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REVUE HYBRIDE DE L’ÉDUCATION

Apprendre à écrire « pour de


vrai » de la 3e maternelle à la 2e
primaire : les ateliers d’écriture
aident-ils les jeunes enfants à
développer leurs compétences en
production d’écrits?1
Séverine, De Croix, UCLouvain & Haute École Léonard de Vinci-ENCBW,
[email protected]
Marine André, ULiège, [email protected]
Dylan Dachet, ULiège, [email protected]
Anouk Dumont, UCLouvain, [email protected]
Morgane Libion, UCLouvain, [email protected]
Patricia, Schillings, ULiège, [email protected]

1
Avec la collaboration de Virginie Craps, UMons ; Graziella Deleuze, Haute École Bruxelles-
Brabant-Defré ; Jean Kattus, Haute École libre mosane ; Audrey Kumps, UMons ; Amélie
Hanus, Haute École libre mosane ; Dominique Ledur, Haute École Galilée-ISPG ; Marielle
Wyns, Haute École Léonard de Vinci-ENCBW.

Numéro 1 1 Printemps 2017


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Résumé
Cet article est consacré à l’analyse des effets de deux dispositifs
d’ateliers d’écriture sur les compétences relatives à l’encodage des mots
de 127 élèves issus de vingt-deux classes de l’enseignement
fondamental belge. Les analyses statistiques menées ont permis de
mettre en évidence un effet positif significatif sur l’ensemble des
indicateurs observés (nombre de mots produits, concept de phrase,
segmentation, nature des mots, valeur sonore des lettres et
correspondances graphophonologiques). Les résultats font également
apparaitre une réduction des écarts entre les élèves sur certains de ces
indicateurs.

Mots-clés
• Ateliers d’écriture
• Enseignement primaire
• Progression
• Encodage
• Différenciation

Numéro 1 2 Printemps 2017


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1. Problématique

Des enquêtes récentes en Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique)


révèlent de grandes disparités entre les élèves en lecture, notamment
lorsqu’il s’agit de verbaliser par écrit un raisonnement sur le texte, et
pointent, pour 8% des élèves de quatrième année, des difficultés qui
interrogent le sens qu’a revêtu l’apprentissage de la lecture (Schillings,
Dejaegher, Géron & Dupont, 2018). Une étude de Lafontaine et Nyssen
(2006) indique également que les enseignants du primaire passent peu
de temps à écrire ou à faire écrire pendant la journée scolaire,
particulièrement lorsqu’il s’agit d’activités authentiques de production
d’écrit. La prévalence de l’apprentissage des correspondances
graphophonologiques et le poids des corrections systématiques des
textes figurent parmi les raisons souvent avancées par les enseignants
qui déclarent démunis pour aider les élèves à progresser dans ce
domaine.

Dans cette contribution, nous rendons compte d’une recherche


longitudinale mise en place dans 35 classes du préscolaire et du début du
primaire, pour favoriser la production de vrais textes, sans attendre que
les jeunes élèves ne maitrisent le geste graphique ou ne soient entrés
dans la lecture. Cette étude collaborative a été menée par plusieurs
didacticiens du français, réunis au sein d’une équipe de recherche mise
2
en place dans le cadre du « Pacte pour un enseignement d’excellence » ,
vaste réforme du système éducatif en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Deux dispositifs didactiques ont été proposés aux enseignants dans le but
de les valider empiriquement en tant que leviers favorables à l’acquisition
de l’écriture : les ateliers d’écriture de Lucy Calkins & al. (2016, 2017) et
l’atelier dirigé d’écriture de Bucheton et Soulé (2009). Cet article décrit
l’évolution des compétences des élèves de première et deuxième années
primaires de 22 classes au niveau de l’encodage des mots.

2. Éléments de cadrage théorique

2.1. Conception de l’activité d’écriture

Précisons tout d’abord la conception de l’écriture et de l’apprentissage de


l’écriture à laquelle nous nous référons. Tâche complexe dont la maitrise
entraine paradoxalement une complexification des traitements et un

2
Cette réforme s'appuie sur la mise en œuvre d’un tronc commun de 3 à 15 ans et cherche
notamment à renforcer la maitrise de la langue de l’enseignement dès la maternelle. Dans le
but de soutenir les pratiques des enseignants, la réforme propose entre autres de mettre à
la disposition des enseignants des pratiques, dispositifs et outils didactiques dits ou
supposés efficaces (sur le modèle de « l’éducation fondée sur des preuves »).

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allongement de la réalisation (Alamargot, 2013), l’écriture d’un texte peut


