Droit Punition Ecole

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2019 | Analyse |# 375

Famille, Culture & Éducation | Axel Winkel

Droit et punition à l’école


: lien consultable dans l’Internet
Droit et punition à l’école 03

Introduction

Dans les prémices du Pacte pour un enseignement d’excellence, l’idée d’in-


terdire les punitions collectives était apparue. Pour le délégué général aux
droits de l’enfant, le principe de la punition collective est d’autant plus injuste
que cette dernière s’accompagne souvent d’un appel à la délation. Chez nos
voisins français, la punition collective a été interdite en 1999 après de longs
débats. Cette problématique questionne l’application du droit dans la vie quo-
tidienne des écoles. Plus précisément, les élèves à l’école sont-ils sujets de
droit ? En quoi, la non-application d’un certain nombre de principes fonda-
mentaux du droit peut-elle être contre-productive et source de violences ?
À l’inverse, en quoi l’application du droit peut-elle prévenir l’apparition de
cette même violence à l’école ? Comment instituer la « loi » plutôt que l’impo-
ser ? Quel rapport avec la démocratisation de l’école ?

I. L’indiscipline en question

Commençons par aborder les situations qui appellent justement l’invocation


du droit, soit : l’indiscipline. Quel état des lieux pouvons-nous en faire au-
jourd’hui ?
Une étude interuniversitaire de l’UCL et l’Université de Liège a montré que
les faits de violences graves sont plutôt rares de nos jours.1 La « violence »
à l’école est essentiellement constituée de « petites » incivilités (comme la
moquerie, l’insulte…) et le problème se situe plus au niveau de leur fréquence
et de leur répétition que de leur intensité. Si cela est usant pour le corps pro-
fessoral, il faut néanmoins souligner que le sentiment d’insécurité en milieu
scolaire touche davantage les élèves que l’équipe éducative. Dans les chiffres
20 % des professeurs se disent victimes de moqueries, 15 % de rumeurs
et 12 % de menaces.2 Du côté des élèves, 55 % se disent victimes de mo-
queries, et plus de 30 % de rumeurs. Ces moqueries ou rumeurs émanent

1
B. Galand,P. Philippot, S. Petit, M. Born, G. Buidin, « Regards croisés sur les phé-
nomènes de violence en milieu scolaire : élèves et équipes éducatives », Revue
des sciences de l’éducation, XXX, 3, 2004, p. 465-486.
2
Ibid., p. 477.
04 Famille, Culture & Éducation

des autres élèves mais aussi des professeurs. Par ailleurs, 28 % des élèves
se plaignent de coups, 25 % de vol, 20 % de vandalisme ou encore 15 %
de racisme, plaintes inexistantes ou complètement anecdotiques du côté
de l’équipe éducative.3 Cela signifie qu’à l’école, les premières victimes sont
d’abord les élèves. L’école apparaît comme un milieu extrêmement anxiogène,
ce qui n’est bien évidemment pas positif dans un processus éducatif.
S’ils n’en sont pas les premières victimes et si les faits de violences graves à
leur encontre demeurent heureusement plutôt rares, les professeurs sont mal-
gré tout aussi usés par le caractère répétitif des incivilités. On ne peut le nier.
Le fait notamment que près de 40 % des jeunes professeurs arrêtent le métier
dans les cinq premières années de pratique interpelle. Le risque étant aus-
si que les enseignants finissent par verser dans une pédagogie cachée qui
n’a plus pour but la transmission de savoirs mais tout simplement la survie.
Ces stratégies développées dans l’urgence seraient aujourd’hui une compo-
sante essentielle du métier et le fruit des conditions difficiles d’enseignement
(nombre d’élèves par classe, enseignement de masse), mais aussi l’effet d’une
crise de l’autorité enseignante.4

II. Une crise de l’autorité, mais quelle autorité ?

Cependant, quand on parle de perte d’autorité, il conviendrait d’expliciter de


quelle autorité on parle. Comme on le sait, Weber en a distingué trois formes
ou plutôt différencie trois sources différentes de légitimité de l’autorité.
Elle peut être traditionnelle, charismatique ou rationnelle-légale. Nos sociétés
modernes, industrielles seraient marquées par le glissement d’une autorité
traditionnelle à une autorité rationnelle-légale. Dans ce cas de figure, l’au-
torité est légitime tout simplement parce qu’elle provient de textes légaux.
Mon autorité est justifiée par loi et par mon propre respect de la loi. Ainsi,
l’obéissance suscitée est impersonnelle et objective. Au contraire de l’auto-
rité traditionnelle (fondée sur le caractère sacré et indiscutable de la tradition)
et charismatique (fondée sur les talents du chef) qui impliquent une obéis-
sance personnelle et subjective.

