Barenton

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Hilaire de BARENTON

La Dévotion
au Sacré-Cœur
Ce qu'elle est et comment les Saints la pratiquèrent

DOCTRINE - ICONOGRAPHIE * HISTOIRE

e e
OUVRAGE ORNÉ DE 90 G R A V U R E S DU XV AU XVIII SIECLE

B u r e a u x de l'Action Franciscaine Librairie Saint-François


60, r u e des S a i n t s - P è r e s 4, r u e Cassette
PARIS (VII )e
P A R I S (VI )
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Doctrine, Iconographie, Histoire


DOCTRINE ET HISTOIRE

La Dévotion a u Sacré-Cœur
Ce qu'elle est
et comment les S a i n t s la pratiquèrent

La dévotion a u Sacré-Cœur de J é s u s , depuis trois siècles, a


pris, p a r le monde entier, les développements les plus merveilleux.
Elle est aujourd'hui la joie de l'Église et son espoir. Notre patrie,
depuis les malheurs de 1 8 7 0 surtout, a mis en elle s a confiance.
Le monument qui, des hauteurs de Montmartre, domine P a r i s ,
atteste la foi de son peuple tout entier. Consacré enfin, en
octobre JO,I4> a u j o u r de la fête de la Bienheureuse Marguerite-
Marie, après 4 0 années de travaux gigantesques ininterrompus,
il marquera dans son histoire, on n'en peut douter, un renouveau
de vie chrétienne, l'aurore de la paix religieuse et l'annonce du
triomphe définitif pour l'Eglise du Christ.
Si nous concevons de tels espoirs, c'est l'excellence même de
cette dévotion qui nous y invite : « L'amour est fort comme la
mort, dit l'Écriture, fortis ut mors dilectio ( 1 ) . » Or, c'est dans
l'amour même du Christ J é s u s , Dieu fait homme, que cette dévo-
tion établit les âmes. Qui donc pourrait douter qu'elles n'y
puisent le courage de ces sacrifices nécessaires, auxquels le Ciel
accorde toujours la résurrection et la victoire.
Nous voudrions autant que possible, pour notre faible part,
engager les âmes dans la voie de cette dévotion. Or le but mani-
feste du culte du Sacré-Cœur est, selon la parole du Christ,
d'allumer dans le monde le feu de l'amour divin, çeni ignem
mittere in terrain ( 2 ) . Pour en bien comprendre l'économie,

( 1 ) Cant. t VIN, G. — ( 2 ) L U C , XN, 49-


6 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

I'à-propos et le développement, il importe donc de savoir en quoi


consiste cet amour divin, qu'il s'agit de répandre parmi les
hommes. Nous traiterons donc d'abord cette question fondamen-
tale. Puis nous montrerons comment le Christ, ayant reçu de son
Père la mission de répandre ce divin amour dans le monde, en a
posé la source intarissable dans l'acte de son immolation au
Calvaire, — comment aujourd'hui il nous ouvre cette source
toute grande dans l a dévotion à son Sacré-Cœur, — et comment
enfin il transforme les âmes sous l'action de cet amour tout-
puissant.
A p r è s cette partie doctrinale, nous raconterons comment
cette dévotion s'est introduite dans l'Église, et p a r quelles formes
elle a p a s s é , pour arriver a u développement qu'elle présente
aujourd'hui.
Désirant être bref et précis, nous ne marquerons que les
points essentiels de cette doctrine et de cette histoire.
Voici donc les divisions de notre travail :

PREMIÈRE P A R T I E : L A DOCTRINE

I ° L'amour qui vit au sein de Dieu, — ou Vamour divin, ce


qu'il est.
2 ° L'amour qui s'immole, — ou Jésus crucifié, unique
foyer de Vamour divin pour le monde entier.
3 ° L'amour qui se donne, —ou le Sacré-Cœur, çéritable source
de Vamour divin pour les hommes.
4° L'amour diçin dans nos âmes.

DEUXIÈME P A R T I E : L'HISTOIRE

I ° Les origines.
0 p
a Depuis le XIIT siècle jusqu'au xvn , — ou le Sacré-Cœur
dans la famille franciscaine.
3 ° Depuis le xvn° siècle.
PREMIERE PARTIE

L — L'Amour qui vit au sein de Dieu


ou l'Amour Divin, ce qu'il est.
Dieu est puissance, amour, lumière.
S a p u i s s a n c e , 11 l'a montrée dans l'œuvre de la création. Elle
s'exerce encore aujourd'hui, dans la conservation de toutes
choses et, à titre exceptionnel, dans les miracles qu'il lui plaît
d'accomplir pour notre salut. Mais, en dehors de ces interventions
extraordinaires, cachée sous le voile des lois stables et uniformes
qui gouvernent le monde, elle reste inaperçue aux yeux inattentifs.
S a grande manifestation aura lieu au dernier jour, quand Dieu
viendra juger les vivants et les morts et qu'il établira les bons
dans la gloire et rejettera les méchants dans les ténèbres exté-
rieures.
S a l u m i è r e , certes, remplit l'univers. L e soleil qui éclaire les
espaces matériels, la raison et l'intelligence qui illuminent les
esprits, en sont une manifestation. Cependant, pour brillante
qu'elle soit, cette manifestation n'offre qu'un reflet, une image
bien pâle de la pure lumière divine. L a foi elle-même, bien plus
vivante, ne présente la vérité qu'en figures et en énigmes. Pour
jouir de la pleine lumière de Dieu, goûtée en elle-même et non
plus dans ses ombres, il nous faut attendre notre admission dans
le royaume des élus, au séjour de la gloire.
L ' a m o u r , au contraire, dès cette vie, c'est là son privilège,
ouvre au cœur de l'homme, sans ombre et sans voile, les trésors
et les richesses de la charité divine. Tandis que l'intelligence de
l'homme ne peut pas contempler à découvert le visage de Dieu
sans mourir, selon la parole dite à Moïse ( 1 ) , non enim çidebit

(i) Exod., xxxin, ao.


8 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

me homo et vwet % son cœur peut, des ici-bas, le posséder et


l'embrasser dans sa substance et goûter, sans intermédiaire, ses
mystérieux épancliemcnts ( i ) . Cette différence entre l'intelligence
et le cœur, au point de vue des communications divines, doit
être bien remarquée ; elle est d u n e importance primordiale,
car elle fonde tout l'ascétisme et toute la mystique chrétiennes.

L a morale philosophique se contente ordinairement de montrer


à l'intelligence son devoir et elle s'arrête là. L'ascétisme et la
mystique chrétienne s'appliquent surtout à mettre la volonté en
relation avec Dieu pour recevoir communication de son amour
et pour allumer, développer en elle l'étincelle de la charité
divine. Ces deux sciences croient au mystère de l'amour divin et
s'efforcent d'en faire bénéficier les âmes. Ce mystère, le voici :
Dieu est amour, Deus charitas est. H est une nature infinie,
non égoïste ni solitaire, mais une nature qui se communique en
trois personnes égales et semblables. Et il trouve son bonheur,
sans limites, dans cette communication mystérieuse.
L e monde est égoïste par nature. 11 a des désirs sans bornes,
mais une nature misérable et stérile. L e peu qu'il possède ne le
satisfait donc p a s , il trouve n'en avoir j a m a i s assez. Au lieu de
communiquer aux autres facilement, il cherche plutôt à tout
accaparer à son profit personnel et au détriment des autres. 11 est
égoïste et partant malheureux, puisque le bonheur n'est que dans
l'amour qui se donne.
A ce monde égoïste, Dieu est venu révéler l'amour, c'est-à-dire

( i ) Q u a n d n o u s d i s o n s sans intermédiaire, n o u s v o u l o n s dire s a n s l'inter-


m é d i a i r e d'une c r é a t u r e , d'une s u b s t a n c e créée. N o u s n ' e x c l u o n s p a s l'inter-
v e n t i o n d e l a g r â c e q u i e s t , elle -aussi, q u e l q u e c h o s e d e créé et q u i a g i t ,
c o m m e o n d i t en p h i l o s o p h i e et en théologie, a l a m a n i è r e d e s a c c i d e n t s et
n o n à l a m a n i è r e d e s s u o s t a n c e s i n d i v i d u e l l e s . D a n s l a foi. l ' i n t e r m é d i a i r e
e n t r e D i e u et l'Ame, c'est l a p a r o l e d u Christ c o n t i n u é p a r l ' E g l i s e . Cette
tarole n e s e r a p l u s n é c e s s a i r e p o u r * connaître D i e u , q u a n d n o u s le v e r r o n s
Ï a c e à face, et s o n e n s e i g n e m e n t d i s p a r a î t r a , evacuabitur qtwd ex parte est

S [ Cor., x n i , io). L a c h a n t é , a u contraire, nous unit à Dieu sans n n t e r m e -


i a i r e d ' a u c u n e p a r o l e o u a u t r e c h o s e créée, m a i s directement. L a m o r t ni
l a c l a i r e v u e d e l a g l o i r e ne l a feront d o n c d i s p a r a î t r e . A c a u s e d e c e l a , e l l e
est l a p l u s g r a n d e d e s v e r t u s , y une autem manent fides, spes, charitas,
tria heee : major autem horarn est charitas ( I Cor., x m ,
L'AMOUR DIVIN, CE QU'IL EST

Le mystère de l'amour de Dieu


se communiquant au monde
est l'objet de la mystique chrétienne

Cette g r a v u r e forme le frontispice de la Théologie Mystique du


Victor G e m s x , frère mineur capucin, publiée à Cologne en i047-
10 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

se révéler lui-même, manifester le mystère de sa vie, dans le but


de l'y associer.
Cette révélation de l'amour qui est en lui, Dieu Ta faite par
son Fils consubstantiel, son Verbe coéternel. Il Ta envoyé dans le
monde raconter aux hommes le mystère de sa vie intime ; et nous
l'avons entendu répéter sous mille formes diverses, durant tout le
temps de sa mission évangélique, cette double affirmation : le Père
est amour et le Fils est amour.
L e Père aime son Fils, il met en lui toutes ses complaisances,
sa joie et son bonheur et il lui donne tout ce qu'il possède.
L e Fils aime son Père et il fait, en toutes choses, sa très sainte
volonté.
L e Père et le Fils, tous les deux, aiment les créatures, dans
l'unité du Saint-Esprit, et s'appliquent à leur communiquer tous
les biens.
L e Père et le Fils trouvent leur joie et leur bonheur infini
dans l'exercice éternel de ce mutuel amour.
Ecoutons tous ces témoignages.

1° L ' a m o u r d e D i e u , le P è r e , p o u r son F i l s J é s u s - C h r i s t .

Les témoignages de l'amour du Père pour le Fils sont abondants


à travers l'Ecriture. Cependant ils se sont manifestés en trois
circonstances, d'une manière plus solennelle : sur les bords du
Jourdain, aux débuts de la vie publique de J é s u s , — sur le Thabor,
lors de la Transfiguration, — enfin peu de jours avant le grand
drame de la Passion.
Nous allons rappeler brièvement ces circonstances :

« Jésus étant baptisé, écrit saint Matthieu ( i ) , il sortit de l'eau, et


aussitôt les cieux lui furent ouverts et il vit l'Esprit de Dieu descendant
comme une colombe et venant sur lui.
« Et voici une voix du ciel disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
« en qui j'ai mis mes complaisances. »

(i) M a t t h . , nr, 16-17.


L'AMOUR DIVIN, CE QU'IL EST II

Cette scène frappa vivement tous les esprits et donna au monde


une première preuve palpable de la divinité de Jésus-Christ et de
sa mission. L e s trois évangiles de saint Matthieu, de saint Marc et
de saint L u c se plaisent à la rapporter.
L a scène du Thaborfut plus grandiose et plus décisive encore.
L e s mêmes évangélistes ont voulu la consigner tous les trois.

Jésus, avec Pierre, Jacques et Jean, monta sur le Thabor. « L à il fut


transfiguré devant eux, raconte saint Matthieu ( i ) . Son visage devint
resplendissant comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme
la neige.
« Et voici qu'apparurent Moïse et Elie, parlant avec lui.
« Et Pierre de dire à Jésus : <c Seigneur, il fait bon d'être ici. Si
<r vous voulez, dressons-y trois tentes, Tune pour vous, une autre pour
« Moïse, une autre pour Elie. »
« Il parlait encore et voici qu'une nuée lumineuse les couvrit de
son ombre ; et voici qu'une voix sortant de la nuée disait : « Celui-ci
« est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances.
« Ecoutez-le. »

Cette scène, plus encore que la première, frappa les apôtres.


Et, longtemps après, saint Pierre la rappelait aux premiers chré-
tiens et l a donnait comme un argument décisif en faveur de la
foi qu'il prêchait.

« Ce ne sont pas des fables savantes, écrivait-il ( 2 ) , que nous


proposons, quand nous vous prêchons la puissance et la présence de
Notre Seigneur Jésus-Christ ; mais nous avons été les contemplateurs
de sa grandeur.
« Car il a reçu de Dieu le Père l'honneur et la gloire, alors qu'une
voix descendit sur lui des magnificences de la gloire : « Celui-ci est mon
« Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances, écoutez-le. »
« Et cette voix nous l'avons entendue venir des cieux, alors que nous
étions avec lui sur la montagne sainte. »

L a troisième manifestation eut lieu à Jérusalem, le jour du


triomphe de J é s u s et de son entrée glorieuse au milieu du peuple,
qui l'accompagnait en chantant et en portant des rameaux. D e s
gentils, qui assistaient au spectacle de cette foule croyante,

( 1 ) M A T T H . , XVII, I-5. — (2) S . P B T R . , I I E p i s t., 1, 1 7 .


LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

s'étaient sentis émus et ils avaient demandé à voir J é s u s et à lui


parler.

« Philippe, auquel ils s'étaient adressés, raconte saint Jean ( i ) , le


dit à André. Et André avec Philippe le dit à Jésus.
« Alors Jésus leur répondit, en disant : « L'heure est venue, où le
a Fils de l'homme va être glorifié.
« En vérité je vous le dis, si le grain de froment ne tombe à terre
a et n'y meurt, il reste seul. Mais, s'il y meurt, il porte beaucoup de
a fruit...
« Et voici maintenant que mon âme se trouble. Et que dirai-je?
« Père, sauvez-moi de cette heure. Mais n'est-ce pas pour cette heure
« même que je suis venu ? O Père ! Glorifiez votre nom. »
Alors une voix descendit du ciel : « J e l'ai glorifié et je le glorifierai
« encore. »
Et la foule qui l'entourait, et avait entendu, disait que c'était le
tonnerre. D'autres disaient : a Un ange lui a parlé. »
Mais Jésus répondit : « Ce n'est pas pour moi qu'est venue cette
« voix, mais pour vous. C'est maintenant l'heure où le monde va être
« jugé, c'est l'heure où le prince de ce monde va être jeté dehors. Et
<r moi, quand j'aurai été élevé de terre (sur la croix), j'attirerai tout à
« moi. »

L e Père aime donc le Fils, comme il aime son nom, et il


entend le glorifier à son heure et de la manière mystérieuse qu'il
a décidée dans s a sagesse : il lui a tout donné, le monde entier
des créatures ; et ce tout, qui est son héritage, c'est du haut de
la croix que le Fils l'attirera en s a possession.

Partout, dans l'Évangile, éclate cette affirmation que la vie


intime de Dieu est une vie d'amour : l'amour d'un Père pour son
F i l s sorti de son sein. E t saint J e a n résume énergiquement cette
doctrine, quand il dit : « L e Père aime le F i l s , et il a tout remis
entre ses mains. Pater diligit Filium et omnia dédit in manu
ejus » (a).
L e don n'est-il pas le signe et l'expression de l'amour ? S i le
Père donne tout à son Fils, c'est qu'il l'aime sans mesure.
Mais ce n'est p a s seulement le domaine des choses créées que

(i) JOANN. , XII, ao-3o. — ( 2 ) JOANN., III, 35.


L'AMOUR DIVIN, CE QU'IL EST I3

le Père donne à son Fils, il lui a donné, dès l'éternité, les


richesses de s a substance ; et, dans le temps, dans s a nature
humaine, il lui a donné son Esprit de grâce et de vérité.
Quand Philippe demandait à voir son Père, J é s u s se contenta
de répondre : « Philippe, celui qui me voit, voit mon Père.
Gomment peux-tu dire : Montrez-nous votre Père.
« N e pouvez-vous croire que j e suis dans mon Père et que
mon Père est en moi. L e s paroles que j e vous dis, ne viennent
pas de moi. Mon Père qui demeure en moi accomplit tout ce que
j e fais. Pourquoi ne croyez-vous pas que j e suis dans mon Père
et que mon Père est en moi ( i ) ? »
Et, un peu après, s'adressant à son Père, il témoigne encore
que ce Père lui a tout donné :
« E t tout ce que j ' a i est à vous, ô Père ; et tout ce qui est à
vous est à moi ( 2 ) . »
E t Jean-Baptiste avait marqué, devant les Pharisiens, par
ce même signe, la grandeur du Christ, au-dessus de lui et au-
dessus de toute créature ( 3 ) .
« Celui qui vient d'En-Haut est au-dessus de tous. Celui
qui est de la terre est de la terre et ne raconte que des choses
de la terre. Celui qui vient du Ciel, est au-dessus de tous...
« Celui que Dieu a envoyé, apporte les paroles de Dieu, car
Dieu donne l'esprit sans mesure.
« L e Père aime son Fils et il a tout donné entre ses mains.
Pater diligit Filium et omnia dédit in manu ejus. »

2 ° L'amour du Fils pour le P è r e .

L e Père aime le Fils, avons-nous dit. Cet amour de complai-


sance, dont il sè sent entouré, le Fils le rend à son Père, dans
la même plénitude et la même perfection. L e s Écritures sont plus
brèves en paroles sur ce point ; mais elles en donnent des
preuves par des actes qui dispensent de toute parole.

( i ) JOAXX., xiv, 8-12. — ( a ) J O A X X . , x v n , i o , — (3) J O A X X . , n i , 3i-33.


LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

L E FILS A TÉMOIGNÉ SON A M O U R POUR SON P È R E EN ACCOMPLISSANT

E N TOUTE C H O S E S A TRÈS SAINTE V O L O N T É .

« M A N O U R R I T U R E E S T D E FAIRE LA V O L O N T É D E M O N P È R E , » A I M A I T - I L

À RÉPÉTER ( I ) . ET AILLEURS : « JE FAIS TOUJOURS CE Q U I PLAÎT À MON

PÈRE Quœ placita sunt ei facio semper. »


M A I S C'EST D A N S L ' Œ U V R E D E S O N SACRIFICE, SUR LE C A L V A I R E , Q U ' I L

A SURTOUT M A N I F E S T É S O N A M O U R P O U R S O N PÈRE. SAINT PAUL, RACON-

T A N T LE D R A M E D E S A V E N U E D A N S LE M O N D E , M E T D A N S S A B O U C H E LES

PAROLES SUIVANTES :

« ENTRANT DANS LE MONDE (3), IL DIT ( À SON PÈRE) : LES VICTIMES


ET LES OBLATIONS N E V O U S ONT P A S ÉTÉ A G R É A B L E S . A L O R S V O U S M ' A V E Z D O N N É
U N CORPS.
« L E S HOLOCAUSTES P O U R LE P É C H É N E P O U V A I E N T V O U S SATISFAIRE.
« A L O R S J'AI DIT : M E V O I C I , JE V I E N S . C A R E N TÊTE D U L I V R E IL EST ÉCRIT
D E M O I Q U E JE FERAI VOTRE VOLONTÉ. »

CETTE VOLONTÉ DU PÈRE QUE LE FILS VIENT ACCOMPLIR, C'EST LE

SACRIFICE D U C A L V A I R E , LA M O R T S U R LA C R O I X .

IL NE POUVAIT DONNER UNE PLUS GRANDE PREUVE D'AMOUR. CAR

« PERSONNE NE PEUT AVOIR UN AMOUR PLUS GRAND QUE CELUI QUI

D O N N E SA V I E P O U R S E S A M I S (/J). »

3° L E PÈRE E T LE FILS A I M E N T LES H O M N I E S ET T O U T E S CRÉATURES.

NOUS AURONS OCCASION PLUS LOIN DE DONNER DES PREUVES LES

P L U S N O M B R E U S E S D E CET A M O U R D U P È R E ET D U F I L S P O U R LES H O M M E S

ET POUR TOUTES CRÉATURES. NOUS VOULONS NOUS BORNER ICI À EN

DONNER QUELQUES TÉMOIGNAGES.

L E PREMIER TÉMOIGNAGE DÉMONTRE L'AMOUR DU PÈRE POUR TOUTES

S E S C R É A T U R E S , ET C ' E S T J É S U S Q U I LE D O N N E :

« DIEU A TANT A I M É LE MONDE, DISAIT-IL À MCODÈME (5), QU'IL LUI A


DONNÉ SON FILS UNIQUE, Sic Deus dilexit mundum, ut Filiam anige-
nitum daret, AFIN QUE CELUI Q U I CROIT E N LUI N E P É R I S S E P A S , M A I S SOIT
A S S O C I É À SA V I E ÉTERNELLE. »

( i ) JOANN., IV, 34. — (2) JOANN., v i n . 29. — (3) Hebr., x , 5-9. — (4) JOANN.,
x v , i3. — (5) JOANN., III, 16.
L'AMOUR DIVIN, CE QU'IL E S T I5

L e s autres témoignages vont démontrer l'amour du Fils pour


tous les hommes :
« Gomme mon Père m'a aimé, disait-il à ses apôtres ( i ) , ainsi
j e vous ai aimés. »
L'amour du Père pour le Fils est infini, nous l'avons dit plus
haut. L'amour du Fils pour les hommes ne peut donc être plus
grand, car il est semblable à cet amour. Non seulement J é s u s
aime les hommes, comme son Père l'a aimé lui-même ; mais
encore, à l'exemple de ce Père, il leur communique tout ce qu'il
a reçu de ce Père, s a mission, s a sainteté, s a gloire, et l'amour
dont son Père l'a aimé. L a gloire, c'est pour l'heure de l'éternité ;
mais la mission, l a sainteté, l'amour et ses délices cachés, c'est
déjà pour le temps de la terre.
« O mon Père, s'écrie-t-il, après la Cène ( 2 ) , comme vous m'avez
envoyé dans le monde, ainsi je les envoie dans le monde.
« Et je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'ils soient sanc-
tifiés dans la vérité.
« Et je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui
croiront en moi par leur parole.
« Afin que tous soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en
moi et moi en vous, afin qu'eux aussi, ils soient en nous une même
chose et que le monde croie que vous m'avez envoyé.
a Et, cette gloire que vous m'avez donnée, je la leur ai donnée,
afin qu'il soient un, comme nous sommes un nous-mêmes.
« Moi en eux et vous en moi, qu'ils soient consommés dans l'unité ;
afin que le monde sache que vous m'avez envoyé et que vous les avez
aimés, comme vous m'avez aimé moi-même.
« Père, ceux que vous m'avez donnés, je veux qu'ils soient, eux
aussi, où je suis et qu'ils soient avec moi, qu'ils voient ma gloire que
vous m'avez donnée : parce que vous m'avez aimé avant la constitution
du monde.
« Père juste, le monde ne vous connaît pas ; mais moi je vous
connais. Et ceux-ci ont reconnu que vous m'avez envoyé.
« Et je leur ai fait connaître votre nom et je le ferai connaître
encore, afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux et moi en
eux. »
Voilà donc clairement affirmé l'amour du Christ pour les
hommes ainsi que l a nature de cet amour. L e Christ aime les

( l ) JOANN., X V , 9. — ( û ) JOANN., X V I I , 18-26.


i6 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

h o m m e s , c o m m e son P è r e l ' a i m e l u i - m ê m e . S o n a m o u r e s t , a u
milieu de nous, l'image sensible de l'amour divin qui brûle au
sein de D i e u , s o n P è r e . Qui videt me videt et Patrem meum,
pourrait-il dire encore, à propos de cet amour. Q u i voit mon
a m o u r p o u r les h o m m e s , v o i t l ' a m o u r de m o n P è r e d a n s s o n
image parfaite.
M a i s si l e C h r i s t aime l e s h o m m e s , c o m m e s o n P è r e l'a aimé
l u i - m ê m e , il doit, c o m m e l'a fait s o n P è r e p o u r l u i - m ê m e , l e u r
c o m m u n i q u e r t o u s ses t r é s o r s et t o u t e s s e s p e r f e c t i o n s , t o u t ce
q u ' i l est et t o u t ce qu'il p o s s è d e , s o n a m o u r e t sa g l o i r e . S a g l o i r e ,
il l e u r e n fera p a r t d a n s l ' é t e r n i t é ; mais s o n a m o u r il p e u t le
d o n n e r dès le t e m p s de cette v i e . N o u s a l l o n s m a i n t e n a n t étudier
le mystère de cette communication.

IL — L'Amour qui s'immole


ou Jésus crucifié unique foyer de l'Amour Divin
pour le monde entier.
Dieu est a m o u r , a v o n s - n o u s d i t , c'est l à sa v i e i n t i m e et
p e r s o n n e l l e ( i ) . Il est P è r e ; l e P è r e aime s o n F i l s , l e F i l s a i m e
s o n P è r e et ils s o n t h e u r e u x , d ' u n b o n h e u r infini, d a n s l ' a c t e
é t e r n e l de c e t a m o u r .
L e P è r e aime t o u t e s ses c r é a t u r e s ; il a i m e l e s h o m m e s et s o n
F i l s l e s aime a v e c l u i . I l Ta donc e n v o y é p o u r l e u r p o r t e r l e p l u s
g r a n d d e s t r é s o r s : les r i c h e s s e s de s a v i e d ' a m o u r . Il v e u t qu'ils
y participent.
M a i s c o m m e n t l e C h r i s t associera-t-il l e s h o m m e s , d è s i c i - b a s ,
à l a v i e d ' a m o u r , qu'il m è n e a v e c s o n P è r e ?
C e s e r a e n v i v a n t , a u milieu d ' e u x , d a n s s a n a t u r e h u m a i n e ,
c e t t e v i e de l ' a m o u r d i v i u . S i l e soleil échauffe le m o n d e de s e s

(i) Dieu est encore lumière et puissance, comme nous l'avons dit en
commençant ; mais, pour les motifs exposés plus haut, nous ne l'envisageons
ici que dans sa vie d'amour.
L'AMOUR QUI S'IMMOLE 17

rayons ardents, c'est parce qu'il est lui-même une fournaise


brûlante. Ainsi en sera-t-il du Christ. Il s e r a le soleil de l'amour,
au milieu des âmes ; et sa chaleur développera en elles les ardeurs
de l'amour divin.

Dans son discours après la Cène, nous avons entendu J é s u s


suppliant son Père d'accorder à ses apôtres le don de l'amour,
« afin, disait-il, que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux
et moi en eux. » Et, comme disposition à cet amour, il demandait
pour eux la sainteté, par ces paroles mystérieuses ( 1 ) :
« Père, sanctifiez-les dans la vérité. Votre parole est vérité.
Pour eux, j e me sanctifie moi-même, afin qu'ils soient sanctifiés
eux-mêmes, dans la vérité. »
Cette sainteté dans la vérité, que réclame le Christ pour ses
apôtres, en demandant pour eux l'amour, qu'est-elle donc et en
quoi consiste-t-elle ? — Elle est la condition essentielle de l'amour
divin, sans laquelle cet amour n'est plus digne de Dieu, n'est
plus l'amour vrai, mais une contrefaçon de l'amour. Nous allons
essayer de faire comprendre ce caractère de la sainteté qui
distingue l'amour divin de tous les autres amours profanes.
L'amour, avons-nous dit, est le don de soi-même et de tout ce
qu'on possède. L a sainteté de l'amour exige que ce don soit total,
complet, sans restriction, sans réserve, en un mot, loyal et sans
mensonge, in justitia et sanctitate Qeritatis (2).

Pour que l'amour, au cœur de l'homme, soit digne de Dieu,


il faut qu'il revête cette sainteté, qu'il soit le don de soi-même à
Dieu, sans mesure et sans réticence.
Mais au cœur de l'homme, égoïste par nature, quoi de plus
difficile à faire comprendre que cette sainteté ? Quoi de plus
difficile à faire pratiquer ?
J é s u s pourtant v a l'entreprendre et voici ce que, dans sa
grande sagesse, il a imaginé :

( 1 ) J O A N N . , x v n , 1 7 . — ( a ) Eph.
f vi, 24.
i8 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR.

A u m i l i e u d u m o n d e , il é t a b l i r a , e n sa p e r s o n n e , u n e x e m p l e
vivant de ce s a i n t a m o u r , a u q u e l il v e u t n o u s a s s o c i e r , un
exemple parlant, é c l a t a n t c o m m e le s o l e i l . E t il i n v i t e r a t o u s les
h o m m e s à v e n i r s ' i n s t r u i r e à s a l u m i è r e et à s'y c o n f o r m e r .

C e t e x e m p l e p a r f a i t d u saint a m o u r , c e s e r a son sacrifice


du Calvaire.
S u r l a C r o i x , e n effet, J é s u s a c c o m p l i t le d o n de s o i - m ê m e
à s o n P è r e , le d o n de t o u t ce q u ' i l est et de t o u t c e q u ' i l p o s s è d e ,
il l ' a c c o m p l i t d ' u n e m a n i è r e i n t é g r a l e , s a n s r e s t r i c t i o n a u c u n e et
sans r é s e r v e . Il l u i sacrifie s o n c o r p s , son â m e , ses a m i s , sa m è r e ,
s o n h o n n e u r , s a v i e , s o n s a n g , j u s q u ' à la d e r n i è r e g o u t t e . E t ce
sacrifice, cet h o l o c a u s t e , profite à l a fois à D i e u q u ' i l h o n o r e ,
et à l ' h o m m e q u ' i l r a c h è t e d u p é c h é . Q u e l l e p l u s g r a n d e m a n i -
f e s t a t i o n d ' a m o u r Jésus p o u v a i t - i l i n v e n t e r ?
O n p e u t d o n c le dire e n v é r i t é : le sacrifice de l a C r o i x fut
l ' a u t e l et l e sacrifice de l ' a m o u r p u r et s a i n t , de F a m o u r d i g n e
de D i e u . L e s p l a i e s d u C h r i s t , son c œ u r o u v e r t s o n t a u t a n t d e
b o u c h e s q u i c r i e n t v e r s D i e u : « O P è r e , q u e puis-je v o u s offrir
e n c o r e q u e j e n e v o u s aie pas déjà d o n n é ? Mea omnia tua sunt ( i ) .
T o u t ce q u e v o u s m ' a v e z d o n n é , j e v o u s Fai r e n d u , jusqu'à la
dernière obole. »
E t a u x h o m m e s J é s u s p e u t t e n i r le m ê m e l a n g a g e . « Je v o u s
ai d o n n é m a v i e , m o n c o r p s , m o n s a n g , m a d i v i n i t é , q u e puis-je
ajouter e n c o r e ? Majorent charitatem nemo habere potest quant
ut vitam suam donet pro amicis suis ( 2 ) . Il n ' y a p a s d ' a m o u r p l u s
g r a n d q u e de d o n n e r sa v i e p o u r ses a m i s . »
O J é s u s e n C r o i x ! V o u s ê t e s le soleil r a d i e u x de l ' a m o u r ! V o s
p l a i e s sont a u t a n t de r a y o n s a r d e n t s . P a r e l l e s v o u s r é j o u i s s e z l e
C i e l et v o u s é c l a i r e z la t e r r e .
M a i s v o u s ê t e s p l u s e n c o r e q u ' u n e l u m i è r e , v o u s êtes c h a l e u r
et v i e , c a r l ' a r d e u r q u i b r û l e d a n s v o t r e c œ u r , v o u s a v e z l a p u i s -
s a n c e et la v o l o n t é de l a c o m m u n i q u e r à n o s â m e s . E t v o u s s e u l

(i) JOANN., X V I I , IO. — (2) JOANN., XV, l3.


L'AMOUR QUI S'IMMOLE 19

avez reçu cette p u i s s a n c e . D i e u v o u s a fait l ' u n i q u e s o l e i l ,


l ' u n i q u e f o y e r p o u r r é p a n d r e d a n s le m o n d e sa v i e d ' a m o u r .

C ' e s t d a n s c e sacrifice d u C a l v a i r e , en effet, q u e D i e u a fixé


le l i e u de l a r e n c o n t r e des â m e s a v e c l u i d a n s l ' a m o u r , e n atten-
d a n t l ' é t e r n e l l e r e n c o n t r e d a n s la g l o i r e . E t il n ' e n e x i s t e p o i n t
d ' a u t r e a u c i e l n i s u r l a t e r r e . « Cum exaltatus fuero a terra
omnia traham ad meipsum, disait-il ( 1 ) , q u a n d j e s e r a i é l e v é de
t e r r e e n c r o i x , j ' a t t i r e r a i t o u t à m o i . » C e c i a été dit p o u r la
terre.
P o u r le ciel, il est d ' a u t r e s affirmations t o u t aussi d é c i s i v e s de
l a m ê m e v é r i t é . L a n o u v e l l e S i o n , la J é r u s a l e m c é l e s t e n ' a u r a
p a s d ' a u t r e t e m p l e ni d ' a u t r e s o l e i l q u e l ' A g n e a u i m m o l é , e t p e r -
s o n n e n ' y e n t r e r a , s'il n ' e s t i n s c r i t d a n s l e l i v r e de l ' A g n e a u .
Ecoutons saint Jean (2) :

« En elle je ne v i s point de temple, car le Seigneur Dieu tout-puis-


sant est son temple, ainsi que l'Agneau.
« Elle n'a pas besoin de soleil ni de lune pour l'éclairer, car la
clarté de Dieu l'illumine et sa lampe est l ' A g n e a u . . .
« En elle il n'entrera rien de souillé...; nul n'entrera s'il n'a été
inscrit dans le livre de vie de l ' A g n e a u . »

D u r e s t e , l ' É v a n g i l e et l a l i t u r g i e s o n t p l e i n s de l a m ê m e
affirmation : le C h r i s t , d a n s s o n i m m o l a t i o n , est T u n i q u e v o i e
qui conduit au Père, qui conduit à l'amour, qui conduit à la
gloire.
Nous avons, plus haut, e n t e n d u le C h r i s t , dans s o n e x t a s e ,
rendant grâces à son Père, s'écrier ( 3 ) :

« Toutes choses m'ont été livrées par mon Père. Et personne ne


sait qui est le Fils si ce n'est le Père et personne ne connaît qui est le
Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils v e u t bien le révéler. »

« P e r s o n n e n e c o n n a î t le P è r e si ce n'est l e F i l s et c e l u i à q u i
le F i l s v e u t b i e n le r é v é l e r », q u ' e s t - c e à d i r e , si ce n ' e s t que

(1) JOANN., XII, 23. — (2) Apocal., x x i , 22-2-. — (3) L u c , x , 22,


20 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Le lieu de rencontre de Dieu et des âmes


dans l'amour

O CHRIST ! TU M ' A S RAVI LE C Œ U R ,

COMMENT METTRAIS-JE U N FREIN À L'AMOUR DONT JE T ' A I M E ?


(Cantique de Sa'nt François.)
L'AMOUR QUI S'IMMOLE

Dieu n'accorde son amour paternel qu'à ceux-là que le Christ


veut bien associer lui-même à son œuvre et à son sacrifice, p a r
lequel il a mérité l'amour de son Père ?

Cette vérité, J é s u s ne cessait de la répéter.


Dans ses adieux à ses apôtres, il leur disait, pour les consoler,
qu'il s'en allait vers son Père leur préparer une place dans s a
maison, et ensuite qu'il viendrait les chercher :

« J e reviendrai vers vous, disait-il ( i ) , et je vous prendrai avec


moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi vous-mêmes.
« Et où je vais, vous le savez, vous savez aussi le chemin.
a Et Thomas de lui dire : Seigneur, nous ne savons où vous allez.
Comment pouvons-nous savoir le chemin ?
« Jésus lui dit : J e suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne vient
à mon Père, si ce n'est par moi. »

Dans la parabole du Bon Pasteur, il enseigne la même doc-


trine : il est la porte unique qui donne accès dans le bercail et
l'unique pasteur qui sait conduire les brebis aux gras pâturages.
Tous les autres ne sont que de faux bergers, venus pour égorger
le troupeau et pour le perdre.

« En vérité, en vérité, dit-il ( s ) , celui qui n'entre pas par la porte


dans le bercail, mais s'introduit par ailleurs, celui-là est un voleur et
un brigand...
« Je suis la porte. Par moi, celui qui entre sera sauvé, il entrera et
sortira (à son gré) et il trouvera de gras pâturages, D

E t quels sont ces g r a s pâturages, où J é s u s veut conduire ses


b r e b i s ? C'est l'amour de son Père, dont il veut les faire jouir
avec lui.
Dans sa belle prière a u jour de la Cène, il s'en exprime en
des termes d'une sublime splendeur ( 3 ) :

a Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis ils soient
avec moi, afin qu'ils voient ma gloire que tu m'as donnée, (c'est-à-dire)
comment tu m'as aimé avant la constitution du monde.

(i) J O A N N . , X I V , 2 - 6 . — ( 2 ) J O A N N . , X , 1 - 1 8 . — ( 3 ) J O A N N . , X V , 24-26.

a
22 LA DÉVOTION A U SACRÉ-COEUR

« Père juste, le monde ne te connaît pas, mais moi, je te connais,


et ceux-ci ont reconnu que t u m'as envoyé.
« ' Et je leur ai fait connaître ton nom et je le ferai connaître, afin
que l'amour dont ta m'as aimé soit en eux et moi en eux, »

Et ailleurs encore ( i ) :

«r Un grand jour de fête, Jésus se tenait debout et il criait disant :


Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive.
« Celui qui croit en moi, comme dit l'Écriture, des fleuves d'eau
vive couleront de son sein. »

L e Christ est donc l'unique source de l a vie divine pour la


créature, il est l'unique foyer de l'amour divin ; et ce foyer, il l'a
établi dans le g r a n d acte de son sacrifice de la croix. L à , il se
donne à son P è r e d'une manière sainte et parfaite, et le Père se
donne à lui, à son tour, d'une manière parfaite, en le couvrant de
sa gloire dans s a résurrection et son ascension. S i nous voulons
participer à ce divin amour, entrons dans ce foyer vivifiant et
unissons nos sacrifices a u sacrifice de l'Agneau.
Dans ses Lettres aux premiers chrétiens, saint J e a n se plaisait
à insister sur cette même vérité.

« Celui qui croit dans le Fils de Dieu, dit-il (2), porte en lui le
témoignage de Dieu (3)... Et ce témoignage consiste en ceci que Dieu
nous a donné la vie éternelle. Et cette vie est dans son Fils. Celui qui
possède le Fils possède la vie ; celui qui ne possède pas le Fils ne
possède pas la vie.
« Je vous écris ces choses afin que vous sachiez que vous avez la
vie éternelle, vous qui croyez dans le nom du Fils de Dieu. »

J e suis Valpha et Voméga, le principe et la fin, disait J é s u s en


parlant de lui-même (4). C'est dans son sacrifice du Calvaire que
cette parole trouve son entier accomplissement. Ce sacrifice donne
la mesure totale, d e p u i s ; l e commencement jusqu'à la fin, de
l'amour de Dieu pour les hommes et pour toutes ses créatures.

( 1 ) JOANN., V U , 37-38. — ( a ) JOANN., I I E p i s t . , i v - v .


(3ï Ce t é m o i g n a g e , c'est, d ' a p r è s s a i n t P a u l , le s e n t i m e n t de l ' a m o u r filial
a u f o n d d e n o t r e c œ u r , l a v o i x d e l ' E s p r i t q u i n o u s fait crier v e r s D i e u :
Abba, Pater, c'est-à-dire : M o n D i e u , v o u s êtes m o n P è r e .
(4) Apocal., 1, 8.
L'AMOUR QUI S'IMMOLE 23

Ne cherchez p a s ailleurs d'autres témoignages de cet amour


divin. Il n'en existe pas sur terre, ni au ciel, ni dans les enfers.
Dans toute la création il n'y a qu'un seul témoin de cet amour,
c'est J é s u s et J é s u s crucifié. L u i seul proclame dignement cet
amour, c'est-à-dire que lui seul le proclame en vérité, par la
parole et dans les faits. L e s autres ne sont que des échos de plus
en plus affaiblis de s a grande voix, des témoins secondaires qui
ne font que répéter la parole et l'affirmation du Maître.
« A Jésus-Christ donc, qui est le témoin fidèle, le premier
d'entre les morts, le prince des rois de la terre, qui nous a aimés,
qui a lavé nos péchés dans son sang, qui a fait de nous des rois et
des prêtres au service de Dieu son Père, à lui la gloire et l'empire
dans les siècles des siècles ( i ) . »

Ce témoin fidèle nous a révélé, en le réalisant, tout le plan de


l'amour divin Dieu voulant ramener à lui toutes ses créatures,
si b a s qu'elles soient tombées, les faire entrer en participation
de s a vie divine, a réalisé ses projets de miséricorde, par le
sacrifice de son Fils, auquel toute créature est invitée à communier.
E t c'est la communion à ce sacrifice qui fait entrer les âmes dans
l'amour divin.
Tout ce qui est lumière éclaire, tout ce qui est chaleur échauffe,
tout ce qui est amour divin ici-bas éclate en sacrifices, ou plutôt
en communion avec le sacrifice de la Croix. L a vie divine ne
connaît p a s d'autres formes, d'autres expressions, d'autres accents
pour s'épanouir dans les âmes.
Philosophes aveugles, ne nous parlez donc plus de l'amour du
Dieu créateur pour tous les ouvrages sortis de ses mains. L à n'est
point son cœur. Il n'a tiré du néant les .merveilles de la création
qu'en vue du drame divin du Calvaire, comme on dresse un
temple en vue des sacrifices qu'on y doit célébrer.
Et vous, théologiens, ne nous parlez plus de l'amour du Dieu
Rédempteur pour les hommes qu'il a voulu racheter du péché et

(i) Apocal., 5.
24 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CCEUR

de la mort. Car Dieu n'a voulu la Rédemption que p a r amour


pour son Fils, pour lui donner l'occasion de déployer les ri-
chesses et les ressources infinies de son amour sanctificateur.
Dieu aime son Fils et n'a pas d'autre amour. Il a mis en lui
toutes ses complaisances. Et s'il est écrit que Dieu nous aime,
nous aussi, chétives créatures, et qu'il veut que nous l'appelions
du nom de Père, sachez que, s'il nous aime en vérité, c'est unique-
ment dans l'amour qu'il porte à son Fils. Il nous aime comme
membres de son corps, comme participants à son Esprit et comme
associés à l'oblation sainte de son sacrifice.
Il ne faut donc plus s'étonner si, dans les Écritures, le nom de
J é s u s se trouve élevé au-dessus de tous les noms, et cela à cause
de son sacrifice d'amour.
« L e Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort de
la croix, dit saint Paul ( i ) . A cause de cela Dieu l'a exalté et lui a
donné un nom au-dessus de tous les noms, afin que, a u nom de
Jésus, tout genou fléchisse, au ciel, sur la terre et dans les enfers. »

III. — L'Amour qui se donne


ou le Sacré-Cœur, véritable source de l'Amour Divin
pour les hommes.
D'après l a doctrine que nous avons exposée, il n'y a donc
qu'une chose qui soit agréable à Dieu, sur terre comme au ciel,
l'amour de son Fils Jésus, tel qu'il l'a manifesté dans son sacrifice
du Calvaire. C'est en participant à cet amour que l'homme
devient, lui-même, agréable aux yeux de Dieu, mérite de l'appeler
son Père et de participer aux joies de la vie divine.
L e foyer de cet amour, pour le monde entier, n'est autre
que J é s u s lui-même, dans son corps, dans son âme, dans sa divi-
nité. L e corps du Christ, dans la manifestation de cet amour, reçut,

( i ) Philip.) H , 8.
L'AMOUR QUI SE DONNE 25

pour s a part, la fonction de souffrir, de répandre ses sueurs,


son sang et de mourir. Il donna ainsi, aux yeux des hommes,
la preuve matérielle de l'amour qui brûlait caché au fond de
l'âme du divin S a u v e u r .
L'amour, en effet, se prouve, non p a r des paroles mais p a r
les actes, probatio amoris exhibitio operis. E t plus l'œuvre
entreprise p a r amour est dure et pénible, plus elle témoigne
d'un amour ardent et sincère. S i donc vous voulez j u g e r de
l'amour de J é s u s , arrêtez-vous à contempler l'œuvre qu'il entre-
prend par amour de son Père d'abord, afin de réparer l'offense
causée p a r le péché, pour notre amour ensuite, afin de créer,
sur terre, en notre faveur, un foyer de sanctification. Mesurez
la grandeur de cette œuvre et ses difficultés, les travaux et les
douleurs qu'elle a exigés, et vous aurez l a mesure de l'amour
de Celui qui l'a entreprise.
Mais ces t r a v a u x et ces douleurs comment l'homme, qui ne
voit que p a r ses sens, pourra-t-il les apercevoir, les estimer et
les juger s'ils ne s'extériorisent dans le corps, de façon à frapper
ses yeux ?
Pour nous permettre de contempler l a grandeur de son
amour, il fallait donc que J é s u s souffrît dans son corps. E t ses
souffrances corporelles ont pour nous le caractère de manifes-
tation et de preuve sensible de son amour.

Certes toutes les douleurs corporelles de J é s u s , quelles


qu'elles soient, présentent ce caractère de manifestation et de
preuve de son amour. Cependant le cœur eut un rôle spécial
dans cette expression, et ce rôle, on peut l'envisager au sens réel
ou au sens symbolique.
Au sens réel, le cœur de J é s u s j o u a un rôle spécial dans
l'expression de son amour, p a r c e qu'il fut affecté, plus que les
autres organes corporels, p a r les douleurs et les tourments de
l'Homme-Dieu, dans l'œuvre de notre Rédemption.
Il en fut certainement ainsi. Car, dans toute souffrance
éprouvée par une partie quelconque du corps, le cœur reçoit
26 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

t o u j o u r s u n c o n t r e - c o u p p é n i b l e , q u ' o n a p p e l l e Yémotion. Sous


l'influence d e s n e r f s v a s o - m o t e u r s , n o u s dit la s c i e n c e d ' a c c o r d
a v e c l ' e x p é r i e n c e , il a c c é l è r e a l o r s o u r a l e n t i t son m o u v e m e n t ;
il a r r ê t e l ' a p p o r t d u s a n g v e r s l e s m e m b r e s o u il le p r é c i p i t e
d'une façon d é s o r d o n n é e ; et de la s o r t e il d é t e r m i n e u n m a l a i s e
local ou même général très pénible. Par l'intermédiaire des
m ê m e s n e r f s v a s o - m o t e u r s , i l r e ç o i t é g a l e m e n t le contre-coup
de t o u t e s l e s p e i n e s et j o i e s m o r a l e s et des t r a v a u x i n t e l l e c t u e l s
t a n t soit p e u p é n i b l e s ; et, il le fait s e n t i r a u r e s t e du c o r p s , en
occasionnant ce malaise local ou général dont nous avons parlé.
C e r t e s le c œ u r ne souffre p a s p a r l u i - m ê m e . M a i s , à c a u s e de ce
c o n t r e - c o u p , de c e t t e émotion, qu'il s u p p o r t e de n o s j o i e s , de
n o s p e i n e s , de n o s e s p é r a n c e s et de nos d é c e p t i o n s , il e s t
d é s i g n é v u l g a i r e m e n t c o m m e le s i è g e de n o s affections. Il n ' e n
est p a s l e s i è g e a u sens d ' o r g a n e , mais il en est v é r i t a b l e m e n t
l e s i è g e a u t i t r e d e c e n t r e p h y s i o l o g i q u e d e r é p e r c u s s i o n . Il est
i m p r e s s i o n n é p a r l ' e n s e m b l e des affections q u i a t t e i g n e n t l'être
h u m a i n , i l t r a n s m e t c e t t e i m p r e s s i o n a u r e s t e du c o r p s , et ainsi
il l a manifeste a u d e h o r s ( i ) .
D a n s l e s d o u l e u r s q u ' é p r o u v a Jésus, et p a r l e s q u e l l e s il n o u s
t é m o i g n a s o n a m o u r , s o n c œ u r eut donc u n e p a r t importante,
p r é p o n d é r a n t e . Il r e s s e n t i t le c o n t r e - c o u p de t o u t e s ses d o u l e u r s
p h y s i q u e s et m o r a l e s et e n p r o p a g e a l ' é m o t i o n j u s q u ' a u d e h o r s .
P h y s i o l o g i q u e m e n t il r e s t a donc l a m e i l l e u r e e x p r e s s i o n de son
a m o u r ; il e n fut l e s i g n e s e n s i b l e et c o m m e le s a c r e m e n t si l'on
p e u t p a r l e r ainsi. E t , à ce t i t r e , il m é r i t e d'être h o n o r é d'un
hommage spécial, dans le c u l t e que l'on doit à l ' a m o u r de
l'Homme-Dieu.

A u p o i n t de v u e de s a signification s y m b o l i q u e , le C œ u r de

( i ) On dit d'un h o m m e qu'il a d u c œ u r , l o r s q u ' o n face d'une souffrance


p h y s i q u e ou m o r a l e , il é p r o u v e u n e émotion. P l u s i e u r s fois, J é s u s p l e u r a et
se t r o u b l a , a u d i r e de F E v a n g i l e . Or, d a n s l a p r o d u c t i o n de l'émotion, le
c œ u r j o u e u n r ô l e p r é p o n d é r a n t , n o u s l'avons dit, p a r l'afflux o u le retrait
d u s a n g , q u i c a u s e l a r o u g e u r , l a p â l e u r et les a u t r e s d é s o r d r e s o r g a n i q u e s .
L a p l u p a r t d e ces affections se t r a d u i s e n t a u d e h o r s et deviennent le s i g n e
é v i d e n t de l a s o u f f r a n c e e n d u r é e .
L'AMOUR QUI SE DONNE 27

J é s u s m é r i t e e n c o r e n o s h o m m a g e s , c a r il offre l ' i m a g e l a p l u s
p a r f a i t e de l ' a m o u r de l ' H o m m e - D i e u et d e s o n r ô l e d a n s le
m o n d e de l a g r â c e .
L e c œ u r , e n effet, est le c e n t r e q u i d i s t r i b u e e f f e c t i v e m e n t le
s a n g dans t o u t l ' o r g a n i s m e ; c e t t e d i s t r i b u t i o n d é p e n d de lui et
est faite p a r lui ; et, e n d i s t r i b u a n t le s a n g , il d i s t r i b u e a u s s i la
v i e a u c o r p s . L a v i e a c o m m e n c é , p o u r le c o r p s , le j o u r o ù le
c œ u r c o m m e n ç a à b a t t r e et à d i s t r i b u e r l e s a n g a u x organes
n a i s s a n t s . L a v i e c e s s e r a , q u a n d le c œ u r a r r ê t e r a le m o u v e m e n t
de sa d i s t r i b u t i o n . C ' e s t p o u r c e l a q u ' i l a été a p p e l é le primum
vivens et ultimum moriens.
Q u i n e v o i t d a n s c e t t e f o n c t i o n le s y m b o l e parfait du r ô l e de
J é s u s d a n s la d i s t r i b u t i o n , a u m o n d e des â m e s et des e s p r i t s , de
l ' a m o u r d i v i n , u n i q u e s o u r c e de la v i e s u r n a t u r e l l e ? C o m m e
n o u s l ' a v o n s e x p o s é l o n g u e m e n t , e n effet, les c r é a t u r e s n'ar-
rivent à la vie surnaturelle q u ' e n r e c e v a n t p a r t i c i p a t i o n de
l ' a m o u r d i v i n , t e l q u e J é s u s l'a v é c u s u r l a t e r r e , et d o n t le
r é s u m é et l ' e x p r e s s i o n l a p l u s p a r f a i t e se t r o u v e n t d a n s son
sacrifice de l a C r o i x . C ' e s t d o n c d e J é s u s q u e p a r t l ' a m o u r d i v i n
p o u r se r é p a n d r e d a n s le m o n J e des â m e s e t des e s p r i t s , à p e u
p r è s c o m m e d u c œ u r p a r t le s a n g , p o u r se d é v e r s e r à t r a v e r s le
c o r p s t o u t e n t i e r . E n ce s e n s , d o n c , la f o n c t i o n d u c œ u r s y m b o -
lise m e r v e i l l e u s e m e n t le r ô l e du C h r i s t d a n s l ' œ u v r e de n o t r e
s a l u t . E t , e n a d o r a n t le S a c r é C œ u r , n o u s a d o r o n s le C h r i s t lui-
m ê m e d a n s s a f o n c t i o n de d i s t r i b u t e u r d e t o u t e s les g r â c e s et
s p é c i a l e m e n t de l ' a m o u r d i v i n à t r a v e r s t o u t le c o r p s de l ' É g l i s e .

T o u t e f o i s ces d e u x r a i s o n s q u e n o u s v e n o n s d ' a p p o r t e r , p o u r
r e n d r e c o m p t e d e la d é v o t i o n a u S a c r é - C œ u r ne s o n t p a s les
plus i m p o r t a n t e s . Il n o u s t a r d e d ' a r r i v e r à u n e a u t r e r a i s o n p l u s
e s s e n t i e l l e et p l u s f o n d a m e n t a l e e n c o r e : la blessure que la lance
fit à ce divin Cœur. C ' e s t l à q u e n o u s c o n t e m p l e r o n s les m e r -
v e i l l e s de l ' a m o u r q u i se d o n n e .
C e t t e b l e s s u r e fut la d e r n i è r e et s u p r ê m e injure q u e J é s u s
a c c e p t a de l a m a i n de ses e n n e m i s . E l l e c o m b l a la m e s u r e de son
28 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

c a l i c e et elle m a r q u a la l i m i t e e x t r ê m e d e s o u t r a g e s q u ' i l a v a i t
mis d a n s ses d e s s e i n s de souffrir p o u r n o u s t é m o i g n e r son a m o u r .
T a n t q u e ce d e r n i e r c o u p n ' a v a i t p a s été p o r t é , la grande œ u v r e
de s a P a s s i o n n e p o u v a i t ê t r e c o n s i d é r é e c o m m e a c h e v é e . L a
b l e s s u r e de l a l a n c e v mit le s c e a u définitif e t d e r n i e r : Porte me
ut signaculum super cor tuum ( i ) , p o u r r a i t - o n dire de c e t t e b l e s -
s u r e . E l l e m o n t r a q u e l ' a m o u r est fort c o m m e l a m o r t et n e se.
laisse p a s a r r ê t e r p a r elle, fortis est ut mors dilectio. Car, même
a p r è s sa m o r t , J é s u s v o u l u t e n c o r e r e c e v o i r c e d e r n i e r outrage
d e l a m a i n de ses e n n e m i s . D e la s o r t e , l a b l e s s u r e de s o n c œ u r ,
e n c o m b l a n t l a m e s u r e de s o n sacrifice, n o u s r é v é l a l ' e x c è s d e
son amour.
C'est alors que, tout étant définitivement consommé par cette
b l e s s u r e , d a n s l ' œ u v r e de n o t r e R é d e m p t i o n , J é s u s v o u l u t q u e
cette même blessure p r o v o q u â t les m y s t é r i e u x épanchements de
ses g r â c e s de s a l u t e t q u ' e l l e d e v î n t , p o u r le m o n d e , la s o u r c e de
l a v i e et le f o y e r de l ' a m o u r .
Ecoutons sur c e p o i n t le t é m o i g n a g e de l ' E c r i t u r e et des
docteurs :

Les soldats vinrent, raconte saint Jean (2), et ils brisèrent les
cuisses des deux (voleurs) qui avaient été crucifiés avec Jésus.
Quand ils se furent approchés de Jésus, et qu'ils virent qu'il était
déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes.
Mais un des soldats, de sa lance, lui ouvrit le côté et aussitôt sortit
du sang et de l'eau : Unus militum lancea lattis ejus aperuit et continuo
exivit sangais et aqua.
Et celui qui a v u a rendu témoignage ; et son témoignage est v é -
rité. Et il le sait, celui-là, qu'il dit la vérité afin que vous croyiez,
vous aussi.
Et ces choses ont été faites, afin que s'accomplit l'Ecriture Vous
ne briserez aucun de ses os.
Et cet autre passage qui dit : Ils fixeront les y e u x sur celui qu'ils
ont transpercé.

L a plaie du c ô t é , c'est d o n c s u r elle q u ' i l faut fixer n o s r e -


g a r d s . Videbunt in quem transfixerunt. Et qu'y verrons-nous ?

(1) Cant, v i n , 7. — (2) JOANN., x i x , 32-37.


L'AMOUR QUI SE DONNE ao

E t d'abord l'ouverture béante de l a plaie nous criera, comme


nous venons de le dire, l'excès de l'amour du Fils de Dieu. Puis,
regardant dans ses profondeurs, nous verrons jaillir, en deux
ruisseaux, de l'eau et du sang : et continue* exivit sanguis et aqua.
Ce n'est p a s l à un épanchement naturel. L a science nous dit
que le côté, le cœur ne pouvaient contenir ce mélange de s a n g et
d'eau. Par un miracle nouveau, c'est l'Esprit-Saint lui-même qui,
de la blessure béante du Cœur, les fit jaillir, ce sang et cette eau.
E t de ce sang et de cette eau, nous disent les saints Pères, il tira
les sacrements de notre salut, il donna à l'eau du baptême et de
la pénitence la puissance d'effacer les péchés de nos âmes, et au
sang, c'est-à-dire a u sacrifice, la force d'y produire et d'y déve-
lopper la vie, c'est-à-dire les ardeurs de l'amour divin.
Avec ces sacrements et dans ces sacrements naquit l'Église,
la nouvelle E v e , sortie du côté du nouvel Adam, pour être la
mère de tous les vivants.
« L e soldat ouvrit le côté, s'écrie saint J e a n Chrysostome ( i ) . E t
il écarta la paroi du temple. E t moi j ' a i trouvé le beau trésor et j e
me félicite d'être entré en possession des plus brillantes richesses.
« Tel a été le destin de cet Agneau. L e s Juifs l'ont mis à mort
et c'est moi qui mange le fruit du sacrement. De son côté sont
sortis le s a n g et l'eau. J e ne veux p a s , chers auditeurs, que vous
passiez à la légère sur un si grand mystère. Il me reste à vous en
révéler le contenu caché. J ' a i dit que cette eau et ce sang nous
manifestaient le symbole du baptême et des augustes mystères.
C'est sur eux, en effet, qu'a été fondée l'Église, par l'eau de la
régénération et p a r la rénovation dans l'Esprit-Saint ; sur le
baptême, dis-je, et les augustes mystères qui, comme il nous
apparaît, sont sortis du divin côté. De son côté donc le Christ a
tiré l'Eglise, comme du côté d'Adam sortit Eve, son épouse.
« C'est pour cela que Paul atteste et affirme : « Nous sommes
de son corps et de ses os » , voulant faire entendre que nous
sortons de son côté. Car, si du côté d'Adam Dieu créa la première

( i ) Hom. 84 S. Joan., 19. L e ç o n s d u h r é v i a i r e à l a fête d u P r é c i e u x S a n g .


3o LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

femme, ainsi, de s o n c ô t é , le C h r i s t , p o u r n o u s , a tiré l ' e a u et


le s a n g dans l e s q u e l s il a b â t i son E g l i s e ».

Très sant qui testimonium dant in cœlo> Il y en a t r o i s q u i


r e n d e n t t é m o i g n a g e d a n s le C i e l , s'écrie s a i n t J e a n ( i ) : le P è r e ,
le V e r b e et le S a i n t - E s p r i t .
E t il ajoute a u s s i t ô t , c o m m e s'il v o u l a i t m a r q u e r q u ' i l y a v a i t ,
s u r t e r r e , q u e l q u e c h o s e d ' a u s s i g r a n d o u de m ê m e o r d r e :
Très sunt qui testimonium dant in terra : Spiritus, sanguis et
aqua. I l y en a t r o i s qui r e n d e n t t é m o i g n a g e s u r la t e r r e : l ' E s p r i t ,
l e S a n g et l ' E a u .
C ' e s t l ' E s p r i t - S a i n t d o n t il s'agit ici. D u s a n g et de l ' e a u s o r t i s
d u C œ u r de J é s u s , il fît j a i l l i r , p o u r les â m e s , l a v i e d i v i n e , t e l l e
q u e ce Jésus était v e n u l ' a p p o r t e r et la v i v r e , a u milieu du m o n d e :
vie d'amour filial e n v e r s le P è r e c é l e s t e , v i e d ' h o l o c a u s t e , de
sacrifice et d ' i m m o l a t i o n , q u i doit se c h a n g e r , u n j o u r , en v i e de
gloire pour l'éternité.
E n p r é s e n c e de t o u s c e s t r é s o r s d i v i n s , d é c o u v e r t s d a n s l e
C œ u r de Jésus t r a n s p e r c é p a r la l a n c e , qui d o n c n e t o m b e r a i t e n
a d o r a t i o n et n ' é c l a t e r a i t en c a n t i q u e s d ' a c t i o n s de g r â c e s ? C e
C œ u r , n o u s le c o n s t a t o n s m a i n t e n a n t d ' u n e m a n i è r e manifeste,
est v é r i t a b l e m e n t , p o u r n o u s et p o u r t o u t e c r é a t u r e , u n t r é s o r ,
u n e s o u r c e i n é p u i s a b l e de r i c h e s s e s et de v i e .
« D i e u n o u s a d o n n é la v i e é t e r n e l l e , s'écrie saint J e a n (2), et
c e t t e v i e é t e r n e l l e est d a n s s o n F i l s . » O c h r é t i e n s , o u v r e z t o u t
g r a n d s v o s y e u x et v o t r e c œ u r , et allez v e r s le C h r i s t . Vous
c o n t e m p l e r e z e n l u i des s p l e n d e u r s de v i e , t e l l e que la n a t u r e
l a p l u s e x u b é r a n t e , e n c o m p a r a i s o n de c e t t e r i c h e s s e , n ' e s t q u ' u n
d é s e r t s t é r i l e . Il v o u s d o n n e r a de son a b o n d a n c e ; il v e r s e r a
d a n s v o t r e â m e d e s t r é s o r s d ' é n e r g i e et de j o i e qui r e n o u v e l l e r o n t
votre jeunesse.
A p p r o c h e z de l u i , il est le t e m p l e d o n t p a r l e le p r o p h è t e ,
d ' o ù s o r t u n f l e u v e d ' e a u v i v e , q u i efface l e s p é c h é s et f é c o n d e

(1) Joann., I E p i s t . , v, 7-8. — (2) Joann., v, ii.


L'AMOUR QUI SE DONNE 3I

« En présence de tous les trésors divins, découverts dans le


Cœur de Jésus transpercé par la lance, qui donc ne tomberait en
adoration ? »

Cette gravure forme le frontispice de <c L'Amour de Jésus,


composé en italien par le R . P . Barthélémy SOLUTIVE, récollect de
l'Ordre du P . Saint François, traduit par le R . P . F. Charles JOVYE,
religieux du même Ordre » , édité à Lyon, en i6ss3.
3a LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

l e s â m e s p o u r la v i e é t e r n e l l e . Vidi aquam egredientem de templo


a latere dextro et omnes ad quos pervertit aqua ista salvi facti
sunt et dicent alléluia ( i ) . E t ce fleuve i m p é t u e u x r é j o u i t la C i t é
d e D i e u . Fluminis impetus lœtificat civitatem Dei (2).
J'irai d o n c v e r s v o u s , S e i g n e u r J é s u s , et j e v i s i t e r a i v o t r e
t e m p l e , et v o u s me ferez c o n t e m p l e r ses t r é s o r s , ut videam
voluptatem domini et visitera templum ejus (3).

IV. — L'Amour Divin dans nos âmes.

J é s u s est d o n c v e n u a u m o n d e a p p o r t e r l a v i e d ' a m o u r q u i
est l a v i e de s o n P è r e c é l e s t e . Il a v é c u c e t t e v i e a u milieu de
n o u s et il n o u s a i n v i t é s à l a v i v r e a v e c l u i . II a fait de s o n c œ u r
le f o y e r t o u j o u r s brûlant où nous p o u v o n s aller en chercher
l'étincelle, o u e n r a n i m e r l ' a r d e u r , l o r s q u ' e l l e m e n a c e de s ' é t e i n d r e .
Qu'est-ce que cette vie d'amour produit dans nos âmes? Quels
b i e n s y a p p o r t e - t - e l l e ? T e l l e est l a q u e s t i o n à l a q u e l l e n o u s
v o u d r i o n s e s s a y e r de r é p o n d r e .
Il faut d i r e d ' a b o r d q u e c'est u n e v i e ineffable, p u i s q u ' e l l e est
divine. C'est un amour d é l e c t a b l e , a m o u r b é a t i f i a n t ! C ' e s t de
c e t t e v i e et de c e t a m o u r q u e p a r l a i t Jésus dans son S e r m o n
sur la montagne.
« Bienheureux les pauvres d'esprit, p a r c e q u e le r o y a u m e d e s
c i e u x l e u r a p p a r t i e n t . » C e r o y a u m e des c i e u x , c'est c e t t e v i e
d'amour, vécue en union avec Jésus.
« Bienheureux les cœurs purs, c a r ils v e r r o n t D i e u » ; ils le
v e r r o n t d a n s s o n a m o u r ; c a r D i e u l e u r en f e r a g o û t e r les d é l i c e s .
« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la Justice, parce
q u ' i l s s e r o n t r a s s a s i é s ; » ce n ' e s t p a s d a n s l e s j u g e m e n t s d e s
h o m m e s q u ' i l s t r o u v e r o n t c e t t e j u s t i c e d o n t ils o n t soif, m a i s

(1) Liturgie de l'eau bénite. — Ezech., xlvii, 1-2. — (2) P s . x l v , 5. —


(3) P s . x x v i , 4-
L'AMOUR DIVIN DANS NOS AMES 33

d a n s les j u g e m e n t s de D i e u , c a r ces j u g e m e n t s s o n t d i c t é s p a r
l'amour.
« Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, car ils obtien-
d r o n t m i s é r i c o r d e ; » c e l u i q u i p o u r D i e u se d é p e n s e a u s e r v i c e
de s o n frère et l u i d o n n e s o n c œ u r et s o n a m o u r , c e l u i - l à r e c e v r a
e n r é c o m p e n s e l ' a m o u r béatifiant q u i b r û l e a u c œ u r d u Père
céleste.
O a d m i r a b l e é c h a n g e ! J e d o n n e à D i e u d a n s l a p e r s o n n e du
p a u v r e la s u e u r d e m o n front, u n e l a r m e de mes y e u x , u n e g o u t t e
de m o n s a n g , et D i e u me d o n n e l ' a b o n d a n c e d e sa d i v i n i t é ( i ) .
« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice,
p a r c e q u e le r o y a u m e des c i e u x l e u r a p p a r t i e n t . » Il fallait q u e
l e C h r i s t souffrît, disait J é s u s a u x d i s c i p l e s d ' E m m a ù s (2), et q u ' i l
e n t r â t ainsi d a n s s a g l o i r e . C ' e s t l a loi n o u v e l l e d u r o y a u m e fondé
sur l'Evangile.
M a i s q u e s o n t c e s p e r s é c u t i o n s e n c o m p a r a i s o n de la g l o i r e
qu'elles nous assurent pour l'éternité ? Non sunt coqdignœ
passiones ad futuram gloriam quœ reçelabitur in nobis (3).
E t il n e s'agit p a s s e u l e m e n t de l'éternité et de l ' e s p é r a n c e des
b i e n s futurs. D é j à n o u s s o m m e s entrés e n j o u i s s a n c e de c e s
b i e n s , c a r n o u s e n a v o n s r e ç u les a r r h e s , v o t r e E s p r i t d'amour,
ô J é s u s , q u i est j u s t i c e , p a i x et j o i e , justitia et pax et gaudium
in Spiritu Sancto (4). E t cette p a i x et cette j o i e , c o m m e disait saint
P a u l , d é p a s s e n t t o u t s e n t i m e n t , quœ exsuperat omnem sensum (5).

C e t t e j o i e , elle r e m p l i s s a i t les a p ô t r e s , a u s o r t i r du S a n h é d r i n ,
o ù ils a v a i e n t été b a t t u s de v e r g e s . Ibant apostoli gaudentes a
conspectu concilii, quoniam digni habiti sunt pro nomine Jesu
contumeliam pati (6).
C'est elle q u i c o n s o l a i t les p r e m i e r s c h r é t i e n s , q u a n d , à c a u s e

(1) O admirabile commercium, Creator generis humani, animatum corpus


sumens, de Virgine nasci dignatus est, etprocedens homo sine semine largitus
est suam deitatem. M a r i e d o n n a a u V e r b e de D i e u u n e g o u t t e de son s a n g ;
et le V e r b e , en r e t o u r , d o n n a a u m o n d e les r i c h e s s e s d e s a divinité.
(2) Luc, xxiv, 46. — (3) Rom., vin, 18. — (4) Rom., xiv, 17. — (5) Philip.,
iv, 7. - (6) Act., v, 41.
34 LA DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

de leur foi au Christ, ils se virent dépouillés de leurs biens.


Rapinam bonorum vestrorum cum gaudio suscepistis (i). Le
monde leur enlevait la richesse qui passe ; mais ils trouvaient au
dedans de leur cœur une richesse impérissable et inviolable,
melioremet manentemsubstantiam(2) t votre amour, ô Christ, qui
réjouit et rassasie les âmes saintes, sans mesure, Satiavit animam
inanem et animam esurientem satiaçit bonis (3), votre amour,
ô Christ, qui s'irradie dans les âmes en joie inaltérable.
N'est-ce pas de cet amour, fruit du sacrifice et des larmes,
dont vous parliez en parabole ( 4 ) : « Une mère, quand elle
enfante, est dans la tristesse, car son heure est venue. Mais
quand elle a enfanté un fils, elle est dans l a joie, parce qu'il est
né un homme dans le monde. Vous donc aussi, en ce moment,
vous êtes dans la tristesse, mais j e vous reverrai bientôt, et votre
cœur sera dans la joie, et cette joie, personne ne vous l'enlèvera ! »
Il avait dit, p e u auparavant ( 5 ) : « Gardez mon commandement
et vous demeurerez dans mon amour... et ma joie sera en vous
et votre joie sera complète ! »

Cette joie intérieure, fruit de l'amour, fructus autem Spiritus


est pax, gaudium ( 6 ) , est le don évangéiique p a r excellence, il
s u r p a s s e tous les autres dons et il est offert, sans argent, venite
et emite absque argento vinum et lac ( 7 ) .
L e don des miracles, si merveilleux qu'il soit, n'est rien en
comparaison de l'amour.
Allez, disait J é s u s aux apôtres, comme mon Père m'a envoyé,
j e vous envoie, guérissez les malades, chassez les démons, ressus-
citez les morts et annoncez partout la bonne nouvelle. « Celui qui
vous écoute m'écoute, celui qui vous méprise me méprise. »
C'est s a puissance divine qu'il leur communiquait.
E t les apôtres allaient, ils guérissaient les malades, chassaient
les démons, prêchaient l'Evangile, étaient reçus partout avec

(i\ Hebr x, 34. — ( 2 ) Hebr., x, 34. — (3) Ps. cvi, 9. — (4) JOANN., xvi, 2A.
ty

— (5) JOANN., X V , I O - I I . — (6) Galat., v, 2A. — (7) ISAIE, L V , I .


L'AMOUR DIVIN DANS NOS AMES 35

honneur. É m e r v e i l l é s , ils r e v e n a i e n t vers le Maître et lui


d i s a i e n t : « M ê m e les d é m o n s n o u s o b é i s s e n t e n v o t r e n o m . »
M a i s Jésus de l e u r d i r e : « O u i , j e v o u s a i d o n n é p u i s s a n c e s u r
les s e r p e n t s et les s c o r p i o n s . A u c u n e n n e m i n e p r é v a u d r a c o n t r e
vous.
« C e p e n d a n t e n c e l a n e v o u s r é j o u i s s e z p a s , mais r é j o u i s s e z -
v o u s de c e q u e v o s n o m s s o i e n t é c r i t s d a n s l e ciel ( i ) . »
C e t t e i n s c r i p t i o n , d o n t p a r l e ici J é s u s , c'est le t i t r e d'enfant
d e D i e u , qui o u v r e a u x â m e s l e s t r é s o r s de l ' a m o u r d i v i n . P a r t i -
c i p e r à l a p u i s s a n c e de D i e u , c e n'est r i e n ! p a r t i c i p e r à son
a m o u r , c'est t o u t p o u r le c œ u r de l ' h o m m e , c a r c'est la v i e .
A u s s i , a p r è s a v o i r dit c e t t e p a r o l e , J é s u s , c o n t i n u e l ' E v a n -
gile ( 2 ) , e n t r a d a n s le r a v i s s e m e n t , exultavit Spiritu Sancto, et
il dit :
« J e le c o n f e s s e d e v a n t v o u s , ô P è r e , S e i g n e u r du ciel e t de
l a t e r r e , v o u s a v e z c a c h é c e s c h o s e s a u x s a g e s et a u x prudents
e t v o u s l e s a v e z r é v é l é e s a u x petits. Il en est ainsi, p a r c e q u e
a i n s i il a p l u d e v a n t v o u s .
« T o u t e s c h o s e s m ' o n t été l i v r é e s p a r m o n P è r e ; et p e r s o n n e
n e c o n n a î t le F i l s si c e n ' e s t le P è r e , et p e r s o n n e n e c o n n a î t le
P è r e si c e n ' e s t le F i l s et c e l u i à q u i le F i l s a v o u l u le r é v é l e r .
« E t il se t o u r n a v e r s ses disciples et il l e u r dit « Bienheu-
r e u x les y e u x q u i o n t v u ce q u e v o u s v o y e z . C a r , j e v o u s le d i s ,
b e a u c o u p de p r o p h è t e s et de rois ont v o u l u v o i r ce q u e v o u s
v o y e z , et ils n e l ' o n t p a s v u , et e n t e n d r e c e q u e v o u s e n t e n d e z , et
ils n e l'ont p a s e n t e n d u . »

C e t t e v i s i o n a p r è s l a q u e l l e les rois et l e s p r o p h è t e s avaient


s o u p i r é v a i n e m e n t , c'est l a v i s i o n du P è r e ; c e t t e p a r o l e qu'ils
a v a i e n t d é s i r é d ' e n t e n d r e , c'est l a p a r o l e d u P è r e . V o i r le Père,
e n t e n d r e le P è r e , c e l a suffit p o u r ê t r e h e u r e u x . « S e i g n e u r , di-
sait Philippe, m o n t r e z - n o u s le P è r e et c e l a n o u s suffit ( 3 ) . »
P a r o l e a p a i s a n t e ! v i s i o n b é a t i f i a n t e ! c a r c'est la p a r o l e , l a v i s i o n

(1) L u c , x , 19-20. — (2) L u c , x , 21-24. — (3) J O A N N . , xiv, 8.