être définie comme une activité par laquelle un ou plusieurs sujet(s)
scripteur(s) produit (produisent) ou reproduit (reproduisent), dans un
contexte particulier d’écriture, du sens linguistiquement structuré. Cette
production de sens est le résultat d’une interaction entre les données
propres au scripteur, au texte et au contexte.
Le scripteur aborde une tâche d’écriture avec ses structures affectives
(ses centres d’intérêt, ses représentations de l’écriture, les valeurs qu’il
accorde à cette activité, son rapport à l’écriture construit au fil de ses
expériences de l’écrit…) et ses structures cognitives (connaissances
linguistiques, textuelles, sémiotico-sociales, relatives au fonctionnement
de l’écriture et de la lecture et expériences). Sur le plan cognitif, il met en
œuvre plus ou moins consciemment un certain nombre d’opérations
récursives (qui interviennent dans des ordres différents, à plusieurs
reprises au cours d’un même acte d’écriture) : la planification, la
textualisation (qui inclut l’acte graphique), la révision, l’édition... Ces
opérations (ou stratégies) d’écriture sont plus ou moins automatisables :
la textualisation est, par exemple, davantage susceptible d’être
automatisée que la planification et la révision. Leur mise en œuvre
dépend des ressources attentionnelles disponibles, donc de la capacité
de la mémoire de travail du scripteur qui doit « stocker » de façon
provisoire des informations phonologiques/verbales, visuelles/spatiales,
conceptuelles/sémantiques. Écrire un texte suppose, pour le scripteur, de
coordonner de façon personnelle ces opérations non linéaires.
Le texte, quant à lui, se définit par ses dimensions énonciative,
sémantique, textuelle (cohérence), linguistique (syntaxe, lexique,
orthographe), typographique et visuelle (mise en page). Enfin, la prise en
compte du contexte met en évidence qu’on n’écrit et qu’on ne diffuse pas
son texte de la même façon dans toutes les conditions, qu’elles soient
sociales (un ou plusieurs sujet(s) scripteur(s), un destinataire – le plus
souvent absent – dont l’énonciateur se forge des représentations, une
relation particulière entre énonciateur et destinataire, l’intervention des
pairs ou de l’enseignant pendant l’écriture…), psychologiques (projet,
intention(s) d’écriture tournée(s) vers soi ou vers les autres) ou
matérielles, physiques (cadre spatio-temporel, paramètres plus ou moins
contraints de la tâche en termes de format, d’outils scripteurs ou de
supports, par exemple).
Enfin, l’écriture est une activité plus ou moins placée sous l’influence de
normes (qui sont elles-mêmes plus ou moins souples, selon les situations
de communication) : les normes de l’écrit – qu’elles soient linguistiques
(orthographe, ponctuation, lexique, morphosyntaxe…) ou sociales (règles
de courtoise…) – se définissent comme un ensemble de règles et de
régularités à respecter par la communauté linguistique pour favoriser une
communication réussie entre ses membres. C’est le plus souvent la
conscience des lecteurs potentiels de son texte qui conduit le scripteur à
être attentif aux exigences de la communication. Notons d’ailleurs qu’à

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l’école, certains savoirs implicites, d’arrière-plan – les « savoirs cachés de


l’écriture » – sont nécessaires, bien qu’ils soient trop peu enseignés, pour
interpréter correctement les enjeux des tâches proposées, pour identifier
les attentes qui y sont associées, pour « assumer une position de sujet
scolaire écrivant en accord avec les codes scolaires, tout en étant
capable d’affirmer son point de vue singulier » (Bucheton, 2014 : 36).

2.2. Les principes didactiques qui sous-tendent les pratiques efficaces


dans l’apprentissage progressif de l’écriture

Les situations d’enseignement qui se révèlent les plus favorables à


l’apprentissage progressif de l’écriture à l’école reposent sur plusieurs
principes validés à l’occasion de nombreuses recherches. Il s’agit tout
d’abord d’allouer un temps d’écriture régulier, voire quotidien, mais
également d’enseigner comment écrire pour mettre en œuvre une variété
d’intentions d’écriture (Graham & al., 2012) ; en d’autres termes, les
apprentis scripteurs ont besoin de « temps » longs, lents et de
« variation » pour mettre en œuvre la réflexivité langagière qu’exige
l’activité d’écriture (Bucheton, 2014 : 218-219). Il semble également
pertinent d’enseigner les processus et stratégies d’écriture afin que les
scripteurs soient en mesure de les utiliser de façon autonome et flexible
(Graham & al., 2012) : ceux-ci peuvent être explicités en amont de
l’écriture afin d’être transférés dans les écrits personnels ensuite, mais
aussi en cours de tâche ou à l’issue de la tâche, à l’occasion
d’interactions grâce auxquelles les élèves décrivent, comparent leurs
modes de faire et s’interrogent sur leur pertinence ou sur les conditions
de leur transfert dans d’autres situations. L’automatisation progressive de
l’écriture manuscrite, de l’orthographe, de la construction de phrases,
mais également de l’utilisation du clavier et du traitement de texte,
permettra peu à peu aux jeunes scripteurs d’allouer davantage d’attention
au développement de leur pensée ou à la révision de leurs écrits
(Graham & al., 2012) . Un travail spécifique sur les codes de la langue
écrite, multiples et imbriqués, doit donc être articulé de façon étroite à
l’activité d’écriture elle-même, dans une difficile recherche d’équilibre et
de « passages » féconds (Bucheton, 2014 : 220). Enfin, outre les
habiletés en écriture, les élèves ont besoin de se sentir appartenir à une
communauté d’auteurs engagés qui disposent d’une marge de manœuvre
dans le choix des sujets, des formats ou des procédures d’écriture ; qui
interagissent et collaborent en situation de production d’écrits ; qui
communiquent et publient leurs écrits et bénéficient d’occasions répétées
de réagir à propos des écrits de leurs pairs.

La mise en œuvre, en classe, de ces principes didactiques suppose, du


côté de l’enseignant, une représentation de l’écriture associée à des
finalités communicative, mais aussi créative et réflexive, s’agissant des
écrits intermédiaires qui constituent des instruments de pensée
fondamentaux (Bucheton, 2014). En outre, pour soutenir véritablement le
travail d’écriture de leurs élèves, les enseignants doivent apprendre à

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poser des « gestes professionnels » (des gestes didactiques centrés sur


des savoirs spécifiques tels que les processus d’écriture experts –
planification, révision… – mais également des gestes de tissage,
d’atmosphère, de pilotage et d’étayage) plus ajustés (Bucheton, 2014 :
205).

