La-voleuse-et-le-milliardaire-Anna-Drake
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La-voleuse-et-le-milliardaire-Anna-Drake
Anna DRAKE
Ce texte est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes, des
lieux ou des évènements réels n’est que pure coïncidence pour laquelle l’auteure décline toute
responsabilité.
J’ai le cœur qui bat tellement fort dans ma poitrine que je suis sure que mon soutien-gorge
tressaute en rythme. Je n’arrive plus à respirer, j’ouvre la bouche comme un poisson hors de l’eau et
je vais finir par hyperventiler, m’effondrer et m’évanouir au beau milieu du couloir d’entrée de
Hartford Inc, la société d’informatique où mon meilleur ami, Jon, travaille.
C’est à cause de lui que je me retrouve dans cette situation impossible. Je devrais être
tranquillement dans mon lit, à bouquiner ou à regarder une série à la télé au lieu de me faufiler en
douce dans une entreprise pour faire un selfie débile. Au lieu de ça, j’ai pris un bus pour la
périphérie de New-York, traversé un parking désert et j’ai passé un badge volé dans le lecteur pour
entrer dans le grand bâtiment qui abrite l’entreprise.
Jon m’a dit que personne ne serait là ce soir et que les locaux seraient déserts. C’est le
Superbowl et l’Amérique, surtout masculine, est devant son poste de télé, que ce soit dans les bars ou
à la maison. Moi, je suis en train d’entrer clandestinement dans une entreprise. Chacun ses loisirs !
Je pousse la porte qui mène à l’open space, au fond du couloir. Une fois que le battant s’est
doucement refermé sur moi, je m’autorise à respirer à nouveau normalement. Je suis une idiote. J’ai
voulu me la jouer cool et j’ai accepté un pari stupide, dangereux, risqué et même pas fun.
D’un autre côté, je ne suis pas la reine du fun, alors je juge peut-être mal ce que je suis en
train de faire. En tout cas, c’est risqué et stupide, je maintiens. Je me dirige à pas de loups vers les
bureaux du fond, et je repère celui de Jon. Il a laissé deux choses pour moi. Une figurine Disney avec
un détail qu’il a changé – mais je ne sais pas lequel – et avec laquelle je dois faire un selfie, et
pendant que j’y suis, est-ce que je peux lui apporter la clé USB qui est dans le tiroir de son bureau ?
Ben voyons, je suis coursier à mes heures perdues !
Stefanie, tu es une idiote. Si tu te fais prendre, ça va très mal se terminer. Tu as un boulot
depuis un an et demi, un salaire, un appart et tu te retrouves à faire des trucs d’étudiante. Sauf que je
lorsque j’étais étudiante, je bossais tellement dur que je n’avais pas le temps de m’amuser. Pendant
que ma bande d’amis sortait en boite et allaient faire des trucs fun, genre grimper au sommet d’un
immeuble fermé la nuit pour y planter un drapeau ou faire des selfies dans des endroits privés, je
restais enfermée chez moi pour étudier pour mes examens.
Résultat, j’ai l’impression d’avoir manqué quelque chose dans ma vie. Jon est mon meilleur
ami depuis le lycée. Depuis qu’il est à New-York, je ne crois pas qu’il ait passé beaucoup de soirées
chez lui. Il sort en boite presque tous les soirs, et quand il ne sort pas, c’est qu’il passe la soirée avec
un plan cul rencontré la veille.
D’un autre côté, Jon était presque une caricature de geek au lycée, avec les lunettes, les
boutons d’acné et une silhouette maigre et sans un gramme de muscles. Depuis qu’il est ici, il s’est
épanoui. Gay, il ne l’a jamais dit à ses proches. J’étais la seule à le savoir, dans notre petite ville de
l’Iowa. Il a décidé de partir à New-York après le lycée, pour pouvoir enfin vivre, et il m’a
convaincue de partir avec lui. Du coup, il est devenu cool. Il s’est inscrit à une salle de sport, a
remplacé les lunettes par des lentilles et s’est fait dépuceler dans la foulée, perdant ses boutons
d’acné au passage.
Jon a fait des études d’informatique – quatre ans en deux ans, c’est un surdoué -, et il a
décroché un boulot chez Hartford Inc, une boite qui fait dans les logiciels de sécurité informatique. Il
n’a rien trouvé de mieux que de me mettre au défi d’y pénétrer de nuit, en me donnant un badge et un
plan des lieux. Tout ça après une discussion animée et trop d’alcool pour moi sur le fait que je suis
une fille beaucoup trop sérieuse pour mon âge – vingt-deux ans – et que je vais finir en mamie à chats
si je ne me décide pas à vivre un peu.
J’ai rétorqué que j’adorais m’amuser et prendre des risques et je me suis retrouvé avec ce
pari idiot. Je ne m’amuse pas du tout. Je suis terrifiée et je veux rentrer chez moi. Je me dis que dans
dix minutes, j’aurais fait ce foutu selfie, récupéré la clé et je pourrais enfin sortir de l’entreprise,
mission accomplie. Ensuite, je vais courir un cent mètres digne de la sportive que je n’ai jamais été
pour filer droit à l’arrêt de bus.
Jon ne m’a pas donné sa propre carte d’accès, bien sûr, mais il a réussi à en piquer une à un
employé parti en déplacement et me l’a filée. Je la tâte du bout des doigts dans la poche de ma veste,
pour me rassurer. J’ai les doigts moites de transpiration. Je sors mon portable et m’en sers comme
lampe de poche. Il ne manquerait plus que je m’étale sur une corbeille à papier. Je repère enfin le
bureau de Jon et la figurine qui m’attend. C’est Buzz l’éclair, sauf que Jon a repeint son scaphandre
en rouge, allez savoir pourquoi. Je souris malgré moi. Je l’ai fait ! Je prends la figurine et je la mets à
côté de mon visage. Je fais un V derrière le chapeau et je prends le selfie en souriant comme une
idiote. J’en fais trois, dont un où je tire la langue – un peu passé de mode, mais ça fera cool quand
même.
Ouf, j’y suis presque ! Je repose la statuette, ouvre le premier tiroir du bureau et je prends la
clé USB noire que je glisse dans la poche de mon jean. Je suis presque libre. Je retourne en silence à
la grande porte de l’open space et je tends la main pour l’ouvrir.
— Ne bougez pas !
Je me fige, mon cerveau passant immédiatement en mode panique totale. Il n’y avait personne
dans l’open space il y a deux minutes, j’en suis sure ! Un garde ? Jon m’a affirmé qu’il n’y en avait
pas.
— Levez les mains ! ordonne la voix masculine dans mon dos.
J’obéis lentement, que le type – un garde ? – n’aille pas s’imaginer que je suis armée ou un
truc du genre.
— Je ne suis pas armée, je dis lentement, tout en entendant combien ma voix tremble.
— Tournez-vous !
J’obéis, toujours lentement. Je me retrouve face à face avec le canon d’une arme. Je ne vois
rien d’autre, juste l’embouchure noire du canon. Le monde se met à tourner à vitesse folle autour de
moi et, pour la première fois de ma vie, je m’évanouis.
J’ai la tête en bas. Je ne me sens pas bien. Non, ma tête n’est pas en bas, elle penche en
avant. Je cligne des yeux. Je suis assise sur une chaise, mais quelque chose cloche. J’essaie de
bouger mes mains, mais elles sont attachées dans mon dos. Un autre lien m’enserre le ventre
et m’empêche de me lever.
— De retour parmi nous ? demande une voix masculine.
Le type a un drôle d’accent, slave à mon avis. En un instant, je me rappelle ce qui s’est passé.
Le pari idiot, le canon de l’arme braqué sur moi.
— Ne me tuez pas ! je supplie, paniquée.
— Ce n’est pas dans mes projets immédiats, me répond la même voix, qui vient de derrière
moi.
Je tourne la tête à m’en démonter le cou, mais l’homme est juste hors de mon champ de
vision.
— Qui êtes-vous ? je demande.
— Ce serait plutôt à moi de poser la question, non ? Vous êtes dans mon entreprise. Qui êtes-
vous ?
Un instant, je suis tentée de mentir sur mon nom, mais quelque chose me dit que ce serait une
erreur.
— Je m’appelle Stefanie Barnes, je suis assistante vétérinaire et je vous promets que je ne
suis pas ici pour voler quoi que ce soit. J’ai fait un pari stupide, c’est tout !
— Quel pari ? me demande l’homme.
Sa voix est profonde, grave, et si je n’étais pas dans un tel état de stress, je dirais même
qu’elle est sexy. J’adore son petit accent.
— Un pari avec…
Je m’arrête, parce que je m’apprête à balancer un ami qui va avoir des ennuis à cause de
moi.
— Un pari avec un ami, je reprends. Je devais m’introduire dans votre entreprise et faire un
selfie avec une figurine. Vous pouvez regarder mon portable ! J’ai fait trois photos ! Il est dans la
poche de ma veste !
— Vous avez quel âge pour tirer la langue sur une photo ? me demande l’homme.
— Vingt-deux ans. Hé, minute ! Vous m’avez fouillée ?
Je me tortille pour sentir s’il m’a dégrafé ou déboutonné quelque chose. Je sens en tout cas
que mon portefeuille n’est plus dans la poche arrière de mon jean, où je l’avais glissé pour ne pas
m’encombrer d’un sac. Mon soutien-gorge est toujours agrafé et mon jean boutonné, c’est déjà ça.
— Je vous promets que mes gestes ont été ceux d’un gentleman, me répond l’homme avec une
ironie perceptible dans sa voix grave.
Il bouge et vient se mettre en face de moi. Je dois lever la tête pour le regarder et je dois
reconnaître que j’aime beaucoup ce que je vois. Il est grand, plus que la moyenne, avec des épaules
larges, un corps musclé, mais élancé, mis en valeur par un costume noir de luxe. À en juger par son
visage, il doit avoir un peu plus de trente ans. Il est beau, aussi beau qu’un acteur ou un mannequin,
mais ses traits réguliers expriment une personnalité souvent absente chez ces derniers. Ses cheveux
noirs, épais, sont peignés en arrière et dévoilent un front haut et patricien. Ses yeux verts me scrutent
et sa bouche pleine, aux lèvres sensuelles, esquisse un sourire. Il a une barbe de trois jours et il est
l’homme le plus séduisant que j’ai jamais rencontré.
— Inutile d’avoir peur, Stefanie, me dit-il de sa voix riche et profonde. Je n’ai pas l’intention
de vous faire du mal. Je veux seulement savoir pourquoi vous êtes là.
— Je viens de vous le dire, j’ai fait un pari stupide, je répète, plus troublée que je ne veux
l’admettre.
— Quel est le nom de votre ami ? J’ai vu que vous aviez une carte d’accès, au nom d’un
employé en congé. C’est lui, votre ami ?
À nouveau, je me dis que je pourrais mentir et sauver Jon, mais à nouveau, je sens que mon
mensonge serait vite démasqué et que ce ne serait pas une façon de prouver mon innocence. Je suis
dans de sales draps, je n’ai pas le choix.
— Non, je ne le connais pas. Le type de la carte, je veux dire. C’est un de vos employés,
Jonathan Wilder, qui m’a donné la carte. C’est juste un pari idiot, c’est tout. Il dit toujours que je suis
trop sérieuse, alors je lui ai dit que moi aussi je savais m’amuser et prendre des risques, et il m’a dit
que je ne serais jamais capable de m’introduire dans une entreprise la nuit et…
Je continue à parler, parler et parler encore, répétant toute l’histoire, disant combien je
regrette ce pari stupide et s’il vous plait, vous pouvez me détacher et me laisser partir ? Je jure que je
n’ai rien volé et que je ne recommencerai plus jamais, parole d’honneur.
Je m’aperçois que l’homme ne m’écoute pas. Il s’est reculé et me scrute de la tête aux pieds.
Avant que j’ai le temps de dire quoi que ce soit, il prend une pince coupante sur le bureau juste
derrière lui – là où il a pris le lien plastique en rouleau qui m’attache sur la chaise – et passe derrière
moi. Il me libère de quelques coups de pince. Je me lève et je me frotte les poignets, ne sachant quoi
penser.
— Vous allez me laisser partir ? je demande d’un ton plein d’espoir.
Si je sors d’ici sans avoir les menottes aux poignets, j’irais brûler un cierge dans la
première église que je rencontrerai. Je suis athée, mais tant pis. Et ensuite j’irais tuer Jon. Ou en tout
cas, passer mes nerfs sur lui.
— Pas tout de suite, me répond l’inconnu. D’abord, vous allez répondre à quelques
questions. Venez !
Je n’ai pas le loisir de refuser. Il m’a attrapée par le poignet et m’entraine avec lui. Sa
poigne est ferme et sa main est chaude. Debout, je me rends compte qu’il est vraiment plus grand que
la moyenne et pourtant, je suis plutôt grande pour une femme. Il me dépasse de la tête et des épaules.
Il passe par une porte arrière de l’open space et allume la lumière, refermant la porte à clé. C’est un
banal bureau, avec une multitude de dossiers, un bureau en bois couteux et des fauteuils qui ont l’air
en cuir véritable. Jon m’avait caché que son entreprise était aussi luxueuse.
L’homme me fait signe de m’asseoir sur l’un des fauteuils qui font face au bureau pendant
que lui-même va prendre place derrière. Il pose devant lui ce qu’il a trouvé dans mes poches, à
savoir mon portable, mon portefeuille, le badge et mes clés. Je me rends compte qu’il a manqué la
clé USB dans sa fouille. Dois-je la sortir pour prouver ma totale bonne volonté ? Non, je vais la
garder en réserve, ça peut devenir un atout.
Mes yeux accrochent la plaque en bronze posée sur le bureau, histoire que le visiteur ne se
trompe pas de nom en s’adressant à son interlocuteur. J’apprends que l’inconnu s’appelle Hartford,
ce qui n’est pas surprenant, et que son prénom est… hé, minute, le prénom sur la plaque indique
Emily !
— Vous n’avez pas une tête à vous appeler Emily, je dis en montrant la plaque. Vous avez dit
que c’est votre entreprise.
J’ai pris un ton involontairement accusateur, mais Monsieur je-ne-suis-pas-Emily a un
sourire amusé, dévoilant de jolies dents blanches et bien alignées. Personne n’a des dents comme ça,
ça doit venir de séances chez le dentiste, et j’espère qu’il a eu mal !
— Je m’appelle Laszlo Evanovitch, se présente-t-il. Je suis propriétaire de cette entreprise,
ainsi que de plusieurs autres, mais je ne la dirige évidemment pas personnellement.
Malgré moi, ma bouche s’ouvre toute grande, et mes yeux aussi, et si je pouvais ouvrir mes
oreilles, je le ferais. Je ne lis pas les magazines people, je jure que je ne suis pas abonnée à un feed
de site de potins, mais je connais ce nom. Laszlo Evanovitch est un milliardaire russe qui vient
d’acheter un pied-à-terre à Manhattan. Il est presque aussi riche que Bill Gates, et toutes les femmes
désespèrent d’attirer son attention. Il a fait l’objet de plusieurs reportages et articles dans les médias
à son arrivée, mais à présent, les journalistes le laissent un peu tranquille. Laszlo Evanovitch est du
genre mystérieux, personne ne sait vraiment rien sur lui, sinon qu’il a gagné son premier million de
dollars en Russie à l’âge où certains terminent à peine leurs études. Il est dans le pétrole et les
nouvelles technologies, si je me rappelle bien.
J’ai donc Monsieur-Mega-Riche en face de moi, et mega-séduisant aussi.
— Stefanie ? il me demande en haussant les sourcils.
— Je ne vous avais pas reconnu, je suis désolée, je murmure.
Les gens très, très riches pensent toujours qu’ils sont reconnus partout. Enfin, je dis ça, je
n’en fréquente pas, mais je me rappelle l’avoir entendu dans des reportages sur E ! Entertainment
que je regardais assidument quand j’étais adolescente. Okay, je regarde encore un peu.
— Je fais tout pour rester incognito, sourit-il. J’aime pouvoir me promener tranquillement
dans la rue sans avoir une horde de paparazzis à mes trousses !
— Euh, c’est un problème que je ne connais pas, je réponds avec un petit sourire.
Okay, il va falloir jouer serrer. Monsieur est milliardaire, ce qui veut dire qu’il ne pense pas
comme le commun des gens, comme vous, comme moi. Il ne pense sûrement pas comme Emily
Hartford, qui aurait probablement déjà appelé les flics. Il y a peut-être une carte à jouer s’il est du
genre excentrique.
— C’était juste un pari stupide, je dis avec un rire qui sonne horriblement faux à mes
oreilles. Vous savez ce que c’est ? On parle, on blague et on se retrouve à devoir faire un truc très
stupide ou se raser la moitié du crâne si on se dégonfle.
Tais-toi, Stefanie, par pitié !
— Que faites-vous dans la vie, Stefanie ? me demande-t-il brusquement.
— Je suis assistante-vétérinaire, je réponds avec un grand sourire, comme chaque fois que
je parle de mon métier. Je m’occupe du bien-être des animaux qui sont confiés à la clinique où je
travaille, je les prépare pour les opérations, j’assiste le vétérinaire pendant les opérations et je
prends soin d’eux après.
Tais-toi, Stefanie, il s’en fout !
— Vous avez des animaux ?
— Un chat… qui doit se demander où je suis passée, je réponds en saisissant la balle au
bond.
Il me fait un petit sourire – Laszlo Evanovitch, pas mon chat – style « je te vois venir ».
— Vous avez de la famille ?
— Mes parents, dans l’Iowa.
— Un petit ami ?
— Non.
Merde ! J’ai répondu trop vite. Oh la la, je n’aime pas ça ! Je n’aime pas la façon dont son
regard me fixe. Il ne va quand même pas me demander…
— Je ne vais pas vous demander de faveur sexuelle en échange de votre liberté, Stefanie, me
dit-il brusquement, comme s’il lisait dans mes pensées.
Bon sang, rien que la façon dont il dit « sexuelle » me fait frissonner, et pourtant, je ne suis
pas une fan de sexe.
— J’ai un deal à vous proposer, m’annonce-t-il en se renversant un peu dans son fauteuil.
— Je vous écoute, je dis en me redressant un peu, comme lorsque je me retrouve face à un
propriétaire d’animal qui me prend pour une gourde parce que je suis qu’assistante.
— À ce stade, je peux appeler la police. Vous serez arrêté pour violation de propriété
privée, usage de faux, espionnage industriel et j’en passe. Au mieux, vous ferez quelques mois de
prison en préventive et vous vous en tirerez avec une peine légère. Au pire…
Mon sang se glace dans mes veines. La prison ? Mais je n’ai rien fait ! Je ne vais pas aller
en prison pour un stupide pari !
— Non ! je m’écrie en m’agrippant aux accoudoirs du fauteuil de toutes mes forces, comme
si les flics étaient déjà là et voulaient m’emmener dans une geôle puante. Je ne veux pas aller en
prison ! Je vais perdre mon travail, perdre mon appart, et mon chat ira au refuge où il sera piqué !
S’il vous plait ! Pas la police !
Je suis à deux doigts d’éclater en sanglots et je me mords violemment la lèvre inférieure
pour endiguer le flot de larmes qui menace. À ce stade, je suis prête à tout, y compris à une faveur
sexuelle. Je m’oblige à respirer calmement, mais mes mains se mettent à trembler et mes lèvres
suivent le mouvement.
— D’un autre côté, je peux ne pas appeler la police, si vous acceptez de faire quelque chose
pour moi, continue-t-il, imperturbable.
— Je ferais n’importe quoi ! je dis en insistant sur les derniers mots.
S’il veut que je tombe à genoux devant lui et que je…
— Épousez-moi !
CHAPITRE 2
D’accord, je suis un salaud, même selon mes propres critères en la matière, qui sont pourtant
très larges. J’ai su que j’allais lui faire cette proposition dès qu’elle s’est évanouie dans mes bras.
J’ai juste eu le temps de rengainer mon flingue – la sécurité était mise, je ne suis pas fou – et de la
rattraper avant que sa jolie tête ne heurte le sol. De là, je l’ai fouillée, histoire de voir à qui j’avais à
faire. Pas d’arme, juste les trucs basiques qu’on transporte aujourd’hui.
Par contre, j’ai noté la joliesse de la demoiselle. Des cheveux blonds en boucles souples, un
beau visage aux traits réguliers avec un adorable petit nez légèrement retroussé et des lèvres sur
lesquelles j’ai eu envie de poser les miennes. Le reste n’était pas mal non plus, sous le pull bleu. Je
n’ai pas regardé, vu que je suis un salaud, mais gentleman quand ça m’arrange, et je n’ai pas touché
non plus, mais j’ai apprécié les rondeurs qui tendaient la laine. Avant même qu’elle ne rouvre ses
grands yeux bleus, j’ai su que c’était elle.
J’ai un besoin urgent de me marier, genre jeune fille du XIXème avec un môme dans le tiroir.
C’est vital que je me trouve une femme dans les jours qui viennent. Ça fait dix jours que je cherche la
femme idéale à épouser, c’est-à-dire surtout pas une femme amoureuse de moi. J’ai besoin d’une
épouse pour sauver ma vie, pour pouvoir la présenter à des gens vis-à-vis de qui je me suis mis en
position difficile. Trouver une femme qui réponde à mes critères n’est pas si facile que ça. J’ai
d’abord éliminé les petites annonces, et surtout les listes de beautés venant d’Europe de l’Est. J’en
viens, je sais comment ça fonctionne. C’est le genre à vous planter un couteau dans le dos au profit
du premier qui leur offrira plus de fric.
Une petite Américaine propre sur elle conviendra parfaitement. Stefanie sera l’épouse
idéale. Et elle n’a pas d’autre choix que d’accepter. Elle est visiblement terrifiée par l’idée d’aller
en prison, elle est terrifiée tout court, mais elle montre assez de sang-froid pour regarder la plaque
sur le bureau, elle a l’air intelligente et elle ne devrait pas être trop difficile à gérer.
Maintenant, il va falloir que je trouve les arguments pour la convaincre. Non pas de
m’épouser, parce qu’elle préférera toujours le mariage à voir sa vie brisée et quelques mois derrière
les barreaux, mais trouver une explication valide pour ma demande. Pourquoi un milliardaire
demanderait -il à une parfaite inconnue de l’épouser ?
Je sens que je vais m’enfoncer davantage dans mon rôle de salaud.
Je vais prétendre que j’ai eu le coup de foudre. Je vais lui dire que j’ai craqué sur elle
quand elle s’est évanouie dans mes bras. Je vais lui jouer un sacré solo de violon et la faire craquer.
Je garde la vérité en réserve, si tout le reste ne marche pas. Mais j’aimerais autant ne pas lui dire de
quoi il retourne. Mafia russe, ça risque de lui faire peur, quand même.
— Je vous demande pardon ? fait-elle lorsque son cerveau a assimilé l’information.
— Vous avez très bien entendu, Stefanie, je réponds avec un léger sourire, que j’espère
gentil. Je veux vous épouser.
Elle secoue la tête et me regarde comme si j’étais fou. J’essaie de me mettre à sa place. Elle
entre par effraction dans une entreprise, se fait surprendre par le milliardaire qui en est le
propriétaire, et il la menace de la balancer aux flics avant de la demander en mariage.
Cela ne va pas être aussi facile que je pensais.
— Croyez-vous au coup de foudre, Stefanie ? je demande d’une voix grave, comme si je lui
posais une profonde question philosophique.
— Non.
Merde ! Ce n’est pas gagné. Ce n’est pas censé croire au coup de foudre, les gentilles petites
Américaines comme elle ? Je suis sure qu’elle regarde des feuilletons romantiques à la télé, qu’elle
lit des histoires d’amour à la pelle et qu’elle rêve du prince charmant.
— Eh bien moi, j’y crois ! je mens avec assurance. Je sais que ça va vous paraître peu viril,
mais je crois dans le fait de savoir dès qu’on la rencontre qu’une femme est la femme de votre vie !
Deuxième essai, et ça ne prend toujours pas. Elle secoue la tête d’un air de se demander si
je suis bon pour les urgences psychiatriques ou si j’ai encore un peu de temps devant moi avant la
camisole de force.
— Stefanie, dès que je vous ai vue, dès que je vous ai tenue dans mes bras, j’ai su que vous
étiez la femme qui m’est destinée !
Putain, mon prof de théâtre serait fier de moi ! J’ai mis le ton pressant et passionné qu’il n’a
jamais pu obtenir de moi devant la bande de petits rigolos qui étaient mes gentils camarades de
classe, dans l’école londonienne où ma mère m’avait inscrite. Il faut dire qu’à cette époque là, dès
que j’ouvrais la bouche, tout le monde se foutait de ma gueule à cause de mon accent et de l’ordre
aléatoire – mais très russe – des mots dans mes phrases. Je détestais les cours de théâtre.
Bon allez, elle va se dégeler un peu, au lieu de faire la tête d’une instit qui se retrouve avec
le pire cancre de sa carrière dans sa classe ?
Soudain, elle éclate de rire.
— Vous me faites marcher, c’est ça ?
Mais son rire manque de conviction et il sert à masquer sa confusion. Elle ne sait pas du tout
comment prendre ma proposition. Elle ne me comprend pas, n’arrive pas à lire mes motivations.
Laszlo, mon vieux, c’est le moment de faire jouer ton imagination, chose dont tu as été abondamment
pourvu à la naissance.
— Croyez-vous aux prédictions, Stefanie ?
— Absolument pas, me rétorque-t-elle avec la force de sa conviction. Je ne crois ni aux
voyantes ni à l’horoscope et tous ces trucs-là.
Moi non plus. Mais ça n’arrange pas mes affaires. Je me penche sur le bureau, appuyé sur
les coudes, le visage entre les mains. Je me sens l’air con alors que je vise l’air intense.
— En Russie où je suis né, Stefanie, nous croyons aux prédictions des diseuses de bonne
aventure. Lorsque je suis parti avec ma mère, je n’étais qu’un gamin de neuf ans et je ne rêvais même
pas de me marier. Je pensais surtout à ne pas mourir de faim. Ma mère est allée voir une voyante pour
savoir si tout allait bien se passer pour nous. La voyante nous a dit que tout irait bien, ce qui s’est
avéré exact. Elle m’a alors pris la main dans les siennes, ses mains toutes ridées, bronzées, enserrant
ma main d’enfant comme des serres. J’avais peur, j’ai voulu me dégager, mais son regard m’a
hypnotisé. Elle m’a longuement fixé, puis elle m’a dit que je trouverais la gloire et la fortune dans un
pays étranger. Ensuite, elle m’a dit que la femme qui m’était destinée m’attendait au-delà des océans,
et qu’elle était entourée d’animaux. Elle a ajouté que je le reconnaîtrais en la voyant, parce que nos
destinées étaient liées !
Pitié, faites que je garde mon sérieux ! Ma mère n’a jamais consulté de voyante de sa vie,
elle préfèrerait mourir, je crois. Elle a grandi à l’époque communiste, où ce genre de trucs était non
seulement interdit, mais considéré comme profondément décadent.
Par contre, j’ai une vision en cet instant même : je vois une femme que je dois convaincre de
m’épouser au plus vite. Si je dois inventer un roman pour la convaincre, je suis prêt.
À ma grande surprise, Stefanie a l’air troublé.
— Entourée d’animaux ? elle demande d’un air songeur.
— Oui. Je pensais que ma promise était en Angleterre, où j’ai vécu ces dernières années,
mais il est évident maintenant que l’océan en question était bien entendu l’océan Atlantique. Et je
pensais que ce serait une femme qui possédait beaucoup d’animaux, mais quelle femme peut être plus
entourée d’animaux qu’une assistante vétérinaire ? Vous faites un si beau métier, Stefanie !
Que quelqu’un m’achève avant que je ne me noie dans cet océan de conneries ! Si Stefanie
mord dans ces bobards, elle va baisser dans mon estime. Elle est devenue pensive. Merde ! Elle n’est
pas si bête, non ?
— Vous voulez m’épouser à cause des prédictions d’une diseuse de bonne aventure ? me
demande-t-elle finalement.
Pas si bête, la petite dame ! Soit elle se doute que je raconte des craques, soit elle se
demande si je suis assez dingue pour me marier suivant des prédictions à la noix.
— Stefanie, j’avais oublié cette prédiction jusqu’à aujourd’hui. Mais lorsque je vous ai
tenue dans mes bras, je suis tombé amoureux ! Vous pouvez ne pas croire aux prédictions, mais
accordez-moi la grâce de penser qu’un coup de foudre est possible ! J’ai su que je vous aimais dès
l’instant où je vous ai serrée contre moi !
Allez, quoi, je ne te demande pas l’impossible ! Tu es dans la merde, je pourrais appeler les
flics (enfin, du moins, c’est ce que tu penses) et je te propose d’épouser un milliardaire pas trop mal
foutu de sa personne, sans vouloir être vaniteux.
— Stefanie, je détesterais devoir appeler la police, je dis à voix basse, presque suppliante.
Là, je ne joue plus la comédie. Si elle refuse vraiment, si c’est un non ferme et définitif style
je-préfère-l’ orange à la fleur d’oranger du bouquet de mariée, je ne vais pas non plus lui mettre un
flingue sur la tempe pour la forcer à dire oui. Encore que ce serait une solution. Non. Je suis un
salaud, mais là je ne pourrais plus me regarder dans une glace. Je veux qu’elle dise oui d’elle-même.
Allez, Stefanie, un petit effort. Regarde, je te souris gentiment. Je suis gentil, je t’assure. Un peu
menteur, mais gentil.
— Vous prétendez être amoureux de moi, mais vous n’hésiterez pas à appeler la police si je
refuse votre demande en mariage ? fait-elle avec le sourire de celle qui a gagné.
Échec et mat ! Laszlo échec en deux coups, la reine gagne, la reine est la meilleure, elle a un
cerveau et n’a pas oublié de s’en servir. Bon sang, Stefanie est pile l’épouse qu’il me faut ! Une fille
qui ne perd pas son sang-froid dans les situations de crise et vous met KO avec le sourire.
Je prends un air tragique. Merci à mon professeur de théâtre au lycée, qui me disait que tant
que je n’ouvrais pas la bouche, j’étais un acteur très convaincant, toujours rapport à mon accent. Mes
petits camarades se foutaient de moi, mais un Russe a le théâtre dans le sang.
Je me lève en titubant un peu, comme un homme blessé à mort.
— Vous serez à moi ou à personne, Stefanie ! je déclame, la main sur le cœur.
Stefanie pousse un long soupir, à nouveau l’instit face au cancre.
— Si vous arrêtiez votre cinéma ? fait-elle. Vous avez besoin de vous marier, c’est ça ? Vous
allez vous faire virer du territoire ? Un milliardaire ?
— Non, pas du tout ! je réponds en me rasseyant, tout de suite business-business. Ma carte
de séjour est tout à fait en règle.
Qu’est-ce que tu crois, chérie ? Avec le pognon que je paie en impôts ici, sans compter les
investissements, les services d’immigration m’apportent ma carte verte par coursier et avec leurs
remerciements.
— Très bien, alors pourquoi ? demande-t-elle d’un ton énervé. Et, je vous en prie, ne me
sortez pas l’histoire du coup de foudre ou des prédictions d’une voyante, parce que sinon j’appelle
moi-même les flics !
Hé, mais c’est qu’elle retourne la situation en sa faveur, la jolie dame ! Je dois dire que je
commence à franchement bien l’aimer. Je me mets à rire, et cette fois, ça n’a rien d’un rire de théâtre.
Je réfléchis un moment. Okay, je suis coincé, elle m’a eu, soyons beau joueur. Elle a droit à la vérité.
— Très bien, Stefanie, je vais être honnête avec vous, je commence. Je suis en affaires avec
des gens que je croyais respectables, or ils ne le sont pas. Des Russes, qui se sont avérés être des
mafieux, malgré les recommandations que j’ai pu recevoir de proches qui sont restés en Russie. Au
niveau affaires, tout se passe bien, nous sommes en bons termes. Malheureusement…
Alors jusque là, je n’ai fait qu’un petit mensonge. Je suis bien en affaire avec des mafieux
Russes, mais je savais depuis le départ. Pour le reste, et ce qui va suivre, c’est la pure vérité.
— Oui ? m’encourage Stefanie.
