Cr Poulain Va
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Virginie Amilien
OsloMet – Oslo Metropolitan University
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All content following this page was uploaded by Virginie Amilien on 28 October 2015.
Virginie Amilien
Jean Pierre Poulain, Manger Aujourd’hui, Attitudes, normes et pratiques
Ed. Privat. Paris. 2002
1Le titre en soi révèle une connaissance approfondie de la recherche sur la consommation, puisque cette
différence entre attitudes, normes et pratique est le point commun de la recherche occidentale sur les
consommateurs. Après une mise en question des données et de leur interprétation complexe, l’auteur
souligne que « L’acte alimentaire pour l’individu est beaucoup plus que le support de la fonction
biologique de nutrition » (p. 16) « C’est un acte humain total à travers lequel se retrouvent les questions
sociales et culturelles les plus fondamentales ».
2L’étude portera donc sur la définition d’un « vrai repas », et mettra en évidence le décalage entre ce
que l’on pense, la norme, et ce que l’on fait, la pratique.
3Le livre s’ouvre sur la problématique alimentaire actuelle, mettant en perspective les études
contemporaines sur les normes alimentaires, soulevant l’opposition entre par exemple C. Fischler et
C. Grignon, à savoir entre les chercheurs qui prônent les changements et le « système Dé » -fondé sur la
déstructuration- et ceux qui perçoivent la stabilité comme un élément central. Le fait est que certains des
spécialistes cités ne se concentrent finalement pas sur les mêmes données, mais l’objectif de cet ouvrage
semble être, dès les pages d’introduction, de jeter quelque lumière sur cette ambivalence et d’éclairer
cette puissante opposition entre attitudes, normes et pratiques.
4La première partie, au caractère pédagogique, concerne les phénomènes alimentaires, et englobe les
définitions de base, les différents types d’études et les outils utilisables et utilisés. Ce texte apparaît
comme une excellente introduction à l’étude des habitudes alimentaires, particulièrement adaptée à la
France et à son évolution historico-économique. L’auteur se fonde sur les notions traditionnelles de
temps et d’espace afin de délimiter « le modèle alimentaire » mais les références culturelles, sociales,
linguistiques ne sont en rien omises. La mise en valeur du « modèle traditionnel français » nous semble
ici important, eu égard à l’influence de ce modèle en Europe et dans le reste du monde occidental, où le
modèle français s’impose ou se propose volontiers comme « modèle de référence ». La présentation des
« outils disponibles » met immédiatement, et fortement, l’accent sur la distance entre représentations et
comportements, considération connue dans la recherche sur la consommation, mais qu’il est absolument
nécessaire de répéter et de mettre en valeur. Au-delà de cette dualité fondamentale, l’auteur propose
une présentation méthodologique avec des tableaux récapitulatifs qui constituent, nous semble-t-il une
parfaite introduction à l’analyse des phénomènes étudiés. L’évolution progressive et pédagogique du
chapitre permet à tout lecteur, novice ou non, de concevoir la complexité de l’étude et de ses outils
potentiels.
5Après une introduction théorique et méthodologique, la deuxième partie de l’ouvrage traite des
pratiques et des représentations alimentaires. Les résultats confirment rapidement la distance entre
normes, pratiques et attitudes, et si l’on se réfère au petit déjeuner, l’auteur constate que le petit
déjeuner continental trône allégrement dans les représentations et dans les pratiques françaises. Le petit
déjeuner anglo-saxon en revanche s’avère important au niveau du discours normatif mais les chiffres
s’amenuisent considérablement lorsqu’on considère ce que les informateurs mangent réellement. La
distance s’approfondit encore plus avec le repas de midi, où normes et pratiques sont quasiment
inversées (sur une échelle de deux-tiers/ un tiers). Bien sûr, pratiques et normes dépendent de l’âge, du
sexe, ou par exemple du niveau d’étude mais l’inversion des proportions apparaît à un niveau général.