36 LA DÉVOTION A U SACRÉ-CŒUR

de l'amour, que le Christ est venu révéler au monde et mani-


fester à nos cœurs. C'est pour cela qu'après les paroles extatiques
que nous venons d'entendre, l'Evangile ajoute aussitôt :
« E t voici qu'un docteur de la loi se leva pour le tenter et lui
dit : Que dois-je faire pour posséder la vie éternelle ?
« E t J é s u s lui dit : Dans la loi qu'est-il écrit ? Qu'y lisez-vous ?
« L e docteur lui répondit : T u aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de
tout ton esprit et ton prochain comme toi-même.
« Alors J é s u s lui dit : Vous avez bien répondu. F a i t e s cela et
vous vivrez ( i ) . »
« F a i t e s cela et vous vivrez. » Oui, il suffit d'aimer Dieu et
son prochain pour avoir la vie, car la vie est dans cet amour.
Mais cet amour, digne de Dieu, ne se trouve qu'en vous, ô Christ,
et ceux-là seuls le possèdent qui viennent le chercher en vous et
communier à votre cœur.
L e docteur d e l à loi ne le comprit point. Il p a s s a son chemin.
E t il ne trouva point le véritable amour de Dieu et du prochain,
en qui se trouve la vie éternelle.
Mais moi, qui crois en vous, Seigneur, j e ne veux point p a s -
ser mon chemin. Puisque j ' a i trouvé l'amour qui donne la vie
éternelle, j e veux m'établir dans cet amour et y fixer ma demeure.
Manete in dilectione mea (2), vous-même m'y invitez. En m'ou-
vrant votre cœur par la lance du soldat, vous m'en avez ouvert
l'entrée. Et plus j a m a i s cette entrée ne s e refermera. Puisque
votre cœur était déjà mort, quand il reçut s a blessure, cette bles-
sure est inguérissable. C'est donc vous qui l'avez voulue ingué-
rissable, pour nous apprendre que votre cœur nous serait tou-
j o u r s ouvert.

Mais ce cœur, que nous ouvre la lance, n'est déjà plus un cœur
de chair, puisque la vie de l'homme s'en est retirée ; c'est le cœur
d'un Dieu, car il g a r d e son union indissoluble avec la divinité.

(1) L u c , x , 25-28. — (2) J O A N N . , x v , 9.


L'AMOUR DIVIN DANS NOS AMES 3^

L ' a m o u r q u e j e v i e n s p u i s e r d a n s ce c œ u r est d o n c bien


l'amour divin et lui seul, sans mélange.
D e ce cœurs o ù r é s i d e , d a n s sa p l é n i t u d e , l ' E s p r i t de D i e u ,
de ce c œ u r s ' é c h a p p e l'eau et le s a n g . Et continue* exivit sanguis
et aqua.
L e s a n g et l ' e a u q u i s o r t e n t de v o t r e c œ u r i n a n i m é , ô J é s u s ,
n ' a u r a i e n t a u c u n e v e r t u s'ils n ' é t a i e n t u n i s à l ' E s p r i t d i v i n q u i
c o n t i n u e d ' h a b i t e r ce c œ u r . Caro non prodest qaidquam, Spiritus
est qui vivificat ( i ) . C ' e s t c e t E s p r i t qui les f é c o n d e .
M a i s q u ' e l l e e s t m e r v e i l l e u s e , cette f é c o n d i t é q u i s ' é c h a p p e
de ce c a d a v r e p a n t e l a n t ! O h ! q u e j e c o m p r e n d s b i e n m a i n t e n a n t
votre parole mystérieuse « S i l e g r a i n d e froment n e t o m b e
d a n s l a t e r r e et n ' y m e u r t , il reste s e u l . M a i s , s'il m e u r t , il
p o r t e b e a u c o u p d e fruit ( 2 ) . »
V o t r e c œ u r e s t m o r t , et v o i c i q u e , s o u s l ' a c t i o n de l ' E s p r i t ,
deux fleuves s'en é c h a p p e n t , d u s a n g et de l ' e a u . C e s d e u x
fleuves s'en v o n t a r r o s e r la t e r r e et y s u s c i t e r la plus m e r v e i l -
leuse des moissons.
E t c'est c e t t e fécondité m ê m e q u i r e n d témoignage à leur
v e r t u . C a r ce q u ' i l s font s o r t i r de la t e r r e , c'est l a v i e é t e r n e l l e
p o u r les â m e s , l a v i e et l ' a m o u r des enfants de D i e u .
L'esprit, le s a n g et l ' e a u rendent t é m o i g n a g e , dit saint
J e a n ( 3 ) . « E t v o i c i l e u r t é m o i g n a g e . Ils a t t e s t e n t l a v i e é t e r n e l l e
que D i e u n o u s a d o n n é e . E t c e t t e v i e est d a n s s o n F i l s .
« Q u i p o s s è d e le F i l s p o s s è d e l a v i e ; q u i n ' a p a s le F i l s n'a
p a s la v i e .
« E t j e v o u s é c r i s c e c i , afin q u e v o u s s a c h i e z q u e v o u s a v e z
l a v i e , v o u s q u i c r o y e z a u n o m d u F i l s de D i e u . »
N o u s c r o y o n s a u n o m d u F i l s de D i e u , q u i est J é s u s , s a u v e u r
des h o m m e s , I H S , Jésus hominum salvator. Et nous possédons
J é s u s s o u s d e u x f o r m e s p a l p a b l e s mais m y s t é r i e u s e s , son C œ u r
S a c r é et s o n S a c r e m e n t d ' a m o u r . E t c e s d e u x f o r m e s n ' e n font
q u ' u n e , c a r s o n S a c r e m e n t n ' e s t q u e la c o n t i n u a t i o n de son

(1) J O A N N . , V I , 64. — (2) J O A N N . , X I I , 25. — ( 3 ) I J O A N N . , v, II-I3.


3
38 LA DÉVOTION-AU SACRÉ-CŒUR

sacrifice d ' a m o u r ; et d e ce sacrifice s o n c œ u r n'est-il p a s le


p r i n c i p e u n i q u e et t o t a l ? N ' e s t - c e p a s de l u i q u ' e s t v e n u t o u t
le sang r é p a n d u p a r toutes les b l e s s u r e s et par lequel nous
a v o n s été r a c h e t é s ? N ' e s t - c e p a s de lui, enfin, q u e l ' E s p r i t a fait
j a i l l i r ces d e u x fleuves d ' e a u et de s a n g , a u b o r d d e s q u e l s est
v e n u e se f o n d e r l a cité d e s S a i n t s , la n o u v e l l e J é r u s a l e m ?

O C œ u r s a c r é , C œ u r de l ' a m o u r , qui s ' i m m o l e e n a c t i o n s de


g r â c e s , C œ u r e u c h a r i s t i q u e , p u i s q u e c'est de v o u s q u e l a v i e p r e n d
sa s o u r c e , c'est e n v o u s q u e j e v e u x é t a b l i r m a d e m e u r e ( i ) . V o u s
s e r e z mon asile p o u r le t e m p s et p o u r l'éternité.
V o u s êtes le c r e u x d u r o c h e r , o ù la c o l o m b e aime à dresser
s o n n i d ; c a r elle y v i t e n p a i x , à l ' a b r i de la t e m p ê t e , à l ' a b r i d u
v a u t o u r , à l ' a b r i d e la flèche q u i , d u r a n t le j o u r , fend les a i r s .
V o t r e corps, ô Jésus, est un temple, le temple du n o u v e a u
S a l o m o n , d o n t t o u t e s les p i e r r e s font e n t e n d r e u n h y m n e d ' a d o -
ration. D a n s l e u r r a g e folle, les Juifs impies ont voulu le
détruire; mais, e n t r o i s j o u r s , v o u s l ' a v e z r e c o n s t r u i t p l u s b e a u ,
p l u s saint et p l u s g l o r i e u x . C a r c h a c u n e d e v o s c i c a t r i c e s , et
surtout cette ouverture béante d e v o t r e c œ u r ne c e s s e n t d ' i n t e r -
céder pour nous d e v a n t le t r ô n e de D i e u , semper vivëns ad
interpellandam pro nobis ( 2 ) . D e v a n t s a m a j e s t é , e l l e s c r i e n t e n
gémissements inénarrables ( 3 ) , et lui r e d i s e n t : « Dans mon
a m o u r , ô P è r e , q u e p o u v a i s - j e v o u s offrir d e p l u s q u e j e n e v o u s

(1) Cœur Eucharistique, cette e x p r e s s i o n est a s s e z récente ; elle n o u s


f

s e m b l e t r a d u i r e c e p e n d a n t u n e i d é e t r è s j u s t e . S i , e n effet, le C œ u r de J é s u s
v o u l u t r é p a n d r e t o u t s o n s a n g , ce fut d'abord p o u r e x p i e r nos p é c h é s . M a i s ,
si, r e m o n t a n t p l u s h a u t , n o u s d e m a n d o n s p o u r q u o i J é s u s v o u l u t e x p i e r n o s
p é c h é s , il* n o u s r é p o n d r a q u e ce fut p o u r faire l a volonté de son Père- E t ,
en d e r n i e r lieu, p o u r q u o i v o u l u t - i l faire la v o l o n t é de son P è r e ? Ce fut,
c o m m e tout b o n î i l s , p o u r lui t é m o i g n e r s a r e c o n n a i s s a n c e d e l a v i e et d e s
b i e n s qu'il en a v a i t r e ç u s . Quid rétribuant Domino pro omnibus quœ retribuit
mihi ? Calicem salutaris accipiam. Q u e r e n d r a i - j e à m o n Père p o u r t o u t ce
qu'il m'a d o n n é ? p o u r r a i t - i l a i r e . J ' a c c e p t e r a i ce c a l i c e (ce r ô l e de s a u v e u r
d e s h o m m e s p a r m o n s a n g ) , qu'il m'a p r é p a r é .
L e sacrifice d u C a l v a i r e fut d o n c , en d e r n i è r e a n a l y s e , u n sacrifice d'actions
d e g r â c e s , u n s a c r i f i c e e u c h a r i s t i q u e , s e l o n le n o m qu'on l u i d o n n e à l a
M e s s e . L e c œ u r c o n s i d é r é c o m m e p r i n c i p e ou s y m b o l e d e ce sacrifice p e u t ,
en c o n s é q u e n c e , r e c e v o i r ce n o m d e C œ u r E u c h a r i s t i q u e . L ' E g l i s e , e n a u t o -
r i s a n t les confréries d u C œ u r E u c h a r i s t i q u e , s e m b l e d ' a i l l e u r s l'avoir c o n s a c r é .
(a) Ad Heb., v u , a5. — (3) Rom., v i n , 26.
L ' A M O U R DIVIN D A N S NOS A M E S 3G

aie d o n n é d'un c œ u r g r a n d et g é n é r e u x , corde magno et animo


volenti ( 1 ) .
M a i s v o t r e C œ u r , ce C œ u r o u v e r t est le t a b e r n a c l e et l ' a u t e l de
ce t e m p l e n o u v e a u , n o n fait de m a i n d ' h o m m e , non manu-
factura ( 2 ) . A i l l e u r s que sur cet autel que nul n'ose v o u s immoler
des v i c t i m e s , c a r ce n ' e s t q u e d a n s l ' a m o u r de v o t r e C h r i s t , q u e
les offrandes v o u s s o n t a g r é a b l e s , in qua çoluntate sanctificati
sumus per oblationem corporis Christi semel ( 3 ) . E t c'est ce c œ u r
q u i d i s t r i b u e , d a n s t o u s les m e m b r e s , l e s a n g qu'il faut v e r s e r ,
l ' a m o u r qu'il f a u t r é p a n d r e , s a n g et a m o u r s a n s l e s q u e l s il n ' y a
p a s de r é m i s s i o n des p é c h é s , sine sanguinis effusione non fit
remissio, ni d ' e n t r é e d a n s le S a i n t des S a i n t s , per proprium
sanguinem introwit in Sancta (4).
A v e c l ' é p o u s e d e s C a n t i q u e s , j e c h e r c h a i s l ' a m o u r et j ' i n t e r -
r o g e a i s t o u s les g a r d i e n s de l a cité. A p e i n e avais-je d é p a s s é les
p o r t e s , t o u t p r è s d u m u r d ' e n c e i n t e , s u r le G o l g o t h a , j ' a i t r o u v é
c e l u i q u e m o n c œ u r a i m e . C ' e s t là q u ' i l d o r t , en plein midi, s u r
l ' a r b r e de l a c r o i x . C ' e s t là q u ' i l p a î t ses b r e b i s , d a n s ses p â t u r a g e s
d i v i n s ( 5 ) . A v e c l u i , j e v e u x é c o u l e r le r e s t e de mes j o u r s .

(1) Macc, 1, 3. — (2) M A R C , X I V , 58. — Epis, ad Heb., i x , 21. — (3) Ilebr.,


x , 10. — (4) Hebr.y i x , 22 et i x , 12. — (5) Cant. 9 r, 6. Ubi pascas, nbi cubes in
meridie.
DEUXIÈME P A R T I E

L'HISTOIRE DE LA DÉVOTION AU SACRÉ-COEUR

I. — Les Origines.

D ' a p r è s c e q u e n o u s a v o n s e x p o s é , d a n s la p r e m i è r e p a r t i e ,
n o u s p o u v o n s d i r e q u e l ' o b j e t f o r m e l de l a d é v o t i o n a u S a c r é -
C œ u r de J é s u s e s t le m y s t è r e d e l ' a m o u r d i v i n , se r é v é l a n t et se
c o m m u n i q u a n t a u m o n d e p a r le V e r b e , J é s u s - C h r i s t , F i l s de
D i e u fait h o m m e , crucifié s u r le C a l v a i r e .
C e m y s t è r e d e l ' a m o u r d i v i n d a n s le C h r i s t , à l a v é r i t é , est
l ' o b j e t de t o u t le c u l t e c h r é t i e n . D e p u i s la p r é d i c a t i o n de l ' É v a n -
g i l e , l ' h o m m e d o c i l e à l ' a p p e l de l a foi n e doit p l u s c h e r c h e r , e n
effet, d ' a u t r e v o i e p o u r s ' a p p r o c h e r d e D i e u q u e le C h r i s t d a n s
s o n sacrifice. In ipso, per ipsum et cum ipso, l i t - o n a u C a n o n de
l a m e s s e , en l u i , p a r lui et a v e c lui est t o u t h o n n e u r et g l o i r e
p o u r D i e u , t o u t s a l u t et t o u t e e s p é r a n c e p o u r l ' h o m m e .
C ' e s t ce q u ' a f f i r m a i t Jésus lui-même, lorsqu'il invitait ses
apôtres à prier d é s o r m a i s e n s o n n o m : « T o u t ce q u e v o u s
demanderez à mon P è r e , en mon nom, vous sera accordé. » C'est
a u n o m de J é s u s q u e les a p ô t r e s p r ê c h a i e n t et faisaient l e u r s
m i r a c l e s . E t saint P a u l n e cessait de p r o t e s t e r : « q u ' i l n ' y a v a i t
p a s d ' a u t r e n o m a u C i e l ni s u r la t e r r e e n q u i n o u s puissions
e s p é r e r le s a l u t . »
L e culte de l ' a m o u r d i v i n , de p a r l ' É v a n g i l e m ê m e , s'est d o n c
t r o u v é r a t t a c h é i n d i s s o l u b l e m e n t , dès l ' o r i g i n e , à la personne
m ê m e du C h r i s t . E t le s i g n e de c e t t e p e r s o n n e , sa m a n i f e s t a t i o n
s e n s i b l e , a été s o n n o m s a c r é , le n o m de J é s u s . C ' e s t p o u r c e l a
q u e les c h r é t i e n s o n t a c c o u t u m é , dès le c o m m e n c e m e n t , et o n t
c o n t i n u é , à t r a v e r s l e s s i è c l e s , de p l a c e r t o u t e s l e u r s p r i è r e s et
L A DÉVOTION AU SACRE-CŒUR
4a
l e u r s a c t i o n s , m ê m e les p l u s v u l g a i r e s , s o u s l a p r o t e c t i o n de ce
saint N o m .
« S o i t q u e v o u s m a n g i e z , soit q u e v o u s b u v i e z o u fassiez
q u e l q u e a u t r e c h o s e , disait saint P a u l , faites t o u t a u n o m de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
C e p e n d a n t , si l e culte c h r é t i e n a t o u j o u r s g a r d é , à t r a v e r s les
â g e s , le m ê m e o b j e t d i r e c t et p r é c i s : l ' a m o u r de D i e u d a n s le
C h r i s t J é s u s , les s y m b o l e s , s o u s l e s q u e l s l ' É g l i s e l'a présenté
a u x y e u x et à la d é v o t i o n des fidèles, o n t v a r i é à t r a v e r s les
siècles ( i ) .
L e s m e n t a l i t é s c h a n g e n t , e n effet, a v e c l e s é p o q u e s , et il d e v i e n t
nécessaire d'adapter les formes extérieures, les symboles du culte
a u x d i v e r s états de l'âme h u m a i n e .
Notre-Seigneur, en annonçant a u x a p ô t r e s les l u t t e s qu'ils
auraient à supporter d a n s la suite des t e m p s , j u s q u ' à l a fin d u
m o n d e , insiste s u r ce fait q u e l a c h a r i t é i r a e n s'affaiblissant.
«Et quoniam abundavit iniquitas, refrigescet charitas multorurn.
E t p a r c e q u e l ' i n i q u i t é s e r a d é b o r d a n t e , l a c h a r i t é de b e a u c o u p
i r a e n se r e f r o i d i s s a n t (a). »
C o m m e n t c o m b a t t r e ce r e f r o i d i s s e m e n t c o n s t a n t de l a c h a r i t é ?
L ' h i s t o i r e de l ' É g l i s e n o u s a p p r e n d qu'à toutes les époques,
où ce refroidissement a été p l u s c o n s i d é r a b l e , D i e u a toujours
s u s c i t é u n e n o u v e l l e f o r m e , u n n o u v e a u s y m b o l e de la d é v o t i o n
e n v e r s le m y s t è r e de s o n a m o u r . E t c e t t e f o r m e , c e s y m b o l e a
toujours revêtu une expression plus touchante, plus vivante, plus
parlante a u c œ u r et a u x y e u x . O n sent, conformément à la
prophétie é v a n g é l i q u e , q u e l'indifférence, la froideur vont en

( i ) N o u s p r e n o n s ici le m o t s y m b o l e d a n s u n s e n s l a r g e . L e s e n s strict de
ce m o t d é s i g n e u n e i m a g e q u e l c o n q u e q u i r a p p e l l e u n o b j e t a b s e n t , o u encore
u n s i g n e a r b i t r a i r e de r e c o n n a i s s a n c e entre initiés. D a n s les s y m b o l e s d u
culte chrétien q u e n o u s a l l o n s étudier, les i m a g e s choisies p a r l a piété
chrétienne, p o u r r a p p e l e r le m y s t è r e de l ' a m o u r d e D i e u d a n s le C h r i s t , ne
s e r o n t p a s , le p l u s s o u v e n t , choisies a r b i t r a i r e m e n t ; m a i s elles s e r o n t
c o n s t i t u é e s soit p a r d e s o b j e t s q u i ont s e r v i p o s i t i v e m e n t a u C h r i s t , c o m m e
m o y e n de n o u s t é m o i g n e r s o n a m o u r , tels les i n s t r u m e n t s de l a P a s s i o n , soit
p a r les p l a i e s m ê m e s d e son c o r p s , q u i sont u n e e x p r e s s i o n p l u s v i v a n t e
encore de ce m ê m e a m o u r , etc. L e s y m b o l e t e n d r a à se r a p p r o c h e r de^ p l u s
e n p l u s de l a réalité et à n o u s en offrir c o m m e u n r é s u m e , u n r a c c o u r c i .
(a) MATTH., XXIV, 4-I5.
LES ORIGINES, LES PREMIERS SYMBOLES

Les Premiers Symboles de la Foi Chrétienne

LES DIVERS SYMBOLES DE L A FOI CHRETIENNE A U X PREMIERS SIECLES

(INSCRIPTIONS ET MÉDAILLES)

CROIX TROUVÉES EN CHINE

I ° Croix de Saint-André en fer, découverte au Kiang-Si, portant


le nom de l'empereur Soun-Ou qui régnait vers l'an a3o.
0
a Croix de TsuenTscheou-Fou, vers 6oo-6a5.
44 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

grandissant. Pour la vaincre, Dieu est obligé de faire appel à des


expressions plus énergiques et plus palpables de son amour.

L e s symboles dont l'Église se servit, durant les trois premiers


siècles, pour exprimer le mystère de la croix et de l'amour divin
dans le sacrifice, nous paraissent froids et vides aujourd'hui. Ils
s'adressent plus À l'intelligence qu'aux sens et au cœur. Ce sont
des combinaisons de lettres et de signes, où le nom du Christ
domine avec un emblème qui rappelle la croix plutôt qu'il ne la
représente.
Parmi ces emblèmes le X P, les deux premières lettres du mot
grec XPKJROÇ, Christus, se voient le plus fréquemment. Elles sont
souvent déterminées par la première et la dernière lettre de
l'alphabet grec, a et M , qui indiquent que ces lettres X P désignent
bien le Christ des Ecritures, le principe et la fin, principium et
finis, de tout le culte, de toute la foi, de toute la religion.
Les symboles les plus imagés, mais moins anciens peut-être,
représentent le Christ portant s a croix ou sous la figure du bon
Pasteur. L a croix seule est figurée de bonne heure sous la forme
du T, le tau grec, que Tertullien appelait le symbole du Seigneur.
TOÛ XUplOCXOti (TYIJASIOU TU7T0V.

Un autre signe, le poisson, j o u a aussi un grand rôle. Il était


surtout un symbole mnémonique destiné À rappeler À la mémoire
la formule même qui contient les éléments essentiels de notre
foi. L e nom grec du poisson, en effet, T/.ÔU;, a le privilège d'être
formé des premières lettres des cinq paroles qui expriment dans
la même langue cette formule 'l^SOUÇ XPTSRB; UÎO; 0eoû O-UV^P, Jésus
Christus films Dei salçator, Jésus-Christ, Fils de Dieu, sauveur.

L e triomphe du christianisme amena un autre symbole, dont


la diffusion semble avoir été causée surtout p a r le labarum de
Constantin.
On se souvient, en effet, du miracle de l a croix apparaissant,
dans le ciel, aux yeux de Constantin et de son armée, avec ces
LES ORIGINES, LE LABARUM 45

L e Labarum de Constantin (313)

Voici, d'après Eusèbe (Vit., n, 7 - 9 ) , la description du L a b a r u m :


« Le Labarum était une haste allongée recouverte d'or et munie
d'une antenne transversale, à l'instar de la croix. Au sommet de la
haste, était fixée une couronne d'or et de pierreries, au centre de
laquelle était le monogramme du Christ, notre Sauveur, c'est-à-dire
les deux premières lettres grecques du nom du Christ, le X et le P
réunis en un seul chiffre. L'empereur porta toujours ce monogramme
divin gravé sur son casque.
a A l'antenne, obliquement traversée par la haste, était appendu,
en guise de voile, un tissu d'étoffe de pourpre enrichie de pierres
précieuses artistement combinées entre elles et qui éblouissaient les
yeux par leur éclat. Tel était le sacré symbole dont le héros se servit
toujours depuis comme d'un signe protecteur et divin contre ses
* ennemis. Il faisait porter devant ses légions un étendard dessiné sur
ce modèle. »

Nous ne croyons pas que le premier L a b a r u m ait porté ce


voile, qui cache la forme de la croix. Nous l a v o n s donc montré
d'abord sans voile.
L e Labarum de Jovien (363-364), est une haste terminée p a r la
croix latine au lieu d'une pointe, l'étoffe porte le monogramme.
Une médaille de Crispus, fils de Constantin (317-3*26), repré-
sente le Christ en majesté d'une main bénissant et de l'autre
tenant une croix latine.
46 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

mots : « Dans ce signe tu vaincras, in hoc signo vinces, » et de la


grande victoire qui donna la paix à l'Église. L e signe de la croix
devint, dès lors, le signe du chrétien, l'affirmation officielle de
s a foi. Chaque fidèle prit l'habitude de former, sur lui-môme et
sur les objets, ce même signe de la croix. Il entendait témoigner
ainsi s a foi au mystère de la Rédemption et produire un acte
d'adoration en l'honneur de la sainte Trinité et en l'honneur du
Christ s'immolant pour notre salut.
Tout le moyen âge adora la Croix et, dans ses hymnes, en
célébra le mystère d'amour.

SAINT FRANÇOIS E T L E CRUCIFIX

L e labarum était une croix toute nue et ne racontait peut-être


p a s assez vivement le mystère qu'elle signifiait ( i ) . L a piété
chrétienne ne tarda donc p a s à y représenter la divine Victime
attachée par les clous, et l'on eut le crucifix.
D'après le Dictionnaire biblique (2), « les deux plus anciens
monuments chrétiens sur lesquels on voit Jésus-Christ attaché à
e
la croix sont du v siècle. »
L'un est une sculpture sur bois des portes de Sainte-Sabine, à
Rome, et l'autre, un ivoire conservé a u British Muséum, à
Londres.
Mais ces crucifix semblent être plutôt une illustration de
l'Evangile qu'une image destinée au culte. Ce culte s'affirma plus
positivement durant le haut moyen âge, s a n s parvenir toutefois
à s'implanter partout.
e
Quand arriva le x m siècle, cette image du crucifix, si par-
lante qu'elle fût, n'était plus guère comprise de l a multitude des
âmes. François d'Assise lui-même était passé bien souvent, avec
piété certes, mais sans grande émotion, devant le crucifix de
Saint-Damien. C'est alors, on le sait, qu'il entendit le cri de dou-

( 1 ) L E S CROIX LES PLUS ANCIENNES, POUR LA PLUPART, CELLES TROUVÉES en C H I N E ,


PAR E X E M P L E , ET REMONTANT A U X PREMIERS SIÈCLES, SONT C O M M E LE labarum ET
n'ont P A S DE CHRIST. ( V O I R Le Crucifix, PAR LE P. HorPBNOT, CH. V I . )
(A) ART. C N O I X .
SAINT FRANÇOIS ET LE CRUCIFIX
47

leur poussé par la sainte Victime : « François, répare mon église,


car, tu vois, elle tombe en ruines. »
François comprit bientôt de quelle église il s'agissait, l'Eglise
des âmes, chargée de publier, d'adorer et de revivre l'amour
d'un Dieu immolé sur la croix. Cette Eglise oubliait l'amour de
son chef et roi.
François aussitôt s e sentit rempli de douleur, à la pensée
d'une telle ruine de la foi et d'une telle ingratitude. Et on le vit
s'en aller, à t r a v e r s les bois et la campagne, pleurant, se lamen-
tant et criant : « L'amour, l'amour n'est p a s aimé ! »
Toute s a vie fut occupée à méditer sur l'amour du Christ en
croix, à contempler d'un r e g a r d de plus en plus amoureux la
divine victime, j u s q u ' a u jour où il finit, en quelque sorte, p a r se
transformer en elle et s'identifier avec elle, dans la scène si tou-
chante de la stigmatisation.
Dans s a dévotion a u Crucifix, le r e g a r d de François semble
s'être porté à la fois sur toutes les blessures, p a r lesquelles J é s u s
voulut nous traduire son amour. S i , en effet, elles s'imprimèrent
toutes en même temps sur s a chair, c'est qu'il les avait toutes, en
même temps, adorées dans son âme et dans son cœur. S a dévo-
tion, faite de simplicité et divinement équilibrée, contemplait le
divin Crucifié, tel qu'il a voulu se présenter à nos yeux. Pour
vaincre l'incrédulité des apôtres, J é s u s n e leur avait-il p a s pré-
senté toutes ses plaies, sans exception ? « Videte manus meas et
pedes ( i ) , Voyez mes mains et mes pieds » ; et à Thomas : « Mets
ton doigt dans la plaie de mes mains et t à main dans la plaie de
mon côté (2). » Où J é s u s n'avait établi aucune préférence exclu-
sive, saint François n'en devait pas] établir lui-même. Nous
croyons cependant qu'il accorda une attention spéciale à la plaie
du côté, parce que de fait, dans le drame de la Passion, elle a
une importance particulière. L a pratique adoptée p a r "sainte
Claire, s a fille privilégiée, que nous rapporterons plus loin, nous
autorise à penser qu'il en fut ainsi.

(r) Luc, xxiv, 39. — (2) J O A N N . , xx, 27.


48 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Dans une hymne pour la fête de saint François, Celano


pose à notre saint cette question : Pourquoi as-tu été attaché à
la croix ?
Dicas nobis, Francisée,
Car affixas sis in cruce? ( i )
Et François répond : Parce que j ' a i renoncé au monde, parce
que j ' a i suivi la croix, parce que j ' a i porté l a vie du Christ. Alors
l'amour de J é s u s s'est emparé de mon âme, s a douceur a rempli
tout mon cœur et grandi ses désirs. Mon âme m'a emporté vers
les hauteurs et j ' a i vu, dans m a ferveur, J é s u s sous l'apparence
d'un séraphin... A ce spectacle, pressé p a r l'amour, je me suis
senti, p a r la douleur, fixé à l a croix, transformé dans mon
âme et changé en mon Bien-Aimé.
S e sentir transformé en J é s u s p a r l'amour puisé dans la con-
templation de l a Croix, voilà tout François, Un miroir s a n s
tache, quand il est exposé aux rayons brûlants du soleil, devient
lui-même un soleil ardent, ainsi était l'âme toute pure de François
sous les rayons de l'amour divin qui sortaient de la croix. V e r s
ce soleil d'amour, le cœur de François était toujours ouvert ;
il devenait un autre Christ. E t parce que la bouche parle de
l'abondance du cœur, François ne cessait de parler de son J é s u s .
L e frère Sylvestre, dans son sommeil, vit sortir de la bouche
de François une croix d'or qui atteignait les cieux et embrassait
la terre. Qu'est-ce à dire, si ce n'est que l a grande voix de
François devait faire retentir par le monde entier l'amour de
J é s u s crucifié?
« L a bouche parle de l'abondance du cœur, écrit Gelano, en
parlant de F r a n ç o i s ( 2 ) ! E t la source de son amour, puisé
dans la contemplation, après avoir rempli toutes ses entrailles,
s'échappait avec force au dehors. Tout était pour lui occasion
de s'occuper de J é s u s . Partout il portait J é s u s avec lui : J é s u s
dans son cœur, J é s u s dans s a bouche, J é s u s dans ses oreilles,
J é s u s dans ses yeux, J é s u s dans s e s mains, J é s u s dans tous ses

S CELANO,
CELANO,
édition Edouard d'Alençon, p. 449*
S. Francisci vita, p. 1 2 1 .
SAINT FRANÇOIS ET LE CRUCIFIX
49

Saint François et le Crucifix


5o LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

membres... Que de fois le long du chemin, en méditant et en


chantant J é s u s , il oubliait les fatigues du chemin et invitait tous
les éléments à louer J é s u s avec lui.
« C'est parce que toujours, dans son cœur, avec un amour
merveilleux, il portait et conservait J é s u s et J é s u s crucifié, qu'il
mérita, par un privilège unique, la très grande gloire d'être
marqué du sceau de ce doux Sauveur, que dans son extase il
contemplait dans une gloire inénarrable et incompréhensible,
assis à la droite de son Père, avec lequel il règne, triomphe et
commande dans l'unité du Saint-Esprit. Amen. »

Le rôle de François d'Assise fut de remettre en évidence, aux


yeux du monde, le mystère de l'amour divin dans le sacrifice du
Calvaire. E t le moyen qu'il employa fut d'attirer les regards
vers le Crucifix ( i ) , c'est-à-dire vers l'image de l'Homme-Dieu,
attaché sur la croix et frappé des cinq plaies mortelles, avec
une attention spéciale, sur l a plaie du cœur.
e
A partir du xni siècle, sous l'impulsion créée par saint
François, le culte du Crucifix se répandit partout. Il devint et
il est resté le principal symbole de la foi et de la piété chré-
tienne.
E n même temps, cette attention spéciale q u i l accorda toujours
à la plaie du cœur ira en se fortifiant et elle deviendra bientôt
une dévotion particulière, la dévotion au Sacré-Cœur.

(i) Dans le Crucifix, François contemplait, avant tout, l'amour de Dieu


se donnant à l'homme. Qu'on lise sa prière de prédilection, et Ton s'en
rendra compte facilement :
«r Seigneur, je vous en prie, que l'ardeur embrasée et délicieuse de votre
amour détache mon Ame de toutes les choses qui sont sous le ciel, afin que
je meure par amour de votre amour, ô vous qui, par amour de mon amour,
avez daigné mourir. »
Le cœur étant le symbole naturel de l'amour, il était tout naturel que les
regards de François se fixassent de préférence sur la plaie du cœur.
E E
DU XIII AU XVII SIÈCLE 5i

e e
IL — Depuis le XIII siècle jusqu'au XVII
ou le Sacré-Cœur dans la famille Fransciscaine.

Saint François, nous l'avons dit, à cause de la puissance de


son amour, mérita de porter dans son cœur, dans son âme, dans
tous ses membres, tout le mystère de la vie et de l a mort de
J é s u s . E t , s'il fixa son r e g a r d et s a demeure, d'une façon plus
spéciale et quasi habituelle, sur la sainte montagne du Calvaire,
il n'oublia pourtant aucune des scènes si touchantes, par les-
quelles le Fils de Dieu, depuis la Crèche jusqu'au Golgotha,
voulut nous donner un témoignage spécial de son amour.
L e s disciples du Stigmatisé, les franciscains des trois Ordres,
suivirent l'exemple de leur Père. Néanmoins, ne pouvant étendre
autant leur regard, ils se fixèrent plus exclusivement dans la
contemplation de la Croix et des Cinq Plaies ; et, de suite, ils
accordèrent une place à p a r t , privilégiée, à la plaie du côté et
du cœur.
Ce caractère spécial de la piété franciscaine éclate, dès
e
le xin siècle, de la façon la plus manifeste. Nous ne citerons
que quatre ou cinq noms. Mais ils suffiront pour nous rensei-
gner sur l'esprit de cette dévotion, car, de l'aveu de tous, ils
représentent l'expression la plus fidèle et la plus authentique de
la piété franciscaine. Nous voulons citer saint Antoine, saint
Bonavenlure, Ubertin de Casale, pour le premier Ordre, sainte
Claire, pour l'Ordre des Pauvres Dames, et sainte Marguerite
de Cortone, pour le Tiers-Ordre.
Nous verrons ces grands saints enseigner et pratiquer la dévo-
tion au Sacré-Cœur, à peu près de la même manière qu'on le fait
depuis les trois derniers siècles. L'intervention de l'Église, depuis
trois cents ans, s'est bornée à consacrer, p a r des décisions offi-
cielles et des fêtes liturgiques universelles, ce que les Franciscains
pratiquaient à titre individuel ou en des manifestations intimes.
5 2
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Conformément à l a doctrine exposée plus haut, cette dévotion


s'exercera, sous deux formes distinctes. Tantôt elle vénérera,
sous le signe symbolique de ce cœur, l'amour de J é s u s pour les
hommes, qui s'est surtout manifesté dans la passion et qui appelle,
de notre part, compassion, reconnaissance et réparation ; tantôt
elle adorera l'amour de ce même J é s u s pour Dieu son Père, amour
qui le pousse à s'immoler pour s a gloire, et qui nous invite à nous
associer à son sacrifice et à son immolation, p a r ce qu'on appelle
« la vie d'union » .
Ces deux actes, du reste, ne sont point indépendants l'un de
l'autre : le premier appelle le second et en est la préparation et
ce n'est que dans ce deuxième acte, c'est-à-dire dans l'union du
cœur de l'homme avec le cœur de J é s u s , pour vivre le même
amour et la même immolation, que s'achève et s'épanouit la véri-
table dévotion au divin Cœur ( i ) .
Plusieurs écrivains modernes, entre autres le P. Bainvel, dans
son article sur le Sacré Cœur dans le Dictionnaire de théologie
catholique et dans son livre La Dévotion au Sacré-Cœur de
Jésus, et beaucoup de ceux qui gravitent autour de l a Bienheu-
reuse Marguerite-Marie, ne nous semblent p a s avoir suffisam-
ment bien saisi cet objet véritable de la dévotion au Sacré-Cœur.
Ils ont été hypnotisés p a r cette parole si touchante de J é s u s à la
Bienheureuse : « Voilà le Cœur qui a tant aimé les hommes et qui
n'en reçoit que des ingratitudes! » E t ils ont placé l'objet premier
de cette dévotion dans le mutuel amour de Jésus pour les
hommes et des hommes pour Jésus. Ils ont à peine mentionné
l'amour de J é s u s pour son Père et l'amour du Père pour son
Fils. Bien plus, ils semblent à peine avoir soupçonné que cette
vie d'union dans l'amour fût la fin principale dans la dévotion au

(i) L'amour de Jésus pour l'homme, si manifeste partout dans l'Evangile


et ailleurs, joue le rôle d'appât, pour nous faire entrer dans son amour
d'immolation à la volonté de son Pere. C'est cet amour qui est d'abord mis
en avant, pour nous attirer vers Jésus. Mais, une fojs qu il a mordu à cet
appât, le petit poisson est aussitôt attiré vers l'amour d'immolation à la
volonté de Dieu, le Père, qui est l'objet principal de la dévotion, primum in
intenUone, ultimum in executione.
e e
DU X I I I AU XVII SIÈCLE 53

S a c r é - C œ u r . A u l i e u de la m e t t r e en r e l i e f et a u p r e m i e r p l a n ,
r a r e m e n t ils y font a l l u s i o n .
« L ' a m o u r q u e n o u s h o n o r o n s d a n s c e c u l t e , é c r i t le P è r e
B a i n v e l ( i ) , c'est l ' a m o u r de J é s u s p o u r les h o m m e s , l ' a m o u r q u i
demande une réciprocité d'amour : « Voilà ce C œ u r qui a tant
aimé les h o m m e s , » disait J é s u s à l a B i e n h e u r e u s e M a r g u e r i t e -
M a r i e . . . » E t il a j o u t e : « L ' a m o u r de J é s u s p o u r les h o m m e s n e
v a p a s s a n s s o n a m o u r p o u r s o n P è r e , il e n est t o u t p é n é t r é , il y
p r e n d sa s o u r c e , il y a s o n motif... L ' a m o u r de J é s u s p o u r l e s
h o m m e s fut u n a m o u r s u r n a t u r e l , u n a m o u r r é g l é , et d o n c t o u t
informé par son amour p o u r son Père. » Mais cet a m o u r p o u r
s o n P è r e n ' e s t p a s , a u x y e u x d u d o c t e J é s u i t e , Vobjet direct et
immédiat de n o t r e d é v o t i o n : « N o u s a v o n s dit, continue-t-il, q u e
tous les textes entendent l'amour du Sacré-Cœur comme son
a m o u r p o u r les h o m m e s (2)... E n t a n t q u ' e m b l è m e d ' a m o u r , c'est
son amour p o u r nous que Jésus nous d é c o u v r e en nous décou-
v r a n t s o n C œ u r ; m a i s e n n o u s d é c o u v r a n t ce C œ u r a d o r a b l e , il
n o u s le m o n t r e d a n s t o u t e s a r é a l i t é , c o m m e i d é a l de n o t r e v i e
n o n m o i n s q u e c o m m e objet de n o t r e a m o u r ( 3 ) . »
E n u n m o t , a u x y e u x d u P . B a i n v e l , l ' a m o u r de J é s u s p o u r
l e s h o m m e s est Vobjet direct et immédiat de la d é v o t i o n a u S a c r é -
C œ u r ; l ' a m o u r de J é s u s p o u r s o n P è r e n ' e s t l'objet de c e t t e
d é v o t i o n q u e par extension.
A l a v é r i t é , p o u r justifier sa t h è s e , le P . B a i n v e l se t r o u v e
u n p e u g ê n é p a r des t e x t e s e m b a r r a s s a n t s , q u ' i l c i t e , d u r e s t e ,
l o y a l e m e n t . Il y a, e n p a r t i c u l i e r , l a Réplique a u x Exceptions du
p r o m o t e u r de l a foi, t e x t e officiel au p r e m i e r c h e f :
« 11 faut c o n s i d é r e r d a n s c e t t e d é v o t i o n , dit c e t e x t e , le C œ u r
de J é s u s :
« i ° C o m m e n e faisant q u ' u n (à c a u s e d e l ' u n i o n é t r o i t e ) a v e c
s o n â m e et sa d i v i n e p e r s o n n e ;
0
« 2 C o m m e le s y m b o l e o u le s i è g e n a t u r e l de t o u t e s les v e r t u s
et de t o u s les s e n t i m e n t s i n t é r i e u r s d u C h r i s t , et e n p r e m i e r lieu

(1) Loc. cit., p . 1 2 6 . — (2) Loc. cit., p . 128. — (3) Loc. cit., p . 129.

4
54 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

d e l ' i m m e n s e a m o u r q u ' i l a e u p o u r s o n P è r e et p o u r les h o m m e s ,


imprimisque amoris illius immensi quo Patrem et homines
prosecutus est. »
Ce texte place donc l'amour du C œ u r de Jésus pour son P è r e
s u r le m ê m e p l a n q u e s o n a m o u r p o u r les h o m m e s , et m ê m e il le
nomme d'abord.
L e P . de l a G o l o m b i è r e l ' a v a i t c o m p r i s d e l a sorte : « L e s
p r i n c i p a l e s v e r t u s q u ' o n p r é t e n d h o n o r e r d a n s l e C œ u r de J é s u s ,
déclare-t-il, s o n t p r e m i è r e m e n t u n a m o u r t r è s a r d e n t de D i e u , s o n
Père (i). »
M a l g r é c e s d é c l a r a t i o n s officielles si n e t t e s , l e P . Bainvel
p e r s i s t e à p l a c e r a u s e c o n d p l a n , c o m m e o b j e t de la d é v o t i o n a u
S a c r é - C œ u r , l ' a m o u r de J é s u s p o u r D i e u , s o n P è r e .

C e t t e i n a d v e r t a n c e a e u la f â c h e u s e c o n s é q u e n c e de l u i r e n d r e
p e u intelligible la dévotion franciscaine au S a c r é - C œ u r .
e 9
« D u x m a u x v siècle, le c u l t e se p r o p a g e , é c r i t - i l ( 2 ) ; o n n e
v o i t p a s q u ' i l se d é v e l o p p e e n l u i - m ê m e . L e p l u s s o u v e n t il se
r a t t a c h e à la p l a i e d u c œ u r ; çà et là il v a a u c œ u r i n d é p e n d a m m e n t
de la p l a i e , le c œ u r é t a n t r e g a r d é c o m m e o r g a n e de v i e affective
et s y m b o l e d ' a m o u r . L e s f a v e u r s faites a u x p r i v i l é g i é s s o n t :
d ' ê t r e a d m i s à c o l l e r ses l è v r e s s u r l a p l a i e d u c ô t é , p o u r y p u i s e r
l ' a m o u r et les r i c h e s s e s d u c œ u r ; de p é n é t r e r d a n s ce c œ u r p o u r
s'y reposer c o m m e dans une oasis, pour s'y promener comme
d a n s u n b e a u j a r d i n ; p o u r s'y p l o n g e r c o m m e d a n s u n e f o u r n a i s e
d ' a m o u r et de p u r e t é ; d ' ê t r e e m b r a s é d ' u n e é t i n c e l l e p a r t i e de c e
c œ u r , d ' é c h a n g e r s o n c œ u r c o n t r e c e l u i de J é s u s et de n e v i v r e , e n
q u e l q u e s o r t e , q u e p a r le c œ u r d i v i n ; de se s e n t i r u n i à lui p o u r
l o u e r D i e u , o u d e p o u v o i r l'offrir a u P è r e c é l e s t e c o m m e n o t r e
b i e n p r o p r e ; d'y t r o u v e r u n asile a s s u r é c o n t r e les a s s a u t s d e s
d é m o n s , u n r e f u g e c o n t r e l a c o l è r e m ê m e de D i e u . »
C ' e s t u n r é s u m é narfait de la d é v o t i o n a u S a c r é - C œ u r , t e l l e

(1) Cf. P . B A I N V E L , La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, p . 96 et 128.


(2) Loc. cit., p . 204-205.
SAINT ANTOINE D E PADOUE 55
e
qu'elle fut pratiquée depuis le x r a siècle et telle qu'elle l'a été
depuis lors par tous les saints. Elle honore a u premier plan
l'amour de J é s u s pour son Père ; et elle s'alimente du désir de
vivre en union avec cet amour. E t cependant le P . Bainvel
n'aperçoit dans cette dévotion que le mutuel amour de J é s u s et
de l a créature : « L e symbolisme, on le voit, continue-t-il, occupe
une grande place dans ces faveurs et visions ; il va toujours à
montrer combien J é s u s nous a aimés, combien il est nôtre,
comment nous pouvons et devons l'aimer de retour. »
Non, le symbolisme et le reste tendent, ici et partout, à nous
faire comprendre que notre cœur doit s'unir avec le Cœur de
J é s u s , de façon à n'avoir qu'un amour avec lui, l'amour qui
s'immole pour Dieu d'abord, pour les hommes ensuite. Et si
cet amour s'immole pour les hommes, c'est parce que Dieu, le
Père, a voulu qu'ainsi J é s u s aimât les hommes et qu'ainsi il veut
que nous les aimions avec J é s u s : in ipso, per ipsurn et cum ipso,
répète la liturgie de la messe, après saint Paul.
Que nos lecteurs aient soin de se bien pénétrer de l'exposé
doctrinal que nous venons de tracer sous leurs yeux. Il leur
donnera la clef nécessaire pour entrer dans l'intelligence complète
des nombreuses citations qui vont suivre.

SAINT ANTOINE D E PADOUE (1195-1231)

Saint Antoine de Padoue fut le disciple privilégié de saint


F r a n ç o i s ; et, parmi les interprètes de son esprit, il fut le plus
fidèle. Or, dans ses écrits et ses sermons, on le trouve tout
appliqué à orienter les âmes vers le Cœur de J é s u s .
Une tradition rapportée p a r le P . Blondelet dans la Vie de
Saint Antoine ( i ) , raconte que le secret de l a dévotion au Sacré-
Cœur fut révélé à ce grand thaumaturge franciscain par la

(i) Cf. Le P. H B N R I DE G R È Z E S : Le Sacré-Cœur de Jésus, p. 4*> et suiv.


LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR
56

Sainte Vierge elle-même. Il était dans l'austère solitude de


Montepaolo, lorsque cette bonne Mère lui montra un cœur
couronné, sur lequel était, fortement empreinte l'image du
Sauveur crucifié. Tout autour s'enroulait l a corde franciscaine.
E t Marie lui dit que c'était là le cœur de son Fils et qu'il trou-
verait en lui le principe de toute ferveur et de toute inspiration.
Est-ce un souvenir de cette vision qu'ont voulu rappeler
certaines images de notre saint ou simplement donner un témoi-
gnage de son amour pour le Sacré-Cœur ? Elles le représentent,
en effet, tenant à la main un cœur enflammé. Et Wadding, qui
e
écrivait au commencement du x v n siècle, affirme <r avoir vu
un grand nombre d'images très anciennes sur lesquelles saint
Antoine est représenté tenant devant s a poitrine un livre sur-
monté d'un cœur enflammé » . Aujourd'hui a u lieu d'un cœur
sur le livre on place l'Enfant J é s u s . Mais on le reconnaîtra faci-
lement, ce sont là deux formes de la même tradition : le cœur
de J é s u s , pour saint Antoine, révélait le Christ tout entier
mieux que son corps. Celui-ci, comme il v a nous le dire, ne
présentait à ses adorateurs que l'autel d'airain ; son cœur, au
contraire, leur découvrait l'autel d'or du tabernacle.
Aussi dans les visions de la Bienheureuse Marguerite-Marie,
saint Antoine, a p r è s saint François, joue-t-il un rôle important.
« Un jour de l a fête de saint Antoine, nous dit-elle, étant en
oraison, j e vis l'âme de ce bienheureux portée p a r les anges aux
pieds du Christ. Notre-Seigneur ouvrait toute grande la plaie de
son Cœur ; et ce Cœur tout rayonnant de lumière attirait et
absorbait, en quelque sorte, l a m e de saint Antoine, comme la
lumière du soleil absorbe toute autre clarté. Dans le Cœur de
1
J é s u s , l'âme du saint m apparaissait comme une pierre précieuse,
étincelante, qui en remplissait toute la cavité. L e jeu varié de
ses couleurs me représentait les vertus du saint ; elles brillaient
d'un éclat merveilleux dans l'océan de lumière du Cœur de J é s u s ,
à l'honneur du Christ, à la gloire du saint lui-même. J é s u s prit
ensuite cette perle dans son Cœur, et il la donna au Père céleste
qui la fît admirer aux anges et aux saints. »
SAINT ANTOINE DE PADOUE 67
58 LA DEVOTION AU SACRÉ-CŒUR

L a dévotion de saint Antoine au Sacré-Cœur présente les


deux caractères que nous avons reconnu lui être essentiels :
compassion et reconnaissance pour les souffrances du divin Cœur
qui s'est immolé pour nous, union à son sacrifice en laquelle est
la vie pour les âmes.
Toutefois, dans les pages qu'on va lire, saint Antoine insistera
surtout sur les mystères de cette vie d'union avec J é s u s dans
l'amour. Car c'est là, avons-nous dit, le point central de la
dévotion ; et un saint, comme lui, devait s'y élever d'un premier
élan. A s e s yeux le Cœur de J é s u s est le soleil des âmes qui les
échauffe pour l'amour, — la demeure des âmes aimantes, —
Vautel du sacrifice, sur lequel il faut venir s'immoler.
Cependant, au milieu de oes hautes élévations, saint Antoine
n'oubliera p a s d'inviter les âmes à verser les larmes de la
compassion et à chanter l'hymne de la reconnaissance.

1° L e Christ soleil.
S o n c œ u r f o y e r d e c h a l e u r et d e l u m i è r e .

Dans son homélie sur le jugement dernier, saint Antoine


commente ce p a s s a g e de l'Évangile, Erunt signa in sole... D y
aura des signes dans le soleil.

« Quoi d'étonnant, dit-il, puisqu'il y a déjà eu en lui des signes de


miséricorde ! Notre soleil, c'est Jésus-Christ, soleil rayonnant de
l'humanité, lumière des intelligences. Voyez en lui ces signes de
rédemption, de miséricorde et d'amour : ses cinq plaies. »

E t il compare ses cinq plaies aux cinq cités de la terre de


Chanaan, dont parle Isaïe. L'une d'elles portait le nom de soleil.
Or la cité du soleil, dit-il, c'est la plaie du cœur, foyer de chaleur
et de lumière pour l'humanité.
Voici ce p a s s a g e de son discours.

« In die illa erunt quinque cwitates in terra ^Egypti, loquentes


iingua Chanaan... Civitas solis vocabitur una. En ce temps-là, il y aura
dans la terre d'Egypte cinq cités qui parleront la langue de Chanaan
et l'une d'elles s'appellera la cité du soleil. »
SAINT ANTOINE DE PADOUE 5g

A p r è s avoir expliqué comment ces cinq cités représentent les


cinq plaies, il en arrive à la cité du soleil et il dit :

« Et Tune de ces cités sera appelée la cité du soleil. Si les cinq plaies
du Sauveur sont des cités de refuge, la plaie de son cœur divin est la
cité du soleil, l'éternel foyer de la lumière et de la chaleur surnatu-
turelles, vulnus lateris est civitas solis. Par l'ouverture du côté de
Jésus, la porte du Paradis nous a été ouverte ; par elle la splendeur
de la lumière éternelle est arrivée jusqu'à nous... On dit généralement
que le sang tiré du flanc de la colombe prévient la cécité, en faisant
disparaître les taches qui se forment sur les yeux. Or le sang que la
lance du soldat a fait jaillir du cœur transpercé de Jésus, a illuminé
les yeux de l'aveugle-né, c'est-à-dire de l'humanité jusqu'alors plongée
dans l'idolâtrie. »

2° L e C œ u r d e J é s u s e s t l a d e m e u r e d e s â m e s s a i n t e s .

L o r s de son arrivée à Limoges» saint Antoine s'en alla prêcher


aux religieux de Saint-Martin et il leur commenta ce verset du
psaume cinquante-quatrième : Quis dabit mihi pennas sicut
columbœ et volabo et requiescam. Qui me donnera des ailes
comme à la colombe et j e volerai et j e me reposerai.
L'endroit où il veut se reposer, c'est le creux de la pierre, c'est-
à-dire la plaie du côté, le Cœur de J é s u s . Écoutons ses paroles :

« Etablissez votre demeure dans la pierre. Or, la pierre, c'est Jésus-


Christ. Établissez-vous en lui ; qu'il soit le terme de vos pensées,
l'objet de vos affections. Jacob, dans le désert se reposa sur la pierre
et s'endormit ; et, dans son sommeil, il vit le ciel ouvert ; il conversa
avec les anges, il fut béni du Seigneur...
« Soyez comme la colombe qui établit son nid au plus profond du
creux de la pierre. Si Jésus-Christ est la pierre, le creux de la pierre
où l'âme religieuse doit se réfugier, c'est la plaie du côté de Jésus-
Christ, For amen istud est vulnus in latere ChristL N'est-ce pas à cet
asile choisi que le divin Epoux appelle l'âme religieuse, quand il lui
dit dans le Cantique : « Lève-toi, ma colombe, mon amie, mon épouse ;
« hâte-toi de venir dans les ouvertures du rocher, dans les profondeurs
« de la pierre ( 1 ) . » Le divin Epoux parle des creux multiples de la

( 1 ) Cant., x i v , I3-I4-
6o LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

pierre, mais il parle aussi de la grotte profonde, caverna maceriœ.


Il y a, dans sa chair, de nombreuses blessures et il y a la plaie de son
côté ; celle-là mène à son cœur et c'est là qu'il appelle Vâme dont il a
fait son épouse. Il lui a tendu les bras ; il lui a ouvert son côté et son
cœur, pour qu'elle y vienne s'y cacher ; Christus enim non solum se,
sed etiam latus et cor columbœ aperuit, ut se ibi absconderet. »

3° L e C œ u r d e J é s u s est n o t r e autel d'or.

Dans son sermon sur le Jeudi Saint, De multiplici cœna


Domini, saint Antoine explique le lavement des autels avec l'eau
et le vin ; et à cette occasion il enseigne que le Christ est notre
autel, mais que son Cœur est notre autel d'or.

Les parfaits, dit-il, accomplissent mystiquement la cérémonie du


lavement des autels. Nous lisons, en effet, qu'il y avait dans la loi
ancienne deux autels : l'autel d'airain ou des holocaustes, qui était hors
du sanctuaire, à la vue de tout le peuple ; et l'autel d'or ou des parfums,
qui était dans le sanctuaire même. Or le Christ lui-même est notre
autel. En ces jours-là, dit le Prophète, l'autel du Seigneur se dressera
dans la terre d'Egypte et il portera à son extrémité le titre du Seigneur.
Voyez notre autel dressé sur le Calvaire, au milieu du monde qu'il sauve
par la vertu de son sacrifice. Lisez au-dessus de lui le titre du Seigneur :
« Jésus de Nazareth, roi des Juifs. »
Mais Jésus-Christ est tout à la fois ces deux autels dont parle la loi
antique : autel d'airain dans son corps tout sanglant, immolé à la vue
de tout son peuple, autel d?or dans son cœur tout brûlant d'amour. Et
ces deux autels demandent et provoquent les larmes avec lesquelles
nous devons les arroser en ce jour. Le premier demande des larmes de
compassion et de repentir ; le second, des larmes de tendresse et de
dévotion...
Mais n'oublions pas que l'autel extérieur n'est que d'airain, tandis
que l'autel intérieur est d'or. L a méditation des souffrances extérieures
de Jésus-Christ est sainte et méritoire sans doute ; mais, si nous vou-
lons trouver de l'or pur, il nous faut aller à Vautel intérieur, au cœur
même de Jésus, et étudier les richesses de son amour.

4° L a d é v o t i o n a u C œ u r d e J é s u s .

Elle a pour objet l'amour dont ce Cœur est embrasé et que


l'âme contemple avec tendresse, compassion, reconnaissance et en
formulant l a volonté de rendre amour pour amour et de s'unir à
SAINT ANTOINE DE PADOUE 61

son sacrifice. Nous venons déjà d'entendre saint Antoine inviter


à cette dévotion. Il v a continuer en termes d'une pressante ten-
dresse :

« On lave les autels avec de l'eau et du vin, dit-il ( i ) . Répandons


sur notre autel d'or, sur le Cœur de Jésus, Veau de nos larmes, des
larmes d'une tendre dévotion, et méditons les sublimes inventions de
son amour. — Et vous, mes frères, dit-il dans le panégyrique d'un
apôtre, soyez les amis de Jésus comme l'ont été les apôtres. Et d'abord
n'ayez avec Jésus qu'un même cœur. Donnez-lui votre cœur, il vous le
demande : Mon fils, donne-moi ton cœur. Il ne le repoussera point,
quelque indigne qu'il soit de lui. Vous ne rejetterez pas, est-il écrit, le
cœur contrit et humilié. Pour gagner votre cœur, il vous donne le sien
sur la croix ; et pour que vous n'en doutiez pas, il a voulu que son
côté fût ouvert. »

Et saint Antoine ajoute que c'est par ce don, cette manifes-


tation de son cœur que J é s u s veut acheter et perfectionner
l'œuvre divine. Il s'appuie sur le texte de l'Ecclésiastique : « Cor
suum dabit in consnmmationem operum (2), Il appliquera son
cœur pour achever ses œuvres. » D a n s l'auteur sacré il s'agit du
laboureur et de l'artisan. Mais saint Antoine l'applique à J é s u s ,
le divin laboureur, le divin artisan. E t il montre ce laboureur
céleste fécondant le sol ingrat de nos âmes et donnant son cœur
pour tracer, sur cette glèbe aride, de fertiles sillons. Il montre cet
artiste éternel occupé à graver en nous la ressemblance de son
Père et donnant son cœur, pour que la ressemblance soit par-
faite, etc.
C'est en appliquant son cœur à son ouvrage que tout tra-
vailleur, potier, forgeron, artiste, laboureur, amène son œuvre à
s a dernière perfection. Ainsi en est-il de J é s u s . 11 a donné son
cœur pour achever de perfectionner son œuvre, pour faire de
nous des vases d'élection.
E n parlant ainsi, saint Antoine n'annonçait-il p a s déjà que la
dévotion au S a c r é Cœur serait le couronnement de toutes les

S Sermon De multiplici Coena DominL


EcclL, XXXVIII, 3i.
6a LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

autres, le dernier et le plus pressant appel de l'amour de Dieu à


la terre. Cette annonce prophétique, nous entendrons bientôt un
autre franciscain la renouveler en termes encore plus précis et
plus formels.

S A I N T E C L A I R E D'ASSISE (1194-1252)

Sainte Claire d'Assise peut être regardée comme la première


propagatrice de la dévotion au Sacré-Cœur. Elle l'organisa dans
son petit couvent de Saint-Damien sous la forme de l a dévotion
aux Cinq Plaies, dans laquelle la plaie du cœur obtenait une
place privilégiée.
Toutefois, comme nous l'avons dit, elle ne voulait pas négliger
les autres mystères de la vie du Sauveur. Elle s'en explique
bellement dans s a quatrième lettre à la bienheureuse Agnès de
Prague, alors qu'elle lui demande de s'adonner à la contemplation
et de chercher dans la vie de Notre-Seigneur le miroir spirituel
de son âme.

a Regardez, chaque jour, dans ce miroir, écrit-elle, ô reine et épouse


de Jésus-Christ ! contemplez-y bien souvent votre face, afin de vous
parer, au dehors et au dedans, des fleurs les plus diverses de toutes les
vertus et de vous revêtir de tous les ornements qui conviennent à la
fille et à l'épouse du Roi suprême...
« Venez et voyez-y d'abord ce doux Jésus couché dans une crèche,
dans la plus grande pauvreté, et enveloppé de chétifs langes. —
O l'admirable humilité ! O la pauvreté surprenante !... Au milieu de
ce miroir, regardez la bienheureuse pauvreté de la sainte humilité, pour
l'amour de laquelle il a voulu tant souffrir.
« A l'extrémité du miroir, considérez l'ineffable amour par lequel il a
voulu être attaché sur le bois de la Croix et y mourir d'une mort infâme.
Ce miroir, attaché à la Croix, avertissait les passants et disait à tous :
O vous qui passez par le chemin, faites attention et voyez s'il est une
douleur semblable à la mienne. Répondons à Celui qui appelle et qui
gémit ; répondons-lui d'une même voix et d'un même cœur : Oui, sans
cesse, je me souviendrai de vous, ô divin Jésus, et mon esprit sera
affligé au dedans de moi. »
SAINTE CLAIRE D'ASSISE 63

Voici, d'après l'auteur contemporain qui a écrit s a vie, Thomas


de Gelano, comment elle s'appliquait à la contemplation des plaies
du Sauveur.
« L a contemplation douloureuse, pianotas, de la Passion du
Sauveur lui est familière, écrit-il. De ses blessures sacrées, tantôt
elle puise des affections pleines d'amertume, myrrhâtas affectiones,
tantôt elle aspire les joies les plus douces. L e s larmes du Christ
souffrant l'enivrent, et Celui que, dans son cœur, l'amour
imprime chaque jour plus profondément, elie ne cesse de le
rappeler à sa mémoire.
<* Elle apprend à ses novices à pleurer le Christ en croix ; et,
ce qu'elle enseigne en paroles, elle le traduit en actes p a r son
exemple. C a r souvent, dans ses exhortations privées sur ce sujet,
un ruisseau de larmes accompagne et prévient ses paroles. D e
toutes les heures du jour, c'est à Sexte et None qu'elle a coutume
de ressentir la plus grande douleur, [parce que la première de
ces heures rappelle le crucifiement et la seconde l'ouverture du
côté et du cœur, ajoute Marc de Lisbonne ( i ) ] .
« Afin donc de nourrir sans cesse son esprit des délices du
Crucifix, elle redisait très fréquemment une prière des Cinq
Plaies de Notre-Seigneur. L'office de la Passion, qu'avait institué
saint François, le grand amant de la Croix, elle l'apprit p a r cœur
et le récitait avec le même amour.
« Elle portait comme ceinture, sur la chair, une cordelette à
treize nœuds épais, comme un moyen secret de se rappeler les
blessures du Sauveur. »
Voici la partie de s a longue prière des Cinq Plaies, qui concerne
la plaie du Cœur ( 2 ) :

Louanges et gloire vous soient rendues, ô très aimable Jésus, pour


la très sainte plaie de votre côté. Par cette plaie sacrée, par cette infinie
miséricorde que vous avez montrée en voulant que votre cœur fût
ouvert, et que vous déployez en faveur de nous tous, après en avoir

S Nous ne savons le texte de cette prière est bien authentique.


Lib. V I I I , c. x x . Sa Chronique
si
est de 1557.

l'empruntons à la vie de la sainte par l'abbé Demore.


Nous
Cette g r a v u r e d e s Cinq P l a i e s e s t e x t r a i t e d u l i v r e d e G o n z a g a , De Origine
Seraphicœ Heligionis, R o m e 1587. E l l e m o n t r e c o m m e n t l a d é v o t i o n a u S a c r é -
C œ u r était c o m p r i s e d a n s l a d é v o t i o n a u x Cinq P l a i e s .
SAINT BON AVENTURE 65

fait part au soldat Longin, je vous eu conjure, ô très doux Jésus, ne


vous contentez pas de m'avoir purifiée du péché originel par le bap-
tême ; daignez encore me délivrer de tous les maux passés, présents e.t
à venir, accordez-moi une foi vive, une espérance inébranlable et une
charité parfaite, afin que je vous aime de tout mon cœur, de toute mon
âme et de toutes mes forces.
Oraison. — Dieu tout-puissant et éternel, qui avez racheté le genre
humain par les cinq plaies de votre Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ,
accordez-nous, nous vous en supplions, qu'après avoir honoré, chaque
jour, ces mêmes plaies, nous puissions par les mérites de son sang et
de sa mort être préservés de la mort subite et éternelle.

« E t elle ne passait p a s de jour, écrit Nicolas de Lire, sans


saluer et vénérer le Cœur du Christ ; et, dans cet exercice, elle
goûtait des délices ineffables. »
Ces textes suffisent pour démontrer la dévotion de sainte
Claire, non seulement à la Passion de J é s u s , non seulement aux
Cinq Plaies, mais pour affirmer une dévotion spéciale au divin
Cœur. Elle vénérait l'amour de J é s u s , en même temps pour
compatir à ses souffrances et pour s'unir à son sacrifice.

S A I N T B O N A V E N T U R E (1221-1274)

Saint Antoine a été l'apôtre du Sacré-Cœur. Sainte Claire se


montra la zélatrice de s a dévotion. Saint Bonaventure en sera
le théologien, pour l'Eglise entière et pour les siècles futurs.
Quand l'Église, en effet, à l'occasion de la fête du Sacré-Cœur,
e
voulut donner à tous ses clercs, dans les leçons du I I nocturne,
un résumé de s a doctrine sur ce mystère, c'est aux écrits du
séraphique docteur, à la Vitis mystica ( i ) , q u e l l e l'emprunta. E t ,

( i ) L e P . B a i n v e l , d a n s s o n l i v r e La Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, p . 193.


h é s i t e , n o u s i g n o r o n s p o u r q u e l s m o t i f s , à r e c o n n a î t r e à saint B o n a v e n t u r e
l a p a t e r n i t é d e l a Vitis mystica, p a r f o i s a t t r i b u é e à s a i n t B e r n a r d . M a i s l a
c r i t i q u e o b j e c t i v e n e l a i s s e d é s o r m a i s a u c u n d o u t e à ce s u j e t .
S u r IJ5 m a n u s c r i t s c o n s u l t é s p a r d e s é d i t e u r s d e Q u a r a c c h i , u n s e u l , le
u ° i 5 , de M u n i c h , a t t r i b u e cet o u v r a g e à s a i n t B e r n a r d , et encore u n e a u t r e
m a i n a c o r r i g é p l u s t a r d et a écrit le n o m d e s a i n t B o n a v e n t u r e . H u i t a u t r e s
66 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

p a r ce choix, elle l'a sacré, pour ainsi dire, le docteur officiel du


Divin Cœur.
Comme saint Antoine, dans s a doctrine sur le Sacré-Cœur,
saint Bonaventure insiste surtout sur ce fait que le Cœur de
J é s u s est le foyer divin, où nos cœurs doivent aller chercher
l'amour qui donne la vie aux âmes. Il rappelle certes aussi
l'amour du Cœur de J é s u s pour les hommes et le devoir de la
reconnaissance et de la compassion, mais il y insiste moins.
D a n s les p a g e s qui vont suivre, il montrera que le Cœur de
J é s u s , blessé sur la croix, est pour le monde ïunique çoie qui
conduit à Vamour divin, il en est le foyer, la demeure, le temple,
la source inaltérable.
Toutefois, quand saint Bonaventure enseigne que le Cœur
de J é s u s est l a voie qui conduit à Dieu, il n'entend point exclure
les autres mystères de la vie du Christ, ni même les créatures.
A ses yeux, le divin Crucifié est, pour tout l'univers, le temple
unique où il faut adorer, son Cœur en est le sanctuaire, le lieu
de rencontre des âmes avec Dieu dans l'amour. Mais la création
tout entière, parce qu'elle raconte à s a manière les bontés de
son Auteur, forme les innombrables degrés qui conduisent au
saint parvis. E t celui qui arrête son cœur à goûter Dieu dans
ses œuvres créées, p a r le fait même de cette contemplation, se
sent rapproché du Christ et mieux disposé à comprendre Celui
qui est l a grande manifestation de l'amour divin dans le monde.
C'est pour avoir su hiérarchiser ainsi toutes les créatures
dans le mystère du Christ, que saint Bonaventure a mérité d'être
proclamé le docteur mystique p a r excellence.
Ecoutons-le nous dire que l'amour de J é s u s crucifié est l'unique
voie qui conduit au ciel et que son Cœur est Tunique foyer de
cet amour.

d e l a m ê m e v i l l e a t t r i b u e n t l e traité à s a i n t B o n a v e n t u r e ; u n s e u l n'a p a s
d e n o m d'auteur. S u r les 174 autres manuscrits, 126 conservés d a n s les
b i b l i o t h è q u e s l e s p l u s d i v e r s e s , l ' a t t r i b u e n t à s a i n t B o n a v e n t u r e , et 46 n'ont
a s d e n o m d'auteur» A u s s i l e s é d i t e u r s , a p r è s S b a r a l l a et B o n e l l i , l e
éclarent authentique. Oudiu lui-même l'avait déclaré non indigne d u saint
d o c t e u r , ob gravitaient et dlctionem latinam I
SAINT BONAVENTURE 6 7

1° L ' a m o u r d e J é s u s crucifié est l ' u n i q u e v o i e


q u i conduit a u ciel.

Quand nous parlons de cet amour de J é s u s qui est Tunique


voie vers le ciel, nous l'entendons dans le sens exposé plus haut.
Nous ne voulons p a s dire seulement qu'il faut aimer J é s u s , pour
aller au ciel, nous voulons dire surtout qu'il faut vivre, en notre
cœur, Tamour dont vécut le Cœur de J é s u s . C'est cet amour qui
est, d'après le séraphique docteur, Tunique chemin qui conduit
au ciel.
Voici à ce sujet les enseignements précis, formulés dans
Yltinéraire de l'âme à Dieu ( i ) . Il y parle du chemin qui conduit
à la paix promise p a r l'Évangile.

« A l'exemple du bienheureux père saint François, écrit-il, avec


une âme haletante, je recherchais cette paix (évangélique), moi
pécheur, qui, le septième depuis sa mort, lui succède dans la charge
de ministre général des Frères, Or, il arriva, par la permission divine,
que, à l'époque de l'année où Ton célèbre son trépas, la trente-troisième
année, je me retirai sur l'Alverne comme vers un lieu de repos pour y
trouver cette paix de l'esprit. J'étais là, occupant mon esprit de quelques
élévations spirituelles vers Dieu, et, entre autres, se présenta devant
moi le souvenir du miracle, accompli en ce lieu, en faveur du bienheu-
reux François, la vision du séraphin ailé, semblable au Crucifié.
Pendant que je m'occupais de cette pensée, tout à coup il m'apparut
que cette vision manifestait à merveille le ravissement de ce bienheu-
reux Père dans la contemplation et la voie par laquelle on peut y
parvenir (2).
« Car les six ailes du séraphin peuvent, à bon droit, signifier les six
ravissements de la contemplation, sex illuminationum suspensiones,
lesquels sont comme autant de degrés ou de chemins, par où Tâme
s'élève vers les dispositions nécessaires à son entrée dans la paix, par
le moyen des extases de la sagesse chrétienne, ut transeat ad pacem
per ecstaticos excessus christianœ sapientiœ. Mais ce chemin vers la
paix n'est point ailleurs que dans le très ardent amour du divin
Crucifié, Via autem non est nisi per ardentissimum amorem Crucifixi.

S Prologue.
« I n c u j u s c o n s i d e r a t i o n e s t a t i m v i s u m e s t m i h i q u o d v î s i o illa
prsetenderet i p s i u s P a t r i s s u s p e n s i o n e m i n c o n t e m p l a n d o , et v i a m p e r q u a m
p e r v e n i t u r a d e a m . » Itin. mentis in Deum.
68 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

C'est cet amour qui ravit saint Paul jusqu'au troisième ciel et le trans-
forma dans le Christ, au point de lui faire dire : « Avec le Christ, je
« suis cloué sur la croix ; mais, si je vis, ce n'est pas moi qui vis, c'est
« le Christ qui vit eu moi » . C'est cet amour qui absorba à ce point
l'âme de François qu'il se manifesta jusque dans sa chair, alors que,
pendant deux années avant sa mort, il porta dans son corps les
stigmates sacrés de la Passion » .

C'est donc bien, aux yeux de saint Bonaventure, l'amour de


J é s u s crucifié, vivant au cœur de Paul et de François, qui a trans-
formé ces grands saints à l'image du Crucifié. Cet amour est
l'unique porte qui conduit à Dieu. L e séraphique docteur v a
encore insister sur cette grande vérité :

« L'image des six ailes du séraphin, continue-t-il, représente les


six degrés de la contemplation, qui commencent aux créatures et
conduisent jusqu'à Dieu en possession duquel nul ne peut entrer, si
ce n'est par le Crucifix, ad quem nemo intrat, nisi per Grucifixum.
Car celui qui n'entre pas par la porte, mais veut entrer par une autre
voie, celui-là est un voleur et un brigand. Mais, si quelqu'un s'intro-
duit par cette porte, il entrera et sortira (à son gré) et il trouvera de
fertiles pâturages.
« Aussi saint Jean, dans l'Apocalypse, s'écrie : a Bienheureux ceux
ce quilavent leurs vêtements dans le sang de l'Agneau. Ils auront pouvoir
« sur l'arbre de vie et ils entreront, par la porte, dans la cité. » C'est-
à-dire que nul ne peut, par la contemplation, entrer dans la céleste
Jérusalem, s'il ne se sert du sang de l'Agneau comme d'une porte ( i ) .

Cette doctrine mise à la b a s e de ^Itinéraire de Vâme à Dieu a


toujours été et restera toujours celle de la mystique chrétienne :
la contemplation, l'amour du Crucifix est l'unique porte qui fait
entrer les âmes dans la paix intérieure et en possession de Dieu.
Car cette contemplation donne au cœur de l'homme l'amour
d'immolation qui brûlait au Cœur de J é s u s . E t c'est en cet amour
que réside la vie.

( i ) N a m oui non intrat per ostiam sed aseendit aliunde, ille fur est et
latro. Si quis v e r o p e r hoc o s t i u m introierit, ingredietur et egredietnr et
pascua inveniet. P r o p t e r q u o d d i c i t J o a n n e s in A p o e a l y p s i : Beati qui lavant
vestimenta sua in sanguine Agni, ut sit potestas eorum in ligno vttœ et per
portas ingrediantar civitatem ; q u a s i d i c a t q u o d p e r c o n t e m p l a t i o n e i n
i n g r e d i n o n p o t e s t J é r u s a l e m s u p e r n a m , nisi p e r s a n g u i n e m a g n i ititre t t a n -
q u a m p e r p o r t a m . ltin. mentis ad Deum. Prologue, 3.
SAINT liONAVKNTURE

2° L e C œ u r de J é s u s est, p o u r toutes l e s â m e s ,
l'unique f o y e r de s o n a m o u r , il en est l a d e m e u r e .

C'est dans le chapitre de la Vitis mj'stica ( i ) , auquel l'Église


a emprunté les leçons de l'office, que saint Bonaventure développe
magnifiquement cet axiome de s a doctrine mystique. Nous allons
la donner ici dans son texte, en la résumant sous plusieurs chefs,
afin d'en faciliter l'intelligence.

a) L e C œ u r de J é s u s a été b l e s s é p a r l'amour
et est m o r t d'amour.
Ils percèrent et transpercèrent non seulement ses mains, mais
aussi ses pieds et son côté, et ils perforèrent, avec la lance de leur haine
rageuse, les profondeurs de son cœur très saint. Certes, depuis long-
temps déjà, la lance de l'amour l'avait transpercé. Ta as blessé mon
cœur, a-t-il dit ( 2 ) , 6 ma sœur, mon épouse, tu as blessé mon cœur.
Elle a blessé votre cœur, ô bien-aimé Jésus, votre épouse, votre sœur,
votre amie ; qu'était-il besoin qu'il fût blessé par vos ennemis ! Que
faites-vous donc, ô ennemis? S'il est blessé ou mieux puisqu'il est blessé,
le cœur du très doux Jésus, pourquoi lui faire une seconde blessure ?
Ignorez-vous donc qu'une blessure, faite au cœur, suffît à le faire mourir
et à le rendre, en quelque sorte, insensible ? Il est mort le cœur de mon
très doux Seigneur Jésus, parce qu'il a été blessé. L'amour, par sa
blessure, s'est emparé du cœur de Jésus époux, la mort d'amour eu a
pris possession.

b) L e C œ u r d e J é s u s est la m a i s o n d e l'amour ;
il fait b o n y habiter.
(La mort d'amour a pris possession du cœur de Jésus). Comment
donc l'autre mort pourra-t-elle y pénétrer ? Uamour est fort comme
la mort et même plus fort que la mort. L a première mort, c'est-à-dire
la mort causée par l'amour de beaucoup de morts, dilectio multo-
ram mortuornm, ne pourra donc être expulsée de la maison du cœur,
parce qu'elle l'a conquise d'une manière inviolable par sa blessure. Si
deux hommes également forts se rencontrent pour la lutte, et que l'un
soit dans la maison et l'autre dehors, peut-on douter de la victoire en

(1) C a p . n i , — (2) Cant, i v , y.