— Le chef de cette famille mafieuse a une fille, un peu plus âgée que vous, toujours
célibataire. Il cherche à la caser, mais la dame fait la difficile. Sachant que je suis célibataire, son
père a fait les présentations et malheureusement, la dame a dit oui. Elle a dit à son père qu’elle était
prête à se marier avec moi si je faisais ma demande.
Qu’une quelconque divinité foudroie Sonia Igorevna Kossolova! Elle ne pouvait pas dire
non, comme à tous les autres mecs auxquels son père l’a présentée ? Elle ne pouvait pas me foutre la
paix ? D’accord, elle est carrément canon, mais épouser une fille de mafieux ? Même pas en rêve ! Je
tiens à la liberté, et encore plus, à la vie. Épouser Sonia, c’est entrer dans la famille de son père, et
devenir mafieux moi-même. Non merci, je bosse en indépendant !
— Comme je n’ai aucun désir de l’épouser, j’ai dit que j’étais déjà marié, je continue en
disant toujours la stricte vérité. J’ai prétendu que mon épouse était très timide et que pour lui éviter
les questions des journalistes, nous nous étions mariés en secret, tout récemment.
Je pensais que ça passerait. Mais Igor Kossolov n’est pas né de la dernière pluie, même
radioactive. Il a vu le mec qui essayait de se débiner. Alors il a sorti le grand sourire de faux-cul,
m’a tapé dans le dos à me déboiter une côte et a commandé à boire. Ensuite, il m’a dit qu’il insistait
pour connaître l’heureuse élue. Et le mot « insister » venant d’un homme tel que lui veut dire
« présente ta femme ou je te bute ».
— J’ai gagné quelques jours en disant que ma femme était allée annoncer notre mariage à sa
famille, mais j’ai reçu un appel ce matin, je conclus. Je me marie ou je me retrouve avec une balle
dans la tête avant la fin de la semaine. Conclusion, vous m’épousez ou je vous fais coller en taule
avec le maximum d’emmerdements !
Fini, le prince charmant des prédictions de la bohémienne ! Place à Laszlo Evanovitch, le
milliardaire impitoyable, qui n’a pas fait fortune en étant gentil.
Stefanie se redressa sur son fauteuil et croise les bras sur sa poitrine. Je me demande
comment sont ses seins au toucher ? Je les devine authentiques. Je me file un coup de pied au cul,
mentalement parlant, vu que je suis assis. Je ne suis pas là pour fantasmer sur elle, je suis là pour
l’épouser. Ne mélangeons pas cul et mariage, ça n’a rien à voir.
— Si vous aviez commencé par là, au lieu de me sortir tous ces bobards, me dit-elle d’un
ton à la limite du méprisant.
Hé, doucement, ma jolie dame. De nous deux, pour l’instant, c’est toi qui es dans les
emmerdes. Un coup de fil et tu te retrouves avec des menottes aux poignets, et elles ne seront pas
garnies de fourrure ! Moi, j’ai encore deux-trois jours avant de me retrouver six pieds sous terre.
— J’ai essayé de la jouer prince charmant, je reconnais.
— Vous m’avez surtout prise pour une conne !
— Désolé. Sincèrement. Stefanie, je vous propose que nous repartions sur de bonnes bases.
J’ai besoin de me marier pour ne pas me faire tuer. Voulez-vous m’épouser ?
Elle pince les lèvres et soupire.
— Je suppose que ce n’est pas à vie ?
— Non, bien sûr. Dans quelque temps, quand la menace sera écartée, nous divorcerons,
disons dans un an. D’ici là, Sonia aura bien fini par se caser ! En attendant, nous devrons vivre
ensemble, cependant. Il faut que notre mariage ait l’air authentique.
— D’accord, je veux bien vous épouser, capitule Stefanie. Mais j’ai des conditions.
Oui !!! Merci, Seigneur auquel je ne crois pas – désolé -, elle veut bien m’épouser ! Je ne
vais pas mourir ! J’essaie de garder un visage aussi neutre que possible, car le deal n’est pas fini. Je
crois que je devine les conditions de la demoiselle. Un joli paquet de dollars à la fin de notre
mariage, l’accès à une carte bancaire bien garnie pour la durée de l’union.
— Je veux garder mon travail et mon appart.
Alors là, elle m’a prise par surprise. Elle va épouser un milliardaire, et elle veut garder son
job ? Bon, si ça peut lui faire plaisir.
— Pas de souci.
— Je veux un contrat en bonne et due forme.
— Aucun problème.
Tu penses bien qu’on va en faire un, de contrat. Je ne t’épouse pas pour de faux, ma belle, et
il est hors de question que tu mettes la main sur la moitié de mon fric quand on divorcera. Je connais
les lois américaines, elles sont impitoyables en la matière.
— Dans un an maximum, je retrouve ma liberté.
Un an marié à cette beauté, à vivre avec elle, je ne sais pas si je vais pouvoir retenir mes
mains et le reste. Je vous ai déjà dit qu’elle a des lèvres sensuelles ?
— D’accord. J’ai moi aussi une condition, je dis.
— Laquelle ?
— Durant cette année de mariage, vous partagerez mon lit !
Quoi ? Attends, c’est moi qui aie dit ça ? Non, mais qu’est-ce qui m’a pris ? Je veux bien
qu’elle soit belle, avec des seins magnifiques, une bouche à damner un saint, mais lui imposer de
coucher avec moi ? Je suis tombé de plusieurs crans dans mon échelle personnelle d’estime de soi.
Je m’attends à des cris de vierge effarouchée, mais je vois juste son visage qui se ferme et le
mépris dans ses yeux.
— Les hommes, vous êtes tous les mêmes ! lâche-t-elle finalement. Vous voulez coucher
avec moi en prime ? Vous allez être déçu. Je n’aime pas le sexe, je pense que je suis frigide. Si ça
vous suffit, d’accord, mais là encore, il y aura négociations sur le nombre de fois par mois !
Je suis prêt à dire que je retire ma dernière condition, mais quelque chose me pousse à ne
pas le faire, et je ne suis pas sûr que ce quelque chose soit entre mes jambes. Il se situe plus haut, à
gauche. Je ne veux pas la forcer, mais je veux lui faire l’amour. Je veux la faire crier de jouissance.
Je veux connaître son corps, son cœur, son âme.
Hé, stop, mec, tu es en train de tomber dans le mélo ! Il y a de l’herbe planquée sous le sous-
main ou quoi ? De toute façon, elle me méprise. Je lui ai menti comme un arracheur de dents avec
cette histoire de coup de foudre et de prédiction, ensuite je lui déclare que je veux la baiser. À ses
yeux, je ne dois pas valoir mieux qu’un pauvre type doublé d’un salaud doublé d’un minable.
De toute façon, je me fous de ce qu’elle pense. Je ne suis pas amoureux. Je ne serais jamais
amoureux d’elle. J’ai juste besoin de me marier, et la baiser sera un bonus.
— J’ai l’intention de vous être fidèle, je dis finalement. Même si ce mariage est bidon, à
mes yeux, il n’en demeurera pas moins que vous serez ma femme. Comme tout homme, j’ai des
besoins.
Vas-y, mon grand, enfonce-toi encore un peu plus, genre la bête sauvage qui ne sait pas
contrôler sa queue.
Stefanie baisse la tête, comme pour mieux masquer ce qu’elle pense. Merde, je l’avais à ma
portée, elle était en train de négocier notre mariage, et comme un con, j’ai tout foutu en l’air.
— Écoutez, Stefanie, je vous propose un terrain d’entente. Nous aurons une nuit de noces. Si
vraiment nous ne nous entendons pas sur ce plan-là, vous avez ma parole que je ne vous toucherai
plus !
Voilà, je me sens nettement mieux comme ça. Avoir dans mon lit une femme qui ne veut pas
de moi pendant un an, même moi, je ne suis pas prêt à ça.
— Et vos besoins d’homme ? demande-t-elle, sarcastique.
Elle doit faire une sacrée joueuse de tennis, à renvoyer toutes les balles comme ça.
— Je me branlerais, je réponds grossièrement.
— Tant que vous ne le faites pas devant moi, je m’en fous, me répond-elle avec un air de
dégout.
— Alors, nous sommes d’accord ? Nous nous marions ?
— Deal.
CHAPITRE 3
Je suis tombée sur un fou, je ne vois pas d’autre explication. Un fou hyper-sexy, à tomber par
terre question physique, mais un cinglé qui me propose de l’épouser après m’avoir raconté
mensonges sur bobards, le tout avec un léger accent russe qui le rend encore plus sexy. Je voulais un
peu de piment dans ma vie, je suis servie ! Je n’avais cependant pas escompté me retrouver fiancée à
la fin de la journée à un homme que je viens de rencontrer. Même s’il est séduisant, avec une bouche
dans laquelle j’ai envie de mordre, je n’ai aucune envie de l’épouser.
Mon futur mari me tend pour l’heure un bloc de papier jaune, le genre qu’on vous fournit
chez les flics pour noter votre confession. C’est ce qu’il attend de moi, d’ailleurs, que je me
confesse. Je prends un stylo bille dans le pot à crayons d’Emily Hartford et je commence à ma
rédaction, comme la bonne petite élève que j’étais (dans mes rêves et ceux de mes parents, surtout).
Je raconte le pari que j’ai fait avec Jon, et comment il m’a fourni le badge et demandé de faire le
selfie. Je raconte mon intrusion dans les locaux de la société, en insistant bien sur le fait que je
n’étais animée d’aucune mauvaise intention, ni de voler ni de dégrader ou d’espionner, et je conclus
par « à ce moment-là, le propriétaire de l’entreprise m’a surprise ». Je ne précise pas que je suis
tombée dans les pommes ni que ma première pensée lorsque j’ai repris mes esprits a été de penser…
que j’étais dans un rêve. Des hommes aussi beaux que lui ne circulent généralement pas dans mon
espace vital, d’où mon impression. Je relis voir si je n’ai pas laissé passer de fautes – la honte –, je
date et je signe. Voilà. J’ai scellé mon sort. Je tends la feuille à Laszlo Evanovitch.
Il la détache du bloc, la lit soigneusement, hoche la tête et prend une enveloppe sur le
bureau. Il la cachète et y met le tampon de la société sur la fermeture. Il me demande de signer juste à
côté, histoire d’être sure que l’enveloppe n’a pas été ouverte au moment où il me la rendra, autrement
dit lorsque nous divorcerons.
— Normalement, ça se fait avec de la cire et un sceau à cacheter aux armoiries du maitre
des lieux, je dis en signant.
— Je n’ai ni l’un ni l’autre sous la main, me répond-il en riant. Je doute même qu’il y ait des
bougies ici.
Il porte une bague qui pourrait passer pour un sceau, encore que je ne distingue pas le motif.
C’est une chevalière comme celles qu’en donnent les grandes universités de l’Ivy League à leurs
étudiants en fin de cursus. Les Russes doivent avoir copié le système ou alors il l’a achetée sur eBay.
— Vous avez fait la fac ? je demande.
— Oxford. Et vous ?
Je mets deux secondes à associer le nom à l’une des deux plus prestigieuses universités
britanniques. L’équivalent de notre Ivy League. Il n’a pas acheté la bague, il l’a gagné. Il doit être
blindé de diplômes.
— L’école d’assistante-vétérinaire, je réponds, le menton levé bien haut.
Non, mais ! Mes parents ont fait des efforts pour me payer des études, j’ai dû bosser pour
compléter, je ne vais pas avoir honte de mon parcours scolaire. J’ai fait les études que je voulais
faire. Je fais le métier que j’aime. Bien sûr, j’aimerais avoir moi-même une clinique vétérinaire, ou
mieux, un refuge pour accueillir tous les animaux en détresse de la ville, mais je suis heureuse de
faire un travail utile et d’aider les animaux à ma façon.
Laszlo – il va falloir que je m’habitue à ce prénom peu courant – met l’enveloppe dans la
poche intérieure de sa veste, et réarrange sa cravate grise à fines rayures rouges. Il respire le fric à
trois kilomètres. Son costume doit coûter une année de mon salaire, et probablement plus. Je me sens
soudain découragée. Je vais avoir l’air d’une cruche dans son monde.
— Venez, je vous raccompagne, dit-il en se levant.
— Je peux prendre le bus.
Il ne faudrait pas que Mr Milliardaire pense qu’il va obtenir une obéissance totale de ma
part parce que j’ai signé un bout de papier et que je me suis engagée à l’épouser. Je suis une femme
indépendante.
— Stefanie, le dernier bus est passé depuis longtemps, soupire-t-il.
Je regarde ma montre et je dois admettre qu’il a raison. J’aurais dû être rentrée chez moi il y
a près de deux heures et j’aurais déjà dû poster mon selfie. Pour ce qu’il me coûte, j’ai le droit de le
poster ! D’ailleurs, je le dis à mon fiancé d’une heure.
— Excellente idée, approuve-t-il tout en me tenant la porte du bureau. Ne dites pas à votre
ami Jon que je vous ai surprise. Postez le selfie, dites-lui que tout s’est bien passé. Demain, Emily
s’occupera de son cas. Ce jeune homme a fait preuve de beaucoup de légèreté.
— C’était juste pour rigoler, je réponds d’une voix peu convaincue.
Maintenant que je suis sortie des embrouilles les plus urgentes, je vois la situation du point
de vue de Laszlo. Imaginez que vous trouviez une parfaite inconnue dans les locaux de votre
entreprise parce qu’un de vos employés a volé un badge et lui l’a donné. Vous ne trouveriez pas cela
drôle et, à bien y réfléchir, moi non plus. Je n’aurais jamais dû accepter ce pari stupide.
Je me rappelle brusquement la clé USB et je tâte discrètement la poche de mon jean. Elle est
toujours là ! Bon, je la rendrais à Jon quand je le reverrais. Il n’avait qu’à pas l’oublier, ce naze !
Laszlo m’a rendu mes affaires, que j’ai fourrées au petit bonheur la chance dans les poches de ma
veste. Je le suis sur le parking désert et je frissonne, resserrant les pans de ma veste autour de moi. Je
suis finalement contente qu’il ait proposé de me raccompagner. La nuit, l’endroit est vraiment désert.
Naturellement, il a une Porsche. Naturellement elle est noire. Il me tient la portière, me
laisse monter et referme, en vrai gentleman. Il se glisse à mes côtés et met le moteur en marche. Je
n’ai jamais vu l’intérieur d’une voiture de luxe autrement qu’en photo. Ça sent le cuir de qualité. La
voiture s’engage dans la circulation en souplesse et passe sur l’autoroute. Laszlo me demande mon
adresse – je le soupçonne de le faire par courtoisie, vu qu’elle est marquée sur ma carte d’identité –
et rentre les coordonnées dans le GPS. Une voix féminine sirupeuse nous dit que nous sommes sur la
bonne voie. Si seulement !
— Nous nous marierons dans quarante-huit heures, m’annonce Laszlo tout en conduisant
d’une main, nonchalant. C’est le temps qu’il me faut pour établir les papiers.
Le bruit que vous venez d’entendre, c’est Stefanie qui retrouve la terre ferme. Deux jours,
bon sang ! Dans deux jours, à cette heure-là, je serais Stefanie Evanovitch – il va me falloir du temps
pour m’y habituer – et surtout, dans le lit de Laszlo Evanovitch.
Je n’ai pas menti en disant que le sexe n’est pas mon truc. Je ne sais pas ce qui cloche avec
moi, mais je n’ai jamais connu l’orgasme, du moins avec un homme. Toute seule, j’y arrive très bien,
parfois avec l’aide de petits jouets pour femmes seules, mais je n’ai jamais rien éprouvé dans les
bras d’un homme, à part me demander quand il aura fini de s’agiter et me laissera dormir. Dans ce
monde où la jouissance est le maître mot, je suis une anomalie.
Je n’aime même pas les baisers. Mon premier échange de salive avec un garçon, à seize ans,
s’est soldé par une grande excitation psychologique – j’avais enfin embrassé un garçon !- et une
grande déception – c’est ça, un baiser ? Cette langue qui frétille dans votre bouche, cette bouche
gluante sur la vôtre, l’haleine mentholée du garçon ? Par la suite, ça ne s’est pas amélioré. Lorsque je
suis passée à l’étape suivante, après le bal de promo, passage presque obligatoire pour le dépucelage
de la jeune vierge américaine, j’ai eu la même déception. Tout ça pour ça ? Tous ces préparatifs –
choix de la robe, épilation hyper-douloureuse du maillot, maquillage, vingt-cinq visites à la salle de
bains en cours de soirée pour rester bien fraiche et propre à l’endroit stratégique – tout ça pour ces
quelques minutes de tripotage, et le corps musclé de Jeremy Sodberg sur le mien, le beau Jeremy tout
à coup suant et gémissant, qui me fait mal, s’excuse, puis ça va mieux, mais rien d’autre que l’attente
qu’il ait joui ?
J’ai appris à faire semblant, à soupirer et gémir au bon moment, à dire que c’était génial,
parce que j’ai lu suffisamment de magazines féminins pour savoir ce que les hommes attendent de
leur petite amie. Les premières fois, je me suis dit que je manquais d’expérience. Ensuite, j’ai pensé
que Jeremy n’était peut-être pas à la hauteur. Mais un deuxième petit ami, à la fac, ne m’a pas fait
plus d’effet. Je n’aime ni être embrassée ni faire l’amour. Mais je le fais parce que c’est comme ça
que le monde marche. Je fais semblant. J’aime quand même bien avoir un petit ami, la tendresse qui
va avec, être avec quelqu’un au lieu d’être une fille toute seule.
Je regarde Laszlo à la dérobée. Je ne sais même pas son âge. Je ne sais rien de lui, sinon les
articles que j’ai parcourus d’un œil distrait sans savoir que j’allais un jour l’épouser.
— Vous avez quel âge ? je demande.
Il a un sourire amusé, un de ses sourires authentiques que je commence à apprécier, loin de
ses effets dramatiques de tout à l’heure.
— Je suis très vieux. J’ai trente-quatre ans.
Douze ans de plus que moi ! Wow, je ne suis jamais sortie avec quelqu’un d’aussi vieux.
Mes deux petits amis avaient le même âge que moi. Je me demande si Laszlo s’attend à ce que je
fasse des trucs de fille plus âgée. Genre… enfin, vous voyez ce que je veux dire ! Je sais comment on
fait, techniquement, mais déjà que je n’aime pas avoir la langue d’un garçon dans ma bouche, vous
imaginez pour le reste, je n’ai jamais cherché à tester.
— Qu’est-ce que vous aimez faire, quand vous ne travaillez pas ?
— Mmmh, voyons voir… surprendre des jeunes femmes dans mon entreprise ?
Je me mets à rire malgré moi.
— Allez, soyez sérieux.
— J’aime voyager, découvrir les autres pays, les autres peuples. J’aime jouer aux jeux
vidéo, regarder de bons films…
Il a l’air étrangement mal à l’aise, comme si ma question le prenait par surprise. J’aurais
aimé qu’il me dise qu’il avait une passion, même si c’est de collectionner les timbres, mais il ne dit
plus rien. Voyager, tout le monde aime, jouer aux jeux vidéo aussi, même moi.
— Vous n’avez pas une passion ? je demande. Par exemple, j’adore les animaux. Durant mon
temps libre, je lis tout ce que je peux trouver sur la meilleure façon de les nourrir, de prendre soin
d’eux, sur les différentes races et leur histoire.
Laszlo me jette un drôle de regard. Il doit se dire qu’il va épouser une cinglée de la PETA,
qui va hululer chaque fois qu’il mange un steak ou porte des chaussures en cuir.
— Vous êtes végétarienne ?
Qu’est-ce que je vous disais ?
— Non, pas du tout. Je sais très bien qu’on ne peut pas vivre sans manger de la viande. J’ai
essayé quand j’étais ado, je suis tombée malade, j’avais des carences en fer. Mais je veux qu’on
traite bien les animaux, même ceux qu’on mène à l’abattoir.
Il reste silencieux un bon moment, avant de prendre la bretelle de sortie pour mon quartier.
— Quand j’étais gosse, je ne mangeais pas souvent de viande, dit-il finalement. On n’avait
pas les moyens d’en acheter.
Voilà, ferme ta gueule Stefanie, il vient de te rappeler qu’il vient d’un pays où on crève de
faim quand on est pauvre. À vrai dire, chez nous aussi, mais j’ai grandi dans une banlieue sinon
prospère du moins proprette, où les gens mangeaient tous les jours de la viande et des plats
savoureux.
— Je suis désolée, je murmure.
— Vous n’avez pas à l’être, répond-il en s’arrêtant en bas de chez moi. Je me donne
l’impression de vous avoir fait la morale. Je n’ai jamais eu faim quand j’étais gosse, simplement la
viande était trop chère. On mangeait beaucoup de poisson, par contre. J’admire les gens qui ont une
passion et des convictions, Stefanie.
Il sourit et je lui souris en retour. Dans l’habitacle de la Porsche, je me sens soudain proche
de lui. Je l’imagine bien, enfant, avec une jolie bouille toute ronde, des cheveux bruns en bataille,
mordant dans une tranche de pain avec l’appétit d’un petit garçon plein de vie.
Je réalise brusquement nous sommes arrêtés et qu’il attend sans doute que je descende pour
pouvoir rentrer chez lui. Je me sens idiote et je me mets à rougir.
— Je dois y aller, je balbutie en cherchant comme on ouvre une portière de Porsche.
Laszlo est déjà descendu de voiture et il m’ouvre, me tendant la main pour que je descende
avec grâce de cette voiture hyper-basse, très loin du 4X4 familial duquel je sautais avec insouciance.
Je me retrouve sur le trottoir sans m’être étalée, ce qui est un exploit. La main chaude de Laszlo me
trouble.
— Euh, eh bien, au revoir, je dis.
Laszlo me sourit, tenant toujours ma main dans la sienne.
— Nous sommes fiancés, dit-il de sa voix grave. Nous pourrions nous embrasser ?
— Je n’aime pas trop être embrassée, je réponds en me tortillant d’un pied sur l’autre. Je
n’ai jamais aimé lorsque mes petits amis m’embrassaient.
— Parce que c’était des baisers de gamin. Je vais vous donner un baiser d’homme !
Mon cœur fait une embardée. Mes yeux se focalisent sur la bouche de Laszlo, qui soudain se
rapproche de la mienne. Avant que j’aie eu le temps de penser à une réponse, il m’embrasse.
D’abord, il y a ses lèvres, fermes, douces et brûlantes sur les miennes. Ensuite, il y a sa
langue qui trace le contour de mes lèvres, que j’entrouvre. Il glisse doucement sa langue dans ma
bouche, comme s’il avait peur de m’effrayer en allant trop vite. Il m’a enlacée et je me retrouve prise
dans son étreinte musclée et tendre tout à la fois, dans son odeur boisée d’homme viril et la douceur
de ses bras autour de moi. Lorsque sa langue caresse la mienne, je sens comme une étincelle dans
mon ventre, des papillons qui s’affolent et volètent dans mon estomac. Je noue mes bras autour du cou
de Laszlo et timidement, je réponds à son baiser, en ayant l’impression que c’est la première fois.
Je sens une chaleur nouvelle descendre dans mon ventre, entre mes jambes, et une vague de
désir brûlant me submerge. Je deviens liquide entre les bras de Laszlo. Et brusquement, je panique.
Je le repousse, haletante je porte une main tremblante à mes lèvres. Il me regarde, étonné.
— Je suis désolée, je murmure, avant de m’enfuir à toutes jambes vers la porte de mon
immeuble.
Je tape le mauvais code sur le digicode, naturellement, je veux sortir mes clés de ma poche,
mais je les laisse tomber. Avant que j’aie eu le temps de me baisser, Laszlo me les tend. Il sourit
gentiment.
— Je ne voulais pas vous effrayer, dit-il de sa belle voix grave.
— Vous ne m’avez pas effrayée, je réponds en baissant les yeux.
C’est juste que vous avez éveillé quelque chose en moi dont j’ignorais l’existence. Ça me
fait peur. Je peux gérer une nuit de noces sans passion, attendre que vous ayez fini. Mais ça, je ne
peux pas. Pas ces frissons dans tout le corps, pas ce désir qui m’enflamme alors que nous nous
connaissons à peine.
Naturellement, je ne dis rien de tout cela. Il me prend doucement par le menton et me fait
relever la tête.
— Vous n’avez rien à craindre de moi, Stefanie, m’assure-t-il. Nous irons à votre rythme.
Vous avez aimé mon baiser ?
— Oui !
J’ai répondu trop vite, d’une voix trop forte et trop enthousiaste et je m’attends à ce qu’il se
moque de moi. Mais il a à nouveau ce gentil sourire, et lorsqu’il se penche vers moi, je suis prête à
renouveler l’expérience. Il se contente de m’embrasser sur le front, et je sens le dessin de ses lèvres
sur ma peau.
— Vous allez arriver à ouvrir ? sourit-il.
Je tape le code et cette fois, le déclic m’annonce que la porte s’ouvre. Je souris bêtement et
je lui dis « bonne nuit », comme s’il était un amoureux venant de me raccompagner à ma porte après
une soirée à flirter.
— Bonne nuit, Stefanie. Faites de beaux rêves !
Il attend que je sois rentrée dans l’immeuble et que je monte dans la cabine d’ascenseur pour
s’éloigner. Je ne sais pas trop comment j’arrive à sortir de la cabine et ouvrir la porte de mon
appartement. Avant toute chose, je m’enferme à double tour, je tire tous les rideaux et les stores et
j’allume toutes les lampes. Je me laisse tomber sur le canapé en face de la télévision et je réalise que
je viens d’embrasser un homme et que je le désire.
Le bruit de petites pattes sur le carrelage de l’entrée me sort de ma rêverie. Bucky, mon chat
blanc et gris, me regarde d’un air impassible, et daigne venir se frotter contre mes chevilles. Je le
prends dans mes bras et je le câline, petit océan de normalité dans mon monde qui est devenu fou. Je
lui gratouille la tête et il ronronne, jolie petite bête qui ne connait pas sa chance d’être un chat et pas
un humain. Je l’ai récupéré à la clinique, une cliente dont la chatte a eu des chatons dont elle ne
voulait pas. Je les ai tous placés parmi d’autres clients et des amis, mais j’ai gardé Bucky pour moi.
La sonnerie de mon portable me fait faire un bond sur le canapé et je pousse même un cri.
Bucky saute de mes genoux, le poil hérissé, et file se mettre à l’abri dans ma chambre. Mon cœur
marque un temps d’arrêt avant de reprendre ses battements. Je sors le portable de ma poche et je vois
que c’est Jon qui m’appelle. Je n’ai pas la force de répondre. Je rejette l’appel et je passe en mode
message.
Quoi ? je demande.
Tu l’as fait ? Je parie que tu ne l’as pas fait ! est sa réponse qui en dit long sur sa foi en
moi. Trouillarde !
Je suis tentée de l’appeler pour pouvoir lui hurler dessus, mais je me rappelle in extremis
que j’ai promis à Laszlo de garder le silence sur tout un tas de choses, y compris sur notre rencontre.
Jon ne doit rien soupçonner jusqu’à demain matin.
Je fais défiler les photos sur mon portable et je choisis celle où je tire la langue à côté de la
figurine Buzz l’éclair. Je la poste sur les réseaux sociaux en mode ‘amis seulement’ et je texte le lien
à Jon.
Et ça, c’est une trouillarde ? Je l’ai fait !!!
Le temps pour lui d’aller voir la photo, de la liker, et il revient vers moi en me demandant si
j’ai sa clé USB. Je vais pour lui répondre que oui, mais je décide de le faire mariner un peu. Après
tout, il m’a traitée de trouillarde. Après tout, je vais devoir me marier à un parfait inconnu, certes
milliardaire et bel homme, mais quand même, à cause de son pari débile.
Non, je n’ai pas eu le temps. J’ai entendu du bruit et j’ai filé dès que j’ai pris la photo.
Tant pis ! Mais sérieux, je ne pensais que tu le ferais !
Nous échangeons encore deux ou trois vannes et je lui souhaite une bonne nuit en me sentant
coupable. Demain, il va se faire sonner les cloches genre tocsin, et je ne peux pas le prévenir. Je n’ai
pas envie que ça me retombe dessus.
Je mets le portable en mode veille et je file sous la douche. Je ne sais plus où j’en suis, les
évènements de la soirée se bousculent en mode images folles dans ma tête. L’open space désert et
sombre, la figurine bidouillée, l’arme braquée sur moi, Laszlo.
Je me savonne en pensant à notre baiser. C’est la première fois que je ressens du désir dans
les bras d’un homme. J’en ai ressenti en regardant des hommes, souvent des hommes un peu plus âgés
que moi, des professeurs, des vétérinaires sexy, mais jamais face à un homme qui me manifestait de
l’intérêt. Je ferme les yeux pour mieux me rappeler les mains de Laszlo, ses lèvres sur les miennes,
sa langue caressant ma bouche et le feu s’allume à nouveau, petite étincelle de désir. Mes mains
glissent sur ma poitrine, je me caresse doucement les seins en imaginant que c’est lui qui me touche,
avant de descendre plus bas, entre mes jambes, vers ce bouton de chair qui s’est dressé. Mes
paupières étroitement closes, je rejoue encore notre baiser, et j’imagine Laszlo me couchant sur les
sièges en cuir de sa voiture, baissant mon jean et mon string, et enfouissant son beau visage entre mes
cuisses. Sa langue savante caresse mon intimité, lèche, suce et lèche encore, et j’explose de plaisir
sous mes doigts, le souffle court, le corps traversé par un formidable orgasme.
S’il vous plait, faites que ma nuit de noces soit comme ça !
Je me rince en soupirant de bonheur, encore sous le coup du flot d’hormones de plaisir,
petites endorphines qui boostent mon moral et me donnent un sourire rêveur. Je coupe l’eau, je me
sèche et j’enfile mon pyjama en coton tout simple, blanc à fleurs jaunes. Je suis tout à coup épuisée,
et je me glisse entre les draps qui sentent bon la lessive en souriant comme une idiote. Bucky vient se
glisser contre moi, se blottit contre mon épaule et fait sa toilette. Il n’en est qu’à sa patte arrière-
droite quand je m’endors.
C’est la sonnerie de l’interphone qui me réveille le lendemain et je mets un moment à
émerger. Je réponds d’une voix rauque de la fumeuse que je ne suis pas et j’ouvre la porte à un jeune
livreur qui disparait derrière une gerbe de roses rouge sombre. Je signe sa tablette électronique d’un
doigt hésitant et je me retrouve avec les fleurs dans les bras. Un instant, je reste genre pourquoi des
fleurs ? De qui ? Et puis la soirée précédente me revient en mémoire. Naturellement, les fleurs sont
de Laszlo.
Parce qu’elles me rappellent la douceur de vos lèvres.
Le petit carton blanc en main, je passe un doigt sur mes lèvres.
Je mets les fleurs dans le seul vase que je possède, avec interdiction formelle à Bucky d’y
toucher.
Mine de rien, c’est la première fois qu’un homme m’offre des fleurs. J’ai toujours trouvé ce
genre d’attention désuète, mais je dois reconnaître que ça me touche. D’accord, hier il m’a raconté
une sérieuse collection de bobards avant de me dire la vérité sur sa demande en mariage, mais
ensuite il s’est montré plutôt gentil. Il faut dire qu’il ment très mal. Je n’ai pas cru une seconde à son
histoire de coup de foudre, et je préfère ne pas parler de la diseuse de bonne aventure. Je n’aurais
pas été aussi flippée de me retrouver en prison, j’aurais éclaté de rire. Je crois que c’est à ce
moment-là qu’il m’a fait – un tout petit peu – craquer. Il avait l’air d’un petit garçon qui raconte un
énorme mensonge pour essayer d’échapper à une punition, style je me suis fait enlever par les
martiens en rentrant de l’école.
En attendant, dans deux jours je serais sa femme, au menteur de charme. Je vais me
renseigner un peu sur lui. Hier soir, j’étais tellement fatiguée que je n’ai même pas regardé sur
Internet ce qu’on raconte de lui.
Je vais être franche. Je me fous qu’il soit milliardaire. Je sais que ce genre d’homme fait
rêver pas mal de femmes, juste parce qu’elles viennent d’un milieu modeste et qu’elles savent qu’à
moins d’un miracle, elles en baveront toute leur vie pour avoir ne serait-ce qu’un peu d’argent à
mettre de côté pour se faire de petits plaisirs. Je ne les juge pas. Quand tu fais un boulot que tu
détestes, que tu as des petits chefs sur le dos toute la journée, c’est clair que ça doit faire rêver
d’épouser un milliardaire et de ne plus jamais avoir à travailler de sa vie. Sans compter les voyages
fabuleux qu’on doit faire.
