L’Or de la guerre froide

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ARNAUD MANAS

L’OR DE LA GUERRE
FROIDE

LES ÉDITIONS DU CERF


Ouvrage édité
par
GUY STAVRIDÈS

© Les Éditions du Cerf, 2022

www.editionsducerf.fr
24, rue des Tanneries
75013 Paris

EAN : 978-2-204-14018-8

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À Geneviève, Emmanuelle, Noémie et Henry.
TABLE DES MATIÈRES
Titre

Copyright

Dédicace

Introduction

I. - Politique

La France au fond de l'abîme


Les débuts de la guerre froide

La fin de la IVe République

1958 : De Gaulle au pouvoir

Le crépuscule du veau d'or

II. - Économie

Le coût de la guerre froide

Comment financer l'affrontement ?

Les conséquences économiques de la guerre froide

Eschatologie de la guerre froide : Logique d'escalade et de croisade


Les déséquilibres de la balance des paiements et des flux internationaux

III. - Symbolisme

La symbolique du billet

La mythologie de l'or
À la recherche des trésors nazis et japonais
L'idéologie, le secret et la peur au cœur de l'or de la guerre froide

Goldfinger et Fort Knox

Conclusion

Remerciements

Les éditions du Cerf


Introduction

Le 4 février 1965, la presse est convoquée au Palais de l’Élysée, le


général de Gaulle va s’exprimer. Devant les journalistes du monde entier, le
Général dénonce l’hégémonie du dollar avec son exorbitant privilège et
appelle au retour de l’or comme étalon monétaire international. Peu de
temps auparavant, était sorti au cinéma le film Goldfinger dans lequel
James Bond combattait un criminel qui voulait voler l’or des États-Unis. Le
Président français est rapidement surnommé par la presse américaine
« Gaullefinger » et désigné comme le pilleur de la réserve fédérale de Fort
Knox. Mais derrière cet épisode médiatique se joue une véritable guerre
secrète du précieux métal jaune. Pendant sa conférence de presse, de Gaulle
demande d’accélérer la conversion en or des réserves en dollars de la
Banque de France et le rapatriement des réserves en question depuis Fort
Knox jusqu’à son équivalent français, en plein cœur de Paris à 30 mètres
sous terre, à la Souterraine.
L’or est au cœur de la guerre froide. Depuis la conférence de Bretton
Woods en 1944, il est intimement lié au dollar, symbole de la puissance et
du capitalisme américains. Lorsque, quelques années plus tard, la guerre
froide s’installe, l’or devient un enjeu planétaire non seulement entre l’Est
et l’Ouest mais aussi entre les Américains et leurs alliés. La France est en
première ligne dans cet affrontement.
Peu avant la crise des missiles de Cuba, devant ses plus proches
conseillers, le président Kennedy s’agaçait du fait que, depuis les années
1950, les États-Unis avaient consacré leurs ressources à construire des
bombes nucléaires contre l’URSS, tandis que les Européens amassaient
égoïstement de l’or sans se soucier de la menace soviétique 1. Kennedy
visait explicitement la France et l’Allemagne en faisant allusion au dessin
animé de Walt Disney, Les trois petits cochons. Comme Nif-Nif et Nouf-
Nouf, les Français et les Allemands construisaient leur maison en paille et
en bois en chantant : « Qui a peur du Grand méchant loup ? » Seul le sage
Naf-Naf 2, incarnation de l’Amérique, était conscient du danger et bâtissait
sa maison en briques. Kennedy, au nom de la justice, réclamait que les
Européens partagent le fardeau américain de la défense du monde libre et y
contribuent avec leur or. Les discussions déjà tendues avec l’Allemagne 3
sur la compensation financière prirent une tournure quasi conflictuelle avec
la France 4. Après la conférence de presse du général de Gaulle, la « bataille
de l’or » est engagée. Elle ne s’achèvera qu’avec la fin de la convertibilité
du dollar en or décrétée brutalement par le président Nixon en 1971. Cette
décision unilatérale et sans concertation précipite la chute du système de
Bretton Woods.
Pour certains historiens, cette chute est la conséquence du long travail
de sape mené par la France contre la monnaie américaine dans les années
1960 5. Pour eux, les Français n’étaient que des profiteurs ingrats et
foncièrement antiaméricains 6. Incapables de se défendre et de se gouverner
par eux-mêmes, les États-Unis avaient dû venir les sauver. Dans l’après-
guerre, la France avait dû être placée sous perfusion économique et être
protégée des communistes. Loin de remercier leurs sauveurs, les Français
développèrent en solo leur petite force de frappe « tous azimuts ». En
refusant à la Grande-Bretagne son entrée dans le marché commun, Paris
humilia l’allié fidèle de Washington. La France tenta aussi de détacher la
République fédérale d’Allemagne (RFA) des États-Unis et reconnut la
Chine communiste tout en critiquant l’intervention américaine au Viêt Nam.
À l’instar du « In God We Trust » du billet vert, les Français auraient dû
7
mettre sur les leurs : « Je sais que mon Sauveur est vivant . » Comme
Sisyphe et Prométhée qui furent châtiés pour avoir défié les dieux de
l’Olympe, le franc fut dévalué en 1969 à cause de la démesure gaullienne
8
qui avait ignoré les « forces du marché ». Ainsi, la fin du système de
Bretton Woods serait imputable à de Gaulle et à son attitude irrationnelle et
mégalomaniaque 9. Ces analyses simplistes et nationalistes ne traduisent pas
la complexité de la question de l’or et des rapports de force internationaux
de cette époque. Comme le souligne avec justesse l’historien américain
spécialiste de cette période, Francis Gavin, il est rigoureusement impossible
de comprendre pleinement la guerre froide si on ne prend pas en compte la
question de l’or et de la balance des paiements 10.
La guerre froide de l’or mêle les grands enjeux géostratégiques et les
petites « barbouzeries ». Pour tenter de répondre aux deux questions :
« Mais qui a (réellement) tué Bretton Woods et où est (véritablement) l’or
de Fort Knox ? », il faut s’intéresser aux aspects politiques, économiques et
symboliques de l’or.
Aussi sera-t-il d’abord question des aspects politiques et géopolitiques
de la période qui s’étend de la conférence de Bretton Woods en 1944
jusqu’à la fin de la convertibilité du dollar en 1971. La trame du récit suit
l’évolution dans le temps et dans l’espace des réserves d’or. Comme un
baromètre de la puissance, le niveau et la localisation du stock français de
métal précieux ont suivi les tensions internationales. Ainsi, les réserves de
2 000 tonnes relativement épargnées pendant la Seconde Guerre mondiale,
chutèrent à leur minimum au cours de l’année 1948 pour atteindre leur
point haut en avril 1968. De même, elles furent secrètement dispersées en
Afrique au cours des années 1950 pour être rapatriées à la faveur de
l’accession au pouvoir du général de Gaulle. Enfin, il est désormais possible
grâce à des sources inédites, de retracer l’épisode majeur de l’affrontement
franco-américain des années 1960 sur la question de l’or. Mais il faut
encore interroger l’économie et mettre en perspective le coût démesuré de
la guerre froide – mesuré en trillions de dollars – et la fin de l’étalon-or. On
parcourt ainsi l’histoire des déséquilibres des paiements qui voit le
rétablissement de la France cependant que la Grande-Bretagne connaît un
déclin relatif. Enfin, on ne saurait oublier la question de la symbolique de
l’or dans son lien avec la paranoïa de la guerre froide. Cette dimension
symbolique est évoquée au travers de la mythologie du billet, de l’or et de
leur imaginaire.
I.

POLITIQUE
En 1945 le monde se partage en deux, entre vainqueurs et vaincus. Mais
contrairement à la célèbre affiche de propagande dessinée pour le
débarquement de Normandie 1, où la France est représentée à égalité avec
les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique, brisant
conjointement et d’un unique élan la croix gammée, dans la réalité, la place
du pays est tout autre.

La France au fond de l’abîme


Lors de la signature de l’acte final de la capitulation allemande le 9 mai
1945, le Feldmarschall Keitel s’offusqua de la présence des Français. Il
s’exclama « Quoi ? Les Français aussi ! 2 », comme le rappelle dans ses
mémoires, le général de Gaulle. Déjà quelques mois auparavant, Staline
n’avait pas invité la France à Yalta, lui reprochant d’avoir « ouvert les
portes à l’ennemi » par sa capitulation 3. Il souhaitait aussi que la France et
l’Allemagne restent faibles afin que l’URSS demeure la seule grande
puissance en Europe continentale 4. Churchill fut seul à plaider la cause de
la France.
Pour tous, la France avait perdu son rang de grande puissance 5. Pendant
l’entre-deux-guerres, déjà, le pays s’interrogeait sur sa place et était
travaillé par la « hantise du déclin », selon l’expression de Robert Frank.
Son « collapsus intégral » au printemps 1940 avait suscité l’effarement des
autres nations. La modeste contribution française à la victoire en 1945 ne
compensait nullement son affaissement.
Alors que depuis le milieu du XIXe siècle les Français se considéraient
comme les pairs 6 des Anglais, à la Libération, le décrochage était patent et
le fossé entre les deux pays béant. Au-delà de l’humiliation de 1940, la
France était économiquement à terre après les pillages subis pendant les
quatre années d’occupation. Selon des travaux économétriques récents 7, les
charges d’occupation que dut payer la France à l’Allemagne sont sans
précédent dans l’histoire. Avec l’accaparement de la moitié de la production
nationale et le pillage du pays auxquels se rajoutait le STO, le niveau de vie
des Français s’effondra. Pour l’année 1943, 50 % du minerai de fer, 99 %
du ciment, 92 % des camions et 76 % des locomotives produites étaient
confisquées par l’occupant. En 1944, le revenu national était tombé à la
moitié de son niveau de 1938 8.
Comme le rappelait André Istel 9 en 1944 : « La méthode de pillage
scientifique adoptée par l’Allemagne […] a consisté à faire créditer par la
Banque de France les comptes des autorités d’occupation, soi-disant pour
les besoins des troupes, d’un nombre de francs largement supérieur à leurs
besoins. Ces francs ont servi à faire une immense rafle de tous les biens
disponibles : victuailles, machines, actions, objets d’art, immeubles, etc.
Même les consciences n’y ont pas échappé. La rafle quotidienne de
500 millions de francs n’a même pas suffi. Les accords de compensation
franco-allemands ont été manipulés de telle manière que leur solde s’est
traduit par un déficit en faveur de l’Allemagne d’une trentaine de milliards
de francs en 1942 et d’une cinquantaine en 1943. Les sommes versées à
l’Allemagne en 1943 ont atteint le quadruple des recettes budgétaires
totales de la France avant la guerre ; les impôts, pourtant aggravés, n’ont
couvert pendant l’Occupation qu’un tiers à peine des dépenses de l’État ; la
circulation monétaire qui était d’environ cent milliards de francs avant la
guerre, atteint aujourd’hui six cents milliards ; la Dette publique qui était
d’environ 400 milliards avant la guerre atteint aujourd’hui
1 500 milliards. » Les combats pour libérer le pays furent tout aussi
tragiques. Sur la durée de la guerre plus d’un demi-million de tonnes de
bombes 10 avaient été larguées sur la France pour détruire usines, ports,
moyens de communication utilisés par l’occupant. Le pays fut le deuxième
le plus touché en Europe continentale derrière l’Allemagne (1,3 million de
tonnes) alors que les bombardements en Angleterre (Blitz, V1 et V2)
représentaient 80 000 tonnes. De même pour les pertes humaines : il y eut
600 000 morts civils et militaires en France (1,3 % de la population) contre
450 000 au Royaume-Uni (0,9 %) et 420 000 aux États-Unis (0,3 %). Dans
le camp des vainqueurs, seule l’Union soviétique fut plus touchée avec
25 millions de morts, soit près de 15 % de sa population. Le recensement de
1947 dénombrait 40,6 millions de Français… Comme au recensement de
1901 11.
À l’instar de l’économie et de la population, la monnaie était tout aussi
meurtrie. Le franc qui était jusqu’à la guerre l’une des trois grandes
monnaies mondiales avec le dollar et la livre sterling, était à terre.

L’EFFONDREMENT DU FRANC SOUS L’OCCUPATION


Entre 1939 et fin 1944, la masse monétaire avait plus que triplé alors
que la production n’avait que légèrement progressé 12. À l’approche de la
Libération, la situation du franc se dégrada de plus en plus. L’armée
allemande et la Résistance saisirent par la force des devises alors que les
Alliés émettaient des billets d’occupation libellés en francs mais imprimés
en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Entre le 12 juin 1944 à Cherbourg et le 20 octobre à Nantes, les
Allemands réquisitionnèrent des billets pour 4,5 milliards de francs. Les
« prélèvements » les plus importants eurent lieu à la succursale de la
Banque de France de Nancy, quelques jours avant l’arrivée des Américains
par un détachement armé d’une vingtaine d’hommes de troupe de la
Gestapo et de la Wehrmacht. Les Allemands se placèrent « devant les
guichets de la Caisse, mitraillette braquée sur les agents auxquels il était
interdit de se déplacer et de continuer de travailler ; deux soldats pénétraient
dans la Caisse, […], deux autres s’installaient au central téléphonique,
gardaient la cour et toutes les issues. À l’extérieur, les rues entourant la
succursale étaient surveillées par des officiers et soldats porteurs de
mitraillettes et de grenades. […] Un camion et une remorque de la Deutsche
Reichsbahn arrivèrent vers 20 heures, et le chargement des sacs arrimés
dans le hall fut effectué par des soldats de la Wehrmacht 13 ». Sur ces
4,5 milliards qui représentaient environ 1 % de la masse monétaire, 20 %
seulement furent retrouvés et restitués à la Banque de France.
Dans le même temps, les Forces françaises de l’intérieur (FFI)
réquisitionnèrent les billets de la Banque de France pour aussi, par un
hasard ironique, 4,5 milliards de francs (4 588 814 012 francs et cinquante
centimes pour les Allemands, 4 506 643 979 francs et 65 centimes pour les
résistants) entre février et octobre 1944 en 52 opérations. La plus
spectaculaire d’entre elles est sans doute le hold-up qui eut lieu le 26 juillet
1944 à la gare de Neuvic, à 20 km de Périgueux, au cours de laquelle
2,2 milliards de francs, soit environ 450 millions d’euros, furent prélevés
par la Résistance. Moins de 5 % des sommes furent retrouvés… À ces
prélèvements s’ajoutaient les « billets complémentaires » utilisés par les
armées alliées en opération sur le territoire français pour payer les biens et
les services achetés ou réquisitionnés. Ces coupures que fustigeait de Gaulle
en les qualifiant de « fausse monnaie […] soi-disant française 14 »
représentaient près de vingt milliards de francs, soit 2,5 % de la masse
monétaire 15.
Devant cette situation catastrophique, un assainissement monétaire était
16
indispensable . Deux options avaient été envisagées. La première visait à
l’échange nominatif de tous les billets en circulation avec justification de
leur origine pour retirer de la circulation les billets détenus par l’ancien
occupant et les fortunes mal acquises. La seconde se proposait de réduire
fortement la masse monétaire en n’échangeant qu’une partie des billets en
circulation, le reste étant versé sur des comptes bancaires bloqués pendant
plusieurs années, comme l’avait fait la Belgique en 1944. L’opération prit
une tournure politique opposant les partisans d’une « politique de
confiance » d’inspiration libérale menés par Lepercq puis Pleven
(« l’opération ne viserait pas à la déflation 17 ») aux tenants d’une politique
de rigueur préconisée par Pierre Mendès France. Après des hésitations, de
Gaulle opta pour la première option, rejetant la ponction qui affaiblirait
davantage la France « malade et blessé[e] 18 ». Ce choix entraîna la
démission de Mendès France le 5 avril 1945. L’échange des coupures de 50,
100, 500 et 1 000 F contre de nouveaux billets, volontairement limité dans
le temps à douze jours (du 4 au 16 juin 1945), se doublait d’un recensement
fiscal de tous les avoirs monétaires avec l’estampillage des bons du Trésor
et des bons de la Libération ainsi que l’établissement d’un « cadastre des
fortunes 19 ». Les possesseurs de billets d’origine douteuse purent
néanmoins les échanger sans trop de difficultés. Auguste Lecœur, ancien
responsable du PCF, raconte que le Parti décida de faire échanger les billets
de son trésor de guerre dont une partie provenait du hold-up de Neuvic par
des milliers de militants sûrs : « Chaque militant devait échanger
80 000 francs. L’opération fut faite et le parti ne connut aucun déchet 20. »
D’autres purent bénéficier de la complicité des banques car ces dernières
pouvaient échanger leurs billets sans limite ni justification. Sur le plan
intérieur, les effets de cette opération furent limités.
Sur le plan extérieur, la situation du franc était tout aussi critique.
Officiellement, il avait maintenu sa parité d’avant-guerre avec le dollar et la
livre sterling. Ce taux de change irréaliste et sans aucun fondement
économique visait à dissuader les troupes alliées stationnées en France de
rafler massivement les biens et les produits français 21. Cependant,
l’ajustement des parités imposé par les accords de Bretton Woods (voir
infra) conduisit à dévaluer le franc à un niveau moins artificiel. Par rapport
à la parité d’avant-guerre, le franc « Pleven » perdait 70 % de sa valeur
(d’une livre pour 176 francs à une livre pour 480). Mécaniquement, le franc
était aussi dévalué face au dollar et à l’or.

L’OR PRÉSERVÉ

Par chance et par habileté, la France avait réussi à conserver


relativement intact son stock d’or au cours de la guerre. Peu avant la
capitulation de 1940, les réserves de la Banque de France avaient été
placées à l’abri en Angleterre, en Amérique, en Afrique ainsi qu’aux
Antilles 22. Les réserves envoyées outre-Manche, aux États-Unis et au
Canada étaient hors du contrôle de Vichy. Après l’échec de la tentative
anglo-gaulliste de s’emparer de l’or de Fort-de-France et du fait du blocus
américain autour de l’île, l’or de la Martinique était resté intact. Seules
quelques dizaines de tonnes conservées en Afrique furent utilisées par
Vichy pour des paiements aux pays neutres (Suisse, Espagne, Portugal,
Argentine, etc.).
Au cours de cette période, la baisse principale des réserves résulte du
remboursement à la Belgique des 200 tonnes confiées en dépôt à la France
et livrées par Vichy aux Allemands 23. Ayant été intégralement
dédommagés, les Belges cédèrent à la France leurs droits sur la
récupération ultérieure de cet or spolié. Une partie fut découverte en 1945
au centre de l’Allemagne par l’armée de Patton. Selon le rapport militaire
américain transmis à la Banque de France, un régiment d’infanterie de la
90e division qui avait débarqué en 1944 à Utah Beach, s’était emparé de la
ville de Mayence au début du mois d’avril 1945. Avant de rejoindre Prague,
les troupes américaines occupèrent la localité de Merkers 24, là-bas, deux
déportées françaises originaires de Thionville qui avaient été libérées
prévinrent les Alliés de l’existence d’un dépôt secret situé au fond des
mines de sel. Le surlendemain, un détachement fut envoyé pour garder les
entrées de ces mines qui descendaient jusqu’à 700 mètres de profondeur et
comportaient plus de 500 kilomètres de galeries. Le samedi 7 avril, les
Américains trouvèrent, en pénétrant dans la mine, les trésors pillés par les
Nazis dans l’Europe entière. Eisenhower accompagné de ses généraux se
rendit sur place pour voir les œuvres d’art, l’or et les valeurs. Le contenu de
la mine fut rapidement transféré à Francfort au Foreign Exchange
Depository supervisé par l’OMGUS (Office of Military Government of
Germany US).
Finalement, 233 tonnes d’or furent retrouvées en Allemagne. Si, dans
un premier temps, les Alliés avaient envisagé de considérer cet or comme
une prise de guerre, ils se ravisèrent et décidèrent de le restituer à ses
propriétaires légitimes. Aux termes de l’accord de Paris sur les réparations
du 14 janvier 1946, la commission tripartite pour la restitution de l’or
monétaire (TGC) composée de la France, de la Grande-Bretagne et des
États-Unis fut créée à cette fin. L’URSS, dont l’or n’avait pas été spolié,
n’en faisait pas partie. La première tâche de la commission fut de recenser
les demandes de restitution de 10 pays (Albanie, Autriche, Belgique,
Tchécoslovaquie, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne avec le
territoire de Dantzig, Yougoslavie) dont les réserves avaient été spoliées par
le Reich. La deuxième tâche fut d’inventorier les barres trouvées en
Allemagne à Merkers et à la Reichsbank ainsi que dans chez les neutres.
Rapidement, deux conclusions s’imposèrent : d’une part le total des
spoliations dépassait largement l’or retrouvé et, d’autre part, aucune des
barres trouvées ne correspondait aux barres revendiquées. La plupart étaient
25
des fontes allemandes datées de 1934 à 1939 portant l’estampille ovale de
la Monnaie de Berlin avec l’aigle nazi aux aigles éployées tenant dans ses
serres une couronne avec le swastika et la légende « Preuss. Staatsmünze –
Berlin ». Personne n’était dupe quant à l’origine de ces barres et les
soupçons furent rapidement confirmés par les interrogatoires des anciens
responsables de la Reichsbank. Ces derniers confirmèrent qu’ils avaient
demandé à la Monnaie d’État de Berlin de refondre les barres spoliées et de
les antidater en leur donnant un numéro de série correspondant à de l’or
effectivement utilisé avant la guerre. Le but avoué était de « faire accepter
plus facilement les lingots en question par les banques d’émission
étrangères ». Avec ce blanchiment élémentaire qui ne trompait réellement
personne, ils avaient pu sans difficulté acheter des armes et des matières
premières aux pays neutres (Suisse, Suède, Portugal et Turquie).
Cependant, il n’existait aucune preuve matérielle de leur origine. Or, en
1946, les Soviétiques avaient découvert dans leur secteur, à Berlin dans les
ruines, onze registres comptables de la Monnaie allemande qui avaient
échappé aux destructions. Mais les Russes demeuraient perplexes devant
ces documents relatifs aux opérations de 1938 à 1943. Une mission de la
Banque de France fut immédiatement envoyée sur place et découvrit que
certains numéros correspondaient à ceux des registres de la Reichsbank
mais surtout qu’il y avait à côté du numéro officiel inscrit à l’encre, un autre
numéro écrit très légèrement au crayon à papier et susceptible d’être
gommé sans laisser de traces. Ce numéro, inscrit par un employé
consciencieux, correspondait aux numéros d’origine des barres belges ; la
26
preuve était faite . Mais, conformément à l’accord sur les réparations, l’or
devait être mis en commun et restitué au prorata des demandes.
Préalablement, l’or nazi devait être refondu non seulement pour effacer la
marque d’infamie mais surtout pour vérifier si le titre était correct et si les
barres n’étaient pas fourrées au tungstène. Précisons que ce métal possède
3
la même densité que l’or (19,25 kg/dm et 19,30 pour l’or), il est donc
impossible de les distinguer par le poids. Dans la mesure où les deux
métaux sont opaques aux rayons X, sauf à sectionner en deux une barre et
en l’absence des technologies modernes comme l’échographie, il était
impossible de savoir si elle était fourrée au tungstène. S’agissant de l’or
trouvé en Allemagne, il fut enfin transféré de Francfort à Londres et à New
York où la Banque d’Angleterre et l’US Assay Office de New York se
chargèrent de la refonte 27. Trois répartitions eurent lieu en 1947, 1952 et
1958. Au total, la France reçut 133 tonnes sur les 198 qu’elle avait
restituées à la Belgique.
Malgré ces premières restitutions, la situation française à la fin de
l’année 1945 était très sombre. Il fallait vendre de l’or pour acheter les
biens de première nécessité. La cession de 400 tonnes au Fonds de
Stabilisation des changes fit passer les réserves françaises au-dessous du
seuil symbolique des 1 000 tonnes, à 968 578 kg. Le déclin ne faisait que
commencer.

LE NOUVEL ORDRE MONÉTAIRE MONDIAL SANS LA FRANCE

À l’exact opposé de la France qui voyait décliner les réserves qu’elle


avait conservées pendant la guerre, la Grande-Bretagne reconstituait celles
qu’elle avait perdues pendant le conflit. Après la capitulation française de
1940, l’Angleterre s’était retrouvée seule à continuer le combat. Jusqu’à la
mise en place du lend-lease (prêt-bail) elle dut financer la guerre contre
l’Allemagne sur ses propres ressources. Au sortir de la guerre, les réserves
d’or britannique étaient quasiment à zéro ; le stock était inférieur à une
tonne. Néanmoins, l’économie britannique était en mesure de répondre à la
demande étrangère. En situation de force, la Grande-Bretagne exigea que,
28
dès 1946, les achats français soient réglés en or .
Après la victoire, les États-Unis étaient au faîte de l’ordre monétaire
mondial. Ils possédaient près de 18 000 tonnes d’or, le premier stock au
29
monde, et de loin . Comme le résume un dessin paru dans la presse
américaine de l’après-guerre, l’oncle Sam était assis sur un immense tas
d’or toisant un John Bull revendicatif qui retournait ses poches vides et
montrait sa ruine avec moins d’une tonne, à côté de la Suisse, la France, la
Belgique et de leurs petites réserves. Les stocks américains, déjà élevés
avant la guerre, se sont enrichis de l’or français et anglais utilisé en guise de
paiement pendant la période du prêt-bail. À l’opposé des pays occidentaux
qui publient officiellement leurs réserves officielles, celles de l’URSS
restent mystérieuses. Conformément à la culture du secret soviétique, aucun
chiffre n’est publié sur le stock du Gokhran (Гохран, dépôt d’État des
valeurs dépendant du commissaire aux Finances). Ce dépôt avait été créé en
1920 à Moscou. Même si le chiffre officiel était de 350 tonnes, il était
estimé en 1941 à près de 3 000 tonnes. Après le déclenchement de
l’invasion allemande au cours de l’opération Barbarossa, l’or fut évacué
dans l’urgence et mis en sûreté à l’Est de l’Oural à Sverdlovsk
30
(Ekaterinbourg) à plus de 1 000 km de Moscou . Une partie de cet or fut
employée pour acheter de janvier à juillet 1942 du matériel militaire aux
États-Unis avant que l’URSS ne bénéficie du prêt-bail. Selon les experts, le
stock d’or soviétique était de l’ordre de 2 800 tonnes après la fin de la
Seconde Guerre mondiale.
Quant aux neutres, leurs stocks progressèrent considérablement au
cours de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, les Suisses, dont le stock avait
plus que doublé, se trouvaient quasiment dans une situation d’excès d’or,
les conduisant à refrapper des pièces de 20 francs or, les Vrenelis 31 (voir
infra).
« Qui possède l’or ? »,
caricature américaine de 1947

Ce déclassement de la France valait aussi sur le plan politique. Elle ne


pouvait pas peser sur le nouvel ordre mondial en train de se constituer. Les
États-Unis la reléguèrent derrière la Chine et les autres puissances
montantes. Alors que Paris avait été l’artisan de la Société des Nations
après la Première Guerre mondiale, elle ne fut pas invitée, contrairement à
la Chine, à la conférence de Dumberton Oaks. Lors de cette série de
réunions qui se tinrent du 21 août au 7 octobre 1944 dans les faubourgs de
Washington, la charte des Nations unies fut rédigée par les États-Unis, la
Grande-Bretagne, l’URSS et la Chine. Le projet d’article 6 sur le Conseil de
Sécurité prévoyait que seuls les quatre grands (États-Unis, URSS,
Royaume-Uni, Chine) auraient dès l’origine un siège ; la France les
rejoindrait en temps voulu (« in due course »).
De même, à la conférence monétaire internationale organisée par les
Américains à l’été 1944 dans l’hôtel Mount Washington de Bretton Woods
dans le New Hampshire, les Français n’eurent qu’un strapontin. Ils furent
placés au même rang que les petits pays participants. La conférence visait à
refonder sur une base meilleure le système monétaire international qui
reposait sur l’or et la livre sterling. Les débats furent dominés par Harry
Dexter White pour les Américains et Keynes pour le Royaume-Uni. Les
propositions françaises furent écartées d’emblée. Les objectifs américains
étaient d’assurer la prééminence des États-Unis mais aussi de démanteler
32
les blocs économiques européens d’avant-guerre. Le premier objectif de
Morgenthau lorsqu’il fut nommé secrétaire au Trésor était selon ses propres
paroles de « déplacer le pouvoir financier mondial depuis Londres et Wall
33
Street jusqu’au Trésor américain ». Les propositions de Keynes furent
rejetées au profit de celles de White qui promouvait le dollar comme unité
mondiale. Le FMI et la Banque mondiale furent créés et placés à
Washington sous la tutelle du Trésor américain contrairement à la demande
britannique qui souhaitait qu’ils fussent placés à New York 34.
Pierre Mendès France, qui dirigeait la délégation française, fut humilié
35
par les Américains lors des négociations sur la répartition du capital du
FMI et de la Banque mondiale, lequel dépendait théoriquement du revenu
national de chaque pays. Alors que le capital français aurait dû être
supérieur à 600 millions de dollars selon les statistiques de 1939, les
Américains proposèrent dans un premier temps un quota de 500 millions de
dollars pour la France qu’ils révisèrent ensuite à 450 millions. Et en même
temps, ils relevèrent le capital de la Chine à 550 millions pour lui donner
l’un des quatre sièges permanents au conseil d’administration aux côtés des
États-Unis, de l’URSS et du Royaume-Uni. Cette manœuvre visait aussi à
affaiblir la France en la plaçant derrière le Benelux (510 millions). Cette
stratégie probablement dictée par Roosevelt fut modérée par Morgenthau
qui finit par consentir à donner à la France un cinquième siège permanent
au conseil d’administration, sans remonter toutefois son quota national 36.
Le pouvoir au sein du FMI et de la Banque mondiale restait biaisé en
défaveur de la France puisque les droits de vote étaient calculés en fonction
du capital 37. Chaque pays recevait 250 voix auxquelles s’ajoutaient 10 voix
par million de dollars apporté. Les États-Unis recevaient 28 % des voix, la
Grande-Bretagne 13 %, mais 25 % en comptant le Commonwealth (Inde,
Canada, Australie, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande). L’URSS allait
posséder 12 % des voix auxquelles s’ajoutaient 4 % au titre de ses satellites,
sans aucun lien avec la réalité économique du pays. La France ne pesait que
5 % derrière le Benelux (6 %). Les Anglais, un peu déçus d’être si loin des
États-Unis, durent accepter la situation parce qu’ils étaient en pleines
négociations avec le Trésor américain pour un prêt de 3,7 milliards de
dollars. Comme le résuma avec philosophie Mendès France, on ne se
38
dispute pas avec son banquier …
Cette répartition reflétait la vision du monde de Roosevelt et son
animosité contre le général de Gaulle. Pour lui et les hommes du New Deal,
la France et dans une moindre mesure le Royaume-Uni étaient des
puissances coloniales qui avaient fait leur temps et qui devaient céder leur
place aux nations jeunes comme les États-Unis, l’URSS et la Chine. La
Grande-Bretagne était vieille, engluée dans son système de classes et
menait une politique réactionnaire et impérialiste 39 en Grèce et au Moyen-
Orient. À l’opposé, la jeune et turbulente URSS finirait par s’assagir ; les
problèmes se régleraient d’eux-mêmes. Roosevelt et Staline étaient
d’accord sur le fait que l’Allemagne devait rester faible, qu’il fallait liquider
les empires coloniaux et que l’Indochine ne devait pas être rendue à la
40
France .
Même si l’URSS renonça à participer au FMI et à la Banque mondiale à
la conférence de Savannah en mars 1946, le nouveau système fondé à la
fois sur le dollar et l’or avec l’équivalence 35 $ l’once allait structurer tout
l’après-guerre. Le dollar avait accédé à l’Olympe monétaire, il était
désormais l’égal de l’or « as good as gold ». Pour les autres pays, le nouvel
ordre était un système de parités fixes mais ajustables 41 dans lequel les pays
participants pouvaient ajuster leurs parités en cas de « déséquilibre
fondamental ». Hormis ce cas bien précis, selon la nouvelle doctrine, la
politique monétaire par les taux d’intérêt et la politique budgétaire par les
impôts et les dépenses publiques devaient pleinement suffire à piloter
l’économie pour atteindre le plein-emploi et la stabilité des prix. En cas de
difficultés passagères de la balance de paiement, le FMI pouvait accorder
des aides temporaires. Grâce aux Nations unies et aux institutions de
Bretton Woods, un nouvel âge d’or mondial devait s’ouvrir. « Le lancinant
problème des balances de paiements 42 » ne devait plus être qu’un problème
du passé… Hélas, les lendemains radieux promis par le dollar ne
concernaient pas vraiment le franc.

LE DIFFICILE APRÈS-GUERRE

Libérée, la France devait faire face aux défis de la reconstruction et aux


périls de l’inflation. Délivrée, elle devait surmonter les profondes divisions
de la société laissées par la guerre. Pour acheter les matières premières
indispensables et la nourriture, il fallait impérativement des dollars. En
effet, Bretton Woods avait consacré la suprématie du dollar et seuls les
États-Unis disposaient du potentiel économique pour satisfaire les besoins
de la France. Le monde entier voulait des dollars – le dollar gap – pour
acheter l’essentiel, à commencer par le pétrole et la nourriture. Il fallait
vendre les bijoux de famille, c’est-à-dire les réserves d’or de la Banque de
France. Toute la presse s’en émut, Paris-Matin titrait : « La France a perdu
4 000 tonnes d’or ! Elle ne peut plus acheter si l’Amérique ne lui fait pas
43
crédit ! » Le constat était accablant : la France avait perdu en 15 ans 80 %
de son stock d’or et se trouvait à court de moyens de paiement pour
importer « le blé, le charbon, le pétrole et toutes les matières premières »
dont elle avait impérativement besoin. Pour faire face, le gouvernement
voulut réquisitionner aussi le bas de laine des Français. Le Gouvernement
provisoire avait interdit la détention, le transport et la cession de l’or
(ordonnance du 7 octobre 1944) pour ensuite en rendre obligatoire la
déclaration et la taxation (ordonnance du 16 janvier 1945). Enfin, la loi du
29 décembre 1945 autorisa la réquisition de l’or et des devises fortes
détenus par les Français à l’étranger 44. Ces mesures furent sans effet sur le
marché noir de l’or. Le cours officieux du précieux métal était le véritable
baromètre de la confiance. La démission du général de Gaulle du
Gouvernement Provisoire, le 20 janvier 1946, produisit « la plus forte
hausse du métal qu’on ait eu à enregistrer à Paris depuis 1940 45 ». Loin de
se résorber, cette hausse se maintint du fait de la victoire historique du Parti
communiste aux élections législatives. Avec 28 % des suffrages et un tiers
des sièges de l’Assemblée, le PCF devenait le premier parti de France. La
candidature de Maurice Thorez à la présidence du gouvernement accrut
« l’émoi » des épargnants et l’attrait de l’or. Les cours ne finirent par
baisser un peu qu’avec la constitution du gouvernement dirigé par Léon
46
Blum .
Cependant, la situation se dégradait inexorablement. En 1947, le
ministre des Finances, René Mayer, reconnaissait que « le franc était
devenu une monnaie fictive, dépourvue de toute base réelle » et qu’il
existait un « fossé qui se creusait chaque jour davantage entre le cours libre
et le cours officiel 47 ». L’impasse des moyens de paiement se doublait d’une
48
grave crise agricole . Toutes les importations américaines payées en dollars
durent être suspendues à l’exception unique du blé et du charbon 49.
L’ambassade de France à Washington tentait vainement de sensibiliser le
département d’État sur le « caractère d’urgence » de la situation. De son
côté, l’ambassadeur américain à Paris alertait le département d’État sur la
précarité de la situation politique en France devant des grèves
insurrectionnelles. Il soulignait qu’une victoire communiste serait
catastrophique pour les intérêts des États-Unis en Europe car la position des
troupes américaines d’occupation en Allemagne serait « précaire voire
intenable ». Il notait qu’une victoire gaulliste ouvrirait la porte à une
perspective tout aussi aventureuse et guère plus enviable 50.
Devant cette situation critique, la France dut « racler les fonds de
tiroir » en faisant revenir les pièces en or qu’elle détenait outre-Atlantique
pour les refondre à Paris avant de les réexpédier sous forme de barres à
New York. Cet absurde aller-retour résultait du légalisme intransigeant
51
américain . En effet, les pièces de 10 et 20 $ or que la Banque de France
possédait en quantité ne pouvaient pas être directement utilisées aux États-
Unis. Pour les Américains, conformément à la loi, ces dollars en or ne
pouvaient être payés qu’à leur valeur faciale (10 et 20 $) alors que leur
valeur intrinsèque en or était bien plus élevée (17 et 34 $ respectivement) 52.
Le Georges Leygues dut donc effectuer quatre convois transatlantiques
53
entre septembre et octobre 1947 pour transporter 150 tonnes d’or. À la fin
1947, les réserves françaises atteignirent leur minimum historique pour tout
le XXe siècle. Il fallait remonter à la guerre 1870 pour constater un tel
niveau.
À l’opposé du déclin français, la situation britannique s’améliorait
notablement. Ayant obtenu des États-Unis un prêt massif de 3,7 milliards de
dollars, Londres en convertit une partie en or. En 1947, les réserves de la
couronne dépassaient les 1 600 tonnes, ce qui constituait un record pour la
Banque d’Angleterre qui n’avait jamais détenu une forte encaisse or.

