Fasc. 70 EXÉCUTION EN FRANCE DES MESURES CONSERV
Fasc. 70 EXÉCUTION EN FRANCE DES MESURES CONSERV
Fasc. 70 EXÉCUTION EN FRANCE DES MESURES CONSERV
Fabien Tommasone - Huissier de justice associé à Nanterre (SCP Leroi & Associés)
Delphine Eskenazi - Avocate aux barreaux de Paris et de New-York (cabinet Libra Avocats)
Introduction
1. – Assurément, la résolution juridictionnelle d’un litige comportant un élément d’extranéité suppose principalement
que l’on identifie la juridiction internationalement compétente et que l’on détermine la loi applicable. Cependant, on
ne saurait négliger l’importance de l’exécution de la décision de justice ainsi prononcée. Or, dans le contexte de
tels litiges, la notion d’exécution revêt différentes acceptions. Si la réalisation effective des droits de la partie
gagnante suppose in fine l’exécution proprement dite de la décision de justice obtenue, il peut s’avérer nécessaire
Reference : Aucune
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Encyclopédies
Téléchargé le 14/04/2020
– au préalable – d’assurer la « circulation transfrontière » de cette décision, en vue de la rendre exécutoire dans un
ou plusieurs autres États. En la matière, aux côtés des solutions – principalement d’origine prétorienne – dégagées
dans les droits nationaux, plusieurs dispositifs de reconnaissance et d’exécution transfrontières ont été prévus dans
des conventions internationales – bilatérales ou multilatérales – liant la France ainsi que dans les règlements
européens. La présente étude entend se concentrer sur certains d’entre eux, en mettant l’accent sur l’exécution en
France de mesures conservatoires ou injonctions (I) ainsi que de jugements (II) prononcés dans des pays de
common law.
2. – Problématique – En droit français, l’exécution forcée porte sur les biens qui composent le patrimoine du
débiteur au jour de la saisie, l’article 2284 du Code civil dispose que “quiconque s’est obligé personnellement, est
tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir”. Cependant, le
temps nécessaire à l’obtention d’une décision de justice exécutoire sur le territoire national peut jouer contre le
créancier, au profit du débiteur, lequel pourra, par des manœuvres plus ou moins hasardeuses, se rendre
insolvable, tout du moins en apparence. C’est pourquoi, les articles L. 511-1 et L. 511-2 du Code des procédures
civiles d’exécution ouvrent le droit au créancier d’agir en amont de l’exécution forcée, afin de préserver son droit de
gage général, lorsqu’il sera en possession d’une décision ayant force exécutoire (N. Fricero, Procédure civile :
Gualino, 14e éd., 2017, p. 196). Outre le droit national, le droit de l’Union européenne s’est également doté d’un
instrument permettant de saisir à titre conservatoire le solde d’un compte bancaire pour les litiges ayant un
caractère transfrontalier (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 655/2014, 15 mai 2014) ; ce qui signifie que le compte
bancaire devant faire l’objet de la mesure, doit être ouvert dans un autre État membre que l’État de la juridiction
saisie de la demande d’ordonnance de saisie conservatoire, ou autre que l’État membre dans lequel le créancier
est domicilié (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 655/2014, art. 3). L’application de ce règlement demeure facultative, le
créancier conservant la possibilité d’utiliser les procédures de droit commun s’il le souhaite.
3. – Assimilation en droit commun des titres étrangers en l’absence d’exequatur – L’intérêt de notre étude est
de se positionner en amont de la procédure d’exequatur, lorsque le créancier est en possession d’une décision de
justice obtenue dans un État situé en dehors de l’espace judiciaire européen. Aux termes de l’article L. 111-3 du
Code des procédures civiles d’exécution, constituent des titres exécutoires “les actes et les jugements étrangers
ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif
d’exécution”. Cet article envisage l’exécution forcée d’un titre étranger sur le territoire national, sous réserve d’avoir
été déclaré exécutoire en France. Il s’agit, pour le juge national, qui n’a pas dit le droit, de conserver son imperium
et le pouvoir de contrainte qui en découle. Cependant, quelle valeur notre droit accorde-t-il aux titres exécutoires
étrangers encore dépourvus de force exécutoire ? L’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution
autorise le créancier d’une obligation à pratiquer une mesure conservatoire en vertu d’un titre exécutoire ou d’une
décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire. S’agissant des décisions de l’ordre judiciaire national, cela a
été rappelé par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 17 oct. 2002, n° 01-00.495 : JurisData n° 2002-015882 ; Bull.
civ. II, n° 230). Dans cette hypothèse, quelle place accorder aux décisions de justice étrangères ? Ce point a été
tranché par le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Caen (TGI Caen, JEX, 1er oct. 2002 et Caen, 29 juin
2004 : Gaz. Pal. 15 janv. 2005, p. 32, obs. F.-X. Train), lequel a estimé qu’un jugement étranger, qui n’a pas reçu
exequatur, constitue une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire, faisant ainsi entrer cette catégorie
de titre dans le champ d’application de l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution. En effet, il
n’appartient pas au juge de l’exécution de statuer sur la validité du jugement, cette prérogative revient au tribunal
judiciaire dans le cadre de la procédure d’exequatur.
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4. – Difficile obtention des informations utiles à la mesure – Bien que cette solution soit louable, elle nécessite
de la part du créancier une connaissance précise du patrimoine du débiteur afin d’agir au mieux de ses intérêts. Si
le créancier se tourne vers la France, c’est qu’il possède nécessairement des informations sur les actifs
saisissables de son débiteur ; toutefois, il peut s’agir d’informations parcellaires, insuffisantes pour engager une
mesure de saisie conservatoire de créances. Il peut tout à fait être informé qu’un compte bancaire est ouvert au
nom du débiteur sur le territoire national, sans pour autant connaître l’identité de l’établissement teneur de compte.
On voit mal, dans cette hypothèse, le créancier tenter une saisie conservatoire de créances dans chacune des
banques présentes sur le territoire national, cela pourrait s’apparenter à un abus de saisie, sans compter qu’un tel
procédé entraînerait des frais exorbitants qui resteraient à sa charge. C’est pourquoi, cette solution ne présente
véritablement d’intérêt que lorsque le créancier détient des informations suffisamment précises sur l’identité du tiers
saisi.
5. – Recherche des informations encadrée par les textes – Les articles L. 152-1 et suivants du Code des
procédures civiles d’exécution autorisent l’huissier de justice à interroger les différents établissements publics, les
banques, si, et seulement si, il a mandat d’engager l’exécution forcée, ce qui suppose qu’il soit en possession d’un
titre exécutoire. Dans le cadre d’une mesure conservatoire diligentée sur le fondement d’un titre n’ayant pas force
exécutoire, il devra s’en tenir aux informations fournies par le créancier. Il en est de même si la mesure
conservatoire est autorisée par le juge de l’exécution. En effet, en cas de déficit d’information, le créancier pourrait
être tenté de demander au juge de l’exécution qu’il ordonne la mesure conservatoire, et qu’il autorise également
l’huissier de justice à interroger le fichier FICOBA (fichier des comptes bancaires et assimilés). La deuxième
chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 16 mars 2017, n° 16-11.314, P+B : JurisData n° 2017-
004641 ; JCP G 2017, 368, S. Dorol ; Procédures 2017, comm. 124, L. Raschel ; RD bancaire et fin. 2017, comm.
178, S. Piédelièvre) a dissipé les doutes sur ce point, en précisant que l’ordonnance autorisant une mesure
conservatoire ne permet pas à l’huissier de justice d’interroger le fichier FICOBA, même si elle l’autorise
expressément à le faire. En conséquence, si le créancier ne détient pas d’éléments suffisamment pertinents, seule
la procédure d’exequatur permettra l’accès aux informations nécessaires à la bonne conduite de la procédure, avec
le risque que le défendeur, attrait à la procédure, prenne des dispositions patrimoniales contraires aux intérêts du
créancier. C’est pourquoi, une fois l’exequatur obtenu, une saisie-attribution sera plus appropriée afin de bénéficier
de l’effet attributif immédiat.
6. – Point de vue du droit européen – Dans l’espace judiciaire européen, en matière de saisie conservatoire de
créances, le créancier a le choix des armes. Il peut décider d’utiliser la procédure européenne spécialement créée
à cet effet, ou choisir la voie du droit commun et demander au juge de l’exécution d’autoriser la mesure. S’il est
admis que rien n’interdit à un juge d’autoriser une mesure conservatoire destinée à s’exécuter dans un autre État,
cela sera toujours sous réserve de l’exequatur (R. Perrot et Ph. Théry, Procédures civiles d’exécution : Dalloz,
3e éd., 2013). Depuis le règlement (UE) n° 1215/2012, le principe du contrôle du juge national (celui de l’État
d’exécution) s’est inversé. Un titre exécutoire rendu dans un État membre, est exécutoire dans un autre État
membre, sans reconnaissance expresse. Dans cette nouvelle configuration, le juge de l’État d’exécution ne
connaîtra de l’affaire qu’en cas de contestation soulevée par le débiteur. Cependant, si ce principe s’applique aux
mesures d’exécution forcée, il en est autrement s’agissant des mesures conservatoires. De ce point de vue, aucun
changement majeur n’est intervenu.
7. – Jurisprudence Denilauler – Le règlement (UE) n° 1215/2012 s’est borné à reprendre une solution dégagée
par la Cour de justice sur le fondement de la convention du 27 septembre 1968, par un arrêt du 21 mai 1980 dans
l’affaire Denilauler (CJCE, 21 mai 1980, aff. C-125/79, Denilauler : Rec. CJCE 1980, p. 1553). Dans cette affaire, le
président du tribunal de grande instance de Montbrison (Loire) avait autorisé une société française, par voie
d’ordonnance sur requête, à faire pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes d’une société allemande. Le
juge allemand saisi de l’affaire, a accordé l’exequatur de l’ordonnance, et le compte de la société débitrice a ainsi
été saisi par l’autorité allemande compétente, sans que la société débitrice ait été partie à l’une ou l’autre des
procédures ; la décision ordonnant l’exequatur n’ayant été signifiée que plus d’un mois après la mesure. L’article 24
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de la convention du 27 septembre 1968 n’excluait pas que des mesures conservatoires ordonnées dans un État
fassent l’objet d’une reconnaissance et d’une autorisation d’exécution dans un autre État. Cependant, la procédure
tendant à l’obtention d’une telle mesure devait être contradictoire. La Cour a donc tranché en faveur de la société
allemande, en estimant que pour bénéficier du régime de reconnaissance et d’exécution prévu par la convention, la
décision ordonnant une mesure conservatoire devait préalablement être signifiée au débiteur.
