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Réduction des endomorphismes

par Rached MNEIMNÉ


Maître de conférences à l’Université Paris VII, Denis-Diderot
Agrégé en mathématiques
Ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud

1. Manipulations premières sur la relation de similitude ................. AF 87 - 3


2. Valeurs propres. Polynôme caractéristique.
Polynôme minimal ................................................................................... — 4

3. La partition de M ( n, C ) par classes de similitude .......................... — 9


4. Suite des noyaux itérés. Tableaux de Young.................................... — 10
5. Matrices nilpotentes. Cône nilpotent ................................................ — 12
6. La jordanisation pour elle-même ......................................................... — 15
7. Familles particulières de matrices.
Les matrices de la classe δ .................................................................... — 15
8. Calcul de la dimension du commutant .............................................. — 16
9. Réduction simultanée ............................................................................. — 17
10. Autre point de vue sur la jordanisation.
La version K [X ] - modules .................................................................... — 18
11. Matrices de Hessenberg......................................................................... — 19
12. Le cas réel .................................................................................................. — 20
13. Similitude et congruence. Matrices symétriques réelles ............. — 22
14. Quelques exemples récapitulatifs....................................................... — 25
Références bibliographiques ........................................................................ — 26

’algèbre linéaire naît historiquement du besoin de fonder sur des bases


L solides l’étude des systèmes d’équations linéaires, mais, également, de
celui de saisir ce qui survit à la géométrie d’Euclide, une fois gommé l’effet des
translations, et, éventuellement, oubliée l’idée de distance. La réduction des
endomorphismes n’apparaît que plus tard, et c’est lors de l’examen des équa-
tions différentielles à singularités régulières (théorie de Fuchs) que C. Jordan
aborde la réduction qui portera son nom.
L’algèbre linéaire se développe petit à petit en une spécialité digne d’intérêt en
elle-même, et devient, au sens élémentaire du terme, la « science » qui s’occupe
de matrices ou encore d’espaces vectoriels et d’applications linéaires entre ces
espaces vectoriels. Les objectifs de base se réduisent, grosso modo, à l’examen
de quatre, voire cinq, principales relations d’équivalence définies entre matrices.
Il s’agit en fait :
— de la r-équivalence (A = PBQ) ;
— de la PG-équivalence (A = PB), qui fonde la première des sources histori-
ques évoquées ci-dessus (PG comme pivot de Gauss) ;
— de la similitude (A = PBP –1), qui est l’objet de notre étude ;
— de la congruence (A = PBtP).

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Une autre relation établit enfin certains liens entre similitude et congruence ;
elle est donnée par la similitude orthogonale

A = OBO –1 = OBtO.

Il va s’agir dès lors de chercher à dégager des critères d’appartenance ou de


non-appartenance à une classe d’équivalence donnée, à défaut de pouvoir tou-
jours donner une description explicite de ces classes. La présentation adoptée ici
fait libre usage du langage des groupes opérant, chaque classe étant une orbite
sous l’action du groupe adéquat à la situation.

■ Pour la similitude, deux aspects sont à prendre en compte.


Un aspect classique consiste, une fois choisie une matrice A d’ordre n à coef-
ficients dans le corps K , à trouver dans sa classe de similitude une matrice ayant
une forme simple (diagonale, quand c’est possible, ou, à défaut, tridiagonale ou
triangulaire, etc.), et l’on dit alors la réduire, puis trouver un élément du groupe
linéaire GL(n, K ) qui « transporte » A vers sa forme simple considérée, et l’on
parle alors de matrice de passage. Cela correspond, pour l’endomorphisme de
K n canoniquement associé à A, à un changement de base.
Le deuxième aspect, qui se développe actuellement aux côtés du premier,
consiste en l’examen, pour une matrice donnée A, de la géométrie de sa classe
de similitude regardée comme un tout, mais aussi de la géométrie de l’ensemble
de toutes les classes de similitude, c’est-à-dire l’espace des orbites.

■ L’étude de la réduction soulève de nombreux problèmes d’algorithmique


ou d’approximation, dus essentiellement au fait que le calcul des valeurs pro-
pres passe, dans un premier temps, par le calcul d’un déterminant à coefficients
polynomiaux (le polynôme caractéristique) et dans un second temps par le
« calcul » de ses racines. Des résolutions de systèmes linéaires et des inversions
de matrices sont également à prendre en considération. C’est la réduction des
endomorphismes « effective ».
Enfin, le chapitre de la réduction s’articule sur le chapitre de la réduction des
formes quadratiques (la relation de congruence pour les matrices symétriques).
C’est le problème de la réduction des opérateurs symétriques dans les espaces
euclidiens ou, plus généralement, des opérateurs normaux dans les espaces
hermitiens. Similitude et congruence dépendent différemment de la nature du
corps de base. La réduction des endomorphismes fait peu intervenir la nature du
corps (polynôme caractéristique scindé ou pas) alors que la congruence et les
résultats qui s’y rattachent dépendent énormément de l’arithmétique du corps.
On se contentera, sauf exception, de regarder la similitude dans les cas de R et
de C .

■ Quelques applications classiques, en physique ou ailleurs, de la similitude


devraient être ici évoquées. Les axes d’inertie d’un solide ou les états propres
d’un système de masses avec ressorts illustrent les idées subtiles de la théorie
mais ne sont pas des exemples fondamentaux d’application ; on se limitera en
fait à l’exemple des ressorts de Trubowitz. On laissera également de côté l’inter-
vention de la réduction dans la théorie de Fuchs. Enfin, on se doit d’indiquer que
l’étude des systèmes dynamiques et de la nature de leurs points d’équilibre
(pendule, circuit RLC, ressort avec frottements, etc.), étude qui se fait au niveau
du système linéaire associé, dépend largement de la réduction des endomor-
phismes et, notamment, des signes des parties réelles des valeurs propres de la
matrice associée.
Nota : on pourra se reporter en bibliographie aux références [7], [17] et [19].

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(e1,…en ), canoniquement associé à A. Si donc A = PBP –1, on a


1. Manipulations premières alors :
sur la relation de similitude Ker A = P (Ker B ) et ImA = P (I mB ).
Quand A et B sont PG-équivalentes, soit A = PB, on a
Ker A = Ker B ;
Définition 1. Deux matrices A et B à coefficients dans le
corps K sont dites semblables, et l’on écrit A ∼ B , s’il existe une d’ailleurs, la réciproque est vraie : les classes d’équivalence sous
matrice inversible P ∈ GL ( n, K ) telle que A = PBP –1. l’action de GL (n, K ) par translations à gauche sont paramétrées
par les sous-espaces vectoriels de K n .

La définition met déjà en évidence quelques propriétés essen-


tielles de la similitude, et une certaine prudence s’impose quand il
s’agit d’appliquer à la similitude des propriétés propres à la
1.3 Similitude et congruence
congruence ou à la PG-équivalence.
Remarquons, par ailleurs, que le caractère symétrique ou anti-
symétrique d’une matrice ne se conserve pas en général par simili-
1.1 Similitude et rang tude, comme c’est le cas avec la congruence, notée ≈ :
t t
( A ≈ B et A = ± A ) ⇒ B = ±B.
On remarque en premier lieu que deux matrices semblables sont
Il est facile par exemple de prouver (cf § 2.4) que la matrice
en particulier r-équivalentes, ou, ce qui revient au même, ont même
rang (le rang classifie les classes d’équivalences pour la r-équiva- 1 x est semblable, pour tout x, à une matrice (diagonale) symé-
lence des matrices) : 0 2
trique.
r
A∼B⇒A≡B. On démontre, plus généralement, que toute classe de similitude,
dans M ( n , C ) , contient une matrice symétrique ; par contre, sur
Par ailleurs, si A et B sont semblables, il en est de même de leurs R , on établit que pour qu’une classe de similitude contienne des
puissances : matrices symétriques, il faut et il suffit qu’elle contienne une matrice
diagonale (cf. § 13.7).
∀k ∈ N , A ∼ B ⇒ A k ∼ B k ,
et également, pour tout λ dans K , des matrices A – λ I et B – λ I, où 0 1 0
I désigne la matrice identité : Il est de même aisé de prouver que la matrice 0 0 1 est
0 0 0
∀λ ∈ K , A ∼ B ⇒ ( A – λ I ) ∼ ( B – λ I ) .
On peut dès lors énoncer le théorème suivant. 0 1 0
semblable à la matrice symétrique 1 0 i en même temps qu’à
0 i 0
Théorème 1 (Weyr). Soit K un corps algébriquement clos.
Deux matrices A et B à coefficients dans K sont semblables si,
0 –1 0
et seulement si, pour tout scalaire λ ∈ K et pour tout entier
k > 0 , on a : la matrice antisymétrique 1 0 –i (cf. § 4.4).
0 i 0
rg ( A – λ I ) k = rg ( B – λ I ) k .

Corollaire. Toute matrice A est semblable à sa transposée. 1.4 Fonctions polynomiales invariantes

a) La démonstration de ce théorème découle de la jordanisa- La fonction trace M ° Tr M et la fonction déterminant


tion, qui sera traitée dans le paragraphe 4. M ° det M sont invariantes par similitude ; il en est de même, par
b) Il s’avère que l’on peut conjuguer A et sa transposée au exemple, de M ° det M ⋅ Tr M 2 . Les fonctions invariantes, par défi-
moyen d’une matrice de passage symétrique, soit nition, sont constantes sur les orbites de GL ( n , K ) opérant par
similitude sur M ( n , K ) . On dispose ainsi d’un moyen pour établir
tA = SAS –1, que deux matrices ne sont pas semblables. L’algèbre des fonctions
polynomiales sur M ( n , R ) ou M ( n , C ) (c’est-à-dire des fonctions
et déduire de là par exemple que toute matrice complexe est qui dépendent polynomialement des coefficients des matrices
produit de deux matrices symétriques, soit considérées), qui sont invariantes par similitude, est une algèbre de
type fini et même une algèbre de polynômes (en n indéterminées).
A = (AS –1)S.

Théorème 2. L’algèbre des fonctions polynomiales sur


M ( n , C ) invariantes sous l’action par similitude de GL ( n , C )
1.2 Similitude et PG-équivalence est engendrée par les n fonctions polynomiales :

M ° Tr ( M i ) , où i ∈ [ 1, n ] .
Si A est une matrice d’ordre n à coefficients dans K , on note
encore A l’endomorphisme de K n , rapporté à sa base canonique Ces fonctions sont algébriquement indépendantes.

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ment identiques. L’existence et la détermination de ce que l’on


a) Notons que les fonctions polynomiales invariantes ne appelle les états purs du système (cas où les masses oscillent toutes
séparent pas dans ce cas les orbites (s’il est vrai que deux matri- avec la même fréquence, et qui sont en nombre fini), sont en fait
ces semblables ont même polynôme caractéristique, la récipro- intimement liées à l’existence et à l’étude des valeurs propres d’une
que est en général fausse - cf. § 3.3). matrice naturellement associée au système (cf. § 14.4).
b) Le théorème implique que le déterminant s’exprime poly-
nomialement en fonction des traces des puissances k-ièmes. ■ Commençons par un premier constat. Pour une matrice A d’ordre
Pour une matrice 2 × 2 , on a : n, le rang de A – λ I est un entier qui ne dépend que de la classe de
similitude de A et qui a la propriété remarquable d’être constam-
2 det A = (Tr A )2 – Tr A2. ment égal à n sauf pour un nombre fini de scalaires.
Pour une matrice 3 × 3 , on a : ■ Dans la classe de similitude d’une matrice complexe A, il y a tou-
jours des matrices triangulaires. Le fait que toutes ces matrices
6 det A = (Tr A )3 – 3(Tr A)(Tr A2) + 2Tr A3. triangulaires ont mêmes coefficients diagonaux (à une permutation
près) ne peut passer inaperçu.
Si deux matrices triangulaires A et B sont semblables, le produit
respectif de leurs termes diagonaux n’est autre que l’invariant
1.5 Commutant d’une matrice donné par le déterminant commun à toutes les matrices semblables
et matrices de changement de base à A ou B, mais ces coefficients se lisent également dans
le (polynôme) déterminant commun aux deux matrices A – X I et
B – X I qui sont encore semblables, comme racines de ce polynôme.
Supposons les matrices carrées A et B, d’ordre n, semblables. Les ■ Étant donné une matrice A, la considération de sous-espaces
matrices qui conjuguent A et B s’obtiennent toutes en fonction de vectoriels (maximaux et non nuls) de K n sur lesquels l’opérateur
l’une d’elles et du groupe des matrices (inversibles) qui commutent linéaire associé à A agit par une homothétie nous fait découvrir la
avec l’une d’elles. De façon plus précise, soit : notion de sous-espace propre. Le fait remarquable est que ces sous-
Z M = { X ∈ GL ( n, K ), MX = XM } , espaces (qui existent dès lors que l’on se place dans C ) sont en
situation de somme directe. Ils sont donc en nombre fini. Les som-
le groupe ZM est alors égal au stabilisateur de M sous l’action de mes directes ainsi associées aux deux matrices semblables A et
GL ( n, K ) opérant par similitude (on dit également parfois «par B = P AP –1 s’appliqueront l’une sur l’autre par l’action de l’opéra-
conjugaison») sur M ( n, K ) . teur P.
Il est facile de voir que si A et B sont semblables, soit A = PBP –1,
les sous-groupes ZA et ZB sont conjugués, c’est-à-dire que
■ La série entière ∑ ( Tr A k ) t k a un rayon de convergence RA non
k
Z A = P Z B P –1 . nul et se prolonge en une fonction méromorphe sur C dont les
pôles, en nombre fini, sont donnés par les inverses des valeurs pro-
Si, de plus, la matrice inversible P0 conjugue A en B, alors toutes pres. Le nombre ρ (A ) = 1/RA n’est autre que le plus grand des
celles qui le font aussi sont obtenues en multipliant P0 à droite par modules de ces valeurs propres.
une matrice de ZA (ou bien à gauche par une matrice de ZB ).
Le calcul des résidus en ces pôles apporte de l’information sur la
classe de similitude de A [4].
a) Le groupe Z (M ) apparaît également comme le groupe des
éléments inversibles de l’algèbre z ( M ) (de dimension finie)
des matrices qui commutent avec M.
Le groupe Z (M ) est désigné souvent comme le centralisateur 2.2 Valeur, vecteur
de M et l’algèbre z ( M ) comme le commutant de M. et sous-espace propres
b) Les matrices dont la classe de similitude est réduite à un
point sont exactement les matrices scalaires.
On donne dans ce paragraphe les définitions usuelles de valeur
propre et de vecteur propre, et l’on s’étendra plus longuement sur
l’idée de sous-espace propre.