LE TOURNANT DE LA RIGUEUR DE 1948

Pour la France, l’année 1948 représentait le « fond de la piscine » d’où


le nageur peut donner le coup de pied salutaire. Ce coup de pied prit la
forme d’un plan d’assainissement drastique et pragmatique de l’économie.
La politique de René Mayer utilisait tous les leviers pour stabiliser.
D’abord, il augmenta fortement les impôts et mit en place un emprunt forcé
pour les entreprises. Ensuite, il décida brutalement de retirer les billets de
5 000 francs. La démonétisation « surprise » des fortes coupures « Empire
français » d’une valeur actuelle de 300 € qui avaient été mises en
circulation 3 ans auparavant à l’occasion de l’échange de 1945 avait été
préparée dans le plus grand secret. Chaque porteur de billets « Empire
français » ne pouvait en échanger que deux contre les nouveaux billets
« Terre et Mer ». Mais, comme en 1945, la mesure fut aisément contournée
par le PCF qui utilisa ses militants sûrs 54 (voir supra). Enfin, le franc fut
dévalué. Non seulement la dévaluation était sévère puisque la valeur du
franc était quasiment divisée par deux (le dollar passait de 119 à
214 francs), mais elle s’accompagnait aussi d’un système de taux de
changes multiples. Selon la nature des biens achetés, les taux s’écartaient
plus ou moins du taux officiel. Ainsi, les Français pouvaient acheter des
dollars en partie sur un marché libre et en partie au taux officiel. Ce système
pragmatique qui permit d’arrêter l’hémorragie d’or et de rétablir la
compétitivité de la France était contraire à l’orthodoxie de Bretton Woods.
Au nom des principes, le FMI et les Anglo-Saxons s’opposèrent
vigoureusement à cette mesure en engageant un véritable bras de fer avec la
France. René Mayer tint bon mais en représailles le FMI bloqua l’accès à
ses ressources. Ces mesures de rétorsions étaient d’autant moins justifiées
que l’Italie avait pu mettre en place un système de taux de changes
multiples tout en continuant à bénéficier des ressources du FMI. La
discrimination à l’encontre des Français résultait principalement des
Britanniques qui craignaient non sans raison que la dévaluation française ne
révèle la faiblesse de leur propre situation. Pour parachever son programme,
René Mayer autorisa à nouveau la possession et la vente de l’or alors
qu’elles restaient toujours interdites en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Le marché de l’or, s’il passait de clandestin à officiel, faisait toujours
apparaître un écart entre les cours puisque le lingot se vendait sur la base de
50 $ l’once, soit une prime de 40 %, tandis que celle sur le napoléon
dépassait 80 %.
Ces primes suscitaient la spéculation. Même si l’exportation de l’or
restait interdite, de véritables circuits mondiaux s’organisèrent, comme le
note Sédillot : « L’arbitrage, d’ailleurs, ne joue pas entre les places avec une
rigueur mathématique, pour des raisons fort prosaïques : d’abord parce que
les spéculateurs distinguent nécessairement entre les places où le commerce
est libre (Paris, Bombay, Tanger, Lisbonne, etc.) et celles où il doit rester
clandestin (New York, Bruxelles, Bucarest). De même, ils font la juste
différence entre les places où l’on peut échanger l’or contre des monnaies
avouables, et celles où l’on obtient que des monnaies sans pouvoir d’achat
(Tchoung-King 55, Berlin). Enfin, ils ne peuvent ignorer les petites manies
des thésauriseurs : Bombay veut du souverain, Paris accorde une prime au
Napoléon, Macao apprécie le dollar, Beyrouth vend aux misogynes
bédouins du désert les souverains à tête de roi plus chers que les souverains
à tête de reine. Fort de ces données, l’arbitrage s’empare de l’or et lui fait
courir le monde : il le prend en Amérique et l’expédie sur les Indes, via
Tanger et Alep ; il le prend en Australie et aux Philippines et l’expédie sur
la Chine, via Macao et Hong Kong ; il le prend à Zurich ou à Rome et
l’expédie en France. L’avion, le bateau, les wagons-lits, l’auto, le vélo, le
chameau, tout concourt au transfert. L’or circule sur la planète comme le
56
sang dans le corps humain . »

Les débuts de la guerre froide


Pour l’or, la guerre froide a commencé en Grèce où la guerre de
libération avait dégénéré en guerre civile opposant maquis communistes et
nationalistes. La Grande-Bretagne, protectrice traditionnelle d’Athènes,
soutenait le gouvernement grec en lui fournissant des souverains en or,
seule monnaie véritablement acceptée en Grèce. Au cours de l’année 1948,
l’Angleterre, trop affaiblie, dut renoncer à ce soutien et se tourna vers les
États-Unis qui prirent l’année suivante secrètement le relais 57.
De même l’Arabie saoudite qui avait délaissé les Britanniques pour les
Américains demandait le paiement de son pétrole en or. Plus précisément, le
roi Ibn Saoud exigea que l’Aramco (Arabian American Oil Company) règle
les royalties pétrolières en souverains. Dans un premier temps, la
compagnie américaine put collecter ces monnaies en Inde puis, quand la
source se tarit, elle se tourna vers l’Argentine, rachetant à bas prix les
créances anglaises issues des « balances sterling », c’est-à-dire des dettes
faites par la Grande-Bretagne au cours de la guerre. Les achats portèrent sur
plus de 80 millions de dollars 58. Quand la source argentine s’épuisa à son
tour, les Américains décidèrent de fabriquer des pseudo-souverains. Le
département d’État donna son accord pour que des disques en or, au titre et
aux dimensions des souverains anglais, soient frappés par la Monnaie de
Philadelphie 59. Comme la Royal Mint refusa, sans surprise, de fournir les
coins aux États-Unis, un nouveau dessin fut créé : à l’avers figurait l’aigle
américain stylisé entouré de la légende « US Mint – Philadelphia – U.S.A. »
et au revers une simple inscription de trois lignes « ★ CONTAINS ★ .2534
TROY OZS. ★ FINE GOLD ★ » (contient/0,2534 onces Troy/or fin). Ces
« pseudo-souverains » étaient exportés par le Trésor américain au prix
officiel de 35 $ l’once (soit 8,30 $ pièce) par caisses entières en Arabie
saoudite d’où elles repartaient immédiatement pour être refondues et
vendues à Bombay où le cours de l’once dépassait 70 $. De façon similaire,
la Monnaie de Paris frappa des monnaies saoudiennes possédant les mêmes
caractéristiques que le souverain sans effigie mais avec des inscriptions en
arabe.
Simultanément, l’affaire Zdravko défraya la chronique judiciaire. Ce
faussaire yougoslave s’était lui aussi lancé dans la fabrication de vrais-faux
souverains et, fortune faite, avait habilement pris sa retraite en Suisse. Cette
villégiature était particulièrement bien trouvée car les autorités suisses,
devant l’afflux d’or des années 1945-1949 avaient refrappé des Vrenelis
(20 francs-or union latine) antidatées de 1935 avec, pour les différencier des
originaux, la lettre « L » (pour « lingot ») devant le millésime. Les autorités
britanniques poursuivirent Zdravko pour faux-monnayage et demandèrent
son extradition. L’affaire fut portée devant la justice helvétique. Or
l’astucieux faussaire avait pris la précaution de faire constater par huissier
en Grande-Bretagne que même les vrais souverains n’étaient pas acceptés
en règlement des impôts ou comme moyen de paiement légal. De fait, son
activité de fabrication de vrais-faux souverains ne pouvait être assimilée à
de la fausse monnaie. Les refrappes monétaires étaient exclues du champ de
la convention internationale de 1929 sur la lutte contre le faux-monnayage.
Les Britanniques durent admettre que, eux aussi, ils avaient repris la frappe
de souverains antidatés mais, rajoutaient-ils, uniquement pour garder le
savoir-faire et l’expérience du Royal Mint. Ils avaient assuré que les très
rares exemplaires produits n’avaient bien sûr aucune vocation à être mis en
circulation. Les juges suisses relaxèrent Zdravko à la fureur des
Britanniques. En fait, comme les archives le révélèrent bien plus tard, la
véritable raison de l’acharnement judiciaire anglais était que les vrais-faux
fabriqués par le Royal Mint étaient utilisés dans le cadre d’« activités semi-
clandestines au Proche-Orient ». Zdravko et les autres faussaires faisaient
une concurrence déloyale. Mais comme le reconnaissait le Trésor
britannique, cet argument pouvait difficilement « employé de façon
publique » au cours d’une audience…

LE RETOUR DU NAPOLÉON

En 1948, après le rétablissement du marché de l’or en France, la Banque


de France suggéra que l’État profite aussi de la prime sur le napoléon en
procédant à des refrappes. Elle justifia sa position « jésuite » en expliquant
qu’il ne s’agirait que d’une refonte à l’envers : « On ne voit pas pourquoi il
serait illégitime, en présence de circonstances non prévues peut-être au
moment où l’on avait procédé à la fonte, de rendre leur aspect primitif de
pièces anciennes à un certain nombre de lingots, à concurrence d’un poids
qui serait très inférieur, par la force même des choses, au poids total des
pièces fondues pendant la période sus-indiquée. Ce qui avait été fait en
somme pour des raisons de commodité peut bien être annulé pour le besoin
le plus impérieux d’agir, dans une certaine mesure, sur le mouvement actuel
des pièces d’or démonétisées 60. » Cette idée fut transmise au ministère des
Finances qui donna son accord à l’opération en mai 1951 pour « faciliter les
interventions du Fonds de Stabilisation des Changes sur le marché de
l’or 61 ». Les napoléons devaient être du type 1898 qui représentait au revers
un coq dressé sur ses ergots, à l’avers le profil de Marianne et sur la tranche
la devise « DIEU PROTÈGE LA FRANCE ». La Banque de France prévint
que la « réapparition de la vieille devise » pouvait susciter des « réactions
diverses » ainsi que des commentaires et des questions dans la presse qu’il
62
valait mieux éviter . Il fut donc décidé de se limiter aux millésimes 1907-
1914 frappés après la séparation de l’Église et de l’État en 1905 et pour
lesquels la tranche comportait la devise « LIBERTÉ ÉGALITÉ
FRATERNITÉ ». De plus, il fut décidé de ne mettre aucun signe visible
permettant de différencier les refrappes des pièces anciennes : « Il convient
de ne rien faire qui puisse faciliter l’identification des pièces nouvelles, ce
qui comporterait le risque d’introduire une cotation différentielle. […] Il
faut tenir compte de l’état d’esprit particulier des thésauriseurs français.
Bien que l’achat et la détention d’or soient maintenant parfaitement légaux,
ceux-ci préféreront – notamment pour des motifs d’ordre fiscal – ne pas
conserver des pièces qui, par les marques dont elles seraient revêtues,
pourraient être identifiées comme d’acquisition toute récente 63. » Si aucun
symbole visible ne fut ajouté, une marque secrète fut introduite dans le
lettrage des légendes pour différencier les nouvelles pièces.
Les autorités françaises avaient envisagé dans un premier temps de
rendre public le programme de refrappe. Cet objectif fut abandonné ; la
raison invoquée était la crainte de réactions « déplaisantes » de la part du
FMI et des autorités américaines 64. En réalité, la perspective de l’emprunt
Pinay (voir infra) et les profits substantiels engendrés par les refrappes
furent déterminants pour garder le secret. Ces nouvelles frappes
représentèrent près de 40 % des volumes de napoléons échangés dans les
années 1950. Ce n’est qu’en 1976 que les autorités françaises reconnurent
publiquement l’existence des vrais-faux napoléons à l’occasion d’une
question d’un député au ministre des Finances à l’Assemblée nationale 65.
Ce dernier se borna à donner les statistiques de frappes par années entre
1951 et 1960 66 en expliquant benoîtement que ces refrappes avaient « servi
à garantir l’emprunt Pinay indexé sur le napoléon 67 ». Au total, ce furent
près de 220 tonnes d’or qui servirent à cette lucrative opération pour
l’État…
La Monnaie de Paris ne fut pas la seule à vouloir bénéficier de la prime
sur le napoléon puisque les Soviétiques firent aussi frapper des vrais-faux
napoléons avec les mêmes caractéristiques que les originaux. Ces pièces
frappées furent introduites par les services secrets bulgares pour financer les
activités clandestines et obtenir des devises étrangères 68. Selon les experts,
les vrais-faux napoléons soviétiques possédaient une légère teinte verdâtre
du fait de leur teneur un peu plus élevée en argent qui permettait de les
reconnaître 69…
Pour les faussaires français qui se lancèrent aussi dans l’opération, le
risque subsistait car comme le rappelait Jean Gabin dans Le cave se rebiffe
(1962) : « En matière de monnaie les États ont tous les droits et les
particuliers aucun ! » Le « faux napoléon » était quand même nettement
moins risqué que « le faux talbin » qui offrait un aller simple pour Cayenne,
comme le rappelait le petit encadré des billets de la Banque de France :
« L’article 139 du Code pénal punit de réclusion criminelle à perpétuité
ceux qui auront contrefait ou falsifié les billets de banque autorisés par la
loi ainsi que ceux qui auront fait usage de ces billets contrefaits ou
falsifiés. » Pour le faux napoléon, les faussaires n’encouraient que des
peines beaucoup plus légères pour contrefaçon des sceaux de l’État (art.
142 du Code pénal), de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement. Ces faux étaient
toujours de qualité médiocre et faciles à détecter. En 1967, des « coqs »
millésimées 1912 attirèrent l’attention des experts. Ces napoléons, en tous
points identiques aux vrais et au bon titre, présentaient néanmoins plusieurs
défauts systématiques : une des plumes de la queue du coq était
anormalement longue et les lettres de la tranche étaient striées. Perplexe, la
Banque de France en confia six exemplaires à l’Administration des
Monnaies qui donna une réponse évasive et ambiguë : la gravure des deux
faces était manifestement authentique mais les tranches « portaient à croire
que les 6 pièces n’[avaient] pas été frappées à la Monnaie de Paris 70 ».
Intriguée, la Banque de France procéda à des sondages dans ses propres
stocks et dans ceux d’une société de courtage, il apparut que ces coqs
douteux représentaient près de 1 % de ces réserves. Elle en confia dix
exemplaires à la Monnaie de Paris pour un nouvel examen. Celle-ci fit
savoir « verbalement » et de façon « embarrassée » qu’elle avait dorénavant
« pris la décision de les déclarer comme bonnes ». Le caissier général de la
Banque de France prit la décision de rencontrer le directeur de la Monnaie
qui, « à titre strictement confidentiel », dut reconnaître gêné que les coins
de frappes de ces monnaies avaient disparu et qu’une enquête était en cours
pour en retrouver la trace. Selon les notes du caissier général, ces coins
avaient probablement été détournés par un employé indélicat de la Monnaie
de Paris et l’Administration voulait étouffer l’affaire 71… Des faussaires
avaient ainsi pu frapper impunément des faux vrais-faux. La Monnaie avait
trouvé plus malhonnête qu’elle et aurait pu reprendre à son compte
l’indignation du Mexicain sur les malfaisants dont « le monde est plein ! 72 »
Au-delà des vrais, des vrais-faux et des faux vrais-faux, le napoléon
joua un rôle primordial dans l’après-guerre. Il constituait l’une des
premières formes d’épargne populaire en France. La Banque des règlements
internationaux jugeait qu’en 1947, les avoirs d’or privés en France
atteignaient le niveau élevé de 3 000 tonnes, soit près du quintuple des
73
réserves de la Banque de France . Cette épargne inactive pouvait être
utilement mobilisée. C’est pourquoi, dès 1952, Antoine Pinay, président du
Conseil, décida de lancer un grand emprunt 74. Cet emprunt, le « Pinay » ou
la « rente Pinay » sera remboursé sur 60 ans, rapportera 3,5 %, sera
exempté de tous les impôts et taxes et pourra être utilisé en paiement des
impôts. La grande nouveauté était l’indexation du capital sur le cours du
napoléon. L’idée était de faire sortir l’or des bas de laine pour renforcer les
réserves de change et le franc. Le choix de l’indexer sur le napoléon plutôt
que sur l’or était habile. L’État gagnait sur les deux tableaux avec ses vrais-
faux napoléons. D’une part, il percevait la prime sur le napoléon qui
dépassait 40 % et d’autre part il pouvait agir sur les cours et les faire baisser
avant les remboursements annuels de juin. Un emprunt indexé sur l’or
aurait, de fait, été indexé indirectement sur le dollar sans marge de
manœuvre… En 1958, une nouvelle tranche de l’emprunt Pinay fut émise
aux mêmes conditions avec un succès éclatant. Pour les épargnants, le
« Pinay » était la valeur phare de la Bourse et son cours était commenté
dans tous les journaux. Le mensuel communiste Démocratie nouvelle
abordait même la question 75 en soulignant que : « La baisse générale de l’or
correspond à l’évolution générale de la conjoncture des pays capitalistes.
[…] La thésaurisation des particuliers, basée essentiellement sur l’idée que
l’or est une valeur refuge, a fait place à une déthésaurisation, d’une part
parce que la paupérisation s’est aggravée dans le monde capitaliste du fait
de l’économie de guerre et n’a pas épargné les classes moyennes et la
paysannerie détentrices d’or, d’autre part parce que la tension internationale
a diminué, donnant un moindre attrait au métal jaune, dont beaucoup
voulaient être munis “en cas de guerre” et d’exodes massifs de populations.
[…] la haute finance française a cherché ainsi à dégoûter pour longtemps la
petite clientèle du marché de l’or afin de canaliser ses achats sur le marché
boursier proprement dit […]. » Le cours de l’or reflétait, amplifiées, les
tensions et l’actualité. L’annonce, en 1949, de la transmutation nucléaire
d’atomes de mercure en or, réalisée plus de deux ans auparavant provoqua
76
une chute temporaire mais brutale des cours .

NOUVELLES CRAINTES
À la fin des années 1940, la situation économique commençait à
s’améliorer en France grâce notamment à l’aide du plan Marshall
(avril 1948). L’année suivante les tickets de rationnement disparaissaient
définitivement : en février pour le pain et en décembre pour le sucre,
l’essence et le café. À l’opposé, au Royaume-Uni, la situation se détériorait
malgré l’aide américaine qui était bien plus importante que celle dont
bénéficiait la France. La Grande-Bretagne ne put abolir complètement le
rationnement qu’en septembre 1953 pour le sucre et en juillet 1954 pour le
bacon et la viande. Pendant la guerre, le pays était passé de premier
créancier mondial à premier débiteur 77. Ces dettes contractées auprès des
pays du Commonwealth et des neutres comme l’Argentine, pudiquement
78
appelées « balances sterling » et le choix d’une livre forte, premier
objectif de la politique étrangère britannique 79, drainaient dangereusement
ses ressources. La Grande-Bretagne fut obligée de dévaluer brutalement de
30 % la livre dont la valeur passa de 4,08 dollars à 2,80 dollars. Cette
dévaluation, non concertée, plaça la France devant le fait accompli, comme
en 1931. Réalisée par le gouvernement travailliste de Bevin, elle pesa à la
fois sur l’inconscient britannique et sur ses relations avec les autres pays
(voir infra).
80
L’URSS ayant procédé en 1947 à un échange des billets et au retrait
de ses cartes de rationnement, elle décida de définir le rouble par rapport à
l’or au taux d’un rouble pour 0,222168 g d’or 81. Sur la base du taux de
change officiel entre les devises américaines et soviétiques, le prix officiel
de l’or en URSS s’établissait à 34,60 $. Cette opération essentiellement
symbolique fut interprétée par la Banque de France 82 comme une
manœuvre destinée à empêcher les États-Unis de relever le prix de l’or
« sous peine de faire du rouble la première des monnaies or ». Selon cette
analyse, le but était d’interdire la réévaluation potentielle des « immenses
stocks d’or » américains qui auraient permis « d’amortir les crédits gelés
accordés au titre du plan Marshall ». Le monde est alors divisé en trois
zones monétaires : le dollar, la livre et le rouble.
Après le blocus de Berlin, les tensions internationales s’intensifiaient et
le déclenchement de la guerre de Corée fut analysé comme un nouvel
Anschluss. Or la pensée stratégique américaine était structurée autour du
83
« paradigme de Munich » et de cinq « enseignements » : la politique
d’apaisement envers Hitler avec le dépeçage cruel et inutile de la
Tchécoslovaquie en 1938 avait été vaine, la stratégie de la ligne Maginot
avec son contournement en 1940 était inepte et symbolisait l’inutilité d’une
stratégie purement défensive ; l’absence de vigilance permanente avait
mené à l’infamie de Pearl Harbor, la supériorité technologique avec le
développement du radar, du MIT et du projet Manhattan avaient permis de
vaincre. La bombe atomique « symbole énigmatique à la fois de la
puissance invincible et de l’apocalypse mondiale 84 » était révérée pour
avoir mis fin à la guerre dans le Pacifique. Dans ce contexte, les stratèges
85
américains décelèrent en Corée une attaque concertée et s’attendaient à
une invasion généralisée de l’Europe, à l’exception possible de la péninsule
ibérique et de la Scandinavie. Ils n’excluaient pas d’éventuels
bombardements atomiques contre le Royaume-Uni et l’Amérique du Nord.
Dans cette escalade anxiogène, la France, qui n’était pas en mesure de
se défendre seule, était confrontée à ses hantises. Le cauchemar « que ça
reparte comme en 40 » avec le déferlement de l’Armée rouge était dans tous
les esprits. Le général de Gaulle n’avait-il pas rappelé que la frontière
soviétique n’était « séparée de la nôtre que par 500 kilomètres, soit à peine
la longueur de deux étapes du Tour de France cycliste » ? Pour répondre à
ces menaces deux décisions majeures furent prises. D’une part, des réseaux
dormants secrets de futurs résistants devaient être développés. Dans des
caches secrètes, armes, munitions, explosifs, bicyclettes et radio seraient
entreposés. Ces réseaux Stay-Behind (comme l’organisation « Rose des
Vents 86 », par exemple) allaient aussi être dotés de ressources financières
pour pouvoir financer leurs activités clandestines le jour où les Soviétiques
occuperaient le territoire national. Les napoléons représentaient le choix
idéal du fait de leur liquidité et de leur valeur intrinsèque élevée comme ils
l’avaient prouvé sous l’Occupation. Des réserves d’or furent ainsi disposées
sur le territoire. Elles devaient permettre de financer la Résistance en
attendant un nouveau débarquement anglo-américain.
L’autre décision majeure, tout aussi secrète, fut l’évacuation du stock
d’or de la Banque de France hors du territoire métropolitain. Dès l’été 1950,
87
le gouvernement décida de mettre en sûreté 70 tonnes d’or à Oran en deux
convois (40 tonnes le 25 mai 1950 et 30 tonnes le 3 octobre). Dans la même
logique, l’or reçu en paiement à Londres ou à New York ne devait pas être
rapatrié et était laissé sur place.
Évolution des réserves d’or françaises entre 1945 et 1969

L’Afrique du Nord fut jugée trop proche et susceptible d’être


bombardée ou envahie par l’Armée rouge. Comme en 1940 quand l’or de la
Banque de France avait été évacué à Dakar puis à Kayes au Mali, le choix
fut fait d’envoyer les stocks en Afrique équatoriale à l’intérieur des terres.
L’or allait être conservé à Brazzaville, capitale de l’Afrique équatoriale
française, réputée sûre, à 500 km de la côte.
Le conflit en Corée s’aggrava avec l’entrée en guerre des Chinois, le
31 octobre. Devant la dégradation de la situation, MacArthur exigea – sans
succès – de Truman, le 24 décembre 1950, le droit d’utiliser des bombes
atomiques tactiques. Séoul fut reprise par les armées communistes une
semaine plus tard. La veille du déclenchement de l’opération Thunderbolt
qui visait à reconquérir la capitale sud-coréenne, le 24 janvier 1951, Pletsch
et Pleven demandèrent au Gouverneur par « lettre très secrète » d’accélérer
la « dispersion de l’encaisse-or ». Les services de la Banque de France
organisèrent dans l’urgence l’évacuation. Deux semaines plus tard, le
5 février 1951, un convoi ferroviaire de 100 tonnes d’or protégé par la
gendarmerie partit de Paris pour Toulon. Les barres d’or furent ensuite
directement transbordées sur le croiseur Georges Leygues. Le navire fit
escale à Oran pour prendre 30 tonnes d’or supplémentaires et partit pour
Pointe-Noire. De là les caisses d’or furent acheminées par un train spécial
jusqu’à Brazzaville sur la voie Congo-océan. Elles furent placées dans un
caveau de la Banque de l’Afrique occidentale qui fut ensuite scellé pour
huit années.
En 1958, peu de temps après son accession au pouvoir, le général de
Gaulle décida de rapatrier le stock d’or à Paris. Il estimait d’une part que,
même si le référendum sur la Communauté française avait été largement
approuvé (99 % au Moyen-Congo), la décolonisation était inéluctable. Les
troubles au Congo belge voisin n’étaient pas de bon augure. D’autre part,
l’or en Afrique pouvait susciter des convoitises. N’avait-il pas lui-même,
avec l’aide des Britanniques, tenté en 1940 de mettre la main sur l’or de la
Banque de France déposé à Dakar ? Dans ces conditions, le rapatriement fut
planifié pour le 7 mars 1959. La trappe du caveau de la Banque de l’Afrique
occidentale fut descellée et les caisses furent péniblement extraites du
caveau dans une moiteur extrême du fait de « la chaleur étouffante qui
règne actuellement au Congo » selon les termes du caissier général.
Plusieurs agents venus de Paris eurent des malaises. Si l’or était intact, les
caisses en bois en revanche n’avaient pas résisté à huit années de climat
équatorial. À une ou deux exceptions près, elles durent être toutes
remplacées. Mais la Banque de France, se souvenant de la première
évacuation de l’or en Afrique pendant la Seconde Guerre mondiale avait
prévu l’éventualité et avait fait réaliser de nouvelles caisses. Sous la
surveillance de la troupe, l’or fut chargé sur un train spécial Brazzaville-
Pointe-Noire qui partit le dimanche 9 mars dans la matinée. Après un
voyage éprouvant de plus de 15 heures, le chargement arriva au petit matin
du lundi avec « quatre heures d’avance sur l’horaire initialement prévu », se
félicitèrent les autorités. L’embarquement de l’or sur le porte-avions
Dixmude fut fait dans la foulée. Le navire pouvait larguer les amarres le
10 mars et rejoindre Brest après quinze jours de navigation. Dès le matin du
25 mars à 6 h 30, les opérations de déchargement commencèrent. L’or était
débarqué par palanquées de 24 caisses de 3 barres (50 kg) sur des chalands
de débarquement « Thomery » qui rejoignaient le ponton. De là, il était
o
entreposé dans le souterrain n 4 creusé sous le fort de Brest. Les 2 359
caisses furent ensuite acheminées par camion en deux convois militaires
jusqu’à Paris. Le 7 avril 1959, l’or d’Afrique était revenu à la Souterraine.

LA VENTE DES BARRES SOVIÉTIQUES À LA FRANCE

Si la France était clairement dans le camp occidental, contrairement aux


Américains, elle ne s’interdisait pas pour autant d’avoir des relations
commerciales avec l’URSS. En particulier, elle acceptait volontiers de
88
vendre ses produits agricoles comme le blé ou le beurre en échange d’or
qui finissait par se retrouver dans les coffres de la Banque de France,
laquelle savait que le sujet était éminemment sensible. À titre strictement
confidentiel et amical, le caissier général de la Banque d’Angleterre avait
informé son homologue français de l’attitude rigide des autorités
américaines. Ces dernières avaient officieusement mis en garde la Banque
d’Angleterre, lui indiquant qu’elle s’attirerait de « très gros ennuis » si elle
laissait entrer aux États-Unis des barres d’or d’origine soviétique portant
ses propres contremarques. Ces barres étaient faciles à reconnaître car elles
portaient une faucille et un marteau, « CCCP » sur l’estampille unique
ovale du fondeur-essayeur, et des mentions en cyrillique. En outre, le poids
était gravé en grammes. L’expédition de telles barres serait considérée par
le Trésor américain comme une provocation – et un crime de lèse-dollar. Le
caissier britannique indiquait que désormais, tel un vulgaire receleur, il
faisait effacer sur l’or de Moscou toutes les traces d’un passage à Londres et
que désormais, plus aucun marquage anglais n’y était apposé. Au passage,
le caissier britannique informait la Banque de France qu’elle possédait à
Londres de telles barres pour un total de près de trois tonnes.
Cette information suscita un vent de panique à la Banque de France qui
chercha immédiatement à savoir comment elle avait pu se retrouver en
possession de telles barres et si elle n’en possédait pas d’autres à l’étranger.
Après une rapide enquête, il apparut que les 3 tonnes avaient été fournies
par une banque suisse de Bâle. Il n’était pas exclu que la France ait eu de
l’or soviétique à New York datant d’avant la Seconde Guerre mondiale mais
dans ce cas le péché serait véniel. En revanche, pour éviter tout malentendu
ultérieur, il fut décidé de rapatrier à Paris l’or soviétique pour le refondre.
Les barres soviétiques devinrent ainsi des barres françaises, des vrais-faux
napoléons et des souverains saoudiens.
Avec l’expansion des exportations françaises, de plus en plus de barres
soviétiques entraient en France. Il n’était plus question de les refondre
honteusement. La Banque commerciale de l’Europe du Nord qui était le
bras armé de la Banque centrale soviétique en France, approcha la Banque
de France pour réaliser de discrètes opérations sur or à des conditions plus
intéressantes que celles proposées par les Britanniques. Ainsi de juin 1955 à
mai 1960, la Banque de France acheta des barres soviétiques pour près de
200 tonnes en 35 opérations. L’or arrivait en avion-cargo de l’Aeroflot à
l’aéroport du Bourget où il était directement réceptionné. À partir de 1963,
les opérations avec les Soviétiques servirent indirectement par le
mécanisme des swaps à rapatrier à Paris l’or détenu à Londres par la
Banque de France (voir infra).

La fin de la IVe République


Si le plan Marshall permit à la France de se reconstruire en évitant de
sacrifier ses dernières réserves d’or, l’aide américaine n’était pas donnée
sans contreparties, notamment sur le plan de la souveraineté nationale. Les
États-Unis étaient devenus la puissance dominante et ne se privaient guère
d’user du pouvoir du dollar. Ainsi, en octobre 1952, le secrétaire d’État
Acheson bloqua l’aide à la France pour faire pression sur les négociations
89
en cours . En réponse, Pinay, président du Conseil, convoqua le
surlendemain l’ambassadeur des États-Unis en France et lui déclara :
« Peut-être, Monsieur l’Ambassadeur, votre gouvernement pense-t-il que la
France, parce qu’elle a beaucoup souffert et a été envahie deux fois, subi
sur son territoire l’autorité d’un gouvernement étranger et ennemi, est prête
à subir toutes les humiliations. S’il en est ainsi, vous vous trompez car il est
un point sur lequel la France n’a jamais été entamée, c’est celui de sa
fierté 90. » Cet incident marqua, comme le note Bossuat, une rupture dans
l’attitude française envers les Américains qui passa « d’une confiance
candide » à une « méfiance manifeste ». Avec la défaite de Dien-Biên-Phu
en 1954, considérée par l’armée française comme un lâchage des
Américains, le fossé continua à se creuser. Après l’échec de la Communauté
européenne de Défense (CED), le nouvel ambassadeur des États-Unis,
Douglas Dillon rendit compte au département d’État : « La France est sans
nul doute malade et fébrile. La thérapie de choc est le traitement indiqué,
mérité et adapté mais le voltage doit être soigneusement dosé pour ne pas
tuer le patient. Nous devons nous faire à l’idée que la France sera la
“femme” malade de l’Occident. Mais un rapide coup d’œil sur une carte de
l’Europe et de l’Afrique du Nord montre que nous devrons faire preuve
d’une patience et d’une tolérance “surhumaines” pour les prochains
mois 91. » C’est dans ce contexte tendu que Mendès France lança
secrètement à la fin de l’année 1954 le programme militaire atomique
92
français , cependant que le fossé franco-américain se creusait davantage
encore avec la crise de Suez.
SUEZ

Au cours de l’été 1956, le jeune colonel Nasser qui avait renversé


quatre ans auparavant le roi Farouk, nationalisa le canal de Suez. Creusé par
les Français au XIXe siècle, il était contrôlé par la France et la Grande-
Bretagne. Après plusieurs semaines de discussions diplomatiques, Paris et
Londres décidèrent de reprendre par la force le contrôle du canal et mirent
au point un protocole secret avec Israël. Le 29 octobre, Tsahal envahit la
rive droite du canal et le Sinaï. Le 5 novembre 1956, les parachutistes
français et britanniques sautaient sur Port-Saïd, officiellement pour séparer
les Égyptiens et les Israéliens. Sans surprise, les Soviétiques, alors en pleine
répression hongroise, réagirent et brandirent la menace de représailles
nucléaires. De façon inattendue, les Américains réagirent aussi en menaçant
les Britanniques avec l’arme monétaire.
Dès la fin du mois d’août, la Banque nationale suisse 93 avait noté que
l’Égypte et les pays musulmans avaient vendu la devise anglaise et que cela
pourrait préfigurer un basculement de ces pays dans le bloc de l’Est. Dans
les semaines qui avaient précédé la nationalisation, l’Égypte avait liquidé
les avoirs qu’elle détenait en Angleterre, en France et aux États-Unis pour
les transférer en Suisse. De plus, la Chine, l’Inde et l’Indonésie avaient
renoncé à utiliser la livre sterling pour payer leurs achats de coton égyptien.
S’interrogeant sur le rôle de l’URSS dans ces mouvements, les Suisses
avaient aussi remarqué que certains pays du Golfe dont le Koweït
souhaitaient convertir leurs réserves de change en livres sterling vers le
franc suisse.
Aux mois de septembre et d’octobre, les tensions monétaires s’accrurent
du fait du blocage du canal. L’Égypte et la France firent appel au FMI pour
des prêts temporaires qui furent approuvés sans difficultés 94. La Grande-
Bretagne devait défendre la livre sterling qui était menacée. En effet, la
fermeture du canal avait privé les compagnies pétrolières anglaises de leurs
revenus en dollars. Or, selon les accords de Bretton Woods, la parité de
2,80 $ pour une 1 livre plus ou moins 1 % (c’est-à-dire entre 2.78 et 2.82)
devait être défendue. Le plancher de 2,72 $ était atteint, la situation
devenait intenable. Le lendemain, le chancelier de l’Échiquier, Macmillan,
informa le Cabinet que les réserves avaient baissé de près de 300 millions
de livres en quelques jours. Il devait solliciter un prêt du FMI. Les
Américains, en pleine élection présidentielle, informèrent Macmillan qu’ils
ne donneraient pas leur accord pour un prêt sans cessez-le-feu.
Contrairement à ce qu’avait présomptueusement affirmé Macmillan deux
mois auparavant : « Je connais Ike, il se couchera 95 ! », Eisenhower refusa
de soutenir la demande britannique au FMI. Piteusement, Macmillan dut
annoncer au Cabinet qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’accepter la
96
demande de cessez-le-feu des Nations unies . Les Britanniques
annoncèrent leur retrait et mirent leurs alliés devant le fait accompli. Cette
« trahison » fut durement ressentie par les Français qui étaient beaucoup
moins vulnérables aux pressions monétaires américaines 97. Un diplomate
américain remarqua que les Britanniques avaient tenu à l’écart les Français
pendant les préparatifs du sommet de Washington du FMI et qu’ils avaient
cyniquement « jeté aux loups leur partenaire pendant l’aventure de Suez ».
Le diplomate ajoutait que cette attitude laisserait des traces durables…
Macmillan, dans ses mémoires, accusera la spéculation aiguillonnée par
la Fed : « La vérité est que c’était largement le résultat de la spéculation
contre la livre sterling et de fortes ventes à New York. Il est difficile de
savoir dans quelle mesure il s’agissait d’éviter des pertes ou le résultat
d’une impulsion donnée par le Trésor américain. Mais, en tout cas, les
ventes de la Fed semblaient bien au-dessus de ce qui était strictement
98
nécessaire pour protéger leurs propres avoirs . » Notant qu’il pouvait
comprendre le refus des États-Unis d’une aide temporaire à la Grande-
Bretagne mais qu’en revanche l’obstruction américaine au prêt du FMI,
auquel les Anglais avaient droit, était difficilement pardonnable.
L’épisode de Suez marqua un tournant dans l’après-guerre. D’abord, le
premier gagnant était Nasser qui avait pu impunément « tirer la queue du
99
lion britannique » et arracher aussi quelques plumes au coq gaulois. Le
fiasco franco-britannique le renforçait dans son prestige au détriment de
celui des anciennes puissances coloniales. Ensuite, il consacrait la
suprématie des États-Unis et de l’URSS qui devenaient les gendarmes du
monde. Khrouchtchev avait manié la menace atomique alors que
Eisenhower avait utilisé l’arme du dollar et de l’or. Enfin, pour
l’Angleterre, Suez fut le signe inquiétant de son effacement comme grande
puissance. Pour lutter contre cette tendance préoccupante, elle misa tout sur
son rapprochement avec les États-Unis et la « special relationship » au
détriment de la France et de l’Europe. Pour Paris, Suez était une pierre de
plus dans le jardin déjà caillouteux des relations franco-américaines 100 Le
ministre français des Affaires étrangères d’alors, Christian Pineau, nota
101
dans ses mémoires que l’affaire de Suez avait fait oublier aux Français le
débarquement en Normandie et le plan Marshall. Cette « trahison »
accélèrera le rapprochement avec l’Allemagne et les Européens en ouvrant
la voie au Traité de Rome.
L’arme du dollar faisait son apparition et préfigurait les menaces
monétaires de la décennie suivante. Cependant ce chantage était purement
circonstanciel, l’interprétation de Macmillan était probablement un peu
excessive. La spéculation contre la livre sterling résultait des anticipations
et des craintes de dévaluation. Sa faiblesse avait l’odeur du sang pour les
spéculateurs. Vouloir voir comme certains une opération quasi-militaire
orchestrée par les États-Unis de coercition monétaire 102 semble excessif.
Comme l’avait analysé Jeanneney, l’échec du Cartel des gauches imputé au
mur de l’argent repose sur les mêmes mécanismes et il n’est pas nécessaire
de recourir à des explications complotistes. Selon toute probabilité, les
États-Unis n’ont pas attaqué la livre, les ventes de sterling par la Fed
résultaient d’opérations ordinaires, mais ils se sont simplement contentés de
103
bloquer la demande de prêt du FMI . Comme le résumera laconiquement
et avec finesse le général de Gaulle : « Le dollar a fait pression sur la livre,
104
et la City sur Eden, qui n’avait pas les nerfs assez solides . » Cependant,
la France n’échappera pas à l’arme du dollar quand en 1957, elle devra faire
une demande humiliante d’aide au FMI alors qu’elle devait financer la
105
guerre d’Algérie .