3
B. Galand,P. Philippot, S. Petit, M. Born, G. Buidin, op. cit.
4
R. Hess,G. Weigand, La relation pédagogique, Paris : Armand Colin, 1994, p. 82.
Droit et punition à l’école 05

Bien que ces trois types d’autorité se mélangent et se superposent en fonction


des cas étudiés, nos sociétés sont donc marquées par la prédominance du
rationnel-légal. Si ce glissement est d’ordre sociétal, le monde scolaire n’est
pas resté à l’écart de ces évolutions sociales. À ce niveau, Édouard Clapa-
rède indique en 1919 « qu’une classe n’est en rien l’image d’une république
en miniature ; c’est au contraire, en petit, une monarchie absolue : d’un côté,
un maître, un régent à pouvoirs absolus, de l’autre, des sujets dont les désirs
personnels ou l’initiative sont restreints au minimum »5. Cette situation dé-
crite par Claparède n’est plus d’actualité aujourd’hui. On a peu à peu reconnu
aux élèves le droit d’exprimer leurs avis et opinions dans l’enceinte scolaire.
Les limites de ce que peut ou ne peut pas faire un professeur ont été affinées
et formalisées. On a évolué vers une figure rationnelle-légale.
C’est parce que nos sociétés et nos écoles ont avancé vers une prédominance
de l’autorité rationnelle-légale qu’il convient de s’intéresser au respect du
droit dans les classes. Le rationnel-légal est aujourd’hui la principale source de
légitimité de nos systèmes démocratiques. Il est donc naturel que les élèves
fassent de plus en plus appel au droit. Autrement dit, qu’ils évaluent la « léga-
lité » des décisions scolaires. Si on veut donc interroger l’autorité enseignante
d’aujourd’hui, il faut s’intéresser à la question du droit à l’école.

III. Le droit à l’école : une action éducative et préventive

Il convient tout d’abord de préciser le statut particulier de l’élève. En effet,


étant mineur, l’élève n’est pas un citoyen à part entière. Il n’est ainsi pas invité
à décider du futur politique de nos sociétés (pas de droit de vote). Dans de
nombreux domaines, il est sous la tutelle de ses parents et n’est pas entière-
ment libre de ses faits et gestes. Cela signifie-t-il pourtant qu’il est dénué de
droits ? Bien évidemment que non. Comme tous les autres pays du monde
(à l’exception notable des États-Unis), la Belgique est signataire de la Conven-
tion internationale des droits de l’enfant. Celle-ci a pour but de transposer les
droits de l’homme au cas particulier des enfants. De manière plus intéres-
sante, elle a fait passer les enfants du statut d’ « objets de droits » à celui de
« sujets de droits ». Cette convention leur reconnaît la liberté d’expression,
d’opinion, le droit à l’éducation, le droit à une protection contre la violence.

5
E. C laparede, L’éducation fonctionnelle, Paris : Delachaux et Nietslé, 1931, 263 p.
06 Famille, Culture & Éducation

Elle demande par ailleurs qu’on veille à ce que « la discipline scolaire soit ap-
pliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être
humain »6. Bien que « non citoyen », l’enfant – et par conséquent l’élève – n’est
donc pas dénué de droits. Au regard de cette convention, on peut se poser la
question de la légalité de la punition en milieu scolaire. Autrement dit, l’appli-
cation des punitions à l’encontre des élèves est-elle conforme au droit ?