2.3. À propos de quelques résultats de recherches récentes sur les


« écritures précoces » et leurs relations aux apprentissages de la lecture
et de l’écriture

De nombreux travaux inscrits dans des champs disciplinaires


complémentaires (didactique du français, linguistique, psycholinguistique)
ont mis en évidence l’influence des activités de production d’écrits sur
l’apprentissage de la lecture-écriture et l’intérêt d’une « exposition à
l’écriture » (Écalle & Magnan, 2002 ; Fitzgerald & Shanahan, 2000 ;
Graham & Herbert, 2011). En rupture avec une conception ancienne
répandue qui voulait que les activités d’écriture succèdent à
l’apprentissage de la lecture, des chercheurs de plus en plus nombreux
accordent aujourd’hui une place légitime aux activités d’écriture dès les
débuts des apprentissages de l’écrit (David & Morin, 2013 ; Chartier,
2007). L’hypothèse est posée que l’écriture pourrait contribuer au
développement de certains aspects de la lecture qui n’ont pas été
préalablement et complètement intégrés (Shanahan, 2009 ; Brissaud,
Pasa, Ragano & Totereau, 2016) et qu’un équilibre entre l’enseignement
de la lecture et de l’écriture pourrait accroitre l’efficacité de ces deux
acquisitions (David & Morin, 2013).

Des études consacrées aux « écritures précoces » ont également mis en


évidence la relation entre les performances en écriture au préscolaire,
notamment sur la découverte et la mise en œuvre du principe
alphabétique et la réussite de l’apprentissage de la lecture-écriture au
début de l’école primaire (Morin & Montésinos-Gelet, 2007). Pour autant,
tous les contextes d’écriture ne se valent pas : ce sont les activités
d’écriture approchées qui favorisent les plus grands progrès chez les
jeunes scripteurs (Rieben & al., 2005 ; Sénéchal & al., 2012). Le
qualificatif « approchées » revêt, dans ce contexte, une double
signification. D’une part, il rend compte de la progression des jeunes
enfants dans leur appropriation du langage écrit, sur les deux versants de
la compréhension et de la production : les enfants approchent pas à pas
l’écrit comme un objet de connaissance aux formes multiples. D’autre
part, il attire l’attention sur le nécessaire accompagnement de l’adulte
bienveillant qui soutient le cheminement acquisitionnel (David & Morin,
2013). En d’autres termes, les enfants préscolarisés qui pratiquent
régulièrement des écritures autonomes (ou « autographies ») en
rétroaction de l’adulte sur la norme obtiennent de meilleurs résultats dans
des situations de reconnaissance et de production de mots (Fraquet &
David, 2013). C’est notamment la dimension dialogique de ces
productions écrites qui favorise leur effet sur l’acquisition de l’écrit : dans

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un contexte d’échange, les élèves sont conduits à verbaliser leurs


solutions graphiques, leurs savoirs, leurs stratégies avec les autres (et
notamment avec l’enseignant, qui tente de les organiser par un travail
réflexif de structuration des connaissances). Par ailleurs, Fraquet & David
(2013) observent, à l’occasion de l’expérimentation d’un dispositif qui
combine à haute régularité des écrits en contexte, des ateliers
d’encodage, des échanges collectifs en groupes de besoin et des écrits
spontanés, que face à une norme orthographique aux multiples facettes
qui ne cesse de remettre en question les procédures et les
connaissances construites sur l’écrit, les enfants de dernière année du
préscolaire apprennent à combiner leurs stratégies, à les adapter, à les
compléter et à les reconfigurer dans leurs essais d’écriture successifs
(Jaffré, 2000 ; David, 2006). Dès qu’ils parviennent à extraire les sons
(syllabes, rimes, phonèmes…) de leurs énoncés oraux et à la condition
qu’un retour sur les normes écrites soit proposé, les enfants font
d’importants progrès : les conceptualisations du système écrit (et de
l’écriture en tant que pratique) s’affinent, les principes fondamentaux de
l’encodage sont progressivement intégrés (Fraquet & David, 2013). Dans
une autre étude, David & Dappe (2013) montrent qu’au-delà du principe
alphabétique, les jeunes scripteurs du début du primaire sont capables
d’appréhender d’autres réalités linguistico-graphiques du français,
notamment tout ce qui relève de la morphographie, cette partie du
système écrit du français qui marque les catégories grammaticales des
mots, notamment les marques du pluriel, et qui se trouve souvent écartée
des préoccupations d’un enseignant du début du primaire. À travers des
gestes professionnels adaptés, l’enseignant peut ainsi inviter les élèves à
raisonner à partir de leurs écrits ou de ceux de leurs pairs, ce qui les
conduit à résoudre différents problèmes langagiers et à développer, à
terme, la maitrise du système orthographique complexe du français.
Enfin, l’analyse du corpus produit par la recherche L’influence des
pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des
apprentissages au cours préparatoire (Goigoux, 2016) se situe dans la
re
continuité de ces avancées récentes. Ainsi, les classes de 1 primaire au
sein desquelles les élèves passent plus de 30 minutes par semaine à
produire des écrits en encodant eux-mêmes progressent davantage que
3
les autres (Dreyfus, Soulé, Dupuy & Castany-Owhadi, 2017).
Néanmoins, l’accroissement du temps seul ne semble pas suffisant. En
effet, si globalement, les enseignants les plus efficaces abordent les
tâches de production d’écrits en offrant aux élèves davantage de temps
pour produire des phrases et des textes que ne le font les enseignants les
moins efficaces, en fin d’année scolaire, le temps d’exposition à la
tâche d’encodage autonome est néanmoins équivalent pour tous ces
élèves, ce qui incite les chercheurs à avancer prudemment d’autres
hypothèses explicatives que le temps passé sur ce type de tâches,

3
Cet effet est positif non seulement sur l’apprentissage du code, mais également sur les
performances en compréhension et sur le score global en lecture-écriture, quel que soit le
niveau de départ des enfants.

