Extraits Moby Dick

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Le prêche du père Mapple :

p.88 :

« Et voyez à présent Jonas saisi comme une ancre et jeté à la mer. Sur-le-
champ, à l'est s'étale une mer d'huile et les flots sont apaisés car Jonas
emporte avec lui la tempête et l'eau derrière lui est sans rides. Il est happé
dans le maelström d'un remous si irrésistible qu'il s'aperçoit à peine de
l'instant où le bouillonnement le jette entre les mâchoires béantes qui
l'attendent, et la baleine claque ses dents d'ivoire et ferme sur sa prison
autant de barreaux blancs. Alors Jonas pria Dieu dans le ventre de la
baleine. Mais méditez sa prière et tirez-en une leçon majeure. Car tout
pécheur qu'il soit, Jonas ne pleure ni ne gémit pour son immédiate
délivrance. Il trouve juste ce châtiment affreux. Il laisse à Dieu le soin
entier de sa délivrance, car malgré ses affres et ses douleurs, il met son
bonheur à voir encore son saint temple. Et cela, cama- rades, c'est le vrai
repentir, sans cris pour demander un pardon et reconnaissant de la
punition. Combien cette attitude de Jonas fut agréable à Dieu, sa
délivrance hors de la mer et de la baleine le prouve bien. Camarades, je
ne vous propose pas Jonas en exemple pour son péché, mais comme
modèle du repentir. Ne péchez pas; mais si vous le faites, tâchez de le
regretter à la manière de Jonas. >

[…]

Combien l'Oint du Seigneur étant son pilote-prophète, le porte- parole de


la vérité, lorsqu'il reçut de Dieu l'ordre d'aller faire entendre ces vérités
importunes à la perverse Ninive, combien Jonas, épouvanté par l'hostilité
qu'il soulèverait, mit d'ardeur à refuser cette mission en tentant
d'échapper à son devoir et à son Dieu en embarquant sur un navire à
Joppé. Mais Dieu est partout; et Jonas n'arriva jamais à Tarsis. Comme
nous l'avons vu, Dieu le rattrapa par l'entremise de la baleine, et
l'engloutit dans l'abîme du châtiment, l'entraîna rapidement « dans le
cœur de la << mer >> où les remous des courants l'aspirèrent à une pro-
fondeur de dix mille brasses et « les roseaux entourèrent << sa tête >> et
toutes les vagues et les flots du malheur pas- sèrent sur lui. Mais alors
même qu'il se trouvait ou ne saurait atteindre aucune sonde, dans « le
sein du séjour <<< des morts », alors même que la baleine était
descendue jusqu'aux racines des montagnes, Dieu entendit les cris de son
prophète englouti et repentant. Alors l'Eternel parla au poisson et, du fond
des ténèbres glacées, la baleine remonta vers le chaud et bon soleil, vers
toutes les délices de l'air et de la terre; et elle « vomit Jonas sur la <<
terre », alors la parole de l'Eternel fut adressée à Jonas une seconde fois,
et Jonas, vaincu et meurtri, ses oreilles, comme deux coquillages, répétant
à l'infini l'écho de l'Océan, Jonas se soumit à la volonté du Tout-Puissant. Et
qu'était-elle, camarades? Prêcher la Vérité à la face du Mensonge! Oui,
c'était bien cela!

Première évocation du mythe de Narcisse, p.48 :

p.48 : « Plus lourde encore de signification l’histoire du Narcisse, qui, ne


pouvant faire sienne l’image tourmentante et douce que lui renvoyait la
fontaine, s’y précipita dans la mort. Cette même image, nous la percevons
nous-même sur tous les fleuves et tous les océans. C’est le spectre
insaisissable de la vie, la clé de tout. »

Autre évocation du mythe,

p.193 : Mais si nous, baleiniers du Sud, nous ne sommes pas aussi


confortablement logés dans les airs que le capitaine Sleet et ses
Groenlandais, ce désavantage est largement compensé par la séduisante
sérénité de ces mers si différentes sur lesquelles nous voguons le plus
souvent. Le tout premier, je montai nonchalamment au gréement,
m'attardant à tailler une bavette, avec Queequeg ou quiconque n'était pas
de quart et que je venais à rencontrer, puis, poursuivant mon ascension,
et jetant une jambe paresseuse par-dessus la vergue de hunier, je
contemplai une première fois les pâturages marins, pour regagner enfin
ainsi ma destination ultime.

