par rapport au texte proustien affleurent dans chaque détail de La Bataille de Pharsale. Et peut-être est-ce dans ce sens qu’il faut lire aussi la présence récurrente dans le roman de cette machine agricole démantibulée, dont les pièces détachées sont employées en vue d’un autre usage. La grande machinerie, la grande machine proustienne dont parlait Deleuze – et qui, dans les ultimes conséquences de son analyse, renvoyait déjà à elle-même – produisait sa propre vérité, ne révélait d’Essences que celles nées de sa propre mise en mouvement, continue dans La Bataille de Pharsale à tracer autrement son sillon et se trouve à la fois réutilisée et détournée.
Cet article, consacré au roman de Claude Simon intitulé Le vent, Tentative de restitution d'un re... more Cet article, consacré au roman de Claude Simon intitulé Le vent, Tentative de restitution d'un retable baroque, s'interroge sur ce titre énigmatique et tente de comprendre en quoi il reflète les enjeux à la fois thématiques, formels et esthétiques du roman. En effet, celui-ci s'apparente au genre du retable non seulement en raison des motifs christiques qui l'imprègnent tout entier, mais aussi parce que l'écriture, par ses moyens propres, reproduit la temporalité abrupte et discontinue propre à ce type d'oeuvres construites en panneaux qui font passer le spectateur sans transition d'un moment à l'autre de l'histoire figurée. Mais surtout, titre et sous-titre mettent en lumière les pouvoirs de l'écriture qui par sa restitution même du désordre et de l'informe, crée oeuvre d'art. Cette réflexion permet donc également de prendre la mesure de la dimension matricielle, séminale de ce premier roman (si l'on exclut ceux que Simon a lui-même rejetés) qui, déjà, permet d'appréhender à la fois le faire simonien et sa poétique.
Abstract: This article about Claude Simon's Le vent, Tentative de restitution d'un retable baroque examines the mysterious title of the novel in an attempt to understand how it reflects the latter's thematic, formal, and esthetic aspects. Indeed, the novel presents altarpiece-like characteristics: it is replete with Christian motives and the writing itself reproduces the abrupt and broken temporality typical of these works made of several panels in which the reader moves straight on from one moment of the story to another. Above all, the novel's title and subtitle shed light on the power of writing, which creates the work of art by rendering chaos and shapelessness. This reflection thus also serves to assess the seminal dimension of this first novel – if we leave aside those novels rejected by Claude Simon himself – which enables us to comprehend Simon's craft and poetry.
Les Géorgiques a été comparé à un roman polyphonique : relevant à la fois de la pièce de théâtre,... more Les Géorgiques a été comparé à un roman polyphonique : relevant à la fois de la pièce de théâtre, du roman historique, du roman d'initiation, de l'autobiographie, de la biographie, ainsi que du roman policier1. C'est cette dernière attribution qui mérite ici de retenir notre attention. En effet, d'une certaine manière, et aussi étonnant que cela paraisse s'agissant d'un roman de Claude Simon, Les Géorgiques constitue bien une sorte de roman policier. A la différence près que dans un roman policier, l'enquêteur et le lecteur savent dès le départ qu'il y a quelque chose à chercher, quelque mystère à découvrir, quelque secret à révéler. Dans Les Géorgiques, ce postulat de base même fait défaut, et l'existence d'un secret devra tout d'abord être établie. Et quel secret ! Rien moins que le quasi-fratricide par le héros, L.S.M., général de la Révolution, ayant voté une loi condamnant à mort tout émigré revenu en France. Jean-Marie, frère de L.S.M, tombera sous le coup de cette loi et sera exécuté. Mais le roman va cultiver ce secret, différer presque jusqu'à son achèvement la révélation non seulement de sa nature mais aussi de sa réalité, et reproduire dans l'écriture le déni du secret par les descendants de L.S.M. Nous aimerions ici tenter de comprendre pourquoi le secret joue un tel rôle dans Les Géorgiques. En quoi constitue-t-il le ressort même de l'écriture romanesque, et quel est le lien profond entre les deux ? Plus qu'un motif omniprésent, le secret ne serait-il pas la matrice du roman, à la fois son armature et sa raison d'être ?
Uploads
Books by Yona Hanhart-Marmor
Il faut détourner le regard du centre pour s’intéresser à la périphérie : petites gens, province, gestes de l’écriture qu’on aurait de prime abord jugés inintéressants.