J’aime bien mon métier, j’aime bien mon travail à la clinique. Bien sûr, je me dis qu’une fois
mariée à Laszlo, je pourrais peut-être, éventuellement, faire appel à son bon cœur pour créer quelque
chose en faveur des animaux. Je rêve depuis longtemps d’un refuge où les animaux ne seraient pas
euthanasiés, même les vieux chiens moches dont personne ne veut. Parce que même un vieux chien
moche a de l’amour à offrir et a droit à une vie digne.
Et voilà, je ne suis pas encore mariée que je pense déjà à lui demander du fric ! Je soupire
en finissant mon café matinal. D’un autre côté, pour les animaux en détresse, je suis prête à tout.
Mais pas à n’importe quoi.
CHAPITRE 4
Je dois dire que je ne suis cependant pas l’assistante vétérinaire la plus attentive du monde
ce matin. Mon esprit dérive sans cesse vers Laszlo. Dans trente-six heures, nous serons mariés.
Mariés, et dans le même lit. S’il fait aussi bien l’amour qu’il embrasse… Non ! Je ne veux pas penser
à ça maintenant, et surtout pas en plein milieu de la clinique. Je suis si distraite que je manque donner
des croquettes pour chien à un chat et je change la perfusion d’un chien qui est encore pleine.
Heureusement, mon patron, le séduisant et sexy et très gay Matthew Tanner, ne s’aperçoit de rien.
Je voudrais bien pouvoir faire des recherches sur mon futur mari, mais les clients n’arrêtent
pas de m’interrompre et je dois prendre en charge des chiens malades, des chats pas contents d’être
là, et même une lapine que sa maîtresse trouve « trop grosse » et qui en fait, est pleine jusqu’à ses
adorables petits yeux bleus.
C’est Jon qui m’a trouvé mon job. Quand il a commencé à sortir en boite, il s’est fait plein
d’amis. C’est sur un dance-floor qu’il a rencontré Matthew, l’a dragué et s’est gentiment fait jeter, vu
que mon boss est en couple depuis cinq ans. Mais ils ont sympathisé, et ils en sont venus à prendre un
verre ensemble et à discuter. Quand Jon a compris que Matthew avait sa propre clinique vétérinaire,
il s’est empressé de dire qu’il avait sa meilleure amie qui finissait ses études d’assistante-
vétérinaire. Je n’ai pas eu de vacances cette année-là. Dès mon diplôme obtenu, j’ai commencé à
travailler pour Matthew.
Jon est un amour. Matthew est un amour. Le monde est amour.
— Vivement la retraite, grommelle Matthew, qui râle comme tous les lundis matins qu’il fait
un métier de dingue et qu’un jour il va tout plaquer.
— Vivement le week-end, je réponds. Zut, il vient de finir !
Nous nous sourions. Matthew adore son métier et je le vois bien aller travailler
bénévolement dans un refuge quand il prendra sa retraite. Quant à moi, j’adore mon job. C’est pour
ça que je refuse de le quitter, même après épousé un milliardaire.
D’ailleurs, pour être tout à fait honnête, je ne compte pas rester mariée longtemps. Même si
Laszlo embrasse comme un dieu – j’espère qu’il fait aussi bien l’amour – il est hors de question que
moi, Stefanie Barnes, femme indépendante, je reste sagement mariée à un type qui m’a forcée à
l’épouser. Je vais me libérer vite fait de là et j’aurais besoin de mon job.
J’ai un plan. Laszlo veut que je vive avec lui, ce qui m’arrange. Il va forcément cacher la
lettre de confession que j’aie rédigée, et le meilleur endroit où la mettre me parait logique : son
coffre-fort. Il en a forcément un. Il ne me reste qu’à gagner sa confiance et me débrouiller pour
apprendre la combinaison. Ensuite, je pique la lettre et j’en fais des confettis, sous les yeux de
Laszlo. Mieux, je la brûle dans un grand geste théâtral, en essayant de ne pas mettre le feu à son
appartement par la même occasion. Ensuite j’exige le divorce. D’ailleurs, dès que la lettre est brûlée,
je fais mes valises et je repars dans mon appartement. Voilà pourquoi j’ai exigé de garder mon job et
mon appart. Il a dû trouver ça bizarre, mais il ne se doute pas de mes vraies raisons.
Mouais. Il y a juste le léger problème de la combinaison du coffre. Dans mes rêves les plus
fous, je me vois bien avec un stéthoscope, les sourcils froncés, en train de deviner la combinaison. Je
n’ai aucune idée de pourquoi on utilise un stéthoscope d’ailleurs, mais l’idée me parait trop cool,
comme dans les vieux films de gangsters. Sauf que dans les films les plus récents, les coffres-forts
ont un clavier de touches numériques, comme les digicodes. Et c’est là que j’ai ma deuxième idée
lumineuse. Je demanderais à Jon de m’aider ! Après tout, il est informaticien, il doit bien savoir
pirater un coffre-fort, non ?
Peut-être pas, je me dis tout en servant leurs repas à nos petits pensionnaires en soins post-
opératoires. Je manque de donner des granulés de poisson rouge à un chat – association d’idée, sans
doute, et je me concentre sur ma tâche.
Bon, pas de Jon pour ouvrir le coffre en le piratant. J’ai entendu dans un reportage que la
plupart des gens utilisent des trucs faciles à se rappeler pour leurs mots de passe. Laszlo fait
probablement pareil pour son coffre-fort. Ce sont des chiffres, il utilise peut-être sa date de
naissance, ou alors une date importante pour lui. Il faudra que je le cuisine pour le savoir.
Il est hors de question que je reste mariée contre mon gré.
À midi, je vais au petit snack où je fais ma pause déjeuner. Je ne suis pas plutôt dans la file
d’attente que Jon arrive – en même temps, c’est souvent qu’on déjeune ensemble ici – et m’attrape
par le poignet pour me tirer hors de la file. Il a le visage rouge de colère et il postillonne en me
parlant, ou plutôt en me criant dessus.
— Putain, comment t’as pu me faire ça ? hurle-t-il devant tous les habitués.
J’essaie de me dégager, mais il me tient si fort que j’ai l’impression qu’il va me briser le
poignet.
— Te faire quoi ? je demande. Lâche-moi, tu me fais mal !
Jon a toujours été gentil avec moi, et le voir en colère est un choc.
— Je me suis fait virer à cause de toi ! hurle-t-il. J’ai perdu mon boulot parce que tu n’as
pas su la fermer ! Et tu ne m’as même pas prévenu hier soir !
Je comprends sa colère. Perdre un job à l’heure actuelle est une sérieuse galère, mais ça
n’excuse pas sa violence.
— Lâche-moi ! je crie à mon tour. Tu as perdu ton boulot à cause de ta connerie ! Si tu ne
m’avais pas lancé ce défi stupide, je ne me serais pas fait prendre et tu auras encore un travail !
Non, mais ! Je ne vais pas le laisser me faire porter tout le poids de la responsabilité.
— Je ne pensais pas que tu étais assez conne pour te faire prendre !
— Tu me traites encore une fois de conne et je t’en colle une ! je hurle.
Les habitués nous regardent avec le plus grand intérêt. Jon finit par lâcher mon poignet, qui
porte à présent de grosses marques rouges, mais c’est pour moi pour brandir son index sous le nez.
— C’était un petit pari sympa pour te décoincer un peu ! s’écrie-t-il. Et toi, tu me fais perdre
mon boulot parce que tu n’es pas fichue de fermer ta gueule !
Je n’ai jamais entendu Jon me parler aussi brutalement et malgré moi, j’ai un peu peur. C’est
qu’avec toute la musculation qu’il a faite ces dernières années, il est loin du gamin maigrichon que je
protégeais contre les autres lycéens. En fait, ce sont surtout ses yeux. Il a l’air d’avoir disjoncté.
— Je suis désolée que tu aies perdu ton job, je dis, sincère.
— Tu peux l’être ! À cause de toi, je vais me faire virer de mon appart ! Putain, tu aurais au
moins pu me dire que tu t’étais fait choper et me prévenir ! Ce matin, je me suis pointé comme un con
et je me suis fait lyncher !
Là encore, je peux le comprendre. Il a dû avoir l’impression d’avoir été trahi par une amie,
et ce n’est jamais une impression agréable. Je commence à balbutier des explications, lui racontant
que je me suis fait surprendre par un employé – c’est la version que Laszlo m’a demandé de raconter,
vu qu’il ne veut pas que les gens sachent qu’il est le propriétaire et big boss de facto de l’entreprise.
Je lui raconte la vraie terreur qu’il appelle les flics et que je me retrouve en prison.
— Mais t’es idiote ou quoi ? siffle Jon. Il suffisait de faire de l’œil au type et il t’aurait
laissé filer ! Il n’aurait pas appelé les flics !
— Je t’assure qu’il allait les appeler !
— Bien sûr que non ! Il aurait suffi que tu sois un peu gentille avec lui ! C’était ce qu’il
attendait, espèce de conne !
À ce stade-là, c’est un mot de trop. Je lève la main pour lui coller une gifle, mais Jon est
plus rapide que moi et m’attrape à nouveau le poignet, me le tordant douloureusement. Petit à petit,
durant la discussion, il m’a poussé entre deux plantes vertes et, comme il a baissé le ton, les gens se
désintéressent de nous.
— Ne t’avise pas de recommencer ! il me dit à voix basse. Je me suis juré de ne plus jamais
laisser quelqu’un me frapper !
Je me rappelle le serment, il l’a prêté devant moi, lorsqu’on a décidé d’aller à New-York.
— Alors, lâche-moi ! je siffle sur le même ton. Tu me fais mal !
— Rends-moi d’abord la clé USB ! Quand j’ai vidé mon bureau, elle n’y était pas ! Tu l’as
volée ! Tu vas me la rendre !
Je me rappelle brusquement le petit objet qui est toujours dans la poche de mon jean, à
portée de main. J’ai tellement peur que je suis à deux doigts de lui dire que je l’ai et de la lui donner.
Mais une part de moi est tellement en colère qu’il me traite comme ça que le mensonge sort de ma
bouche sans la moindre difficulté.
— Je n’ai pas pris ta foutue clé USB ! Il ne t’est pas venu à l’idée que ta boss a pu fouiller
ton bureau avant ton arrivée ? Lâche-moi, maintenant !
— Tu as forcément vu cette foutue clé ! Elle était dans le tiroir de mon bureau ! Donne-la-
moi !
Je n’ai pas le temps de répondre. Jon me lâche brusquement parce qu’il est tiré en arrière
par le col de sa veste. La poigne vigoureuse de mon sauveur appartient à Laszlo, dont le visage est si
froid et si fermé que j’ai du mal à reconnaître le charmeur qui m’a demandé en mariage quelques
heures auparavant.
— La dame vous a demandé de la laisser tranquille ! fait-il d’un ton glacial.
Jon le regarde d’un air mauvais, prêt à en découdre, mais soit les larges épaules de Laszlo –
qui est plus musclé que lui, je note au passage – soit son visage glacial le dissuade.
— J’allais partir, lance-t-il. Mais on n’a pas fini, Stefanie !
— Oh si, on a fini ! je riposte. Je ne veux plus jamais te revoir, Jon, tu as compris ? Plus
jamais !
Jon va pour dire quelque chose, mais un simple mouvement de Laszlo le met en fuite. Je
pousse un soupir de soulagement.
— Merci, je dis. Comment avez-vous su que j’étais là ?
— Je l’ai suivi, me répond-il. Emily l’a cuisiné toute la matinée, et il a essayé de tout vous
mettre sur le dos, disant que c’était vous qui l’aviez convaincu de voler le badge et de vous
introduire dans l’entreprise. Quand il est parti, il marmonnait tout seul qu’il allait vous le faire payer.
Quelque chose de doux et chaud enveloppe mon cœur. Laszlo n’a pas hésité à voler à mon
secours ! Il est vraiment charmant, malgré le fait qu’il n’hésite pas à faire du chantage au mariage.
Brusquement, je réalise que sa version ne colle pas, et mon enthousiasme retombe.
— Pourquoi ne vous a-t-il pas reconnu ? Et pourquoi ne pas m’avoir prévenue en
m’appelant ?
Laszlo a un petit sourire à la fois amusé et indulgent.
— Parce que j’ai suivi la confrontation avec Emily par vidéo, et parce que votre téléphone
est coupé.
Logique pour le premier, mais le deuxième ne tient pas debout. Je sors mon portable de mon
sac et je constate qu’il est éteint, et qu’il refuse de se rallumer. J’ai totalement oublié de recharger la
batterie hier soir.
— Merci, je répète, ne sachant quoi dire d’autre. Il était vraiment en colère.
— Il n’a qu’à s’en prendre à lui-même, répond Laszlo en haussant les épaules. Je veux que
vous m’appeliez s’il s’en prend à nouveau à vous, Stefanie. Vous devez me le promettre !
— Je vous le promets, je dis en souriant. Il n’est pas comme ça, d’habitude, vous savez. Je
me sens un peu coupable quand même, vu qu’il a perdu son travail. Vous ne pourriez pas…
— Non ! me coupe Laszlo. Non seulement, après ce que je viens de voir, je n’ai aucune
envie de lui redonner une chance, mais il vous a menti. Il était déjà sous le coup d’une sanction
disciplinaire. Il a eu une violente altercation avec un autre employé et Emily l’avait mis à pied en
attendant de décider si elle le renvoyait ou pas.
Je fronce les sourcils. Jon ne m’a jamais parlé de ça ! Je comprends un peu mieux le pari
qu’il m’a lancé, cependant. Il savait probablement qu’il risquait de se faire virer et voulait se venger
de sa boite. En tout cas, il peut toujours attendre sa clé USB ! Je l’ai, je la garde ! Je ne la lui
rendrais que s’il me fait de sincères excuses. Il a explosé les limites de l’amitié avec cette crise qu’il
a piquée, lui d’habitude si gentil.
— Venez, je vous emmène déjeuner, me dit Laszlo en me tendant la main.
J’y glisse la mienne et je tressaille au contact de sa paume chaude et vigoureuse.
— Vous savez qu’on vend de la nourriture, ici ? je dis avec malice en désignant le snack
autour de nous.
— Un déjeuner dans un bon restaurant vous remettra d’aplomb, vous êtes toute pâle, me dit-
il. Et une bonne bouteille de vin.
Je sens à nouveau de la chaleur m’envahir. La perspective n’a rien de désagréable, surtout
après la grossièreté et la violence de Jon.
— Juste un verre, je dois retourner travailler après, je dis.
CHAPITRE 5
Oh la tête qu’il a faite ! Quand je lui ai dit que je ne pouvais pas me marier sans robe et sans
tout le tralala ! Son visage était à se tordre, d’ailleurs, j’ai bien failli éclater de rire. J’ai sorti ça
comme ça, en voyant une femme dans une robe blanche. Je dois dire qu’il a admirablement réagi. Ça
se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’il n’avait rien prévu, mais il a improvisé avec talent.
Du coup, je sens que je vais avoir un joli mariage, alors qu’à la base, je m’en fous un peu. J’ai dit
robe 1930 parce que je me suis rappelée que c’était le style de celle de Kate Middleton, dont j’avais
admiré la sobriété lors de son mariage avec le prince William.
Contrairement à ce que j’ai raconté à Laszlo, je n’ai pas passé mon adolescence à découper
des photos de robes de mariées dans des magazines ! Je ne suis pas une fanatique du mariage, déjà, et
j’ai en horreur les cérémonies à grand tralala avec la mariée déguisée en meringue et deux cents
invités autour.
Je me suis dit que si un jour je me mariais, je le ferais à Las Vegas. Cinq minutes devant un
type habilité à nous unir, pour peu qu’il ne soit pas déguisé en Elvis, et voilà. Je n’ai jamais voulu
une grande cérémonie. Pour moi, l’important dans le mariage, ce ne sont pas les gens autour, c’est de
se dire oui et de signer un papier pour rendre le truc officiel. À part ça, je ne vois aucune raison de
mettre une longue robe blanche et encore moins de convier famille et amis.
J’ai malgré moi dû assister à quelques mariages durant mon adolescence. Je me suis juré de
ne jamais m’infliger une épreuve pareille. Il y a de quoi divorcer avant même d’avoir dit oui.
Sérieusement. J’ai vu des futures mariées passer une année entière de leur vie à préparer ce plus-
beau-jour-de-leur-vie pour finir en larmes le matin de la cérémonie, épuisées et aigries.
Apparemment, ça nécessite toute une organisation pour la cérémonie, les fleurs, le buffet, le dîner, et
surtout, la liste des invités. Parce que ce ne sont pas les mariés qui invitent, ce sont les parents.
Comme généralement ils paient cette belle journée, ils ont droit d’inviter la famille, y compris les
cousines que vous ne pouvez pas blairer. Surtout elles, d’ailleurs. Vous, vous devez restreindre le
nombre de copines que vous aimeriez avoir autour de vous, en faveur des chipies qui vous tiraient les
cheveux quand vous étiez petite. Je ne parle même pas du choix des demoiselles d’honneur. Pareil,
vous voudriez vos copines, et vous vous retrouvez avec des nièces, des cousines, qui vont vous faire
chier grave pour choisir leurs robes – assorties – de demoiselles d’honneur et finiront par se décider
pour un truc hideux qui jurera atrocement avec votre robe.
J’ai une grande famille dans l’Iowa. Le fait que je sois fille unique parce que ma mère n’a
pas pu avoir d’autre enfant après ma naissance fait de moi une exception. J’ai quantité de cousins et
de cousines que j’ai été très heureuse de fuir lorsque je suis venue à New-York. Depuis quatre ans
que je suis ici, j’ai toujours trouvé un prétexte pour ne pas revenir, à part la première année pour
Thanksgiving, l’un des pires de ma vie. Depuis, je suis automatiquement de garde à la clinique les
jours de fête. Je préfère passer le dernier jeudi du mois de novembre à câliner les chiens et chats
laissés à notre garde plutôt que de me retrouver à une immense tablée où on m’appellera « la New-
Yorkaise ».
Je me suis toujours juré qu’il était hors de question que tous ces emmerdeurs soient invités à
mon mariage, quitte à me brouiller avec toute ma famille. D’ailleurs, ça m’ira très bien, de me
brouiller avec eux. Sous prétexte de respecter les traditions, ils adorent se mêler de la vie des autres,
et surtout de la mienne. Pas encore fiancée ? Pas encore mariée ? Alors, tu as un petit ami ? Tu nous
le présentes ? J’ai appris à ne pas répondre aux emails de ma famille, à part mes parents, ou à me
contenter de rester dans des phrases toutes faites, au lieu de leur dire d’aller se faire voir. J’ai deux
comptes sur les réseaux sociaux, l’un pour la famille, l’autre pour ma vraie vie, avec Jon et Matthew
en amis principaux.
Je hais ma famille, en fait. Pas mes parents. Mais mes oncles, mes tantes, mes cousins, et
surtout mes cousines. Je sens le venin de la jalousie dans leurs emails. Elles ont mon âge, et elles
sont déjà coincées dans la vie avec un mari, un gosse et un job au Walmart du coin où elles
s’emmerdent à six dollars de l’heure. Du coup, elles sont un rien envieuses de ma vie de New-
Yorkaise, imaginant que je sors dans des boites branchées tous les soirs – si elles savaient – tout en
murmurant que je dois bien « faire la vie là-bas », comprendre, coucher avec un mec différent chaque
soir, me droguer, picoler, et peut-être même avoir une carte de membre dans un club SM.
Oui, on lit certains romans aussi dans l’Iowa.
Je resterai bien un moment de plus avec Laszlo, à le tourmenter pour notre mariage, mais le
devoir m’appelle. Je lui dis que je dois rentrer, que j’ai trois métros à prendre et que des animaux
m’attendent. Mon fiancé me fait un grand sourire et me propose de me raccompagner en limousine, en
toute simplicité.
— Une balade dans les rues de Manhattan vous tente ? propose-t-il.
Pourquoi pas ? C’est en levant pour le suivre que je m’aperçois que j’ai peut-être un peu
abusé du vin français, mais je marche quand même droite. Je me sens simplement toute légère, mon
poignet ne me fait plus mal, les marques ont disparu et la vie est belle.
Un chauffeur m’ouvre la portière d’une limousine noire où j’entre avec un rien de timidité.
Ce n’est pas la première fois que je monte dans ce genre de voiture, non madame ! J’ai eu droit au
grand jeu le soir du bal de promo, même si la voiture en question était hors d’âge. Celle-là est
visiblement neuve, elle sent bon le cuir de qualité. Je me glisse sur l’un des sièges et, alors qu’il y a
de quoi loger une dizaine de personnes, Laszlo vient s’asseoir juste à côté de moi, sa cuisse musclée
touchant la mienne. Il appuie sur un bouton, donne un ordre en russe et la voiture démarre. La vitre
sombre qui nous sépare du chauffeur est levée et j’ai l’impression que nous sommes seuls au monde,
comme dans un carrosse.
Laszlo prend mon poignet dans ses grandes mains aux doigts soignés et me demande si j’ai
toujours mal.
— Non, ça va beaucoup mieux, je réponds.
Il frôle mon poignet de ses lèvres et je frissonne. Je ne peux pas l’arrêter. Il éveille en moi
des sensations inédites. Jamais un homme ne m’a fait cet effet-là, surtout en se contentant de promener
ses lèvres sur mon bras. Lorsque Laszlo me prend dans ses bras, je n’ai aucune envie de le repousser.
Il me serre contre lui et me caresse les cheveux, embrassant délicatement mes tempes. Ses lèvres
descendent sur ma joue, trouvent les miennes et à nouveau, c’est la magie de son baiser. Sa langue
trouve la mienne, l’effleure d’abord avant de la caresser, de l’enlacer et de danser avec elle. Nos
lèvres suivent le mouvement, et je sens un feu liquide naître dans mon ventre. J’ai noué mes bras
autour du cou de Laszlo et je lui caresse la nuque. J’ai chaud et je me sens bien, en même temps je
brûle et j’ai envie de lui arracher ses vêtements.
Laszlo m’attire sur ses genoux tout en m’embrassant dans le cou. Ses lèvres et sa langue
mettent le feu à ma peau. Il glisse une main sous mon pull et me caresse les seins à travers le tissu de
mon soutien-gorge, que je souhaiterais vouloir disparaitre. Je veux sentir ses mains sur ma peau nue,
je veux… Il a écarté la dentelle et ses doigts caressent mes seins. Je m’entends gémir. Je réussis à
faire glisser sa veste de costume le long de ses épaules et de ses bras, et je caresse ses épaules
musclées à travers sa chemise bleu ciel. Je me mets à califourchon sur lui, le cœur battant, et le corps
en feu. Je le veux, ici et maintenant !
Je réalise brusquement que je suis en train de faire l’amour en voiture, en plein milieu de la
circulation et je me fige.
— Les gens, je halète, les gens vont nous voir !
— Les vitres sont teintées, me répond Laszlo tout en s’attaquant aux boutons de mon jean. Ils
ne peuvent pas nous voir.
Il a réussi à défaire mon pantalon et à le baisser un peu sur mes hanches, suffisamment pour
glisser sa main entre mes cuisses. À travers le tissu de mon string, je sens ses doigts qui caressent
doucement mes lèvres gonflées par le désir. Je mouille comme je n’ai jamais mouillé avec un homme.
Lorsqu’il glisse deux doigts sous ma lingerie et caresse mon clitoris, je ne peux retenir un
gémissement de plaisir. Il me caresse lentement, taquinant mon petit bouton de chair avant de caresser
toute ma fente, et de glisser ses doigts en moi ses longs doigts d’artiste qui vont loin à l’intérieur. Je
pousse un petit cri, au bord de l’orgasme.
Je veux qu’il ressente ce que je ressens ! Oubliant ma timidité, j’ouvre son pantalon de
costume après avoir bataillé avec la ceinture en cuir, découvrant la bosse révélatrice de son désir
sous son caleçon noir. Je le caresse à travers le tissu, guidée dans mes gestes par ses petits
gémissements de plaisir. Il accélère le rythme de ses caresses et je m’enhardis à l’imiter, sentant qu’il
se frotte contre ma main à travers le tissu de son caleçon. Nous atteignons l’orgasme ensemble. Je
sens une vague de plaisir qui monte de mon clitoris, se répand dans mon ventre et explose dans tout
mon corps.
— Laszlo !
Je suis secouée par une tempête de plaisir qui m’emporte, mais je suis consciente qu’il jouit
à son tour lorsqu’il crie quelque chose en russe, tandis que son corps se tend contre le mien et qu’une
douce humidité vient récompenser mes efforts. Malgré la barrière du caleçon, je sens son odeur, un
peu âpre, mais agréable. Il a retiré ses doigts et me serre contre lui. Je l’enlace, sans même penser à
remettre mes vêtements en place. Je ne veux plus bouger, plus jamais. Nous allons rester comme ça
pour l’éternité.
Je ne sais pas comment je fais pour retrouver une apparence décente après un tel feu
d’artifice, mais je finis par sortir de la voiture, à deux pas de clinique, jean bien en place et veste
impeccable. Laszlo sort de la voiture avec moi, les yeux encore brûlants du brasier qui nous
emportés. Il prend ma main dans la sienne, la porte à ses lèvres et embrasse doucement ma paume.
— A demain, je dis d’une voix un peu trop rauque lorsqu’il me lâche.
Un sourire sensuel étire ses lèvres et je dois m’arracher à cette vision du paradis pour
retrouver la réalité. Je remarque qu’il attend que je sois rentrée dans la clinique pour remonter en
voiture et partir.
Je reste un bon moment dans les petits vestiaires de la clinique, adossée à mon casier, à
regarder rêveusement le poster de chaton sur le mur d’en face. Laszlo… Je ne pensais jamais
connaître l’orgasme avec un homme, j’avais sérieusement abandonné tout espoir. Et voilà que surgit
ce russe qui me surprend, me menace, m’oblige à l’épouser après m’avoir sorti mille mensonges et
me fait jouir comme je ne l’aurais pas cru possible. Laszlo… j’ose à peine imaginer ce que sera notre
nuit de noces. Je veux dire, il m’a fait jouir juste avec ses doigts, juste en me touchant. Je l’imagine
couché sur moi, sa grosse queue bien dure enfouie jusqu’à la garde dans mon ventre, en train de me
baiser et de me faire jouir encore et encore…
Je l’imagine si bien que je sens de la mouille qui menace de détremper définitivement mon
string, déjà malmené par notre petit interlude en voiture. Je me reprends, me redresse et je me rends
compte qu’il est largement l’heure de redevenir professionnelle. Les animaux m’attendent. Je
m’asperge quand même le visage d’eau, vu que je suis encore toute rouge et je m’aspergerais bien
une autre partie de mon anatomie si je pouvais.
Note pour plus tard : une fois mariée à Laszlo, toujours prévoir une tenue de rechange dans
mon vestiaire, pour les retours au travail après interludes coquins.
Je suis sur un petit nuage lorsque je m’installe derrière le comptoir. Je profite de ce que
c’est calme pour me connecter à Internet et taper « Laszlo Evanovitch » dans le moteur de recherches.
Plusieurs pages de réponses s’affichent, l’une d’elles concerne sa notice Wikipédia. Wow. Mon futur
mari a sa propre page ! Je clique et j’apprends que Laszlo est né à Moscou il y a trente-quatre ans (je
note sa date d’anniversaire dans mon portable au passage), que son père est mort quand il était petit
et que sa mère l’a pas mal trimballé en Europe quand il était jeune. Il a un diplôme un diplôme en
finances et un autre en informatique, tous les deux obtenus à Oxford. Il est revenu en Russie après ses
études et y a fait fortune, principalement dans le pétrole, les industries chimiques et l’informatique. Il
a une vaste propriété dans les environs de Moscou (la photo montre une immense baraque entourée
d’un encore plus immense parc), un appartement à Londres, un autre à Paris et il vient d’en acheter un
à New-York, où il a l’air de vouloir s’établir. Il a vécu pas mal d’années à Londres, parmi
l’importante communauté russe exilée là-bas, et il parle couramment cinq langues. On le voit peu en
public, même s’il participe aux manifestations les plus huppées de la jet-set internationale. Il a
horreur d’être pris en photo et fuit les paparazzis comme la peste. On lui prête plusieurs liaisons avec
des héritières et des actrices de cinéma, dont une Française, mais personne n’a été capable de
surprendre les amoureux ensemble.
Je regarde les autres pages de réponses. Ce sont des articles de journaux, et les articles se
partagent entre les pages financières et les pages people. Je vois plusieurs photos récentes de Laszlo
au bras de jet-seteuses new-yorkaises, dont l’une se manifeste brusquement en chair et en botox dans
la clinique.
Caroline Vanderberg a l’air affolé, comme toujours lorsqu’elle arrive chez nous. Elle a son
chihuahua de prédilection, Snowflake, dans le sac customisé assorti à son manteau du jour, un trois-
quarts en cuir beige, et elle traine en remorque un golden retriever qui pousse des gémissements
pitoyables.
Elle atteint le comptoir hors d’haleine.
— Je crois que Royal va mourir !
J’appuie sur l’interphone et je dis de ma voix d’hôtesse de l’air :
— Docteur, Madame Vanderberg est là.
— J’arrive tout de suite !
— Que se passe-t-il ? je demande à l’héritière blonde au bronzage permanent.
— Je ne sais pas ! Je sors du restaurant, Royal a mangé un peu de crème glacée, il adore ça,
et il s’est mis à avoir des hoquets ! Je suis sure que la glace n’était pas fraiche ! S’il meurt, je porte
plainte contre le restaurant !
À ce stade, elle lâche la laisse du toutou et va s’effondrer sur le siège le plus confortable de
la salle d’attente. Elle pose le sac contenant Toutou numéro 2 à côté d’elle et s’évente avec un
magazine.
Matthew surgit de son bureau, où il était visiblement en train de faire une petite sieste à voir
ses yeux encore brumeux de sommeil, prend son sourire à cent mille dollars, va saluer Caroline d’un
baise-main qui fait glousser l’héritière et s’enquiert de sa santé.
Oui, lorsque Caroline Vanderberg amène un chien malade chez nous, on lui demande d’abord
de ses nouvelles avant de s’occuper du chien. N’y voyez pas un signe de désintérêt de notre part.
Mais les principaux problèmes des chiens de l’héritière jet-seteuse sont d’ordre stomacal. Elle
bourre ses chiens de toutes sortes de sucreries, malgré les recommandations de Matthew – moi, je
n’ose pas et de toute façon, elle le prendrait mal, mais elle n’en fait qu’à sa tête, disant que ses chiens
sont des êtres naturels qui savent ce qui est bon pour eux. S’ils mangent de la crème glacée, c’est que
c’est bon pour eux.
— Que se passe-t-il avec Royal ? demanda Matthew après les mondanités d’usage.
Caroline lui répète ce qu’elle vient de me dire, mais elle n’a pas le temps de finir son
histoire et de dire à quel parfum la crème glacée était. Royal – en français dans le texte – pousse un
hoquet pitoyable et vomit d’un coup, loupant les pieds chaussés de Louboutin de Caroline d’un demi-
centimètre, et encore parce qu’elle a eu le réflexe de les mettre en hauteur.
Elle pousse un cri, fait une grimace de dégout et se tourne vers Matthew comme si elle
s’attendait à ce qu’il fasse disparaitre le vomi par magie. Il lui offre galamment sa main pour qu’elle
fasse un grand pas en se levant, tandis que j’appelle Betty, notre réceptionniste/nettoyeuse de petits
accidents animaux, pour qu’elle amène balai, serpillère et seau.
Royal se vide consciencieusement un peu partout dans la salle d’attente, provoquant de
petits cris de la part de sa maitresse, et finit par s’ébrouer avant de s’asseoir, l’air visiblement
soulagé. Betty nettoie le vomi, tandis que je prends le chien par sa laisse, miraculeusement épargnée,
pour l’emmener dans le cabinet de consultation. Matthew nous suit avec Caroline, lui assurant que ce
n’est probablement rien, juste un embarras gastrique passager. Vous ai-je dit, ma chère, que la crème
glacée n’est pas forcément recommandée pour un chien, même s’il adore ça ?