5
LA DEVOTION AU hACHL-CŒUU

L ' U N I O N DES C Œ U R S DANS L'AMOUR DIVIN

Cotto gravure est de Messager et de 1631. Elle est extraite de : Les


Elle est une
Kmblemes d'amour divin et humain ensemble... par un Père Capucin.
belle traduction, par l'image, de la doctrine de saint Bonaventure sur
•< l'unité de cœur avec Jésus ».
SAINT BOXAVEXTURE
71

faveur de celui qui est à l'intérieur ( 1 ) ? Jugez donc combien grande


est la force de l'amour, puisqu'il est le maître de la maison du cœur et
qu'il tue par la force de sa charité. Et cette force de l'amour se mani-
feste non seulement dans le Seigneur Jésus, mais encore dans ses servi-
teurs. Ainsi donc, depuis longtemps, il était blessé et mort, le cœur
du Seigneur Jésus, mis à mort à cause de nous, traité comme Vagneau
du sacrifice (ai). Elle vint cependant, la mort corporelle et elle vainquit
pour un temps, mais pour être vaincue pour l'éternité.
Mais, puisque déjà nous sommes entrés, une première fois, dans le
cœur de Jésus, et qu'il est bon d'y habiter (3), ne nous en éloignons pas
à la légère, car c'est de lui qu'il a été dit : ceux qui s^éloignent de vous
seront écrits sur la terre (4). Mais que réservez-vous à ceux qui
s'approchent de vous ? Nous nous approcherons de vous, dit le Cantique,
et, en vous, nous serons dans la joie et dans Vallégresse au souvenir (5)
de votre cœur. Oh ! qu'il est agréable d'habiter ( 6 ) dans ce cœur. Le
bon trésor, la perle précieuse, c'est votre cœur, ô très bon Jésus ; nous
l'avons trouvée en creusant le champ de votre corps. Qui donc dédai-
gnerait cette perle '? Que dis-je ? J e veux donner toutes mes perles, mes
pensées et mes affections, je les échangerai pour acheter cette perle.
Mon esprit tout entier, je veux le jeter dans le cœur du bon Jésus et
sans faute il me le nourrira (7).

3" L e C œ u r d e J é s u s e s t l e t e m p l e d e l ' a m o u r ;
l'unité d e c œ u r a v e c J é s u s .

Dans la suite du même chapitre de s a Vitis mystica, saint


Bonaventure développe cet autre axiome de s a mystique, que,
par l'amour, nous ne formons qu'un cœur, avec J é s u s . Cela
signifie, selon la doctrine exposée précédemment, que nous devons
adorer Dieu notre Père avec l'amour du Cœur de J é s u s , en lui
empruntant s o n amour. Cette doctrine s e r a reprise, sous mille
formes, par tous les mystiques.

a Dans ce temple, dit-il, clans ce Saint des Saints, dans celte arche du
Testament, j'adorerai et je louerai le nom du Seigneur, et j e dirai
avec David : J'ai trouvé mon cœur pour prier mon Dieu (8). Oui, j'ai
trouvé le cœur du roi, mon Seigneur, mon frère et mon ami, du très
bon Jésus, El alors ne prierai-je donc pas ? Oh ! oui, je prierai. Car sou

(1) Luc... \ I , il — (2) P s . X L I I I , î!2. — ( ' J ) M A T T I Ï . , X V I I , 4* — ( î ) J E » - , X V I I ,


1% — ( 5 ) Cant., I-'t. — (<>) P s . C X X V I I , i 5 . — (3) P s , u v , aH. — ( S ) P s . v , H.
l'a. L X V I I I , *h. e l 11 lieg., vu, 27.
72 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

c œ u r e s t a u s s i m o n c œ u r , j e le d i s h a r d i m e n t . S i , en effet, ou plutôt
p u i s q u e le C h r i s t est mon chef ( 1 ) ( m a t ê t e ) , c o m m e n t ce q u i a p p a r -
tient à m o n c h e f ne m ' a p p a r t i e n d r a i t - i l p a s a u s s i ? C a r , d e m ê m e q u e
les y e u x d e m a tête c o r p o r e l l e sont v é r i t a b l e m e n t m e s y e u x , a i n s i le
c œ u r d e m o n c h e f spirituel est v é r i t a b l e m e n t m o n c œ u r . 11 est d o n c
b i e n à moi. Voici d o n c q u e J é s u s et m o i n o u s n ' a v o n s q u ' u n seul c œ u r .
E t q u o i d'étonnant ? La multitude des croyants n'avaient-ils pas eux-
mêmes qu'an seul cœur (2) ? P u i s donc, ô t r è s d o u x J é s u s , q u e j ' a i
t r o u v é ce c œ u r q u i est à v o u s et à moi, j e v o u s prierai, ô m o n Dieu.
O u v r e z à m e s p r i è r e s le s a n c t u a i r e d e v o s l a r g e s s e s , b i e n p l u s , attirez-
m o i tout entier d a n s votre C œ u r . C e r t e s , l a difformité d e m e s p é c h é s
est un o b s t a c l e ; m a i s v o t r e C œ u r n'est-il p a s d i l a t é et a g r a n d i p a r u n e
i n c o m p r é h e n s i b l e c h a r i t é ? E t n'êtes-vous p a s celui qui seul peut rendre
pur l'homme formé d'un germe impur ( 3 ) ? O v o u s , la b e a u t é s a n s
é g a l e , lavez-moi d e p l u s en p l u s d e m o n i n i q u i t é et puriiiez-moi d e mon
p é c h é . A i n s i purifié p a r v o u s , j e p o u r r a i m ' a p p r o c h e r d e v o u s q u i êtes
t r è s p u r ; et. d a n s v o t r e c œ u r , tous les jours de ma vie, j e s e r a i d i g n e
d'habiter et de contempler aussi et de faire votre volonté ( 4 ) .

4° L e C œ u r de J é s u s est la s o u r c e de l ' a m o u r
t o u j o u r s v i s i b l e et toujours o u v e r t e .

A p r è s a v o i r m o n t r é q u e le C œ u r de J é s u s est p o u r le m o n d e
e n t i e r le f o y e r d e l ' a m o u r , q u ' i l e n e s t l a m a i s o n o ù il f a i t b o n
d ' h a b i t e r , le t e m p l e o ù n o s p r i è r e s s o n t e x a u c é e s , il v a m o n t r e r
qu'il est, p o u r c h a c u n d e n o u s , la s o u r c e d e ce m ê m e a m o u r inta-
r i s s a b l e et t o u j o u r s o u v e r t e . C'est p o u r n o u s l ' o u v r i r q u e la l a n c e
d u s o l d a t l'a b l e s s é .

« S i donc, s'écrie-t-il, il a été ouvert, votre côté (ô J é s u s ) , c'a été


p o u r n o u s en o u v r i r l'entrée ; s'il a été b l e s s é , v o t r e creur, c'a été p o u r
n o u s p r o c u r e r , d a n s cette v i g n e , u n e d e m e u r e à l'abri d e s t r o u b l e s
e x t é r i e u r s ; et m i e u x encore il a été b l e s s é pour que, par sa blessure
visible, la blessure invisible de l'amour nous devînt manifeste. C a r si
q u e l q u ' u n m e t d e l ' a r d e u r d a n s s o n a m o u r , c'est qu'il a été b l e s s é p a r
l'amour. E t q u e l m o y e n , m i e u x a p p r o p r i é ( p o u r J é s u s ) , d e m a n i f e s t e r
cette a r d e u r q u e d e p e r m e t t r e à la l a n c e d e b l e s s e r non s e u l e m e n t s o n
côté, m a i s e n c o r e s o n c œ u r . E t d o n c l a b l e s s u r e c h a r n e l l e r é v è l e la
b l e s s u r e s p i r i t u e l l e . C'est ce q u ' i n s i nue é l é g a m m e n t l'auteur d é j à cité,

(1) Ephex., iv, I 5 . — (•) Act., iv, 3A, — ('*) J o u , x i v , 4. — (4) P s . L , 4.


x x v i , 4) C X L I I , 10.
SAINT BONAVENTURE 73

q u i r é p è t e d e u x fois c e m o t : Ta m'a* blessé. D e c e s d e u x b l e s s u r e s ,


en effet, l a s œ u r e t l'épouse e s t c a u s e . C'est c o m m e s i l ' E p o u x d i s a i t
o u v e r t e m e n t : P a r c e q u e t u m ' a s b l e s s é d u zèle d e t o n a m o u r , l a l a n c e
d u s o l d a t m ' a a u s s i b l e s s é . Q u i , en effet, p o u r s o n a m i , s e l a i s s e r a i t
p e r c e r le c œ u r d'une l a n c e , s i a u p a r a v a n t il n'avait r e ç u l a b l e s s u r e d e
son a m o u r ? II d i t d o n c : «r Tuas blessé mon cœur, ma sœur, mon
épouse, tu as blessé mon cœur ( 1 ) . » M a i s p o u r q u o i l'appelle-t-il sœur
et épouse? N e pouvait-il p a s m o n t r e r s u f f i s a m m e n t s o n a m o u r d'époux
en l'appelant s e u l e m e n t s a s œ u r o u s o n é p o u s e ? — E t a u s s i , p o u r q u o i
é p o u s e e t n o n f e m m e , quare sponsa et non uxor, a l o r s q u e t o u s l e s
j o u r s , s a n s d i s c o n t i n u e r , l'Eglise e t toute â m e fidèle enfante à s o n
é p o u x , a u Christ, u n e g é n é r a t i o n d e b o n n e s œ u v r e s ? J e r é p o n d s en
p e u d e m o t s : d ' o r d i n a i r e l'amour d e s é p o u s e s e s t p l u s a r d e n t , p a r c e
q u e leur union est p l u s récente ; p l u s t a r d , a v e c l e t e m p s , l'amour lui-
m ê m e e n p r e n d à s o n a i s e . N o t r e é p o u x d o n c , afin d'insinuer l a
grandeur de son amour, qui ne diminue p a s avec le temps, appelle
s o n a m i e s o n é p o u s e , p a r c e q u e s o n a m o u r est t o u j o u r s n o u v e a u .
M a i s l'amour d e s é p o u x e s t c h a r n e l a u s s i ; afin d o n c d'écarter t o u t e
p e n s é e charnelle d a n s s o n a m o u r , n o t r e é p o u x a p p e l l e s o n é p o u s e d u
n o m d e s œ u r , p a r c e qu'il n'y a rien d e c h a r n e l d a n s l ' a m o u r qu'on
p o r t e à s e s s œ u r s . Il s'écrie d o n c : Tu as blessé mon cœur, ma sœur et mon
épouse, c o m m e s'il d i s a i t : « P a r c e q u e j e t'aime a r d e m m e n t c o m m e
u n e é p o u s e et c h a s t e m e n t c o m m e u n e s œ u r , m o n c œ u r a été b l e s s é à
c a u s e d e toi. »

S a i n t B o n a v e n t u r e v o i t d o n c d a n s le c œ u r d e J é s u s d ' a b o r d l a
m a i s o n d e l ' a m o u r ; d a n s c e t t e m a i s o n il f a i t b o n h a b i t e r ; c e c œ u r
e s t e n c o r e l e t e m p l e de l ' a m o u r o ù D i e u s e p l a î t à e x a u c e r n o s
p r i è r e s e t à l a v e r n o s i n i q u i t é s ; — enfin l a b l e s s u r e m a t é r i e l l e a
pour b u t de révéler l'amour du cœur spirituel. L e saint docteur
termine son chapitre en invitant rame chrétienne à la recon-
naissance.

5" A m o u r p o u r a m o u r ou le d e v o i r d e l a r e c o n n a i s s a n c e .

« Q u i donc n ' a i m e r a i t u n c œ u r a i n s i b l e s s é ? Q u i n'aimerait d e


r e t o u r u n c œ u r s i a i m a n t ? Q u i n ' e m b r a s s e r a i t u n a m i s i c h a s t e ? Elle
a i m e , c e r t e s , le d i v i n b l e s s é , celle q u i , b l e s s é e à s o n t o u r d u m ê m e
a m o u r , s'écrie : « J'ai été blessée par r amour ( 2 ) ! » Elle a i m e d e r e t o u r
s o n é p o u x b i e n - a i m é , celle q u i dit : « Annonces à mon bien-aimé que je

( 1 ) CanL, iv, 9 — ( 2 ) Cant, n, 5.


74 LA D É V O T I O N A U S A C R É - C Œ U R

languis d'amour ( i ) . » — Nous donc, qui vivons encore dans la chair,


autant que nous pouvons, aimons de retour Celui qui nous a tant aimés ;
embrassons Celui qui a été blessé pour nous, Celui dont les laboureurs
impies ont percé les pieds et les mains, le «Hé et le cœur ; prions afin
qu'il daigne enserrer dans les liens de son amour notre cœur encore
dur et impénitent et le blesser des traits de sa charité. Amen. »

Dans son opuscule, L'Arbre de Vie, Lignum Vitœ, saint Bona-


venture trouve de nouveaux accents pour exprimer sa dévotion
au Cœur de J é s u s . Voici ses paroles (2) :

« Or, afin que du côté du Christ endormi sur la croix l'Église naquit
et que fût accomplie l'Écriture qui dit : «r Ils regarderont celui qu'ils
auront transpercé » ('}), dans les conseils divins, il fut décidé qu'un
soldat ouvrirait ce côté, en le transperçant. De la sorte, le sang s'étant
mis à couler avec l'eau, le prix de notre salut se trouva versé. Sorti de
sa source, c'est-à-dire de l'arcane du cœur, il a donné aux sacrements
de l'Église la forcé de produire la vie de la grâce, et il est devenu,
pour ceux qui vivent dans le Christ, le breuvage d'eau vive jaillissant
de la fontaine, pour la vie éternelle (4). Voici donc que la lance pro-
jetée par la perfidie de Saùl, c'est-à-dire du peuple juif réprouvé, a
ouvert une blessure béante dans la muraille ( 5 ) , elle a fait un trou
dans la pierre, une caverne dans le mur, comme pour servir d'habita-
tion à la colombe ( 6 ) .
Lève-toi donc, bien-aimée du Christ, sois comme la tourterelle qui
fait son nid au sommet de l'ouverture ( 7 ) ; tiens-toi là comme le passe-
reau qui a trouvé une maison (8) ; veille sans cesse ; comme la tour-
terelle, caches-y tes petits nés d'un chaste amour, appliques-y tes
lèvres afin d'y puiser les eaux des sources du Sauveur (9). Car il est
la source qui, jaillissant du milieu du Paradis, se divise en quatre
branches (10) et se répand dans les cœurs dévots, les féconde et arrose
toute la terre.

Cette ardeur de l'amour du Cœur de J é s u s , que la blessure


a pour mission de nous révéler, avait frappé tout spécialement le
séraphique docteur. E t , pour comprendre toute s a doctrine sur ce
point, il faut savoir qu'il aimait, comme saint Antoine, à se repré-
senter la personne du Christ et son rôle dans la création, sous

(1) CanL, v , 8. — (2) Fructwt octaviis Jésus tran&lanceatus. — (3) ZACH.,


XII, 10, et JOANN., X I X , 37. — (4) J O A N N . , I V , 4- — (5) I Reg., xix, 10. —
(6) Gant., 11, 14. — (7) J K R . , X L V I H , 28. — (8) P s . L X X X I I I , 4. — (9) I s . . x n , i3.
— (10) Geii., 11, 10.
SAINT BONAVENTURE

l'image du soleil qui illaminé le monde. Il s'en explique tout


particulièrement, dans la treizième conférence de THexaérneron.

« Au sens allégorique, dît-il ( i ) , le soleil signifie le Christ. Le soleil


se lève et se couche, oritur sol et occidit (2) ; le Christ, lui aussi, se
lève au jour de sa nativité, et il se couche au jour de sa mort. Le
soleil accomplit son mouvement ascendant vers le midi, gyrat per
meridiem ; tel le Christ dans son ascension. Le soleil s'infléchit vers
l'aquilon, Jlectitur ad aquïlonem, et il représente ainsi le Christ, a u
jour du jugement. De sa première course le prophète Michée a écrit :
« Il s'élèvera, pour vous qui craignez mon nom, un soleil de justice et
le salut sera dans ses rayons, orietur vobis timentibus nomen meum
soljustitia* et sanitas in pennis ejus. » De sa seconde course il a été
écrit : « Le soleil se couchera pour eux en son midi, Occidet eis sol in
meridie. » En plein midi, le soleil s'est couché pour les Juifs. Le Christ,
en effet, a été dans sa plus grande force, après sa résurrection et son
ascension ; c'est alors que les Juifs ont été aveuglés. Enfin à la phase
du jugement se rapporte cette parole de Jacob : « Le soleil s'est levé
avec ardeur et la fleur est tombée et le foin s'est desséché , exortus est
sol cum ardore et eecidit ftos etfœnum aruit. »

L e saint docteur aime à revenir sur cette image du Christ


soleil. D a n s son Arbre de' çie, il y insiste plusieurs fois. S'il
raconte la mort du Christ, il donne pour titre à son récit : Jésus,
soleil pâlissant par la mort, et il commence ainsi :

a Enfin l'Agneau innocent, qui est le vrai soleil de justice, était


resté suspendu en croix l'espace de trois heures ; et, au même moment,
ce soleil visible (de notre monde), compatissant à son créateur, avait
caché les rayons de sa lumière. »

Dans le neuvième fruit, quand il décrit les gloires de la Résur-


rection, il ramène la même image. II rappelle une parole du
Sauveur concernant les justes ressuscites :

« Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de


mon Père. Si chaque juste, dit-il, doit briller comme le soleil, quel
sera, croyez-vous, l'éclat du soleil de justice lui-même? Il sera si grand,
je l'affirme, qu'il dépassera en beauté le soleil ; et, dépassant toute
l'armée des étoiles, par la splendeur de sa lumière, il sera la principale
merveille des cieux. »

(1) In Hexaem., Coll. x i n , 26. — (2) Eccli., 1, 5 et 6.


L A DKVOTIOX AU SACRK-CŒUR

i° Portrait de saint Bonaventure avec ses armes, d'après Gonzaga,


De Origine séraphin* religionis, p. 7 7 , Catalogus eornm cardinalivm
qui ex franciscano ordine prodierunt. Rome, 1587.

0
2 Sceau de la province de Corse, portant le tau, I II S avec H sur-
monté d'une croix et le monogramme primitif X P S. Une tradition,
consignée dans Gonzaga, fait remonter ces armes à saint François et à
Jean Parenti. Dans son ouvrage, Gonzaga donne quatre-vingt-onze
sceaux dont neuf ont le monogramme sans croix ; quatre, le mono-
gramme avec croix ; six, les stigmates ; trois les cinq plaies.
SAINTE MARGUERITE DE CORTONE
77

Ce titre de soleil du monde spirituel que saint Bonaventure


avait décerné au Christ J é s u s dans ses écrits, il voulut plus tard
le fixer p a r l i m a g e . Nommé cardinal, peu de temps avant s a
mort, il prit pour armes le nom de J é s u s dans un soleil, avec cette
devise, dont il est facile d'interpréter le double sens : Soli Deo
honor et gloria, A Dieu seul honneur et gloire, ou mieux, selon
la pensée du grand docteur, au Dieu soleil (des âmes, au Christ)
honneur et gloire.
L e Christ est le soleil des âmes ; il répand, par le monde, la
lumière et l'amour. L e Cœur de J é s u s est la demeure, le temple,
le foyer de l'amour, p a r lequel il a tant aimé son Père et tant
aimé les hommes. C'est à ce foyer que toute créature doit venir
chercher l'amour, si elle veut devenir capable d'adorer dignement
la majesté du Très-Haut, de rendre à J é s u s lui-même amour
pour amour, de pratiquer la charité fraternelle et d'entrer en
possession de la vie divine.
Telle est la doctrine de saint Bonaventure sur le Sacré-Cœur.
Elle est complète et sans défaillance. L e s siècles à venir ne feront
que la commenter, sans y rien ajouter de nouveau.

S A I N T E M A R G U E R I T E D E CORTONE (1251-1297)

Sainte Glaire pratiqua pour elle-même et avec ses sœurs à l'in-


térieur du cloître la dévotion au Sacré-Cœur. Sainte Marguerite
de Cortone, tertiaire franciscaine, fut gratifiée, comme la bien-
heureuse Marguerite-Marie quatre siècles plus tard, de visions
•célestes où J é s u s lui révéla son Cœur et lui conféra la mission de
prêcher au monde la dévotion à ce Cœur sacré et de porter les
prédicateurs à la prêcher avec elle.
Un jour le Christ lui apparut, lit-on dans les Bollandistes ( i ) ,
il se montra sous la forme du Crucifix, et il lui dit : « Mets tes

( ï ) Act Sanct., t. I I I , F e b r . , p . 335, R.


LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

mains sur les ouvertures que les clous ont faites à mes mains. »
Et comme Marguerite, tout intimidée, répondait « Oh! non,
mon Seigneur, » aussitôt le bien-aimé J é s u s ouvrit la blessure du
côté ; et, dans cette caverne, Marguerite aperçut le Cœur de son
Sauveur. Ravie en extase, elle embrassa son Seigneur crucifié et
se sentit entraînée par lui et enlevée au ciel. E t elle l'entendit qui
lui disait : « Ma fille, de ces blessures recueille des enseignements
qui puissent servir aux prédicateurs qui les transmettront aux
fidèles. »
E t un autre jour, il lui commanda d'annoncer à tous l'amour
de son Cœur. « D a n s cette mission que j e te confie, lui disait-il, tu
auras beaucoup à souffrir. Cependant n'hésite p a s . »

« Crie et proclame que c'est par amour pour vous que je suis
descendu du sein de mon Père, dans le sein de la Vierge Marie, clama
igitur, filia, quod vestri amore captas, ego de si au Patris descendi in
uterum Virginia.Proclame les douleurs de la circoncision, l'adoration
des Mages, mon oblatiou au Temple, ma fuite en Egypte... Proclame
ma sueur de sang dans la Passion,... ma flagellation... mon crucifiement
entre deux larrons... Proclame qu'au milieu de tant d'angoisses mon
cœur s'est desséché et qu'ils m'ont servi un breuvage de fiel... Proclame
que, après ma mort, mes cruels ennemis, sans pitié, percèrent mon
côté d'une lance et qu'il en jaillit du sang et de l'eau, prix de la
Rédemption des âmes. Mais je veux que, à l'occasion de toutes ces
œuvres de ma bonté, tu redises que mon seul amour pour les âmes
m'a porté à faire ou à endurer toutes ces choses ( i ) .

Dans cette p a g e , si touchante qu'elle soit, dira-t-on, il est


bien question de l'amour de J é s u s et l'on y sent, dans s a pléni-
tude, la dévotion à cet amour qui a tant aimé les hommes. Mais
où est donc la dévotion à son Cœur de chair ?
Cette dévotion n'est point absente du p a s s a g e cité. Qu'on
veuille bien le relire.. L e Cœur y a été nommé deux fois. E t , la
seconde fois, J é s u s insiste sur ce fait que, de ce Côté transpercé,
jaillit l'eau et le sang, le prix de la Rédemption des âmes. Et il

( i ) Sancta Margarita Cartonewtis, Legenda antiqua, anctore Giunta


Bevegnati, cap. v, i3.
SAINTE MARGUERITE DE CORTOXE
79

termine sur ces paroles. N'était-ce p a s une invitation à l'humble


tertiaire d'aller chercher l'amour dans ce divin Cœur ?
Il est certain que Marguerite le comprit ainsi ; car, peu après,
dans le même chapitre ( i ) , son historien et confident nous la
montre demandant à J é s u s de l'introduire dans son cœur, afin
d'y trouver l'amour. Qu'on lise attentivement cette page déli-
cieuse :
L e 3 juin 1 2 9 1 , après la sainte Communion, elle entra en
extase, et le Christ lui apparut et lui dit :

« J e suis le Pain de Vie qui est descendu des cieux ; je suis l'Agneau
de Dieu qui efface les péchés du monde. Veux-tu venir vers mon
Père?
— Quand je suis avec vous, Seigneur, répondit Marguerite, je suis
avec le Père et avec PEsprit-Saint.
— Crois-tu qu'il en soit ainsi? lui dit le Seigneur.
— Seigneur, vous savez toutes choses, reprit Marguerite, vous savez
que je le crois.
— Afin donc que tu ne doutes pas, lui dit Jésus après l'avoir bénie,
salue ma Mère. »
Et Marguerite récita Y Ave Maria, jusqu'à Benedictus fractus ventris
tuL Et après qu'elle eut achevé la salutation, Jésus lui dit :
« Ma fille, m'aimes-tu ?
— Non seulement je vous aime, Seigneur, répartit Marguerite,
mais je désire même, s'il pouvait vous plaire, être dans votre Cœur.
— Pourquoi veux-tu entrer dans mon cœur, reprit Jésus ; et pourquoi
ne pas entrer dans la blessure de mon côté ?
— Seigneur Jésus-Christ, répondit Marguerite, si je suis dans votre
cœur, je serai dans la blessure de votre côté, dans la place de tous les
clous, dans la couronne d'épines, dans le fiel et le vinaigre, dans le voile
(de dérision) placé sur vos yeux vénérables.
— Ma fille, m'aimes-tu ? reprit encore le Seigneur.
— Non, Seigneur, répondit Marguerite.
— Quand donc m'aimeras-tu ? lui dit Jésus.
— Seigneur, reprit Marguerite, je vous aimerai, quand j'éprouverai,
dans mon corps, une part si cruelle des douleurs que vous avez souf-
fertes pour moi, que, joignant les mains, je sentirai mon âme se séparer
de mon corps. »

Et Jésus l'interrogea une troisième fois,

( i ) C h a p . v, u. 42.
8o LA. D É V O T I O N A U SACRÉ-CŒUR

« M'aimes-tu ?
— Seigneur, répondit Marguerite, si je vous aimais, je vous servirais.
Et je crois qu'aucune créature jamais ne vous aima autant que vous le
méritez.
— Tu dis la vérité, reprit Jésus.
— Je voudrais non seulement vous aimer, lui dit Marguerite, mais
s'il était possible, je voudrais faire plus que vous aimer, je voudrais
seulement avoir une étincelle de votre amour ( i ) . »

Ici Marguerite demande à franchir le second échelon de


l'amour qu'on puise au Cœur de J é s u s : après lui avoir rendu
amour pour amour, elle voudrait être unie à l'amour qui brûle
dans le Cœur de J é s u s et qui est un amour d'immolation pour la
gloire de Dieu.
E t J é s u s , tenant s a prière pour agréable, lui demande sous
quelle forme d'immolation elle veut vivre son amour :

« Veux-tu mourir comme le bienheureux André ?


— Seigneur, faites-moi mourir comme vous voudrez, pourvu que
je meure dans cette douleur que je désire tant ; car, si je mourais dans
cette douleur, je me sentirais alors crucifiée, et c'est ce que j'estime
pour moi le plus convenable...
— Veux-tu sentir la sueur (de mon agonie) ? »
Et Marguerite ne répondit point à cette question, parce qu'elle
aurait voulu communier à toutes les douleurs do la Passion ?

Certes la dévotion de la sainte tertiaire de Gortone, non plus


que celle de sainte Claire, de saint Antoine ou de saint Bona-
venture, ne fut p a s exclusivement dirigée vers le Cœur de J é s u s .
Elle embrassait tous les mystères de l'Homme-Dieu, et elle les
méditait comme on fait aujourd'hui dans le Rosaire, en s'aidant
de la récitation du Pater ( a ) . Cependant, on ne peut le nier, elle
pratiqua une dévotion spéciale au divin Cœur ; elle proclama
au monde l'amour de ce Cœur S a c r é pour les hommes et ses

i ) Antiqua Legenda, p a r G . BEVEGNATI, c h a p . v, 4a«


! a) E U e a v a i t d i v i s é l ' œ u v r e d e l a R é d e m p t i o n e n p l u s d e cent m y s t è r e s ,
qu'elle m é d i t a i t , en r é p é t a n t le Pater Noster. E l i e récitait, c h a q u e j o u r ,
280 Pater, Ave Maria et Gloria Patri (Cf. Giunta Bevegnati, ch. vr, 3-i4).
UAve Maria, tel qu'eUe le r é c i t a i t , n e c o m p r e n a i t q u e l a p r e m i è r e p a r t i e
d e p u i s Ave Maria, j u s q u ' à ventris tui. E l l e d i s a i t cinq Pater et Ave, a p r è s
c h a q u e r e p a s , en l'honneur d e s cinq p l a i e s .
UBERTIN DE CASA LE 81

richesses de salut ; elle demandait à J é s u s de la faire habiter dans


son intérieur pour s'enflammer de ses ardeurs. N'est-ce p a s là
toute la dévotion au Cœur S a c r é , telle que nous l'entendons
aujourd'hui? D'un côté, le culte de reconnaissance et de c o m p a s -
sion pour le Cœur qui a tant aimé les hommes ; de l'autre, le
culte d'union à l'amour de J é s u s qui s'immole pour plaire à Dieu
et faire sa volonté.

U B E R T I N D E C A S A L E (1248-1301)

Ubertin de Gasale se donna la tâche de résumer toute la doc-


trine de ses devanciers sur le Sacré-Cœur et il la compléta encore
par des aperçus nouveaux empreints de la plus haute inspiration.
L'ouvrage où il e x p o s a ses idées est ÏArbor çitœ crucifixœ Jesu*
E t il déclare lui-même que l'objet de ce livre sera de raconter
« les douleurs du Cœur de Jésus, cordiales dolores Jesa » . Il le
termina en i3o5. Il y raconte également les douleurs du Co»ur de
Marie. Il s'y montre l'apôtre de ces deux Cœurs. Nous allons le
suivre dans ce double apostolat.

1° L ' A p ô t r e d u C œ u r d e J é s u s .

Durant son noviciat, Ubertin prit l'habitude de consacrer chaque


jour de la semaine à contempler sous l'un de ses aspects le mystère
de notre Rédempiton. L e lundi il méditait s u r la chute du genre
humain, le mardi sur la naissance de J é s u s , le mercredi sur les
autres épisodes de la vie de J é s u s j u s q u ' à l a Transfiguration; le
jeudi, sur la Transfiguration j u s q u ' à la Cène; le vendredi était con-
sacré à la Passion, et « j e buvais, dit-il, l'eau qui coule de la source
ouverte de son cœur, bibebam aquam deaperta vena cordis ipsius ;
le samedi, il méditait sur le Christ a u tombeau et aux enfers, et le
dimanche, sur la Résurrection.
L'usage de consacrer le vendredi à la Passion et au Sacré-
Cœur était donc déjà pratiqué par Ubertin de Casale, dès son
noviciat, à l'âge de 14 ans, et par conséquent dès 1262.
8a L A D É V O T I O N ATT S A C R É - C Œ U R

Afin de ne p a s nous répéter, nous ne dirons rien de cette


partie de la doctrine d'Ubertin, qui lui est commune avec saint
Antoine et saint Bonaventure. Pour lui comme pour eux le Cœur
de J é s u s est le soleil de l'amour, il est le tabernacle admirable où
il fait bon habiter. « Réjouis-toi donc, ô mon àme, s'écrie-t-il ( i ) ,
dans le Cœur de ton J é s u s . . . E n lui, tu es ce que tu es ; et, hors
de lui, tu ne peux être rien, puisqu'il est pour toi toutes choses.
Il est ton ciel... il est ta terre... il est la fontaine... il est l'air
vivifiant.., il est ton trésor, ton aliment, le lit de ton repos,
ton époux, ta lumière, ton père. Il est tout pour toi... x>
Ubertin de Casale a connu les deux aspects, les deux éléments
essentiels de la dévotion au Sacré-Cœur, et il les a unis insépara-
blement. Quand il expose cette parole du Christ en croix :
« T ai soif», il attribue cette soif au Cœur de J é s u s , brûlant d'un
amour insatiable pour les hommes et pour son Père.

« Ah ! s'écrie-t-il ( 2 ) , (par ce cri : j'ai soif!), il veut élever nos esprits


à la pensée d'une soif bien autrement ardente allumée dans son cœur
par le feu de sa charité.
« C'est comme s'il criait aux pécheurs : Voyez dans mon corps, il
n'y a plus de place pour la douleur ; dans ma vie, plus de place pour
l'humiliation ; c'est ainsi que je vous ai témoigné mon amour. Et pour-
tant ce cœur a soif de faire encore plus pour vous, si c'est possible.
Pour vous il voudrait souiïrir mille morts encore plus cruelles et plus
ignominieuses.
« C'est encore comme s'il eût crié à Dieu son Père : Mon Père, j'ai
fait connaître votre nom. J'ai accompli l'œuvre que vous m'avez confiée ;
ce sang que vous aviez mis dans mes veines, je l'ai répandu jusqu'à la
dernière goutte ; ma mort approche et pourtant j'ai soif de faire plus
encore pour vous, s'il était possible...
« Secoue donc ta torpeur, ô mon âme rachetée par la mort de Jésus-
Christ, et paie d'un juste retour la charité de son Cœur. »

Aujourd'hui on s'efforce d'introduire dans l'Eglise la dévotion


au Cœur Eucharistique de J é s u s ; Ubertin de Casale en a donné la
formule doctrinale, il y a six siècles :

(1) L . I, ch. i x .
(2) Le Sacré-Cœur de Jésus. Etudes J'ranciscaines. p a r IIKNIU DE GRÈZES,
p . J23-134.
UBERTIN D E CASALE 83

« Tout sacrifice visible, écrit-il dans son Arbor vitœ, est le sacre-
ment, c'est-à-dire le signe sacré d'un sacrifice invisible. Ainsi le
sacrifice ineffable que le Christ fait de lui-même tant dans l'auguste
mystère de nos autels que sur l'autel de la Croix, est le signe du
sacrifice invisible qu'il fait continuellement de lui-même dans le
temple immense de son cœur, intemplo latissimo Cordis sui ( i ) . »
Enfin Ubertin de Casale comprit si bien l'économie provi-
dentielle de la dévotion au Sacré-Cœur, qu'il prédit ce que nous
voyons réalisé aujourd'hui, qu'elle serait l a consolation des der-
niers siècles de l'Église.
A u livre troisième de son Arbor vitœ, il commente le sommeil
de J e a n sur l a poitrine de J é s u s , au jour de la Gène (2).

« O heureux sommeil ! s'écrie-t-il. Repos extatique de la sainte


contemplation ! Il est le présage et la figure des bienfaits inestimables
que Dieu doit répandre, à la On des temps, sur les âmes de ses fidèles.
« Oui, à la fin des temps, l'Église sera élevée à une contemplation
si suave, qu'elle reposera en vérité sur le cœur de Jésus. »

E t ailleurs, dans le même traité :


« Alors il y aura, dans l'Église, des légions d'àmes généreuses, qui,
enivrées des douceurs du repos goûté sur le Cœur de Jésus, ne respi-
reront que pour leur divin Maître et travailleront merveilleusement
pour lui.
« N'est-ce pas de ces âmes que parlait le roi-prophète quand il
chantait : Cum dederit dilectis suis somnum (3)... Les bien-aimes,
quand le Seigneur les aura favorisés du sommeil divin sur le Cœur de
Jésus, seront son véritable héritage ; car ils répudieront tout ce qui
n'est pas lui ; ils seront ses vrais enfants, car ils porteront le sceau de
sa divine ressemblance... Tels des flèches dans la main d'an archer
puissant et habile, ainsi seront ces descendants des apôtres. Les ado-
rateurs du Cœur de Jésus seront comme des flèches choisies entre les
mains du tout-puissant Sauveur. Il les lancera sur ses ennemis pour
les terrasser, pour détruire en eux le péché, les convertir et les
sauver (4). »

( 1 ) 1 \ H. DE GHÙZKS. Le Sacrô-Cœur de JCHUS, p . 117.


(3) Arbor Vitn\ 1. I I I , ch. v u ,
O) P s . 136.
s e
( j ) N'est-ce i>as 1 ° a s m ê m e d e s p r o m e s s e s faites p a r Je S a o r ê - ^ œ u r à
la bienheureuse Marguerite-Marie ? « J e donnerai a u x prêtres (dévots à mon
C œ u r ) l e talent de toucher l e s c œ u r s l e s p l u s e n d u r c i s . »
84 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Ces vues sur l'avenir de la dévotion au Sacré-Cœur, ces


paroles prophétiques ne complètent-elles p a s merveilleusement
les enseignements des saints Antoine et Bonaventure, des saintes
f
Claire et Marguerite. A u moment où le xni siècle s'achevait, le
culte du Sacré-Cœur était constitué sur ses bases définitives ;
ses fidèles avaient déjà leur nom : les adorateurs du Cœur de
Jésus. Il ne restait plus rien à ajouter.
Le rôle des siècles à venir sera de répandre ce culte dans le
peuple chrétien et de le faire adopter dans la liturgie officielle
de l'Eglise.

L'archer du Sacré-Cœur.

Gravure de Messager
dans Emblèmes de l'amour divin et humain ensemble (I63I).

3o2-i4. — I m p r i m e r i e d e s O r p h e l i n s - A p p r e n t i s d ' A u t e u i l , F . BLÉTIT,


4o, r u e L a F o n t a i n e , P a r i » .
UBERTIN D E C A S A L E 8l

UBERTIN DE CASALE (Suite)


( 1 2 5 9 - 1 3 2 3 et a u delà, d ' a p r è s E . F . , X I I I , 196)

2° L ' A p ô t r e d u C œ u r d e M a r i e c o m p a t i s s a n t .
Dans sa dévotion au Cœur de J é s u s , Ubertin de Casale
ne fît que suivre les traditions de son Ordre. Il est un autre
terrain sur lequel il se montra initiateur. Au champ fécond de
l'Évangile et du Calvaire, son regard contemplatif sut découvrir
une nouvelle source de grâces intarissable, le Cœur de Marie,
Mère de J é s u s .
L e Cœur de J é s u s , à ses yeux, était, pour tous les hommes,
le principe du salut, parce que, depuis s a conception jusqu'à sa
mort, il avait porté les douleurs d e l à Passion et d e l à Croix.
Or le Cœur de Marie, d'après lui, par l'exercice continuel de la
compassion auquel la Vierge s'appliqua toute s a vie, fut pour
ainsi dire la réplique du Cœur de J é s u s , et, en participant à ses
douleurs, il participa à l'œuvre de notre salut. Ce Cœur nous
enseigne, en effet, comment nous devons compatir aux souffrances
du Sauveur et il supplée à notre insuffisance.
Nous allons, d'après les propres paroles d'Ubertin, résumer
sa doctrine. Il nous dira : i ° que la douleur du Cœur de Marie
fut immense, parce que immenses furent les douleurs de J é s u s ,
auxquelles Marie compatissait ; 2° cette douleur fut un don du
Saint-Esprit, dû à sa pureté ; 3° cette douleur de compassion ne
fut pas sans joie, bien au contraire, car elle est l'unique sentier
qui conduit aux délices ineffables des joies spirituelles.

L e Cœur de Marie. — Ses douleurs immenses.

L e chapitre, où Ubertin de Casale développe ses aperçus sur


le Cœur de Marie, traite de la compassion de Jésus pour sa
Mère, Jésus matri compatiens. E t comme les souffrances de
Marie n'étaient p a s dans son corps, mais dans son cœur, il est
amené naturellement à décrire les souffrances du Cœur de Marie.
82 LA DÉVOTIOX AU SACRE-CŒUR

« Oui vraiment, ô bon Jésus, dît-il, ce fut pour vous une grande
amertume et une nouvelle croix de voir près de vous votre Mère.
Cette croix vous l'avez prise à notre place, parce qu'il n'est aucune
créature, attendu que toutes lui sont inférieures, qui soit capable de
mesurer les douleurs de son Cœur, doloris Cordis ejas mensurare
sufficiat. Vous seul avez su compatir, selon la juste mesure, à votre
très chère Mère et vous l'avez fait pour vous et pour nous, ses fils
misérables et indignes. Et votre tourment s'en trouva encore accru,
car, de cette façon, vous fûtes mortellement crucifié non seulement
en vous-même, mais encore dans le Cœur de votre Mère.
a Afin de comprendre un peu, ô mon âme, combien grande fut la
douleur du Cœur de Jésus, compatissant aux tourments de sa Mère
chérie, mesure, si tu peux, combien grande fut la douleur dans le
Cœur de cette Vierge. Son Cœur, en effet, non seulement ne rencontra
aucun motif de consolation, mais il trouva tout motif d'augmenter sa
peine. »

Pour faire comprendre quelle fut la douleur du Cœur de J é s u s


et du Cœur de Marie, Ubertin de Casale entre dans de très
beaux développements sur l'amour divin dans le Cœur du Christ,
et il montre que cet amour, parce qu'il était divin, causa en son
Cœur des douleurs sans mesure. Ce sont ces douleurs, qui, p a r
compassion, furent ressenties dans le Cœur de Marie. Ecoutons
ses paroles :

« Tous les biens célestes dont nous pouvons jouir, le Christ a dû


nous les acheter par ses souffrances, Chrisli acquiruntur dolore.
Aussi, se vit-il obligé, selon les conseils de sa sagesse, d'attirer sur
lui-même autant de douleurs qu'il était nécessaire pour nous les
mériter.
« Or c'est l'amour qui mesure la douleur, car plus on aime
quelqu'un, plus on souffre de le voir offensé. Mais le Christ, en vertu
de son union hypostatique ( i ) , aimait Dieu d'une manière inestimable ;
il eut donc à souffrir d'une manière incommensurable, puisque son
amour était sans mesure.
et Pour vous représenter, en quelque façon, cette immensité,
supposez qu'il existât un Dieu, qui fût tout entier douleur, si esset
amis Deas qui esset totus dolor, comme le vrai Dieu est tout entier
amour, sicut vents Deus est totus amor ; supposez encore que ce Dieu
de douleur fût uni au Christ par l'union hypostatique et qu'il

( i ) L ' u n i o n h y p o s t a t i q u e est l'union d e d e u x n a t u r e s d a n s u n e s e u l e


| ) e r s o n n e , c o m m e elle s e t r o u v e d a n s l e C h r i s t J é s u s .
UBERTIN DE CASALE 83

déversât en lui toutes ses douleurs. Estimez alors ses souffrances. Cette
image peut vous aider à comprendre l'immensité des douleurs du Christ.
« Ce que je viens de dire pour le Christ, dans son humanité,
faites-en l'application à sa très révérende Mère et vous saurez ainsi
que, par la grâce de l'Esprit-Saint, elle fut admise à porter les dou-
leurs de son Jésus dans une mesure qui dépasse toute mesure et toute
puissance créée. »

L a d o u l e u r a u C œ u r d e M a r i e fut un d o n d u S a i n t - E s p r i t .

Ubertin de Casale v a prouver maintenant que cette immense


douleur dans le Cœur de Marie fut un don de l'Esprit-Saint.
Mais, comme le spectacle d'une telle douleur serait de nature à
effrayer et décourager les âmes, il ajoute aussitôt qu'avec
cette douleur immense l'Esprit-Saint répandit dans le Cœur de
Marie une joie non.moins immense. Et il part de là pour établir
cette grande loi de la mystique chrétienne, dont la tradition se
retrouve surtout chez les écrivains de la famille franciscaine,
à savoir que l'unique sentier par lequel l'Esprit-Saint conduit
les âmes en possession des joies ineffables de la vie spirituelle,
c'est la Croix de Jésus-Christ, quand elle est portée courageu-
sement avec lui. Écoutons l'illustre fils de saint François.

« Plus une âme, dit-il, est purifiée de tous ses vices, mieux elle
ressent les douleurs de la Croix du Christ. Et la raison, c'est qu'un
tel crucifiement ne peut venir en elle que par l'action de l'Esprit-Saint.
Car cette douleur est une opération de l'Esprit-Saint, dans l'âme. Or
une âme adonnée aux vices ne laisse pas agir l'Esprit-Saint ; mais
continuellement elle se révolte contre lui, elle lui résiste de toute la
force de ses habitudes vicieuses. Elle discute, elle oppose des doutes,
elle allègue que le Christ n'eut pas de raisons de porter de telles
douleurs dans son Cœur ni dans son corps ; qu'il n'est pas si nécessaire
de tant se tourmenter continuellement pour s'unir ainsi à ses douleurs.
Aussi, sous prétexte de meilleur profit, mais, en réalité, pour obéir
à leurs passions, beaucoup détournent leur cœur de cette contem-
plation et s'appliquent à d'autres méditations qui distraient l'esprit et
détruisent les célestes impulsions de la grâce. Néanmoins aveuglés par
leurs vices, ils répètent qu'ils servent mieux le Seigneur de cette
façon. Aussi sont-ils cause qu'ils ne goûteront jamais à la coupe
immense des douleurs du Christ Jésus et qu'ils n'auront jamais
l'expérience de ses vertus » .
84 LA D É V O T I O N A U SACRÉ-CŒUR

L ' e x e r c i c e d e l a C o m p a s s i o n fut, p o u r l e C œ u r d e M a r i e ,
la v o i e d e s p l u s hautes d é l i c e s .

(Ceux qui rejettent la pratique de la Compassion), dit Ubertin,


prétendent trouver ailleurs des consolations plus hautes ; et, sous ce
prétexte, ils abandonnent l'exercice des vertus difficiles et ils éteignent
en eux l'opération de l'Esprit-Saint. Et pourtant il n'est pas dépourvu
des sublimes douceurs de la divinité, ce crucifiement avec le Christ.
Que dis-je ? Plus complète est la transformation de rame à l'image
du Christ soulfrant et crucifié, plus entière est sa transformation à
l'image du Dieu très haut et très glorieux.
« Le Sauveur n'a-t-il pas dit : « Là où je suis, je A*eux que mon
serviteur soit aussi avec moi » ? A une âme qui se renonce pour
suivre uniquement sa volonté, comme doit faire tout bon serviteur,
le Christ accorde la participation de sa double condition. Sur terre
il vécut, en même temps, dans l'état d'exil et dans l'état de gloire,
sirnui fait viator et comprehensor ; dans la même partie de son âme,
il éprouva, en même temps, la suprême béatitude et les suprêmes
souffrances. Eh bien, à une âme parfaitement purifiée, parfois Dieu
accorde la parfaite transformation en ses douleurs et la parfaite jouis-
sance de sa béatitude. »

E t Ubertin de Casale enseigne que saint François, de p a r la


stigmatisation, fut admis, selon toute probabilité, à ce privilège.
E t il fut le signe manifeste donné par Dieu au monde, pour lui
faire comprendre que les joies célestes pour Vhomme, signifiées
par la forme du séraphin, ne vont point sans les épreuves de la
souffrance, signifiées par la forme du crucifix ( i ) . E t il continue :

« Aussi le Christ, après avoir pris sa croix, dès le sein de sa mère,


et l'avoir portée continuellement dans son Cœur, et l'avoir extériorisée
par mille austérités dans son corps, ne voulut jamais dire : ce Tout est
consommé » , jusqu'à l'heure où, tout son sang ayant été répandu,
son corps ayant été tout déchiré, attaché à la croix et perdu de
douleur, il l'abandonna sans vie... »
« Et donc ils se trompent beaucoup ceux qui espèrent goûter quelque
chose des douceurs divines, sans entrer par la porte de la croix très
sainte, unde multum errât qui crédit se aliquid degustare divinum,
nisi per ostium introducatur sacratissimœ erneis »

( i ) A p p a r a î t c u i m c r u c i f i x u s pariU'i» et a l a l u s . . . u t L a c apporiticme o s l e n -
deret q u o d F r a n c i s c a i n et c a r n e crucifigeret et m e n t e t r a n s f o r m a r e t in s u o s
i n a b y s s a l e s d o l o r e s et a n a g a g i c o s et flammeos a r d o r e s et s e r a i i e o s g u s t u s
formaret.
UBERTIN D E CAS AXE 85

Saint François recevant les stigmates

e
Initiale d'un Vespéral fransciseain du xni siècle. Première lettre
de l'hymne de l'Epiphanie : O sala magnarum iirbiam.

Là ou je suis, je veux que mon serviteur soit aussi avec moi.


86 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

A p r è s cette d i g r e s s i o n sur l a n é c e s s i t é de p o r t e r sa' c r o i x a v e c


J é s u s o u de p r a t i q u e r l a c o m p a s s i o n , U b e r t i n r e v i e n t à M a r i e et
il dit :

« Et, parce que le fondement et la racine de toute grâce et de tout


mérite se trouve dans les douleurs de la Croix de Jésus, que ce doux
Sauveur endura dans son Cœur et dans son corps, FEsprit-Saint remplit
cette douce Vierge des douleurs du Christ, à un tel degré que, pour le
comprendre, il faudrait participer à sa grâce de la maternité divine...
Plus elle savait que le temps était court, que la mort ne régnerait que
trois jours sur le Christ, plus elle s'efforçait, dans tout son Cœur, de
mourir avec lui, d'entrer avec lui dans le tombeau, et de se consacrer
à la douleur.

E t c o m m e J é s u s s a v a i t q u e sa M è r e v o u l a i t p a r t i c i p e r à ses
souffrances, il l'aidait de sa g r â c e :

« 11 l'exauça pleinement, s'écrie Ubertin, et se jetant tout entier dans


son Cœur virginal, à la manière d'une flèche, il dit : « Femme, voilà
« v o t r e fils u ) ! » Certes, selon le sens de la lettre, il est bien vrai
qu'un glaive de douleur pénétra dans les profondeurs de son Cœur
virginal, alors que, par un douloureux échange, le Fils de Zébédée lui
fut donné pour compagnon, à la place du Fils de Dieu ; mais, au sens
spirituel selon lequel ces deux séraphins, la mère et le fils, se parlaient
toujours, ce fut une bien autre douleur, qui remplit ses entrailles
maternelles... Recueille, voulait-il dire, recueille cette pâleur de mon
visage, ces douleurs de mes membres, cette clameur de mes lamen-
tations, ces anxiétés sans mesure qui déchirent mon Cœur et verse sur
moi de dignes sentiments de compassion ; avec moi, souffre ma Croix
et m a mort, et supplée à l'ingratitude de tes fils qui m'abandonnent, tu
obtiendras ainsi pour eux la grâce de ma clémence. »

E t U b e r t i n s ' a d r e s s a n t à la V i e r g e lui dit :

« Recevez ce glaive de douleur, que vous promit le prophète


Siméon, quand il vous disait : « Un glaive de douleur transpercera ton
âme qui est la sienne, tuam ipsius animant ! O u i vraiment, elle est à
lui votre âme, vere tuam ipsius, parce q u e votre âme appartenait au
béni Jésus, bien plus qu'elle ne vous appartenait, transportée qu'elle
était au dedans de lui par l'incendie de l'amour. Egalement elle est à
vous son âme, ipsius tuam, parce que le glaive de son cruel supplice
et de sa mort (en transperçant son corps) transperçait votre âme, puisque
votre âme se transportait tout entière dans chacune de ses douleurs. »

(i) Quasi seipsum totam'intra cor Virginis, ad modum sagittœ, jacîens,


dixit.
L E ROLE DU X I I I e
SIECLE 8 7

Mais cette compassion n'était p a s pour Marie sans douceurs.


Ubertin de Gasale la représente faisant ses délices de compatir
avec son Fils, il la montre conversant avec la croix, et lui disant ( 1 ) :

« O croix... et vous épines... et clous..., vous qui êtes sauvages, par


nature, et rudes, mon très doux Fils vous a plantés dans un Paradis
très délicieux. Et il vous a arrosés si bien des ruisseaux de son sang,
que nulle autre nourriture ne pourra me plaire désormais. Je ne veux
plus sentir que vos pointes, je veux les fixer dans mon Cœur, vestra
deglutire acumina et vos infigere cordi meo. »

Ubertin de Gasale p a s s a aux Bénédictins, vers la fin de sa


vie, puis aux Cisterciens. Il leur transmit s a doctrine sur les
Cœurs de J é s u s et de Marie.

e
L E ROLE DU XIII SIÈCLE

Nous avons achevé d'exposer la doctrine franciscaine sur le


e
Sacré-Cœur a u x m siècle. Nous la résumons en quelques mots
Au-dessus de toutes les merveilles de la création, Jésus
crucifié est l a grande manifestation de l'amour divin dans le
monde. D a n s s a Passion, en effet, J é s u s révèle un amour immense
et sublime pour son Père et pour les hommes. Cet amour, il l'a
porté dans son Cœur d'abord, puis il l'a extériorisé dans son
corps par toutes ses blessures et spécialement par la plaie de son
Cœur. C'est là qu'il faut l'adorer.
Cette adoration doit s'exercer par la compassion. Mais la
compassion ne consiste par seulement en un sentiment de sym-
pathie attristée pour la personne de J é s u s souffrant ; elle est
avant tout l'union effective à son amour, c'est-à-dire à son esprit
d'immolation à la volonté de son Père.
C'est cette compassion que pratiqua Marie dans son Cœur

( 1 ) Arbor Vitœ, cap. x x v .


88 LA. DEVOTION AU SACRE-CŒUR

et à laquelle elle nous convie. C'est en cette compassion que se


résume la vie chrétienne, et c'est par elle que les âmes trouvent
accès aux béatitudes évangéliques.
Telle est, en quelques mots, la doctrine mystique de nos
e
docteurs franciscains du xni siècle. Elle est fondée sur l'amour
divin dans le Christ ; et le symbole sous lequels elle aime à
vénérer cet amour, c'est le Cœur de J é s u s , son Cœur de chair
transpercé de la lance.
L e s siècles suivants vont continuer et développer cette
doctrine.

e
L e s principaux mystiques qui, au xin siècle, avec les F r a n -
ciscains, pratiquèrent la dévotion au Sacré-Cœur furent sainte
Mechtide (1241-1298) et sa sœur sainte Gertrude ( i 2 3 4 - i 3 o 3 ) , béné-
dictines d'Helfta,en S a x e ; sainte Lutgarde (1182-1246), cistercienne
de Saint-Trond ; la vénérable Ida (1247-1300), également cister-
cienne; Gertrude de S a x e (vers i3oo), Christine de Stommeln,
près de Cologne ( i 2 3 o - i 3 i 2 ) , dominicaines.
Dès cette époque, le culte privé au Sacré-Cœur se pratiquait
conjointement avec le culte des Cinq Plaies et de la plaie du côté.
Mais certaines âmes se fixaient de préférence dans la contempla-
tion et l'adoration du divin Cœur. Nous avons vu Ubertin de
Casale lui consacrer le vendredi. Ce devint un usage chez les
mystiques franciscains. L e s mystiques dominicains, s'attachant
davantage à la plaie du côté, lui consacrèrent de bonne heure
une fête annuelle, fixée au vendredi après l'octave du Saint-
Sacrement, jour qui sera désigné plus tard par Notre-Seigneur à
la bienheureuse Marguerite-Marie, pour célébrer l a fête de son
divin Cœur ( 1 ) .
L e culte suscita des poésies liturgiques. On possède une très
9
belle hymne au Sacré-Cœur qui remonte au xnr siècle : Summi
régis cor, aveto. Voici la dernière strophe :

(1) Cf. B A I N V E L , La Dévotion..., p. a3i. Nous ignorons à quelle date remonte


cette fête.
e
L E ROLE DU XIII SIECLE
«9
D a cor cordi s o c i a r i , F a i s q u e m o n c œ u r à ton C œ u r s'as-
Tecum, Jesu, vulnerari. socie,
N a m cor cordi s i m i l a t u r A v e c toi, J é s u s , qu'il soit b l e s s é .
S i cor m e u m p e r f o r a t u r C a r m o n c œ u r à t o n C œ u r s e r a seni-
Sagittis ïmproperii. S'il e s t t r a n s p e r c é [blable
P a r les flèches d u m é p r i s (1).

Cette strophe d'un chant populaire montre bien encore le


caractère universel de la dévotion au Sacré-Cœur, telle qu'on la
pratiqua partout dès l'origine. On y vénérait le vrai Cœur, le
Cœur de chair de J é s u s . S u r ce point il ne saurait y avoir le
moindre doute, puisqu'on le définit toujours par la blessure de
la lance et le flot de sang et d'eau qui s'en échappe pour la
rémission des péchés.

Nous n'arrivons donc pas à comprendre comment et pourquoi


certains auteurs, même parmi les meilleurs, s'obstinent encore à
enseigner, comme une thèse historique fondamentale, que, avant
la bienheureuse Marguerite-Marie, le culte du S a c r é - C œ u r ne
s'adressait pas tout d'abord au Cœur de chair du divin Maître,
mais à son amour abstrait ou seulement à la plaie du côté ; et
que ce fut le rôle de l'illustre Visitandine d'attacher définiti-
vement la dévotion au Cœur de chair, blessé pour nous par la
lance du soldat. L e rôle de ,1a Bienheureuse fut certes 1res beau
et très grand ; nous le dirons en son lieu. Mais, sous prétexte de
le grandir encore, il ne faudrait pas fermer les yeux devant
l'évidence des faits et nier cinq siècles d'histoire. Retenons donc
ce fait comme acquis à la science que, dès le xm° siècle, la dévo-
tion au Sacré-Cœur avait son objet définitivement fixé : le Cœur
de chair de Jésus, transpercé par la lance, signe et symbole de
son amour pour son Père et pour les hommes.

(1) Cette h y m n e s e t r o u v e , c h e z M i g n e , a v e c les Œ u v r e s d e s a i n t B e r n a r d .


L e P . B l u m e l ' a t t r i b u e a u B . H e r m a n n , p r é m o n t r é , m o r t en 1241 (Stimmen, 1909).
E l l e s e m b l e p l u t ô t a p p a r t e n i r a u cycle d e s p o è t e s m y s t i q u e s , q u ' O z a n a m a
é t u d i é s s o u s le n o m d e Poètes franciscains. O n r e t r o u v e ici évidente, eu
effet, l'inspiration d u Stabat Mater :

Sancta Mater istud agns, J u x t a crucem tecum starc


E t m e tilix sociare
l u planctu desidero.
9° LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

e
L A DÉVOTION A U S A C R É - C Œ U R A U X I V SIÈCLE

e
L e x i v siècle si troublé fut moins fertile que les autres en
fruits de sainteté. Cependant on y trouve quelques âmes d'élite et
celles-là se gardèrent de la contagion p a r la dévotion au Sacré-
Cœur. Nous citerons deux noms seulement :

Saint E l z é a r d e S a b r a n ( 1 2 8 5 - 1 3 2 3 ) écrivait à la bienheu-


reuse Delphine, son épouse : « Ma chère sœur, j e me porte fort
bien. Que si vous voulez me voir, cherchez-moi en la plaie du
côté de notre doux J é s u s , car c'est là que j'habite. C'est là seule-
ment que vous me trouverez. Pour néant me chercheriez-vous
ailleurs ( i ) . »
Saint Elzéar et la bienheureuse Delphine étaient tertiaires
franciscains.

L a B i e n h e u r e u s e Claire d e Rimini ( 1 3 0 0 - 1 3 4 6 ) , tertiaire (2),


mérita de voir J é s u s lui montrer la plaie béante de son côté
et de l'entendre lui dire : « Ma fille, tu obtiendras de mon Cœur
tout ce que tu lui demanderas. » Cette simple parole n'est-elle
p a s la preuve formelle de l a dévotion et du culte, sous forme
privée, pratiqués à l'égard du divin Cœur, à cette époque : on lui
adressait directement des prières.
C'e'st, à peu près textuellement, la parole intérieure qu'entendit
la Sœur Marie de l'Incarnation, ursuline, vers i633, et qui

( 1 ) H. D E GRÈZES, loc. cit., p. i45. — (a) Loc, cit., p. 148


e
LA DÉVOTION AU X I V SIECLE 91

l'enflamma de dévotion pour le divin Cœur : « Demande-moi par


le Cœur de mon Fils, c'est par lui que j e t'exaucerai et que j e
t'accorderai tes demandes. »
« Cette divine touche eut son effet, raconte la Vénérable, et
tout mon intérieur se trouva dans une communication très intime
avec cet adorable Cœur, en sorte que je ne pouvais plus parler
au Père éternel que p a r lui ( i ) . »

Il nous faudrait citer ici la célèbre Angèle de Foligno (1248-


i3oo) ; mais nous en parlerons plus loin. Bornons-nous à nommer
e
les principaux dévots du Sacré-Cœur au x i v siècle en dehors de
la famille de saint François : Jean Tauler (1294-1361) et Henri
Suso (i3oo-i366), dominicains ; Ludolphe de S a x e ou le Char-
treux (1295-1378) et deux autres chartreux de Trêves et de Stras-
bourg ; Simon de Cascia ( f i348), augustinien ; Julienne de
Norwich et la bienheureuse Dorothée (i343-i394), recluses (2).

(1) H. DE GRÈZES, loc. cit., p p . 267-268. — (2) Cf. P. BAIXVEL, La Dévotion


au Sacré-Cœur, p p . 206-246'
92 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Q,V A R T A P A R S

FfcOVIN-
Ce très beau monogramme est extrait de l'ouvrage du P. G O N Z A G A ,
De origine seraphico religionis, Rome 1587. Il résume magnifiquement
la dévotion au saint nom de Jésus, prêché par saint Bernardin de
Sienne et professée par toute la famille franciscaine.
LA RÉFORME DES OBSERVANTS
Le renouveau de vie franciscaine suscite p a r la réforme
des Observants (i36S) détermina un notable progrès dans la
dévotion au Sacré-Cœur. L e s principaux apôtres de ce mouve-
ment furent précisément les chefs de cette réforme et notam-
ment saint Bernardin de Sienne, saint Jean de Capistran,
sainte Colette et la bienheureuse Jeanne de Valois. Ils affir-
mèrent de nouveau et avec une nouvelle énergie que le foyer
de R amour divin était au Cœur de J é s u s ; ils mirent en relief
le rôle que remplit, auprès du Cœur de J é s u s , le saint Cœur
de Marie, sa mère ; enûn ils osèrent, pour la première fois,
aider leur piété p a r la représentation de l'image.

S A I N T B E R N A R D I N D E S I E N N E (1383-1448)
L'Apôtre d e s saints C œ u r s de J é s u s et d e Marie.
Saint Bernardin de Sienne commença par remettre en
honneur le culte et l'image du nom de J é s u s , inaugurés dans
l'ordre dès le xiir" siècle, et il parvint, au milieu des plus grandes
difficultés, à les faire agréer officiellement par l'Eglise.
Saint Bonaventure avait comparé la personne du Christ au
soleil matériel ; saint Bernardin déclare que c'est le Nom même
de J é s u s qui est le vrai soleil du monde.

« (Le Nom de Jésus), dit-il ( i ) , est très semblable au soleil. Car, de


même que ce soleil matériel, par sa vigueur, sa splendeur et sa cha-
leur, vivifie, fait croître et conserve tous les êtres vivants de la terre ;
ainsi le Nom de Jésus, à tous les pèlerins de ce monde, procure la vie
de la grâce, et il la donne à tous, à ceux qui commencent à se conver-
tir, comme à ceux qui sont déjà avancés dans les voies de la perfection.

(i) De glorioso nomine Jesu, soriuo 49-


94 LA DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

C'est de lui que parle Zacharie. quand il dit que son nom est Orient,
Oriens nomen ejus, car il ressemble au soleil qui brille vers l'Orient. »

Pour ce qui concerne le Cœur de J é s u s , il s'en explique clai-


rement : il est le foyer de l'amour divin pour le monde. Dans son
traité sur l'Origine de la charité ou de Vamour divin, De origine
charitatis seu divini amoris, au chapitre III, il résume la doctrine
exposée et il écrit :

« L'amour de Dieu s'est donc révélé à nous dans l'Incarnation de


son Fils, par le don qu'il nous a fait de sa divinité, de son âme et de
son corps. Cet amour se trouve caché dans le Cœur de Jésus-Christ et
représenté sous la figure de l'encensoir d'or, in corde ejus absconsus
est et in thuribulo aureo démonstratur.
<c C'est de lui qu'on peut interpréter ce passage de l'Ecriture : « Il
tenait en sa main un encensoir d'or, habens thuribulum auream in
manu sua. » Car un encensoir n'a-t-il pas la forme d'un cœur? Et n'est-
il pas dès lors tout indiqué pour signifier le Cœur du Christ ? Il est
ouvert par en-haut et fermé par en-bas. Cela veut dire d'abord que,
sur cette terre, il ne vécut pas seulement de la vie de la foi, mais qu'il
jouit de la claire vue de la gloire ( i ) : il était fermé aux choses de la
terre et ouvert aux choses de Dieu. Les charbons de l'encensoir repré-
sentent ses désirs ardents et spécialement son désir de souffrir la mort
pour notre salut, selon la parole de saint Luc : « Je dois être bap-
tisé d'un baptême et je suis dans l'angoisse, jusqu'à ce qu'il soit
accompli ( 2 ) . »
« L'encens qui brûlait dans l'encensoir représente sa prière très
fervente... Cet encensoir est d'or et non pas doré, parce qu'il ne fut
pas sanctifié par l'éclat de sa sagesse, mais il fut la sainteté même,
selon la parole de l'Ange à Marie : a Le saint qui naîtra de toi sera
appelé Fils de Dieu (3). »
« Cet encensoir, c'est-à-dire ce Cœur, était dans la main du Christ,
parce que la chair dans le Christ ne s'opposait pas à sa sainte opé-
ration...

« Vois donc, ô àme sainte, à quel prix le Seigneur t'a rachetée,


quel grand trésor il t'a donné, de quel immense amour il t'a gratifiée :
toutes choses qui sont contenues, signitlées, dans l'encensoir qui est
le Cœur du Christ, quœ omnia in Cordis Christi thuribulo exprinientur.

( 1 ) Non tantum ostendit eum in terra viatorem fuisse, sed et compre-


hensorem. Il ne fut pas seulement pèlerin s u r la terre, m a i s en possession
(de l a gloire).
( a ) Luc, x n . — (3) Luc, 1.
SAINT BERNARDIN DE SIENNE 95

Il a donné pour notre rédemption la divinité et la chair du Christ,


à tous il a donné l'amour du Christ, à chacun le Christ offre son
corps. Accepte, ô âme, épouse du Christ, prends, embrasse, avec des
transports de joie et dis avec le prophète : Que rendrai-je au Seigneur
pour tous les biens dont il m'a comblé ? »

E t saint B e r n a r d i n e x p o s e q u ' e n r e t o u r de t a n t de b i e n f a i t s ,
Jésus n e r é c l a m e q u e n o t r e C œ u r , safjicit Christo solum hominis
habere cor. E n é c h a n g e de son C œ u r , il ne r é c l a m e q u e le n ô t r e .
E t le saint s ' e x t a s i e s u r ce m a r c h é , s u r ce m e r v e i l l e u x é c h a n g e
et il i n v i t e t o u t e s les â m e s à e n p r o f i t e r .
S o u v e n t , d a n s ses d i s c o u r s , saint B e r n a r d i n r e v i e n t s u r ce
m y s t è r e du C œ u r de J é s u s . Il y v o i t n o n s e u l e m e n t u n encensoir
d'or, mais un foyer de charité, u n asile pour les âmes. C ' e s t de
son C œ u r , que J é s u s a tiré les sept paroles prononcées du haut
de sa c r o i x .
« Notre bon Jésus, dit-il ( i ) , qui du bon trésor de son divin Cœur
avait tiré tant de choses excellentes, en tire, dans sa Passion, de plus
excellentes encore. Il nous montre son Cœur, comme une fournaise
de charité, très ardente, capable d'embraser et de consumer tout
l'univers. De ce Cœur embrasé d'amour il tire sept paroles sacrées et
ardentes, comme sept amours brûlants du feu le plus communicatif. »

M a i s c'est s u r t o u t c o m m e l ' a p ô t r e d u C œ u r de M a r i e q u e le
p i e u x franciscain m é r i t e de r e t e n i r n o t r e a t t e n t i o n . O f f i c i e l l e m e n t
l ' É g l i s e s e m b l e a v o i r v o u l u lui r e c o n n a î t r e l a p a t e r n i t é d u c u l t e
e n v e r s le saint C œ u r de la V i e r g e , c a r c'est à l'un de ses
s e r m o n s (2) q u e l l e a e m p r u n t é l e s p r i n c i p a l e s l e ç o n s de son
office. E n voici u n p a s s a g e :

« Par quelles paroles pourrai-je, moi, homme de rien, exprimer


les profonds sentiments du Cœur de la Vierge, que les paroles sorties
de ses lèvres nous ont fait connaître ? A cette tâche ne suffirait pas
l'éloquence de tous les hommes ni de tous les anges. Le Seigneur
n'a-t-il pas dit : « L'homme de bien tire de bonnes choses du trésor
« de son cœur ? » Q u i donc parmi les hommes peut être suppose
meilleur que celle qui mérita de devenir la Mère de Dieu, celle qui
dans son Cœur et dans son sein donna à Dieu même l'hospitalité ?
Quel meilleur trésor peut-on concevoir que ce divin amour, dont
brûlait le cœur de la Vierge ?

(1) Cf. P . H . DE GRÈZES, toc. cit., p . i58. — (2) 9E D i s c o u r s s u r l a Visitation.


96 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

« C'est donc de ce Cœur, comme d'une fournaise enflammée des


divines ardeurs, que la bienheureuse Vierge tira de bonnes paroles,
c'est-à-dire des paroles de la plus ardente charité. De même, en effet,
que d'un vase plein d'excellent vin on ne peut tirer que de très bon
vin, de même que d'une fournaise ardente, on ne peut tirer que des
charbons capables d'allumer l'incendie, ainsi du Cœur de Marie il
ne peut sortir qu'une parole pleine d'un amour excellent et d'une
ardeur toute divine.
« Or de Marie, on ne rapporte que sept paroles. Elle parla deux
fois avec l'ange, deux fois avec Elisabeth, deux fois avec son Fils,
une fois avec les serviteurs, à Cana. Ces sept paroles répondent aux
sept actes de l'amour ; et, prononcées dans un ordre admirable qui
en marque les progrès, elles sont comme sept flammes qui s'échappent
de son Cœur... L a première est la parole de l'amour qui sépare ; la
seconde, de l'amour qui transforme ; la troisième, de l'amour qui se
communique : la quatrième, de l'amour qui se réjouit ; la cinquième,
de l'amour qui se repose ; la sixième, de l'amour qui compatit ; le
septième, de l'amour qui consomme. »
Certes ces paroles sont loin d'avoir la même profondeur que
celles d'Ubertin de Casale ; mais elles sont plus à la portée des
simples fidèles. E t elles montrent que la dévotion au Cœur de
la Vierge resta toujours dans les préoccupations de la famille
franciscaine.

SAINT J E A N DE CAPISTRAN, SAINTE COLETTE


et a u t r e s C l a r i s s e s et T e r t i a i r e s .

Saint J e a n d e C a p i s t r a n ( 1 3 8 5 - 1 4 5 3 ) et sainte Colette


( 1 3 8 1 - 1 4 4 7 ) furent deux grands dévots au S a c r é Cœur. Comme
preuve nous n'apporterons qu'un seul témoignage ( i ) : l'adresse
du saint à la célèbre Clarisse, où il l'appelle « S a fille dans le
Cœur de J é s u s . » On sait, en effet, que ces sortes de formules
indiquent, chez ceux qui les emploient, les dévotions qui leur
sont le plus chères :
« A Sœur Colette de l'Ordre de Sainte Claire, toute dévouée
à Dieu, notre chère fille dans le Cœur de l'Époux des Vierges,
J e a n de Capistran de l'Ordre des F r è r e s Mineurs, Commissaire
général. »
( i ) Cf. H. DE GUÈZBS, loc. cit., p. i5o.
LA BIENHEUREUSE BAPTISTE V AU A NI
97

L a bienheureuse Baptiste Varani (1458-1527), Clarisse d'Ur-


b i n o , p u i s a sa d é v o t i o n a u C œ u r de Jésus a u p i e d de la c h a i r e des
Franciscains. Elle raconta elle-même plus tard au P . François
d ' U r b i n o l ' o r i g i n e de sa c o n v e r s i o n .

« A la ïin d'un de vos sermons, lui écrivait-elle, vous parliez avec


beaucoup d'ardeur pour amener les âmes de vos auditeurs au souvenir
et à la compassion à l'égard de la Passion du Christ : vous suppliiez
chacun d'eux de se souvenir, au moins tous les vendredis, de la très
sainte Passion et de verser au moins une larme, ne fût-ce qu'une seule,
par amour de cette Passion et vous affirmiez avec force que cette seule
petite larme serait beaucoup plus agréable à Dieu et plus utile à l'âme
que toute autre œuvre, si bonne qu'elle pût être... C'est alors que je
m'engageai par v œ u à répandre, chaque vendredi, une larme par
amour d e la Passion d u Christ. Et ce fut l à le commencement de ma
vie spirituelle ( i ) . »

E l l e a v a i t e n c o r e été t r è s f r a p p é e d ' u n e a u t r e p a r o l e d u m ê m e
P è r e , d i s a n t q u ' u n e seule é t i n c e l l e de l ' a m o u r d o n t l a Y i e r g e
était r e m p l i e c o n t e n a i t p l u s de s u a v i t é q u e t o u t e s les v o l u p t é s
c h a r n e l l e s e n s e m b l e (2).
D u r a n t sa v i e de C l a r i s s e , elle fut f a v o r i s é e d ' e n t r e t i e n s fami-
l i e r s a v e c Jésus, q u i l u i r é v é l a les p e i n e s i n t é r i e u r e s de s o n c œ u r
affligé. E l l e a fait le r é c i t de c e s e n t r e t i e n s d a n s u n mémoire
a d r e s s é a u F r a n c i s c a i n , s o n d i r e c t e u r , elle y d é c l a r e q u e ce n'est
q u e d a n s le C œ u r de Jésus qu'elle a c o m p r i s sa P a s s i o n .