2. Valeurs propres. Définition 2. Un sous-espace F de E = K n est dit stable sous


Polynôme caractéristique. l’action de f ∈ End ( E ) si f ( F ) ⊂ F . L’application f définit par
restriction un endomorphisme de F appelé l’endomorphisme
Polynôme minimal induit par f sur le sous-espace stable F.

La trigonalisation d’un endomorphisme, comme son éventuelle


diagonalisation, est intimement liée à l’examen de ses sous-espaces
2.1 Généralités stables : un endomorphisme f d’un espace E de dimension n est
trigonalisable s’il existe une base dans laquelle sa matrice est trigo-
nale. Cela s’exprime aussi par l’existence d’une filtration, ou
L’existence d’une famille finie de scalaires (il s’agit ici des valeurs drapeau, (c’est-à-dire d’une famille de sous-espaces)
propres) associés à une matrice, ou plus précisément à sa classe de
similitude, est un phénomène remarquable. On l’abordera mathé- { 0 } ⊂ F1 ⊂ F2 ⊂ … ⊂ Fk
matiquement de plusieurs points de vue. Ce phénomène se mani-
feste ou se laisse voir également dans certaines situations maximale (c’est-à-dire formée de k = n sous-espaces distincts)
physiques. Un exemple facile à traiter est donné par les ressorts de stable par f :
Trubowitz : il s’agit de l’étude du mouvement de n masses identi-
ques, mobiles sur un rail circulaire et reliées par des ressorts égale- pour tout i , f ( F i ) ⊂ F i .

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De même, les endomorphismes réels, diagonalisables sur C (on Proposition 1.


parle alors d’endomorphismes semi-simples), sont caractérisés par Soit n sous-espaces vectoriels F1, …, Fn. Les propriétés suivantes
le fait que tout sous-espace stable par un tel endomorphisme admet sont équivalentes.
un supplémentaire stable.
a) Les sous-espaces Fi sont en somme directe.
b) La dimension de F1 + … + Fn est égale à la somme des dimen-
Définition 3. Soit f ∈ End ( E ) . Quand l’endomorphisme f sions des Fi .
admet une droite stable (ou droite propre), il y induit, par restric-
tion, une homothétie de rapport λ ∈ K . c) Si ∑ i xi = 0 , où xi est dans Fi pour tout i, alors les xi sont tous
nuls.
Le scalaire λ ainsi obtenu est appelé une valeur propre de f.
d) Il existe un gonflement des sous-espaces Fi en des sous-
L’ensemble des valeurs propres de f dans K s’appelle le spec-
espaces Gi (c’est-à-dire que, pour tout i, F i ⊂ G i ) tel que E soit
tre de f.
somme directe des sous-espaces Gi.
e) Les sous-espaces Fi sont les sous-espaces propres d’un endo-
a) L’étude de l’ensemble des droites stables par un endomor- morphisme de E.
phisme f est liée à la notion de sous-espaces en somme directe
(cf. proposition 1 dans le paragraphe 2.3)
b) Génériquement, en f ∈ End ( E ) , où dim C E = n , il existe a) Les valeurs propres sont en nombre fini.
un nombre fini (égal à n) de droites propres. Si un endomor- b) Les droites propres dessinent ensemble la réunion des
phisme en a strictement plus que n, il en a une infinité. En sous-espaces propres ; cela précise la géométrie des droites
dimension 2, l’existence de trois droites stables distinctes impli- propres.
que que les valeurs propres qui leur sont associées sont égales, c) Un hyperplan stable par f est appelé hyperplan propre.
auquel cas, toute droite de ce plan est stable. Dans le cas géné- Pour décrire la géométrie des hyperplans propres, on regarde
ral, la réunion de toutes les droites stables où f agit avec le dans le dual E * les sous-espaces propres de tf. Les hyperplans
même scalaire λ est un sous-espace vectoriel, qui n’est autre cherchés sont les hyperplans qui passent par les orthogonaux
d’ailleurs que le noyau de f – λI. Ce sous-espace, non nul lors- dans E de ces sous-espaces propres.
que λ est valeur propre, est noté Ef (λ) et appelé sous-espace
propre associé à la valeur propre λ.

Définition 4. On dit que v est un vecteur propre de f s’il est


2.4 Matrices diagonalisables
non nul et si la droite D = K v qu’il engendre est stable par f.
On dit que v est un vecteur propre associé à λ, si v est un vec-
teur non nul de Ker f – λI : il est alors vecteur propre de f. De
Définition 6.
plus, un scalaire λ est une valeur propre si, et seulement si, il
existe un vecteur propre v tel que f (v) = λv. a) Si la classe de similitude d’une matrice A contient au moins
une matrice diagonale, on dit que la matrice A est diagonalisa-
ble. Le nombre des matrices diagonales d’une même classe de
similitude est fini.
b) Un endomorphisme f est dit diagonalisable lorsque sa
2.3 Sous-espaces en somme directe matrice dans une base l’est. Pour qu’il en soit ainsi, il faut et il
et sous-espaces propres suffit que l’espace E soit somme directe des sous-espaces pro-
pres de f.

Définition 5.
a) On dit que deux sous-espaces F1 et F2 sont en somme a) Une matrice A ∈ M (n , K ) qui a, dans K , n valeurs propres
directe (ou encore transverses) si leur intersection est réduite à distinctes est diagonalisable.
{0}. Le sous-espace somme, autrement dit le sous-espace qu’ils b) Une fois acquise l’existence de valeurs propres (cf. § 2.5), il
engendrent, est noté alors est facile d’établir qu’un endomorphisme u de E = C n est dia-
gonalisable si, et seulement si, tout sous-espace vectoriel stable
F1 ⊕ F2 . par u admet un supplémentaire stable (on considérera un sup-
plémentaire stable de la somme de tous les sous-espaces pro-
b) On dit que l’espace E est somme directe des sous-espaces pres).
F1 et F2 si
E = F1 ⊕ F2 .
Quand un endomorphisme f ∈ End ( E ) , où E est de dimension
c) On dit que trois sous-espaces sont en somme directe si F1 finie, est donné sur un corps algébriquement clos, il existe un
est transverse à F2 et que F3 est transverse à la somme directe gonflement privilégié de ses sous-espaces propres en une somme
F 1 ⊕ F 2 . Cette propriété ne dépend pas de l’ordre avec lequel on directe de l’espace E ; il s’agit des sous-espaces caractéristiques.
procède. On note alors F 1 ⊕ F 2 ⊕ F 3 le sous-espace F1 + F2 + F3
qu’ils engendrent. On dit que E est somme directe des sous-
espaces Fi si Définition 7. Pour λ ∈ K , valeur propre de l’endomorphisme
f, le sous-espace vectoriel formé des vecteurs annulés par l’une
E = F1 ⊕ F2 ⊕ F3 . ou l’autre des puissances de f – λ Id est appelé le sous-espace
caractéristique associé à la valeur propre λ et est noté Ff (λ).
La restriction de f à F = Ff (λ) s’écrit λ IdF + z, où une puissance
Ces définitions se généralisent aisément au cas de n sous-espaces de l’endomorphisme z est nulle (invoquer la dimension finie),
vectoriels. c’est-à-dire que z est nilpotent.

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On a ainsi (théorème spectral) :


a) Lorsque K est algébriquement clos, le déterminant d’une
E = Ff ( λ1 ) ⊕ … ⊕ Ff ( λk ) , matrice est bien le produit des valeurs propres.
b) Le polynôme caractéristique χ A (X ) ne dépend que de la
et par suite aussi un système complet privilégié d’idempotents classe de similitude de A. Plus généralement, les matrices AB et
orthogonaux donné par les projections pi sur chaque facteur paral- BA ont même polynôme caractéristique et donc mêmes valeurs
lèlement à la somme des autres : propres.
p i p j = δ ij p i et 1 = p 1 + … + p k . c) Le théorème de Sourour : aucun lien ne semble par contre
exister entre les polynômes caractéristiques de deux matrices et
On établira que ces idempotents, notés pi (f ), appartiennent à celui de leur produit, autre que celui donné par la multiplicati-
l’algèbre K [ f ] des polynômes en f. vité du déterminant, qui y apparaît comme le terme constant.
En effet, si α1 , …, αn sont les valeurs propres de A, et si
L’endomorphisme s de E dont les sous-espaces propres coïnci-
β1 , …, βn et γ1 , …, γn sont deux familles quelconques de scalai-
dent avec les sous-espaces caractéristiques de f, et qui vaut λi sur
res, l’existence de deux matrices B et C ayant les βi et les γi res-
Ff (λi ) pour tout i, s’appelle la composante semi-simple de f.
pectivement pour valeurs propres et telles que A = BC équivaut
Il s’avère que s = ∑ i λi p i commute avec f et que n = f – s est à l’égalité du produit des βi et de celui des γi.
nilpotent, c’est-à-dire qu’une puissance de n est nulle.
L’écriture f = s + n s’appelle la décomposition de Jordan de f ou
encore la décomposition de Dunford de f.
Le fait que s soit diagonalisable dans C , que n soit nilpotent et 2.5.2 Matrices trigonalisables
que sn = ns caractérise les composantes semi-simple et nilpotente
de f.
Théorème 3. Sur un corps algébriquement clos, comme C ,
a) Les vecteurs de Ff (λ) sont appelés parfois vecteurs propres toute matrice est trigonalisable.
généralisés de f associés à la valeur propre λ.
b) Le sous-espace caractéristique Ff (λ) apparaît ici comme la
réunion croissante des noyaux itérés Ker(f – λI )k, avec k ∈ N . Preuve. ◊ Soit λ une valeur propre de l’endomorphisme f cano-
niquement associé à la matrice considérée. Tout hyperplan conte-
nant l’image de f – λId est stable par f – λId, donc par f.
En recommençant avec un tel hyperplan et une valeur propre de
2.5 Polynôme caractéristique la restriction de f à cet hyperplan, et ainsi de suite, on exhibe un
drapeau maximal stable par f. ◊
L’existence de valeurs propres et de vecteurs propres n’est pas en Si l’on dispose d’un drapeau stable par un endomorphisme f, la
général garantie : il s’avère en effet que pour que tout endomor- matrice de f dans une base adaptée à ce drapeau est une matrice
phisme de tout espace E ≠ { 0 } sur K ait une droite stable, il faut et triangulaire en blocs. Le polynôme caractéristique de f est, d’après
il suffit que le corps de base K soit algébriquement clos. une propriété bien classique du déterminant, le produit des poly-
nômes caractéristiques des blocs diagonaux. Il est facile à partir de
là de démontrer que pour qu’une matrice à coefficients dans un
2.5.1 Généralités corps K soit trigonalisable sur K , il faut et il suffit que son poly-
nôme caractéristique soit scindé sur K .

Définition 8. Si A est une matrice d’ordre n à coefficients


dans K , les valeurs propres et les vecteurs propres de l’endo-
morphisme canoniquement associé à A sont appelés les valeurs a) Si P = p m X m+ … + p 1 X + p 0 ∈ C [ X ] , on note P (A) la
propres et les vecteurs propres de la matrice A. Le polynôme matrice pm Am + … +p1A + p0 I.
unitaire de degré n défini par Les valeurs propres de P (A) sont exactement les P(λ), pour λ
parcourant le spectre de A (trigonaliser). En particulier, pour
χ A ( X ) = ( – 1 ) n det ( A – X I n )
P = χA(X ), on constate que χA(A ) est nilpotente ; en fait, le théo-
est appelé le polynôme caractéristique de A. Le (– 1)n est parfois rème de Cayley-Hamilton (cf.§ 2.6) dit que χA(A ) est nulle.
omis ; il vise ici à rendre le polynôme χ A normalisé. b) Une matrice nilpotente N a ses valeurs propres nulles. Si
maintenant N ∈ M ( n, K ) a toutes ses valeurs propres nulles,
Les racines dans K du polynôme caractéristique sont les valeurs elle est semblable à une matrice triangulaire supérieure stricte
propres de A. De plus, le polynôme (unitaire) : T ; on a clairement T n = 0, il en est donc de même de N.

P = X n – a n – 1 X n – 1 – … – a0
(de degré n) est polynôme caractéristique de sa matrice compagnon
CP définie comme la matrice ayant des 1 sur sa sous-diagonale, les 2.5.3 Coefficients du polynôme caractéristique
ai sur sa dernière colonne et des zéros partout ailleurs, soit :

0 0 … 0 a0 Le calcul effectif du polynôme caractéristique donne lieu à diffé-


rentes méthodes en calcul numérique, que nous ne traitons pas ici.
1 0 … 0 a1
Pour une matrice 2 × 2 , on a :
CP = ..
0 1 . : :
.. ..
: . . 0 an – 2
χ A ( X ) = det a – X b = X 2 – Tr ( A ) X + det A .
0 … 0 1 an – 1 c d–X