Je les laisse tous les trois dans le cabinet et je reviens aider Betty à finir de nettoyer.
J’entends la voix de Matthew qui me hèle et me demande d’aller chercher un capucino pour Mme
Vanderberg. Je hausse les yeux au ciel. Je prends la carte de crédit de la clinique et je fonce dehors,
dans le café à un bloc d’immeubles de la clinique. Pas question d’un café Starbucks pour cette chère
Caroline, il lui faut un vrai café, dans une vraie tasse, que je porterai comme je pourrais sur un petit
plateau en argent. Le cafetier a l’habitude. Il ajoute des petits biscuits, une serviette en tissu, et ses
compliments à Madame Vanderberg.
La note est astronomique pour un simple cappuccino. Naturellement, cette chère Caroline ne
paie pas, pas plus qu’elle ne paiera la consultation. Matthew ne lui facture que les soins lourds et les
opérations pour ses animaux - ses chiens et un chat – et encore, avec une sérieuse ristourne. Caroline
est la marraine de notre clinique. Nous sommes situés juste à la lisière du côté extrêmement riche et
chic de l’Upper East Side, et la clinique était en équilibre financier précaire lorsqu’une Caroline
Vanderberg en larmes a poussé la porte, Snowflake dans ses bras, gémissant de douleur – le chien,
pas sa maitresse. Il s’était fait heurter par une voiture, avait une patte en sang et l’héritière,
superficielle, mais aimant réellement son petit animal, a foncé à la première clinique vétérinaire
qu’elle a trouvée sur son chemin.
Matthew a sauvé le chien, qui était salement touché, et depuis, Caroline nous recommande à
toutes ses amies. Nous avons désormais une clientèle très chic, ce qui veut dire que nous avons
augmenté nos tarifs. Matthew me paie plus, et il a embauché plusieurs employés. Du coup, Caroline
nous traite comme si nous étions ses domestiques, moi, surtout. Matthew, beau gosse, a droit à ses
sourires et ses faveurs, mais je suis juste la fille de l’accueil qui lui prend son manteau, va lui
chercher son café, ramasse les oublis de ses toutous. Pas de « chère Caroline » pour moi, mais un
poli, respectueux et servile « Madame Vanderberg ».
Je m’en moque. J’adore ses chiens. Snowflake est la mascotte de la clinique, il y a plusieurs
photos de lui sur les murs, tandis que plusieurs photos de Matthew en compagnie de Caroline et de
ses animaux trônent dans le bureau de ce dernier. Quant à Royal, c’est un amour de gros chien,
baveux, affectueux et un vrai estomac sur pattes, comme tous les golden et associés. À vrai dire,
Caroline ne l’aime visiblement pas autant que le petit Snowflake. Elle l’a adopté parce que la mode
actuelle, pour les fashionistas de la jet set, est de se balader avec d’énormes chiens. Mais elle en a un
peu peur, je crois, parce que Royal est joueur et la bouscule parfois, quand il ne cherche pas à
grimper sur ses genoux.
Je ne dis pas que Caroline est mauvaise, mais elle n’est pas faite pour avoir un gros chien.
Lorsqu’elle ressort de la salle de consultation, elle a retrouvé le sourire, et couvre de baisers
Snowflake, tandis que Matthew tient la laisse de Royal. Elle avise l’écran de l’ordinateur de la
réception, où je n’ai pas fermé la fenêtre Internet concernant Laszlo, et elle se met à rire. Je rougis
jusqu’aux oreilles, me sentant très Cendrillon prise en flagrant délit de rêverie sur le prince charmant.
— Je vois que Laszlo fait rêver dans les chaumières ! s’écrie-t-elle.
Je m’enhardis au point de lui poser la question qui me brûle les lèvres.
— Vous le connaissez, madame Vanderberg ?
— Bien sûr ! Laszlo est tellement chou ! De vous à moi, glousse-t-elle, je ne dirais pas non à
un petit flirt, mais il se renferme aussitôt qu’on l’approche de trop près. Parfois, je me demande s’il
n’est pas gay ! Sans vouloir vous offenser, cher Matthew !
— Pas de souci, chère Caroline, sourit Matthew.
Il jette un coup d’œil à la photo de Laszlo et je vois s’allumer une petite lueur dans son
regard, style j’ai un mec d’accord, mais je peux rêver, non ? Il me fait un clin d’œil, raccompagne
Caroline à la porte, lui confie la laisse de Royal et le calme revient dans la clinique.
Au moins, Caroline Vanderberg le trouve « chou ». Et non, madame, je sais au moins une
chose que tu ignores : il n’est pas gay ! Il m’a même donné un fabuleux orgasme, et à toi, non, malgré
tes millions, ton joli visage et ton diplôme de l’Ivy League. Tout à coup, je me sens très supérieure à
la blonde héritière, et je rapporte la tasse de cappuccino vide et le plateau en chantonnant. Pour un
peu, je ferais un pied de nez à une Caroline imaginaire en disant « nananère ». Okay, Stefanie, le
mariage est en train de te bouffer tes neurones.
CHAPITRE 7
Un homme genre beau gosse s’est présenté à la clinique en fin d’après-midi. C’est Sergueï,
l’assistant de Laszlo. Il a été chargé de veiller à ce que la cérémonie se déroule bien, selon les plans
de mon futur mari. Il me donne rendez-vous dans un hôtel de luxe proche dès que j’aurais fini mon
travail, après la visite médicale prénuptiale. Le docteur me déclare bonne pour le devoir et fait les
papiers nécessaires qu’il transmettra à Laszlo et au juge qui va nous marier. Je reprends le métro
pour aller à mon prochain rendez-vous et je ris nerveusement dans mon coin à l’idée de rejoindre un
homme que je ne connais dans un hôtel. Le côté luxe fait très film d’espionnage et je suis tentée de
mettre des lunettes de soleil pour me mettre dans l’ambiance.
Je rigole encore toute seule quand je sonne à la porte de la suite. Ma nervosité tombe d’un
coup. Sergueï est loin d’être seul. Il est entouré par un vrai bataillon de femmes et quelques hommes,
et chacun me présente tour à tour plusieurs propositions pour la cérémonie, toutes des suggestions de
Mr Evanovitch, me précise-t-on à plusieurs reprises. Je dis oui un peu machinalement, faisant des
choix impulsifs, parce que l’heure tourne et ma tête aussi. Finalement, Sergueï renvoie la plupart des
gens et je me retrouve avec une styliste et ses assistants. La femme me présente une robe de mariée
sublime, que je reconnais entre mille. C’est celle de Kate Middleton !
— Le choix personnel de Mr Evanovitch, me dit Sergueï. Quand vous lui avez parlé de robe
de mariée style 1930, il a tout de suite pensé que vous aimeriez avoir celle-ci.
Je suis surprise que Laszlo connaisse ce genre de détails – je ne le vois pas devant la télé en
train d’assister au mariage de Kate et du prince William, et encore moins retenir un détail – pour un
homme – tel qu’une robe de mariée.
— Monsieur Evanovitch était invité au mariage, me dit alors Sergueï d’un ton qui suggère
que ce n’est qu’un évènement parmi d’autres pour mon fiancé. La robe lui a paru très élégante. Il a été
particulièrement heureux de votre goût pour un modèle simple et élégant, mais si raffiné.
Je souris comme une petite fille qui joue à la princesse. Je regarde poliment les autres
modèles présentés, mais bien sûr, je choisis le premier. Ce n’est pas une copie cheap, c’est sûr. C’est
fait avec le même tissu, la même qualité de dentelle et le même soin dans les finitions. Je fais un essai
et la styliste fait elle-même les ajustements nécessaires au niveau de la taille et de la poitrine, mais
d’une façon générale, la robe tombe impeccablement bien. Puis Sergueï se met en retrait et une autre
styliste me tend un grand carton qu’elle ouvre pour me montrer… de la lingerie. Je rougis comme une
adolescente, mais même si mes sous-vêtements sont en coton et achetés dans des boutiques lors des
soldes, j’apprécie les jolis dessous. Un paravent a été mis en place dans la pièce, histoire de
ménager ma pudeur, et je glisse à nouveau derrière pour essayer les sous-vêtements, sur ma propre
lingerie qui me parait soudain terne. La styliste déclare que tout me va impeccablement et me fait un
clin d’œil en me disant que mon mari va fondre.
Je reste un peu bête. Toute à la cérémonie, j’avais un tout petit peu oublié qu’ensuite, je
passerais la nuit avec mon mari. Je devrais être en colère, ou stressée, ou juste indifférente, mais
malgré moi, je sens une petite flamme qui s’allume dans mon ventre au souvenir de notre baiser, et un
volcan en éruption dans mon corps lorsque je me rappelle les mains de Laszlo sur mon sexe
enflammé. Je ne comprends pas trop ce qui m’arrive. J’ai toujours pensé que j’étais indifférente au
sexe avec un homme. Et voilà qu’un parfait inconnu m’embrase littéralement les sens alors que je le
connais à peine ! C’est dans ces moments-là que j’aimerais avoir une sexologue à mes côtés. Je ne
risque pas de demander à ma mère, elle a toujours répondu à mes questions en me donnant des livres
éducatifs et des articles de magazines pour jeunes filles.
Je ne vais pas penser à ma mère maintenant, d’ailleurs, je décide en enlevant les sous-
vêtements en satin et en me rhabillant. Je n’ai prévenu personne de mon mariage, même pas mes
propres parents. La vérité est que je ne sais pas quoi leur dire. Si je leur raconte la vérité, ils vont
tout faire pour empêcher ce mariage d’avoir lieu. Mon père est capable de débarquer à New-York
avec son fusil à pompe et de faire un carton sur Laszlo ! Si je leur dis que j’ai eu le coup de foudre,
ils ne vont pas me croire, et penser que je me marie par intérêt. Mes parents sont de purs Américains
de la campagne. Le coup de foudre est bon pour les romans et les films, dans la vraie vie, on apprend
d’abord à se connaître avant de se marier. Et épouser un milliardaire n’a jamais été une option dans
les gendres idéaux pour mes parents. Un homme avec une bonne éducation, un bon métier et honnête,
voilà le mari idéal pour leur fille.
Laszlo a fait Oxford, ce qui est un bon point pour lui du point de vue parental. Mais j’ai lu
aussi qu’il a été plusieurs fois soupçonné d’affaires un tantinet illégales, mais jamais importuné par
la justice de son pays, et je l’ai surpris à mentir un nombre incalculable de fois depuis vingt-quatre
heures que nous nous connaissons. Bon, ce sont des mensonges pardonnables, un trait de caractère à
imputer à sa nationalité russe – il parait que les Slaves sont tous des passionnés, impulsifs et
grandiloquents, même si la vérité en prend un coup au passage.
Si jamais ce mariage durait et que je doive présenter Laszlo à mes parents, d’un, ils m’en
voudraient à mort de ne pas les avoir prévenus du mariage, de deux, de ne pas avoir attendu qu’ils
arrivent pour la cérémonie et de trois, que Laszlo n’est pas demandé ma main à mes parents – pas
seulement à mon père, ma mère a toujours été très claire là-dessus – en bonne et due forme.
L’Iowa a ses propres règles de savoir-vivre.
Je rentre chez moi en limousine, ce qui est une première. Sergueï veut juste voir l’intérieur
de mon appart pour évaluer ce qu’il faut déménager, les cartons à prévoir et le camion à garer en bas
de la rue. En faisant le tour de mes affaires, je conviens que je vais laisser les meubles ici, prendre
uniquement mes affaires personnelles – mes vêtements, mes livres, mes DVD et quelques babioles
auxquelles je tiens et que Bucky n’a pas encore cassées. L’assistant de Laszlo me dit qu’il prendra
mon chat en charge demain soir, histoire que j’ai l’esprit tranquille. Je le remercie. Bucky est un chat
adorable, mais dans un nouvel environnement, il risque d’être perturbé et demain soir, je crois que je
serais un tout petit peu trop occupée pour prendre soin de lui.
Je passe une très mauvaise nuit. Je vais me marier, bon sang ! Je vais quitter mon
appartement pour emménager dans le penthouse d’un millionnaire que j’ai rencontré il y a vingt-
quatre heures. Le pire, c’est que je ne peux en parler à personne, même pas à mes amies. Je n’ai pas
vraiment de meilleure amie, en tout cas, plus depuis le lycée. J’ai un groupe de copines avec qui
j’évolue, on se voit le vendredi soir pour boire un verre, parfois avec leur copain, et Jon qui se joint
à nous. Mais je n’ai personne à qui vraiment me confier. Je réalise finalement à quel point je suis
seule dans cette ville. Jusqu’ici, mon confident a presque toujours été Jon, sauf sur des sujets trop
intimes, et paradoxalement, il me manque.
Le lendemain matin, d’ailleurs, je le trouve dans la salle d’attente de la clinique, un bouquet
de fleurs à la main. Il se lève dès qu’il me voit, bredouille des excuses, me demande si je n’ai pas
mal à mon poignet, s’excuse encore et me tend le bouquet avec un sourire contrit. Je ne peux pas ne
pas lui pardonner.
— Je suis vraiment désolé pour hier, me dit-il en baissant la tête. Je me suis emporté parce
que je venais de me faire virer. J’ai des soucis en ce moment.
Je lui tapote le bras pour le réconforter.
— Tu es pardonné, je dis en mettant les fleurs dans un vase. Mais ne recommence plus
jamais !
— Promis ! s’écrie-t-il, un grand sourire aux lèvres. Et je t’invite à dîner ce soir !
Décidément, ce soir, tous les hommes veulent ma compagnie !
— Je ne peux pas, je dis. J’ai déjà un truc de prévu.
Il a l’air déçu.
— Tu ne peux vraiment pas annuler ?
— Un truc entre filles, je mens avec aisance.
Ça doit être Laszlo qui me déteint dessus.
— Mardi alors ? Ce week-end, je suis pris.
— Mardi, ça marche, je souris.
Jon a l’air tout content. Je le regarde avec attention. Il m’inquiète un peu, depuis quelque
temps. Il a maigri, et il n’arrête pas de se frotter le visage. Il a des cernes sous les yeux.
— Tu as des soucis ?
— Oh, rien de grave, répond-il en dansant d’un pied sur l’autre. Juste de petits soucis
d’argent, rien de mortel !
— Je peux te prêter un peu si tu veux.
Son visage s’éclaire, mais il secoue la tête.
— Non, ça va, je vais pouvoir me débrouiller. À vrai dire, je ne vais pas être trop
disponible ces prochains jours, je dois chercher un nouveau boulot et je vais beaucoup bouger.
— Okay. En tout cas, si tu as besoin d’aide, tu sais où me trouver.
— Bien sûr, me dit-il.
Il me serre dans ses bras, presque maladroitement, comme s’il avait peur que je ne le
repousse. Mais je lui ai pardonné. Je sais que le coup de colère qu’il a eu à mon égard n’était pas le
vrai Jon, celui que je connais depuis des années. Il me laisse après un dernier signe de la main, en me
disant de dire bonjour à Matthew pour lui. Avec tout ça, j’ai complètement oublié de lui rendre la clé
USB.
D’ailleurs, elle est en train de me rentrer dans la cuisse à travers mon jean. Je ne devrais
pas, mais je vais regarder ce qu’il y a dessus. Des photos coquines d’un copain gay de Jon ? Je rigole
toute seule et je stoppe net quand une cliente et son panier passent la porte de la clinique. Je pose la
clé USB sur le comptoir. Je le regarderai plus tard et je la rendrai à Jon.
Je me sens tout à coup seule. Les deux personnes qui comptent le plus pour moi à New-York,
Jon et Matthew, ne pourront pas être là pour mon mariage ce soir, ne seront même pas au courant que
je suis mariée. Pour l’instant, Laszlo a bien insisté que je dois garder tout cela secret.
J’ai l’impression d’être au bord d’une falaise, prête à faire le grand plongeon dans le vide,
sauf que je ne me suis pas du tout entrainée. Je n’ai aucune idée de ce que signifie la vie en couple. Je
n’ai jamais vécu avec un homme, jamais partagé plus que quelques jours d’intimité.
Dans le contrat dont Sergueï m’a montré les principaux articles hier, il est stipulé que je
garde mon travail et mon appartement. Je continuerai à payer le loyer et les charges – j’y tiens –,
mais tout le reste sera pris en charge par Laszlo, qui m’accorde une somme faramineuse tous les
mois. Je sais déjà que je vais mettre mon salaire de côté, sur un plan d’épargne. La somme que je
vais recevoir devra être utilisée, m’a dit Sergueï, à me constituer une garde-robe et acheter
différentes babioles comme des bijoux et des chaussures. J’ai insisté pour en garder une partie pour
en faire don à plusieurs refuges de New-York. Malgré tout cela, il m’en restera encore une bonne
partie. Je ne compte pas dévaliser les boutiques juste pour le sport. Le reste sera mis de côté pour
mon projet secret.
Au bout d’un an de ce ‘salaire’, je devrais avoir mis assez de côté pour ouvrir un refuge ! Et
si je parviens à y intéresser Laszlo, je pourrais l’ouvrir même plus tôt ! Et je pourrais essayer de
convaincre Caroline Vanderberg de nous parrainer, entrainer Matthew dans l’aventure et…
J’ai le cœur qui bat à l’idée que mon rêve de petite fille – ouvrir un refuge – puisse devenir
une réalité bien plus tôt que je ne le pensais. Tout ça parce que Jon m’a envoyé récupérer une clé
USB et faire un selfie débile dans son entreprise ! Ce qui me renvoie direct à ce qui m’attend.
Je vais me marier. Je n’arrive pas encore à vraiment réaliser. Moi, l’indépendante, qui ne
voyait pas le mariage comme une étape obligée dans ma vie, je vais dire oui à un homme que je
connais à peine, dont le mode de vie est à mille lieues du mien.
Je sais que c’est seulement pour quelques mois, le temps que le mafieux russe – le mot me
fait peur – laisse Laszlo tranquille. Mais je refuse de laisser ces mois être vides. Si nous nous
marions, nous aurons une vie commune et je veux que ce soit réussi. Je veux apprendre à connaître
mon mari, savoir ce qu’il aime, ce dont il rêve – à part l’argent – et j’aimerais qu’il apprenne à me
connaître aussi.
J’ai été très touchée lorsque j’ai compris qu’il n’avait pas hésité à voler à mon secours. Je
ne courais aucun danger avec Jon, même s’il m’a fait très peur. Le fait qu’il soit venu s’excuser le
prouve. Il a juste eu un gros coup de stress qui a dégénéré en coup de colère. Laszlo s’est vraiment
comporté en gentleman, à suivre Jon comme ça dans les transports en commun – ça a dû être une
première pour lui. Une petite voix me murmure que cet homme est précieux.
CHAPITRE 9
Je passe le déjeuner à relire le contrat que va signer Stefanie. Tout me semble OK. Elle est
d’accord pour deux nuits par semaine, si nous nous entendons bien de ce côté-là, et crois-moi, chérie,
nous allons bien nous entendre. J’augmente l’allocation mensuelle que je vais lui verser pour qu’elle
puisse faire des folies. Les femmes, ça aime les robes et les bijoux, et je veux qu’elle puisse rentrer
dans n’importe quelle boutique de luxe et prendre ce qui lui fait plaisir. Il va falloir qu’elle s’achète
des robes, parce que Sergueï a jeté un coup d’œil à sa penderie et il parait qu’elle ne contient que
des jeans ou des vêtements bon marché. Je veux que ma femme me fasse honneur, avec des toilettes
de grands couturiers et les coiffures qui vont avec. Une fois que Stefanie sera installée dans sa
nouvelle vie, je ferais peut-être même une annonce pour dire aux foules que je suis marié. Cette idée
me séduit de plus en plus. Après tout, même si c’est un peu tôt, ce mariage correspond parfaitement à
mes projets concernant une éventuelle union.
J’ai grandi dans un foyer où l’amour était en option. Ma mère a épousé mon père parce
qu’elle était en cloque après une brève liaison, et qu’elle n’avait aucune envie de se retrouver seule
avec un gosse à charge dans la Russie d’avant la chute du Mur. D’origine hongroise, d’où mon
prénom, elle savait qu’être fille-mère était toujours très mal vu. Mon père était un des cadres
subalternes du Parti Communiste d’une sous-division de Moscou, autrement dit, un type qui avait
accès aux magasins d’état et à de nombreux avantages en nature. Il vivait bien. Ma mère vient d’une
famille d’artistes où on crevait quasiment de faim. Elle a appris le violon, sa passion, et elle est
venue faire des concerts à Moscou, où elle a connu mon père. Elle a découvert sa grossesse juste
avant de repartir, et mon père s’est dit qu’après tout, un gosse ça pouvait être chouette. Mais l’amour
n’a pas tenu longtemps. Les seuls souvenirs que j’ai d’eux ensemble, ce sont les disputes.
Ma mère est d’abord restée à la maison, un appartement dans la banlieue de Moscou. Elle
voulait s’occuper de moi dans mes premières années. Mon père était d’accord, même si la femme
soviétique, par principe, était censée travailler. Du coup, ma mère donnait des cours de violons aux
mômes des cadres du parti que lui envoyait mon père. Mais très vite, entre eux, ça a dégénéré. Ils
n’étaient pas faits pour vivre ensemble, voilà tout. J’ai le souvenir, lorsque j’avais quatre ans, d’une
tasse qui a volé contre le mur, à quelques centimètres de ma figure. Mon père a bondi pour s’assurer
que je n’avais rien – c’était lui qui l’avait lancée dans un geste de colère – et ma mère lui a hurlé
qu’il essayait de tuer son fils. Je ne vous raconte pas les voisins, ils étaient au théâtre permanent.
Bien entendu, aucun d’eux n’est jamais intervenu, vu que mon père était un membre du Parti. Il aurait
pu y avoir des représailles.
Ma mère, de toute façon, n’était en rien une femme battue. Ils s’engueulaient, s’insultaient,
levaient chacun le poing vers l’autre, sans toutefois passer à l’acte, mais dans la plus grande égalité.
Et puis le Mur est tombé, l’URSS est devenue d’abord la CEI (communauté des états indépendants)
avant qu’une séparation des divers états ne donne naissance à la configuration politique actuelle. Né
soviétique, je suis devenu Russe. J’avais appris par cœur l’hymne soviétique, le plus bel hymne du
monde, dès mon plus jeune âge, comme tous les gosses, j’ai dû le désapprendre pour apprendre celui
de la Russie. Le système politique s’est littéralement effondré. Tous les avantages qu’avait mon père
ont disparu, mais il a vite rebondi. Ne plus être communiste ne le gênait pas plus que ça, il n’avait
professé une foi ardente dans l’idéologie marxiste que pour survivre, comme beaucoup de gens. Dans
les années 90, la Russie est devenue un vrai foutoir. Nous avions un président alcoolique, et le
système communiste a tout bonnement cessé de fonctionner pour laisser la place à un capitalisme
sauvage. C’était l’époque des oligarques, ces types partis de rien et devenus milliardaires d’un
claquement de doigts, avec des goûts de chiottes et des épouses trop jeunes et trop blondes, couvertes
de diamants et de fourrure.
Mon père a amassé un peu d’argent en spéculant sur ceci ou cela, en se faisant des amis
utiles et en se tenant à l’affut de toute bonne occasion. Malheureusement, il a trempé dans des affaires
plutôt louches et la veille du nouveau millénaire, il s’est retrouvé en taule. Avec le nouveau
président, on ne rigolait plus, les oligarques ont eu le choix soit de prêter allégeance et de donner
(volontairement, bien sûr) une bonne partie de leurs avoirs au nouveau pouvoir, soit de finir en taule.
Certains ont réussi à foutre le camp en Angleterre, mon père n’a pas eu le temps. Il n’est pas resté
longtemps en prison. Il est mort d’une crise cardiaque deux mois après son incarcération. Notre
argent avait été confisqué, et ma mère nous faisait vivre avec des leçons de violons et du marché noir.
Quand mon père est mort, je crois qu’elle l’a sincèrement pleuré. Puis elle a décidé que plus rien ne
la retenait à Moscou et elle a fait nos valises. Je me suis retrouvé à Berlin avant même d’avoir eu le
temps d’apprendre trois mots d’allemand. Ma mère avait des amis là-bas, des musiciens. J’ai été
envoyé dans un gymnasium, un de ces collèges allemands qui préparent à la vie active plus qu’aux
longues études. J’ai appris à parler la langue, à casser la gueule à quiconque me traitait de sale
Ruskoff, et à dealer de l’herbe. Mes notes n’étaient pas trop mauvaises. Ma mère s’est mise à faire
des concerts et on a parcouru une bonne partie de l’Allemagne réunifiée et des anciens pays du bloc
soviétique. La maison, quoi.
Ma mère a ensuite rencontré un Anglais, et cette fois, c’était du sérieux. Elle l’a épousé et je
me suis retrouvé à Londres, où j’ai dû refaire ma dernière année de lycée et repasser un diplôme. Je
ne vous dis pas comme je l’avais mauvaise. Mais ça et des cours supplémentaires étaient la clé pour
entrer à Oxford, où mon beau-père avait des contacts. J’avais beau être jeune et pas très studieux,
Oxford, ça ne se refuse pas.
Je voulais déjà devenir milliardaire. Il y a des gamins qui veulent devenir cosmonaute ou
acteur, moi je voulais gagner de la thune. Je suis né trop tard pour avoir un idéal de carrière
soviétique et contribuer à la propagation du modèle communiste, et trop tôt pour avoir un idéal russe.
J’ai grandi en sachant que je ne mourrais pas de faim, mais en regardant avec envie des gosses
d’oligarques vivre comme des Occidentaux alors que je ne le pouvais pas. Je n’ai pas menti à
Stefanie en disant qu’on ne mangeait pas beaucoup de viande à la maison. Mon père avait un cousin
qui vendait du poisson, du coup, je ne peux plus voir un filet de carpe en peinture.
J’ai vu mon père mourir parce qu’il n’avait pas les moyens de payer les gardiens pour lui
donner une cellule chauffée et lui faire passer des médicaments pour son cœur.
Je me suis juré de devenir riche, pas n’importe quel moyen. À seize ans, encore à l’école,
j’avais mis en place un trafic d’herbe et de pilules, pas énorme, mais qui me payait mes jeux vidéo et
des fringues de marques. Ma mère ne se doutait de rien, perdue comme toujours dans sa musique.
Oui, dealer de la drogue, ce n’est pas bien, je sais. Surtout que je n’étais pas assez con pour
consommer ma propre marchandise. Mais j’avais la rage de l’argent. Chaque billet que je gagnais
était une revanche sur la vie.
À Oxford, j’ai appris à la fois la finance, l’informatique et les bonnes manières. J’étais un
peu rustre à ce niveau-là, c’est le moins qu’on puisse dire. J’ai compris qu’il fallait calmer mon côté
russe et ses excès. Durant ces années-là, j’ai continué à dealer, mais cette fois avec des revendeurs.
À la fin de mes études, en plus de mes diplômes et des larmes de fierté de ma mère, j’avais mis de
côté un joli pactole.
Je suis retourné en Russie pour les vacances. Je voulais juste revoir la famille. Tout russe a
la mère patrie dans le sang, je ne déroge pas à la règle. J’ai loué un petit appartement. J’étais juste
venu pour faire du tourisme. C’est là que j’ai rencontré Sergueï, au moment où il a essayé de me tirer
mon portefeuille. Je l’ai attrapé par le poignet et je l’ai entrainé dans une ruelle. On n’appelle pas la
police en Russie, on règle ses comptes soi-même. Je comptais lui mettre une raclée, histoire de lui
apprendre les bonnes manières, mais quelque chose m’a retenu. Je lui donnais quinze ans alors qu’il
en avait dix-neuf. Il était maigre et portait des traces de coups sur le visage. Une heure plus tard, il
me racontait sa vie de gosse pauvre dans une banlieue misérable de Moscou en dévorant le
hamburger que je lui avais payé. Deux heures plus tard, il me proposait de me présenter des amis à
lui, pour qui il travaillait, en échange d’une commission, bien entendu.
J’avais noué des contacts à Oxford, même si je savais que je restais le Ruskoff. J’avais des
possibilités d’embauche dans les entreprises fondées par d’autres exilés russes qui eux, n’avaient pas
le choix et ne pouvaient plus rentrer dans leur pays. Ce n’était pas mon cas. À la rentrée, j’étais
supposé passer des entretiens d’embauche pour des postes intéressants, mais je savais qu’il me
faudrait des années avant de monter ma propre boite.
Les amis de Sergueï m’ont reconnu pour ce que j’étais : un ambitieux pas trop regardant sur
les méthodes pour gagner beaucoup d’argent avant d’être trop vieux pour en profiter. Les amis de
Sergueï étaient des mafieux. Ça ne me faisait pas peur. C’était les héritiers des trafiquants en tous
genres qui pullulaient à l’ère communiste. J’ai reçu des fonds à faire fructifier. Mon diplôme
d’Oxford, ma qualité d’expatrié, mes contacts en Angleterre, tout cela était un atout pour ces gens-là.
J’ai pu fonder ma propre boite assez rapidement, et gagner mon premier million à vingt-
quatre ans. À trente ans, j’étais milliardaire. Je suis rapide, je suis impitoyable, et j’en veux toujours
plus.
Au cours de toutes ces années, j’ai eu des liaisons, pas aussi nombreuses que les gens
pourraient le croire. J’ai eu une histoire d’amour, au tout début de ma carrière, avec une superbe top-
model prénommée Irina. On s’aimait comme des fous, moi, surtout. J’ai été assez con pour lui faire
confiance et lui confier mes plans pour racheter une boite en faillite et la remonter. Irina est partie
avec mes idées, les bijoux et robes de luxe que je lui avais offerts et mon cœur. Depuis, je ne tombe
plus amoureux. L’amour, les sentiments, ce n’est pas pour moi.
Après Irina, j’ai eu des liaisons, mais je ne les ai jamais laissés durer. Dès que je commence
à m’attacher, je romps. J’ai besoin de baiser, voilà tout, mais je consacre l’essentiel de mon énergie
et de mon temps au boulot. Je suis cash dans mes relations : je n’offre que du plaisir et des jolis
cadeaux couteux aux jeunes femmes que je saute. Pour le mariage, merci de ne pas penser à moi, je ne
suis pas ce genre d’hommes. J’avais pensé me marier à la quarantaine, en étant encore assez jeune
pour être père, et pas assez vieux pour ne plus pouvoir la lever quand j’en ai envie. Je visais une
Russe, belle, mais surtout intelligente. Les gènes se transmettent, donc pas de ravissante idiote pour
être la future mère de mes enfants. Je voulais aussi quelqu’un qui soit ma meilleure amie. Je refuse de
répéter le schéma familial, de la passion qui dégénère en mariage déglingué. Il est hors de question
que mes enfants grandissent dans ce climat. J’envisageais donc une Russe, plus jeune que moi pour
pouvoir encore avoir des enfants sans problème, mais pas trop jeune non plus, pour avoir un peu de
maturité. Nous aurions eu deux enfants, pour qui j’aurais été un père attentif, quitte à déléguer un peu
de mes affaires.
Sauf que Sonia Kossolova s’en est mêlée, et me voilà condamné à me marier en vitesse,
avec la première venue ou presque. Stefanie n’est pas Russe, ce n’est pas sa faute, elle est belle, et
elle m’a l’air intelligente. Deux points sur trois, c’est déjà pas mal. De toute façon, si on doit
divorcer dans quelques mois, ce n’est pas avec elle que je ferais des enfants. Encore que des gosses
tout blonds avec mes yeux, ou tout bruns avec les yeux bleus de Stefanie, ce serait pas mal.
Arrête de rêver, Laszlo. Elle t’épouse parce que tu as sa lettre de confession. Elle ne t’aime
pas, et ne t’aimera jamais. Et toi, tu refuses d’aimer.
CHAPITRE 10
J’ai les mains qui tremblent. J’ai beau les frotter nerveusement l’une contre l’autre, mes
mains ne veulent pas rester calmement au bout de mes bras. Je suis déjà habillée de ma sublime robe
blanche, avec les sous-vêtements coquins pour après, j’ai arrangé vingt fois mon voile devant le
grand miroir. Je suis coiffée et maquillée, je n’ai jamais été aussi élégante. Un photographe et un
vidéaste sont là, je suis mitraillée de tous les côtés, je m’assieds, je me lève, je me place devant des
décors floraux divers. Laszlo me rejoint bientôt et je retiens mon souffle. Il est magnifique ! Il porte
un costume d’un bleu sombre, qui reflète la lumière, sur un gilet un rien plus foncé et une chemise
blanche. Il a mis un nœud papillon. Il me sourit avec ces petites étincelles dans ses yeux verts et je
fonds complètement.