LA SUISSE

Dès la fin de la Première Guerre mondiale, la Suisse était devenue le


refuge des épargnants. Elle avait accueilli à bras ouverts les capitaux
106
français effrayés par le Cartel des gauches, le Front populaire et le fisc .
Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle participa activement au
blanchiment des capitaux nazis. Après la fin du conflit, la Suisse fut
ostracisée pour son attitude complaisante. Mais, placée sur la ligne de front
entre l’Est et l’Ouest, la Suisse sut bénéficier de la guerre froide. Grâce à sa
position charnière et à sa neutralité, la décolonisation constitua une
107
opportunité supplémentaire . En particulier, la gestion de fortune devint
une activité clé, supplantant les grandes places internationales concurrentes.
Dans une reconstruction héroïque 108 voire mythique, la neutralité et le
secret bancaire étaient érigés en piliers de l’identité nationale. Dans ce
contexte, la Suisse et l’Afrique du Sud se rapprochèrent. Les autorités
fédérales favorisèrent le développement de la place de Zurich par une
politique étrangère accommodante alors que le gouvernement de Pretoria
cherchait à diversifier ses marchés pour ne plus dépendre uniquement de la
place de Londres. À la fin des années cinquante, une nouvelle géographie
était en train de se dessiner dans un relâchement relatif des tensions.

SPOUTNIK
Le lancement réussi de Spoutnik par les Soviétiques en 1957 plongea
les Américains dans l’anxiété. Cette nouvelle tension marquée par la course
à l’espace entre les États-Unis et l’URSS coïncidait avec la fin de la
e
IV République.
À cette époque, le stock d’or de la France dépassait légèrement les 500
tonnes. Les 200 tonnes gagnées avec les ventes de blé à l’URSS avaient été
reperdues dans la crise qui avait suivi Suez. Les dépenses de la guerre
d’Algérie naissante absorbaient les éventuels surplus. Même si la situation
économique s’était nettement améliorée au cours des dix dernières années,
la France restait handicapée par l’inflation et par le manque de compétitivité
de son économie. Dans le même temps, l’Allemagne renaissait de ses
cendres : son stock d’or atteignait 2 250 tonnes et devenait le second au
monde. En revanche, à l’image de la livre, le stock d’or anglais s’érodait et
n’occupait plus que la quatrième position derrière les États-Unis
(20 000 tonnes), l’Allemagne et la Suisse.

1958 : De Gaulle au pouvoir

NOUVEAU FRANC ET NOUVELLE CONSTITUTION

Dès son arrivée au pouvoir, en 1958, le général de Gaulle s’attaque au


problème monétaire français. Il avait connu dans sa jeunesse le franc
germinal à la stabilité légendaire qui circulait dans le monde entier grâce à
l’union latine. Les napoléons étaient acceptés de l’Atlantique à l’Oural 109, et
au-delà. Les paroles du directeur général du FMI, le Suédois Per Jacobsson,
au général de Gaulle ne pouvaient que le conforter dans l’idée d’une
nécessaire réforme de la monnaie :
En 1802, Napoléon donna à la France le franc-or – qui demeura
inchangé jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale
en 1914. Il survécut aux deux guerres napoléoniennes
malheureuses ; à la guerre de 1870-1871 ; il survécut aux
révolutions de 1830 et de 1848 ; et à tous les changements de
gouvernements durant la IIIe République. Et la solidité de la nation
française se manifesta d’elle-même durant la terrible épreuve de
1914-1918. Vous voyez, les Français sont un peuple intelligent,
laborieux et économe. Et pour peu qu’on leur donne la stabilité
monétaire, ils peuvent supporter une bonne dose d’instabilité
politique. Mais après 1919, ils eurent à la fois l’instabilité politique
et l’instabilité monétaire et ça, c’est trop, même pour un Français.
Mon Général, je suis certain que vous donnerez aux Français une
meilleure constitution, mais on ne sait jamais : les Français ont une
mentalité terriblement politique. Mais si vous pouviez, comme
Napoléon, donner une bonne monnaie au peuple français, vous
auriez certainement rendu un service durable à la France. 110

Conseillé par Jacques Rueff, de Gaulle voulait une monnaie solide qu’il
mit en place par trois actes symboliques : une forte dévaluation de 18 % à
froid, une nouvelle unité monétaire – le nouveau franc – et de nouvelles
pièces monnaies en argent. Le plan de stabilisation fut confié au tandem
111
Jacques Rueff-Antoine Pinay ; deux personnalités que tout opposait.
Pinay était un homme politique traditionnel et pragmatique issu de la
IIIe République, « l’homme au chapeau rond » de Saint-Chamond. À
l’opposé, Rueff était un technocrate voire un idéologue orthodoxe opposé
aux théories keynésiennes. Polytechnicien et inspecteur des Finances, il
s’était illustré pendant l’entre-deux-guerres par des vues classiques,
s’opposant même au principe de l’assurance chômage. Prônant la stabilité
de la monnaie, il avait repris la position de Charles Rist sur le rôle de l’or.
Dans son livre Le lancinant problème de la balance des paiements, il
défend la position de la fourmi contre les cigales 112. Artisan de la déflation
sous le gouvernement Laval, il fut écarté par le Front populaire. Grâce à la
protection de Pétain et de Laval, il passa la guerre sans encombre à un poste
technique. À la Libération, il occupa diverses fonctions internationales.
Membre de la Société du Mont-Pèlerin, il défend le libéralisme et s’oppose
à l’intervention de l’État. En 1958, il rédige le programme de rénovation
économique et financière du général de Gaulle.
Le premier acte fut la dévaluation du 27 décembre 1958 qui fixe la
parité du franc à 2 mg d’or à 900 millièmes, soit 1,8 mg d’or fin. Le choix
fut fait de donner une parité ronde par rapport à l’or et non pas par rapport
au dollar. La dévaluation était forte et allait au-delà de la simple correction
de la hausse des prix qui aurait conduit à dévaluer entre 13 et 15 % mais le
gouverneur de la Banque de France, Wilfried Baumgartner choisit 17,5 %
pour donner aux exportations un avantage compétitif et pour son aspect
symbolique. La nouvelle valeur or était 150 fois inférieure à celle du franc
germinal. La brutalité de la dévaluation donna lieu à de nombreuses
rumeurs. Des personnalités « bien informées » auraient ainsi gagné des
113
milliards . Un journaliste de L’Express dénonça : « La dévaluation a été
faite le 27 décembre. Mais la décision a été antérieure. Elle devait rester
secrète. Elle ne l’est pas restée. Il y a eu une fuite. Le jeudi 18 décembre,
notre stock de devises étrangères a baissé de 8 milliards de francs et le
vendredi 19, de 35 milliards. » Le journaliste demanda une enquête et des
sanctions exemplaires. La Banque de France fut chargée de l’enquête.
Reconnaissant les mouvements spéculatifs, elle note que « les indiscrétions
qui sont à l’origine de la spéculation proviennent des pays étrangers que le
gouvernement français avait dû avertir des mesures monétaires qu’il allait
prendre. L’enquête particulière qui a porté sur le département d’un député
UNR fait ressortir que les opérations constatées étaient le fait d’hommes
d’affaires locaux revenant justement de ces pays ». La Suisse était visée…
Par ailleurs, le rapport de la Banque de France notait que des indiscrétions
avaient pu être commises à Paris mais qu’elles relevaient plus de « propos
de table irresponsables » que de la volonté précise de trahir un secret d’État
lucratif. Cet épisode inspira Henri Verneuil pour la scène de la dévaluation
dans son film Le Président (1961) avec Jean Gabin et Bernard Blier.
La création du nouveau franc par le décret du 27 décembre 1958 fut le
er
deuxième acte. Le nouveau franc qui est introduit le 1 janvier 1960 vaut
cent anciens francs. Le terme nouveau franc disparaît 3 ans plus tard le
er
1 janvier 1963 pour laisser la place au terme franc. Le choix de diviser
e
l’unité par cent vise à restaurer la parité de l’étalon-or du XIX siècle lorsque
les rapports entre les différentes monnaies découlaient de leurs poids d’or
respectifs 114. Ainsi jusqu’à la Première Guerre mondiale, le dollar valait
5,18 francs et la livre sterling 25,12 francs. Les deux guerres et l’inflation
avaient considérablement réduit sa valeur. Le passage au nouveau franc
plaçait le dollar à 4,93 francs (un peu mieux que sous le franc germinal) et
e
la livre à 13,82 francs ce qui représentait un gain par rapport au XIX siècle.
Le troisième acte fut la frappe de nouvelles pièces de 5 francs en
115
argent . Ces pièces, qui contenaient 10 grammes d’argent, étaient ornées
de la figure de la semeuse que le graveur Oscar Roty avait conçue en 1897
pour la pièce de 1 franc de la IIIe République, elles visaient à marquer la
solidité du nouveau franc. Sur la tranche figurait LIBERTÉ – ÉGALITÉ –
FRATERNITÉ. Ces pièces cessèrent d’être frappées à la fin des années 1960 et
furent privées du cours légal en février 1980 lorsque le cours de l’argent
s’envola. Leur valeur intrinsèque atteignit 45 francs, neuf fois leur valeur
faciale. La monnaie fut remplacée par la pièce en cupronickel au même
motif mais à la tranche striée 116. En 1964, une nouvelle pièce
« nostalgique » de 10 francs en argent 117 fut frappée, reprenant le motif
gravé en 1795 par Augustin Dupré « Union et Force » avec Hercule
rassemblant la Liberté (à gauche, tenant un bonnet phrygien sur une pique)
et l’Égalité (à droite, tenant un niveau d’architecte). La pièce ne fut plus
émise à partir des années 1971 et privée du cours légal en 1980.
Le plan de Rueff et Pinay réussit parfaitement et la balance des
paiements redevint positive conduisant la France à accumuler des excédents
en dollars. Dans un premier temps, la Banque de France rembourse par
anticipation ses dettes extérieures. En 1959, elle règle les 900 millions de
dollars qu’elle avait dû quémander au FMI quelques années plus tôt. Très
rapidement, son solde devient créditeur pour dépasser le milliard de dollars
en 1961. Le franc est à nouveau « crédible » sur les marchés financiers.
Sur le plan intérieur, Pinay lance un nouvel emprunt indexé sur le cours
118
du napoléon , sur le modèle de celui qu’il avait lancé sous la
e
IV République. L’emprunt qui rapporte 3,5 % est pourvu de « carottes
fiscales » puisqu’il est exonéré de l’impôt de revenu et de droits de
succession. Une vaste campagne de presse et de « réclame » est lancée sur
le thème de « l’or qui rapporte ». L’opération napoléon, selon le titre
ironique de The Economist (21 juin 1958), est bien acceptée par l’opinion
publique et la presse qui y voient un signe du retour à la confiance. Seule
L’Humanité (16 juin 1958) s’offusque du « cadeau royal pour les
capitalistes ».
En janvier 1960, W. Baumgartner est nommé ministre des Finances
après le départ d’Antoine Pinay. À Alain Peyrefitte qui lui avait demandé
s’il était facile pour un gouverneur de la Banque de France de devenir
ministre, Baumgartner lui répondit : « Vous n’imaginez pas, mon cher,
comme votre question est cruelle. De Gaulle m’avait convoqué pour me
demander de prendre la succession de Pinay. J’ai décliné l’offre : “Je ne suis
pas digne. Je connais mal le milieu politique. Je ne suis pas fait pour être
ministre. Je suis seulement un serviteur de l’État”. De Gaulle insiste.
J’insiste dans mon refus : “J’aime mieux continuer mon action à la Banque
de France, qui est loin d’être achevée.” Il m’a répondu sur un ton à la fois
calme et sans réplique, comme une constatation évidente : “Mais vous
119
n’êtes plus gouverneur de la Banque de France !” »
Sur les plans économique, financier et monétaire les clignotants passent
au vert. Le franc accumule les succès et retrouve un peu de son lustre
d’antan. À l’inverse, le dollar et la livre commencent à éprouver quelques
difficultés.

NOUVELLES AMBITIONS ET NOUVELLE BOMBE

Dès son accession au pouvoir, le général de Gaulle manifeste ses


ambitions stratégiques pour la France. Dans le mémoire qu’il avait adressé
en septembre 1958 à ses anciens compagnons d’armes, Eisenhower et
Macmillan, il avait demandé que la France retrouve sa place d’avant-guerre
aux côtés des Américains et des Anglais et que l’OTAN soit dirigée par un
directoire tripartite pour les questions stratégiques et atomiques. Devant
l’absence de réponse, le Général commence à reconsidérer l’attitude de la
France vis-à-vis de l’OTAN. En mars 1959, il retire la Marine du
commandement intégré pour la Méditerranée. Puis, ne recevant toujours
aucune réponse d’Eisenhower et de Macmillan, il refuse en juin suivant la
présence sur le territoire national de têtes nucléaires américaines si la
France n’a pas de droit de regard sur ces dernières. Les Américains décident
de déplacer les escadrilles en question au Royaume-Uni et en Allemagne.
Le 13 février 1960, la France réalise son premier essai atomique
120
« Gerboise bleue » au cœur du Sahara, essai réussi qui sera suivi par un
second quelques mois plus tard. Dans sa conférence de presse du 3 février,
Eisenhower exprime son soutien à l’entrée de la France dans le club
nucléaire anglo-saxon : « […] J’ai toujours été d’avis que nous ne devrions
pas refuser à nos alliés ce que notre ennemi potentiel possède déjà. Nous
voulons que nos alliés soient traités en associés et en alliés et non comme
des membres subalternes d’une firme qui doivent être vus mais non
entendus. Je pense donc qu’il serait préférable pour les intérêts des États-
Unis de rendre notre loi plus libérale, à condition que nous choisissions les
pays dont nous sommes certains, par nos traités et tout le reste, qu’ils se
tiendront à nos côtés… en période troublée. » En mars, de Gaulle reçoit
Macmillan à Rambouillet et ce dernier, qui ne souhaite pas plus du
triumvirat, met en garde le général en lui disant que selon sa propre
expérience, les Américains, que ce soit pour des affaires personnelles ou
officielles, s’ils veulent vraiment faire quelque chose, finissent toujours par
trouver un moyen. En revanche, s’ils ne le veulent pas, la loi devient alors
un obstacle insurmontable 121. Le Général tente de faire valoir sa position au
cours d’une visite d’État aux États-Unis. Le 22 avril 1960, jour de l’arrivée
du Général à Washington, le secrétaire d’État à la Défense déclare que les
essais nucléaires français ne sont pas suffisants pour admettre la France
dans le club atomique. Cette humiliation pour la France provient de
l’opposition de l’entourage d’Eisenhower et du Congrès américain qui sont
persuadés que la France n’a pas les moyens financiers de réaliser une vraie
force de frappe. Ils pensent qui si de Gaulle persistait dans son entêtement,
il se ruinerait et devrait venir à Canossa pour demander de l’aide. Les États-
Unis conditionneraient alors leur assistance financière au rattachement du
nucléaire français à l’OTAN, c’est-à-dire en le plaçant sous contrôle
américain 122. Cette analyse repose sur la présomption de l’incapacité de la
France à développer une force de frappe autonome « au vu de l’énormité
123
des problèmes intérieurs auxquels de Gaulle est confronté ». Elle néglige
aussi de prendre en compte la vision stratégique du Général qui pensait que,
compte tenu de la supériorité conventionnelle soviétique, l’Allemagne serait
envahie sans riposte nucléaire américaine et que la bataille de France se
jouerait, comme en 1940, sur le Rhin, avec les seules les forces françaises.

PREMIÈRE CRISE DE L’OR


La première crise sérieuse de l’or se déclenche à l’automne pendant la
campagne de l’élection présidentielle américaine. Eisenhower achève son
second et dernier mandat. Le candidat des Républicains est Richard Nixon,
son vice-président depuis huit ans. Il s’oppose à John F. Kennedy pour les
Démocrates à l’ambitieux programme de campagne « Nouvelle
124
Frontière ». Conformément aux idées keynésiennes, il veut augmenter
fortement les dépenses fédérales. De plus, il s’oppose aux souhaits
d’Eisenhower de brider les dépenses militaires. Kennedy avait déjà attaqué
l’administration républicaine, l’accusant de sacrifier la Défense nationale au
nom de l’équilibre budgétaire, ce qui menacerait les États-Unis « d’un péril
125
plus mortel que tous les dangers jamais connus pendant la guerre ». Cette
attitude, qui satisfait pleinement le lobby militaro-industriel, inquiète
néanmoins les marchés qui redoutent le déficit et l’inflation. Et ce d’autant
plus que la Fed avait fait savoir que le taux de couverture en or des billets
en dollars se rapprochait dangereusement du plancher légal de 25 %.
Quinze jours avant l’élection, le jeudi 20 octobre – autre jeudi noir – le
prix de l’or, théoriquement fixé à 35 $ l’once, passe en moins de trois
heures à 41 $, loin de la marge de 1 % tolérée. La panique gagne les
marchés et la Banque d’Angleterre ainsi que la Federal Reserve doivent
intervenir en urgence pour faire retomber la tension. La première vend des
barres d’or contre des dollars au prix du marché et rachète à la Fed au prix
de 35 $ les barres qu’elle vient de céder. Cette manœuvre qui permet de
faire baisser les cours de l’or, s’avère extrêmement profitable pour la
Banque d’Angleterre puisque qu’elle conserve la prime moyenne de 5 $
entre le prix de vente et le prix d’achat. En revanche, pour les Américains,
l’opération est très coûteuse en termes de stock, près de 1 000 tonnes d’or
sont ainsi perdues.
Selon la Banque de France, cet accès de fièvre résulte des « achats des
pétroliers du Moyen Orient conseillés par les banquiers suisses et de la
126
cessation des ventes de métal par l’U.R.S.S. » tout en n’excluant pas une
manœuvre de l’Afrique du Sud qui souhaitait une réévaluation du prix de
l’once. Dans le débat électoral, Nixon attaque Kennedy sur ses projets
dispendieux qui entraîneront nécessairement une dévaluation du dollar par
rapport à l’or. Kennedy répond sur le ton de la plaisanterie à Nixon qu’il
n’était pour rien dans la hausse du prix de l’or 127 et s’engage à ne jamais
128
dévaluer le dollar s’il est élu . Une fois élu, Kennedy confirme sa
129
promesse de campagne devant le Congrès en février 1961 . Le piège est
armé.
L’élection de Kennedy, loin de faire fléchir l’opposition des États-Unis
à une coopération atomique avec la France, au contraire, la renforce. La
CIA dresse un constat pessimiste sur l’avenir de la Ve République 130
soulignant les difficultés de l’intervention en Algérie et l’instabilité du
régime. Quant aux perspectives économiques, elles sont qualifiées de
« médiocres ». Pour les Américains, la France ne peut donc comprendre que
le langage de la fermeté. De plus, elle ne possède pas la subtilité pour gérer
une crise internationale : « Par exemple, si Washington lançait une bombe
sur un coin reculé de Sibérie comme mise en garde pendant une crise, les
Français pourraient mal comprendre le message et lancer leur bombe sur
131
Leningrad . » C’est pourquoi Kennedy, dans sa directive du 20 avril
132
1961 , interdit toute aide à la France dans le domaine des armes nucléaires
en la poussant à s’intégrer à l’OTAN sous contrôle américain.
À son arrivée au pouvoir, les réserves d’or américaines avaient amorcé
un mouvement de baisse et se situaient autour de 16 000 tonnes. La
dégradation se poursuivait. Rapidement les dossiers de l’or et du nucléaire
133
devinrent les deux hantises de Kennedy . Le danger du déficit de la
balance des paiements avec la baisse des réserves d’or américaines et
l’accession d’autres pays au club nucléaire étaient pour lui, selon ses
proches conseillers, ses deux premières sources d’angoisse 134.

DÉFICIT ET PRESSIONS
Ayant exclu par avance – et non sans une certaine présomption – toute
réévaluation de l’or ou dévaluation du dollar, les États-Unis mirent en avant
des arguments spécieux en expliquant que les vrais bénéficiaires d’une telle
opération seraient les Soviétiques. Comme le rappelaient ironiquement les
experts de la Banque de France : « À moins que les Russes n’aient trouvé la
pierre philosophale, les quantités d’or que détient le monde occidental sont
beaucoup plus considérables que celles des pays totalitaires 135. » Au-delà de
cette rhétorique, Kennedy mit en place une nouvelle politique monétaire
agressive selon trois axes. D’abord, les pays qui avaient bénéficié de
dépenses militaires américaines comme le Japon ou l’Allemagne faisaient
l’objet de pressions plus ou moins fortes pour acheter du matériel
américain. En outre, ces pays devaient conserver « volontairement » leurs
dollars et s’abstenir de les convertir en or. Ensuite, les pays européens
étaient mis en demeure de baisser leurs droits de douane sur les produits
américains. Enfin, un ensemble de mesures techniques, qualifiées de
136
« bricolages » ou de lignes Maginot monétaires, furent élaborées.
La mesure la plus connue est la création du « pool de l’or » qui était un
accord entre huit banques centrales pour intervenir sur le marché de
Londres afin de maintenir le prix de l’or autour de sa valeur pivot de 35 $
l’once 137. L’accord qui devait rester secret fut rapidement révélé par le
Courrier de Genève. Même si la France participait à égalité avec la Banque
138
d’Angleterre dans le pool, elle restait traitée en inférieure par celle-ci .
Ensuite, d’autres mesures plus techniques furent mises en place comme
les AGE (Accords généraux d’emprunt) qui permettaient aux États-Unis
d’emprunter au FMI pour financer leur déficit ou les obligations Roosa et
des lignes de swaps. Ces obligations du nom de Robert Roosa, sous-
secrétaire d’État au Trésor de Kennedy puis de Johnson, permettaient aux
États-Unis d’emprunter en monnaies étrangères (mark, franc suisse) et de
constituer ainsi des réserves de change pour défendre le dollar le cas
échéant. Les lignes de swap (forex swaps) étaient en fait un droit d’échange
de devises entre deux banques centrales. Par exemple, la Fed et la
Bundesbank se mettent d’accord : la Fed pourra tirer des marks sur la
Bundesbank et donnera la contrepartie en dollars à la Bundesbank. À la fin
de l’accord (3 mois) chacun restituera à l’autre ses devises et la Fed payera
à la Bundesbank un intérêt. Ensuite, l’administration Kennedy mit en place
des mesures fiscales comme l’Interest Equalization Tax qui était une
retenue à la source de 15 % sur les intérêts des emprunts en dollars émis par
des non-résidents. En d’autres termes, les Américains qui souscrivaient des
obligations en dollars émises par une société étrangère étaient pénalisés de
15 % par rapport à des obligations identiques émises par des entreprises
américaines. L’idée était de décourager les emprunteurs étrangers. Ne
s’attaquant pas au fond du problème, cette défense de l’hégémonie
139
économique américaine était aussi agressive que vaine face aux
eurodollars qui étaient en plein développement.
Les eurodollars sont des dollars hors des États-Unis. Ils sont nés juste
après le déclenchement de la guerre de Corée, de façon presque
accidentelle. Les autorités chinoises craignant un gel de leurs avoirs en
dollars aux États-Unis décidèrent de transférer ces derniers à la Banque
140
commerciale de l’Europe du Nord (BCEN) qui était contrôlée par les
Soviétiques. L’adresse télex de la BCEN étant « EUROBANQUE », ces
dollars fugitifs reçurent le nom d’eurodollars. Ils furent replacés à Londres
où la demande était forte. Lorsque la Midland Bank décida d’offrir une
meilleure rémunération 141, les dollars affluèrent à Londres.
Che Guevara, lorsqu’il fut en nommé en 1959 gouverneur de la banque
centrale de Cuba par Fidel Castro, prit immédiatement la décision de
convertir les réserves en or de Cuba en dollars et de les faire transférer au
142
Canada et en Suisse pour éviter leur blocage ultérieur par les États-Unis .
Il est important de noter que si juridiquement les eurodollars sont hors de
portée des États-Unis, ils restent néanmoins physiquement sur les comptes
de banques américaines qui agissent en tant que banques correspondantes
des banques détentrices. Cet échafaudage juridique et financier est obscur.
Ces dollars n’ont aucune matérialité comme l’atteste le bizutage des
photographes novices de Fleet Street à qui il était demandé d’aller à la
143
Banque d’Angleterre photographier des eurodollars . Les experts, malgré
leurs assurances, avaient tout autant de mal à l’appréhender. Même le
président de la Fed reconnaissait que la mécanique interne n’était pas
144
entièrement claire ni parfaitement comprise . Même si les subtilités des
eurodollars n’étaient pas parfaitement maîtrisées, leur intérêt en revanche
l’était. C’est pourquoi le marché a véritablement explosé à Londres : en
quinze ans son volume a centuplé. Cette expansion a naturellement sapé le
lien entre le dollar et l’or. Non sans une certaine ironie, les mesures prises
par les États-Unis pour préserver leurs réserves d’or ont eu l’effet inverse.

AVERTISSEMENT AMICAL ET COUPS TORDUS

Avec la fin de la guerre d’Algérie, l’élection du président de la


République au suffrage universel et les bons résultats économiques, la
France retrouva des marges de manœuvre monétaires et militaires. En
juillet 1962, le nouveau premier ministre Georges Pompidou obtenait la
confiance de son gouvernement et affirmait publiquement la politique
française d’indépendance. Dans son discours, il soulignait le « risque
considérable que représente pour la France, et j’ajoute, pour l’Europe, le
fait de s’en remettre entièrement pour sa défense à une force étrangère,
même amie, même alliée. Qui peut savoir où, quand et comment les grandes
puissances nucléaires déclencheront la guerre atomique, si elles doivent la
déclencher ? […] Nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’un
agresseur soit amené à croire que, dans certaines circonstances, le
gouvernement américain hésiterait à mettre en danger son propre pays pour
défendre l’Europe. Je suis certain que semblable pensée n’a jamais effleuré
les dirigeants américains. Mais nous devons tenir compte de ce que pourrait
penser l’agresseur, et, à ce point de vue, le fait qu’une partie de l’arme de
dissuasion stratégique soit contrôlée politiquement par un pays européen
joue un rôle essentiel ». Dans le même temps, Valéry Giscard d’Estaing,
nouveau ministre des Finances, convoquait l’ambassadeur américain pour
lui annoncer que la France allait rembourser par anticipation les prêts
américains 145 souscrits par la IVe République en 1948, 1950 et 1952. Par
ailleurs, la Banque de France commençait à demander la conversion en or
146
d’une partie de ses avoirs en dollars et acceptait « plus par politesse et
147
bonne volonté que par conviction » de souscrire aux mesures de
protection du dollar avec une ligne de swap de change de 50 millions de
dollars. Cependant, au début de l’année 1963, un certain agacement
commence à poindre en notant, avec retenue, qu’une telle politique
148
d’expédients n’était pas digne des États-Unis .
Sur le plan nucléaire, les espoirs d’une coopération franco-américaine
furent à nouveau douchés, Kennedy désapprouvant publiquement l’idée
149
d’une force de frappe française indépendante . Le président américain
sermonna aussi Malraux au cours d’une visite à Washington 150 en
soulignant que l’attitude des États-Unis était purement désintéressée et
amicale tout en faisant planer la menace du retrait des troupes américaines
d’Europe, si la France persistait dans sa volonté d’indépendance.
Si, en surface, les relations restaient courtoises quoique tendues, une
véritable guerre secrète se déchaîna. L’élément déclencheur fut une
remarque informelle du premier sous-gouverneur de la Banque de France
au cours d’un groupe de travail technique à Rome. Pierre Calvet 151, en
marge de la réunion, indiqua amicalement à son homologue américain que
la question de l’or et des dollars pourrait rapidement refaire surface. En
effet, ajoute-t-il, le général de Gaulle n’a pas conscience du fait que la
France possédait pour plus d’un milliard de dollars. Ce milliard représente
environ le tiers des réserves de change françaises. La Banque de France est
restée discrète sur la question et ne souhaite pas remettre en cause la
situation. Le général de Gaulle pourrait cependant reconsidérer cette
attitude. Cette remarque amicale n’était certainement pas anodine. Calvet
était l’homme lige de Baumgartner et d’une fidélité à toute épreuve, au
point qu’il était surnommé « la voix de son maître 152 ». La Fed transmet
153
aussitôt l’information au secrétaire au Trésor de Kennedy, Dillon . Ce
dernier rédige un mémorandum pour Kennedy où il souligne « ce n’est pas
une nouvelle attitude de la part de la France qui a déjà formulé par le passé
des menaces plus ou moins voilées d’utiliser ses réserves de change à des
fins politiques 154 ».
Dans un long article du 1er juin, Paul Einzig, très influent et très réputé
journaliste économique britannique écrit que « selon des rumeurs récentes,
le général de Gaulle aurait fait comprendre au cours de récentes
négociations franco-américaines qu’il était pleinement prêt à jouer sa carte
maîtresse, à savoir les importants avoirs français en dollars. En d’autres
mots, si la politique étrangère américaine, sur le marché commun par
exemple, était en opposition avec sa politique, il pourrait souhaiter mettre la
155
pression sur la Maison Blanche en retirant son or des États-Unis ». Einzig
ajoutait que le poids de la pression allait s’accroître considérablement avec
les conséquences financières de la fin du conflit algérien. Il indiquait qu’il
n’y avait bien sûr aucune confirmation que de telles menaces aient été
effectivement proférées quoique l’attitude des Français dans les années
1920 et la volonté de puissance du général de Gaulle rendaient cette
hypothèse crédible. Le journaliste mettait en garde Kennedy de ne pas sous-
estimer de Gaulle comme le gouverneur de la Banque d’Angleterre avait en
son temps sous-estimé Poincaré. Le magazine Newsweek écrit que le
Général a l’intention de « rapatrier les réserves d’or françaises entreposées à
la Federal Reserve Bank de New York » et qu’il s’agit d’un geste « destiné
à montrer que la France peut se passer des États-Unis 156 ».
Cet épisode intervenait pendant les négociations sur l’entrée de la
Grande-Bretagne dans le marché commun où tous les coups étaient permis.
Ainsi, depuis la fin des années 1950, les services secrets britanniques du
MI5 espionnaient les messages diplomatiques de l’ambassade de France à
Londres grâce à une opération secrète au nom de code Palissade (Stockade).
Ils avaient provoqué une fausse panne des lignes téléphoniques pour
envoyer des « plombiers » qui transformèrent les fils ordinaires en
véritables antennes capables de capter les signaux produits par le matériel
du Chiffre 157 : « Nous avons demandé à la poste de provoquer un
dérangement des lignes téléphoniques [de l’ambassade] et nous nous
sommes rendus sur place. Le personnel français de sécurité contrôlait tous
nos mouvements, mais nous avons obtenu quand même le renseignement
que nous cherchions : le local du Chiffre était dissimulé au fond d’un
couloir ; le matériel de codage et les télex se trouvaient dans une pièce
voisine, séparée seulement par une cloison de plâtre. » Le MI5 pouvait
écouter les dépêches de l’ambassade avant même le général de Gaulle et
l’ambassadeur… Peter Wright conclut : « J’ai été convoqué par le secrétaire
d’État, et il m’a félicité pour l’ingéniosité de toute l’opération. Il avait
vraiment l’air rayonnant : “Des informations inestimables ! Tout
simplement inestimables.” D’après lui, il ne faisait aucun doute que cette
possibilité de lire les transmissions des Frogs rivalisait avec la victoire
d’Azincourt, l’incendie de Calais et toutes les autres baffes infligées à ces
traîtres de Français 158. » Conformément aux accords secrets qui liaient les
services secrets britanniques et américains, les États-Unis bénéficiaient
aussi des télégrammes diplomatiques de Londres. Le FBI mit en place une
159
opération similaire contre l’ambassade de France à Washington en 1960.
La CIA encouragea aussi la trahison de l’agent résident du SDECE à
160
Washington qui livra tous les secrets diplomatiques français .
Dans le même temps, le service 7 du SDECE espionnait les Américains.
Le colonel Leroy-Finville, sur ordre de De Gaulle, fit placer des micros
dans la chambre d’hôtel du sous-secrétaire d’État George Ball et
photographier ses papiers personnels pendant son sommeil 161. Rendant
compte directement au Général de l’opération : « Toutes ces notes,
décryptées à Paris par les spécialistes de la rue de Rivoli, et surtout le
mémoire Ball, provoquent un formidable remue-ménage. Giscard, alerté, va
en référer aussitôt à de Gaulle. Il résulte des documents que Ball est bel et
bien en train de monter les Européens contre nous, qu’il est sur le point de
réussir 162 […]. »
Après un bref rapprochement entre alliés pendant la crise de Cuba, les
tensions s’accrurent à nouveau. En janvier 1963, après l’entrevue entre
Macmillan et Kennedy à Nassau, le Général s’opposa à l’entrée de la
Grande-Bretagne dans la CEE, jugeant qu’elle serait un cheval de Troie
américain. Il refusa les missiles Polaris sous contrôle de l’OTAN et la
tutelle des États-Unis : « Les Américains font croire que ne pas être
d’accord avec eux, c’est vouloir rompre l’Alliance atlantique et mettre en
danger la liberté de l’Occident. Cuba leur est monté à la cervelle. En
Amérique du Sud, en Europe, en Asie, tout le monde en colonne par deux
163
derrière l’oncle Sam, sinon gare à vous ! » En signant le traité de
l’Élysée, il amorça le rapprochement avec l’Allemagne en 1963.
L’attitude du Général inquiétait les Américains qui redoutaient la
conversion massive en or des avoirs français. Les conseillers de Kennedy
envisagent des mesures de rétorsion 164. Ce dernier convoque alors une
réunion du Conseil de sécurité 165 au cours de laquelle, il interroge ses
proches : « Devons-nous proposer à de Gaulle le directoire à trois [qu’il
demande depuis 1958] ? », « Comment nous défendre si les Français
décident de nous créer un problème avec le milliard de dollars qu’ils
contrôlent ? », « Quelles sont les perspectives de la force de frappe
française, peut-elle être dissuasive ? » et « Devons-nous fermer nos
installations en France ? ». De son côté le général de Gaulle fulmine contre
le dollar : « Les États-Unis ne sont pas fichus d’avoir un budget en
équilibre. Ils se permettent d’avoir des dettes énormes. Comme le dollar est
partout la monnaie de référence, ils peuvent faire supporter par les autres les
effets de leur mauvaise gestion. Ils exportent leur inflation dans le monde
entier. C’est inacceptable. Ça ne doit pas durer 166. » Par une coïncidence, ce
même jour, Kennedy, inquiet, rédige un mémorandum 167 dans lequel il
note : « Le déficit de notre balance des paiements et les problèmes qui vont
avec sont toujours très préoccupants avec des implications larges sur notre
politique de sécurité nationale. […] Les perspectives d’amélioration ne sont
pas brillantes. » Il demande à tous ses services d’étudier la question
financière de tous les pays qui ont d’importantes réserves en dollars et en
or, à commencer par la France. Quelques semaines plus tard, la CIA et le
Trésor remettent leurs rapports 168. Les services de renseignement
américains notent que de Gaulle bien que professant un dédain affiché pour
l’économie ne dédaigne pas l’utiliser à des fins politiques. Analysant les
relations financières franco-américaines, la CIA reconnaît que la France
s’est comportée aussi bien, voire mieux, que les autres pays européens. Elle
souligne que le gouvernement français a remboursé par anticipation sa dette
financière de 400 millions de dollars et que la Banque de France a coopéré
pour les accords de swap. Elle rajoute que le mois précédent un responsable
du ministère des Finances avait approché le représentant du Trésor
américain à Paris et lui avait indiqué que la France souhaiterait « faire
quelque chose » pour montrer que la coopération monétaire se poursuivait
en dépit des « différences » dans les autres domaines. De plus, lors d’une
rencontre à Paris entre Roosa et Giscard, ce dernier s’était montré favorable
à l’idée d’un prêt français de 100 à 150 millions de dollars aux États-Unis.
Cependant, une fuite dans la presse – attribuée aux États-Unis pour forcer la
main aux Français – a remis en cause les discussions. La CIA conclut que
les responsables du ministère des Finances ont pu être désavoués au niveau
politique… Le Trésor indique que selon toutes ses informations, les
Français souhaitent coopérer avec les États-Unis sur le plan monétaire. Ce
désir est particulièrement fort à la Banque de France, comme le prouve
l’augmentation de sa ligne de swap ainsi que les déclarations du sous-
gouverneur Calvet en visite à Princeton. La CIA conclut que le ministre des
Finances Giscard d’Estaing s’est cependant montré préoccupé par les
critiques injustifiées de la presse américaine sur le comportement de la
France en matière financière.
La méfiance s’installe progressivement. Les Français suspectent, non
sans raison, la CIA de financer secrètement la grève des mineurs pour faire
plier le Gouvernement 169. Les Finances lancent une enquête discrète auprès
des banques dont est informée la CIA 170. En mars, le Général aborde au
Conseil restreint la question de la localisation de l’or de la France et de son
171
rapatriement . Il apparaît dans un premier temps décidé à convertir des
dollars pour l’équivalent de 125 tonnes et de les rapatrier par la voie
maritime. Désormais la France possède plus de 2 000 tonnes d’or et a
dépassé la Grande-Bretagne et la Suisse. Elle se trouve en troisième
position derrière l’Allemagne (3 400 tonnes). Les États-Unis conservent
toujours la première place mais le stock de Fort Knox est désormais
inférieur à 14 000 tonnes. Cette situation provoque l’inquiétude de Kennedy
qui devient véritablement obsédé par la question 172. Selon ses conseillers, il
était véritablement « crucifié » par le déficit américain de la balance des
paiements, « humilié » par l’opposition de De Gaulle aux politiques
américaines et angoissé par les menaces de vider la réserve d’or américaine.
173
Il détestait l’idée que de Gaulle puisse avoir barre sur lui . Selon son
proche conseiller Rostow, Kennedy ressassait sans cesse le sujet, obsédé par
l’image d’un de Gaulle le narguant de façon insolente sur son petit tas
174
d’or . Le Général cristallisait toutes les oppositions européennes. Comme,
Calleo l’avait à juste titre noté : « Si de Gaulle n’avait pas existé, il aurait
fallu l’inventer 175. » L’assassinat de Kennedy et son remplacement par
Johnson ne modifièrent nullement l’attitude des États-Unis alors que la
France gardait sa modération. Au cours du Conseil restreint de l’Élysée qui
se tient le lendemain de l’assassinat, le samedi matin du 23 novembre 1963,
le Général ordonne le statu quo 176. À l’opposé, Johnson renforce la position
de Kennedy et étend le périmètre de l’embargo contre la France sur les
177
questions nucléaires . En outre, à l’été, les États-Unis s’opposent au projet
français de modification des règles de fonctionnement du FMI et de
création d’un nouvel outil de réserve, le CRU (Collective Reserve Unit) –
ou Unité de réserve collective (URC) en français – qui visait à contourner
l’hégémonie du dollar. Le projet est torpillé par les Britanniques et les
Américains. Comme l’écrit le représentant français du Trésor, le « CRU est
cuit », et le Canard enchaîné de parler de « Tout du CRU » ! Cette
rebuffade marque la fin des tentatives françaises de réformer l’ordre
monétaire international pour un système plus équilibré et plus stable. Les
Américains refusent toute évolution pour deux raisons. D’une part ils sont
en position hégémonique et bénéficient de cette domination, pourquoi donc
le dollar abdiquerait-il volontairement ? D’autre part, l’Amérique et
l’Occident sont en guerre, il faut donc de la discipline dans les rangs. Dans
les années 1960, l’administration américaine considérait le déficit comme
un déséquilibre passager : les États-Unis reviendraient à l’équilibre.
Cependant, elle rejetait « instinctivement » toute forme de contrainte et
adoptait la doctrine hégémonique, populaire chez les Britanniques, qui
voulait que l’ordre mondial exige la présence d’un pays dominant qui est
soumis à des règles particulières justifiées par ses responsabilités
particulières 178.
Comme l’analyse Éric Monnet, les autorités françaises ont tenté au
cours des années 1960 de proposer des réformes inspirées des relations
monétaires tripartites de l’entre-deux-guerres. Elles souhaitaient plus
d’égalité au sein du système de Bretton Woods pour permettre une
meilleure stabilité du système international, lequel ne pouvait plus reposer
sur le seul pouvoir du dollar. La France cherche à mettre au point un
ensemble de « règles du jeu » respectées par tous et définissant une
coopération internationale renforcée et plus juste. Loin de la caricature
donnée par les États-Unis, la France ne souhaite pas l’explosion du système
ou la confrontation à tout prix, mais une nouvelle forme de coopération
permettant de sauver un système qu’elle voit dépérir 179. Les Français ne
sont pas les seuls à voir que le dollar va dans le mur, l’économiste belge
Triffin avait établi le même diagnostic.

