L'avancement de réaction et l'affinité chimique, tous deux définis par de Donder, tiennent une place centrale dans l'étude des réactions chimiques en général et des équilibres chimiques en particulier.
dans laquelle est une espèce chimique quelconque, en attribuant une valeur négative aux coefficients stœchiométriques des réactifs et positive à ceux des produits :
On introduit dans un réacteur, à l'instant initial , une quantité de chaque constituant . La réaction fait évoluer ces quantités : à un instant quelconque on note la quantité d'un constituant quelconque. On a l'évolution de la quantité du constituant :
L'équation bilan induit que l'évolution de tout autre constituant du mélange réactionnel est liée à celle du constituant par la relation de proportionnalité :
Ainsi, les évolutions des quantités de tous les constituants du mélange réactionnel étant liées, on définit l'avancement de réaction, noté (lettre grecque ksi), par[6] :
Avancement de réaction :
À tout instant , la quantité de tout constituant vaut par conséquent[3],[7] :
Ceci est également vrai pour les inertes. En effet, puisque la réaction ne modifie pas la quantité d'un inerte, on a pour celui-ci, à tout instant , , qui vérifie la relation précédente puisque pour un inerte .
Soit la variation élémentaire de la quantité de tout constituant :
On a par conséquent la variation élémentaire de l'avancement de réaction[7] :
Avancement de réaction : pour tout
L'avancement de réaction est une variable de composition extensive (si l'on double la quantité de chacun des réactifs et produits, l'avancement de réaction double également). Il s'exprime en moles dans le système SI.
Au moment de l'introduction des constituants dans le réacteur, à , on a par définition pour tout constituant . Au début de la réaction l'avancement est donc par construction nul : . Nous verrons plus loin que l'avancement de réaction peut être aussi bien positif que négatif selon le sens de déplacement de la réaction.
Puisque les coefficients stœchiométriques entrent dans l'expression de l'avancement de réaction, celui-ci dépend de la façon dont la réaction est écrite. Reprenons l'exemple de l'équilibre du dioxyde et du trioxyde de soufre en présence d'oxygène :
on a une première expression de l'avancement de réaction :
Si l'on inverse l'écriture de la réaction :
on a une deuxième expression de l'avancement de réaction :
Et si l'on écrit la réaction d'une troisième façon, en divisant par deux les coefficients stœchiométriques de la première écriture :
on a une troisième expression de l'avancement de réaction :
On a ainsi, selon la façon d'écrire la réaction :
Il est donc nécessaire, pour utiliser l'avancement de réaction, de connaitre la façon dont la réaction est écrite. En particulier, les première et deuxième écritures de la réaction donnent des avancements de signes opposés.
Avancements de réaction maximal et minimal, taux d'avancement
Les quantités des réactifs ne pouvant être négatives, la réaction peut au maximum progresser jusqu'à ce l'un des réactifs disparaisse. Ce réactif, qui limite la réaction, est appelé réactif limitant. Si les quantités de tous les réactifs s'annulent en même temps, c'est qu'ils ont été introduits dans des proportions respectant la stœchiométrie. Pour une quantité initiale , la quantité du réactif , avec , s'annule si . L'avancement de réaction maximal est la plus petite des valeurs ainsi déterminées. L'avancement de réaction maximal, noté [6], est donc défini par[7] :
Avancement de réaction maximal :
De même, une réaction peut au maximum régresser jusqu'à ce que l'un des produits disparaisse. Pour une quantité initiale , la quantité du produit , avec , s'annule si . L'avancement de réaction minimal est la plus grande des valeurs ainsi déterminées. On définit l'avancement de réaction minimal[7] :
Avancement de réaction minimal :
L'avancement de réaction, initialement nul, , ne peut donc évoluer qu'entre ces deux valeurs ; les valeurs extérieures à cet intervalle sont inaccessibles :
Le taux d'avancement, noté (lettre grecque alpha), est le rapport de l'avancement de réaction à l'avancement de réaction maximal[6] :
Taux d'avancement :
Selon le contexte, le taux d'avancement est également appelé taux de dissociation ou taux d'ionisation[6]. Le taux d'avancement est adimensionnel, sa valeur est comprise entre et 1 ; on peut également l'exprimer en pourcentage en multipliant la valeur ainsi obtenue par 100. Si à la fin de la réaction , alors la réaction est totale, elle s'est arrêtée parce que l'un des réactifs est épuisé. Si la réaction est un équilibre chimique[8].