Je me moque de savoir si nous nous marions parce qu’il a besoin d’avoir une épouse en
vitesse et qu’il a une lettre de confessions dans laquelle je reconnais m’être introduite en fraude dans
son entreprise. Je suis juste heureuse d’épouser Laszlo. Je lui souris et il m’embrasse sur les lèvres,
doucement.
Ses lèvres deviennent plus pressantes sur les miennes et je me laisse aller dans ses bras. Sa
langue danse avec la mienne. Je me presse contre lui, mes mains caressent sa nuque, dérangent ses
cheveux bien coiffés. Je sens la chaleur monter dans mon ventre.
— Ahem, excusez-moi ? fait une voix dans mon dos.
Je m’arrache à l’étreinte de Laszlo, et je rougis comme une écolière prise en faute par le
directeur. L’homme derrière moi est vêtu d’un costume strict, et Laszlo me le présente comme étant le
juge Black, qui va nous marier. Le juge me serre la main, riant doucement dans sa barbe rousse bien
taillée.
— Quand vous m’avez parlé d’un coup de foudre, vous ne plaisantiez pas, dit-il à Laszlo. Je
voulais savoir si vous aviez des souhaits particuliers pour la cérémonie et si vous aviez préparé des
vœux ?
Oh merde ! Les vœux ! Je les ai complètement oubliés ! J’ai déjà assisté à plusieurs
mariages où les mariés prononcent quelques paroles disant leur amour à la personne qu’ils vont
épouser. Je ne me vois pas vraiment dire « eh bien, Laszlo, je n’ai pas vraiment le choix, mais je te
dis oui parce que tu as une lettre qui peut m’envoyer en taule et sérieux, tu embrasses comme un dieu
et tu as été le premier homme à me donner un orgasme sans même ouvrir ta braguette ! » Non, ce ne
serait vraiment pas sérieux.
— J’ai peur que Stefanie et moi n’ayons rien prévu, dit Laszlo. Mais ce n’est pas
obligatoire, n’est-ce pas ?
— Non, absolument pas, le rassure le juge. Je vous laisse, je vais vérifier que tout est prêt.
Il nous quitte après une petite tape sur l’épaule de Laszlo. Mon fiancé m’apprend que le juge
Black est devenu un ami après l’avoir assisté dans plusieurs démarches officielles depuis qu’il s’est
installé aux Etats-Unis.
— Si tu veux, on peut prendre un moment pour écrire des vœux ? me propose-t-il. Je dois
dire que je ne suis pas très à l’aise avec cette coutume, cependant.
— Moi non plus ! je pouffe nerveusement. Déjà, j’espère que je ne vais pas bafouiller en
disant « oui » !
— Je suis tellement ému que je suis capable de te dire oui en russe, sourit Laszlo.
Je l’enlace.
— Tant que tu ne parles pas de la diseuse de bonne aventure, je le taquine.
— Que dois-je faire pour que tu oublies mes piètres mensonges ce soir-là ? me demande
Laszlo avec un tendre sourire.
— Ne plus jamais me mentir ! je m’exclame. Sérieusement, Laszlo. Promets-moi que tu me
diras désormais la vérité, et je serais une mariée heureuse.
— Je te le promets, me répond mon futur mari en me serrant contre lui. Pour soulager ma
conscience, je dois avouer que je n’ai pas du tout planifié ce mariage, c’est Sergueï qui s’est occupé
de tout, y compris de la robe.
Je sens que cet aveu lui coûte et qu’il a un peu peur que je ne le prenne mal. Je décide d’être
franche à mon tour.
— Je n’ai jamais découpé de photos de robes de mariées, je reconnais.
Je lui raconte que la vision d’une femme en robe blanche m’a donnée cette idée saugrenue
juste pour l’embêter.
— Petit démon ! s’exclame Laszlo en m’embrassant sur le bout du nez. Il y a une chose dont
j’ai moi-même eu l’idée dans ce mariage.
— Laquelle ? je demande, curieuse.
— Tu verras au moment où l’on apportera les alliances, me répond-il en se dérobant à mon
étreinte.
Il me tient cependant toujours par la main et plonge ses yeux dans les miens.
— Stefanie, malgré tout ce qui a conduit à ce mariage, je suis heureux de t’épouser.
Il y a une telle sincérité dans ses yeux et dans sa voix soudain rauque que je suis au bord des
larmes.
Je m’attends à ce que nous passions dans une salle voisine pour le mariage, mais Laszlo me
fait un grand sourire complice et m’entraine vers l’ascenseur. Nous montons jusqu’au dernier étage et
encore un peu plus haut et nous nous retrouvons sur le toit ! Je sors de la cabine en prenant soin de
soulever un peu le bas de ma robe et je me précipite vers la rambarde en plexiglace. De là, nous
dominons tout Manhattan et la vue est magnifique. Le soleil éclaire toute la ville et j’y vois un bon
présage pour ce mariage inattendu.
Laszlo vient me rejoindre au bord du toit et me prend par la taille.
— Ça te plait ? me demande-t-il en m’embrassant dans le cou.
— Je ne pouvais pas rêver mieux, je murmure, troublée par son contact.
Il me prend par la main pour m’emmener devant le juge Black, qui nous attend avec des
papiers posés sur une grande table de jardin. Malgré la hâte dans laquelle tout a été décidé, j’ai droit
à un vrai mariage. Un arceau de fleurs domine l’endroit où Laszlo et moi nous nous tenons, il y a des
fleurs partout, un tapis rouge sombre a été déroulé sur le sol. Le juge se tient derrière sa table,
souriant, et derrière lui il y a la ville. Je souris de tout mon cœur.
Je me marie peut-être parce que Laszlo exerce un chantage sur moi, mais je suis heureuse. Je
ne connais mon futur mari que depuis quarante-huit heures, mais j’ai l’impression d’être avec un vieil
ami. Enfin, pas vraiment un vieil ami, parce que j’ai de vieux amis et je n’ai jamais eu envie de leur
sauter dessus et de leur arracher leurs vêtements.
Le juge nous lit plusieurs textes et articles de lois sur le mariage, les devoirs des époux.
Laszlo a pris ma main dans la sienne et ne la lâche plus. Les flashs des deux photographes crépitent et
le vidéaste fait lentement le tour de la scène. Finalement, c’est le moment de l’échange des
consentements.
— Stefanie Christine Barnes, acceptez-vous d’épouser Laszlo Nikolaïetitch Evanovitch ici
présent ?
— Je le veux !
Laszlo fait la même réponse lorsque le juge se tourne vers lui. Sergueï et son assistante nous
servent de témoins. Au moment où le juge dit que nous pouvons échanger les alliances, j’entends un
petit bruit de clochettes. Une femme souriante s’avance, tenant Bucky en laisse ! Elle le soulève dans
ses bras et mon chat, pourtant peu câlin avec les étrangers, se laisse faire. Les alliances sont
accrochées à son collier. Je regarde Laszlo et je fonds de tendresse pour lui. Cette idée est tellement
adorable ! Mon presque-mari prend mon alliance, un bel anneau en or blanc, et la glisse à mon doigt,
avant que je ne fasse de même avec lui.
En prenant sa grande main chaude dans la mienne, je tremble un peu. Je glisse l’alliance à
son doigt et spontanément, je l’enlace et je l’embrasse tandis que le juge Black nous déclare mari et
femme.
À ce moment, je fais un vœu silencieux. Ce mariage sera une réussite. Je vais m’y employer.
Le reste de la soirée se passe comme dans un rêve. La nuit tombe alors que nous nous
installons pour le dîner, en bordure de terrasse. Nous regardons les lumières de la ville s’allumer peu
à peu tandis que nous trinquons avec nos flutes de champagne. Laszlo nous porte un toast. Je souris, je
bois, et je déguste le dîner préparé par un chef français. Nous parlons sans qu’il y ait de temps morts.
Laszlo a l’air de s’intéresser à une foule de sujets, et il me promet de m’emmener voir des ballets et
des concerts. Il a l’air passionné par la musique classique. Lui qui disait ne pas avoir de passion, il
me suffit de l’écouter parler de Bach et Mozart pour comprendre qu’il a bel et bien une passion.
Je n’ai plus qu’à télécharger en vitesse les œuvres de ces deux compositeurs. Je dois dire
que mes goûts me portent plutôt vers la pop et les derniers succès entendus sur les ondes plutôt que
vers des musiciens morts il y a plusieurs siècles. Mais pour Laszlo, je veux bien essayer d’aimer.
Nous parlons de nos enfances respectives, et Laszlo me confie avoir été fasciné par
l’Amérique telle qu’il la voyait dans les séries. J’apprends qu’il n’a jamais joué au base-ball de sa
vie et je lui promets que je l’initierai à notre sport national. Nous trinquons en souriant.
L’orchestre joue en sourdine derrière nous, alternant musique classique et jazz. Après le
dessert, alors que je me sens devenir fébrile, une valse commence et mon mari – mon mari !- se lève
et me tend la main.
— Je ne sais pas danser ! j’avoue, prise de panique.
— Pas grave, je te guiderai. Allez viens, tu vas adorer !
J’espère qu’il n’a pas peur que je lui marche sur les pieds avec mes talons hauts. Je n’ai
aucune idée de comment on danse une valse, je n’en ai vu que dans les films. Dans les soirées où je
suis allée, on s’agite en rythme sur une musique syncopée, et peu importe les mouvements. Laszlo me
prend dans ses bras, et me guide dans les premiers pas.
— Ne réfléchis pas, me conseille-t-il. Laisse la musique te guider. Comme ça…
J’obéis et je découvre qu’il a raison. Je dois faire de nombreux faux-pas, mais je glisse
comme dans un rêve sur le toit d’un building de Manhattan, éclairé par des bougies, au son d’un
orchestre et guidé par mon tout nouveau mari. Je suis un peu étourdie lorsque la musique s’arrête et je
suis contente de retrouver ma chaise. L’orchestre marque une pause. Je bois encore un peu de
champagne. La soirée s’achève, je suis mariée, et je regarde l’homme que je viens d’épouser avec les
yeux d’une amoureuse. Laszlo me tend la main et m’enlace pour une dernière valse.
La valse devient un slow et Laszlo me serre contre lui. Je l’enlace et je pose ma tête contre
son épaule. Nous dansons lentement et peu à peu, je sens une fièvre nouvelle envahir mon corps. Je
sens le corps musclé, vigoureux et viril de Laszlo contre le mien et je goûte chaque seconde de cette
sensation. Laszlo m’embrasse dans le cou et j’incline la tête pour mieux sentir ses lèvres sur ma peau.
— Je te désire si fort, Stefanie, murmure-t-il à mon oreille, me faisant trembler.
— Je te désire aussi, je lui confie, intimidée par ce brusque assaut de sensualité dans tout
mon être.
Nous n’attendons pas la fin de la musique. Laszlo me prend par la main et m’entraine vers
l’ascenseur, cette fois vers ses appartements privés. L’étage est verrouillé par une clé magnétique.
Durant la courte descente, je reste blottie dans ses bras, et nous nous embrassons avec fougue. La
langue de Laszlo m’envoie des sensations incroyables dans tout le corps lorsqu’elle effleure mes
lèvres et caresse ma langue.
Nous débarquons directement dans le hall de son – notre – appartement, et je reste bouche
bée. Je savais que ce serait luxueux, mais je n’imaginais pas que ce serait à ce point. Mais avant que
j’aie pu faire un pas hors de l’ascenseur, mon mari de quelques heures m’a soulevée dans ses bras et
me fait passer le seuil de notre nouvelle demeure de cette façon. Je ris, m’accrochant à son cou. Il me
porte dans un long couloir et passe une grande double porte déjà ouverte. Je me retrouve dans la
chambre – notre chambre – et il consent enfin à me poser, non pas sur le lit, mais debout, à côté.
J’apprécie la délicatesse du geste.
Nous nous regardons avec une intensité qui me fait presque mal. J’ai envie de lui. Mon ventre
est brûlant et je sens un feu liquide tremper mes sous-vêtements de satin et dentelles. J’ai envie
d’arracher ma robe de mariée, d’enlever son costume à Laszlo et de nous entrainer sur le lit. Laszlo
m’enlève délicatement mon voile et libère mes cheveux de leurs épingles dorées. Il glisse ses mains
dans mes boucles, me masse doucement le crâne. Je ferme les yeux, à deux doigts de ronronner. Il me
déboutonne ma robe, lentement, ses yeux rivés aux miens. Il sourit. Il écarte le tissu blanc et la robe
tombe à mes pieds, me laissant en sous-vêtements. Je ne peux plus attendre. Je lui enlève sa veste,
déboutonne son gilet, défais sa cravate. Je laisse tout tomber à terre, à côté de ma robe. Je m’attaque
enfin à sa chemise en soie et j’écarte les pans avec impatience, comme si je déballais enfin mon
cadeau.
Laszlo a un torse musclé, avec un six-pack impressionnant. Je glisse les mains dans la légère
toison qui couvre son torse, je le caresse, mais il écarte mes mains. Avec un sourire malicieux, il me
soulève et me pose sur le lit, sur le couvre-lit en satin d’un rouge sombre et capiteux comme un bon
vin. Il se couche sur moi et m’embrasse à nouveau. La chaleur qui envahit mon ventre me fait rougir.
J’aime être vulnérable à Laszlo, j’aime ne pas pouvoir lui interdire l’accès à mon corps.
Je tends mon corps contre le sien, cherchant son contact. Sa virilité se presse contre ma
cuisse et je gémis doucement tandis que les mains de Laszlo caressent mes seins encore emprisonnés
dans leur cocon de satin et dentelle. Très vite, il passe les mains dans mon dos et défait mon soutien-
gorge. Il le rejette de côté, libérant mes seins soudain lourds. Ses yeux courent sur mes rondeurs, ses
mains les caressent et soudain sa bouche est sur ma peau, embrassant et léchant et suçant. Mes
mamelons se dressent, prennent vie et un éclair de désir me frappe, allant directement à mon clitoris.
Je gémis plus fort tandis qu’il suce mes tétons l’un après l’autre. Ses mains partent plus bas,
et je me cambre pour qu’il m’enlève ma petite culotte, déjà trempée par mon désir. Laszlo glisse une
main entre mes cuisses et caresse mes lèvres humides avant de glisser un doigt entre elles. Sa bouche
suit le chemin tracé par ses mains et soudain je sens sa langue sur mon clitoris. Je frôle l’orgasme et
je crie. Il me lèche, me caresse de sa langue et de ses lèvres tandis que ses doigts me pénètrent. Je
halète. C’est trop pour moi. Je me cambre et je sens un orgasme incontrôlable monter en moi, envahir
mon ventre et mon corps et me secouer comme une longue vague brûlante.
Essoufflée, je rouvre les yeux pour trouver le regard de Laszlo fixé sur moi. Il est allongé à
mes côtés, encore vêtu de son pantalon, ce qui est intolérable. Je me sens hardie comme jamais. Je
défais sa ceinture et je lui ôte son pantalon, révélant un boxer short noir moulant sa virilité dressée. Il
soulève ses hanches tandis que je fais glisser le sous-vêtement le long de ses jambes musclées. J’ai
une envie sauvage de le caresser jusqu’à ce qu’il jouisse, mais je me sens à nouveau mouillée et
prête. Je prends sa queue dans ma main et je la caresse lentement, mes yeux rivés à ceux de Laszlo. Il
perd peu à peu son self-control, écartant ses lèvres dans de légers soupirs. Je laisse glisser son sexe
de ma main devenue moite de son désir et je me remets sur le dos.
— Viens, je dis.
Laszlo se couche à nouveau sur moi, entre mes jambes écartées. Il glisse sa queue en moi,
lentement, comme s’il craignait de me faire mal. Son membre est si gros qu’il écartèle un peu mes
chairs intimes, pourtant ruisselantes de mouille. Je referme mes jambes autour de ses hanches,
l’attirant plus profondément, plus intensément en moi.
— Baise-moi, Laszlo, je supplie doucement. S’il te plait, baise-moi !
Il commence à bouger en moi, donnant de légers coups de reins qui deviennent de plus en
plus puissants. Le plaisir monte à nouveau, mais cette fois, c’est la queue de Laszlo qui frotte contre
mon point sensible qui me précipite dans l’abime d’un nouvel orgasme. Je hurle son nom, je hurle
mon plaisir tandis qu’une fournaise de jouissance secoue violemment mon corps. Laszlo n’en peut
plus, il jouit à son tour et je l’entends crier mon prénom, encore et encore, tandis qu’il se vide en
moi.
Haletant, il veut se retirer, mais je referme bras et jambes autour de lui, donnant de petits
coups de bassin. Je sens que sa queue ne demande qu’à durcir une nouvelle fois.
— Reste, je murmure. Je te veux encore !
CHAPITRE 11
Il faut que Sergueï claque des doigts devant mes yeux pour que je réagisse. Ça doit faire
deux minutes qu’il me parle et je n’ai aucune idée de ce qu’il a bien pu me raconter.
— Hé, le jeune marié, tu es avec moi ?
Je souris, et je sais que je dois avoir l’air idiot, avant de répondre.
— Non, je suis au lit avec Stefanie.
— Épargne-moi les détails, rigole Sergueï avec une grimace dégoûtée. Tu as l’air d’un vrai
connard avec cet air-là sur le visage.
— Merci, mon ami, je réponds, pas fâché pour un sou.
— Donc, tu auras tes deux fois par semaine prévues par contrat ?
Je me mets à rire.
— J’ai déjà épuisé mon crédit du mois. Et je compte prendre de l’avance sur le mois
prochain. On l’a fait au lit, on l’a fait dans le salon, dans la salle de bain, deux fois dans la baignoire.
Il reste la cuisine qu’on n’a pas inaugurée.
— Rappelle-moi de ne plus jamais m’asseoir sur ton canapé, répond Sergueï. Tu es une
bête, voilà ce que tu es.
— Elle m’a dit qu’elle n’aimait pas le sexe avant moi, je soupire. Elle me l’avait déjà dit le
soir où on s’est rencontrés. Qu’elle était frigide. Elle dit que je suis le premier à la faire jouir.
— Ah les hétéros ! s’écrie Sergueï d’un air amusé. Vous êtes prêts à croire n’importe quoi
pourvu qu’une fille vous flatte la queue !
— Je pense qu’elle dit la vérité.
— Tant mieux pour toi, tu pourras concourir pour l’étalon d’or de l’année. Si on bossait un
peu ? Je te rappelle que demain, tu as le dîner chez Kossolov.
— S’il n’était pas si moche, je l’embrasserais, je réponds. C’est grâce à lui que je baise
Stefanie.
Sergueï lève les yeux au ciel et me laisse des dossiers sur le bureau. J’ai vraiment du mal à
me concentrer. J’ai passé ces derniers jours à baiser, mais ceci n’explique pas cela. Il y a plus que
cela. J’aime faire l’amour avec Stefanie. J’aime dormir avec Stefanie et j’aime même dormir avec
son crétin de chat qui se blottit contre moi quand on s’endort. Bucky a la délicatesse de nous laisser
faire l’amour tranquille, mais dès qu’il sent qu’on va éteindre, il vient faire sa toilette au pied du lit,
en nous regardant de ses yeux impassibles.
J’aime même quand Stefanie me réveille le dimanche matin à l’aube pour aller chercher un
chien dans un refuge où son boss fait du bénévolat. On a emmené le clebs à Central Park et on s’est
promenés, main dans la main. Stefanie a tenu à nourrir les oiseaux et j’ai lancé la baballe pour le
toutou, un mélange de races poilues et baveuses. D’habitude, le dimanche matin, je traite les dossiers
que je n’ai pas eu le temps de lire la semaine avant d’aller faire du sport.
Après avoir ramené le chien, nous sommes allés déjeuner dans un restaurant français avant
de revenir en vitesse à la maison pour faire l’amour avant de nous écrouler sur le lit. J’ai manqué
deux séances de sport pour être avec elle le plus vite possible après le boulot. Si ça continue, je vais
finir par le payer. Je passe une main inquisitrice sur mon ventre, rassuré de constater que mon six-
pack est toujours là. Ce soir, pas de câlin de six heures du soir. Je vais à la gym et je défonce le sac
de sable après une bonne séance de cardio.
Pour me motiver, je prends mon portable et je regarde une photo que j’ai scannée d’après
une photo papier. Elle a été prise lors de la fête d’anniversaire de ma mère, juste après notre arrivée
à Londres. J’ai dix-sept ans, je refais ma dernière année de lycée et mes petits camarades, quand ils
ne m’appellent pas le Ruskoff, m’ont gentiment surnommé Bouboule. Il faut dire que j’ai de bonnes
joues et un peu de bide, et du gras en général. Je ne suis pas obèse, mais je me porte bien. Quand on a
quitté la Russie, j’ai découvert avec joie que j’avais désormais les moyens de me payer le fast-food.
Je me suis gavé de nourriture calorique, grasse et sucrée, avec du soda pour faire passer le tout. De
gamin au gabarit normal, je suis devenu gros.
Mon tout nouveau beau-père n’a rien dit en me voyant la première fois. Il m’a gravement
serré la main et m’a souhaité la bienvenue dans sa famille. Mais peu de temps après qu’on se soit
installés dans sa résidence londonienne, il est venu un dimanche matin me tirer du lit, où je paressais
après avoir passé la nuit à jouer aux jeux vidéo en grignotant des chips, et m’a emmené au stade de
rugby. Je ne suis pas du tout du genre à aimer les jeux d’équipe, mais j’ai adoré ce sport de brutes
pratiqué par des gentlemen. Non seulement j’ai vite perdu mon poids superflu et gagné du muscle,
mais j’ai pu donner libre court à mon agressivité, tout en respectant les règles.
Mon beau-père n’a jamais essayé de remplacer mon père. Mais il m’a donné quelques
conseils, durant les quelques années que j’ai passées sous son toit. Je crois qu’il est plutôt fier de ma
réussite. Je le sais à la tape qu’il me donne sur l’épaule quand je reviens voir ma mère. Pour un
Britannique, c’est comme une longue étreinte pour un Russe.
Depuis ce temps-là, je pratique régulièrement divers sports. Pas question de reprendre du
poids, surtout que j’aime la bonne bouffe et que je me dois d’assister à pas mal de dîners d’affaires.
J’aime le regard de Stefanie sur mon corps musclé et je tiens à ce que ses yeux restent admiratifs.
Je lui texte que je vais à la salle de sport, qui se situe quelques étages au-dessous de mon
bureau et m’appartient. J’ai même un coach sportif, mais je préfère souvent pratiquer seul, vidant
mon esprit en même temps que je muscle mon corps. À ma grande surprise, Stefanie me dit qu’elle en
profitera pour aller courir un peu à Central Park.
Je reste pensif un moment, puis j’appelle Sergueï.
— Stefanie va faire du jogging ce soir. Je veux qu’un des gardes la suive à distance, prêt à
intervenir en cas de pépin. Deux gardes, même, c’est plus sûr.
— Elle le sait ?
— Non. Je ne pense pas qu’elle aimerait. Mais je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose.
New-York est dangereux pour les femmes seules.
— Tu ne serais pas en train de tomber amoureux ? demande Sergueï, ironique.
— Non ! je réponds sèchement. Je protège mes intérêts, voilà tout.
Menteur !
CHAPITRE 12
Je ne me reconnais plus ! Je n’ai jamais aimé le sexe, je n’ai jamais atteint l’orgasme avec
aucun de mes petits amis – deux boyfriends, d’accord, ce n’est pas beaucoup comme expérience. Et
là, il suffit que Laszlo m’effleure pour que j’aie envie de lui sauter dessus et de lui faire l’amour ! Cet
homme m’électrise, m’ensorcèle, m’envoute et me rend dingue du sexe. Je vais aller vérifier sous le
lit conjugal s’il n’y a pas une poupée russe avec des épingles dedans ou un truc du genre. Je ne vois
pas d’autre explication qu’un bon coup de magie pour m’être transformé en déesse du sexe.
Nous faisons l’amour tous les jours, parfois deux fois par jour, avant le dîner et avant de
nous endormir. Nous l’avons fait dans tout le penthouse, y compris dans la cuisine – je ne peux plus
regarder le comptoir au centre de cette pièce sans rougir – et nous avons été limite de le faire dans
l’ascenseur. Nous l’avons fait dans la limousine, cette fois sans nous contenter de caresses, et je
n’ose plus regarder le chauffeur, Dimitri, dans les yeux. Il ne peut pas ignorer que nous nous
envoyons en l’air sur le siège arrière alors qu’il conduit. Surtout quand j’oublie mon string après et
qu’il me le rapporte dans une pochette en soie noire, comme si j’avais oublié mon téléphone.
— Je crois que Madame a oublié ceci l’autre jour, m’a-t-il dit en me tendant la pochette.
Je l’ai remerciée avant de mourir de honte sur place. L’incident a beaucoup fait rire Laszlo.
Je lui demande agressivement s’il a baisé d’autres femmes dans la limousine, il me répond que non,
mais qu’il n’est pas le premier employeur de Dimitri et que celui-ci a dû en voir d’autres.
N’empêche. Je connais à peine Laszlo, et pourtant j’ai le sentiment qu’il est un ami de
toujours. Je me sens aussi à l’aise avec lui qu’avec Jon, le côté séduction et sexe débridé en plus. Je
lui parle de tous mes petits secrets, mes rêves d’ouvrir un refuge. Je lui fais confiance, et c’est
nouveau pour moi.
Mais ce soir, pas d’interlude érotique d’avant dîner. L’orgasme sera ma récompense de fin
de soirée. Ce soir, c’est le dîner chez Igor Kossolov. Je suis complètement flippée. C’est mon
premier diner en tant que Madame Evanovitch et je sens que je vais me planter. En plus, c’est
justement le diner qu’il ne faut pas que je rate, celui dont dépend la vie de Laszlo, et je n’exagère pas
en disant cela. Le mafieux russe qui voulait qu’il épouse sa fille nous a invités chez lui pour un petit
diner intime – il y aura une quinzaine de personnes- et je vais être la seule américaine.
Je ne veux pas y aller ! Mais je suis quand même dans la limousine avec Laszlo, vêtue d’une
robe Versace, avec des escarpins aux talons tellement aiguille que je marche sur la pointe des pieds
par peur de perdre l’équilibre. Dans la voiture, je révise mes bonnes manières, à savoir quelle
fourchette choisir pour quel plat. Pour une fois, Laszlo ne me réconforte pas. Il est lui aussi stressé, je
le vois à sa façon d’être assis au fond de la banquette, les sourcils froncés, le visage sombre, comme
s’il allait déposer le bilan et se retrouver à la rue. Cela dit, si ça arrivait, l’autre mafieux n’aurait
plus aucune raison de vouloir lui faire épouser sa fille.
— Tu es obligé d’être en relation avec ce type-là ? je demande brusquement. Je croyais que
tes affaires étaient légales.
Laszlo sort de sa songerie morose et me sourit, un peu tristement cependant.
— C’est la Russie, ma chérie. Tu ne peux pas faire d’affaires sans avoir la mafia sur le dos,
que ce soit pour les bakchichs ou simplement comme assurance. Et la mondialisation a aussi touché
ce genre d’affaires.
Il m’explique que tous les entrepreneurs d’importance en Russie versent une sorte de prime
d’assurance à une mafia ou une autre. Bien sûr, on peut refuser. Mais il arrive alors une série de
malheureux accidents comme des camions qui ont des accidents, des entrepôts qui brûlent ou même
des types qui vous tirent dessus, comme ça, sans raison. Si vous vous obstinez, c’est votre famille qui
peut avoir des accidents. Laszlo le savait avant même de se lancer dans les affaires, il a grandi avec
ce système.
Avant, d’après lui, ce n’était pas mieux. On arrosait les officiels du Parti, à plusieurs
échelons, pour des échanges commerciaux qui se faisaient sous le manteau, vu que c’était une
économie d’état.
— Mais c’est un vrai pays de racketteurs ! je m’exclame.
— C’est le capitalisme, me répond simplement Laszlo d’un ton un peu sec.
J’oubliais. Il n’est pas un immigré qui a fui son pays. Il est russe, il en est fier et il n’aime
pas qu’on critique son pays, même si lui ne se prive pas pour le faire.
— Tu te rappelles l’histoire de notre rencontre ? me demande-t-il au moins pour la
vingtième fois.
Nous avons convenu d’une petite histoire, qui se rapproche beaucoup de la réalité, histoire
de ne pas trop se couper, et je l’ai apprise par cœur. Je la ressors par mots-clés à Laszlo qui
approuve.
Je n’ai pas le temps de finir de relire l’usage de la fourchette à huitres chez les grands de ce
monde. La limousine s’est arrêtée, la portière s’ouvre et Laszlo descend d’un bond, plus nerveux que
je ne l’ai jamais vu. Il me tend la main – je suis absolument fan de ce geste – et je le suis en clignant
des yeux. La « petite maison » d’Igor Kossolov est une gigantesque baraque tellement illuminée que
j’ai l’impression d’être sur un plateau de cinéma, avec tous les projecteurs braqués sur moi. Je
regrette de ne pas avoir pris mes lunettes de soleil tellement ça éblouit.
Le mafieux russe nous attend sur le perron de sa p’tite villa, où il accueille ses invités avec
forces poignées de main, gros câlins pour les intimes et même, horreur glauque, bisou à la russe pour
les hommes ! Je vois plusieurs invités qui reprennent leur souffle après l’un ou l’autre, parce qu’Igor
Kossolov est une armoire à glace de deux mètres de haut, minimum, avec une silhouette conséquente.
Je devine les gros muscles sous la couche de graisse et son smoking tire un peu aux épaules, mais pas
sur le ventre. Il a une grosse tête, avec des cheveux gris coupés très court, genre commando, un grand
nez qui a déjà été cassé, et un teint tirant sur le rouge aux pommettes. Il fait un large sourire quand il
voit Laszlo et lui ouvre ses bras comme si c’était le retour du fils prodige. Mon cher et tendre
disparait presque dans l’étreinte et à mon grand soulagement, le mafieux qui épargne le baiser sur la
bouche pour une accolade qui dure des plombes, des tapes dans le dos qui manque de casser
quelques côtes à Laszlo, à le voir grimacer, et forces paroles en russe. Puis il se tourne vers moi.
Je fais mon sourire d’assistante-vétérinaire qui accueille Caroline Vanderberg, tandis que
Laszlo fait les présentations, en anglais. Kossolov prend la main que je lui tends, la porte à ses lèvres
et je sens quelque chose de gluant sur le dessus de ma main. Je continue à sourire, vaillamment, après
tout, j’ai déjà eu des chiens qui m’ont léché le visage après avoir mangé leur pâté, ce n’est pas pire,
enfin, pas vraiment.
— Ma chère Stefanie ! s’exclame-t-il comme si j’étais moi aussi l’enfant prodige de retour
au pays. Je suis tellement heureux de faire votre connaissance ! Laszlo Nikolaïevitch m’a tellement
parlé de vous !
— Il m’a aussi beaucoup parlé de vous, je dis en continuant à sourire. Enchantée de faire
votre connaissance, monsieur Kossolov.
— Pas de monsieur, voyons, je suis Igor Vladimirovitch pour mes amis !
Je n’ai aucune envie de devenir ton amie, monsieur, mais je vais faire comme si. Il tient
toujours ma main dans la sienne, comme s’il avait décidé de ne pas me la rendre, et ne me lâche que
lorsqu’une autre limousine s’arrête et que les invités descendent. Je m’essuie discrètement le dessus
de la main sur ma robe – désolée !- et je me cramponne au bras de Laszlo pour entrer dans la salle de
réception. Là encore, on dirait Versailles, en plus grand et plus éclairé. Des lustres en cristal, des
chandeliers sur les tables et de quoi tenir pendant le siège de Stalingrad question bouffe. Un serveur
nous brandit un plateau de coupes de champagne sous le nez et nous en prenons une, que je vide d’un
coup. L’alcool me fait du bien. Laszlo boit avec beaucoup plus de mesure et je rougis lorsque je
reprends une coupe pleine sur un autre plateau.