Si Michon décline l’obliquité sous ses formes les plus variées, c’est afin d’en proposer, d’une façon elle-même oblique, une théorie. Les grands thèmes, les enjeux véritables ne peuvent s’appréhender qu’en partant du détail, de la périphérie, de la digression.
Obliquement, Michon nous dit le monde de façon bien plus percutante qu’une approche frontale ne saurait le faire. Mieux, Michon nous invite à cette gymnastique de l’esprit. Il s’agira donc de débusquer, dans la rigueur de ses phrases, les effets obliques du dire, de dépasser l’imposture de l’écrit pour atteindre la constellation essentielle de la vie même.
Papers by Yona Hanhart-Marmor
This article examines the unique nature of accounts of journeys to Poland in search of family memories written by descendants of Holocaust victims that have been published in France over the past two decades. Focusing on two examples, Pitchipoï, a narrative by Guillaume Adler, and Nous n’irons pas voir Auschwitz (We Won’t Go to Aushwitz), a graphic novel by Jérémie Dres, the article explores the paradox that lies at the very heart of the two texts. Defined by their authors as attempts to restore their family histories, they in fact make use of a number of different mechanisms that ultimately serve to subvert the stated project, or even, at times, refute it. The article thus has a double goal. The first is to identify and analyze these, often unconscious, mechanisms, such as the intellectual disinvestment of the author-narrators, the assimilation of Jewish existence into folklore, or the underlying, subconscious, import of their titles, by which the quest for memory is transformed into a work of amnesia. The second is to sketch out the theoretical consequences of these mechanisms. I further maintain that reading these texts from this perspective enables us to understand and place them in the context of the complex history of the relationship between France and the Jews from the French Revolution on. Further, by positioning them as the latest links in a chain dating back over two centuries, it enables us to understand these texts as providing the keys to a contemporary reading of the relationship between France and Jewishness.
Taking the long range perspective and context of Franco-Judaism, a unique relationship developed by French Jews to their Jewishness beginning with the French Revolution in the 18th century and on, this paper examines contemporary French explorations of the Holocaust by focusing on two representative narratives, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (A History of the Grandparents I Never Had, 2012) by Ivan Jablonka and 209 rue Saint-Maur (209 Saint Maur Street, 2020) by Ruth Zylberman. The work analyses the mechanisms by which, behind these presumably memorial projects, lies an undertow of ambivalence and amnesia. It shows how this amnesia arises as soon as the text is forced to come to terms not with a sterile and blighted Jewishness, defined by extermination, but with a lived Judaism, filled with positivity. The study reveals the ways in which the texts abandon their ethics of restitution, scruple, and rigor when straying too close to a vision of traditional Judaism perceived as disturbing and uncomfortable.
Cet article explore la dynamique particulière de plusieurs récits parus dans les dernières décennies consistant en enquêtes menées par des descendants de victimes de la Shoah à la recherche de leur passé familial : Un secret de Philippe Grimbert, L’Origine de la violence de Fabrice Humbert et Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka. Il reconstruit le processus au cours duquel les narrateurs, privés de testament, confrontés au silence, au secret et à l’interdiction d’accéder à la vérité, vont, par la décision même de mener l’enquête puis par la mise en mots de celle-ci, inverser la relation intergénérationnelle, et se faire eux-mêmes transmetteurs d’un héritage qu’ils pourront léguer à leurs pères. C’est ce retournement qui leur permettra de trouver leur juste place dans la chaîne des générations, qui leur conférera la légitimité auctoriale qui leur faisait défaut et qui fera du régime mémoriel de leurs récits une réponse au présentisme qui caractérise notre époque.
Abstract
This article explores the unique dynamics of several stories published over the last decades, wherein descendants of Holocaust victims investigate into their family history. These stories include Secret by Philippe Grimbert, The Origin of violence by Fabrice Humbert and A History of the Grandparents I Never Had by Ivan Jablonka. This article retraces the process in which the stories’ narrators, deprived of a will, faced with silence and secrecy, banned from achieving the truth, are able to invert the intergenerational relationship, and become themselves transmitters of an inheritance they can bequeath to their fathers, by the act of carrying out their investigation and narrating it into words. The inversion itself allows the narrators to find their rightful place on the generational chain, which in turn gives them the authorial legitimacy they lacked and sets their stories’ efforts at remembrance as an alternative to the presentism that marks our time.