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2.6 Théorème de Cayley-Hamilton


a b c
Pour une matrice A = d e f , on a :
g h k Théorème 5 (Cayley--Hamilton). Le polynôme caractéristi-
que de A annule A.
χA(X ) = X 3 – Tr (A)X 2 + [(ae – bd ) + (ak – cg) + (ek – fh)]X – det A.
Plus généralement, le coefficient de X k est égal, au signe (–1)n – k Preuve. ◊ Si λ1 est une valeur propre de A et H un hyperplan
près, à la trace de la puissance extérieure Λk(A) de A, ou encore à la contenant l’image de A – λ1I, la restriction de A à H a les mêmes
somme des mineurs principaux d’ordre k. C’est aussi la fonction valeurs propres que A, la valeur propre λ1 en moins.
symétrique (n – k )-ième des racines de χA(X ), c’est-à-dire des
En répétant l’opération, il est facile d’établir que le rang de
valeurs propres. Ainsi, la trace est la somme des valeurs propres et
le déterminant leur produit. (A – λ1 I ) (A – λ2 I ) … (A – λi I )

est inférieur ou égal à n – i. ◊


2.5.4 Multiplicités d’une valeur propre
Si toutes les valeurs propres de A ∈ M ( n , K ) sont nulles, le
Définition 9. La multiplicité d’une valeur propre λ en tant que polynôme caractéristique est donc égal à X n. Le théorème de
racine du polynôme caractéristique de A est appelée sa multipli- Cayley-Hamilton nous permet donc de retrouver le fait que la
cité algébrique et est notée ma(λ). matrice A est nilpotente et vérifie An = 0.
La dimension du sous-espace propre EA(λ) est désignée
comme la multiplicité géométrique et est notée mg(λ).
Définition 10. L’ensemble des polynômes qui annulent A est
un idéal de l’anneau principal K [X ] . Le polynôme unitaire qui
Théorème 4. On a engendre cet idéal s’appelle le polynôme minimal de A et est
noté µA(X ). Il divise le polynôme caractéristique et son degré
ma (λ) = dim FA(λ) = Tr(pi (A)). qui est aussi la dimension de l’algèbre K [ A ] des polynômes en
A est donc < n .
On a donc toujours
mg ( λ ) < ma ( λ ) .
a) Soit A ∈ GL ( n, K ) . L’inverse A–1 de A est un polynôme
Si la matrice A a toutes ses racines dans K , alors elle est dia- en A. On peut en outre exprimer A–1 à l’aide de µA(X ) ou encore
gonalisable si, et seulement si, pour tout λ dans son spectre, de χA(X ), car alors le terme constant dans chacun de ces poly-
on a : nômes est non nul.
mg (λ) = ma (λ). b) Soit A = Diag(a1, …, an). Supposons les ai distincts. L’algè-
bre K [ A ] coïncide avec l’algèbre des matrices diagonales (on
pensera aux polynômes d’interpolation de Lagrange), et l’on a :
Preuve. ◊ Le polynôme caractéristique de la restriction de A au
sous-espace stable Eλ divise celui de A ; on en déduit l’inégalité : χ A (X ) = µ A (X ) = ∏ ( X – ai ) .
i
mg ( λ ) < ma ( λ ) .
c) Le polynôme minimal d’une matrice diagonale en blocs est
Si A est diagonalisable, l’espace est somme directe des sous- égal au PPCM des polynômes minimaux des blocs diagonaux.
espaces propres et l’on a donc :

n = ∑ mg ( λi ) .
i 2.7 Théorème spectral
Mais :
et autre point de vue
sur le théorème de Cayley-Hamilton
n = deg χ A ( X ) = ∑ ma ( λi ) .
i
Le théorème spectral peut s’établir de diverses manières. Nous
L’inégalité implique la condition nécessaire. La condition suffi- en indiquons deux. La première passe par l’examen des noyaux des
sante est facile. polynômes en A et l’autre par des considérations élémentaires sur
Reste la première assertion. La deuxième égalité résulte de ce que la structure de l’algèbre des polynômes en A et de ses idempotents.
le rang d’un projecteur est égal à sa trace (le diagonaliser). Par On utilisera dans l’une de façon franche l’identité de Bezout et on
ailleurs, le théorème spectral s’interprète en disant que la matrice A pourra éviter de le faire dans la suivante. Cependant, l’identité de
est semblable à une matrice B diagonale en blocs (les sous-espaces Bezout ou le théorème chinois, et leur pratique effective sont au
caractéristiques sont stables), et telle que chaque bloc est de la cœur de cette approche. On s’en sert pour calculer par exemple les
forme λ I + N où λ est la valeur propre correspondante et où N idempotents du théorème spectral mais aussi la décomposition de
nilpotent. Le calcul du polynôme caractéristique de B est alors facile Jordan explicite d’une matrice ou pour calculer une exponentielle,
et permet de conclure. ◊ etc.
Une fois acquis le théorème spectral, son interprétation matri-
cielle implique aisément le théorème de Cayley-Hamilton.
Si N est une matrice nilpotente d’ordre n, on a :
La matrice A est, en effet, semblable à une matrice diagonale en
χλ I + N (X ) = ( X – λ )n . blocs, avec au niveau du i-ième bloc, une matrice de la forme
λi I + Ni , où Ni est une matrice nilpotente dont l’indice de nilpotence

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est la multiplicité de λi dans le polynôme minimal ; on la note l’exemple suivant, où k = 3. L’endomorphisme P (A), où P vérifie le
mm(λi ). système de congruences
Le calcul du polynôme caractéristique indique que l’ordre des
matrices figurant dans le i-ième bloc est exactement la multiplicité P ≡ 0 mod ( X – λ 1 ) α 1
ma(λi ) de la valeur propre λi dans le polynôme caractéristique. Le
théorème de Cayley-Hamilton exprime simplement que la multipli- P ≡ 0 mod ( X – λ 2 ) α 2
cité mm(λ), qui est en fait > 1 , est < m a ( λ ) . Cela résulte de ce que P ≡ 0 mod ( X – λ 3 ) α 3
l’indice de nilpotence d’une matrice nilpotente quelconque N est
plus petit que son ordre, soit m : cela a été déjà constaté par une
s’annule sur Ker ( A – λ 1 I ) α 1 ⊕ Ker ( A – λ 3 I ) α 3 et vaut l’identité sur
trigonalisation, mais on peut aussi l’obtenir en remarquant que pour
Ker ( A – λ 2 I ) α 2 ; c’est donc le projecteur sur le deuxième facteur de
une matrice quelconque M d’ordre m opérant dans K m , la suite des
la somme directe
noyaux itérés
E = Ker ( A – λ 1 I ) α 1 ⊕ Ker ( A – λ 2 I ) α 2 ⊕ Ker ( A – λ 3 I ) α 3 ,
{ 0 } ⊂ Ker M ⊂ Ker M 2 ⊂ … ⊂ Ker M i ⊂ …
est strictement croissante avant d’être stationnaire. parallèlement à la somme des deux autres. Le théorème chinois
assure l’existence de P. Le calcul effectif de P (A) découle de la réso-
Si Ker Mm ≠ Ker Mm+ 1, toutes les inclusions précédentes sont lution effective du théorème chinois.
strictes et la dimension de Ker M i est supérieure ou égale à i pour
tout i, y compris i = m + 1, d’où contradiction. Applications
L’application de ce résultat dans le cas de N prouve que la suite a) Calcul de la partie semi-simple d’une matrice
des noyaux itérés de N stationne avant l’étape m ; or, elle stationne
en K m à l’étape donnée par son indice de nilpotence. On considère la matrice

a x z
Soit λ une valeur propre de M. On retient donc que la suite des
noyaux itérés M = 0 a y ,
0 0 b
{ 0 } ⊂ E M ( λ ) = Ker ( M – λ I ) ⊂ Ker ( M – λ I ) 2 ⊂ … ⊂ Ker ( M – λ I ) i ⊂ …
où l’on a supposé a ≠ b .
est strictement croissante jusqu’à l’étape donnée par la multipli- La partie semi-simple de M est donnée par
cité mm(λ) de λ dans le polynôme minimal, et qu’elle stationne
au delà. L’espace auquel aboutit la suite est le sous-espace
caractéristique FM (λ), qui lui est de dimension ma(λ). xy
a 0 ------------- + z
b–a
S = .
0 a y
0 0 b
2.8 Théorème spectral :
1
deux démonstrations En effet, le polynôme p (X ) = a + ------------- ( X – a ) 2 vérifie
b–a

p (X ) ≡ a mod ( X – a ) 2
2.8.1 Noyaux des polynômes en une matrice
et
p (X ) ≡ b mod ( X – b ) .
On note ∆(X ) et Γ(X ) le PGCD et le PPCM des deux polynômes P
et Q de l’anneau principal K [X ] . Ils peuvent se définir comme les On a donc
polynômes unitaires qui engendrent les idéaux somme et produit
des idéaux engendrés par P et Q, soit S = p (M ).

(P ) + (Q ) = ( ∆ ) b) Calcul de l’exponentielle
(P ) ∩ (Q ) = ( Γ ) . Soit à calculer l’exponentielle d’une matrice A vérifiant

Si A est une matrice, on a par contre [2] : (A – I )2 (A – 2I ) = 0.

Ker P ( A ) + Ker Q ( A ) = Ker Γ ( A ) On considère pour cela l’écriture suivante de E en somme directe
Ker P ( A ) ∩ Ker Q ( A ) = Ker ∆ ( A ). E = Ker ( A – I ) 2 ⊕ Ker ( A – 2 I ) ,
L’identité de Bezout est ici omniprésente.
qui répond à l’identité de Bezout 1 = a (x)(x – 1)2 + b (x)(x – 2), et l’on
Si maintenant note p la projection sur Ker(A – 2 I ) parallèlement à Ker(A – I )2 et
q = I – p. On a alors :
µ A (X ) = ( X – λ 1 ) α 1 ( X – λ 1 ) α 2 … ( X – λ k ) α k
eA = e A p + e A q
est la décomposition du polynôme minimal (ou de n’importe quel
polynôme annulateur) µA(X ) de A en facteurs irréductibles, on en et
déduit que ( A – 2I ) n
e A p = e 2 e A – 2 I p = e 2 [ ∑ ------------------------ ] p = e 2 p
αi n!
E = ⊕ Ker ( A – λ i I ) .
i
et de même
Par ailleurs, les projecteurs sur les facteurs de cette somme
directe sont encore des polynômes en A, comme le montre e A q = ee A – I q = e ( I + A – I ) q .

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On peut prendre a (x) = 1 et b (x) = x. On en déduit : blocs. Ils sont donc trivialement en somme directe, il en est de
même des sous-espaces caractéristiques de A.
eA = e2(A – I )2 + eAA(A – 2I ).

2.9 Résultant du polynôme


2.8.2 L’algèbre K [ A ] et ses idempotents caractéristique

L’anneau K [X ] ⁄ µ A (X ) , quotient de l’anneau des polynômes L’ouvert (algébrique) des matrices ayant des valeurs propres
K [X ] par l’idéal engendré par le polynôme distinctes (on parlera de matrices régulières) est, comme tout
complémentaire des zéros d’un polynôme, un ouvert connexe
µ A (X ) = ( X – λ 1 ) α1 ( X – λ 2) α2 … ( X – λ k ) αk , dense pour la topologie usuelle de M (n , C ) . Le polynôme dont il
s’agit est le résultant du polynôme caractéristique de la matrice
s’identifie à l’algèbre K [ A ] des polynômes en A. Cet anneau est générale ( X ij ) .
produit des anneaux K [X ] ⁄ ( X – λ i ) αi . On a donc : Une matrice régulière vérifie à la fois qu’elle est diagonalisable et
que son polynôme caractéristique est égal à son polynôme minimal
K [X ] ⁄ µ A (X ) = K [X ] ⁄ ( X – λ 1 ) α1 ⊕ … ⊕ K [X ] ⁄ ( X – λ k ) αk . (matrice monogène). Ces deux propriétés caractérisent les matrices
régulières.
Preuve. ◊ Cela résulte du fait que P = P1P2, où P1 et P2 sont La matrice générale ( X ij ) a ses valeurs propres distinctes, car le
premiers entre eux, l’application naturelle résultant de son polynôme caractéristique, qui est un polynôme
dans Z [ X 11 , …, X nn ] , est non nul, car sinon, par spécialisation,
K [X ] ⁄ P (X ) → K [X ] ⁄ P 1 (X ) × K [X ] ⁄ P 2 (X ) toute matrice aurait au moins une valeur propre double, ce qui n’est
évidemment pas le cas. Le théorème de Cayley-Hamilton, facile à
est un homomorphisme injectif d’algèbres de même dimension. établir dans le cas diagonalisable, est donc vrai pour la matrice
C’est donc un isomorphisme. ◊ générale. Par spécialisation, il est donc valable pour toute matrice.
Remarque sur la terminologie. Certains auteurs réservent le voca-
ble « matrices régulières » aux matrices appelées ici « mono-
Lemme 1. Si, pour i = 1, …, k, on dispose d’une sous-algèbre gènes ». Les matrices que nous avons appelées régulières devien-
unitaire ! i de End(Ei ), alors l’algèbre somme ! = ⊕ ! i est nent chez quelques-uns « matrices génériques » et judicieusement
i
naturellement une sous-algèbre unitaire de End(E ), où E = ⊕ E i . chez d’autres « matrices semi-simples régulières ». Les notions
i concernées trouvent des répondants dans le cadre des algèbres de
Inversement, à une réalisation d’une sous-algèbre unitaire Lie. Une discussion sérieuse sur la valeur respective de tel ou tel
A ⊂ End (E ) comme produit d’algèbres unitaires ! i correspond choix terminologique doit tenir compte de son adaptabilité à ce
une décomposition de E en une somme directe de sous-espaces cadre. Les choix effectués ici ont été dictés par des considérations
vectoriels Ei , telle que chaque ! i apparaît comme une sous- d’usage ou de simplicité.
algèbre unitaire de End (Ei ) et que A s’identifie à la sous-algèbre
⊕ ! i . On a donc :
i

e.v. .
3. La partition de M ( n , C )
A . ⊕ ! i ⊂ ⊕ End ( E i ) ⊂ End ( E ) . ⊕ Hom ( E i , Ej )
i i i, j par classes de similitude

Preuve. ◊ La première assertion est facile, en considérant des


3.1 Généralités
matrices diagonales en blocs. Il s’agit cependant pour le reste de
bien comprendre comment l’unité de chaque ! i devient un idem-
Alors que la r-équivalence donne des classes d’équivalence en
potent pi de l’algèbre produit, et comment, partant d’une décompo-
nombre fini (paramétrées par le rang), et que la congruence donne,
sition de l’unité I = p1 + … + pk dans ! ⊂ End (E ) en une somme
dans le cas des matrices symétriques réelles, un nombre également
d’idempotents orthogonaux, c’est-à-dire en des projecteurs de E
fini d’orbites (paramétrées par la signature), le nombre d’orbites
vérifiant pipj = δij , on obtient E comme somme directe des images
sous l’action à gauche de GL(n, K ) est infini dès que K l’est. En
des pi . ◊
effet, les classes d’équivalence sont alors paramétrées par les
Le théorème spectral s’obtient maintenant grâce au lemme 1 et à matrices échelonnées ou encore par les sous-espaces vectoriels de
la remarque suivante : l’endomorphisme A s’identifie à la classe de Kn .
X dans le quotient K [X ] ⁄ µ A (X ) laquelle s’identifie au k-uplet formé
Le nombre d’orbites est également infini dans l’action par conju-
des classes de X dans chaque quotient K [X ] ⁄ ( X – λ i ) αi .
gaison de GL(n, K ) dès que K l’est aussi. On a cependant le fait
Mais, dans un tel quotient, on a X = λ + ( X – λ ) , où λ est inversible remarquable suivant : pour la relation d’équivalence
et (X – λ) est nilpotent d’indice α.
Il s’ensuit que la matrice A est semblable à une matrice B = PAP –1 ( A 3 B ) ⇔ A et B ont même polynôme caractéristique,
diagonale en blocs, avec au niveau du i-ième bloc, une matrice de la laquelle relation est moins fine que la similitude, on est en présence
forme λi I + Ni , où Ni est une matrice nilpotente dont l’indice de d’une partition de M (n , C ) en une infinité (bien contrôlable) de
nilpotence est la multiplicité mm(λ) dans le polynôme minimal. classes d’équivalence (car clairement paramétrées par les poly-
La vérification de l’assertion à examiner est directe pour la nômes de degré n ou ce qui revient au même par les orbites du
matrice B. Mais les polynômes caractéristiques de A et B sont égaux groupe symétrique S n sur C n ) qui chacune est réunion finie de
et leurs sous-espaces caractéristiques sont conjugués par P et donc classes de similitude! On se représentera cela dans la suite comme
de même dimension. Enfin, les sous-espaces caractéristiques de B une infinité d’armoires comportant chacune un nombre fini de
sont les sous-espaces apparaissant dans sa décomposition en tiroirs (figure 1).