8. – Mesures conservatoires sous l’angle du règlement (UE) n° 1215/2012 – Dans la droite ligne de l’arrêt
Denilauler (V. n° 7 ), l’article 42 du règlement (UE) n° 1215/2012, impose au demandeur de fournir une preuve de
la notification ou de la signification du titre, lorsque la mesure conservatoire a été ordonnée sans que le défendeur
ait été cité à comparaître. Nous atteignons ici les limites du droit commun de l’exequatur au sein de l’espace
judiciaire européen, davantage pensé et tourné vers l’exécution forcée, dans le cadre d’une procédure
contradictoire, dans laquelle ont été purgées les principales contestations du débiteur, même si le règlement prévoit
des garde-fous. Le principal intérêt d’utiliser une procédure qui écarte pour un temps le principe du contradictoire,
est bien de ménager l’effet de surprise à l’égard du débiteur, pour ne pas lui laisser le loisir de mettre à l’abri des
regards tout ou partie de son patrimoine. Or, les efforts fournis en amont pour obtenir une décision de cette nature,
seront réduits à néant par l’exigence d’une signification avant toute saisie.
9. – Solution : l’application du droit commun – Pour prévenir tout risque d’organisation d’insolvabilité du
débiteur, même si les contraintes ne sont pas négligeables, le créancier aura intérêt à écarter un temps l’application
du règlement (UE) n° 1215/2012. Concernant la France, comme nous l’avons évoqué (V. n° 3 ) pour les décisions
rendues en dehors de l’espace judiciaire européen, le créancier pourra s’appuyer sur l’article L. 511-2 du Code des
procédures civiles d’exécution et faire pratiquer une saisie conservatoire en vertu du titre obtenu dans l’État
d’origine, en s’affranchissant du cadre du règlement (UE) n° 1215/2012, et en obtenant pas la suite l’exequatur du
jugement étranger. Il n’en demeure pas moins, que dans le cadre du règlement (UE) n° 1215/2012, une décision
exécutoire emporte de plein droit l’autorisation de procéder aux mesures conservatoires prévues par la loi de l’État
membre requis (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, art. 40). Cette disposition, intéressante, suppose
toutefois que le créancier ait déjà obtenu une décision au fond, limitant considérablement l’effet de surprise
recherché.
10. – Innovation du droit européen – Dans le domaine des saisies conservatoires, les institutions européennes
ne sont toutefois pas restées inactives, et dans la droite ligne de l’article 81 du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE), la Commission a lancé une consultation sur la nécessité d’une procédure européenne
uniforme de saisie conservatoire des comptes bancaires, par le biais de son livre vert sur l’amélioration de
l’exécution des décisions de justice au sein de l’Union européenne : la saisie des avoirs bancaires, du 24 octobre
2006. Ce travail a abouti à l’adoption du règlement (UE) n° 655/2014 du Parlement européen et du Conseil le
15 mai 2014, portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes
bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale.
11. – Conservation facilitée – Jusqu’à l’adoption du règlement (UE) n° 655/2014 du 15 mai 2014, le droit
européen, en matière civile et commerciale, s’était borné à organiser la circulation des titres exécutoires au sein de
l’espace judiciaire européen, et à produire des procédures spécifiques visant à l’obtention d’un titre capable de
circuler en Europe sans procédure de reconnaissance dans l’État d’exécution. En créant une procédure de
contrainte autonome, une nouvelle étape a été franchie dans la confiance mutuelle entre les États, exception faite
du Royaume-Uni et du Danemark qui ont choisi de ne pas souscrire à ce règlement. Mais ne nous méprenons pas,
le principe de territorialité des mesures d’exécution demeure, nous n’avons pas encore atteint le stade où l’agent
d’exécution de l’État d’origine, pourra appréhender lui-même des fonds localisés dans un autre État membre. Ce
règlement, bien que novateur, vise bien à obtenir un titre dans un État membre d’origine, dont la particularité réside
dans sa finalité unique, à savoir l’accomplissement d’une saisie conservatoire de créances par l’autorité chargée de
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l’exécution dans l’État membre requis, sur le compte du débiteur, sans en informer préalablement ce dernier (Rev.
crit. DIP 2018, p. 31, obs. G. Cuniberti et S. Migliorini).
12. – Mécanisme – L’ordonnance européenne de saisie conservatoire est octroyée sur requête, qui prend la forme
d’un formulaire type disponible dans les langues officielles des vingt-six États où elle trouve à s’appliquer, et est
immédiatement exécutoire dans les États membres où sont situés les comptes bancaires visés.
13. – Conditions d’application – Comme en droit interne, cette procédure impose la notion de circonstances
susceptibles de menacer le recouvrement de la créance. En effet, le créancier doit démontrer qu’il existe un risque
réel, qu’à défaut de pratiquer une saisie conservatoire, le recouvrement ultérieur de sa créance soit empêché ou
rendu sensiblement plus difficile (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 655/2014, art. 7). Cependant, à la différence du
droit interne, le litige doit avoir un caractère transfrontalier (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 655/2014, art. 3). Cela
signifie que le créancier doit demander la saisie d’un compte tenu dans un autre État membre que celui de son
domicile, ou que la juridiction saisie de la demande d’autorisation, ne soit pas celle de l’État membre dans lequel le
compte est tenu.
14. – Créances concernées – Toutes les créances ne sont pas éligibles à la mise en œuvre de cette saisie
conservatoire. En effet, sont exclus, les régimes matrimoniaux, les successions et les obligations alimentaires qui
peuvent en découler, les créances sur un débiteur à l’encontre duquel une procédure collective est ouverte,
l’arbitrage ; ainsi que toutes les créances de nature administrative comme les créances fiscales ou douanières par
exemple. L’application du règlement (UE) n° 655/2014 se cantonne donc aux créances pécuniaires civiles ou
commerciales.
15. – Juge compétent – La France n’a pas légiféré sur les modalités d’application du règlement, et certaines
zones d’ombre demeurent, notamment s’agissant de la juridiction compétente pour ordonner une telle mesure.
Cependant, l’annexe 4 de la circulaire du 25 mars 2019, relative à la présentation de la loi n° 2019-222 du 23 mars
2019, lève toute ambiguïté en évoquant le juge de l’exécution seul, pour traiter des demandes d’autorisation de
pratiquer une saisie conservatoire européenne.
16. – Constitution d’une garantie par le créancier – Par ailleurs, la mise en œuvre de cette procédure n’est pas
sans contrainte pour le créancier si elle est demandée avant l’obtention d’un titre exécutoire. À la différence du droit
interne, le principe posé par l’article 12 du règlement (UE) n° 655/2014, indique qu’avant de délivrer une
ordonnance de saisie conservatoire, le juge doit “exiger” du créancier, qu’il constitue une garantie d’un montant
suffisant, afin de prévenir un recours abusif à la procédure ; et ce n’est qu’à titre “exceptionnel”, s’il estime que la
constitution d’une telle garantie est inappropriée, que le juge pourra en dispenser le créancier. Au-delà du fait que
les modalités pratiques de la constitution d’une telle garantie restent à définir, on peut s’interroger sur la pertinence
de ce mécanisme, alors même que le juge sera appelé à dire le droit, et qu’il pourra refuser d’ordonner une saisie si
les conditions de validité ne sont pas réunies.
17. – Obtention des informations – Enfin, la nouveauté introduite repose sur l’obtention des informations relatives
aux comptes bancaires (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 655/2014, art. 14), même si en pratique elle se heurte aux
droits nationaux, disparates en pareille matière. Il est prévu que lorsque le créancier possède déjà un titre
exécutoire, condition sine qua non que l’on retrouve en droit interne, il peut demander à la juridiction chargée de
statuer sur la demande d’ordonnance, de demander à l’autorité chargée de l’obtention d’informations de l’État
membre d’exécution, d’obtenir les informations nécessaires pour permettre d’identifier la ou les banques et le ou les
comptes du débiteur. Une deuxième condition pèse sur le créancier, car il doit également justifier des raisons pour
lesquelles il pense que le débiteur détient un compte dans un État membre déterminé, et doit fournir toutes les
informations utiles à la juridiction, qui peut rejeter sa demande d’information si elle n’est pas suffisamment étayée.
On touche ici à une première limite de ce mécanisme, dans lequel, contrairement au droit interne, le titre
exécutoire, ou pour le dire autrement, l’imperium du juge ne se suffit pas à lui-même, ce qui est regrettable, lorsque
l’on prend la mesure de toutes les précautions procédurales qui entourent l’obtention d’une décision de justice. Une
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fois ce premier obstacle passé, la juridiction saisie transmet la demande à l’autorité chargée de l’obtention
d’informations de l’État membre d’exécution, qui utilise une des méthodes prévues par son droit interne ; à défaut,
le règlement prévoit que les États doivent introduire, dans leur droit national, un moyen pour obtenir ce type
d’information. Cependant, il s’agit là d’un obstacle de taille. Si en droit français les recherches de cette nature sont
aisées via le fichier FICOBA, et autorisées par l’article 15, II de la loi n° 2019-222 de programmation 2018-2022,
cela est loin d’être le cas dans tous les pays membres. Les retours d’expérience démontrent qu’aucun fichier de
cette nature n’existe en Allemagne ou au Luxembourg par exemple. Les praticiens font donc appel à des
enquêteurs privés pour mener leur procédure à terme. C’est pourquoi, bien que partant d’un bon sentiment, ce
mécanisme de recherches judiciarisé, à l’heure où les juridictions sont saturées, et où les État cherchent par tous
moyens à déjudiciariser un certain nombre de contentieux, est voué à rester purement théorique ; outre le fait qu’il
sera privé de tout effet si les États ne prennent pas les mesures nécessaires pour permettre un accès direct aux
informations.