This articles examines the ambivalent passages which separate, in Annie Ernaux’s Les Années, the photographic descriptions from the narration. It supports the idea that these undefinable passages reveal, apart from he book’s stated aim – constituting the autobiography of an era – another crucial issue allowing us to read Les Années as the story of a vocation as a writer. We should then read Les Années as the story of its own birth. This dimension becomes apparent in the book with the growing importance of references to Proust’s Recherche, which tells the story of it’s own emergence.
Abstract: This article about Claude Simon's Le vent, Tentative de restitution d'un retable baroque examines the mysterious title of the novel in an attempt to understand how it reflects the latter's thematic, formal, and esthetic aspects. Indeed, the novel presents altarpiece-like characteristics: it is replete with Christian motives and the writing itself reproduces the abrupt and broken temporality typical of these works made of several panels in which the reader moves straight on from one moment of the story to another. Above all, the novel's title and subtitle shed light on the power of writing, which creates the work of art by rendering chaos and shapelessness. This reflection thus also serves to assess the seminal dimension of this first novel – if we leave aside those novels rejected by Claude Simon himself – which enables us to comprehend Simon's craft and poetry.
Il faut détourner le regard du centre pour s’intéresser à la périphérie : petites gens, province, gestes de l’écriture qu’on aurait de prime abord jugés inintéressants.
Si Michon décline l’obliquité sous ses formes les plus variées, c’est afin d’en proposer, d’une façon elle-même oblique, une théorie. Les grands thèmes, les enjeux véritables ne peuvent s’appréhender qu’en partant du détail, de la périphérie, de la digression.
Obliquement, Michon nous dit le monde de façon bien plus percutante qu’une approche frontale ne saurait le faire. Mieux, Michon nous invite à cette gymnastique de l’esprit. Il s’agira donc de débusquer, dans la rigueur de ses phrases, les effets obliques du dire, de dépasser l’imposture de l’écrit pour atteindre la constellation essentielle de la vie même.
This article examines the unique nature of accounts of journeys to Poland in search of family memories written by descendants of Holocaust victims that have been published in France over the past two decades. Focusing on two examples, Pitchipoï, a narrative by Guillaume Adler, and Nous n’irons pas voir Auschwitz (We Won’t Go to Aushwitz), a graphic novel by Jérémie Dres, the article explores the paradox that lies at the very heart of the two texts. Defined by their authors as attempts to restore their family histories, they in fact make use of a number of different mechanisms that ultimately serve to subvert the stated project, or even, at times, refute it. The article thus has a double goal. The first is to identify and analyze these, often unconscious, mechanisms, such as the intellectual disinvestment of the author-narrators, the assimilation of Jewish existence into folklore, or the underlying, subconscious, import of their titles, by which the quest for memory is transformed into a work of amnesia. The second is to sketch out the theoretical consequences of these mechanisms. I further maintain that reading these texts from this perspective enables us to understand and place them in the context of the complex history of the relationship between France and the Jews from the French Revolution on. Further, by positioning them as the latest links in a chain dating back over two centuries, it enables us to understand these texts as providing the keys to a contemporary reading of the relationship between France and Jewishness.
Taking the long range perspective and context of Franco-Judaism, a unique relationship developed by French Jews to their Jewishness beginning with the French Revolution in the 18th century and on, this paper examines contemporary French explorations of the Holocaust by focusing on two representative narratives, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (A History of the Grandparents I Never Had, 2012) by Ivan Jablonka and 209 rue Saint-Maur (209 Saint Maur Street, 2020) by Ruth Zylberman. The work analyses the mechanisms by which, behind these presumably memorial projects, lies an undertow of ambivalence and amnesia. It shows how this amnesia arises as soon as the text is forced to come to terms not with a sterile and blighted Jewishness, defined by extermination, but with a lived Judaism, filled with positivity. The study reveals the ways in which the texts abandon their ethics of restitution, scruple, and rigor when straying too close to a vision of traditional Judaism perceived as disturbing and uncomfortable.
Cet article explore la dynamique particulière de plusieurs récits parus dans les dernières décennies consistant en enquêtes menées par des descendants de victimes de la Shoah à la recherche de leur passé familial : Un secret de Philippe Grimbert, L’Origine de la violence de Fabrice Humbert et Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka. Il reconstruit le processus au cours duquel les narrateurs, privés de testament, confrontés au silence, au secret et à l’interdiction d’accéder à la vérité, vont, par la décision même de mener l’enquête puis par la mise en mots de celle-ci, inverser la relation intergénérationnelle, et se faire eux-mêmes transmetteurs d’un héritage qu’ils pourront léguer à leurs pères. C’est ce retournement qui leur permettra de trouver leur juste place dans la chaîne des générations, qui leur conférera la légitimité auctoriale qui leur faisait défaut et qui fera du régime mémoriel de leurs récits une réponse au présentisme qui caractérise notre époque.