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cas de toutes les armoires ou peu s’en faut (on dit que cela est le cas
génériquement) ;
Xn — la deuxième est que, parmi toutes les classes modulo 3 , il en

Nombre fini de tiroirs


est une qui occupe une place très particulière aussi bien au niveau
M (n, C) géométrique qu’au niveau de l’importance, c’est celle appelée par
l’orbite de l’origine sous l’action de S n ou encore par l’élément nul
de C n correspondant donc au polynôme unitaire X n. Cette classe
n’est autre que le cône nilpotent # ( n ) .

.0
# ( n ) : cône nilpotent
3.3 Description des classes de similitude
d’une même classe modulo 3
Nombre infini d'armoires

Soit P (X ) un polynôme unitaire de degré n. On le décompose en


Figure 1 – La partition de M (n , C ) par classes de similitude produit de facteurs irréductibles, soit

P ( X ) = ( X – λ 1 ) α1 … ( X – λ k ) αk .
3.2 La partition donnée par l’égalité L’ensemble des matrices ! P ayant P (X ) comme polynôme
des polynômes caractéristiques caractéristique (qui est donc µ –1[ϕ (λ1, …, λn)]) est réunion de
classes de similitude en nombre fini, égal exactement au produit
p (α1) … p (αk ), où p (m) est le nombre de partitions de l’entier
La relation 3 définie paragraphe 3.1 répartit les matrices en m ∈ N , c’est-à-dire le nombre de façons d’écrire l’entier
familles ayant le même polynôme caractéristique. Une classe
d’équivalence est attachée à chaque polynôme unitaire de degré n. m = ∑ mi
L’espace quotient est donc l’ensemble C un [X ] de ces polynômes. i
Mais un polynôme unitaire comme somme d’entiers m 1 > m 2 > … > m h allant en décroissant.
n
X + an – 1 X n– 1
+ … + a1 X + a0 Le cas particulier où les αi sont tous égaux à 1 a déjà été évoqué
paragraphe 3.2.
de degré n dépend des n scalaires a0, …, an – 1. Un autre cas particulier est celui où k = 1, duquel relèvent et le
cône nilpotent # ( n ) = ! X n et, ce qui revient essentiellement au
Leur ensemble s’identifie donc à C n . Par ailleurs, l’application qui
même, l’ensemble des matrices A telles que A – λ I est nilpotent. Le
au n-uplet (λ1, …, λn ) associe le polynôme ∏ ( X – λi ) passe au cône nilpotent # ( n ) contient ainsi p (n) classes de similitude.
i Par ailleurs, deux classes de similitude (éventuellement confon-
quotient par l’action de S n sur C n et identifie l’espace des orbites dues) occupent dans « l’armoire » ! P une place spéciale :
— la première, de taille nettement plus grande que les autres
S n ⁄ C n avec l’ensemble C un [X ] . On a donc (quand il y en a), est formée des matrices dont le polynôme minimal
est P ;
M (n , C ) ⁄ 3 . C un [X ] . C n — la deuxième, plus petite que les autres (quand il y en a), est for-
mée des matrices de ! P qui sont diagonalisables.
et On a déjà constaté que ces deux classes sont les mêmes précisé-
ment dans le cas régulier. Dans le cas nilpotent, la première est
S n \C n . C un [X ] . formée des matrices nilpotentes telles que An – 1 est non nulle et
l’autre est réduite à la matrice nulle. Les autres classes de similitude
Dans l’identification
qui sont contenues dans le cône nilpotent sont particulièrement
bien saisies grâce aux tableaux de Young qui en donnent un para-
S n \C n . C n
métrage (cf. § 4.4).
Le cas général s’obtient à partir de là en associant à chaque valeur
ϕ : ( λ 1, …, λn ) °  σ 1 = ∑λi ; σ2 = ∑ λi λ j ; … ; σn = ∏ λi propre λi un tableau de Young comportant αi cases correspondantes
i i<j i qui résume l’information sur les rangs des puissances successives
de A – λi I. Les classes de similitude de l’armoire ! P sont ainsi para-
qui en découle, le sous-ensemble de S n \C n formé des orbites de n- métrées par les systèmes de k tableaux de Young, ayant chacun αk
uplets distincts (on parle alors de point régulier) correspond au cases.
sous-ensemble de C n formé des points en dehors de la variété algé-
brique affine définie par le résultant du polynôme ∏ ( X – z i ) . La

plupart des classes d’équivalence modulo 3 sont donc formées de


i
4. Suite des noyaux itérés.
matrices régulières. Il reste qu’une classe modulo 3 sera appelée
par les valeurs propres communes aux matrices qu’elle contient ou
Tableaux de Young
par le polynôme unitaire de degré n qui la paramètre.
A ce stade, deux remarques s’imposent : Soit λ une valeur propre de A. En remplaçant dans ce qui suit A
— la première est que dans une classe modulo 3 formée de par A – λI, on pourra supposer que λ est nulle. On va donc consi-
matrices régulières (associée donc à un point régulier de C n ), tou- dérer pour la valeur propre λ = 0, une suite croissante de sous-
tes les matrices sont semblables (autrement dit, une armoire régu- espaces vectoriels, et de là on associera à λ = 0 un tableau de Young,
lière ne contient qu’un seul tiroir, c’est donc une penderie) et c’est le noté TY(A,λ).

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4.1 Une suite qui s’essouffle Le théorème de Weyr s’exprime, dans ce contexte, comme suit :
pour que deux matrices A et B soient semblables, il faut et il suffit
que leurs polynômes caractéristiques soient égaux et que, pour
La suite croissante chaque valeur propre λ, on ait
TY(A,λ) = TY(B,λ).
{ 0 } ⊂ Ker A ⊂ Ker A 2 ⊂ … ⊂ Ker A k …
En présence de plusieurs valeurs propres, on pourra inscrire la
est une suite qui « s’essouffle », en ce sens que les sauts de dimen- valeur propre dans la première case du tableau de Young correspon-
sion vont en diminuant ; ce résultat clé découle des injections de dant. Ainsi, la classe de similitude de la matrice réelle d’ordre 4
Frobenius induites par l’endomorphisme A : ayant des 1 partout est paramétrée par les deux tableaux de Young :
Ker A k + 1 ⁄ Ker A k → Ker A k ⁄ Ker A k – 1 .
On peut également constater cela à partir des suites exactes 0
courtes de Frobenius :
et 4 .
Am
{ 0 } → Ker Am → Ker Am + 1 → Ker A ∩ Im Am → { 0 }.

Du fait de la dimension finie n, la suite des noyaux itérés est


strictement croissante jusqu’au moment où elle devient station- 4.4 Pratique de la réduction de Jordan
naire et l’on a sûrement
pour une matrice nilpotente
Ker An = Ker An + 1,
car dans le cas contraire, toutes les inclusions précédentes
seraient strictes et Ker An + 1 serait au moins de dimension Un bloc de Jordan Jn, ou encore cellule de Jordan, est une
n + 1. matrice triangulaire supérieure stricte dont tous les coefficients sont
nuls sauf ceux de la surdiagonale qui valent 1. Ainsi le bloc J4 est
donné par :

4.2 Tableaux de Young 0 1 0 0


J4 = 0 0 1 0
0 0 0 1
Un tableau de Young est un tableau formé de cases disposées en 0 0 0 0
colonnes (ou si l’on préfère par lignes) et dont les longueurs vont en
décroissant (on notera que le tableau transposé d’un tableau de La forme de Jordan canonique d’une matrice nilpotente consiste
Young en est encore un). Les tableaux suivants sont tous les en une matrice diagonale en blocs, avec, sur la diagonale, des
tableaux comportant 5 cases : cellules de Jordan de tailles décroissantes. De façon plus précise,
comme les sauts de dimension dans la suite croissante des noyaux
; ; ; ; ; ; . itérés

{ 0 } ⊂ Ker A ⊂ Ker A 2 ⊂ … ⊂ Ker A k ⊂ …


Le nombre de tableaux de Young ayant un nombre total de <
cases est en fait égal à p ( < ) , le nombre de partitions de l’entier < . vont en diminuant, on dispose ces sauts de dimension en colonnes
dans un tableau de Young et l’on obtient la forme de Jordan en
considérant les lignes. Les tailles des cellules de Jordan dans la
forme de Jordan sont les longueurs des lignes du tableau de Young
associé
4.3 Tableau de Young associé
Ainsi, par exemple, pour une matrice A d’ordre 8 telle que
à une valeur propre
dim Ker A = 3,

A partir de la suite des noyaux itérés, on constitue le tableau de dim Ker A 2 = 5,


Young associé à la valeur propre 0 à partir de ses colonnes et ce en dim Ker A 3 = 7,
plaçant : et A 4 = 0,
— à la première colonne, un nombre de cases égal à la dimension
de Ker A ; le tableau des sauts de dimension est donné par ; la réduite de
— à la deuxième colonne, le saut de dimension entre Ker A et Jordan canonique de A est alors :
Ker A2 (égal aussi à la dimension de Ker A ∩ Im A ) ;
01
— ainsi de suite, en plaçant donc à la k-ième colonne le saut de 01
01
dimension entre Ker Ak – 1 et Ker Ak (égal aussi à la dimension de 0
Ker A ∩ Im A k – 1 )… 01
01
0
Le nombre de cases dans le tableau de Young correspond à la 0
dimension du sous-espace caractéristique associé à la valeur propre
λ = 0, c’est-à-dire la multiplicité de λ = 0 dans le polynôme caracté- La détermination effective d’une base de jordanisation, ou ce qui
ristique. Quant à la longueur de la première ligne, elle indique la revient au même, d’une matrice de passage, sera traitée dans le
multiplicité de la valeur propre λ = 0 dans le polynôme minimal. paragraphe 6.1.

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4.5 Pratique de la réduction de Jordan g) Les traces des puissances k-ièmes de A sont nulles pour tout
k = 1, …, n.
pour une matrice quelconque
h) La matrice A est semblable à sa moitié.
i) La classe de similitude de A contient la matrice nulle dans son
Le cas d’une matrice quelconque M se déduit aisément du cas adhérence.
nilpotent (§ 4.4). On constitue les différents tableaux de Young asso- j) Il existe H telle que [H, X ]=2X.
ciés aux différentes valeurs propres de M. Sur chacun des sous-
espaces caractéristiques, la matrice M est, à une homothétie près, k) La matrice A est semblable à une matrice triangulaire ayant une
nilpotente. Pour une valeur propre λ non nécessairement nulle, la diagonale nulle.
forme de Jordan canonique de la restriction de M au sous-espace l) La matrice A est semblable à une matrice diagonale en blocs de
caractéristique FM (λ) est donnée par un tableau diagonal de cellules cellules de Jordan (associées au scalaire 0) de tailles décrois-
de Jordan Jk (λ) associées à λ et définies par santes.
Jk ( λ ) = λ Ik + Jk m) La matrice A est limite de matrices semblables à la cellule de
Jordan Jn (0).
Les tailles décroissantes de ces cellules correspondent aux n) La restriction de A à chaque sous-espace stable est non inver-
longueurs des lignes du tableau de Young TY(M,λ) de M relatif à la sible.
valeur propre λ.
o) Il existe X tel que A = [A, [A, X ]].
Ainsi, si A est une matrice d’ordre 5 ayant 1 puis 2 pour valeurs p) Une puissance de l’endomorphisme ad A : X ° [ A, X ] est
propres (et que l’on ordonne comme indiqué), et pour tableaux de nulle.
Young respectifs associés et , la forme de Jordan canonique
de A est donnée par :
a) Si A commute avec AB – BA, un calcul facile et la condition
1 1 0 0 0 g) ci-dessus montrent que la matrice AB – BA est alors nilpo-
0 1 0 0 0 tente.
b) Les matrices triangulaires supérieures de # ( n ) forment un
0 0 1 0 0
sous-espace vectoriel maximal de dimension n(n – 1)/2. Tout
0 0 0 2 1 autre sous-espace vectoriel est de dimension inférieure ou
0 0 0 0 2 égale à ce plafond [3].

On peut dès lors énoncer le théorème suivant.

Théorème 6. Une matrice M ∈ M ( n, C ) est diagonalisable si,


5.2 Filtration et gradué associés
et seulement si, tous les tableaux de Young associés à ses à un endomorphisme nilpotent
valeurs propres sont unicolonnes, et M est monogène (c’est-à-
dire ayant un polynôme minimal égal à son polynôme caracté-
ristique) si, et seulement si, les tableaux de Young associés à Si les sommes directes sont l’outil de choix dans l’étude des
toutes ses valeurs propres sont unilignes. endomorphismes diagonalisables ou, plus généralement, semi-
simples, les filtrations sont l’outil adapté au cas nilpotent : cela se
justifie par la présence de la suite des noyaux itérés.
Une filtration de E est la même chose qu’un drapeau. Le gradué
associé à une filtration
5. Matrices nilpotentes.
^ : { 0 } ⊂ E1 ⊂ E2 ⊂ … ⊂ Ek = E
Cône nilpotent
est l’espace vectoriel (gradué) :
L’ensemble des matrices nilpotentes est le cône nilpotent, noté Gr ( E, ^ ) = E 1 ⊕ ( E 2 ⁄ E 1 ) ⊕ … ⊕ ( E k ⁄ E k – 1 ) .
#(n) .
Une filtration est stable par un endomorphisme f si chacun des
sous-espaces Ei l’est : un tel endomorphisme induit un endomor-
phisme noté gr(f ) dans le gradué associé. Un calcul facile de déter-
5.1 Matrices nilpotentes minant d’une matrice triangulaire en blocs montre que le polynôme
caractéristique de f est le même que celui de gr(f ).
On obtient facilement les caractérisations suivantes. Une matrice Quand A est un endomorphisme nilpotent, on note Gr(E, A) le
A ∈ M ( n, C ) est dite nilpotente si elle satisfait l’une des conditions gradué associé à la filtration donnée par la suite des noyaux itérés;
équivalentes suivantes, où le crochet [X,Y ] des matrices X et Y on a donc pour un endomorphisme nilpotent A de E, d’indice de
désigne la matrice XY – YX. nilpotence m :
a) La matrice A a une puissance nulle. Gr ( E, A ) = ( Ker A ) ⊕ ( Ker A 2 ⁄ Ker A ) ⊕ … ⊕ ( Ker A m ⁄ Ker A m – 1 )
b) La puissance n-ième de A est nulle.
Comme l’endomorphisme A applique Ker Ai + 1 dans Ker Ai, il
c) La suite des noyaux itérés aboutit à E = C n . induit une application linéaire de Gr(E, A) dans Gr(E, A)[– 1], où la
d) Le tableau de Young associé à la valeur propre λ = 0 comporte graduation à l’arrivée a été décalée vers la gauche de telle sorte que
n cases. la i-ième composante de Gr(E, A)[– 1] soit la (i – 1)-ième de Gr(E, A).
e) Le polynôme caractéristique de A est égal à X n, ou, ce qui Le résultat suivant est une illustration du bon usage que l’on peut
revient au même, toutes les sommes des mineurs principaux faire des filtrations associées à un endomorphisme nilpotent.
de A sont nulles. Proposition 2 (Kostant).
f) Les valeurs propres de A sont toutes nulles. Si A nilpotent commute avec AB – BA, alors AB est nilpotent.