1. Les punitions et la discipline :


la difficile application du droit à l’école

a. Punition et éducation : une relation amour-haine


Pour commencer, quel rapport existe-t-il finalement entre punition et édu-
cation ? Les deux concepts entretiennent une relation complexe et par-
fois ambiguë. Peut-on éduquer sans punir ? Peut-on punir en éduquant ?
Ces questions ont traversé l’histoire de l’enseignement. Leur apporter une
réponse claire est chose ardue. Depuis tout petit, il semble que l’on apprenne
avec la punition, la frustration. Cette punition n’est pas toujours l’œuvre d’un
agent extérieur. L’enfant qui se brûle en mettant sa main au-dessus du feu
est ainsi puni par la conséquence directe de son acte. Pas besoin d’un pro-
fesseur ou d’un parent, l’enfant apprend tout de suite. La punition paraît dans
ce cas comme un outil accompagnant parfois le processus d’apprentissage.
Mais cette consubstantialité apparente signifie-t-elle que toute punition est
justifiée si l’on veut « apprendre » ? La réponse est non. Le fouet et la férule ont
heureusement disparu de l’arsenal disciplinaire. Qu’apprend-on en recopiant
cinquante fois « Je n’arriverai plus en retard » ? La punition doit respecter des
objectifs de fond et de forme afin de faire sens.
Dans le contexte de l’école, et si l’on reprend les textes légaux, « pour qu’une
sanction soit éducative, elle doit être « juste, proportionnée à la transgres-
sion, adaptée à l’enfant et à la situation, cohérente, individuelle et non collec-
tive, explicitée, reliée clairement et directement à la transgression, appliquée
et non seulement annoncée, appliquée dans un délai assez court par rapport
à la transgression »7. Qu’en-est-il dans les faits ?
6
Convention relative aux droits de l’enfant, New York : Nations Unies, 20 no-
vembre 1989, A/44/49 (1989).
7
Règlement d’Ordre Intérieur (R0I) – Guide pratique, Circulaire 3974, Bruxelles :
Ministère de la Communauté française, 25 avril 2012, p 34.
Droit et punition à l’école 07

b. La punition collective : déconseillée mais appliquée


Attaquons-nous à cette fameuse punition collective qui a traversé les âges.
Bien que fortement déconseillée, elle reste largement répandue dans l’espace
scolaire belge. Face à des situations insolubles, un groupe incontrôlable,
quand on ne peut plus distinguer le « coupable de l’innocent », la punition
collective arrive à la rescousse. Elle est l’arme ultime. Elle permet même aux
forfaits les mieux déguisés de ne pas rester impunis (même si cela doit se
faire au détriment d’innocents). En tant que « possible », elle rappelle à chaque
instant à l’élève le pouvoir dont dispose l’enseignant. Elle doit ainsi renforcer
son autorité. Mais à quel prix ?
Le problème premier de la punition collective est qu’elle enfreint un principe
primordial du droit qui dit que nul ne peut être sanctionné pour un crime qu’il
n’a pas commis. En effet, en frappant à l’aveugle, c’est bien ce que fait la puni-
tion collective. Cette absence de distinction entre le coupable et l’innocent est
au cœur de cette mesure « éducative ». Ce faisant, la punition collective nous
rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. À ce niveau, pas besoin
de faire un dessin pour démontrer que cette mesure est et fut l’apanage des
régimes les moins démocratiques de notre planète. Même si les conséquences
sont incomparables, elle suit finalement le même principe que la politique des
otages sous l’Allemagne nazie. Personne n’oserait imaginer ou revendiquer
que notre justice fonctionne aujourd’hui selon ce principe. Que l’on condamne
un village à titre d’exemple au nom des prétendues « fautes » d’un de ses
membres. Qu’une entreprise renvoie toute une unité de production pour des
erreurs produites mais non-attribuables à un individu. Ces logiques ne ren-
voient à aucune notion reconnue de justice.
Il faut en outre noter que, même en cas de guerre, la punition collective est
interdite par l’article 33 de la Convention de Genève.
Aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction
qu’elle n’a pas commise personnellement. Les peines collectives,
de même que toute mesure d’intimidation ou de terrorisme,
sont interdites.8

8
Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre, Article 33, 12 août 1949.
08 Famille, Culture & Éducation