18. – Freezing orders – Lorsque l’on aborde la problématique de l’accueil en France de mesures conservatoires
visant à protéger les actifs, prononcées dans un pays de common law, on est immédiatement conduit à envisager
les freezing orders anglais.Assurément, cette question n’épuise pas la problématique de l’exécution transfrontière
de ce type de mesures. Tout d’abord, de telles mesures peuvent être prononcées dans d’autres États membres de
l’Union européenne, tels que Chypre, par exemple (en dernier lieu, V. Cass. 1re civ., 3 oct. 2018, n° 17-20.296 :
JurisData n° 2018-016936 ; JDI 2019, comm. 11, G. Payan ; JDI 2019, chron. 4, K. Mehtiyeva ; JCP G 2018, 1288,
obs. E. Jeuland ; Dalloz actualité, 22 oct. 2018, note F. Mélin ; Lexbase, 15 oct. 2018, note A. Seïd Algadi). Ensuite,
lorsque de telles mesures sont prononcées dans un État tiers de l’Union européenne, il faudra rechercher
l’existence de conventions internationales multilatérales ou bilatérales applicables ou, à défaut, appliquer les règles
françaises de droit international privé de droit commun.Cependant, eu égard à l’importance – théorique et pratique
– de cette question, l’accent sera ici porté sur la réception en France des injonctions judiciaires anglaises.
19. – Jurisprudence Stolzenberg – Un important arrêt – bénéficiant d’une publicité maximale – a été prononcé le
30 juin 2004 par la première chambre civile de la Cour de cassation(Cass. 1re civ., 30 juin 2004, n° 01-03.248 et
01-15.452 : JurisData n° 2004-024353 ; Bull. civ. I, n° 191 ; JCP G 2004, II 10198, J. Sainte-Rose ; Procédures
2005, comm. 9 ; JDI 2005, comm. 2, G. Cuniberti), dans une affaire opposant des sociétés canadiennes. Plus
précisément, deux sociétés avaient investi plusieurs dizaines de millions de dollars canadiens dans une autre
présidée par un ressortissant allemand, monsieur Stolzenberg. Lorsque la seconde est mise en liquidation
judiciaire, les premières – estimant avoir été escroquées – engagent à son encontre différentes procédures
judiciaires dans le but de recouvrer les sommes investies. L’une de ces procédures est soumise à l’examen d’une
juridiction anglaise – la High Court de Londres –, laquelle prononce trois décisions par défaut à l’égard de monsieur
Stolzenberg. Dans l’une de ces décisions, la juridiction anglaise ordonne une mareva injunction ayant pour objet de
geler les avoirs de ce dernier, quelle que soit leur localisation, dans la limite d’une certaine somme. Par la suite, les
sociétés créancières demandent et obtiennent du président du tribunal de grande instance de Paris – devenu,
depuis, le tribunal judiciaire –, puis de la cour d’appel de Paris, l’exequatur de cette ordonnance sur le fondement
de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968. Saisie des pourvois formés par monsieur Stolzenberg (deux
arrêts ont été prononcés par la cour d’appel de Paris : CA Paris, 5 oct. 2000. – CA Paris, 14 juin 2001 : Rev. crit.
DIP 2002, p. 704, note H. Muir Watt : suite au prononcé d’un premier arrêt confirmant la décision de première
instance sur plusieurs points et avant dire droit sur la violation supposée de l’ordre public international tirée de
l’absence de motivation des jugements anglais, ladite cour d’appel avait ordonné la réouverture des débats sur ce
dernier point ; cette seconde procédure conduit également au prononcé d’un arrêt confirmatif, les conseillers
d’appel estimant que l’exigence de motivation avait été respectée ; en raison de leur connexité, les deux pourvois
dirigés contre l’un et l’autre de ces arrêts sont examinés conjointement par la Cour de cassation), la Cour de
cassation rend un arrêt de rejet, ouvrant – semble-t-il pour la première fois – la voie de l’accueil d’une mareva
injunction dans l’ordre juridique français. Dans l’arrêt Stolzenberg, la Cour de cassation dit pour droit que
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l’« interdiction faite à la personne du débiteur de disposer en tout lieu de ses biens, dans la mesure où il s’agit de
préserver les droits légitimes du créancier, ne saurait porter atteinte à un droit fondamental du débiteur, ni même
indirectement, à une prérogative de souveraineté étrangère et, notamment, n’affecte pas […] la compétence
juridictionnelle de l’État requis ».
20. – Clarifications et incertitudes – La solution retenue par les Hauts Magistrats – abondamment commentée
lors du prononcé de l’arrêt (V. not. RTD civ. 2004, p. 549, note P. Théry ; Rev. crit. DIP 2004, p. 815, note H. Muir
Watt ; JDI 2005, comm. 2, p. 112, note G. Cuniberti ; D. 2004, p. 2743, note N. Bouche ; LPA 2 févr. 2006, p. 14, L.
Francois. – E. Guinchard, Réflexions autour de l’accueil de l’injonction Mareva par la Cour de cassation française :
Int’l Lis 2005, p. 41) – a permis de clarifier la qualification juridique à retenir pour ce type d’injonction (1°) et
demeure pleinement pertinente aujourd’hui. En revanche, s’il pose le principe de l’accueil des mareva injunctions
en France, l’arrêt n’apporte pas de précisions sur les modalités de cet accueil (en ce sens, E. Guinchard, obs. in S.
Guinchard, T. Moussa (dir.), Droit et pratique des voies d’exécution : Dalloz Action, 9e éd., 2018, spéc.
n° 1711.132. – JDI 2005, comm. 2, G. Cuniberti), nourrissant en cela quelques incertitudes qui méritent d’être
évoquées ici et envisagées dans le contexte juridique actuel marqué notamment par l’entrée en application du
règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis (JOUE
n° L 351, 20 déc. 2012, p. 1) et la multiplication des règlements européens dans le domaine de la coopération
judiciaire civile (2°) .
21. – Mesure conservatoire de nature civile – La mareva injunction est une innovation d’origine jurisprudentielle
datant de 1975 (sur ce point, V. not. D. 2004, p. 2743, note N. Bouche, préc. n° 20). Néanmoins, dès 1999, à la
faveur d’une réforme, elle a été incluse dans la législation anglaise (Civil Procedure Rules, Part 25, spéc. 25.1.
Orders for interim remedies) et rebaptisée freezing injunction. De cette dénomination transparaît donc l’idée de
« gel » des éléments du patrimoine du destinataire de l’injonction. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une
mesure dotée d’effets in personam et non in rem. Elle n’a pas pour objet de rendre indisponible(s) le(s) bien(s)
visé(s), mais d’interdire à un individu désigné dans l’injonction d’en faire usage ou encore de lui faire obligation d’en
indiquer la nature, de révéler sa/leur localisation et/ou de le(s) rapatrier. L’affaire Stolzenberg donne à la Cour de
cassation l’occasion de préciser qu’il s’agit d’une mesure conservatoire (a) de nature civile (b) . Notons que si cette
affaire a trait à une freezing injunction prononcée en Angleterre, la qualification retenue par les Hauts Magistrats
apparaît pleinement transposable à des injonctions du même type prononcées dans des pays tiers à l’Union
européenne, tels que les États-Unis.
a) Mesure conservatoire
22. – Notion – Pour la Cour de cassation, l’injonction anglaise litigieuse par laquelle il est « fait défense [au
débiteur] d’effectuer toute opération sur l’un quelconque de ses biens dans les limites fixées par le juge, est une
mesure conservatoire et provisoire […] ». Cette affirmation, qui mérite l’approbation (V. cependant H. Muir Watt,
note in Rev. crit. DIP 2004, p. 815, spéc. n° 7. – Ainsi que L. Francois, note in LPA 2 févr. 2006, p. 14, préc. n° 20),
est à mettre en relation avec la définition que retient la Cour de justice de l’Union européenne – et, anciennement,
la Cour de justice des Communautés européennes – de la notion de mesures « provisoires et conservatoires »
dans l’arrêt Reichert, à savoir : des mesures qui « sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de
sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond » (CJCE, 26 mars 1992,
aff. C-261/90, Reichert). Cet arrêt vise, il est vrai, les mesures « provisoires et conservatoires » de l’article 24 de la
convention de Bruxelles correspondant à l’actuel article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012.
23. – Nature – Pour la Cour de cassation, l’injonction anglaise litigieuse est une mesure « de nature civile qui, aux
fins de la reconnaissance sollicitée, doit être examinée indépendamment de la sanction pénale (contempt of court)
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qui l’assortit dans l’État d’origine ». On le sait, le respect des mesures in personam repose en grande partie sur la
prévision d’une sanction de nature à décourager tout manquement à l’obligation pesant sur la personne visée.
Celles de nature pénale sont a priori les plus dissuasives. Or, la sanction du contempt of court – outrage au tribunal
– peut prendre les traits d’une sanction pénale, en cela compris l’emprisonnement de la personne visée (sur la
nature pénale ou civile du contempt of court et, plus généralement, sur le régime juridique de l’injonction mareva, V.
not. G. Cuniberti, Les mesures conservatoires portant sur des biens situés à l’étranger : LGDJ, 2000, spéc. n° 67 et
s.).Fort opportunément, les Hauts Magistrats distinguent donc la mesure, de sa sanction. Cette solution appelle
deux très brèves remarques. Tout d’abord, au soutien de cette décision, on peut établir un parallèle avec le droit
français. Le délit de détournement d’objet saisi encouru lorsque les conditions posées par l’article 314-6 du Code
pénal sont réunies (en l’occurrence, il s’agit d’un comportement consistant, pour le débiteur saisi, à détruire ou
détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier et confié à sa garde ou à celle d’un
tiers) ne confère pas aux saisies conservatoires une qualification pénale (pour une application de cette disposition à
l’égard d’une saisie conservatoire, V. not. Cass. crim., 22 janv. 1953 : Bull. crim. n° 23). Ensuite, la nature civile de
l’injonction mareva/freezing injunction est la condition sine qua non de l’application de la convention de Bruxelles de
1968 – en vigueur en France au moment de l’affaire Stolzenberg – et, aujourd’hui, du règlement (UE) n° 1215/2012
dit Bruxelles I bis, dans le but de réaliser sa circulation transfrontière.