Inversement, lorsque la quantité d'une espèce diminue, soit :
s'il s'agit d'un produit, soit , alors ;
s'il s'agit d'un réactif, soit , alors .
En conséquence :
la réaction progresse lorsque les réactifs disparaissent et que les produits apparaissent : , l'avancement de réaction augmente ;
la réaction régresse lorsque les réactifs apparaissent et que les produits disparaissent : , l'avancement de réaction diminue.
Dans un équilibre chimique, la réaction peut se déplacer dans les deux sens. L'avancement de réaction peut donc indifféremment augmenter ou diminuer. Puisque l'avancement est nul au début de la réaction, à l'instant , il peut par la suite prendre aussi bien une valeur positive, (la réaction a progressé par rapport à l'état initial, voir Exemple 1), qu'une valeur négative, (la réaction a régressé par rapport à l'état initial, voir Exemple 2).
D'autre part, puisque l'expression de l'avancement de réaction dépend de la façon dont la réaction est écrite, les notions de progression et de régression de la réaction dépendent elles aussi de la façon dont la réaction est écrite. Reprenons l'exemple de l'équilibre du trioxyde et du dioxyde de soufre en présence d'oxygène ; nous avons notamment une première écriture :
et une deuxième écriture avec l'écriture inverse :
Quelle que soit l'écriture, une variation d'avancement positive signifie que la réaction progresse ; cependant :
selon la première écriture : , donc et , la réaction progresse en produisant du trioxyde de soufre ;
selon la deuxième écriture : , donc et , la réaction progresse en produisant du dioxyde de soufre .
Inversement, une variation d'avancement négative signifie que la réaction régresse ; cependant :
selon la première écriture : , donc et , la réaction régresse en produisant du dioxyde de soufre ;
selon la deuxième écriture : , donc et , la réaction régresse en produisant du trioxyde de soufre .
On a donc deux cas selon le produit recherché :
la réaction produit du si ou ;
la réaction produit du si ou .
Cet exemple illustre la nécessité de connaitre la façon dont la réaction est écrite dans l'utilisation de l'avancement de réaction.
On considère une réaction chimique quelconque. On peut écrire l'évolution des quantités des réactifs et des produits sous forme d'un tableau appelé tableau d'avancement. La première ligne du tableau représente l'équation bilan de la réaction. Sur les lignes suivantes, en dessous de chaque constituant, sont reportées successivement la quantité initiale du constituant (avancement initial nul), sa quantité à un instant quelconque (fonction de l'avancement ) et la quantité finale lorsque l'équilibre est atteint (avancement final ).
L'acide éthanoïque dans l'eau forme l'ion acétate. Le tableau d'avancement de la réaction est le suivant.
Tableau d'avancement.
L'avancement de réaction final vaut = 4,2 × 10−4 mol. L'avancement de réaction maximal correspond à la disparition totale de l'acide éthanoïque : = 0,01 mol. Le taux d'avancement est donc de = 4,2 × 10−2, que l'on peut exprimer en pourcentage : = 4,2 %. L'acide éthanoïque est donc très peu dissocié dans l'eau.
L'avancement minimal est ici nul, car la quantité d'ion acétate est initialement nulle : .
On introduit dans un réacteur les quantités initiales suivantes :
2 mol d'hydrogène ;
1 mol d'oxygène ;
0 mol d'eau .
On considère la réaction à un instant auquel :
1 mol d'hydrogène a été consommée, il en reste donc 1 mol ;
il reste 0,5 mol d'oxygène ;
il s'est formé 1 mol d'eau.
L'avancement de réaction peut se calculer indifféremment par rapport à toutes les substances mises en jeu dans la réaction :
par rapport à l'hydrogène : ;
par rapport à l'oxygène : ;
par rapport à l'eau : .
Par contre, si l'on écrit :
avec les mêmes quantités initiales et transformées on aurait :
par rapport à l'hydrogène : ;
par rapport à l'oxygène : ;
par rapport à l'eau : .
Ce qui illustre que, pour les mêmes quantités initiales et transformées, la valeur de l'avancement de réaction dépend de la manière d'écrire l'équation bilan.