LA DÉCLARATION DE LA GUERRE DE L’OR

Au début de l’année 1965, le général de Gaulle exaspéré par l’attitude


non coopérative des Américains, décide de se saisir de la question du dollar
et des réserves. Après avoir envoyé les coups de semonce d’usage, c’est-à-
dire en convertissant ses réserves de dollars en or et en le faisant savoir, il
compte lancer l’offensive. Les réserves, au début de 1965 viennent juste de
dépasser le seuil des 4 000 tonnes. La France possède maintenant le
deuxième stock d’or au monde, devant l’Allemagne (3 900 t). L’Angleterre
ne possède plus que 2 000 tonnes. Si les réserves de Fort Knox restent
toujours les premières (12 500 t). Elles baissent au rythme de 1 000 tonnes
par an. Si on prolonge les courbes, à la fin de la décennie, la France
dépassera les États-Unis. Les autres pays européens, comme l’Allemagne,
convertissent aussi leurs dollars en or, mais en silence. Pour contester
l’hégémonie du dollar, la France comptabilise dorénavant ses devises en
francs et non plus en dollars. Cette mesure, sans aucun effet réel, est
180
purement symbolique .
Déjà, depuis 1963, la France avait rapatrié discrètement une partie de
l’or français en dépôt à l’étranger. Pour l’Angleterre, elle avait pu procéder
à des opérations de swap avec l’URSS. Si la Banque de France avait dû
renoncer, du fait de sa participation au gold pool, aux achats d’or
soviétique, elle était libre de faire des échanges, ce dont elle ne se priva pas.
L’or russe était livré à Paris et la Banque de France le transférait ensuite en
dépôt à la Banque d’Angleterre vers le compte de la BRI à Londres pour
qu’elle le vende. Le coût du swap représentait moins du tiers de celui du
transfert effectif de barres de Londres vers Paris. Pour les Soviétiques,
l’intérêt est de rester discret, puisque la BRI ou un courtier anglais
(Mocatta & Goldsmid) vont vendre l’or sur le marché de Londres sans que
la BCEN n’apparaisse. Du 14 octobre 1963 au 10 novembre 1965, ce seront
367 tonnes d’or qui sont reçues à Paris par l’intermédiaire de la société
Marais et Cie en six séries d’envois pour être échangées contre de l’or de la
Banque de France à Londres.
Pour New York, la situation est différente, aucune partie n’est intéressée
pour faire des « arbitrages de places » (swaps d’or), c’est-à-dire l’échange
d’or loco Paris contre de l’or loco New York. La Banque de France estime
que la solution d’un rapatriement physique est trop complexe et trop
coûteuse et préconise de conserver l’or sur place tout en reconnaissant que
le problème est « essentiellement politique ». Le Général ne partage pas cet
avis et, sur ordre de l’Élysée, la Banque de France doit commencer à
rapatrier son or conservé aux États-Unis 181. Elle cherche à économiser sur
les coûts en utilisant dans la mesure du possible les canaux commerciaux
habituels et décide d’utiliser la voie maritime à raison de 25 tonnes par
voyage, pour minimiser les risques et la prime d’assurance. L’or sera chargé
à New York sur les cargos Washington et Winnipeg de la Compagnie
générale transatlantique (CGT). Arrivé au Havre, il sera déchargé et
182
transféré à Paris dans les camions de la Banque de France . Le nom de
code officiel est « affaire 18 »… le nom de code officieux, beaucoup plus
évocateur, est « opération vide-gousset 183 », du nom du bistrot « Le vide-
gousset » dans la petite rue du même nom située à deux pas de la Banque de
France. À la fin de l’année 1964, le gouverneur Brunet 184 rend compte au
ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing 185 du déroulement des
opérations 186. L’opération vide-gousset a permis de rapatrier à Paris 125
tonnes en 1963 et 375 en 1964.
Mais pour la bataille de l’or, de Gaulle ouvre les hostilités le 4 février
1965 avec sa conférence de presse à l’Élysée. Lorsqu’un journaliste
l’interroge sur la décision de convertir en or les avoirs français en dollars, le
Général se lance dans une critique en règle de la monnaie américaine et du
système monétaire international :

La convention qui attribue au dollar une valeur transcendante


comme monnaie internationale ne repose plus sur sa base initiale,
savoir la possession par l’Amérique de la plus grande partie de l’or
du monde. Mais, en outre, le fait que de nombreux États acceptent,
par principe, des dollars au même titre que de l’or pour compenser,
le cas échéant, les déficits que présente, à leur profit, la balance
américaine des paiements, amène les États-Unis à s’endetter
gratuitement vis-à-vis de l’étranger. En effet, ce qu’ils lui doivent,
ils le lui paient, tout au moins en partie, avec des dollars qu’il ne
tient qu’à eux d’émettre, au lieu de les leur payer totalement avec de
l’or, dont la valeur est réelle, qu’on ne possède que pour l’avoir
gagné et qu’on ne peut transférer à d’autres sans risque et sans
sacrifice. Cette facilité unilatérale qui est attribuée à l’Amérique
contribue à faire s’estomper l’idée que le dollar est un signe
impartial et international des échanges, alors qu’il est un moyen de
crédit approprié à un État 187.

Le Général prône alors un retour à l’or comme unique étalon d’échange


et « base monétaire indiscutable […] qui ne porte la marque d’aucun pays
en particulier ». Il souligne notamment le caractère contraignant pour les
déficits. Cette intervention suscite immédiatement une réaction outrée des
Anglo-Saxons. Le Time magazine écrit que jamais par le passé un chef
d’État n’a lancé une telle attaque contre le pouvoir monétaire d’une nation
amie 188. Les caricaturistes s’en donnent à cœur joie et surnomment le
général Gaullefinger. Pour certains, il s’agit d’un accès de mégalomanie et
de la résurgence d’un mercantilisme archaïque 189. En France, cette attaque
contre le dollar est applaudie, elle vient venger les humiliations passées de
la tutelle des États-Unis, comme celles des fonctionnaires américains de
l’Economic Cooperation Administration (ECA) qui venaient voir leurs
190
homologues français en s’exclamant : « La Faillite, nous voilà ! » Seul
quelques rares personnes comme Fabre-Luce critiquent de Gaulle en
ironisant : « L’or est, comme lui, un vieux roi. Il ne s’humilie donc pas en
reconnaissant sa primauté. Charlemagne devait déjà compter avec lui. Le
Général a descendu les marches de son perron pour honorer le comte de
Paris ; il peut descendre un peu plus bas, jusqu’aux caves de la Banque
France, pour rendre hommage à une monarchie encore plus ancienne que
celle des Bourbons 191. »
Après la conférence, le général de Gaulle demande à Giscard où en sont
les rapatriements et trouve qu’ils vont beaucoup trop lentement à son goût.
Il demande alors à son ministre d’augmenter la cadence en envoyant le
croiseur Colbert aller chercher l’or restant à New York. Giscard réussit à
dissuader de Gaulle en soulignant l’effet désastreux que cela aurait sur
192
l’opinion publique américaine .
La Banque de France est sommée d’accélérer les opérations, elle lance
l’« affaire 19 » pour ramener l’or stocké à Londres. Pour aller plus vite, le
choix est pris d’utiliser exclusivement la voie aérienne. Air France
rapatriera ses réserves à l’aide de ses avions « Super-Constellation ». La
charge utile étant de 12,5 tonnes, il faudra 94 voyages entre 1965 et 1966
pour transporter l’or. Pour des raisons de sûreté, les Anglais autorisent à
décoller de l’aérodrome militaire de Northolt. Les avions atterrissent
ensuite à Orly où les barres sont prises en charge par la Banque de France
avec le concours de la Gendarmerie. Le rapatriement ne sera achevé qu’à
la fin de l’année 1966. Pour les États-Unis, la solution du Colbert ayant été
écartée, la Banque de France lance l’« affaire 20 », c’est-à-dire les
rapatriements de l’or de New York par la voie aérienne. Elle affrète
spécialement des Boeing d’Air France utilisés habituellement pour le
transport de passagers qu’elle charge de 22 tonnes d’or. Les vols partent de
l’aéroport JFK de New York. La mise en service de Boeing-cargos en
septembre 1965 permet de transporter 30 tonnes d’or par voyage. À la fin
de l’année 1965, après 23 vols, les 568 tonnes d’or restantes sont rapatriées.
Alors que la quasi-totalité de l’or est revenue sur le territoire national, le
193
Time magazine s’en prend au Général et parle de politique stérile de
boutiquier. Il écrit que pour humilier les États-Unis, les Français font
effacer à New York « le poinçon des États-Unis » et que les barres sont
envoyées « par sous-marin […] dans des grottes très fortement gardées dans
les Alpes ». Avec le retrait de l’OTAN, la propagande américaine contre la
France se déchaîne. La France est même accusée d’utiliser les dollars du
Viêt-cong et des pays africains de la zone franc pour attaquer les réserves
d’or de Fort Knox 194.
Le crépuscule du veau d’or
À partir de 1967, l’or et les monnaies subissent des convulsions en
série. La livre sterling, l’homme malade de l’Occident, est la première
touchée. À Londres, le premier ministre travailliste qui a été élu en
octobre 1964 entretient de mauvaises relations avec la Banque d’Angleterre
et la City. Il se méfie du gouverneur de la banque centrale, le comte Cromer,
illustre représentant de l’aristocratie financière britannique. Depuis
longtemps, Wilson était persuadé que la Banque d’Angleterre cachait de
noirs secrets. Quelques mois avant la victoire travailliste, la livre avait subi
une série d’attaques. En juillet, les réserves officielles étaient effectivement
de 2,7 milliards de dollars, mais partir du mois d’août, la Banque
d’Angleterre est obligée d’emprunter à ses homologues étrangers pour
maintenir le niveau apparent des réserves. Au début, les sommes étaient
négligeables, puis devinrent de plus en plus importantes 195. Le déficit réel
devint exponentiel au fur et à mesure que l’échéance électorale se
rapprochait. Grâce à l’intense campagne de presse du Daily Mirror en leur
faveur, les travaillistes sont élus, mais à une très courte majorité de cinq
sièges. Lorsque Wilson arrive au 10 Downing Street, les réserves sont
officiellement toujours à 2,3 milliards de dollars mais en réalité elles
n’atteignaient qu’à peine 1,1 milliard. Après l’élection, Cromer fait pression
sur Wilson pour que les travaillistes s’engagent sur une politique
« raisonnable » de nature à rassurer les investisseurs étrangers. Wilson
refuse le chantage de Cromer en indiquant que si la Banque d’Angleterre ne
coopère pas, il n’aura d’autre choix que de demander au Parlement un
mandat pour dévaluer la livre. Cromer dut se soumettre. Par ailleurs, Wilson
nomma le magnat de la presse, Cecil King, propriétaire du Daily Mirror, au
conseil de la Banque d’Angleterre. Cette nomination visait d’une part à
récompenser King et de l’autre à placer au Conseil un homme d’influence
proche des travaillistes. Cette stratégie échoue de façon catastrophique car
Cecil King – qui avait une très haute opinion de lui-même – souhaitait être
anobli et être fait comte héréditaire (Earl) 196. Or Wilson refuse et propose à
la Reine de ne l’élever qu’au rang de « simple » chevalier (Sir) non
héréditaire. King, qui estimait que Wilson lui devait tout, se transforma en
un opposant féroce au gouvernement travailliste et fit alliance avec Cromer
– qui, lui, était comte. King, par ses journaux, se mit à lancer des attaques
personnelles contre George Brown.
Plus que jamais la dévaluation de la livre devient « the Great
Unmentionable 197 », « celle-qui-ne-doit-pas-être-évoquée », et pour y faire
face la Banque d’Angleterre prépare des plans secrets aux noms
énigmatiques comme Hécube, Priam, Oreste, Palinurus, Baytown 198. La
guerre des Six Jours (juin 1967) déclencha une crise occasionnant un déficit
abyssal de la balance des paiements. Le FMI et les États-Unis, sollicités,
refusèrent toute aide à la Grande-Bretagne en raison de l’hostilité de Wilson
vis-à-vis de la guerre du Viêt Nam – il était même suspecté par la CIA
d’être une taupe soviétique. Il n’était plus d’autre solution que de dévaluer,
ce qui fut vécu comme un « Dien-Biên-Phu britannique 199 ». La crise couva
encore pendant plusieurs mois et Cecil King organisa en mai 1968 une
réunion secrète avec Mountbatten en lui annonçant que Wilson conduisait le
pays au chaos et que plus de 3 millions de chômeurs seraient bientôt dans
les rues. Mountbatten devait proclamer quelques jours après l’état
d’urgence en prenant les pleins pouvoirs. King avait même prévu d’assigner
les membres du gouvernement travaillistes à résidence sur le Queen
Elizabeth II. Le surlendemain, King démissionnait avec fracas du conseil de
la Banque d’Angleterre en proclamant que les chiffres étaient truqués. Ses
journaux titrèrent « Enough is Enough ». Les marchés furent paniqués 200
mais le gouvernement Wilson répliqua en faisant fuiter les détails de son
plan Brutus qui plaçait sous séquestre tous les actifs étrangers en Grande-
Bretagne. Lord Mountbatten resta silencieux et la tentative de coup échoua.
LA FIN DE LA COUVERTURE OR DE LA FED
Alors que la Grande-Bretagne se débattait avec ses problèmes
économiques et politiques, la France affirmait sa puissance retrouvée. En
1967, les réserves d’or de la Banque de France dépassaient 4 600 tonnes
tandis que celles des États-Unis baissaient toujours. Le stock de Fort Knox
allait bientôt passer sous la barre symbolique de 10 000 tonnes. La
florissante situation monétaire française se doublait de relations
diplomatiques exécrables avec l’administration Johnson : le secrétaire
d’État américain allant jusqu’à qualifier les Français de « peuple le plus
égoïste au monde » et de « plus grande plaie en Europe » 201. Lorsque
l’Algérie convertit ses dollars en or, les Américains virent la main de la
France et une opération de déstabilisation orchestrée contre eux. La hausse
de la masse monétaire américaine conjuguée à la baisse des réserves de Fort
Knox imposa à l’administration fédérale de suspendre abruptement
l’obligation de la couverture or (25 %) du billet vert. Lors des discussions
au Congrès 202, la France fut violemment mise en cause et la rancœur fit
remonter les vieux contentieux comme celui des dettes françaises impayées
de la Première Guerre mondiale. Des représentants demandaient que la
France soit poursuivie devant la Cour de justice internationale. Le Trésor
américain, un peu plus réaliste, rappela que les dettes de la Première Guerre
mondiale étaient une histoire compliquée dans laquelle l’Allemagne avait
une part de responsabilité…
En mars 1968, l’or était à nouveau en crise et le pool explosa. Les
principales banques centrales refusaient désormais de vendre leurs réserves
à des acteurs privés pour soutenir le dollar. Dans le même temps, l’Afrique
du Sud et l’URSS suspendaient leurs ventes dans l’espoir de provoquer une
hausse du cours du métal – et donc une dévaluation du dollar. Un double
marché de l’or s’établit. La CIA, chargée d’enquêter secrètement sur
l’implication de la France 203, conclut que les rumeurs étaient infondées.
MAI 1968
Quelques mois plus tard, les évènements de Mai 1968 prirent le pouvoir
gaulliste de court. Instantanément, les capitaux flottants fuirent à l’étranger
et le franc était menacé. Les hausses de salaires accordées après les accords
de Grenelle relançaient l’inflation et rendaient les exportations françaises
moins compétitives. Le général de Gaulle refusa de dévaluer et la Banque
de France fut obligée de défendre le franc en vendant de l’or. En quelques
mois, près de 1 000 tonnes durent être cédées. La France repassait derrière
l’Allemagne en troisième position. Cette chute fit dire à ancien haut
dirigeant de la Banque de France qu’il aurait été moins onéreux de
distribuer une barre d’or à chaque étudiant en grève voire de remplacer les
pavés arrachés des rues de Paris par des lingots…
Le journaliste du Monde qui avait titré avant les évènements de mai « la
France s’ennuie » critiquait la situation. Il estimait qu’avec la baisse des
réserves, c’était le régime gaulliste qui était dévalué : « Le régime se
prévalait de trois vertus : l’ordre, et l’on a eu “mai” ; la détente, et ce fut
Prague ; la stabilité monétaire, et l’on a la dévaluation 204. » En fait la
dévaluation attendue n’intervient pas et ce n’est qu’avec le départ du
général de Gaulle en 1969 que Georges Pompidou décide de dévaluer le
franc. L’opération est préparée dans le plus grand secret pour éviter que la
spéculation ne pèse davantage sur les réserves d’or. Seules sept personnes
sont dans le secret, ni le gouverneur de la Banque de France ni le directeur
du Trésor ne sont informés. La dévaluation a lieu au creux de l’été, le
dimanche 10 août 1969 pour prendre les marchés au dépourvu. La nouvelle
parité du franc est de 160 mg d’or pour 1 franc (contre 180), soit une baisse
de 11 %. Après cet ajustement, la compétitivité est rétablie et les réserves
d’or sont stabilisées autour de 3 100 tonnes.

LA CHUTE FINALE
En 1971, la situation américaine continue à se détériorer tant au Viêt
Nam que sur le plan monétaire. Les réserves sont passées au-dessous des
10 000 tonnes. Le nouveau président Nixon se résout à donner le coup de
grâce au système de Bretton Woods le 15 août. Il annonce la fin de la
convertibilité-or du dollar. Avec la « fermeture du guichet » disparaît la
parité de 35 $ l’once. L’or perd son rôle monétaire et devient une matière
première (presque) ordinaire. Cette décision – prise sans aucune
concertation avec les Européens – plonge le monde entier dans l’incertitude
des changes flottants. Quelques mois plus tard, le secrétaire du Trésor
américain Conally commente cyniquement la situation à ses homologues
européens, lors du G10 à Rome des 29 et 30 novembre 1971 avec la
formule lapidaire « le dollar, c’est notre monnaie mais votre problème 205 ».
Cette décision causa aussi un traumatisme chez les Américains pour qui le
prix de 35 $ était devenu aussi sacré que « le drapeau, la Constitution,
Thanksgiving et la tarte aux myrtilles 206 ».
Désormais libérées de leurs « chaînes d’or », les monnaies se mettent à
flotter. L’inflation sous-jacente qui était disciplinée jusqu’à présent par la
discipline des réserves se déchaîne. Une autre conséquence induite est le
choc pétrolier. En effet, depuis la Seconde Guerre mondiale, le dollar était
devenu la monnaie de référence pour le pétrole dont le cours était à peu près
constant autour de quatre dollars le baril. Implicitement, dix barils
équivalaient à une once d’or fin. Cette situation satisfaisait pleinement les
monarchies pétrolières du Golfe, très attachées à l’or. Après le discours de
Nixon et l’augmentation de l’inflation aux États-Unis, le cours du précieux
métal était passé en quelques semaines à plus de 100 dollars l’once. En
comparaison, les prix du pétrole, contrôlés par les majors, ne progressèrent
que faiblement autour de 4,50 $ le baril 207. Cette situation provoqua
l’insatisfaction grandissante des pays producteurs qui s’estimaient, non sans
raison, lésé par cette situation. La guerre du Kippour mit le feu aux poudres.
En quelques jours, le prix du baril fut multiplié par trois, rétablissant la
parité-or implicite. Le choc pétrolier et l’inflation causèrent une récession
mondiale.
Le système de Bretton Woods a duré près de trente ans, il s’est nourri de
la guerre froide et l’a financée en retour. A posteriori, les prédictions des
cassandres comme Rueff ou Triffin se sont révélées exactes. Le carcan
rigide de l’étalon-or n’a pu résister aux tensions considérables qui étaient en
germe dès sa naissance. La décision de Richard Nixon de sonner le glas du
« dollar as good as gold » était probablement inéluctable. Toutes
proportions gardées, la fin de la parité-or de la devise américaine est
comparable au décrochage de la livre sterling par rapport à l’or quarante ans
plus tôt. Dans les deux cas, les responsables politiques ont recherché un
bouc émissaire. Le général de Gaulle et la France étaient l’excuse commode
pour les erreurs et l’arrogance de la politique impériale des États-Unis. Loin
d’avoir sapé le système monétaire international, la France a, au contraire,
tenté de le stabiliser et de le rendre plus juste. Les critiques d’une certaine
historiographie – essentiellement américaine – sont empreintes d’un
nationalisme monétaire étroit et d’une vision purement événementielle.
L’enchaînement des faits est incontestable mais il ne permet pas de donner
une perspective d’ensemble et d’en expliciter les raisons sous-jacentes. Dire
que le président Nixon a tué Bretton Woods en 1971 est une évidence
presque anecdotique, le système était condamné même si ni le jour, ni
l’heure n’étaient connus. En fait, il n’était que l’instrument, la question de
qui a tué Bretton Woods reste entière.
II.

ÉCONOMIE
Lorsque le roi Louis XII 1 demanda au Maréchal de Trivulce ce qu’il
fallait pour gagner la guerre contre le duc de Milan, ce dernier lui répondit :
« Sire, trois choses sont absolument nécessaires. Premièrement de l’argent,
secondement de l’argent, troisièmement, de l’argent. » Cette formule,
quoiqu’ancienne s’applique parfaitement à la guerre froide, car, pour la
mener, outre de l’audace, il fallait des dollars, encore des dollars et toujours
des dollars.
Les sommes qui furent engagées dépassent véritablement
l’entendement. L’ouvrage de référence Atomic Audit 2, écrit par les
chercheurs du Brookings Institute, a estimé de 1940 à 1996 le coût du
nucléaire militaire américain à plus de 5 trillions de dollars (cinq milliards
de milliards de dollars). Le projet Manhattan de développement de la
bombe atomique, qui n’a coûté « que » 2 milliards de dollars sur 5 ans, soit
2 000 tonnes d’or 3 a quant à lui fait travailler un Américain sur 250 4. Sur la
« première guerre froide », le coût du nucléaire est supérieur à 2
« trillions ». Et les sommes engagées sont loin de concerner le seul
nucléaire. Les conséquences de ce ruissellement de dollars furent
planétaires.

Le coût de la guerre froide


Par rapport aux conflits classiques, la guerre froide est mal définie et
négligée par les économistes. Ainsi pendant la période qui couvre les Trente
Glorieuses, les études portant sur les conséquences économiques de la
guerre sur l’économie américaine ne couvrent généralement que la guerre
de Corée et la guerre du Viêt Nam 5. De ce fait, les coûts et la dynamique
économique de la guerre froide sont minimisés. À l’exception notable de
l’économiste non-conformiste Robert Higgs 6 qui soutient notamment que,
contrairement à l’idée communément reçue, la Seconde Guerre mondiale
n’a pas mis fin à la Grande dépression, l’histoire économique américaine se
focalise sur les guerres « chaudes » qui sont budgétairement et
militairement visibles. Sur la période 1950-1970, les dépenses militaires
directes des États-Unis étaient de l’ordre de 8 %, avec d’importantes
variations selon les sources et les auteurs.
Cependant, comme le soulignent les auteurs d’Atomic Audit,
l’évaluation du coût de la guerre froide ne doit pas se limiter aux chiffres
militaires officiels. Elle est extrêmement complexe en raison du caractère
secret et diffus des dépenses qui sont la plupart du temps volontairement
sous-évaluées. De plus, certains budgets « civils » ont aussi servi pour
financer la guerre froide. En particulier, les charges financières des
programmes militaires ne sont pas imputées à la Défense. Les dépenses et
les technologies à usage mixte civil et militaire, comme le programme
spatial, ne sont comptabilisées qu’à titre civil. De même, les infrastructures
relatives à la guerre froide développées par la Federal Reserve ou les
banques n’apparaissent pas dans les coûts. Ainsi, les sites de secours de la
7
Fed comme celui situé au centre du Kansas, creusé à 200 mètres sous terre
dans les années 1950, et les autres installations construites dans les années
1960 comme le centre de Culpeper en Virginie à 100 km au sud-ouest de
Washington, sont comptablement inexistants. Ce bunker semi-enterré de
plus de 13 000 m² bâti en acier et en béton couvert d’une chappe de plomb,
conçu « pour faire redémarrer l’économie américaine après une attaque
nucléaire » est très réel. Plus de 4 milliards de dollars en billets de 2 $ et des
réserves d’or 8 y ont été entreposés en attendant l’apocalypse. L’ensemble
était complété par une morgue réfrigérée destinée à conserver les corps qui
ne pourraient pas être enterrés à l’extérieur du fait la radioactivité. Le coût
de ces installations secrètes dépasse largement le milliard de dollars et
n’apparaît pas dans les comptes de la guerre froide, pas plus que les
investissements des entreprises pour durcir leurs installations ou les
programmes civils de constructions souterraines 9. Ces « omissions »
conduisent à réévaluer le coût de la guerre froide à plus de 10 % du PIB, la
10
moitié de la cible de 20 % fixée en 1950 par le National Security Council .
La Grande-Bretagne a connu une évolution comparable du fait de sa
position d’avant-poste de l’Occident. Comme le souligne McCamley, le
sous-sol du Royaume-Uni est littéralement jonché de bunkers destinés aux
autorités administratives et militaires en cas de conflit nucléaire. Parfois, il
s’agissait d’extension des constructions de la Seconde Guerre mondiale.
Ces abris étaient de toutes dimensions, depuis les grands complexes
profondément enfouis qui étaient destinés à abriter le gouvernement
jusqu’aux stations de radars de surface destinées à donner l’alerte en cas
11
d’attaque soviétique . De même, le développement de la bombe atomique
draina les ressources limitées de la Grande-Bretagne à la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Ainsi, quand en octobre 1946 les Américains dénoncèrent
le traité de coopération nucléaire – ou plus exactement obtinrent la
renonciation volontaire de la Grande-Bretagne à la coopération nucléaire
contre leur aide financière – Bevin, qui était alors secrétaire d’État aux
Affaires Étrangères, s’exclama : « Nous devons l’avoir quoiqu’il en coûte…
l’Union Jack doit absolument flotter dessus 12. » La logique se répéta en
1954 quand Churchill informé de l’ampleur des sacrifices nécessaires pour
réaliser la bombe H répliqua : « Nous devons la faire. C’est le prix à payer
13
pour être dans la cour des grands . » Le corollaire était que la France ne
devait pas l’avoir 14. Mais pour la Grande-Bretagne, il n’existe aucun « audit
atomique » ni estimation du coût complet de la guerre froide – même a
minima –, comme aux États-Unis. Le livre blanc britannique sur la Défense
de 1957 notait alors qu’un quart des scientifiques et des ingénieurs et 7 %
de la population active travaillait pour la Défense. Le coût de la guerre
froide a probablement représenté de l’ordre de 8 % du PIB britannique.
À l’inverse, la France a relativement peu investi dans sa protection
contre les menaces de la guerre froide. Actant l’impossibilité de se lancer
dans des recherches militaires, le pays déclara à l’ONU le 25 juin 1946 sa
15
volonté de renoncer à se doter d’une arme atomique . La différence, la plus
emblématique avec les États-Unis concerne la protection de ses réserves
d’or et de sa banque centrale. Si les Américains étaient volontaristes et
dispendieux en investissant des milliards pour protéger la Federal Reserve
avec Culpeper ou avec l’enfouissement des réserves de Fort Knox, les
Français se montraient beaucoup plus fatalistes et économes. En 1966, le
service des triangulations et de l’astronomie de l’Institut géographique
national fut chargé de réaliser un repérage géodésique de l’emplacement des
réserves d’or de la France afin de retrouver « l’emplacement exact de la
salle souterraine au cas où des destructions massives rendraient impossible
le repérage direct des bâtiments du siège central de la Banque 16 ». Deux
petits repères métalliques « R1 et R2 » furent scellés dans ses façades de la
o
rue du Colonel Driant (n 22 à 2,67 m de hauteur) et de la rue de Valois. Un
premier jeu d’instruction permettait, en cas de destruction partielle de Paris,
de localiser ces repères en s’alignant sur le Sacré-Cœur, Saint-Augustin,
Saint-Pierre de Chaillot, les Invalides et le Panthéon. En cas de destruction
massive de Paris, un second jeu de références partant de petites villes et
villages de la grande couronne (Serans, Clermont, Villers-Cotterêts,
Coulommes, Montceau-les-Provins, Fontainebleau, Versailles, etc.)
permettait de retrouver, dans un Paris vitrifié, l’emplacement de la
Souterraine et de l’or, pour une dépense très modeste…
Les dépenses militaires de la France au cours de la période 1950-1970
étaient relativement importantes et représentaient 6 % du PIB. Elles
n’étaient qu’indirectement liées à la guerre froide et concernaient d’abord
les guerres d’Indochine et d’Algérie et, dans une moindre mesure, le
développement de la force de frappe. Il est à noter qu’une partie appréciable
du coût de la guerre d’Indochine fut prise en charge par les États-Unis au
titre de l’endiguement comme l’ont montré Gérard Bossuat et Hugues
Tertrais 17.
Le Japon, l’Allemagne et l’Italie, du fait de leur défaite, ne consacrèrent
qu’une part réduite de leur PIB aux dépenses militaires : 4 % pour
l’Allemagne, 3 % pour l’Italie et 1 % pour le Japon. À l’inverse, selon des
estimations réalistes, l’URSS aurait de son côté consacré près de 20 % de
son PIB à la guerre froide.

Comment financer l’affrontement ?


Tant la « dîme froide » américaine que la « double-dîme soviétique »
structurèrent les flux financiers mondiaux. Un des points cruciaux fut le
financement des dépenses militaires.
Dans l’histoire, le financement des guerres repose sur quatre méthodes :
le prélèvement externe, l’impôt, l’endettement et la monnaie. Qu’elle
prenne la dénomination de tribut, de réparation ou de frais d’occupation,
l’extraction des ressources de l’ennemi a constitué la première source de
financement pour les Romains, Bonaparte en Italie ou l’Allemagne nazie
pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle présuppose néanmoins d’avoir
accès aux ressources du pays ennemi et requiert l’occupation de son
territoire. Pour cette raison, elle n’a pas été employée pendant la guerre
froide contrairement aux trois autres formes de financement. Pour l’impôt,
la charge repose sur les contribuables. Il en résulte une réduction de la
consommation privée et une augmentation de la dépense publique
essentiellement militaire. En d’autres termes, le pays produit ou achète des
canons plutôt que du beurre. Ce mode de financement est le plus visible et
le plus direct. Il pose, dans les démocraties, la question du consentement à
l’impôt. Les citoyens doivent être convaincus de la nécessité de maintenir
les taxes à un niveau élevé.
L’emprunt permet aussi le financement de la guerre en achetant du
temps. La guerre à crédit n’est qu’une solution temporaire. La plupart du
temps la dette est un impôt différé. À l’échéance, les sommes empruntées
doivent être remboursées. Si la dette n’est pas répudiée, comme le fit
l’Allemagne après la Première Guerre mondiale, elle est payée par l’impôt,
les transferts externes ou par l’inflation. L’inflation, c’est-à-dire le
financement monétaire ou la planche à billets, constitue la dernière forme
de financement. Dans ce cas, ce sont les détenteurs de monnaie qui sont mis
à contribution. L’inflation est alors considérée comme un impôt sur les
moyens de paiement 18.
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis financèrent
principalement leurs dépenses militaires et la guerre froide par l’impôt. La
pression fiscale, qui avait été augmentée par Roosevelt pendant le New
Deal et la Seconde Guerre mondiale, resta à un niveau très élevé jusqu’aux
années 1970. De plus, les taux d’intérêt furent maintenus à un niveau
artificiellement bas. Même si la Fed subit de fortes pressions pour
augmenter l’offre de monnaie et soutenir le cours des obligations du
19
Trésor , le recours à la planche à billets fut relativement limité. En
revanche, la contribution des autres pays de l’OTAN au financement de la
guerre froide fut une question névralgique. Le partage du fardeau (burden
sharing) et les retombées économiques furent âprement débattus pendant
toute la guerre froide, suscitant tensions et acrimonie entre alliés.
Les conséquences économiques
de la guerre froide
Dans le passé, les guerres longues ont toujours appauvri les belligérants.
Même les vainqueurs sont touchés. Seuls les neutres peuvent s’enrichir
temporairement, comme le montre l’exemple des pays d’Amérique latine
pendant la Grande Guerre ou pendant la Seconde Guerre mondiale. Les
effets sur les exportations, la balance des paiements et les réserves d’or
furent manifestes. L’Espagne, la Suisse, la Suède, le Brésil et l’Argentine
avaient tous plus que doublé leurs réserves d’or entre 1914 et 1918 ainsi
qu’entre 1939 et 1945.
Ces questions font l’objet d’études contradictoires et souvent peu
concluantes. Comme le souligne un économiste spécialisé dans le domaine,
le champ des études sur la guerre et l’économie est un marécage 20 où il est
facile de se perdre et de s’enliser. Selon le cadre théorique (théorie classique
ou keynésienne) les études peuvent conduire à des résultats diamétralement
opposés 21. Ainsi sur 168 travaux de recherche, réalisés entre 1973 et 2013,
sur le lien entre dépenses militaires et croissance économique, 22 %
trouvent un effet positif, 38 % un effet négatif et 40 % aucun effet
significatif 22. Avant même les éventuelles retombées économiques de la
guerre froide, la question du consentement à la dîme froide doit être
abordée.
Pourquoi les Américains et, dans une moindre mesure, les Européens
ont-ils consenti à se saigner pendant des décennies pour une guerre non
déclarée ? À cette interrogation, deux séries d’explications ont été
avancées : selon la première, le consentement résulte de la manipulation des
citoyens par de puissants groupes d’intérêts et pour la seconde, il s’agit d’un
choix rationnel reposant sur l’intérêt politique et économique légitime des
citoyens.
L’explication par la manipulation est mise en avant par les historiens
« révisionnistes » qui considèrent la guerre froide comme une manœuvre
des États-Unis pour diffuser le capitalisme international et asseoir la
domination mondiale de l’industrie américaine. Pour certains auteurs, la
guerre froide est même une « guerre imaginaire 23 » répondant à des
nécessités intérieures. Tant les États-Unis que l’URSS avaient besoin de ce
conflit pour justifier et développer leur appareil de production afin de
maintenir sur le plan international leurs positions dominantes et leur
industrie. Ces explications s’inscrivent dans le cadre d’analyse marxiste qui
considère, à la suite de Lénine, l’impérialisme comme le stade suprême du
capitalisme. Le rôle du président Truman dans le début de la guerre froide
est mis en avant dans la manipulation de l’opinion publique pour permettre
24
son élection en 1948 avec le soutien des grands capitalistes . Le slogan
« les Russes arrivent » a permis, selon Chomsky 25, de mettre en place la
terreur du maccarthysme.
Ces explications, dont certaines sont parfois à la limite du complotisme,
manquent en général de recul et sont prisonnières d’un cadre idéologique
étroit. Toutefois, elles soulignent, non sans raison, l’influence du complexe
militaro-industriel dénoncé par le président Eisenhower dans son discours
d’adieu du 17 janvier 1961 avant de céder la place à John F. Kennedy. Le
discours est d’autant plus marquant qu’il vient d’un militaire de carrière, un
général « 5 étoiles » qui, depuis son engagement dans l’armée américaine
en 1915, a connu les deux guerres mondiales :

Jusqu’à la dernière guerre mondiale, les États-Unis n’avaient pas


d’industrie d’armement. Les fabricants américains de socs de
charrues pouvaient, avec du temps et sur commande, forger des
épées. Mais désormais, nous ne pouvons plus risquer
l’improvisation dans l’urgence en ce qui concerne notre défense
nationale. Nous avons été obligés de créer une industrie d’armement
permanente de grande échelle. De plus, trois millions et demi
d’hommes et de femmes sont directement impliqués dans la défense
en tant qu’institution. Nous dépensons chaque année, rien que pour
la sécurité militaire, une somme supérieure au revenu net de la
totalité des sociétés US.
Cette conjonction d’une immense institution militaire et d’une
grande industrie de l’armement est nouvelle dans l’expérience
américaine. Son influence totale, économique, politique, spirituelle
même, est ressentie dans chaque ville, dans chaque Assemblée, dans
chaque bureau fédéral. Nous reconnaissons le besoin impératif de
cette évolution. Mais nous ne devons pas manquer de comprendre
ses graves implications. Notre labeur, nos ressources, nos gagne-
pain… tous sont impliqués ; ainsi en va-t-il de la structure même de
notre société.
Au gouvernement, nous devons donc nous garder de toute
influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le
complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse
ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne
devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en
danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne
devrions jamais rien tenir pour acquis. Seule une communauté de
citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un
véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et
militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de
telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble.