Autre problème, la menace de l’utilisation de la punition collective a souvent


pour but d’inciter à la délation.9 C’est ce qu’indique Bernard De Vos, délé-
gué général aux droits de l’enfant. À nouveau, cette incitation à la délation ne
semble pas correspondre à l’idée qu’on a d’une société démocratique.
Si de telles méthodes nous paraissent complètement inimaginables dans la
« vraie » vie, pourquoi seraient-elles tolérables à l’école ? Sous quels motifs ?
Quel est l’aspect éducatif de la punition collective ? Quelles valeurs inculque-
t-on aux enfants ? Enfin, quels citoyens entendons-nous former au travers
d’une telle pratique ? En tant qu’élève, ce qu’on en retire est que l’on peut à
tout moment être victime d’une punition tout en étant innocent, que la pré-
somption d’innocence n’existe justement pas et que la seule manière d’échap-
per à la punition est de dénoncer ses semblables. Si, comme l’indique le Décret
« Missions », l’objectif de l’école est de former « des citoyens responsables,
capables de contribuer au développement d’une société démocratique plura-
liste et solidaire »10, force est de souligner que l’idée même de délation entre
en contradiction avec cet objectif.
Mais posons les limites de la non-application de la punition collective. Ima-
ginons une situation où un élève aurait été à son insu victime d’un crachat.
Le professeur n’a rien vu, les élèves n’ont rien vu et personne ne se dénonce.
Physiquement parlant, seuls quelques élèves étaient en mesure d’effectuer ce
crachat. Que faire ? Ne pas punir car aucun élève ne se dénonce et qu’on n’a
aucune preuve ? Cette absence de punition n’est-elle pas encore plus grave
que l’injustice de la punition collective ? Pour l’élève fautif, cela lui apprend
l’impunité, alors même qu’il est dans un processus de recherche des limites.
Pour l’élève victime et les élèves spectateurs, cela attaquera la vision du pro-
fesseur figure du droit. Dans ce cas, la punition collective apparaît comme
un moindre mal. Son utilisation pour amener à la dénonciation du coupable,
même si cela passe par la délation, semble plus protectrice que destructrice.
La disparition de la punition collective charrie aussi son lot de questionne-
ments et de risques.

9
P. Bouillon, « Pacte d’excellence : les sanctions collectives seront bannies
à l’école », Le Soir, 8 février 2017, [en ligne :] https://plus.lesoir.be/81210/ar-
ticle/2017-02-08/pacte-dexcellence-les-sanctions-collectives-seront-bannies-
lecole, consulté le 3 mai 2019.
10
« Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de
l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre »,
Le Moniteur belge, 24 juillet 1997, p. 4.
Droit et punition à l’école 09

c. « Nul ne peut être juge et partie »


En parlant d’application du droit à l’école, pointons un autre problème de taille
et qui semble insurmontable. Ce principe est que « Nul ne peut être à la fois
juge et partie ». Or qu’est-ce qu’un professeur répondant dans sa classe à une
indiscipline par une punition ? L’enseignant est concrètement – et cela est ins-
titutionnalisé – à la fois juge et partie. Il est celui qui doit juger de l’infraction,
en déterminer la peine et en même temps celui qui a pu être victime de celle-ci
(même s’il n’est victime « que » de bruit par exemple).11 Quand bien même cet
état de fait est pratiquement très compliqué à dépasser, cela pose cependant
de graves problèmes.
L’école est-elle la seule institution à fonctionner ainsi ? Non, au sein de la
cellule familiale, le parent est aussi juge et partie. Pourtant personne n’imagi-
nerait réclamer l’intervention d’un tiers. On pourrait quand même avancer que
l’école n’est pas la famille. Qu’elle se doit de jouer le rôle d’intermédiaire entre
la société et la famille. Elle est un agent socialisateur permettant l’intégration
de l’enfant dans une société démocratique. De ce fait, elle ne peut fonctionner
selon les mêmes règles que la famille.

d. Des règles et procédures volatiles


Une autre problématique est la disparité des règles en fonction de l’école,
des professeurs et, pire, des sautes d’humeur.12 Ainsi, il n’y a que très peu
de constance dans les règles imposées d’un professeur à l’autre. Chaque
professeur dirige un petit royaume où s’y appliquent ses lois et sa justice.
Cela rend la prédictibilité très compliquée pour les élèves. De même, d’une
école à l’autre, d’une filière à l’autre, le degré de tolérance vis-à-vis de l’in-
discipline pourra changer du tout au tout. Ainsi, un acte qui sera puni d’une
simple retenue dans un établissement pourra mener à l’exclusion tempo-
raire ou définitive dans un autre. On pourrait revendiquer que dans notre
système judiciaire existe aussi une variabilité des punitions. Selon le jury,
le juge, le statut de l’accusé, les sanctions peuvent changer. Malgré tout,
il existe une certaine jurisprudence et les règles sont connues de tous. Or,