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notamment en étudiant plus avant les choix d’accompagnement posés


par les enseignants. Ainsi, la gestion des interactions, selon qu’elle
favorise ou non la prise de conscience et de décision des élèves sur les
microtâches à exécuter que demandent les essais d’écriture, quelles que
soient les unités linguistiques mobilisées, aurait une influence sur les
performances des élèves de première primaire. En particulier seraient
profitables à tous les élèves les reformulations qui permettent aux enfants
de construire une vigilance précoce quant aux contraintes de l’écrit
(Dreyfus, Soulé, Dupuy & Castany-Owhadi, 2017).
Bien sûr, ces études se heurtent souvent à un obstacle de taille s’agissant
de leur transposition didactique : celle de la représentation hypernormée
de l’écriture-orthographe du français chez les enseignants. Pour être
véritablement efficaces, les pratiques que nous avons décrites ci-dessus
demandent aux enseignants d’évaluer les écrits de leurs élèves non en
termes d’écart à une norme mais comme les traces d’une activité révélant
des connaissances extraites de l’environnement scriptural et des
procédures cognitivo-linguistiques nécessairement évolutives (Jaffré,
2000 ; David, 2006).

3. Méthodologie

3.1. Question et dispositif de recherche

La pratique régulière d’ateliers (dirigés) d’écriture influence-t-elle


positivement les compétences des jeunes scripteurs ?
Pour traiter cette question, une recherche collaborative a été lancée
auprès d’enseignants volontaires. À l’issue d’une séance de présentation
de la recherche et des dispositifs didactiques sélectionnés, chacun d’eux
a choisi le dispositif d’atelier d’écriture qu’il souhaitait mettre en œuvre
dans sa classe. Ce choix laissé aux enseignants témoigne d’une volonté
de répondre aux besoins des professionnels, de rejoindre leurs
préoccupations et d’intégrer le plus harmonieusement possible les
recommandations issues de la recherche à leurs pratiques de classe.
Chaque enseignant a en outre bénéficié d’un accompagnement par un
chercheur de l’équipe lors de la préparation et de la mise en œuvre du
dispositif dans sa classe.
3.2. Présentation des deux dispositifs expérimentés
Les deux dispositifs cherchent à développer chez les élèves une posture
d’auteur. Alors que les ateliers d’écriture de Calkins & al. (2016) se
centrent sur l’enseignement explicite des stratégies en jeu dans la
production d’écrits, l’atelier dirigé d’écriture de Bucheton & Soulé (2009)
cherche à relier l’apprentissage de la lecture et de l’écriture par le recours
à l’explicitation collective des stratégies de productions d’écrits, le
développement d’une démarche d’analyse du code et l’identification des
règles de l’écrit.

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3.2.1. L’atelier dirigé d’écriture (Bucheton & Soulé, 2009)


L’atelier dirigé d’écriture vise à relier l’apprentissage de la lecture et de
l’écriture. Dès le début de la première année primaire, cinq à sept élèves
répartis en groupes hétérogènes produisent, sous la guidance de
l’enseignant, un texte authentique pendant que les autres élèves
travaillent en autonomie (travaux de groupes ou travail sur fichier, par
exemple).
Le statut de l’activité est clairement énoncé en début d’atelier : il ne s’agit
pas d’un lieu de contrôle mais d’un « laboratoire d’observation-exploration
de notions, de problèmes d’écriture » (Bucheton, 2014 : 227). Les élèves
peuvent s’entraider et l’enseignant est là comme ressource. L’atelier
dirigé alterne des moments de problématisation et de réflexion sur les
solutions possibles. Il est conçu comme un « moment de langage
socialisé » où le lu, l’écrit et le parlé se répondent (Bucheton & Soulé,
2009 : 155). Dès les premiers ateliers, l’écrit est travaillé dans toute sa
complexité. Durant 20 à 35 minutes, les élèves aidés de l’enseignant
mènent de front les opérations textuelles (invention-planification, mise en
mots, révision) et orthographiques (encodage et début du travail sur la
morphologie et la syntaxe). Ils sont également confrontés aux enjeux
pragmatiques de l’écriture (s’adresser à un destinataire absent,
s’impliquer affectivement). Envisagée comme une tâche de résolution de
problèmes, l’atelier d’écriture vise à rendre explicites non seulement les
opérations de résolution qu’il nécessite, mais également les démarches
d’analyse du code et l’identification des règles de la langue écrite.
La conduite de l’atelier s’effectue en trois étapes. La négociation du texte,
qui correspond à l’élaboration ou à la mise en mots du contenu à
produire, se réalise collectivement et fait l’objet de répétitions par
l’enseignant et par les enfants de manière à favoriser la mise en mémoire
du texte. L’écriture du texte est menée par chaque enfant à son rythme,
avec une aide plus importante allouée aux enfants les plus faibles. Les
ressources sont pointées (référents affichés en classe…) et les élèves
sont encouragés à résoudre les problèmes d’encodage, de segmentation,
et d’orthographe, individuellement ou collectivement, grâce aux
négociations graphiques dans lesquelles ils s’engagent.