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Preuve. ◊ On établit d’abord que BA laisse invariante la filtra- Les sommets de ce graphe représentent les différentes classes de
tion associée canoniquement à A : si l’on note D la dérivation similitude ; le nombre qui figure à côté d’un sommet indique la
d’algèbre associative donnée par le crochet avec B, alors si D (A) dimension de la classe de similitude en tant que sous-variété ; ce
commute avec A, on a nombre ajouté à la dimension du commutant d’une matrice de la
classe donne n 2.
D ( A k ) = kD ( A ) A k – 1 , Les tableaux de Young que l’on voit indiquent le paramétrage par
tableaux de Young des classes de similitude ; lu par ses colonnes, il
ce qui s’écrit encore donne la dimension des noyaux itérés des matrices d’une même
classe, et lu en lignes, il donne la forme de Jordan privilégiée des
A k B – BA k = kABA k – 1 – kBA k ; matrices de la même classe.
la stabilité de Ker Ak par BA en découle après simple multiplication La suite des polynômes qui apparaît ici ou là donne ce que l’on
par A à droite. On écrit ensuite le diagramme commutatif suivant : appelle la liste des invariants de similitude du K [X ] - module
correspondant (cf. § 10.2); elle se lit dans les lignes du tableau de
Young ou ce qui est évidemment équivalent dans la forme de
h
E ⊕ E … ⊕ E ← Gr ( E, A ) Jordan.
v ↓ ↓ gr ( BA ) De manière plus précise et sur l’exemple de la classe de similitude
de dimension 30, on a que le K [X ] - module Eu est isomorphe à
E ⊕ E … ⊕ E ← Gr ( E, A )
h

K [X ] ⁄ X ⊕ K [X ] ⁄ X ⊕ K [X ] ⁄ X 2 ⊕ K [X ] ⁄ X 2 ⊕ K [X ] ⁄ X 2 .
L’application h est construite sur Gr(E, A) à partir de la somme de
toutes les applications On aura constaté que les dimensions des classes sont paires. Cela
est un phénomène général et témoigne, d’une certaine manière, du
h k : Ker A k + 1 ⁄ Ker A k → E k = E fait plus subtil que les classes de similitude sont des variétés
symplectiques. L’espace tangent en une matrice M à sa classe de
avec similitude est isomorphe à M ( n, K ) ⁄ z (M ), où z (M ) , est le noyau
d’une forme bilinéaire alternée, à savoir
h k (x ) = A k ( x )
et l’application v est définie sur le k-ième facteur du produit par ( X, Y ) ° Tr (M [ X, Y ] ) ,

v ( x k ) = k ( AB – BA ) ( x k ) . il est donc de codimension paire.


Deux classes de similitude (c’est-à-dire deux sommets du graphe)
L’application horizontale h est injective et permet donc de plonger reliées par une arête du graphe sont telles que l’une (celle du bas)
le gradué Gr(E, A) dans le produit E × … × E ; l’endomorphisme est dans l’adhérence de l’autre. C’est le cas quand le tableau de l’une
gr(BA) apparaît ainsi comme une restriction du morphisme vertical s’obtient par dégradations successives (d’une case du tableau de
v de gauche. Son spectre est donc contenu dans le spectre de v, Young) à partir de l’autre. Cela indique d’ailleurs comment se
spectre réduit à {0} (voir encadré dans § 5.1) ; il en est de même du construit le graphe, en partant de la classe des éléments réguliers
spectre de BA. ◊ qui, elle, est dense dans le cône nilpotent. La chute d’une case d’un
niveau au suivant correspond à la perte de deux dimensions pour la
Proposition 3. classe (on pensera à la manière avec laquelle se calcule la dimen-
Si A(AB – BA) = 0, alors AB – BA est nilpotent. sion du commutant, cf. § 8). L’adhérence d’une classe de similitude
se lit comme la réunion de toutes les classes qui sont à un niveau
Preuve. ◊ L’hypothèse ABA = A2B implique que l’on peut passer qui lui est inférieur (ou égal) et qui lui sont connectées.
A à gauche de B chaque fois que B est entourée par A ; ainsi on a
ABAk = Ak + 1 B
Il est facile de comprendre maintenant le résultat suivant en
et de là on prouve que rapportant une matrice quelconque M dans son armoire : si
M = s + n est la décomposition de Dunford-Jordan (en semi-
(AB )k = Ak Bk.
simple + nilpotent) de M, la matrice s est dans l’adhérence de la
Enfin, pour tout k, la trace de classe de similitude de M.

( AB – BA ) k + 1 = ( AB – BA ) … ( AB – BA ) ( AB – BA )
= AB … AB ( AB – BA )
= A k + 1 B k + 1 – A k B k BA
5.4 Cône nilpotent et classes
de similitude en dimension 2
est clairement nulle. ◊

Soit A ∈ M ( 2, R ) . La classe de similitude de A est à une transla-


1
5.3 Cône nilpotent. tion près la même que celle de M = A – --- Tr ( A )I , qui, elle, est de
2
Exemple des matrices d’ordre 8 trace nulle. Une représentation géométrique est dès lors envisa-
 x y + z  des
geable puisque l’ensemble sl ( 2, R ) =  M = 
 y–z –x 
On trouvera, sur la figure 2 le graphe de l’ensemble des classes matrices de trace nulle est un espace vectoriel de dimension 3. Le
de similitude (tiroirs) dans le cône nilpotent (l’armoire indexée par le cône nilpotent est alors donné par le cône usuel d’équation
polynôme X n). x 2 + y 2 – z 2. Son sommet représente l’orbite de la matrice nulle, et

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01
01
01
2 01
56 = n – n 01
01
01 01
01 0
01
01
01
01
54
0
0

52
01
01
01
01
50 50 01
0
0
0

48 48 (1, 1, 1, 1, 1, X, X 2, X 5)
01
46 01
01
01
44 0
0
0
44 0
01 01
01
01
0 01
0
Symétrie axiale
01
01 42 42 01
0
01
0
0
de dualité
0 0
01
40 01
01
0
36 0
0
38 0
0

32 34
01
01
0

(1, 1, 1, X, X, X 2, X 2, X 2)
0
30 26 0
0
0
0
24
01
0
0
0
0 14 = 2 (n – 1)
0
0
0
0
Figure 2 – Graphe des orbites nilpotentes
dans M ( 8, C )

le cône épointé est à lui seul une classe de similitude, celle de


0 1 par exemple.
0 0

Les points situés en dehors du cône (il s’agit des matrices dont les
valeurs propres sont réelles non nulles) se répartissent en classes
de similitudes qui sont des hyperboloïdes à une nappe (asymptotes
au cône) ; elles sont indexées par les matrices symétriques

0 a , avec a > 0 .
a 0

Quant aux points situés à l’intérieur du cône, leurs classes de


similitude sont des hyperboloïdes à deux nappes (toujours asymp-
totes au cône); elles sont indexées par les matrices antisymétriques

0 a , avec a < 0 .
–a 0
Figure 3 – Classes de similitude en dimension 2
Quelques classes représentatives sont visibles dans la figure 3.

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6. La jordanisation Mais on peut faire autrement. Avant ce faire, remarquons que ce


qui est extraordinaire avec les vecteurs trouvés, c’est qu’ils donnent
pour elle-même une base de Ker Ai pour tout i, mais aussi une base de Im Ai et
même une base de Ker A i ∩ Im A < . Ainsi par exemple, les vecteurs
qui restent, une fois mis de côté tous les vecteurs figurant en bout
des lignes du tableau de Young, fournissent une base de Im A et l’on
6.1 Pratique et preuve comprend mieux pourquoi les sauts de dimension sont donnés par
la dimension de Ker A ∩ Im A i (cf. § 4.1).
La démonstration du théorème de Jordan pour une matrice nilpo- Un arrangement utile est donné en ordonnant les vecteurs de
tente A d’ordre n est facile si on prend le soin de faire usage du base (inscrits dans le tableau de Young) en colonnes et de bas en
tableau de Young correspondant qui comporte n cases. On désigne haut.
par m l’indice de nilpotence de A.
5 8 11 13
On commence par choisir des vecteurs v1, …, vp dans E qui relè-
vent une base du quotient E/Ker Am – 1, c’est-à-dire 4 7 10 12

p = dim E – dim Ker Am – 1 3 6e 9


vecteurs de Ker Am qui sont indépendants modulo Ker Am – 1. 2e
On place ces vecteurs dans les cases de la dernière colonne du 1er
tableau de Young de A. À chacun de ces vecteurs, on applique
successivement les puissances de A de façon à remplir, en allant de Cette pseudo-jordanisation donne une réduction qui s’avère entre
droite à gauche, la ligne de longueur m qui y aboutit. autre efficace dans l’étude du centralisateur Z (A) [11]. Tous les blocs
Une fois ces cases remplies, on procède de même avec la restric- de cette réduction qui figurent en dehors de la surdiagonale sont
tion de A à Ker Am – 1, dont le tableau est celui de A auquel on a ôté nuls. Ceux sur la surdiagonale sont des blocs rectangulaires de la
la dernière colonne. Simplement ici, les cases de la dernière colonne forme [0, Ik] (à lire en lignes), où k est l’ordre du bloc diagonal figu-
(c’est-à-dire de l’avant-dernière colonne du tableau de A) sont déjà rant juste en dessous.
en partie occupées par la famille libre des vecteurs A(v1), …, A(vp) ;
on fait donc appel au nombre (éventuellement nul) de vecteurs wi Exemple. Soit la classe de similitude définie par le tableau de Young
qu’il faut pour remplir cette colonne avec des vecteurs qui s’appli- . Si l’on ordonne la base comme indiqué juste avant, soit :
quent sur une base du quotient Ker Am – 1/Ker Am – 2. On applique
les puissances de A à ces nouveaux vecteurs et l’on remplit les v2 v3 v4 v5
lignes qui y aboutissent.
v1
On répète le procédé jusqu’à remplir ainsi l’ensemble des cases
du tableau de Young.

A3v1 A2v1 Av1 v1 0 0 0 0 0


A3v A2v Av2 v2 0 0 1 0 0
2 2
la matrice est y donnée alors par 0 0 0 1 0 . Nous allons
A2w1 Aw1 w1 0 0 0 0 1
u1 0 0 0 0 0

u2 prouver que la classe correspondant au tableau (obtenu au moyen


d’une dégradation) est dans l’adhérence de la précédente; il s’agit de
La famille des n vecteurs figurant dans les cases du tableau de faire en sorte que le vecteur v5 descende à la deuxième ligne et ait une
Young de A forme une base de E, car ces vecteurs sont linéairement image égale à v1. Pour cela, on considère les matrices
indépendants : en effet, en appliquant Am – 1 à une combinaison
0 0 0 0 1
linéaire de ces vecteurs, il est aisé de prouver que les coefficients
des vecteurs de la dernière colonne sont nuls ; une fois débarrassés 0 0 1 0 0
dans la combinaison de ces vecteurs, on applique à la combinaison 0 0 0 1 0 qui sont dans la classe initiale et qui, lorsque ε tend
restante l’endomorphisme Ker Am – 2 et l’on recommence. 0 0 0 0 ε
0 0 0 0 0
vers 0, convergent vers une matrice qui est dans la seconde.
6.2 Arrangements possibles
Cette méthode expliquée sur l’exemple précédent donne une
d’une base de Jordan démonstration du principe de dégradations successives.

La jordanisation classique consiste à numéroter les vecteurs, figu-


rant dans le tableau, de gauche à droite et de haut en bas. 7. Familles particulières
1er 2e 3e 4 de matrices.
5 6 7 8 Les matrices de la classe δ
9 10 11
Le sous-espace Ker M 2 a une dimension qui varie entre deux
12 bornes : la dimension de Ker A et son double. Les matrices telles
que
13
Ker A = Ker A2

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et les matrices telles que b) Les deux premières colonnes du tableau de Young TY(A ; 0)
sont de même longueur.
dim(Ker A2) = 2 dim(Ker A)
c) Les cellules de Jordan de A associées à la valeur propre 0 sont
forment deux familles qui méritent une attention particulière. Les toutes de taille supérieure ou égale à 2.
propositions suivantes donnent quelques propriétés caractéristi- d) La matrice A n’est pas semblable à une matrice de la forme
ques de l’une ou l’autre de ces deux familles. Il est bon de garder à
l’esprit la suite exacte 0 0 , où A est d’ordre n – 1.
0 A′
A
{ 0 } → Ker A → Ker A 2 → Ker A ∩ Im A → { 0 }. e) Ker A ⊂ Im A .
f) Si A = A1 … As + 1, où s = dim(Ker A) et les Ai commutent avec
A, alors l’une au moins des matrices Ai est inversible.
7.1 Une première famille g) Aucune droite du noyau n’admet de supplémentaire stable
dans E.