Cette critique du « CMI » (complexe militaro-industriel) est souvent


26
rejetée ou méprisée par les tenants de la « bonne guerre ». Pour certains
d’entre eux, les critiques d’Eisenhower sont celles d’un vieux général
affaibli par la maladie – voire gâteux – car les intérêts du peuple américain
coïncident nécessairement avec ceux de l’industrie. Comme le secrétaire
d’État à la Défense Charles E. Wilson, ancien P.-D.G. de General Motors,
l’avait déclaré devant une commission du Sénat « ce qui était bon pour
General Motors était bon pour les États-Unis et vice-versa ». Les tenants de
cette ligne expriment même une certaine nostalgie pour cette période qui
constitua pour les États-Unis une « divine surprise ». Dans son ouvrage Le
27
beurre et les canons , l’historienne Diane Kunz défend cette thèse. La
guerre froide fut, selon elle, le facteur décisif dans l’abandon de
l’isolationnisme par les États-Unis avec la création d’une véritable armée
permanente, le développement d’armes supérieures grâce à l’alliance des
plus grands scientifiques et des meilleures entreprises privées. En outre, ces
développements ont produit d’immenses bénéfices induits depuis la
création du réseau autoroutier (pour évacuer les villes en cas d’attaque
nucléaire) et de laboratoires de recherche (pour concevoir les avions et les
missiles) jusqu’à l’invention du papier aluminium (pour la conquête
spatiale). Les investissements du Pentagone dans les technologies de
l’informatique, de l’aéronautique et de l’espace ont permis aux grandes
entreprises américaines de financer leur croissance et leur expansion
internationale. La moitié du chiffre d’affaires d’IBM provenait de contrats
militaires par l’intermédiaire de la RAND (Research and Developpment) ou
de l’ONR (Office of Naval Research). De même, les industries aérospatiales
américaines s’attribuent la victoire de la guerre froide avec le slogan « The
28
Cold War was won in El Segundo » en faisant référence à El Segundo,
banlieue de Los Angeles où se situent Lockheed, Winthrop, Boeing, etc.
L’enseignement supérieur et la recherche ont aussi bénéficié des
subventions massives de l’armée pour former des ingénieurs et des
techniciens, créant un véritable âge d’or pour les facultés et le monde
29
académique . De même, Hollywood a vendu le rêve américain, la
Californie ensoleillée, le surf et Coca-Cola, s’érigeant en contre-modèle de
l’URSS renvoyé au pays où « les gens sont communistes, ont froid […]
30
avec des chapeaux gris, et des chaussures à fermeture éclair ». Dans cette
logique de la « bonne guerre froide », la chute du Mur et la fin de la guerre
froide mirent abruptement un terme à la synergie de l’après-Seconde Guerre
mondiale qui avait permis l’apogée des États-Unis. L’Amérique, du fait de
sa taille et de sa puissance, avait pu facilement subordonner sa politique
économique étrangère à sa sécurité nationale. Jusqu’à la fin des années
31
soixante, les États-Unis avaient eu le beurre et l’argent du beurre , et le
sourire des Européens pourrait-on rajouter. La prospérité allait de pair avec
la défense et les objectifs géopolitiques. Cette opinion, fondée sur le constat
de la longue période de croissance s’étendant de l’après-guerre au premier
choc pétrolier, a été remise en cause ultérieurement.
La question de la rationalité et de l’intérêt économique de la guerre
froide demeure sans réponse. Elle semble être davantage le résultat d’une
rationalisation a posteriori et d’une idéologie de l’efficacité que d’une
véritable analyse. Ainsi, Charles E. Wilson, justifiait en 1954 le choix du
nucléaire par un présupposé meilleur rapport qualité-prix des bombes et une
meilleure capacité de destruction par dollar dépensé (« bigger bang for the
buck ») ! S’il est évident que tous les facteurs avancés pour justifier les
dépenses de la guerre froide ont un fondement de vérité, ils ne sont pas
suffisants. L’explication par l’économie est incomplète. De même, la
dimension impériale qui lie puissance économique et puissance militaire,
comme le notait Paul Kennedy dans Naissance et déclin des grandes
32
puissances , montre certaines limites. Cependant, il est clair que les grands
conflits du passé qui présentent le plus de traits communs avec la guerre
froide sont ceux qui reposaient sur une opposition religieuse, comme celui
qui vit s’affronter les chrétiens et les Ottomans, ou les guerres de religion et
la guerre de Trente ans.
Eschatologie de la guerre froide : Logique
d’escalade et de croisade
À partir des années 1950, la construction en Occident d’un tissu gris
d’abris antiatomiques, de bases militaires et de silos de missiles, fait écho
au constat de Raoul Glaber qui notait dans ses chroniques, vers l’an mil,
que la terre se couvrait d’un blanc manteau d’églises. Que ce soit pour une
petite chapelle ou une grande cathédrale, le financement ne reposait pas sur
la contrainte physique. Les églises étaient la voie du salut dans une société
obsédée par la question de l’au-delà. Les descriptions de l’Enfer et du
Purgatoire marquaient les esprits et conduisaient aux dons des fidèles 33. De
même, le financement des croisades 34 reposait sur la vente ou l’hypothèque
des biens des croisés. La fin justifiait tous les sacrifices. Pendant la guerre
froide, l’effort fiscal intense fut maintenu pendant plusieurs décennies grâce
à une croyance quasi-mystique – et ce même en URSS – dans
l’eschatologie. Ainsi, « le niveau des dépenses militaires des États-Unis ne
devait pas être déterminé par la phobie fiscale des Américains mais par leur
haine du KGB, du goulag et de la torture 35 ». Si, dans l’après-guerre, les
États-Unis ne sont pas devenus un « État-garnison 36 » ou un véritable
empire, ils ont adopté, comme le note Raymond Aron, un caractère quasi
théocratique 37. Le président des États-Unis était le pape du « monde libre ».
À l’instar de la concurrence mimétique entre les villes et les villages pour la
construction d’édifices religieux au Moyen Âge, une « topique de la
comparaison 38 » s’est instaurée entre l’Est et l’Ouest. En particulier, les
États-Unis décelaient chez eux une succession de « gaps » militaires
dramatiques. Ces retards que ressentait l’Amérique étaient tout aussi
terrifiants que phantasmatiques 39.
Juste après 1945, la Seconde Guerre mondiale à peine achevée, les
Américains eurent l’impression d’être surpassés par l’Armée rouge. Or la
réalité a montré, a posteriori, que la supériorité soviétique n’existait que sur
le papier puisque moins de la moitié des divisions de l’Armée rouge était
réellement opérationnelle. Au début des années 1950, les États-Unis se
sentirent vulnérables à cause du GIUK gap (pour Greenland, Iceland,
United Kingdom). Ils estiment que cette zone, située entre le Groenland,
l’Islande et le Royaume-Uni, constitue une brèche béante dans la défense de
leur territoire. En raison du bomber gap, les puissants bombardiers à long
rayon d’action soviétiques s’y engouffreront sans pouvoir être arrêtés. Dans
la réalité, l’aviation soviétique était bien incapable des exploits que lui
prêtaient les Américains. Après le lancement de Spoutnik en 1958, les
États-Unis se sentent directement menacés par le missile gap. Par la suite,
les « gaps » (« écarts ») imaginaires successifs portent sur les missiles
antimissiles et les forces de ripostes, de contre-riposte et de contre-contre-
riposte. À chaque « gap », des programmes chaque fois plus sophistiqués et
plus coûteux furent lancés dans l’urgence. L’absurdité de cette escalade est
40
génialement résumée par Stanley Kubrick dans le concept grotesque de
« mine shaft gap ». Dans la scène d’anthologie, le général Buck Turgidson
de l’US Air Force, inspiré de Curtis LeMay qui avait développé le Strategic
Air Command, enjoint le président des États-Unis de lancer sur-le-champ
un programme pour combler le retard américain dans les galeries de mine.
Le seul, ou presque, « gap » réel des États-Unis fut non pas vis-à-vis de
l’Est mais de ses propres alliés. Il s’agissait du gold gap, le déficit en or de
la balance des paiements américaine.

Les déséquilibres de la balance


des paiements et des flux internationaux
La baisse des réserves d’or des États-Unis et la perspective d’un gold
gap étaient le signe du déclin qui hantait Kennedy 41. Au début de la guerre
froide, les réserves américaines dépassaient les 20 000 tonnes d’or et elles
baissaient à un rythme inquiétant de près de 1 000 tonnes par an. Si rien
n’était fait, les réserves allaient s’assécher au début de la décennie suivante.
Les États-Unis se retrouveraient dans la situation de la Grande-Bretagne qui
n’avait plus d’or à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans le même
temps, les Européens accumulaient de l’or qui venait directement de Fort
Knox.
La question prit un tour politique et devint rapidement un enjeu
diplomatique majeur entre l’Europe et les États-Unis, ces derniers insistant
sur la dimension morale. Ainsi, à la réunion du Conseil national de sécurité
du 22 janvier 1963, Kennedy se montre très critique envers les Européens
qui engrangent des surplus alors que l’Amérique les a généreusement aidés
par le passé 42. Il note que « depuis qu’ils ne dépendent plus de notre aide
économique, les Européens sont beaucoup moins influençables ». À
l’ingratitude, il fallait ajouter l’incompétence. Selon le professeur Fritz
Machlup de l’université de Princeton, les dirigeants français et allemands
étaient économiquement incompétents et arriérés 43, victimes de l’illusion
mercantiliste. Ils prenaient la satisfaction des exportateurs aux carnets
pleins, pour le bien-être du pays. Ils ne voyaient pas que les dollars et
a fortiori l’or qu’ils recevaient correspondaient à un sacrifice de
consommation de leurs concitoyens.
La question de l’or et du « lancinant problème de la balance des
paiements », selon l’expression de Rueff, est bien au cœur de la guerre
froide. Avant toute chose, il est primordial d’écarter l’idée reçue que les
États-Unis ont financé la guerre froide par leur déficit de la balance des
paiements 44 faisant payer à leurs partenaires commerciaux leurs dépenses
militaires. Cette idée en apparence séduisante est à rejeter. Les montants
sont sans commune mesure. En 1965, le PIB américain était de l’ordre de
750 milliards de dollars, la dîme froide représentait 75 milliards de dollars
et la baisse annuelle des réserves de Fort Knox était de l’ordre de
750 millions de dollars, soit un millième du PIB ou un pourcent des
dépenses de la guerre froide. C’est-à-dire l’épaisseur du trait. Si les États-
Unis, au-delà du symbole, avaient vraiment considéré l’or comme une
matière stratégique, ils auraient pu sans difficulté en acheter sur le marché
international ou rouvrir les mines d’or de Californie ou d’Alaska…

Évolution des réserves d’or du Royaume-Uni,


de la République fédérale allemande, de la France
et des États-Unis entre 1945 et 1970 (en tonnes)
1950-1970 Variation du Taux de Taux de Dépenses Années
stock d’or croissance croissance guerre d’obtention
(en tonnes) moyen du de la froide de la
PIB population rapporté au bombe A/H
PIB (Retard par
(militaire rapport aux
+ non États-Unis)
militaire)

États-Unis – 10 440 6% + 46 % 8%/+2% 1945/1952

Royaume- 1952/1957
– 1 345 3% + 12 % 7%/+1%
Uni (+ 6 ans)

1960/1968
France + 2 551 5% + 30 % 6%
(+ 15 ans)

Allemagne + 3 537 6% + 22 % 4% NA

Italie + 2 338 6% + 15 % 3% NA

Japon + 467 9% + 25 % 1% NA

Évolution économique et militaire des principaux pays occidentaux (1950-1970)

De même, le président Johnson fut mis en cause pour son choix


irraisonné de vouloir, sans augmenter les impôts, mener son projet social de
« Grande société » (Great Society), tout en intensifiant la guerre du Viêt
Nam. Le déficit budgétaire qui en a résulté ainsi que le relâchement de la
politique monétaire par une Fed convertie au keynésianisme 45 auraient,
selon d’aucuns, été la cause de l’inflation aux États-Unis pendant les
années 1970. Un choix aurait dû être fait entre le beurre et les canons. Cette
thèse tient plus de l’économie narrative que d’une analyse profonde. En
effet, l’augmentation des dépenses militaires fut limitée dans un contexte de
stabilité voire de baisse des prix. Les économistes Walker et Vatter
considèrent que la guerre du Viêt Nam fut un évènement « économiquement
trivial » dans les statistiques macroéconomiques américaines. Ils
reconnaissent néanmoins que ses effets symboliques furent plus importants
comme « le petit pois sous le matelas de la princesse » 46. La grande
inflation des années 1970 fut la conséquence et non la cause de la fin de
Bretton Woods.
En fait le déficit de la balance des paiements américaine est à la fois un
phénomène temporaire et une construction statistique.

UN PHÉNOMÈNE TEMPORAIRE

Il est cependant primordial de rappeler qu’il s’agit d’une phase bien


particulière qui succède à l’inversion des flux de paiements de la fin des
années 1950. Au dollar gap, la pénurie des Européens en devises
américaines, a succédé l’excès, le dollar glut ou, de façon plus imagée, la
47
« diviiine diaar-rhée de doollaarrrs », selon l’expression de Salvador Dali.
Après la capitulation de l’Allemagne, les autorités américaines
s’attendaient à ce que la guerre dans le Pacifique se poursuivît jusqu’à la fin
1946, permettant à la France et aux autres pays européens de bénéficier du
prêt-bail pour leur reconstruction 48. Les besoins pour la France étaient
estimés entre 1 et 2 milliards de dollars. L’utilisation de la bombe atomique
contre le Japon hâta la fin la guerre dans le Pacifique et mit fin au prêt-bail
en septembre 1945. Le financement des biens importés devait désormais se
faire par l’intermédiaire de prêts classiques. L’Export-Import Bank octroya
à la France un premier crédit de 550 millions de dollars pour payer les biens
antérieurement commandés au titre du prêt-bail. Pour financer ses
importations, Paris devait désormais disposer de dollars. Dans
l’impossibilité d’exporter, le pays ne pouvait acquérir les dollars qu’en les
empruntant ou en vendant son or. Dans les deux cas, la balance des
paiements courants était négative. Les achats de biens et services
américains étaient financés par la baisse de ses réserves d’or et par un
endettement croissant auprès des États-Unis, de la BIRD et du FMI
notamment.
Le déclenchement de la guerre froide et la mise en œuvre du plan
Marshall permirent d’enrayer la hausse de l’endettement français et la
baisse du stock d’or. À partir des années 1950, la reconstruction de
l’économie française permit d’exporter vers les États-Unis. Les ressources
en devises devinrent abondantes car la France bénéficiait des recettes
exceptionnelles liées aux dépenses de stationnement des troupes
américaines, de l’aide fournie au titre de la guerre d’Indochine 49 (PAM) et
du reliquat du plan Marshall. Les flux financiers commencèrent à basculer
puisque la France était en mesure de rembourser son tirage sur le FMI 50. À
partir de la fin des années 1950 pour la France et du milieu de la décennie
pour l’Allemagne, les flux commerciaux s’inversèrent et la balance des
biens et services devint déficitaire pour les États-Unis qui commencèrent à
voir leurs réserves d’or diminuer. L’hémorragie ne s’arrête qu’avec la fin de
la convertibilité du dollar en or en 1971.

UNE CONSTRUCTION

Le déficit de la balance des paiements est un problème « construit » et


politique. Il repose sur des normes comptables et des présupposés
théoriques comme l’a montré le débat qui a agité la Grande-Bretagne dans
l’après-guerre. Selon certains économistes, le déficit est le résultat d’une
reconstruction a posteriori 51 voire de manipulations à des fins politiques.
La balance des paiements est le solde de composantes plus ou moins
indépendantes : à savoir la balance commerciale, la balance dite « des
invisibles » (le terme a depuis été abandonné pour être remplacé par
« services et transferts ») et la balance des flux de capitaux. La balance
commerciale a été la première à être mesurée par les douanes. Elle
correspond à la différence entre les exportations et les importations de
biens. À cette première balance, se superpose celle des « invisibles » qui
correspond au solde des échanges de service et des transferts liés aux
revenus de capitaux ou sans contrepartie. L’aide financière des États-Unis,
par exemple, rentrait dans cette catégorie. Enfin, la dernière balance est
celle des flux de capitaux qui peuvent être des investissements à long terme
ou des placements à court terme comme les capitaux flottants (« hot
money »).
Chaque composante obéit à sa propre logique. Les contrôles des
changes s’appliquent sur les flux de capitaux. Bretton Woods et le
développement du commerce international ont provoqué la libéralisation
des flux commerciaux mais pas des flux financiers. Le nécessaire
ajustement entre les composantes laisse la place à toutes les possibilités et
possède une dimension clairement politique, voire morale. Dans l’après-
guerre, l’équilibre de la balance des paiements était la pierre de touche des
politiques économiques. En effet, la politique étrangère américaine était
fondée sur le constat que les rivalités économiques conduisaient
nécessairement à la guerre. Les institutions internationales avaient pour but
de garantir la sécurité par la prospérité du commerce et de la monnaie 52. Le
refus des désordres monétaires de l’entre-deux-guerres et la rectitude
morale de l’équilibre étaient donc la raison d’être du FMI 53 qui évangélisait
les nations. Dans les prêts qu’il accordait, se trouvait toujours l’objectif
explicite de retour à l’équilibre.
La dimension morale était sous-jacente, notamment en Grande-Bretagne
qui était passée du fait de la guerre de premier créancier à premier débiteur
mondial. Les déficits chroniques anglais et américain en faveur de la France
et des pays vaincus étaient difficilement acceptés.

LES ÉTATS-UNIS SE SPÉCIALISENT DANS LA HAUTE


TECHNOLOGIE MILITAIRE
Des explications contradictoires ont été avancées pour comprendre le
renversement de la balance des paiements. Dans la logique keynésienne de
l’après-guerre, les déficits résultent des choix économiques faits par les
États qui arbitrent entre inflation et chômage 54. À l’opposé, pour les
classiques comme Rueff, les sorties d’or dépendent de la politique
monétaire et du niveau des taux d’intérêt 55. L’explication classique
américaine est celle du fardeau. Les États-Unis se saignaient de leur or pour
la défense de l’Europe.
Kennedy faisait le constat que depuis les années 1950, les États-Unis
produisaient des bombes atomiques alors que l’Europe amassait
56
égoïstement de l’or . Son constat était parfaitement exact. Au cours des
années 1950, l’économie américaine s’était spécialisée dans la haute
technologie militaire et nucléaire alors que l’Europe produisait des biens de
consommation courante. Cette spécialisation complémentaire était
conforme à la théorie des avantages comparatifs 57 qui veut que chaque
économie ait intérêt à se spécialiser dans ses forces et à exporter cette
production pour importer les produits où elle est moins productive. De plus,
pendant la guerre froide les exportations de haute technologie militaire,
notamment dans le domaine aéronautique – y compris civil – étaient
sévèrement contrôlées et restreintes pour éviter que le bloc de l’Est n’en
bénéficie. Si la demande existait clairement, l’offre était rationnée 58. Or, les
Européens auraient souhaité pouvoir acquérir la haute technologie
américaine, conventionnelle pour l’Allemagne et nucléaire pour la France.
Le ministre allemand de la Défense Franz Josef Strauss se plaignait en 1961
auprès des Américains que ces derniers les obligeaient à acheter du matériel
dépassé que les Allemands pouvaient eux-mêmes produire à meilleur coût.
Le pays était pleinement disposé à augmenter massivement ses achats si les
Américains lui fournissaient ses armes les plus modernes. De ce fait, elle
59
annulerait ses excédents de balance des paiements envers les États-Unis .
À la même époque, l’ambassadeur des États-Unis en France, James
Gavin 60, écrivait au président Kennedy pour lui dire que la France allait
consacrer plus de 700 millions de dollars (l’équivalent de 800 tonnes d’or)
pour construire l’usine d’enrichissement d’uranium à Pierrelatte parce que
les États-Unis refusaient de vendre aux Français l’uranium militaire et les
armes sophistiquées que ces derniers désiraient. L’autorisation de telles
ventes, accordées aux Britanniques, soulignaient l’ambassadeur, auraient les
effets souhaités sur la balance des paiements américaine. Cette politique
d’embargo fut poursuivie par le président Johnson qui bloqua la vente à la
France d’ordinateurs puissants de type CDC-3600 pour le Commissariat à
l’énergie atomique (CEA) 61.
La spécialisation dans la production du matériel de haute technologie
militaire et les restrictions à l’exportation par les États-Unis ont été à
l’origine du renversement du déficit de la balance des paiements. La
question du défraiement par les Européens du coût des troupes américaines
déployées sur le continent, quoique d’importance économique relativement
mineure, a été un élément majeur des tensions au sein de l’OTAN. D’une
part, les autorités américaines en ont surévalué le coût – de fait, les troupes
en Allemagne coûtaient moins cher que leur équivalent aux États-Unis –, de
l’autre, elles ont minimisé l’avantage stratégique que ces déploiements leur
62
procuraient . Comme le soulignait Rusk : « Nous sommes en Europe non
pas parce que les Européens veulent que nous y soyons mais parce que nous
pensons que c’est essentiel pour la défense des États-Unis 63. »
À l’inverse, il convient de souligner que le déficit de la balance des
paiements n’était pas le signe avant-coureur du déclin américain 64 même si
les décideurs américains percevaient cette vulnérabilité. Prisonnier de la
paranoïa de la guerre froide et ne voyant que leur intérêt immédiat, ils
refusèrent toute évolution du système. Les États-Unis, grâce au dollar,
pouvaient financer leurs déficits passés à peu de frais et se passer d’actifs de
65
réserve pour les déficits futurs grâce au seigneuriage du dollar . De plus,
ils pouvaient éviter les mesures d’ajustement coûteuses auxquelles les
autres États étaient soumis, prêter sans limite aux pays dans le besoin et se
protéger de la spéculation. Les tentatives de réforme du système de Bretton
Woods étaient légitimes et, sur le fond, les propositions françaises
caricaturées par les Américains étaient constructives comme le
reconnaissent les travaux les plus récents des économistes 66. Le coupable de
la mort de Bretton Woods est bien la guerre froide. Mais il reste une
question : où est donc l’or de Fort Knox ?
III.

SYMBOLISME
Pendant la guerre froide, l’or et plus largement les monnaies, ont
constitué l’enjeu de batailles symboliques et idéologiques qui ont dépassé la
simple dimension économique voire stratégique. En effet, ni l’or, ni les
monnaies ne sont des objets ou des matières ordinaires. Comme le
soulignait, René Sédillot, ils sont capables (parfois) du meilleur et (souvent)
du pire. L’or est un symbole – voire le symbole – de la puissance, il est le
signe de la richesse, du statut et du pouvoir. Il suscite simultanément
fascination et répulsion. Pour Keynes, il s’agit d’une relique barbare alors
que pour le général de Gaulle il s’agissait de la valeur inaltérable, éternelle
et universelle. Le billet est encore plus symbolique puis qu’il est la
promesse d’une monnaie plus tangible. Son fondement est la confiance
même. Il en résulte que la monnaie fiduciaire est un symbole « au carré » :
un symbole de symbole. Pour reprendre la formule de Humphrey Bogart,
dans Le Faucon maltais, l’or et les billets sont « ce dont les rêves sont
faits 1 ».
Au-delà de cet aspect imaginaire, voire irréel, l’or et les billets ont une
apparence tangible et visuelle. Les paquets de billets et les piles de barres
d’or frappent notre imaginaire. Comme le démontrent les expressions
courantes, le métal jaune et le billet vert pour désigner l’or et le dollar, la
métaphore et la métonymie sont au cœur de la rhétorique monétaire de la
guerre froide 2.
La symbolique du billet
La métaphore de la monnaie est fondée sur l’analogie. L’or ou le billet
appartiennent au domaine de l’économie dont les représentations les plus
fréquentes sont l’économie-machine et l’économie-organisme vivant 3. Au
sein de l’économie-machine, la monnaie joue le rôle d’engrenage, de
carburant ou de lubrifiant. Cette métaphore a vu le jour au XIXe siècle avec
la révolution industrielle. Elle s’inscrit surtout dans le domaine du
commerce et des affaires mais aussi dans le domaine guerrier. L’autre
métaphore, plus ancienne, liée à la monnaie, est celle de l’organisme vivant,
voire de la vie même 4. La monnaie peut être décrite comme un organe ou
un élément lié aux fonctions principales des êtres vivants : nutrition,
respiration ou reproduction. La métaphore de l’aliment et de la nourriture
ou de la boisson, va de pair avec celle de l’organe comme le nerf ou le sang.
La métaphore de la circulation monétaire transposée de la circulation
sanguine a d’ailleurs été vulgarisée au XVIIIe siècle par l’économiste et
médecin François Quesnay 5.
Ces dimensions symboliques, voire sacrées, expliquent les interdictions
religieuses et le tabou du prêt à intérêt et de l’usure qui se retrouve dans le
catholicisme 6 et l’islam : l’argent ne fait pas l’argent selon la vieille formule
« pecunia pecuniam non parit » – c’est-à-dire littéralement « l’argent ne
donne pas naissance à l’argent ». Cette dimension mystique se retrouve
aussi chez Marx 7 qui parle de la « transsubstantiation de la monnaie d’or en
papier ». La métonymie monétaire qui se traduit par l’identification du pays
ou du roi à la monnaie, est fondamentale 8. La monnaie exprime une identité
et symbolise la souveraineté plus que le simple pouvoir ou l’autorité 9. Le
louis et le napoléon représente la « monnaie » par excellence comme plus
tard le franc-Poincaré ou Pinay… Ce « contrat » entre le peuple et l’État
explique pourquoi le faux-monnayage est si sévèrement réprimé. Il est
perçu comme une menace à la paix sociale et à la confiance publique. Dans
le même ordre d’idée, la dévaluation est une perte de substance.
L’imaginaire politique associé est riche de ces métaphores qui sont
porteuses de sentiments et d’émotions. Ces images obscurcissent souvent la
réalité économique. Ainsi, en France, pendant l’entre-deux-guerres, la
rhétorique guerrière dominait le discours monétaire. La spéculation rimait
10
avec absence de patriotisme, voire avec la trahison . Jeanneney note avec
subtilité qu’à cette époque la monnaie perd son statut de simple moyen de
paiement et devient en France « valeur suprême et symbole de grandeur
11
passée », à l’instar de la Patrie. Ainsi, le franc est la France. Le taux de
change est la frontière que les « soldats du franc » doivent défendre 12. La
dévaluation s’apparente alors à un abandon de territoire national et à une
13
trahison qui mérite au moins la prison . Cette rhétorique déclinera après
1945… Les désordres monétaires et la piètre situation du franc excluaient
son usage avec la succession des dévaluations. En 1952, un projet de billet
de la Banque de France s’intitulait « Rêverie sur un passé glorieux »… Le
billet ne fut pas émis car jugé trop passéiste. Quelques années plus tard, un
autre projet nostalgique de billet « Clemenceau » célébrant la victoire de la
Première Guerre mondiale fut aussi écarté. La Banque de France préféra,
finalement, retenir des valeurs sûres comme Richelieu, Victor Hugo,
Henri IV ou Bonaparte…
En revanche, en Grande-Bretagne, pendant la guerre froide, cette
question prit une dimension renouvelée. La « virilité » du sterling fut au
cœur des débats de l’après-guerre. La vigueur de la monnaie était le
symbole même de la suprématie britannique. L’ « attachement primitif et
tribal 14 » à la devise était au cœur de l’identité nationale. Une dévaluation
était assimilée à une émasculation. Cet imaginaire et ces non-dits étaient
renforcés par la dimension politique. Les deux dévaluations traumatisantes
de 1931 et de 1949 avaient été réalisées sous des gouvernements
travaillistes. Le gouvernement britannique considérait que : « S’il y a bien
un sujet qui est une question de vie ou de mort pour ce pays : c’est le
maintien de la valeur internationale de la livre 15. » Cette doctrine devint un
dogme de plus en plus important au point qu’à l’arrivée au pouvoir de
Wilson, la dévaluation devint taboue et n’était plus évoquée dans les
documents du Cabinet que par les initiales UM « Unmentionable » ou FU
« Forever Unmentionable »… Dans la logique de renforcer la légitimité de
la livre, la Banque d’Angleterre décida d’inclure le portrait de la reine
Elizabeth II dans les nouveaux billets qui seront imprimés. Le billet de 1 £
de 1961 est le premier à la représenter. Ce n’est qu’en 1991, avec
Shakespeare, que les billets de la Banque d’Angleterre représenteront des
personnages.
e
Aux États-Unis, les billets émis au XIX siècle par les banques privées et
caractérisés par leur couleur verte (les greenbacks) avaient mauvaise
réputation. Après la création de la Federal Reserve en 1913, de nouveaux
billets fédéraux furent conçus et imprimés par le Trésor américain. De
structure similaire, les billets de 1 à 100 $ représentent un grand homme
d’État américain (Washington, Jefferson Lincoln, Hamilton, Jackson, Grant
et Benjamin Franklin) et un bâtiment connu comme la Maison Blanche ou
le Lincoln Memorial. Le mythique billet d’« un dollar » conçu en 1928 ne
comportait au verso que l’inscription « ONE » encadrée avec des guillochis.
Ce fut Roosevelt qui le fit redessiner en 1935 pour y inclure le grand sceau
des États-Unis. Ce sceau très symbolique, conçu en 1782, représente l’aigle
américain tenant dans sa serre droite une branche d’olivier symbole de paix
et dans la gauche treize flèches représentant la guerre et les États américains
fondateurs. Il est surmonté de treize étoiles et de la devise « E PLURIBUS
UNUM » (« De plusieurs, Un »). Une pyramide inachevée, symbole de la
construction inaccomplie du pays, est aussi représentée. Elle comporte
treize rangées de pierre et le chiffre MDCCLXXVI (1776), date de la
déclaration d’indépendance américaine, ainsi qu’une bannière sur laquelle
est inscrit le vers de Virgile « NOVUS ORDO SECLORUM » (« Le nouvel ordre
des siècles »). Au-dessus, l’œil omniscient de la Providence, représenté par
un œil dans un triangle est accompagné de la devise virgilienne « ANNUIT
COEPTIS » (« Il favorise notre entreprise »). Les modifications voulues par
Roosevelt sont une allusion directe à son New Deal, elles ont été
postérieurement réinterprétées dans une optique complotiste. En 1955, le
Congrès américain, pour marquer sa croisade contre l’athéisme
communiste, vota une loi pour que figure la devise « IN GOD WE TRUST »,
sur tous les billets ; les premiers la comprenant furent émis en 1963. À la
même époque, le serment d’allégeance fut aussi modifié pour inclure une
référence à Dieu. Pour les Américains, le dollar possède une dimension
morale spécifique, à l’image de l’éthique protestante des pères fondateurs :
la continence et le contrôle de soi lui sont associés à l’opposé des excès et
de la débauche 16… à l’opposé du symbole du dollar. Le S barré du dollar
($) parfois assimilé au serpent tentateur du péché originel, est le symbole de
l’excès. Historiquement, il vient très probablement de l’abréviation
comptable « PS » utilisée pour les piastres espagnoles qui eurent cours légal
lors de la création des États-Unis. Au fil des années, les deux lettres ont
fusionné et la boucle du P a disparu devenant un S barré 17. Pour reprendre
l’analyse de Barthes 18, la formule du « dollar as good as gold » avait la
même valeur de promesse que le slogan publicitaire du « Persil lave plus
blanc ».

