3- Le site

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Cours Théorie du Projet 3ème Année L.M.

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Département d’Architecture -Annaba-

Le site

Le discours sur le site comme lieu pourrait se faire sur un mode phénoménologique ou
poétique; mais nous avons choisi une approche plus concrète, parce que c'est l'action sur le
site, qui s'inscrit dans le projet d'architecture.

Le site en tant que lieu est toujours lié à l'histoire humaine. Le site que nous choisissons ou qui
nous est assigné pour ériger un édifice est peut-être déjà un lieu en campagne ou en ville. Ce
lieu sera détruit, renforcé ou transformé par notre intervention. Si le site se trouve entre des
lieux, sans vraiment l'être lui-même, il peut le devenir au moins pour ses futurs habitants. S'il
est destiné à accueillir une institution, son rôle de lieu prend une dimension publique.

Observons-le bien et étudions son histoire avant de projeter; c'est notre devoir et notre chance
car, dans sa genèse, sa structure formelle et ses significations, nous trouvons les stimulants
les plus puissants et la matière la plus enrichissante pour le projet de l'avenir: traces
géométriques, vestiges, fragments de la nature et des efforts de l'homme.

L'enseignement de l’architecture réserve, une place considérable à l'observation du site et à la


justification du projet à partir de celui-ci. C'est peut-être le domaine où les écoles d’architecture
ont le mieux su assumer leur rôle critique par rapport à la pratique courante qui, elle, obéit
davantage aux lois du marché immobilier, qui sont peu aptes à prendre en compte la spécificité
locale d'un site. En plus de ces lois du marché, il y a plusieurs phénomènes structurels
d'origine technologique qui ont contribué au renvoi de la forme et du sens du site au rang de
quantité négligeable aux yeux du promoteur-entrepreneur.

Fig.1 Naissance d'un lieu.

- Les moyens de transformation de la topographie sont devenus gigantesques. Les


mouvements de terre importants pour ériger les fortifications d'une cité d'autrefois nécessitaient
une décision grave du souverain ainsi que des sacrifices considérables du peuple. Aujourd'hui
n'importe quel entrepreneur efface les irrégularités du terrain en quelques jours et à peu de
frais. Ainsi nous assistons à la naissance du «paysage du bulldozer».

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Il y a quelques exemples, trop rares, où ces outils ont véritablement été employés pour
incruster sur la terre un lieu nouveau, désiré ou désirable par l'homme (fig. 1 et 3). Mais le plus
souvent il s'agit de blessures que l'érosion cicatrise avec difficulté (fig. 2). Les limites légales
des propriétés et la rationalité interne du processus de construction, sont des justifications bien
faibles à la transformation d'une topographie.

Fig.2 Blessures de la pelle mécanique; préparation pour un quartier de villas en


Californie.

Fig.3 Terrasses subtiles aménagées à la sueur de l'homme; Péloponèse.

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- Les techniques de contrôle artificiel du climat intérieur par l'adjonction d'énergie sous forme
de chauffage central ou de climatisation ne contraignent plus à un choix réfléchi du site et de
l'orientation judicieuse quant au soleil, aux vents et à l'humidité. Il aura toutefois suffi de deux
petites crises pétrolières et d'un accident nucléaire pour que notre manière de penser se
trouve, sinon ébranlée, tout au moins alertée.

- Les réseaux d'eau, d'électricité, de la poste, du téléphone, des ordinateurs et des transports
publics et privés permettent l'accessibilité et l'approvisionnement aisé de sites éloignés. La
proximité physique de la ville, de ses institutions et de ses lieux de travail n'est plus un
préalable à la commodité et moins encore à la survie. L'effritement de nos villes en témoigne.
Les moyens de transport, notamment la voiture privée dont l'accès veut être garanti à tout
immeuble pour des raisons évidentes de confort, ont transformé le paysage urbain. Les
grandes vitesses exigent des tracés de voies qui sont parfois peu sensibles aux situations
locales et historiques.

- La rapidité avec laquelle nous sommes en mesure de planifier et de réaliser des urbanisations
nouvelles, «clé en main», laisse peu de temps pour les projets et peu de place à l'histoire en
devenir pour chercher et former des lieux à l'image des réalités quotidiennes. Les extensions
de banlieue récentes équivalent en population et en étendue à des villes entières du passé qui,
elles, ont mis des siècles à se construire. Les bâtisseurs avaient, par essais et tâtonnements,
l'occasion de préciser des lieux d'importance collective. Nous aurons peut-être un jour la
possibilité de donner à ces quartiers de banlieue la dignité urbaine en les transformant.

Ce sont toutes ces raisons qui ont fait du site une quantité négligeable depuis le XIXe siècle, et
non pas simplement la spéculation immobilière comme on pourrait le croire. Cette dernière n'a
fait que saisir les occasions qui lui étaient offertes par la demande et les possibilités de
production.

L'architecture du passé - qu'elle soit vernaculaire ou prestigieuse, maison paysanne anonyme -


n'a guère risqué de négliger ou maltraiter la terre sur laquelle elle s'érigeait (fig. 4 et 5). Si
Vitruve parle de «corriger la nature, du lieu par l'art», il n'a jamais sous-entendu son
effacement. S'il parle du tracé des rues «selon l'aspect ciel le plus avantageux», il entend éviter
l'enfilade des vents violents. Quel projet de voirie contemporain prendrait cet aspect en
considération, même pour un instant? Alberti et Palladio traitent longuement l'importance de la
qualité de l’eau pour choisir le site d'une ville d'une maison. Dès lors, le bâtiment ne peut plus
s'ériger n'importe où, il cherche une alliance avec la terre. Les mêmes auteurs conseillent le
choix d'un terrain commode d'accès d'un site pas trop humide, qu' identifiera par l'examen des
vieil pierres et des plantes trouvées sa place, le choix d'un emplacement aéré, mais protégé
des vents forts nuisibles, d'un climat stable et ensoleillé en hiver. Ce sont des qualités
d'hygiène et de confort pour lesquelles la technologie moderne semble offrir des succédanés
efficaces mais pas inoffensifs.

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Fig.4 Le site -lieu abrité; fermes bernoises.

Fig.5 Le site -lieu exalté; Acropole d'Athènes, croquis Le Corbusier.

Les contraintes d'antan ont contribué à une cohérence appréciable de l'environnement


construit et de sa relation universelle avec la nature, cela ne signifie bien sûr pas qu'il faille
abandonner l'acquis de confort et d'économie que nous offre la technologie contemporaine.
Privés de ces contraintes, nous devons, si nous voulons rétablir la paix entre ce que nous
bâtissons et la terre-mère, découvrir d'autres moyens pour faire de la ville «une foule de lieux».
Les voies les plus prometteuses sont une compréhension du territoire en tant que forme et en
tant qu'histoire ouvrant sur une architecture qui, au lieu de se «camoufler» ou d'ignorer, exalte
les caractères fondamentaux du site.

En effet, si les contraintes matérielles ne suffisent plus pour aboutir à une occupation
harmonieuse de notre sol, il faudra que les contraintes soient d'ordre éthique. Les moyens de
lecture vont de l’identification des caractéristiques formelles structurantes des ensembles et
sous-ensembles, jusqu'à l'analyse du processus historique, qui a influé sur leur genèse; de
l'inventaire des matériaux leurs caractéristiques de forme, de texture et de couleur.

La compréhension du site ne suffit pourtant pas. L'art du projet exige la capacité d'interpréter le
sens du programme en le reliant aux opportunités sous-jacentes du site.

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