24. – Régime(s) juridique(s) – Dans le sillage de la jurisprudence Stolzenberg, plusieurs auteurs se sont
interrogés sur l’utilité d’obtenir l’exequatur de telles injonctions (V. not. RTD civ. 2004, p. 549, note P. Théry, préc.
n° 20. – E. Guinchard, obs. in S. Guinchard, T. Moussa (dir.), Droit et pratique des voies d’exécution, préc. n° 20 et,
du même auteur, Réflexions autour de l’accueil de l’injonction Mareva par la Cour de cassation française, préc.
n° 20. – H. Muir Watt, note in Rev. crit. DIP 2004, p. 815. – N. Bouche, note préc. n° 20. – Dans le même sens, V.
l’avis de M. l’avocat général J. Sainte-Rose, préc. n° 19). Quoi qu’il en soit, le régime juridique applicable à l’accueil
des freezing injunctions dans le système juridique français apparaît étroitement lié à l’État dans lequel des mesures
de ce type ont été prononcées.Ainsi, lorsque le pays d’obtention est un pays tiers à l’Union européenne tel que les
États-Unis, à défaut de conventions bilatérales ou multilatérales applicables, il devra être fait usage des solutions
retenues par le droit international privé français. En conséquence, la procédure classique d’exequatur trouvera à
s’appliquer. Ainsi, pour accorder ledit exequatur, le juge français compétent – tribunal judiciaire statuant à juge
unique (COJ, art. R. 212-8) – doit alors « s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence
indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public
international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude à la loi » (Cass. 1re civ., 20 févr. 2007, n° 05-
14.082 : JurisData n° 2007-037466 ; JCP G 2007, act. 107, C. Bruneau ; JDI 2007, comm. 19, note F.-X. Train ;
Rev. crit. DIP 2007, p. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt).À l’inverse, la situation est toute autre lorsque l’injonction
provient d’un autre État membre de l’Union. À cet égard, dans l’attente du retrait effectif du Royaume-Uni de l’Union
européenne (retrait dont on peine à identifier toutes les conséquences : sur ce point, V. Commission européenne,
Préparation du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne le 30 mars 2019 : communication, 27 août 2018), les
règlements européens liant cet État (bénéficiant d’un régime juridique dérogatoire, le Royaume-Uni n’est pas lié par
l’ensemble des règlements adoptés dans le domaine de la coopération judiciaire civile. – V. Prot. n° 21 sur la
position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice) sont susceptibles
de s’appliquer pour permettre l’accueil des freezing orders dans le système juridique français. Certains s’inscrivent
dans la matière civile et commerciale (a) , alors que d’autres ont trait à la matière familiale (b) . Il n’en demeure pas
moins que la détermination des effets produits par un freezing order anglais, sur le territoire français, demeure
délicate à appréhender.
25. – Portée de l’évolution de la « législation » européenne – L’arrêt Stolzenberg a été prononcé sous l’empire
de la convention de Bruxelles de 1968. Depuis, dans le domaine d’application matériel de cette convention, ont été
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successivement adoptés le règlement (CE) n° 44/2001 et le règlement (UE) n° 1215/2012. Il y a lieu de s’interroger
sur l’incidence que peut avoir cette évolution de la législation européenne sur la solution retenue en 2004 dans cet
arrêt de principe. La procédure d’exequatur a fait place à une procédure de « déclaration constatant la force
exécutoire » qui, à son tour, a été supprimée au profit d’un dispositif tendant vers la libre circulation des décisions
de justice au sein de l’Union européenne.Il est ici permis de distinguer ce qui demeure inchangé, de ce qui marque
une certaine évolution.
1) Statu quo
26. – Notion européenne de « décision » – Aux termes de l’article 2 a), alinéa 2 du règlement (UE)
n° 1215/2012 :
Aux fins du chapitre III [c'est-à-dire, celui consacré à la reconnaissance et à l’exécution transfrontières], le terme « décision » englobe les
mesures provisoires ou les mesures conservatoires ordonnées par une juridiction qui, en vertu du présent règlement, est compétente au fond. Il
ne vise pas une mesure provisoire ou conservatoire ordonnée par une telle juridiction sans que le défendeur soit cité à comparaître, à moins que
la décision contenant la mesure n’ait été signifiée ou notifiée au défendeur avant l’exécution.
27. – Mesures non concernées – En premier lieu, les mesures conservatoires prononcées par un juge
incompétent au fond – ainsi que le permet l’article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 – ne bénéficient pas du
dispositif de libre circulation des décisions mis en place par le législateur de l’Union européenne et leur effet est
limité au territoire de l’État membre du for (en ce sens, V. PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, cons. 33. –
Pour des exemples de freezing orders à portée extraterritoriale prononcés par un juge anglais incompétent sur le
fond, saisi sur le fondement de l’article 24 de la convention de Bruxelles de 1968, V. cependant JCl. Droit
international, fasc. 584-175, spéc. n° 31).
28. – Codification de la jurisprudence Denilauler – En second lieu, il transparaît de la seconde phrase de cette
définition que la jurisprudence Denilauler de la Cour de justice des communautés européennes a été codifiée par le
Parlement européen et le Conseil (CJCE, 21 mai 1980, aff. C-125/79, Denilauler : Rev. crit. DIP 1980, p. 787,
concl. H. Mayras et p. 801, note E. Mezger ; JDI 1980, p. 939, obs. A. Huet). Or, les freezing orders peuvent être
prononcés à l’issue d’une procédure non contradictoire. Pour des raisons évidentes, c’est d’ailleurs le plus souvent
le cas. Le caractère unilatéral de la procédure permet en effet de sauvegarder l’« effet de surprise », en empêchant
la personne visée d’adopter un comportement de nature à nuire aux droits dont le demandeur se réclame titulaire,
avant que la mesure soit prononcée. Cependant, une fois la mesure prononcée, son effectivité repose sur
l’information de la personne visée. Cette information peut donc opportunément avoir lieu dès le prononcé de la
mesure. On note ici une différence avec les mesures conservatoires dotées d’effets in rem, pour lesquelles
l’efficacité commande que l’effet d’indisponibilité qui leur est attaché se déploie avant que le (présumé) débiteur soit
informé. En somme, contreproductive à l’égard des mesures in rem, la limite commandée par le respect des droits
de la défense (point 13 de l’arrêt Denilauler) et consacrée par le législateur de l’Union européenne apparaît sans
incidence « nuisible » sur l’efficacité des mesures in personam dont font partie les freezing orders.
2) Évolution
29. – Deux éléments peuvent être avancés pour illustrer l’évolution du contexte juridique dans lequel s’inscrit,
depuis l’entrée en application du règlement (UE) n° 1215/2012, l’accueil des freezing orders anglais dans le
système juridique français.
30. – Suppression de la procédure d’exequatur – En premier lieu, le principal apport du règlement (UE)
n° 1215/2012 concerne la suppression (V. n° 25 ) de la procédure de déclaration constatant la force exécutoire et,
si l’on raisonne par rapport au droit applicable sous l’empire de la convention de Bruxelles de 1968, de la procédure
d’exequatur. Ainsi, le freezing order anglais pourra déployer ses effets en France, sans que le bénéficiaire de cette
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mesure ait l’obligation de solliciter au préalable les juridictions françaises.Reconnaissons toutefois que cette
évolution est toute relative dans la mesure où – fort opportunément – la personne visée par l’exécution de la
freezing injunction conserve la possibilité de bloquer l’exécution de la décision de justice l’ordonnant.Les motifs de
refus d’exécution sont bien connus et sont limitativement énumérés à l’article 45 du règlement (UE) n° 1215/2012,
par renvoi de l’article 46. Lorsque le titre dont l’exécution est poursuivie est une décision de justice, on retrouve tout
d’abord la contrariété manifeste à l’ordre public – substantiel et procédural – international de l’État requis, laquelle
avait d’ailleurs été soulevée sans succès par M. Stolzenberg (V. n° 19 . – Pour une illustration plus récente – tirée
de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en application des dispositions du règlement (CE)
n° 44/2001 dit Bruxelles I – du contrôle de la régularité internationale d’un freezing order à l’aune du motif tiré de la
contrariété manifeste à l’ordre public international, V. CJUE, 1re ch., 25 mai 2016, aff. C-559/14, Rudolfs Meroni :
Procédures 2016, comm. 231, obs. C. Nourissat ; Europe 2016, comm. 254, obs. L. Idot ; Dalloz actualité, 15 juin
2016, note F. Mélin ; D. 2016, p. 1636, note E. Bonifay ; JDI 2016, comm. 20, p. 1235, note L. Pailler ; D. 2017,
p. 1011, obs. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2017, p. 103, note D. Bureau et H. Muir Watt). Ensuite, s’ajoutent les
motifs tirés de l’inconciliabilité éventuelle de décisions ainsi que de la violation de certaines règles de compétence
internationale, en l’occurrence celles protectrices des parties dites « faibles » (autrement dit, l’assuré, le
consommateur et le travailleur : PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, chap. II, sect. 3, 4 et 5) et les
compétences exclusives (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, chap. II, sect. 6). Enfin, figure le motif tiré de la
violation des droits de la défense. Plus exactement, l’exécution d’une décision judiciaire étrangère rendue par
défaut est refusée « si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur
en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de
la décision alors qu’il était en mesure de le faire ». Ce motif de refus d’exécution a d’ailleurs été avancé par le
destinataire de l’injonction mareva dans l’affaire Stolzenberg, en vain.
