Quest Ce Que Le Soufisme
Quest Ce Que Le Soufisme
Quest Ce Que Le Soufisme
La « voie du blâme »
Dans la seconde moitié du ixe siècle apparaît le courant des
Malâmatis à Nichapour, capitale du Khorassan (actuels Iran du
Nord-Est et Ouzbékistan). Ils préconisent la « voie du blâme »
(malâma). À l’instar des groupes ascétiques, ils tiennent la nafs,
l’âme charnelle, pour leur plus redoutable ennemi. Mais leur
stratégie va beaucoup plus loin. Se défiant des miracles autant
que des états mystiques, qui sont à leurs yeux des illusions, ils
cherchent à préserver leur intimité avec Dieu en se faisant trans-
parents dans la société.
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Histoire
Soufisme et modernité
Jusqu’au ixe siècle, le soufisme imprègne ainsi tous les aspects
de la culture islamique, mais sa forme confrérique connaît par-
fois des dégénérescences, et des glissements vers la religiosité
populaire. Il va être la cible d’abord du wahhabisme, mouvement
puritain et littéraliste apparu en Arabie lors de la seconde moi-
tié du xviiie siècle, puis des salafistes qui, pareillement, veulent
imposer leur vision fruste de l’islam. Il est également attaqué par
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Histoire
Éric Geoffroy
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Qu’est-ce que le soufisme ?
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Histoire
Muhyî al-Dîn Ibn ‘Arabî (m. 1240) est appelé le « Grand Maître »
(al- Shaykh al-Akbar) de la spiritualité islamique. Né à Murcie, en Espagne
musulmane, il reçut une mission spirituelle qui l’amena à s’établir au
Proche-Orient, d’où il transmit la science dont il se disait le dépositaire.
Son œuvre ne laisse jamais indifférent, et aucune n’a suscité autant
de débats dans le monde musulman : elle exaspère par sa prolixité et son
hermétisme, ou elle fascine par l’universalité de la gnose qui l’habite. Elle
repose sur une doctrine sous-jacente, l’« unicité de l’être » (wahdat al-
wujûd) : Dieu seul est, et les créatures Lui empruntent leur existence grâce
à Sa théophanie sans cesse renouvelée dans le monde. Sa doctrine amène au
paradoxe, et à « l’union des contraires », qui doivent libérer de la dualité de
ce monde et élever vers l’unicité. Il affirme ainsi que le monde est à la fois
« Lui (Dieu) et non Lui ».
De nos jours, le caractère universel de l’enseignement d’Ibn ‘Arabî fait
de lui l’un des spirituels, toutes religions confondues, les plus traduits dans
le monde.
Jalâl al-Dîn Rûmî (m. 1273) surnommé Mawlanâ (« notre maître »,
Mevlana en turc), reste à ce jour le mystique musulman le plus connu en
Occident. Il personnifie la voie de l’amour et de l’ivresse dans le soufisme,
tandis qu’Ibn ‘Arabî représente la voie de la gnose, de l’intellectualité méta-
physique. Chassé par l’invasion mongole, il quitte jeune avec sa famille
son Iran natal, pour s’établir à Konya (actuelle Turquie). Devenu un digne
savant religieux, Rûmî y rencontre son maître, Shams de Tabrîz, le « soleil »
(shams) de Rûmî. Transmutation : « J’étais cru, j’ai été cuit, puis calciné »,
dira Rûmî après cette expérience.
La célèbre somme poétique de Rûmî, le Mathnawî, est surnommée « le
Coran persan », et va acquérir dans les aires turque, iranienne et indienne
le statut d’un texte sacré. La danse circulaire des disciples Mevlevis, nos
« derviches tourneurs », se codifie bien après la mort de Rûmî. Elle était
chez lui une expression spontanée de son état d’extase.
Rûmî est de nos jours le poète le plus lu aux États-Unis, et peut-être
dans le monde.
Ahmad ‘Alawî (m. 1934) de Mostaganem (Algérie) a eu une grande
influence initiatique, en pays musulman mais aussi en Occident. Le méta-
physicien français René Guénon (m. 1951) recommandait aux Européens
qui s’intéressaient au soufisme – tel Fritjhof Schuon – de se rattacher à
lui. Il fonda sa propre voie, la ‘Alâwiyya, vers 1915. Il eut à combattre à la
fois les missionnaires français trop entreprenants, et les premiers salafistes,
tenants d’une vision fruste de l’islam. Il témoignait d’une grande ouverture
à l’égard des autres religions (il appréciait en particulier l’Évangile de Jean),
et de l’Europe où il envoya très tôt des disciples.
É.G.
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