En fin d’atelier, la validation et la correction à voix haute de chaque


production par l’enseignante permettent d’instituer le geste de révision et
la construction du rapport à la norme. La relecture et l’autocorrection sont
valorisées dans une atmosphère positive où le rapport à l’erreur est
explicitement associé à l’apprentissage en cours. Le sens de l’activité est
explicité : on écrit pour apprendre les règles de l’écriture. L’enseignant
relit, verbalise et corrige tour à tour chaque production en terminant par

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celle de l’élève le plus fragile, qui bénéficie ainsi de la répétition de cette


phase finale de verbalisation des savoirs énoncés.

3.2.2. Les ateliers d’écriture de récits inspirés des « petits moments »


(Calkins & al., 2016)

Calkins et ses collègues proposent une mise en place progressive et


4
quotidienne d’ateliers d’écriture à l’école fondamentale. L’ouvrage choisi
cible l’apprentissage des stratégies d’auteur à travers l’écriture de petits
moments inspirés du vécu des élèves. La démarche est fondée sur une
approche intégrée de la langue maternelle dans laquelle les quatre
compétences de base sont indissociables (enseignement conjoint des
savoir lire, savoir écrire, savoir écouter et savoir parler).
Par ailleurs, l’analyse des procédés littéraires utilisés par les auteurs dans
des textes modèles permet d’articuler apprentissage de la lecture et de
l’écriture. La production de textes narratifs aide les élèves à comprendre
la nature de certaines démarches de compréhension telles que
l’inférence, les prédictions ou l’interprétation. Les enfants apprennent
ainsi à planifier avant d’écrire, à se servir de dessins pour enrichir leur
texte, à « étirer » les syllabes des mots pour mieux épeler, à écrire en
collaboration, à donner vie à des personnages, à étudier les procédés
utilisés par les auteurs pour captiver leurs lecteurs, à utiliser les
connaissances acquises pour réviser un texte, à corriger à l’aide d’une
liste de vérification. L’enseignement explicite de stratégies d’écriture est
conjugué à des principes ciblés sur le plaisir, l’émotion, le développement
d’une posture d’auteur et le partage de ses productions écrites avec
autrui.
Chaque atelier d’écriture (50 minutes) comporte quatre grandes étapes.
La première étape, d’une durée de 10 minutes, correspond à la phase
d’enseignement (modelage) d’une stratégie d’écriture (la planification,
l’enrichissement du texte, la révision, la description précise de l’action…).
L’objectif de cette mini-leçon est de construire progressivement un
répertoire de stratégies d’écriture que les élèves pourront mobiliser dans
leurs projets d’écriture. Une fois la mini-leçon achevée, les élèves sont
invités à se (re)plonger dans leurs projets d’écriture. Au cours de cette
phase d’écriture autonome (30-40 minutes), l’enseignant mène de brefs
entretiens individuels ou en sous-groupe de quatre à cinq élèves de
manière à offrir une pratique guidée. Ces entretiens revêtent une fonction
d’étayage. Ils visent la perception de l’intention d’écriture de chaque élève

4
Le matériel élaboré par Calkins & al. a été traduit et adapté aux Éditions La Chenelière,
sous la direction de Yves Nadon. Calkins, L., Oxenhorne, A. & Rothman, R. (2016). Écrire
des récits inspirés de nos petits moments. Module 1. Textes narratifs. Montréal, Canada :
Chenelière Education.

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et amènent l’enseignant à aider l’enfant à mettre en mots, à approfondir


son sujet : quel est le sujet abordé dans l’écrit ? D’où est-il venu ? Quelle
suite l’élève envisage-t-il de donner au texte ? Pour relancer l’attention
des élèves durant la phase d’écriture, un point d’enseignement (en cours
d’atelier) est généralement effectué par l’enseignant. Celui-ci peut
prendre la forme d’un rappel de stratégie étudiée précédemment dont la
mise en œuvre est omise ou mal effectuée par les élèves observés par
l’enseignant ce jour-là. Enfin, l’atelier se clôt par un moment de partage
des écrits au cours duquel les élèves se lisent leur récit en duo ou le
lisent à la classe. La mise en évidence des apprentissages réalisés fait
également partie des enjeux de ce moment de partage.

3.3. Échantillon et outils de mesure des progrès


Les données longitudinales sur lesquelles nous nous appuyons ont été
recueillies dans des classes de première et de deuxième années
primaires de l’enseignement fondamental belge entre février et juin 2018
dans le cadre d’une étude de cas sur l’enseignement apprentissage de la
production écrite au cycle 5-8.

3.3.1. Les participants

45 élèves issus de 8 classes des première ou deuxième années de


l’enseignement primaire ont pris part à des ateliers dirigés d’écriture
(selon le modèle de Soulé & Bucheton, 2009), 82 élèves issus de 14
classes des première ou deuxième années de l’enseignement primaire
ont pris part à des ateliers d’écriture de récits à partir des « petits
moments » (selon le dispositif élaboré par Calkins & al. 2016). Six élèves
de chaque classe ont été sélectionnés par l’enseignant parmi les élèves
considérés comme ayant des besoins moyens à importants. Les élèves
présentant des troubles d’apprentissage ou nécessitant un suivi
logopédique (ou orthopédagogique) n’ont, à la demande des chercheurs,
pas été inclus dans l’échantillon.