31. – Adaptation d’une mesure étrangère inconnue de l’État d’exécution : position du problème – En second
lieu, on relève avec intérêt une disposition nouvelle incluse à l’article 54 du règlement (UE) n° 1215/2012. Cet
article énonce que :
1. Si une décision comporte une mesure ou une injonction qui est inconnue dans le droit de l’État membre requis, cette mesure ou injonction est
adaptée autant que possible à une mesure ou une injonction connue dans le droit dudit État membre ayant des effets équivalents et poursuivant
des objectifs et des intérêts similaires.
Cette adaptation ne peut pas entraîner d’effets allant au-delà de ceux prévus dans le droit de l’État membre d’origine.
[…]
Deux précisions viennent compléter cette affirmation. Elles s’analysent en des garanties prévues au bénéfice du
destinataire de l’injonction. Ainsi, d’une part, cette “adaptation” de l’injonction peut être contestée devant une
juridiction (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, art. 54, 2) et, d’autre part, “au besoin”, il peut être fait
obligation à la partie qui invoque ladite décision ou qui en demande l’exécution d’en fournir une traduction ou une
translittération (PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, art. 54, 3).Une conséquence paraît devoir être tirée de
cette disposition. Le droit français ne connaissant pas de tels freezing orders, on ne saurait admettre une extension
de leurs effets en France. Les effets produits sur le territoire français seront donc fatalement différents. Une
“adaptation” est donc nécessaire. Le problème se décale alors sur l’identification de l’“injonction” ou de la “mesure”,
connue du droit français, qui aurait des “effets équivalents” et qui poursuivrait “des objectifs et des intérêts
similaires”. La réponse n’est pas aisée.
32. – Adaptation d’une mesure étrangère inconnue de l’État d’exécution : solutions envisageables – Ainsi
que l’a récemment jugé la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2018, une
décision étrangère ordonnant une injonction mareva – déclarée exécutoire en France en application de la
législation de l’Union européenne – et une décision française autorisant une mesure conservatoire (telle qu’une
saisie conservatoire) n’ont pas le même objet (Cass. 1re civ., 3 oct. 2018, n° 17-20.296, préc. n° 18). Dans cet
arrêt, les Hauts Magistrats se fondent précisément sur cette « absence d’identité d’objet » pour considérer, dans le
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sillage des conseillers d’appel, que l’autorité de la chose jugée des décisions chypriotes – exécutoires en France en
application du règlement (CE) n° 44/2001 Bruxelles I – prescrivant, au moyen d’une injonction mareva, le gel des
avoirs de sociétés françaises, ne s’oppose pas à ce qu’un juge français de l’exécution puisse subséquemment
ordonner d’autres mesures conservatoires portant sur les mêmes biens détenus en France. Pour autant, il n’est
guère discutable que les saisies conservatoires – telles que régies dans le Code des procédures civiles d’exécution
– poursuivent l’objectif de sauvegarder le patrimoine du (présumé) débiteur. Peut-on dès lors considérer que les
conditions posées par le législateur de l’Union européenne sont remplies, alors même que les saisies
conservatoires françaises opèrent in rem – au moyen d’un effet d’indisponibilité du/des bien(s) visé(s) – et non in
personam ? Répondre par l’affirmative reviendrait à adopter une interprétation extensive du critère de l’équivalence
des effets (à comparer avec G. Cuniberti, Lamy Droit de l’exécution forcée, V° Mise en œuvre des procédures
civiles d’exécution, étude n° 730 : l’auteur semble exclure une telle transposition de la mesure anglaise en saisie
conservatoire ou la possibilité d’assortir le freezing order d’un effet d’indisponibilité du/des bien(s) concerné(s)).
Cette solution aurait cependant le mérite de la simplicité et serait probablement la plus efficace, à condition que les
biens visés par la « saisie » aient été au préalable clairement identifiés dans le freezing order.Une autre solution
serait d’accueillir la freezing injunction en France en assortissant, d’une astreinte, la décision de justice. Par
hypothèse, le juge français prononcerait une astreinte pour favoriser l’exécution de la décision
étrangère l’ordonnant (à titre de comparaison, il faut préciser, qu’en matière civile et commerciale, une décision
étrangère ordonnant une astreinte non liquidée ne peut bénéficier du dispositif de circulation des jugements prévu
dans le règlement (UE) n° 1215/2012(PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, art. 55) ou, en matières
matrimoniale et de responsabilité parentale, dans le règlement (CE) n° 2201/2003, CJUE, 1re ch., 9 sept. 2015, aff.
C-4/14, Bohez. – V. E. Guinchard, obs. in S. Guinchard et T. Moussa (dir.), Droit et pratique des voies d’exécution,
préc. n° 20. – G. Payan, Les astreintes dans le nouveau règlement Bruxelles I bis : permanence et perspectives, in
E. Guinchard (dir.), Le nouveau règlement Bruxelles I bis : Bruylant, 2014, p. 249). Il s’agirait ainsi pour le
bénéficiaire du freezing order de saisir le juge de l’exécution territorialement compétent pour qu’il assortisse la
décision de justice étrangère – exécutoire en France – d’une astreinte, en application du droit français (CPC exéc.,
art. L. 131-1 s. – CPC exéc., art. R. 131-1 s. – L’astreinte n’est alors ordonnée que “si les circonstances en font
apparaître la nécessité”, CPC exéc., art. L. 131-1, al. 2). L’astreinte, parfois qualifiée de mesure d’exécution
« indirecte » (qualification utilisée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Ignaccolo-Zenide c/
Roumanie : CEDH, 25 janv. 2000, n° 31679/96 : dans cet arrêt, ladite Cour qualifie en effet l’« action en fixation
d’une astreinte » de « voie indirecte et exceptionnelle d’exécution », arrêt, spéc. § 111), est une mesure in
personam et n’affecte donc pas à proprement parler le statut des biens. Il y a donc là un point commun avec
l’injunction mareva/freezing order. De plus, elle est adaptée à tous les types d’obligations susceptibles d’être
contenues dans une décision de justice, en cela comprises les obligations de ne pas faire/obligations de s’abstenir
de faire. Cependant, à supposer que les conditions posées par l’article 54 du règlement Bruxelles I bis (V. n° 31 )
soient réunies, l’efficacité d’une astreinte dans un tel contexte serait en grande partie fonction de l’objet exact de
l’obligation pesant sur la personne visée par le freezing order. Le plus souvent, l’astreinte serait encourue en raison
d’une violation de l’obligation faite à une personne de ne pas disposer d’un bien ou d’un ensemble de biens. À cet
égard, le prononcé d’une astreinte serait peut-être plus adapté si l’obligation en cause était, par exemple, une
obligation faite à un individu de rapatrier un/des bien(s) identifié(s) dans l’ordonnance. Si cette personne organise
son insolvabilité en violation du freezing order, une astreinte – qui s’analyse en une pression financière – est-elle la
mesure la plus appropriée ? Il est permis d’en douter. Une sanction de nature pénale serait probablement plus
efficace. Sur ce point, il est à relever que le législateur français a toujours été assez réticent pour étendre l’emprise
du droit pénal dans le domaine de l’exécution des titres rendus en matière civile et commerciale. On note, il est vrai,
certaines infractions telles que celle du détournement d’objet saisi. À ce sujet, certains auteurs envisagent la
possibilité de retenir cette infraction pour sanctionner la personne qui n’aurait pas obtempéré au freezing order en
disposant d’un bien situé en France (en ce sens, JDI 2005, comm. 2, G. Cuniberti). Cette qualification supposerait
toutefois de prendre quelques libertés avec le principe de l’application stricte de la loi pénale consacré à
l’article 111-4 du Code pénal et de considérer que les biens concernés par le freezing order ont été « saisis ». Or,
ainsi que cela a été dit, la discussion est permise sur ce point.
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33. – Notion européenne de « droit de la famille » : inclusion des obligations alimentaires – La matière civile
et commerciale ne couvre pas l’ensemble des situations dans lesquelles l’accueil en France d’un freezing order
anglais peut être envisagé. À titre d’exemple, on peut imaginer les hypothèses ayant trait au « droit de la famille »,
tel que visé dans le troisième paragraphe de l’article 81 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et
interprété – de façon parfois surprenante – par le législateur de l’Union européenne. Ainsi en est-il notamment des
obligations alimentaires auxquelles le règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 est consacré
(JOUE n° L 7, 10 janv. 2009, p. 1).
34. – Situation du Royaume-Uni avant le Brexit – À l’instar du règlement (UE) n° 1215/2012 dit Bruxelles I bis, le
règlement (CE) n° 4/2009 dit Aliments est aujourd’hui applicable au Royaume-Uni, dans l’attente de son retrait
effectif de l’Union européenne. Toutefois, ce pays n’étant pas à ce jour lié par le protocole de La Haye de 2007 sur
la loi applicable aux obligations alimentaires, les décisions de justice qui y sont prononcées ne peuvent circuler
dans un autre État membre qu’en application des règles définies aux articles 23 et suivants dudit règlement.
Concrètement, la personne qui poursuit l’exécution en France d’une décision de justice rendue en Angleterre doit
présenter une demande de déclaration constatant la force exécutoire au président du tribunal judiciaire (ou à son
délégué) territorialement compétent (CPC, art. 509-2). Par exemple, on pourrait ainsi imaginer qu’une freezing
injunction soit prononcée, par une juridiction anglaise, à la demande d’un créancier d’aliments craignant que son
ex-conjoint n’organise son insolvabilité afin d’échapper aux obligations qui lui incombent. Par hypothèse, cette
freezing injunction ferait interdiction à son destinataire de disposer et de prendre une hypothèque sur l’un de ses
biens immobiliers ou sur l’ensemble d’entre eux situé(s) en France. Le bénéficiaire de l’ordonnance anglaise
pourrait ici avoir intérêt à la voir déclarée exécutoire en France, afin de pouvoir la faire publier auprès du service
chargé de la publicité foncière de la situation du/des immeuble(s) et ainsi interdire l’aliénation d’un bien/de biens
dont les références cadastrales y seraient précisées.Quand bien même est-il tiré de la matière familiale, cet
exemple illustre l’utilité de faire usage des règlements européens pour assurer l’effectivité d’un freezing order
anglais sur le territoire français.
