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Théorie Générale du Droit Constitutionnel

Pr. Jamal Hattabi


Séance 5
La constitution

La rationalisation du pouvoir politique a engendré dans son sillage


l’établissement de règles précises concernant sa conquête et son exercice. Cet effort
d’encadrement du pouvoir traduit la volonté farouche qu’ont eu les penseurs de la
philosophie des lumières de mettre fin à l'arbitraire du pouvoir politique. Dans cette
perspective, le pouvoir n’est plus d’origine divine, il est la manifestation de la
volonté des individus de vivre ensemble et de jouir de leur liberté en toute sécurité.

Mais pour garantir la jouissance de ces droits, la société doit se prémunir


contre toute forme d’hégémonie et de totalitarisme. Tel est l’objet de la constitution
dont nous allons étudier l’origine, le contenu, la valeur et le contrôle de sa
prééminence.

Section 1. Le constitutionnalisme

La volonté de limiter le pouvoir du chef n’est pas quelque chose de récent.


Ses origines peuvent remonter à l’époque de la Grèce antique où l’organisation
juridique de la cité était basée sur un corps de lois anciennes n’acceptant aucune
modification «nomoï». L’histoire de l’humanité est jalonnée d’exemple de ce type.
De Rome en passant par le moyen âge, l’idée d’un contrôle juridique de l’activité
du chef de l’Etat a fini par s’imposer en 1787 lors de la rédaction de la constitution
fédérale de Etats-Unis d’Amérique. Ce fut le début d’un mouvement qui régira
l’activité politique durant les siècles à venir.

Ce mouvement va se transformer en une idéologie « le constitutionnalisme».


Celle-ci entend organiser le pouvoir pour préserver la liberté, notamment par la
séparation des pouvoirs et la représentation. Elle se traduit par l’établissement
systématique d’une constitution après chaque naissance d’Etat au point qu’il
n’existe pas au monde un seul Etat qui ne dispose pas de sa constitution. Mais cette
vénération de la constitution n’est pas le fruit du hasard, elle est le résultat d’un long
processus durant lequel l’idée constitutionnelle s’est imposée petit à petit.
§ . 1. La notion de la constitution

Considérée comme l'élément de base de tout édifice institutionnel moderne,


la constitution est souvent définie comme la loi fondamentale de l’Etat dont l’objet
spécifique est l’organisation des pouvoirs publics et la détermination de leurs
rapports. Elle est décrite dans certains manuels comme un rituel sacré auquel toute
construction étatique doit s’adonner. Pour Philippe Ardant elle constitue « l’acte
solennel soumettant le pouvoir étatique à des règles limitant sa liberté pour le choix
des gouvernants, l’organisation et le fonctionnement des institutions ainsi que dans
ses relations avec les citoyens». Georges Burdeau quant à lui la décrit comme le
fondement de la validité de l’ordre juridique tout entier. Ainsi, la loi ne peut être
considérée comme une norme juridique que dans la mesure ou elle a été adoptée
conformément à la constitution. La constitution est donc le fondement ultime de
chacune des normes qui font le système juridique.

Si la fonction juridique de la constitution est importante, son rôle symbolique


est déterminant. En effet, la constitution est un symbole avant d’être une loi. Ce mot
magique et caractéristique de l’Etat de droit représente un moment sacré dans la vie
des peuples dans la mesure où l’élaboration d’une constitution constitue souvent
l’acte fondateur de l’Etat moderne. Elle symbolise un changement dans la manière
de gérer la chose publique. Dans son sens moderne la notion de la constitution
prend son origine dans les doctrines du contrat social qui expliquaient
l’établissement de la société par un pacte social. Dans cette optique, la constitution
apparaît comme la confirmation ou le renouvellement de ce pacte. Mais ceci ne veut
pas dire qu’il n’y avait pas de règles qui s’imposaient au pouvoir. La coutume a
joué un rôle très important dans l’organisation des sociétés anciennes. Au cours des
temps, on a pris l’habitude de se comporter d’une certaine façon en certaines
circonstances. Cette habitude a engendré un ensemble de règle implicites dont le
caractère obligatoire s’est affirmé avec le temps: c’est la naissance de la
constitution coutumière.