« Il y a, raconte-t-elle (3), et c'est mon Sauveur lui-même qui m e l'a


révélé, il y a, entre la méditation des douleurs intérieures du Cœur de
Jésus et celles des douleurs sensibles de son humanité sainte, une dif-
férence semblable à celle qui existe entre le miel renfermé dans un
vase et celui qui a découlé par-dessus les bords; le premier a incompa-
rablement plus d e saveur et plus de parfum. »
L'âme donc vraiment affamée et altérée de la Passion du Sauveur
ne doit pas seulement approcher s e s lèvres d e l'extérieur d u vase, je
v e u x dire des plaies adorables d u Sauveur, et sucer le sang qui en
découle ; non, qu'elle entre dans le vase lui-même, dans le Sacré-Cœur
de Jésus. L à , mais là seulement, elle trouvera de quoi se rassasier et
a u delà (4). »

(1) B O L L A A D . . Vita B. Baptist. Varani, n ° 6. — (i>) Loc. cil., n° if. —


Ci) H. DE GRÈZES, toc. cit., p . 160. — (4) Bollandistes. j juin, et H. DE GRÈZES,
loc. cit., p . i65.
L'Enfant Jésus dans le Sacré-Cœur.
Ces sortes de gravures, qui apparaissent partout et très nombreuses
dès i43o-i5oo, c'est-à-dire dès l'origine de la gravure sur bois, sont la
traduction par l'image de la doctrine d'Ubertin de Casale, exposée plus
haut et pratiquée par la bienheureuse Y a r a n i . Cette gravure se trouve
au musée de Munich (Leidinger, I , 17, et Schreiber, 801). Schreiber
la date de iffi* Bouchot (Les deux cents incunables de la B. N.) en
date une semblable de 1460 et dit que celle de Munich dut être copiée
e
sur une pièce du commencement du x v siècle.
LA BIENHEUREUSE BAPTISTE VARANI
99
C e t t e h a b i t u d e m y s t i q u e d e c o n t e m p l e r l e s d o u l e u r s de l a P a s -
sion d a n s l e C œ u r m ê m e d e J é s u s est u n e a p p l i c a t i o n de l a
d o c t r i n e d ' U b e r t i n d e C a s a l e e x p o s é e p l u s h a u t . E l l e ne t a r d a
p a s à se g é n é r a l i s e r a u p o i n t de se c o n c r é t i s e r et de s ' e x p r i m e r
e
par rimagerie populaire. C'est au x v s i è c l e , e n effet, q u e l ' o n
v o i t a p p a r a î t r e c e s c h a r m a n t e s g r a v u r e s d e l ' E n f a n t Jésus dans
le S a c r é - C œ u r . U n l a r g e c œ u r , q u i est c e r t a i n e m e n t , q u o i q u ' e n
disent c e r t a i n s i n t e r p r è t e s , le C œ u r d u S a u v e u r ( i ) , r e n f e r m e
l ' E n f a n t J é s u s , q u ' o n r e c o n n a î t à s o n n i m b e c r u c i f è r e . I l a en s e s
m a i n s o u a u t o u r d e l u i l e s i n s t r u m e n t s de l a P a s s i o n . U n e de c e s
i m a g e s m e t s u r l e s l è v r e s de l ' E n f a n t ces p a r o l e s : Dans le cœur
de mon Père, f ai trouvé ces jouets.
V o i c i l e s e n s d e cette i m a g e J é s u s a v a i t l u d a n s le c œ u r de
son P è r e c é l e s t e q u e sa v o l o n t é était q u ' i l souffrît u n j o u r t o u s l e s
s u p p l i c e s <de s a P a s s i o n . E n c o n s é q u e n c e , il a v a i t m i s , d è s s o n
enfance, d a n s s o n p r o p r e c œ u r , l ' i m a g e d e c e s s u p p l i c e s . I l s'en
était fait u n j o u e t ; et sa j o i e était de l e s m é d i t e r et de se p r é -
parer à les endurer, quand l'heure serait v e n u e . L ' i m a g e le
représente donc vivant, dès l'enfance, dans son p r o p r e cœur,
t o u t e s l e s scènes d e sa d o u l o u r e u s e P a s s i o n .
C'est dans cette Passion intérieure que la bienheureuse Bap-
tiste V a r a n i a i m a i t à c o n t e m p l e r J é s u s .

« Laissez-vous fléchir, Seigneur, lui disait-elle un jour (2), et introdui-


sez-moi dans le lit sacré de vos douleurs intérieures. Submergez-moi
dans cet océan d'amertumes que renferme votre cœur ; c'est là que je
veux mourir. O douce vie de mon àme ! dites-moi combien furent
cruelles les peines q u i affligèrent votre Cœur sacré.
— Ma fille, lui répondit Jésus, puisque t u ignores la grandeur de
mes peines, sache qu'elles furent aussi grandes que l'amour dont
j'étais embrasé pour mon Père et pour les pauvres humains. »

O n l e v o i t p a r c e t t e r é p o n s e , l ' a m o u r de s o n C œ u r , q u e Jésus
v e u t r é v é l e r à s a s e r v a n t e , e s t d ' a b o r d l ' a m o u r p o u r s o n P è r e et

( i ) L e fait q u e ce C œ u r s e r e t r o u v e d a n s l e s i m a g e s d e s c i n q p l a i e s , o u
encore qu'il p o r t e l e c o u p d e l a n c e , ne p e r m e t p a s d e d o u t e r qu'il ne soit
celui d e J é s u s m ê m e .
(a) P . H . DK GRÈZES, loc. cit., p 167.
100 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

e n s u i t e l ' a m o u r p o u r les h o m m e s . E t à c e t t e o c c a s i o n l a B i e n h e u -
r e u s e a v o u e q u e « le d o u x S a u v e u r lui a v a i t déjà fait c o m p r e n d r e
l o n g t e m p s a u p a r a v a n t t o u t e l ' é t e n d u e de s o n a m o u r p o u r les
c r é a t u r e s ». E t elle d é s e s p è r e de p o u v o i r l ' e x p r i m e r sur le p a p i e r :
« Je me t a i r a i d o n c , dit-elle, p o u r n e p a r l e r q u e des d o u l e u r s de
m o n b o n M a î t r e , q u i sont u n e expi^ession de cet a m o u r p l u s facile
à c o m p r e n d r e p o u r le c œ u r h u m a i n . »
U n p e u a u p a r a v a n t , Jésus l u i a v a i t fait c o n n a î t r e la manière
d o n t il a v a i t t é m o i g n é s o n a m o u r p o u r s o n P è r e , e n u n i s s a n t sa
v o l o n t é à c e l l e de c e P è r e c é l e s t e :

Quand les soldats vinrent m'arrêter au jardin, lui dit-il, « dans


mon humanité, j ' u n i s m a volonté à la volonté de Dieu, en disant (à
mon Père) : « Q u e votre volonté soit faite.» Et, à cause de (cette union),
mes ennemis ne purent me nuire, et ils furent forcés de reconnaître
que cette puissance (qui était en moi) n'était pas humaine, mais divine.
Dieu cependant leur permit d'assouvir leur volonté contre -moi. Ainsi
en sera-t-il de toi. Si tu abandonnes à Dieu ta volonté, en toutes
choses, disant du fond du cœur : « Que votre volonté soit faite, » tu
me deviendras semblable, par l'union de ta volonté à la volonté
divine, de sorte que les démons ne pourront te nuire en rien, avant
que la permission ne leur en ait été donnée ; mais ils tomberont à la
renverse et ne pouront prévaloir contre toi ( i ) .

Sainte Catherine de B o l o g n e ( 1 4 1 3 - 1 4 6 3 ) est à c i t e r à c ô t é


de la b i e n h e u r e u s e B a p t i s t e V a r a n i . S o n a m o u r d u d i v i n C œ u r
s ' e x p r i m a i t e n c h a n t s d ' u n e b e l l e i n s p i r a t i o n . C o m m e t o u s ses
c o n t e m p o r a i n s , e l l e aimait à fixer s o n r e g a r d c o n t e m p l a t i f s u r la
plaie du côté en même temps que sur le C œ u r percé de la
lance.

« A m e bénie du Créateur, chantait-elle, regarde ton Seigneur,, qui


t'attend, fixé (à la croix)... Regarde cette plaie qu'il porte au côté
droit. Vois son sang qui paie tous tes péchés. Rappelle-toi qu'il fut
blessé d'une lance cruelle ; c'est pour chaque fidèle que le dard (la
flèche) lui traversa le Cœur (2). »

(1) BOLLAXD., Vita B. Bapt. Varani, n° 58. — (2) P. I L DE GRÈZES, loc. cit.,
p. 154 :
Risguarda quella piaga Pensa che fu afllitto
Ch' Egli lia dal lato ritto Per una lancia crudelc :
Vedi che il sangue paga Per ciaschedun fedele
Tutto il tuo delitto; Passo il Cor la saetta.
SAINTE FRANÇOISE ROMAINE IOI

F r a n ç o i s e R o m a i n e ( 1 3 8 4 - 1 4 4 0 ) fut, p a r m i les saintes t e r -


e
tiaires du x v siècle, une grande privilégiée du Sacré-Cœur,
qu'elle contemplait, selon la dévotion chère à cette époque, parmi
l e s C i n q P l a i e s . U n j o u r q u ' e l l e a v a i t été f a v o r i s é e d'une n o u v e l l e
f
a p p a r i t i o n d u S a u v e u r (la i4 ') a v e c l e s C i n q P l a i e s , s o n c o n f e s -
s e u r l u i d e m a n d a en q u e l l e p l a i e elle a v a i t fixé son e s p r i t . E l l e
r é p o n d i t : « A u p l u s p r o f o n d de l a p l a i e du C œ u r . »

Dans ce divin Cœur, ajouta-t-elle, était comme une mer d'une


suavité inexprimable, où je buvais une joie indicible et le souve-
rain bien... Et une voix se fit entendre qui disait : « Je suis l'amour
fidèle, qui établis l'âme dans la vérité; elle n'a plus alors pour le
monde que du dégoût... elle aime la solitude, les tribulations, les dou-
leurs. Lorsque ces sentiments lui sont devenus habituels et qu'elle y
trouve ses délices, je la fais monter plus haut; je l'introduis dans le
ciel empyrée, où elle contemple mes plaies; et leur splendeur la fait
brûler d'amour. Lorsqu'elle est bien embrasée d'amour, je la trans-
J
forme ; elle entre alors dans le sanctuaire de mon Cœur, s abandonnant
pleinement à ma volonté. Dans mon Cœur, elle trouve un abîme de
charité et la source de toutes les douceurs. »

Le premier degré de la v i e m y s t i q u e , d e l a v i e d'amour,


d'après c e t t e r é v é l a t i o n faite à la sainte t e r t i a i r e , est donc
l ' a m o u r de la c r o i x o u de la s o l i t u d e et des t r i b u l a t i o n s ; le s e c o n d
d e g r é est d ' ê t r e a d m i s à c o n t e m p l e r les p l a i e s d u S a u v e u r ; le
t r o i s i è m e d e g r é e s t d'être a d m i s d a n s le s a n c t u a i r e du divin
C œ u r , p o u r c o n t e m p l e r et faire la v o l o n t é de Jésus, q u i est la
v o l o n t é de s o n P è r e .
Ici e n c o r e n o u s r e t r o u v o n s l a p u r e d o c t r i n e f r a n c i s c a i n e : la
v r a i e d é v o t i o n au S a c r é - C œ u r c o m p r e n a a t deux degrés d'ascen-
s i o n , le d e g r é i n f é r i e u r q u i est l a c o m p a s s i o n a u x souffrances de
J é s u s , le d e g r é s u p é r i e u r e t p a r f a i t q u i est l ' u n i o n à son amour,
p o u r s u i v r e e n t o u t sa sainte v o l o n t é , q u i est faite d'obéissance
a u b o n plaisir d u P è r e c é l e s t e .
e
A l a fin d u x v siècle, la d é v o t i o n à la p l a i e d u côté de Jésus
o u p l u t ô t à son divin Cœur percé de la l a n c e était devenue
c o m m e l ' a p a n a g e de la g r a n d e famille f r a n c i s c a i n e . B a r t h é l é m y
de P i s e e n t é m o i g n e , d a n s s o n l i v r e des Conformités, q u a n d il
p a r l e de l a p r o v i n c e de M u t i n a :
102 LA DÉVOTION AU SACRÉ-C03UR

« E n cette province, dit-il ( i ) , il y avait un frère Gérard, grand


prédicateur qui avait fait grand éloge de saint François. Un de ses
auditeurs, touché de ses paroles, s'en retourna à sa maison, et, durant
son sommeil, il fut ravi au ciel. Il vit Jésus et Marie et tous les saints,
qui, en procession, venaient saluer l'Enfant et sa Mère. N'apercevant
point saint François ni ses frères, il demanda à l'ange qui l'accompa-
gnait : <c O ù donc est François qu'exalte tant le frère G é r a r d ? » Et
l'ange lui répondit : « Attends et tu verras quelle place il occupe. »
Or, Jésus ayant découvert la plaie de son coté, il vit François qui en sor-
tait, portant l'étendard de la croix et suivi de la multitude des frères. »

L a d e m e u r e p r o p r e d e s F r a n c i s c a i n s , a u x y e u x de l a piété d u
e
xv siècle, était d o n c la p l a i e d u côté o u le C œ u r de J é s u s . N o u s
v e r r o n s b i e n t ô t l e s h o m m e s de l a R é f o r m e s'en s c a n d a l i s e r et
se s e r v i r de c e t t e l é g e n d e n a ï v e p o u r j e t e r le r i d i c u l e s u r l a
pieuse dévotion.

L A BIENHEUREUSE J E A N N E DE VALOIS (1464-1505)


L e s Annonciades
ou la p r e m i è r e C o n g r é g a t i o n v o u é e au S a c r é - C œ u r .

L a b i e n h e u r e u s e J e a n n e de V a l o i s était l a fille de L o u i s X L
M a r i é e t o u t e j e u n e à L o u i s d ' O r l é a n s , e l l e fut a b a n d o n n é e p a r
ce p r i n c e , q u a n d il h é r i t a de la c o u r o n n e de F r a n c e , s o u s le
n o m de L o u i s X I I ; et le m a r i a g e fut a n n u l é .
Elle eut c e r t e s le c œ u r m e u r t r i , à c a u s e de c e t a b a n d o n ,
et n e s'en c o n s o l a j a m a i s e n t i è r e m e n t (2). M a i s elle c h e r c h a
e n D i e u s a c o n s o l a t i o n , se p l a ç a s o u s l a d i r e c t i o n du c é l è b r e
F r a n c i s c a i n , le P . G a b r i e l - M a r i a , et s ' o c c u p a , d a n s s o n d u c h é d u
B e r r y , a u x œ u v r e s de l a p i é t é . A v e c le c o n c o u r s du P . G a b r i e l ,
elle f o n d a l ' O r d r e des A n n o n c i a d e s , s ' a t t a c h a de p l u s en p l u s
à saint F r a n ç o i s , et, à sa m o r t , elle v o u l u t être e n s e v e l i e a v e c
la b u r e g r i s e et l a c o r d e que les A n n o n c i a d e s a v a i e n t e m p r u n -
t é e s a u T i e r s - O r d r e de saint F r a n ç o i s .

a a
(1) Fractas oct., a part., p. 66, i editio.
(2) En tête de son testament, peu avant sa mort, elle a écrit ces paroles
douloureuses : « Fille, sœur, épouse des rois de France, si je n'avais été chas-
sée du lit nuptial, j'en eusse été la mère :
Filia Fraucorum régis, soror unaque conjux
Et non puisa toro Johanna e^o mater eram. »
LA BIENHEUREUSE JEANNE DE VALOIS Io3

Dieu ne t a r d a p a s à récompenser sa piété et il lui fit goû-


ter les délices de son amour bien plus suaves que les jouis-
sances de la terre.
Un jour, elle se vit par Dieu invitée à un repas nuptial.
L'heure venue, elle se trouva transportée dans un lieu éclatant
de lumière et assise à une table en compagnie de J é s u s et de s a
sainte Mère. S u r un plat lumineux, ils lui présentèrent leurs
cœurs, et Marie l'invita à s'en nourrir.
Puis J é s u s lui demanda si elle ne voulait p a s contribuer an
festin, en y joignant le sien. Il lui sembla alors qu'on lui arrachait
son cœur. Elle chercha dans s a poitrine et ne l'y trouva plus.
« Pourquoi t'étonner, ma fille, lui dit J é s u s , si tu ne trouves
plus ton cœur en t o i ? Depuis longtemps il est uni au mien. »
A cette parole, Jeanne se sentit toute inondée d'une joie
céleste.
On comprend qu'une telle scène ait laissé dans son âme une
impression profonde. Elle dut en vivre le reste de ses j o u r s . C'est
pour en jouir plus facilement, sans doute, qu'elle voulut, de ses
doigts, fixer p a r la peinture l'image du Sacré-Cœur.
L a gravure que nous reproduisons ici représente quatre
aquarelles dues à la plume de la Bienheureuse. E t elles sont
d'autant plus précieuses, qu'elles nous offrent les trois signes, les
trois symboles, adoptés officiellement p a r l'Eglise, pour exprimer
s a foi au mystère de l'amour divin : la croix adorée durant tout le
moyen âge, le monogramme du nom de J é s u s I ^ j S choisi par
saint Bonaventure, pour exprimer l a foi intime de son cœur et
admis officiellement, au temps de saint Bernardin de Sienne, p a r
l'Eglise elle-même, et le divin Cœur de J é s u s , avec cette inscrip-
tion : lllud cor transfixum est cum lancea Domini Nostri Jesu
Christi. Ce cœur a été transpercé avec la lance de Notre-Seigneur
J é s u s Christ. Plus loin nous expliquerons cette inscription.

Cette dévotion au Sacré-Cœur, la bienheureuse Jeanne l'avait


apprise, à n'en p a s douter, à l'école des Franciscains, qui r e s -
tèrent toujours ses conseillers et ses directeurs spirituels. Pour
affirmer cette dépendance, nous avons un document de première
LA. DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Aquarelles de sainte Jeanne de Valois, d'après Pierquin de Gem-


bloux, inspecteur de l'Académie de Bourges. (Histoire de sainte
Jeanne, 1840).

L'aquarelle du Cœur percé de la lance est conservée dans un reli-


quaire à l'archevêché de Bourges,
(CF. P. Othon, Le B. Gabriel Maria et l'Ordre de VA,nnonciade }

p. 161.)
LA BIENHEUREUSE JEANNE DE VALOIS io5

v a l e u r d a n s le Testament spirituel d u P . G a b r i e l - M a r i a à ses c h è r e s


filles, les A n n o n c i a d e s . Il y d é c l a r e , en effet, q u ' i l l e s a é t a b l i e s ,
p o u r v i v r e s e l o n « les désirs du DIVIN CŒUR de leur céleste
Epoux ». N ' é t a i t - c e p a s p r o c l a m e r q u ' i l les a v a i t v o u é e s a u S a c r é -
C œ u r ? E n t e n d o n s ses p a r o l e s :
« A v a n t de c l o r e cette l e t t r e q u e j e v o u s e n v o i e c o m m e m o n
testament spirituel, je v e u x me conformer à notre séraphique
P è r e saint F r a n ç o i s qui, l u i aussi, d o n n a son T e s t a m e n t , affirma
sa v o l o n t é f o r m e l l e de v o i r o b s e r v e r fidèlement les r è g l e s q u e
n o u s p r o f e s s o n s . C ' e s t p o u r q u o i , c o m m e c l a u s e de m o n T e s t a m e n t
d ' a m o u r et p o u r y m e t t r e le s c e a u de n o t r e i n s t r u c t i o n et de n o t r e
d e r n i è r e v o l o n t é , j e v o u s prie de v o u s s o u v e n i r t o u j o u r s de d e u x
points :
« L e . p r e m i e r est q u e v o u s n e p e r d i e z j a m a i s la m é m o i r e de c e
q u e j e v o u s ai s o u v e n t r é p é t é d a n s m e s a l l o c u t i o n s s u r l ' é t a b l i s -
s e m e n t de v o t r e O r d r e et du grand motif pour lequel il a été
institué. Souvenez-vous donc que la très sainte V i e r g e Marie,
p o u r a p a i s e r l a c o l è r e de s o n c h e r F i l s J é s u s - C h r i s t , p r ê t à n o u s
c h â t i e r , lui a v a i t p r o m i s d ' i n s t i t u e r u n O r d r e de V i e r g e s s a g e s et
p u r e s , p o r t a n t e n t r e l e u r s m a i n s l a l a m p e a r d e n t e de l a p i é t é et
répondant fidèlement aux désirs du DIVIN C Œ U R de leur céleste
Epoux ; et, de même qu'autrefois la divine Majesté avait pu dire
de David : « J'AI TROUVÉ UN HOMME SELON MON CŒUR » , de même
le Fils de Dieu pourrait dire : J'ai trouvé des Filles telles que
ma Mère et moi les désirons..., » (c'est-à-dire e n c o r e , s e l o n le
C œ u r d e J é s u s et de M a r i e ) .
« L a s e c o n d e c h o s e q u e j e v o u s d e m a n d e , c'est de v o u s s o u v e -
nir d a n s v o s p r i è r e s de v o t r e affectionné P è r e qui, à t r a v e r s de
g r a n d e s é p r e u v e s , est a r r i v é à r é a l i s e r u n g r a n d b i e n , b i e n q u i
consiste d a n s l'institution de v o t r e saint O r d r e , fondé en l ' h o n n e u r
de la b i e n h e u r e u s e V i e r g e M a r i e , sous le t i t r e de l ' A n n o n c i a d e ( i ) . »

( i ) Les Annonciades étaient, comme les Clarisses et les Tertiaires, sous


l'obédience complète du premier Ordre franciscain, ayant pour supérieurs les
supérieurs du premier Ordre. De plus, elles portaient la bure grise avec la
corde selon l'usage franciscain. Elles appartenaient donc tout à fait à la
famille de saint François. Le P. G A B R I E L - M A R I A déclare, dans ses écrits,
qu'elles sont tertiaires. Cf. PIERQUIN et P. OTHON, pp. 3a6-33i.
io6 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

L'extase de la Bienheureuse Jeanne de Valois.

Tableau de Jean BOUCHER (1604) au musée de Bourges.


A cette date de 1604, les Capucins avaient u n couvent à Bourges.
LA BIENHEUREUSE JEANNE DE VALOIS

Ajoutons que la Bienheureuse pratiquait la couronne francis-


caine traditionnelle, les cinq Pater et Ave, en l'honneur des Cinq
Plaies ( i ) et qu'on lui prête un écusson parti, qui porte d'un côté
les cinq plaies et de l'autre un calice surmonté de l'hostie (2).
Le spectacle de cette dévotion de J e a n n e pour le divin Cœur
dut faire grande impression sur ses contemporains, car l e souve-
nir s'en conserva de génération en génération. Il resta dans son
Ordre comme un héritage de famille, et, quand, en 1604, J e a n
Boucher voulut, dans un tableau, représenter la Bienheureuse,
selon l'idéal que s'en faisaient ses filles, il la peignit en extase
devant le Sacré-Cœur (3).
Nous en donnons ici la reproduction. Jeanne en costume
d'Annonciade, dont elle voua la règle, à genoux, sous les regards
de Dieu le Père et de Marie, qui l'y invitent, adore le divin
Cœur, entouré de la couronne d'épines et surmonté de la croix.
Saint Joseph, le saint si cher aux Annonciades (4), Ini donne
l'exemple de l'adoration. A gauche, un prêtre debout contemple,
lui aussi. Il représente, sans nul doute, selon l'usage générale-
ment suivi, le donateur du tableau.
L a déclaration du fondateur des Annonciades, le culte tout
spécial de la bienheureuse Jeanne pour le divin Cœur, attesté p a r
la scène de s a vision des deux Cœurs, par son culte pour les Cinq
Plaies et p a r l'aquarelle exécutée de ses mains, la conviction de
l'Ordre, affirmée encore cent ans après dans le tableau de J e a n
Boucher, sont des motifs suffisants, croyons-nous, pour
présenter les Annonciades comme la première congrégation
vouée, d'une manière spéciale, au culte du Sacré-Cœur.
L e s principaux représentants de la dévotion au Sacré-Cœur
e
au x v siècle, en dehors des Franciscains ( 5 ) , sont Dominique de

(1^ P. O T H O N , loc. cit., p . 3a4- — (a) Revue de VArt chrétien, 1879, I ï , p . 100.
(3) P . O T H O N , loc. cit., p. i38.
(4) L e s m ê m e s i n d u l g e n c e s étaieut a t t a c h é e s à l a fête d e saint J o s e p h et
a u x fêtes d e l a s a i n t e V i e r g e , d a n s l'église d e l'Annoiiciade. (Loc. cit., p . 167.)
(5) P a r m i l e s F r a n c i s c a i n s , ne p o u v a n t l e s citer t o u s , m e n t i o n n o n s c e p e n d a n t
Henri d e H e r p ( H a r p h i u s ) , m o r t v e r s 1478, d o n t l a Theologia mystica, é t u d i é e
et m é d i t é e p a r t o u t , c o n t r i b u a b e a u c o u p à p r o p a g e r l a d é v o t i o n . B l o e m e n v e n n a ,
p r i e u r d e l a c h a r t r e u s e d e C o l o g n e et m a î t r e d e L a n s p e r g e , t r a d u i s i t s e s
œ u v r e s m y s t i q u e s . U n p e u p l u s t a r d . B r u n o L o e r . d e l a m A me c h a r t r e u s e ,
les r é é d i t a i t et les d é d i a i t à s a i n t I g n a c e . Cf. B A I N V E L , La Dévotion..., p . a5o.
io8 LA. DÉVOTION AU SACHE-CŒUR

Trêves (I388-I46I), J a c q u e s de Clusa (I386-I466), Henri Arnoldi


de Bâle ( f 1487), chartreux, et sainte Catherine de Sienne, domi-
nicaine.

e
L'Iconographie du Sacré-Cœur au XV siècle.

E n 1424? Bernardin prêchait à Bologne. Selon s a coutume, il


termina s a station de carême p a r Y Incendie du château du Diable.
Il se fit apporter les mauvais livres, les gravures et tableaux
obscènes, dés, cartes, faux cheveux, et il fit un bûcher devant
tout le peuple, sur la place publique. En même temps il fit pro-
mettre à ses auditeurs de renoncer à toutes ces inventions du
diable.
Mais un pauvre artisan, Valério, qui gagnait sa vie à peindre
des cartes, vint le trouver et lui reprocha de lui enlever son
gagne-pain. L e saint prit une tablette, y traça, dans un soleil,
son célèbre monogramme et lui dit : « Peignez ces images et vous
n'aurez rien à regretter. » D e fait, Valério peignit désormais des
noms de J é s u s et trouva grand profit à son nouveau travail.
Toutes les villes du nord de l'Italie eurent, comme Bologne,
leurs peintres du nom de J é s u s , et cet art nouveau se répandit
bientôt en Allemagne, en F r a n c e et par toute l a chrétienté. L a
gravure sur bois, inventée ou du moins vulgarisée à l a même
époque, se mit à l'œuvre de son côté et multiplia à l'infini ces
images du saint Nom, et toute la chrétienté en fut comme inondée.

Pendant que, sous l'influence et l'autorité de saint Bernardin


de Sienne, le culte du nom de J é s u s se répandait partout, d'autres
Franciscains, parmi lesquels il faut ranger, s a n s doute, a u premier
rang, saint J e a n de Capistran, propageaient la dévotion aux ins-
truments de la Passion.
1
^ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU XV' SIECLE IOp,

Schreiber en donne un exemple très frappant dans son


MANUEL ( I ) , sous ce titre : Les instruments de la Passion, le saint
I 0
tombeau et deux saints, et qu'il date de i 4 4 ° " 4 ^ -
« Dans un double cercle flamboyant et radiant, écrit-il, autour
duquel les symboles des quatre évangélistes sont rangés en forme de
carré, il y a en haut le suaire tenu par deux anges. À gauche, saint
François est agenouillé ; à droite, un autre saint (Jean de Capislran?) (2)
reste debout portant une croix. En bas, le tombeau gardé par un ange
et visité par sainte Madeleine. Dans un autre cercle intérieur, on voit
la croix et les autres instruments de la Passion. Sur le soubassement
une prière en cinq lignes :
« O Jésus ! ô l'intime de mon âme ! ô l'éternel ! ô le fort ! ô la douceur
désirable ! gardez-moi et protégez-moi dans mon corps et dans mon
âme ; nourrissez-moi toujours plus, par votre foi et votre amour pater-
nel, de votre Passion. »

C'est de ces deux types d'images, bien franciscaines, que


nous allons voir sortir, p a r des additions et transformations
simples et naturelles, l'iconographie du Sacré-Cœur (3).
L a première transformation amena au milieu des instruments
de la Passion* ou autour du monogramme l'image des Cinq
Plaies, plaies des mains, des pieds et du côté. De bonne heure,
la plaie du côté fut remplacée par l'image du Cœur ouvert
par la lance.
L a seconde transformation consista dans l'importance toute
spéciale accordée à la plaie du Cœur. Elle devient le centre
de l'image, les autres plaies et les divers instruments de la
Passion ne servent guère qu'à la mettre davantage en relief.

(1) Manuel de l'amateur de la gravure sur bois, t. I I , n ° 1806. M u n i c h , K H K .


s ) C'est p l u t ô t s a i n t B e r n a r d i n .
! 3) M. M â l e , d a n s s o n l i v r e L'Art religieux de la fin du M. A., p p . 99-102,
dit q u ' a u M o y e n A g e il y a v a i t d e s confréries d e l a P a s s i o n . . . A S a i n t - P a t r i c e
d e R o u e n , il e x i s t a i t u n e confrérie de l a P a s s i o n , é r i g é e en i'^4* L e s a s s o c i é s
p o r t a i e n t p r o c c s s i o a n e l l e n i e n t l e s i n s t r u m e n t s d e l a P a s s i o n . O u en créait d e s
b l a s o n s . D a n s l e s t a b l e a u x d e cette é p o q u e , o n v o i t les a n g e s p o r t a n t l e s
m ê m e s i n s t r u m e n t s . E n m ê m e t e m p s , le c u l t e d e s C i n q P l a i e s s e d é v e l o p p a i t .
M . M â l e le fait c o m m e n c e r a u x i v ° siècle ; n o u s a v o n s v u les s a i n t e s C l a i r e
e e
et M a r g u e r i t e d e Cortone le p r o p a g e r d è s le x i n . E t il a j o u t e q u ' a u x v siècle,
d e s confréries s e créèrent s o u s le v o c a b l e d e s C i n q P l a i e s et il en a t r o u v é
u n e , à F e l l e t i n s ( C r e u s e ) , q u i faisait dire u n e m e s s e t o u s les v e n d r e d i s . I l
n o t e à S a i n t - E t i e n n e d e L i m o g e s u n é e u s s o n « a v e c l e s cinq p l a i e s a u n a t u r e l
s u r fond d'or. »
C e s i m a g e s d e l a P a s s i o n s e d é v e l o p p è r e n t e n c o r e d a n s u n e a u t r e direction
et d o n n è r e n t o r i g i n e a u x « M e s s e s d e S a i n t G r é g o i r e » et a u x « Crucifix o u
C œ u r s E u c h a r i s t i q u e s » . N o u s en p a r l e r o n s à l a fin d e ce t r a v a i l .
n o LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

La t r o i s i è m e et d e r n i è r e t r a n s f o r m a t i o n a m e n a la suppres-
sion des m a i n s et des p i e d s b l e s s é s p o u r ne c o n s e r v e r que
l'image du divin Cœur. C ' e s t ainsi q u ' o n en arriva progres-
s i v e m e n t à l ' i m a g e et a u c u l t e p r o p r e m e n t dit du S a c r é - C œ u r .
Quelques g r a v u r e s se p r é s e n t e n t c o m m e la s y n t h è s e des
d e u x t y p e s p r é c é d e n t s . E l l e s c o m b i n è r e n t , d a n s la m ê m e i m a g e , le
monogramme et les i n s t r u m e n t s de l a P a s s i o n , p u i s les d é v e -
loppèrent d'après le m ê m e p r o c é d é p a r l a f i g u r a t i o n des C i n q
Plaies, ou par l'image du divin C œ u r resté seul.
Nous allons étudier ces d i v e r s t y p e s d ' i m a g e s d u Sacré-
Cœur, sans chercher à établir entre e u x une priorité chrono-
l o g i q u e , c a r ils a p p a r a i s s e n t p r e s q u e e n m ê m e t e m p s d a n s les
n
g r a v u r e s que nous avons étudiées ( i ) . Nous traiterons : i du
Monogramme seul et dans ses /'apports avec le Sacré-Cœur ;
i° des Instruments de la Passion dans leurs rapports avec le
Sacré-Cœur ; 3° du Sacré-Cœur représenté seul et pour lui-même.
N o u s t e r m i n e r o n s p a r l ' e x a m e n de d e u x t y p e s s p é c i a u x de
S a c r é - C œ u r : le S a c r é - C œ u r à l ' E n f a n t J é s u s , et le S a c r é - C œ u r
à l'Agneau.

I. — Le monogramme IHS et le Sacré-Cœur.


1° Origine et histoire du m o n o g r a m m e .

L'usage du m o n o g r a m m e I H S remonte a u x premiers siècles


de l ' E g l i s e . O n d i s c u t e p o u r s a v o i r s'il est d'origine g r e c q u e o u
l a t i n e . L e P . G a r r u c c i , d a n s Storia delV arte cristiana (2), sou-
t i e n t l ' o r i g i n e l a t i n e . C a v e d o n i , u n p e u a v a n t lui, s'était p r o n o n c é
p o u r u n e o r i g i n e g r e c q u e . A u j o u r d ' h u i le Dictionnaire d'Archéo-
logie chrétienne n ' o s e e n c o r e t r a n c h e r la q u e s t i o n . L'immense
majorité des d o c u m e n t s et des t é m o i g n a g e s affirme cependant
une o r i g i n e g r e c q u e .

(1) La filiation des types que nous donnons ici est purement logique et
n'a d'autre but que d'en faciliter l'étude. Répond-elle à la réalité chrono-
logique ? Nous le croyons, mais nous n'avons point de documents pour
l'établir avec certitude. L a coexisteuce de ces divers types dans les plus
anciennes gravures que nous connaissons (I45O-I5OO) prouve seulement que
l'usage de ces sortes d'images remontait déjà à de nombreuses années.
(a) Prato, 1872, t. I, p . 164.
L I C O N O G U A P H I E DU S A C R É - C Œ U R AU XV" S I E C L E III

L e s d o c u m e n t s les p l u s a n c i e n s q u e n o u s c o n n a i s s i o n s s o n t
d e u x m o n n a i e s de J u s t i n i e n I L
L a p r e m i è r e est de 685-690 et p o r t e :

DN ihs Ghs R E X R E G N A N T I U M

et se lit : Dominus noster Jésus Christus rex regnaniium.


L a s e c o n d e est de 700-711 et p o r t e :

IhS C R I S T D F R E X R E G N A N T I U M

et se lit : Jésus Christus dei Filins rex regnantium.


L e m o n o g r a m m e I I i S ici e m p l o y é est-il g r e c o u l a t i n ? E s t - i l
l ' a b r é v i a t i o n de 1H20Y2 o u de I H E S U S ?
L a s e c o n d e l e t t r e est-elle T h ê t a g r e c Ir^ouç o u Th latin, l ' a s p i r é e
de J h e s u s ?
P a r c e q u e le r e s t e de l ' i n s c r i p t i o n a p p a r t i e n t a u l a t i n , le Dic-
tionnaire d'Archéologie chrétienne y v o i t l'h l a t i n . S'il fallait s u i v r e
s o n a v i s , il s ' e n s u i v r a i t q u e , dans la p l u s a n c i e n n e inscription
d a t é e c o n n u e , le m o n o g r a m m e du C h r i s t est l a t i n .
M a i s n o u s n e c r o y o n s p a s q u e son i n d u c t i o n soit c o n c l u a n t e ,
c a r les g r a m m a i r i e n s , dès cette époque, reconnaissaient à l'h
latin d e u x v a l e u r s , l a v a l e u r latine de l ' a s p i r a t i o n H e t la v a -
l e u r g r e c q u e de T h ê t a . L e g r a m m a i r i e n D y n a m i u s , en effet,
e
q u i v i v a i t cent ans p l u s tôt, a u v i siècle, é c r i t : « D a n s les
l i v r e s s a c r é s , o u t r e les 23 l e t t r e s de l ' a l p h a b e t latin, n o u s n o u s
s e r v o n s de X P p o u r le n o m d u C h r i s t , de H d a n s le n o m de
I H V , et d a n s l ' A p o c a l y p s e de Ta et de Y ta ( 1 ) . »
L e fait q u e le m o n o g r a m m e I H S se t r o u v e d a n s u n e i n s c r i p t i o n
p
écrite e n l e t t r e s latines, au v n siècle, ne p r o u v e donc pas
qu'il soit c o n s t i t u é de l e t t r e s l a t i n e s , p u i s q u e , à c e t t e époque,
T h ê t a g r e c , II, était c o n s i d é r é c o m m e faisant p a r t i e de l ' a l p h a b e t
latin et a d o p t é officiellement p a r l e s g r a m m a i r i e n s pour écrire
le n o m de J é s u s .
D e p l u s , dans les i n s c r i p t i o n s citées p l u s h a u t , si la s e c o n d e

(1) <( In sacris paginis, praeter XXIII litteras alphabeti latini, usi
sumus X P in Christi nomine, in I H V , H, et in A p o c a l y p s i a et w, »
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

L e Cruciûx de Saint-Daniien
P e i n t u r e b y z a n t i n e copiée p a r l e P . J u s t e , O. M . G., d ' a p r è s l'original
c o n s e r v é a u c o u v e n t d e s C l a r i s s e s d ' A s s i s e (Cf.Vie de saint François, édition
P l o m b , p . 23).
On y voit le m o n o g r a m m e I H S , c o m m e s u r le crucifix d u m u s é e de
e
G l u n y ( x i n siècle). C e fait p e u t e x p l i q u e r l a d é v o t i o n d e s a i n t F r a n ç o i s et
d e s F r a n c i s c a i n s p o u r ce m o n o g r a m m e .
P
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIECLE Il3

lettre du monogramme est la voyelle grecque hêta, la pronon-


ciation s'y trouve régulièrement figurée et facile à interpréter :
Iêsus. S i , au contraire, on y voit l'aspirée latine (la consonne h),
la prononciation n'y sera plus figurée ; elle y sera plutôt
défigurée. Car la présence d'une aspirée n'a ici aucune raison
d'être. Aussi, quand les scribes du moyen âge eurent oublié
définitivement la valeur de cet H comme voyelle et ne virent
plus que l'aspirée H, ils la firent suivre d'un E pour figurer
la prononciation et ils écrivirent Ihesus, orthographe qui se
trouve en contradiction avec l'étymologie naturelle du mot
hébreu Ieshou et du mot grec 'lvpwç et qui n'a de fondement
nulle part.

S u r une monnaie de Constantin V I (780-791), l'inscription où


se lit le monogramme est grecque :

IHSUS XPISTUS NICA

Cette inscription grecque se retrouve sous Michel II, Michel III,


Basile le Macédonien et J e a n Zemis.
e
Au ix siècle, on donnait du monogramme la même interpréta-
tion, qu'avait donnée trois siècles plus tôt Dynamius. L e mono-
gramme, écrit Drothmar, moine de Corbie, s'écrit par trois lettres :
l'iôta, l'ê long (hêta) et le sigma. On trouve la même interpré-
tation dans la correspondance d'Amalaire ( 1 ) . Nous croyons
donc qu'on ne peut plus guère mettre en doute l'origine grecque
du monogramme.
L ' u s a g e du monogramme se conserva en Italie, durant tout le
moyen âge. On le trouve :
e
A Rome, au i x siècle :
D N S N O S T E R IHS X P S

S u r le diptyque de Rambona :
E G O S U M IHS N A Z A R E N U S

(1) V o i c i l a r è g l e d'écriture q u e r é v ê q u e J o n a s a v a i t d o n n é e à A m a J a i r e f

a u ix" siècle : « D e m ê m e q u e le n o m d e C h r i s t u s s'écrit p a r l e s lettres g r e c q u e s


X P a v e c l e s a u t r e s l e t t r e s ' l a t i n e s c o n v e n a b l e s , a i n s i le n o m d e I H S ( I e s u s )
p a r I et H en a j o u t a n t les lettres latines v o u l u e s . » V o i r Dictionnaire d'Archéo-
logie chrétienne, à l'article A B R É V I A T I O N ,

S.
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

A Rome (i2o5) :
DOMINI N O S T R I IHV XPI

A M a u l é o n , e n P o i t o u (1220) :

IHESUS
e
A u m u s é e de G l u n y ( P a r i s ) sur u n C h r i s t d u x m siècle : I H S .
Enfin G a s l e y affirme q u e les m a n u s c r i t s s c r i p t u r a i r e s latins,
d e p u i s le vP s i è c l e , é c r i v e n t le n o m de J é s u s p a r le m o n o g r a m m e :

IHS IHU IHM

S o u v e n t , d a n s le m o n o g r a m m e , S est r e m p l a c é p a r C . C e C e s t ,
c r o y o n s - n o u s , le 2 o u S g r e c . E t Ton a I H C . P a r f o i s le m o n o -
g r a m m e se t r o u v e r é d u i t à d e u x l e t t r e s I C .
L a forme I H C se t r o u v e à L o n d r e s , a u B r i t i s h M u s é u m , d a n s
e
le M s . de H a r l e y d u x siècle ; à B r i x e n , e n A u t r i c h e , à la b i b l i o -
G
t h è q u e d u S é m i n a i r e , d a n s u n M s . du xi siècle ; e n E s p a g n e , sur
le crucifix d e l à c a t h é d r a l e de L é o n ( M u s é e de M a d r i d ) , xP s i è c l e ;
en F r a n c e , sur le crucifix d'un v i t r a i l de la c a t h é d r a l e de
B o u r g e s , p r e m i è r e moitié d u xnP siècle.
C e m o n o g r a m m e , s o u s sa forme I H S , a p p a r a î t à l ' o r i g i n e de
l'histoire f r a n c i s c a i n e et il y j o u e u n r ô l e i m p o r t a n t . Il m a r q u a i t
le n o m d u C h r i s t s u r le c é l è b r e crucifix d e S a i n t - D a m i e n , q u i
parla à saint François et décida sa vocation. C'est ce qui
e x p l i q u e , c r o y o n s - n o u s , l e c u l t e que lui v o u a l ' O r d r e des M i n e u r s .
S a i n t F r a n ç o i s le fit g r a v e r , s o u s l a forme I H C , et s u r m o n t é de
l a c r o i x , s u r l e s fers à h o s t i e , qu'il faisait d i s t r i b u e r a u x é g l i s e s
p a u v r e s (1). N o u s avons rapporté, d'après une antique tradition,
q u ' i l l ' a u r a i t d o n n é , s o u s sa f o r m e I H S s u r m o n t é de l a c r o i x , p o u r
b l a s o n à la p r o v i n c e de C o r s e .
C'est dans cette tradition que saint Bonaventure puisa
l ' é l é m e n t p r i n c i p a l de ses a r m e s c a r d i n a l i c e s : le m o n o g r a m m e

(1) Ce fer à hostie présente d e u x marques intrinsèques d'authenticité :


i° les lettres du monogramme I H C au lieu de I H S que nous n'avons pas
e 0
retrouvées au delà de la moitié du x m siècle ; 2 la forme de la croix qui
surmonte FH et qui est celle même de la bulle d'Honorius III, continuant la
règle des Frères Mineurs.
LICONOGRAPIHE DU SACRÉ-CŒUR AU XV" SIÈCLE Il5

avec FH surmonté de la croix et le tout enfermé dans un soleil


de flammes ( i ) .

Hostie faite avec le fer à hostie de saint François


conservé au couvent de Greccio.
Les trois lettres sacrées I H C sont surmontées de la croix
et encadrées de rinceaux de vigne, symbole de l'Eucharistie.
Vie de saint François, édit. Plomb, p. 201.

Il faut attendre jusqu'au xv° siècle pour voir remettre le


monogramme dans une nouvelle lumière. Ce fut l'œuvre du
grand orateur franciscain, saint Bernardin de Sienne. Nous
avons suffisamment fait connaître son apostolat en faveur de
la dévotion au saint Nom de J é s u s . Nous n'y insisterons donc
p a s . Son monogramme est dans un soleil étincelant de chaleur,
comme celui de saint Bonaventure, mais, dans les documents
les plus anciens que nous connaissions, l'H ne porte pas de
croix.

e
( 1 ) La Vie de saint Aubin, M s . d u x i siècle d e l a B i b l i o t h è q u e N a t i o n a l e ,
résente d e b e a u x d e s s i n s d'hosties m a r q u é e s a u x m o n o g r a m m e s I H S ,
F H G ; X P G , d o n t q u e l q u e s - u n s ont le signe d ' a b r é v i a t i o n s u r m o n t é d e l a
p
c r o i x . D è s le v i n siècle, l e s s c r i b e s b a r r e n t l a h a m p e d e P H en forme d e
croix. S a i n t B o n a v e n t u r e e s t le p r e m i e r , c r o y o n s - n o u s , q u i ait m i s le m o n o -
s e
g r a m m e d a n s u n soleil. A p r è s le concile de L y o n qu'il p r é s i d a en 1274* il
p r o d u i s i t u n g r a n d m o u v e m e n t p o u r l a glorification d u r î o m d e J é s u s . Cf. De
Monogrammate, Milan, 1773.
n 6 LA. DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Cependant, de bonne heure, on b a r r a d'un trait la hampe


de rE[, avec l'intention formelle de former une croix, et Ton
eut le monogramme avec la croix. L e plus ancien exemple du
monogramme bernardinien, avec la croix, que nous connaissions,
date de 1454. Nous en donnons la gravure ci-après. U n autre
date de Tan 14O0. C'est une gravure sur métal conservée au musée
de Munich. Elle représente saint Bernardin tenant son mono-
gramme appliqué sur une croix. Cependant c'est plutôt ici le
monogramme sur la croix que la croix dans le monogramme ( 1 ) .
Néanmoins nous y voyons que l'artiste a prêté à saint Bernar-
din lui-même la volonté d'unir dans une même image le mono-
gramme et la croix.
L e revers d'une médaille du doge Nicolas Marcello ( i 4 7 4 )
porte le monogramme, dans un soleil, avec la hampe de l'Zj
barrée en forme de croix ( 2 ) .
Une gravure sur bois de 147^-1480, conservée à la Bibliothèque
royale de Stuttgard, représente le .bienheureux Suso portant
le monogramme avec I"Ej barré en croix sur la poitrine (3).
e
A partir de la fin du x v siècle, le monogramme à la forme
crucifère se généralise de plus en plus. Il garde toujours son
centre de diffusion dans la famille franciscaine mais il ne
tarde p a s à être employé dans d'autres ordres religieux et p a r
quelques séculiers.
Comme spécimens de ce monogramme, rappelons celui de
la bienheureuse J e a n n e de Valois, reproduit plus haut, et divers
frontispices : Sermones de Evangelio œterno de saint Bernardin
de Sienne, Bàle, 1491 ; — Vie de saint Antoine de Mapha?us, de
la même époque, publiée à Deventer.
Signalons enfin le beau monogramme qui orne le trône de la
Vierge dans le tableau franciscain de Pinturrichio (I454~I5I3) :
La Vierge et VEnfant Jésus entouré de plusieurs Saints. C'est le

u
(1) V o i r SCHREIBER, Le Manuel de... N q568 et Einzel-Mctalschnittc...
Munich, d e HEIT/.
(2) Saint François d'Assise, édition i l l u s t r é e do PLOMII, P l . X X I X , p .
(3) ( X lï«»LZsciiNiTriï,Stuttgard, Heitz.
e
^ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIECLE 117

Saint Bernardin de Sienne prêchant la dévotion au saint N o m de Jésus.

Cette gravure a u criblé, conservée au cabinet des Estampes à la


Bibliothèque Nationale, est regardée comme la plus ancienne des
gravures en relief s u r métal. Elle est d a t é e d e i454, dix ans après la
mort du saint. L e m o n o g r a m m e est s u r m o n t é d e la croix, le j a m b a g e
d e l'h étant barré à sa partie supérieure. Le sceau de la province
d'Autriche, reproduit à la p a g e suivante, porte la croix sur la barre
d e T H . Il s e t r o u v e d a n s G o n z a g a ( 1 5 8 ; ) . Il p o r t e la d a t e d e 14^2.
Il8 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

monogramme sous sa forme définitive, c'est-à-dire tracé en


caractères romains, avec la barre de Y H. surmontée de la croix,
et entouré de rayons de chaleur et de lumière ( i ) .
Nous allons voir maintenant ce monogramme se développer
de plus en plus et, non content de la petite croix qui le surmonte,
il va s'orner de tous les signes capables d'exprimer le grand
mystère du Calvaire : le
crucifix et les instruments
de la Passion — les Cinq
Plaies — et enfin le Sacré-
Cœur. Racontons cette évo-
lution.

2° L e m o n o g r a m m e
a v e c le crucifix.

Schreiber, dans son Ma-


nuel de Vamateur de la gra-
vure sur bois (2), signale un
monogramme des environs
de i5oo, conservé à la Hof-
bibliothek de Vienne qui
porte le crucifix avec les
instruments de la Passion.
En voici la description :

Les caractères, écrit Schrei-


ber, sont ornementés. Le grand
t r a U d e s e f o r i a r u n e
Sceau de la province d'Autriche. }'* f P
croix veinée avec le Sauveur
surmontée de la banderole
INRI. En haut, à gauche, il y a neuf hosties ; à droite, sont repré-
sentés les dés, le fouet et la verge. Par la lettre S passe la lance, et le
sang des plaies du Sauveur coule dans un grand calice posé en bas.
A gauche et à droite est agenouillé un moine. Sur celui de gauche
se trouve la banderole : Quant admirabile est nomen tuam, Domine !
A droite : Sit nomen ttium, Domine Jesu, benedictum.
1) Voir Vie de saint François, édit. PLOMB, p. 288.

2) SCIIHEIBBR, n° i8ai.
e
l'iconographie du sacré-cœur au xv siècle 119

C'est, on le voit, un crucifix eucharistique. Nous en parlerons


plus loin.

3° L e m o n o g r a m m e a v e c l e s Cinq P l a i e s .

Une gravure de 1480-90 trouvée à Bruxelles réunit le mono-


gramme avec les Cinq Plaies. En voici la description d'après
Schreiber (1) :

Le monogramme et Maria. En haut, les caractères i^tf ombrés


sont mis dans un rond flamboyant (un soleil). La tète del'^ est traver-
sée par le ruban IN RI et les jambages de cette même lettre renfer-
ment le Cœur de Jésus. Dans les coins supérieurs, il y a les mains
blessées ; dans les coins inférieurs, les pieds. En bas on lit le mot Maria.

4° L e m o n o g r a m m e a v e c le S a c r é - C œ u r s e u l .
Dès 1460-1470, on trouve le monogramme, avec le divin
Cœur, sans les autres plaies. Schreiber (2) l'appelle Le mono-
gramme IHS au Sacré-Cœur. La gravure est conservée au Cabi-
net des estampes de Berlin. C'est un vaste cœur, traversé par
un tau et portant le monogramme. En voici la description :

« Un tau, autour duquel le serpent s'entortille vers la gauche,


traverse la plaie latérale, se trouvant au milieu du cœur, pourvu de
six gouttes de sang. Là-dedans, à grandes lettres, le monogramme IHS.
En haut xme tablette à l'inscription INRI, en bas, à droite, une
fleur (3). »

(1) Loc. cit., no i8a5.


(2) Manuel, n° 1807. Cette gravure est conservée au Koniglishes Kuperstich
Kabinet de Munich.
(3) Le tau insinue clairement l'origine franciscaine de cette gravure. Le
tau, en effet, joue un grand rôle comme attribut de saint François. Il
l'adopta comme sceau personnel : Familiare sibi signum thau, écrit Celano
(Tractatus de Mlracnlis, 11,3) prœ cœteris signis, quo solo et missivas
cartuïas consignabat et cellarum parietes ubique depingebat. A cause de ce
signe tau, saint Bonaventure voit, en saint François, l'ange de l'Apocalypse
et d'Ezéehiel, arme du signe du Dieu vivant.
120 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

II. — Les Instruments de la Passion et le Sacré-Cœur,


Nous allons retrouver, pour les instruments de la Passion,
la même évolution iconographique que nous avons constatée
pour le monogramme. C'est d'abord le Crucifix, puis les Cinq
Plaies, ensuite le Sacré-Cœur et les Cinq Plaies, enfin, le Sacré-
Cœur seul. Nous ne croyons pas utile d'apporter d'exemples des
Instruments de la Passion avec le Crucifix. Nous citerons de
suite les autres types.

1° L e s I n s t r u m e n t s d e la P a s s i o n a v e c l e s Cinq P l a i e s .

L a gravure ci-jointe, extraite de Gonzaga (i58^), donne une


idée suffisante des ces sortes d'images. On n'y voit pas le cœur,
mais seulement la plaie du côté. L e s Cinq Plaies ainsi représentées
sont considérées comme faisant partie des armes franciscaines.
Mais nous ignorons quand a commencé l'usage de telles armes.

i° Sceau du commissaire de la Nouvelle-Espagne : les Cinq Plaies


sur la croix et la Couronne d'épines.
0
a Sceau du commissaire général des Indes : le Monogramme.
e
L'iCOXOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIECLE I'21

2° L e s I n s t r u m e n t s d e la P a s s i o n
a v e c le S a c r é - C œ u r et les Cinq P l a i e s .

L a plus ancienne gravure, représentant les instruments de


la Passion avec les Cinq Plaies, dont nous ayons connaissance,
se trouve à Londres, et elle daterait des environs de i 4 5 o . C'est
encore Sehreiber qui la signale. En voici la description.

Au centre de la gravure, le cœur colombin percé d'une lance au


côté gauche et entouré d'une couronne d'épines. Celle-ci est pourvue
de quatre roses, portant les mains et les pieds entourés d'un nimbe
à dents noires. Hmt portraits en buste de Caïphe, dMIérode, de Pilate
et des personnages cités dans la Passion, sont groupés tout autour.
Au-dessus, on aperçoit la croix en T, dans laquelle sont enfoncés
trois clous et qui porte l'inscription INRf. Au bras gauche de celle-ci,
se trouve un vêtement, au bras droit encore un et trois dés. Les
autres instruments de la Passion sont placés autour. L'encadrement
se composait de deux traits et portait l'inscription - « Das ist die
waffen Jesu Cristi. Ce sont là les armes de Jésus-Christ ( i ) . »

Plus expressive encore, semble-t-il, est la gravure conservée


à Berlin et à p e u près de même date (1460-1470). Sehreiber
l'appelle Les Cinq Cœurs blessés et le Christ en croix. S u r une
grande croix, on voit le Christ dont la partie inférieure, au-
dessus du buste, se termine p a r un cœur ; et, à chacun des
quatre angles, un cœur avec les instruments de la Passion. Voici
la description qu en ilonne Sehreiber au n° i8o5.

« Au milieu/sur une croix veinée, est fixé le buste du Sauveur,


tourné vers la gauche et achevé par un cœur, au-dessous duquel deux
anges agenouillés tiennent un grand calice ouvragé. Dans les quatre
coins se trouve un cœur. Le premier est percé d'une flèche ; le second
est dans la couronne d'épines ; le troisième est accompagné des clous,
de la lance, dont la pointe plonge dans le côté du Seigneur; le
quatrième est avec des ailes et des pains d'autel. Entre ces objets, on
lit les textes suivants : Là est représenté le cœur avec la flèche... le

e
(1) SCHREIBER- Manuel de l'amateur de la gravure sur bois au x v siècle,
t. I I , n« 1786.
122 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CCEUR.

cœur avec la couronne,... le cœur avec le crucifix,.., le cœur avec les


clous et la lance..., le cœur avec les ailes ( i ) . »

Voici une autre gravure ( 2 ) qui n'est p a s moins expressive :


C'est le Suaire et les Cinq Plaies de Nuremberg- (1470-1480).
S u r fond noir. L a tête du Sauveur est représentée au milieu.
Elle a la barbe partagée au menton et un nimbe radiant à
fleur de lys. Elle est entourée d'une couronne d'épines, au
dedans d'une double guirlande de petites fleurs.
Cette double guirlande est garnie de cinq roses dont celle
d'en haut contient le cœur percé à g a u c h e ; celles du milieu,
les mains, et celles d'en b a s , les pieds. C'est sans doute une
image destinée à propager la couronne franciscaine des Cinq
Plaies.
E n haut on voit la croix en tau avec I N R I , au-dessus de
laquelle se croisent la lance et le roseau à éponge, tandis qu'à
gauche y est suspendu le fouet ; à droite, l a verge et entre les
deux d'autres instruments de la Passion.

3° — L e s I n s t r u m e n t s d e l a P a s s i o n et l e S a c r é - C œ u r s e u l .

e
L e s gravures de la fin du x v siècle, qui représentent le
Sacré-Cœur seul avec les instruments de la Passion, sont
nombreuses. L e plus souvent le divin Cœur est sur un linge,
un suaire sans doute, présenté p a r un ou deux anges.
Il se peut que l'ange ici et ailleurs ait une signification
mystique d'origine franciscaine. Il rappelle que le Ghrist, dont
la gravure présente le Cœur à la vénération, est celui qui
apparut à saint François sur l'Alverne sous la forme d'un

( 1 ) T o u s ces c œ u r s s o n t l a t r a d u c t i o n p a r l ' i m a g e d e l a c é l è b r e p a r o l e
d e l ' É v a n g i l e . Sic Deus dilezit mundum ( J O A N X . , I I I , 1 6 ) . D i e u , le P e r e et
l e F i l s o n t t a n t a i m é l e m o n d e q u e , p o u r le r a p p r o c h e r d'eux, i l s o n t
inventé toutes les merveilles de la Passion. Ces c œ u r s représentent donc
l ' a m o u r d e D i e u le P è r e et a u s s i l ' a m o u r d e D i e u le F i l s , q u i s o n t u n s e u l
et m ê m e a m o u r , et enfin l ' a m o u r d u C h r i s t c o n s i d é r é d a n s s o n h u m a n i t é
et d è s l o r s , s o n c œ u r d e c h a i r b l e s s é d e l a l a n c e , le S a c r é - C œ u r ,
(a) W . - L . S C H R E I B E R , Manuel, t. I I I , p . 87, n ° 2445.
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU XV" SIECLE 123

U n ange tient un suaire sur lequel se détache'un large cœur portant


une large blessure ovale. Dans le cœur une croix avec trois clous.
Cette gravure se trouve à la Bibliothèque royale de Munich et date
de 1 4 7 0 - 1 4 8 0 . Il est probable, comme dans d'autres images analogues,
que l'ouverture de la plaie représente les dimensions de la sainte
lance (Cf. L E I D I N G E R , Holzschnitte, Munich, I, T ^ . )
L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

séraphin et dont saint Bonaventure dans son Itinerarium et


Ubertin de Gasale, dans son Lignum çitœ, avaient si bien
exposé la signification symbolique (i).
Le Sacré-Cœur tenu par les anges (2). Au milieu de la partie infé-
rieure le cœur avec la plaie béante est tenu par deux anges visibles
plus qu'à demi-corps. Au-dessus s'élève la croix avec le fouet et la
verge y accrochés, contre laquelle s'appuient le roseau à éponge et la
lance croisés. A gauche est le suaire, les dés, etc. ; à droite sont les
clous, la couronne et d'autres instruments de la Passion. On lit à la
partie inférieure :
« La longueur de la croix qui est devant le cœur multipliée vingt fois
représente l'exacte longueur du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Et celui qui la baise,et regarde avec dévotion... La déchirure dans le
cœur montre l'exacte longueur et largeur de la blessure du côté de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Celui qui, s'étant confessé, le regarde
avec dévotion gagne sept années d'indulgence, accordées par le sei-
gneur Père et Pape Innocent VIII. »

III. — Le Sacré-Cœur seul, peint pour lui-même.


T I
Les numéros 1793, 1797» 79^ 799> $ d Manuel de J o î u

S C H R E I B E R représentent le Sacré-Cœur seul tenu par l'ange. Le


numéro 1799, qui est à Weimar (1480-1490), est spécialement
intéressant. En voici la description, d'après Schreiber :

Un ange tient un linge avec le Cœur de Jésus blessé d'une pointe.


Le sang de la plaie coule dans un calice qui est posé sur le sol. Dans
les deux réglettes d'encadrement se trouve l'inscription suivante : « O
toi, doux Jésus! Comme à toi, ton cœur a été percé! » Et au
e
xvi siècle une autre main a écrit : « Aussi vraiment que ce Cœur a
été percé par la lance, ainsi nous devons transpercer nos cœurs avec
l'amour de Dieu. »
De la même époque est une autre gravure conservée au
musée de Goettingen : Le Sacré-Cœur, le Très-Haut et un Moine.

(1) Cette p r é o c c u p a t i o n m y s t i q u e s'est m a n i f e s t é e p l u s h a u t , b i e n c a r a c -


t é r i s é e d a n s la g r a v u r e d e s C i n q C œ u r s ; elle se r e t r o u v e d a n s le b l a s o n
f r a n c i s c a i n , d o n t u n d e s q u a r t i e r s est c o m p o s é p a r u n e tête d'ange a v e c d e u x
a i l e s , etc. L e s a i l e s d ' a n g e s , d ' a p r è s s a i n t B o n a v e n t u r e , signifient l'élévation
des â m e s v e r s les r é g i o n s d e l a c o n t e m p l a t i o n .
(2) SCHREIBER, 2
loc. cit., n ° 1589. Cette g r a v u r e e s t à V i e n n e et à B e r l i n et
d a t e de I484-I49-
e
L'iCONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIECLE ia5

Au centre se trouve le Cœur tenu par deux anges les ailes dressées.
Au-dessus, le Très-Haut, en buste, tenant le globe de la main droite,
et, de la gauche, plongeant une flèche dans le Cœur. En bas, un
dominicain est agenouillé avec un rouleau, où on lit : Miserere mei,
Deus.
Cette gravure ( 1 ) a servi à former la couverture d'un exemplaire du
Tractatus Bonaventurœ imprimé à Strasbourg en ifôQ- Nous en donnons
ici la reproduction.

Cette gravure se trouve au musée de Munich (Cf. L E I D I N G E P ,


Hohschnitte, T. I, 43). Elle date de 1463-67.
Le moine en prière est un chartreux. L'image représente Dieu le
Père frappant le cœur de son Fils et l'immolant pour nos péchés.
( 1 ) S C U K E I B E R , Manuel, n ° i8o3. L a g r a v u r e r e p r o d u i t e et l e s a u t r e s
e m p r u n t é e s a u x m u s é e s a l l e m a n d s n o u s ont été f o u r n i e s p a r Heitz, le g r a n d
e
é d i t e u r d e s g r a v u r e s s u r b o i s a l l e m a n d e s d u x v siècle.
126 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

A Munich, on peut signaler encore la gravure : Le Sacré-


Cœur sur le Suaire tenu par deux anges ( i ) . Deux anges, les
ailes dressées, tiennent le linge, sur lequel est représenté le Cœur
portant la plaie saignante au côté gauche.

Le Sacré-Cœur sur le suaire aux deux Anges (2).

Nous arrivons maintenant à une série de Sacrés-Cœurs fort


intéressante et qu'on pourrait appeler les Sacrés Cœurs à la
sainte Lance. Nous allons les décrire. Nous expliquerons ensuite
leur origine et leur signification.
L e premier que nous rencontrons est celui de Nuremberg.
Schreiber, qui le décrit dans son Manuel, l'appelle : Le Sacré-
Cœur sur le suaire tenu par Fange (3) (1480-90), et il en donne la
description suivante,:

Ci) SCIIBETBEH, loc. cit., n ° 1797-98. Ces g r a v u r e s s o n t d e ifào.


(a) Cette g r a v u r e est d a n s L E I D I N G E R , Hohachnitte, Munich, II, 48, fin
d u x v siècle. — (3) SCITHEIBER, Manuel, n ° 1801.
e
L'ICONOGRAPHIE DU S A C R É - C Œ U R AU X V SIECLE 127

Entre deux colonnes, sur un sol gazonné, l'ange, se tournant un


peu vers la droite, tient un linge sur lequel se trouve le cœur, por-
tant la plaie au côté gauche, et le monogramme l^.S. En haut se lit
l'inscription suivante sur deux lignes :

Illud cor transifîxu est


Cu lancea Dni nstri Ihu r.

« Ce cœur a été transpercé avec la lance de Notre-Seigneur Jésus-


Christ. »
Sur une autre gravure analogue, conservée à Munich au Konig-
liches Kupferstich- und Handzeichnungs-Kabinet (1470), on lit l'in-
scription suivante :

Istud cor transifîxu cum veru


Lanceaq aperuit latus et cor Chri
Stie unde exivit sanguis et
Aqua in remissione peccatoru.

« Ce cœur a été transpercé avec la vraie lance qui ouvrit le côté et


le cœur du Christ, d'où sortit le sang et l'eau pour la rémission des
péchés ( 1 ) . »

2
Une autre gravure de Munich fi484~i49 ) se rapporte au
même Cœur de Jésus, blessé de la lance ; mais le divin Cœur y
apparaît parmi les Cinq Plaies. On y lit une inscription très
intéressante qui fait connaître la destination de ces sortes
d'images (2).

Au milieu de la gravure, expose Schreiber, on voit la plaie du


côté. Dans la plaie s'élève la croix portant l'inscription ÏNRI et le
cœur avec trois clous. Les noms des évangélistes Matthieu, Marc, Luc
et Jean y sont inscrits. En haut, le suaire et les deux mains, en bas
les deux pieds. A gauche on lit sur un rouleau: « Ceci est la longueur et
la largeur de la blessure du Christ qui fut ouverte dans son côté. Celui
qui la baise avec émotion, douleur et dévotion, aussi souvent qu'il le
fait, obtient sept années d'indulgences de la part du pape Innocent. »

(1) Loc. cit., n ° 806. — (2) Loc. cit., n ° 1795.


128 LA. DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Voici un autre spécimen non moins intéressant :

Un cœur est fendu obliquement d'une large blessure ovale. En


haut se lit l'inscription :
I l l u d c o r t r a n s f l x u m est c u m s e t
Lancea domini nostri Jesu X P 1
Ce c œ u r a été t r a n s p e r c é a v e c l a s a i n t e
Lance de Notre-Seigneur

Cette gravure se trouve à Munich à la bibliothèque royale.


(Cf. L E I D I N G E R , Holzschnitte, I, 4 0 1 elle est de 1463-67. Elle a été trou-
vée dans un livre ayant appartenu à l'humaniste Hartman Schedel de
Nuremberg.
e
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIECLE 129

Une gravure, analogue, de même destination et de même date


I 2
( i 4 ^ 4 " 4 9 ) jouît d'une très grande vogue, car, originaire de
Bavière, elle fut introduite à Altdorf, Nuremberg, Strasbourg,
Hanovre. Gomme la précédente elle présente le Sacré-Cœur avec
les Cinq Plaies et de plus elle joint le monogramme à divers
instruments de la Passion. Elle offre donc, en quelque sorte, la
synthèse de toutes les autres. Voici la description qu'en donne
Schreiber ( 1 ) .

Le milieu de l'illustration nous présente, entre la couronne


d'épines, le cœur portant la blessure de pointe largement ouverte et
saignante, dans les coins se trouvent les mains et les pieds blessés ;
en haut une planchette avec IHS, en bas une autre avec XPS au-
dessus le texte suivant, en quatre lignes :
« Cet ovale sur le Cœur montre la vraie longueur et largeur de
la blessure du côté du Christ. Tout homme qui avec un vrai regret
et confession et contrition la regarde, gagne sept années d'indul-
gence de tous ses péchés par concession du Saint Père et Seigneur
Innocent huit pape, aussi souvent qu'il le fera. »

Le pape Innocent dont il est ici question est Innocent VIII


e n
( I 4 8 4 - I 4 9 ) > cpi* 4 9 > obtint du sultan Bajazet l'insigne relique
2 x 2

du fer de lance qui avait percé le côté de Notre-Seigneur et que


les Turcs avaient enlevée aux Croisés, quelques années aupara-
vant. C'est sans doute en souvenir de ces divers événements
qu'on grava ces Sacrés-Cœurs. On les figura ou bien avec le fer
de lance comme celui de la bienheureuse Jeanne de Valois, ou
bien simplement avec la blessure. Et Ton donna soit à ce fer de
lance, soit à la blessure une dimension reproduisant exactement
celle de la sainte lance ou une proportion. C'est ce que font
remarquer les inscriptions quand elles disent que ce Cœur a
été transpercé avec la lance, ou la vraie lance de Notre-Seigneur.

(1) Loc. cit., N° 1788.


9
i3o LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR.

Avant les recherches de Sehreiber et d'autres Allemands,


qui ont mis au jour ces nombreuses gravures du Sacré-Cœur, les
auteurs qui, au hasard de leurs recherches, avaient rencontré
quelques images religieuses représentant ce divin Cœur, se
demandaient s'ils se trouvaient réellement en présence du Cœur
de Jésus ou du cœur de la créature, du fidèle. Comme il était
admis alors et jusqu'à ce jour, presque universellement sans dis-
cussion, que le culte des saintes images du Sacré-Cœur ne remon-
tait qu'à la bienheureuse Marguerite-Marie, ils concluaient géné-
ralement que ces images représentaient le cœur du fidèle et non
le Cœur de Jésus. Aujourd'hui le doute n'existe plus. Il est de
toute évidence que nous nous trouvons en face de véritables
images du Sacré-Cœur. S'il pouvait rester encore quelque incer-
titude à ce sujet, les derniers types que nous venons de décrire
suffiraient à les dissiper.
Nous avons ici, en effet, un cœur faisant partie du groupe des
Cinq Plaies. Il est donc bien le Cœur de Jésus, comme les mains
et les pieds sont ses mains et ses pieds. Du reste, les pratiques
du culte qu'on lui décerne et les indulgences qui y sont attachées
ne peuvent convenir qu'au divin Cœur.
Or ce même Cœur, avec la même lance qui le transperce et la
même inscription, nous l'avons retrouvé, à l'état isolé, en dehors
du groupe des Cinq Plaies, dans la miniature dessinée parla bien-
heureuse Jeanne de Valois. Là encore nous devons donc recon-
naître le Cœur de Jésus ; et nous sommes forcés d'admettre que,
e
avant la fin du xv siècle, la piété chrétienne avait pris l'habitude
d'honorer le Cœur de Jésus dans son image.
Du reste, nous allons voir ce culte exprimé d'une manière
plus vivante encore dans les types de gravures qu'il nous reste à
faire connaître.
e
LIGONOGUAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIECLE I3I

IV. — L'Enfant Jésus et l'Agneau dans le Sacré-Cœur.

Ces types d'images, représentant l'Enfant Jésus dans le Sacré-


Cœur, sont certes des plus curieux. Nous les avons déjà rencon-
trés sur notre chemin. Nous voulons ici leur consacrer une

L'Enfant Jésus dans le Sacré-Cœur, d'Augsbourg (1460).

étude spéciale. Nous donnerons la description de quelques-uns


d'après Schreiber, mais nous mettons de suite, sous les yeux
de nos lecteurs, la gravure ci-dessus qui se trouve au musée
d'Augsbourg. Elle date de 1460 environ (1).

(1) SciiMiDTiîAUER, Holschnitte, A u g s b o u r g . Collection Heitz.


i3a LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Voici quelques-uns des types décrits p a r Schreiber :

A Berlin, au Kupferstich-Kabinet, se trouve une xylographie datée


de 1472 représentant l'Enfant Jésus dans un cœur. Le cœur est au
milieu d'une croix, dont le côté en perspective a des hachures et qui
porte trois clous de bois et une couronne d'épines avec une banderole,
où se lit INRL L'enfant, fortement courbé vers la gauche, se trouve dans
le cœur, il tient le fouet de la main droite et la verge dans la gauche.
La pointe d'une lance est enfoncée dans la plaie du côté gauche. Du
môme côté, on lit MARIA et de l'autre JOANNES. Dans les angles, les
mains laissant rayonner des flammes et les pieds. En bas deux lignes
de texte.
In mines vatters hertzen
Fand ich disen schertzen 1472.
Dans le cœur de mon Père, j'ai trouvé ces jouets.

D'après W . - S . Schreiber, qui donne cette description dans


son Manuel ( 1 ) , cette gravure serait de la Souabe ou du Rhin.
D e la même date (1460-1470), Schreiber signale à Munich,
au Konigliches Kupferstich-Kabinet, un autre Enfant Jésus
dans le Sacré-Cœur (n° 799), faisant partie des Cinq Plaies,
disposées à peu près comme dans la précédente gravure. II
rappelle.

L'Enfant Jésus dans le Sacré-Cœur de Nuremberg (1460-70) (2).


Le Sacré-Cœur surmonté d'une oreille et entouré d'une série de cercles
concentriques est fixé sur une croix fichée dans le sol ; celle-ci porte la
couronne d'épines et trois clous enfoncés. L'enfant nu, orné d'un
double nimbe à dents noires, est assis sur un coussin à l'intérieur du
cœur. Il porte, dans ses bras, la verge et le fouet. Tout autour et par-
tagée en quatre se trouve l'inscription : In nomine lhu omê gemi flec-
tatur celestiu et înfernorum. Dans les angles de la gravure, se
trouvent quatre petites circonférences contenant les pieds et les
mains déchirés du Sauveur. Au fond, à gauche la lance, et à droite le
roseau avec l'éponge.

Schreiber, dans le premier volume de son Manuel, décrit


i3 Enfants J é s u s dans le Sacré-Cœur. L e s inscriptions qui les
accompagnent, ainsi que la présence des pieds et des mains
percés, ne laissent pas de doute que ce cœur ne soit le Cœur

( 1 } Manuel, t. I, N ° 7 9 7 .
( s ) S C H R E I B E R , Manuel, N° 798.
e
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIÈCLE l33

de Jésus lui-même et non le cœur du fidèle ou le cœur de Dieu


son Père ( i ) .
Voici la description d'un type, n° 802, conservé à Munich,
qui ne présente que le cœur sans les pieds ni les mains. Il est
0 -
de i 4 7 8 o -
L'enfant est orné d'un nimbe crucifère, étend la main droite pour
bénir et tient de la gauche une pomme. Il est tourné vers la gauche à
l'intérieur d'un cœur percé d'une blessure verticale et saignante. Der-
rière se trouve la croix veinée avec la couronne d'épines et l'inscription
INRI, en avant de laquelle se croisent la lance et le roseau muni de
l'éponge.

A Goettingen, on conserve une gravure plus curieuse encore.


Schreiber l'appelle le Sacré-Cœur et le saint Agneau.
Elle date de 1480-1490. En voici la description (2) :
Sur le fond de la gravure, un tau un peu veiné, auquel sont fixés
la couronne d'épines et le rouleau I N R I . En haut, à gauche et à
droite, un fouet et une verge sont attachés aux clous du croisil-
lon. Sur la croix, contre laquelle s'appuient la lance et le roseau
à éponge croisés, se trouve le Cœur portant au milieu la plaie
horizontale, dans laquelle repose le saint agneau tourné à gauche
Au-dessus, à gauche, le suaire, à droite le soleil avec ï 1^ jS :
au-dessous neuf gouttes de sang, au milieu desquelles passe l'arbre
de la croix. Le sol est couvert de quelques pierres et d'herbes.