35. – Le préalable pour exécuter un jugement étranger en France est par principe l’obtention de l’exequatur ou
d’une déclaration de force exécutoire. Ces procédures visent à l'exécution forcée d’une décision en conférant la
force exécutoire à la décision étrangère. Elles sont nécessaires pour les actes d'exécution sur les biens ou de
coercition sur les personnes (V. JCl. Procédures Formulaire, V° Exequatur des jugements et actes étrangers,
fasc. 10, n° 30). Il convient de distinguer l’exécution forcée des condamnations financières (A ) de l’exécution
forcée des jugements ordonnant le transfert de biens (B ).
36. – La reconnaissance en France d’une décision contenant une ou plusieurs condamnations financières est
facilitée par l’existence de règlements européens dans certains domaines.Ainsi, les conditions pour conférer la
force exécutoire à une décision ne sont pas les mêmes selon que la décision émane de l’Union européenne (ce qui
sera envisagé succinctement) ou au contraire, si la décision émane d’un État en dehors de l’Union européenne et
en particulier des États-Unis.
37. – En droit de l'Union européenne il existe des particularités sur la façon dont les jugements peuvent être
exécutés sur les territoires des différents États.
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38. – Exécution facilitée – En matière civile et commerciale, le règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000
dit Bruxelles I prévoit un contrôle allégé pour la délivrance de la déclaration de force exécutoire tandis que le
règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis, va encore plus loin en supprimant la
déclaration de force exécutoire. Les dispositions du règlement Bruxelles I sont applicables aux actions intentées
postérieurement à son entrée en vigueur, le 1er mars 2002 (Cons. UE, règl. (CE) n° 44/2001, art. 66 : “Les
dispositions du présent règlement ne sont applicables qu’aux actions judiciaires intentées et aux actes authentiques
reçus postérieurement à son entrée en vigueur”) et le règlement Bruxelles I bis s’applique aux décisions rendues
suite à des procédures judiciaires engagées à compter du 10 janvier 2015 (PE et Cons. UE, règl. (UE)
n° 1215/2012, art. 66 : “nonobstant l’article 80, le règlement (CE) n°44/2001 continue à s’appliquer aux décisions
rendues dans les actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux
transactions judiciaires approuvées ou conclues avant le 10 janvier 2015 qui entrent dans le champ d’application
dudit règlement”).
39. – Applicabilité des règlements – Les règles contenues au sein de ces règlements s’appliquent dès lors qu’est
demandée la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue par un autre État membre de l’Union
européenne, peu important le fondement sur lequel le juge de cet État s’est reconnu compétent pour trancher le
litige (S. Guinchard, Droit et pratique de la procédure civile : Dalloz, 9e éd., 2016, n° 441.13, p. 1489).
1) Règlement Bruxelles I
40. – L’article 38 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 prévoit que “Les décisions rendues dans un
État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été
déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée”. Afin d’obtenir la force exécutoire, il est nécessaire de
saisir l’autorité compétente de l’État membre requis (sur lequel on cherche à faire exécuter le jugement).
Concernant le Royaume-Uni, l’alinéa 2 prévoit une modalité particulière selon laquelle les décisions sont mises à
exécution en Angleterre, au pays de Galles, en Écosse ou en Irlande du Nord, après avoir été enregistrées en vue
de leur exécution.
41. – La demande de force exécutoire est présentée par requête accompagnée des documents mentionnés à
l'article 53 : une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité, et le certificat
visé à l’article 54, sans préjudice de l’article 55. Dès l'achèvement de ces formalités la décision est déclarée
exécutoire, sans examen. Le règlement prévoit en effet que l’autorité compétente au sein de l’État membre requis
ne procède à aucun examen des motifs pouvant justifier le refus de déclaration de force exécutoire (art. 41). Le
contrôle prévu est purement formel et les motifs ne seront examinés qu’en cas de recours porté par le défendeur
contre la déclaration de force exécutoire.
42. – Si la requête en déclaration de force exécutoire aboutit, le demandeur doit alors signifier ou notifier la
déclaration constatant la force exécutoire à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, à l’inverse, la
décision doit être portée à la connaissance du requérant. L’article 43 prévoit un recours ouvert au demandeur et au
défendeur. Dans le cadre de ce recours, la juridiction “ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la
force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35”(art. 45).
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conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre dans lequel la reconnaissance est
demandée.
L’article 35 prévoit que “les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II
ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l'article 72”.
44. – Si les recours prévus par le règlement n’aboutissent pas ou s’ils ne sont pas exercés, la décision étrangère
est déclarée exécutoire sur le territoire français. Ainsi, le créancier pourra faire appel au concours de la force
publique en France pour obtenir l’exécution de la décision étrangère condamnant financièrement le débiteur.
45. – Suppression de la demande de déclaration de force exécutoire – Le règlement Bruxelles I bis est encore
plus efficace en ce qu’il prévoit qu’“une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État
membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force
exécutoire soit nécessaire”(PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, art. 39). La demande de déclaration de force
exécutoire a été supprimée lors de la refonte ce qui facilite grandement l’exécution des décisions européennes sur
le territoire des autres États membres.
46. – Reconnaissance de plein droit – Ce faisant, par principe, les décisions rendues dans un État membre de
l’Union européenne en matière civile et commerciale, sont reconnues dans les autres États membres de plein droit
et jouissent de la force exécutoire dans les États membres de l’Union européenne dès lors qu’elles sont
exécutoires dans l’État dont elles émanent.
47. – Formalités – Aux fins de procéder à l’exécution de la décision dans un État membre, le demandeur est tenu
de communiquer à l’autorité compétente chargée de l’exécution les documents figurant à l’article 42 (copie de la
décision, certificat établi par la juridiction d’origine) et l’article 41 prévoit qu’une décision rendue dans un État
membre et qui est exécutoire dans l’État membre requis est exécutée dans ce dernier dans les mêmes conditions
qu’une décision rendue dans l’État membre requis.
48. – Recours – La personne contre laquelle l’exécution est demandée peut former un recours contre l’exécution
de la décision et celle-ci sera refusée lorsque l’existence de l’un des motifs visés à l’article 45 est constatée. Les
motifs sont les mêmes que ceux prévus par le règlement Bruxelles I auxquels s’ajoutent des motifs tenant aux
compétences exclusives imposées par le règlement Bruxelles I bis.
49. – Absence de procédure intermédiaire – Toujours en matière civile et commerciale, ce règlement permet
l'exécution de décisions relatives à des créances incontestées sur le territoire d'un autre État membre sans qu'une
procédure spéciale ne soit requise dans l'État membre d'exécution. La décision doit avoir été certifiée en tant que
titre exécutoire européen dans l'État membre d'origine pour être reconnue et exécutée dans les autres États
membres sans qu'il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire.
50. – Définition autonome – Le règlement contient une définition autonome de créance incontestée et la juridiction
d’origine peut certifier en tant que titre exécutoire européen toute décision relative à une telle créance lorsque les
conditions énoncées à l’article 6 du règlement sont remplies.
Une décision qui a été certifiée en tant que titre exécutoire européen dans l’État membre d'origine est reconnue et exécutée dans les autres
États membres, sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu'il soit possible de contester sa
reconnaissance.
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L’article 20 précise qu’une telle décision “est exécutée dans les mêmes conditions qu'une décision rendue dans
l'État membre d'exécution”.
52. – Procédure facilitée – L’exécution est donc très largement facilitée, l’exequatur de la décision n’étant pas
nécessaire. Le titre exécutoire européen circule alors librement dans l’Union Européenne, à l’exception du
Danemark (cons. 25). La procédure d'exécution de la décision proprement dite (mesure d'exécution, saisies et
autre) relèvera de la loi nationale de l'État membre d'exécution (PE et Cons. UE, règl. (CE) n° 805/2004, art. 20).
1) Décision rendue dans un État membre lié par le protocole de La Haye de 2007
54. – Aucune exigence de déclaration constatant la force exécutoire – Si l’État membre est effectivement lié
par le protocole de La Haye, la décision est “reconnue dans un autre État membre sans qu’il soit nécessaire de
recourir à aucune procédure et sans qu’il soit possible de s’opposer à sa reconnaissance” et si elle est exécutoire
dans l’État membre qui l’a émise, elle “jouit de la force exécutoire dans un autre État membre sans qu’une
déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire”(Cons. UE, règl. (CE) n° 4/2009, art. 17).
55. – Recours – Ici on retrouve une logique similaire à celle prévue par le règlement Bruxelles I Bis. Il faut
souligner que l’article 19 accorde au défendeur un délai de 45 jours pour demander le réexamen de la décision
devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine dans certains cas limités et que l’article 21 prévoit le
refus ou la suspension de l’exécution par la juridiction de l’État membre d’exécution dans les cas prévus par la loi
de l’État membre d’exécution pour autant qu’ils ne soient pas incompatibles avec l’application des paragraphes 2 et
3 du règlement.
2) Décision rendue dans un État membre non lié par le protocole de La Haye de 2007
56. – Exigence de déclaration constatant la force exécutoire – Au contraire, si la décision a été rendue dans un
État membre non lié par le protocole de La Haye de 2007 (comme c’est le cas pour le Royaume-Uni et le
Danemark, ces deux pays n’étant pas liés par ce texte) alors elle est reconnue automatiquement mais elle ne sera
mise à exécution dans un autre État membre qu’après y avoir été déclarée exécutoire sur demande (Cons. UE,
règl. (CE) n° 4/2009, art. 23 et 26).
57. – Parallélisme avec Bruxelles I – La procédure d’obtention de la déclaration de force exécutoire est similaire à
celle qui existe dans le cadre du règlement Bruxelles I et les motifs de refus de force exécutoire étudiés lors d’un
éventuel recours sont également identiques (Cons. UE, règl. (CE) n° 4/2009, art. 24).