11
B. Defrance, « La construction de la loi à l’école », Conférence introductive au Fo-
rum Ecolo, Université de Liège, 11 mars 1995, [en ligne :] http://www2.ac-lyon.
fr/etab/ien/rhone/lyon8-2/IMG/pdf/construction_de_la_Loi_1995_B_Defrance.
pdf, consulté le 20 mai 2019.
12
B. Defrance, La violence à l’école, Paris : La Découverte, 2009, p. 29.
10 Famille, Culture & Éducation

à l’école, les punitions pourront varier chez un même professeur en fonc-


tion de son humeur. D’une classe à l’autre, d’une école à l’autre, d’un cours à
l’autre, les règles changent, ce qui porte atteinte au caractère juste de celles-ci.
Une règle étant juste si elle est universelle, c’est-à-dire si elle est la même
pour tous et s’applique de la même manière pour tous. Autrement, elle est
arbitraire.
Il est très rare de trouver dans les écoles un tableau clair : d’un côté,
une transgression, de l’autre, une punition. Le plus souvent, on retrouve
des listes de faits plus ou moins vagues pouvant faire l’objet de punitions.
Les punitions possibles sont alors nommées sans être exhaustives. On retrou-
vera par exemple « la liste qui suit cite les sanctions les plus communes »,
« à titre d’exemples »… Elles ne sont surtout presque jamais directement
et clairement reliées à un fait précis. Or l’article 94 du décret « Missions » stipule
que le « pouvoir organisateur est tenu de définir les sanctions disciplinaires
et de déterminer les modalités dans son règlement d’ordre intérieur »13.
Un autre problème est, que face aux sanctions disciplinaires courantes,
aucune forme de recours n’est prévue. Le décret « Missions » en son article
76 demande à ce que soit remis aux parents « le règlement d’ordre intérieur
comprenant notamment les indications relatives aux sanctions disciplinaires
et aux procédures de recours qui peuvent leur être opposées »14. On a beau
lire les ROI (règlement d’ordre intérieur qui sert de cadre pour la gestion de
la discipline dans l’école), ces procédures ne sont presque jamais décrites.
Il n’y a que le recours contre une exclusion définitive (mesure la plus radicale)
qui est détaillé.
Les exclusions définitives sont justement aussi une belle illustration de la vo-
latilité des règles. En 2018, on comptait 3 400 exclusions en Belgique.15 Il y
a vingt ans, on en était à 1 000. Ce chiffre a donc plus que triplé. La ministre
de l’Enseignement, Marie-Martine Schyns, aimerait qu’on puisse mieux enca-
drer ces procédures d’exclusion et les recours possibles. Légalement, l’exclu-
sion doit être une mesure de dernier recours faisant suite à des faits graves
et avérés. Cependant, on peut aussi exclure pour des « faits qui compro-
13
« Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de
l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre »,
Le Moniteur belge, 24 juillet 1997, p. 79
14
Ibid., p. 51
15
« Le nombre d’élèves exclus de leur école repart à la hausse », La Libre, 2 mars
2017, [en ligne :] https://www.lalibre.be/actu/belgique/le-nombre-d-eleves-ex-
clus-de-leur-ecole-repart-a-la-hausse-58b7257dcd709137c6081e8a, consul-
té le 29 avril 2019.
Droit et punition à l’école 11

mettent l’organisation ou la bonne marche de l’établissement »16. Cela laisse


bien évidemment la place à toute sorte d’interprétations et permettent à cer-
taines écoles de faire de « l’écrémage ». Les motifs d’exclusion varient ain-
si énormément, allant du vol au refus de l’autorité en passant par l’attitude
négative face au travail.17 Dans sept dossiers sur dix, l’exclusion se fait pour
des « incivilités ». On peut donc en conclure que, même pour la punition des
punitions, les procédures et règles ne sont pas claires.