Les gravures du Sacré-Cœur que nous avons décrites setrouvent


surtout en Allemagne; elles ont été composées pour l'Allemagne,
car leurs inscriptions sont de langue allemande. Mais les pays
d'outre-Rhin n'en eurent pas le monopole. Nous savons qu'il en
existait d'analogues en France et en Angleterre. Et l'on ne peut
douter que l'Italie et l'Espagne n'en aient possédé de semblables.
o s
(1) N 796-808. L e s nos ^96, ^ rjgg, 799, 801, 804, 8o5, 806, 807, 808, p o r t e n t
l e s m a i n s et les p i e d s et s o n t d e s i m a g e s à l a fois d u S a c r é - C œ u r et d e s Cinq
P l a i e s . V o i c i l'inscription qu'on lit s u r l a g r a v u r e n ° 8o3, conservée à H a n o v r e :
Parve puer, m a g n e Deus, | Ne d a m p n e t u r h o m o r e u s
A d te c l a m â t h o m o r e u s ; | D e u s f a c t u s est h o m o .
« Petit enfant, g r a n d D i e u , v e r s v o u s crie l ' h o m m e c o u p a b l e ; afin q u e n e
soit p a s d a m n é l ' h o m m e c o u p a b l e , D i e u s'est fait h o m m e . »
(2) Loc. cit., n ° 1795.
i34 LA DÉVOTION AU S A C R É - C Œ U R

Mais en aucun de ces pays, l'étude n'en a été poursuivie méthodi-


quement, et, sauf pour la France et l'Angleterre, nous n'avons
pas de documents pour justifier notre induction.
Voici pour la France quelques faits suffisamment significatifs :
Rappelons en première ligne les dessins dus à la plume de la
bienheureuse Jeanne de Valois et qui donnent, en deux esquisses,
le point de départ et le point d'aboutissement de la dévotion : le
monogramme I H S avec l'H surmonté de la croix et le Cœur
percé de la vraie lance, avec l'inscription que nous avons retrou-
vée en Allemagne.
A peu près à la même date, au commencement du xvr" siècle,
vivait, au couvent des Gordeliers de Fontenay-le-Gomte, le
P. Pierre Regnart. A la demande d'une religieuse du Tiers-
Ordre, il composa un petit livre intitulé : LExercice du Cœur
crucifié. Ce livre porte en tête une vignette qui en est le résumé
doctrinal. En voici la description
Un grand cœur surmonté d'une croix est.entouré de la cou-
ronne d'épines. Il est percé du fer de la lance et de trois
clous. La lance est nommée Charité ; les trois clous, Obédience,
Povreté, Charité (pour Chasteté sans doute). Sur ce cœur est
appliqué un blason, aux monogrammes I H S et MA (l'A dessiné
dans l'M), sur lequel est écrit Patience et au-dessous duquel
sont écrits les lettres suivantes dont nous ignorons le sens
A T R T P A C E . Enfin sur ce cœur poussent des fleurs qui
s'appellent pnate (pénitence), fidélité, bénignité, joie. L a tra-
verse de la croix porte le mot longanimité et la hampe celui
de paix ( i ) . Nous en donnons ci-après la reproduction.
A la même époque encore ( i 5 2 6 ) , on travaillait une boiserie
à l'église de Langeac (Haute-Loire), et l'on y sculptait le même
cœur percé des trois clous et entouré de la couronne d'épines
avec les instruments de la Passion. Labitte, dans son livre

( i ) Cf. GRIMOUARO DE SAINT-LAUREXT, Les images du Sacré-Cœur dans la


Revue de l'Art chrétien, 1879 et 1880. ( V o i r l a p l a n c h e ci-contre, fîg. 1.)
P i e r r e R e g n a r t se t r o u v a i t à F o n t e n a y - l e - C o m t e , en i5a3, en m ê m e t e m p s
q u e le f a m e u x R a b e l a i s , q u i d e v a i t p e u a p r è s d é p o s e r la b u r e f r a n c i s c a i n e .
/

e 6
Pl. i. — G r a v u r e s d e s x v i etjxvn siècles.
i . F r o n t i s p i c e d e l'Exercice du Cœur crucifié de Pierre Regnart
( i 5 a 5 ) . — 2. M o n o g r a m m e a u S a c r é - C œ u r , g r a v é s u r l e t o m b e a u d u
e
b i e n h e u r e u x G a n i s i u s (fin d u x v i siècle). — 3. En-tète d u Paradisus
puerorum d u P è r e d e B e r l a y m o n t (1619). — 4* L e c œ u r e t l e s c l o u s s o u s
l e m o n o g r a m m e , m a r q u e S a n t i - F r a n c h i l i b r a i r e d e F l o r e n c e (1682). —
5 e t 6. M o n o g r a m m e s d e J é s u s e t d e M a r i e a v e c l e u r s C œ u r s , i n c r u s t é s
s u r u n e p o r t e d e l'église S a i n t - J e a n , à F o n t e n a y - l e - C o m t e (milieu d u
e
x v i i s i è c l e ) . — 7. L ' e n f a n t J é s u s d a n s l e S a c r é - C œ u r , m a r q u e d e
S - H u r é , l i b r a i r e à P a r i s (1640).
Cette planche et les d e u x autres sont e m p r u n t é e s à l a Revue de
Part chrétien (1879,) a r t . d e G r î m o u a r d d e S a i n t - L a u r e n t : Les images du
Sacré-Cœur au point de vue de l'histoire de Vart. N o u s e x p r i m o n s n o t r e
reconnaissance à M . C h a m p i o n , éditeur d e l a R e v u e , et à M . M . À u b e r t ,
directeur, qui nous ont autorisé gracieusement à les reproduire.
i36 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

e
Gravures sur bois tirées de livres français du xv siècle (i),
donne sept marques de libraires (i484-i52o) portant le cœur
surmonté d'une croix. Mais la gravure la plus remarquable
est celle qui représente l'Enfant Jésus dans un cœur, imitation
de ce que nous avons trouvé en Allemagne. C'est un en-tête
de livre. Au milieu des instruments de la Passion apparaît
Notre-Seigneur assis sur un autel et renfermé dans un cœur,
avec cette légende : Meditatio cordis mei. C'est là l'objet des
méditations de mon cœur. La planche ci-contre donne une
marque analogue du libraire Sébastien Huré, avec la légende,
Ego dormio et cor meum vigilat.
Grimouard de Saint-Laurent, qui signale ces gravures, ne
croit pas que ce cœur soit celui de Jésus : « Il ne semble pas
écrit-il, que, dans ce cas, le cœur représenté soit celui de Jésus,
c'est plutôt encore celui du fidèle qui possède, en quelque sorte,
le divin Sauveur dans son cœur, quand il médite la Passion. »
Les images analogues que nous avons signalées en Allemagne
ne permettent plus aucune hésitation. C'est bien ici le cœur de
Jésus, dont l'occupation durant toute sa vie, depuis sa première
enfance, comme l'enseigna Ubertin de Casale, fut de méditer
sur sa Passion.
Du reste, Grimouard de Saint-Laurent ne donne son interpré-
tation que sous d'expresses réserves, car il ajoute : « Mais il y a
une si grande corrélation entre ces deux ordres d'idées, le cœur
du fidèle possédant Jésus, désigné par son nom ou par une repré-
sentation personnelle, et le Cœur sacré de Jésus lui-même désigné
par les mêmes moyens, que l'on passe avec une grande facilité de
l'un à l'autre. Aussi peut-on affirmer qu'à toutes les époques où
Ton possède des exemples du premier, il en existe aussi du
second. Quelquefois la différence est bien déterminée ; d'autres
fois elle est très difficile à saisir (2). »

( 1 ) L a p l u s c u r i e u s e est celle d e L o n g i s (I528-I56O) p o r t a n t u n c œ u r p e r c é


d'une flèche entre s e s initiales I L . L ' o u v r a g e de L a b i t t e a été p u b l i é à P a r i s
en 1868. — (2) Loc. cit., 1879, t. I, p . 3i<)-320.
e
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V SIÈCLE T37

L'Angleterre n'était pas en retard sur le continent, dans


l'iconographie du divin Cœur. Voici ce qu'écrivait, en effet, Gri-
mouard de Saint-Laurent dans la Revue de VArt chrétien ( i ) .
« Les Cinq Plaies sont souvent aussi représentées (en Angle-
terre, avant la Réforme) tantôt par un cœur entre deux mains et
deux pieds qui sont percés, tantôt par un cœur qui porte cinq
blessures, comme il s'en trouve un sur un cuivre de la chapelle
du roi à Cambridge. »
Sur la tombe de Newland,abbé du monastère de Saint-Augustin
de Bristol, on voit un cœur entouré d'épines de toutes parts ('i).
En ce qui concerne la Péninsule ibérique, si Ton en croit les
traditions, le culte du Sacré-Cœur, même par l'image, y aurait
e
connu de très hauts patronages, dès le xiv siècle.
Ginther, curé de Sainte-Croix à Biberach (Wurtemberg),
dans la dédicace d'un ouvrage publié à Augsbourg en 1700 et
intitulé : Spéculum amoris et doloris in Corde Jesu, rapporte,
en effet, d'après Typotius (3), que Ferdinand, roi de Portugal
(i36^ à i383), avait pris pour symbole personnel deux cœurs : le
Cœur sacré de Jésus, caractérisé par sa blessure et, à gauche de
celui-ci, son propre cœur avec cette devise : Cur non utrumque?
c'est-à-dire: « Pourquoi tous les deux ne seraient-ils pas blessés? »
Cette tradition n'a rien d'invraisemblable et elle correspond
pleinement à la mentalité religieuse de l'époque. Ces armes du
pieux roi exprimaient son désir de réaliser avec le Christ l'union
des cœurs jusqu'à la mort, telle que l'avait enseignée saint Bona-
venture au siècle précédent et telle que la pratiquaient tous les
mystiques franciscains (5).

00 Loc. cit., 1879, t. I , p . 319.


(2) Cf. Du symbolisme dans les églises du moyen âge, p a r M a s o n N e a i et
B e n j . "VVebb, édition B o u r a s s é , 1847. N o u s r e p r o d u i s o n s p l u s loin l e s a r m e s
de N e w l a n d q u i sont u n c œ u r p e r c é d e trois c l o u s .
(3) Symbola divina et humana pontificum, imperatorum et regum.
D ' a p r è s GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT, LOC. cit., 1879, t. I, p . 3i8.
(5) L e C a n t i q u e d e s a i n t F r a n ç o i s , q u i e s t p e u t - ê t r e , p o u r le fond a u
m o i n s , d u s é r a p h i q u e p a t r i a r c h e , et q u i , d a n s s a f o r m e a c t u e l l e , est d e s
e n v i r o n s d e T a n i3oo, c h a n t e cette m y s t i q u e d u S a c r é - C œ u r :
Mio Cuore sia transfisso, Q u e m o n c œ u r soit t r a n s p e r c é ,
Gesu, con quella lanza J é s u s , a v e c celte l a n c e ,
Che a te, la mia speranza, Qui à vous, mon espérance,
Passa in Cuore. Transperça votre Cœur.
i38 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Quant à l'image même, elle n'est point en désaccord avec ce


qui se faisait à l'époque. L a prodigalité de gravures consacrées
a u divin Cœur, que nous avons constatée, en tous p a y s , de i 4 5 o
à iooo, suppose une tradition plus que séculaire dans l'emploi
religieux de ces sortes d'images. D'un autre côté, dès le xnr° siècle,
la F r a n c e présente au moins une famille, celle des L a Charité,
maires de Poitiers de 1228 à 1284, qui portaient un cœur à leur
blason : d'or au cœur enflammé de gueules.
J u s q u ' a u temps de la Réforme, le culte du Sacré-Cœur conti-
nua de se développer. Il était si ancré a u fond des âmes, que
Luther lui-même trouva habile de s'en réclamer. Au frontispice
d'un de ses livres, publié en i5a8, à Wittemberg, sur la guerre
contre les Turcs, il fît graver un cœur chargé d'une croix sur
une rose ( 1 ) . Nous en donnons la reproduction dans la planche
consacrée à la Visitation et à la bienheureuse Marguerite-
Marie. En voyant ce signe, on ne peut s'empêcher de penser
aux Roses-Croix, secte maçonnique, on le sait, venue d'Alle-
magne, p a y s du Grand-Orient. Au moment où l'Eglise dressait
son nouveau labarum, le Sacré-Cœur, Luther lui opposa le sien,
qui en est une contrefaçon sacrilège, la rose-croix ( 2 ) .
Au temps de la Réforme, le culte du Sacré-Cœur fut l'objet des
violentes attaques non seulement des Protestants, mais encore
des Humanistes. E r a s m e reprocha violemment à l'Eglise de
tolérer ces dévotions nouvelles : « On n'invoque plus seulement
le Christ, clamait-il dans ses Colloques (3), mais des parties de
son corps ; la Vierge, les saints, mais les reliques les plus
fabuleuses. »
Dans son Alcoran des Cordeliers, il s'indigne contre la
légende du frère Gérard rapportée plus haut, qui montre saint
François et ses enfants admis à établir leur demeure dans la

£1) Revue de l'Art chrétien, 1 8 7 9 , t. I I , p . 160, et G R E T Z E R , De Cruee, p . 1 1 .


( 2 ) L a d é v o t i o n a u S a c r é - C œ u r e u t m ê m e u n e efflorescence t r è s c u r i e u s e ,
chez c e r t a i n s L n t h é r i e n s a l l e m a n d s . (Cf. L'Eucharistie, 1912, p. 166).
(3) E R A S M E , Colloques, 1624.
3
LICONOGRAPHIE I)U SACRÉ-CŒUR AU XV' SIÈCLE l3§

plaie du côté. Il faut entendre ces paroles au sens mystique ; il


affecte de les entendre au sens matériel : « Il faut dire, s'écrie-
t-il, que le corps de Jésus-Christ est cru au Ciel aussi grand que
le Colosse de Rhodes, entre les jambes duquel les navires pas-
saient ; puisque ce monstre tout chaussé et vêtu avec son éten-
dard déployé et toute sa troupe habite en la plaie du côté d'ice-
lui. Rois et princes de la terre, ouirez-vous cet opprobre fait au
Fils de Dieu par cette vermine infernale et passerez par dessus
sans en faire la vengeance? Dieu le requerra de vos mains ( i ) . »
Les âmes pieuses et animées du véritable esprit de l'Evangile
ne se laissèrent point prendre à ces déclamations. Elles redou-
blèrent d'ardeur à honorer le divin Cœur dans ses images.
Le pieux abbé Lansperge ( f i 5 3 o , ) , qu'on a appelé un
précurseur de la bienheureuse Marguerite-Marie et qui fut
bien plutôt un courageux propagateur et défenseur des pratiques
traditionnelles, éciùvit son Pharetra divini amoris pour soutenir
le zèle des adorateurs du divin Cœur. Et dans une de ses
lettres qu'on a publiée, il disait à son correspondant d'aider sa
dévotion par le secours de l'image ; « Mettez, disait-il, dans un
endroit où vous devez passer quelque image de ce divin Cœur
ou des Cinq Plaies ; elles vous avertiront souvent d'élever à
Dieu vos affections ( 2 ) . »
Le célèbre cordelier Jean Henry, évêque auxiliaire à Lyon de
i 5 5 ^ à 15^4» avait mis le Sacré-Cœur dans ses armes : d'argent
au cœur de gueules, marqué au nom de Jésus d'or, au chef d'azur
chargé d'un lion léopardé de gueules ( 3 ) .
Néanmoins, malgré ces efforts de la vraie piété pour réagir
contre les fureurs iconoclastes de la Réforme, le culte du Sacré-
Cœur par l'image devait subir, durant un demi-siècle (i525-i585),
une sorte d'éclipsé. Mais nous le verrons reparaître plus bril-
e
lant et plus pur avant la fin du xvi siècle.

(1) L'Alcoran des Cordeliers, fol. 66.


(2) Cf. GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT, d a n s Revue de VArt chrétien, 1879,
t. I, p . 321.
('ï) P . I L DE GRÈZKS, loc. cit., p . 20*.
Le capucin dans sa cellule (i).

LA RÉFORME DES CAPUCINS, 1525

La première réforme réalisée dans l'Ordre franciscain par


les Observants amena, nous l'avons vu, une diffusion extraor-
dinaire de la dévotion au Sacré-Cœur, par la parole, par les
écrits et par l'image. La seconde réforme, réalisée cent cinquante

( i ) Cette g r a v u r e signée Mar. est de M a r t i n V a n den E n d e n d ' A n v e r s , q u i


9
t r a v a i l l a i t d a n s l a p r e m i è r e moitié d u x v n siècle. L ' a r t i s t e a p r ê t é ici à son
h é r o s le m ê m e geste d ' e x t a s e q u e J e a n B o u c h e r a v a i t donné à l a bienheu-
r e u s e J e a n n e d e V a l o i s et q u i s e r a , c i n q u a n t e a n s p l u s t a r d , celui d e l a
bienheureuse Marguerite-Marie,
Cette g r a v u r e se t r o u v e à l a B i b l i o t h è q u e N a t i o n a l e ( E s t a m p e s B. d 70)
d a n s Vita S. Francisci imaginibus impressa a v e c d'autres non s i g n é e s et
d'autres signées de L a n g l o i s , M e s s a g e r et M a r t i n V a n den E n d e n , q u i t o u s
florissaient entre 1620 et 1640. E l l e s ' a p p l i q u e b i e n soit a u P è r e A n g e de
J o y e u s e , soit a u P è r e J o s e p h d u T r e m b l a y , q u i t o u s l e s d e u x quittèrent les
armes pour la bure.
LA RÉFORME DES CAPUCINS ET LE SACRÉ-CŒUR

ans plus tard par les Capucins, devait donner à la pieuse dé-
votion un nouvel essor plus décisif encore. Nous allons rapi-
dement en esquisser les principales phases. Nous exposerons
d'abord la doctrine, puis les pratiques de dévotion et enfin le
culte par l'image.

I. — La doctrine.

Nous dirons quelques mots tout d'abord de saint Pierre


d'AIcantara, le conseiller de sainte Thérèse. Quoiqu'il n'appar-
tienne pas, à la vérité, à la réforme des Capucins, il s'y rattache
pourtant de très près ; car, pendant que les Capucins réali-
saient leur réforme en Italie, il accomplissait la sienne, celle
des Alcantarins, en Espagne, et il lui donnait le même esprit
et le même idéal de perfection séraphique.

Saint Pierre d'AIcantara ( 1 4 9 1 - 1 5 6 2 ) appelle la plaie du


côté le fleuve qui sort du Paradis, la porte du ciel, le lieu de
refuge, la tour inexpugnable, le sanctuaire des justes, Vasile
des pèlerins, le refuge de la tendre colombe, le lit fleuri de
Vépouse (i).

« Sois bénie, s'écrie-t-il, ô plaie du saint coté, qui blesses les cœurs
dévots, blessure qui transperces les justes, rose d'ineffable beauté, rubis
d'un prix inestimable, entrée du Cœur de Jésus, témoignage de son
amour et gage de la vie éternelle ! »

Les grands contemplatifs du Sacré-Cœur furent surtout les


capucins. Le B . N I C O L A S F A C T O R (i5ao-i583), qui partagea sa vie
entre les observants et les capucins, disait à ses frères qui l'inter-
rogeaient sur la voie la plus sûre pour arriver à la contempla-
tion (2) :

(1) Cf. H. DE GRÈZES, loc. cit., p. 177.


(2) Loc. cit., p . 82.
L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

« Mes frères, attachez-vous, je vous en conjure, à contempler la


plaie qui mène au Cœur de Jésus. Voici trois ans entiers que je me suis
attaché à cette seule contemplation, et je ne m'en détournerai jamais,
tant j'y trouve de lumière et de profit. »

L e P . B e r n a r d d'Osimo, provincial des capucins de Paris de


I 5 8 I à i588, appelait le Cœur de Jésus un foyer de lumières,
une source de douceur, un refuge contre les poursuites de Ven-
nemi, un abri contre les foudres de la justice divine, une arche
de salut.
Dans son livre de méditations sur la Passion de Jésus-Christ,
il parle de la plaie du Cœur et il met dans la bouche du Sauveur
les paroles suivantes -

a O donc très aimé Jésus et mon Rédempteur, le frère et l'époux des


âmes chastes, donnez-moi, s'il vous plaît, la permission d'entrer dans
l'ouverture de votre côté, a f i n que, me trouvant dans cette fournaise
qui brûle en votre Cœur, je sois tout embrasé de votre amour. Que ce
soit tout mon refuge parmi les orages de ce monde, le rocher où mon
âme vive seule, la grotte où l'on me voie toujours retiré. Que ce soit
sur ce calvaire, non sur le Thabor que je fasse trois tabernables : le
premier dans les plaies de vos pieds, y occupant mon esprit à méditer
vos pas pour parvenir à l'éternité de vos délices ; l'autre dans les
blessures de vos mains, considérant toutes vos œuvres ; et le troisième
et le plus large, dans la plaie de votre côté, contemplant, autant que
j'aurai de vie, l'insatiable charité avec laquelle vous m'avez aimé.
Là-dedans je demeurerai, s'il vous plaît, nuit et jour, j'y dormirai, j'y
mangerai, j'y prierai et lirai, j'y chanterai et négocierai. Mais, parce
que les ailes de mon esprit sont trop faibles pour y voler, donnez-moi
celles de la colombe, c'est-à-dire des pensées saintes et de pures affec-
tions, avec lesquelles, comme une tourterelle, je médite et gémisse vos
douleurs et mes péchés. Que ce sang et cette eau soient mes fontaines.
Qu'à jamais je ne sois altéré d'autre breuvage et que ces canaux
ruissellent toujours dans mon cœur (i). »

( i ) P. HENRI DE GRÈZES, Etudes franciscaines sur la dévotion au Sacré'


Cœur, p . 187. On r e t r o u v e ici, c o m m e d.ins les g r a v u r e s é t u d i é e s p l u s h a u t ,
l ' i m a g e d e s a i l e s de l a c o l o m b e , p o u r signifier l a c o n t e m p l a t i o n .
LA RÉFORME D E S CAPUCINS E T L E S A C R É - C Œ U R

LE P. JEAN D E C A R T H A G È N E (f 1617)
L e fils du S a c r é - C œ u r . — L e C œ u r symbole de l ' a m o u r .

L'honneur de se dire le fils ou la fille du Cœur de Jésus est


une ambition qui est devenue commune, dans la mystique, à
e
partir du xvn siècle. Le titre se trouve déjà sous la plume du
P. Jean de Carthagène, docte franciscain de l'Observance. Tout
un livre de ses Homélies sur les mj'stères de Notre-Seigneur a
pour objet Les mystères cachés dans la plaie du côté de Jésus.
C'est là qu'il emploie ce titre de fils du Cœur de Jésus, pour
l'appliquer à saint Jean.

« Seul, dit-il, des quatre Evangélistes, l'apôtre saint Jean nous a


parlé de l'ouverture du côté de Jésus ; et le choix qui a été fait de lui
s'explique facilement. Seul entre tous les disciples, Jean, pendant la
Cène, avait reposé sur le Cœur du Sauveur et ce divin contact l'avait
initié aux plus sublimes secrets de la divinité. Dans ce repos mystique,
il avait été institué, en quelque sorte, le trésorier des mystères cachés
dans la profondeur de ce Cœur sacré. Il lui revenait donc préférable-
ment à tous les autres de nous dire comment ce trésor si riche nous a
été ouvert... Particulièrement aimé du Sauveur, confident de ses
secrets, autorisé à reposer sur son Cœur, Jean a mérité d'être appelé
ajuste titre, le fils du Cœur de Jésus, Joannes... pro cœteris filius
Cordis Christi vocitari meruit (i). »

Certains auteurs attachent beaucoup d'importance au titre


de symbole de Vamour que l'Eglise a souvent adopté, pour
préciser la raison sous laquelle elle honore le divin Cœur.
Cette expression se retrouve dans le même livre du P. Jean
de Carthagène, avec un riche contexte qui en fixe le sens.
Il se demande quel côté de Jésus a été ouvert et il répond :

Il semblerait de prime abord plus croyable que ce soit le côté


gauche. Ce côté, en effet, est le siège du cœur, et le cœur est le sym-
bole et le siège de l'amour. Or le Sauveur ayant voulu principalement
nous témoigner son amour, il semble tout naturel de penser qu'il a
voulu faire frapper tout d'abord et directement son cœur.

( i ) Homiliw catholicœ> E d i t i o n de 1622, p. 411» L a première édition est


d e 1609.
LA DÉVOTION AU SACRIS-CŒUR
i44
L e Père s'en tient à ï a tradition qui enseigne que ce fut
le côté droit qui fut frappé et il ajoute :

Et ce sentiment n'est pas en opposition avec la raison mystique


qui appuyait le premier ; car par la blessure faite au côté droit, le
Cœur de Jésus a été réellement atteint et ouvert, nous témoignant
ainsi l'excès de sa charité ( i ) .

Tj union des trois cœurs. — L'union, dans l'amour et l'immo-


lation, du cœur fidèle avec le Cœur de J é s u s est le but même
et le terme de la dévotion au Sacré-Cœur, telle que l'ensei-
gnèrent saint Bonaventure et l'école franciscaine. L e P. Jean
de Carthagène développe l a môme doctrine, et il l'étend encore
à la manière de la Bienheureuse Jeanne de Valois, quand elle
fut sollicitée d'unir son cœur à celui de J é s u s et de Marie. Il veut
que le fidèle unisse son cœur à celui de J é s u s et de Marie, de
façon que des trois il n'en résulte plus qu'un seul. Et il donne
pour modèle saint Jean au pied de la Croix recevant avec Marie
dans son cœur le coup de lance qui transperça le Cœur de
J é s u s : « Cette lance, dit-il, bien qu'elle soit unique, a frappé
comme trois lances ou comme une lance à trois pointes, elle
a transpercé trois cœurs, celui du Christ, celui de Marie et
celui de J e a n le disciple (2). »
Enfin, après beaucoup d'autres considérations, avec tous
les docteurs franciscains, il trouve, dans le Cœur de J é s u s ,
la vraie cause de s a Passion.

Quand on se trouve en présence d'une mort mystérieuse, dit-il, et


qu'on veut en découvrir la cause cachée, on ouvre son cadavre. Ainsi,
en fut-il pour Jésus. Judas, Pilate, le bon larron le proclamèrent inno-
cent. Pourquoi donc est-il mort ? « Que le corps du divin crucifié soit
ouvert, s'écrie-il, et que nous sachions la cause vraie de ses douleurs et
de sa mort. C'est au cœur que la lance a frappé. Là donc est la cause
de sa Passion : Jésus est mort uniquement, parce qu'il nous aimait d'un
amour infini ( 3 ) . »

(1) P.-H. DE G R È Z E S , loc. cit., p. 41s.


(2) P . - H . I»E G R È Z E S , loc. cit., p.
(3) P . - H . UE G R È V E S , loc. cit.. p. $1$.
L E F R E R E THOMAS D E ISERGAME

L e F r è r e Thomas de B e r g a m e ,
le contemplatif d e l'amour d e Dieu p o u r l e s h o m m e s .

P o r t r a i t du F . T h o m a s de Bergame.
(frontispice de Faoco cTAmore.)

Le Frère Thomas de Bergame (I563-I63i) fut d'abord un


berger de campagne. A l'âge de 17 ans, il entra chez les Capu-
cins, en qualité de frère lai. Dieu récompensa son humilité et
sa charité, en le favorisant des grâces les plus hautes de la
contemplation. Il écrivit, par ordre de ses supérieurs, ses
méditations sur la vie de Notre-Seigneur et les choses de la
mystique. Elles firent l'admiration des théologiens et furent
publiées en 1681. Elles forment un volume in>4" oie 720 pages.
10
i46 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Ses contemplations sur le Sacré-Cœur sont d'une piété


vraiment séraphique et pleines de la plus haute doctrine ( i ) .
« Si les tourments de Notre-Seigneur, écrit-il, apportent à ceux qui
les contemplent tant de douleurs et tant de compassion, combien plus
grande devrait être la compassion aux tourments qu'il endura dans
son cœur, où se donnaient rendez-vous toutes ses souffrances. Le Cœur
de notre doux Seigneur est comme une seconde vie du Sauveur.
« Je veux dire, ô âmes contemplatives, que si sa tête couronnée
d'épines, ses mains percées, ses pieds crucifiés souffrirent des douleurs
intolérables, hélas ! ce Cœur de mon bien-aimé et très doux Seigneur
sentit, lui aussi, les clous des pieds et des mains, il sentit toutes les
épines de la tête enfoncées dans sa chair ; et si un membre quelconque
souffrait quelques tourments, le cœur les souffrait avec lui, de sorte
que, pendant que notre Jésus était cloué sur la croix, couronné
d'épines et lïagellé, qu'il agonisait et mourait, son Cœur souffrait lui
aussi les déchirements des clous et toutes les douleurs qu'endurait
sa sainte humanité...
« O mon âme ! si tu contemples la, dure et cruelle Passion exté-
rieure du bien-aimé Seigneur, contemple aussi sa Passion intérieure
et en particulier celle de son Cœur sensible ; et, si tu verses des larmes
d'eau pour la Passion extérieure, pleure avec les yeux de l'âme et
verse des larmes de sang* sur sa Passion intérieure... Le Cœur de
Dieu était le siège de toutes les douleurs. Et de même que les fleuves
et les torrents courent à la mer, parce que la mer est leur centre et
leur aboutissement, ainsi tous les tourments du Seigneur étaient
comme autant de fleuves qui se précipitaient vers son Cœur. »

Le bon frère passe alors en revue toutes les souffrances du


Cœur de Jésus. Il les voit causées par les péchés du monde
et nos péchés en particulier, et il montre le doux Jésus nous
reprochant de telles ingratitudes.

« O Cœur de mon très doux Seigneur ! qui vous a conduit à cette


extrémité ?
— L'amour que j'ai pour toi, âme sans cœur ! Et tu n'y penses pas,
ingrate et cruelle ! Pour tout le bien que je t'ai fait, tu ne me rends
que nouvelles injures ! Pour tant de douceurs, tu m'abreuves de fiel et
tu me perces le cœur ! »

Après avoir offert ses sentiments de reconnaissance, de


compassion, de réparation, à ce divin Cœur, le frère Thomas

( i ) Fuoco d'Amore, p a r t e I I , E s s e m p . II.


LE FRERE THOMAS DE BERGAME
147
s'étend longuement sur les fruits de cette dévotion il se
plonge, pour ainsi dire, dans le Cœur de J é s u s , pour y goûter
les joies de la vie d'union. Ce Cœur est pour lui le cellier
inépuisable où Ton puise, en abondance, le vin qui fait les
âmes fortes, le vin de-l'amour extatique et béatifiant.
« Et je dirai ceci : si Dieu faisait connaître à tous quelle chose est
son céleste amour, comme il a fait à ses chers amis, je crois que le
monde s'en irait à sa fin ; parce que si Dieu faisait voir à une âme une
parcelle de cet amour, cette âme tomberait dans une telle admiration
et stupeur qu'elle laisserait, pour l'amour de Dieu, non seulement ce
monde, mais cent mille mondes, attirée par le suave et doux amour de
Dieu... Et je le jure, par ce Dieu qui est le foyer de tout amour, que
qui n'a pas goûté le pur amour de Dieu, ne peut, non, ne peut savoir
ce que c'est que le bonheur en cette vie. »
Et, au chapitre dix-huit du septième Traité, il revient sur cette
même idée : ce Si grand, dit-il, est l'amour de Dieu, que si Dieu donnait
à tous ce sentiment qu'il accorde à ses amis préférés, s'il le donnait à
tous, dis-je, le monde s'en irait à rien, parce que servir et aimer Dieu
avec cet amour est chose si précieuse, douce et suave, que tous le
voudraient embrasser et il ne resterait plus personne qui voulût tra-
vailler la terre ni bâtir des palais. Oui, le monde s'en irait à rien. »

L'amour du Christ que le frère Thomas décrit dans son livre


est son amour pour les hommes ; il s'arrête peu ou point à
contempler son amour pour son Père. A u chapitre III de la
e
I I partie ( i ) , il parle de l'amour de J é s u s pour sa Mère au pied
de la Croix.
a C'étaient deux amants passionnés l'un pour l'autre ; Marie ne
cessait de lancer ses flèches vers le Cœur de Jésus, et Jésus lançait ses
flèches vers le Cœur de Marie. Et ces flèches étaient faites et composées
d'amour. Mais, hélas ! ces flèches qui frappaient le Cœur de Jésus le
pénétraient jusqu'au plus profond de cette portion de lui-même dédiée
à l'amour de sa Mère. Or, l'amour de Marie était grand et c'est sa
grandeur qui mesurait celle des douleurs de Jésus. Mais, de plus,
l'amour de Dieu pour sa Mère était sans mesure ; et, dès lors, sans
mesure furent les douleurs que souffrit Jésus, spécialement celles
de son Cœur.
a Quand Marie présenta son Fils au Temple, le Cœur de Marie fut
transpercé par un glaive, à cause de la parole de Siméon ; et ce glaive
resta au Cœur de Marie, jusqu'au jour où elle le vit ressuscité et monter
a
(i) E s s e m p . II, c a p . III, I I p.
i48 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

au Ciel dans sa gloire. De même le Cœur de Jésus fut transpercé d'un


autre glaive et il en souffrit les tourments, jusqu'à ce qu'il eût rendu le
dernier soupir. Et quel fut ce glaive qui transperça le Cœur de notre
bien-aimé Seigneur ? Son amour sans mesure pour sa Mère chérie et
pour tout le genre humain. »

Tel est l'amour que contemple l'humble frère Thomas au


Cœur de J é s u s : son amour pour s a Mère et pour tous les hommes.
Et, comme l'amour appelle l'amour, il achève sa contemplation
en fixant son regard sur l'amour de reconnaissance et de compas-
sion que Marie et les autres âmes chrétiennes ont rendu à ce même
J é s u s , l'époux des âmes. Nous n'y insisterons p a s . Mais il nous
faut l'entendre encore décrire les effets de l'amour a u cœur de
l'homme.

« O l'époux de mon aine ! s'écrie-t-il, au sixième chapitre du même


livre. Qui pourra jamais raconter l'état sublime où se trouve celui de
vos serviteurs que vous avez frappé de votre amour, que vous avez
admis à contempler votre majesté et vos divins mystères I O Dieu ! il
faudrait un de vos.séraphins pour raconter ces merveilles opérées dans
ces âmes privilégiées, car l'homme mortel et borné ne peut raconter
des choses qui sont infinies. Mais, que dis-je ? seule votre majesté serait
capable de nous dire les merveilles, la grandeur des choses que vous
opérez dans les âmes qui vous appartiennent.
a Je le confesse et je le jure, o Dieu d'ineffable tendresse, vous êtes
un Océan de tous les biens véritables dans lequel vous me tenez
submergé, o Dieu de sainteté ; et, à la manière d'un poisson, je m'y
plonge jour et nuit. Si je vis, ce n'est pas par moi, c'est par vous, vous
me tenez attaché à votre hameçon et me captivez par l'appât de
votre amour. Et c'est en vous goûtant, que j'apprends à mépriser la
mer de ce monde trompeur. »

L e cher frère ne sort pas de cette contemplation : il voit et


goûte l'amour de Dieu pour les hommes, il voit et il sent que cet
amour est infini et sans mesure. Mais pourquoi et comment cet
amour est-il infini et sans mesure ? Il ne sait que dire et que
répondre.

a Revenons, dit-il, au dix-neuvième chapitre du septième traité de


la deuxième partie, revenons à l'amour de Dieu. Cet amour dépasse
toute intelligence humaine et même céleste, et Dieu seul le peut
comprendre, parce qu'il en a donné la mesure dans la grandeur de sa
Passion. Ce que peut comprendre l'âme aimante est un point en face
L E PÈRE JOSEPH ET L E S GALVAERIENNES I^p,

d'un océan. Et, comme il est impossible de mesurer ni compter les


étoiles du ciel ou le sable de la mer, ainsi il est impossible de mesurer
et comprendre L'amour de Dieu qui est sans mesure. Mais tout ce qu'il
peut dire, c'est l'amour seul qui le peut dire, car l'amour seul peut
comprendre, en quelque parcelle, l'amour de Dieu. Et, si je voulais
parler de l'amour, je dirais des choses merveilleuses ; car si grand fut
l'amour de Dieu pour l'homme, qu'il en vint à cet excès de dire de lui-
même : Je suis un ver de terre et ne suis même plus un homme, car
je suis l'opprobre des hommes et Vabjection de mon peuple.

Si, chez l'homme, l'amour seul peut comprendre l'amour de


Dieu, frère Thomas avoue cependant qu'un esprit plus cultivé
que le sien pourrait en mieux saisir et exprimer les merveilles :
Cet amour de notre Dieu, dit-il, s'il est possible d'en comprendre et
saisir quelque étincelle, seul en est capable qui sait aimer. Avec
l'amour on peut comprendre le Seigneur. Et on comprend dans la
mesure qu'on aime. Avec l'amour une bonne vieille femme toute simple
comprendra mieux qu'un grand littérateur sans l'amour, parce que,
avec l'amour, elle en aura eu la pratique. Et avec l'amour elle le pra-
tiquera, à son gré, alors que ce savant, qui n'a que la théologie sans
l'esprit de Dieu, cheminera à travers les définitions de la scholastique
par les voies de l'intelligence, mais il lui manquera au cœur la pratique
de la vraie théologie.
Cependant, si ce savant avec la science théologique possédait l'esprit
de Dieu, son amour pour Dieu atteindrait bien plus loin que celui du
pauvre ignorant sans culture.
... Et il est certain que le savant peut avoir de Dieu une connais-
sance plus grande que l'ignorant. Et donc, quand il se sert de sa
science, avec un sentiment d'amour et d'humilité, il peut devenir, lui
aussi, comme l'ignorant, un grand saint et un grand ami de Dieu.

Parmi ceux qui, dans la contemplation de l'amour du Cœur


de J é s u s , joignirent la science à la pratique, nous devons placer
au premier rang, à cette époque, le P. J o s e p h du Tremblay.

LE PÈRE JOSEPH ET LES CALVAIRIENNES


L e s colombes du Sacré-Cœur.

L e P. Joseph du Tremblay, le grand capucin, l'Eminence


Grise, le célèbre collaborateur de Richelieu, fut un grand dévot
du divin Cœur. On Ta appelé, à juste titre, YApôtre du Sacré-
i5o LA DEVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Cœur au commencement du xvir° siècle ( i ) . Gomme avait fait le


Père Gabriel-Maria, cent ans auparavant, et avec un dessein plus
précis et plus affirmé encore, il institua une congrégation de
femmes, avec le but spécial et formel d'honorer le Cœur de
J é s u s et de vivre son amour.
En 1 6 1 4 - 1 ^ 1 7 , à Poitiers, avec Madame d'Orléans, en religion
la Mère Antoinette de Sainte-Scholastique, il fonda les Cal-
vairiennes p a r une réforme des Bénédictines de Fontevrault (2).
Gomme il poursuivait alors ses vastes projets de croisade, il
leur assigna pour but de prier pour la libération de l'Orient chré-
tien et spécialement des Saints-Lieux ; et il leur donna comme
aliment de leur vie religieuse la méditation de l a Passion, selon
l'esprit de saint Benoît, leur père, et de saint François, leur
réformateur. Mais il voulut définir lui-même comment il compre-
nait ce double esprit de saint Benoit et de saint François ; et il le
résuma dans la dévotion au Sacré-Cœur de J é s u s ; de sorte que,
en réalité, il fonda s a réforme sur la dévotion au divin Cœur.
Entendons ses paroles :

Saint Benoît et saint François, dit-il (3), ont fondé leurs ordres en
une plus excellente perfection. Saint Benoît a donné origine au sien
dans une grotte, au pied d'un haut rocher, à l'exemple de la naissance
de Jésus à Bethléem. L à il vécut en une extrême pauvreté, ayant seu-
lement un crucifix. Il fit un sacrifice très agréable à Dieu, lui offrant
corps et âme, pour être brûlés et consommés par son amour...

(1) L e s Annales franciscaines ont p u b l i é , s o u s c e titre, q u e l q u e s - u n e s d e


s e s conférences s u r le S a c r é - C œ u r ( j u i n - j u i l l e t r88o et j u i n 1890). V o i r
a u s s i le P . H E N R I D E G R È Z E S , La dévotion au Sacré-Cœur* Etudes francis-
caines, p . 216 el s u i v . ; l ' a b b é D E D O U V R E S , Le P. Joseph et le Sacré-Cœur;
Les Dix Jours, o u r e c u e i l d e 28 e x h o r t a t i o n s a u x C a l v a i r i e n n e s , éditées p a r
le P. J . O. M . C , à T o u l o u s e , 1913, d'après le m a n u s c r i t et la r é d a c t i o n d u
r
P . A n g e d e M o r t a g n e , c o m p a g n o n d u P . J o s e p h L ; L Exercice des dix jours,
recueil des m ê m e s exhortations, d'après l a rédaction des Calvairiennes,
édité p a r A l b e r t D u f o u r q , en p r é p a r a t i o n .
(2) M a d a m e d ' O r l é a n s , fille a u d u c d e L o n g u e v i l l e , m è r e d'Henri d e
G o n d i d e R e t z , v e u v e à 22 a n s , d e C h a r l e s d e G o n d i , m a r q u i s d e B e U c - I s l e ,
e n t r a , en 1599, chez l e s F e u i l l a n t i n e s d e T o u l o u s e . B i e n t ô t (1604) eUe vint à
F o n t e v r a u l t , c o a d j u t r i e e d e T a b b e s s e , E l é o n o r e d e B o u r b o n , s a t a n t e et l a
t a n t e d'Henri I V . L à , elle connut le P è r e J o s e p h q u i v o u l u t l'employer à l a
r é f o r m e d e cet O r d r e , d ' a c c o r d aA'ec l ' a b b e s s e . A p r è s q u e l q u e s s u c c è s , s u r -
t o u t a u m o n a s t è r e d e l'Encloitre, p r è s P o i t i e r s , elle d u t y renoncer, et elle s e
r e t i r a à P o i t i e r s a v e c l e s p l u s c o u r a g e u s e s , p a r m i les p a r t i s a n s de l a
R é f o r m e , et elle f o n d a les C a l v a i r i e n n e s . E l l e m o u r u t en I 6 I S .
(3) Les dix jours, p . 357.
LE PÈRE JOSEPH E T LES CALVAIRIENNES l5l

« La règle de saint François bien observée passe au delà des vœux


pris à lettre. Car la pauvreté y est telle, qu'elle renonce à toute pro-
priété, en particulier et en général. La chasteté va jusqu'à éviter le
suspect consort qui est péché mortel, servant d'un bon préservatif,
afin de mieux garder le vœu. L'obéissance y est sans restriction, disant
qu'on doit obéir à tout, excepté en ce qui est contre Dieu et son âme.
« IL faut donc considérer ce que nous devons faire, pour nous per-
fectionner en notre condition... Saint Benoît est en son lustre dans sa
grotte et saint François sur sa montagne (de l'Alverne où il reçoit les
stigmates). »
C'est à vous, mes bonnes Mères et Sœurs, à considérer comment
votre Instituteur s'est sacrifié à Dieu, en cette grotte, et comment il y
a jeté les fondements de votre Ordre. Vous devez écouter le prophète
Isaïe qui vous dit ; Pensez avec attention à la pierre d'oïl vous êtes
taillées et à la caverne du lac d'oii vous êtes coupées... Vous avez été
tirées de cette pierre qui est Jésus-Christ et de la caverne qui est la
Vierge par son humilité ; vous'avez pris naissance sur le Calvaire dans
la forte et constante charité du Fils de Dieu et de sa Mère.
Cette pierre, cette caverne, d'où sont sorties les Filles du Cal-
vaire, sont donc, aux yeux du P . Joseph, la charité de J é s u s et
de Marie manifestée a u Calvaire. Mais cette charité, il se plaisait
à en montrer la source dans le Cœur de J é s u s , dans son Cœur de
chair, percé p a r l a lance du soldat. De sorte que, pour lui, le lieu
d'origine de ses filles était le divin Cœur. E t il voulait qu'il devint
leur demeure, comme la caverne de Subiaco avait été la demeure
de saint Benoît, leur père.
Mais l'exemple de saint François, p a r qui elles sont réfor-
mées, les invite également à fixer leur demeure dans le même
Cœur du divin Maître. Car c'est là que saint François, sur le
Calvaire, fixa la sienne.
<t Nous parlerons seulement aujourd'hui, dit-il ( i ) , de la pauvreté
du Calvaire, dont saint François, entre tous les saints, y a eu tout son
cœur, et à la Passion, qui lui ont obtenu les sacrés stigmates. Saint
Benoît a bien montré aussi qu'il avait imprimé à son œuvre celte
excellente pauvreté de la croix, s'étant, dès sa conversion, retiré en
une affreuse grotte, y portant un seul crucifix. Si les vœux de ce
patriarche étaient bien conuus, on les trouverait admirables ; et y
ajoutant votre particulière vocation de Calvaire, cet esprit approche de
l'esprit crucifié de saint François, dont Dieu s'est daigné servir d'un
des siens pour vous l'enseigner. »
(i) Loc. cit., p. 367.
LA DÉVOTION ATT SACRÉ-CŒUR

Les Bénédictines réformées sont donc appelées Calvai-


riennes, parce qu'à l'esprit de saint Benoît elles ont ajouté
l'esprit de saint François, qui est l'esprit cruciûé ou l'union à
J é s u s dans s a Passion du Calvaire.
Mais comment les Calvairiennes arriveront-elles à s'unir
efficacement aux mystères de la Passion du S a u v e u r ? Ce sera
encore en fixant leur demeure dans le Cœur de J é s u s . Elles
seront les colombes du Cantique des Cantiques. C'est à ce titre
qu'on les verra établir leur séjour dans le trou de la pierre et de
la muraille, c'est-à-dire, comme il l'explique, dans le Cœur de
J é s u s . Ecoutons ses paroles ; il s'adresse aux Calvairiennes ( i ) :
« Levez-vous, mon amie, s'écrie-t-il avec le Cantique des Cantiques ;
hâtez-vous, ma belle, venez, ma colombe, dans le pertnis de la pierre,
dans la caverne de la muraille. Montrez-moi votre face et que votre
voix s'entende à mes oreilles, car votre voix est douce et votre face est
très belle. »
« Ces paroles sont admirables et conviennent si bien à votre esprit
qu'elles semblent avoir été dites pour vous. Aussi est-ce mon dessein
de vous enseigner ce qui vous est plus propre. Par ces trois mots .
Surge, propera, veni, levez-vous, hâtez-vous, venez, nous sont enseignés
les trois degrés par lesquels nous devons correspondre à la vocation
et monter à la perfection. »

Surge, lève-toi, signifie que la Calvairienne doit quitter tout


à fait le monde. Propera, hâtez-vous, montre qu elle doit être
remplie de zèle et de ferveur, pour atteindre le but de s a voca-
tion. Enfin Veni, venez, indique le lieu et l'état de perfection où
elle doit s'établir, l'état de colombe.

« En cet état, dit-il (2), l'âme est appelée colombe, en tant qu'elle
veut habiter en la pierre, au Cœur de Jésus, être sauvage et non fami-
lière, comme les pigeons. En ces trois paroles sont donc compris la
vocation, l'avancement et la perfection.
« Après avoir vu ces trois degrés de la vie spirituelle, continue-t-ii t

il faut spécialement considérer la lin où ils vous conduisent, que ce


passage nous montre clairement et qui est : dans les fentes de la
pierre et dans l'ouverture de la muraille. Tous les Pères expliquent
par ce caverna maceriœ la bouche d'un pertuis, qui est celle dont

(1) Loc. cit., p . 60.


( 2 ) Loc. cit., pp. 71-72.
L E P E R E J O S E P H E T L E S GALVATRIENNES l53

s a i n t J e a n p a r l e : Sed unns militum lancea latus ejus aperuit et continuo


exivit sanguis et aqua ( i ) . L e C œ u r de J é s u s fut ouvert et non seule-
m e n t p i q u é , c o m m e il f u t a u x a u t r e s e n d r o i t s d e s o n précieux corps,
q u i s o n t d e s p l a i e s n o n b e a u c o u p o u v e r t e s . P o u r q u o i le C œ u r d e J é s u s
e s t - i l a p p e l é maceria, qui veut dire une muraille de pierres sèches,
s a n s c h a u x et c i m e n t ? C'est qu'il est o u v e r t , q u ' u n c h a c u n voit d e d a n s
l ' a m o u r q u ' i l l u i p o r t e . M a i s il y a caverna, une grande entrée...
« J é s u s e s t d o n c l a m u r a i l l e q u i d i v i s e et c o n s e r v e les â m e s q u i vont
a u Ciel d ' a v e c celles q u i v o n t en enfer, o ù le c h e m i n q u i y c o n d u i t e s t
l a r g e ..
« L a d e v i s e d e s F i l l e s d u C a l v a i r e d o i t ê t r e q u e le c h e m i n e s t é t r o i t ,
qu'il faut p a s s e r à t r a v e r s le C œ u r d e J é s u s , o ù il n e f a u t c r a i n d r e
d'entrer, encore que ce soit une caverne. Il f a u t - s e r é s o u d r e d e s e
c o n f o r m e r ( à l u i ) et p r e n d r e v o t r e c o n s e n t e m e n t d'être c r u c i l i é e s a v e c
L u i e t d i r e a v e c l ' E p o u x : Je porte mon Jésus dans mon cœur. J e consi-
d è r e cette c a v e r n e d u sien où j e m e c a c h e , et ( j e ) m'y p l o n g e , comme
dans un délicieux bain pour moi mais très sensible, comme (faisait)
la Vierge a u pied de la Croix, lorsque son s a c r é C o r p s en fut d e s -
cendu. »
E t p l u s l o i n (2) : « J e f i n i r a i e n v o u s p r i a n t , m e s f i l l e s , d e c o n s i d é r e r
attentivement la g r â c e dont Dieu vous a prévenues de vous députer
p a r v o t r e v o c a t i o n à h a b i t e r et d e m e u r e r d a n s le C œ u r et l e s p l a i e s
d e s o n F i l s u n i q u e , q u i v o u s est u n p a s s a g e d o u x et a s s u r é p o u r e n t r e r
dans s a divinité. J e vous e x h o r t e , a v e c l e p r o p h è t e J é r é m i e (3), par
c e s n a ï v e s p a r o l e s : Délaissez les cités, demeurez dans la pierre et soyez
comme une colombe bâtissant son nid au sommet de la bouche de la
pierre. Voilà en p e u de mots l'exercice où v o u s devez o c c u p e r votre
vie. Q u i t t e z et o u b l i e z t o u t e p e i n e e t a t t a c h e s d e s c h o s e s temporelles,
prenant résolution d'habiter d a n s le C œ u r d e J é s u s et y faire votre
nid, afin d'y l o g e r toute votre lignée, q u i sont vos affections, votre
espérance et contentement. M a i s p o u r c e l a il f a u t ê t r e c o l o m b e , s a n s
liel, s a n s j a l o u s i e , e n v i e , s o u p ç o n , n o n r u s é e s e t s u b t i l e s p o u r t r o m p e r
Dieu, vos s u p é r i e u r e s et v o u s - m ê m e s . A u c o n t r a i r e l a c o l o m b e e s t l a
ligure d u S a i n t - E s p r i t . . . q u i est u n e s p r i t d ' a m o u r , d e d o u c e u r et de
simplicité...

« S o y e z d o n c , m e s b o n n e s M è r e s et S œ u r s , c o m m e le d i t I s a ï e (4),
comme des colombes pleurant au pied de la Croix, la m o r t et la p r i v a -
tion de votre divin E p o u x , ne voulant attacher votre cœur à autre
c h o s e , c o m m e l a c o l o m b e , q u a n d elle a p e r d u s o n m a r i , elle ( n e ) s'allie
à a u c u n a u t r e e t p a s s e le r e s t e d e s a v i e à g é m i r .

(1) JOAN, x i x , 34. U u s o l d a t de s a l a n c e o u v r i t s o n côté, et a u s s i t ô t il sortit


d u sang- et d e l'eau,
(a) Loc. cit., p p . 80-81.
(3) JÉRKM., XLVIII, 28.
(4) I s . LIX, 11. Q u a s i c o l u m b œ m é d i t a n t e s g e m i m u s .
i54 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

« ... (Soyez encore) comme les colombes demeurant à leurs


fenêtres (i), qui sont le Cœur de Jésus et ses plaies, par lesquelles elles
voient, sans vouloir se servir d'autres lumières. »
Dans les vingt-huit exhortations qui composent ses Exercices,
le P. Joseph revient sans cesse sur ces mêmes idées :
Je vous ai tant de fois représenté, dit-il dans la dix-huitième, le
Cœur de Jésus, votre Epoux, ouvert, lequel est Farmoirie des Filles du
Calvaire, auquel il les convie d'y rentrer. Saint Jean, disciple bien-
aimé, Ta vu et considéré avec tendresse et affection. C'est la fin de son
Evangile, de sa science, où il apprend les plus rares secrets de la
divinité... »
Et plus loin : « Je vous donne, pour votre portion et dot, le Cœur
du Sauveur crucifié... »

Après avoir voué ainsi ses filles au Sacré-Cœur (3), dans la


septième exhortation, le P. Joseph montre le bonheur de l'âme
qui habite au Cœur de Jésus et le profit qu'elle en retire.
a Mais très heureuse, dit-il, celle qui, comme une colombe, va se
plonger dans le Cœur et les plaies de son Epoux, est parvenue au
parfait amour et à la fruition interne de Jésus, où il se fait une vraie
transformation et union. Car, dans ce Cœur, on voit ce que nous
sommes, ce que Dieu veut de nous et ce qu'il en a ordonné. C'est un
miroir, où nous ne voyons pas seulement les taches de notre cons-
cience, mais il y a aussi le moyen et le pouvoir de les effacer et (de)
nous rendre agréables. Car, par la face, on connaît Jésus, et, par le
Cœur, on l'aime, ce qui ne peut manquer, puisqu'on est même dans
le centre de l'amour, non plus comme un rayon attaché au soleil, mais
dans le centre même. Ce qui arriva à saint Jean l'Evangéliste, au

(1) ISAIE, EX, 8, Q u a s i c o l u m b œ a d fenestras s u a s .


(2) Loc. cit., p . 276.
(3) Ces conférences sont d e i635 et i636. M a i s l'idée de c o n s a c r e r la
C o n g r é g a t i o n a u S a c r é - C œ u r r e m o n t a i t a u x origines m ê m e s . D a n s l a h u i t i è m e
exhortation, le P. J o s e p h le d é c l a r e f o r m e l l e m e n t . Il y p a r l e d e s intentions
de M a d a m e d ' O r l é a n s , l a fondatrice, m o r t e en 1618 : « L'esprit g é n é r a l de
v o t r e C o n g r é g a t i o n , dit-il, c'est d o n c d'avoir v u en cette b o n n e à m e u n a p p e l à
i m i t e r J é s u s s u r le C a l v a i r e et loger dans son Cœur et à c o m p a t i r a v e c s a
s a i n t e Mère à ses d o u l e u r s . » Loc. cit., p. 112. Cf. p p . 118, 127, i55, i58, 253,
275, 279, 335, 357, 367, 408, 4*3, 420, 444» t c . P a r t o u t l e P è r e revient s u r cette
c

idée q u e l a v o c a t i o n d e l a C a l v a i r i e n n e est d'habiter d a n s le C œ u r de J é s u s .


A u s s i disait-il d e cet Exercice des dix jours : « J e l ' a p p e l l e r a i l'exercice d u
C œ u r de J é s u s . »
D è s 1604-1610 le P è r e J o s e p h s e m b l e bien a v o i r fondé la r é f o r m e d e
F o n t e v r a u l t s u r l a m ê m e d é v o t i o n . A l a mort de l ' a b b e s s e , en effet, 26 m a r s
1610, à côté de s e s a r m o i r i e s ou vit i i g u r e r les m o n o g r a m m e s de J é s u s et de
M a r i e et les Cinq p l a i e s r e p r é s e n t é e s p a r les p i e d s et les m a i n s p e r c é s et
p a r le C œ u r t r a n s p e r c é l u i - m ê m e et s u r m o n t e d'une croix. (Cf. R. de Vart
Chrét., 1879, p . 332.) L e P . J o s e p h présidait à ces f u n é r a i l l e s .
(4) Loc. cit., p . 96-97.
LE PÈRE JOSEPH E T LES CALVAIRIENNES
155
jour de la Cène. Se reposant sur la poitrine de Jésus, il s'attacha à lui
par amour, comme un rayon. Mais, sur le Calvaire, lorsque le Cœur
de Jésus fut percé par la lance, il y logea ses affections rendant témoi-
gnage de cette ouverture : Celui qui a vu (et est entré dans ce Cœur
non comme la lance pour lui faire mal mais par amour) assure cette
vérité. Ce qui fut réservé à lui seul des Apôtres. Ce qui lui donna
entrée dans ses hautes lumières du Verbe divin,.. Et (ce) qui le rendit
si transformé en l'amour de Jésus que ses principales paroles n'étaient
que de charité et d'amour, ne pouvant sortir de lui que des étincelles
de ce feu qui le consumait ! »
Ces dernières paroles indiquent le caractère de la dévotion
au Sacré-Cœur, chez le P. J o s e p h . Il y voyait, nous Pavons
dit, un exercice de compassion aux souffrances de J é s u s et de
reconnaissance pour son amour ; mais il y voyait surtout un
exercice de conformité à ses sentiments et à ses divines affections
et spécialement à son amour pour les volontés de son Père céleste.
Dans la seizième exhortation, il compare le Cœur de J é s u s à une
citerne, où Dieu avait amassé les eaux des plus pures consola-
tions, qui consistent à garder l'âme contente au milieu des ari-
dités et des plus grandes désolations.
(Durant la Passion de Jésus) écrit-il ( i ) , sou Père avait préparé en
son Cœur une citerne. Toutes les consolations y avaient coulé et
jamais une âme ne fut plus satisfaite qu'alors, ayant fait abstraction de
toutes les extérieures. Il était en deux états : l'un affligé à l'extrême, à
l'extérieur, et l'autre joyeux, au dedans.
// s'était proposé la joie que son âme et son précieux corps rece-
vront après sa résurrection, et le contentement de plaire à son Père,
en cette action d'où dépendait le salut de tant de personnes. Mais
pourtant, sustinuit crucem, il (souffrit) si grièvement que lui seul est
capable de le faire concevoir... Il fit entendre des prières et des sup-
plications à celui qui le pouvait garantir de la mort... Et il est certain
que cela ne fut manque de courage, mais par l'amour qu'il portait
à son Père et aux âmes, nous donnant exemple d'épurer notre amour,
rejeter le mauvais, et de ne chercher, comme nous le faisons, à nous
baigner dans les consolations.
Donc, d'après le P . Joseph, ce qu'enseigne le Cœur de J é s u s
aux âmes qui lui sont fidèles, c'est de se proposer ici bas une
seule j o i e : le contentement de plaire à son Père, en faisant ses
saintes volontés, et de renoncer à toutes les autres consolations.
(i) Loc. cit., p . a53.
i56 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

<? Je boirai au Calice de mon Seigneur, disait-il ( i ) , où est le fiel et


l'amertume... me privant de toutes consolations sensibles, intérieures
et extérieures, pour boire de l'eau de la citerne de Jésus en croix, qui
est son Cœur ouvert, où se sont rassemblées toutes les grâces célestes
qu'il veut nous communiquer. Et continuo exivit sanguis et aqna.
Aussitôt que ce Cœur a été ouvert par le fer de la lance, les torrents
de ses bienfaits sont coulés sur son Eglise, particulièrement sur sa
sainte Mère et saint Jean, qui les ont après distribués sur tous les
chrétiens. »

L e terme de la dévotion au Sacré-Cœur, c'est, en dernier lieu,


de faire du Cœur de J é s u s et du cœur de la créature un seul
cœur.
« Mes bonnes sœurs, dit-il (2), puisque vous êtes appelées à l'esprit
du Calvaire, et que, sur ce mont, il (Jésus) vous ouvre son Cœur, afin
que vous y logiez et en disposiez, il faut aussi que vous soyez le sien,
comme il dit : Mon fils, donne-moi ton cœur. Que vous deveniez son
Cœur, que tout ce qui est en vous soit plein de son affection et trans-
formé en sa charité, en tous temps et en tous lieux ! Le cœur, selon sa
matière, n'est que chair, mais il signifie l'amour, le fond de l'esprit
où est logé le franc arbitre et la charité. Ainsi il faut devenir toutes
esprit ; ce qui sera lorsque vos actions seront conduites de Dieu.
a Mais il ne faut pas que vous vous contentiez de cet heureux état.
Il faut passer outre et être le cœur de l'esprit de Dieu, puisqu'il vous
appelle et vous aime, en sorte que votre esprit et votre cœur s'unissant
à Lui ne soient qu'un... Vous voyez que tout ce que nous vous ensei-
gnons n'est qu'une même chose, qui est d'unir votre volonté à celle
de Jésus. »
Et plus loin ( 3 ) : « Il faut donc mettre votre foi, votre règle, vos
constitutions dans votre cœur qui doit être celui de Jésus, puisqu'il
ranime, et dire, avec David, ce que le Sauveur dit à son Père : Dans
le commencement du livre de vos ordonnances, ô mon Père, il est
écrit de moi que je dois faire votre volonté, que je dois mettre votre
loi au milieu de mon cœur. L'hébreu, au lieu de ce mot milieu, dit
le centre du cœur, dans le cœur du cœur. C'est le Cœur de Jésus dans
le nôtre, lequel contient aussi celui de l'Eglise dans le sien, comme en
la partie la plus chère qu'il environne. (C'est) le centre de notre esprit
qui est dans celui de Jésus, comme dans le sanctuaire que son Père a
ouvert, pour y voir la loi d'amour, et (il) veut que nous ouvrions le
nôtre pour l'y mettre, et ainsi que ces deux cœurs soient une habitation
mutuelle. Gomme dit saint Jean, Jésus dit : Je suis en mon Père, et

(1) Loc. cit., p . 254-255.


htS Loc. cit., p . 275.
(3) Loc. cit., p . 279.
L E PÈRE J O S E P H ET L E S CALVAIRIENNES

vous en moi et moi en vous. Et plus bas : « Si quelqu'un m'aime, il


gardera ma parole, mon Père Vaimera et nous viendrons en son cœur
et y ferons notre demeure. »

Le Cœur de Jésus est donc le centre d'union, où tous les


cœurs créés n'en forment plus qu'un seul avec le sien. Mais il est
quelque chose de plus grand encore, il est le centre d'union où la
créature se rencontre avec son Créateur. Lisons cette page
vraiment sublime :
« Est locus dit le P. Joseph (i), rappelaient la parole du
apud me,
Seigneur à Moïse (2), il y a un lieu en Dieu. Les Pères de l'Eglise disent
que c'est le Cœur de Jésus, que c'est ce caverna maceriœ, cette muraille
ouverte, dont il est parlé au premier des Cantiques, le côté du Sauveur
ouvert en croix. Le Père Eternel dit donc : Je veux que vous sachiez
qu'il y a un lieu le plus cher non seulement aux créatures, mais à
moi-même, que je préfère, s'il se peut ainsi dire, à tout ce qui est ma
Divinité, qui est le Cœur de mon Fils mort en croix, où est le siège de
mon amour et d'où je fais couler tous mes trésors pour enrichir le ciel
et la terre.
« Mais pour bien parler de ce Cœur qui est le symbole de l'amour,
(il) faut entendre celui qui a reposé dessus, l'a vu ouvert et s'y est
logé, lequel ayant pénétré jusqu'au centre de la Divinité, en parle
hautement, en son Evangile : que le Fils unique de Dieu est dans le
sein de son Père, que le Père aime uniquement son Fils, que le Père
et le Fils s'entr'aiment d'un même amour, dont ils ont produit le
Saint-Esprit. Et ainsi le Père donne tout à son Fils, lui donnant soi-
même et son amour. »
Cette gloire de la Divinité, que le Fils reçoit de son Père,
Jésus va nous la communiquer, en nous ouvrant son Cœur :
« Mais, ô amour incompréhensible ! s'écrie le P. Joseph, il ne suffit
pas au Père d'avoir ainsi enrichi son Fils ; mais il l'envoie au monde,
le met en notre possession, et par ainsi se donne lui-même à nous,
toute la Trinité, les attributs et les perfections divines. Mais d'autant
que nos esprits sont faibles et que nous ne pouvons comprendre ces
hauts mystères, il a voulu, après nous avoir témoigné ce parfait amour,
que le Cœur de son Fils fût ouvert après sa mort, afin de nous mieux
faire croire cela et pour nous mettre en possessioji des trois Personnes
divines. »

En conséquence, le P. Joseph proclame la nécessité de la


dévotion au Sacré-Cœur, au moment même où elle commençait à
(1) Loc. cit., p. 127. .
(2) EXODE, XXXIII, 17-19.
i58 L A DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

être si combattue que le pieux évoque de Genève osait à peine


la nommer dans ses écrits par ailleurs si débordants d'amour.
« Quelques-uns diront, continue-t-il : (Ne) peut-on pas bien se sau-
ver sans entrer dans ce Cœur, sans que Jésus soit mort pour nous et
nous ait ouvert son côté ? Dieu peut tout ; mais son amour n'a point
trouvé de moyen plus excellent, après être mort pour nous, que de
nous laisser en son Cœur, afin de posséder les divines Personnes
ensemble : Je suis en mon Père et mon Père est en moi ( i ) . »

Nous arrêtons là ces citations que nous pourrions multiplier à


l'infini, en Les empruntant à ses autres ouvrages ascétiques. Car
partout le P. J o s e p h prêchait cette dévotion au divin Cœur. Mais
ces courts extraits suffisent à montrer que, dans sa dévotion, le
célèbre capucin savait unir, d'une manière inséparable, les deux
éléments essentiels qui la constituent : l'amour de J é s u s pour les
hommes, qui appelle, de notre part, reconnaissance et compas-
sion, et l'amour de J é s u s pour son Père, qui appelle, de notre
part, union et conformité à cette vie d'amour filial.
Presque tous les capucins qui ont traité de la mystique ou de
e
l'ascétisme, au x v n siècle, ont insisté sur le culte à rendre au

( i ) Loc. cit., p . 1 2 8 . M a l g r é ces p r e u v e s m u l t i p l i é e s , é t a b l i s s a n t le rôle p r é -


o n d é r a n t d u F . J o s e p h , p o u r r é p a n d r e l e culte d u S a c r é - C œ u r , les o u v r a g e s
S e v u l g a r i s a t i o n , t e l s q u e l e Dictionnaire
Dévotion au Sacré-Cœur
de Théologie catholique
de Jésus, d u P . B A I N V E L , etc., continuent d e p l a c e r
ou la

a u p r e m i e r r a n g s a i n t F r a n ç o i s d e S a l e s o u l a V i s i t a t i o n on l a C o m p a g n i e
d e J é s u s , d o n t l e r ô l e , a v a n t l a b i e n h e u r e u s e M a r g u e r i t e - M a r i e , fut t o u t à
e
fait s e c o n d a i r e , et, a p r è s elle, et j u s q u ' a u x i x siècle, r e s t a t o u t à f a i t
r é s e r v é . E t , p o u r s o u t e n i r l e u r t h è s e , s a n s s*en r e n d r e c o m p t e , i l s sont
a m e n é s à d é f i g u r e r q u e l q u e p e u le v é r i t a b l e e x p o s é d e l a d o c t r i n e . A
p r o p o s d u P . J o s e p h , le P . B a i n v e l écrit : « P e u t - ê t r e le m o t cœur n e l u i
présente-t-il p a s u n s e n s t r è s délini, et, en p r e s s a n t telle d e s e s e x p r e s s i o n s ,
on p o u r r a i t ê t r e t e n t é de c o n c l u r e , q u e , tout en e m p l o y a n t le m o t cœur, il
n'a p a s e n v u e l e c œ u r d e chair, et q u e , p a r c o n s é q u e n t , n o u s n ' a v o n s p a s
l à , a p r o p r e m e n t p a r l e r , l a d é v o t i o n a u S a c r é - C œ u r . L a conclusion s e r a i t
i n e x a c t e . L e P . J o s e p h ne p r é c i s e p a s , il est v r a i , c o m m e on a fait p l u s t a r d
et l a réalité concrète q u i fonde l e s y m b o l i s m e r e s t e s i v o i l é e q u e l e cœur
n o u s a p p a r a î t p e u t - ê t r e p l u s chez l u i c o m m e u n m o t , u n e m é t a p h o r e q u e
c o m m e u n e c h o s e , u n s y m b o l e . Il a c e l a d e c o m m u n a v e c t o u s c e u x , o u
p e u s'en faut, q u i à cette é p o q u e p a r l e n t d u S a c r é - C œ u r . M a i s u n r e g a r d
p l u s attentif n o u s m o n t r e q u e r i d é e r e s t e s y m b o l i q u e et q u e le m o t cœur
n'est p a s c o m p l è t e m e n t v i d é d e s o n c o n t e n u m a t é r i e l . » (Loc. cit.,
pp. 3IO-3II.)
N o n , il n'est p a s e x a c t de dire q u e le P . J o s e p h a i t m a n q u é d e p r é c i s i o n .
Chez l u i , le m o t cœur non s e u l e m e n t n'est p a s v i d é d e s o n contenu matériel,
q u i est l e cœur percé de la lance, m a i s il n'est p a s v i d é non p l u s d e s o n
c o n t e n u moral, l e q u e l est, d ' a p r è s l u i , son amour pour les hommes et son
amour pour son Père. IL e n s e i g n e d o n c l a d é v o t i o n d a n s s o n i n t é g r a l i t é
t r a d i t i o n n e l l e ; t a n d i s q u e b e a u c o u p d e m o d e r n e s s'obstinent encore à é c a r t e r
d e cette d é v o t i o n l a m o i t i é d e s o n c o n t e n u m o r a l : l'amour du Cœur de
Jésus pour son Père.
LA DOCTRINE FRANCISCAINE DU SACRE-CŒUR

Sacré-Cœur. Le P. Henri de Grèzes, dans ses Etudes franciscaines


sur La dévotion au Sacré-Cœur, cite les PP. Philippe d'Angou-
mois (I63I), Paul de Lagny (i663), Léandre de Dijon (1660),
Bernardin de Paris (1662), Louis-François d'Argentan (16G8).
Tous se sont faits, à l'école de saint Bonaventure, les apôtres de
la dévotion au Sacré-Cœur entendue au sens que nous avons
exposé. Nous n'insisterons point sur leurs enseignements. Mais,
avant de clore ce chapitre consacré à la branche franciscaine
des Frères Mineurs capucins, nous voulons donner une
vue d'ensemble sur cette puissante doctrine du Sacré-Cœur
qu'ils ont contribué à asseoir sur ses bases définitives.
Ce n'est certes pas un vulgaire spectacle, celui qu'il nous a
été donné de contempler en la personne de ces deux fils de
François d'Assise, dont nous venons d'analyser la pensée. L'un,
venu des champs de la Vénétie, où il paissait les brebis, consacra
toute sa vie, à l'intérieur de son couvent, aux humbles travaux
des frères lais; l'autre, sorti d'une noble famille de l'Ile-de-
France, devint le conseiller des rois et contribua plus que
personne à faire de sa patrie le premier pays du monde. Tous les
deux se rencontrèrent dans la même dévotion à l'amour du Cœur
de Jésus. Et, tandis que l'un, en des accents enflammés, que
désirèrent entendre les princes de la terre les plus illustres,
racontait les merveilles de l'amour de ce divin Cœur pour les
hommes ( 1 ) , l'autre, dans les termes de la plus haute théologie et
de la plus persuasive éloquence, célébrait l'amour de ce même
divin Cœur pour son Père céleste et invitait tous les hommes à y
venir communier. Ils se complétaient ainsi l'un l'autre, pour
traiter, dans toute son étendue, le grand mystère de l'amour
divin.
Que faut-il admirer davantage, l'extase de l'humble frère
Thomas devant le Cœur qui tant aima les hommes et pour eux
versa jusqu'à la dernière goutte de son sang, ou la contemplation

(1) L e . frère T h o m a s de B e r g a m e fut en r e l a t i o n s é p i s t o l a i r e s a v e c L é o p o l d ,


p r i n c e d u T y r o l , les a r c h i d u c h e s s e s M a r i e - C h r i s t i n e et E l é o u o r e , s œ u r s de
l ' e m p e r e u r F e r d i n a n d , etc.
i6o LA DÉVOTION AU SACRÉ-COEUR

de celui qu'on nomma TEminence Grise et qui, dans les flammes


d'amour qui embrasaient le divin Cœur, voyait surtout l'incendie
de l'holocauste mystérieux où se consuma la victime toute sainte
pour obéir à la volonté de son Père ? O amour de mon Jésus
pour l'homme pécheur ! s'écriait le petit pâtre de la Vénétie dans
son ravissement. O amour de mon Christ pour la volonté
toute sainte de votre Père céleste, redisait, à son tour, le pieux
conseiller de nos rois. Et ensemble, à genoux, ils adoraient, ils
bénissaient et chantaient le même cantique d'actions de grâces.
C'est que, sous des formules diverses, ils traduisaient, ils expri-
maient le même mystère d'amour, l'un dans le langage des
simples, qui s'arrêtent de préférence à contempler les choses par
les dehors, l'autre dans le langage du savant et du théologien,
habitué à pénétrer jusqu'au plus intime des mêmes réalités. C'est
cette solidarité des deux formules que nous voudrions mettre en
évidence aux yeux de nos lecteurs. Elles se tiennent et se com-
plètent, comme l'âme et le corps dans le composé humain. Ne les
séparons pas, dans la dévotion au Sacré-Cœur, et surtout n'en
écartons pas la contemplation de l'amour du Christ pour son Père :
elle en est l'âme, elle seule lui communique l'esprit et la vie.

Dieu, nous l'avons dit, est amour : il s'aime lui-même et il


aime toutes ses créatures, même les damnés. Mais ces amours
sont divers et subordonnés entre eux harmonieusement. Pour ex-
primer ces divers amours, les théologiens se servent de diverses
expressions. Vis-à-vis des damnés, c'est un amour de justice :
Dieu donne à chacun de ces malheureux ce qu'il mérite ; il les
conserve dans la vie et ne leur inflige d'autres privations ou châ-
timents que ceux qu'exigent leurs crimes. Vis-à-vis de toutes les
autres créatures, c'est un amour de bienveillance : Dieu veut et
fait du bien à toutes ; il leur donne et conserve l'existence et la
vie, et il les comble de beaucoup de biens, auxquels ces créatures
n'ont aucun droit. Vis-à-vis de lui-même, Dieu pratique un amour
de complaisance : c'est de cet amour de complaisance qu'il
s'aime lui-même, que le Père aime son Fils dans le Saint-Esprit,
EXPOSÉ DOCTRINAL

selon la parole de l'Ecriture : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en


qui f ai mis toutes mes complaisances ; Hic est Filius meus dilec-
tus in quo mihi bene complacui. C'est de cet amour que le Fils
aime le Père, dans le même Saint-Esprit, et trouve sa joie à faire,
en toutes choses, sa volonté.
Cet amour de complaisance est le privilège personnel de la
divinité. Nulle créature n'en est digne et même n'est capable par
elle-même d'en être l'objet, fùt-elle un million de fois plus belle
qu'un chérubin, un million de fois plus aimable que le plus
aimable des séraphins.
Aussi, quand Dieu, malgré cette impossibilité naturelle, par
un prodige de bonté, eut résolu de nous admettre à goûter les
délices ineffables et intimes de sa vie d'amour, il dut, par une
fiction mystérieuse, pleine des plus sublimes réalités, nous
associer à son Fils, de façon à ne former avec lui, pour
ainsi dire, qu'une même personne. Et c'est pour sceller cette
union qu'il l'envoya au milieu des temps revêtir notre nature et
faire ainsi du monde entier, dont il devenait le chef, un corps
immense dont nous étions les membres. Sic Deus dilexit mundum
ut Filium suum unigenitum daret ( i ) . Dieu a tant aimé le monde
(il s'agit du monde entier et non pas seulement des hommes),
Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique (2). Et
la présence de ce Fils unique dans le monde, comme* chef du
monde, lui permet de reporter sur ce monde tout entier l'amour
paternel qui était le privilège exclusif de son divin Fils.
Et, depuis lors, sur le monde transfiguré, Dieu étend son
amour de complaisance. Mais, en réalité, et c'est bien évident,
c'est sur la personne de son Fils bien-aimé qu'il arrête tout d'abord
ses regards. Pour nous, nous ne faisons que participer aux inef-
fables tendresses dont il l'entoure, par le fait tout extrinsèque à
nos mérites naturels, que nous sommes les membres de son corps
mystique. Dieu le Père ne nous aime donc de cet ineffable

(1) J O A N . , III, l6.


(2) L a t h é o l o g i e e n s e i g n e q u e D i e u a u r a i t p u , p a r d'autres v o i e s q u e l'In-
c a r n a t i o n , r é a l i s e r n o t r e a d a p t a t i o n à r e c e v o i r s a g r â c e . L ' i n c a r n a t i o n n'était
p a s a b s o l u m e n t n é c e s s a i r e , elle a été u n s u r c r o î t d ' a m o u r .
IL
ï6<2 L A DEVOTION AU SACRE-COEUR

amour de complaisance que dans l'amour qu'il a pour son Fils.