La mythologie de l’or
Bien qu’appartenant aussi au domaine monétaire et équivalent au billet,
l’imaginaire de l’or est très différent et encore plus ancré dans les cultures.
Les différences sont encore plus marquées d’un pays à l’autre. Si le billet
est utilisé depuis un ou deux siècles, l’usage de l’or court sur des
millénaires. Inaltérable et synonyme d’éternité, il s’inscrit dans le temps
long et l’inconscient des peuples. Associé à la terre et aux trésors cachés
conservés égoïstement, il attire et repousse.
Les mythologies lui confèrent un rôle très contrasté. Dans les mythes
grecs ou égyptiens, l’or est solaire et son influence bénéfique. À l’opposé,
dans la mythologie nordique, l’or est associé au sang et à la violence. Il est
au centre des combats et des destinées. « Aucun sort favorable ne
t’attachera à l’or », chante ainsi Lotke, le Dieu du feu. Le dragon Fafnir qui
garde de l’or crie à Sigurd : « L’or splendide et les anneaux rutilants seront
un jour ta ruine ! » Mais tous sont atteints par le sortilège de l’or et par la
malédiction qui s’y attache. Hagen précipite le trésor des Nibelungen dans
le Rhin, afin que Krimhilde ne puisse s’en servir pour s’acheter des
vengeurs. Cette tradition du monde germanique est reprise par Marguerite
aveuglée par le rayonnement du coffret à bijoux de Faust : « C’est vers l’or
qu’on se presse, c’est de l’or que tout dépend. Malheur à nous autres
pauvres filles ! »
En France, à côté de l’argent, l’or était le signe de la royauté : une des
monnaies en or les plus emblématiques est l’écu de Saint-Louis. Cet écu
d’or a marqué un tournant dans l’histoire de l’édification du Royaume
puisqu’elle a permis à la couronne de se placer au-dessus des frappes
féodales en bas argent. L’inscription de l’avers proclamait : « Louis, par la
grâce de Dieu, roi des Français. » Au revers, était rappelée la volonté divine
« Christ vainc, Christ règne, Christ commande ». Cette tradition de placer
les pièces en or au sommet de la hiérarchie monétaire s’est poursuivie
jusqu’au XXe siècle. L’attachement des Français à l’or tient bien sûr de cette
tradition mais d’autres facteurs sont en jeu.
Keynes, toujours prompt à critiquer les Français, jugeait avec un certain
mépris leur propension à l’épargne et leur goût pour la thésaurisation :
« Pour un Français, les réserves d’or sont toujours destinées à l’ornement,
non à l’usage – les joyaux de famille. Pour un Anglais, elles sont toujours
destinées à l’usage, et non à l’ornement – l’encaisse de la famille 19. » Pour
lui, il s’agissait d’un signe évident de l’arriération des Français par rapport
aux Anglais : restes manifestes de la mentalité paysanne. Cette « expression
naturelle des instincts du pays 20 » comme l’avait qualifiée en 1905 le
gouverneur de la Banque de France résultait certes d’une forte propension à
l’épargne héritée des traditions d’autoconsommation du monde rural 21 et
d’une méfiance face aux banques. Cette analyse qui relève en partie du
cliché a été reprise par André Siegfried dans les années 1950. Pour lui, dans
un vieux pays comme la France où l’argent était difficile à gagner par le
labeur individuel, il était naturel qu’il fût défendu avec plus d’âpreté. Il
expliquait la thésaurisation par le besoin de sécurité et le goût profond des
22
Français pour la propriété et l’épargne . Il opposait l’attitude française à
celle de l’Américain, plus généreux car « s’il perd sa fortune, il croit du
moins qu’il pourra, dans l’espace d’une même vie, la regagner ». Siegfried
concluait que le Français n’avait pas cette illusion et que c’était pour cette
raison qu’il amassait de l’or. De même, les analyses subtiles de Marguerite
Perrot 23 soulignent les origines anglaises de la mythologie « morale » de
l’étalon-or « comme baromètre de l’économie et des finances, l’étalon-or
24
contraint à l’honnêteté ». De nombreuses autres explications
sociologiques ont aussi été avancées comme le catholicisme ou la phobie
fiscale. Ces analyses sont discutables dans la mesure où d’autres pays
catholiques possèdent un rapport différent à l’or et où la taxophilie est
relativement rare dans le monde…
Toutes ces explications, qui contiennent sûrement une part de vérité,
négligent un point crucial. Tant l’Angleterre que les États-Unis n’ont
quasiment jamais connu d’occupation étrangère sur leur territoire national.
La France, en revanche, a connu de nombreuses guerres et défaites qui se
e
sont traduites par des occupations. Rien que depuis le début du XIX siècle,
la France a été occupée trois fois et a dû s’acquitter à trois reprises de
tributs exorbitants. En 1815, en 1870 et en 1940. Les sommes payées
étaient sans commune mesure avec les réparations exigées de l’Allemagne
après la Première Guerre mondiale (des sommes par ailleurs jamais
25
payées ). L’or conservé par les Français au cours des siècles a permis de
tenir pendant les périodes les plus difficiles et a servi à payer les indemnités
de guerre comme en 1815 ou en 1870, afin de permettre le départ rapide des
troupes étrangères. De surcroît, pendant la Grande Guerre, les campagnes
26
pour les versements d’or sur le thème « chaque pièce d’or versée est une
goutte de sang épargnée » avaient exacerbé son importance. En 1936, la
tentative du Front Populaire de nationaliser l’or des Français comme l’avait
fait Roosevelt aux États-Unis fit long feu. La loi ne fut jamais appliquée et
retirée moins de 6 mois plus tard. Ces spécificités historiques expliquent
notamment pourquoi, en France, l’or a toujours été considéré comme un
talisman protecteur et la thésaurisation si importante. Selon les experts, les
Français détiendraient le premier stock d’or privé au monde 27.
En Grande-Bretagne, le rapport à l’or est marqué par le
monométallisme. Il remonte de fait à 1717, lorsqu’Isaac Newton, qui
dirigeait la Royal Mint, fixa le prix de l’argent à un niveau excessivement
élevé par rapport à celui de l’or. De ce fait, la frappe des pièces en argent
diminua au profit de celles en or. Cette situation de fait fut confirmée par le
parlement britannique en 1816 au lendemain de la victoire sur Napoléon. La
suprématie de l’or, en Grande-Bretagne, coïncide avec l’expansion de
l’Empire britannique et la découverte de gisements dans ses colonies en
Afrique du Sud et en Australie qui en faisait le premier producteur mondial
e
d’or à la fin du XIX siècle. C’est à cette époque que Londres est devenu le
centre mondial pour le précieux métal. Le souverain britannique (7,98 g
d’or à 22 carats, c’est-à-dire à 917 millièmes de fin) qui valait une livre, fut
frappé à partir de 1817 et devint, hors de l’Europe continentale, la pièce en
or de référence. Illustrée par le motif de Saint-Georges terrassant le dragon
au revers, elle symbolisait l’Empire. Au cours de la Première Guerre
mondiale, la Banque d’Angleterre suspendit la convertibilité de ses billets
en or. En 1925, Churchill qui était chancelier de l’Échiquier décida de
rétablir la convertibilité or de la livre à sa parité-or d’avant-guerre. Ce choix
était non seulement fondé sur des raisons financières mais surtout
politiques. Une des raisons était que les dettes contractées en or devaient
être remboursées en or, à leur valeur d’origine. Cette décision que Churchill
considéra par la suite comme la pire erreur politique de sa vie, entraîna des
conséquences négatives sur l’économie britannique. En 1931, les
travaillistes durent rompre le lien avec l’étalon-or. La dimension morale fut
prédominante comme le souligne la remarque ironique de Shaw : « Entre la
confiance en la stabilité naturelle de l’or et la sincérité, l’honnêteté et
l’intelligence du Gouvernement, je recommande – avec tout le respect dû à
ces messieurs – de s’en tenir à l’or tant que le système capitaliste
durera 28… »
Aux États-Unis, la dimension morale est aussi très présente mais elle est
plus complexe du fait de l’histoire mouvementée de l’or et de l’argent. La
ruée, ou plus exactement, les ruées vers l’or sont l’un des grands mythes
fondateurs des États-Unis. Tout le peuplement de l’Ouest suit la découverte
des riches filons de Californie par le Colonel Sutter en 1848. Le pays
devient l’un des premiers exportateurs mondiaux au XIXe siècle. La
découverte des gisements d’argent géants de Comstock Lode dans le
Nevada quelques années plus tard complique la situation. Les partisans de
l’argent, les Silverites, s’affrontent aux tenants de l’étalon-or. Les
campagnes pour les présidentielles de 1896 et 1900 voient s’affronter les
populistes alliés aux Démocrates avec la candidature de William J. Bryan,
aux Républicains. Les premiers, partisans de l’argent, refusent que
« l’humanité soit crucifiée sur une croix d’or ». La victoire du républicain
McKinley en 1896 et 1900 confirme l’étalon-or mais ne signifie pas la fin
des oppositions. Ainsi Le magicien d’Oz est souvent interprété comme une
allégorie monétaire de ce combat 29. Dans ce livre écrit en 1900 et porté au
cinéma en 1939, Dorothée, une jeune orpheline du Kansas est emportée
avec son chien Toto par une tornade au pays d’Oz. En atterrissant au pays
de l’Est, elle écrase accidentellement la méchante sorcière qui asservissait
ses habitants. Munie des souliers d’argent de la sorcière, elle emprunte la
route de briques jaunes pour rejoindre la cité émeraude du magicien d’Oz
afin de demander son aide pour retourner au Kansas. En chemin, elle
rencontre un épouvantail, un homme de fer-blanc et un lion peureux. Après
de nombreuses aventures, elle découvre que le magicien d’Oz de la cité
d’émeraude n’est qu’un imposteur et qu’elle détenait depuis le début le
pouvoir de revenir chez elle grâce aux souliers d’argent. Dans
l’interprétation monétaire classiquement reconnue, la sorcière de l’Est
représente les capitalistes de la côte est alors que l’épouvantail, l’homme de
fer blanc et le lion peureux sont les fermiers, les ouvriers et William
J. Bryan. La route de briques jaunes, c’est-à-dire le chemin pavé de lingots
(l’étalon-or), ne mène qu’à la cité du billet vert (Washington) dirigée par un
imposteur alors que les souliers d’argent (l’étalon-argent) conduisent au
pays réel…
En 1933, quelques mois après son entrée en fonction, le président
Roosevelt, pour lutter contre la grande dépression, coupa le lien entre l’or et
e
le dollar qui existait depuis le XIX siècle. L’Emergency Banking Act du
9 mars 1933 supprima l’équivalence d’1 once d’or troy (31,1034768 g) pour
30
20,67 $. Moins d’un mois plus tard, par décret présidentiel du 5 avril
1933, il interdit la détention d’or par les Américains et les obligea à
l’échanger dans le mois contre des billets verts sous peine de 10 000 $
d’amende et de 10 ans de prison. Après cette nationalisation, l’or était
devenu hors-la-loi aux États-Unis. Cette décision, qui fut extrêmement
contestée à l’époque à la fois politiquement et juridiquement jusqu’à la
Cour suprême, a profondément marqué l’imaginaire américain. Cette
31
attitude jugée contraire à liberté individuelle a structuré le rapport à l’or.
Cette interdiction ne fut abrogée qu’en 1974 par le président Gerald Ford 32.
Le 30 juin 1934, le président Roosevelt transféra la propriété de l’or de la
Federal Reserve qui émettait les billets au Trésor américain et réévalua le
prix de l’or à 35 $ l’once (troy). Les Américains durent se séparer de leur or
qui vint s’accumuler dans les réserves fédérales.
Pour conserver l’or, le Trésor américain décida de construire un dépôt
de stockage unique, l’US Gold Depository. Pour des raisons sûreté,
l’emplacement fut choisi loin des côtes atlantique et pacifique jugées
vulnérables à une attaque ennemie. Le lieu, à mille kilomètres de la côte est
et à plus de trois mille de la côte ouest était protégé par les barrières
naturelles des Appalaches et des Rocheuses 33. De surcroît, il fut placé au
sein de l’enceinte militaire de 40 000 hectares (400 km²) de Fort Knox, dans
le Kentucky. Construit au-dessus d’un niveau de sous-sol, le dépôt est un
pavé de granit de 37 mètres de long sur 32 de profondeur avec une hauteur
de 13 mètres. Le dépôt était à l’origine entouré d’un champ de mines.
Achevé en 1936, les premiers transferts d’or commencèrent dès
janvier 1937. À ce flux important vers Fort Knox, vinrent s’ajouter trois
autres. D’abord, la réévaluation du prix de l’or à 35 $ l’once permettait aux
producteurs de rouvrir leurs mines moins rentables et de vendre leur or au
Trésor américain. Ensuite, avec la dévaluation du dollar, les exportations
américaines devenaient plus compétitives, améliorant mécaniquement la
balance des paiements et les entrées d’or. Enfin, le réarmement de la France
et de la Grande-Bretagne, induit par les menaces de l’Allemagne nazie,
entraînait le transfert des stocks d’or vers les États-Unis pour acheter des
matières premières et de l’armement. Ces quatre fleuves d’or se jetaient à
Fort Knox et à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le stock d’or
américain atteignait presque 20 000 tonnes. Jamais autant d’or n’avait été
rassemblé en un lieu unique.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Nazis et les Japonais se
livrèrent à une politique de pillage généralisée et méthodique des pays
occupés. Leurs efforts se portèrent sur les réserves d’or des pays occupés.
Ces crimes ont été poursuivis par le tribunal de Nuremberg à la fin de la
guerre. Si une grande partie de l’or a été rendu aux pays spoliés, un peu
moins de 100 tonnes n’a pas été restitué. La plus grande partie du stock a
été conservée par les pays neutres comme la Suisse, la Suède, le Portugal et
la Turquie qui ont pu garder une grande quantité d’or « blanchi » et vendu
par les nazis à l’occasion d’échanges commerciaux. Mais, tout n’a pas été
retrouvé, suscitant le mystère. Sur ce terreau d’or, d’exotisme et d’aventure,
les mythes prospèrent autour de nouveaux eldorados.

À la recherche des trésors nazis et japonais


Dans l’immédiat après-guerre, mêlant faits réels et fiction, le thème des
trésors perdus nazis et japonais commence à être exploité par Hollywood.
Depuis le film des Marx Brothers, A Night in Casablanca (1946), jusqu’aux
aventures d’Indiana Jones (Les aventuriers de l’Arche perdue, 1981 et
Indiana Jones et la Dernière Croisade 1989), de nombreux films plus ou
moins réussis jalonnent l’histoire du cinéma. L’un des plus célèbres
demeure Goldfinger dans lequel Bond utilise pour attirer Auric Goldfinger
une barre d’or nazie, possédée par la Banque d’Angleterre et provenant
34
d’une cache au fond du Lac Toplitz en Autriche . Au cours d’une partie de
golf, Bond la laisse tomber devant les pieds de Goldfinger qui, en
connaisseur, déclare qu’il s’agit d’une des 600 barres coulées en 1940 par le
fondeur Weigenhaler à Essen et perdues en 1944. Il demande à 007 s’il en
possède d’autres… La barre, qui représente 5 000 £, c’est-à-dire 14 000 $,
correspond précisément à 400 onces à 35 $ de 1964 (750 000 €) et devient
l’enjeu de la partie que gagne Bond… en trichant.
Dans le langage courant, barres d’or et lingots sont confondus et,
jusqu’au milieu du siècle dernier, étaient souvent utilisés indistinctement.
Actuellement, le terme de lingot s’applique au « petit » lingot de 1 kg qui
mesure en général 8 × 4 cm sur 1,8 cm d’épaisseur, tandis que la barre d’or
de 12,5 kg a pour dimensions 20 cm × 8 cm × 4,5 cm. Pour être plus précis,
les professionnels parlent de kilobar pour le lingot de 1 kg. Cette dernière
unité de mesure, utilisée par les banques centrales, est relativement
standardisée – même si les barres américaines conservent quelques
spécificités. Les barres européennes et soviétiques ont généralement une
section trapézoïdale qui permet de les saisir sans qu’elles glissent des
mains. À l’opposé, les barres d’or américaines de 400 onces ont des arrêtes
aiguës à angles droits sur le modèle de briques aux dimensions
35
standardisées de 17,8 cm × 9,2 cm × 4,5 cm . Elles portent un numéro de
fonte sur la tranche et leur titre sur le dessus.

Spécification des normes des barres d’or américaines / U. S Mint

La « barre bonne livraison » doit répondre aux normes du marché de


Londres : elle doit peser environ 400 onces (12,5 kg) à plus ou moins 10 %,
avoir un titre d’au moins 995 millièmes, avoir une « belle apparence » et,
enfin, être facilement manipulable et empilable. En outre, elle doit présenter
un numéro de série unique, son titre, l’année de fabrication et le poinçon de
l’essayeur agréé. La barre de Bond respecte toutes ces caractéristiques… En
revanche, le fondeur Weigenhaler d’Essen est parfaitement inventé et la
référence au lac Toplitz, même si elle est fictive, est très évocatrice. Au
cours de leur fuite, les nazis impliqués dans l’opération Bernhard
immergèrent des faux billets dans le lac autrichien. Cette fabrication de
fausses livres sterling qui visait à ruiner l’économie britannique par
l’hyperinflation n’aboutit jamais. Des billets furent néanmoins retrouvés
dans ce lac très profond jusque dans les années 1960 et il continue d’attirer
les chercheurs de trésor – près d’une dizaine d’entre eux a même trouvé la
mort en plongeant dans ses eaux glacées.
Les mythes des trésors nazis ont leur existence autonome et resurgissent
régulièrement à l’occasion d’un fait divers. Ainsi l’or de Brest fait partie de
la mythologie contemporaine – ou du dictionnaire des idées reçues. Ici, on
trouve tous les éléments constitutifs de la légende dorée : à la Libération, la
Banque de France tente de retrouver une caisse comptabilisée manquante
après l’évacuation de l’or en juin 1940. Lors du chargement sur un navire
de la Marine nationale dans la ville de Brest alors placée sous le feu de
l’armée allemande, des matelots auraient entendu le bruit d’une caisse
tombée à l’eau. Sur ces témoignages, la Banque fait sonder le port par des
scaphandriers 36… Les recherches s’avèrent infructueuses mais font l’objet
de commentaires dans la presse locale. Si l’or n’est pas là, c’est bien que
quelqu’un l’a pris ! De nombreuses autres rumeurs et légendes qui attirent
les chercheurs d’or naissent aussi à cette époque en France ou en Europe.
En Pologne, il s’agit du train complet d’or qui aurait été enterré dans la ville
de Walbrzych…
La légende moderne la plus fantastique est celle de l’or de Yamashita.
Selon la version la plus aboutie, les Japonais pressentant leur défaite
auraient dissimulé, sur ordre de l’Empereur, un trésor fabuleux dans
plusieurs caches secrètes enfouies dans la jungle et défendues par des
pièges mortels. Des cartes rédigées dans un ancien dialecte japonais
indiqueraient les emplacements… Certaines caches auraient été découvertes
après la guerre et auraient permis la constitution de grands empires
financiers, selon le principe de Vautrin qui veut que : « Le secret des
grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu’il a été
proprement fait 37. » Pour esquiver l’origine plus que douteuse de sa fortune,
Imelda Marcos, veuve de l’ancien président des Philippines notoirement
38
corrompu, a prétendu que sa richesse provenait du trésor .
Cette légende est séduisante en ce qu’elle comporte tous les ingrédients
de L’île au trésor de R. L. Stevenson. Elle est l’amalgame de plusieurs faits
historiques réels, à commencer par le pillage de l’Asie du Sud-Est et
notamment de la Chine par l’armée japonaise. De même, la personnalité et
le parcours du général japonais Tomoyuki Yamashita, surnommé « le tigre
de Malaisie », qui avait conquis Singapour et la Malaisie avant d’être
envoyé en Mandchourie et aux Philippines et d’être finalement exécuté
pour crimes de guerre en 1946 évoquent la figure du pirate des Caraïbes. La
géographie des Philippines, avec plus de sept mille îles aux cavernes
labyrinthiques au cœur dans la jungle tropicale, ne peut que parler à
l’imaginaire. Enfin, la relative impunité après-guerre de la classe politique
japonaise qui n’a pas connu l’équivalent de la dénazification en Allemagne,
ajoute au mystère.
La légende a tellement prospéré que de nombreux auteurs sont
persuadés que les Américains ont en réalité mis la main sur le trésor. Ce
dernier, placé dans les banques suisses sur un fonds secret – le Black Eagle
Trust – servirait à stabiliser le dollar et à financer, avec l’aide des yakusas,
39
les actions secrètes de la CIA . Ces théories, démenties par la logique et les
faits 40, ont nourri les fantasmes de générations de chercheurs de trésor 41
mais aussi d’escrocs 42. Comme le rappelle Bossuet : « Le plus grand
dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles
soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet 43. »

L’idéologie, le secret et la peur au cœur


de l’or de la guerre froide
Pendant la guerre froide, les représentations et l’imaginaire de l’or ont
évolué sous la double influence de l’opposition idéologique avec le monde
communiste et de son lien souterrain avec la bombe atomique.
L’Est a toujours manifesté un rapport ambivalent de fascination et de
répulsion vis-à-vis de l’or. Marx considérait déjà le précieux métal comme
une marchandise comme les autres et, en même temps, fondamentalement
44
différente . Pour Lénine, l’ambiguïté est encore plus forte :

Lorsque notre triomphe sera à l’échelle du monde, nous


construirons dans les rues de quelques-unes des plus grandes villes
du monde, des vespasiennes en or ; ça, j’en suis sûr. Ce serait la
façon la plus juste, la plus équitable et la plus instructive d’utiliser
l’or… Mais pour en arriver là, il faut que nous poursuivions notre
travail encore dix ou vingt ans… Pour le moment, notre devoir est
de ménager les réserves d’or des Soviets. Nous devons chercher à le
vendre le plus cher possible afin d’acheter au meilleur prix les
marchandises dont nous avons besoin. Il faut hurler avec les loups 45.

De fait, dans les pays du camp socialiste, l’or a joué le rôle de monnaie.
Après la révolution d’Octobre, la valeur du rouble-papier s’était effondrée.
En 1923, avec la NEP (Nouvelle politique économique), le gouvernement
soviétique fit frapper de nouvelles monnaies en or, les « tchervontsy », dont
le nom vient du russe « червонное золото » (tchervonnoye zoloto), c’est-à-
dire « or rouge ». Des billets libellés en tchervonets étaient aussi émis,
reprenant les pratiques tsaristes. Le rouble, comme dans les pays
46
capitalistes, était établi sur l’or qui devint par la suite le moyen de
règlement international pour l’URSS, y compris au sein du bloc
communiste. Ces décisions s’expliquaient par le fait que l’Union soviétique
était un important producteur du métal jaune.
Au XIXe siècle, les hauts plateaux de l’Altaï avaient connu une ruée vers
l’or. Par la suite, plus à l’est, de nombreux autres gisements aux conditions
d’exploitation difficiles avaient été trouvés 47. En particulier dans l’Extrême-
Orient soviétique, dans le bassin du fleuve Kolyma, de très importants sites
alluvionnaires et primaires avaient été prospectés. À partir des années 1930,
Staline décida d’exploiter ces mines situées à plus de 60° de latitude nord,
voire au-delà du cercle polaire. Un ingénieur géologue américain, John
D. Littlepage, fut recruté par les autorités soviétiques pour mettre en œuvre
leur exploitation industrielle avec les techniques les plus modernes. Cette
nouvelle « ruée vers l’or rouge » permit à la production soviétique, dans les
années 1930, de dépasser celle des États-Unis et de rattraper celle de
l’empire britannique 48. Après les purges staliniennes, l’exploitation des
mines reposa quasiment exclusivement sur le travail forcé et le système du
Goulag.
La dénonciation par l’Occident des crimes de la Kolyma et du système
concentrationnaire soviétique fut l’un des enjeux majeurs de la guerre
froide. Dès 1948, le général Anders, héros polonais de la Seconde Guerre
mondiale, évoque « la Kolyma » et ses horreurs 49. De larges extraits sont
repris par la presse démocrate-chrétienne. L’hebdomadaire Carrefour titre
« Kolyma : du sang et de l’or » et souligne : « Kolyma : un nom qui ne dit
rien à l’opinion occidentale. Et pourtant !… Kolyma, c’est le synonyme de
la mort lente et atroce. Voici une région arctique, sans doute la plus riche au
monde en gisements d’or : on en a fait un enfer gelé, où tout le travail est
accompli par des prisonniers politiques pour la plupart. C’est un cimetière
glacé, où reposent des centaines de milliers de malheureux 50. »
Et en même temps, la propagande soviétique dénonçait l’exploitation
51
capitaliste des mineurs. Le trésor de la Sierra Madre , chef-d’œuvre de
John Huston, illustre bien l’ambiguïté idéologique de l’or et de son
exploitation. Le précieux métal y symbolise classiquement l’avidité et le
mal, et Humphrey Bogart – qui tient le premier rôle – succombe à l’auri
sacra fames (« l’exécrable faim de l’or » de Virgile). Cette vision, conforme
à la morale traditionnelle et chrétienne, est « subvertie » par le discours du
52
vieux prospecteur. Ce dernier livre à l’inverse une définition marxiste :
« Un millier d’hommes, disons, partent à la recherche de l’or. Au bout de
six mois, l’un d’entre eux a de la chance. Un sur mille. Sa découverte
représente non seulement son propre travail, mais celui aussi des neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf autres. Cela fait six mille mois, cinq cents ans, à
retourner des montagnes, à avoir faim et soif. Une once d’or… vaut ce
qu’elle vaut […] à cause du travail humain qu’il a fallu y mettre pour la
trouver et l’extraire 53. » Cette référence au concept marxiste de la théorie de
la valeur était contraire au dogme classique du prix fondé sur l’équilibre
entre l’offre et la demande et suscita les questions de la commission
McCarthy qui interrogea John Huston et Humphrey Bogart sur leurs
convictions politiques.
À ces oppositions idéologiques, relativement classiques, la guerre froide
a ajouté une nouvelle dimension avec la bombe atomique, ses secrets et ses
peurs. Au-delà de l’aspect technique – l’or est utilisé dans la fabrication des
54
bombes thermonucléaires – ou du projet d’Eisenhower de remplacer l’or
par l’uranium comme base du dollar, les deux sont au cœur du conflit Est-
Ouest. Cette connexion souterraine fut entrevue par Alfred Fabre-Luce dans
son pamphlet L’or et la bombe, dans lequel le journaliste critiquait le
pouvoir gaulliste qui se complaisait dans ces « deux domaines de fiction ».
Fabre-Luce estimait ainsi que le « réalisme » du Général était en fait un
« romantisme » et mettait en parallèle « le pouvoir monétaire qu’on assigne
à l’or » et le pouvoir de « dissuasion qu’on prétend fonder sur la Bombe 55 ».
Cette dimension « narrative » commune réside dans le paradoxe de leur
emploi. En effet, tant les réserves d’or que la bombe ont vocation à ne pas
être utilisées ou, s’il n’y a pas d’alternative, en dernier recours. L’un et
l’autre représentent l’ultima ratio regum, le « dernier argument des rois ».
Khrouchtchev, Kennedy, Macmillan ou le général de Gaulle auraient pu,
comme Louis XIV qui avait fait inscrire la formule sur ses canons, la placer
sur leurs bombes A et H ainsi que sur le fronton de leurs banques centrales.
L’or et la bombe ont vocation à être enterrés et secrets. La dialectique de la
dissuasion, qu’elle soit militaire ou monétaire, consiste à garder secrètes ses
lignes rouges et ses forces tout en les mettant en scène. L’or et plus encore
la bombe qui sont couverts par le secret d’État 56 engendrent leurs propres
menaces. Pour reprendre la formule aronienne de paix impossible et de
guerre improbable : « Les États sont des monstres froids dont la loi est de
soupçonner toujours, de se combattre souvent et de se détruire parfois 57. »
Mais, pendant toute la guerre froide, la possibilité d’un Munich atomique a
toujours été exagérée tandis que la probabilité d’un Sarajevo nucléaire était
58
grandement sous-estimée … Dans le domaine monétaire, l’équilibre est
inatteignable et l’effondrement incertain.
Les protections accordées par les alliances OTAN ou FMI sont des
puissances par procuration : le parapluie nucléaire est le pendant de la
couverture-or du dollar. L’un et l’autre ne tiennent que par la confiance
qu’ils inspirent et la peur qu’ils conjurent. En 1946, l’ambassadeur des
États-Unis à Moscou, Georges Kennan, rédigea son fameux « long
télégramme » qui structura la doctrine stratégique des États-Unis vis-à-vis
de l’URSS pendant toute la durée de la guerre froide. Dans cette analyse de
la politique étrangère soviétique, il soulignait que Staline avait besoin d’un
ennemi permanent et qu’il percevait le monde extérieur comme
fondamentalement hostile. L’ « insécurité paranoïaque » (paranoid
insecurity) de l’URSS était le produit d’une longue histoire d’invasions
sporadiques de ses voisins, de trahisons et de retournements d’alliance. La
chute du Reich et l’occupation de ses anciens territoires par l’Armée rouge
avaient permis la création d’un glacis.
Symétriquement, pour les États-Unis, l’attaque de Pearl Harbor fit
entrer les États-Unis dans le temps des vulnérabilités (age of vulnerability).
Ce jour « marqué à jamais d’infamie », comme le qualifia Roosevelt, mit
fin à une certaine insouciance. Grâce à leur géographie et à leur isolement
continental, les Américains se sentaient protégés de la guerre. Leurs
derniers conflits terrestres – localisés et limités – remontaient au
e
XIX siècle : 1812 avec le Canada et 1846 avec le Mexique. À partir du

7 décembre 1941, les États-Unis vécurent dans la hantise d’être pris au


dépourvu. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils redoutèrent d’abord les
attaques maritimes des U-Boots puis les raids aériens. C’est pourquoi des
réseaux d’observation furent successivement mis en place autour des États-
Unis. Ces lignes d’alertes successives furent d’abord constituées
d’observateurs humains puis évoluèrent du fait des progrès techniques et
des menaces perçues. Au début de la guerre froide, la CIA avait estimé dans
son rapport « Top Secret » du 30 décembre 1950 que le risque principal
venait d’une bombe atomique soviétique apportée secrètement sur le sol
américain par sous-marin. Pour s’en prémunir, il fut décidé de construire un
réseau de capteurs et de microphones immergés (SOSUS) autour des États-
Unis 59. Avec le développement des bombardiers soviétiques, un réseau de
volontaires fut mis en place. Des chapelets de stations radars furent bâtis au
Canada pour guetter l’approche des bombardiers. Elles étaient organisées en
lignes de sentinelles successives : « Dew Line 60 », « Mid-Canada » et
« Pinetree Line ». Chaque ligne était placée dans un territoire plus
inhospitalier et plus reculé que la précédente. Cette escalade technologique
terrestre se doublait de son pendant maritime : des navires radars
patrouillaient en permanence au large des côtes américaines (picket lines) et
des radars fixes placés sur des plateformes pétrolières reconverties (Texas
towers), surveillaient les façades atlantique et pacifique des États-Unis.
Ce dispositif maritime et terrestre fut ensuite complété par la
surveillance aérienne et par les satellites d’observation. Durant la guerre du
Viêt Nam, McNamara fit développer un réseau dans la jungle, l’opération
« Igloo White », établissant un véritable limes américain, équivalent
moderne du mur d’Hadrien ou de la muraille de Chine. La même logique
paranoïaque se retrouvait dans le bloc communiste.
Périmètre de défense nord-américain,
NORAD, U.S. Air Force, 1962

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, tant les États-Unis que


l’URSS voulurent manifester leur hégémonie. Derrière leur assurance et
leur puissance se profilait une angoisse diffuse mais profonde héritée du
conflit. L’Europe, qui avait historiquement dominé les relations
internationales et diplomatiques, voyait l’émergence de deux « nouvelles
puissances militaires inexpérimentées sur le plan international 61 » aux
idéologies radicalement opposées. Il n’est pas anodin que cet antagonisme
existentiel soit à peu près contemporain de grandes œuvres littéraires
comme Le Désert des Tartares ou Le Rivage des Syrtes qui mettent en scène
des ennemis lointains et mystérieux. Sur le plan architectural, l’émergence
du courant brutaliste n’est probablement pas une coïncidence. Ces
constructions qui possèdent des liens de parenté avec les bunkers de la
Seconde Guerre mondiale, évoquent, comme le notait Virilio, « les
mastabas, les tombes étrusques et les structures aztèques ». Ces bâtiments
sont l’illustration d’une histoire de la guerre totale. Le mur de l’Atlantique
correspondait ainsi à « l’édification d’un espace religieux » destiné à
conjurer la peur du débarquement.
Sur le plan des mentalités, cette période n’est pas sans rappeler les
grandes peurs du Moyen Âge magistralement analysées par Jean Delumeau
qui rappelait que « dans l’Europe du début des Temps modernes, la peur
62
camouflée ou manifestée, est présente partout ». La fièvre obsidionale
américaine se déclina en croisade idéologique prêchée par McCarthy. Il en
résulta une véritable « pastorale de la peur », pour reprendre l’expression de
Delumeau, qui infusa dans toute la société. Les peurs de la damnation
communiste et de l’apocalypse nucléaire faisaient écho à celles des Turcs,
des sorcières et de Satan.
Comme la modernité dans l’Europe occidentale s’était accompagnée
d’une « incroyable peur du diable 63 », les années 1950 suscitèrent aux
États-Unis un climat anxiogène diffusé dans toutes les couches de la
population. Les dessins animés de Bert la Tortue apprennent aux enfants à
se protéger et à se mettre à l’abri avec le célèbre slogan « duck and cover »
(en boule et à couvert). Les citoyens sont appelés à construire dans leur
cave ou sous leur jardin des abris antiatomiques et à dénoncer leurs voisins
sympathisants communistes 64. Les champignons atomiques font partie du
quotidien. L’AEC (Atomic Energy Commission) vante, avec l’appui du
marketing et de la publicité, les bienfaits de l’atome. Le 22 avril 1952, un
essai nucléaire dans le Nevada est même retransmis en direct à la télévision.
À l’instar des comètes au Moyen Âge, le lancement réussi de Spoutnik est
perçu comme annonciateur de catastrophes. Le magazine Life, dans un
article intitulé « De bonnes raisons pour avoir peur 65 » détaille le plan de
conquête soviétique et compare les Américains aux anciens Romains se
prélassant aux thermes alors que les barbares étaient aux portes de Rome.
Rappelant l’excès de confiance qui fut fatal à la France, les États-Unis
étaient condamnés à devenir une république socialiste soviétique avant
1975… à moins d’un sursaut salutaire.
Les séries hollywoodiennes comme Mission impossible ou Les
Envahisseurs 66 soulignent la menace rouge. Comme le rappelle le générique
de cette dernière série : « Les Envahisseurs : ces êtres étranges venus d’une
autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but : en faire leur univers.
David Vincent les a vus. Pour lui, tout a commencé par une nuit sombre, le
long d’une route solitaire de campagne, alors qu’il cherchait un raccourci
que jamais il ne trouva. Cela a commencé par une auberge abandonnée et
par un homme devenu trop las pour continuer sa route. Cela a commencé
par l’atterrissage d’un vaisseau venu d’une autre galaxie. Maintenant, David
Vincent sait que les envahisseurs sont là, qu’ils ont pris forme humaine et
qu’il lui faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà
commencé… »
Seul l’humour grinçant du film de Stanley Kubrick Docteur Folamour
ou : Comment j’ai arrêté de m’en faire et appris à aimer la bombe (1964)
67
souligne l’absurdité de la situation . Dans ce contexte, toute déviation –
même légère – et toute critique – même légitime – laissent planer le
soupçon de l’hérésie et du schisme. Paradoxalement, les uniques critiques
tolérées sont celles qui viennent des faucons. Ainsi le général MacArthur,
limogé après avoir voulu utiliser la bombe atomique en Corée, se permet de
contester : « Notre gouvernement nous a perpétuellement maintenus dans
un état de peur – dans une transe patriotique – sonnant le tocsin d’un péril
imminent menaçant la nation. Il y avait toujours eu un terrible fléau dans le
pays ou une puissance étrangère monstrueuse qui allait nous engloutir si
nous n’acceptions pas sans discuter ses exigences financières exorbitantes.
Pourtant, rétrospectivement, ces catastrophes semblent ne jamais s’être
produites ni n’avoir jamais été tout à fait réelles 68. »
L’Angleterre, dès la Première Guerre mondiale, avait perdu son
invulnérabilité insulaire en subissant des bombardements d’avions et de
zeppelins allemands. Le Blitz de septembre 1940 à mai 1941 et les V1 et
V2 de 1944 avaient plus que confirmé la menace. L’Angleterre ne pouvait
que suivre l’exemple américain avec le réseau de radar ROTOR et la
construction secrète de milliers de bunkers couverts par l’Official Secrets
Act voté dans les années 1910 en réaction à la peur de l’espionnite aiguë
69
précédant la Première Guerre mondiale . Cependant, la peur est refoulée en
mettant en gloire l’empire britannique. Les séries télévisuelles de la BBC
comme Chapeau melon et bottes de cuir ou Le Prisonnier se situent dans un
registre décalé voire absurde. En France, la guerre froide est marquée par la
division politique droite-gauche. Pour éviter toute polémique, l’ORTF se
réfugie dans des sujets « apolitiques » comme Thierry la fronde ou Les
enquêtes du Commissaire Bourrel… Les Barbouzes abordent sur le mode
comique l’apocalypse nucléaire « en édition populaire » et les bombes
atomiques « de toutes les lettres de l’alphabet 70 ».
Cependant, le film le plus emblématique de cette période demeure
Goldfinger. Avec son réseau de surveillance et ses lignes défensives, Fort
Knox représente le cœur des États-Unis. Déjà, dans les années 1950, le
bâtiment cubique avait inspiré le coffre-piscine de l’Oncle Picsou 71, objet
de toutes les convoitises des frères Rapetout 72. Ces malfaiteurs tentent par
tous les moyens de dérober l’or de Picsou, aventurier-capitaliste 73, symbole
de l’Amérique. Leur absence d’identité propre et leur chemise rouge ont été
interprétées, par certains, comme les signes de leur idéologie communiste…
La notoriété mondiale de Fort Knox et de l’or américain découle en grande
partie de Goldfinger qui leur a donné une place centrale dans l’imaginaire
mondial.