— Trois minutes dans une maison russe et tu deviens alcoolique ? me lance-t-il en riant.
— Je vais avoir besoin de soutien alcoolisé, je dis en avalant une gorgée.
— Doucement quand même, ma chérie, me dit-il gentiment. N’oublie pas une chose : tu ne
peux pas boire comme un Russe. Il faut être né russe pour ça, et je veux que tu restes lucide toute la
soirée. Nous ne sommes pas là pour nous amuser.
— Juste pour rester en vie, c’est ça ? je demande à voix basse.
— Ne te relâche jamais en présence d’Igor Vladimirovitch, me murmure-t-il. Pas si tu veux
finir centenaire !
Je sais qu’il ne plaisante pas. Le mafieux a accueilli ses derniers invités et je note que tout
le monde parle russe autour de moi. Je suis la seule américaine et je me sens très, très seule. J’ai
l’impression d’avoir fait un bond dans le temps, d’être au temps de la guerre froide, une espionne
américaine dans une réception soviétique, chargée de voler les plans de leur dernier satellite.
Une blonde fonce droit sur nous et je n’ai pas besoin qu’on me dise de qui il s’agit. Par
contre, je suis surprise par sa ressemblance niveau allure, coiffure et petit chien dans ses bras, avec
Caroline Vanderberg. On dirait un clone, avec ce petit quelque chose de slave dans les traits.
— Laszlo Nikolaïevitch, tu t’es enfin décidé à nous présenter celle qui t’a volé à moi ?
Elle tend sa joue à Laszlo et se tourne vers moi, sourire aux lèvres et yeux glacés.
— Stefanie, voici Sonia Kossolova, dit Laszlo. La charmante fille de notre hôte.
Je sors quelques paroles de politesse et je ne peux résister à demander à caresser le petit
chien coincé sous le bras de sa maitresse. C’est un chihuahua copie presque conforme de Snowflake.
Je lui gratouille la tête et je demande son nom à sa maitresse, qui a l’air surprise par mon
débordement d’affection envers son animal.
— Snezhinka, me répond Sonia.
— Ça veut dire Flocon de Neige, me traduit Laszlo.
— C’est dingue ! je m’émerveille, le champagne courant mes veines. Caroline Vanderberg a
un chihuahua qui s’appelle Snowflake, ça veut dire flocon de neige aussi !
Le sourire de Sonia atteint brusquement ses yeux.
— Vous connaissez Caroline Vanderberg ? me demande-t-elle d’un ton avide.
— Bien sûr !
Je vois la lueur d’intérêt dans les yeux de Sonia, mais elle est appelée par son père et
s’excuse de devoir nous laisser.
— Bravo, tu viens de la mettre dans ta poche, me murmure Laszlo. Sonia rêve de rencontrer
la jet-set new-yorkaise et d’intégrer leur petit cercle.
— Pourquoi elle ne le fait pas ?
— Parce que le fric de son père n’est pas suffisant pour faire oublier qu’elle est la fille d’un
type qui a passé dix ans en prison.
Je comprends. Elle a l’argent, mais pas le pedigree qui va avec, et visiblement, à voir ses
efforts pour ressembler à la célèbre héritière, Sonia Kossolova tuerait pour intégrer les happy few de
Manhattan.
Un valet en habit de cérémonie vient annoncer que Madame est servie, madame étant Sonia,
vu qu’Igor Vladimirovitch est veuf. Nous passons à table et je me retrouve assise à la droite du
maître de maison, ce qui me fait grimacer intérieurement. Laszlo est à côté de moi et je lui prends la
main sous la nappe. Je ne suis pas très rassurée, dans cette assemblée où ça parle fort, en russe, où ça
rit encore plus fort et où les invités ont tous l’air de sortir de taule. Les hommes, surtout, de l’âge de
notre hôte. Les femmes semblent toutes sorties du même moule, blondes ou brunes, beaucoup plus
jeunes que leur mari, et toutes avec ce regard qui en dit long sur leur ambition en épousant un type ni
jeune ni beau, mais riche.
Igor Vladimirovitch insiste pour porter un toast aux jeunes mariés, et je me retrouve à faire
cul sec avec un shot de vodka. Je sens tout mon sang qui monte à mes joues, et je vois trouble pendant
un instant. Ensuite, nous portons un toast à la « mère patrie » et hop, deuxième shot. J’espère qu’ils
vont s’arrêter là parce que j’ai la tête qui tourne. On sert les entrées, à savoir du caviar et des blinis à
la crème. Le tout accompagné d’une vodka différente, à l’herbe de bison, que je suis invitée à goûter.
Je capte le regard inquiet de Laszlo. Même si c’est la tradition dans un repas russe de beaucoup
picoler, il sait que notre hôte est en train de me soûler pour me faire parler. D’ailleurs, il ouvre le bal
dès la seconde bouchée de caviar – j’adore ça. Le caviar, pas Igor.
— Il y a une histoire que je voudrais entendre, ma chère Stefanie, c’est celle de votre
mariage surprise avec Laszlo Nikolaïevitch.
Nous y voilà ! Tu es joueur, Igor ? Moi aussi ! Je bois une bonne lampée de vodka avant de
commercer et je sens la main de Laszlo qui se crispe sur ma cuisse. Tu me fais mal, chéri, arrêtes.
Okay, tu penses que je ne tiens pas le choc ? Je viens d’un patelin où on a du bourbon dans son
biberon.
— Laszlo chéri m’a tout simplement sauvé la vie ! je commence d’un ton grandiloquent. Je
faisais un selfie… - et là je dois expliquer ce que c’est, seule Sonia connait le mot – et j’ai failli
tomber de l’escalier du Rockfeller Center. En fait, je suis tombée, littéralement dans les bras de
Laszlo qui a bondi, l’amour de ma vie, pour me rattraper. Je me suis évanouie dans ses bras –
littéralement, je vous jure sur la vie de ma mère, vu que j’ai eu une trouille de tous les diables.
Laszlo m’a emmenée boire un café pour me remonter, puis un verre, et puis on a parlé, parlé et moi
j’étais déjà amoureuse.
— J’ai su que Stefanie était la femme de ma vie au moment où je l’ai tenue dans mes bras,
intervient Laszlo en sortant le même mensonge que le premier soir, chez Hartford Inc. J’ai déployé
tout mon charme pour la séduire, mais devant sa résistance de jeune femme américaine, j’ai agi à la
cosaque ! Je l’ai enlevée !
— C’est vrai ! je pouffe en reprenant encore de la vodka. Je sortais de mon travail et Laszlo
m’attendait avec une limousine et des fleurs à l’intérieur et du champagne, et nous ne nous sommes
plus quittés ! Il a menacé de me séquestrer jusqu’à ce que j’accepte de l’épouser, alors j’ai oui !
Et là, j’attire Laszlo à moi et je l’embrasse sur la bouche, à la russe.
— Il est l’homme de ma vie ! je dis en levant mon verre, à nouveau plein, pour un toast.
Et tout le monde avale cul sec un nouveau shot de vodka.
Je dois dire que j’ai très peu de souvenirs du reste de la soirée. J’ai mangé d’excellents
plats, bu encore un peu et je me suis endormie dans la limousine au retour, à tel point que je ne me
rappelle pas du tout être arrivée au penthouse. Le lendemain, quand je me réveille dans le lit
conjugal, je ne porte plus que ma petite culotte et une baby doll et Laszlo me tend un verre de jus
d’orange et une aspirine dès que j’ouvre les yeux.
Juste pour ça, j’aime cet homme.
Par contre, je le désaime quand il me tend un verre à cocktail rempli d’un liquide rouge qui
pue la vodka. Je ne veux plus jamais boire de vodka de ma vie. Je vais vomir.
— C’est quoi cette saloperie ? je grogne. On dirait du sang avec de la vodka.
— Un bloody mary, me répond Laszlo en prenant un verre identique sur la table de nuit. Tu
connais le principe de l’alcool qui chasse la gueule de bois ?
— Je vais m’en tenir au jus d’orange, je murmure.
Mais j’ai à peine terminé ma phrase que j’ai envie de gerber et que ma tête menace
d’exploser parce que je l’ai légèrement bougée. Je promets solennellement que je ne boirais plus
d’alcool. Juste à Noël, au Nouvel An et mon anniversaire.
— Tu as le choix entre boire ce cocktail et pouvoir assurer ta journée de travail sans avoir
l’impression de mourir chaque minute ou finir la tête dans la cuvette des toilettes, me dit aimablement
mon mari.
Il prend son propre verre, me lance un « Prosit » (ça veut dire « Tchin », je l’ai assez
entendu hier soir) et le vide cul sec. Il reste stoïque une longue minute et finit par me sourire.
— Je ne peux pas, je dis.
— Moi qui pensais que les américains avaient le sens du défi, me taquine Laszlo en
accentuant son accent russe.
Attends, tu viens de dire quoi, là ? Tu insultes la Glorieuse Amérique ? Tu insinues qu’on
n’est pas à la hauteur ? Ce n’est plus ma gueule de bois qui est en jeu, là, c’est l’honneur national. Je
prends une grande inspiration et saisis le verre à pied.
— Pour l’oncle Sam ! je déclare en vidant le verre sans respirer.
Putain, si je crève, je veux qu’on m’enterre avec les honneurs militaires ! Je n’ai jamais rien
bu d’aussi dégueulasse. Déjà, à la base, j’ai horreur du jus de tomates, mais le matin à jeun avec de
la vodka alors que j’ai une gueule de bois à fracasser les murs, c’est le Vietnam et l’Irak réunis.
C’est un miracle que je ne gerbe pas sur le lit nuptial. Je pense très fort à une forêt bien verte
où gambadent de grands chiens et j’attends que le remède fasse effet. Je regarde mon cher et tendre.
— N’insulte plus jamais l’Amérique, vile communiste milliardaire !
Dix minutes plus tard, je sors de la douche toute fraiche, ma migraine envolée, et j’ai même
assez d’appétit pour manger un bol de céréales. Traiter le mal par le mal s’est avéré efficace. Laszlo
mange ses œufs brouillés et j’essaie quand même de ne pas trop respirer le fumet qui en monte. Mon
estomac et moi avons conclu une paix armée.
— Je n’ai pas trop fait honte, hier soir ? je demande brusquement. Je ne me rappelle plus de
grand-chose.
Laszlo lève le nez de sa tablette et secoue négativement la tête.
— Tu as été parfaite. De toute façon, tout le monde était bourré, Kossolov en premier. Tout
ce qu’il voulait savoir, c’était si tu étais réellement ma femme. Quand tu as commencé à défaire mon
pantalon en disant que tu voulais baiser tout de suite, il a été convaincu.
Je vire au rouge tomate option giclée de Tabasco.
— Quoi ? je hoquète en manquant de m’étrangler avec mes céréales.
Laszlo éclate de rire.
— Je plaisante, Stefanie, me rassure-t-il. Tu as été tout à fait décente. Mais disons que notre
façon de nous tenir a montré à Kossolov que nous étions vraiment un couple.
Je hoche la tête, contente de ne pas m’être ridiculisée pour mon premier diner en tant que
Madame Evanovitch. Ce n’est que lorsque Laszlo part pour son bureau que je me rends compte de ce
qu’il a dit. Un couple. Nous sommes un couple.
Je ne vais pas rester avec Laszlo. Dès que je le pourrai, je lui pique la lettre et je reprends
ma liberté. Mais en attendant, j’aime bien faire partie d’un couple, surtout avec lui.
CHAPITRE 13
Stefanie, quand c’est l’heure d’y aller, ce n’est pas le moment de se faire les ongles. J’ai un
plan pour accéder au coffre de Laszlo et récupérer ma lettre d’aveux. Je dois la récupérer, même si
cet homme le fait divinement bien l’amour et me rend heureuse depuis les quinze jours tout pile que
nous sommes mariés. C’est une question de principe.
Et puis je m’habitue beaucoup trop à cette vie. Ce matin, j’avais moyen envie d’aller
travailler, je voulais rester au lit avec Laszlo et ensuite aller faire un tour à Central Park. Minute,
papillon, je n’ai pas été élevée comme ça. Je refuse catégoriquement d’être la femme d’un
milliardaire, même si, de facto, j’en suis une. J’ai toujours en travers de la gorge que Laszlo m’ait
forcée à l’épouser, moi, une Américaine libre et indépendante.
L’honneur national est en jeu.
Je prends le coffret à bijoux qui contient le pendentif et les boucles d’oreilles que j’ai portés
à mon mariage, avec les bijoux que Laszlo m’a offerts pour la soirée chez Kossolov. Je l’ai rangé
dans un des tiroirs de mon dressing – mon Dieu, j’ai un dressing, comme Caroline Vanderberg – et vu
le bordel de luxe qu’il y a dans cet appartement, je doute que les voleurs se précipitent sur mes
petites culottes en premier. Mais c’est mon sésame pour avoir accès au coffre.
— Laszlo ? je dis après avoir poliment toqué à la porte de son bureau.
Mon mari est assis à son bureau, le nez dans son ordinateur, pour ne pas changer, mais il
lève la tête quand je rentre et me fait le plus charmant des sourires.
— J’aimerais mettre les bijoux de notre mariage en lieu sûr, je dis. Je suppose que tu as un
coffre ?
J’ai pris ma voix la plus naturelle, comme si j’avais toujours eu un coffre-fort dans les
appartements où j’ai vécu, mon cher, et où diable avez-vous caché le vôtre, petit coquin ?
— Bien sûr, répond Laszlo en se levant.
Il va droit au mur à côté de la bibliothèque, écarte un tableau – la cachette classique, et
dévoile la bête. Mazette, c’est du grand format ! Je vais tranquillement à côté de lui, le coffret
toujours à la main, souriant d’un air que j’espère dégagé. Laszlo tapote une séquence de chiffres sur
le clavier et là, je fais tout ce que je peux pour regarder sans avoir l’air. J’en capte trois, je ne suis
pas sure de deux, et le dernier m’échappe totalement. Laszlo n’a rien vu de mon regard inquisiteur, du
moins, je pense. Il n’a pas l’air méfiant du tout. Il tire sur la poignée et ouvre le coffre et je lui tends
le coffret, tout en cherchant à voir où est ma lettre.
Sauf qu’il y a une pile comme ça d’enveloppes, blanches et autres, de toutes tailles, des
papiers, sur toute une étagère. Laszlo pose mon coffret sur l’étagère supérieure, et je tressaille en
voyant qu’il y a également une arme.
— C’est le flingue que tu avais quand on s’est rencontrés ? je demande, la gorge soudain
sèche.
Et s’il devenait dingue en voyant que je déchire la lettre sous ses yeux et me braque à
nouveau avec ce truc ? Récupérer la lettre me semble soudain très dangereux.
— Non, c’est un autre, me dit-il. Ne t’inquiète pas, j’ai un permis de port d’armes pour les
deux.
Il a pris le ton d’un homme, un vrai, qui sait protéger sa famille et ses biens le flingue en
pognes. Mon cow-boy russe ! J’ai un petit sourire, style, attends, bébé, je vais t’étonner. Je tends la
main et je saisis l’arme, la sortant de son holster.
— Un bon vieux Colt, je dis en regardant la chambre. Six balles. Un peu lourd pour la main
d’une femme, je préfère le cinq coups.
Laszlo me regarde comme s’il me découvrait. Il voit mon aisance à manier l’arme et a le
visage du type qui ne s’attendait pas à celle-là.
— J’ai grandi dans un bled paumé de l’Iowa, je lui explique. Ce n’est pas le Texas, mais là-
bas, on grandit avec des armes. On apprend à s’en servir dès qu’on sait marcher.
— Je dois dire que je suis impressionné, concède Laszlo en me reprenant le Colt des mains.
Je vois à ses gestes que lui-même n’est pas si familier que ça avec les armes à feu. C’est
trop mignon !
— Je comptais t’en parler plus tôt, mais je ne voulais pas te faire peur, dit-il en refermant le
coffre.
Je note mentalement les chiffres dont je suis sure, je mémorise les possibles. Laszlo
m’empêche de me concentrer. Il me prend dans ses bras, me serrant fort contre lui. Je me détends
dans sa chaleur et j’enfouis mon visage dans son cou, respirant son odeur devenue familière et
réconfortante. Et puis je souris. Mine de rien, mon plan a marché ! J’ai la combinaison du coffre ! Je
vais pouvoir récupérer ma lettre !
Par contre, je vais me barrer avec, et mettre une bonne distance entre Laszlo et moi. Et ne
pas oublier de prendre mon arme personnelle, amenée au milieu de mes petites culottes, le Glock
dont papa m’a fait cadeau quand je suis partie vivre à New-York.
Une femme n’est jamais trop prudente.
Le lendemain, j’attends que Laszlo ait quitté le lit conjugal pour aller dans son bureau. Je
m’imaginais qu’un milliardaire se levait à midi et prenait son petit-déjeuner avec champagne inclus
au lit. Perdu ! Mon cher et tendre se lève aux aurores, avant même que je n’ai ouvert les yeux, et il se
connecte immédiatement à je ne sais quels marchés financiers à l’autre bout de la planète tout en
avalant œufs brouillés et café à la salle à manger. J’ai dû prendre l’habitude de m’habiller pour aller
petit-déjeuner, servi par des domestiques silencieux. Je dois dire que ça me perturbe.
Ce matin-là, je saute le repas le plus important de la journée selon les nutritionnistes et je
me plante devant la porte du bureau de Laszlo. Je l’ai tendrement embrassé avant qu’il ne parte, en
lui souhaitant une bonne journée, comme une petite bonne épouse du temps jadis. Maintenant, je
m’apprête à lui planter un poignard dans le dos. Cela dit, c’est lui qui a commencé avec cette foutue
lettre.
La porte de son bureau n’est pas fermée à clé. Soit il a une confiance aveugle en ses
domestiques, soit il planque ses vrais secrets ailleurs. Je penche pour la deuxième solution. Je
m’introduis à pas de loups dans le bureau, avec l’impression d’être une mauvaise élève dans le
bureau du directeur. Je fais pivoter le tableau – au passage je note que c’est quand même une toile
contemporaine qui doit coûter une blinde, à voir la signature – et je regarde le coffre comme si
j’avais le pouvoir de voir à travers le blindage.
J’ai le cœur qui bat à toute vitesse, un œil sur la porte et l’autre sur le clavier numérique. Je
tape les chiffres dont je suis sure. Ensuite, j’entre ceux dont je doute et j’ajoute un zéro. Rien. C’était
à prévoir, je ne pouvais pas gagner du premier coup. J’ai cherché des correspondances entre les
chiffres et les dates dont je dispose à propos de Laszlo, comme sa date de naissance, mais je n’en ai
trouvé aucune. Je suppose qu’il a choisi les chiffres au hasard. Ou alors ce sont les mensurations de
sa première petite amie, dans l’unité de mesure dont ils se servent en Russie. Le mètre, non ? Bon,
peu importe. Je retape une deuxième combinaison, échec.
Je me mordille les lèvres. Si ce coffre fonctionne comme les cartes bancaires et les mots de
passe internet pour les banques, par exemple, au troisième essai, si je n’entre pas la bonne suite de
chiffres, ça va bloquer, avec le risque que Laszlo soit alerté.
Je prends une grande respiration. Je tape les chiffres et j’ajoute non pas un deux, mais un
trois, mon chiffre porte-bonheur. Je saisis la poignée, je tire et miracle ! Le coffre s’ouvre.
J’ai beau être au milieu du bureau de mon mari pour lui piquer un truc, je ne peux
m’empêcher de faire une petite danse de la victoire. Hourra pour Stefanie ! Je fouille ensuite le
coffre. Je trouve un tas de papiers en russe, un tas de papiers en anglais – des contrats, je pense, notre
certificat de mariage, notre contrat de mariage officiel, où n’est pas mentionné la lettre, juste que
nous nous marions en séparations de biens, et que Laszlo m’octroie une jolie somme quand nous nous
séparerons – merci pour ce don pour mon futur refuge, mais pas de lettre d’aveu.
Je sors tous les papiers, je regarde soigneusement, mais cette foutue lettre n’y est pas. Je
remets le total dans le coffre et je passe en revue le reste du contenu. C’est vite fait. Il y a mes bijoux,
de jolies liasses de dollars, de livres sterling, d’euros et même de roubles, mais pas ma lettre. Il y a
des albums photo et je fais la connaissance avec ma belle-mère, une grande et belle brune dont
Laszlo a hérité la beauté et les traits patriciens. Il y a quelques photos d’un homme que je pense être
son père. Et je craque complètement devant des photos de Laszlo enfant, avec une bonne bouille de
petit garçon espiègle, des boucles brunes et un sourire attendrissant. Si on a des enfants… holà, stop,
Stefanie, tu es là pour trouver la lettre qui te rendra ta liberté, pas pour penser au résultat d’une
éventuelle reproduction avec un type qui t’a forcée à l’épouser.
Bon. La lettre n’est pas là. Je referme le coffre et je regarde autour de moi. Il ne peut garder
la lettre sur lui tout le temps, il pourrait la perdre ou se la faire voler. Il peut l’avoir laissée dans le
coffre de son bureau professionnel, dans la tour de Wall Street où il a une partie de ses bureaux. Si
c’est le cas, je n’ai aucun moyen de la récupérer.
Je regarde dans son bureau, une énorme table en chêne massif, avec de discrètes sculptures.
C’est sobre et raffiné en même temps. Rien, naturellement. Il ne va pas non plus garder la lettre en
évidence, n’en déplaise à Mr Poe. S’il y a des tiroirs secrets, je n’ai ni le temps ni le savoir
nécessaire pour les trouver. Je fais le tour de la pièce, regardant derrière chaque tableau, mais rien. Il
me reste la solution des livres. Laszlo a mis une bibliothèque en chêne massif de chaque côté de la
porte. Il y a des centaines de livres, des vieux trucs, reliés, en russe, en anglais et en allemand. À
moins de les sortir un par un et de les feuilleter, je ne vois pas comment je pourrais trouver une lettre
perdue dans cet océan de papier.
Je pousse un grand soupir et je sors du bureau le plus discrètement possible. Personne ne m’a
vue, du moins je l’espère. Je pars à la clinique vétérinaire avec l’impression que je viens de me faire
mettre échec et mat par un maître des échecs. Le pire, c’est que d’après ses confidences, Laszlo, tout
russe qu’il soit, ne sait absolument pas jouer aux échecs. Par contre, il est imbattable à Call of Duty.
Les Russes ne sont plus ce qu’ils étaient.
CHAPITRE 14
Nous sommes mariés depuis deux mois. Notre mariage est toujours un secret. Laszlo était
d’avis d’annoncer aux foules qu’il s’était fait passer la bague au doigt, mais je lui ai demandé
d’attendre. Je ne suis pas prête. Je ne sais plus trop où j’en suis, je ne sais pas comment je vais
annoncer mon mariage à mes parents, à Matthew, à Jon dont je n’ai plus de nouvelles d’ailleurs.
Après l’épisode du bouquet de fleurs, il m’a dit qu’il quittait la ville pour un moment, pour se
ressourcer, avant de chercher à nouveau du travail. Nous avons échangé quelques sms et puis, plus
rien après un message me disant qu’il avait besoin de temps pour lui. Je n’ai pas insisté. Il faut dire
que je suis trop occupée à gérer ma double vie d’ancienne Stefanie, l’assistante vétérinaire et de
nouvelle Stefanie, épouse de Laszlo et toujours assistante vétérinaire, pour avoir le temps. Mes
journées sont si remplies que je n’ai plus une minute à moi.
Je réussis quand même à garder un peu de temps pour faire du jogging. Je ne suis pas sportive
à la base, mais courir après une journée de travail à piétiner entre la salle d’accueil de la clinique et
les boxes où nous gardons les animaux en convalescence, à être assise derrière mon ordinateur, me
fait un bien fou. Courir est mon moment de liberté et j’y tiens. Laszlo ne fait aucune objection. Lui-
même a une salle de sport privée et un coach, et il s’y rend trois soirs par semaine. Dans un élan de
confiance, il m’a montré, très gêné, une photo de lui à dix-sept ans où il a quelques rondeurs. J’ai
senti sa soudaine crainte que je ne me moque de lui. Je lui ai fait remarquer que j’ai grandi dans un
pays où un quart de la population est obèse, alors ces dix kilos en trop qu’il a trimballé il y a quinze
ans de cela ne vont pas me faire le juger. Je le trouve même mignon sur cette photo. Pour le mettre en
confiance, je lui montre une photo de moi à dix-sept ans, dans ma robe de bal de promo. Je
ressemblais à un balai à frange, littéralement. J’étais maigre comme un clou, plate comme une
limande et j’avais des boutons d’acné. Mes cheveux blonds ne ressemblaient à rien. C’était à vingt
ans que j’ai commencé à prendre les formes avantageuses qui sont les miennes maintenant. À dix-sept
ans, Laszlo ne se serait sûrement pas extasié sur mes seins, je n’en avais pas ! Je rembourrais mon
soutien-gorge avec des mouchoirs en papier et je m’étouffais à porter des push-up.
Aujourd’hui, je suis plutôt contente de ma silhouette. J’ai une bonne paire de seins, que mon
mari adore caresser et des fesses juste rondes ce qu’il faut. Suis-je parfaite ? Non ! J’ai de la
cellulite sur le ventre et les cuisses, comme n’importe quelle femme. Nous sommes les femelles de
l’espèce humaine et notre corps est fait pour que nous puissions porter des petits même en cas de
famine. D’où la cellulite pour nourrir le bébé au cas où. Quand je regarde les actrices et mannequins
ultra-maigres dans les magazines, je me dis qu’en cas de famine générale, je survivrais sans
problème tandis qu’elles agoniseront dans leur taille 34. Je ne suis pas gentille, je sais. J’ai été
maigre, je sais que certaines femmes le sont naturellement. Mais s’affamer pour obéir aux diktats de
la mode – diktats décrétés par les hommes d’ailleurs – non merci !
Je ne cours pas pour mincir, je cours pour moi. C’est mon moment de liberté. Je mets mes
baskets, mes écouteurs et hop, à moi une heure de pure détente, à écouter mes musiques préférées et à
respirer à grandes goulées l’air délicieusement pollué de Manhattan. Depuis quelque temps,
cependant, je me surprends à délaisser mes chanteuses pop préférées pour mettre du Mozart et du
Bach. C’est beau, Bach, à pied sur le pont de Brooklyn. Et certains morceaux de Mozart vont bien
avec la verdure de Central Park, je trouve.
Il fait soleil et je profite de la douce chaleur sur ma peau pendant que je cours. Central Park
fait le plein, avec des joggeurs comme moi, mais aussi beaucoup de mères avec des enfants, des
nounous de familles riches, des promeneurs… on dirait que toute l’humanité se concentre ici.
Naturellement, un de mes lacets a décidé de casser et je dois faire une réparation en urgence,
le pied sur un banc. Deux types en jogging bleu marine, que j’ai déjà remarqués avant, me dépassent.
Cependant, quand je reprends ma course, ils sont à nouveau derrière moi.
Mon instinct de femme-seule-dans-un-parc se met aussitôt en marche. Dans ces cas-là, il faut
se mettre au milieu d’une foule, même s’il ne faut pas compter sur les gens pour vous aider, surtout à
New-York. Je gagne un carrefour où des gens sont assis en dégustant des cafés qu’un vendeur
propose à côté. Les deux types n’essaient même pas de se cacher. Ils s’arrêtent et regardent autour
d’eux, avant de reporter leur attention sur moi. Okay, là je flippe. Je sors mon portable et j’appuie sur
la touche d’appel pour Laszlo. En même temps, je sens une bonne grosse colère monter en moi. Je
suis au milieu de gens. Je m’approche du plus costaud, tout en me tenant hors de sa portée.
— Vous pourriez arrêter de me suivre ? je demande d’une voix calme.
Ne pas se montrer agressive dès le début, histoire d’éviter l’escalade si on peut l’éviter.
— Stefanie ? fait la voix de Laszlo dans mon téléphone. Tu as un souci ?
— Il y a deux types louches qui me suivent, je dis. – Je regarde le type louche numéro 1 dans
les yeux – c’est mon mari, au téléphone. Je l’appelle au secours et dans cinq minutes, le parc va
grouiller de flics ! –
— Mais, madame, fait le premier type louche, nous travaillons pour Mr Evanovitch ! Nous
sommes chargés de votre protection !
J’en reste comme deux ronds de flan. Il peut me répéter ça ?
— Laszlo, il dit qu’il bosse pour toi !
Le portable du type retentit et il prend l’appel, tandis que son collègue se rapproche. Je
l’entends parler en russe d’abord, puis un anglais pour que je comprenne.
— Oui, Monsieur, c’est bien nous, nous sommes avec Madame Evanovitch.
— Ma chérie, dit Laszlo dans mon portable, ce sont des gardes du corps que j’ai engagés
pour ta protection.
Il y a une chose que j’ai apprise durant ces premières semaines de mariage. On ne règle pas
les comptes devant les domestiques et les employés. Je hoche la tête vers les deux hommes, et
j’annonce à Laszlo que je rentre directement et que je l’attends au penthouse. Je raccroche, et je dis
aux deux hommes qu’ils ont gagné le droit de me ramener en voiture. Durant le trajet, j’apprends
qu’ils ont été engagés dès la première semaine de mon mariage, que Laszlo leur a demandé d’être
discrets pour ne pas me faire peur, et que j’ai des anges gardiens chaque fois que je sors de
l’appartement de mon mari. Je dis que je comprends, je souris poliment et je garde mon sourire le
temps de la montée de l’ascenseur vers le domicile conjugal. Laszlo est dans le petit salon, les
cheveux encore mouillés de la douche. Il sort lui aussi de sa séance de sport et il boit un de ces
infâmes cocktails à base de plantes que lui prépare son coach. Il porte le même costume et la même
cravate que le soir où je l’ai rencontré. Je fonds un minimum devant ce portrait de sexytude à l’état
pur, mais je reprends. Il va m’entendre, le milliardaire russe !
Je ferme les portes après m’être assurée qu’il n’y a pas de domestiques aux alentours. Ils sont
très discrets, je les vois à peine, mais là, j’ai envie de tester l’insonorisation des murs.
— Tu comptais m’en parler quand ? je demande d’un ton vif à Laszlo qui pose son verre. Tu
me fais suivre depuis trois mois ! Tu comptais me le dire quand ?
— Stefanie, commence-t-il, ne sachant visiblement pas par où commencer.
— Avant de me sortir qu’une diseuse de bonne aventure t’a prédit que ta femme serait un jour
en danger, rappelle-toi le vœu que nous avons fait lors de notre mariage : plus de mensonges ! je lui
rappelle d’un ton sec.
Je pense que globalement, Laszlo ne m’a pas trop menti depuis que nous nous dis oui. Il a une
tendance très russe à exagérer et enjoliver les faits, mais il fait attention avec moi. Cependant, son
expression ne change pas.
— Je n’allais pas te mentir, il me répond d’un ton calme. Stefanie, je suis milliardaire. J’ai
des gardes du corps. Tu es ma femme, tu en as aussi.
— Première nouvelle. Tu aurais pu m’en parler, non ?
— J’avais un peu peur que tu ne le prennes mal.
— Tu as raison, je le prends mal ! je m’écris. Tu me fais suivre et surveiller ! Tu crois que
j’apprécie ? Il y a quoi d’autre que j’ignore ? Un traceur dans mon portable ?
À la façon dont Laszlo baisse les yeux, je comprends que j’ai vu juste. Il m’a offert un
nouveau portable après notre mariage, vu que le mien était en train d’expirer. J’ai le tout dernier
smartphone à la mode. Je le sors et je le pose sur la table basse. Je meurs d’envie de le balancer à
travers le salon, mais il y a des photos de Bucky que je n’ai pas sauvegardées sur la carte sim.
— Tu as intérêt à virer le truc qui me suit à la trace, je dis. Je ne veux pas être suivie. Je ne
veux pas de gardes du corps. Je ne veux pas que des larbins viennent te faire un rapport sur mes
déplacements de la journée. Je ne suis pas ta propriété, Laszlo ! Tu ne m’as pas achetée !
Je me rends compte que je hurle à pleins poumons, mais à ce stade, je me fiche que les
domestiques m’entendent. Après tout, ils sont payés pour fermer leurs oreilles lorsque leurs patrons
se hurlent des vérités à la figure. Je suis trop en colère pour me contenir, il faut que ça sorte !