Abstract
This article explores the unique dynamics of several stories published over the last decades, wherein descendants of Holocaust victims investigate into their family history. These stories include Secret by Philippe Grimbert, The Origin of violence by Fabrice Humbert and A History of the Grandparents I Never Had by Ivan Jablonka. This article retraces the process in which the stories’ narrators, deprived of a will, faced with silence and secrecy, banned from achieving the truth, are able to invert the intergenerational relationship, and become themselves transmitters of an inheritance they can bequeath to their fathers, by the act of carrying out their investigation and narrating it into words. The inversion itself allows the narrators to find their rightful place on the generational chain, which in turn gives them the authorial legitimacy they lacked and sets their stories’ efforts at remembrance as an alternative to the presentism that marks our time.
This articles examines the ambivalent passages which separate, in Annie Ernaux’s Les Années, the photographic descriptions from the narration. It supports the idea that these undefinable passages reveal, apart from he book’s stated aim – constituting the autobiography of an era – another crucial issue allowing us to read Les Années as the story of a vocation as a writer. We should then read Les Années as the story of its own birth. This dimension becomes apparent in the book with the growing importance of references to Proust’s Recherche, which tells the story of it’s own emergence.
Abstract: This article about Claude Simon's Le vent, Tentative de restitution d'un retable baroque examines the mysterious title of the novel in an attempt to understand how it reflects the latter's thematic, formal, and esthetic aspects. Indeed, the novel presents altarpiece-like characteristics: it is replete with Christian motives and the writing itself reproduces the abrupt and broken temporality typical of these works made of several panels in which the reader moves straight on from one moment of the story to another. Above all, the novel's title and subtitle shed light on the power of writing, which creates the work of art by rendering chaos and shapelessness. This reflection thus also serves to assess the seminal dimension of this first novel – if we leave aside those novels rejected by Claude Simon himself – which enables us to comprehend Simon's craft and poetry.
Catherine Haman-Dhersin, employant une technique de l’inventaire qui n’aurait sans doute pas déplu à Claude Simon, passe ainsi en revue les différentes façons dont se décline la perception par le héros simonien de son espace, et elle en dégage à la fois la Weltanschauung véhiculée par l’œuvre et les spécificités de son écriture, faisant de la sorte clairement apparaître à quel point l’une et l’autre sont indissociables.
D’emblée, on s’aperçoit que la connaissance intime par Mireille Calle-Gruber de l’homme et de l’œuvre sont indissociables, et qu’elle ne se penche de si près sur l’un que pour éclairer l’autre. Et son premier chapitre, qui dépeint Claude Simon en « survivant », survivant de multiples manières – survivant, avant même d’être né, du frère décédé dont il porte le nom, survivant du père mort à la guerre alors qu’il n’avait que quelques mois, survivant de la mère emportée dans son enfance par un cancer, survivant, aussi, de l’épouse qui se suicida quelques années après leur mariage – démontre immédiatement avec brio que les éléments biographiques sont retenus en tant qu’ils structurent l’œuvre tout entière, et éclaire d’une lumière nouvelle la lecture des romans simoniens.
Dans ces quatre conférences publiées aujourd’hui pour la première fois dans leur intégralité, on s’aperçoit qu’effectivement, Claude Simon n’est pas théoricien, et que c’est justement ce qui donne à ces textes toute leur acuité et toute leur valeur.
Car ces réflexions ne sont pas celle d’un critique mais celles à la fois d’un lecteur et d’un écrivain passionné. Les conclusions, toujours d’une justesse rigoureuse, auxquelles parvient Claude Simon, sont le fait d’une attention extrême portée au texte, au « travail de et sur la langue », comme il aime à le dire, qu’il s’agisse de celui d’autrui ou de lui-même. Ces conférences sont donc inséparables de sa propre pratique de la littérature, et elles constituent pour le lecteur, autant que de précieuses réflexions sur la littérature et sur l’art, une porte d’entrée dans l’atelier et dans la pratique simonienne, une possibilité de comprendre la façon de travailler de l’écrivain.