Goldfinger et Fort Knox


Goldfinger, le troisième épisode de la série James Bond, après James
Bond contre Dr No (1962) et Bons baisers de Russie (1963), sort sur les
écrans américains le 22 décembre 1964 et deux mois plus tard, le 18 février
1965, en France. Le célèbre 007 est aux prises avec Auric Goldfinger, un
criminel qui veut s’en prendre à l’or des États-Unis. Par un télescopage du
calendrier, la sortie du film coïncide avec la conférence de presse du général
de Gaulle. La presse américaine assimile ce dernier au méchant du film et
les caricaturistes croquent « Gaullefinger » ou Rueff sous les traits de
Goldfinger. Ce film qui reçut un oscar en 1965 est devenu mythique.
Caricature d’Herbert Block (« Herblock »)
publiée dans le Washington Post du 2 mars 1965 /
The Herblock Gallery, Simon and Shuster, 1968, p. 29

L’évolution de son scénario est un peu tortueuse mais mérite d’être


rappelée tant elle est emblématique du contexte historique. Le romancier
Ian Flemming, qui invente le personnage de James Bond, s’inspire de sa
propre histoire et d’un projet d’opération secrète de la Seconde Guerre
mondiale. L’écrivain, ancien correspondant de guerre en URSS est affecté
comme capitaine de corvette (lieutenant commander) à la Naval
Intelligence pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y fait notamment
connaissance du fondateur de la British Security Coordination (BSC), en
charge, jusqu’à l’entrée en guerre des États-Unis, de piloter l’action
clandestine aux Amériques. Or, à l’été 1940, la BSC monte une opération
pour permettre aux gaullistes de s’emparer des 225 tonnes d’or de la
Banque de France mis en sécurité à la Martinique 74. Ce plan, baptisé du
nom de code « Asterisk », devait se dérouler en trois temps. D’abord, les
troupes vichystes de l’amiral Robert à Fort-de-France devaient être
neutralisées par les forces gaullistes avec la complicité de l’agent secret
75
infiltré du BSC, Jacques Vauzanges , un industriel français dont le nom de
code était « V ». Ensuite, un commando devait s’emparer de l’or conservé
dans les casemates souterraines du fort Desaix. Enfin, l’or devait être
76
embarqué sur un croiseur auxiliaire britannique . Après l’échec de
l’opération « Menace » qui visait la prise de Dakar et dont l’un des objectifs
principaux était la capture de l’or français stocké en Afrique, l’opération
« Asterisk » fut annulée.
En 1959, Ian Flemming décida de situer le septième tome des aventures
de James Bond autour de l’or. S’inspirant de l’opération « Asterisk », il
imagine un complot soviétique machiavélique pour s’emparer de l’or de la
réserve fédérale américaine. Auric Goldfinger, le trésorier des services
secrets soviétiques (p. 47), veut dévaliser Fort Knox en utilisant une petite
bombe atomique tactique américaine pour éventrer le coffre. Dans son plan,
il veut charger l’or sur un train et l’acheminer jusqu’à Norfolk où attendrait
un croiseur de guerre russe pour une brève escale technique. De là, l’or
serait transféré jusqu’au port soviétique de Cronstadt sur la Baltique… Pour
placer le contexte, Flemming envoie même son héros à la Banque
d’Angleterre pour y recevoir un petit cours sur l’or et fait dire à « M », le
chef du MI6 : « Je n’ai jamais compris grand-chose à ces questions de
hausse ou de baisse de la livre et j’ai toujours cru que sa valeur était fixée
par notre travail et par notre effort à tous, non pas par la quantité d’or que
nous avions en réserve dans nos caves, dit M pensif. Les Allemands
n’avaient plus beaucoup d’or après la guerre. Regardez où ils en sont
aujourd’hui, dix ans après 77. »
Les aventures de James Bond, peu connues, accédèrent à la notoriété
mondiale lorsque Kennedy, fraîchement élu, accorda une interview au
magazine Life (17 mars 1961) et confia que le roman de Flemming Bons
baisers de Russie faisait partie de ses dix livres favoris. Les œuvres de
Flemming connaissent alors le succès et sont adaptées au cinéma par
Hollywood. À la fin de 1963, le scénario de Goldfinger est alors réécrit, la
référence directe aux Soviétiques est supprimée et l’objectif du personnage
est légèrement modifié. Dans la scène mythique qui se déroule devant une
maquette de Fort Knox et qui sera reprise par les caricatures américaines
antigaullistes, Goldfinger détaille son plan à James Bond qu’il a fait
prisonnier. L’agent secret britannique objecte que l’opération Grand Chelem
(Grand Slam) ne peut pas marcher car le déplacement des 13 000 tonnes
78
d’or nécessite au minimum 12 jours, or Goldfinger ne dispose tout au plus
que de 12 heures avant que toute l’armée américaine ne lui tombe dessus. Il
rétorque à Bond : « Qui vous a dit qu’il allait être enlevé ? » Interloqué,
l’agent s’interroge : mais alors pourquoi organiser ce cambriolage ?
Satisfait de lui, Goldfinger glisse alors qu’il possède un « dispositif
atomique » petit mais « particulièrement sale » et fourni par la Chine…
James Bond comprend alors qu’il s’agit d’une bombe sale à l’iode et au
cobalt qui va contaminer et rendre radioactive toute la réserve fédérale
jusqu’en 2022 (58 ans). Goldfinger conclut qu’ainsi la valeur de son propre
or sera décuplée… James Bond, qui s’incline devant ce plan « brillant »,
réussit, après de multiples rebondissements, à désactiver la bombe
7 secondes avant son explosion.
Le réalisme du plan de Goldfinger a suscité des débats chez les
économistes. Pour certains 79, le plan était complètement irréaliste car l’or et
l’économie américaine auraient survécu sans encombre grâce aux forces du
80
marché. Pour d’autres , il était tout à fait plausible mais inutile, car si
Goldfinger avait fait sienne la morale « patience et longueur de temps font
mieux que force ni que rage », il aurait en toute quiétude et sans risque
décuplé la valeur de son stock d’or : en 1979, le cours de l’once dépassait
les 350 $ ! Des physiciens se sont aussi opposés sur la nature de la bombe.
Pour certains 81, il s’agit d’une vraie bombe atomique dopée au cobalt. Ce
type d’engin, la « bombe C » ou l’« arme de l’apocalypse », imaginé dans
82
les années 1950 par le physicien Leo Szilard engendrait du cobalt-60 au
cours de la fission. Cet isotope extrêmement radioactif du cobalt était
ensuite dispersé sous forme de poussières qui retombaient à la surface du
sol. Sur les zones contaminées toute vie était impossible pendant plusieurs
dizaines d’années. Quelques dizaines de bombes assez puissantes
suffisaient à éradiquer toute vie sur terre. Stanley Kubrick en fit le thème
principal de son film Docteur Folamour (1964). Mais dans Goldfinger, la
portée de cette arme était limitée à Fort Knox et ce ne serait qu’après une
83
cinquantaine d’années que l’or pourrait être récupéré. Pour d’autres , la
bombe de Goldfinger ne pouvait pas être une vraie bombe atomique car une
explosion nucléaire vaporiserait instantanément l’or de Fort Knox. Ce
devait juste être une charge explosive ordinaire dispersant du cobalt 60
radioactif…
De même, l’intérieur de la salle forte a donné lieu à de multiples
interrogations. Le gigantesque entrepôt semi-enterré entre cathédrale et
prison imaginé par le chef décorateur, Ken Adam, frappe l’imagination. Son
architecture moderniste qui mêle expressionnisme et style international, est
une réussite esthétique mais ne reflète nullement la réalité de Fort Knox.
Comme le reconnaît K. Adam, s’il a pu accéder sans difficulté à l’extérieur
84
de la réserve, l’intérieur lui a été refusé . Contrairement aux réserves d’or
de la Federal Reserve Bank à New York qui peuvent être visitées et dont les
plans de constructions initiaux sont consultables, le secret est total pour Fort
Knox.
Les quelques rares informations distribuées au compte-goutte par le
Trésor américain laissent entrevoir une architecture nettement moins
théâtrale que celle du film. Selon les sources officielles 85, l’or est conservé
de façon compacte dans une douzaine de chambres individuelles au sein
d’une salle forte de l’ordre de 400 m², sur deux niveaux de stockage en
sous-sol. Une porte blindée de 20 tonnes, à la surface, défend l’accès. Cette
description proche de la réalité pèche très certainement par omission. En
effet, le scénario de Goldfinger qui repose sur l’utilisation d’une bombe
atomique contre Fort Knox, est tout sauf absurde. La réserve américaine
devait constituer l’une des cibles prioritaires d’une attaque thermonucléaire
soviétique. La destruction de l’or des États-Unis les aurait considérablement
affaiblis sur le plan économique. De plus, le dollar aurait de facto perdu sa
couverture-or et une partie de la confiance qui en découlait. Dans la partie
d’échecs entre Washington et Moscou, il est évident que les stratèges
américains étaient parfaitement conscients de cette vulnérabilité et qu’ils
ont agi en conséquence.
En 1936, lors de construction du dépôt, l’or devait être stocké en surface
ou de façon semi enterré. Ce choix se justifiait par des raisons de logistique
et de sûreté. En effet, le poids de l’or et les contraintes de déplacement
imposent de limiter le nombre de niveaux et la plupart des réserves d’or des
banques centrales sont de plain-pied. À l’époque de la construction, les
principales menaces étaient le creusement d’un tunnel ou une attaque à
l’explosif. C’est pourquoi, le bâtiment est situé au centre d’un vaste glacis à
l’intérieur d’un camp militaire. Le stockage de l’or de façon compacte
participe à la défense du lieu : les murs d’or défléchissent les explosions et
rendent extrêmement dangereux voire impossible le percement d’un tunnel
par le plancher. Ce choix ingénieux présente néanmoins deux
inconvénients : d’une part le déplacement de l’or est malaisé et prend du
temps, d’autre part, il impose de renforcer considérablement la structure
porteuse pour résister au poids de l’or. À fort Knox, la résistance au sol
atteint voire dépasse les 50 tonnes au m² alors qu’elle est de l’ordre de 10
tonnes pour les salles fortes de la Banque de France ou de la Banque
d’Angleterre et de 500 kg pour un immeuble ordinaire. Le choix d’enterrer
les salles fortes de la Federal Reserve Bank de New York ou de la Banque
de France s’explique par d’autres considérations. Pour la première, la
morphologie du sous-sol de Manhattan imposait de faire reposer les
fondations de tous les gratte-ciel sur la couche de schiste dur qui se trouve à
35 mètres de profondeur. En outre, vu le prix du terrain, il eut été absurde
de placer une salle des coffres par nature sans fenêtres, en surface. C’est
pourquoi les réserves de la Fed furent placées au cinquième sous-sol à
25 mètres de profondeur 86. Pour la Banque de France, le souvenir des
bombardements aériens et de la Commune de Paris joua aussi dans la
décision d’enterrer profondément les réserves (29 mètres).
L’or de Fort Knox devait ainsi être disposé en rangées jointives de
« briques » de 12,5 kg montant jusqu’à 2,50 mètres de hauteur. Au début de
la guerre froide, 20 000 tonnes d’or étaient conservées sur place – ce qui
représente deux fois le poids de la tour Eiffel pour un volume de 1 000 m3.
Ce stock, qui représente un cube de 10 mètres de côté, était réparti dans une
douzaine de chambres fortes d’une superficie de 400 m².
Les explosions en 1949 de la première bombe atomique soviétique et en
1952 de la première bombe thermonucléaire américaine firent entrer Fort
Knox dans le temps des vulnérabilités. Une bombe H sur Fort Knox aurait
vaporisé l’or des États-Unis… En effet, la première bombe H américaine
Ivy Mike détruisit en large partie l’atoll d’Enewetak en creusant un cratère
87
de plus de 50 mètres de profondeur . Dans ce contexte, il était exclu que
les États-Unis ne réagissent pas. Transférer l’or de Fort Knox ailleurs n’était
pas une solution, l’or restait tout aussi vulnérable, cela n’aurait fait que
déplacer le problème. La seule solution était de l’enterrer, sous le site initial,
à grande profondeur, hors d’atteinte des bombes H soviétiques. Même si
aucun document officiel ne confirme cette hypothèse, il est quasiment
certain que, à l’instar des sites de secours de la Federal Reserve enterrés à
près de 300 m de profondeur, les autorités américaines firent forer un puits
et une nouvelle chambre forte à plusieurs centaines de mètres sous le site
d’origine. La construction a pu être réalisée secrètement au cours des
années 1950 dans la mesure où la réserve d’or est située au cœur d’un vaste
terrain militaire. Il est probable que la construction remonte à 1953, date à
laquelle, selon l’US Mint, un audit fut réalisé et l’accès aux chambres fortes
interdit. Il est donc très vraisemblable que le complexe de Fort Knox se
décompose en deux niveaux, le premier situé en surface ou semi-enterré –
construit dans les années 1930 – et le second à grande profondeur,
probablement entre 300 et 500 mètres, les deux niveaux étant reliés par un
ascenseur construit sur le puits de mine. Aucun détail n’a jamais été
communiqué. Le personnel qui est autorisé à y pénétrer est soumis au secret
et doit s’engager par écrit à ne jamais divulguer les informations dont il a
connaissance au risque de très lourdes peines de prison. Il est intéressant de
noter, et ce n’est probablement pas un hasard, que les autorités monétaires
américaines parlent pour les réserves d’or de Fort Knox de stockage
88
profond en lui donnant le sens de réserves comptablement dormantes …
En 1973, un complotiste américain, Peter Beter publia un livre intitulé
89
Le complot contre le dollar dans lequel il prétendait que 20 milliards de
dollars en or avaient été secrètement détournés de Fort Knox. Pour rétablir
la confiance, le président Nixon décida d’ouvrir une des 13 chambres fortes
contenant de l’or aux membres du Congrès et à la presse. L’affaire du
Watergate et la démission de Nixon firent que cette décision fut annoncée
par Gerald Ford quelques semaines après sa prise de fonction. Dans un
communiqué de presse du 20 septembre 1974, la directrice de la Monnaie
(US Mint) indique que l’or sera montré au public « une fois les toiles
90
d’araignées enlevées ». Après cette visite, les portes seront refermées et la
politique antérieure d’interdiction totale des visites reprendra. L’opération
fait la une des médias et l’une des treize chambres construites en 1936 de
Fort Knox est ouverte, photographiée et même filmée. Les photographies
91
qui montrent une chambre forte tapissée de barres d’or rassurent le public .
L’opération de communication est un succès. Il est très vraisemblable que
les 450 tonnes (36 263 barres) de cette chambre en surface furent remontées
pour l’occasion. En effet, l’or demeurait conservé en profondeur car, faut-il
le rappeler, cette opération se déroulait en pleine guerre froide et il ne fallait
à aucun prix donner d’indications sur l’existence d’un niveau inférieur.
Après la visite, l’or fut naturellement redescendu en profondeur.
Plus de quarante ans plus tard, en 2017, la guerre froide achevée, le
secrétaire d’État au Trésor Steven Mnuchin accompagné de sa jeune épouse
et du sénateur Mitch McConnell firent une visite controversée à Fort
Knox 92. Ils souhaitaient voir les réserves d’or et surtout admirer depuis le
toit du dépôt une éclipse totale de Soleil visible seulement dans cette partie
des États-Unis. Des citoyens américains opposés à l’administration
républicaine demandèrent à avoir accès aux documents administratifs au
93
titre du Freedom of Information Act . Les documents rendus publics furent
censurés des parties sensibles. Cependant, en lisant entre les lignes des
comptes rendus expurgés et caviardés ainsi que la réponse officielle, on
peut inférer l’existence du niveau secret à grande profondeur. En particulier,
l’emploi du temps prévoit plus de 10 minutes à l’aller comme au retour
pour se déplacer (théoriquement) de quelques mètres (voir le déroulé de la
visite). Le dernier mystère de Fort Knox résume à lui seul le lien entre l’or
et la guerre froide. Mais comme l’écrivait Racine : « Il n’est point de secrets
que le temps ne révèle 94… »
Déroulé de la visite VIP à Fort Knox
du 21 août 2017, FOIA
Conclusion

La guerre froide ne s’est pas arrêtée avec la fin du système de Bretton


Woods, mais l’or a perdu sa place centrale et le pétrole est devenu la
matière première par excellence. Les champs pétrolifères ont ainsi remplacé
les mines du fabuleux métal de Cipango. Les pays du Golfe ont acquis une
position stratégique et ont relégué les réserves d’or à l’arrière-plan. Pendant
les deux décennies suivantes, l’or s’est banalisé, devenant une matière
première presque comme les autres.
La fin de la guerre froide a permis de « solder » les derniers dossiers
issus de la Seconde Guerre mondiale. La Banque de France a ainsi pu
restituer intactes à la Lituanie les 2 tonnes d’or que cette dernière lui avait
déposées en 1939. De même la Gold Tripartie Commission qui avait été
créée en 1946 procéda cinquante après au dernier versement à l’Albanie 1.
Ses comptes furent définitivement clôturés en août 1998 : le Trésor français
reçut pour solde de tout compte cinq barres d’or, dont deux retrouvées après
la chute du Mur 2. Ces deux barres qui n’avaient pas été refondues portent
toujours la marque de la Monnaie prussienne, l’estampille nazie et la date
fictive de 1938 3. Vestiges de cette époque révolue, elles témoignent du
crépuscule de l’or.
À l’approche de l’an 2000, l’or passa de mode. Les banques centrales
les plus modernes ne voulaient plus détenir la relique barbare. De plus, sa
valeur refluait continûment depuis le pic du début des années 1980 et les
années de forte inflation. Cette matière première aux cours volatils et qui ne
rapportait rien était beaucoup moins intéressante que les actifs sophistiqués
et rémunérateurs proposés par l’ingénierie financière. La Banque
d’Angleterre, après les années Thatcher et l’essor des marchés financiers,
décida de vendre les deux tiers de ses réserves d’or, tandis que la Suisse
envisageait de réduire drastiquement les siennes. Devant cette désaffection
et pour éviter une chute brutale des cours, un accord international fut signé
en 1999 à Washington pour restreindre les ventes d’or des banques
centrales.
En 2004, sous la présidence de Jacques Chirac, le ministre des Finances
Nicolas Sarkozy et le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer
décidèrent de suivre le mouvement et de vendre 550 tonnes sur les 3 000
qui constituaient les réserves françaises. Le produit de cette cession devait
être placé en devises afin d’obtenir un revenu supplémentaire permettant de
réduire le déficit public 4. La crise financière de 2008 mit fin à cette
stratégie qui fut critiquée a posteriori par la Cour des comptes dans son
rapport de 2012. Après la réunification de la RDA et de la RFA,
l’Allemagne décida de rapatrier l’or qu’elle détenait à l’étranger,
notamment en France 5. Ce transfert met un terme symbolique au cycle
ouvert par la guerre froide. Pour autant, annoncer la fin de l’or et de la
guerre froide serait sans doute aussi présomptueux qu’annoncer la fin de
l’histoire.
Remerciements

Tous mes remerciements vont à François de Coustin qui m’a amicalement


pressé, poussé, soutenu dans la rédaction de cet ouvrage. Ensuite à mes
collègues du Service du Patrimoine et des Archives, Françoise Pradeux,
Alice Perrin, Fabrice Reuzé, Frédérik Grelard, et Patrice Denis, grâce à
leurs bases de données et à leur connaissance encyclopédique des fonds
d’archives de la Banque de France. Last but not least, thanks to Geneviève,
Emmanuelle, Noémie & Henry for supporting me et m’avoir supporté.
Retrouvez toutes les nouveautés et les essentiels des Éditions
du Cerf :