— Stefanie, j’ai fait tout cela pour ta sécurité, plaide Laszlo.
Malgré moi, je suis touchée par le ton de sa voix. Je sais que mon mari a une légère
obsession de contrôle sur son entourage. Je n’aime pas trop cela, mais je l’ai laissé faire pour
l’instant. Il est temps de mettre les choses au point, les points sur les i, et les limites là où elles
doivent être. Les hommes, c’est comme les chiens. Si vous les laissez faire, ils deviennent
envahissants.
— Je ne suis pas idiote ! je rétorque. Je sais que je suis exposée à des risques, mais je
refuse de vivre dans une bulle juste pour satisfaire ta paranoïa. Quand je vais courir, je veux ma
liberté ! Je ne veux pas qu’on me suive dès que je quitte ton appartement !
— Notre appartement, Stefanie, me dit doucement Laszlo.
— Je ne me rappelle pas avoir mis mon nom sur l’acte de propriété !
Ça, c’est un coup en dessous de la ceinture et j’en suis consciente. Je me mords les lèvres et
je soupire. Depuis trois mois, jamais Laszlo ne m’a fait sentir que notre mariage était forcé. Nous
avons vraiment vécu comme un couple et il a été adorable avec moi. Quand il a compris que me
couvrir de bijoux me mettait mal à l’aise, il a arrêté et s’est tourné vers de petites attentions, comme
des fleurs, des peluches, des jouets pour Bucky – je m’amuse avec beaucoup plus que lui – ou
simplement des moments passés ensemble.
— Excuse-moi, je soupire. Essaie juste de comprendre ce que je peux ressentir, d’accord ?
Laszlo hoche la tête.
— Je te propose un compromis, me dit-il. Je vire les gardes du corps. J’enlève le GPS de
ton téléphone. Mais quand tu vas courir, tu envoies un sms à mes gardes pour dire à peu près où tu
vas. Je vais mourir de stress chaque fois, mais je suis prêt à faire cela pour toi.
Je réfléchis. Ma sécurité est visiblement très importante pour Laszlo. Ce qui m’énerve, ce
n’est pas tant qu’on me suive à la trace, mais que ce soit lui qui le fasse. Après tout, des gens paient
pour être protégés de cette façon.
— Je tiens à toi, Stefanie, dit doucement Laszlo. S’il t’arrivait quelque chose, j’en
mourrais !
Je voudrais pouvoir faire une plaisanterie sur le sentimentalisme russe et ses excès, mais ma
gorge se bloque et je sens les larmes d’émotion qui me montent aux yeux. Il ne vient pas de m’avouer
qu’il m’aime, par hasard ?
— Tu t’en remettrais, je dis sur le ton de la plaisanterie.
Laszlo secoue la tête et me prend dans ses bras.
— Non, ma chérie. Je ne pourrais pas vivre sans toi. Je m’étais interdit de ressentir à
nouveau ce genre de sentiments, mais je ne peux pas m’en empêcher ! Je t’aime, Stefanie.
CHAPITRE 15
Voilà, je l’ai dit. Je l’aime. Je suis fou d’elle. Je veux passer le reste de ma vie avec elle.
L’idée qu’il puisse lui arriver quelque chose me rend malade. Je sais qu’elle a besoin de sa liberté,
que c’est une femme indépendante, mais je voudrais tellement pouvoir lui faire comprendre à quel
point New-York est dangereux pour une femme, et à quel point être la femme d’un milliardaire
multiplie le danger. Stefanie n’est pas idiote, elle se doute bien qu’étant mon épouse, même si seuls
Kossolov et un petit nombre de personnes sont au courant, cela fait d’elle une cible. Surtout que je
compte faire une annonce et la présenter au monde entier comme mon épouse. À ce moment-là, tous
les tarés de la terre qui pensent que gagner de l’argent en kidnappant des gens riches est une façon de
vivre, voudront l’enlever pour m’atteindre, moi. Je me suis fait quelques ennemis en faisant fortune.
Je l’aime. Je ne supporterais pas qu’elle souffre à cause de moi.
Pour l’instant, elle me regarde avec la bouche entrouverte, comme si elle doutait de la
réalité de mes mots d’amour. Puis elle a ce sourire un peu timide que j’aime tant.
— Je t’aime aussi, idiot, me dit-elle simplement.
Je suis foudroyé de bonheur. Je la prends dans mes bras et je l’embrasse avec passion, le
cœur battant. Elle m’aime ! Stefanie Barnes Evanovitch est amoureuse de moi ! C’est le plus beau
jour de ma vie ! Je suis au bord des larmes. Lorsque nous nous séparons, Stefanie le voit et essuie
mes yeux du bout de ses doigts de fée.
— Tu dois me trouver bête de pleurer, je dis en essayant de contenir mes reniflements, mais
je suis tellement heureux !
— Parfois ton excessivité russe m’énerve un peu, reconnait-elle en souriant, mais pas
aujourd’hui. Sois toujours aussi sensible, mon bel idiot russe !
Nous rions ensemble et je la serre à nouveau dans mes bras. Stefanie, ma femme, mon
amour.
— Si c’est possible techniquement, me dit brusquement Stefanie qui est déjà retombée sur
terre, voilà ce que je te propose. Tu peux laisser le GPS dans mon téléphone, mais ce seront tes
gardes qui me suivront à la trace, sans t’en référer. Je me fiche qu’ils sachent où je vais, tant qu’ils ne
te font pas de rapports. Et je veux bien un numéro d’urgence à appeler si je me sens menacée.
Je suis conscient que c’est un énorme effort pour elle, si indépendante, et je lui assure que
c’est tout à fait possible. Je lui promets que je ne demanderais jamais aux gardes de me faire un
rapport sur ses allers-et-venues, je le jure sur mon honneur. Et je ne plaisante pas avec mon honneur.
C’est une des rares choses sur lequel l’argent n’a pas de prise. Quand je donne ma parole, je la tiens.
Je prends une grande inspiration et une grande décision. Je demande à Stefanie de
m’attendre une minute et je fonce dans mon bureau. Je prends la lettre de confession et je la ramène
au salon. Je la tends à Stefanie.
— Tu peux constater que je ne l’ai pas ouverte pour en faire une copie, je dis en montrant le
dos de l’enveloppe où la signature de Stefanie mord sur la fermeture. Elle est à toi. Si tu restes avec
moi, à présent, c’est de ton plein gré, pas à cause de cette stupide lettre !
Stefanie vérifie l’enveloppe puis l’ouvre et sort la lettre. Elle la relit.
— J’ai essayé de la voler, m’avoue-t-elle, les yeux dans les yeux. Je suis allée dans ton
bureau et j’ai ouvert ton coffre. Si je l’avais trouvée, je l’aurais brûlée devant toi, juste pour
t’emmerder.
C’est une des choses que j’aime chez ma femme. Elle n’a pas peur. Elle ne craint pas de me
dire qu’elle a essayé de retrouver sa liberté par elle-même. Je lui souris et je lui prends la main,
l’entrainant dans mon bureau. Là, je lui tends un briquet en argent et je pousse la corbeille en papier
en inox à ses jolis pieds.
— Vas-y, brûle-la, je l’encourage. Essaie juste de ne pas mettre le feu aux rideaux !
Elle éclate de rire et s’exécute. Elle enflamme le papier jaune et le lâche dans la corbeille,
où il se consume rapidement. Une fois éteint, Stefanie se sert de mon coupe-papier pour réduire la
feuille brûlée en cendres. Elle se redresse et se blottit contre moi.
— Tu ne m’en veux pas, pour le coffre ?
— Comment as-tu appris la combinaison ?
Elle m’avoue son stratagème avec l’histoire des bijoux et son coup de chance lorsqu’elle a
fait la combinaison. Je souris, mais je me dis que j’ai eu de la chance. Stefanie est une fille honnête.
Il y a des papiers importants pour moi dans le coffre. Je me fiche de l’argent, il n’est là qu’en cas
d’urgence, mais il y a aussi un album photo auquel je tiens, des souvenirs…
— Dorénavant, ce sera notre coffre, je dis.
— Où avais-tu caché la lettre ? demande-t-elle, curieuse.
— Devine ! je réponds, taquin. Non, j’ai une meilleure idée ! On va jouer à un petit jeu ! Tu
essaies de deviner. Chaque fois que tu te trompes, tu enlèves un vêtement !
— Ce n’est pas du jeu ! proteste-t-elle, mais je vois à son visage qu’elle adore cette idée. Et
toi, alors ?
— Ce n’est pas moi qui veux savoir, je rétorque. Je sais déjà !
Stefanie plisse les yeux.
— D’accord, dit-elle lentement.
Elle fait lentement le tour du bureau des yeux.
— Ce n’était pas dans le coffre, puisque j’ai regardé, commence-t-elle.
Je hoche la tête.
— Je savais qu’un moment ou l’autre, je t’en donnerais le code, j’explique. Où était la lettre
alors ?
— Elle n’était pas sur ton bureau, j’ai regardé.
— Pas de lettre volée pour moi, je souris. J’ai lu Edgar Allan Poe à l’école, mais j’ai
toujours trouvé que c’était un peu trop facile.
— Elle était dans un tiroir secret de ton bureau ? propose Stefanie.
Je secoue la tête.
— Non. Il n’y a d’ailleurs pas de tiroir secret, c’est un bureau moderne. Je crois que tu viens
de perdre ton tee-shirt.
Stefanie, bonne joueuse, fait glisser ledit tee-shirt au-dessus de sa tête et me l’envoie à la
figure. Dessous, elle porte un soutien-gorge de sport blanc tout simple et beaucoup trop couvrant à
mon goût.
— Elle était dans un de tes livres, affirme ensuite ma chère et tendre en désignant les
bibliothèques dans son dos.
— Non.
J’attrape son pantalon de jogging. Il ne lui reste plus que ses sous-vêtements et j’apprécie
beaucoup la vue. Stefanie fronce les sourcils. Elle veut vraiment découvrir où était la lettre.
— Elle était dans une boiserie du mur ou du sol ?
— Non. Encore qu’il y en ait une, il faudra que je te la montre. Je n’y cache rien, mais c’est
juste pour le fun.
Lentement, Stefanie défait son soutien-gorge de sport, qui s’agrafe devant, et me le lance. Je
l’attrape et j’y enfuis mon nez dedans, respirant son odeur, tandis que ses seins parfaits s’offrent à ma
vue.
— Dans un pied de lampe, une sculpture ? fait-elle.
— Non, je réponds avec un sourire triomphant.
Stefanie sourit à son tour et fait glisser sa culotte de sport le long de ses jambes, révélant son
étroite toison dorée et sa chatte aux lèvres épilées. Elle laisse tomber le sous-vêtement par terre et
soupire.
— Je donne ma langue au chat, admet-elle.
J’ai un plus large sourire encore.
— Tu n’as pas pensé aux tableaux, je dis, en sachant qu’elle l’a fait.
— Bien sûr que si ! me rétorque-t-elle en haussant ses magnifiques épaules nues. J’ai
regardé derrière chacun d’eux !
— Tu es sure ? je demande en m’approchant d’elle.
Je me mets derrière elle, de façon à avoir la même vision de la pièce qu’elle. Je me penche
vers son oreille, tandis que mes mains caressent ses seins ronds et fermes.
— Dis-moi les tableaux que tu as regardés, je murmure en lui taquinant les tétons.
Ceux-ci se dressent sous mes doigts. Je me noie dans l’odeur de Stefanie, l’odeur de sa
peau, son parfum, la légère trace de sueur après le sport qui exalte encore son odeur naturelle. Ma
main caresse son ventre plat et je glisse un doigt dans sa fente, caressant son clitoris.
— Et j’ai même regardé le petit tableau posé sur ton bureau, termine-t-elle en haletant
légèrement.
Elle est délicieusement mouillée, trempée même. Je glisse mes doigts en elle.
— Tu as oublié un tableau, mon amour, je dis en lui mordillant le lobe de l’oreille.
— Lequel ?
— Le plus évident. Celui qui dissimule le coffre. La lettre était derrière. Il suffisait de faire
glisser le fond pour la trouver.
Stefanie se retourne brusquement vers moi, l’air clairement surpris.
— Oh l’enfoiré ! Tu l’avais cachée sous mon nez ! s’exclame-t-elle en riant.
— Je suis parti du principe que lorsque tu arrives à ce tableau, le voleur – ou dans ton cas la
voleuse – éventuel ne pense plus qu’au coffre, pas au tableau lui-même, je dis avec un modeste air de
triomphe.
Ma queue participe au triomphe et je me frotte contre le corps nu de Stefanie. Ma femme
adorée m’embrasse doucement sur les lèvres.
— Tu es un milliardaire retors, murmure-t-elle. Et je ne suis qu’une pauvre petite voleuse.
— Et en plus, une voleuse toute nue, je dis d’une voix rauque. Je vais devoir te punir d’avoir
essayé de voler la lettre.
Stefanie ouvre ses grands yeux bleus innocents. Ses lèvres s’incurvent en un sourire coquin
et elle se laisse glisser à genoux. Elle ouvre ma braguette et sort ma queue de mon boxer. Je la vois la
contempler un instant, comme si elle hésitait sur l’angle d’attaque.
— Stefanie, tu vas me tuer ! je halète, le désir pulsant dans mes reins. Suce-moi ! S’il te
plait !
— J’aime bien quand tu es poli, dit-elle en souriant avant de me prendre entièrement dans sa
jolie bouche.
Je manque jouir à ce simple contact chaud, mouillé et doux. Au début, Stefanie avait un peu
de mal à me prendre tout entier dans sa bouche, mais à présent, elle y arrive et elle a appris ce qui me
plaisait. Elle sait comment me faire grimper aux rideaux, comment me rendre fou, comment me faire
tenir au bord du précipice et comment jouer avec mes testicules pour me rendre encore plus fou.
Sérieusement, qu’y a-t-il de plus excitant qu’une femme magnifique, dont vous êtes fou
amoureux, nue et à genoux devant vous en train de vous sucer ?
La prendre sur mon bureau, en levrette, me répond mon esprit, qui s’est relocalisé en
dessous de ma ceinture.
— Stefanie, arrête, je gémis. Je veux te baiser !
Avec une docilité rare chez elle, la voleuse de mon cœur fait ce que je lui dis, et laisse ma
queue glisser hors de sa bouche. Je suis toujours tout habillé, elle est toute nue, et je sais que ça
l’excite.
— Va te pencher contre mon bureau, j’ordonne de mon ton de boss-qui-sait-ce-qu’il-veut.
Je veux Stefanie, son joli petit cul tendu vers moi, mouillée et ouverte. Et comme je vis dans
putain de conte de fées, j’ai ce que je veux dans la minute. Stefanie s’appuie sur ma table de travail,
dont elle a dégagé un espace, ses seins reposent sur le cuir de mon sous-main. Elle a le plus joli petit
cul que j’ai jamais vu.
— J’attends ! me lance-t-elle par-dessus son épaule.
Pour toute réponse, je m’avance, je la saisis par les hanches et je plonge en elle d’un coup.
Elle pousse un léger cri.
— Tu disais, amour de ma vie ? je lui demande en lui donnant des coups de reins puissants.
— Encore !
J’aime cette musique. Je glisse une main entre les jambes de Stefanie et je caresse son
clitoris qui s’est dressé et qui n’attend qu’une chose, qu’on lui prête un peu d’attention. Stefanie se
cambre, gémit, me dit d’accélérer, là, frotte comme ça, oh oui, encore, c’est bon…
— Je vais jouir ! me prévient-elle, haletante.
— Moi aussi, je réponds.
Elle part la première et je sens l’orgasme qui la secoue et les parois de sa petite chatte
brûlante qui se resserrent autour de ma queue. Je ne tiens pas dix secondes avant de m’abandonner au
plaisir, et j’éjacule en elle en gémissant avant de crier parce que c’est trop bon.
Je me retire et Stefanie pousse un long soupir. Je connais cet air de langueur sur son visage
lorsqu’elle se redresse. Elle en veut encore. Je la fais se rallonger sur mon bureau, mais sur le dos
cette fois, et dans l’autre sens, de façon à avoir sa fente mouillée juste en face de moi tandis que je
m’assois dans mon fauteuil. Je me penche vers elle et j’embrasse l’intérieur de ses cuisses,
lentement, tandis qu’elle frétille, essayant d’attirer ma tête entre ses jambes. Je lui donne une tape sur
les mains. Elle me le fera payer plus tard, lorsqu’elle plongera sur ma queue pour me sucer jusqu’à
ce que je sois vidé et épuisé. Mais pour l’instant, c’est moi qui suis le maître du jeu. Je la lèche par
petits coups de langue, je la lape, goûtant sa saveur mêlée à la mienne. Je prends le temps de
l’amener jusqu’à l’extase et lorsqu’elle jouit, elle crie et elle pleure en même temps, avant que son
corps ne se détente totalement, la laissant dans une douce extase post-orgasmique. Je pose ma tête sur
son ventre et elle me caresse les cheveux.
Je l’aime.
CHAPITRE 16
Les gens ne nous voient pas. Ils ont en mémoire l’image qu’ils ont de nous, pas notre image
actuelle. Matthew ne voit pas les changements survenus en moi ces deniers temps. Il voit toujours
Stefanie, son assistante, toujours aimable avec les clients et attentive avec les animaux. Il n’a pas fait
une seule remarque sur mon alliance, que je porte désormais à ma main, et non plus autour d’une
chaine à mon cou. Il ne remarque pas plus mon air épanoui après chaque nuit d’amour avec Laszlo,
mon mari, mon amant, mon amour. Il ne remarque pas mon bonheur.
Par contre, il note que le chien de Caroline Vanderberg a encore grossi, et sans même le faire
passer sur la balance. Il lui prescrit une petite diète, et me charge de lui vendre les croquettes de luxe
qui assureront un régime confortable et savoureux à Royal. Ce qui ne servira à rien, parce qu’elle
continuera à lui donner des sucreries. L’épisode de la glace ne lui a pas servi de leçon.
Je vais chercher les lourds sacs de croquettes dans notre salle des stocks et je le mets sur le
comptoir. Caroline regarde le sac, me regarde et je m’empresse de lui dire que nous ferons livrer le
paquet, vu qu’elle ne va pas se trimballer avec quinze kilos de croquettes sous le bras. Sa voiture est
à deux pas, mais il ne faut pas exagérer, elle pourrait se briser un ongle et elle n’a pas son chauffeur
avec elle. Comme elle a pris sa Ferrari, elle la conduit elle-même. Je plains les automobilistes
autour, Mme Vanderberg ayant un sens personnel du code de la route dont la règle principale est
« laissez-moi passer, je suis pressée ».
— Vous avez fait tomber quelque chose, me dit-elle néanmoins aimablement en me désignant
un petit objet à ses pieds.
Je me baisse et je ramasse une clé USB. C’est celle de Jon, je l’avais complètement oubliée !
Je l’avais posée là il y a des semaines et elle a dû se mélanger au reste du matériel qui traine sur le
comptoir. Je remercie l’héritière, je la raccompagne à la porte, avec petite caresse à Royal et un
bisou de loin à Snowflake. Enfin, je peux fermer la porte à clé, la journée étant finie. Matthew baille
à s’en décrocher la mâchoire, nous faisons un dernier tour des animaux qui restent pour la nuit. Il
viendra vers minuit voir si tout va bien, pour le reste, il y a des caméras de surveillance pointées
vers les cages et il se réveillera plusieurs fois au cours de la nuit pour regarder de chez lui si tout va
bien.
Je rentre à mon tour, et je me prélasse dans un long bain. J’aimerais que Laszlo me rejoigne
quand je l’entends rentrer, mais il passe juste la tête par la porte de la salle de bain et me dit qu’il a
encore du travail. Je passe une tenue décontractée – jean et tee-shirt, et je me rappelle que je veux
voir plus en détail cette clé USB, qui a tellement bouleversé Jon. Je vais au salon, je lance mon
ordinateur portable qui se connecte au réseau de la maison, et j’insère la clé.
Je regarde les dossiers qui s’affichent. C’est du chinois pour moi, mais l’un d’eux contient
des photos. Je clique dessus. Ah ah ! Des photos coquines ! C’est Jon et un type inconnu, mais beau
gosse qui posent à moitié à poil pour des selfies style « on s’aime et on baise ». Je comprends que
Jon ait tenu à récupérer la clé. Il peut être ouvertement gay dans le privé, mais il se déclare hétéro
pour ses employeurs et sa famille. En tout cas, sur ces photos, il a l’air sacrément heureux. Serait-il
amoureux ? Je souris tendrement en pensant à lui. Je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis trop
longtemps. Je vais l’appeler et lui proposer de passer une soirée comme avant. Et je lui parlerai de
mon mariage.
Il y a d’autres fichiers sur la clé. Aucun ne ressemble à une vidéo – et d’ailleurs je ne tiens
pas spécialement à voir Jon en action –, mais je suis curieuse en voyant des programmes. Des jeux ?
Je clique sur l’un et l’ordinateur me demande si je veux le lancer. Okay, allons-y !
Une fenêtre s’ouvre sur mon écran tandis qu’un bip discordant me vrille les oreilles. Houla,
qu’est-ce que j’ai fait ? Déclenché la troisième guerre mondiale ? Ça clignote de partout !
— Stefanie ? fait le voix de Laszlo depuis son bureau. Ne touche à rien, on a une intrusion !
Quoi ? Il y a quelqu’un dans l’appartement ? Je lève les mains du clavier et mon mari arrive
à toute vitesse, me disant que le réseau informatique de l’appartement a détecté une menace.
— Un virus ? je demande. J’étais juste en train de regarder ce qu’il a sur cette clé.
Laszlo s’est penché au-dessus de moi et je respire son odeur boisée. Mmmh, quand il arrêtera
de tapoter sur le clavier, je vais l’entrainer pour une séance de tapotage sur mes boutons à moi.
— Stefanie, qu’est-ce que c’est que cette clé ? me demande-t-il d’un ton étrange .
— Oh, c’est la clé de Jon.
Je réalise que Laszlo ne connait pas cette histoire. Je lui explique tout le topo, la clé que j’ai
glissée dans ma poche, qu’il n’a pas trouvée en me fouillant – pas doué, mon chéri, ne fais jamais
espion – et qui a valu le pétage de plombs de Jon au snack.
— Du coup, je ne lui ai pas donné la clé ce jour-là, ensuite on a fait l’amour, enfin presque,
dans ta voiture, en rentrant, j’ai posé la clé sur le bureau au boulot et je l’ai un peu oubliée. Là, je
voulais juste voir ce qu’il y avait dessus. Tu comprends, Jon est…
Je m’arrête net. Le visage de Laszlo est devenu un masque de granit. Disparu, les yeux
tendres et rieurs et le sourire sensuel. Mon mari me regarde comme s’il ne m’avait jamais vu.
— Je comprends surtout que tu m’as pris pour un con ! s’écrie-t-il en se reculant. Toi et ton
petit copain, vous m’avez bien eu ! Oh, Stefanie…
Il a l’air terriblement blessé et déçu et froid. Je me lève, ne comprenant de quoi il parle.
— Je ne te suis pas, je dis. C’est juste des photos !
— Tu te fous de moi ? rugit-il en désignant l’écran de l’ordinateur qui affiche à présent la
liste des fichiers présents sur la clé USB. Ce sont des données confidentielles de Hartford Inc ! Si
jamais ces fichiers tombent entre les mains de nos concurrents, un an d’efforts sera perdu !
— Mais personne ne va les voir, ces foutus fichiers ! je crie à mon tour. Je te répète que Jon a
juste mis des photos sur cette clé. Je ne savais pas qu’il y avait des fichiers de ta boite !
— Bien sûr, tu ne savais pas ! Comme tu ne savais pas que Jon avait été mis à pied ! Comme
tu ne savais pas que t’introduire de nuit dans une entreprise est un délit ! Je ne te crois plus, Stefanie !
Tu es une voleuse !
J’ai l’impression de me prendre un coup de poignard en plein cœur. Je ne comprends plus
rien à la situation, sinon que mon mari, Laszlo, me regarde avec colère et mépris.
— Laisse-moi t’expliquer, je tente. Cette clé…
— Arrête avec tes mensonges ! s’écrie-t-il. Arrête !
Sa voix s’est brisée sur ce dernier mot. Je le regarde en silence.
— Tu aurais dû me parler de cette clé, dès le début, reprend-il d’une voix plus calme. Tu
aurais dû me dire ce que tu étais réellement venue chercher chez Hartford Inc. Tu aurais dû me le dire
dès que tu as compris l’atout que tu avais en main, mais tu ne l’as pas fait, Stefanie, n’est-ce pas ? Tu
as joué la cruche, la gentille fille qui ne volerait pas un trombone sur un bureau ! Et j’ai marché ! Tu
allais faire quoi, maintenant ? Me faire chanter ? Me détruire en lançant les données sur le marché ?
Je suppose que ton précieux Jon a déjà des clients !
J’ai l’impression que chacun de ses mots est une gifle. Il me prend vraiment pour une
voleuse, pour une fille qui s’est servie de son sourire et de son corps pour l’arnaquer. Je sens une
colère bouillonnante monter en moi. Il n’a pas le droit ! Il ne me laisse même pas l’occasion de
m’expliquer, il m’accuse tout de suite !
— Si c’est ton opinion de moi, alors rien de ce que je pourrais dire n’y changera grand-
chose, n’est-ce pas ? je dis d’un ton sec.
— Oh, je t’en prie, ne joue pas les tragédiennes en te drapant dans ta dignité bafouée !
— Non, ça je te laisse ! je riposte. Je te rappelle que le roi des menteurs, dans ce mariage,
c’est toi ! Ce fameux soir où j’aurais dû te dire la vérité sur cette clé, qui m’a raconté ces histoires de
coup de foudre et de prédictions de bohémienne ? Qui ?
J’ai hurlé ces derniers mots. Laszlo garde un visage fermé. Il devient brusquement un homme
que je ne reconnais pas, brutal, dur et sans compassion.
— Je vais dormir, je dis d’une voix glaciale. Seule. Si tu veux faire jouer ton droit de
cuissage, il faudra le faire de force !
— Il me semble que tu n’es pas la fille inaccessible que tu prétends être ! Frigide, tu parles !
Tu as le feu au cul, oui !
Ma main part avant que mon cerveau ait eu le temps de décider si oui ou non, j’allais gifler
Laszlo. Il vient de me traiter de pétasse, quand même. Il se prend la gifle sans broncher, continuant à
me regarder avec mépris. Je tourne les talons avec le plus de dignité possible et je vais dans notre
chambre, dont je claque la porte avec force. Je résiste à l’idée de tourner la clé dans la serrure.
D’abord, ce salaud a probablement un double. Ensuite, ce serait lui montrer que j’ai peur de lui, et je
n’ai pas peur. S’il veut venir faire jouer son droit de mari et me sauter dessus, il faudra d’abord qu’il
nous affronte, moi et ma colère. S’il n’a jamais vu une Américaine en colère, il va en voir une ! Je me
mets sur le lit où Bucky dort déjà, indifférent au tumulte des humains, et j’attends, un livre sur la vie
sauvage en Afrique à la main.
J’ai le temps d’en lire les deux tiers avant d’entendre claquer la porte d’une des chambres
d’amis. Ainsi, Sebatian ne viendra même pas essayer une réconciliation ! Il va bouder dans son coin,
persuadé que je suis une voleuse qui l’a manipulé et trahi.
Je prends mon téléphone et j’appelle Jon. Celui-là, il me doit de sacrées explications !
CHAPITRE 17
Jon croise cette chère Caroline Vanderberg qui part avec Snowflake lorsqu’il entre à la
clinique. Je ne lui ai pas laissé le choix. Quand il a pris l’appel, je lui ai hurlé que je voulais le voir
le lendemain à la clinique et que ça saute ! Et que j’avais des nouvelles à propos de sa foutue clé
USB. Puis j’ai coupé la communication et j’ai refusé ses appels. J’étais trop en colère et j’avais moi
aussi envie de me la jouer pétasse. Après tout, c’est à cause de Jon et de cette foutue clé que je suis
dans les emmerdes. Laszlo est parti ce matin avant même que je ne me lève, sans prendre son petit-
déjeuner avec moi. De toute façon, je m’en fous. Je le déteste. Il m’a traitée de voleuse et de pétasse
en chaleur. Il mérite que je fasse la tête.
Mais il ne faudrait pas non plus pousser la dispute trop loin. J’ai beau fulminer, je
comprends que Laszlo ait mal réagi en voyant les fichiers sur la clé. Il est vraiment à fond dans le
projet de Hartford Inc., et il y investit une bonne partie de son temps. Jon va avoir intérêt à
s’expliquer sur ce que ces fichiers – pas les photos, les autres – foutent sur cette clé.
Je vois Caroline faire un pas de côté, tourner la tête et renifler d’un air de dégout. Je
comprends quand Jon arrive au comptoir. Il ne sent pas la rose, il porte un hoodie avec la capuche
rabattue sur un jean et le total me donne envie de tout flanquer à la machine à laver. Jon n’est pas rasé
de trois jours et il a les cheveux les plus sales que je ne lui ai jamais vus. Il a un gros sac à dos sur
les épaules.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
Aux dernières nouvelles, il cherchait un job et avait l’air civilisé. Là, on dirait qu’il vient de
se sevrer d’une drogue. Ses yeux sont cernés et injectés de sang et il est blafard. Il tremble.
— Je suis dans la merde.
Il a une voix si rauque que je le comprends à peine. J’appelle Betty et je lui dis de prendre
le relais. Il est un peu tôt pour partir, mais en voyant Jon, qu’elle connait de vue, elle comprend
l’urgence.
— Viens, on va chez moi, je dis en prenant ma veste et mes clés.
Heureusement que je garde toujours un double des clés de mon appartement avec moi. Je ne
peux évidemment pas emmener Jon dans mon nouvel appartement, je doute que Laszlo le prenne très
bien. J’arrête un taxi et je donne mon ancienne adresse. Le chauffeur fronce le nez devant Jon, mais je
lui tends un gros billet et il démarre. Jon n’a même pas remarqué. Il s’est enfoncé dans la banquette
avec un soulagement visible et je le sens se détendre.
— Raconte-moi, je dis simplement.
— Je vis dans la rue depuis trois jours. J’ai dû partir de mon appartement.
Il a une voix complètement désespérée, celle qu’il avait quand les connards au lycée lui
cognaient dessus un peu fort plus que d’habitude et qu’ils le menaçaient de lui faire pire. Il venait
chercher refuge auprès de moi et je me débrouillais pour tenir les joueurs de l’équipe de foot à
l’écart. C’est notre longue histoire, à Jon et moi. Il m’aide, il est là pour moi, mais dès que le monde
devient un peu trop brutal pour lui, il cherche ma protection. Il m’a toujours fait penser à un chien
perdu sans collier, un chiot égaré dans un monde où il ne comprend pas pourquoi on lui donne des
coups de pieds alors qu’il veut juste vivre sa vie tranquille.
Devant mon air interloqué, il me dit qu’il me racontera tout cela quand on sera chez moi.
— Je pourrais prendre une douche ? Et manger un peu ?
— Bien sûr, je dis en souriant.
La douche ne sera pas du luxe, et j’en profiterais pour commander un repas chinois. Il adore
et moi aussi.
Jon ne s’aperçoit même pas que mon appartement a été vidé de pas mal de mes affaires. Il
fonce à la salle de bain, et deux minutes pour tard j’entends l’eau chaude qui coule. Je commande un
repas au traiteur chinois du coin et je le réceptionne juste comme Jon sort de la salle de bain, vêtu
d’un jean propre et d’un tee-shirt qui sent bon, rasé et les cheveux encore mouillés. Il saute sur les
boites en carton et je le laisse manger sa part et une bonne partie de la mienne.
— Tu me racontes ? je demande en grignotant des chips à la crevette.
Je remarque à quel point ses yeux sont cernés. Ses traits se sont creusés.
— Il y a trois mois, j’ai entamé une liaison avec un de mes collègues chez Hartford Inc,
Ross. On a flashé l’un sur l’autre. Naturellement, au boulot, on faisait comme si de rien n’était. Ross
est cool sur son homosexualité, mais avoir une histoire avec un collègue, c’est difficile à gérer sur le
lieu de travail.
J’acquiesce. Je n’ai jamais eu l’occasion de tester, mais j’imagine que je préférerais que ça
reste secret aussi.