3.3.2. L’évaluation des compétences des élèves

Pour évaluer les compétences en production d’écrits avant et après la


mise en œuvre des deux dispositifs d’atelier d’écriture, un prétest et un
post-test ont été administrés aux élèves de manière individuelle par les
chercheurs. Cette prise de données s’est effectuée par le biais d’une
tâche d'écriture consistant à narrer un petit moment vécu. Après avoir mis
en mots le contenu de leur production, les élèves ont été invités à
structurer leur bref récit en (trois) étapes, ainsi qu’à l’illustrer de (trois)
dessins (avant, pendant ou après l’écriture du texte). Une étape

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d’oralisation de chaque écrit par son auteur a été proposée ensuite.


Créée par l’équipe de recherche, la tâche d’écriture s’inspire du dispositif
d’ateliers de Lucy Calkins (2016). Ce test a été mis à l’essai avec
quelques enfants avant d’être administré aux élèves cibles, mais il n’a fait
l’objet d’aucune étude édumétrique préalable.

3.3.3. Modalités de codage des données

Pour objectiver les compétences des élèves, une grille de codage incluant
trois variables a été élaborée : le geste graphique, l’encodage des mots et
le traitement de la chronologie dans le récit. La taille de l’article ne nous
permettant pas de développer l’ensemble des variables, seule la
deuxième de ces variables, l’encodage des mots, sera exploitée dans cet
article car elle donne une bonne indication de la manière dont les élèves
sont entrés dans le langage écrit.

L’encodage des mots est appréhendé par le recours à six indicateurs


distincts.
(1) Le nombre de mots produits par l’élève résulte du comptage des mots
présents dans la production.
(2) Le concept de phrase est codé de 0 à 3 selon l’échelle suivante :
“gribouillis”, lettres isolées, mots isolés, phrase. Le stade de la phrase est
considéré comme atteint dès que l’enfant produit un groupe de mots qui a
du sens.
(3) La segmentation des mots correspond au rapport entre le nombre de
mots correctement segmentés et le nombre de mots produits, et ce sans
tenir compte du respect des normes orthographiques. Par exemple, dans
la production « mamaman écoute dela musique», le nombre de mots
correctement segmentés s’élève à deux (écoute, musique) et le nombre
de mots produits, à six.
(4) La nature des mots produits renvoie au niveau de conceptualisation
de la langue écrite (Ferreiro, 1998). Cet indicateur est codé selon une
échelle en cinq points (0 en présence du prénom ou de mots très
courants comme « Maman » et « Papa», 1 en présence de noms
communs, 2 pour les verbes, 3 pour les pronoms et 4 pour les
déterminants, prépositions ou mots de liaison). Le code attribué
correspond au plus haut niveau observé dans la production de l’élève.
Par exemple, dans la phrase « J’ai ramasaidé coquillages », le code 4 a
été attribué à la production car l’élève a produit un déterminant (« dé »=
des).
(5) La valeur sonore des lettres correspond au rapport entre le nombre de
lettres qui traduisent une correspondance au son correct attendu et le
5
nombre de lettres produites, en excluant le prénom . Par exemple, dans

5
Excepté si le prénom de l’enfant fait partie de l’histoire.

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la production « gettePou eoueavec » (J’ai été cherché mon petit frère


pour jouer avec lui), le nombre de lettres dont la valeur sonore est
correcte est de 15 sur les 16 lettres produites, seule la lettre en gras n’a
pas une valeur correcte.
(6) Enfin, la maitrise des correspondances graphophonologiques
correspond au rapport entre le nombre de mots conformes à la norme
orthographique et le nombre de mots produits.

Cette grille de codage a fait l’objet de plusieurs révisions à l’occasion de


sa mise à l’épreuve sur les données recueillies. Si elle prend appui sur
des éléments issus de la recherche relative à l’apprentissage de l’écriture,
elle n’a cependant pas fait l’objet d’études édumétriques préalables.

3.3.4. Modalités d’analyse

Parallèlement aux analyses descriptives traditionnelles, deux tests


comparatifs ont permis de juger de la significativité de la différence de
compétences entre le prétest et le post-test. Le premier a pour but de
comparer les moyennes des élèves à chaque indicateur lors des deux
administrations du test : c’est le test T de Student pour échantillons
appariés (Howell, 1998 ; Wonnacott & Wonnacott, 1991). Ce test
paramétrique, malgré sa robustesse, suppose une distribution normale
des échantillons (Albert, 2005). Étant donné la nature même de nos
données et les techniques de codage qui en découlent, il est à parier que
nos échantillons violent cette condition. Dès lors, et afin de s’assurer de la
fiabilité des résultats de nos tests T de Student pour échantillons
appariés, il a été décidé de leur adjoindre des tests des rangs signés de
Wilcoxon (Albert, 2005 ; Howell, 1998). Nous partons du postulat que, si
ce second test nous mène aux mêmes conclusions que le test
6
paramétrique, nos conclusions peuvent être considérées comme fiables .