Mais à partir du 18ème siècle cette forme d’organisation juridique a cédé la


place à une nouvelle forme codifiée. Le premier essaie a été effectué aux Etats-Unis
d’Amérique en 1776 et s’est soldé par la rédaction de la constitution fédérale des
Etats-Unis en 1787. Cette technique a séduit d’autre pays dont la France qui a
établit sa première constitution en 1791 suivie la même année par la Pologne puis
par la Suède en 1809 et l’Espagne en 1812. Ce modèle s’est imposé comme
référence à partir du 20ème siècle et son adoption fut totale après l’accession des
pays colonisés à l’indépendance.
Il en résulte désormais que l'organisation de l’Etat moderne repose sur
l’existence de règles juridiques fixant les agissements du pouvoir politique.
Initialement, la volonté d’encadrer juridiquement le pouvoir politique a correspondu
au souci d’éviter l’arbitraire monarchique. Le constitutionnalisme s'efforçait
justement, en fixant dans des textes écrits les règles d’organisation politique,
d’éviter les interprétations abusives et le despotisme.

A partir de là, une constitution peut se définir de deux manières différentes:

- D’une manière matérielle qui fait d’elle l’ensemble des règles relatives à la
dévolution et à l’exercice du pouvoir. C’est à dire l’ensemble des règles concernant
l’organisation des pouvoirs publics, leurs attributions, leur fonctionnement et les
rapports entre eux. Autrement dit, la constitution détermine :
- la nature de l’Etat (simple ou composé),
- la nature du système politique monarchique ou républicain),
- la nature du régime (présidentiel ou parlementaire)
- et organise les relations entre les pouvoirs publics
- et veille au respect des droits et des libertés des personnes.

- D’une manière formelle qui la présente comme un texte auquel les citoyens ont
voulu donner une place prééminente au sein du dispositif juridique. Ce texte est
supérieur aux autres normes juridiques. Cette suprématie apparaît à travers la
procédure d’établissement et de révision de la constitution. Des techniques
complexes d’élaboration et de révision rendent la constitution durable et empêchent
qu’elle soit facilement modifiée. La norme constitutionnelle apparaît ainsi comme
privilégiée et protégée. Il va sans dire que cette protection et ce privilège n’existent
que dans les pays dit à constitution rigide. Pour être rigide une constitution prévoit
une procédure lourde et complexe pour sa révision. Il en résulte ainsi une
différenciation entre le pouvoir législatif et le pouvoir constituant, le premier étant
subordonné au second. Juridiquement la rigidité de la constitution marque bien sa
supériorité sur la loi et impose comme condition à toute production législative la
conformité à ses prescriptions. Par contre, si on peut modifier la constitution selon
les formes et les procédures de la loi ordinaire on est en présence d’une constitution
souple. Dans ces conditions la supériorité de la loi constitutionnelle sur la loi
ordinaire ne débouche sur aucune conséquence juridique. On peut citer à titre
d’exemple le cas de la Grande-Bretagne ou le parlement peut tout faire dans la
mesure où il représente la source suprême du droit.
A. Les différents types de constitution

La doctrine distingue deux formes de constitutions: la constitution coutumière


et la constitution écrite.

A.1. La constitution coutumière

Ce type de constitution a régit le monde jusqu’à la fin du 18ème siècle. En


effet, jusqu’à cette date toutes les constitutions étatiques étaient issues de la
coutume, c’est à dire des usages et des pratiques répétitives des peuples. L’Etat était
donc régi par des règles fondamentales non écrites. Des règles engendrées par la
pratique de traditions et de principes respectés pendant des générations et qui se
sont transformées en obligations. L’aspect non codifié des règles coutumières
engendre une imprécision quant à la durée et au contenu de ces règles. On ne sait
jamais très exactement quand elles entrent en vigueur ni quand elles tombent en
désuétude. C’est ce côté imprécis qui a fait que la majorité des Etats modernes ont
opté pour la constitution écrite. Mis à part la Grande-Bretagne dont le poids
historique des pratiques institutionnelles a encré le respect des traditions dans la
gestion de l’Etat, peu de pays pratiquent encore la constitution coutumière. On peut
citer à titre d’exemple: l’Arabie Saoudite et le Sultanat d’Oman. Toutefois, il faut
noter que malgré l’aspect coutumier de la constitution, ces pays ont souvent recours
à l’écrit pour ce qui concerne certains aspects de leur vie politique quotidienne. Il
n’existe plus donc de constitution coutumière à l’état pur dans le sens ou les
constitutions des pays précédemment cités comportent plusieurs règles écrites.