[…]

« Espèce de singe, disait un harponneur à l'un de ces gars, voilà bientôt


trois ans que nous sommes en croisière, et tu n'as pas levé une seule
baleine. Chaque fois que tu es là-haut, les baleines sont aussi rares que
des dents aux poules. » Et peut-être l'étaient-elles. Ou peut-être qu'il s'en
trouvait des troupes au lointain horizon. Mais cet adolescent, visionnaire,
perdu jusqu'à l'indifférence dans une rêverie inconsciente, bercé comme
dans les fumées de l'opium, par le rythme pareil des vagues et des
songes, en vient à être dépossédé de lui-même; le mystique Océan,
déroulé à ses pieds, n'est plus pour lui que l'image révélée de l'âme bleue,
profonde et insondable, diffuse dans l'humanité et dans la nature; et
chaque merveille entrevue étrange, prestigieuse le fuit en glissant, tout
aileron, émergeant indistinct, lui semble l'incarnation de ces pensées
évasives qui ne font que traverser l'esprit, et l'esprit lui-même, dans cet
enchantement, reflue jusqu'au principe et s'épanche hors du temps et de
l'espace, comme les cendres éparpillées du panthéiste Cranmer sont
devenues partie infime de toutes les grèves du monde. Tu n'as plus d'autre
vie en toi, à présent, que cette vie balancée dévolue par le doux roulis du
navire qui l'emprunte à la mer comme la mer le prend aux impénétrables
marées de Dieu. Mais tandis que ce sommeil, ce songe t'enveloppe, si tu
remues si peu que ce soit ton pied ou ta main, que tu lâches un peu ta
prise, alors ton identité se rue à nouveau en toi dans l'épouvante. Tu
planes vertigineusement au-dessus des tourbillons cartésiens. Et peut-être
qu'au zénith, par un temps radieux, avec un cri étranglé, tu traverseras de
ta chute cet air lumineux et la mer estivale se refermera sur toi pour
jamais. Qu'il t'en souvienne, ô panthéiste !

p.440 441 : « Le doublon » : interprétation d’Achab :

Nous avons déjà dit comment Achab arpentait le gail- lard d'arrière, allant
et venant de l'une à l'autre de ses limites: de l'habitacle au grand mât.
Mais, à tant de choses importantes à dire, il eût fallu ajouter qu'au cours
de ses promenades, alors qu'il était particulièrement absorbé et
ombrageux, il s'arrêtait à chacun de ces endroits et fixait étrangement
l'objet qu'il avait sous les yeux. Lorsqu'il faisait une pause devant
l'habitacle, son regard se rivait à la pointe de l'aiguille du compas, un
regard aigu comme un javelot et qui avait l'intensité aiguisée du but qu'il
poursuivait et lorsque, suspendant à nouveau sa marche, il se trouvait
devant le grand mât, alors son œil se clouait sur la pièce d'or clouée là, et
il avait la même expression de décision chevillée en lui, empreinte
toutefois d'une nostalgie sauvage sinon désespérée.

[…]

[Ces nobles pièces de l'Amérique du Sud sont les médailles du soleil et le


symbole des tropiques. Palmes, alpacas et volcans, disques solaires et
étoiles, écliptiques, cornes d'abondance, riches bannières au vent s'y
trouvent gravées avec une généreuse abondance, de sorte que cette
fantaisie de la poésie espagnole semble rehausser la valeur et le prestige
de l'or précieux.

Le doublon du Péquod illustrait, par hasard, cette opulence. Sa carnèle


portait les mots : Republica del Ecuador. Quito. Ainsi cette pièce brillante
venait d'un pays situé au milieu du monde, sous le grand équateur, et
portait son nom, elle avait été frappée à mi-chemin des Andes, sous ce
climat égal qui ne connaît point d'automne. Délimités par ces lettres, trois
sommets des Andes y figuraient, l'un surmonté d'une flamme, l'autre
d'une tour, le troisième d'un coq en train de chanter; par-dessus,
s'incurvait un fragment du zodiaque, chaque signe indiqué par son motif
cabalistique, la clef de voûte du soleil entrant dans la ligne équinoxiale à
la Balance.]

Non sans être observé par les autres, Achab s'était arrêté devant cette
pièce équatoriale.