4. Résultats

Les résultats de cette étude longitudinale menée sur ces deux ateliers
sont présentés successivement, l’objectif de notre étude ne consistant
pas à comparer les deux dispositifs (les tableaux d’analyse statistique

6
Dans ces situations où les deux tests réalisés sont cohérents entre eux, nous avons
également calculé des ampleurs de l’effet (non prises en compte dans cet article, mais
disponibles dans l’annexe n°1) afin de quantifier l’évolution des élèves entre les deux
administrations de notre test. Les tests réalisés en guise de pré- et de post-test étant très
analogues, nous avons utilisé une formule permettant de prendre en compte cette
caractéristique dans l’estimation de l’ampleur de l’effet (Lakens, 2013) ; le dz de Cohen qui
mobilise la statistique t issue du test de Student pour échantillons appariés.
!
dz =
!

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sont reproduits dans l’annexe n°1). Ne sont présentées que les données
relatives aux élèves présents à la fois au prétest et au post-test.

4.1 Résultats des classes qui ont vécu les ateliers dirigés d’écriture

Les données montrent une évolution positive significative du nombre de


mots produits par les élèves entre le prétest et le post-test. Avec une
probabilité de dépassement inférieure à 0.0048 (t=2,97), nous pouvons
rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes entre le prétest et le
post-test. En moyenne, les élèves ont produit 9,62 mots (écart-type
=10,3) au prétest contre 13,58 mots (écart-type=9.2) au post-test.

Concernant le concept de phrase, avec une probabilité de dépassement


inférieure à 0.0001 (t=5,18), nous pouvons rejeter l'hypothèse nulle
d'égalité des moyennes entre le prétest et le post-test. En d’autres
termes, les élèves présentent un niveau de conceptualisation de l’écrit
plus avancé au post-test qu’au prétest. En moyenne, les élèves sont
passés du niveau « mot isolé » au prétest (moyenne=2,31) au niveau
« phrase » (moyenne=2,82). Cette évolution s’accompagne d’une nette
réduction de l’écart-type (0.73 à 0.44).

Par ailleurs, le nombre de mots correctement segmentés diffère


significativement entre le prétest et le post-test avec une probabilité de
dépassement égale à 0,0021 (t=3,28). En moyenne, 60 % des mots
produits par les élèves au prétest sont correctement segmentés contre
81% au post-test. De plus, on observe une réduction des écarts-types (de
0.41 à 0.29).

Concernant la nature des mots produits, le Test T de Student pour


échantillons appariés réalisé sur ces variables (t = 4,28), nous permet de
rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes avec un seuil alpha de p
inférieur à 0,0001. Ceci indique qu’en moyenne, les élèves sont passés
dans l’échelle de conceptualisation de l’écrit du niveau des pronoms
(moyenne du prétest= 2, 58 écart type 1,75) à celui des déterminants,
prépositions, mots de liaison (moyenne du post-test=3.6 écart-type=
0,96).

La maitrise du code de correspondance graphophonétique évaluée par la


présence dans les productions de traces de la valeur sonore des lettres
montre une évolution positive significative. Le Test T de Student pour
échantillons appariés réalisé sur ces variables (t=4,44), nous permet de
rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes avec une probabilité
d'erreur inférieure à 0,0001. En moyenne, 68% des lettres produites au
prétest présentent une valeur sonore correcte contre 92% au post-test.
On observe d’ailleurs une réduction des écarts-types (de 0.38 à 0.17).

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La conformité des correspondances graphophonologiques à la norme


orthographique présente une évolution positive significative. Le Test T de
Student pour échantillons appariés réalisé sur ces variables (t=3,72),
nous permet de rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes avec un
seuil alpha de 0,0006. En moyenne, les productions contiennent au
prétest 30% de mots correctement orthographiés (écart-type=0.27) contre
48% au post-test (écart-type=0.27).

4.2 Résultats des classes qui ont vécu les ateliers d’écriture inspirés des
petits moments

Les données montrent une évolution positive significative du nombre de


mots produits par les élèves entre le prétest et le post-test. Avec une
probabilité de dépassement inférieure à 0.0001 (t=6,40), nous pouvons
rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes entre le prétest et le
post-test. En moyenne, les élèves ont produit 16,56 (écart-type=8.58) au
prétest, contre 23,34 mots (écart-type=8.61) au post-test.

Concernant le concept de phrase, avec une probabilité de dépassement


inférieure à 0.001 (t=3,41), nous pouvons rejeter l'hypothèse nulle
d'égalité des moyennes entre le prétest et le post-test. En d’autres
termes, les élèves présentent un niveau de conceptualisation de l’écrit
plus avancé au post-test qu’au prétest. En moyenne, les élèves sont
passés du niveau des « mots isolés » (moyenne=2,85) au prétest au
niveau de la « phrase » au post-test (moyenne=3). L’écart type passe de
0.39 au prétest à 0 au post-test, ce qui indique que l’ensemble des 82
élèves ayant pris part aux ateliers Calkins sont arrivés au plus haut
niveau de l’échelle en fin d’intervention.

Le nombre de mots correctement segmentés diffère significativement


entre le prétest et le post-test avec une probabilité de dépassement égale
à 0,0377 (t=2,11). En moyenne, au prétest 58% des mots sont
correctement segmentés contre 66% au post-test. On observe par ailleurs
une réduction des écarts-types (de 0.37 à 0.31).

Pour les données relatives à la nature des mots, le Test T de Student


pour échantillons appariés réalisé sur ces variables (t=2,28) nous permet
de rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes avec un seuil alpha
de p inférieur à 0,00253. Néanmoins, les élèves se situent en moyenne
dès le prétest au plus haut niveau de conceptualisation de l’échelle, celui
des déterminants, prépositions, mots de liaison (moyenne au prétest =
3,61, écart type 1.07 ; moyenne au post-test = 3.88, écart-type= 0.48).