2. Pourquoi instaurer le droit à l’école ?


Hegel à la rescousse

La transgression de ces principes fondamentaux du droit nous amène à inter-


roger Hegel, lequel, dans sa Propédeutique philosophique, faisait la distinc-
tion entre punition et vengeance. Selon Hegel, « il ne faut pas que l’acte de
réparation soit exercé par l’individu lésé ou par ceux qui dépendent de lui,
car, chez eux, la restauration du droit en son caractère universel se trouve
liée au caractère fortuit de la passion. La réparation ne peut être l’œuvre que
d’un tiers, à cet effet commis, qui ne fasse valoir et n’effectue que de l’univer-
sel. Dans cette mesure, elle est punition. »18 Le philosophe poursuit en indi-
quant que « la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire,
car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif.
Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constitue à son tour une
nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque,
inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances. »19 Pour Hegel, la punition
est donc une réponse raisonnée, universelle, qui est l’œuvre d’un tiers pour
ainsi mettre fin au conflit et permettre le retour à la paix sociale. À l’opposé,
la vengeance est une réponse guidée par la passion, donc irraisonnée et per-
sonnelle. Elle est l’œuvre de la partie lésée. Ce faisant, elle risque de créer

16
B. Loriers, L’exclusion scolaire définitive, début d’une spirale qui mène au dé-
crochage social ?, Bruxelles : Union francophone des Associations de Parents
de l’Enseignement catholique, « Analyse UFAPEC », n°04.16, mars 2016, [en
ligne :] http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2016/0416-Exclusion-scolaire.
pdf, consulté le 29 avril 2019.
17
Ibid.
18
G.W.F Hegel, Propédeutique philosophique (1809-1811), Paris : Éditions de
minuit, 1963, p. 45.
19
G.W.F Hegel, op. cit.
12 Famille, Culture & Éducation

un ressentiment chez l’objet de cette vengeance. Elle ne peut avoir comme


résultat qu’un cycle infini de violence, la vengeance entraînant la vengeance.
Nous voilà bien pris. Le fonctionnement même des punitions à l’école peut
ressembler à s’y méprendre à de la vengeance. Les punitions ne sont pas
universelles, variant en fonction de l’école, du professeur et de l’humeur.
Elles sont l’œuvre de la partie lésée qui se fait donc justice elle-même.
N’ayant pas la forme du droit, elles risquent d’être comprises comme une of-
fense par son destinataire (l’élève), d’entraîner ressentiment et de nouvelles
violences. Dans les faits et dans la classe, la forme du droit reste donc extrê-
mement troublée. Avec le type d’autorité prédominant aujourd’hui dans nos
sociétés, une telle situation ne peut que nuire à la légitimité et la crédibilité de
l’enseignant.
Dans un jeu de miroir, l’idée de retrouver un « paradis perdu » fait de respect
et d’obéissance – mais qui n’a jamais existé – en revenant à une discipline de
fer, correspond finalement à une volonté de retour à une autorité plus tra-
ditionnelle. Cette tentation risque d’aggraver la situation en troublant plus
encore l’autorité de l’enseignant aux yeux des élèves. Elle s’oppose aussi
complètement à la logique d’éducation citoyenne que l’on veut aujourd’hui
donner à l’école.
Ce débat fait écho à un mouvement plus large dans nos sociétés démocra-
tiques. En effet, face à une démocratie complexe, indisciplinée et parfois dé-
sordonnée, on voit émerger la volonté d’un retour au leader traditionnel ou
charismatique censé simplifier le débat et rétablir l’ordre. Or, si l’on ne veut
pas tomber dans un processus autoritaire, la seule solution semble justement
résider dans plus de démocratie, un approfondissement de celle-ci et donc
finalement plus d’autorité rationnelle-légale. C’est le prolongement du débat
en classe. La démocratisation de l’école est forcément synonyme de com-
plexification croissante, de désordre souvent, mais c’est le lot de la démocra-
tie. Comme disait Winston Churchill, « la démocratie est le pire des systèmes,
à l’exclusion de tous les autres ». En somme, il faudra toujours accepter les
frustrations du désordre démocratique ou choisir le chemin de l’ordre auto-
cratique.
Droit et punition à l’école 13