L'amour dont Dieu nous aime est subordonné à F amour dont il
aime son Fils premier-né.
Bien plus, si le Fils lui-même nous aime, c'est uniquement
dans l'amour qu'il a pour son Père et pour nous associer à ce
filial amour. Il nous aime d'abord p a r c e que, de p a r la volonté
de son Père, nous sommes les membres de son corps. Comme le
chef, comme l a tête aime ses membres, ainsi J é s u s nous aime,
c'est-à-dire dans la mesure où nous acceptons de recevoir de lui
l'influence, l'esprit, le mouvement et la vie.
Or tout le mouvement du Fils de Dieu, toute sa vie conspirent
vers l'amour et la louange de son Père. C'est donc vers cet amour
et cette louange qu'il nous entraîne de toute l'énergie de sa force
vitale et de s a grâce divine. P a r tous les mystères de s a vie labo-
rieuse, souffrante et glorieuse, il nous oriente vers son Père. S'il
nous a sanctifiés dans l'eau et le feu, c'est afin de nous rendre
digues et capables de chanter avec lui son cantique de louange et
d'amour filial, devant le trône de son P è r e céleste. L à encore
l'amour du Fils pour les hommes est subordonné à son amour
pour son Père et il y trouve s a raison d'être et sa mesure.
C'est en ce sens théologique que nous disions, en parlant
de Y Amour qui s'immole, au commencement de ce travail, en
des termes qui ont pu surprendre des âmes moins préparées à
les entendre : « E t vous, théologiens, ne nous parlez plus de
l'amour du Dieu Rédempteur pour les hommes qu'il a voulu
racheter du péché et de la mort. » C'est-à-dire parlez-nous
d'abord de son amour pour son Père ; car c'est dans le mystère
de cet amour, qui prime tout le reste, que vous comprendrez
son amour pour les hommes. S i , en effet, J é s u s a tant aimé
les hommes j u s q u ' à mourir pour eux sur l a croix, c'est, avant
tout, p a r amour pour son Père qu'il les a aimés ainsi, pour
les sanctifier et les rendre dignes de le chanter avec lui. E t ce
Père lui-même, s'il aime les hommes, c'est à cause de son F i l s .
Et pour parler de la merveille des merveilles, l a Rédemption,
qui semble avoir été voulue tout d'abord par amour pour
E X P O S E DOCTRINAL l63

l'homme, saint Irénée soutient que l a Rédemption elle-même,


qui profite tant aux hommes, fut voulue de Dieu le Père tout
d'abord pour l a gloire de son F i l s , afin de lui donner occa-
sion de déployer les richesses de s a grâce rédemptrice, prœ-
formante Deo primum animaient hominem, videlicet ut a spiri-
tali salçaretur (i).
L'unique prière de J é s u s , le Pater noster, en qui se résume
tout son esprit, n'est qu'un hymne à la louange de son Père
et à l'amour de s a sainte volonté. D u reste, la philosophie elle-
même, d'accord avec la théologie, ne dit-elle pas que, dans ses
œuvres, Dieu n'a pour fin que sa g l o i r e ? S'il veut le bien des
créatures, c'est comme moyen d'étendre s a gloire : omnia prop-
ter semetipsum operatus est De us, disent les Proverbes (xvi, 4)-
Dieu le Père, dans le monde, dans l'ordre de la grâce et, à plus
forte raison, dans Tordre de la création, poursuit la gloire de
son Fils ; et le Fils poursuit la gloire de son Père- C'est là la
grande préoccupation de son cœur, auprès de laquelle tout le
reste n'est rien et à laquelle tout le reste est subordonné.
O Cœur sacré de J é s u s , Fils unique de Dieu, oui certes vous
aimez les hommes, comme le chantait dans son extase l'humble
frère de B e r g a m e . E t comment ne les aimeriez-vous p a s , puis-
qu'ils sont les membres de votre corps et que vous les nourrissez
du sang de votre g r â c e ? Mais cet amour pour les hommes n'est
pas un amour de l'homme pour l'homme, une sorte de philan-
thropie divine, telle que l'entendent les mondains et peut-être
certains dévots mal éclairés. Non, mais, selon l'enseignement du
P . Joseph, il est une des formes multiples, sous lesquelles il vous
plait d'exprimer votre amour pour votre Père Céleste. Votre
Cœur ne sait rendre qu'un chant, le chant de l'amour filial ; et,
si, en vérité vous aimez les hommes que vous avez rachetés de
votre sang, c'est dans cet amour filial que vous les aimez. Vous
avez voulu en faire des organes sanctifiés, par qui vous étendriez
à toute la création l'hymne de votre amour, en l'honneur de
votre Père Céleste.

( i ) V o i r n o t r e b r o c h u r e s u r les Mjtifo ds VIiurmtioi.


i64 LA. DÉVOTION ATJ SACRÉ-CŒUR

C'est si vrai que ceux-là qui refusent de se laisser sanctifier


p a r l'eau et le feu, pour devenir vos dignes organes, vous les rejetez
loin de vous. Et ces hommes que vous poursuiviez de votre amour
non pour eux-mêmes, car ils n'en sont p a s dignes, mais pour votre
Père, dès lors qu'ils refusent de s'associer à votre chant d'amour,
vous les abandonnez aux ténèbres extérieures : Non novi vos. lté
maledicti in ignem œternum. J e ne vous connais p a s , leur dites-
vous. Allez a u feu éternel ( i ) .

Oui, l'amour du Cœur de J é s u s , ce feu dont il veut embraser


tous nos cœurs et le monde entier, c'est bien, selon les enseigne-
ments du P . J o s e p h à ses filles du Calvaire, l'amour pour son
Père céleste et pour ses saintes volontés. De cet amour filial
découle tout le reste, comme la chaleur sort du foyer qui
l'engendre.
Quand un brasier ardent est allumé quelque part dans un
foyer fermé, malgré les obstacles il fait sentir au loin ses ardeurs.
C'est l'air, embrasé à son contact, qui, s'échappant dans l'espace,
porte partout sa chaleur. Par l'air nous sentons la chaleur ; mais
nous savons nous rendre compte que la source de cette chaleur
n'est point dans l'air, elle est dans le foyer. — Approchons de la
fournaise elle-même, nous y verrons en incandescence des char-
bons ardents, du métal en fusion, dardant partout un éclat aveu-
glant. A cette vue, nous nous écrierons : « L a source de la cha-
leur, elle est là, dans l'incandescence de ces charbons qui éblouit
mes yeux. » — Mais interrogez les savants, ils vous diront que
vous vous trompez. Certes la chaleur est dans l'incandescence,
mais là n'est point sa source. L e vrai foyer de cette chaleur qui

( i ) Il i m p o r t e d e b i e n e n t e n d r e , c o m m e n o u s v e n o n s d e l ' e x p o s e r , l ' a m o u r
d e D i e u p o u r l e s h o m m e s , a Un d e n e p a s le r a b a i s s e r et e u faire u n e stérile
p h i l a n t h r o p i e . S i D i e u a i m a i t l ' h o m m e p o u r l ' h o m m e , i l s e contenterait d e l'or-
ner et d é v e l o p p e r d a n s l e s l i m i t e s d e s a n a t u r e et il n o u s a u r a i t l a i s s é à n o t r e
b a s s e s s e n a t u r e l l e . M a i s D i e u le P è r e a i m e les h o m m e s p o u r s o n F i l s et îl les a
s o u m i s à s o u F i l s , afin qu'ils s o i e n t les m e m b r e s d e s o n c o r p s et q u ' i l s f o r m e n t
s a Cour, et c'est p o u r q u ils soient d i g n e s de cette fonction qu'il les a e n n o b l i s
d'une façon s i m e r v e i l l e u s e . D e m ê m e D i e u le F i l s a i m e les h o m m e s p o u r s o n
P è r e , et, c o m m e n o u s l ' a v o n s d i t , il s'est u n i à e u x p o u r les r e n d r e c a p a b l e s d e
c h a n t e r a v e c l u i les c a n t i q u e s d ' a m o u r filial. M a i s en s ' u n i s s a n t a i n s i à
l ' h o m m e , il l'a t r a n s f o r m é et il Ta élevé j u s q u ' à s a d i v i n i t é . C'est l à l'origine
de notre g r a n d e u r .
EXPOSÉ DOCTRINAL 165

échauflc l'air du dehors et qui produit l'incandescence à l'intérieur,


est quelque chose de plus intime. Il est dans ce que l'œil de
l'homme ne peut voir, ni ses oreilles entendre, il est dans la
combustion des molécules et des atomes imperceptibles, qui, en
s'unissant et se combinant entre eux dans une sorte d'embrasse-
ment frénétique, dégagent autour d'eux cette chaleur qui cause
l'incandescence des charbons, la fusion du métal et qui embrase
au loin tout l'espace environnant.
Ainsi en est-il de l'amour au Cœur de Jésus. Jésus aime toutes
les créatures. Son amour, il l'a manifesté par l'œuvre de la créa-
tion d'abord, puis d'une manière plus éclatante dans l'œuvre de
la Rédemption. Cependant, ni dans l'œuvre de la création, ni
même dans l'œuvre de la Rédemption ne se trouve le véritable
foyer de son amour et le point d'attaché de son Cœur. Ce vrai
foyer, il est dans l'ineffable embrassement par lequel il se porte
tout entier vers la volonté sainte de son Père céleste, dont la
possession, l'accomplissement et la jouissance le remplissent
d'un bonheur parfait, d'une joie ineffable et l'enivrent au mys-
térieux nectar de la vie divine. Son œuvre extérieure de la
Rédemption n'est que l'incandescence visible de cet amour caché ;
et l'œuvre de la création en est comme une effusion plus
atténuée encore, tel cet air embrasé qui s'échappe de la fournaise
ardente.
Osculetur me osculo oris sui. O Père, étreignez-moi de vos
embrassements ! Tout le geste du Sacré-Cœur est une aspiration
vers ce baiser des lèvres de son Père et une aspiration
à nous unir tous aux joies de cette divine étreinte. Son amour
pour les hommes se résume tout entier dans cet effort qu'il
accomplit dans le but de nous associer à lui dans l'amour de son
Père : ut omnes unum sint, sicut tu Pater in me et ego in te, ut
et ipsi in nobis unum sint. (i) C'est dans l'amour qu'il s'unit à
son Père, c'est dans cet amour qu'il veut nous unir à lui, nous
unir entre nous, nous unir à son Père, afin que l'unité soit
consommée pour la vie éternelle.
( i ) JOAN., XVII, a ? .
i66 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

II. — Les pratiques de la dévotion au Sacré-Cœur.

La prédication de la dévotion au Sacré-Cœur devait, de bonne


heure, susciter des pratiques du culte en son honneur. Dès
e
le début du xm siècle, nous avons vu sainte Claire les mettre
en usage dans son couvent, sous la forme d'une longue prière
aux Cinq Plaies où la plaie du Cœur occupait une place de choix.
Sainte Marguerite de Cortone, après chaque repas, honorait
ces mêmes plaies par la récitation de cinq Pater et Ave. La
bienheureuse Jeanne de Valois s'était dessiné, avons-nous dit,
une image de ce divin Cœur, avec sa plaie, pour aider sa
e
dévotion (i). Et ce culte par l'image était universel au xv siècle.
e
Au xvii siècle, les 'manuels officiels de dévotion de deux
grandes congrégations, le Tiers Ordre régulier et les Clarisses de
France, font une large place à la dévotion au Sacré-Cœur.
Le manuel de piété du Tiers Ordre, composé de 1625 à i635,
contient un exercice journalier, dans lequel on reporte continuel-
lement vers le Sacré-Cœur le regard du religieux. En voici quel-
ques exemples (2) :
P O U R L'EXAMEN DE — ... Après l'examen, il faut offrir au
CONSCIENCE
Père Eternel les douleurs et amertumes du Cœur de son Fils pour
suppléer au défaut des nôtres. Et celles que nous concevons doivent
être puisées à cette fontaine d'amour. Pour la sainte messe.... Après
l'Élévation, on s'exercera sur les plaies de Notre-Seigneur comme il
suit : aux plaies des pieds... ; des mains... ; à la plaie du côté, nous
estimant indignes d'entrer dans ce sanctuaire à cause des souillures
de notre cœur... Il se faut tenir dans ce sacré côté, jusqu'à la fin de
la messe, y faisant son exercice, y nichant comme la colombe au
trou de la masure.

(1) E l l e récitait la Couronne des Cinq Plaies, c o m p o s é e de cinq Pater


et Ave ; et, d a n s l a p l a i e d e l a m a i n droite, elle t r o u v a i t l a s o u r c e d e s
saintes pensées, et, d a n s les a u t r e s , les s a i n t e s componctions (main gauchej,
affections ( p i e d d r o i t ) , langueurs ( p i e d g a u c h e ) , transformations (cœur).
L a p l a i e d u C œ u r , on le voit, était, p o u r elle, l a f o u r n a i s e o ù elle se
t r a n s f o r m a i t en D i e u . — E l l e m é d i t a i t de l a m ê m e m a n i è r e les cinq d o u l e u r s
d e M a r i e : l a p a r o l e de S i m é o n , l a p e r t e a u T e m p l e , l'enlèvement a u j a r d i n
d e s O l i v i e r s , le crucifiement, le c o u p de l a n c e . P a r cette voie encore, s a
piété t r o u v a i t son a b o u t i s s e m e n t et son r e p o s d a n s le C œ u r d e J é s u s p e r c é
de la lance.
(2) P. H . DE G R È Z E S , loc. cit., p . 2o3 et s u i v .
L E S PRATIQUES DE DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR l6?

Tous les autres exercices se font de la même manière, en


union avec le Sacré-Cœur. C'est, du reste, ce que nous avons vu
faire aux Calvairiennes pour leur retraite annuelle des dix j o u r s .
L a Conduite intérieure des Clarisses, éditée en 1659 par le Père
Adrien de Maringues, récollet, n'est qu'une réédition, en meilleur
ordre, des anciennes prières en usage p a r m i ces religieuses, ainsi
que le déclare l'auteur.
Ce manuel, écrit le P . Henri de Grèzes, est tout plein du
Cœur de J é s u s . Ce divin Cœur y est continuellement présenté
comme « la fournaise d'amour, la source des grâces, l'abîme de la
miséricorde, le sanctuaire où se consomme l'union de l'âme reli-
gieuse avec Notre-Seigneur Jésus-Christ » .
Il établit que la perfection consiste dans l'union de l'âme reli-
gieuse avec J é s u s . Mais il ajoute aussitôt que le lieu de cette
union, c'est le Cœur de J é s u s .

Considérez, dit-il, que cette union se doit pratiquer principalement


dans le Cœur de Jésus, où nous sommes tous, puisqu'il nous aime tous,
l'amour ayant cette propriété de loger toujours avec soi, dans le cœur
de la personne aimante, comme dans son propre domicile, les per-
sonnes aimées... Demeurons donc, dans ce Sacré-Cœur de Jésus, tout
ardent de l'amour qu'il nous porte et faisons-y toutes nos œuvres et
toutes fonctions de la vie purgative, illuminative et unitive.

E t l'auteur enseigne ensuite l a manière de vivre ces trois


vies, en union avec le Cœur de J é s u s .
Qu'on veuille bien remarquer encore ici la nature de cette dévo-
tion franciscaine a u Sacré-Cœur. Elle adore le Cœur de J é s u s qui a
tant aimé les hommes, mais elle ne s'arrête pas là. Cette adora-
tion du Cœur de J é s u s n'est que la porte qui fait entrer dans le
sanctuaire de la vraie dévotion à ce divin Cœur. Cette dévotion
dans sa forme parfaite, c'est la communion à son amour ; c'est,
comme dit la Conduite intérieure des Clarisses, l'exercice des
fonctions de la vie purgative, illuminative et unitive, en union
avec le Cœur de J é s u s .
(68 LA DÉVOTION AU S A C R É - C Œ U R

G r a v u r e e x t r a i t e d e l ' o u v r a g e Les Martyrs de VOrdre de Saint François,


1684, B . N. E s t R d 53. E l l e m o n t r e l'origine et le p r o g r è s d e l a dévotion a u S . - C .

L a dévotion a u Sacré-Cœur, d a n s la famille'franciscaine, découle :

i ° D u d r a m e d e s s t i g m a t e s , p a r l ' i n t e r m é d i a i r e d e l a dévotion a u x C i n q P l a i e s ,
ex ipsis et per ipsos ;
0
2 D e l a d é v o t i o n a u N o m d e J é s u s , I H S , a s s o c i é e à l'idée de l a P a s s i o n
signifiée p a r les trois c l o u s q u i a c c o m p a g n e n t le M o n o g r a m m e .
e
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V I I SIECLE

III. — L'iconographie du Sacré-Cœur


e e
à la fin du XVI et au commencement du XVII siècle

L e mouvement de la Réforme protestante fut une révolte non


seulement contre la doctrine et la discipline de la vieille Église,
mais contre les diverses formes de son culte et surtout contre les
saintes images. L e s chefs-d'œuvre mutilés de nos cathédrales sont
la preuve toujours parlante de cette fureur iconoclaste ( i ) .

L e Sacré Cœur
et les 3 clous.
i ° A gauche, a r m o i r i e s
de J e a n d e N e w l a n d ,
e
a u x v siècle. Cf. Mu-
sical, Times, 1 9 0 7 ^ . 1 0 6 .
2 ° A droite, g r a v u r e s u r
bois du Paradisus
e
animœ, a u x v i s i è c l e .
Cf. L'Eucharistie, 1912,
p . 163.

Avec la paix, l a piété chrétienne reprit sa liberté. Elle revint


d'abord à ses anciennes images. Elle les vénéra, avec une nou-
velle ferveur. Telles ces madones qu'on retrouve enfouies dans le
sillon p a r les générations passées et auxquelles on dresse un
temple nouveau.
L e s Franciscains furent les plus ardents à travailler à cette
restauration du culte des anciennes images Pour s'en convaincre,
il suffit d'ouvrir leurs livres imprimés, depuis i585 jusque vers
i63o.
Ils rénovèrent d'abord le monogramme qui avait été un des
points de départ de l'iconographie du Sacré-Cœur. C'est dans un
( 1 ) L a R é f o r m e n'avait p a s s e u l e m e n t p r o s c r i t les i m a g e s , m a i s l a dévo-
tion e l l e - m ê m e a u Sacré-Coeur. E t cette s u s p i c i o n a v a i t p é n é t r e j u s q u e d a n s
l'Eglise. C'est ce q u i e x p l i q u e l a r é s e r v e d u P . J o s e p h , q u a n d il défend a u x
C a l v a i r i e n n e s de r é p a n d r e i n d i s c r è t e m e n t a u d e h o r s s e s e n s e i g n e m e n t s à ce
s u j e t . N o u s v e r r o n s s a i n t F r a n ç o i s d e S a l e s et d ' a u t r e s a d o p t e r l a m ê m e
r é s e r v e . L e g r a n d p u b l i e n e p o u v a i t encore p o r t e r cette doctrine, non
potestis portare modo*
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

ouvrage daté de 158^, le De origine seraphicœ religionis de


Gonzaga, que Ton trouve cette superbe contemplation extatique
du monogramme que nous avons reproduite plus haut. Ici l'ima-
gerie religieuse a fait un progrès remarquable, elle a su unir l'art
à la piété.
A peu près en même temps, les artistes chrétiens reproduisent
le divin Cœur avec les instruments de la Passion et avec le
monogramme. Ils le font avec une certaine réserve, mais avec
plus d'art. 11 semble qu'on veuille échapper aux anciennes cri-

Le monogramme Le monogramme
au Sacré-Cœur de i585. au Sacré-Cœur d'Henri III.

tiques des humanistes aux aguets. On dispose les trois clous


artistement, en faisceau, sous le saint Nom. Puis sous les
pointes des clous, le cœur lui-même,
Le livre le plus ancien où nous ayons vu, de nos propres
yeux, cette nouvelle forme du monogramme au Sacré-Cœur est
de i585, le De contemnendis mundi deliciis du P. Didace Stella,
frère mineur de la Régulière Observance d'Espagne (i). Nous
en donnons ici la reproduction avec un autre de même date, le
monogramme d'Henri III.
( i ) Ce livre, t r a d u i t de l'italien en l a t i n p a r le P è r e P i e r r e B o u r g u i g n o n ,
j é s u i t e , fut é d i t é p a r B i r k i n a n , a u x frais d'Arnold M y l i u s à Cologne.
e
L'iCONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V I I SIECLE 171

Mais ce livre ne fut p a s le premier à revêtir cette nouvelle


forme du monogramme. Nous croyons qu'en Italie il devait être
en usage et assez répandu, a u moins depuis quelque temps. L a
raison principale de notre conjecture, c'est que la même année
ce monogramme au Sacré-Cœur fait son entrée, presque offlcielle,
dans la Compagnie de J é s u s ; et depuis ce jour il fut employé
concurremment avec le monogramme simple, comme blason dans
les pièces intimes et publiques appartenant à la Société. L e s
Litterœ annaœ, en effet, envoyées de Rome, en i885, au nom
des supérieurs généraux, à toutes les maisons de l'Ordre, portent
le monogramme a u Sacré-Cœur. E t ce monogramme continuera
de figurer sur ces feuilles officielles durant six autres années
et décorera beaucoup de frontispices d'ouvrages publiés p a r les
Révérends Pères.
Quelle fut la première origine de ce m o n o g r a m m e ? L'idée
d'associer le monogramme avec le Sacré-Cœur et les trois clous
et d'autres instruments de la Passion est très ancienne, nous
l'avons constaté. Mais qui est-ce qui lui donna cette sobriété de
bon goût que nous remarquons ici ? Nous l'ignorons. L e fait qu'il
fut adopté dès i585 par les Litterœ annaœ, publiées à Rome, et
p a r les éditeurs du livre De contemnendis, traduit de l'édition
italienne, nous invite à chercher du côté de l'Italie ( 1 ) .
Notre induction se trouve quelque peu confirmée p a r le fait
que deux ouvrages ayant appartenu à Henri III (I574-I5QO),

l'un édité en 1578 et l'autre en i585, portent, sur la reliure, ce


monogramme avec le crucifix, surmontant le Cœur percé de trois
clous et entouré d'une couronne d'épines ( 2 ) .

( 1 ) L e m o n o g r a m m e a u S a c r é - C œ u r s e t r o u v e s u r l e s Litterœ éditées p a r
l e P . Nie. O r l a n d i n i d e F l o r e n c e , en i585 ( p o u r i5S3), en i5S6 ( p o u r i584).
e n i588 ( p o u r i586J ; et s u r les lettres, éditées p a r le P . F r a n ç o i s B e n c i ,
en 1589 ( p o u r 1 5 8 6 - 8 7 ) , en 1590-91 ( p o u r 1588-89), E N
1^94 ( p o u r 1 5 9 0 - 9 1 ) . L e s
a u t r e s Litterœ annuœ n e p o r t e n t p a s le m o n o g r a m m e a u S a c r e - C œ u r .
L e P . L e t i e r c e fait e r r e u r d a n s s e s Etudes sur le Sacré-Cœur, en p l a ç a n t à
T a n n é e i584 l ' a p p a r i t i o n d e c e m o n o g r a m m e s u r les Litterœ.
(2) L a d a t e d e l'édition n e d o n n e p a s celle d e l a r e l i u r e . Celle-ci fut anté-
r i e u r e à 1090, p u i s q u ' e l l e p o r t e les a r m e s d'Henri III.
N o u s e m p r u n t o n s l a g r a v u r e r e p r é s e n t a n t le m o n o g r a m m e en q u e s t i o n ,
à l a Revue de l'Art chrétien ( 1 8 7 9 , t. I I , p . i43). Les images du Sacré-Cœur,
p a r G r i m o u a r d d e S a i n t - L a u r e n t . L'I et 1 H s o n t f o r m é s p a r l e s p e r s o n n a g e s ,
l a V i e r g e , s a i u t J e a n a v e c u n l i v r e et M a r i e - M a d e l e i n e a v e c s o n v a s e à
LA DEVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Or ne peut-on pas supposer que cette idée du monogramme


fut apportée d'Italie et suggérée au roi par la reine Catherine de
Médicis. Cette pieuse reine, qui introduisit les Capucins en
France et fonda leur premier couvent de Saint-Honoré, était
toute dévouée à la famille franciscaine et dès lors à leurs tradi-
tions ( i ) . Comme, de fait, elle gouverna la maison de son fils et le
royaume, jusqu'à sa mort, en 1589, on peut croire qu'elle ait été

Le monogramme
du P. Philippe Boskhier, 1G06.

l'inspiratrice de ce monogramme et qu'elle en ait emprunté


l'idée aux Capucins d'Italie et de France (2).
Pendant de longues années, les Franciscains des diverses obé-
diences, capucins, récollets, observants, les Jésuites, puis les

p a r f u m s ; l a b a r r e de l i t p a r le s é r a p h i n de la c o n t e m p l a t i o n . L e s o u v r a g e s ,
où ce m o n o g r a m m e a été t r o u v é , sont l'Histoire de Barlaam et de Josaphat
p a r saint J e a n D a m a s c è n e et Recueil de la vie de la Vierge Marie p a r J e a n
d e L a v a r d i n . Ces o u v r a g e s se t r o u v a i e n t , en I8JO, chez M o r g a n d et F a t o u t ,
l i b r a i r e s à P a r i s . A la lî. N.. s e t r o u v e u n e x e m p l a i r e de ïHistoire de
Barlaam relié a u x a r m e s d'Henri III, s a n s le m o n o g r a m m e . Peut-être
l ' e x e m p l a i r e a u m o n o g r a m m e était-il celui de la r e i n e .
(1) L e s C a p u c i n s s'établirent à S a i n t - H o n o r é , d i s e n t les A n n u l e s d u cou-
vent, a v e c toute la j o i e p o s s i b l e de la p i e u s e reine et de toute s a cour, qui
y faisait s o u v e n t ses p r i è r e s et y entendait la m e s s e très f r é q u e m m e n t , ainsi
q u e le roi Henri III, Henri IV, L o u i s X I I I , L o u i s X I V .
(2) Cette p e n s é e de j o i n d r e a u x a r m e s r o y a l e s le m o n o g r a m m e a u S a c r é -
C œ u r n'est-elle p a s u n e r é p o n s e faite d'avance à la d e m a n d e d u S a c r é - C œ u r
à la b i e n h e u r e u s e M a r g u e r i t e - M a r i e , concernant tes a r m e s d u roi L o u i s X I V ,
où il v o u l a i t voir g r a v e r son divin C œ u r ? Cette p r e m i è r e consécration d u e à
l a p i e u s e reine, fut s u i v i e de la p a i x religieuse, p a r l a conversion d'Henri IV,
et d'un siècle de g r a n d e p r o s p é r i t é .
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU XVll" SIECLE

autres ordres religieux, des séculiers même, rivalisèrent d'ardeur


à placer leurs ouvrages sous la protection du nouveau mono-
gramme. Les artistes s'ingénièrent à trouver des combinaisons
plus belles et plus pieuses et Ton vit se créer de véritables
petits chefs-d'œuvre d'iconographie. Le frontispice du livre
L'Amour de Jésus, du P. Barthélémy Solutive, que nous avons
reproduit plus haut, en est un beau spécimen. Il y en aurait bien
d'autres à citer et à faire connaître.
Celui que nous reproduisons ici ne manque pas d'une certaine
noblesse d'expression. Il est emprunté au livre du P. Philippe;
Boskhier. franciscain ; Orator Terrœ Sanctœ et Hungariœ, publié
à Douai, sub signo apostolorum Pétri et Pauli, en 1 6 0 G .
Le P. Letierce, dans son grand ouvrage, Etudes sur le Sacré-
Cœur ( 1 ) , donne un chiffre considérable d'ouvrages composés par
des Pères de la Compagnie et ornés du monogramme au Sacré-
Cœur. Il cite en premier lieu, comme nous l'avons fait, les Litterœ
annuœ de 1585. La même année, une édition du Manuale catho-
licum du bienheureux Ganisius aurait porté le même mono-
gramme.
Voici maintenant sa statistique, qui va jusqu'en 1G89 :
De i 5 8 4 à 1 G 0 0 , 3 i ouvrages : de 1 6 0 0 à i G 4 3 , 1 2 0 ouvrages ; de
i(>43 à 1G70, 5'2 ouvrages ; de 1 6 7 0 à i G 8 j ) , 14 ouvrages.

Pendant que les Pères de la Compagnie s'immobilisaient


quelque peu dans le monogramme, les Franciscains des diverses
branches, et surtout les Capucins s'ingénièrent à trouver des
formes d'images de plus en plus parfaites et variées, pour expri-
mer et susciter la dévotion au divin Cœur.
Dans une vie illustrée de saint François conservée aux
Estampes (12) à Paris et gravée par Langlois et Messager, datant
par conséquent des environs de i(V3o, on trouve une belle compo-
sition représentant l'extase de saint François ou d'un de ses
enfants devant le Sacré-Cœur. Nous l'avons reproduite au
commencement de cet article consacré aux Capucins.

(1) T. II, p . r>ol>-5o;. — (3) R d :o.


174 L A DÉVOTION AU SACHE-CŒUR

Mais, au-dessus de toutes les autres productions, il faut placer


les deux belles gravures qui illustrent le grand ouvrage du
P. Laurent de P a r i s , capucin : Le Palais de Vamour divin entre
Jésus et Vâme chrétienne.
Cet ouvrage eut deux éditions : l a première de 1604-1606, la
seconde de dix ans postérieure environ. Mais les gravures de la
première édition datent au plus tard de Tan iôgo,, car l'approba-
tion de l'ouvrage, qui est de cette année, dut viser l'illustration
elle-même, que le texte s'arrête longuement à commenter.
L e P . L a u r e n t de Paris est le premier, croyons-nous, qui ait
eu l'idée de représenter Notre-Seigneur debout, montrant son
cœur dans s a poitrine entr'ouverte, avec ce geste d'amour qui
crie à l'âme : « Voilà le Cœur qui a tant aimé les hommes » . Il a
le mérite d'avoir créé l'attitude définitive à donner aux images
du Sacré-Cœur. L e s inventions subséquentes, dignes d'attention,
n'ont été que des répliques de la sienne. L a bienheureuse Mar-
guerite-Marie elle-même, dans l'imagerie dont elie se fit l'inspi-
ratrice, n'a p a s eu l'idée de ce geste. S e s visions ne Font pas
«

élevée au-dessus des représentations du divin Cœur que nous


e
avons vues dans les vieilles gravures du x v siècle. De sorte que
l'iconographie moderne du Sacré-Cœur doit reconnaître comme
créateur un enfant de saint François, un fils de notre pieuse
France et de notre bonne ville de Paris (1).
Voici le commentaire que donne l'auteur lui-même a u geste
et à l'attitude de son Sacré-Cœur (2) :

( 1 ) D a n s l'image d u P . L a u r e n t , n o u s n e l o u o n s q u e le g e s t e g é n é r a l d e
l ' i m a g e . A u j o u r d ' h u i o n a t t é n u e r a i t le r é a l i s m e d e l'exécution.
L e P. Letierce, d a n s s o n l i v r e Etudes sur le S.-C* (t. I I , p . 5 o j ) , écrit :
« E n i5g3, le P . J é r ô m e N a t a l p u b l i a i t à A n v e r s l a p r e m i è r e édition d e s e s
Adnotatlones in Eoangelia. N o t r e - S e i g n e u r y e s t r e p r é s e n t é . . . s u r s a poitrine
rayonne son divin Cœur. Le dessin estdeDevos, doyendel'académie d'Anvers.»
— D é s i r e u x d e r e p r o d u i r e cette g r a v u r e à titre d e d o c u m e n t , n o u s a v o n s
d e m a n d é cet o u v r a g e à l a B . N. L ' i m a g e d u S a c r é - C œ u r a n n o n c é e n e s'y
t r o u v e p a s ; le d e s s i n d e D e v o s est b i e n à l a p l a c e i n d i q u é e et r e p r é s e n t e
N o t r e - S e i g n e u r . M a i s , s u r s a poitrine, il n'y a p a s d e c œ u r ; il n y a q u e
l'agrafe d e s o n m a n t e a u . S e r a i t - c e cette a g r a f e q u e l e R é v é r e n d P è r e a u r a i t ,
p a r distraction, prise pour u n cœur ?
( a ) N o u s a v o n s g a r d é s c r u p u l e u s e m e n t l a p e n s é e et le t e x t e d e l'auteur,
t o u t en c o r r i g e a n t s o n s t y l e t r o p a r c h a ï q u e . Cette e x p l i c a t i o n r e m p l i t les
p a g e s 397-^99 d e l a s e c o n d e é d i t i o n .
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V I I e
SIECLE i 5
7

QVID I N V E N I S T I IN M E I H I Q V L T A T I S , V E E Q V I D Y E C 1 TIBZ,VT B E C E D E B E S A
?
ME. QBSTVFE5Cf T E C Œ L I SVPER HOQ E T D E S O L A M E V I VEHEMENTER

Z/zwz aqua,vnxi t£ oleo, ornauite auro et artjento,veftita csb^jjo et


Polymito, etmultis coloribus etyfortùcata es a me? vœ.vœ tibi-
quis audiuk -vnquam taiia hon~ibiha? Ez^chiel i<r. J; § ?^ cld
c
LA. DÉVOTION AU SACRÉ-COEUR

Ce tableau vous représente la misère et le malheur où se plonge


une âme péchant mortellement, spécialement après avoir reçu la grâce
de la justification, par le baptême ou par le sacrement de pénitence.
Le côté ouvert du Sauveur, avec son Cœur percé d'un poignard à
cinq pointes, enseigne que l'âme pécheresse, par chaque péché mortel
(qu'Ubertin de Casale compare à une fourche à cinq doigts) fait
d'un seul coup, cinq plaies mortelles au Cœur de Jésus. Ces plaies sont
cinq douleurs spirituelles, qu'il a ressenties dans sa Passion..., qu'il a
signifiées par les cinq plaies cruelles, dont il voulut que sa chair fût
transpercée, et qu'il a voulu garder en son corps après sa résurrection,
pour vous rappeler que vous ne devez plus pécher et pour vous faire
souvenir de son amour.
En montrant son cœur, il fait entendre (à l'âme pécheresse) les
paroles suivantes :
Tu m'as fait et renouvelé toutes les plaies de mon corps et les dou-
leurs de mon âme et cependant j'ai dissimulé, je me suis tu, j'ai eu
patience, je n'ai dit mot, t'attendant toujours à pénitence, je t'ai
supportée longuement.
Par ces mots, il lui découvre l'amour secret qu'il a eu pour elle,
alors qu'elle était son ennemie par le péché.
Il montre en même temps ses mains et ses pieds cloués, sa tête
couronnée et couverte d'épines, en lui adressant les dix reproches
suivants :
(De sa main droite). J'ai été blessé pour toi et cependant tu as
commis des crimes inexplicables ! Tu as eu le cœur de faire cela ? Ne
sais-tu pas que celui qui pèche, après avoir reçu ma grâce, me crucifie
de nouveau et se moque de moi.
(En haut du tableau). Qu'as-tu trouvé en moi de mauvais ou
d'inique ? Quel tort t'ai-je fait ? Quel mécontentement as-tu reçu de
moi? Et cependant tu m'as quitté, tu t'es retirée de moi, pour en aimer
un autre plus que moi ! Etonnez-vous de ceci, ô cieux, et soyez désolé
d'une grande douleur.
(Sur Ventablement de la salle). Pour quelle raison, ma bien-aimée,
en ma maison, en mon Eglise, as-tu commis tant de forfaits ? Si le
turc, le payen, l'infidèle et l'hérétique, qui sont pour moi des étrangers
hors de ma maison, commettent des péchés, il ne faut pas s'en étonner.
Mais toi, qui est de ma maison, ma fille, mon épouse, à qui j'ai fait
tant d'honneur et tant de bien, toi qui as tant de moyens de bien faire et
de facilités pour fuir le mal, que tu m'offenses ainsi ! d'où cela peut-il
bien venir ?
(A la corniche de Ventablement). Pour tes péchés, j'ai dû me faire
comme un esclave et me laisser traiter comme un fainéant ! Pour tes
iniquités, j'ai supporté peines et travaux ! J'ai été si mal traité que
je suis devenu défiguré comme un lépreux. Et c'est toi qui as renou-
velé tous ces tourments et toutes ces hontes.
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU XVII° SIECLE TjJ

(Au pilier, à droite du Seigneur). Pour quelle cause, â m e impie,


a s - t u irrité le S e i g n e u r c o n t r e toi et c o n t r e m o i ? Q u e l e s t le s u j e t d e
s a colère ? U n f a u x honneur ? u n lucre i n f â m e ? une vile volupté ?
N'est-ce p a s l à l'occasion ? M i s é r a b l e ï
(Aux autres colonnes). Tu as mis une tache à ta gloire ; tu a s
rendu abominable ta beauté ! Oh ! que tu es devenue laide, vile,
méprisable p a r toute ta conduite !
(Autour de la bague). T u a s v i o l é t a p r e m i è r e p r o m e s s e ! E s t - c e
u n e petite f a u t e d e violer l a foi q u e t u a s j u r é e à D i e u ? Q u e l l e p e i n e
mérite un tel forfait ?
(A la couronne royale renversée). lia couronne de la bonne volonté
est t o m b é e d e t o n f r o n t . M a l h e u r à toi, p a r c e q u e t u a s p é c h é ! Etait-ce
u n e r a i s o n , p o u r toi, d'être m é c h a n t e , p a r c e q u e j e suis bon ? Fallait-il
é c a r t e r le s a i n t d é s i r d e m ' a i m e r , p o u r p o u r s u i v r e un rien et t'attacher
à une vile c r é a t u r e ?
(Sur les vêtements royaux jetés à terre). Ton vêtement était cou-
vert de p i e r r e r i e s . P o u r q u o i l'as-tu souillé, ce s i g n e de ta sanctification?
A c e l a c o m m e à t o u t l e r e s t e d e t a c o n d u i t e , il n'y a point d'excuse.
(Tout au bas du tableau). Je t'ai l a v é e d a n s l'eau, j e t'ai sanctifiée
d a n s m o n s a n g , a u B a p t ê m e et à l a Pénitence, j e t'ai ointe d e l'huile
d e m a g r â c e et d e s s e p t d o n s d u S a i n t - E s p r i t ; j e t'ai o r n é e d ' o r et
d ' a r g e n t , c ' e s t - à - d i r e de f o i , d ' e s p é r a n c e et d e c h a r i t é ; j e t ' a i v ê t u e d e
lin et d e b r o d e r i e s , teintes d e d i v e r s e s c o u l e u r s , q u i sont l a sainteté, la
p u r e t é e t l a j u s t i c e ; j ' a i m i s u n e c o u r o n n e d e b e a u t é s u r t o n f r o n t , et
j e t'ai p r o m i s fidélité ; tu d e v i n s m o n é p o u s e e n m e d o n n a n t ton c œ u r ,
tu m a n g e a s le f r o m e n t d e s élus, m o n corps s a c r é , j e t'avais faite belle,
o r n é e d e t o u t e s les g r â c e s . E t c e p e n d a n t t u m ' a s q u i t t é , tu t'es a d o n n é e
a u p é c h é , p r o s t i t u é e a u d é m o n ! M a l h e u r à toi q u i a s fait d e s c h o s e s si
horribles.

L'un des anges la prenant par le bras, lui dit : S o u v i e n s - t o i d ' o ù t u


es t o m b é e et r e v i e n s à tes p r e m i è r e s œ u v r e s q u e tu faisais a v a n t ta
chute. Ton péché est cause de ta misère.
L'autre ange lui montre le Sauveur et lui dit :
A m e p é c h e r e s s e , l a m i s é r i c o r d e d e D i e u t ' a p p e l l e à l a p é n i t e n c e , ne
méprise p a s les richesses de s a bonté, de s a patience, de s a longa-
nimité.
Alors l'âme é c l a i r é e p a r t o u t e s ces p a r o l e s , p é n é t r é e d e d o u l e u r et
tout en l a r m e s , s'écrie a v e c r e p e n t i r , en r e d i s a n t les p a r o l e s écrites
s u r l e s flambeaux : O u i , j e v o i s m a i n t e n a n t e t j e c o m p r e n d s q u e c'est
u n g r a n d m a l et u n e c h o s e b i e n a m è r e d'avoir a b a n d o n n é mon D i e u !
P o u r q u o i ai-je p é c h é ? S e i g n e u r , dites-moi u n e parole de p a r d o n !
d i t e s - m o i : Je s u i s t o n s a l u t !
L e s c h a î n e s d u p é c h é et d u d é m o n m'ont e n l a c é e d e toutes parts.
R o m p e z ces liens. S e i g n e u r !
ia
178 LA DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

Au Heu des brillants ornements d'autrefois, je n'ai plus que cette


bure déchirée. Me voici toute nue, chargée de confusion. Toute la
beauté de la fille de Sion s'en est allée de moi !
Venez, Seigneur, et considérez combien je suis devenue misérable,
vile et méprisable. Ayez pitié de moi, selon votre grande miséricorde.
Ces considérations sur les douleurs et les cinq plaies causées
au Cœur de Jésus par le péché, et longuement développées, sont
proposées dans le livre du P. Laurent de Paris comme sujet pra-
tique de méditation pour le vendredi (1).
L'ouvrage du P . Laurent (2) ne p a s s a p a s inaperçu. Saint F r a n -
çois de Sales le cite avec éloge dans la préface de son Traité de
Vamour de Dieu « Nous voyons de plus, écrit-il, un grand et
magnifique Palais que le révérend P . Laurent de Paris, prédi-
cateur de l'Ordre des Capucins, bâtit à l'honneur de l'amour divin,
lequel étant achevé sera un cours accompli de la science de bien
aimer. »
Nous allons p a s s e r rapidement en revue les autres gravures du
Sacré Cœur, les plus répandues à cette époque.

i ° L e c œ u r p e r c é d'une flèche — ou d e d e u x f l è c h e s .

Les deux symboles se voient au frontispice du livre si curieux


Emblèmes d'amour divin et humain ensemble ( I 6 3 I ) , dont nous
avons déjà parlé. L e s diverses gravures du livre et leurs légendes
montrent que le cœur percé d'une flèche est tantôt le cœur de
J é s u s , tantôt le cœur de l a créature.
Dans la gravure 4i» reproduite plus haut, c'est la créature qui
tient l'arc et c'est le cœur de J é s u s qui est blessé. Vulnerasti cor
meam, soror mea, sponsa, '< Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon
épouse, » lui dit J é s u s en lui montrant son cœur dans s a poitrine
entr'ouverte.

Dans la gravure 48, au contraire, c'est J é s u s qui est l'archer

(1) Le Palais de Vamour divin, p. 3o8 et suiv.


(a) L ' o u v r a g e d u P. L a u r e n t d e v a i t contenir c i n q v o l u m e s : Le Palais de
V amour divin, q u i s e u l a p a r u et c o m p r e n d laJO p a g e s ; Dioini amoris caméra
ihesauri; Aula; Stromata; Calamwt.
e
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V I I SIECLE IJû

divin et la créature, frappée a u cœur, de lui dire, en commentant


Isaïe :
Tctendit arcum suum et posuit me quasi signum ad sagittam.
Ta croix et ton trait, mon époux,
Frappant mon cœur, me semblent doux.

Les gravures 28 et 31 montrent enfin J é s u s et la créature se


lançant réciproquement leur flèche. E t la légende explique en
disant : Sit in arnore reciprocatio.
Le saint amour veut qu'on lui rende
La réciproque qu'il demande.

2° L a c r é a t u r e d o n n a n t son c œ u r à Dieu.
Nous venons de voir comment l'imagerie franciscaine exprima
Tidée mystique de l'amour de J é s u s nous donnant son cœur,
Elle ne rendit p a s avec moins de bonheur la seconde partie de
cette doctrine, qui veut que la créature, p a r réciprocité, donne
son cœur à Dieu,
Le P . L a u r e n t de Paris, dans son livre Le Palais de l'amour
divin ( 1 ) , l'a interprétée avec cette maîtrise que nous avons
admirée dans son image du Sacré-Cœur.
Nous donnons ci-contre le dessin qu'il fit exécuter et graver.
Nous résumons l'interprétation qu'il en donne.
Ce tableau représente les noces mystiques ou l'union de l'âme avec
Jésus-Christ par la grâce et la charité.
Ces noces se célèbrent sous le porche d'une église qui est l'Église
catholique romaine, en dehors de laquelle le Christ n'accepte point de
s'unir aux âmes.
L'époux est Jésus-Christ, le Verbe de Dieu : Sponsns Verbam Dei.
Il porte la triple couronne, parce qu'il est le Roi des rois et le Seigneur
des seigneurs, Ilex regam et Dominas dominantium.
Il porte une ceinture de justice et de sainteté, Sanctus sanctorum.
L'épouse est Pâme appelée à la vie chrétienne, dans la maison du
Christ qui veut devenir son époux. Qu'elle se rende digne de son
choix, car ce serait folie de refuser.
Le Roi-Époux lui présente une bague d'or où est écrit Fidelitas. La
fidélité mutuelle des époux. — Le Christ sera fidèle, car il tient ses
promesses. Mais, afin que l'âme puisse lui garder sa foi, il lui assure
sa grâce, le secours de sa main, gratta Dei, représentée par le rubis

(1) Page a63.


i8o LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Quudens^jaudebo in Dno et exultabit anima mea m Deo meo, quia induit me vesi'ime
tis, et Indumento Iuétitiœ circundedit me quasiJvonsum decoratum
7

corona, et auasijponsam oniatam mcniiibusJiiis.jf^ ^_


P
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU XVII SIECLE l8l

qui orne la bague. De l'autre main, il indique la colombe, les sept dons
du Saint-Esprit qui est amour, qui l'inclinera doucement vers tous ses
désirs et toutes ses volontés, car cet Esprit est plus doux que le miel,
super met dulcis !
Sur la tête de son épouse, le Christ met une couronne, bona
voluntas, la couronne de la bonne volonté ou des bons et ardents
désirs de l'aimer et de n'aimer que lui en tout et partout. Ses cheveux
qui voltigent, intentio purus amor, signifient qu'elle ne se proposera
jamais d'autres intentions que de lui plaire.
Le collier de perles, dont il a orné son cou, représente toutes les
vertus. A ce collier est suspendue une croix, fides, qui signifie la foi
en la parole de l'époux sans laquelle on ne peut lui être agréable.
A son poignet droit, un bracelet d'or, spes, l'espérance ; au poignet
gauche, un autre bracelet d'or et d'opales, opéra bona, les bonnes
œuvres, parce que l'époux promet son Ciel à l'épouse, comme récom-
pense de ses bonnes œuvres.
L'épouse présente son cœur, charitas, à Jésus. Elle lui donne son
cœur, son amour, parce que Jésus, le premier, lui a donné le sien.
De ce cœur s'élancent des flammes desideria, qui sont les désirs de
son amour et l'union de son esprit, de sa volonté avec la volonté de
son Jésus.
Sa ceinture est d'or comme celle de Jésus. Elle signifie la pureté,
puritas, du corps, du cœur et de l'esprit, la pureté des actions, des
paroles, des désirs et des pensées.
Elle est vêtue de deux robes de fin lin, les vêtements du salut,
vestimenta salutis. La plus courte signifie la sainteté de la vie, la
plus longue, la persévérance ; elle est le dernier vêtement dont on
ne peut se laisser dépouiller sans perdre tous les autres.
Le manteau royal qui recouvre ses épaules, indumentum justitiœ,
signifie l'accroissement des vertus.
Sur ses chaussures est écrit eognitio, dilectio, connaissance et
amour, parce que tous ses pas doivent être dirigés dans le but de
mieux connaître et de mieux aimer son époux.
Deux anges entourent l'épouse ; ils s'en vont vers le Christ, lui
exposer les désirs de sa fiancée et ils reviennent vers l'âme chrétienne
lui rapporter les dons de l'époux, de nouvelles parures, fortitudo et
décor indumentum ejus, la force et la grâce qui doivent la couvrir
comme d'un vêtement.
Protégée par cette parure, elle triomphe de ses ennemis qui sont
représentés enchaînés aux deux colonnes, Per hoc vicisti, o sponsa,
malignum.
Pour contempler ce mariage et le sanctionner apparaît le Père
Éternel, sponsor, entouré des anges, qui chantent, sur leurs intruments
les joies de ce mystère, gaudium est coram angelis sanctis in cœlo
super hœc*
LA DEVOTION AU SACRE-CŒUR

L'allégresse de toute cette fête est exprimée sur l'arcade supérieure


et sur le parvis : « L'époux se réjouira dans son épouse et Dieu se
réjouira en toi, âme iidèle. Mon Bien-Aimé est à moi et je suis à lui,
répond l'épouse, il paît ses brebis au milieu des lis, c'est-à-dire parmi
les fleurs de toutes les vertus, la chasteté, la pureté, la sainteté.

Le livre des Emblèmes de ïarnour divin et humain ensemble


a traité, lui aussi, cette idée de la créature donnant son cœur à
Dieu; et, selon son habitude, il l'a fait sous une forme très
parlante. Qu'on jette les yeux sur la gravure ci-jointe. Une
jeune fille, représentant l'âme humaine, se tient à genoux devant
le trône du Christ. Elle est présentée par deux anges, armés
de l'arc et d'une flèche. Ils exposent quils l'ont frappée au cœur
de la flèche de l'amour divin. La jeune fille olfre sur un
plateau son cœur dans lequel une flèche se trouve plantée.
L ICONOGRAPHIE, DU SACRtt-CCKUR AU XVIi" SIÈCLE

L'inscription qui interprète cette image porte le texte


Cor contritum et humiliatam Deus non despicies. « Seigneur,
vous ne mépriserez pas un cœur contrit et humilié. »
Deux vers achèvent l'interprétation :
L ' a m o u r e s t D i e u , et s o n o (Viande
N'est q u e l e c œ u r qu'il n o u s d e m a n d e .

3° L'union d e s d e u x c œ u r s .

Le dernier terme de la dévotion au Sacré-Cœur, avons-nous


dit, est la vie d'union dans l'amour de J é s u s , amour qui s'immole
pour son Père céleste et pour ses frères de l a terre.
L'imagerie franciscaine a encore inventé de touchants em-
blèmes, pour exprimer cette doctrine.
L e frontispice de l'ouvrage du Père Henri Jongben, frère
mineur de la province de Germanie, Naptiœ agni, édité à Anvers
en iG58, porte une gravure analogue à celle que nous venons de
décrire du Père Laurent de Paris.
Sous le regard du Père éternel, du Saint-Esprit et de la
Vierge Marie, J é s u s , l'agneau de Dieu, contracte son union nup-
tiale avec la Vierge chrétienne, qui se présente armée du crucifix.
L e trait d'union, le lien des époux est un cœur surmonté d'une
croix. Ce symbole signifie que le Christ et l'âme chrétieunc
s'unissent ensemble, en se donnant mutuellement leur cœur et cm
les unissant de telle sorte qu'ils n'en forment plus qu'un seul sur-
monté de la croix, c'est-à-dire un seul cœur identifié en celui de
Jésus ( i ) .
Le P. Jonglicn explique cette union du cœur de l'homme
e
avec le cœur de Dieu par ce trait du IV livre des Rois (2). Jéhu,
roi d'Israël, rencontre J o n a d a b , fils de llechab, et il lui dit
« Est-ce que ton cœur est droit (avec moi), comme mon cœur est

(1) Ce g e s t e d e s d e u x m a i n s t e n a n t u n c œ u r é t a i t d e v e n u é g a l e m e n t le
s y m b o l e d e l a concorde p r o f a n e , l e m o t concorde signifiant union d e s c œ u r s ,
(a) Nuptiœ agni, p . 300-591, ch. x , 10.
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

A N T V E R P L E , APUD PETRUM B E L L E R U M . M.DC.LVm.


CU-N TNUTLEIFTE CAJAREC. EÎ-REFIT J£IAPANTARUM .
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU XVII" SIECLE i85

droit avec toi ? Namquid est cor tautn rectum, si eut cor meum
cum corde tuo. — Oui, dit Jonadab. — S'il en est ainsi, donne-
moi la main, » répondit Jéhu. Et il le fit monter dans son char,
pour aller à Samarie combattre contre la maison de l'impie
Àchab. Jéhu est la figure de Jésus. Et ce char où il fait monter
celui dont le cœur est semblable au sien, c'est la croix où l'âme
aimante doit s'immoler avec lui, pour la gloire de Dieu son Père
et pour le salut du monde.
Pour exprimer la doctrine de l'union des cœurs dans l'amour,
le livre des Emblèmes de Vamour divin et humain ensemble nous
a déjà présenté son image, dont la signification n'est pas équi-
voque : le divin forgeron plongeant le cœur de la créature dans
la fournaise de la charité, et le soudant au sien, sur l'enclume du
sacrifice, de façon à n'en faire plus qu'un seul.
Ce feu, cet e n c l u m e , ce m a r t e a u ,
D e d e u x c œ u r s n'en feront q u ' u n b e a u .

De nombreuses gravures, les armes de la Visitation par exemple,


le frontispice du livre Emblèmes de Vamour divin et humain
ensemble, etc., présentent un seul cœur percé de deux flèches.
Nous croyons qu'il faut les interpréter, d'après cette doctrine de
l'union des cœurs. Jésus et la créature se sont lancé récipro-
quement leur flèche. Et ces flèches, en atteignant le but, de
deux cœurs n'en ont plus fait qu'un seul ; car le propre de
l'amour est d'unir les cœurs, comme disait, tout à l'heure, le
livre des Emblèmes.
Ici c'est le feu de l'amour qui unit ; dans les gravures du fron-
tispice ou de la Visitation, ce sont les flèches, lancées par les
deux amants, qui font le lien des cœurs ou mieux leur union en
un seul.
Quelquefois le mysticisme des gravures est plus complexe
encore. C'est ce qui a lieu notamment pour le blason de la
Visitation dont nous venons de parler.
Saint François, dans une lettre à sainte J . de Chantai, a exposé
lui-même comment il en conçut l'idée le 10 juin 1611 : « Dieu m'a
donne cette nuit, disait-il, la pensée que notre maison de la
i86 LA DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

Visitation est, par sa grâce, assez noble et assez consi-


dérable pour avoir ses a r m e s . J'ai donc pensé, ma chère
v

Mère, si vous en êtes d'accord, qu'il nous faut prendre pour


armes un unique cœur percé de deux ilèches enfermé dans une
couronne d'épines, ce pauvre cœur servant l'enclavure à une
croix qui le surmontera et sera grave des sacrés noms de Jésus
et de Marie... car vraiment notre petite congrégation est un
ouvrage du cœur de Jésus et Marie. Le Sauveur mourant nous a
enfantés par l'ouverture de son Sacré-Cœur, il est donc bien
juste que notre cœur demeure, par une soigneuse mortification,
toujours environné de la couronne d'épines, qui demeura sur
la tête de notre Chef, tandis que l'amour le tint attaché sur le
trône de ses mortelles douleurs. »
Ce texte prouverait, d'après le P. Bainvel, que ce cœur percé
de deux flèches est celui de la Visitandine et non celui de
Jésus (i). Il nous paraît qu'il est à la fois celui de Jésus, de
Marie et de la Visitandine, unis en un seul cœur. Cette union des
trois cœurs en un seul est chose courante, nous l'avons montré
plusieurs fois, dans la mystique franciscaine alors admise et
pratiquée universellement. Malheureusement les théologiens de
nos jours ont perdu le secret de cette mystique et dès lors ils n'en
comprennent plus les symboles.
Mais le texte de cette lettre de saint François de Sales n'a pas
de sens en dehors de cette interprétation. D'abord ce cœur est
bien celui de la Visitandine, comme l'indiquent les mots : « 11 est
donc bien juste que notre cœur demeure... toujours environné de
la couronne d'épines. » Mais il est aussi celui de Jésus, car la pré-
sence des deux flèches signifie, comme nous l'avons vu, la blessure
réciproque que se font deux cœurs aimants et ici le deuxième cœur
ne peut être que celui de Jésus, caractérisé du reste par la cou-
ronne d'épines et la croix (celui de la Visitandine étant caracté-
risé par la «soigneuse mortification y>). Enfin il faut y voir encore
le cœur de Marie qui ne fait qu'un avec celui de Jésus, d'après la
mystique reçue alors, et comme l'indique l'expression « ouvrage
( i ) La Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, p . 3'1'J.
l / l C O N O G K À P I U E DU SACRÉ-CŒUR AU XVII' SIECLE

du cœur (et non des cœurs) de Jésus et Marie » ( i ) . Nous


retrouverons l'expression de cette mystique plus affirmée encore
dans le chapitre suivant consacré au P. Eudes. Ce Cœur, emblème
de la Visitandine, signifiait donc que la Visitandine devait, comme
avait fait Marie elle-même, conformer tellement son cœur à
celui de Jésus que de son cœur et de celui de Jésus et Marie il
ne résultât qu'un seul cœur.

4° Compositions diverses.

Le cœur entr'ouvert, d'où sort Jésus, Sauveur du monde,


tenant d'une main le globe surmonté de la croix (s). Ce symbole
signifie que c'est l'amour de son cœur qui a porté Jésus à venir
sauver le monde.
2° Le cœur, demeure de Jésus, où il habite avec des instru-
ments de pénitence et d'où sort une lourde croix avec tous les
instruments de la Passion (3). C'est une belle illustration pour le
culte au Cœur de Jésus expiant pour nos péchés. Nous la donnons
ci-après.

( i ) R e m a r q u o n s encore q u e 1*'. C œ u r e m b l è m e d e la c o n g r é g a t i o n jiurle


les n o m s d e J é s u s et M a r i e , non p o u r q u e le c œ u r d e l a V i s i t a n d i n e se
r a p p e l l e t o u j o u r s les n o m s de J é s u s et M a r i e (Pone me ut signaculam super
cor tuum), m a i s p o u r q u e l a V i s i t a n d i n e se r a p p e l l e t o u j o u r s « le C œ u r de
J é s u s et M a r i e d o n t la c o n g r é g a t i o n est u n o u v r a g e » . Si donc ce c œ u r
a p o u r b u t d e r a p p e l e r le c œ u r d e J é s u s et M a r i e , il f a u t d i r e qu'il en
est le s y m b o l e .
D u r e s t e , s a i n t F r a n ç o i s p r o f e s s a i t e x p r e s s é m e n t eeite doctrine de l'union
des c œ u r s ; et, à l a suite de toute l'école f r a n c i s c a i n e , il en f a i s a i t le terme
de l a m y s t i q u e . Voici ce qu'il écrivait d a n s s o n Traité de l'Amour de
Dieu ( v u , i3) : « S i l e s p r e m i e r s chrétiens furent dits n'avoir qiCun cœur et
qu'une âme, si s a i n t P a u l ne v i v a i t p l u s l u i - m ê m e , ains Jésus-Christ vivait
en lui, à r a i s o n de Y extrême union de son cœur à celui de son Maître, p a r
l a q u e l l e son â m e était c o m m e m o r t e en son c œ u r qu'elle a n i m a i t , p o u r \ ivre
d a n s le c œ u r d u S a u v e u r qu'elle a i m a i t , ô v r a i D i e u , c o m b i e n est-il p l u s
v é r i t a b l e q u e la s a c r é e V i e r g e et son F i l s n'avaient qu'une âme, qu'un cœur
et qu'une rie, en s o r t e q u e cette s a c r é e Mère, v i v a n t ne v i v a i t p a s elle, m a i s
son F i l s v i v a i t eu elle. »
(2) L ' i m a g e de l'Enfant J é s u s s o r t a n t d'un c œ u r , q u e n o u s a v o n s r e p r o d u i t e
a u x d e r n i è r e » p a g e s d e ce t r a v a i l , fut t r o u v é e p a r l e s p r e m i e r s e x p l o r a t e u r s
q u i d é c o u v r i r e n t l e s P h i l i p p i n e s , l o r s de l a p r i s e d e la ville d e C e b u . E l l e
était r e n f e r m é e d a n s u n coffre et r e c o u v e r t e de fleurs et de r o s e s (Cf. Oox-
Z A G A , De Orig. S. Relig., p . I35O-I355.)
(3) Le Directeur fidèle on l'adresse dans les pratiques de la foi, p a r lu
P. ARCHANGE DJÎ VALLOXGNES, c a p u c i n , t. 1, R o u e n , 16^7, a u f r o n t i s p i c e .
i88 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Ces deux dernières gravures expriment l'idée, si Iré-


quemment développée par les mystiques franciscains, que le
mystère de l a Passion est sorti du Cœur de J é s u s et qu'il en a

Frontispice du livre Le Directeur fidèle, par le Père Archange de


Vallongnes, capucin, Rouen, 1637.

souffert toutes les douleurs dans son cœur, dès sa conception et


durant toute s a vie, avant de les porter extérieurement dans son
corps.
e
L'ICONOGRAPHIE DU SACRÉ-CŒUR AU X V I I SIECLE

L e s armoiries de la famille séraphique,

Ces armes résument tout le progrès de la dévotion au Sacré-Cœur


e e
du x m au xvi siècle : i° le bras du Christ et le bras de saint François
qui se croisent devant la croix, sont un souvenir des stigmates ; —
2° la figure d'ange rappelle le séraphin des stigmates, et symbolise
l'âme contemplant la Passion ; 3° les Cinq Plaies retinrent tout d'abord
e
le regard contemplatif des Franciscains ; — 4° I Cœur percé des trois
clous (parce que, en son Cœur, Jésus concentra toute sa Passion)
devint enfin l'objet préféré de la contemplation et du culte, dans la
famille franciscaine.
En adoptant ces armes, les chefs de l'ordre séraphique ont voulu
prendre l a responsabilité de cette orientation de l a dévotion francis-
caine et proclamer qu'elle constituait l'esprit même de Tordre. Cette
u
gravure tirée de la Methodus mittendi epistolas, est du xvui siècle ;
mais on la trouve dès le xvi°, du moins dans tous ses éléments.
9
A ces formes primitives, le xvir siècle, nous venons de le voir,
ajouta la représentation du Sacré-Cœur en pied : le Christ debout,
montrant son Cœur dans sa poitrine ouverte.
i9° LA DÉVOTION" AU SACRÉ-CŒUR

LA COMPAGNIE DE JÉSUS

L a Compagnie de J é s u s vécut, à l'origine, des dévotions fran-


ciscaines. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, quand on sait les rela-
tions de saint Ignace avec l'Ordre des Mineurs et qu'on se rap-
pelle qu'il fut, lui aussi et tout d'abord, un fils du séraphique
patriarche, dans le Tiers-Ordre ( i ) .
A u temps où saint Ignace vivait sous l'habit de tertiaire, il y
avait trois formes de dévotions qui primaient toutes les autres
dans l'Ordre franciscain : la dévotion au Sacré-Cœur, telle que
nous l'avons exposée, la dévotion au saint Nom de Jésus et la
dévotion au R o s a i r e . L a première n'avait p a s encore reçu l'appro-
bation officielle de l'Eglise, mais seulement des encouragements
par les indulgences accordées aux images du divin Cœur percé de
la lance. L a dévotion au saint Nom avait été consacrée officielle-
ment, au temps de saint Bernardin, comme nous l'avons dit. L a
dévotion au Rosaire avait obtenu une reconnaissance également
officielle et était enrichie d'indulgences.
Nous avons trouvé dans Sehreiber (2) la description d'une
gravure franciscaine, exécutée vers l'an i5oo et reproduite à
Bamberg, Vienne, Munich, Berlin et ailleurs, ce qui prouve la
grande vogue dont elle bénéficia. Elle nous fait connaître ce
qu'était cette dévotion au Rosaire. En voici la description :

Le milieu de la feuille représente le Christ en croix à l'arbre de


laquelle il y a les mots L'Incarnation. Au-dessus plane le Très-Haut
avec la sainte Colombe et l'inscription Sainte Trinité. A gauche, Marie

( 1 ) V o i r l e s Personnages illustres des trois Ordres franciscains, p a r H . DE


BAHBNTON, p . 74* « s t cité le t é m o i g n a g e d ' A n t o i n e d e Sellis, g r n é r a l d u
T i e r s - O r d r e en 1 6 1 0 .
( a ) Manuel..., n « 1628.
LA COMPAGNIE DE J E S U S Ï9 1

avec l'Enfant et l'inscription La Vierge Marie ; à droite, trois anges


avec l'inscription Tous les saints Anges. Ensuite, sur u n rang, on
voit les Patriarches et les Apôtres et Evangélistes. Au-dessous, les
saints Martyrs, tous les saints Confesseurs et Pères, enfin toutes les
saintes Vierges et les saintes Veuves.
Le tout est renfermé dans la couronne du Rosaire. En dehors de
cette couronne, en haut, à gauche, est représentée la i n e s s e de saint
Grégoire et à droite saint François. En bas, des personnages ecclésias-
tiques et laïques font leur prière.
En haut, trois lignes gravées :
Jhésus. C'est là le céleste rosaire. Le grand rosaire contient
5o Pater noster, 5o Ave Maria et 5 Credo. Le petit, 10 Pater noster 9

10 Ave Maria et i Credo.

En bas, cinq lignes de texte : « Ce rosaire a été approuvé par


le pape Alexandre VI, avec 96 années d'indulgences, auxquelles
sept autres années ont été ajoutées. Mais, si Ton ne récite que des
Ave Maria sur le grand, le Pape n'accorde que 78 années et a3o jours
d'indulgences. Le petit rosaire porte i5 années et a85 jours d'indul-
gences. (Extrait du Mariale de Bernardin de Bustis.)

Des confréries s'étaient établies pour pratiquer et propager


cette dévotion au saint Rosaire et, unissant la dévotion du Nom
de Jésus à celle du rosaire, avaient pris le nom de Fraternité de
J é s u s du céleste rosaire, J h e s u s Bruderschaft des hymelischen
Rosenkranz (1).

Cette universelle dévotion au nom de Jésus répandue par les


Franciscains avait créé par toute la chrétienté une ambiance
spéciale de piété, dont Fàme de saint Ignace se .trouva toute
imprégnée. Et, quand il eut résolu d'établir sa Compagnie, il la
fonda sur cet état d'âme spécial à cette époque, la dévotion au
Nom de Jésus, qu'il a comme cristallisée en elle. A sa société il
donna le nom de Compagnie de Jésus, qui rappelle celui des
Fraternités de Jésus alors si nombreuses ; il lui donna pour blason

(1) Ce titre se t r o u v e s u r les é d i t i o n s de B e r l i n et de Bamberg-, Il y avuiL


d e s fraternités d e d i v e r s n o m s . Telle la fraternité de S a i n t - S é b a s t i e n , Saint
Sebastians Bruderschaft, s i g n a l é e d a n s les H o l z s c h n i t t e de l l e i t z , Collection
192 LA DEVOTION AU SACRE-CŒUR

le monogramme IHS surmonté de la croix si cher à saint Bona-


venture, à saint Bernardin, à la bienheureuse Jeanne de Valois
et à toute la famille de saint François ; enfin, pour manuel de
piété à pratiquer et à propager partout, il donna une sorte
de rosaire médité, les célèbres Exercices ( i ) .
Ces deux dévotions au Nom de Jésus et aux mystères de sa
vie contenus dans le Rosaire absorbèrent toute l'âme de saint
Ignace et de ses premiers disciples. Aussi ne voit-on point qu'ils
aient pratiqué la dévotion au Sacré-Cœur, si ce n'est à l'état
d'exception, par exemple saint Alphonse Rodriguez ( i 5 3 i - i 6 i y ) et
le bienheureux Canisius (1021-1597).
« Nous ne trouvons pas aux origines de la Compagnie de Jésus, écrit
le P. Bainvel (2), ni la même dévotion, ni les mêmes intuitions, que
nous avons remarquées chez saint François de Sales et à la Visitation.
D'une dévotion de saint Ignace au Sacré-Cœur, nous n'avons pas de
témoignage historique certain... Nous avons de saint François de Borgia
une admirable invocation à la plaie du côté : le Cœur de Jésus n'y est
pas nommé, mais il n'y manque que le mot. Saint Louis de Gonzague
est souvent cité comme grand dévot du Sacré-Cœur ; mais les deux
témoignages qu'on en donne n'ont pas une valeur historique directe. »
Et, après avoir cité le B. Canisius et saint Alphonse Rodriguez, il
ajoute : « Avec ces exemples et quelques autres moins importants, qui
ont été signalés en temps et lieu, on peut se faire une idée, autant du
moins qu'on peut en juger d'après les documents connus, de ce qu'a
e
été, au xvi siècle, la dévotion, je ne dis pas de la Compagnie de Jésus,
mais de quelques Jésuites, au Sacré-Cœur.
e
« Au xvii siècle, faits et textes se multiplient avec une extrême
abondance (3)... »

e
C'est donc à partir du xvn siècle que la Compagnie com-
mença d'entrer dans la dévotion au Sacré-Cœur. Nous en avons

( 1 ) C e u x q u i ont é t u d i é les Exercices s a v e n t , en effet, qu'en d e h o r s d e s


p r e m i è r e s p a g e s c o n s a c r é e s à l a c o n v e r s i o n de l ' â m e et q u i ne s o n t q u e le
p r é a m b u l e , t o u t le l i v r e e s t c o n s a c r é à m é d i t e r l e s m y s t è r e s de l a v i e d e
N o t r e - S e i g n e u r . C'est d o n c p l u t ô t u n e s o r t e d e r o s a i r e m é d i t é qu'un m a n u e l de
s p i r i t u a l i t é . L e s p r o c é d é s de l a v o i e p u r g a t i v e n'y sont q u ' e s q u i s s é s ; l a
n a t u r e , v o i r e l'existence d e l a v o i e u n i t i v e , y est à p e i n e i n d i q u é e ; s e u l e l a
v o i e i l l u m i n a t i v e , f o n d é e s u r l a c o n n a i s s a n c e de N o t r e - S e i g n e u r , y est p r a -
t i q u é e . C'est cette l a c u n e c o n c e r n a n t les p r o c é d é s d e l a v o i e u n i t i v e q u i
e x p l i q u e , c r o y o n s - n o u s , cette s o r t e d e défiance v i s - à - v i s d e l a c o n t e m p l a t i o n
q u on a r e m a r q u é e chez p l u s i e u r s a u t e u r s d e l a C o m p a g n i e .
(a) La dévotion an Sacré-Cœur de Jésus, p. 342.
(3) Loc. cit., p . 346.
LA COMPAGNIE D E J E S U S

marqué le point de départ et les diverses phases, en traitant de


l'iconographie du Sacré-Cœur. Nous voulons simplement dire un
mot ici sur la doctrine de cette dévotion.
La doctrine professée par les écrivains de la Compagnie est,
durant la première moitié du xvir siècle, la plus pure doctrine
franciscaine. Sans oublier l'amour dû à Jésus lui-même, on place
le principal caractère de la dévotion dans l'union à son Cœur,
pour vivre son amour.
Voici, à ce sujet, un extrait bien significatif du Bouquet de
myrrhe du P. Caraffa (i585-iG4a), général de la Compagnie ( i ) .
« Les plaies de Jésus-Christ, le nid de l'amour divin... demandez à
changer de cœur. O mon Jésus, donnez-moi votre cœur. Oh ! qu'il
serait bien mieux dans ma poitrine que celui qui l'anime ! S'il y était,
comment vous aimerait-il, vous qui êtes si aimable, puisque, étant
dans la vôtre, il m'aime, moi qui ne mérite que votre haine.
« Vivez désormais,... privé de votre propre cœur, de ce cœur qui ne
tient que de l'homme et de la terre, plein du Cœur de Jésus-Christ,
d'un cœur tout ardent et divin. O l'heureux changement ! ô le bien-
heureux sort ! Mais souvenez-vous que le Cœur qu'on vous donne est
un cœur blessé, pour vous disposer à une vie toute semblable. »

Et le P. Caraffa explique la double blessure du Cœur de


Jésus, en citant le texte célèbre de la Vigne mystique. Par là il
se déclare lu'-même le disciple du séraphique Docteur dans la
dévotion au Cœur sacré.

C'est aux mêmes sources de la Vitis nvystica et du Stimulus


amoris que le P. de Saint-Jure (i588-i65;7) puise la doctrine de
son Livre des élus, quand il traite de la demeure de l'âme dans
les plaies de Notre-Seigneur (2). Et, comme avait fait le Père
Joseph, comme enseignait la Conduite intérieure des Clarisses, il
fonde tout le secret de la vie parfaite dans l'union de nos cœurs
au Cœur de Jésus,

« Notre-Seigneur, dit-il dans L'Homme spirituel, nous loge dans son


Cœur... Allons donc avec joie nous loger dans ce Cœur pour n'en sortir

(1) P. B A I N V E L , La Dévotion au Sacré-Cœur, p . 35a-36o.


{•2) P. B A I N V E L , l o c . cit.,, p . 565.
t3
194 LA DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

jamais. Oh ! qu'il est bon et qu'il y a de plaisir de demeurer et d'opérer


dans ce Cœur. Oui, d'opérer..., car c'est dans le Cœur de Notre-Sei-
gneur que nous devons faire toutes nos opérations... Nous y devons
Taire absolument tout ce que nous faisons et y exercer toutes les fonc-
tions de la vie purgative, de la vie illuminative et de Punitive. »

L e P . Nouet (1608-1680) parle absolument dans le même sens


et avec les môme termes. C'est l'éternel commentaire de la Vitis
mystica :

ce Si votre cœur est trop petit, écrit-il (1), et trop bas pour aimer
et honorer un Dieu qui est si grand, nous pouvons nous acquitter de
nos devoirs, en l'honorant et l'aimant du Cœur de Jésus. Car enfin il
est à nous, son Fils nous l'a donné, et si nous le lui offrons avec humi-
lité pour suppléer à notre impuissance, il se tiendra content et
satisfait. »
Ces quelques textes suffisent pour montrer comment les
meilleurs auteurs ascétiques de la Compagnie, durant le
e
xvn siècle, ne s'écartent en rien de la pure doctrine tradi-
tionnelle.

LE B. P. EUDES
L e culte liturgique du Sacré-Cœur

L ' O r d r e franciscain avait formulé, d'une manière complète,


la doctrine de la dévotion au Sacré-Cœur. Il en avait multiplié
les pratiques et les avait répandues partout parmi les fidèles.
Il restait à en établir le culte officiel et liturgique. L'initiative en
appartient au bienheureux P. Eudes, fondateur de la congré-
gation de prêtres dite de Jésus-Marie ( 1 6 4 1 ) , de l'Ordre de Notre-
Dame de la Charité (i643-i666), et de la confrérie ou congréga-
tion séculière du Sacré-Cœur de Marie (vers i65o).

e
( 1 ) Entretien p o u r le m a r d i d e l a a a semaine a p r è s la Pentecôte.
L E BIENHEUREUX PERE EUDES ET L E CULTE LITURGIQUE 10,5

C'est dans ses congrégations d'abord, et ensuite au dehors,


que le bienheureux P. Eudes répandit le culte du Sacré-Cœur
de Jésus et du Saint Cœur de Marie.
« Dès 1646, écrit le P. Bainvel, il leur fait célébrer solennel-
lement la fête du Saint Cœur de Marie, d'abord le 20 octobre,
qu'il consacrera plus tard au Cœur de Jésus, puis le 8 février,
qui restera réservé au Cœur de Marie. Il compose, pour cette
fête, un office qui est approuvé, dès 1648, par quelques
évêques. »
En 1648, le P. Eudes obtient de célébrer sa chère fête dans
la cathédrale d'Autun. En 1654, les Eudistes établirent, dans
leur collège de Lisieux, la congrégation du Saint Cœur de Marie
avec petit office. Enfin, en i655, ils inaugurent, dans leur séminaire
de Coutances, la première église bâtie en l'honneur du Cœur de
Jésus et Marie.
Jusqu'en 1670, le Cœur de Jésus était honoré, par une seule
et même fête, avec et dans le Cœur de Marie, parce que le Père
Eudes aimait à les considérer comme ne formant qu'un seul et
même cœur. Cependant, en cette année 1670, il fit approuver une
fête spéciale pour le Sacré-Cœur de Jésus, et en 1672, il prescrivit
à sa congrégation de prêtres de la célébrer le 20 octobre et de la
prendre comme fête patronale ( 1 ) .
Des diocèses et des congrégations diverses ne tardèrent pas à
s'associer à la jeune société des Eudistes et se mirent à célébrer
ces fêtes des Cœurs de Jésus et de Marie. Au premier rang il faut
compter les Franciscains delà province de France.