58. – Déclaration de force exécutoire facilitée – L’un des avantages considérables de ce règlement est que la
juridiction d’origine peut déclarer la décision exécutoire par provision même si un recours est recevable et même si
le droit national ne prévoit pas de force exécutoire de plein droit pour ces décisions (Cons. UE, règl. (CE)
n° 4/2009, art. 39) ; cela permet de prendre en considération le caractère crucial des sommes dues à titre d’aliment
au créancier qui les demande en justice (S. Guinchard, Droit et pratique de la procédure civile : Dalloz, 9e éd.,
2016, n° 44.10, p. 1482).
c) En résumé
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59. – Pour résumer, au sein de l’Union européenne il existe de nombreux instruments permettant une exécution
des condamnations financières rapide et efficace. La plupart des règlements européens prévoient désormais par
principe que les décisions rendues sur le territoire d’un État membre peuvent être exécutoires sur le territoire
d’autres États membres, et l’obtention d’une déclaration de force exécutoire est très largement simplifiée. Il
convient également de mentionner l’existence d’une procédure européenne d’injonction de payer (PE et Cons. UE,
règl. (CE) n° 1896/2006, 12 déc. 2006 : JOUE n° L 399, 30 déc. 2006, p. 1-32) facilitant elle aussi l’exécution forcée
des condamnations financières au sein de l’Union européenne.
60. – En dehors de l’Union européenne, il est important de vérifier s’il existe, en fonction du pays d’origine du
jugement étranger en cause et de la matière, une convention bilatérale ou multilatérale permettant de faciliter
l’exécution des jugements étrangers sur le territoire français.
61. – Convention de La Haye – Dans les rapports avec les États-Unis par exemple, il existe la convention de la
Haye sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille.
Cette convention de La Haye du 23 novembre 2007 à laquelle la France est liée depuis 2011 a été ratifiée par les
États-Unis en 2016. Elle assure l’efficacité du recouvrement international des aliments destinés aux enfants et
autres membres de la famille en assurant notamment la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
d’aliments.
1) Procédure de reconnaissance
62. – Conditions de reconnaissance et d’exécution – Sur le fondement de cette convention, un créancier qui
poursuit le recouvrement d’aliments peut notamment obtenir “la reconnaissance ou la reconnaissance et l’exécution
d’une décision” ou “l’exécution d’une décision rendue ou reconnue dans l’État requis”(Conv. La Haye, art. 10 a) et
b)). La demande en ce sens est transmise à l'autorité centrale de l'État requis par l'intermédiaire de l'autorité
centrale de l'État contractant dans lequel réside le demandeur (Conv. La Haye, art. 9) avec l’ensemble des
éléments mentionnés à l’article 11 de la convention.L’article 20 de la convention permet la reconnaissance et
l’exécution dans les États membres contractants de toute décision rendue par une autorité judiciaire ou
administrative de l’État contractant d’origine si :
b) le défendeur s'est soumis à la compétence de l'autorité, soit expressément, soit en se défendant sur le fond de l'affaire sans
contester la compétence lorsque l'occasion lui en a été offerte pour la première fois ;
d) l'enfant pour lequel des aliments ont été accordés résidait habituellement dans l'État d'origine lors de l'introduction de l'instance, à
condition que le défendeur ait vécu avec l'enfant dans cet État ou qu'il ait résidé dans cet État et y ait fourni des aliments à l'enfant ;
[…]
2) Refus de reconnaissance
63. – Motifs de refus – L’article 22 prévoit des motifs de refus de reconnaissance et d’exécution de la décision qui
sont identiques à ceux prévus par les règlements européens Bruxelles I et Bruxelles I bis dans leurs domaines
d’application auxquels se rajoutent le cas de fraude et l’absence de comparution et de représentation du défendeur
dans la procédure ayant donné lieu à la décision. Cependant, l'autorité compétente dans l'État requis ne peut
refuser de déclarer la décision exécutoire ou de procéder à son enregistrement aux fins d'exécution que si celle-ci
est manifestement incompatible avec l'ordre public de son État.
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64. – Procédure de refus – La déclaration ou l'enregistrement ou leur refus est notifié au demandeur et au
défendeur qui peuvent alors le contester ou former un appel, en fait et en droit (Conv. La Haye, art. 23, 5). Lors de
ce recours, l’ensemble des motifs de refus de l’article 22 seront appréciés s’ils sont invoqués.L’article 24 de la
convention prévoit une procédure alternative pour une demande de reconnaissance et d'exécution qui diffère de
celle prévue à l’article 22 en étant contradictoire.
65. – Articulation avec les autres instruments internationaux – Au nom du principe d’efficacité maximum, cette
convention ne fait pas obstacle à des instruments qui prévoiraient un système plus efficace (Conv. La Haye, art. 52)
et dans les rapports entre les États contractants cette convention remplace de nombreuses conventions
préexistantes telles que la convention sur le recouvrement des aliments à l’étranger du 20 juin 1956, la convention
de La Haye du 2 octobre 1973 et la convention de La Haye du 15 avril 1958.
66. – Application du droit interne – La France est signataire de nombreuses conventions bilatérales et
multilatérales de coopération judiciaire contenant généralement des dispositions relatives à la reconnaissance et à
l'exécution des jugements. Cependant, s’il n’existe pas de convention internationale, il faut recourir à la procédure
de droit commun de l’exequatur pour faire reconnaître le jugement étranger en France. L'obtention de l'exequatur
est en effet essentielle pour poursuivre l'exécution, sur les biens du débiteur situés en France, de la condamnation
prononcée par un jugement étranger (CPC exéc., art. L. 111-2 et L. 111-3. – Cass. 1re civ., 12 sept. 2012, n° 11-
17.023 : JurisData n° 2012-020022).
67. – Décision exécutoire – Seule une décision exécutoire (même à titre provisoire) à l’étranger pourra être
revêtue de l’exequatur en France, cependant il suffit que la décision soit juridiquement susceptible d'exécution dans
le pays d'origine, même si l'exécution effective ne peut y avoir lieu (V. JCl. Procédures Formulaire, V° Exequatur
des jugements et actes étrangers, fasc. 10, n° 114. – Cass. 1re civ., 19 oct. 1977, n° 76-11.163).
68. – Évolutions jurisprudentielles – Les conditions d’obtention de l’exequatur ont été posées au fil du temps par
la jurisprudence et notamment par l’arrêt Munzer (Cass. 1re civ., 7 janv. 1964). Dans cet arrêt la Cour de cassation
exige la réunion de cinq conditions pour que le juge français puisse accorder l’exequatur à un jugement étranger. À
la suite de cet arrêt, la Cour de cassation a réduit peu à peu le nombre de conditions exigées et désormais, selon
l’arrêt Cornelissen (Cass. 1re civ., 20 févr. 2007, n° 05-14.082 : JurisData n° 2007-037466 ; JCP G 2007, act. 107,
C. Bruneau) pour accorder l'exequatur le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir
« la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre
public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ».
2) Refus d’exequatur fondé sur la non-conformité à l’ordre public international : exemples américains
69. – Les juridictions françaises ont, à de nombreuses occasions, refusé d’accorder l’exequatur à des jugements
étrangers notamment sur le fondement de la non-conformité du jugement étranger à l'ordre public international
procédural. Il est intéressant de prendre des exemples de jugements américains qui montrent bien la différence
avec le système juridique français.
70. – Jugement par défaut – Dans un arrêt du 24 janvier 2002 (CA Orléans, ch. com et fin, 24 janv. 2002 :
JurisData n° 2002-184254) la cour d'appel d'Orléans a refusé d'accorder l'exequatur à un jugement par défaut
américain. Elle considère d’une part que, la compétence directe américaine n'est pas fondée, le défendeur
bénéficiant du privilège de juridiction prévu à l’article 15 du Code civil et qu’il n’avait pas renoncé à s’en prévaloir et
d’autre part, qu’il y a eu atteinte aux droits de la défense. En effet, la cour estime qu’en l'absence de convention
internationale liant les États-Unis et la France, le simple fait que le défendeur défaillant ait été régulièrement cité
n'est pas suffisant dès lors qu'il n'était pas avisé des conséquences de sa non-comparution en droit judiciaire
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fédéral américain ainsi que des voies de recours lui permettant de contester la décision. La même solution est
fréquemment retenue dans l’hypothèse des jugements par défaut anglais.
71. – Absence de motivation – De la même manière, la solution consistant à affirmer qu'un jugement étranger
dépourvu de motivation est contraire à l'ordre public international français est parfaitement classique (L. Usunier,
Régularité internationale des jugements : obligation de motivation : Rev. crit. DIP 2014, p. 898). En effet, de
nombreux arrêts de la Cour de cassation refusent d’accorder l’exequatur au motif qu'une décision étrangère non
motivée est contraire à la conception française de l'ordre public international lorsque ne sont pas produits des
documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante et à permettre de s'assurer que cette décision
remplit les conditions exigées pour sa reconnaissance, notamment quant au respect de l'ordre public (Cass.
1re civ., 17 mai 1978, n° 76-14.843 : Bull. civ. I, n° 191. – Cass. 1re civ., 17 oct. 1972, n° 71-12.616 : JurisData
n° 1972-000205. – Cass. 1re civ., 9 févr. 1994, n° 92-12.704 : JurisData n° 1994-000453. – Cass. 1re civ., 17 janv.
2006, n° 03-14.483 : JurisData n° 2006-031659). Un arrêt du 7 novembre 2012 (Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-
23.871 : JurisData n° 2012-024875 ; JCP G 2012, 1231, É. Cornut ; JCP G 2013, 170, A. Piacitelli-Guedj) est à
relever : la Cour de cassation considère que des jugements étrangers, dont la motivation a été reconnue comme
défaillante par le juge de l'exequatur, ne peuvent être complétés par des décisions rendues postérieurement à la
saisine de celui-ci. La difficulté ne résidant pas dans le fait que les décisions produites soient des décisions
interprétatives, mais dans le fait qu'elles aient été rendues après la saisine du juge de l'exequatur (L. Usunier,
Régularité internationale des jugements : obligation de motivation : Rev. crit. DIP 2014, p. 898).