Proposition 4.
Soit A une matrice complexe non inversible. Les propriétés
suivantes sont équivalentes. 8. Calcul de la dimension
a) Ker A2 = Ker A. du commutant
b) Le tableau de Young TY(A ; 0) de A relatif à la valeur propre
nulle comporte une seule colonne.
Ce calcul sert pour le calcul de la dimension des orbites. La
c) 0 est racine simple du polynôme minimal. méthode consiste à trouver pour une matrice nilpotente la dimen-
d) La suite des noyaux itérés s’arrête à Ker A. sion de son commutant car cela suffit vu le lemme suivant.
e) La multiplicité géométrique de la valeur propre 0 est égale à sa
multiplicité algébrique.
f) La décomposition de Jordan de A dans sa partie associée à la Lemme 2. Si M = A 0 est une matrice diagonale en blocs
valeur propre 0 ne comporte que des cellules de taille 1. 0 B
g) rg (A) = rg (A2). vérifiant que les polynômes caractéristiques de A et de B sont
premiers entre eux, alors les matrices qui commutent avec M
h) L’espace E est somme directe de Ker A et de Im A.
i) La matrice A est diagonalisable par rapport à sa valeur propre 0. sont diagonales en blocs, soit X 0 avec
j) La matrice A s’écrit comme produit de deux matrices singulières 0 Y
qui sont des polynômes en A. AX = XA et BY = YB.
k) La matrice A admet une racine qui est un polynôme en A.
l) La matrice A est annulée par un polynôme qui admet 0 comme Preuve. ◊ L’équation AY = YB implique que
racine simple.
P (A)Y = YP (B )
m) La matrice A est semblable à une matrice 0 0 , où P est
inversible. 0 P pour tout polynôme P, en particulier pour P = χA(X ) ; on conclut,
grâce au théorème de Cayley-Hamilton et au fait que χA (B ) est
Il est clair qu’une matrice est diagonalisable si, et seulement si,
inversible, car ses valeurs propres sont toutes non nulles. ◊
pour toute valeur propre λ, la matrice A – λI vérifie les propriétés
précédentes. Par ailleurs, il est intéressant de noter la proposition Proposition 7.
suivante. Pour une matrice nilpotente N, la dimension du commutant est
Proposition 5. égale à la somme des carrés des longueurs des colonnes de son
tableau de Young.
Soit A une matrice complexe. Les propriétés suivantes sont équi-
valentes. Preuve. ◊ Il s’agit de déterminer le nombre de degrés de liberté
< dans le choix d’un opérateur M qui commute avec A. Dans une
a) L’endomorphisme ad ( A ) : X ° AX – XA vérifie les conditions
base de jordanisation placée dans le tableau de Young, les images
précédentes. des vecteurs situés dans la dernière colonne sont totalement libres ;
b) La matrice A est diagonalisable. par contre, ceux qui en découlent par itération par A et qui se situent
c) L’endomorphisme ad(A) est diagonalisable. sur leurs lignes sont complètement déterminés par la condition
d) Tout élément de déterminant nul dans C [ A ] est produit de deux M Ak (v) = Ak M (v).
éléments de déterminant nul de C [ A ] .
Si k est le nombre des lignes les plus longues, on a ainsi kn degrés
de liberté, qu’on répartit en plaçant k dans chaque case du tableau :

7.2 Une seconde famille


2 2 2 k=2
2 2 2 2
L’autre famille est décrite dans la proposition suivante.
2 2
Proposition 6.
2
Soit A une matrice complexe non inversible d’ordre n. Les
propriétés suivantes sont équivalentes, et caractérisent les matrices
dites de type d : L’étape suivante consiste à compter les degrés de liberté dans le
a) dim Ker A2 = 2 dim Ker A. choix des vecteurs situés à l’extrémité droite des < lignes de

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longueur m suivante. Ces vecteurs sont dans Ker Am qui doit être Un cas particulier de ce résultat et qui se démontre directement et
laissé stable par M, on a donc dim(Ker Am) < degrés de liberté aisément est que si AB = 0, alors A et B sont simultanément trigona-
nouveaux qu’on répartit en plaçant < dans chaque case des m lisables. Il en est de même si A et B commutent avec AB – BA. On a
premières colonnes : encore une trigonalisation simultanée pour tout couple de matrices
telles que rg ( AB – BA ) < 1 [16].
2+1 2+1 2 2
Le problème de la réduction simultanée de deux matrices
2+ 1 2+1 2 2 quelconques est difficile et a suscité beaucoup d’articles.
2+1 2+1 D’ailleurs, on démontre qu’il n’est pas possible d’obtenir de
classification, pour les classes de similitude simultanée de cou-
2+1 ples de matrices (A, B), comme celle dont on dispose dans le
cas d’une seule matrice.
et ainsi de suite,
Un problème apparenté, plus simple, fut étudié et résolu par
Kronecker : il s’agit de classifier les classes de r-équivalence simul-
2+1+1 2+1 2 2 tanée. Il est clair que si A = PBQ et A’ = PBQ, alors on a A’A –1
2+1+1 2+1 2 2 semblable à B’B –1. De plus (A,I ) est simultanément r-équivalent à
(B,I ) si, et seulement si, A et B sont semblables. La solution du
2+1+1 2+1 problème de Kronecker contient la solution du problème de la
2+1+1 réduction d’une matrice qui nous a occupé dans cet article.

en se plaçant dans les cases des tableaux de Young. ◊ 9.2 Théorèmes de Engel et de Lie

Théorème 8 (Engel). Soit g une sous-algèbre de Lie de


a) Il est facile de voir que la dimension du commutant de la M ( n, K ) , c’est-à-dire un sous-espace vectoriel de matrices stable
matrice M ∈ M ( n, K ) est toujours supérieure ou égale à n, de par crochet. On suppose que tous les éléments de g sont nilpotents.
codimension paire et dont les deux plus hautes valeurs sont : Il existe alors une base où tous les éléments de g sont triangulaires
n 2 (cas des matrices scalaires) ; supérieures avec des 0 sur la diagonale.
(n – 1)2 + 1 (cas des matrices semblables à Le résultat suivant en est une généralisation, sur un corps algébri-
quement clos de caractéristique nulle. On définit pour une sous-
λ I n – 1 ⊕ µ I 1, avec λ ≠ µ
algèbre de Lie g de M ( n, K ) la sous-algèbre dérivée [ g, g ] comme
et cas de λIn + N avec N nilpotente de rang 1). le sous-espace vectoriel engendré par les crochets des éléments de
Enfin, il est facile de voir que la dimension du commutant est g . On notera g ( m ) la sous-algèbre [ g ( m – 1 ), g ( m – 1 )] , avec la conven-
n si, et seulement si, la matrice est monogène (polynôme mini- tion
mal égal au polynôme caractéristique).
g ( 1 ) = [ g, g ] .
b) Le bicommutant de M est réduit à l’ensemble des polynô-
mes en M (cf. § 10.1).
Théorème 9 (Lie). Les éléments d’une même sous-algèbre de
Lie résoluble g de M ( n, C ) (c’est-à-dire telle que g ( k ) = { 0 }
pour un certain k ) sont simultanément trigonalisables.

9. Réduction simultanée
9.3 Théorème de Kolchin
On entend par cela tout résultat qui réduit deux ou plusieurs
endomorphismes avec une même matrice de passage.
On dispose d’une version groupe du théorème de Engel.

9.1 Cas de deux matrices Théorème 10 (Kolchin). Les éléments d’un sous-groupe G
de GL(n, C ) qui est formé d’éléments unipotents sont simulta-
nément trigonalisables. Autrement dit, le groupe G est conjugué
Le plus connu est le fait que si A et B sont deux matrices à un sous-groupe du groupe des matrices triangulaires supé-
complexes qui commutent, alors elles ont un même vecteur propre rieures ayant des 1 sur la diagonale.
en commun et par suite, il existe une même base où elles ont toutes
les deux la forme triangulaire. Toute matrice de la forme
P (A,B ) (AB – BA),
9.4 Diagonalisation simultanée
où P est un polynôme (non commutatif) en deux variables, est alors
nilpotente.
Le théorème suivant éclaire mieux les choses. La diagonalisation simultanée d’une famille commutative d’endo-
morphismes diagonalisables est encore possible.
De ce fait, si G est un sous-groupe commutatif fini de GL(n, C ),
Théorème 7. Si P (A,B )(AB – BA) est nilpotent pour tout les éléments de G sont simultanément diagonalisables. Le groupe G
polynôme P, alors A et B sont simultanément trigonalisables est conjugué à un sous-groupe du groupe des matrices diagonales
(cf. référence dans [16]). inversibles.

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On aura noté qu’un élément d’ordre fini dans GL(n, C ) est diago- Un endomorphisme du K [X ] - module EM est caractérisé par ses
nalisable car il annule un polynôme du type X m – 1 qui est à racines blocs opérant entre les différents facteurs de la somme directe. Main-
distinctes. On peut invoquer aussi le fait que ses valeurs propres tenant, un homomorphisme entre deux blocs est entièrement déter-
étant des racines de l’unité, sa partie semi-simple est comme lui miné par le choix de l’image de la classe du polynôme constant 1,
d’ordre fini : il en est donc également de sa partie unipotente, qui est laquelle image est nécessairement annulée par le polynôme engen-
donc égale à l’identité. La décomposition de Dunford-Jordan drant l’idéal apparaissant dans le facteur de départ. Cela nous laisse
M = S + N a une version multiplicative lorsque M est inversible : sans contrainte si le polynôme de départ est multiple de celui de
l’arrivée et, dans le cas inverse, l’image considérée doit se trouver
M = S (I + S – 1 N) = SU, dans le sous-module engendré par la classe du quotient de ces deux
où U est unipotente et commute à S. La matrice U s’appelle alors la polynômes.
partie unipotente de M. Un élément du centre de End K [X ] ( EM ) doit commuter en parti-
Si maintenant g est une sous-algèbre de Lie de M ( n, C ) formée culier avec les éléments qui sont nuls sur tous les blocs sauf le
d’éléments diagonalisables, il existe une base qui les réduit dernier et qui sont quelconques sur le dernier.
simultanément ; en particulier, elle est commutative.
Un calcul similaire à celui de l’ensemble des matrices qui commu-
tent sur un corps avec les matrices qui sont nulles sur l’hyper-plan des
n – 1 premières coordonnées nous convainc que les éléments du
9.5 Réduction simultanée centre sont les endomorphismes scalaires de notre K [X ] - module. ◊
et théorème de Sylow

On termine ce paragraphe par un exemple de réduction simul- 10.2 Facteurs invariants


tanée déduit du théorème de Sylow. Le corps ici est exceptionnelle-
ment un corps fini.
et forme normale de Smith
Proposition 8.
Soit G un sous-groupe de GL(n, F p ) de cardinal pn (n – 1)/2. Alors
les éléments de G sont unipotents et simultanément trigonalisables. Théorème 11. Deux matrices de M ( n, K ) sont semblables si,
et seulement si, il existe deux matrices P et Q à coefficients poly-
nomiaux, de déterminants constants non nuls, et tels que

10. Autre point de vue A – X I = P ( B – X I )Q .

sur la jordanisation.
La version K [X ] - modules L’idée dans cet énoncé est que la base canonique (e1, …, en) de
E = K n en tant que K -espace vectoriel, n’est plus qu’un système
Soit E un espace vectoriel de dimension finie n sur K et soit de générateurs de E en tant que K [X ] -module. Les relations entre
M ∈ End ( E ) . L’espace E, muni de M, a une structure naturelle de ces générateurs sont données comme on l’imagine par les écritures
K [X ] - module induite par la multiplication externe Xe j – ∑ aij e i qui correspondent à l’endomorphisme de E défini par
i
P (X ) ⋅ v = P (M ) ( v ) .
la matrice A. Ces relations sont des vecteurs de K [X ] n , et y engen-
L’espace E muni de cette structure de K [X ] - module est noté drent un sous-module (noyau) identique à l’image de l’homomor-
usuellement EM . Il est facile de voir que ce module est un module phisme de K [X ] n défini par la matrice X I – A.
de torsion de type fini sur l’anneau principal K [X ] . De tels modules
sur les anneaux principaux ont une structure bien connue. Par Le théorème résulte du lemme suivant, qui s’établit par une
ailleurs, on a la proposition suivante. chasse de diagramme élémentaire.
Proposition 9.
Les deux K [X ] - modules EM et EN sont isomorphes si, et seule-
Lemme 3. Soit R un anneau commutatif. Deux homomor-
ment si, M et N sont semblables.
phismes de R n dans R m sont entrelacés par des automorphis-
mes de R m et R n si, et seulement si, leurs conoyaux sont
isomorphes.
10.1 Retour sur le commutant.
Application au bicommutant Les matrices qui, comme P ou Q, ont un déterminant constant non
nul sont les matrices inversibles dans l’anneau des matrices à coef-
Le commutant d’une matrice M se voit de ce point de vue comme ficients dans K [X ] . Deux matrices, à coefficients dans l’anneau,
l’algèbre des endomorphismes du K [X ] - module EM. Le bicommu- entrelacées par des matrices inversibles seront dites ϕ-équivalentes.
tant de M n’est autre que le centre de cette algèbre. Mais sur un anneau principal R tel que K [X ] , on dispose pour les
Proposition 10. matrices à coefficients dans R de la forme normale de Smith, qui
exprime qu’une matrice M, y est équivalente à une matrice diago-
Le bicommutant de M est réduit aux polynômes en M. nale
Preuve. ◊ Le K [X ] - module EM s’écrit
Diag(s1, …, sr , 0, …),
K [X ] ⁄ ( P 1 ) ⊕ … ⊕ K [X ] ⁄ ( P n ) ,
où chaque si divise le suivant. Les si s’appellent les facteurs inva-
où Pi divise Pi + 1 pour i ∈ [ 1, n – 1 ] . riants de M et s1 … si est égal au PGCD des mineurs d’ordre i de M.

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On peut énoncer le théorème suivant. Le processus poursuivi établit notre propos. Cela donne, par
exemple, avec des matrices d’ordre 3 les écritures suivantes, où l’on
a supposé d ≠ 0 :
Théorème 12. Les matrices A et B de M ( n, K ) sont sembla-
bles si, et seulement si, les matrices A – X I et B – X I ont les a b c a b c
mêmes facteurs invariants, P1, P2, …, Pn. Ces facteurs invariants d e f → d e f
vérifient
g h k 0 h – e(g ⁄ d) k – f (g ⁄ d)
P 1 (X ) P 2 (X ) … P n (X ) .
a b + c(g ⁄ d) c
Le polynôme Pn (X ) est le polynôme minimal commun à A et → d e + f (g ⁄ d) f
B et le produit des Pi est égal à leur polynôme caractéristique. 0 h – eg ⁄ d + ( k – fg ⁄ d ) ⁄ ( g ⁄ d ) k – fg ⁄ d

Une matrice est semblable à une matrice de Hessenberg H-régulière


si, et seulement si, son polynôme minimal est égal à son polynôme
a) L’énoncé sur les si s’établit facilement d’abord pour s1 et caractéristique (c’est-à-dire si elle est monogène) et que toute
s’obtient pour les autres en passant par les puissances extérieu- matrice complexe est semblable à une matrice de Hessenberg dont
res. le premier terme (ou, si l’on veut, le dernier) de sa sous-diagonale
b) Le polynôme minimal est donné, vu le théorème 12, est nul (on considérera une droite ou un hyperplan stable).
comme le quotient du polynôme caractéristique par le PGCD
des coefficients de la comatrice de A – X I.
c) Sur un anneau euclidien tel que K [X ] , les facteurs inva-
riants dans la forme de Smith s’obtiennent de façon effective
par des opérations sur lignes et colonnes combinées avec 11.2 Calcul du déterminant
l’algorithme d’Euclide.
d) Les polynômes Pi (X ) apparaissant dans la preuve de la
proposition 10 et liés à la structure du K [X ] - module de type Le calcul du déterminant est fondé sur une formule simple de
fini EM sont les mêmes que les facteurs invariants issus de la calcul du déterminant d’une matrice dont les coefficients de la
forme normale de Smith. dernière ligne sont nuls sauf peut-être les deux derniers. On aura
besoin pour l’exprimer d’introduire une application bilinéaire
alternée naturelle de

Kn × Kn → Kn – 1 .
11. Matrices de Hessenberg Pour un vecteur colonne V de R n = R n – 1 ⊕ R , on écrit V = V 1 + u n

et l’on définit V , W comme le vecteur w n V1 – u n W1 .