A.2. La constitution écrite

La définition de cette forme de constitution réside amplement dans sa


dénomination. Cela veut dire que la constitution est représentée dans un texte écrit
comportant des dispositions concernant la dévolution et l’exercice du pouvoir. Il
s’agit d’un document rédigé «unique ou fragmenté», souvent précédé d’un
préambule ou d’une déclaration des droits. L’origine de ce procédé remonte à la
révolution américaine où les pères fondateurs des Etats-Unis ont essayé de mettre
en oeuvre un mécanisme qui permet de juguler le pouvoir. C’est ainsi que les
premières constitutions écrites modernes furent adoptées en Amérique (Virginie en
1776, articles de la confédération 1777, constitution fédérale en 1787), puis en
Europe (Pologne, France 1791), dans le cadre du mouvement constitutionnaliste.
Pour beaucoup de spécialistes cette méthode présente des avantages certains pour
le citoyen. Elle a tout d’abord une valeur pédagogique puisqu’elle apprend au
citoyen la jouissance de ses droits et le respect de ceux d’autrui. Elle préserve de
l’erreur et donne des garanties contre l’arbitraire dans la mesure ou elle donne plus
de solennité et de précision aux règles constitutionnelles. La constitution écrite
apparaît ainsi comme un rempart contre les abus. En effet, un texte écrit, claire et
systématique constitue un moyen d’éducation politique du citoyen et lui permet de
connaître ses droits et surtout de les défendre le cas échéant.

Enfin le caractère écrit donne aussi d’autres garanties touchant à la procédure


d’élaboration et de révision de la constitution. Avec une constitution écrite, les
citoyens sont assurés d’une certaine stabilité des règles constitutionnelles et surtout
de l’impossibilité pour les gouvernants de les changer à leur gré.

B. L’objet de la constitution

L’établissement d’une constitution traduit généralement une volonté de


rationalisation du pouvoir. Cette volonté se manifeste dans les textes consacrés à
l’aménagement de l’espace politique et à travers la consécration des droits et des
libertés des citoyens.

B.1. L’aménagement de l’espace politique

La constitution se présente comme une barrière contre l’arbitraire du pouvoir.


De ce fait, elle est souvent définie comme un ensemble de règles juridiques qui
organisent le pouvoir et qui s’imposent à lui. Ces règles concernent la prise du
pouvoir ainsi que son exercice. Elles organisent la compétition entre les postulants
et fixent les conditions de participation. Elles imposent la participation des citoyens
dans le choix des détenteurs du pouvoir en leur accordant la possibilité de les
contraindre à respecter les règles voire de les changer lorsque la communauté
estime qu’ils sont dans l’erreur et de les sanctionner s’ils abusent des fonctions qui
leur sont confiées. Elles définissent également la forme de l’Etat, les organes du
pouvoir et précisent leurs attributions et leurs rapports.

Ces règles d’organisation et de fonctionnement des institutions forment le


noyau dur de la constitution. Ces dispositions concernent la désignation du chef de
l’Etat, la désignation des gouvernants, l’élection des députés, la création d’une
haute autorité pour veiller au respect des règles constitutionnelles et la procédure
concernant la révision de celles-ci.

Depuis 1990, la constitution garantie également le pluralisme politique. En


effet, depuis la disparition de l’U.R.S.S et la libération de ses ex-satellites, le
pluralisme s’est imposé comme une valeur primordiale à laquelle toutes les
constitutions accordent une place de choix. C’est ainsi que la reconnaissance de
l’opposition et de l’alternance au pouvoir deviennent des principes fondamentaux
de toute organisation étatique moderne ( ex l’Article 10 de la constitution
marocaine). Le respect de l’opposition et les garanties accordées à son existence, à
ses activités et à sa vocation de devenir la majorité de demain, constituent un critère
fondamental des démocraties modernes.

B.2. La consécration des droits et des libertés des citoyens.

La plupart des constitutions actuelles s’ouvrent par une déclaration des droits
et libertés des citoyens ( ex le titre II de la constitution marocaine). Ces paragraphes
qui entendent renouveler l’esprit du contrat social sont le legs de la philosophie des
lumières et de la révolution française. De ce fait l’apparition de chaque nouvelle
constitution est interprétée comme le renouvellement de ce contrat. La constitution
apparaît alors comme un ensemble de règles auxquelles sont soumis les gouvernants
au même titre que les gouvernés. Le respect des droits et des libertés individuels
s’impose comme le principe élémentaire des rapports entre gouvernants et
gouvernés. La constitution apparaît donc comme la loi fondamentale de l’Etat, la loi
suprême au dessus de toutes les normes. Son rôle est de limiter le pouvoir en
garantissant les droits fondamentaux.

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