— Je suis hyper méfiant pour les photos, poursuit Jon, mais j’étais vraiment amoureux. J’ai
donc fait des selfies avec Ross chez moi, sur mon portable, et j’ai transféré les photos sur un disque
dur externe qui reste à la maison. Ross, depuis quelque temps, m’empruntait un peu d’argent ici et là.
Il m’avait dit qu’il avait des dettes et j’ai vite compris qu’en fait, il se payait de la coke.
— J’espère qu’il ne t’a pas entrainé là-dedans ? je demande, effrayée à l’idée que mon
meilleur ami soit devenu un junkie.
— Non, bien sûr que non, me rassure Jon. Je n’y ai jamais touché. Je disais d’ailleurs à
Ross qu’il fallait qu’il arrête avant que ce soit trop tard. Un jour, au boulot, on parlait sur notre
messagerie privée lorsqu’il m’a demandé les photos qu’on avait prises quelques jours auparavant.
On devait se voir le soir et il m’a dit qu’il voulait se mettre en condition. Enfin, tu vois le genre.
Je vois parfaitement. J’imagine faire pareil avec Laszlo. Non. J’oubliais. Je déteste ce
connard.
— Comme il était hors de question que je lui file mon portable, et que je suis limite parano,
j’ai copié les photos sur ma clé USB du boulot, continue Jon. Et je les ai cryptées en utilisant le tout
nouveau système de codage de Hartford Inc. Au final, les photos sur la clé USB ne peuvent ni être
copiées ni être envoyées. Elles ne peuvent pas non plus être imprimées ni être copiées via copie
d’écran. Bref, ces photos ne peuvent être vues que si on a la clé USB.
Je suis un peu perdue dans les détails techniques, mais je comprends que Jon a trouvé le
moyen pour que son petit ami ne risque pas de faire fuiter les photos accidentellement. Ingénieux.
— J’ai filé la clé à Ross, poursuit Jon.
Et c’est là que les ennuis ont commencé pour mon meilleur ami. Ross a montré son vrai
visage. Il avait demandé juste avant à Jon de lui prêter encore un peu d’argent et, pour la première
fois, Jon a refusé. Il commençait à être à sec sur son compte courant, et il a dit à Ross qu’il ne
pouvait pas. Il n’a pas vu venir le coup fourré de Ross qui, une fois qu’il a eu la clé USB en main,
lui a dit qu’il ne la lui rendrait que contre de l’argent. Le ton est vite monté entre eux, d’abord sur le
messagerie, ensuite en direct. Ross a menacé Jon de montrer la clé à Emily Hartford et même de
l’envoyer à ses parents. C’est là que Jon s’est levé et qu’il y a eu l’altercation entre eux. Jon a quand
même réussi à récupérer la clé. Il l’a mise dans le tiroir de son bureau, craignant de la perdre s’il la
glissait dans une poche de son pantalon. Convoqué dans le bureau de Hartford, il a été mis à pied et a
dû partir sans pouvoir récupérer la clé.
Totalement paniqué, en partant, il a réussi à voler le badge d’un employé en déplacement
pour pouvoir revenir dans l’entreprise durant la nuit et récupérer la clé. En même temps, il mourait
de peur. Jon n’a jamais été très courageux, il l’a souvent reconnu lui-même. Il a décidé d’aller boire
un verre pour se donner du cœur au ventre.
— C’est là qu’on s’est retrouvés le soir et que j’ai commencé à te charrier sur ton manque
d’audace. C’est là que j’ai eu l’idée de ce foutu selfie, juste pour que tu récupères la clé. Je ne sais
pas quoi dire, Stefanie. C’était dégueulasse de ma part.
Je ne réponds pas. Je suis trop stupéfaite pour vraiment réagir. J’ai à la fois envie de bourrer
Jon de coups de poing et de le secouer d’importance pour lui apprendre à se servir de moi, sa
meilleure amie, pour faire un boulot dangereux sans même le savoir. Et en même temps, je n’ai pas
besoin qu’il me fasse un dessin pour comprendre à quel point il est terrifié. Jon est resté l’adolescent
honteux de son homosexualité de l’Iowa, le gamin qui a vu d’autres adolescents gays être chassés de
chez eux par leurs parents, être battus par les autres lycéens sans que personne n’intervienne. Il était
déjà le souffre-douleur des footballeurs juste parce qu’il était maigre et pas sportif pour un sou. S’ils
avaient su la vérité, cela aurait été l’enfer pour lui. C’est pour cela qu’il voulait venir vivre à New-
York à tout prix. Dans une grande ville, il a pu s’épanouir dans sa sexualité loin des regards
moralisateurs du bled où nous avons grandi. Mais pour sa famille, il reste un bon petit hétéro qui n’a
pas encore trouvé la fille de ses rêves. Je crois que ses parents espèrent secrètement – et les miens
aussi d’ailleurs – qu’on se marie un jour.
— Je suis désolé, Stefanie, répète Jon en baissant la tête.
— Ça va, je grogne. Continue ton histoire. Comment ça se fait que tu aies perdu ton
appartement ?
— Quand tu m’as dit que tu n’avais pas la clé, j’ai tout de suite pensé que Ross l’avait prise.
Je l’ai appelé et j’ai exigé qu’il me la rende. Il m’a fait chanter, me citant l’adresse de mes parents et
me disant que la clé était sous enveloppe, prête à être envoyée dans l’Iowa.
Jon n’a eu d’autres choix que de payer. Il a vidé ses comptes d’épargne, a vendu des
affaires, sans jamais arriver à récupérer la clé. Il n’a pas pu payer son loyer et son propriétaire l’a
viré. Depuis trois jours, il erre dans la rue, ne sachant plus que faire.
— Pourquoi tu n’es pas venu me voir ? je demande, le cœur brisé par la détresse que je sens
en lui.
— Parce que j’avais honte, murmure-t-il. Je ne pouvais pas t’avouer que je t’avais utilisée.
Je vais me reprendre en main, Stefanie. Je vais faire mon coming-out à mes parents et dire à Ross
d’aller se faire foutre. Je vais chercher un boulot, n’importe lequel, et me reconstruire.
Je reste un moment silencieuse. Puis je passe aux aveux à mon tour. Je lui raconte ma
rencontre avec Laszlo, le fait que j’ai la clé USB depuis le début, mon mariage avec mon beau russe,
la restitution de ma lettre d’aveux et notre dispute à propos de la clé.
Jon reste abasourdi et finit par me prendre dans ses bras en me demandant pardon pour tout.
Je lui caresse les cheveux, comme quand il venait de se faire tabasser au lycée.
— Arrête, Jonny-boy, je dis. Pour être honnête, je pense que mon mariage avec Laszlo est la
meilleure chose qui me soit arrivée. Je l’aime. Mais je refuse de laisser passer ses insultes.
— C’est lui qui a la clé ? demande Jon.
— Oui. Je suis désolée, il a dû voir tes photos. Cela dit, je doute qu’il sache qui tu es, et je
ne le vois pas faire du chantage auprès de tes parents.
Jon sourit malgré lui.
— Je vais aller lui parler. Je vais tout lui avouer, déclare-t-il. Il est hors de questions que tu
paies pour mes conneries.
Ça, c’est mon Jon ! Il va être mort de peur et trembler de tous ses membres, mais il ira
affronter Laszlo comme un grand. Je lui propose de dormir sur le canapé – je n’ai pas l’intention de
rentrer à la maison cette nuit, pas après notre dispute avec Laszlo – et de repenser à tout cela demain
matin, après une bonne nuit de sommeil.
Je sors une bouteille de vodka du placard de la cuisine et je nous sers des petits verres. Jon
me fait répéter mon histoire, et il est presque en larmes. Il me serre dans ses bras en me disant « ma
pauvre chérie, tout est de ma faute, je suis si désolé ». Je soupçonne la vodka d’y être pour quelque
chose.
— Stop ! je dis après de longues minutes d’effusions lacrymales. Ce n’est pas ce que tu
crois. Je veux dire… j’aime bien être mariée avec Laszlo. En fait, je crois que je suis amoureuse de
ce connard.
Jon part à nouveau en excuses bredouillantes et se met à pleurer pour de bon. Je lui colle la
bouteille de vodka dans la main, comme on donne son biberon à un bébé qui pleure. Jon avale la
dernière rasade, s’étrangle un peu, mais arrête de pleurer. Bien.
L’interphone nous fait sursauter tous les deux. Je regarde l’heure à mon portable, il est vingt
heures. Et je suis déjà un peu soûle. Être mariée à un connard de russe – sexy, atrocement séduisant,
mais un connard quand même – aura ma santé.
CHAPITRE 18
J’attends jusqu’à seize heures. Je tourne en rond. Je suis incapable de me concentrer sur mon
travail, sur les mails en attente et encore moins sur les mails d’Emily qui m’assurent qu’aucune
donnée de Hartford Inc n’a transpiré sur le marché. Tout lui parait clean, c’est l’ancienne pirate qui
me l’assure.
Après que Stefanie ait claqué la porte de notre chambre, hier soir, j’ai repris la clé USB et je
suis allé dans mon bureau pour l’examiner plus en détail. J’ai appelé Sergueï pour lui parler de
l’affaire tout en regardant les fichiers. C’est là que je me suis aperçu que les photos érotiques des
deux mecs étaient cryptées. Quand j’ai parlé de photos gays, Sergueï, à l’autre bout du téléphone,
s’est mis à frétiller. Je le connais, il ne peut pas la garder dans son pantalon depuis qu’il est ici. Il
m’a demandé de lui envoyer les photos. J’ai cliqué sur partager, puis copier, puis envoyer et j’ai
ensuite essayé toutes les options que je connais. Rien à faire, les photos ne voulaient pas quitter la clé
USB.
Là, j’étais intrigué. J’ai dit à Sergueï de faire comme tout le monde et de chercher son porno
sur Internet et je l’ai laissé pour appeler Emily Hartford. Il était minuit, elle était couchée et elle m’a
demandé si je comptais prendre l’habitude d’empiéter sur son temps de sommeil. Je lui ai tout
raconté, y compris mon mariage avec Stefanie. Emily a poussé un long soupir quand j’ai eu fini mon
récit, disant que je ne suis pas un garçon simple. Elle m’a demandé de réfléchir au comportement de
Stefanie, à ce que je savais d’elle. Elle-même m’a dit que Jon, jusqu’à l’altercation avec l’autre
employé, lui avait toujours paru irréprochable, à part peut-être une tendance à un peu trop faire la fête
et arriver avec une gueule de bois le lundi matin.
Ensuite, je lui ai fait porter la clé par coursier, avec ordre de mourir pour la défendre s’il le
fallait. Puis je suis allé dormir dans la chambre d’amis. Il est hors de question que je cède le premier
et que j’aille retrouver Stefanie la queue entre les jambes, comme un des toutous dont elle s’occupe.
Emily m’a rappelé à cinq heures du matin, complètement réveillée et admirative. Jon a
ajouté un petit programme personnel sur la clé, et le codage des photos est impeccable. Elle n’est pas
arrivée à le briser. J’entends l’admiration dans sa voix. Elle me dit qu’il faut que je contacte Jon et
que je lui offre une jolie somme pour vendre ce petit bout de code à Hartford Inc. Il pourrait bien être
la solution que nous cherchons depuis des semaines pour produire un système de cryptage des
données proche de la perfection.
Si Stefanie et Jon avaient monté un plan pour voler des données sensibles, ils l’auraient
depuis longtemps mis à exécution et Hartford serait dans la merde. Ils n’avaient aucune raison
d’attendre.
Si ! Ils en avaient une ! J’avais toujours la lettre de confession de Stefanie ! Elle a elle-
même reconnu qu’elle avait essayé de la voler. Je me rappelle notre interlude érotique dans le bureau
et je ferme les yeux. Ma queue durcit au souvenir de son corps nu, de sa bouche chaude, de son petit
cul bien ferme pendant que je la martelais de coups de reins.
J’aime Stefanie. J’aime sa droiture et sa franchise. Je ne la vois pas être une voleuse. Ça ne
colle pas avec ce que j’ai vu d’elle ces dernières semaines. Stefanie est la personne la plus
désintéressée que je connaisse. Elle aurait pu dépenser des centaines de milliers de dollars en robes
et bijoux, elle s’est contentée du minimum, et elle n’a même pas paru y prendre plaisir. J’ai dû
tomber sur la seule américaine que l’argent n’intéresse pas.
Je mets la clé USB dans ma poche. Emily me l’a fait rapporter par coursier. J’ai juste le
temps de passer à la clinique récupérer Stefanie à sa sortie du boulot, avec une gerbe de roses, du
champagne, et mon cœur sur un plateau.
D’accord, elle a un fichu caractère. Je ne suis pas facile à vivre non plus. Les portes
claquent quand nous nous disputons, Stefanie hurle à s’en déchirer les poumons, mais je dois
reconnaître que je préfère ça à une femme soumise ou pire, indifférente. Je rêvais d’une épouse avec
qui la vie serait sans heurt, parce que j’ai souffert des disputes de mes parents quand j’étais gosse. Je
pensais qu’ils ne s’aimaient pas. Mais j’avais tort. Ils s’aimaient. Ma mère s’est effondrée quand mon
père est mort. Elle n’a gardé le cap que parce que j’étais là et qu’il fallait qu’elle me protège.
Lorsque nous aurons des enfants, je me fais la promesse que jamais ils n’assisteront à nos
disputes. Nous les programmerons de façon à ce qu’elles aient lieu lorsqu’ils seront à l’école. Nous
leur offrirons toujours le visage souriant de parents qui s’entendent à merveille. Oui, c’est cela,
Laszlo, les gosses sont des cons, ils ne sentent pas les tensions entre les adultes. Bon, alors disons
qu’on leur mettra dans la tête dès le début que si maman et papa se hurlent dessus et cassent des trucs,
c’est parce qu’ils s’aiment, et que non, ils ne vont jamais divorcer, d’ailleurs papa tuera maman et se
tuera ensuite plutôt que de la laisser partir. Encore bravo, Laszlo, tu sauras parler à tes gosses, pas de
doute.
En attendant, si je veux faire des enfants avec Stefanie, ma femme, mon amour, mon petit
démon, il faut que je la retrouve et que je la convainque qu’elle est l’unique amour de ma vie, et
surtout, que je suis l’amour de sa vie à elle. Et il faut pour cela que je m’excuse, que je rampe à ses
jolis pieds et que je la ramène à la maison sur mon épaule s’il le faut, à la cosaque. Ensuite on baise.
Puis on baise à nouveau.
Bon plan.
Naturellement, comme tous les bons plans, il foire dès la première étape. À la clinique, je ne
trouve que Betty, l’autre employée. Celle-ci me connait vaguement de vue, elle pense que je suis le
boyfriend ou même simplement le soupirant de Stefanie. Je suis son mari, bordel ! Je vais le calmer
au monde entier que nous sommes mariés ! Plus de secret, je veux que notre vie amoureuse s’étale au
grand jour. Je veux emmener Stefanie à tous les dîners mondains où je suis invité et où je m’emmerde
parce qu’elle n’est pas à mes côtés.
D’après Betty, Stefanie est à son ancien appartement. Ça me fait tiquer qu’elle l’ait gardé.
J’avais espéré qu’après lui avoir rendu la lettre, elle l’abandonnerait parce qu’elle ne ressentirait
plus le besoin d’avoir un refuge. J’espérais qu’elle se sentirait chez elle dans notre appartement.
D’ailleurs, je veux qu’elle en soit copropriétaire. Je veux aussi modifier notre contrat de mariage et
le mettre en communauté de biens. Stefanie est ma femme, mon amour et je veux tout partager avec
elle.
Inutile de dire que je suis complètement stressé quand je sonne chez elle, avec les roses dans
les bras et mon cœur dans la balance.
CHAPITRE 19
— C’est moi, fait une voix familière. Stefanie, s’il te plait, pardonne-moi. Je suis un con. Je
sais que tu n’es pas une voleuse.
Il n’a pas le temps d’en dire plus, j’appuie sur l’ouverture de la porte et je lui dis de monter.
Il en a mis du temps, ce connard de russe ! Toute joyeuse – la vodka y est pour quelque chose, mais
pas tant que cela, je vérifie dans le miroir de l’entrée que j’ai l’air sexy – oui – et je m’envoie un
baiser.
— C’est mon mari ! je dis joyeusement à Jon.
J’ouvre avant même que Laszlo n’ait le temps de sonner. Il me tend une brassée de fleurs –
des roses rouges, bien sûr – et me dit qu’il est désolé, qu’il n’a jamais pensé que j’étais une voleuse,
qu’il était juste énervé par…
Je ne lui laisse pas le temps de finir et je l’embrasse, à la russe. Je commence à connaître
Laszlo. Si je le laisse continuer, il peut parler toute la soirée et s’excuser de quatorze manières
différentes.
— Comment tu as su que j’étais là ? je demande, suspicieuse.
Il ne me fait quand même pas suivre, non ? Il n’a pas utilisé le traceur dans mon portable ?
— J’étais venu te chercher à ton travail, m’explique mon mari. Ta collègue, Betty, m’a dit que
tu étais partie en avance pour aller à ton appartement avec un ami.
Je pousse un soupir de soulagement. Mon mari n’est pas un stalker. Il emploie les bonnes
vieilles méthodes. Je l’aime.
— D’ailleurs, qu’est-ce qu’il fout là, celui-là ? grogne mon cher et tendre lorsque je le
relâche.
— Il a un maitre-chanteur au cul, je réponds avec l’élégance qui caractérise la femme
américaine moderne.
Laszlo et Jon s’observent en chiens de faïence et je suis tentée de leur jeter les restes du
repas histoire qu’ils se calment en mangeant. Je me contente de lever les mains en signe
d’apaisement, et je fais le résumé des évènements à Laszlo. Jon complète par des précisions
techniques auxquelles je ne comprends rien, mais que mon mari semble parfaitement saisir.
— D’accord, on va régler ça, dit Laszlo. Demain matin, Emily convoquera Ross dans son
bureau. Vous serez là également. Compte tenu des circonstances, vous faites à nouveau partie de
Hartford Inc, bien entendu, avec salaire rétroactif.
Je vois que Laszlo est fou furieux dès qu’on parle de chantage. Il semble vouloir pulvériser
quelqu’un, mais ce n’est pas Jon. Je pense que si le dénommé Ross était là, il ne survivrait pas plus
de quelques minutes avant d’être réduit en bouillie.
Laszlo va pour prendre la bouteille de vodka, s’aperçoit qu’elle est vide et fait la grimace.
L’épouse dévouée que je suis va chercher une autre bouteille – du whisky – dans le placard de la
cuisine. Je ramène aussi un verre supplémentaire et nous entreprenons de bâtir une solide amitié
américano-russe.
— Je hais les maîtres-chanteurs, déclare Laszlo à Jon. Sergueï, mon assistant, a eu le même
souci que vous. Il a commencé à payer avant de m’en parler. Je suis allé voir le type et je lui ai
fracassé sa sale gueule de petit escroc. Il ne faut jamais céder à un maitre-chanteur, Jon. Jamais,
putain !
— Vous avez raison, répond Jon en levant son verre. J’ai tiré une leçon de tout ça. Je vais
faire mon coming-out à mes parents. S’ils m’aiment vraiment, ils m’accepteront. Sinon, qu’ils aillent
se faire foutre !
— Bravo ! dit Laszlo.
Nous trinquons tous les trois et l’atmosphère est de plus en plus joyeuse. Mais Jon, toujours
attentif, comprend vite que mon mari voudrait rester en tête à tête avec moi, et se lève pour nous
laisser.
— Tu vas dormir où ? je demande, tout de suite inquiète.
— Il va dormir ici, déclare Laszlo. C’est nous qui allons partir.
Je regarde mon mari. Jon s’éclipse soue le prétexte d’aller aux toilettes pendant que Laszlo et
moi nous faisons face.
— Ça me fait chier que tu gardes cet appartement, me dit franchement Laszlo. Je vais mettre
le penthouse à nos deux noms.
Il me parle de son intention de changer notre contrat de mariage et je ne peux retenir les
larmes qui s’obstinent à couler de mes yeux. Je pense qu’elles sont un léger parfum de vodka, mais
l’amour est là aussi.
— Je comprends, je dis. Tu sais quoi ? Je vais laisser l’appartement à Jon le temps qu’il se
retourne, et ensuite je dirais à mon propriétaire que je pars. Mais je te préviens, Laszlo, ne m’insulte
plus jamais comme tu l’as fait hier soir. Sinon la prochaine fois, je vais dormir dans l’hôtel le plus
luxueux que je pourrais trouver et ce sera toi qui payeras la note !
Je pleure en même temps que je ris en disant cela et Laszlo me prend dans ses bras.
— Je te demande pardon, mon amour, me dit-il en m’embrassant dans le cou. Je ne pensais
pas ce que j’ai dit. Je suis un peu excessif dans mes colères et dans mes paroles, je le sais.
— Ton côté russe ? je propose avec un petit sourire.
Laszlo me regarde droit dans les yeux, l’air grave.
— Je dis souvent ça pour me faire pardonner. En fait, j’ai un sale caractère, voilà tout. Je ne
suis pas facile à vivre, j’en suis conscient. Je m’emporte vite, je ne réfléchis pas à l’impact que mes
mots peuvent avoir sur les autres. Je suis désolé, Stefanie. Je te promets que je vais faire attention à
l’avenir, et je suis sérieux en disant cela.
Je lis la sincérité dans ses beaux yeux verts. Je sais qu’il a l’intention de tenir sa parole, et je
sais aussi que ce sera difficile pour lui d’aller contre ce tempérament fougueux qui fait partie de son
charme.
— J’essaierai de privilégier la discussion aussi, je dis. J’ai tendance à réagir assez vivement
quand on m’insulte et à claquer les portes.
Laszlo a la galanterie de ne pas me rappeler que je n’ai pas claqué que la porte de notre
chambre hier, mais aussi sa joue. Je l’embrasse doucement sur cette joue que j’ai giflée, et il accepte
ma silencieuse excuse. Nous nous levons et je dis à Jon qu’il peut rester autant qu’il veut. Je lui
donne les clés, je lui fais la bise et je pars avant qu’on ne fonde tous les deux en larmes.
J’ai vraiment l’impression de rentrer à la maison quand j’arrive dans le penthouse. Ce grand
appartement est devenu le mien, que je le veuille ou non. J’y ai mon coin préféré – un des salons, où
je me blottis sur le canapé pour bouquiner ou regarder des séries -, mon second coin préféré sur la
terrasse qui en fait le tour, et le lit king size de notre chambre est devenu mon lit. Je m’y laisse
d’ailleurs tomber avec ravissement, épuisée.
Bucky vient me retrouver, se frotte contre moi, lève une moustache en sentant l’odeur
familière de son ancien appartement, avant de se mettre à faire sa toilette au pied du lit. Laszlo le
chasse en douceur.
— J’ai commandé des pizzas, m’annonce-t-il. Normalement, elles devraient être en une
demi-heure, mais j’ai prévenu que je voulais du retard. Nous les aurons dans une heure.
Il se déshabille tout en parlant et je l’imite. Nus, nous nous faisons face de chaque côté du lit
conjugal.
— Une heure ? Tu ne crois pas que ça va être un peu juste ? je demande en ouvrant le lit.
Laszlo se jette sur moi comme le sauvage qu’il est et m’embrasse.
— Une heure, me dit-il en mordillant ma lèvre inférieure, ce sera juste pour la mise en
bouche. Ensuite on mange, et on attaque les choses sérieuses.
Mon mari a réussi dans la vie parce qu’il prévoit toujours tout à l’avance, y compris
l’imprévu.
Cependant, là, il a sous-estimé le temps de la mise en bouche et c’est moi qui dois aller
réceptionner les pizzas, enveloppée dans un grand peignoir en éponge, parce que Laszlo n’est
franchement pas présentable.
ÉPILOGUE
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de nos six mois de mariage. J’ai eu droit à la totale :
Laszlo m’a emmenée en week-end à Paris, avec palace et grand tour de la capitale française ! Il avait
même prévu une visite de Maison-Alfort, juste à côté, la plus grande école vétérinaire du pays. Nous
avons fait une croisière sur la Seine, rien que nous deux sur un bateau de rêve, où un orchestre a joué
pour nous après la tombée de la nuit, pendant que nous dinions. J’avais l’impression de vivre un
rêve. Mais le plus important, dans tout ce déferlement de luxe, c’était Laszlo, mon mari, mon amant,
mon amour.
Il est là pour moi et je suis là pour lui. Nous sommes le meilleur ami de l’autre, son
confident. Nous nous soutenons dans les moments difficiles et nous célébrons nos victoires. C’est
nous contre le reste du monde, et nous dans le reste du monde.
Juste après notre réconciliation, Laszlo a officiellement annoncé notre mariage, même si
j’étais un peu anxieuse des changements que cela allait apporter à ma vie. Pour notre première sortie
en tant que couple, nous étions invités à un dîner de Caroline Vanderberg. Je m’attendais à tout de sa
part, et surtout du mépris pour la petite assistante vétérinaire que je suis, mais pas du tout ! Elle s’est
montrée charmante après que Laszlo l’ait galamment prise par la taille après les présentations pour
lui demander de me présenter à ses amies. J’ai appris ce soir-là que les riches sont comme les
pauvres : ils adorent savoir un truc que personne ne sait. Tout le monde à cette soirée savait que
j’étais la mystérieuse nouvelle épouse du beau milliardaire russe, mais seule Caroline a pu se vanter
de savoir qui j’étais de me connaître depuis, houla, mes chéries, des années !!! J’ai toujours su que
cette petite irait loin. Je vous ai raconté le jour où Royal a failli mourir à cause d’une crème glacée ?
Et c’est ainsi que je me suis retrouvée plongée dans la jet-set new-yorkaise. Je ne me fais
pas d’illusion sur la toute nouvelle amitié de ces dames. Je ne suis pas naïve. Je sais très bien que
ces femmes ne m’inviteront jamais vraiment dans leur cercle, parce que je ne suis pas née riche, j’ai
seulement épousé un milliardaire ! Et russe, par-dessus le marché ! Mais je m’en fiche. Je me
contente d’accompagner Laszlo dans ses obligations mondaines. Les vraies bonnes soirées, nous les
passons ensemble.
Je vois un peu moins Jon ces temps-ci, et pour cause : monsieur est amoureux, monsieur est
en couple. L’heureux élu n’est autre que Sergueï. Ils ont flashé l’un sur l’autre lorsqu’ils se sont
rencontrés, le jour où Ross le maitre-chanteur a perdu son boulot et a été à deux doigts de se faire
casser la gueule par Jon. C’est Sergueï qui l’a retenu, en mettant ses bras autour du torse de Jon et en
lui palpant les abdos au passage. Il ne l’a plus lâché. Ross s’est fait virer, a dû signer une
reconnaissance de dette non à Jon, et le rembourse peu à peu en cumulant deux boulots dans des
boites plutôt minables. Tant pis pour lui !
Lorsque nous rentrons à New-York après notre week-end à Paris, nous sommes lundi après-
midi. À mon grand regret, j’ai dû démissionner de la clinique vétérinaire. Je ne pouvais plus assurer
mes horaires en sortant le soir et en donnant moi-même des dîners mondains. Matthew l’a très bien
compris. Je lui ai présenté Laszlo, et ils ont vite sympathisé. Je sais même qu’ils se téléphonent de
temps en temps et je soupçonne Laszlo de vouloir adopter un animal, en plus de Bucky.
Dans la voiture qui nous conduit de l’aéroport à notre appartement, je m’aperçois que
quelque chose ne va pas. Le chauffeur n’a pas pris la bonne route. Je regarde Laszlo, qui me fait un
clin d’œil. La voiture s’arrête non loin de la clinique vétérinaire et nous descendons.
Je reconnais l’endroit. La grande maison avec un parc autour est une ancienne clinique,
aujourd’hui désaffectée. Laszlo a les clés, il entre et me fait faire le tour du propriétaire. C’est
immense, mais c’est un peu… froid. Bref, c’est une ancienne clinique dans une maison du XIXème
siècle de style gothique.
— Tu l’as achetée ? je demande à Laszlo.
J’espère qu’il ne compte pas me dire que c’est notre future maison ! Je n’ai aucune envie de
quitter le penthouse, et cet endroit est un rien lugubre.
— Oui, mais elle est à ton nom, me dit-il, toujours tout sourire. C’est Matthew qui m’a
recommandé l’endroit.
Je fronce un peu le nez. Il y a de drôles d’odeurs qui trainent et je suis sure que des chiens
errants ont élu domicile ici, en passant par des volets cassés ou autre, à voir les traces que je vois ici
et là. Il y a même un chat qui dort dans une pièce, dans un coin, et qui sursaute en nous entendant. Il a
l’air d’avoir peur et bien sûr, je vais doucement vers lui en lui parlant gentiment, jusqu’à ce qu’il me
laisse le caresser. Mais très vite, il s’enfuit.
— Euh, c’est charmant, je dis, complètement paumée.
Laszlo ne veut quand même pas vivre là ? Même avec des travaux, ça restera un truc
gothique. C’est très joli, je dois le reconnaitre, mais je n’ai aucune envie de vivre là.
— Tu as l’air déçu ? me fait Laszlo. Je nous voyais pourtant bien nous installer ici et y
élever nos futurs enfants.
Il a exagéré son accent russe et je plisse les yeux. Quand il fait cela, c’est que mon cher et
tendre prépare une blague.
— Tu veux élever des gosses là-dedans ?
Nous avons déjà parlé d’avoir des enfants, il y a quelques semaines, et nous nous sommes
mis d’accord pour attendre quelques années. Je veux avoir le temps de vivre un peu d’abord, et
Laszlo est encore trop occupé par ses affaires pour pouvoir être le père qu’il veut devenir.
— C’est mon rêve depuis toujours, répond Laszlo en roulant encore plus les r. Nous aurons
une fille et nous l’appellerons Mercredi. Nous l’habillerons tout en noir.
J’éclate de rire. C’est vrai que la maison fait penser à celle de la famille Addams.
— Allez, dis-moi la vérité, à qui est cette maison ?
— À toi, Stefanie, me répond Laszlo en reprenant son sérieux et son accent habituel. J’ai
pensé qu’elle serait parfaite pour le refuge que tu veux créer. Il y a déjà plein d’animaux errants qui
viennent s’y nourrir et s’y reposer. Les riverains leur laissent des gamelles dans le parc. J’ai déjà
pris des contacts, il n’y aura aucune opposition au fait qu’il y ait un refuge ici.
J’ouvre la bouche, trop émue pour parler. Je refais le tour du propriétaire, cette fois avec en
tête la façon dont je pourrais aménager ces grandes pièces carrelées, qui seront parfaites pour
accueillir des boxes et des salles de soins. Sans compter le parc ! Je comprends à présent les
conciliabules avec Matthew !
— Tu auras les fonds pour faire ce que tu veux, embaucher du personnel et des vétérinaires,
continue Laszlo. Mais tu seras la seule responsable du projet. Je n’interviendrais pas. Ce sera ton
œuvre, Stefanie.
Je me jette dans ses bras en balbutiant des remerciements. Je n’ai jamais rêvé d’épouser un
milliardaire parce que l’argent ne m’intéresse pas en tant que tel. Mais Laszlo m’a montré à quel
point on peut faire bon usage d’une fortune. Il aurait pu me couvrir de bijoux et de robes de grands
couturiers – il le fait, d’ailleurs, sans exagérer – mais il a su écouter mes vrais désirs et m’offrir ce
dont je rêve depuis que je suis petite fille : un refuge à monter pour aider les animaux en détresse.
Rien que pour ça, j’aime cet homme. Mais il y a plein d’autres raisons aussi. Et non, Laszlo,
mon chéri, ne commence pas à glisser tes mains sous ma veste. Il est hors de question que nous
fassions l’amour ici. C’est trop gothique.
— Et dans le parc ? me demande mon mari en ouvrant une grande porte-fenêtre.
La végétation est en fleur et comme le parc n’a pas été entretenu, de grands arbres et des
buissons forment des abris tentants. Je prends mon élan.
— Tu pourras m’avoir si tu arrives à m’attraper !
Laszlo s’élance derrière moi. Je vais le laisser m’attraper, mais pas tout de suite.
FIN
Du même auteur
Deal Brûlant (Manhattan Lovers 1)