11.1 Généralités
Lemme 4. Soit M une matrice carrée d’ordre n dont les coef-
ficients de la dernière ligne sont nuls sauf, éventuellement, les
Une matrice de Hessenberg est une matrice telle que tous les deux derniers.
termes au dessous de sa sous-diagonale sont nuls. Elle est dite Si l’on note A la matrice rectangulaire ( n – 1 ) × ( n – 2 ) obte-
H-régulière si tous les termes de sa sous-diagonale sont non nuls. nue en rayant la dernière ligne et les deux dernières colonnes
Elle est évidemment triangulaire (supérieure) si tous les coefficients
de sa sous-diagonale sont nuls. V et W de M, alors le déterminant de M est égal au déterminant
L’intérêt pratique des matrices de Hessenberg est double : de la matrice d’ordre n – 1 obtenu en adjoignant à la matrice A
— d’abord, leurs déterminants, comme leurs polynômes caracté- une dernière colonne donnée par V , W .
ristiques, se calculent facilement ;
— surtout, toute matrice est (de façon effective et quel que soit le
corps de base) semblable à une matrice de Hessenberg.
Ainsi, par exemple, le polynôme caractéristique de la matrice
Ce dernier point s’établit grâce à des opérations élémentaires
simultanées (c’est-à-dire de façon à rester dans la même classe de
similitude) sur les lignes et les colonnes : pour peu que la première x y z t
colonne soit non nulle (sinon on passe à la suivante), on peut, par B = a u v w
une permutation éventuelle (simultanée) des lignes et colonnes, 0 b r s
supposer que le terme b21 est non nul. A partir de là, on annule, par 0 0 c m
des opérations élémentaires sur les lignes, tous les termes de la
première colonne qui se trouvent en dessous et on effectue au fur et
à mesure les opérations (simultanées) sur les colonnes. est donné par
Comme, durant ce processus, la première ligne n’est pas modifiée
mais surtout n’intervient pas, les opérations simultanées correspon- x–X y z ( m – X ) – ct
dantes sur les colonnes n’affectent pas la première colonne et l’on χ B (X ) = det a u–X v ( m – X ) – cw
se retrouve avec une matrice semblable à celle de départ mais ayant 0 b ( r – X ) ( m – X ) – cs
une première colonne comme il faut (on notera que c’est pour cela
que l’on ne peut obtenir la trigonalisation – qui suppose d’ailleurs le y [ ( r – X ) ( m – X ) – cs ] – b [ z ( m – X ) – ct ]
corps de base algébriquement clos – en usant d’un processus = det x – X
analogue). a ( u – X ) [ ( r – X ) ( m – X ) – cs ] – b [ v ( m – X ) – cw ]

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Les matrices de Hessenberg sont également utiles dans


12.2 De certaines matrices monogènes
d’autres situations. Ainsi, elles permettent par exemple d’établir
x 0 0 0 Soit M est une matrice réelle que l’on a réduite, sur C , sous forme
facilement que la matrice 1 y 0 0 est diagonalisable si, et de Jordan. La réduire sur R revient essentiellement à examiner les
0 2 z 0 matrices réelles qui sont dans la classe de similitude de la matrice
0 0 3 t d’ordre 2n donnée par
seulement si, x, y, z et t sont distincts deux à deux. Jn ( λ ) ⊕ Jn ( λ ) ,
De même, il est immédiat de voir que les matrices (dépen-
x xy 0 0 où λ est non réel. Ces matrices sont monogènes et admettent

dants de quatre paramètres indépendants) 1 y 0 0 X 2 – ( 2Re ( λ ) X + λ 2 ) n


0 1 z zt
0 0 1 t pour polynôme caractéristique ou polynôme minimal. La matrice
ne sont jamais diagonalisables (car ce sont des matrices de compagnon associée est déjà une matrice réelle de leur classe de
Hessenberg H-régulières qui ont 0 comme valeur propre au similitude. Toute matrice réelle monogène M ayant le même poly-
moins d’ordre deux). nôme caractéristique convient également.
On se propose de rechercher de telles matrices qui soient de la
forme

A B 0 … 0
12. Le cas réel 0 A B … 0
M = 0 .. ..
0 . . 0 ,
..
: . A B
0 0 … 0 A
12.1 Généralités
où A est une matrice réelle d’ordre deux ayant

L’examen de la place occupée par les matrices réelles dans la λ = a + i b et λ = a – i b


partition de M ( n, C ) en armoires prouve que seules les armoires
associées à des polynômes caractéristiques réels contiennent des comme valeurs propres.
matrices réelles. Les valeurs propres de telles matrices sont réelles Remarquons, d’abord, que toutes les matrices A soumises à ces
ou complexes conjuguées et pour λ, valeur propre non réelle, les conditions forment une seule classe de similitude, dans laquelle on
multiplicités algébriques de λ et de λ sont égales. De plus, pour A
complexe 0 – a 2 – b 2 , mais
a – b et
trouve par exemple les matrices
b a1 2a
χ A (X ) = χ A (X )
où ne figurent ni matrice triangulaire supérieure (ou inférieure), ni
matrice symétrique. Cette classe de similitude, qui est géométrique-
et le système de tableaux de Young qui paramètre la classe de simi-
litude de A se déduit de celui de A en prenant pour tableau associé ment un hyperboloïde à deux nappes, sera notée * 2 ( a + i b ) .
à λ celui de λ. Par ailleurs, le polynôme minimal de M est de degré pair, car il est
Si maintenant A est semblable à une matrice réelle, elle est néces- réel et divise le polynôme caractéristique. Aussi, la condition sur M
sairement semblable à sa conjuguée ; son tiroir contiendra donc des sera assurée dès lors que B est choisie de telle sorte que la matrice
matrices réelles si, et seulement si, le système de tableaux de Young
associé est tel que pour toute valeur propre λ non réelle, M 2 – Tr ( A ) M + det ( A )I 2 n

TY ( A ; λ ) = TY ( A ; λ ) . ait une puissance (n – 1)-ième non nulle ou, ce qui revient au même,
que la matrice
Enfin, deux matrices réelles d’un même tiroir complexe sont dans
un même tiroir réel (autrement dit, si deux matrices réelles sont AB + BA – Tr(A)B
semblables sur C , alors elles sont semblables sur R ).
soit non nilpotente!
Il est facile alors, en regardant les valeurs propres ou en invoquant
Exemple : la matrice la trace, de voir que B peut être choisie égale à I2, à A elle-même, à

i 1 0 0 la matrice X = 0 1 ,à Y = 0 0 ou enfin à X – Y = 0 1 .
0 0 1 0 –1 0
0 i 0 0
0 0 –i 0 De plus, si
0 0 0 –i
A = A ( a, b ) = a – b ,
a un polynôme caractéristique réel mais n’est semblable à aucune b a
matrice réelle (on explicitera le polynôme minimal ou bien comparer les
rangs de A – i I et de A + i I). on peut prendre B de trace nulle non symétrique quelconque.

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12.3 Jordanisation réelle a) Le tiroir de haut d’une armoire associée à un polynôme uni-
taire de degré n réel contient toujours un sous-tiroir réel (consi-
dérer la matrice compagnon de ce polynôme) et le tiroir du bas
également. Le sous-tiroir du bas est constitué des matrices
Théorème 13. Les classes de similitude réelles d’une même semi-simples réelles de l’armoire en question.
armoire à polynôme caractéristique réel sont paramétrées par b) Les tiroirs d’une même armoire contiennent tous des sous-
les systèmes de tableaux de Young où pour toute racine non tiroirs réels si, et seulement si, les racines complexes non réel-
réelle λ, on a les du polynôme caractéristique commun à toutes les matrices
sont, quand elles existent, simples.
TY ( A ; λ ) = TY ( A ; λ ) .

Pour un tel système, la réduite de Jordan réelle peut être choi-


sie de telle sorte qu’elle soit une somme de blocs de Jordan 12.4 Graphe d’une armoire à polynôme
habituels associés aux valeurs propres réelles auxquels on
ajoute, pour les valeurs propres complexes λ = a + ib non réel- caractéristique réel et dans M ( 8, C )
les, des blocs de taille paire n’ayant que des matrices
A ∈ * 2 ( a + i b ) sur la diagonale et sur la surdiagonale et des
zéros partout ailleurs. Considérons l’armoire ! correspondant dans M ( 8, C ) au poly-
nôme unitaire réel (X – 1)2(X 2+1)3.
Le nombre de classes de similitudes (ou tiroirs) contenues dans
! est égal à p (2)p (3)3 = 2 × 3 2 = 18. Chaque classe est étiquetée
D’autres choix sont possibles. On peut, en effet, remplacer les par un système de trois tableaux de Young, deux d’entre eux ayant
matrices A figurant sur la surdiagonale par des matrices B toutes trois cases et correspondants aux valeurs propres ± i et un troisième
égales à l’identité, ou bien à la matrice X, ou Y ou X – Y. tableau à deux cases correspondant à la valeur propre 1 (figure 4).
En fait, on a un tableau de Young associé à chaque facteur irréduc- La symétrie verticale du graphe reflète la conjugaison M ° M
tible du polynôme caractéristique. Dans la jordanisation réelle, le qui laisse stable l’armoire considérée. Les tiroirs centrés sur l’axe de
tableau de Young associé à un tel facteur de degré deux générera, symétrie sont les tiroirs réels : ils ne sont plus que 6. On peut les
pour chacune de ses lignes, un bloc de Jordan de taille double, paramétrer par des couples de tableaux de Young associés aux
ayant (dans le choix usuel) les mêmes matrices A = A(a, b) sur la facteurs réels irréductibles de
diagonale, la matrice I2 le long de la surdiagonale et des zéros
partout ailleurs. ( X – 1 )2 ( X 2 + 1 ) 3 .

i -i 56 1

54 1 54 i -i
i 1 -i i 1
54
-i
1 1
-i 52
-i i
52 52
i i 1 -i

i -i
1 50 i
-i i -i 1
50 1 50

i -i 48
48 1 48 48
-i i
1 i -i
-i i 1
1
i
46 1 1 46
i
-i
-i -i
i
1
44

42
i
1 -i

Figure 4 – Graphe d’une armoire complexe


à polynôme caractéristique réel

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Deux matrices réelles A et B conjuguées sous l’action de O (n)


sont à la fois semblables et congruentes : les propriétés invariantes
56 56
X2 + 1 1 par la similitude et la congruence sont conservées pour A et B.
L’introduction dans ce cadre des espaces hermitiens et du groupe
1 54 unitaire est subtile et simplifie considérablement l’approche : elle
X2 + 1 54 est du même ordre que le passage de R à C , passage fort utile dans
certaines situations. Il s’agit d’étudier l’action par conjugaison du
1 52 X2 + 1 groupe unitaire
52
t
U ( n ) = { M ∈ GL ( n, C ) MM * = I n }, où M * = M .
1 50 2
X +1
50 Il s’avère que l’on a la proposition suivante.
Proposition 11.
Si deux matrices réelles sont unitairement semblables alors elles
X2 + 1 sont orthogonalement semblables.
1 44
44
13.2 Action du groupe unitaire
1 42 X2 + 1 42
Toute orbite sous l’action par similitude du groupe unitaire
contient une matrice triangulaire (Schur) ; celles qui contiennent des
matrices diagonales sont les orbites des matrices normales, c’est-à-
dire des matrices qui commutent avec
Figure 5 – Graphe d’une armoire réelle
t
A* = A .
La classe de similitude de dimension 54 correspondra ainsi au Quand l’espace E = C n est muni de la forme hermitienne définie
couple positive canonique
X–1 〈 v, w 〉 = ∑ vi wi ,
i
et X2 +1
ces matrices sont aussi caractérisées par le fait que si F en est un
sous-espace stable, son orthogonal F ⊥ est stable.
La matrice
13.3 Matrices normales.
1 1 0 0 0 0 0 0
Premières propriétés
0 1 0 0 0 0 0 0
0 0 0 1 1 0 0 0
Les résultats précédents résultent de considérations élémen-
0 0 –1 0 0 1 0 0 taires.
0 0 0 0 0 1 0 0 Si A est quelconque, Ker A = Ker A* A.
0 0 0 0 –1 0 0 0
0 0 0 0 0 0 0 1 Si A est normale alors Ker A = Ker A* ; par suite, si v est un
0 0 0 0 0 0 –1 0 vecteur propre de A associé à la valeur propre λ, il est vecteur
propre de A* associé à la valeur propre λ . Les sous-espaces propres
est dans la classe de dimension 52. La dégradation d’une case associés à des valeurs propres distinctes sont orthogonaux pour le
correspondant à un tableau associé à X 2 + 1 entraîne une chute de produit hermitien :
4 dimensions par niveau (figure 5).
λ 〈 v, w 〉 = 〈 A ( v ), w 〉 = 〈 v, A * w 〉 = 〈 v, µ w 〉 = µ 〈 v, w 〉 .
Et si l’on prend la somme des sous-espaces propres, elle est
exhaustive car sinon, son orthogonal serait stable par l’adjoint A*
qui y aurait un vecteur propre, lequel est également vecteur propre
13. Similitude et congruence. de A.
Matrices symétriques Si A est normale, Ker A = ( Im A ) ⊥.
réelles
13.4 Matrices normales.
13.1 Généralités Autres caractérisations
Une matrice est normale si, et seulement si
On examine ici le lien entre similitude et congruence. Le groupe
∑ λi 2
orthogonal est défini par = Tr ( A * A ) ,

t comme il résulte du fait que l’application M ° Tr ( M * M ) est U(n)-


O ( n ) = { M ∈ GL ( n, R ) MM = I n } invariante et du fait du théorème de Schur. On voit ainsi qu’une