(1) L a c i r c u l a i r e d u P. E u d e s écrite à cette o c c a s i o n r a c o n t e bien q u e l l e idée


il se faisait d e s d e u x fêtes : a C'est u n e g r â c e i n e x p l i c a b l e , dit-il, q u e le très
a i m a b l e S a u v e u r n o u s a faite, de n o u s a v o i r d o n n é d a n s notre c o n g r é g a t i o n ,
le C œ u r a d m i r a b l e d e s a très s a i n t e Mère. M a i s s a b o n t é . . . a p a s s é bien p l u s
o u t r e en nous donnant son propre Cœur, pour être, avec le Cœur de sa très
glorieuse Mère, le f o n d a t e u r et le s u p é r i e u r , le p r i n c i p e et la fin, le cœur et
la vie de cette congrégation... Q u o i q u e j u s q u ' i c i n o u s n'ayons p a s c é l é b r é
u n e fête p r o p r e et p a r t i c u l i è r e d u C œ u r a d o r a b l e de J é s u s , n o u s n ' a v o n s
p o u r t a n t j a m a i s eu intention de s é p a r e r d e u x c h o s e s q u e D i e u a u n i e s si
étroitement e n s e m b l e , c o m m e sont l e C œ u r très a u g u s t e d u F i l s de D i e u et
celui de s a très s a i n t e Mère. A u c o n t r a i r e , notre d e s s e i n a t o u j o u r s été, dès
le c o m m e n c e m e n t d e notre c o n g r é g a t i o n , de r e g a r d e r et honorer ces deux
Cœurs comme un même Cœur en u n i t é d'esprit, de s e n t i m e n t , de v o l o n t é et
d'affection. » L E D O R É , Le Père Eudes, p . i43.
196 LA DEVOTION AU SACRE-CŒUR

Pour toutes ces raisons, le bienheureux Père Eudes a été dé-


claré officiellement l'instaurateur, dans l'Eglise, du culte litur-
gique du Sacré-Cœur.
«Brûlant lui-même d'un singulier amour envers les cœurs très
saints de Jésus et de Marie, déclare le bref de béatification, il eut
le premier — et ce ne fut pas sans une sorte d'inspiration
divine — l'idée d'un culte public en leur honneur. De ce culte si
doux on doit donc le regarder comme le père, car, dès la fonda-
tion de sa congrégation de prêtres, il fait célébrer parmi ses fils
la solennité de ces cœurs; comme le docteur, car il composa en
leur honneur des offices et une messe ; comme Vapôtre, enfin, car
de tout son cœur il s'employa à répandre partout cette dévotion
salutaire ( 1 ) .
L'oraison de l'office du Sacré-Cœur est remarquable par la
doctrine qui y est exprimée. En voici le texte :
« Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, vous
qui, dans l'excès d'amour, dont vous nous avez aimés, nous avez
donné avec une bonté ineffable le cœur de votre bien-aimé Fils,
pour que nous puissions cous aimer parfaitement en union de
cœur avec lui : accordez-nous, nous vous en supplions, que nos
cœurs étant consommés dans Vunité entre eux et avec le Cœur de
Jésus, toute notre vie soit une vie d'amour entre lui et nous et
que par sa médiation les justes désirs de nos cœurs s'accom-
plissent (2). »
Avant Tannée 1670, avons-nous dit, le bienheureux Père
Eudes avait toujours uni, dans son culte, les deux cœurs de Jésus
et de Marie comme n'en formant qu'un seul. Il vénérait le saint
Cœur de Jésus et Marie comme un seul Cœur.

(1) Cf. P . L B D O R É , Le Sacré-Cœur de Jésus, p . 18.


(2) Cette o r a i s o n e x p r i m e les d e u x c a r a c t è r e s f o n d a m e n t a u x d e l a dévo-
tion a u S a c r é - C œ u r t e l s q u e n o u s a v o n s e s s a y é d e l e s d é g a g e r d a n s t o u t notre
t r a v a i l : i ° ce q u e Ton v é n è r e c o m m e l'objet p r e m i e r et p r i n c i p a l d a n s cette
0
dévotion, c'est l ' a m o u r de J é s u s p o u r s o n Père ; 2 c e q u e Ton d e m a n d e , d a n s
l a d é v o t i o n , a v a n t t o u t , c'est l a p a r t i c i p a t i o n à l ' a m o u r de J é s u s p o u r son
Père, d u q u e l d é c o u l e t o u t le r e s t e ; et Ton d é s i r e q u e cette p a r t i c i p a t i o n
soit si entière q u e d u C œ u r d e J é s u s et d u c œ u r d e l a c r é a t u r e il r é s u l t e u n
s e u l et m ê m e c œ u r c o n s o m m é s d a n s l'unité. On y i n d i q u e encore le troisième
é l é m e n t i m p o r t a n t d e la d é v o t i o n : l'amour d e J é s u s p o u r les h o m m e s et d e s
hommes pour Jésus.
LE BIENHEUREUX PERE EUDES ET LE CULTE LITURGIQUE lij']

On peut reconnaître là une influence de la doctrine francis-


caine qui enseigne, comme nous l'avons exposé, que l'amour
divin unit le cœur de la créature à celui du Créateur, de façon à
n'en plus former qu'un seul. Entre Jésus et Marie, l'amour avait
dû opérer cette fusion parfaite des deux cœurs en un seul.
Cette influence de la doctrine franciscaine sur le P. Eudes
n'est pas une simple hypothèse. Elle est une certitude reconnue
et affirmée par le savant éditeur de ses Œuçres complètes ( i ) . Le
P. Lebrun, dans son introduction au traité Le Cœur admirable,
cite les sources où a puisé le P. Eudes et il dit :
« Signalons encore (après saint Jean Chcysostome, saint Augus-
tin et saint Léon) (2), l'auteur du traité de la Vigne Mystique, que le
P. Eudes croyait être saint Bernard, et qui serait en réalité saint Bona-
venture, s'il faut en croire le dernier éditeur du Docteur séraphique.
Le vénérable lui a emprunté les leçons du second Nocturne de son
Office du Cœur de Jésus, et, après lui, l'Eglise en a fait autant dans
l'Office qu'elle a approuvé pour le Vendredi après l'Octave du Saint-
Sacrement, en coupant toutefois le traité d'une façon un peu diffé-
rente. Ce que le P. Eudes goûtait le plus dans ce traité, ce sont ces
belles paroles où il retrouvait ses idées favorites sur l'union de nos
cœurs à celui de Jésus : « Je le dis hardiment, le Cœur de Jésus est à
moi. Si, en effet, Jésus-Christ est mon chef, comment ce qui est à lui
ne serait-il pas à moi?...
« Saint Bernardin de Sienne, écrit-il encore (3), mérite de trouver
ici une mention spéciale. Il nous a laissé sur le Cœur de la Bienheu-
reuse Vierge des considérations magnifiques, dont le Vénérable s'est
souvent inspiré dans le Cœur admirable, et qu'il a introduites dans
son Office du Cœur de Marie. C'est lui aussi qui a émis cette belle
pensée que le Cœur de Jésus est une fournaise ardente de charité
destinée à embraser l'univers, et l'on sait que c'est cette pensée que le
Vénérable s'est efforcé de développer dans le douzième livre de son
ouvrage. »
(1) L e P. B A I N V E L , La Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, p . 387, écrit
d u P. E u d e s : « Il l u t s a i n t e M e c h t i l d e et sainte G e r t r u d e , L a n s p e r g e et
L o u i s de B l o i s . E s t - c e l à qu'il p u i s a s a dévotion a u C œ u r de M a r i e et de
J é s u s ? o u n e fit-il q u e l'y n o u r r i r ? U n e s e m b l e p a s qu'on s a c h e r i e n d e
p r é c i s à ce s u j e t . » O n s a i t c e p e n d a n t chez q u e l s a u t e u r s le P. E u d e s
e m p r u n t a les l e ç o n s d e s e s offices d u C œ u r de J é s u s et d u C œ u r d e M a r i e , et
le P. B a i n v e l l u i - m ê m e a s u le r e m a r q u e r . Il y a q u e l q u e c h a n c e q u e ce soit
chez e u x s u r t o u t q u e le P. E u d e s a i t a l i m e n t é s a d é v o t i o n , p u i s q u ' i l
p r o p o s e l e u r s écrits à t o u s les fidèles. Ces a u t e u r s n e sont ni sainte G e r t r u d e ,
ni s a i n t e M e c h t i l d e , ni L a n s p e r g e , ni L o u i s d e B l o i s , m a i s saint B o n a v e n t u r e
et s a i n t B e r n a r d i n d e Sienne.
(2) Œ u v r e s c o m p l è t e s d u P . E u d e s , t. V I , p . C L I V .
(3) Œ u v r e s c o m p l è t e s d u P. E u d e s , t. V I , p . CLV.
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Cette importance prépondérante attachée par le P.Eudes à


la doctrine franciscaine touchant la fusion des cœurs dans
l'amour pourrait peut-être donner la solution de l'énigme qui
s'attache à l'emblème de sa Congrégation et qui renouvelle
la discussion soulevée à propos des armes de la Visitation. Cet
emblème est un cœur de métal dont l'intérieur contient les
images de Jésus et Marie se regardant. Celui que portent les

sœurs de la Congrégation contient l'image de la Sainte Vierge


tenant entre ses bras l'Enfant Jésus et environnée de deux
branches, l'une de roses et l'autre de lis ( i ) .
Est-ce le cœur de Jésus et Marie que représente cet emblème
ou le cœur de l'Eudiste? Le P. Lebrun y voit le cœur de l'Eudiste
et il appuie son opinion sur de bonnes raisons. Cependant il nous
reste encore une objection dans l'esprit. Le bienheureux P. Eudes
a placé sa Congrégation de Notre-Dame de Charité sous le
patronage du Cœur de Jésus et Marie. N'était-il pas naturel de
lui donner comme armes et signe de ralliement ce Cœur de Jésus

( i ) L e s c œ u r s q u i p o r t e n t g r a v é s les n o m s d e J é s u s o u M a r i e , I H S ou
M A , ne sont p a s n é c e s s a i r e m e n t les c œ u r s de J é s u s ou de M a r i e . Ils sont
p a r f o i s u n e a p p l i c a t i o n d e s p a r o l e s d u C a n t i q u e : « Pone me ut signacuhim
super cor taam, P l a c e m o n n o m , c o m m e u n s c e a u , s u r ton c œ u r . » Cela
signifie q u e l a c r é a t u r e doit g a r d e r d a n s son c œ u r le s o u v e n i r et l ' a m o u r de
J é s u s et d e M a r i e . Toutefois, d i s o n s - l e encore, ce s e n s n'exclut p a s l'autre
s e n s d'une m y s t i q u e encore p l u s h a u t e . C a r il y a q u e l q u e chose de m i e u x
q u e de g r a v e r en s o n c œ u r le nom de J é s u s , c'est d'en g r a v e r l'image, c'est
de t r a n s f o r m e r s o n p r o p r e c œ u r en liimage d u c œ u r de J é s u s et d e M a r i e ,
de façon à n'en p l u s former q u ' u n s e u l . L a m y s t i q u e en r e v i e n t t o u j o u r s à
cette fusion d e s c œ u r s , c o m m e à s o n dernier t e r m e .
L E S FRANCISCAINS E T LE PERE EUDES 199

et M a r i e ? N'était-ce pas ce Cœur que le P. E u d e s avait toujours


devant les yeux et sur les l è v r e s ? « Ce sont deux trésors ines-
timables, disait-il ( 1 ) , . . . dont (Dieu) rend (notre congrégation)
dépositaire, pour ensuite les répandre p a r elle dans le cœur
des fidèles. »
Ce Cœur de J é s u s et Marie, que Le P. Eudes regardait comme
le trésor de s a Congrégation, nous pensons, avec le P. L e D o r é ,
qu'il voulut aussi le signifier par cet emblème. Mais nous ne
croyons pas qu'il faille, pour cela, renoncer à y voir le cœur de
l'Eudiste. L e s Cœurs de J é s u s et Marie et le cœur de l'Eudiste
sont trois cœurs que le P. Eudes voulait voir unis par l'amour et
fondus en un s e u l ? Et l'unité d'emblème pour représenter ces trois
cœurs n'est-elle pas. la meilleure expression de son désir ( 2 ) ?

L e s Franciscains, collaborateurs du P . Eudes.

Les Franciscains, si zélés pour la dévotion au Sacré-Cœur,


ne virent p a s avec indifférence les efforts tentés p a r le P. Eudes,
pour introduire le culte liturgique en son honneur. Ils le secon-
dèrent de tout leur pouvoir et ils s'y associèrent dès la première
heure. Afin d'abréger, nous nous contenterons de citer quelques
documents, qui établissent et précisent cette collaboration.
L'esprit qui anima le B . P. Eudes était un esprit puisé mani-
festement aux sources franciscaines. L e nom qu'il donna à sa
congrégation en serait à lui seul une preuve.
« Il a voulu que sa congrégation fût appelée des noms augustes
de J é s u s et de Marie et de leurs Sacrés Cœurs » , écrivait en 1 7 1 1
le P. Blouet de Camilly dans VAbrégé de sa vie. Et le P. L e Doré
conclut « L e titre : Congrégation de J é s u s et de Marie semble
donc une abréviation pour Congrégation des Noms et dos Cœurs
de J é s u s et de Marie. » Or n'est-ce p a s le propre de la doctrine

(1) L e P . L E D O R É , Le Père Eudes, p . i 4 i - i f o .


3
(2) P l u s i e u r s c o u g r é g a t i o i i s fondées a u x v i r s i è c l e s'établirent s u r l a
dévotion a u S a c r é - C œ u r et m i r e n t u n c œ u r d a n s l e u r e m b l è m e , t e l l e s les
c o n g r é g a t i o n s d e l'Oratoire, d u V e r h e I n c a r n é .
200 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

franciscaine exposée ici, d'appuyer toute sa dévotion sur le


Nom et le Cœur de Jésus, sans oublier le Nom et le Cœur de sa
sainte Mère.
Aussi les Franciscains, dans la dévotion du Bienheureux,
reconnurent de suite un bien de famille.
En 1645, le P. Eudes voulut propager une formule de saluta-
tion « au très saint Cœur de Jésus et Marie ». C'est par elle
qu'il commença son apostolat public. Il lui fallait une approbation
authentique. Le gardien des Cordeliers de Caen était alors le
P. Chancerel, religieux d'un grand savoir. Le P. P r u d e s lui demanda
la sanction de son autorité et le Père la lui donna de grand cœur,
en même temp$ que le P. de la Dangie, célérier de l'abbaye de Saint-
Etienne. « Nous avons lu cette salutation au très saint Cœur de
Jésus et Marie, disait-il, et nous n'y avons rien trouvé contre
la foi orthodoxe ( 1 ) . »
En 1668 son intervention fut plus utile encore. Jusque-là, le
P. Eudes avait célébré sa fête du Sacré-Cœur avec la seule auto-
risation des évêques français. Or, pour l'introduction de tout
nouvel office, le droit liturgique exigeait l'approbation de Rome,
C'est cette approbation de Rome qu'obtint le P. Chancerel.
Laissons le P. Eudes raconter lui-même cette démarche.
« Mgr l'Eminentissime Cardinal de Vendôme (2), faisant,
à Paris, en l'année 1668, l'office de légat a latere de Notre Saint-
Père le pape Clément IX, autorisa et approuva la dévotion et
l'Office du Très Saint Cœur de la bienheureuse Vierge, en deux
occasions différentes. Premièrement, à la prière du R. P. Bernard
Chancerel, provincial des Frères Mineurs de la grande province de
France, comme il paraît à la fin de leurs offices propres. Ensuite
de quoi on célèbre cette fête et cet office dans la susdite pro-
vince (3).
« Secondement il l'approuva à notre requête (Suit le texte de
la requête et de l'approbation, datée du 2 juin 1668.) Et il ajoute :
(1) Cf. P. LE DORÉ, Les Sacrés-Cœurs, II. p . 77.
(2) L e c a r d i n a l L o u i s de V e n d ô m e était fils de C é s a r , d u c de V e n d ô m e , et
d e F r a n ç o i s e d e L o r r a i n e , d u c h e s s e d e Menour. Il n a q u i t en 1612 et m o u r u t
à A i x en 1669.
(3) P. E u d e s , Le Cœur admirable, L . XIII, ch. L
LES FRANCISCAINS ET LE PÈRE EUDES 201

« Remarquez premièrement que la susdite requête supplie son


Eminence d'approuver non seulement l'Office du Très Saint Cœur
de la Bienheureuse Vierge, mais aussi d'autoriser tout ce qui est
contenu dans les approbations de Messeigneurs les Archevêques
et Evêques...
« Remarquez, en second lieu, que les actes de la légation de
Mgr le Cardinal de Vendôme ont été confirmés à Rome par le
Saint-Siège apostolique et par Notre Saint-Père le Pape Clé-
ment IX... Et c'est en vertu de cette approbation que cette fête se
célèbre dans l'Ordre de Saint-François. »
Le même Bienheureux, en un autre endroit, revient sur cette
adhésion des Franciscains à son office et il nous apprend qu'ils le
e r
célébraient le I juin.
« C'est dans tous les couvents des religieux et religieuses de
saint François de la grande province de France, écrit-il, que cette
solennité se fait le premier jour de juin, avec une piété singulière,
sous la permission et approbation du Saint-Siège apostolique (1). »
En même temps qu'ils adhéraient au culte liturgique, les Fran-
ciscains prêtaient aussi leur concours à l'érection des confréries
instituées également par le Bienheureux P. Eudes. Le P. Henri
de Grèzes (2), dans ses Etudes franciscaines sur le Sacré-Cœur,
en a compte soixante dix-sept, établies dans les églises de l'un des
2
trois Ordres, depuis 1695 jusqu'à 174 *
Ces chiffres et ces faits n'ont pas besoin de commentaires. Ils
montrent les enfants de saint François marchant au premier rang
pour la propagande du culte liturgique, comme ils l'avaient fait
pour la doctrine et pour la dévotion privée.

(1) Œuvres complètes, t. V I I , p . 4°8- N o u s d e v o n s l'indication d e ces


d o c u m e n t s a u P è r e L E B R U N , le s a v a n t é d i t e u r d e s Œuvres du Père Eudes.
N o u s lui e x p r i m o n s ici notre r e c o n n a i s s a n c e .
(2) P. 368-370.
W2 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

LA VISITATION
s e
Saint F r a n ç o i s d e S a l e s et l a B Marguerite-Marie.

Pour caractériser la doctrine de saint François de Sales


concernant la dévotion au Sacré-Cœur, nous ne citerons que
deux témoignages.
Le premier, c'est le choix qu'il ût d'un cœur surmonté d'une
croix et environné de la couronne d'épines, comme armes de
la congrégation de la Visitation, qu'il fonda en 1610. Nous avons
interprété ces armes. Nous n'y reviendrons pas. Mais ce choix
montre qu'il voulait que ses filles vécussent de la vie et des vertus
du Cœur de Jésus.
Ses filles le comprirent ainsi et l'une des plus illustres, la Mère
Anne-Marguerite Clément, morte à Melun, en 1661, en odeur de
sainteté, en rendait témoignage, quand elle écrivait que l'illustre
fondateur de la Visitation « a été inspiré de dresser un Ordre
dans l'Eglise pour honorer l'adorable Cœur de Jésus-Christ et
ses deux plus chères vertus qui sont le fondement des règles et
constitutions de la Visitation » ( 1 ) .
Et Henri de Maupas du Tour, dans la vie du saint Docteur (2),
déclare que ces religieuses étaient établies particulièrement, en
ce dernier siècle, pour être les imitatrices des deux plus chères
vertus du Sacré-Cœur du Verbe incarné, qui sont la base
et le fondement de leur Ordre, et leur donnent ce privilège et
cette grâce incomparable de porter la qualité de Filles du Cœur
de Jésus.
L'autre témoignage fera connaître le caractère de la dévotion
au Sacré-Cœur pratiquée par saint François de Sales et enseignée

(1) S a vie a été p u b l i é e en 1686.


(2) La vie du vénérable serviteur de Dieu, François de Sales, 1657, p . 3io.
SAINT FRANÇOIS DE SALES ET L A VISITATION ao3

par lui à la Visitation. Il la veut telle que la comprenait saint


Bonaventure, opérant l'union et la fusion des cœurs entre Dieu
et la créature.

Voici, en effet, ce qu'il écrivait à sainte Jeanne de Chantai,


le 2 9 avril 1622, veille de la fête de sainte Catherine de Sienne :
« Je m'en vais à l'autel, ma chère fille, où mon cœur répandra mille
souhaits pour le vôtre, ou plutôt notre cœur répandra mille bénédictions
sur soi-même, car je parle plus véritablement ainsi. Dieu ! ma chère
sœur, ma fille bien-aimée, à propos de notre cœur que ne nous arrivât-
il comme à cette bénite sainte, de laquelle nous commençons la fête
ce soir, que le Sauveur nous ôtât notre cœur et mit le sien au lieu du
nôtre. Mais n'aura-t-il pas plus tôt fait de rendre le nôtre tout sien,
absolument sien, purement et irrévocablement sien ? Oui, qu'il le fasse,
ce doux Jésus. Je l'en conjure par le sien propre et par l'amour qu'il y
confirme, qui est l'amour des amours. Que s'il ne le fait (oh ! il le fera
sans doute, puisque nous l'eu supplions^ au moins ne saurait-il em-
pêcher que nous ne lui allions prendre le sien, puisqu'il tient encore
sa poitrine ouverte pour cela. Et si nous devions ouvrir la nôtre pour,
en ôtant le nôtre, y loger le sien ne le ferions-nous pas ? (1) »

Certes ces témoignages, en faveur de l a dévotion de saint


François de Sales et des premières Visitandines au Sacré-Cœur,
paraîtront faibles et peu décisifs aux yeux de certains critiques
hargneux ou même sévères. A ces quelques lettres intimes,
privées, non destinées à la publicité et peu explicites d'ailleurs,
à cette interprétation que nous avons donnée du cœur emblème
de la congrégation, à ces affirmations un peu tardives de
son historien, Henri de Maupas, ou de la sœur Clément, ils oppo-
seront la multitude de ses écrits bien authentiques et destinés
à la publicité, traités ascétiques, dogmatiques, polémiques, où il
semble éviter à dessein de parler du Sacré-Cœur. Dans ses

(1) Cette lettre, il e s t facile d e s'en r e n d r e c o m p t e , justifie p l e i n e m e n t


l'interprétation q u e n o u s a v o n s d o n n é e d e s a r m e s d e l a Visitation : u n s e u l
c œ u r r e p r é s e n t a n t le C œ u r d e J é s u s , d e M a r i e , d e l a V i s i t a n d i n e . Ici saint
F r a n ç o i s v e u t q u e le C œ u r d e J é s u s p r e n n e la p l a c e d u sien et l a p l a c e d u
c œ u r de s a i n t e C h a n t a i : c'est l'union d e s c œ u r s en celui de J é s u s q u i faisait
l'objet h a b i t u e l d e s e s p r é o c c u p a t i o n s et formait s o n i d é a l r e l i g i e u x . A u s s i
s a i n t e J e a n n e d e C h a n t a i parlait-elle s a n s cesse à s e s filles d a n s cet esprit :
« D e v e n e z v r a i m e n t h u m b l e , écrivait-elle à T u n e d'elles, d o u c e et s i m p l e ,
afin q u e , p a r ce m o y e n , v o t r e p a u v r e cher c œ u r q u e j'aime t e n da r eem e n t ,
soit u n v r a i c œ u r d e J é s u s . » (Sainte Jeanne de Chantai, 1874» I< P » 77*) l
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

sermons mêmes, s'il parle une fois ou deux de la plaie du côté,


il n'insiste pas sur la blessure du cœur (i).
Nous croyons qu'il faut attribuer cette réserve au milieu
protestant, où vécut le saint Docteur et qui était si hostile à la
pieuse dévotion. Pour ne pas effaroucher davantage les brebis
égarées, il taisait ce qui pouvait les froisser et le gardait dans
l'intime de son cœur.
C'est cette même condescendance, croyons-nous, qui explique
le peu de place que tient la sainte Humanité de Notre-Seigneur
dans la mystique du bon Docteur. La piété franciscaine ne veut
aller à Dieu que par le Christ et sa Croix. Elle le considère
comme le chemin et la porte unique qui conduit à la vie ; dès lors
elle arrive tout naturellement à l'ouverture du Cœur qui est la
grande porte d'accès au royaume.
La mystique de la Vie décote, au contraire, et du Traité de
l'Amour de Dieu, par condescendance, sans doute, pour les
erreurs de l'époque, protestantisme et humanisme, aime à mettre
l'âme plus directement en relation avec Dieu. Certes on sent
partout l'intermédiaire du Christ et de la sainte Humanité, mais
il y est, le plus souvent, sous une forme si discrète et voilée qu'il
faut être attentif pour l'y découvrir. Si donc, pour le but qu'il
poursuivait, le saint évêque de Genève croyait devoir insister le
moins possible sur la sainte Humanité du Sauveur, on conçoit
qu'il ait évité de parler du Sacré-Cœur et de la dévotion qui
s'appliquait à l'honorer. Il réservait, sur ce point, les épanchc-
ments de sa piété pour l'intimité des entretiens privés.

( i ) U n d e s e s s e r m o n s ( é d i t . A n n e c y , t. V I I I , c x x ) o ù il p a r l e p l u s
e x p r e s s é m e n t d u S a c r é - C œ u r n e s e r a i t p a s a u t h e n t i q u e , a u dire de s e s édi-
t e u r s . L e Traité de l'Amour de Dieu p a r l e q u e l q u e f o i s d u C œ u r de J é s u s ,
m a i s il le p r e n d o r d i n a i r e m e n t au sens métaphorique d'amour et ne s'arrête
p a s à c o n s i d é r e r le cœur de chair transpercé de la lance, dont le s a n g
d o n n a n a i s s a n c e à l'Eglise, a u x s a c r e m e n t s et à l ' E u c h a r i s t i e . V o i c i un
p a s s a g e o ù il se r a p p r o c h e le p l u s d u sens t r a d i t i o n n e l p o u r s'en é c a r t e r
a u s s i t ô t : « O u i certes, T h é o t i m e , l ' a m o u r d i v i n a s s i s s u r le c œ u r d u
S a u v e u r , c o m m e s u r son trône r o y a l ( a l l u s i o n à l ' i m a g e de J é s u s a s s i s s u r
s o n c œ u r r e p r o d u i t e p l u s h a u t et qu'il p l a ç a a u f r o n t i s p i c e d e son t r a i t é ) ,
r e g a r d e p a r l a fente de son côté p e r c é t o u s les c œ u r s d e s e n f a n t s d e s
h o m m e s ; c a r ce c œ u r é t a n t le roi d e s c œ u r s tient t o u j o u r s s e s y e u x s u r
l e s c œ u r s . M a i s c o m m e c e u x q u i r e g a r d e n t a u t r a v e r s d e s treillis voient et
n e s o u t q u ' e n t r e v u s , ainsi le d i v i n a m o u r de ce c œ u r (voit t o u j o u r s n o s
c œ u r s t a n d i s q u e n o u s ne f a i s o n s qu'entrevoir le sien o u p l u t ô t son a m o u r ) . »
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARTE 205

Ce mélange de réserve et d'effusion, chez le saint fondateur


de la Visitation, pourrait expliquer, croyons-nous, l'attitude de
sa congrégation vis-à-vis de la chère dévotion : réserve très
grande du côté de l'autorité dirigeante, piété touchante de la
part de quelques sœurs qui voulaient voir, dans cette dévotion,
l'âme môme de l'Institut. N'avons-nous pas v u une situation à peu
près semblable dans l a Compagnie de J é s u s et même chez le Père
Joseph ? Bientôt Notre-Seigneur allait intervenir lui-même per-
sonnellement pour encourager et soutenir les fervents de son
divin Cœur.

L a Bienheureuse Marguerite-Marie.

Son rôle providentiel.


S e s c o l l a b o r a t e u r s : F r a n c i s c a i n s et J é s u i t e s .

fi
Durant la première moitié du xvn siècle, la dévotion au
Sacré-Cœur, nous venons de le constater, avait reconquis droit
de cité en F r a n c e . Elle était partout dans les écrits, dans les
manuels de piété, dans les pieuses images. Elle avait pris posses-
sion du sanctuaire par le culte liturgique, les congrégations et
confréries. P a r elle on pouvait espérer que le règne de Dieu
allait s'étendre sur la F r a n c e d'abord, la fille aînée de l'Eglise,
puis sur le reste du monde.
Hélas ! ces espérances allaient bientôt s'évanouir. Pendant
que la classe dirigeante, dans le clergé, représentée spécialement
par les évêques et par les congrégations : Franciscains de toutes
branches, Jésuites, Eudistes, etc., travaillaient à gagner le monde
au Sacré-Cœur, l a classe dirigeante, parmi les laïques, s'organi-
sait, sous le drapeau du Jansénisme et du Gallicanisme, pour
orienter les âmes vers un autre idéal. En prêchant un rigorisme
sans cœur, elle commença par les détourner de l'amour divin et
de ses charmes victorieux ; puis, exaltant s a n s mesure les chefs-
d'œuvre artistiques et littéraires du paganisme, elle précipita
les âmes vers les fausses jouissances de l'humanisme, d'autant
206 LA DEVOTION AU SACRE-CŒUR

plus trompeuses que, sous une apparence de noblesse et de


grandeur, elles respiraient le plus grossier sensualisme.
Sous le nom de cordicoles, ils tournèrent en ridicule les dévots
du Sacré-Cœur; et bientôt ils eurent écarté du culte de l'amour
divin ses meilleurs adeptes. Il est un signe frappant de cette déca-
dence précoce de la dévotion au Sacré-Cœur. C'est l'examen des
vignettes et frontispices qui ornent les ouvrages de piété, à par-
e
tir de la seconde moitié du xvn siècle. Depuis i585 environ et
jusque vers i65o, ces vignettes et frontispices présentent d'admi-
rables motifs religieux, où se voit très souvent l'emblème du
divin Cœur. Jésuites et Franciscains, avons-nous dit, rivalisaient
de piété à ce point de vue. Vers le milieu du grand siècle, sauf
peut-être chez les Franciscains, plus fidèles à la pieuse tradition,
tous ces emblèmes font place à ceux du paganisme. Des images
de dieux et de déesses ou des imitations d'art antique remplacent
les saintes images délaissées et méprisées.
L'élan donné par le bienheureux P. Eudes, pour célébrer le
divin Cœur par une fête publique allait s'aflaiblissant. Plusieurs
congrégations qui l'avaient adoptée n'avaient pas tardé à l'aban-
donner. Quand, en 1693, on propose aux Bénédictines de Lyon,
les Dames de Saint-Pierre, d'adopter la dévotion de Paray, ces
Dames rappelèrent « qu'elle avait été autrefois fort ordinaire
dans l'Ordre... et qu'il y avait eu, il y a beaucoup d'années, une
fête dans l'Ordre et un office en l'honneur du Sacré-Cœur (1) » .
Les difficultés, les contradictions, qu'éprouvèrent la bien-
heureuse Marguerite-Marie à la Visitation et le P. de la Colom-
bière dans la Compagnie, pour faire accepter leur apostolat en
faveur d'un culte spécial en l'honneur du Sacré-Cœur, prouvent
que l'autorité dirigeante dans beaucoup de congrégations, même
les plus ferventes par ailleurs, n'était plus en faveur de la pieuse
dévotion. La vraie charité se refroidissait, le cœur chrétien se
pervertissait.
C'est .de cette perversion que se plaindra bientôt le divin
Cœur à la bienheureuse Marguerite-Marie :
1
(1) B A I N V E L , loc. cit., p. 44 -
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIE

a Mon peuple c h o i s i me persécute secrètement, l u i d i s a i l - i l l e


27 décembre 167*3, et ils ont irrité ma justice. Mais je manifesterai ces
péchés secrets par des châtiments visibles, car je les criblerai dans le
crible de ma sainteté pour les séparer d'avec mes bien-aimés. »
Puis découvrant son Cœur tout déchiré et transpercé de coups :
« Voilà, lui dit-il, les blessures que je reçois de mon peuple choisi.
Les autres se contentent de frapper sur mon corps ; ceux-ci attaquent
mon Cœur qui n'a jamais cessé de les aimer. Mais mon amour cédera
eniin à ma juste colère, pour châtier ces orgueilleux attachés à la terre
qui me méprisent et n'affectionnent que ce qui m'est contraire, me
quittant pour les créatures, fuyant l'humilité pour ne chercher que
l'estime d'eux-mêmes. »

C'est donc pour protester contre cet abandon déplorable dans


lequel la France laissait tomber le culte du divin Cœur, et la
ramener dans le sentier de ses voies miséricordieuses, que J é s u s
voulut se manifester à la Bienheureuse Marguerite-Marie.
a Mon divin Cœur est si passionné d'amour pour les hommes et
pour toi en particulier, lui disait-il dans'la première des grandes appa-
ritions, que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son
ardente charité, il faut qu'il les répande par ton moyen et qu'il se
manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors... J e t'ai
choisie comme un abîme d'indignité et d'ignorance pour l'accomplis-
sement de ce grand dessein, atin que tout soit fait par moi. »
Quelle était donc cette Marguerite-Marie ?

M a r g u e r i t e - M a r i e A l a c o q u e ( 1 6 4 7 - 1 6 9 0 ) naquit à Verosvre,
dans le Charolais, au diocèse d'Autun ( 1 ) . D è s son enfance et
durant toute s a vie, elle jouit d'une intime familiarité avec Notre-
Seigneur et la T r è s Sainte Vierge, qui la favorisèrent de leurs
apparitions et de leurs entretiens très fréquents.
Voici en quels termes elle dépeint, elle-même, ces visites du
Sauveur. C'était peu de temps après sa profession religieuse :

« Il me promit, écrit-elle dans son Mémoire, de ne me plus quitter,


en me disant . « Sois toujours prête et disposée à me recevoir ; car je
« veux désormais faire ma demeure en toi, pour converser et m'entre-
« tenir avec toi. »

( 1 ) C'est T a n n é e s u i v a n t e , 1 6 4 8 , et d a n s l a c a t h é d r a l e d ' A u t u n q u e fut


c é l é b r é e l a p r e m i è r e fête p u b l i q u e d i o c é s a i n e , en l ' h o n n e u r d u S a c r é - C œ u r .
208 LA. DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

« Dès lors il me gratifia de sa divine présence, mais d'une manière


que je n'avais pas encore expérimentée... je le voyais, je le sentais
proche de moi, et l'entendais beaucoup mieux que si c'eût été des
sens corporels, par lesquels j'aurais pu me distraire pour m'en détour-
ner. Mais je ne pouvais mettre d'empêchement à cela, n'y ayant rien
de ma participation. »

Ce que voulut faire Notre-Seigneur en Marguerite-Marie, ce


fut de manifester en elle d'une manière éclatante et accessible à
tous les yeux, ce que son amour veut faire dans les âmes, par le
moyen de la dévotion à son Sacré-Cœur. Or ces grâces merveil-
leuses qu'il répandit dans la Bienheureuse ce sont celles mêmes
que nous avons entendu décrire avec tant de précision par les
mystiques franciscains un amour intense pour la personne de
Notre-Seigneur, amour de reconnaissance pour ses bienfaits, et
de compassion pour ses souffrances et de réparation pour les
outrages dont il est abreuvé ; puis un désir immense d'être
transformé à son image et de ne plus former qu'un cœur, un
amour, une volonté avec lui, pour réaliser en tout les désirs de
son Père.
Nous allons l'entendre raconter elle-même, dans son Mé-
moire, comment Jésus lui fit gravir les divers degrés de l'amour
divin. Nous verrons le bon Maître la conduisant, toute jeune, au
sein de la famille franciscaine, où elle resta durant trois longues
années de 8 à n ans, parmi les filles de sainte Claire. Là il lui fit
puiser, comme à sa source naturelle, l'intelligence des voies
mystérieuses qui conduisent à son divin Cœur. Et, c'est, après
qu'il l'en eut pénétrée suffisamment, qu'il la retira de ce sanc-
tuaire ; car il la destinait à d'autres asiles de piété, au milieu
desquels il voulait faire revivre, par son entremise, le zèle de
son divin Cœur.

L'amour pour Notre-Seigneur. — Dès sa petite enfance,


Notre-Seigneur lui inspira pour sa personne l'amour des épouses
fidèles. Elle n'avait pas encore l'âge de raison, raconte-t-elle,
qu'un instinct mystérieux la poussait à prononcer les paroles
qui signifient le vœu de chasteté.
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIE 209

Placée à l'âge de huit ans, en pension, chez les Clarisses de


Charolles, s a volonté de se donner à J é s u s , tout entière, p a r la
vie religieuse, y prit conscience d'une façon définitive. Elle y
gravit ce premier degré de l'amour divin, qui n'est autre que
le dessein de tout quitter, pour suivre J é s u s , comme son unique
époux.

« On me mit dans une maison religieuse, où on me fit communier,


que j'avais environ neuf ans. Et cette communion répandit tant
d'amertume pour moi sur tous les plaisirs et divertissements, que je
n'en pouvais plus goûter aucun, encore que je les cherchais avec
empressement. Lorsque j'en voulais prendre avec mes compagnes, je
sentais toujours quelque chose qui me tirait dans quelque petit coin...
et puis me faisait mettre en prières, mais presque toujours prosternée
ou les genoux nus ou faisant des génuflexions, pourvu que je ne
fusse pas vue.
« J'avais grande envie de faire tout ce que je voyais faire aux
religieuses, les regardant comme des saintes, pensant que, si j'étais
religieuse, je le deviendrais comme elles. Cela m'en fit prendre une si
grande envie, que je ne respirais que pour cela, quoique je ne les
trouvasse pas assez retirées pour moi; et n'en connaissant point
d'autres, je pensais demeurer là. »

L ' a m o u r d e c o m p a s s i o n . — Dans cette même maison des


Clarisses, Notre-Seigneur commença de lui faire gravir le second
degré de s a voie d'amour, l a compassion e u l'union à ses souf-
frances. Mais, comme elle le déclare, la connaissance expérimen-
tale du Sacré-Cœur lui manquait alors. Elle eut beaucoup de
peine à comprendre cette voie douloureuse et à s'y conformer.

« Mais je tombai, dit-elle, dans un état si pitoyable que je fus
environ quatre ans sans pouvoir marcher.
« On me voua à la Sainte Vierge, en promettant que, si elle me
guérissait, je serais un jour une de ses filles. Je n'eus pas plus tôt fait
ce vœu que je reçus la guérison, avec une nouvelle protection de la
Sainte Vierge. Elle se rendit tellement maîtresse de mon cœur, qu'en
me regardant comme sienne, elle me gouvernait, comme lui étant
dédiée, me reprenait de mes fautes et m'enseignait à faire la volonté
de mon Dieu...
« (Une fois guérie) je ne pensai plus qu'à chercher du plaisir, dans
la jouissance de ma liberté, sans me soucier beaucoup d'accomplir
ma promesse. Mais, ô mon Dieu, je ne savais pas alors ce que vous
14
2IO LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

m'avez fait connaître et expérimenter depuis, qui est que votre Sacré-
Cœur, m'ayant enfanté sur le Calvaire, avec tant de douleurs, la vie
que vous m'y avez donnée ne pouvait s'entretenir que par l'aliment de
la Croix, laquelle serait mon mets délicieux... D'autre part mon divin
Maître me pressait si fort de tout quitter, qu'il ne me laissait plus de
repos. Il me donna un si grand désir de me conformer à sa vie souf-
frante, que tout ce que je souffrais ne me semblait rien, ce qui me
faisait redoubler mes pénitences. Et quelquefois, me jetant aux pieds
de mon Crucifix, je lui disais : « O mon cher Sauveur, que je serais
« heureuse si vous imprimiez en moi votre image souffrante! » Et il me
répondait : « C'est ce que je prétends, pourvu que tu ne me résistes
« pas et que tu y contribues de ton côté. »

Cette vie d'union à Jésus par la compassion, commencée chez


les Clarisses à l'âge de onze ans, Marguerite Marie la continua,
chez ses parents, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, puis d'une ma-
nière de plus en plus parfaite, au couvent de la Visitation de
Paray-le-Monial, jusqu'à la mort.
C'est en récompense de cette vie de compassion menée coura-
geusement, quoique non sans défaillances, pendant quinze années,
et afin de la fortifier et de la rendre capable de la mener jusqu'à
la fin, que Jésus lui montra et lui ouvrit son Cœur pour la parfaite
vie d'union. Telle est sa loi, en effet, posée sur le Calvaire, il
n'ouvre son cœur qu'à ceux qui ont le courage de se tenir long-
temps debout sur le Calvaire, en union avec Marie, sa mère, et
saint Jean, le disciple bien-aimé.

L a v i e d'union à l a v o l o n t é du P è r e c é l e s t e . — Ce fut,
semble-t-il, à la fin de sa retraite de profession (iG;?3) que Jésus,
pour la première fois, manifesta son cœur à la Bienheureuse et
l'introduisit dans la vie d'union aux volontés de son Père.
Au sortir de la table sainte, il se montra à elle et lui dit :
« Voici la plaie de mon côté pour y faire ta demeure actuelle et
perpétuelle. C'est là que tu pourras conserver la robe d'innocence,
dont j'ai revêtu ton âme, afin que tu vives désormais de la vie d'un
Homme-Dieu, — vivre comme ne vivant plus, afin que je vive parfaite-
ment en toi, - pensant à ton corps et à tout ce qui t'arrivera comme
s'il n'était plus, — agissant comme n'agissant plus, mais moi seul en toi.
Il faut pour cela que tes puissances et tes sens demeurent ensevelis
en moi, que tu sois sourde, muette, aveugle et insensible à toutes
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARÏE 21 ï

les choses terrestres : vouloir comme ne voulant plus, sans jugement,


sans désir, sans affection et sans volonté que celle de mon plaisir,
qui doit faire toutes tes délices.
a Sois toujours disposée à me recevoir, je serai toujours prêt à me
donner à toi, parce que tu seras souvent livrée à la fureur de tes
ennemis. Mais ne crains rien, je t'environnerai de ma puissance et je
serai le prix de tes victoires- Prends garde de ne jamais ouvrir les
yeux, pour te regarder hors de moi. Qu'aimer et souffrir à l'aveugle
soit ta devise : un seul cœur, un seul amour, uu seul Dieu ! » ( i )

Il fit pour elle ce qu'il avait fait pour beaucoup de mystiques.


P a r deux fois au moins, il lui montra, d'une manière sensible,
comment il entendait l'union de son Cœur au sien.
C'était lors de la première grande a2>paritioii. Après lui avoir
dit qu'il l a choisissait pour s a grande mission, il prit son Cœur
dans s a poitrine et le mit dans le sien. Puis il le retira semblable
à une flamme ardente, en forme de cœur et le remit en place,
eu lui disant : « J u s q u ' à présent tu n'as pris que le nom de mon
esclave; j e te donne celui de la disciple bien-aimée d é m o n Sacré-
Cœur. »
Plus tard, quand J é s u s voulut donner à la Bienheureuse,
comme collaborateur, le P. de la Colombière, il le lui fit com-
prendre de la sorte : le Père disait la messe et Marguerite-Marie
s'avançait pour l a communion. L e Cœur de J é s u s brûlant de
flammes lui apparut ; deux autres cœurs étaient près de lui qui
cherchaient à s'y unir et à s'y perdre. Une voix disait : « C'est
ainsi que mon amour unit ces trois cœurs pour toujours. »

( i ) Qu'on r e m a r q u e ici l'application d e l a d o c t r i n e s u r r u n i t é d e s c œ u r s


d e l a c r é a t u r e a v e c J é s u s : « Un seul cœur, un seul amour, un seul Dieu. »
E t ce s e u l c œ u r , c'est celui de J é s u s , c a r l a c r é a t u r e doit d e v e n i r « sans
volonté que celle de son bon plaisir ». E t « c e h o n p l a i s i r » de J é s u s , c'est
« d e faire l a v o l o n t é d e s o n P è r e » , et il v e u t q u e l a c r é a t u r e l a p o u r s u i v e
a v e c l u i . C e p e n d a n t , r e m a r q u o n s - l e e n c o r e , cette analyse d u « b o n p l a i s i r d e
J é s u s » , p o u r y d é c o u v r i r et a d o r e r « le d é s i r d e s e sacrifier à l a v o l o n t é d e
s o n P è r e » , n'est p a s faite ici p a r l a B i e n h e u r e u s e . E l l e s'attache à l a v o l o n t é
d e s o n J é s u s , c e l a l u i suffit. E l l e s a i t , d u reste, q u e J é s u s et son P è r e n'ont
q u ' u n e s e u l e v o l o n t é . « Qui videt me videt et Patrem meum, q u i f a i t m a
v o l o n t é fait la v o l o n t é d e m o n P è r e , » p o u r r a i t l u i dire J é s u s , c o m m e à
P h i l i p p e . M a i s J é s u s ne le l u i dit p a s et n'attire p a s s u r ce point s o n atten-
tion. A u c œ u r d'une f e m m e , il s a i t j j u e l ' a m o u r c o n j u g a l p a r l e p l u s fort q u e
l ' a m o u r filial. A l a p i é t é féminine, il a i m e donc se p r é s e n t e r h a b i t u e l l e m e n t
comme l'époux des â m e s .
212 LA DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

Pour la Bienheureuse comme pour saint Bonaventure et tous


les mystiques, le Cœur de J é s u s est le lieu d'union de tous les
cœurs, dans l'unité d'amour.
Dans la suite de son mémoire, la Bienheureuse décrit les deux
aspects principaux sous lesquels Notre-Seigneur lui manifestait
son Cœur. Nous allons donner son récit. On y constatera que le
divin Maître empruntait exactement les deux formes tradition-
nelles, adoptées p a r la piété franciscaine pour représenter le
Sacré-Cœur ; d'un côté, J é s u s montrant lui-même son Cœur,
dans s a poitrine, comme dans la gravure du P. Laurent de
Paris ; de l'autre, le divin Cœur se manifestant seul dans un
soleil ardent ( i ) .
Voici les paroles de la Bienheureuse :

i° Le Sacré-Cœur dans un soleil, — Ce Sacré-Cœur m'était représenté


comme un soleil brillant d'une éclatante lumière, dont les rayons tout
ardents donnaient à plomb sur mon cœur, qui se sentait d'abord
embrasé d'un feu si ardent qu'il me semblait m'aller réduire en cendre,
et c'était particulièrement en ce temps-là que mon divin Maître
m'enseignait ce qu'il voulait de moi et me découvrait les secrets de cet
aimable Cœur.
2 ° Jésus montrant son Cœur. — Une fois entre autres que le Saint
Sacrement était exposé, après m'être sentie retirée toute au dedans de
moi-même par un recueillement extraordinaire de tous mes sens et
puissances, Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi tout
éclatant de gloire, avec ses cinq plaies, brillantes comme cinq soleils ;
et de cette humanité sacrée sortaient des flammes de toutes parts, mais
surtout de son adorable poitrine, qui ressemblait à une fournaise, et,
s'étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur,
qui était la vive source de ces flammes. Ce fut alors qu'il me découvrit
les merveilles inexplicables de son pur amour et jusqu'à quel excès il
l'avait porté d'aimer les hommes, dont il ne recevait que des ingrati-
tudes et méconnaissances ; « ce qui m'est beaucoup plus sensible, me
dit-il, que tout ce que j ' a i souffert en ma Passion, d'autant que s'ils me
rendaient quelque retour d'amour, j'estimerais peu tout ce que j'ai fait
pour eux, et voudrais, s'il se pouvait, en faire davantage. Mais ils n'ont
que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur
faire du bien. Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leur
ingratitude autant que tu pourras en être capable. »

(i) Voir nos gravures, et spécialement YExtase de la bienheureuse Jeanne


de Valois.
I. — I m a g e s i n s p i r é e s p a r la B i e n h e u r e u s e M a r g u e r i t e - M a r i e
ou à l'usage de la Visitation.
i ° I m a g e dessinée p a r la Bienheureuse ou sous ses yeux. —
2° I m a g e f a i t e à P a r i s . — 3 ° P a r t i e s u p é r i e u r e d ' u n t a b l e a u d e P a r a y .
— 4° P a r t i e s u p é r i e u r e d ' u n e g r a v u r e c o n f o r m e à u n t a b l e a u c o n t e m -
p o r a i n d e la B i e n h e u r e u s e . — 5°-6° C a c h e t s de la Visitation de P a r a y
e t d e B o u l o g n e - s u r - M e r . — ^ ° - 8 ° C r o i x p e c t o r a l e et c œ u r d e s a i n t e
0
C h a n t a i s u r s e s p o r t r a i t s . — o/'-io C r o i x d e s r e l i g i e u s e s d e l a V i s i -
tation.
II. — Images diverses.
I I ° I m a g e p r o v e n a n t d'un é m i g r é . — i s ° E m b l è m e d e L u t h e r ( R o s e -
Croix). — i3° Armoiries des Franciscains.
E x t r a i t d e l a Revue de l'art chrétien, 1 8 7 9 . T . I I , 1 7 1 .
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Cette dernière apparition n'est-elle p a s comme une réplique,


avec son commentaire, de l a belle gravure du P . Laurent de
Paris donnée aux âmes pieuses soixante-quinze ans auparavant ?
J é s u s semblait donc vouloir confirmer lui-même, de tout
point, la doctrine et les pratiques de la dévotion à son divin
Cœur, telles que les avaient formulées les disciples du Crucifié
de rAlverne.

L a Mission de la Bienheureuse Marguerite-Marie.

Plusieurs panégyristes de la Bienheureuse Marguerite-Marie


désireux de grandir son auréole et trop p e u renseignés sur le
dogme et l'histoire de la dévotion a u Sacré-Cœur, ont manifes-
tement exagéré son rôle. L e s uns l'ont présentée comme appor-
tant au monde une nouvelle révélation de l'amour de Dieu ; les
autres se sont contentés de dire qu'elle en avait révélé le sym-
bole si vivant, si riche, si expressif, qui est le Cœur du Christ.
Ce sont là deux erreurs, erreur dogmatique, la première ; et la
seconde, erreur historique.
Emporté p a r son admiration d'historien, Mgr Bougaud semble
bien ne s'être p a s suffisamment gardé de l a première, dans son
Histoire de la Bienheureuse Marguerite-Marie ( i ) , il écrit, en effet,
ces paroles : « L a révélation du Sacré-Cœur est, sans contredit,
la plus importante des révélations qui ont éclairé l'Eglise, après
celle de l'Incarnation et de la sainte Eucharistie. C'est le plus
grand coup de lumière depuis la Pentecôte. » E t le P. Bainvel,
dans La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus ( 2 ) : « Sans doute, l'In-
carnation, la Rédemption, tous les bienfaits de J é s u s étaient déjà
des effets d'un amour passionné et nous avaient été présentés
comme tels p a r J é s u s même, par saint J e a n , p a r saint Paul, p a r
toute la tradition chrétienne. Mais il y a dans la manifestation du
Sacre-Cœur àMarguerite-Marie,une nouvelle déclaration d'amour,
combien vive et passionnée et par là un nouvel appel à l'amour... »

(1) C h . x i v , p . 3 3 i . — (a^ P . 4o.


LA. BIENHEUREUSE MAIIGL'EIUTK-MAIUË, SA MISSION 2l5

Et il prête cette conviction à Marguerite-Marie que la dévotion


au Sacré-Cœur contient un don nouveau fait p a r le Ciel à la terre :
« Ainsi, d'après Marguerite-Marie, dit-il, le Sacré-Cœur
résume tout J é s u s ; le don du Sacré-Cœur est, pour ainsi dire,
un don nouveau, une avance nouvelle de J é s u s vers nous. On
ne saurait donner une idée plus juste ni plus grandiose de la
dévotion ( i ) . JD
Oui, le Sacré-Cœur résume tout J é s u s , c'est vrai. Mais
que la manifestation du Cœur de J é s u s à la Bienheureuse
contienne une nouvelle déclaration d'amour, ou un don nouveau,
ou une révélation nouvelle, analogue et comparable à l'Incarna-
tion, à la Rédemption, à l'Eucharistie, à l'effusion d e l à Pentecôte,
ou y ajoutant quelque chose, voilà ce qu'il ne faudrait pas dire.
L a foi y est intéressée. Tout ce que Dieu a résolu de révéler et de
donner à la terre, il Ta donné et révélé dans l'Évangile et il n'y
ajoutera rien, j u s q u ' à la grande manifestation au dernier jour.
Nous l'avons assez longuement établi, l'amour que J é s u s nous
montre dans le symbole vivant de son Cœur, c'est celui qu'il a
montré dans l'Evangile et au Calvaire. L e symbole de son Cœur
sert à nous le rappeler, plus vivement certes, mais au même titre
que la croix nue de Constantin, ou le crucifix de saint François.
Celui qui n'est pas a u courant de la mystique chrétienne et qui
lit les visions de la Bienheureuse y trouvera de quoi éclairer son
ignorance. Ce sera pour lui une révélation. Mais ce ne
sera p a s une révélation pour l'Église. Cet amour, elle l'a connu
dès l'origine, et tous les saints l'ont expérimenté à travers les
siècles.
Les P P . Lctierce et Bainvel ne nous semblent p a s s'être suffi-
samment gardés de la seconde erreur. Dans leurs livres, en eflet,
Étude sur le Sacré-Cœur et La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus^
ils déploient tous leurs efforts pour faire de l a Bienheureuse l'ini-
tiatrice, dans l'Église, de la dévotion et du culte, envers le divin
Cœur, le Cœur de chair, considéré comme le symbole de l'amour
de J é s u s , Dieu et homme.
(i) Loc. cit., p . 4i*
2l6 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

<x II reste que, dans la pensée des dévots, écrit le P. Bainvel,


dans La dévotion au Sacré-Cœur (i), la Bienheureuse Margue-
rite-Marie a été l'instrument providentiel pour faire éclore la
dévotion, pour propager le culte et obtenir la fête... Si donc les
;
révélations faites à Marguerite-Mar e étaient fausses, la fête, sans
manquer d'appui, manquerait de fondements historiques, et l'on
pourrait dire que, en fait, nous la devrions aux rêveries d'une
visionnaire. L'Eglise l'entend ainsi. »
Nous avons vu que la dévotion, le culte et la fête du Sacré-
Cœur étaient éclos et bien vivants longtemps avant la Bienheu-
reuse. Là n'a donc point été son rôle. Pour être ailleurs, il n'a
point, du reste, été moins beau ni moins efficace. Dieu s'est servi de
la Bienheureuse comme d'un instrument pour propager la dévo-
tion à son divin Cœur, spécialement dans ce milieu de la classe
laïque dirigeante, qui alors lui était devenue hostile. Qu'on relise
attentivement toutes ses visions et l'on verra que tout converge
vers cette mission.
Tout d'abord Jésus lui précise les formes pratiques, populaires,
pourrions-nous dire, sous lesquelles il désire que s'exerce cette
dévotion. Ensuite il lui désigne des auxiliaires pour sa propa-
gande : la Visitation et la Compagnie de Jésus. C'est là l'objet
précis des révélations. Le reste n'est que secondaire. Examinons
d'abord ces formes de la dévotion préconisées par la Bienheureuse.

L e v e n d r e d i c o n s a c r é au divin C œ u r . — Ce qui domine


dans les pratiques de dévotion enseignées par Marguerite-Marie,
c'est l'idée de consacrer le vendredi au Sacré-Cœur, par la com-
munion, par l'oraison et par les fêtes solennelles de la liturgie.
Et, en organisant ainsi la dévotion, elle se donne comme l'inter-
prète des désirs et volontés de Jésus.
Nous avons entendu, il y a un instant, Notre-Seigneur
demander à la Bienheureuse la compassion à ses souffrances et
la réparation pour compenser l'ingratitude des pécheurs. Mar-
guerite proteste de son impuissance. Et alors Jésus de lui dire :
(i) p . 145.
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIE, SA MISSION 21"

« Tiens, voilà de quoi suppléer à tout ce qui te manque. » Et en


même temps ce divin Cœur s'étant ouvert, il en sortit, raconte-t-elle,
une flamme si ardente que je pensai en être consumée, car j'en fus
toute pénétrée et ne pouvais plus la soutenir, lorsque je lui demandai
d'avoir pitié de ma faiblesse : « Je serai ta force, me dit-il, ne crains
rien, mais sois attentive à ma voix et à ce que je te demande pour te
disposer à l'accomplissement de mes desseins. Premièrement tu me
recevras dans le Saint Sacrement, autant que l'obéissance le voudra
permettre, quelques mortifications et humiliations qui t'en doivent
arriver, lesquelles tu dois recevoir comme des gages de mon amour.
Tu communieras de plus tous les premiers vendredis de chaque mois. »

Après et avec la Communion, Jésus lui demande l'heure


sainte, c'est-à-dire l'oraison d'affection et d'union, pour le ven-
dredi de chaque semaine.

« Et toutes les nuits du jeudi au vendredi je te ferai participer à


cette mortelle tristesse que j'ai bien voulu sentir au jardin des Olives ;
laquelle tristesse te réduira, sans que tu le puisses comprendre, à une
espèce d'agonie plus rude à supporter que la mort.
« Pour m'accompagner dans cette humble prière, que je présentai
alors à mon Père parmi toutes mes angoisses, tu te lèveras entre onze
heures et minuit, pour te prosterner pendant une heure avec moi, la
face contre terre, tant pour apaiser la divine colère, en demandant
miséricorde pour les pécheurs, que pour adoucir, en quelque façon,
l'amertume que je sentais de l'abandon de mes apôtres. »

Enfin, après avoir consacré à son divin Cœur la semaine par


l'heure sainte du vendredi, le mois par la communion du premier
vendredi, Jésus lui demanda de consacrer Tannée par une fête
solennelle, le vendredi après Voctave du Saint-Sacrement.
Cette pensée de fonder la dévotion au Sacré-Cœur par la con-
sécration d'un jour de la semaine, le vendredi, s'était déjà, depuis
longtemps, nous l'avons vu, présentée à la piété franciscaine. Et
en fait ce jour lui avait été consacré pour l'oraison et la médita-
tion de ses souffrances. C'est la consécration de cette coutume
franciscaine déjà pratiquée, sans doute, par elle, à Cbarolles, que
le Sacré-Cœur lui demandait ( i ) .
( i ) L e v e n d r e d i a p r è s l'octave d u S a i n t - S a c r e m e n t était d é j à c o n s a c r é à
l'office de l a Plaie du côté, chez les D o m i n i c a i n s . L a d e m a n d e d e Notre-Sei-
g n e u r , là encore, se m o n t r e d o n c c o n f o r m e à l ' u s a g e et à la t r a d i t i o n ecclé-
siastique.
ai8 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Gomme acte et formule spéciale de cette dévotion, Marguerite-


Marie mit en honneur la consécration ou don de soi-même et
l'amende honorable. Dans ces deux actes, il est facile de recon-
naître les deux éléments essentiels de la dévotion, telle que la
pratiqua la piété franciscaine. L'amende honorable, c'est la com-
passion et la réparation, pour les souffrances et les outrages
endurés par le Sauveur ; la consécration, c'est l'union au Cœur
de Jésus pour vivre son amour et s'immoler avec lui à la gloire
et à la volonté de son Père.
Dans sa dévotion au Sacré-Cœur, la bienheureuse Marguerite-
Marie contemple surtout son amour pour les hommes et si elle
pratique la vie d'union à la volonté de son Jésus, elle ne l'ana-
lyse pas, avons-nous dit, jusqu'à adorer, en elle, la volonté de son
Père céleste. C'est un fait que nous avons déjà remarqué chez
sainte Marguerite de Cortone et qui est assez général chez les
femmes.
De ce fait, qui tient au caractère féminin de la voyante, cer-
tains historiens ont voulu tirer une conclusion doctrinale concer-
nant la nature de la dévotion enseignée à Paray.
Dans un opuscule paru à Rouen, en i6()4> Da Dévotion au
Sacré-Cœur de Jésus, on essayait de caractériser la dévotion
partie de Paray et de la différencier de celle qu'avait enseignée et
pratiquée le P, Eudes :
« Ce mot, Cœur de Jésus, disait-on, peut s'entendre ou de la partie
adorable qui porte ce nom, ou des sentiments intérieurs de Jésus-Christ
en général, ou enfin, en particulier, de son amour pour nous. C'est dans
le second de ces trois sens que l'ont pris les auteurs de deux excellents
offices (M. Olier et le P. Eudes). Le troisième sens est ordinaire... et
c'est... en ce sens qu'on le doit prendre dans la dévotion dont nous
parlons (la dévotion de Paray) (i).

Dans son livre La Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus (2), le


P. lîainvel adopte la même thèse. Après avoir décrit les pratiques
de dévotion propagées par la bienheureuse Marguerite-Marie, il
ajoute :

(1^ BAINVEL, La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, p . 442-


(2) Loc. cit., p . 62.
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIS, SA MISSION '2l()

« Quelles que soient les pratiques, la Bienheureuse y voit surtout des


exercices d'amour. Aimer le divin Cœur qui nous aime tant et qui a
soif d'être aimé, lui rendre amour pour amour, c'est, pour elle, le fond
de la dévotion au Sacré-Cœur.
ce Pour elle, tout est dans cette réciprocité d'amour, Jésus, dans son
amour, a soif d'être aimé. L'âme qui a compris cela ne vit plus que
pour l'aimer et pour le faire aimer. »

Toute cette façon de parler n'est p a s suffisamment exacte,


parce qu'elle est incomplète. J é s u s a surtout soif de faire aimer
son Père, comme l'indique la formule de prière qu'il a laissée à
ses disciples. Certes, il veut que nous l'aimions lui-même, parce
que, de par la volonté de son Père, il est notre chef et que nous
ne pouvons aimer son Père convenablement qu'autant que nous
sommes unis à lui, comme les membres sont unis à leur chef. Et
ici le lien d'union est l'amour : qui aime J é s u s aime son Père ;
parce que qui aime J é s u s participe à l'amour dont il aime ce Père
céleste.
Cette analyse de l'amour qui est au Cœur de J é s u s et qui doit
être au nôtre, il ne faut p a s la chercher, avons-nous dit, dans les
écrits de la bienheureuse Marguerite-Marie. Cependant, sans se
l'analyser, c'est bien lui que vénère et qu'adore la pieuse Visitan-
dine. L e s textes cités suffisent à l'établir. Ne disons donc p a s
que, dans son culte, elle ne sut pas pénétrer jusqu'à l'amour du
Christ pour son P è r e ; ce serait amoindrir s a gloire et rabaisser
la dévotion de son cœur à un degré inférieur, au-dessous de ce
qui se pratiquait vulgairement autour d'elle.
Du reste, J é s u s lui-même l'avait mise à trop bonne école, pour
qu'elle se méprit sur la nature de l'amour qui brûlait en son
Cœur. Il lui avait demandé de modeler s a dévotion sur celle de
saint François. C'était lui dire de suivre la pure doctrine francis-
caine, dont elle avait puisé la tradition chez les Clarisses de
Charolles. Entendons-la raconter elle-même comment J é s u s la
plaça sous ce patronage du patriarche séraphique.
220 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

« Un jour de saint François, dit-elle (i), à mon oraison, Notre-


Seigneur me fit voir ce grand saint, revêtu d'une lumière et d'une
splendeur incompréhensibles, élevé dans un éminent degré de gloire,
au-dessus des autres saints, à cause de la conformité qu'il a eue à la
vie souffrante et pauvre de notre divin Sauveur et de l'amour qu'il
avait porté à sa sainte Passion. Aussi ce divin amour crucifié, s'impri-
mant en lui par l'impression de ses sacrées plaies, l'avait rendu un
des plus grands favoris de son Sacré-Cœur et lui avait donné un grand
pouvoir pour obtenir l'application efficace du mérite de son précieux
sang, en le rendant, en quelque sorte, distributeur de ce divin
trésor.
« Pour apaiser la justice divine irritée contre les pécheurs et prête à
les châtier, ce grand saint s'expose à cette divine colère d'un Dieu
irrité, comme un autre lui-même dedans son Fils crucifié ; et, pour
son amour, Dieu fait souvent céder la rigueur de sa justice à la douce
clémence de sa miséricorde.
« Mais c'est particulièrement pour les religieux déchus de leur régu-
larité que saint François intercède ; et c'était en leur faveur qu'il était
là prosterné et gémissait sans cesse ; et, en particulier, pour les
désordres arrivés à un Ordre qui aurait reçu de grands châtiments,
sans le secours de ce grand favori de Dieu.
« Après m'avoir montré toutes ces choses, ajoute la Bienheureuse,
le divin Epoux de mon âme me donna le grand saint pour conducteur,
comme un gage de son divin amour, pour me conduire dans les peines
et souffrances qui m'arriveront (2). »

Que le lecteur veuille bien faire cette remarque : Quand saint


François lui est donné comme guide dans sa dévotion au divin
Cœur, il lui est présenté dans l'exercice même de sa vie d'union
à Jésus s'immolant pour les pécheurs. N'est-ce pas assez signi-
ficatif ? Jésus veut faire entendre par là qu'il n'y a qu'une vraie
dévotion à son divin Cœur, celle qui ne se contente pas de
pleurer et gémir sur ses douleurs comme les filles de Jérusalem,
mais qui, avec saint François, va jusqu'au bout et s'unit à Jésus
pour porter une partie de sa Passion, c'est-à-dire pour s'immoler
à la volonté de son Père céleste.

(1) C e r t a i n s historiens fixent l a d a t e d e cette a p p a r i t i o n à l'an 1686, p e u


a v a n t l a m o r t de la B i e n h e u r e u s e . L e P. H a m o n l a fixe à l'an 1673, t o u t a u
d é b u t d e s g r a n d e s m a n i f e s t a t i o n s . C'est b i e n p l u s v r a i s e m b l a b l e . C'est a u
d é b u t p l u s encore q u ' à la fin d e s a v i e , q u e l a v o y a n t e a v a i t b e s o i n d'un
c o n d u c t e u r et d'un g u i d e .
( a ) M g r L A N G U E T , Vie et Œuvres, t. 1, p . a35-253.
L'EXPANSION D E L A DEVOTIOtf D E PARAY 221

L ' e x p a n s i o n d e l a dévotion d e P a r a y .
V i s i t a n d i n e s , J é s u i t e s et C a p u c i n s .

Nous avons v u comment J é s u s avait formé l a bienheureuse


Marguerite-Marie à la dévotion à son divin Cœur et comment il
l'avait mise à l'école de saint François, pour tout le détail des
pratiques à exercer en son honneur.
Peu de temps avant s a mort, il lui désigna les principaux
collaborateurs p a r lesquels il voulait achever de gagner le monde
au culte de son amour : la Visitation, la Compagnie de J é s u s et
le roi de F r a n c e .
C'était le 2 juillet 1688. Il apparut à la Bienheureuse accom-
pagné de la V i e r g e , de beaucoup d'anges, de saint François de
Sales, du P. de l a Colombière et de plusieurs Visitandines.
Marie, montrant le divin Cœur aux Visitandines, leur dit :
« Voilà ce divin trésor qui vous e s t particulièrement manifesté. »
E t elle ajouta que ce trésor n'était pas pour elles seules. Il faut
qu'elles « distribuent cette précieuse monnaie et qu'elles tâchent
d'en enrichir le monde » .
Puis, s'adressant au P. de l a Colombière, elle lui dit : « E t vous,
fidèle serviteur de mon divin Fils, vous avez grande part à ce
précieux trésor ; car, s'il est donné aux Filles de la Visitation de
le faire connaître, aimer et distribuer aux autres, il est réservé
aux Pères de la Compagnie d'en faire voir et connaître l'utilité et
la valeur, afin qu'on en profite, en le recevant avec le respect
et la reconnaissance dus à un si grand bienfait ( 1 ) . »
Nous avons là l'indication du rôle spécial assigné à la Visita-
tion et à l a Compagnie : propager la chère dévotion. L e milieu
où ces deux congrégations avaient alors plus d'action était la
classe dirigeante du monde laïque. Pour sauver la France, il eût
fallu l a gagner à la doctrine d'amour.

(1) B A I N V E L , La Dévotion an Sacré-Cœur, p . 33-34-


223 LA DÉVOTION AU SACUÉ-CCEUR

Mais, hélas! l a France, à cette heure de son histoire, était


gangrenée par le Jansénisme, rHumanisme et par le Gallica-
nisme. Et la classe dirigeante était précisément le foyer de ces
pernicieuses erreurs. Pour les vaincre, il eût fallu l'intervention
du grand roi, Louis XIV, et le concours de toute son autorité.
Aussi Notre-Seigneur voulut-il lui faire entendre son
appel. C'était en 1689. De nouveau, il parle à la Bienheureuse.
Il lui déclare qu'il désire « entrer avec pompe et magnifi-
cence dans la maison des princes et des rois, pour y être honoré,
autant qu'il y a été outragé, méprisé et humilié en s a Passion....
« Fais savoir, dit-il, au fils aîné de mon Sacré-Cœur,... que
comme s a naissance temporelle a été obtenue par la dévotion
aux mérites de ma sainte enfance, de même il obtiendra s a nais-
sance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu'il
fera de lui-même à mon Cœur adorable... Il veut régner dans son
palais, être peint dans ses étendards et g r a v é dans ses armes. »
Et Marguerite-Marie, au nom du Christ, demande encore « un
édifice où serait le tableau de ce divin Cœur pour y recevoir la
consécration et les hommages du roi et de toute la cour » . E t
elle ajoute que le Sacré-Cœur a choisi le roi, a comme son fidèle
ami pour faire autoriser la messe en son honneur par le Souve-
rain Pontife » . L a Visitation et la Compagnie étaient désignées
pour lui faire savoir les désirs du Sacré-Cœur.
Peu de temps après ces apparitions (1690), la Bienheureuse
quittait la terre pour le ciel. S a mission était achevée. P a r elle
J é s u s avait fixé les formes pratiques sous lesquelles il désirait
que fût honoré son divin Cœur, et il avait assigné à chacun son
rôle pour en assurer la diffusion. Si chacun s'était mis à l'œuvre
selon ses moyens, il y a tout lieu de croire que la France eût été
sauvée et que p a r elle le règne de Dieu se fût rapidement
répandu sur la terre. Mais il n'y eut point accord dans le zèle ( 1 ) .

( 1 ) O u c o n s t a t e c e p e n d a n t , eu 1697, u n effort, i n u t i l e d ' a i l l e u r s , t e n t é à


R o u i e , p o u r o b t e n i r la fête d u S a c r é - C œ u r à l a d a t e d e m a n d é e p a r la
B i e n h e u r e u s e . R o m e r e n v o y a à l ' O r d i n a i r e . Cf. B A I N V B L , p . 444~446< C i t o n s
encore l'apostolat de l a s œ u r R é m u s a t , v e r s 1720.
L* EXPANSÉ O N DE LA DEVOTION DE PAR A Y 223

On n'est pas certain que le roi ait reçu son message. Mais, en
fait, il n'en fut point tenu compte. Et, quand cent ans plus tard,
instruit par le malheur, Louis XVI voulut réparer la faute de son
grand aïeul, il était trop tard.
Si l'on s'en rapporte aux témoignages cités par le P. Bainvel,
le zèle développé par la Visitation et par la Compagnie pour
s'acquitter de leur mission, ne marqua guère d'entrain.
« D'Annecy, de la « sainte Source », écrit le P. Bainvel ( i ) ,
partait, le 14 novembre 1693, une circulaire expliquant pourquoi
l'on y refusait d'entrer « dans ces pratiques si singulières, qu'on
a introduites depuis peu pour honorer le Sacré-Cœur de Jésus...
Nous ne voulons point pour cela avoir moins de religion envers
le Sacré-Cœur ; nous le regardons toujours comme le centre de
tous nos désirs et le comble de tous nos vœux » . Ce sont donc
les pratiques nouvelles destinées à étendre le culte, que l'on
rejette, ce sont les demandes de Paray-le-Monial.
La Compagnie de Jésus n'adopta point une moindre réserve.
Quelques Pères s'employaient 'certes ardemment à promouvoir
la cause, mais l'autorité était loin de les encourager (2).
En 1696, le P. Croiset, l'un des confidents de Paray, reçut un
avertissement du Général de la Compagnie, le P. Gonzalès, disant
« qu'il craignait que le Père ne fût tourné aux opinions singu-
lières » et retranchant les pratiques contraires aux usages.
En 1697, un autre Père, qu'on croit être le P. de Galliffet, un
autre confident de Paray, présenta à l'approbation un ouvrage
visant, croit-on, la dévotion avec fête universelle et office. Les
examinateurs de l'Ordre louèrent l'ouvrage « écrit avec science et
talent, on ne peut plus apte à promouvoir la dévotion et le culte
du Sacré-Cœur » . Mais ils furent d'avis qu'on ne l'imprimât
point (3).
Et comme quelques Pères s'étaient entremis pour obtenir la
fête, en faveur de la Visitation, ils ajoutaient : « Nous souhaitons

(1) La Dévotion au Sacré-Cœur, p.


(2) B A I N V E L . loc. cit., p. 4^9-
(3) B A I N V E L , loc. cit., p. 44^*
LA DÉVOTION AU SACUE-GŒUR

que les nôtres ne s'emploient plus à patronner l a cause du Sacré-


Cœur en cour de Rome, et surtout que votre Paternité n'inter-
vienne pas pour obtenir que la fête avec l a messe et l'office
propre du Sacré-Cœur soient accordés à toute l'Eglise ; particu-
lièrement en un temps où les dévotions nouvelles pullulent de
toutes parts et sont écartées impitoyablement par la sainte
Eglise ( i ) . »
« L a Compagnie en corps, écrit le P. Bainvel (a), ne devait
faire acte de consécration au Sacré-Cœur qu'au temps de L a u -
rent Ricci, quand les malheurs, fondant sur elle de toutes parts,
elle n'avait plus d'espoir que dans ce Sacré-Cœur. »
On ne vit donc point dans l a Compagnie refleurir la belle
e
ardeur des premières années du x v n siècle. L'image même du
Sacré-Cœur disparut de plus en plus des frontispices et
vignettes, où autrefois elle obtenait la place d'honneur.