Numéro 1 15 Printemps 2017


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La maitrise des correspondances graphophonologiques évaluée par la


présence dans les productions de traces de la valeur sonore des lettres
montre une évolution positive significative. Le Test T de Student pour
échantillons appariés réalisé sur ces variables (t=4,02) nous permet de
rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes avec une probabilité
d'erreur de 0.001. En moyenne, 87% des lettres produites au prétest
présentent une valeur sonore correcte contre 95% au post-test. On
observe par ailleurs une nette réduction des écart-types (de 0.21 à 0.1).

Enfin, la conformité des correspondances graphophonologiques à la


norme orthographique présente une évolution positive significative. Le
Test T de Student pour échantillons appariés réalisé sur ces variables
(t=3,53) nous permet de rejeter l'hypothèse nulle d'égalité des moyennes
avec un seuil alpha de 0,0007. En moyenne, les productions contiennent
au prétest 36% de mots correctement orthographiés (écart-type=0.22)
contre 45% au post-test (écart-type=0.21).

5. Discussion

Considérés sous l’angle – certes restreint – de la dimension linguistique


(encodage des mots), les textes produits par les enfants montrent que les
conceptions du système écrit se sont affinées et que les principes
fondamentaux de l’encodage sont progressivement intégrés (Fraquet &
David, 2013). Même si l’absence de groupe contrôle empêche d’imputer
avec certitude cette évolution positive, attestée par les résultats
quantitatifs, aux (seuls) dispositifs mis en œuvre, nous tendons à penser,
avec toute la prudence requise eu égard à la méthodologie de recherche
adoptée, que chacun des deux dispositifs a permis aux élèves de
progresser dans leurs démarches d’encodage des mots et a contribué à
réduire les écarts entre les élèves sur plusieurs indicateurs. Pour le
montrer, considérons deux productions d’élèves à titre d’exemples. La
production d’Amélia (annexe n°2), qui a pratiqué régulièrement l’atelier
dirigé d’écriture (Bucheton & Soulé, 2009), témoigne d’une évolution sur
l’ensemble des indicateurs : Amélia passe de la production de mots isolés
à des phrases ; le nombre de mots produits est quatre fois plus important
au post-test ; le nombre de lettres traduisant une valeur sonore correcte
s’accroit de 19% ; on observe l’apparition de déterminants et de
prépositions ; le nombre de mots correctement segmenté s’accroit de
25%, le nombre de mots correspondant à la norme orthographique s’est
également accru – il est passé de 0 sur 3 à 5 sur 1, soit un accroissement
de 42%. La production de Melek (annexe n°3), qui a pratiqué les ateliers
d’écriture de L. Calkins, montre également une évolution sur la plupart
des indicateurs : Melek passe de la production de mots isolés à des
phrases ; elle produit trois fois plus de mots au post-test ; le nombre de
lettres traduisant une valeur sonore correcte s’accroit de 19% ; les
déterminants déjà présents au prétest demeurent présents au post-test ;

Numéro 1 16 Printemps 2017


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le nombre de mots correctement segmenté s’accroit de 27% ; le nombre


de mots correspondant à la norme orthographique s’est également accru
de 40%, passant de 1 sur 5 au prétest à 9 sur 15 au post-test.

Plus précisément, nous constatons que l’évolution des élèves est


étroitement reliée aux dimensions spécifiquement sollicitées et exercées
au sein de chacun des deux dispositifs proposés. Ainsi, dans l’atelier
dirigé d’écriture, la planification collective initiale à l’oral semble avoir
contribué à l’élaboration de phrases ; la segmentation des mots est
soutenue par le travail de négociation avant et pendant l’écriture ; la
rétroaction de l’enseignant sur la norme au moment de la révision favorise
les correspondances graphophonologiques et la maitrise de la norme
orthographique. Et du côté des ateliers d’écriture inspirés des petits
moments, la pratique très régulière et l’enseignement d’une diversité de
stratégies d’écriture semblent avoir favorisé l’allongement des textes (qui
sont aussi plus étoffés) ainsi que les correspondances
graphophonologiques.

En conclusion, les résultats de l’intervention décrite dans cette


contribution nous incitent à confirmer l’influence positive de plusieurs des
principes didactiques décrits ci-avant, qui caractérisent les pratiques
efficaces d’enseignement de la production écrite et ont été mis en
évidence par plusieurs recherches fondées sur des données probantes :
- la pratique régulière de l’écriture, qui permet de multiplier les
occasions d’apprendre ;
- l’enseignement des processus et des stratégies d’écriture – en
amont, en cours ou à l’issue d’une tâche d’écriture – ;
- l’offre répétée d’occasions d’échanges à propos de ceux-ci et de
structurations réflexive des connaissances ;
- l’intégration des élèves dans une communauté d’auteurs.

La suite des analyses nous permettra de prendre en compte les deux


autres variables envisagées : le geste graphique, le traitement de la
chronologie et de l’organisation du récit. Il s’agira également d’affiner nos
résultats en intégrant dans les analyses le degré d’implémentation et
d’appropriation du dispositif par les enseignants. Enfin, nous prévoyons
également d’étudier qualitativement les classes les plus efficaces (en
termes de progression) de notre échantillon grâce aux films de séances
de classe (deux ateliers ont été filmés au sein de chaque classe) et aux
entretiens relatifs aux conceptions et aux pratiques des enseignants
menés en amont et à l’issue de l’expérience.

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