D'autre part, si l'on double les quantités initiales, au même instant les quantités transformées de réactifs sont doublées par rapport au cas précédent : il reste donc le double des quantités. Le calcul montre que pour les deux écritures de la réaction les avancements sont doublés ( et ) : l'avancement de réaction est une grandeur extensive.
La vitesse de réaction est égale à la dérivée de l'avancement de la réaction par rapport au temps , elle s'exprime en mol s−1[10],[11],[12] :
Vitesse de réaction :
La vitesse de réaction rapportée au volume du milieu réactionnel est notée , elle s'exprime en mol m−3 s−1[10] :
Vitesse de réaction :
La vitesse de réaction peut prendre aussi bien une valeur positive lorsque la réaction progresse (l'avancement de réaction croît) que négative lorsque la réaction régresse (l'avancement de réaction décroît) ; à l'équilibre .
Pour tout constituant (réactif, produit ou inerte), la vitesse d'apparition est égale à[11],[12] :
Vitesse d'apparition du constituant :
Comme la vitesse de réaction, la vitesse d'apparition d'un constituant peut être positive (le constituant apparait) ou négative (le constituant disparait) ou nulle (pour un inerte). Lorsqu'une réaction progresse, soit , la vitesse d'apparition d'un réactif est négative, et celle d'un produit positive. Inversement, lorsqu'une réaction régresse, soit , la vitesse d'apparition d'un réactif est positive, et celle d'un produit négative.
Comme l'avancement de réaction, les grandeurs de réaction dépendent de l'écriture de la réaction, puisque leur expression inclut les coefficients stœchiométriques.
Les grandeurs de réaction sont souvent notées au moyen de l’opérateur de Lewis[14] :
L'enthalpie de réaction donne, pour les réactions effectuées à pression et température constantes, la chaleur dégagée par la réaction[15],[13] :
Si la réaction est exothermique, elle dégage de la chaleur lorsque augmente. Si la réaction est endothermique, elle absorbe de la chaleur lorsque augmente[13].
En application de la condition d'évolution spontanée , nous avons[18] :
si , alors et : la réaction progresse ;
si , alors et : la réaction régresse ;
si , alors : la réaction est à l'équilibre.
Les activités chimiques dans le quotient de réaction sont des fonctions de la pression, de la température et de la composition, et par conséquent de l'avancement de réaction : . La constante d'équilibre est une fonction de la température : . L'équilibre à pression et température données est donc situé à l'avancement de réaction répondant à la loi d'action de masse :
Loi d'action de masse : à l'équilibre
Exemple 1 - Décomposition de l'hydrogénosulfure d'ammonium[21].
On introduit dans un réacteur 0,06 mol d'hydrogénosulfure d'ammonium solide NH4HS qui se décompose en ammoniac NH3 et sulfure d'hydrogène H2S, tous deux gazeux. Le volume du réacteur est de 2,4 litres et la température est maintenue constante à 20 °C. La constante d'équilibre vaut = 0,05. On écrit le tableau d'avancement.
Tableau d'avancement.
Le solide étant pur, son activité chimique vaut : = 1. Les activités des gaz sont écrites en fonction de leur pression partielle, développée selon la loi des gaz parfaits :
On a donc à l'équilibre, selon la loi d'action de masse :
On obtient = 2,2 × 10−2 mol. On complète le tableau d'avancement.
Tableau d'avancement.
Dans cet exemple la résolution de la loi d'action de masse conduit également à la solution = −2,2 × 10−2 mol. Dans le cas présent cette solution ne peut être retenue car elle conduirait à des quantités d'ammoniac et de sulfure d'hydrogène négatives.
En considérant une quantité initiale de 0,808 mol d'ammoniac, l'activité de celui-ci est modifiée selon :
et la loi d'action de masse selon :
L'avancement de réaction est de = 6 × 10−4 mol ; la solution = −0,808 6 mol est écartée car elle conduit à des quantités d'ammoniac et de sulfure d'hydrogène négatives. On modifie le tableau d'avancement.
La constante d'équilibre vaut = 4,0 × 10−3 à 573 K (299,85 °C). On travaille à une pression de = 70 bar. Les gaz sont considérés comme parfaits. Soit un mélange initial contenant 1 mol de chaque constituant. À tout instant la quantité de matière totale dans le mélange réactionnel est de mol. Les activités des divers constituants valent, en fonction des pressions partielles :
On a donc à l'équilibre, selon la loi d'action de masse :
On obtient = −0,77 mol. La réaction a donc régressé, l'éthanol a produit de l'éthylène. La solution = 2,77 mol est écartée car les quantités d'éthylène et d'eau seraient négatives. Le tableau d'avancement est le suivant.