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matrice triangulaire est normale si, et seulement si, elle est diago- d’une matrice normale est entièrement déterminée par les valeurs
nale. propres, lesquelles sont déterminées par leurs seules sommes de
Une matrice A est normale si, et seulement si, A* est un polynôme Newton : deux matrices normales A et B sont semblables si, et
en A. seulement si,
On constate aussi que la matrice A est normale si, et seulement si, Tr (A k ) = Tr(B k )
pour tout k.
tout vecteur propre de A est vecteur propre de A*. En effet, si v est
Ce critère n’est pas effectif ; cependant une amélioration due à
un vecteur propre pour A, il l’est également pour A*
et donc A laisse
Pearcy indique que l’on peut se contenter de mots de degré < 2 n 2 .
stable l’hyperplan orthogonal ; une récurrence s’engage alors.
Exemples.
Exemple. Quand A et B sont normales, l’opérateur Φ : X ° AX – XB
de M ( n, C ) est normal une fois que M ( n, C ) a été muni du produit her- a) On montre que deux matrices A et B d’ordre deux sont unitaire-
mitien ment semblables, si et seulement si,
Tr (A ) = Tr (B ) ,
〈 A, B 〉 = Tr ( AB * )
Tr (A2) = Tr (B 2)
pour lequel d’ailleurs la base canonique (Eij ), i, j = 1, …, n est orthonor-
mée. En comparant les noyaux de Φ et de Φ∗, on en déduit que si A et et Tr (AA*) = Tr (BB*).
B sont normales et AT = TB, alors :
(On notera que le scalaire Tr ( AA * ) – ∑ λ 2 est un invariant.)
A*T = TB*. i

Cela s’obtient également en remarquant d’abord que l’hypothèse b) Les deux matrices d’ordre 2n suivantes
AT = TB implique que P (A)T = TP (B ) pour n’importe quel polynôme
P ∈ C [ X ] , le résultat en découle sachant que A A et 2A 0
A* = P (A) et B* = P (B ) A A 0 0

pour un même polynôme P (on considérera la matrice normale sont unitairement semblables.
A 0 ).
0 B
13.7 Matrices symétriques
et antisymétriques réelles
13.5 Cas n = 2
■ Une matrice symétrique réelle S ∈ M ( n, R ) est, en particulier,
normale. Ses valeurs propres sont réelles (comme toute matrice
hermitienne, c’est-à-dire toute matrice H complexe vérifiant H * = H)
Une matrice réelle 2 × 2 est normale si, et seulement si, elle est et elle est diagonalisable dans une base orthonormée pour le pro-
duit scalaire. On peut écrire S = ODO –1, avec D diagonale et O
symétrique ou bien est de la forme a – b (par le calcul direct, ou orthogonale. Les matrices S et D sont à la fois semblables et
b a congruentes. En particulier, si (p, q) est la signature de la forme qua-
bien en utilisant la réduction sur C puis sur R ). dratique sur R n définie par S, l’entier p (resp. q) coïncide avec le
nombre de valeurs propres > 0 (resp. < 0) de S.
Toute matrice réelle normale est orthogonalement semblable à
une matrice bloc diagonale avec sur la diagonale des blocs de taille ■ Il est également facile d’établir qu’une matrice antisymétrique
1 ou 2, ces derniers étant des similitudes. réelle a toutes ses valeurs propres imaginaires pures et qu’elle est
orthogonalement semblable à une matrice diagonale en blocs, nuls
Cela s’exprime aussi par le fait qu’un endomorphisme normal u
dans un espace euclidien E (réel) vérifie la chose suivante : ses sous-
ou de la forme 0 α , où α ∈ R . Son rang est en particulier pair.
espaces propres (réels) sont orthogonaux deux à deux (il peut ne –α 0
pas en exister) et leur somme est de codimension paire. L’ortho-
gonal de cette somme est stable par u et la restriction de u à cette Exemple : le coefficient qA de X n – 2 dans le polynôme caractéris-
somme est somme directe orthogonale de similitudes planes. tique χA(X ) de
Comme
A = ( α ij ) ∈ M ( n, R ), avec n > 2 ,
a –b = – a – b + 2a I ,
2 est une forme quadratique en (les coefficients de) A, qui est non dégé-
b a b a nérée et de signature
on voit que la transposée tA d’une matrice normale réelle A est un [n (n – 1)/2 + 1 ; n (n + 1)/2 – 1].
polynôme (réel) en A.
En effet, les termes non diagonaux de la matrice A interviennent
pour i < j par – aij aji ; chacune de ces n (n – 1)/2 expressions contribue
par (1;1) dans la signature.
13.6 Théorème de Specht Quant aux termes diagonaux, ils interviennent par l’expression
∑ i < j aii ajj .
En fait, les fonctions A ° Trm ( A, A * ) où m (X, Y ) est un mot Cette forme quadratique a même signature que la forme quadrati-
quelconque en deux matrices X et Y, sont invariantes sous l’action que définie par la matrice 2J – I, où I est la matrice identité et J la
du groupe U (n). Et, un théorème du à Specht affirme que ces fonc- matrice qui a des 1 partout. La matrice J de rang 1 est semblable à
tions séparent les orbites! On notera que ce théorème s’énonce plus Diag(n, 0, …, 0). La matrice symétrique 2J – I a donc pour signature
simplement dans le cas des matrices normales, puisque l’orbite (1;n – 1). Le résultat cherché est immédiat.

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13.8 Théorème de Horn Il s’avère que l’application ( A, X, H ) ° A applique l’ensemble 7


sur l’ouvert des matrices positivement stables (c’est-à-dire dont le
spectre est contenu dans le demi-plan ouvert de droite) et la fibre au
dessus d’une telle matrice A (c’est-à-dire l’ensemble des triplets de
Le vecteur ( h ii ) i = 1, …, n de R n correspondant à la diagonale 7 dont la première composante est précisément A) est donnée par
le graphe d’un difféomorphisme
d’une matrice hermitienne quelconque appartenant à une orbite
sous l’action de U(n) se trouve évidemment dans le sous-espace


affine d’équation H°X = exp ( – tA ) H exp – tA * d t
0

∑ xi = c entre le cône HDP (des matrices hermitiennes définies positives) et


i
un cône qui y est contenu.
où c désigne la trace commune à toutes les matrices de l’orbite. On se contentera à cet effet de trois remarques.
En fait, un théorème dû à Horn précise que les vecteurs qui corres- La première est que si ( A, X, H ) ∈ 7 , alors la matrice A est positi-
pondent ainsi aux diagonales des matrices hermitiennes, d’une vement stable car, du fait de l’action sur les triplets, une matrice B
même orbite sous l’action de U (n) décrivent exactement l’enveloppe qui lui est semblable vérifie que B + B* est définie positive et donc si
convexe des vecteurs de coordonnées ( λσ ( 1 ) , …, λσ ( n ) ) , où les λi (λ, x) est un couple B-propre,
sont les valeurs propres et σ une permutation quelconque dans S n .
2 Re ( λ ) 〈 x, x 〉 = 〈 λx, x 〉 + 〈 x, λx 〉 = 〈 ( B + B * ) ( x ), x 〉 .
Ce résultat est à comparer avec le fait que les diagonales des
matrices semblables (sous l’action de GL ( n, C ) ) au bloc de Jordan La deuxième est que
Jn décrivent quant à elles l’ensemble des points de l’hyperplan
H = [ exp ( – tA ) H exp ( – tA * ) ] 0∞
∑ xi = 0 . Le fait que Jn et λJn soient semblables pour tout λ non
i ∞
nul, prouve alors que l’ensemble cherché est un cône ; il suffit alors
d’établir que le vecteur nul en est un point intérieur, et pour cela, on
=
∫0
A [ exp ( – tA ) H exp ( – tA * ) + exp ( – tA ) H exp ( – tA * ) A * ] dt

procède par un argument de géométrie différentielle.


= AX + XA * .
On considère à cet effet l’application P ° PJ n P –1 qui admet
pour différentielle au point In l’application Les intégrales ci-dessus convergent, car si A = S + N est la décom-
position de Jordan-Dunford de A, µ = inf Re(λ) et cA une constante
ad J n : X ° [ J n , X ] = J n X – XJ n . dépendant de A bien choisie,
exp ( – tA ) = exp – t ( S + N ) < exp ( – tS ) exp ( – tN )
La manière avec laquelle opère ad Jn est bien connue : elle
consiste à pousser une pardiagonale (c’est-à-dire l’ensemble des < c A e –µt exp ( – t N ) = O ( t n ) e –tµ ,
coefficients xij tels que i – j est constante) vers la pardiagonale juste
quand t ° ∞ , puisque l’exponentielle en N nilpotente est un poly-
plus haut. Seule la sous-diagonale compte donc pour voir ce qui se
nôme en N de degré au plus n.
passe sur la diagonale, et, là, les sous-diagonales se surjectent sur
les diagonales dont la somme des coefficients est nulle. L’appli- Enfin, la dernière est que si A est positivement stable, l’appli-
cation, qui à P associe la diagonale de P Jn P –1 est une submersion cation linéaire
en In , elle est donc ouverte au voisinage de In .
Ψ : X ° AX + XA *
est bijective, car son spectre est donné par les λ i + λ j , où les λi sont
les valeurs propres de A (on notera que les deux opérateurs
13.9 Théorème de Lyapounov X ° AX et X ° XA * commutent et sont donc simultanément
trigonalisables).
Il s’ensuit que la composante X d’un élément ( A, X, H ) de 7 est
entièrement déterminée par les deux autres et s’obtient en inversant
Théorème 14 (Lyapounov). Une matrice A a son spectre l’opérateur Ψ qui est à spectre dans le demi-plan {z, Re(z ) > 0}. Or,
dans Re(z) > 0 si, et seulement si, l’équation linéaire pour un tel opérateur, l’analyse fonctionnelle élémentaire nous
donne
AX + XA* = I


Ψ –1 = e –t Ψ d t ,
admet une solution X hermitienne définie positive. Si tel est le 0
cas, la matrice X est unique et est donnée par
et l’exponentielle de l’endomorphisme ϕ : X ° AX + XB est donnée
par


e –tA e – tA * dt .
0 Z ° eA Z eB ;
(le groupe à un paramètre associé à ϕ coïncide avec

Φ : t ° [ Z ° e tA Z e tB ] ,
L’idée de départ est que le groupe GL ( n, C ) opère naturellement
sur l’ensemble 7 des triplets (A, X, H ) de matrices (où les deux qui vérifie bien :
dernières matrices sont hermitiennes définies positives) vérifiant
l’équation de Lyapounov AX + XA* = H : Φ(t1 + t2) = Φ(t1)Φ(t2) ;
il suffit en effet de dériver ce dernier sous-groupe à un paramètre en
P ⋅ ( A, X, H ) = ( PAP –1 , PXP * , PHP * ) . t = 0).

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14. Quelques exemples 14.3 Autre exemple


récapitulatifs Soit à réduire la matrice

a a a
14.1 Une diagonalisation explicite M ( a, b ) = b a a ∈ M ( 3, C ) .
b b a

1 –1 0 Le cas b = 0 et a ≠ 0 est facile : la matrice M – aI est de rang 2 et


Soit A = – 1 1 1 ∈ M ( 3, R ) . la matrice M est semblable au bloc de Jordan J3(a) associé à la
valeur propre a, soit
0 0 3
On obtient a a a a 1 0
χA(X) = X (X – 2)(X – 3). 0 a a ∼ 0 a 1 .
0 0 a 0 0 a
La matrice A est donc diagonalisable, car à valeurs propres
distinctes. La résolution des équations 1
Dans le cas où b est non nul, on peut en considérant --- M
Ax1 = 0 ; Ax2 = 2x2 ; Ax3 = 3x3 b
conduit à choisir par exemple supposer que b = 1. Un calcul par Maple donne, quand n = 3, une
x1 = (1, 1, 0) ; x2 = (1, – 1, 0) et x3 = (– 1, 2, 3). a a a
valeur propre de A = 1 a a qui vaut a + a1/3 + a2/3 et un poly-
1 1 –1 1 1 a
Si on pose P = [ x 1 x 2 x 3 ] = 1 –1 2 , on a nôme caractéristique dont les racines ne sautent donc pas aux yeux.
0 0 3 Cela laisse à penser que A est en fait un polynôme en une matrice
plus facile ! On a en effet
P –1 AP = Diag(0, 2, 3). 0 0 a
Le calcul des puissances Ak de A, pour k grand, devient aisé. Il A = B 3 + B 2 + B, où B = 1 0 0 .
s’agit cependant de calculer l’inverse de P. 0 1 0
Cette dernière matrice est une matrice compagnon et son poly-
nôme caractéristique est donné par X 3 – a. La réduction de B est
14.2 Une jordanisation effective facile, celle de A s’en déduit tout aussi facilement.

4 1 –1
Soit A = – 6 ∈ M ( 3, R ) . On a
14.4 Ressorts de Trubowitz
–1 2
2 1 1
Dans des coordonnées naturelles, l’équation du système formé
χA(X ) = (X – 1)2(X – 2). par les ressorts oscillant sur un rail circulaire sans frottement et
reliés par des ressorts identiques, est de la forme
Le vecteur x3 = (1, –2, 0) vérifie l’équation Ax3 = 2x3 et fournit
donc une base du sous-espace propre EA(2). ( d ⁄ d t ) 2 x = Ax ,
Le sous-espace propre EA(1) s’avère être de dimension 1 et où x est le vecteur des positions des n masses et A la matrice
engendré par (1, – 2, 1). La matrice A n’est donc pas diagonalisable. 1
I n – --- ( C + C –1 ) , avec pour C la matrice compagnon du polynôme
Par ailleurs, la matrice (A – I )2 de rang 1 est donnée par 2
X n – 1. En particulier, A est circulaire, c’est-à-dire combinaison
1 0 –1 linéaire de puissances de la matrice C. Comme toute matrice circu-
–2 0 2 . laire, la matrice A se diagonalise facilement sur le corps des
0 0 0 nombres complexes (les vecteurs ( 1, z, z 2 , …, z n – 1) ∈ C n , où z
parcourt les racines n-ièmes de l’unité, forment une base de
Le vecteur v2 = (0, 1, 0) est dans Ker(A – I )2 mais non dans
vecteurs propres). On réduit ainsi le système ci-dessus à un système
Ker(A – I ).
semblable de la forme
La base (v1, v2, v3), où v1 = (A – I )(v2) = (1, – 2, 1), est donc une
base de jordanisation de A. (d/dt)2u + Du = 0,
où la matrice D est diagonale à coefficients positifs ou nuls. Ce
1 0 1 système est équivalent à n équations du type
En posant P = [ v 1 v 2 v 3 ] = – 2 1 – 2 , on a ( d ⁄ d t ) 2 u i + d 2i u i = 0
1 0 0
dont la solution est immédiate :
1 1 0 — ui = Ai cos(dit) + Bi sin(dit) si di est non nul ;
P –1AP = 0 1 0 . — ui = Ait + Bi si di est nul.
0 0 2 Les solutions du système obtenues en prenant ui = 0 sauf pour un
seul i sont appelés des « états purs » du système. Quand le système
Le recours à une réduction effective peut s’avérer très utile si l’on se trouve dans un état pur, toutes les masses oscillent avec la même
a à calculer par exemple une puissance Ak de A pour k assez grand. fréquence. On trouvera dans [10], une liste de liens sur les dessins
Il est alors nécessaire de calculer P –1. (animés) de quelques états purs et d’un état qui ne l’est pas.

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Références bibliographiques

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