Au niveau du repas du soir, l’auteur observe une simplification générale du dîner, autant au niveau des
normes qu’au niveau des pratiques, ce qui permet finalement de dégager des tendances globales qui
introduisent directement le chapitre suivant sur l’alimentation hors repas.
6D’une manière générale l’étude met en évidence la régularité horaire et la socialisation des repas
(confirmant ainsi des travaux contemporains, comme ceux de Grignon, en France, de Murcott ou Warde
en Angleterre ou de Døving et Bugge en Norvège). L’auteur souligne aussi la croissance, lente mais
régulière, de l’alimentation hors foyer, et la fréquence grandissante de l’alimentation hors repas qui
toutefois reste marginale. La simplification des repas témoigne aussi d’un changement structurel
nouveau, ayant des conséquences d’ordre diététique et social intéressantes. Il s’avère alors nécessaire
de comprendre la valeur culturelle, éthique et imaginaire des aliments en question, ce dont traite le
cinquième chapitre.
7L’auteur constate une évolution des éléments essentiels ces quarante dernières années, pendant
lesquels les fruits et légumes et les produits laitiers, par exemple, ont acquis une plus grande
considération que la viande et les féculents, en tant qu’aliments essentiels. Les analyses des
représentations d’aliments essentiels selon les informateurs avaient mis en évidence des différences
régionales, que l’auteur propose d’approfondir dans le huitième chapitre où les résultats sont présentés
pour chaque grande région du pays.
8L’esthétique et la réflexion sur le corps -voire réflexivité pour reprendre les mots de Boltanski- sont des
facteurs évolutionnistes importants, qui touchent à la fois à la médicalisation, à la distinction sociale et
au problème de poids. L’obésité constitue le thème du septième chapitre, car elle apparaît comme un
trait croissant des pratiques alimentaires. En se fondant sur différentes études sur l’obésité, l’auteur
émet plusieurs hypothèses et aboutit finalement à considérer que les prises alimentaires hors repas ne
sont pas liées à l’évolution des problèmes de surpoids.
9Les problèmes de surpoids ou de sous poids, les considérations esthétiques et diététiques emmènent
l’auteur et sa conclusion sur le chemin de la médicalisation de la vie quotidienne. Voulant prendre en
charge les problèmes de santé, la médicalisation des aliments, moins présente en France que dans
d’autres sociétés occidentales selon l’auteur, progresse néanmoins régulièrement. On notera en même
temps l’importance de l’esthétique et de l’info promo-santé-marketing ainsi qu’une moralisation cachée
derrière un caractère scientifique et justificateur. On « satanise » les aliments alors que « les décisions
alimentaires ne sont ni des décisions individuelles, ni des décisions rationnellement simples » (p. 198.).
10L’ouvrage est intéressant, facile à lire, riche en chiffres et tableaux et documentation et conçu de
manière pédagogique. Il s’agit là d’une bonne introduction à l’étude des habitudes alimentaires,
n’oubliant aucun des discours scientifiques sur le sujet, avec des exemples concrets et une méthodologie
adaptée. Quant au chercheur possédant déjà le sujet, il trouvera là de nouvelles données, qui souvent
confirment les résultats récents, ainsi que des réflexions plus inhabituelles sur, par exemple, les
problèmes de surpoids, leur réalité et leurs origines.
11Une réflexion plus approfondie sur la culture et l’imaginaire de la nourriture, sur les facteurs
socioculturels et identitaires aurait volontiers enrichi le texte, mais le message principal est fort bien
défendu et développé : attitudes, normes et pratiques, trois discours et trois visions du monde
alimentaire.
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References
Electronic reference
Virginie Amilien, « Jean Pierre Poulain, Manger Aujourd’hui, Attitudes, normes et pratiques », Anthropology of
food [Online], 1 | September 2003, Online since 01 September 2003, connection on 28 October 2015. URL :
http://aof.revues.org/933
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