3) Refus d’exequatur fondé sur la non-conformité à l’ordre public international : les dommages et intérêts
punitifs
72. – Montant disproportionné – En matière de dommages et intérêt punitifs, la Cour de cassation a eu l’occasion
de préciser que « si le principe d'une condamnation à des dommages-intérêts punitifs n'est pas, en soi, contraire à
l'ordre public, il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des
manquements aux obligations contractuelles du débiteur » (Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-13.303 : JurisData
n° 2010-022675 ; JCP G 2011, 140, J. Juvénal). Elle considère que les jugements étrangers allouant des punitive
damages sont de nature civile et donc susceptibles d'exequatur cependant elle se refusera à l’accorder en cas de
disproportion manifeste entre les dommages-intérêts punitifs et le préjudice subi. Néanmoins, dans l’arrêt
Gazprombank (Cass. 1re civ., 30 janv. 2013, n° 11-10.588 : JurisData n° 2013-001095 ; JCP G 2013, 165, D.
Akchoti) la Cour de cassation a approuvé les juges d'appel d'avoir accordé l'exequatur à des jugements russes
condamnant un dirigeant de société, semble-t-il de nationalité française et résidant en France, à exécuter un
engagement de caution pour un montant de plus de 6 millions d'euros. Elle estime en effet que le caractère
disproportionné du cautionnement au regard du patrimoine de la caution ne peut pas justifier un refus de
reconnaissance dans la mesure où l'article L. 341-4 du Code de la consommation n'est pas d'ordre public
international (D. 2013, p. 1503, F. Jault-Seseke).
73. – Condamnations financières – L'archétype de l'exécution forcée d'un titre étranger est naturellement la
pratique de saisies sur le fondement du titre étranger (Formulaire le Lamy Droit de l’exécution forcée, n° 720-20).
L'exécution sur les biens est présentée comme le « procédé normal d'exécution » (M. Donnier, Voies d'exécution et
procédures de distribution : LexisNexis, 9e éd., 2017, n° 20) mais la doctrine n’envisage généralement que
l’exécution forcée de condamnations financières. Ce recouvrement d’une condamnation financière prendra la forme
de mesures d'exécution forcée sur les meubles telles que les saisies de créances de sommes d'argent et les
saisies de meubles corporels ou incorporels tels que des parts de sociétés, mais il peut également s'agir de vente
immobilière forcée.
74. – Attribution ou transfert d’un bien – La difficulté existe lorsque le jugement étranger ne comporte pas une
condamnation financière et prévoit plutôt l’attribution ou le transfert d’un bien immobilier ou de parts de société. Se
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pose alors la question de l’exécution forcée d’un jugement français comportant une condamnation qui n’est pas
pécuniaire.
75. – Titres exécutoires – L’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que “seuls
constituent des titres exécutoires : […] 2° Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales
déclarés exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif d'exécution, sans préjudice des
dispositions du droit de l'Union européenne applicables”. Ce n’est seulement qu’une fois que le jugement étranger
est exécutoire en France qu’il peut faire l’objet d’une exécution.
76. – Déclaration de force exécutoire – Cette règle est valable également s’agissant de jugements étrangers
portant sur le transfert de biens, et avant d’envisager des mesures d’exécution forcée en France, il sera donc
nécessaire d’obtenir soit la déclaration de force exécutoire, soit l’exequatur (en fonction de l’intégration du litige, ou
non, dans l’Union européenne) à moins que cette déclaration ne soit pas nécessaire (comme c’est le cas
aujourd’hui avec le règlement Bruxelles I bis).
77. – En pratique, une fois que le jugement étranger pourra être considéré comme un titre exécutoire en France, il
sera nécessaire de réfléchir aux mécanismes possibles d’exécution en se plaçant par analogie avec une situation
de droit interne. En effet, le droit français permet d’obtenir l’exécution forcée des jugements attribuant des biens
dans de nombreux cas.
78. – Exécution forcée de la promesse – En cas de promesse synallagmatique de vente par exemple, lorsque
l'un des deux contractants refuse de tenir l’engagement, le cocontractant victime a la possibilité de demander
l'exécution forcée de la promesse. Désormais, l’article 1221 du Code civil prévoit que :
Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il
existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.
L’ordonnance a abandonné la distinction entre les obligations de faire, de ne pas faire et de donner et a érigé en
principe la possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature d’une obligation inexécutée (C. François, Présentation
des articles 1221 à 1222 de la nouvelle sous-section 2 « L’exécution forcée en nature » : La réforme du droit des
contrats présentée par l'IEJ de Paris 1).
79. – Constatation de la vente – Lorsque le cocontractant décide d’obtenir l’exécution forcée celle-ci consiste à
faire constater la vente en justice.
80. – Substitution du titre par la décision – La jurisprudence admet en effet très clairement aujourd’hui qu'une
décision de justice puisse remplacer le titre faisant défaut. Si la promesse synallagmatique portait sur un bien
immeuble, le cocontractant ayant obtenu une décision constatant la vente pourra procéder à la publication de cette
décision aux services de la publicité foncière pour qu’elle soit opposable aux tiers (Cass. req., 18 mars 1912 : DP
1913, 1, p. 198. – Cass. 3e civ., 20 déc. 1994, n° 92-20.878 : JurisData n° 1994-002483). En effet, l’article 710-1 du
Code civil permet la publication d’un acte prenant la forme d'une décision juridictionnelle. Une telle publicité est
rendue obligatoire par l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955.
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a) Mutation ou constitution de droits réels immobiliers autres que les privilèges et hypothèques, qui sont conservés suivant les modalités
prévues au code civil ; […]
82. – Authenticité – Dans le cadre de l'article 28, l'authenticité de l'acte à publier s'impose. L’avantage des
jugements est qu’ils revêtent par eux-mêmes ce caractère authentique qui vaut pour toute décision judiciaire
devenue définitive (Rép. civ. Dalloz, v° Publicité foncière, 2007, n° 74, A. Fournier).
83. – Prestation compensatoire – Dans d’autres situations, comme par exemple en cas de divorce, le juge a la
possibilité d’accorder à l’un des époux une prestation compensatoire dont le versement peut se faire par l’attribution
de biens en propriété. L’article 274 du Code civil qui prévoit cette hypothèse précise que le jugement de divorce
opère “cession forcée en faveur du créancier”.
84. – Publication – Cet abandon de bien immobilier à titre de prestation compensatoire doit faire l’objet d’une
publication à la publicité foncière. Lorsque le jugement de divorce attribuant un bien à titre de prestation
compensatoire comporte les mentions nécessaires, il peut directement être publié au service de la publicité
foncière. En effet, l’article 1080 du Code de procédure civile, prévoit que :
Lorsque des biens ou des droits sont attribués à titre de prestation compensatoire en application du 2° de l'article 274 du Code civil, la
convention homologuée ou la décision qui prononce le divorce précise leur valeur.
Lorsque ces biens ou droits sont soumis à la publicité foncière, elle précise en outre les mentions nécessaires à la publication du titre de
propriété dans les formes prévues par le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.
85. – Acte notarié – Cependant, si le jugement de divorce ne contient pas les mentions nécessaires pour sa
publication au service de la publicité foncière, l’abandon de la part du débiteur devra faire l'objet d'un acte notarié. Il
est nécessaire d’avoir recours à un notaire qui dressera un acte de dépôt du jugement en précisant ces mentions
avant de le publier (Ch. Lesbats, L'abandon d'un bien immobilier à titre de prestation compensatoire : JCP N 2014,
n° 48, 1348). Le notaire chargé de dresser un acte afin de permettre un abandon d'un bien immobilier à titre de
prestation compensatoire, n’a pas à attendre le consentement du débiteur ni espérer sa signature. En effet, la Cour
de cassation (Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-28.353 : JurisData n° 2013-026220 ; Dr. famille 2014, comm. 55,
J.-R. Binet) est venue préciser que l'abandon en faveur du créancier est immédiat dès le prononcé du jugement de
divorce attribuant le bien. Ce faisant, dès lors que l'abandon a été réalisé par le jugement de divorce, le créancier
peut exiger que soit dressé un acte permettant la publicité foncière (Ch. Lesbats, L'abandon d'un bien immobilier à
titre de prestation compensatoire : JCP N 2014, n° 48, 1348).
3° Formalités d’exécution
86. – Exequatur – Ainsi, en présence d’un jugement étranger accordant un bien, il conviendra, pour pouvoir
exécuter ce jugement en France, d’obtenir l’exequatur du jugement. En matière de divorce, le règlement (CE)
n° 4/2009 dit « obligations alimentaires » aura vocation à jouer. Dans l’hypothèse d’un jugement issu d’un État
membre de l’Union européenne en matière civile et commerciale, les choses sont facilitées grâce au règlement
Bruxelles I bis car il suffira au créancier poursuivant de communiquer à l’autorité compétente chargée de
l’exécution, une copie de la décision réunissant les conditions nécessaires pour permettre d’en établir l’authenticité
et le certificat délivré par la juridiction d’origine attestant que la décision est exécutoire conformément aux
dispositions de l’article 42 de ce règlement.
87. – Bien immeuble – Si le jugement étranger attribue un bien immeuble il faudra alors, une fois l’exequatur ou la
déclaration de force exécutoire obtenue, que ce jugement fasse l’objet d’une publication aux services de la publicité
foncière.
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88. – Biens meubles incorporels – Si le jugement étranger porte sur des biens meubles incorporels, tels que des
valeurs mobilières, la procédure à suivre est semblable mais les formalités de publicités devront être adaptées et
effectuées par le biais du greffe du registre du commerce et des sociétés.
89. – Parallélisme avec le droit interne – Il en résulte que les formalités à réaliser pour exécuter un jugement
étranger ou européen ordonnant le transfert d’un bien sont en réalité identiques à celles existantes en droit interne
si ce n’est pour l’obtention de l’exequatur ou de la déclaration de force exécutoire qui n’est jamais nécessaire avec
un jugement français. Il faut donc se placer dans un contexte de droit interne pour trouver les outils disponibles et
les procédures à respecter et les appliquer à la situation internationale en cause.
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