« Il y a toujours quelque suffisance dans les sommets et dans les tours et


dans toutes choses grandes et altières, voyez ces trois pics aussi
orgueilleux que Lucifer. La tour inébranlable, c'est Achab, le volcan, c'est
Achab, l'oiseau courageux, sans peur, victorieux, c'est aussi Achab, tous
sont Achab, et ce disque d'or n'est que l'image d'un monde plus rond
encore qui, tel le miroir d'un magicien, tour à tour, à chaque homme ne
renvoie que l'image de son moi mystérieux. Grandes douleurs, petits
profits à celui qui demande au monde des réponses alors qu'il ne sait ce
qu'il est lui-même. Il me semble que ce soleil, devenu monnaie, rougeoie,
mais voyez, il entre dans la ligne équinoxiale, dans le signe des tempêtes
et, il n'y a que six mois, il sortait du Bélier du précédent équinoxe! De
tempête en tempête! Qu'il en soit donc ainsi. Enfanté dans la douleur, il
est juste que l'homme vive dans la souffrance et meure dans les affres!
Qu'il en soit donc ainsi! Voilà une rude matière offerte à l'acharnement du
malheur. Qu'il en soit donc ainsi. »

Extrait du chapitre « la ligne » :

Ainsi la ligne à baleine enveloppe la pirogue de méandres compliqués


évoluant dans presque toutes les directions. Les canotiers sont tous
prisonniers de ce redoutable réseau de sorte qu'à l'œil timoré du terrien ils
apparaissent comme ces charmeurs de serpents qui laissent ceux-ci
s'enrouler folâtrement autour de leurs membres. Il n'y a pas un fils né de
la femme qui puisse s'asseoir, pour la première fois, dans ce piège de
chanvre, et tandis qu'il peine à l'aviron, sans penser qu'à un moment
inconnu le harpon sera lancé, que ces anneaux souples entreront en action
en sifflant comme l'éclair, sans qu'un frisson lui parcoure l'échine et que sa
moelle épinière elle- même ne frémisse comme une gelée. Et pourtant
l'habitude... étrange chose ! Que ne peut l’habitude ? L'acajou de votre
salon n'a jamais entendu de plus joyeuses boutades, de rires plus francs,
de meilleures plaisanteries, de plus vives reparties que le demi-pouce de
cèdre blanc des bordages d'une pirogue ainsi suspendue dans le nœud
coulant du bourreau et que, pareils aux six bourgeois de Calais devant le
roi Edouard, les six hommes d'équipage rament dans les mâchoires de la
mort, la corde au cou l'on peut dire.
Un instant de réflexion vous permettra de comprendre les malheurs
répétés de la chasse - dont bien peu ont fait l'objet d'une relation-, les
hommes arrachés à la pirogue par la ligne et perdus. Car lorsque la ligne
file, être assis dans la baleinière reviendrait à se trouver dans le sifflement
d'une machine à vapeur en pleine action, dont chaque balancier, chaque
arbre, chaque rouage vous effleure. Et c'est pis encore car vous ne pouvez
rester assis immobile au milieu de ces dangers, la pirogue se balançant
comme un berceau et vous projetant d'un côté et de l'autre de façon
inattendue. Seules une certaine souplesse, la volonté et l'action mises
simultanément en œuvre peuvent vous épargner de devenir un Mazeppa
et d'être expédié en des lieux où même le soleil qui voit tout ne vous
découvrirait pas.

Et encore: l'apparence d'un calme profond qui précède l'orage est peut-
être plus terrible que l'orage lui- même car, en vérité, ce calme n'est que
la chrysalide qui enrobe la tempête; comme le fusil, d'innocente allure,
contient en lui la poudre fatale, la balle et l'explosion, de même l'aimable
repos de la ligne, tandis qu'elle serpente silencieusement entre les
canotiers avant d'entrer en action, est détenteur d'une terreur plus grande
que quoi que ce soit d'autre dans cette périlleuse entreprise. Pourquoi en
dire davantage ? L'humanité tout entière est cernée par une ligne à
baleine. Tous les hommes naissent la corde au cou mais ce n'est qu'au
moment où ils sont pris dans le tourbillon soudain et rapide de la mort
qu'ils prennent conscience des dangers muets, subtils, toujours présents
de la vie. Et si vous êtes un sage, l'effroi ne troublera pas davantage votre
cœur si vous êtes assis dans une baleinière plutôt qu'au coin du feu avec
votre tison- nier et non un harpon à vos côtés.

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