Soit un milieu réactionnel siège de réactions simultanées impliquant constituants , on note les diverses réactions selon[4],[23] :
réaction :
réaction :
réaction :
On note :
l'indice des réactions, ;
l'indice des constituants, ;
le coefficient stœchiométrique du constituant dans la réaction , tel que :
pour un réactif ;
pour un produit ;
si le constituant n'intervient pas dans la réaction .
Soit la variation de quantité du constituant due à la réaction . À noter que l'on a si , c'est-à-dire que le constituant n'intervient pas dans la réaction . Pour chacun des constituants, on a la variation globale de quantité dans le mélange réactionnel :
Pour chacune des réactions, on définit un avancement de réaction tel que pour chacun des constituants :
Avancement de la réaction :
On a donc pour tout constituant , réactif, produit ou inerte[23] :
ou, en intégrant entre l'instant initial et un instant quelconque[4],[23] :
Les coefficients stœchiométriques valent en conséquence :
On suppose un mélange initial composé exclusivement de méthane et d'eau ; les quantités initiales d'hydrogène, de monoxyde et de dioxyde de carbone sont nulles : . Les quantités des divers constituants évoluent selon le tableau d'avancement suivant.
À pression et température constantes, la variation de l'enthalpie libre globale du système réactionnel vaut[25],[26] :
avec :
l'enthalpie libre de réaction de la réaction ;
l'affinité de la réaction .
Les potentiels chimiques sont des fonctions de l'ensemble des quantités des constituants du mélange réactionnel : . Chacune des enthalpies libres de réaction est donc fonction de l'ensemble des avancements de réaction :
↑Jean Hertz, « Historique en grandes enjambées de la thermodynamique de l’équilibre », J. Phys. IV France, vol. 122, , p. 3-20 (DOI10.1051/jp4:2004122001, lire en ligne [PDF], consulté le ).
↑ a et bElise Marche, Séverine Bagard et Nicolas Simon, Chimie : Visa pour la 1re année santé, Ediscience, , 200 p. (ISBN978-2-10-055464-5, lire en ligne), p. 46.
↑Une réaction spontanée, dans laquelle décroît, est appelée réaction exergonique. À contrario une réaction provoquée, dans laquelle croît, est appelée réaction endergonique.
↑Bruno Fosset, Jean-Bernard Baudin et Frédéric Lahitète, Chimie : Exercices et annales PC-PC*, Dunod, , 152 p. (ISBN978-2-10-075338-3, lire en ligne), p. 105-106;118.
↑Bruno Fosset, Jean-Bernard Baudin et Frédéric Lahitète, Chimie PTSI : Tout-en-un, Dunod, , 2e éd., 496 p. (ISBN9782100833078, lire en ligne), p. 33.
Jean-Pierre Corriou, Thermodynamique chimique : Équilibres thermodynamiques, vol. J 1028, Techniques de l'ingénieur, coll. « base documentaire Thermodynamique et cinétique chimique, pack Opérations unitaires. Génie de la réaction chimique, univers Procédés chimie - bio - agro », (lire en ligne), p. 1-31.
P. Infelta et M. Graetzel, Thermodynamique : Principes et Applications, BrownWalker Press, , 484 p. (ISBN978-1-58112-995-3, lire en ligne), chapitres 9 et 10.
J. Mesplède, Chimie PSI : Cours - Méthodes - Exercices résolus, Bréal, coll. « Les nouveaux précis Bréal », , 350 p. (ISBN978-2-7495-2063-6, lire en ligne), partie I - Thermodynamique ; Chapitre 2 - Équilibres chimiques pp. 37-80 ; Chapitre 3 - Déplacement des équilibres pp. 81-116.
Michel Soustelle, Équilibres chimiques, vol. 4, Londres, ISTE Group, coll. « Génie des procédés / Thermodynamique chimique approfondie », , 196 p. (ISBN978-1-78405-103-7, lire en ligne).
Pierre Trambouze et Jean-Paul Euzen, Les réacteurs chimiques : De la conception à la mise en œuvre, Éditions OPHRYS, coll. « Publications de l'Institut français du pétrole », (ISBN2-7108-1121-9, lire en ligne).