www.editionsducerf.fr
1. Walt ROSTOW, The Diffusion of Power, New York, Macmillan, 1972, p. 235. Cité par Pierre
MÉLANDRI, Une incertaine alliance : Les États-Unis et l’Europe (1973-1983), Paris, Éditions de
la Sorbonne, 1988.
2. Practical pig, les autres sont Fifer et Fidler.
3. Hubert ZIMMERMANN, Money and Security: Troops, Monetary Policy, and West Germany’s
Relations with the United States and Britain, 1950-1971, Cambridge University Press, 2002.
Hubert ZIMMERMANN, « The Sour Fruits of Victory: Sterling and Security in Anglo-German
Relations during the 1950s and 1960s », Contemporary European History, 9, 2, 2000.
4. Francis J. GAVIN, « The Gold Battles within the Cold War: American Monetary Policy and
the Defense of Europe, 1960-1963 », Diplomatic History, Vol. 26, N° 1 (hiver 2002), p. 61-94.
Francis J. GAVIN, Gold, Dollars and Power, The Politics of International Monetary Relations,
1958-1971, University of North Carolina Press, 2007.
5. Paul VOLCKER et Toyoo GYOHTEN, Changing Fortunes: The World’s Money and the Threat
to American Leadership, Times Books, 1992. Cité par Michael D. BORDO, Dominique SIMARD
et Eugene N. WHITE, France and the Breakdown of the Bretton Woods International Monetary
System, International Monetary Fund, Research Department, WP/94/128, 1994.
6. Garret Joseph MARTIN, General de Gaulle’s Cold War: Challenging American Hegemony,
1963-68, Berghahn Books, 2013, p. 3 : « These bastards just live off the fat of the land and spit
on us every chance they get. »
Voir aussi John Lewis GADDIS, La guerre froide, Belles Lettres, 2019, p. 175 et passim.
7. « I know that my Redeemer liveth » dans Gordon L. WEIL & Ian DAVIDSON, The Gold War,
London, Secker & Warburg, 1970, p. 74.
8. Patricia DILLON, « La stratégie monétaire internationale de Charles de Gaulle », De Gaulle
en son siècle, moderniser la France (tome III), Plon, 1992, p. 130-141.
9. Éric MONNET, « Une coopération à la française. La France, le dollar et le système de Bretton
Woods, 1960-1965 », Histoire@Politique, 2013/1 (no 19), p. 83-100.
10. Francis J. GAVIN, « The Gold Battles within the Cold War: American Monetary Policy and
the Defense of Europe, 1960-1963 », Diplomatic History, Vol. 26, N° 1 (hiver 2002), p. 61-94,
p. 61.
1. Dessinée par le graphiste F.H.K. Henrion en 1944.
2. Selon la traduction du général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre, Éditions de la Pléiade,
p. 763.
3. Edward R. STETTINIUS, Roosevelt and the Russians – The Yalta Conference, New York,
Doubleday and Co, 1949.
4. Georges-Henri SOUTOU, La Guerre froide 1943-1990, Pluriel, 2001, p. 93.
5. Jenny RAFLIK-GRENOUILLEAU, La IVe République et l’Alliance atlantique, Influence et
dépendance (1945-1958), Presses Universitaires de Rennes, 2013, Introduction de Robert
FRANK.
6. Georges-Henri SOUTOU, « France and the Cold War, 1944-63 », Diplomacy & Statecraft,
Vol. 12, N° 4 (décembre 2001), p. 35-52, p. 44.
7. Filippo OCCHINO, Kim OOSTERLINCK et Eugene N. WHITE, « How Much Can a Victor Force
the Vanquished to Pay? France under the Nazi Boot », The Journal of Economic History, Vol.
68/1, mars 2008.
e
8. Jean-Pierre PATAT et Michel LUTFALLA, Histoire monétaire de la France au XX siècle,
Economica, 1986, p. 91 et p. 100.
9. André ISTEL, « L’or et le franc, Esquisse d’une politique économique et financière française
dans le cadre international », conférence du 21 octobre 1944.
10. Andrew KNAPP, Les Français sous les bombes alliées 1940-1945, Tallandier, 2012.
e
11. Gérard-François DUMONT, « La population de la France au XX siècle : un bilan
extraordinairement contrasté », Population et avenir, 2000, p. 4-9.
12. Jean-Pierre PATAT et Michel LUTFALLA, op. cit., p. 91.
13. Didier BRUNEEL, « Prélèvements à la veille de la Libération dans les succursales de la
Banque de France », Cahier anecdotique no 10, p. 137 et passim.
14. Jean-Claude CAMUS, Billets en guerre, Autrement, Paris, 2019, p. 87.
15. Jean-Pierre PATAT et Michel LUTFALLA, op. cit., p. 104.
16. Arnaud MANAS, « Les signes monétaires de l’État français, La numismatique et l’art du
billet au service de Vichy ? », Revue numismatique, Vol. 170, 2013, p. 473-502.
17. Rapport de Pleven à de Gaulle (KOCH, op. cit., p. 23).
18. Charles DE GAULLE, Mémoires de guerre. Le Salut, Éditions de la Pléiade, p. 706.
19. « L’échange des billets », Le Monde, 4 juin 1945.
20. Frédéric CHARPIER, Les valets de la guerre froide, comment la République a recyclé les
collabos, François Bourin Éditeur, 2013, p. 181-182.
21. Jean-Pierre PATAT et Michel LUTFALLA, p. 116.
22. Arnaud MANAS, L’or de Vichy, Vendémiaire, 2016.
23. Ibid.
24. Greg BRADSHER, « Nazi Gold: The Merkers Mine Treasure », Prologue Magazine, National
Archives and Record Administration (NARA), printemps 1999, Vol. 31, no 1.
25. Une photographie de l’estampille (1 cm de haut × 2 cm de large) figure dans Didier
BRUNEEL, Les secrets de l’or, Paris, Le Cherche-Midi, 2012, p. 158.
26. Gérard CORNU, « Le drame de l’or belge », Cahier anecdotique no 12, note 1, p. 135. Cette
version est discutée par D. BRUNEEL, « La mission Raffegeau », Cahier anecdotique no 37,
p. 151-168.
27. Ian K. T. SAYER, Nazi gold, The Story of the World’s Greatest Robbery, Mainstream
Publishing, 2003 p. 32.
28. Robert FRANK, « Contraintes monétaires, désirs de croissance et rêves européens (1931-
1949) », dans Patrick FRIDENSON et André STRAUS, Le Capitalisme français XIXe-XXe siècles,
Fayard, 1987, p. 298.
29. George M. TABER, Chasing Gold, The Incredible Story of How the Nazis Stole Europe’s
Bullion, Pegasus book, 2014, p. 158-171.
30. George M. TABER, Chasing Gold, The incredible story of how the Nazis stole Europe’s
bullion, New York, Pegasus book, 2014, p. 333-354 et Didier BRUNEEL, « L’or soviétique durant
la Seconde Guerre mondiale », Cahier anecdotique de la Banque de France, no 41, p. 127-128.
31. De LITTRA, Le Marché des Monnaies d’Or de 1900 à nos Jours, Paris, de Littra, 1951,
p. 55.
32. Robert FRANK, « Contraintes monétaires, désirs de croissance et rêves européens (1931-
1949) », dans Patrick FRIDENSON et André STRAUS, Le Capitalisme français XIXe-XXe siècles,
Fayard, 1987.
33. « To move the financial center of the world from London and Wall Street to the United
States Treasury, and to create a new concept in international finance », Richard N. GARDNER,
Sterling-Dollar Diplomacy, Anglo-American Collaboration in the Reconstruction of
Multilateral Trade, Oxford, Clarendon Press, 1956, p. 76.
34. Gérard BOSSUAT, « La France et le FMI au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les
raisons de la tension », dans La France et les institutions de Bretton Woods, 1944-1994, Paris,
CHEFF, 1998, p. 15-34, p. 18.
35. Ibid., p. 15.
36. Benn STEIL, The Battle of Bretton Woods, John Maynard Keynes, Harry Dexter White, and
the Making of a New World Order, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 233.
37. Actes de la conférence de Bretton Woods 22 juillet 1944. Annexe A.
38. G. BOSSUAT, op. cit., p. 17.
39. G.-H. SOUTOU, op. cit., p. 107.
40. R. OVENDALE, « Britain, the U.S.A and the European Cold War 1945-1948 », History,
University College of Wales, Aberystwyth, 1982, p. 217-218.
41. Michael D. BORDO, « The Bretton Woods international monetary system: An historical
overview », NBER, 1993.
42. Jacques RUEFF, Le lancinant problème des balances de paiements, Payot, 1965.
43. Paris-Matin, article de Jean CHARENTE, 17-18 février 1946.
44. Proposition de loi tendant à rétablir la situation des possesseurs d’or en Grande-Bretagne
dont les avoirs ont été réquisitionnés par le gouvernement français en vertu d’une application
exceptionnelle des termes de la loi du 26 décembre 1945, du décret du 4 juin 1946 et de l’avis
no 228 de l’Office des changes, Assemblée nationale, première législature, session de 1949.
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 janvier 1949.
45. De LITTRA, Le Marché des Monnaies d’Or de 1900 à nos Jours, Paris, de Littra, 1951,
p. 52.
46. Ibid., p. 54.
47. François CARON, « Le plan Mayer : un retour aux réalités. Trois personnalités de l’après-
guerre face à l’action (1945-1946) », Histoire, économie et société. 1982, 1re année, no 3, p. 423-
437.
48. Voir BOSSUAT, p. 99 et passim.
49. Gérard BOSSUAT, « Chapitre 2. Le plan Marshall dans la modernisation de la France »,
Serge BERSTEIN (Éd.), L’année 1947. Presses de Sciences Po, 1999, p. 45-73.
50. John S. HILL, « American Efforts to Aid French Reconstruction between Lend-Lease and
the Marshall Plan », The Journal of Modern History, Sept., 1992, Vol. 64, N° 3 (Sept., 1992),
p. 500-524, p. 504.
51. Didier BRUNEEL, « Les expéditions d’or aux États-Unis septembre-octobre 1947 », Cahier
anecdotique de la Banque de France no 41, p. 199.
52. La pièce de 20 $ or contenait 30 grammes d’or fin soit 0,96 once (Troy) d’or fin valorisé
33,86 $ au cours officiel de 35 $ l’once (Troy).
53. Ibid., p. 122-126.
54. CHARPIER, op. cit., p. 181.
55. Capitale pendant la guerre du gouvernement de Tchang Kaï-chek (voir Jean TRICART,
« L’évolution économique de la Chine au cours de la Seconde Guerre mondiale », dans
L’information géographique, Vol. 11, no 2, 1947. p. 44-49).
56. René SÉDILLOT, Les secrets du marché de l’or, Recueil Sirey, 1948.
57. [Secret] National Advisory Council Staff, Draft N° 304 June 1, 1949 (Action Sheet) Subject:
Sale of Gold Sovereigns to the Greek Government.
58. Murray Teigh BLOOM, Money of their own: the great counterfeiters, Scribner, 1957, p. 57,
66.
59. Arthur N. YOUNG, « Saudi Arabian Currency and Finance », Middle East Journal, Vol. 7,
N° 3 (été 1953), p. 361-380.
60. Note du 4 décembre 1948 de la Direction du Contentieux au gouverneur de Bletterie,
archives de la Banque de France (ABdF).
61. Lettre de R. Mayer, ministre des Finances, à Wilfrid Baumgartner, gouverneur de la Banque
de France, en date du 30 octobre 1951.
62. Note du 13 octobre 1955, « millésimes des pièces de 20 F, nouvelle frappe » Koszul.
63. Compte rendu de la réunion du 10 janvier 1951, « Frappes de pièces d’or par l’hôtel des
monnaies », réunion à la Direction des Finances extérieures, Secret.
64. Reprise de la frappe (aide-mémoire) Koszul, 27/8/1951.
65. Question Raymond Dronne, député RDS (Réformateurs Démocrates Sociaux) de la Sarthe.
66. 27492 – 4 avril 1976 : Question de M. Dronne, séance du 26 mai 1976, Assemblée
nationale, JO 3520. Réponse de M. Jean-Pierre Fourcade.
67. 1951 : 2 134 000 pièces, 1952 : 3 446 500, 1953 : 6 602 000, 1954 : 6 555 000, 1955 :
6 553 000, 1956 : 8 447 000, 1957 : 1 322 000, 1959 : 1 463 000, 1960 : 961 000. Soit au total
37 685 859 napoléons à 5,80644 g d’or fin (218 820 679 g).
68. BLOOM, op. cit., p. 71.
69. Philippe THÉRET et al., Le Franc, Les Monnaies, les archives, CGB numismatique Paris,
2019, p. 778.
70. Lettre du Directeur des Monnaies au Caissier général du 28 novembre 1967 (ABdF).
71. Note confidentielle de R. Tondu du 6 décembre 1968 (ABdF).
72. Les Tontons flingueurs. Georges Lautner, Gaumont, 1963, dialogues Michel Audiard.
73. BRI, 1947, p. 111.
74. Patrice BAUBEAU, « “Parole d’argent et emprunt or” Antoine Pinay face au “mythe”
Poincaré », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2010/4, no 108, p. 127-140.
75. Jacques ALLAIN, « Pourquoi l’or baisse », Démocratie nouvelle, janvier 1954.
76. AP, « Mercury Made into Gold in an Atomic Experiment », New York Times, 28 novembre
1949.
77. Fonds monétaire international. En ligne :
https://www.imf.org/external/np/exr/center/mm/eng/mm_dr_01.htm
78. Jorge FODOR, « The Origin of Argentina’s Sterling Balances, 1939-43 », dans Guido DI
TELLA, Rudiger DORNBUSCH (Éd.), The Political Economy of Argentina, Palgrave-Macmillan,
London, 1989, p. 154-182.
79. Hubert ZIMMERMANN, Money and Security: Troops, Monetary Policy, and West Germany’s
Relations with the United States and Britain, 1950-1971, New York, Cambridge University
Press, 2004, p. 24.
80. Michel MUSZYNSKI, « Les “réformes” surprises de l’après-guerre en URSS et en France,
Bulletin de la SFN, 2020, 75-07, p. 245-253.
81. Joseph WALLER, « La naissance du rouble-or », Cahiers du monde russe et soviétique, Vol.
20, no 3-4, juillet-décembre 1979, p. 285-304.
82. Note interne de la Banque de France du 26 mai 1950, citée par D. BRUNEEL, « Un épisode
monétaire de la guerre froide », dans Cahier anecdotique no 44, p. 193-196.
83. Göran RYSTAD, « Images of the Past », dans Jeffrey P. KIMBALL, To Reason Why: The
Debate about the Causes of U.S. Involvement in the Vietnam War, Wipf and Stock Publishers,
2005, p. 53-70.
84. EDWARDS, op. cit., p. 55.
85. Rapport NSC-68.
86. Daniele GANSER, Nato’s Secret Armies, Operation Galdio and Terrorism in Western Europe,
New York, Routledge, 2004, p. 91.
87. Didier BRUNEEL, « La deuxième évacuation de l’or français en Afrique, 1950-1959 », dans
Cahier anecdotique no 31, p. 221-253.
88. Didier BRUNEEL, « Les barres d’or russe détenues par la Banque de France », Cahier
anecdotique, no 43.
89. BOSSUAT, op. cit.
90. Georgette ELGEY, Histoire de la IVe République, tome II, Fayard, 1965.
91. « France is undoubtedly ill and the chart presently indicates high fever. Shock treatment is
indicated, merited and sound therapy. But the voltage must be carefully controlled so as not to
kill off the patient. We must reconcile ourselves to the probability that for some time, perhaps for
some years, France will be the weak sister in the Western alliance but a quick glance at the map
of Europe and North Africa still shows why we must in our own interests continue to exercise
almost superhuman patience and forbearance during the next few months. » Dépêche de Dillon
au Département d’État (31 août 1954). En ligne :
https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1952-54v06p2/d656
92. Dominique MONGIN, « Aux origines du programme atomique militaire français »,
Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 31, 1993. « Penser et repenser les défenses »
(suite), p. 13-21 ; Wolf MENDL, « The Background of French Nuclear Policy », International
Affairs (Royal Institute of International Affairs), Vol. 41, no 1, 1965, p. 22-36.
93. Note « Währungspolitische Rückwirkungen des Suezkanalkonflkits / streng vertraulich :
Répercussions sur la politique monétaire du conflit du canal de Suez / strictement
confidentielle » du 29 août 1956, documents diplomatiques suisses 13075. En ligne :
https://dodis.ch/13075
94. James M. Boughton, « Northwest of Suez: The 1956 Crisis and the IMF », IMF Working
Paper, WP/00/192, 2000.
95. « I know Ike. He will go doggo! » dans William Roger LOUIS, « Harold Macmillan and the
Middle East Crisis of 1958 », Proceedings of the British Academy, 94, p. 207-228, p. 211.
96. Adam KLUG, Gregor SMITH, « Suez and Sterling, 1956, », Explorations in Economic
History, Elsevier, Vol. 36 (3), p. 181-203, juillet 1999.
97. Peter MANGOLD, The Almost Impossible Ally, Harold Macmillan and Charles de Gaulle,
London, I. B. Tauris, 2006, p. 81.
98. Harold MACMILLAN, Riding the Storm, Macmillan, 1971, p. 164.
99. G. C. PEDEN, « Suez and Britain’s Decline as a World Power », The Historical Journal, Vol.
55, N° 4 (décembre 2012), p. 1073-1096.
100. Richard F. KUISEL, Seducing the French: The Dilemma of Americanization, California
University Press, 1993, p. 20.
101. Christian PINEAU, 1956, Suez, Le temps des révélations, Paris, Robert Laffont, 1976.
p. 188-195.
102. Jonathan KIRSHNER, Currency and Coercion: The Political Economy of International
Monetary Power, Princeton University Press, 1997.
103. KLUG & SMITH, op. cit., p. 191-192.
104. Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, T. I « La France redevient la France », Éditions de
Fallois, Fayard, 1994, p. 371.
105. Voir Olivier FEIERTAG, La Banque de France et son gouverneur face à la sanction des
finances extérieures sous la IVe République, dans Matériaux pour l’histoire de notre temps,
no 37-38, 1995, Europe : nouveaux aspects / nouveaux débats, sous la direction de René Girault,
p. 15-22.
106. Christophe FARQUET, La défense du paradis fiscal suisse avant la Seconde Guerre
mondiale, Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2016.
107. Sandra BOTT, Jussi M. HANHIMÄKI, Janick Marina SCHAUFELBUEHL et Marco WYSS, « Le
rôle international de la suisse dans la guerre froide globale : un équilibre précaire », Relations
internationales, 2015/3 no 163, p. 3-14.
108. Marc PERRENOUD, « L’économie suisse et la neutralité à géométrie variable », Matériaux
pour l’histoire de notre temps, 2009/1, N° 93, p. 77-86.
109. Belgique, Suisse, Italie, Grèce, Espagne, Autriche-Hongrie, Grèce, Russie, Roumanie,
Serbie, Bulgarie, Argentine, Brésil, Chili, Venezuela, Pérou, Porto Rico…
110. Jacobsson cité par FEIERTAG, Baumgartner. La date du franc germinal est 1803.
111. Michel-Pierre CHÉLINI, « Le plan de stabilisation Pinay-Rueff, 1958 », Revue d’histoire
moderne et contemporaine, 2001/4 (no 48-4), p. 102-123.
112. « L’éternel problème de l’œuf et de la poule : Par un étrange paradoxe les Gouvernements
de la France et des États-Unis, qui ont relativement à l’opportunité d’une conférence monétaire
internationale des vues opposées, sont d’accord sur un point de doctrine fondamental :
l’élimination du déficit de la balance des paiements des États-Unis doit obligatoirement
précéder toute modification du système monétaire international. »
113. Didier BRUNEEL, « Secret d’État ou secret de polichinelle ? La dévaluation du franc du
27 décembre 1958 », Cahier anecdotique, no 26, p. 121-129.
114. Pour le franc germinal (loi du 7 germinal an XI, 28 mars 1803), le franc est défini comme
5 grammes d’argent à 900 millièmes de fin, c’est-à-dire 4,5 g d’argent fin. De plus, la valeur de
l’or était légalement définie comme 15,5 fois celle de l’argent. Par conséquent la valeur du franc
était de 290,33 mg d’or.
115. Diamètre 29 mm, épaisseur 2,3 mm, argent à 835 millièmes, 12 g.
116. Diamètre 29 mm, épaisseur 2,09 mm, cupronickel plaqué nickel, 10 g.
117. Diamètre 37 mm, épaisseur 3 mm, argent à 900 millièmes, 25 g.
118. Emprunt sur 54 ans remboursable par tirage au sort jusqu’en 1970 et libre au-delà, indexé
sur la moyenne des cours de la pièce d’or de 20 F (napoléon) sur le marché libre de l’or à Paris
pendant les 100 dernières séances de la Bourse précédant la reprise du titre (cours de référence
du 1er semestre 1958 : 3 600 francs).
119. Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, T. I « La France redevient la France », Éditions de
Fallois, Fayard, 1994, p. 75.
120. Dominique MONGIN, « Genèse de l’armement nucléaire français », Revue historique des
armées, 262 | 2011, 9-19.
121. MANGOLD, p. 147.
122. Benjamin VARAT, « Point of Departure: A Reassessment of Charles de Gaulle and the
Paris Summit of May 1960 », Diplomacy and Statecraft, 19:1, 2008, 96-124, p. 99.
123. Ibid., p. 100.
124. New Frontier.
125. David F. WINKLER, John C. LONNQUEST, « To Defend and Deter: The Legacy of the United
States Cold War Missile Program », Department of Defense Legacy Resource Management
Program, Cold War Project, 1er novembre 1996, p. 66.
126. Note sur la gestion des réserves d’or de 1938 à 1969 (ABdF 1060200101/27).
127. « Mr. Nixon, if you are listening, I did not do it, I promise you. »
128. William S. BORDEN, « Defending Hegemony: American Foreign Economic Policy », dans
Kennedy’s Quest for Victory: American. Foreign Policy, 1961-1963, Thomas G. Paterson (Éd.),
New York, Oxford University Press, 1989, p. 65.
129. BORDEN, op. cit., p. 66.
130. « Problems and Prospects of the Fifth Republic », Intelligence Report Prepared by the
Bureau of Intelligence and Research, no 8374, 6 décembre, 1960, FRUS, 1958-1960, Europe de
l’Ouest, Vol. 7, part. 2.
131. Frank COSTIGLIOLA, « The Pursuit of Atlantic Community: Nuclear Arms, Dollars, and
Berlin » dans Thomas Paterson (Éd.), Kennedy’s Quest for Victory, Oxford University Press,
1988, p. 24-56, p. 32.
132. « It is, however, most important to the U.S. that use of nuclear weapons by the forces of
other powers in Europe should be subject to U.S. veto and control. » FRUS, 1961-1963,
Vol. XIII, Western Europe and Canada, document 100.
Voir aussi TD de Rusk à Gavin du 5 mai 1961. En ligne :
https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1961-63v13/d227
133. « Above all he felt impaled on our balance of payments deficit – next to the nuclear
problem the balance of payments, I think, worried him more than anything. » Rostow, OH,
p. 100.
134. Frank COSTIGLIOLA, « The Pursuit of Atlantic Community: Nuclear Arms, Dollars, and
Berlin » dans Thomas Paterson (Éd.), Kennedy’s Quest for Victory, Oxford University Press,
1988, p. 24-56, p. 30.
135. Note 8249W de Koszul « Quelques considérations sur le problème de la réévaluation de
l’or » du 25 octobre 1960, ABdF 1489200803/60.
136. « Ad-hocery » (CALLEO, op. cit.). Voir aussi Michael D. BORDO et Robert N. MCCAULEY,
« Triffin: dilemma or myth? », BIS Working Papers, N° 684, 2017, p. 6.
137. Compte tenu des taxes et des coûts de transport, la limite était 35,08-35,20 $.
138. Fritz MACHLUP, « The Book Value of Monetary Gold », Essays in International Finance,
no 91, Décembre 1971, Princeton University, p. 3. Et voir ABF, 1467200501/73, « Historique
sommaire du gold consortium », juin 1962.
139. BORDEN, p. 85.
140. CIA, Intelligence Report: Soviet-Owned Banks in the West, ER IR 69-28, Octobre 1969,
p. 10.
141. Le taux des dépôts à terme était plafonné à 1 % depuis les mesures du Glass-Steagall Act
(regulation Q) prises par Roosevelt pour lutter contre la spéculation pendant la Grande
dépression. (Olivier FEIERTAG, « Le “privilège insigne” du dollar : les deux faces de la
globalisation », Questions internationales, no 102, juillet-août 2020, La documentation
française, p. 13-20).
142. John GERASSI (Éd.), « Introduction » dans Venceremos! The speeches and writings of Che
Guevara, Londres, Panther, 1969, p. 41.
143. David KYNASTON, The City Of London, Vol. IV, Random House, 2015, p. 268.
144. Fred H. KLOPSTOCK, « Money Creation in the Euro-Dollar Market – A Note on Professor
Friedman’s Views », Federal Reserve Bank of New York Monthly Review, janvier 1970, p. 12-15.
145. 293 millions de dollars, Colette NÈME, « Le budget, la trésorerie la dette publique », Revue
d’économie Politique, Vol. 73, no 4/5, 1963, p. 602-637.
146. Robert L. HETZEL, « Sterilized Foreign Exchange Intervention: The Fed Debate in the
1960s », FRB Richmond Economic Quarterly, Vol. 82, no 2, printemps 1996, p. 21-46, p. 37.
147. PVCG du 22 février 1962, p. 153.
148. PVCG du 7 janvier 1963, p. 93.
149. Conférence publique du 17 mai 1962, Public Papers of the Presidents of the United States:
John F. Kennedy, 1962, p. 400-408.
150. Memo of Meeting between the president, Ambassador Alphand, M. Malraux, and
McGeorge Bundy, 11 May 1962, FRUS, 1961-63, 13, 1994, 695-701.
151. Pierre Calvet (1910-1989), inspecteur des finances, disciple de Baumgartner, vice-
président du Comité monétaire de la CEE.
152. Nathalie CARRÉ DE MALBERG, Le grand état-major financier : les inspecteurs des
Finances, 1918-1946. Les hommes, le métier, les carrières, Paris, IGPDE, 2011, ch. XII, § 42.
153. Secrétaire aux Finances de Kennedy de 1961 à 1965, anciennement ambassadeur en
France de 1953 à 1957.
154. Mémo de Dillon du 25 mai 1962.
155. Paul EINZIG « De Gaulle and Dollar Diplomacy », 1er juin 1962 (p. 634-635), The Statist.
156. « NEW YORK, 23 juillet (UPI). – La revue Newsweek assure que le Président de Gaulle a
l’intention de “rapatrier les réserves d’or françaises (évaluées à un milliard [de dollars]) qui sont
entreposées à la Federal Reserve Bank de New York”. Selon la revue, il s’agirait d’un geste
“destiné à montrer que la France peut se passer des États-Unis”. La revue ajoute que le retrait de
cet or n’aurait aucun effet sur le dollar américain, étant donné qu’il est simplement déposé dans
une banque américaine. »
157. Peter WRIGHT, Spycatcher, Robert Laffont, 1998, p. 116 et passim.
158. Ibid.
159. David EASTER, « The impact of “Tempest” on Anglo-American communications security
and intelligence, 1943-1970 », Intelligence and National Security, 2020.
160. Vincent JAUVERT, L’Amérique contre de Gaulle, Histoire secrète (1961-1969), Éditions du
Seuil, p. 113.
161. Philippe BERNERT, S.D.E.C.E. Service 7, L’extraordinaire aventure du colonel Le Roy-
Finville et de ses clandestins, Paris, Presses de la Cité, 1980, p. 291-300.
162. Ibid., p. 298.
163. De Gaulle 9 janvier 1963, cité par PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 17.
164. En ligne : https://www.jfklibrary.org/asset-viewer/archives/JFKPOF/090/JFKPOF-090-
004
165. NSC 31/01/63, JAUVERT, op. cit., p. 110.
166. De Gaulle, 27 février 1963, cité par PEYREFITTE, t. II, p. 74.
167. NSAM no 225 du 27 février 1963 « Re : Balance des paiements ».
168. CIA, Special Report, Office of Current Intelligence, « The Impact of French Economic
Policy on US Interests », SC 00585/63A du 29 mars 1963 et note blanche « Indications of
Continued French International Financial Cooperation » du 22 mars 1963 (Treasury
Department).
169. Frédéric CHARPIER, Les valets de la guerre froide, Comment la République a recyclé les
collabos, François Bourin Éditeur, 2013, p. 105.
170. Télégramme secret de la CIA du 29 mars 1963 remonté à JFK, voir :
https://www.jfklibrary.org/asset-viewer/archives/JFKNSF/072/JFKNSF-072-007
171. Conseil restreint (AN, 5AG1, volume 2346, « Localisation de l’or de la Banque de
France », le 25 mars 1963), AG/5 (1)/2346. Voir : https://www.siv.archives-
nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_027940
172. BORDEN, op. cit., p. 63.
173. « Having a whip hand over him. »
174. « That’s right. It also hit him in his efforts to expand the domestic economy. Every way he
turned he was cut by the razor blades that resulted from that deficit ; and he hated it. It sounds
silly but, as I say, next to his nuclear responsibility, – the balance of payments deficit hurt him
most. He would come back to it time and time again – the image of de Gaulle sitting there
sassing him from his little pile of gold. He would really have enjoyed these last months when
things moved into better shape – mainly as a result of his policies. » Rostow OH, p. 101.
175. David CALLEO, The Imperious Economy, Harvard University Press, 1982.
176. WANG, p. 50 et AN, 5AG1, 2346.
177. National Security Action Memorandum no 294 du 20 avril 1964. En ligne :
https://fas.org/irp/offdocs/nsam-lbj/nsam-294.htm
178. D. CALLEO, p. 51.
179. Éric MONNET, « Une coopération à la française. La France, le dollar et le système de
Bretton Woods, 1960-1965 », Histoire@Politique 2013/1 (no 19), p. 83-100.
180. André DE LATTRE et Michel MARGAIRAZ, « De Gaulle, les finances extérieures de la
France et le système monétaire international », dans La politique économique et financière du
général de Gaulle 1958-1969.
181. PVCG du 19 novembre 1964, p. 678.
182. ABdF note du 29 juillet 1963.
183. Didier BRUNEEL, « L’opération “vide-gousset” ou les rapatriements d’or des États-Unis et
de Londres 1963-1966 », dans Cahiers anecdotiques de la Banque de France, no 28.
184. René BRUNET (1910-1990), Inspecteur des Finances, gouverneur de la Banque de France
de 1960 à 1969.
185. Ministre du 18 janvier 1962 au 8 janvier 1966.
186. ABdF, Lettre du Gouverneur Brunet au ministre des Finances du 18 décembre 1964.
187. Charles DE GAULLE, Discours et Messages, Plon, 1970, p. 330-334.
188. Time magazine, 12 février 1965.
189. Patricia DILLON, « La stratégie monétaire internationale de Charles de Gaulle », dans De
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190. Georges VALANCE, VGE : Une vie, Flammarion, Paris, 2011, p. 190.
191. FABRE-LUCE, op. cit., p. 97.
192. Valéry GISCARD D’ESTAING, Thierry WALRAFEN, Éric LE BOUCHER, « Le témoignage de
Valéry Giscard D’Estaing », Revue d’économie financière, hors-série, 1994. Bretton Woods :
mélanges pour un cinquantenaire, p. 319-322. Voir aussi G. VALANCE, op. cit., p. 322.
193. 19 août 1966, article du Time magazine, « La Banque de France tirelire ».
194. Gordon L. WEIL & Ian DAVIDSON, The Gold War, Londres, Secker & Warburg, 1970, p. 28
et 88.
195. 14 millions en août, 200 en septembre, 414 en octobre et 1,2 milliard en novembre. Voir
Forrest CAPIE, The Bank of England: 1950 to 1979, Cambridge University Press, 2010, p. 231.
196. Adam Smith, Every Day is like Sunday, BBC documentary.
197. Roger MIDDLETON, « Struggling with the Impossible: Sterling, the Balance of Payments
and British Economic Policy, 1949-72 », dans Arie ARNON, Warren YOUNG, The Open Economy
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198. Michael J. OLIVER & Arran HAMILTON, Downhill from devaluation: The battle for sterling,
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199. R. JENKINS, A Life at the Centre, Londres, Macmillan, 1991, p. 214. Cité par SCHENK,
p. 156
200. « The City went bananas ».
201. Sebastian REYN, Atlantis Lost The American Experience with De Gaulle, 1958-1969,
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202. Removal of Gold Cover (Hearings before the Committee on Banking and Currency, House
of Representatives, HR 14743) 23 janvier-1er février 1968 : « A bill to eliminate the reserve
requirements for federal reserve notes […] ».
203. Mémo de la CIA, French Actions in the recent gold crisis, 20 mars 1968. En ligne :
https://www.cia.gov/library/readingroom/docs/DOC_0000118650.pdf
204. Pierre VIANSSON-PONTÉ, Le Monde, 23 novembre 1968. En ligne :
https://www.lemonde.fr/archives/article/1968/11/23/le-regime-devalue_2488974_1819218.html
205. « Our currency, your problem. » Il avait aussi indiqué avec une certaine poésie :
« Foreigners are out to screw us. Our job is to screw them first. »
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Cornell University Press, 1983, p. 133.
207. Macrotrends, Gold Prices vs Oil Prices – Historical Relationship. En ligne :
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2. Stephen I. SCHWARTZ (Éd.), Atomic Audit, The Costs and Consequences of U.S. Nuclear
Weapons since 1940, Washington D.C., Brookings Institution Press, 1998.
3. Une tonne d’or fin vaut 1,1 million de dollars au taux de 35 $ l’once. Le PIB américain en
1946 était de 220 milliards de dollars courants.
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12. « We’ve got to have this thing over here, whatever it costs… we’ve got to have the bloody
Union Jack flying on top of it. » Cité par Brian WHEELER, « Labour’s tortured relationship with
the nuclear deterrent it created », BBC News, 11 février 2016.
13. « We must do it. It’s the price we pay to sit at the top table. » Cité dans Peter HENNESSY,
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14. David LEIGH, The Wilson Plot, William Heinemann Ltd, 1988, p. 4.
15. Ibid., p. 142.
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39. Robert HIGGS, « U.S. Military Spending in the Cold War Era: Opportunity Costs, Foreign
Crises, and Domestic Constraints », Cato Institute Policy Analysis, N° 114, 30 novembre1988.
40. Général Buck Turgidson : « I think we should look at this from the military point of view. I
mean, supposing the Russkies stashes away some big bomb, see. When they come out in a
hundred years they could take over… In fact, they might even try an immediate sneak attack so
they could take over our mineshaft space… I think it would be extremely naive of us,
Mr. President, to imagine that these new developments are going to cause any change in Soviet
expansionist policy. I mean, we must be… increasingly on the alert to prevent them from taking
over other mineshaft space, in order to breed more prodigiously than we do, thus, knocking us
out in superior numbers when we emerge! Mr. President, we must not allow… a mine shaft
gap! » (Kubrick, Dr. Strangelove).
41. « Above all he felt impaled on our balance of payments deficit – next to the nuclear problem
the balance of payments, I think, worried him more than anything. » Walt ROSTOW, Archives
Orales, JFKOH-WWR-01, p. 100. En ligne :
https://www.jfklibrary.org/sites/default/files/archives/JFKOH/Rostow%2C%20Walt%20W/JFK
OH-WWR-01/JFKOH-WWR-01-TR.pdf
42. Remarques du Président Kennedy à la réunion du Conseil National de Sécurité du 2 janvier
1963, FRUS, Vol. XIII, document 168. En ligne :
https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1961-63v13/d168
43. « Economic illiterates regard it as a burden. » dans Fritz MACHLUP, « The Book Value of
Monetary Gold », Essays in International Finance, no 91, décembre 1971, Princeton University,
p. 5.
44. Paul KENNEDY, Naissance et déclin des grandes puissances, Petite bibliothèque Payot,
1991, présentation de Pierre Lellouche, p. 10.
45. Michael BORDO, « The operation and demise of the Bretton Woods system: 1958 to 1971 »,
23 avril 2017, VoxEU.
46. John F. WALKER & Harold G. VATTER, « The Princess and the Pea; or, The Alleged
Vietnam War Origin of the Current Inflation », Journal of Economic Issues, Vol. XVI, N° 2,
juin 1982, p. 597-608.
Voir aussi Charles B. GARRISON & Anne MAYHEW, « The Alleged Vietnam War Origins of the
Current Inflation: A Comment », Journal of Economic Issues, Vol. XVII, N° 1, mars 1983,
p. 175-186 et John F. WALKER & Harold G. VATTER, « Demonstrating the Undemonstrable; A
Reply to Garrison and Mayhew », Journal of Economic Issues, Vol. 17, N° 1, p. 186-196 ; Tom
RIDDELL, « Inflationary Impact of the Vietnam War », Vietnam Generation, Vol. 1, no 1, 1989,
p. 42-60.
47. Salvador DALI, L’apothéose du dollar, CCF, enregistrement audio 45 tours, 1971.
48. John S. HILL, « American Efforts to Aid French Reconstruction between Lend-Lease and
the Marshall Plan », The Journal of Modern History, Sept. 1992, Vol. 64, N° 3, p. 500-524,
p. 506. Voir aussi BOSSUAT.
49. PATAT & LUTFALLA, op.cit., p. 139. Voir aussi Hugues TERTRAIS, La piastre et le fusil : Le
coût de la guerre d’Indochine. 1945-1954, Institut de la gestion publique et du développement
économique, 2002 (en ligne).
50. PATAT & LUTFALLA, op.cit., p. 147.
51. Jim TOMLINSON, « Balanced Accounts? Constructing the Balance of Payments Problem in
Post-war Britain », The English Historical Review, Vol. CXXIV, N° 509, août 2009, p. 863-884.
52. John S. HILL, « American Efforts to Aid French Reconstruction between Lend-Lease and
the Marshall Plan », The Journal of Modern History, Sep., 1992, Vol. 64, N° 3, p. 500-524.
53. Ben CLIFT et Jim TOMLINSON, « Whatever Happened to the Balance of Payments
“Problem”? The Contingent (Re) Construction of British Economic Performance Assessment »,
The British Journal of Politics and International Relations, 2008, 10 (4), p. 607-629.
54. Francis J. GAVIN, The Gold Battles within the Cold War.
55. Jacques RUEFF, Le Lancinant…, op. cit., p. 45.
56. Walt ROSTOW, The Diffusion of Power, New York, Macmillan, 1972, p. 235. Cité par Pierre
MÉLANDRI, Une incertaine alliance : Les États-Unis et l’Europe (1973-1983), Paris, Éditions de
la Sorbonne, 1988.
57. Théorie d’Heckscher-Ohlin-Samuelson.
58. Jeffrey A. ENGEL, Cold War at 30,000 Feet: The Anglo-American Fight for Aviation
Supremacy, Harvard University Press, 2007.
59. Hubert ZIMMERMAN, Money, troops,…, op. cit., p. 131.
60. FRUS 1961-63, Vol. XIII, 242.
61. Vincent JAUVERT, L’Amérique contre de Gaulle, Histoire secrète (1961-1969), Éditions du
Seuil, p. 142-143.
62. Thomas R. CUSACK, On the Domestic Political-Economic Sources of American Military
Spending, p. 89-303, Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung, p. 10.
63. FRUS 1961-63, XIII, 161.
64. William S. BORDEN, « Defending Hegemony: American Foreign Economic Policy », dans
Kennedy’s Quest for Victory: American. Foreign Policy, 1961-1963, Thomas G. Paterson (Éd.),
New York, Oxford University Press, 1989, p. 57-85, p. 84.
65. Joanne GOWA, Closing the Gold Window, Domestic Politics and the End of Bretton Woods,
Cornell University Press, 1983, p. 45.
66. Michael BORDO, Éric MONNET & Alain NAEF, « The Gold Pool (1961-1968) and the Fall of
the Bretton Woods System: Lessons for Central Bank Cooperation », The Journal of Economic
History, 79 (4), 2019, 1027-1059.
Michael D. BORDO, Dominique SIMARD and Eugene N. WHITE, France and the Breakdown of
the Bretton Woods International Monetary System, International Monetary Fund, Research
Department, WP/94/128, 1994.
1. Le Faucon maltais, John Huston, Warner Bros., 1941. La formule est, elle-même, inspirée de
Shakespeare…
2. George LAKOFF & Mark JOHNSON, Les métaphores dans la vie quotidienne, Éditions de
Minuit, 1985, p. 13. ; R. ALEJO, « Where does the money go? An analysis of the container
metaphor in economics: The market and the economy », 2010, p. 1138-1141 ;
N. SILASKI & A. M. KILYENI, « The money is a liquid metaphor in economic terminology – A
contrastive analysis of English, Serbian and Romanian », 2011, p. 65 ; L. VUKICEVIC-
DORDEVIC, « On biological metaphors in economic discourse », 2014, p. 430-431.
3. M. MORRIS et al., « Metaphors and the market: Consequences and preconditions of agent
and object metaphors in stock market commentary », 2007, p. 175.
4. H. BLUMENBERG, « Money or Life: Metaphors of Georg Simmel’s Philosophy », 2012,
p. 258-261.
5. Ph. MIROWSKI, More Heat than Light: Economics as Social Physics, Physics as Nature’s
Economics, 1991. p 155 & 158.
6. M. VENARD, « Catholicisme et usure au XVIe siècle », 1966, p. 59.
7. « Money has not been transcended in man within the credit system, but man is himself
transformed into money, or, in other words, money is incarnated in him. Human individuality,
human morality, have become both articles of commerce and the material which money
inhabits. The substance, the body clothing the spirit of money is not money, paper, but instead it
is my personal existence, my flesh and blood, my social worth and status », K. MARX, Early
Writings, p. 264.
8. A. MANAS, « La pièce de 100 francs-or Bazor de 1928 : dernier louis d’or français », Revue
numismatique, 2015.
9. C. VUILLERMOT, « Introduction », dans La monnaie, personnage historique, 2007, p. 14.
10. Jean-Noël JEANNENEY, Leçon d’histoire pour une gauche au pouvoir, la faillite du Cartel
(1924-1926), Seuil, 1977, p. 92.
11. Jean-Noël JEANNENEY, François de Wendel en République, L’argent et le pouvoir (1914-
1940), Seuil, 1976.
12. Kenneth MOURÉ, « “Une éventualité absolument exclue”: French reluctance to devalue,
1933-1936 », p. 481.
13. VAÏSSE, op. cit., p. 471.
14. « A primitive tribal attachment to the currency as a symbol of national vigour » dans David
BLAAZER, « “Devalued and Dejected Britons”: The Pound in Public Discourse in the Mid
1960s », History Workshop Journal, N° 47 (printemps 1999), p. 121-140.
15. Hubert ZIMMERMANN, Money and Security: Troops, Monetary Policy, and West Germany’s
Relations with the United States and Britain, 1950-1971, New York, Cambridge University
Press, 2004, p. 24.
16. Emily S. ROSENBERG, « Revisiting Dollar Diplomacy: Narratives of Money and
Manliness », Diplomatic History, Vol. 22, N° 2, avril 1998, p. 155-176.
17. Bureau of Engraving and Printing, Currency Notes. En ligne :
https://moneyfactory.gov/images/Currency_notes_508.pdf
18. Roland BARTHES, « Saponides et détergents », Mythologies, Éd. du Seuil, 1957.
19. John Maynard KEYNES, Réflexions sur le franc et sur quelques autres sujets, Paris, Simon
Kra Éditeur, 1926, p. 16.
20. Pallain à Aldrich en 1907, National Monetary Commission. Cité par RAMON, op. cit.,
p. 423.
e
21. Serge BERSTEIN & Pierre MILZA, Histoire de la France au XX siècle, tome 1 : La fin du
monde européen, Hatier, 1994, 501 p., p. 420.
22. André SIEGFRIED, L’âme des peuples, Paris, Hachette, 1950, p. 54.
23. Marguerite PERROT, « La monnaie et l’opinion publique en France et en Angleterre de 1924
à 1936 », Cahiers de la FNSP, Armand Colin, 1955, p. 117, p. 124.
24. Maurice VAÏSSE, « Le mythe de l’or en France : les aspects monétaires du New Deal vus par
les Français (1932-1934) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, juillet-
septembre 1969, (p. 462-479), p. 466.
25. Eugene N. WHITE, « Making the French pay: The costs and consequences of the
Napoleonic reparations », European Review of Economic History, 5, p. 337-365.
26. Didier BRUNEEL, « Propagande et versements d’or par les particuliers (1915-1918) »,
Cahier anecdotique no 35.
27. Thi Hong Van HOANG, « La thésaurisation de l’or en France depuis 1914 : d’une
thésaurisation monétaire à une thésaurisation refuge », Revue numismatique, 6e série –
Tome 168, année 2012, p. 119-134.
28. « You have to choose between trusting to the natural stability of gold and the natural
stability of the honesty and intelligence of the members of the Government. And, with due
respect for these gentlemen, I advise you, as long as the Capitalist system lasts, to vote for
gold. »
29. Hugh ROCKOFF, « The “Wizard of Oz” as a Monetary Allegory », Journal of Political
Economy, Vol. 98, no 4, août 1990, p. 739-760. François R. VELDE, « Following the Yellow Brick
Road: How the United States Adopted the Gold Standard ». Economic Perspectives. 26 (2),
2002.
30. Executive Order 6102.
31. Henry M. HOLZER « How Americans Lost Their Right to Own Gold and Became Criminals
in the Process », Brooklyn Law Review, 39, hiver 1973, p. 517-559.
32. Pub. L. 93-373. Voir : https://goldsilver.com/blog/gold-confiscation-history-myths-and-real-
solutions/
33. The New York Times, « Treasury to Build a Gold Vault At an Army Post in Kentucky »,
29 juin 1935.
34. « This is the only one we have from the Nazi hoard at the bottom of Lake Toplitz in the
Salzkammergut. But there are undoubtedly others. » Voir : https://getyarn.io/yarn-
clip/5b98506a-0654-4568-81a7-c53b9b097f5e
35. En les disposant sur la tranche, il faut 240 barres pour couvrir 1 m².
36. Muriel BORDOGNA, Ils étaient cinq petits navires, CA, no 9, p. 46.
37. Honoré DE BALZAC, Le Père Goriot, Paris, Calmann-Lévy, 1910, p. 137.
38. Mike THARP, « The loot of Luzon, Tokyo gold buried in the Philippines – really? », US
News & World Reports, 24/7/2000.
39. Peggy SEAGRAVE & Sterling SEAGRAVE, Gold Warriors: America’s Secret Recovery of
Yamashita’s Gold, Verso, 2006.
40. Brian DUNNING, « Yamashita’s Gold », Skeptoid Podcast, Skeptoid Media, 30 avril 2019.
41. Egmont R. KOCH, L’or sale – La CIA et le trésor de guerre japonais, documentaire Arte. En
ligne : https://www.youtube.com/watch?v=OPR64gBf920.
Jorge AMAT, Le trésor de Yamashita, documentaire France 3, 1996. En ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=JBn02ghDLgA
42. MISTER DO, Il est trop tard pour être pauvre, Cinq tonnes d’or enfouies aux Philippines, Le
trésor du général Yamashita Tomoyuki. L’histoire vraie d’une incroyable chasse aux lingots, K2
éditions, 2002.
43. BOSSUET, De la connaissance de Dieu et de soi-même, Paris, Lecoffre et Cie, 1857, p. 43.
44. Karl MARX, Grundrisse, p. 151.
45. Vladimir I. LÉNINE, « L’importance de l’or aujourd’hui et après la victoire complète du
socialisme », 1921, dans Œuvres, T. 33, p. 109.
46. Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS : https://d-
meeus.be/marxisme/manuel/chap32sect04.html
47. Jules LEPIDI, L’or, Que sais-je ?, no 776, Paris, PUF, 1997, p. 74-79.
48. John D. LITTLEPAGE, L’or des Soviets, Payot, 1939.
49. Général Władysław ANDERS, Mémoires 1939-1946, La jeune Parque, Paris, 1948.
50. Carrefour, « La semaine en France et dans le monde », 23 juin 1948.
51. Le trésor de la Sierra Madre, John Huston, Warner Bros., 1948.
52. Megan BLACK, « Scene/Unseen: Mining for The Treasure of the Sierra Madre’s Critique of
American Capitalist Exploitation in Mexico », Modern American History (2019), 2, 23-47,
p. 42. Carol COSTELLO & Éric LAMBRECHT, Hollywood and Communism: How Did “The
Treasure of the Sierra Madre” Support Marxist Ideology?, Daily History.
53. « Howard: Say, answer me this one, will you? Why is gold worth some twenty bucks an
ounce? Flophouse Bum: I don’t know. Because it’s scarce. Howard: A thousand men, say, go
looking for gold. After six months, one of them’s lucky. One out of a thousand. His find
represents not only his own labor, but that of nine hundred ninety-nine others to boot. That’s six
thousand months, five hundred years, scrambling over a mountain, going hungry and thirsty. An
ounce of gold is worth what it is, mister, because of the human labor that went into the finding
and getting of it. Flophouse Bum: I never thought of it just like that. »
54. Le plutonium des bombes thermonucléaires est recouvert d’une couche d’or qui évite son
oxydation pendant le stockage et permet d’accroître la température de l’hydrogène pendant la
phase de fission. Voir Arjun MAKHIJANI, Stephen I. SCHWARTZ et Robert S. NORRIS,
« Dismantling the Bomb », dans Stephen I. SCHWARTZ (Éd.), Atomic Audit, The Costs and
Consequences of U.S. Nuclear Weapons since 1940, Washington D.C., Brookings Institution
Press, 1998, note 11 p. 332.
55. Alfred FABRE-LUCE, L’or et la bombe, Calmann-Lévy, 1968, p. 9.
56. Les articles L213-2-II et L213-2-I-1-a du code du Patrimoine stipulent que les archives
monétaires ne peuvent être divulguées avant 25 ans et celles sur l’arme atomique sont
incommunicables à jamais.
57. Raymond ARON, Espoir et peur du siècle. Essais non partisans, Paris, Calmann-Lévy,
1957, p. 259.
58. Paul BRACKEN, The Command and Control of Nuclear Forces, New Haven, Yale University
Press, 1984.
59. Owen R. COTE, Jr., The Third Battle, Innovation in the U.S. Navy’s Silent Cold War Struggle
with Soviet Submarines, Newport, Rhode Island, Center for Naval Warfare Studies, Newport
Paper 16, 2003 et CIA, « Bacteriological Warfare and Radioactive Material », Top Secret
Information Report, 30 décembre 1950. Cité par COTE, p. 20.
60. Aleutian SkyWatch, Distant Early Warning Line (1961). En ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=3OrLB-sauu4
On Guard The Story of SAGE. En ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=FiNkQHMZypw
61. MCCAMLEY, op. cit., p. 2.
62. Jean DELUMEAU, La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles) : une cité assiégée, Fayard, 1978.
63. Ibid., p. 304.
64. John C. LONNQUEST and David F. WINKLER, To Defend and Deter: The Legacy of the
United States Cold War Missile Program, U.S. Army Construction Engineering Research
Laboratories (USACERL), Special Report 97/01, Nov. 1996, p. 1.
65. George R. PRICE, « Arguing the Case For Being Panicky » Life, 18 novembre 1957, 125-
126.
66. Larry COHEN, Les Envahisseurs (The Invaders), 43 épisodes de 48 minutes, 1967-1968.
67. Brandon WEBB, « Laughter Louder Than Bombs? Apocalyptic Graphic Satire in Cold War
Cartooning, 1946-1959 », American Quarterly, Vol. 70, N° 2, juin 2018, p. 235-266, p. 239.
68. Ed IMPARATO, General MacArthur: Speeches and Reports 1908-1964, Turner Publishing
Company, 2000, p. 230.
69. David FRENCH, « Spy Fever in Britain, 1900-1915 », The Historical Journal, 21, 2 (1978),
p. 355-370.
70. Georges Lautner, Les Barbouzes, film, 1964.
71. Le personnage de Picsou (Scrooge McDuck) et sa piscine ont été imaginés par le
dessinateur de Disney Carl Barks.
72. Les Beagle Boys en anglais.
73. Thomas ANDRAE, Carl Barks and the Disney Comic book, Unmasking the Myth of
Modernity, University Press of Mississipi, 2006.
74. Arnaud MANAS, L’Or de Vichy, Vendémiaire, 2017.
75. Marie DE LAVIGNE-AUBERY, « L’opération Asterisk, Jacques Vauzanges contre James
Bond », conférence donnée à l’US Naval Academy (Annapolis), le 18 septembre 2015. Je
remercie à cette occasion Christian Gallet de Saint-Aurin de me l’avoir obligeamment
communiquée.
76. Didier BRUNEEL, « L’opération Asterisk (ou l’or convoité de la Martinique), juillet-
septembre 1940 », Cahier anecdotique no 41, p. 109-116. André Baptiste FITZROY, War,
cooperation and conflict: the European possessions in the Caribbean, 1939-1945, Greenwood
Press, 1988, p. 69. Nigel WEST, British Security Coordination, The Secret History of British
Intelligence in the Americas 1940-45, St. Ermin’s Press, 1998, p. 208-212.
77. Ian FLEMMING, Goldfinger, 1959, p. 41, 47.
78. James Bond aurait pu ajouter pour un volume de 700 mètres cubes… 1 $ en or pèse 0,888
gramme et occupe un volume de 46 mm3.
79. Nicholas ANTHONY, How Economics Would Have Spoiled Goldfinger’s Sinister Plot if
James Bond Hadn’t, Foundation for Economic Education, nov. 2018.
80. Brian DOMITROVIC, Econoclasts: The Rebels Who Sparked the Supply-Side Movement and
Restored American Prosperity, Open Road Media, 2014, p. 13.
81. Lois H. GRESH, Robert WEINBERG, The Science of James Bond: From Bullets to Bowler
Hats to Boat Jumps, the Real Technology Behind 007’s Fabulous Films, Wiley 2006, p. 55.
82. P. D. SMITH, Doomsday Men, The Real Dr Strangelove and the Dream of the Superweapon,
Penguin Books, 2007.
83. Metin TOLAN & Joachim STOLZE, Shaken, Not Stirred! James Bond in the Spotlight of
Physics, Springer Nature, 2020, p. 70.
84. Interview de Ken Adam Cristopher Frayling, 21 mars 2019 : « Ken Adam describes
designing the Goldfinger film. » En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=lhRQHy7Pfmk
85. Philip N. DIEHL, « The Real Diehl – An Unclassified Peek Inside the Fort Knox Gold
Depository », Coin Week, 26 février 2016 ; Dave GANZ, « Gold all there when Ft. Knox opened
doors », Numismatic News, 1974.
86. Arnaud MANAS, Zweig & la Souterraine, Artelia, 2016, p. 53.
87. Henry F. COOPER Jr., Estimates of Crater Dimensions for Near-Surface Explosions of
Nuclear and High Explosive Sources, Lawrence Livermore Laboratory, RDA-TR-2604-001,
octobre 1976, p. 24.
88. « Deep Storage is the portion of the U.S. Government-owned gold bullion reserve which the
Mint secures in sealed vaults that are examined annually by the Treasury Department’s Office of
the Inspector General and consists primarily of gold bars. »
89. Peter D. BETER, Conspiracy against the Dollar: The Politics of the New Imperialism, New
York, G. Braziller, 1973.
90. « For immediate Release, September 20, 1974, Inspection of Gold at Fort Knox, The
inspection by Members of Congress on September 23, 1974, of U.S. gold stocks stored at the
Fort Knox (Ky.) Bullion Depository marks a unique departure from the long standing and
rigidly enforced policy of absolutely no visitors, Mrs. Mary Brooks, Director of the Mint,
announced today. “On April 28, 1943, President Franklin D. Roosevelt inspected the Bullion
Depository” Mrs. Brooks said. His visit was the one and only time a gold vault was opened for
inspection for anyone other than authorized personnel. “The Congressional inspection adheres
to the new open-door policy of the government announced by President Ford. Treasury
Secretary William E. Simon issued the invitation to Congressmen to inspect the gold at Fort
Knox. By also inviting the press to witness the Congressional inspection, the Mint is clearing
away cobwebs and re-assuring the public that their gold is intact and safe. For the first time
photographing is being permitted inside the Depository.” After the Congressional inspection,
the Bullion Depository will once again be closed to visitors […]. »
91. « The room he inspected – 6 feet wide and 12 feet deep – contained 36,236 gold bars – each
weighing about 27.5 pounds and worth about $49,000 at the time. » From The Vault: Al
Schottelkotte gets rare look inside gold vault at Fort Knox, WCPO, 5 juillet 2018.
92. Erika HARWOOD, « Steve Mnuchin and Louise Linton’s View of the Eclipse Was Much Better
Than Yours », Vanity Fair, 25 août 2017.
93. FOIA Request #2017-09-205 du 6 avril 2018.
94. Britannicus, Acte IV, Scène 4.
1. Foreign & Commonwealth Office, Nazi Gold, The London Conference, 2-4 December 1997,
London, The Stationery Office, 1998.
2. TABER, p. 427.
3. BRUNEEL, p. 159.
4. Communiqué de presse de la Banque de France et du ministère des Finances du 19 novembre
2004.
5. Carl-Ludwig THIELE, Germany’s Gold, Hirmer, 2019.
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