Conclusion

Dans une société où le rationnel-légal domine, et face à la répétition des


« incivilités », nous avons souligné l’importance du droit. Il est une piste plus
qu’intéressante afin de renforcer l’autorité enseignante et réduire le climat
anxiogène pour les élèves.
En effet, en établissant plus clairement et universellement le cadre légal à
respecter pour tout un chacun, l’école devient un lieu moins imprévisible.
Ce faisant, il en devient moins anxiogène. Des règles claires et universelles
laissent moins la place au coup de sang et à la disproportion qui est d’ailleurs
pointée par les élèves comme étant le principal facteur d’injustice (50 % des
élèves jugent les punitions disproportionnées par rapport à la faute et 61 %
considèrent que certains élèves sont plus facilement punis que d’autres 20).
En réduisant les situations où les punitions apparaissent comme de la ven-
geance au lieu de punitions réparatrices, le niveau de violence symbolique
diminuera. L’aspect anxiogène de l’école pour les élèves s’en verra réduit à
l’avantage d’un recadrage sur le processus éducatif.
Dans cette même logique, l’idée d’interdire la punition collective initialement
proposée dans le Pacte pour un enseignement d’excellence apparaît comme
une piste intéressante. Bien qu’elle soit déjà déconseillée dans nombre de
textes légaux, son interdiction serait symboliquement signifiante. Il faudra
cependant pouvoir réfléchir à d’autres méthodes afin d’éviter un autre écueil
du droit : laisser un « crime » impuni.
Pour ce qui est de la question du professeur à la fois juge et partie, il paraît
plus compliqué, voire illusoire, d’y mettre fin. Cependant, il serait déjà utile que
l’enseignant garde bien en tête qu’il est parfois une victime se faisant justice.
L’enseignant peut alors mettre en place des garde-fous, autrement dit modu-
ler son comportement et sa réaction pour ne pas amoindrir « l’exemplarité »
de la punition. Dans des cas plus graves, il pourra également être utile de faire
appel à une médiation. Celle-ci permet clairement de mettre à distance cette
logique de juge et partie qui brouille le débat.
On remarque donc l’importance d’instituer le droit à l’école. Cela n’est pas
qu’un artifice esthétique, c’est un outil permettant d’apaiser les tensions.

20
N. Friant, E. Laloua, M. Demeuse, « Sentiments de justice des élèves de 15 ans en Europe »,
Éducation et Formation, 288, septembre 2008, p. 17-18.
14 Famille, Culture & Éducation

Nos devoirs découlant de nos droits, on ne peut exiger les premiers qu’en veil-
lant minutieusement au respect des seconds. Cela permet aussi de concilier
l’école avec l’objectif citoyen qui lui est aujourd’hui assigné. Une citoyenneté
construite au jour le jour dans le fonctionnement normal de l’école. Finale-
ment, en choisissant le droit à l’école, l’équipe éducative refuse la tentation
d’un retour à l’autorité traditionnelle ou charismatique pour contrer l’insécurité
présente. Ce faisant, elle réalise un véritable travail d’éducation à la justice et
à la démocratie.
**
Politologue de formation, Axel Winkel est enseignant et chercheur au
CPCP.
Droit et punition à l’école 15

Pour aller plus loin…

ശശ Bar P., Floor A., Sanction, punition, réparation : comment bien faire
respecter les règles ?, Bruxelles : Union des Fédérations des Asso-
ciations de Parents de l’Enseignement catholique, « Analyse UFA-
PEC », n°04-11, 2011, [en ligne :] http://www.ufapec.be/files/files/
analyses/2011/0411-punition-sanction.pdf.
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16 Famille, Culture & Éducation
Droit et punition à l’école 17
18 Famille, Culture & Éducation
Winkel Axel, Droit et punition à l’école, Bruxelles : CPCP, Analyse n° 375, 2019,
[en ligne :] http://www.cpcp.be/publications/droit-punition-ecole.

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Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.

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Avec le soutien du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles


La vie quotidienne d’une école est traversée par de nombreuses pro-
blématiques. L’indiscipline y occupe une place importante. La réponse
légale face à celle-ci est la punition. Les enseignants préfèrent sou-
vent ne pas trop s’attarder sur cette partie « tabou » de leur travail.
Il est pourtant sain et essentiel de s’interroger : comment punir dans
une école qui se doit de former chaque jour les citoyens de demain ?
Les punitions doivent-elles respecter les principes fondamentaux du
droit ? Affirmer l’inverse ne serait-il pas créateur de davantage de vio-
lences à l’école ? Dans une société où le rationnel-légal domine, face
à la répétition des « incivilités », le « respect du droit » est une piste
plus qu’intéressante pour renforcer l’autorité enseignante et réduire le
climat anxiogène pour les élèves.

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