Cependant la famille franciscaine continuait à progresser dans


sa dévotion au S a c r é - C œ u r . Elle s'était, avons-nous dit, fait la
propagatrice des confréries en son honneur. D e l'an 1695 à l'an
i^4°> le P. Henri de Grèzes (3) en énumère soixante-dix-sept
établies dans ses monastères.
E n 1730, les Capucines de Tours, encouragées par le provincial
des Capucins, firent un tableau du Sacré-Cœur. E n 1737, pour le
centenaire de leur établissement, elles font l'amende honorable
au Très-Saint Sacrement et au Sacré-Cœur de J é s u s , la corde au
cou et un cierge à la main (4)*
C'était donc bien la dévotion de P a r a y qu'on avait adoptée
dans ce monastère.
Les Capucins continuaient, avec entrain, la propagande par
l'image, telle que nous l'avons vue s'exercer, dans la famille
e
franciscaine, depuis le x v siècle. L e P è r e Joseph-Marie de

(1) B A I N V E L , loc. cit., p. 44&


( a i B A I N V E L , loc. cit., p. t$$.
(3) Le Sacré-Cœur de Jésus (Etudes franciscaines, p . 368 - 3 J I ) .
( 4 ) Loc. cit., p . 375.
SAINTE VERONIQUE DE GIULIAN1 225

Saint-Etienne (f 1707), raconte la Chronique, fit imprimer


d'innombrables images du S a c r é - C œ u r . Il les distribuait au
peuple et beaucoup de personnes se trouvèrent guéries, p a r leur
vertu, de maladies même fort g r a v e s ( 1 ) .
L e Père Léon de Saint-Alban (1641-1726) pratiquait dans le
Midi la même méthode de propagande avec le même succès.
Les écrivains et mystiques des trois Ordres témoignaient, de
leur côté, une grande dévotion au Sacré-Cœur. Citons, parmi les
auteurs spirituels, le Père Archange, du Tiers Ordre, dans son
livre L'Esprit de l'Evangile* le Père Bernardin de Picquigny
(1G33-1709), saint Léonard de Port Maurice, le célèbre Père Am-
broise de Lombez, qui lui consacrèrent des pages éloquentes et
enflammées.
Mais au-dessus de tous se distingua sainte Véronique de G i u -
liani, capucine italienne ( 1 6 6 1 - 1 7 2 7 ) .
Véronique n'avait que quatre ans quand mourut sa mère,
laissant, après elle, cinq petites filles. Pleine de foi, sur son lit
de mort, cette sainte chrétienne consacra chacune d'elles à Tune
des Cinq Plaies de Notre Seigneur; et Véronique eut pour sa part
la plaie du côté. Depuis ce jour, jusqu'à la fin de s a vie, elle ne
voulut plus d'autre asile que le Cœur du divin Maître.
A dix sept ans, elle entra chez les Capucines de Gittà di Cas-
tello, où elle eut beaucoup à souffrir en son corps et en son âme.
Elle souffrit en union avec le divin Cœur, et celui-ci, après seize
ans d'épreuves, voulut bien se manifester à elle (1694).
J é s u s , en effet, lui apparut avec toutes ses plaies. Mais,
par son éclat, la plaie du côté surpassait toutes les autres et
elle contenait un beau diamant que J é s u s contemplait avec
amour. E t le bon Maître lui dit que ce diamant, c'étaient les
souffrances qu'elle avait endurées pour son amour.
« Chaque fois, lui dit-il, que tu protestais ne vouloir autre
chose que ma volonté, tu ajoutais un ornement à mes plaies.
D e toutes tes souffrances, j ' a i formé ce j o y a u que j e garde dans
mon Cœur, »
(1) Loc, cit., p. 34a.
326 XA DEVOTION" AU SACRÉ*CŒUR

Ces paroles embrasèrent la sainte du désir de souffrir


davantage encore. « Oui, j e veux être crucifiée avec vous,
répondit-elle ; faites-moi souffrir tout ce que vous avez souffert
pour m o i ; cependant j e m'abandonne à votre bon plaisir. »
L a nuit de Noël 1696, avec un canif, elle trace sur son cœur
une croix de sang ; et, avec le sang qui coule, elle écrit une
protestation de fidélité, où elle déclare ne vouloir que la
volonté de son J é s u s : « Vous m'avez dit que les amants de
la croix sont seuls admis dans le secret de votre Cœur. Or,
par cette protestation écrite avec mon sang, j e me déchire
amante de la croix. »

Le jour de Pâques 1698, le Sauveur lui apparut encore. Il lui prit


son Cœur, l'ôta de sa poitrine et le lui présentant :
— Dis-moi, lui demanda-t-il, à qui est ce Cœur?
— A vous, Seigneur, répondit Véronique.
— A qui est ce Cœur ? répéta Jésus.
— A vous, Seigneur, répondit encore la sainte.
— A qui est ce Cœur ? demanda une troisième fois le Sauveur.
— A vous, Seigneur, à vous seul, protesta l'humble capucine.
— Eh bien, dit le Seigneur, puisque ce Cœur est à moi, je veux le
placer où il doit être.
Elargissant alors la blessure de son côté et découvrant son divin
Cœur aux regards émerveillés de sa fidèle servante, il y plongea son
cœur.

Gomme il avait fait pour saint François, J é s u s voulut décorer


la pieuse amante de son Cœur de ses sacrés stigmates. A Noël
1696, elle reçut le stigmate du côté et le 29 mars suivant les stig-
mates des pieds et des mains.

<r Le jour de Noël, raconte-t-elle, comme je priais, le divin Enfant


parut devant moi. Il tenait à la main un dard, semblable à une baguette
d'or, ayant, à une de ses extrémités, un jet de flamme, à l'autre un fer
aigu pareil à celui d'une lance. Sur son Cœur, il posa le jet enflammé ;
sur mon cœur il appuya le fer de la lance. J e sentis alors une douleur
véhémente, comme si mon cœur était transpercé d'outre en outre.
J'ouvris les yeux, le dard avait disparu des mains du divin Enfant...
Ayant repris possession de moi-même, il me sembla que j'avais une
plaie au côté ; mais je n'osais y jeter les yeux pour m'en assurer. J'y
appliquai pourtant un linge et je le retirai tout imprégné de sang frais ;
j'éprouvai en même temps une douleur cuisante. Huit jours plus tard,
LE VQttJ Ï)Ë LA R E t N E '2 2*

Gravure commémorative de la décision du Clergé de France relative


à la fête du Sacré-Cœur en i?65. (Extrait de VArt Chrétien, 1 8 7 9 , p. 464-)
LA DEVOTION A.U SACRÉ-CŒUR

l'obéissance m'imposa de m'assurer par le regard de la réalité de cette


plaie. J'obéis ; et je vis, en effet, à mon côté, une plaie béante, telle
qu'aurait pu la faire une large lame de couteau. Par l'ouverture on
voyait au dedans la chair vive et saignante» Que tout ceci soit à la
gloire de Dieu ( i ) . »

Pendant ce temps, la France, livrée aux jansénistes, aux


gallicans et aux philosophes, s'éloignait de plus en plus du
Christ et de son amour. Ces erreurs sapaient les bases de l'autel
et du trône, qui se trouvèrent ébranlés par de terribles commo-
tions. Dans cette suprême détresse le clergé séculier et le roi, ou
du moins la reine, comprirent enfin qu'il ne fallait pas fermer les
oreilles plus longtemps aux sollicitations du Sacré-Cœur.
L e 17 juillet 1760, les archevêques et évoques de la nation se
trouvaient réunis en assemblée générale.
L'archevêque de Reims, qui présidait, leur communiqua les
désirs de la reine Marie Leczinska, demandant qu'ils voulussent
bien établir, dans tous les diocèses du royaume, où ils ne Tétaient
pas encore, la dévotion et l'office du Sacré-Cœur.
L a demande plut à l'assemblée, qui émit un avis favorable ; et,
avant de se séparer, ils rédigèrent une lettre collective à tous les
évêques de F r a n c e restés dans leurs diocèses, les invitant à
établir chez eux cette dévotion et cet office.
Cent ans plus tard, 23 août 1806, Pie I X rendait la fête du
Sacré-Cœur obligatoire pour l'Eglise universelle. Il avait pris
cette résolution à l a demande de l'épiscopat français.
Certes, ni en 1760 ni en 1806, ces solennels témoignages de
confiance et de dévotion au divin Cœur n'ont arrêté les terribles
fléaux qui menaçaient alors la France catholique et l'Eglise
entière. Mais ils ont obtenu ceci : c'est que ces fléaux ne seraient
point des instruments de mort, mais qu'ils deviendraient des
principes de résurrection à une vie chrétienne plus haute, plus
intense et plus divine. L e déluge de 1789-1800 guérit la France
de la plaie du gallicanisme et du jansénisme qui semblait mortelle.
L e déluge de 1870-1905 la guérira de la plaie non moins hideuse

(1) P . HENRI DE G R È Z E S , Le Sacré-Cœur de Jésus, Etudes franciscaines,


p a g e s 35a e t s u i v a n t e s .
LE CŒUR EUCHARISTIQUE D E J É S U S 229

du libéralisme et de l'anticléricalisme qui l a rongent jusqu'aux


moelles. L e s signes d'une véritable renaissance sont déjà ma-
nifestes ; daigne le ciel hâter l'entier épanouissement de la vie
chrétienne rendue à la F r a n c e .

LE CŒUR EUCHARISTIQUE DE JÉSUS


La dévotion au Cœur Eucharistique de J é s u s tend à s'intro-
duire et à se propager depuis quelques années. Elle n'est pas
chose nouvelle. Elle a une tradition fort ancienne, que nous
voulons rappeler, avant de clore notre travail.
La signification donnée vulgairement aujourd'hui au Cœur
Eucharistique de Jésus n'est certes pas substantiellement diffé-
rente du sens traditionnel. C'est toujours le Sacré-Cœur dans
ses rapports avec l'Eucharistie que l'on y adore. Cependant, si
Ton en j u g e p a r l'exposé qu'en font certaines notices (i), les
rapports envisagés ne seraient pas absolument les mômes
qu'autrefois.
Aujourd'hui l a dévotion tend à vénérer le Sacré-Cœur dans
l'Eucharistie, parce que l'Eucharistie est le lieu de s a résidence
parmi nous, le don par excellence qu'il a fait à la terre et son

(1) V o i c i en q u e l s t e r m e s l a Revue de VArchiconfrêrie du Cœur Eucharis-


tique de Jésus e x p o s e l'objet d e l ' Œ u v r e , d a n s c h a c u n d e s e s bulletins :
« L a d é v o t i o n a u C œ u r E u c h a r i s t i q u e d e J é s u s a p o u r o b j e t d'honorer d'un
culte s p é c i a l d ' a m o u r , d e r e c o n n a i s s a n c e et d e r é p a r a t i o n Pacte de d i l c e l i o n
s u p r ê m e , p a r l e q u e l le C œ u r très a i m a n t d e J é s u s i n s t i t u a l ' a d o r a b l e S a c r e -
m e n t d e l E u c h a r i s t i e p o u r demeurer arec nozzs Jusqu'à la consommation
des siècles. C'est d o n c l a d é v o t i o n a u Coeur de J é s u s n o u s d o n n a n t l ' E u c h a -
r i s t i e , le p l u s g r a n d d e s e s d o n s , et s e d o n n a n t l u i - m ê m e d a n s l ' E u c h a r i s t i e .
Et, p u i s q u ' i l d e m e u r e d a n s cet a u g u s t e S a c r e m e n t p r è s d e n o u s et p o u r
n o u s , il e s t b i e n j u s t e q u e n o u s l u i r e n d i o n s n o s h o m m a g e s a u l i e u m ê m e
où il r é s i d e . »
I,A DÉVOTION AU SACRE-CŒUR

centre d'action sanctificatrice. Certes, l'idée de Sacrifice n'en est


pas absente, mais on n'y insiste pas ; et, comme nous l'avons
remarqué pour certaine forme de la dévotion au Sacré-Cœur, on
la laisse au second plan.
Autrefois, au contraire, la dévotion insistait tout d'abord et
presque exclusivement sur les rapports de l'Eucharistie avec
le Cœur de Jésus, envisagé dans l'acte même de son Sacrifice au
Calvaire. A ses yeux, l'Eucharistie n'était, pour ainsi dire, que
le sang du Cœur de Jésus, répandu sur la Croix, et par qui les
âmes sont purifiées et nourries. On n'ignorait certes pas le
mystère de Jésus considéré comme résidant simplement dans
l'Eucharistie, mais on préférait l'y adorer dans sa fonction
précise de victime qui continue son sacrifice et qui en fait Vappli-
cation aux âmes (i). Nous allons suivre l'expression de cette
doctrine à travers les siècles, spécialement dans l'image.

Doctrinalement, comme nous l'avons dit, l'attention spéciale,


donnée par les âmes dévotes aux rapports de l'Eucharistie et
ft
du Sacré-Cœur, se trouve affirmée, dès le xm siècle, dans
Y Arbor vitœ crucifixœ. Ubertin de Casale y a fixé ces rapports,
dans son style si vivant et si expressif. Rappelons ses paroles :
« Tout sacrifice visible est le sacrement, c'est-à-dire le signe
sacré d'un sacrifice invisible. Ainsi le sacrifice ineffable que le
Christ fait de lui-même tant dans Vauguste mystère de nos autels
que sur l'autel de la Croix, est le signe du sacrifice invisible qu'il
fait continuellement de lui-même dans le temple immense de son
Cœur. »
Le Cœur de Jésus est donc le principe et l'origine du sacrifice
sanglant du Calvaire, par lequel nous avons été rachetés, et du
sacrifice eucharistique de l'autel, par lequel la rédemption est
appliquée à nos âmes. C'est, sous une forme plus mystique, la

( i ) C'est p e u t - ê t r e p o u r cette r a i s o n q u e la S a c r é e C o n g r é g a t i o n a rejeté


les i m a g e s r e p r é s e n t a n t le S a c r é - C œ u r d a n s l ' E u c h a r i s t i e . J é s u s est d a n s
l ' E u c h a r i s t i e a v a n t t o u t s o u s la forme d ' i m m o l a t i o n : hoc facile in meam
commemorationem, in memoviam passionis, j'esurrectionis et ascensionis,
interprète le C a n o n d e l a M e s s e ; et ces i m a g e s d u S a c r é - C œ u r n ' a v a i e n t p a s
cette forme d u Sacrifice, en q u i s e u l est le p r i n c i p e de la r é s u r r e c t i o n et
d e l a glorification.
L E CŒUR EUCHARISTIQUE DE J É S U S

doctrine traditionnelle formulée p a r saint J e a n Chrysostome et


répétée p a r saint Bonaventure : D u Cœur transpercé de J é s u s
sortit l'eau et le sang et, avec eux les sacrements, d'où naquit
l'Église.
Sainte Àngèle de Foligno, au commencement de s a conversion,
apprit, à l'école de J é s u s , à mettre en pratique cette vérité de la
mystique alors régnante. Elle demandait à Dieu la grâce de
conserver toujours la mémoire de la Passion.
« Comme je persévérais dans cette demande, raconte-t-elle ( i ) ,
il m'arriva un songe, dans lequel me fut montré le Cœur du Christ,
et il me fut dit : « Dans ce Cœur il n'y a pas de mensonge, mais tout
« est vérité. » Il me sembla que cela m'arrivait, parce que j'avais fait
des railleries au sujet d'un prédicateur.
« Donc une fois que je me tenais en prière et que j'étais pleinement
éveillée, le Christ m'apparut d'une façon plus manifeste et se fit mieux
connaître à moi. Il m'appela et il me dit de placer ma bouche sur la
plaie de son côté. 11 me sembla que je l'y appliquais et que je buvais '
le sang qui en coulait et il me'fut donné de comprendre que j'étais
purifiée dans ce sang. C'est là que je commençai à ressentir une grande
consolation, »

Toute la fin du moyen âge et depuis lors, les mystiques ont


vécu de cette foi au sang du Christ, sorti de la plaie de son
Cœur, et purifiant, consolant, nourrissant les âmes par l'Eucha-
ristie. Nous allons voir l'iconographie traduire cette doctrine sous
les formes les plus diverses et les plus ingénieuses. Mais, avant
de présenter ces saintes images, écoutons le célèbre P . J o s e p h
se faire, au x v i r siècle, l'écho de la Vierge de Foligno. A ses yeux,
le sang qui sort du Cœur de J é s u s est le sang avec lequel J é s u s
écrivit, sur le parchemin de son corps, le Testament qui nous établit
héritiers de son royaume, et l'Eucharistie, en nous offrant la
communion à son corps, nous fait entrer en possession de çe
testament et de notre héritage. Écoutons s e s paroles :
a Ceci est mon corps, écrit-il, en expliquant le mystère de l'Eucha-
ristie ( 2 ) , cela est le calice de mon sang, du Nouveau Testament, lequel
est répandu pour vous et pour plusieurs en la rémission des pécheurs. »
(Ce qu'il a fait) par ces paroles : « Voilà le sang de mon alliance qui
a été épanché, non une goutte par chicheté, mais toute la bouteille et
(1) BOLL., Jan.
} I , 189. — (a) Les dix jours, p p . 334, 335.
LA DEVOTION AU SACRÉ-CŒUR

la fiole a été renversée, car le coup de lance qui pénétra jusqu'au


Cœur en fit tout sortir, comme dit saint Jean : Et continuo exivit sanguis
et aqua. Le côté étant percé, le sang et l'eau en sortirent pour
rémission de nos péchés. Ce Testament de Jésus est écrit de son sang
qui est le plus grand témoignage d'amour qu'ait pu inventer le
Sauveur. »

Pour le P. J o s e p h , le sang qui scella le Testament Eucharis-


tique, c'est donc bien le sang du Cœur de J é s u s ; et c'est le sang
de ce Cœur qui lui donna s a valeur. E n conséquence, toute la
valeur de l'Eucharistie découle de ce divin Cœur transpercé sur
la Groix et elle est fondée totalement sur Pacte de son sacrifice.

Une des formes les plus anciennes sous lesquelles l'icono-


graphie traduisit aux yeux des fidèles cette doctrine de la dépen-
dance de l'Eucharistie vis-à-vis de la plaie du Cœur fut ce qu'on
appela la Messe de Saint Grégoire.
Saint Grégoire est à l'autel et dit la messe, il en est à la consé-
cration et se prosterne dans la génuflexion qui suit la consécration
du calice. Alors devant lui, au fond de l'autel, apparaît le Christ
de pitié, c'est-à-dire le Christ nu avec toutes ses plaies saignantes,
entouré de tous les instruments de sa Passion et s'élevant du
tombeau. De la plaie du côté sort un jet de sang qui remplit le
calice.
Cette représentation de la Passion, imaginée au moyen â g e ,
concrétisait merveilleusement aux yeux des fidèles le drame
eucharistique et fixait son exacte dépendance j)ar rapport au
sacrifice du Calvaire ( i ) . C'est pour cela qu'elle jouit durant
les xv° et xvi° siècles d'une vogue considérable et clic donna

( i ) E l l e était a u s s i l e c o m m e n t a i r e d e VAve veram corpus natum... Cajun


latus perforatum Jluxit aqiia et sanguine. « S a l u t v r a i c o r p s d u C h r i s t . . . d o n t
le côté t r a n s p e r c é r é p a n d i t l'eau et le s a n g . » U n l i v r e d'heures d u x v ° s i è c l e
d i t qu'il f a u t réciter cette h y m n e a u m o m e n t d e l'élévation. Cf. B A R B I E R UE
M O N T A U L T , Histoire monumentale, la Messe de Saint Grégoire ou l'apparition
du Christ de pitié, d'après la tapisserie du musée de Nuremberg. D a n s cette
t a p i s s e r i e , on v o i t n e t t e m e n t l e s a n g d u C œ u r j a i l l i s s a n t d a n s le calice. C'est
u n détail important pour le sens mystique. Cependant, b e a u c o u p de g r a v u r e s
o m e t t e n t ce t r a i t c a r a c t é r i s t i q u e .
L E CŒUR EUCHARISTIQUE D E J É S U S 233

naissance aux messes grégoriennes si recherchées à cause de


leurs célèbres indulgences Ci).
L e s Franciscains apparaissent comme les principaux propaga-
teurs de cette image de la messe grégorienne, dite aussi du Christ
de pitié. Ils la choisirent pour former Técusson des monts de
piété ou de pitié; et elle forma le sceau de leur province des Phi-
lippines dénommée province de Saint-Grégoire.
L a gravure que nous donnons ci-contre est de 1470-1490.
Elle n'a p a s besoin de commentaire. L'image de Dieu le Père
domine toute la scène. L e Christ, les mains et les pieds détachés,
se tient debout p r è s de la croix. L e Saint-Esprit, sous forme
d'une colombe, couvre de ses ailes le double mystère du s a n g
qui sort du côté transpercé et du calice duquel émerge l'hostie.
Des hosties, comme flocons de neige, sortent du côté entr'ouvert,
tombent dans la cuve de pierre en forme de T, le pressoir,
torcular, se changent en sang et vont arroser les âmes du
Purgatoire et les pécheurs. L'inscription porte : « O bon J é s u s ,
vous êtes la vraie fontaine de vie, qui a r r o s a toute la terre et
l'enivra et vous nous avez rachetés p a r votre sang (2). »
En Angleterre, L a d y Eustlake a signalé et reproduit une
3
gravure analogue du xvr siècle * Notre-Seigneur en croix ; de
la plaie du côté (3) jaillit un flot de sang recueilli par l'Eglise
et dans lequel se dessine une hostie.

Plus ancienne encore est une gravure non moins intéressante


du Pater noster en image conservée à la Bibliothèque Nationale

(1) L e s H e u r e s à l ' u s a g e d e P o i t i e r s d e 1491 d i s e n t : « M g r s a i n t G r é g o i r e . . .


c o n s i d é r a n t q u e t o u t e l'efficace d e l a r é m i s s i o n d e s p é c h é s p r o c é d a i t d u
m é r i t e d e l a P a s s i o n d o n n a 14.000 a n s d e v r a y p a r d o n à t o u s v r a i s confez et
r e p e n t a n s q u i , l e s g e n o u x fléchis e n t e r r e d e v a n t l a r e p r é s e n t a t i o n d e l a
benoîte P a s s i o n , d i r o n t s e p t Pater e t Ave,... » I l s ' a g i t peut-être d e G r é -
g o i r e X I I (1370-1378) o u d e G r é g o i r e X I I I (1406-1417), s o u s q u i s e m b l e a v o i r
c o m m e n c é le culte d e c e s i m a g e s . P l u s t a r d , l a l é g e n d e s e m b l e en a v o i r
r e p o r t é l'origine à s a i n t G r é g o i r e l e G r a n d .
(2) Cette g r a v u r e doit être r a p p r o c h é e d e celle d e M u n i c h (Collection
Heitz, T . I I , n ° 16) d a t é e de i493 et q u i r e p r é s e n t e Je C h r i s t a u p r e s s o i r .
J é s u s foule le r a i s i n d a n s l a c u v e d u p r e s s o i r , en d i s a n t : « Torcular calcavi
soins, S e u l j e foule le p r e s s o i r . » L e s a n g sort d a n s u n calice. L a g r a v u r e
r e p r o d u i t e ci-contre e s t c o n s e r v é e a u m u s é e d e B â l e et tirée d e M a j o r , collec-
tion Heitz, X I , N ° 6.
(3) History of Our Lord, T . I I , p . a o i .
L E CCEUK EUCHARISTIQUE DE J É S U S a3f>

de Paris ol qu'on date de I425-I45O. A la cinquième demande,


Dimitte nobis, est représenté le Christ debout et nu. De son côté
ouvert sort un fleuve de sang qui va se déverser dans un bassin
rectangulaire où le peuple vient puiser avec des calices. E n haut
du tableau Dieu, le Père contemple et dit : Calix meus inebrians
quam prœclarns est. Qu'il est beau mon calice enivrant !
Une autre édition ( i ) ajoute : Exemplum dedi vobis... J e vous
ai donné l'exemple, faites comme moi.
D a n s cette même édition, le Christ dit : « Haurite de fonte
sanguinis mei, puisez à la fontaine de mon sang. »
L a première figure à droite, en haut, portant le v a s e à par-
fums de Madeleine, s'appelle pieias, la piété ; les deux autres se
nomment caritas, la charité.
A gauche, au premier plan, le moine, dans cette autre édition
s'appelle frater, il représente tous les chrétiens, et l'ange s'appelle
oratio, il personnifie la prière.
Deux frères et une sœur à droite tendent leur calice, en
disant : « In multis offendimus omnes. E n maintes occasions nous
péchons tous. » Ils s'appellent : Commission, rémission, omission,
et ils personnifient le péché.
A u centre, deux sœurs et un frère puisent, à la fontaine do
miséricorde, le sang du Christ qui lave les âmes de leurs péchés.
C'est cette même idée du Cœur Eucharistique que traduisent
J
les nombreuses gravures et images des xv' et xvt' siècles qui
représentent le sang du Côté et aussi des autres plaies recueilli
dans un calice. L e calice signifie ici le sacrifice de l'autel et
l'Eucharistie, qui s'alimente au sang du Cœur de J é s u s , répandu
p a r toutes ses plaies. Une gravure conservée à la Bibliothèque
royale de B a m b e r g (i&o) ne laisse p a s de doute à ce sujet. Elle
représente le crucifiement. Des mains recueillent le s a n g des cinq
plaies dans des calices, et le sang s'y transforme en hosties (2).
(
A cette époque du xv " siècle, les artistes affectionnent de

( 1 ) Cf. Offieium super Pater noster B . N. édition A d a m P i l i n s k i .


(a) Collection Heitz, Kon.Bîbl, Bamberg, T . I , p l . i j . — V o i r a u s s i Gravures
sur bois des anciens Maîtres allemands, p u r B K C K K R (1808). La Crucifixion
de Durer,
236 LA DÉVOTION AU SACRK-CCEUR

L a Fontaine de vie ou de miséricorde

L é g e n d e q u i s e lit a u b a s d e l a g r a v u r e
« P a r d o n n e z - n o u s n o s offenses, c o m m e n o u s p a r d o n n o n s à c e u x q u i
n o u s ont offensés. »

R e m a r q u e z qu'il y a trois s o r t e s d'offenses d a n s l e s q u e l l e s t o m b e n t


l e s (ils d e l a g r â c e : l e p é c h é d e c o m m i s s i o n , p a r c e q u ' i l s n ' a i m e n t
p a s D i e u d e tout leur c œ u r ; le p é c h é d'omission, p a r c e qu'ils n e
l'aiment p a s d e toute leur â m e ; le p é c h é d e r é m i s s i o n , p a r c e qu'ils
n e l'aiment p a s d e tout l e u r e s p r i t . P o u r t o u t e s c e s offenses, priez, aiin
q u e D i e u v o u s l e s p a r d o n n e , à v o u s e t à v o s f r è r e s . Et dimitte nobis...
Ce texte s e lit s u r l'édition d e l a B . N., r e p r o d u i t e p a r A d a m P i l i n s k i .
L E CŒUIt EUCHARISTIQUE r>E JÉSUS 23j

peindre la scène du Calvaire, dans l'acte de l'ouverture du Côté


p a r le coup de lance. L a Biblia pauperum (1440-1450) s'est
chargée de nous faire connaître le sens mystique qu'on y atta-
chait. Il a trait à la même idée, que nous exposons.
t!
L e a4 tableau représente la crucifixion, au moment du coup
de lance. Des scènes juxtaposées rappellent les ligures de l'Ancien
Testament qui s'y rapportent : c'est, à gauche, E v e sortant du
côté d'Adam, et, à droite, Moïse frappant le rocher. Cela
signifie clairement que du côté du Cœur ouvert du Sauveur est
née l'Église et sont sortis les Sacrements et le plus grand de
tous, l'Eucharistie ( i ) .
A la même époque, comme scène caractéristique de la
Résurrection, les artistes choisissent, avec une préférence
marquée, l'apôtre Thomas mettant sa main dans la plaie du
côté, et, dans ce geste, trouvant la force de confesser s a foi :
Dominus meus et Deus meus. C'est toujours la même idée
mystique : du Cœur de J é s u s ouvert p a r l a lance sort la foi et
la vie pour les âmes.

L a Réforme, pour ces images du Cœur eucharistique, comme


pour les autres images du Sacré-Cœur, marqua .un point d'arrêt
ou même de recul. Cependant elles ne disparurent p a s entière-
ment et l'on chercha, de divers côtés, à leur donner une forme
moins matérielle et plus artistique. L e frontispice, que nous
donnons ci-après, en est un bel exemple. L e Christ, la Sagesse, a
bâti un palais, dressé s a table pour le festin. Il a immolé la vic-
time et mélangé le vin (2). Il a envoyé chercher les convives. L a
pierre fondamentale de tout l'édifice montre un calice dans un
cœur. C'est toujours l'idée du cœur eucharistique, d'où sort
l'aliment des âmes. Mais, comme il est facile de le remarquer
ici, les artistes, guidés p a r l a pure doctrine traditionnelle, n'ont

(1) L a collection Heitz p r é s e n t e cette scène d a n s les v o l u m e s c o n s a c r é s


à V e n i s e ( n ° i 3 ) , à l a Biblia pauperum, à B e r l i n (1430-1440), à M u n i c h , etc.
(2) Prov., ix.
2 38 LA DEVOTION AtJ SACHE-CCEUR

Frontispice du livre du P. Antoine Serpensi des FF. MM. de la


Stricte Observance (Portugal), par Ladame, vers i65o.

Les figures eucharistiques à travers VAncien Testament.


i° Au centre : la Sagesse a dressé la table et préparé le festin.
2° A gauche : a) Dieu créant la lumière qui est le calice
eucharistique ;
b) formant l'homme à sou image par le s'acrement de son Corps ;
c) le nourrissant des fruits du Paradis.
3° A droite : a) le sacrifice de Melchisedech ;
b) l'arche de Noé ;
c) le sacrifice d'Abel.
4° Dans les fondements de Védifice : le calice et l'hostie dans
un cœur (ie Cœur de Jésus).
LE CCEUR EUCHARISTIQUE DE J^SUS 2%

jamais l'idée de peindre le Sacré-Cœur dans l'hostie, mais bien


l'hostie, le calice dans le divin Cœur.
p 6
Aux x v n et x v i u siècles, la mystique franciscaine développa
encore la doctrine du Cœur eucharistique, dans un sens un peu
différent, mais fondé sur la même foi, et qu'on pourrait appeler
le Cœur eucharistique de Marie. C'est là une expression nouvelle
peut-être, mais l'usage d'attribuer à Marie et môme a u x simples
chrétiens les expressions qui conviennent à J é s u s date de la
première origine de l'Eglise. J é s u s y était appelé piscis, le
céleste poisson, ï/fiiç ( i ) , et Tertullien appelait les chrétiens des
piscîcali, de petits poissons.
L'image ci-contre représente ceci : Marie, au Ciel, porte,
dans son cœur, l'hostie sainte ; et une Clarisse capucine, la
Bienheureureuse Marie-Madeleine Martinengo, l'adore, à genoux,
comme dans un ostensoir vivant et glorieux ( 2 ) .
L'idée qui s'en dégage est facile à interpréter : le cœur de
Marie vit avec J é s u s son sacrifice du Calvaire et son sacrifice
eucharistique, et, pour le vivre plus entièrement, il garde,
au dedans de lui-même, la sainte Hostie, p a r qui nous parti-
cipons au sacrifice du Sauveur, à sa mort et à s a vie glorifiée.

En 1 7 7 1 , le jour de l'Invention de la Sainte Croix, eut lieu, au


Cotisée, à Rome, une messe où communièrent des milliers de
personnes d'une pieuse association. On leur distribua une médaille
ainsi composée. :
Sur la face antérieure^au milieu, une croix ; au-dessus de ses
branches deux cœurs, celui de J é s u s , celui de Marie ; au-dessous
les armoiries de Benoît X I V , fondateur de l'Association, avec
ces mots : Benedicto XIV fandatore.

(1) C'est-à-dire J é s u s - C h r i s t , fils d e Dieu, s a u v e u r , 'IVJTOUÇ XptffToç Wsoîi

(a) Cette i m a g e r a p p e l l e u n e vision m y s t i q u e d e l a B i e n h e u r e u s e . Elle


fut éditée eu 1901, l o r s d e s l'êtes d e s a béatification, à P a r i s .
La Bienheureuse Marie-Madeleine Martinengo
adorant l'hostie dans le cœur de la Sainte Vierge.
L E CŒUR EUCHARISTIQUE D E J É S U S

Au revers, Dieu le Père et une colombe sur son sein, figurant


le Saint-Esprit ; en dessous le calice surmonté de l'hostie, placé
sur un autel qui portait cette inscription Clémente XIV protectore.
S u r la tranche on lisait Se dédît in cibum in amphi-
theatro Flavi.
Au milieu de l'amphithéâtre, à une grande croix, on avait
appendu un tableau représentant Notre-Seigneur, la poitrine
découverte. De la x>laie du côté jaillissaient d'innombrables par-
celles eucharistiques, et Tune d'elles allait se reposer sur l a bouche
d'une religieuse placée à droite (1).
A . Rome, à l a fin du x v n r siècle, on était donc revenu tout à
e
fait aux anciennes traditions iconographiques du x v siècle et à
l'antique foi et piété du moyen âge. L e s Jansénistes et les
Philosophes hurlèrent de dépit et crièrent a u scandale ; « Nous ne
voulons p a s , disaient-ils, que ce Dieu-là règne sur nous ! » E t ils
déchaînèrent la Révolution comme leurs ancêtres, les Humanistes,
avaient déchaîné l a Réforme. A l a place du Dieu du Calvaire, ils
eurent l a déesse Raison ; et, à l a place du pape de Rome, ils
eurent Robespierre.
Mais, comme nous l'avons dit, le sang de la Terreur servit à
la religion de l'amour. E t ceux-là qui n'avaient pas voulu du
culte du Sacré-Cœur, alors qu'ils étaient dans la gloire et la puis-
sance, l'embrassèrent, avec une foi mêlée d'héroïsme, dans les
tourments du martyre. L a F r a n c e actuelle est née de ce nouveau
Calvaire.

( i ) Cf. Les images du Sacré-Cœur p a r G R I M O U A R D DE S A I X T - L A U R B N T , d a n s


l a Revue de VArt Chrétien, xS8o. T . I , p p . ôi-ôa. Camilli Blasii Aurimatis de
Festi Cordis Jesu dissertation


LA DEVOTION AU SACRE-CCEÛR

M o n o g r a p h i e d'un C o u v e n t d e C l a r i s s e s
en F r a n c e ( i ) .

E n 1598, quelques Clarisses réformées quittent leur monastère


de B o u r g et viennent à Lyon, fonder une nouvelle maison.
Pour toute richesse, elles apportent avec elles un parchemin
qui renferme l'austère règle de Saint-Damien. L a copie est de
l'an 15^4. L a Sœur qui l'a écrite a historié la première lettre.

Dans s a composition, on sent qu'elle a voulu mettre quelque


chose de son âme et, vivifier la lettre froide en marquant ce qui,
à ses yeux, en constituait l'esprit et la vie : sur un calice elle a peint
un cœur percé de trois clous. Celui du milieu fait une profonde
déchirure et le sang coule abondant dans le calice. Un lys s'épa-
nouit à côté. C'était un symbole et un programme.
(1) L e s d o c u m e n t s d e cette m o n o g r a p h i e n o u s o n t été g r a c i e u s e m e n t
c o m m u n i q u é s p a r le R . P . L e b r u n , q u i l e s t e n a i t d e l ' A b b e s s e d u M o n a s t è r e .
UN COUVENT DE CLARISSES a43

L a vie religieuse des Clarisses lyonnaises devait s'abreuver au


sang généreux qui coule, chaque matin, à l a messe, du Cœur de
J é s u s immolé sur l'autel. Elle naquit et elle vécut de cette dévotion.

Soixante ans plus tard, en i65û, on voit un fervent Récollet, le


t

1*. Adrien de Maringues, offrir et dédier à l'Abbesse un livre


qu'il a composé : Les Exercices spirituels. Il a puisé s a dévotion aux
mêmes sources que le P . J o s e p h du Tremblay. L e Sacré-Cœur
revient souvent sous s a plume : « Et saluant cotre Cœur amou-
reux traversé du fer de la lance » , fait-il dire à ses filles spiri-
tuelles. Demandez, ajoute-t-il : « une très parfaite union de votre
cœur açec celui de Jésus... aimez Dieu avec le Cœur de son Fils...
Caressez le souverain Roi, cous ne pouvez faire de caresses plus
agréables que d'offrir le Sacré-Cœur de Jésus... »
De bonne heure, elles adoptent l'office du Saint Cœur de
Marie préconisé p a r le P. Eudes et sa Congrégation. Et en 1778
l'Abbesse établit, à perpétuité, l'amende honorable, chaque ven-
dredi, au Sacré-Cœur de J é s u s .

Enfin arrive la Révolution» L e s pieuses Clarisses mettent leur


confiance dans le Sacré-Cœur. En 1792, elles font le vœu de se
consacrer à perpétuité aux saints Cœurs de J é s u s et Marie, si
Dieu leur conserve la grâce de la vie de communauté. Chaque
jour elles les honoreront d'une oraison spéciale ; chaque vendredi
et samedi leur seront consacrés, et chaque premier vendredi
du mois, elles renouvelleront leur consécration.
Elles sont expulsées de leur monastère, le 2 octobre 1792, mais
elles ont le bonheur de garder, au milieu du monde, leur chère
vie d'observance et de communauté. A p r è s l a tourmente, elles
purent rentrer dans leur pieux monastère et elles y renou-
velèrent, avec d'humbles actions de grâces, leur consécration
de 1792. E t depuis lors, elles ont vécu plus que jamais de la dévo-
tion au divin Cœur. E t , chaque année, elles célèbrent avec une
spéciale solennité les fêtes des Saints Cœurs de Jésus et Marie
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

Depuis 1820, elles ont même obtenu une indulgence plénière


pour tous les fidèles qui, ces jours-là, visiteraient leur église.
En 1876, les Clarisses colettines de Lyon ont essaimé à
Lourdes; en 1902, celles-ci ont créé une monastère à Volley-
field; ces deux nouveaux centres de vie franciscaine ont adopté*
toutes les pratiques de leur maison mère, et elles vivent la même
vie d'amour et de dévotion au Cœur qui tant aima les hommes,
qui tant aima son Père céleste.
Ab uno disce omnes : par cet exemple pris au hasard, vous
pouvez juger la famille tout entière du séraphique Patriarche.

CONCLUSION

Quand Dieu, au commencement, organisa l'univers, il le


fonda sur deux grandes lois : la loi d'amour et la loi d'immolation.
Il est un fait général, en effet, qui, dans le monde de la nature,
comme dans le monde de la grâce, éclate aux yeux les moins
attentifs : tout y apparaît comme un mélange déconcertant de
bien et de mal, de vie et de mort, de justice et d'iniquité. Nul
ne vit sinon dans la mort et par la mort d'autrui. La plaine et les
forêts, les airs et les océans ressemblent à d'immenses champs de
bataille, où la plante dévore la plante, où le poisson, dans les
eaux, s'acharne après le poisson, l'oiseau dans les airs poursuit
l'oiseau pour se repaître de sa chair ; les animaux se nourrissent
des plantes et se déchirent entre eux. Et l'homme n'est le roi de
la création que parce que, dans cette lutte universelle pour la
vie, il a pouvoir de se repaître, à la fois, de tout ce qui vit sur
terre, dans les airs et dans les profondeurs des eaux.
Entre eux-mêmes les hommes, consommant ce désordre géné-
ral, s'exploitent avec férocité. Le bonheur et la richesse des uns
ne peut se fonder si ce n'est sur la misère des autres.
CONCLUSION, LA LOI D'UNIVERSEL SACRIFICE

II n'est pas jusqu'aux êtres insensibles qui ne présentent le


spectacle de cette apparente barbarie. Les lois chimiques qui
régissent les corps inertes veulent qu'ils se détruisent et s'ab-
sorbent entre eux, comme nous avons vu faire les animaux et les
plantes. Et la chaleur elle-même, la lumière, admirables parures
de l'univers, sont mesurées à notre monde, avec une telle parci-
monie, qu'une moitié de notre globe n'en j>eut jouir, sans que
l'autre s'en voie dépouillée.
Mystères de douleurs inapaisables et d'espérances infinies ;
désirs insatiables de justice et abîme insondable d'iniquités : tel
apparait le monde aux regards de qui le contemple.
Devant un tel spectacle beaucoup s'indignent, crient au scan-
dale, et interrogent en blasphémant : « Qui donc à l'univers
imposa des lois si barbares ? »
Lois cruelles, dites-vous. Le Christ, vous ouvrant son cœur,
proteste, et il vous répond : « Les lois de l'univers sont des lois
d'amour et elles servent à l'amour. Elles offrent un reflet de
l'Amour éternel et infini qui règne au-dessus des mondes »

La loi de cet amour incréé, en effet, c'est de se donner. Dieu le


Père donne son être et sa vie à son Fils ; ensemble ils se commu-
niquent au divin Esprit. Dans l'acte de se donner est, pour Dieu,
la vie et le bonheur sans mesure. Sans mesure il se donne en trois
personnes ; se donner par amour, c'est là sa vie ; se donner sans
réserve, c'est là son bonheur inaltérable.
A cette vie de l'amour, à ce bonheur inaltérable, un jour, Dieu
voulut associer sa créature. Mais, si, pour être heureux dans
l'amour, il faut savoir donner et se donner tout entier, à Dieu,
dont elle a tout reçu, que pouvait offrir la créature ? Comment
pouvait-elle lui témoigner son amour ?
La créature n'a qu'une chose qu'elle puisse donner à Dieu ou
lui refuser : l'acquiescement à sa volonté et à ses désirs. Et cet
acquiescement peut être sans mesure, s'il va jusqu'à tout sacrifier
pour suivre Dieu : ses biens, ses enfants, comme dit l'Évangile, et
sa vie même. C'est là le don de la créature à Dieu, c'est là son
LA DÉVOTION AU SACUÉ-CCEUU

amour. Et le don, l'amour est d'autant plus grand, qu'il faut


sacrifier, pour suivre la volonté de Dieu, des intérêts plus
attachants ( i ) .
C'est le sacrifice donc qui, pour la créature, donne à l'amour
sa meilleure mesure. Mais si, comme nous l'avons dit. l'amour
lui-même, pour l a créature comme pour Dieu, mesure la vie,
mesure le bonheur, qui donc oserait se plaindre si Dieu, voulant
nous associer, sans mesure, à son bonheur, a fondé le monde sur
le sacrifice? L e sacrifice élargit l'amour et. partant, élargit le
bonheur.
L a loi du sacrifice, c'est le champ immense ouvert à l'amour créé
et dans lequel il peut lutter et rivaliser, si Ton peut parler ainsi,
en vaillance et en générosité, avec l'amour incréé. « Menez-moi
au Ciel, j e vous suivrai, peut dire la créature à son Créateur,
menez-moi au fond des enfers, j e vous suivrai encore. Siascendero
in cœlum, tu illic es, si descendero in infernum, ades t Car c'est
votre main qui m'y conduit ; etenim illuc manns tua deducet me.
Certes, à suivre Dieu dans les hauteurs des cieux, il n'y a pas,
direz-vous, grand mérite pour nous, ni grand amour ; toul
l'amour est du côté de Dieu. Mais à le suivre dans la profondeur
des enfers, c'est-à-dire dans les jdus cruelles épreuves, c'est là le
mérite, c'est là l'amour, pour la créature. En nous y conduisant.
Dieu développe sans mesure retendue de notre amour pour Lui,
et, dès lors, l'étendue de notre mérite, de notre vie et de notre
bonheur, au jour des rétributions.

( i ) S u i v r e Dieu, a l o r s <ju'il envoie la p r o s p é r i t é o u l ' a d v e r s i t é , act/iticsc^r


en tout à s a s a i n t e volonté, c'est l à tout l'homme, et l'homme n'a p a s a u t r e
c h o s e à offrir à D i e u . 11 ne p e u t lui offrir m ê m e u n b o n d é s i r , c a r c'est Dieu,
p a r s a g r â c e , q u i d o n n e à 1 h o m m e l a bonne pensée e l l e - m ê m e , le b o n d é s i r ,
le bon v o u l o i r en toutes choses. E n face de ce d o n d e Dieu, l'homme ne peut
( j i i u n c chose : d o n n e r o u r e f u s e r s a coopération, son a c q u i e s c e m e n t ; c'est là
le d o n d e la c r é a t u r e à D i e u . ((îf. 1 Cor., i \ \ 7 . )
lîicn p l u s , la v o l o n t é e l l e - m ê m e de c o o p é r e r a u b o n v o u l o i r (pic Dieu
o p è r e en n o u s , est u n d o n d e D i e u , c a r , étant q u e l q u e c h o s e d e positif, elle
ne peut venir q u e de D i e u . S e u l e l a cessation de ce b o n v o u l o i r d é p e n d d e
l ' h o m m e , p a r c e qu'elle est q u e l q u e chose d e p u r e m e n t négatif.
E t d o n c , ce q u e Dieu d e m a n d e d e nous, c'est d e n e p a s l'aire cesser, de 11e
p a s d é t r u i r e les b o n s v o u l o i r s qu'il n o u s envoie, les lions m o u v e m e n t s v e r s
l e s s a i n t e s a c t i o n s qu'il n o u s s u g g è r e .
S u i v r e Dieu, êeqaere Denm, e r s t l à tout l ' h o m m e et l a condition d e son
bonheur.
L'AAIOI'K ET LA LOI D'UNIVKHSEL SACRIFICE

Là est la clef de l'énigme <ruo pose à notre cœur anxieux ce


spectacle d'un inonde plein de désordres, d'injustices et de
cruautés. Il est lo champ clos où l'amour humain, avec l'arme du
sacrifice, lutte eu générosité avec l'amour divin.

Il est une image*, curieuse, trouvée par Magellan cl ses com-


pagnons en la ville do Cébu, aux Philippines, alors que, dans
leur voyage do découverte autour du monde, ils on priront
possession au nom «lu Christ et de leur roi (iôai). Elle montre,
sortant do la blessure d'un t c u r enflammé, le Christ-Dieu,
«48 LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

plongé dans la méditation et tenant en main le monde, sur lequel


est plantée la croix ( i ) . Magnifique symbole ! Voici ce qu'il
signifie.
L e monde est sorti du Cœur du Christ, Dieu et Homme tout
ensemble. L'amour est s a loi : l'amour de Dieu pour la créature
et l'amour de la créature pour Dieu. Mais parce que, pour la
créature, le moyen le |)lus parfait d'exprimer son amour est le
sacrifice et l'immolation à la volonté divine, la Sagesse éternelle,
qui méditait de prendre place parmi tes créatures, décida de
fonder une partie au moins de ce monde, celui qu'Elle avait
choisi d'habiter, le monde matériel, sur la loi du sacrifice et de
l'immolation (a).
Dédaignant donc le monde des purs esprits, où il n'y avait
p a s de sacrifices à offrir, le Fils de Dieu, en venant parmi les
créatures, descendit jusqu'à ce monde matériel qui lui donnait
le moyen d'offrir à Dieu, son Père, un témoignage d'amour digne
de lui. Ce témoignage d'amour fut l'immolation du Calvaire. E t
il invita tous les hommes, ses frères, à l'offrir avec lui. Que
dis-je ? il en fit la loi nécessaire de tous les êtres matériels, à
laquelle nul n'a le pouvoir de se soustraire.

(1) G o n z a g a , q u i r a p p o r t e ce fait et r e p r o d u i t cette i m a g e , d a n s s o n De


origine seraphicœ religionis ( p . i3oo-i355), dit qu'elle f u t t r o u v é e , n o n s a n s
u n e sorte de p r o d i g e , d a n s u n coffre, c o u v e r t e d e fleurs et d e r o s e s . D e s
e
m i s s i o n n a i r e s f r a n c i s c a i n s (ils é t a i e n t en Chine d e p u i s l e x m s i è c l e ) a v a i e n t
peut-être p a s s é p a r l à et l a i s s é cette i m a g e . E l l e s e voit a u s s i en tête d u
Traité de l'Amour de Dieu d e s a i n t F r a n ç o i s d e S a l e s , édition d e 1620.
(a) Cette loi d u s a c r i f i c e e x p l i q u e l a p r é s e n c e d e d e u x m o r a l e s d a n s le
m o n d e : l a m o r a l e c h r é t i e n n e d u droit divin, e n s e i g n a n t q u e l a v o i e d u
b o n h e u r p o u r l ' h o m m e est d e sacrifier s a p r o p r e v o l o n t é p o u r faire celle
d e D i e u ( l a v i e r e l i g i e u s e , p a r le v œ u d ' o b é i s s a n c e , en est l a p a r f a i t e e x p r e s -
s i o n ) ; — et l a m o r a l e antichrétienne ( p a ï e n n e et r é v o l u t i o n n a i r e ) d e s droits
de l'homme q u i e n s e i g n e q u e l ' h o m m e doit c h e r c h e r le b o n h e u r , en s u i v a n t
s a p r o p r e v o l o n t é et s e s p a s s i o n s , s a n s s e p r é o c c u p e r d e l a v o l o n t é d e D i e u .
L a dévotion a u S a c r é - C œ u r , e n t e n d u e c o m m e n o u s l ' a v o n s e x p o s é e d a n s ce
t r a v a i l , est le m e i l l e u r r e m è d e à cette m o r a l e a n t i c h r é t i e n n e . E l l e n o u s
a p p r e n d à c o n s i d é r e r , a v a n t tout, l e C œ u r d e J é s u s d a n s l'acte d e s e sacrifier
à la volonté d e s o n P è r e , et à n o u s u n i r à s o n sacrifice, a u point d'en faire n o s
délices et n o t r e p a i n q u o t i d i e n , meus cibus est ut/aciam voluntatem Patris.
Cette m o r a l e d u S a c r é - C œ u r o u d u d r o i t divin,* q u i a p p r e n d à s e sacrifier
p o u r suivre la volonté de Dieu, de préférence à l a volonté de l'homme,
q u a n d il y a conflit, e s t e n c o r e la m e i l l e u r e s a u v e g a r d e contre l a t y r a n n i e ,
s o u s q u e l q u e f o r m e qu'elle se p r é s e n t e p o u r o p p r i m e r l ' h o m m e . C a r elle
m a r q u e le point o ù il faut r é s i s t e r à t o u t e t y r a n n i e , a u b e s o i n p a r le m a r -
t y r e , et elle en d o n n e l a force. E l l e est le m e i l l e u r f a c t e u r d e p r o g r è s , c a r
l a volonté d e D i e u e s t q u e l ' h o m m e tende v e r s le m i e u x d a n s t o u s l e s o r d r e s ,
m a t é r i e l , e s t h é t i q u e , intellectuel, m o r a l et r e l i g i e u x .
L'AMOUR E T LA LOI D'UNIVERSEL SACRIFICE

Depuis le soleil et ces milliers d'astres lointains, qui se


consument pour éclairer et réchauffer l'univers, j u s q u ' à ces
myriades d'êtres vivants, qui s'étendent du végétal j u s q u ' à
rhomme, et qui, les uns sans douleurs, les autres avec d'hor-
ribles souffrances et de rudes labeurs, tirent de leur sein cl de
leur substance l a nourriture et la vie, non pour eux-mêmes,
mais pour d'autres qui ne leur sont rien ou qui demain s'élève-
ront contre eux, tout vibre à l'unisson du Calvaire. Chaque être
de ce monde, comme frappé d'une inique sentence de mort, suit
son chemin, traînant s a croix, et précipite s a course vers le lieu
de son immolation.

C'est de ce mystère d'universel holocauste que parlait saint


Paul aux Romains ( i ) , quand il disait : « Nous le savons, toute
créature fait entendre des gémissements, elle enfante jusqu'à
ce jour, omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc...
Car toute créature est soumise à la vanité (à la mort) malgré
elle, à cause de Celui qui l'a soumise à ses lois d'espérance,
propter Eum qui subjecit eam in spe. Mais il viendra un jour
où la créature elle-même sera délivrée de cette servitude de la
corruption et participera à la liberté et à l a gloire des enfants
de Dieu. »
Temple auguste, autel immense, holocauste perpétuel, tel
apx»araît notre monde terrestre, à la lumière du Christ. Dans
ce temple, avec une clameur puissante et avec des larmes sorties
de son Cœur, J é s u s offre à son Père le don parfait, qu'il sait lui
être agréable, cum clamore valido et lac ry mis offerens (2) ;
et à cette clameur, et à ces larmes le monde entier répond,
unissant son offrande et son sacrifice à celui de son chef et de
son prêtre.
Et, autour de l'autel, les anges adorent, eux qui ne connurent
point ces riches offrandes de l'immolation à présenter à leur
Créateur. E t les chérubins tout éclatants de lumière et les
séraphins tout brûlants d'amour se couvrent la face de leurs

(1) Rom., vin, 19-23. — (2) Hebr., v, 7.


20O LA DEVOTION AU SACRÉ-CŒUR

ailes et s'écrient: « Saint, saint, saint est l'Agneau immolé pour


les péchés du monde, Tunique holocauste digne d'être offert
devant le trône de la Majesté. » Satan lui-même, ce chef-d'œuvre
d'amour et d'intelligence, qui, enivré de sa beauté, au commence-
ment, avait méprisé l'Homme, ce ver de terre, que Dieu lui
proposait pour chef universel, Satan qui avait refusé de
courber la tête devant lui et, dans cet orgueil, avait consommé
sa révolte, Satan lui-même, en voyant, d'un cœur d'argile et de
chair, sortir un tel fleuve d'amour, recule en rugissant et avoue
sa défaite : « Il a vaincu, le lion de Juda, le rejeton de David,
Vicit leo de tribu Juda, radix David (i). »
Et nous donc, fils de cet univers que l'éternelle Sagesse
voulut fonder sur la loi de l'amour, puisque nous particij>ons
à cette puissance d'immoler à Dieu, dans le Christ et avec le
Christ, des offrandes dignes de lui, multiplions nos sacrifices et
nos holocaustes. Et allons-y de grand cœur, corde magno et
animo çolenti. A ce don de nous-mêmes accompli sans réserve
et sans mesure, in justitia et sanctitate çeritatis, Dieu répondra
par le don de lui-même accompli également sans réserve et sans
mesure. Et ce don de Dieu à l'âme, c'est pour elle le bonheur.
Et ce bonheur, les saints dont nous avons ici même entendu le
témoignage nous ont dit qu'il n'était pas réservé seulement
pour le jour de l'éternité, mais que, dès cette vie, il enivrait
les âmes des plus douces jouissances.

Oh ! il avait goûté cette ivresse céleste de l'amour de Dieu


dans le Christ, le séraphique François d'Assise, lorsqu'il exhalait,
à travers les strophes sans fin de son Cantique, les ravissements
de son extase :

Amour de charité,
Pourquoi m'as-tu ainsi blessé ?
J'ai le cœur tout fendu.
Il brûle d'amour.

( i ) Apoc, v, 5
L'AMOUR ET L A LOI D'UNIVERSEL SACRIFICE 251

Pour acheter l'amour, j'ai tout donné,


Le monde et moi-même tout entier en échange ( i ) .
Si tout était à moi, tout ce qui est créé
Pour l'amour, sans pacte aucun, je l'aurais donné.
Aussi de l'amour je suis devenu le jouet,
M'étant vendu sans réserve, et je ne sais où l'on me traîne.
Par l'amour à ce point je suis défiguré,
Que partout l'on me prend pour un fou.
Mais, puisque je suis vendu,
De fait, ne suis-je pas devenu pour moi sans valeur.

Mes parents me croyaient rappeler à eux,


Mes amis 'qui sont hors de cette voie ;
Mais qui s'est donné une fois, à d'autres ne se peut plus donner,
A d'autres ne se peut plus vendre, le serf qui fuit son seigneur.
La pierre pourrait s'amollir bien des fois
Avant l'amour qui en son pouvoir me tient...

Pour moi, je ne puis plus voir la créature ;


Vers le Créateur crie toute mon âme.
Ni le ciel ni la terre ne me donnent de douceur ;
Au prix du Christ-amour tout m'est à dégoût ;
La lumière du soleil me paraît ténèbres,
Quand je regarde sa face resplendissante.
Les chérubins ne sont rien,
Si beaux qu'ils soient par leur science,
Non plus que les séraphins éclatants d'amour,
Pour qui voit le Seigneur.

Le ciel et la terre crient et clament sans cesse,


Et toutes choses avec eux, que je dois aimer.
Chacune me dit : « De tout ton cœur aime ;
L'amour qui nous a faites efforce-toi d'embrasser,
Car cet amour est de toi si désireux,
Que toutes il nous a faites pour t'attirer à lui par nous. »

( i ) C'est-à-dire j e m e s u i s v e n d u c o m m e serf, c o m m e e s c l a v e à l ' a m o u r ,


p o u r lui a p p a r t e n i r et le p o s s é d e r . Ici F r a n ç o i s s e c o m p a r e à u n h o m m e
q u i s e s e r a i t v e n d u c o m m e serf on e s c l a v e à 1*Amour. T o u t e s t p l e i n d'allu-
e
s i o n s à l a condition d e s serfs v i s - à - v i s d e l e u r s e i g n e u r . A u x m s i è c l e , on
c o m p r e n a i t f a c i l e m e n t ces a l l u s i o n s . A u j o u r d ' h u i b i e n r a r e s sont c e u x q u i en
s a i s i s s e n t t o u t e l a s a v e u r , o u m ô m e q u i les p e u v e n t c o m p r e n d r e q u e l q u e
p e u . C e s a l l u s i o n s a u x f o r m e s s p é c i a l e s et r i g o u r e u s e s d u s e r v a g e , tel qu'il
e
se p r a t i q u a i t a u c o m m e n c e m e n t d u x r n siècle, n o u s s e m b l e n t u n g r a n d
a r g u m e n t en f a v e u r d e l'authenticité d e ce c a n t i q u e , q u e b e a u c o u p d e
c r i t i q u e s p r é t e n d e n t n'être p a s d e s a i n t F r a n ç o i s ni d e s o n é p o q u e .
LA DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR

O h ! a v e c quelle profusion j e la vois s'épancher,


L a b o n t é et la c o u r t o i s i e
De cette douce lumière
Qui partout se répand au dehors !

Avec François d'Assise, plongeons nos cœurs dans cet


amour du Christ, vers lequel nous appelle toute créature. Et
apprenons à chanter son cantique :

A m o u r , a m o u r , toute c r é a t u r e te p r o c l a m e ;
A m o u r , a m o u r , tu es chose si p r o f o n d e !
Plus quelqu'un t'embrasse,
P l u s il t e r é c l a m e e n c o r e . . .
Amour, amour, Jésus, je touche au port ;

A m o u r , a m o u r , Jésus, donne-moi réconfort ;


A m o u r , a m o u r , J é s u s , t u m ' a s t e l l e m e n t r a v i le c œ u r !
A m o u r , fais-moi sentir toujours tes saintes a r d e u r s !
A v e c toi, t r a n s f o r m e - m o i en c h a r i t é
E t en souveraine vérité.
Amour, amour, amour !

NOTES ADDITIONNELLES

L a Mère J e a n n e C l i e z a r d d e M a t e l , f o n d a t r i c e d e s S œ u r s d u V e r b e i n c a r n é
a v a i t p r i s p o u r e m b l è m e , a v o n s - n o u s dit, le m o n o g r a m m e crucifère a v e c les
t r o i s c l o u s s u r m o n t a n t u n c œ u r . Il lui fut d o n n é d u Ciel p a r r é v é l a t i o n , et
en le r e c e v a n t , elle s'écria : « R e p o s e z - v o u s s u r n o u s , cher C œ u r d e notre
a m o u r , cher A m o u r de notre c œ u r . » C e s p a r o l e s p r o u v e n t qu'elle voyait
d a n s cet e m b l è m e le C œ u r de J é s u s et celui de l a r e l i g i e u s e u n i s en u n seul.
D a n s u n e de s e s v i s i o n s , elle vit s a i n t e C l a i r e q u i lui dit : « J e t'aiderai en
g r a n d e c h o s e . » E l l e r e ç u t d o n c , elle a u s s i , de l'esprit f r a n c i s c a i n . (Cf. Vie,
1910, p p . 87-93).
N o u s a v o n s dit, p a r e r r e u r , q u e l'Oratoire a v a i t u n c œ u r d a n s s e s a r m e s .
Il n'a q u e les m o n o g r a m m e s de J é s u s et M a r i e d a n s u n e c o u r o n n e d'épines.
D i s o n s q u e d e B é r u l l e , le f o n d a t e u r , était t e r t i a i r e , qu'il s'était p r é p a r é a u x
O r d r e s p a r u n e r e t r a i t e d e 40 j o u r s chez les C a p u c i n s en 1599 et q u e le P è r e
E u d e s fut O r a t o r i e n p e n d a n t 20 a n s , a v a n t d e fonder s a C o n g r é g a t i o n . C'est
lui q u i unit, a u x N o m s de J é s u s et M a r i e , l e u r s a i n t C œ u r .
C o m m e t é m o i g n a g e de l a dévotion d u P. C a b r i e l - M a r i a a u S a c r é - C œ u r ,
on p e u t citer encore u n d e s e s p a r a f e s , qu'on voit s u r le décret p a r l e q u e l il
i n s t i t u e u n v i c a i r e p r o v i n c i a l p o u r l ' A q u i t a i n e , en I5O2. Ce p a r a f e est u n c œ u r
s u r m o n t é d'une c r o i x p o r t a n t le m o n o g r a m m e d e M a r i e M A . (Cf. OTHON
DE P., Aq. sér., II, p . 3g5). C'est le P. G r a t i e n de P. q u i n o u s l'a s i g n a l é ,
de m ê m e q u e le P. B o n . K r u i t w a g e r a v a i t attiré n o t r e attention s u r les
r i c h e s collections a l l e m a n d e s . N o u s l e u r e x p r i m o n s ici n o t r e r e c o n n a i s s a n c e .
TABLE DES GRAVURES
F r o n t i s p i c e d e l a Théologie mystique d u P. V. Gelen 9
L e b a i s e r d u Crucifix à s a i n t F r a n ç o i s ( M u r i l l o ) 20
L ' a d o r a t i o n d u m o n o g r a m m e a u S a c r é - C œ u r ( f r o n t i s p i c e P. S o l u t i v e ) . . . 3i
Onze s y m b o l e s p r i m i t i f s signifiant le m y s t è r e d u C h r i s t 43
e e
D e u x f o r m e s de l a c r o i x des 111 et v n siècles, t r o u v é e s en Chine 43
T r o i s formes d u l a b a r u m constantinien 45
S a i n t F r a n ç o i s et le crucifix : L'amour, Vamour n'est pas aimé! 49
S a i n t L o u i s de T o u l o u s e , s a i n t A n t o i n e , saint B e r n a r d i n d u Pinturic-
ehio (1484) 57
G r a v u r e des Cinq P l a i e s et le S a c r é - C œ u r (1087) 64
L'union des C œ u r s d a n s l ' a m o u r ( M e s s a g e r , I63I) 70
P o r t r a i t et s c e a u d e s a i n t B o n a v e n t u r e 76
S c e a u franciscain de l a p r o v i n c e d e Corse 76
L'archer du Sacré-Cœur (Messager) 84
S a i n t F r a n ç o i s r e c e v a n t les s t i g m a t e s ( m i n i a t u r e d u XIII° siècle) «5
F r a n c i s c a i n s c o n t e m p l a n t le m o n o g r a m m e I H S (1587) 92
L ' E n f a n t J é s u s d a n s le S a c r é - C œ u r , i47», Munich 98
Cinq a q u a r e l l e s d e l a B . J e a n n e de V a l o i s 104
L ' e x t a s e de l a B . J e a n n e de V a l o i s d e v a n t le S a c r é - C œ u r ( B o u c h e r , 1604). 106
L e crucifix de saint D a m i e n 112
L e fer à hostie d e s a i n t F r a n ç o i s et le m o n o g r a m m e 1.. n(ï
S a i n t B e r n a r d i n p r ê c h a n t le N o m d e J é s u s , g r a v u r e de 1454 117
L e s c e a u de l a p r o v i n c e f r a n c i s c a i n e d'Autriche et le m o n o g r a m m e (1452). 118
L e s c e a u a u m o n o g r a m m e — s c e a u a u x Cinq P l a i e s 120
L e S a c r é - C œ u r tenu p a r l'ange (croix et b l e s s u r e ) (1470-80) 12$
L e S a c r é - C œ u r tenu p a r d e u x a n g e s et a d o r é p a r 1111 m o i n e (146^) 12»
e
Le S a c r é - C œ u r b l e s s é , t e n u - p a r d e u x a n g e s ( x v siècle) T2O
Le S a c r é - C œ u r b l e s s é a v e c i n s c r i p t i o n (i4^3) 128
L'Enfant J é s u s d a n s le S a c r é - C œ u r et les Cinq P l a i e s (1460) I3I
P l a n c h e de 7 g r a v u r e s : Le S a c r é - C œ u r d u P. R e g n a r t fi525) — I H S
a u S a c r é - C œ u r d u B . C a n i s i u s — d u Paradisus puerorum (1619) —
d e S a n t i F r a n c h i (1682) — d e l'église S a i n t - J e a n à Fontenay-le-Comte
e
( x v u siècle). — L ' E n f a n t J é s u s d a n s le S a c r é - C œ u r de H u r é fi**4^) • • Ï35
Le c a p u c i n d a n s s a cellule a d o r a n t le S a c r é - C œ u r v e r s i63o i4u
Le portrait du F . Thomas de B e r g a m e i45
L e s s t i g m a t e s , le m o n o g r a m m e , les Cinq Plaies etc. ( F r o n t i s p i c e des
M. de VO de S. F . ) , 1684 i(18
e
A r m o i r i e s de J e a n d e N e w l a n d ( x v siècle) 109
e
G r a v u r e d u Paradisus animœ ( x v i siècle) 169
L e m o n o g r a m m e a u S a c r é - C œ u r d e i585 170
L e m o n o g r a m m e a u S a c r é - C œ u r d'Henri III 170
L e m o n o g r a m m e d u P . P h i l i p p e B o s k h i e r (1606) 172
L e S a c r é - C œ u r et l'âme p é c h e r e s s e d u P . L a u r e n t d e P a r i s 175
L a créature donnant son cœur à Dieu, du même 180
— — de Messager 182
Nuptiœ agni, L e s noces m y s t i q u e s d u P . H. J o n g h e n 1S4
L'Enfant J é s u s d a n s le S a c r é - C œ u r d u P. A . d e V a l l o n g n e s (1637) 188
TABLE DES MATIERES

L e s armoiries de la famille franciscaine 189


L'emblème des Eudistes 198
P l a n c h e d e i3 g r a v u r e s : d i x g r a v u r e s d u S a c r é - C œ u r i n s p i r é e s p a r l a
B . Marguerite-Marie ou adoptées p a r la Visitation — Sacré-Cœur
d'un é m i g r é , — d e L u t h e r — a r m o i r i e s f r a n c i s c a i n e s 2i3
Le v œ u de la reine Marie Leckzinska 227
L e C œ u r e u c h a r i s t i q u e de B â l e (1470-90) 234
L a fontaine d e v i e d e YKxercitium super Pater nos ter, B . N. O420) a36
L e t e m p l e de l a S a g e s s e d e L a d a m e (1600) 238
L e c œ u r d e M a r i e et l a B . M. M . M a r t i n e n g o 240
L e C œ u r e u c h a r i s t i q u e et les C l a r i s s e s d e B o u r g - L y o n (i5a5) 242
L ' E n f a n t J é s u s s o r t a n t d'un c œ u r d ' a p r è s G o n z a g a (i5oo-i587) 247

TABLE DES MATIÈRES


PREMIÈRE PARTIE - L A DOCTRINE

I. L'amour divin, ce qu'il est.


D i e u est p u i s s a n c e , l u m i è r e , a m o u r 7
L ' a m o u r d e D i e u , le P è r e , p o u r s o n F i l s 10
L'amour d u Fils pour le Père i3
L e Père et le F i l s a i m e n t les h o m m e s 14

II. L'amour qui s'immole*


ou Jésus crucifié, foyer de l'amour divin pour le monde.
L e C h r i s t v i e n t a p p o r t e r s o n a m o u r d a n s le m o n d e 16
II l'enseigne, en le v i v a n t p a r m i n o u s 18
Il en d o n n e l ' e x e m p l e d a n s l'acte d e s o n sacrifice 19
Il l e c o m m u n i q u e d a n s l a c o m m u n i o n d e l a c r é a t u r e à s o n s a c r i f i c e . . . . 20

III. L'amour qui se donne, ou îe Sacré-Cœur.


L ' a m o u r s e d o n n e p a r la souffrance 24
L e c œ u r centre d e s é m o t i o n s , — s y m b o l e d e l ' a m o u r 25
L a blessure du Cœur de J é s u s , véritable source de vie 27
L ' E s p r i t , le S a n g et l ' E a u 3o

IV. Vamour divin dans les âmes.


Il y p r o d u i t u n e j o i e ineffable 3i

Il y p r o d u i t l a v i e d i v i n e 36

DEUXIÈME PARTIE — L'HISTOIRE

I. Les origines.
1
L ' a m o u r d i v i n s e c o m m u n i q u a n t a u m o n d e p a r J é s u s crucifié 4
S y m b o l e s p r i m i t i f s e x p r i m a n t cette v é r i t é 44
5
L e s s y m b o l e s c o n s t a n t i n i e n s , l e l a b a r u m , l a croix 4
S a i n t F r a n ç o i s et l e crucifix. L e s t i g m a t i s é 4*>
TABLE DES MATTERKS

IL Depuis le XIII e
siècle jusqu'au XVIIe siècle.
Caractère de l a dévotion a u Sacré-Cœur, a u x m « siècle 5i
E r r e u r d e c e r t a i n s m o d e r n e s s u r l'objet d e cette d é v o t i o n 5a
S a i n t A n t o i n e d e P a d o u e (iio5-ia3i), le p r e m i e r a p ô t r e d u S a c r é - C œ u r . 56
S a i n t e C l a i r e et l a d é v o t i o n a u x C i n q P l a i e s ( i 194-1252) 6a
S a i n t B o n a v e n t u r e , l e t h é o l o g i e n d u S a c r é - C œ u r (1231-1374) 65
S a i n t e M a r g u e r i t e d e C o r t o n e , s a d é v o t i o n a u S a c r é - C œ u r et a u x C i n q
Plaies. Le rosaire 77
U b e r t i n d e C a s a l e , l ' a p ô t r e d u S a c r é - C œ u r (ia59-i3a3) Si
Ubertin de Casale, l'apôtre du C œ u r de Marie Si
e
L e r ô l e d u x n i siècle. M y s t i q u e s d i v e r s d é v o t s a u S a c r é - C œ u r 87
L a première hymne a u Sacré-Cœur 88
e
L a d é v o t i o n a u S a c r é - C œ u r p e n d a n t le x i v siècle 90
L a r é f o r m e d e s o b s e r v a n t s et s a i n t B e r n a r d i n d e S i e n n e 93
Saint Bernardin apôtre du Cœur de Marie 95
S a i n t J e a n d e C a p i s t r a n , s a i n t e Colette, l a B . V a r a n i 96
Sainte Catherine de Bologne, sainte Françoise R o m a i n e 100
L a B . J e a n n e d e V a l o i s et le P . G a b r i e l - M a r i a 10a
Les Annonciades, l a première congrégation vouée a u Sacré-Cœur io5
e
L'iconographie du Sacré-Cœur aa x v siècle 108-139
S a i n t B e r n a r d i n et l e s i m a g e s d u N o m d e J é s u s , I H S 108
S a i n t J e a n d e C a p i s t r a n et les i n s t r u m e n t s d e l a P a s s i o n 109
L a genèse de l'iconographie d u Sacré-Cœur 110
O r i g i n e et histoire d u m o n o g r a m m e I H S 110
L e m o n o g r a m m e a d o p t é p a r s a i n t s B o n a v e n t u r e et B e r n a r d i n 114
L e m o n o g r a m m e a v e c le crucifix ; a v e c l e s C i n q P l a i e s 118
L e m o n o g r a m m e avec le Sacré-Cœur 119
L e s i n s t r u m e n t s d e l a P a s s i o n et l e s Cinq P l a i e s lao
L e s i n s t r u m e n t s d e l a P a s s i o n et le S a c r é - C œ u r a v e c l e s C i n q P l a i e s . . . 121
L e s instruments de l a Passion avec le Sacré-Cœur 122
L e Sacré-Cœur seul, peint p o u r lui-même ia4
L e S a c r é - C œ u r et l a s a i n t e L a n c e 126
L'Enfant J é s u s d a n s le Sacré-Cœur I3I
L e S a c r é - C œ u r et le S a i n t A g n e a u i33
L e s i m a g e s d u S a c r é - C œ u r en F r a n c e . L e P . R e g n a r t , L a n g e a u , etc.
E n Angleterre, a u Portugal 137
L a R é f o r m e et l e s H u m a n i s t e s contre l e culte d u S a c r é - C œ u r . i38
2
L a n s p e r g e , l e c o r d e l i e r H e n r y , a u x v r siècle 139

I I I . La dévotion an Sacré-Cœur depuis la Réforme des Capucins.

L a R é f o r m e d e s C a p u c i n s et l e u r d o c t r i n e d u S a c r é - C œ u r i4°
S a i n t P i e r r e d ' A l c a n t a r a . — N i c o l a s F a c t o r . — B e r n a r d d'Osimo i4*
L e P . J e a n d e C a r t h a g è n e . — L e fils d u S a c r é - C œ u r i43
L e F . T h o m a s d e B e r g a m e et l ' a m o u r d u S a c r é - C œ u r p o u r l e s h o m m e s . i4&
L e s C œ u r s d e J é s u s et M a r i e , l e u r a m o u r m u t u e l . — L ' a m o u r béatifiant. 147
L e P . J o s e p h l ' a p ô t r e d u S a c r é - C œ u r (1577-1638) i49
L a M . A n t o i n e t t e d ' O r l é a n s , et l a R é f o r m e de F o n t e v r a u l t i5o
L e s C a l v a i r i e n n e s o u l e s c o l o m b e s d u S a c r é - C œ u r . Les Exercices I5I
a56 TABLE DBS MATIERES

2
L e s C a p u c i n s et l e S a c r é - C œ u r a u x v i r siècle
E x p o s é d o c t r i n a l : l ' a m o u r p o u r les h o m m e s et l ' a m o u r p o u r D i e u a u
Cœur de Jésus
Les pratiques de la dévotion a u Sacré-Cœur. M a n u e l s de piété 1G6
L'iconographie d u Sacré-Cœur au xvir-" siècle 169-189
A p r è s l a R é f o r m e : le m o n o g r a m m e a u S a c r é - C œ u r . C a p u c i n s et
Jésuites 169.
L e S a c r é - C œ u r et le P . L a u r e n t d e P a r i s i?4
L e C œ u r p e r c é d'une o u d e u x flèches 178
L a c r é a t u r e d o n n a n t s o n c œ u r à D i e u et le P . L a u r e n t d e P a r i s , e t c . . . . 179
L'union d e s d e u x c œ u r s , l e P . J o n g h e n , l a V i s i t a t i o n i83
Compositions diverses 187
Les armoiries de la famille franciscaine i$9
L a C o m p a g n i e d e J é s u s , les d é v o t i o n s p r é f é r é e s d e s a i n t I g n a c e 190
e e 2
L e s J é s u i t e s et le S a c r é - C œ u r a u x v i et a u x v n siècles 19
L e B . P . E u d e s et le culte l i t u r g i q u e d u S a c r é - C œ u r (1648) i°4
L e s s o u r c e s f r a n c i s c a i n e s d u B . P . E u d e s et l ' e m b l è m e d e s E u d i s t e s . . . 197
L e s F r a n c i s c a i n s c o l l a b o r a t e u r s d u P . E u d e s et les c o n g r é g a t i o n s d u
Sacré-Cœur 199
L a V i s i t a t i o n , s a i n t F r a n ç o i s d e S a l e s et le S a c r é - C œ u r 202
L a B i e n h e u r e u s e M a r g u e r i t e - M a r i e et l e r e f r o i d i s s e m e n t d e l a d é v o t i o n . ao5
L a j e u n e s s e d e l a B i e n h e u r e u s e , s o n é d u c a t i o n c h e z les C l a r i s s e s 907
Caractères de s a dévotion a u Sacré-Cœur ao8
La mission de la Bienheureuse exagérée p a r certains ai4
E l l e fixe les p r a t i q u e s d e l a d é v o t i o n ai6
O b j e t d e l a d é v o t i o n d e P a r a y : d e u x écoles 218
Saint François donné comme guide à la Bienheureuse 319
L ' e x p a n s i o n d e l a d é v o t i o n d e P a r a y : V i s i t a a d i n e s et J é s u i t e s aai
Les C a p u c i n s et l e s C l a r i s s e s . — S a i n t e V é r o n i q u e d e G i u l i a n i aa4
M a r i e L e c k z i n s k a et le c l e r g é d e F r a n c e en 1765 aa8
Le Cœur Eucharistique d e J é s u s a u j o u r d ' h u i et a u t r e f o i s 229
Ubertin de Casale, Angèle de Foligno, le P . J o s e p h a3o
L a m e s s e d e s a i n t G r é g o i r e et l e s i m a g e s d u C œ u r E u c h a r i s t i q u e
a u M. A a3a
L e s fontaines d e v i e o u d e m i s é r i c o r d e a34
L e C œ u r E u c h a r i s t i q u e a u x x v i r et x v m e siècles a37
L a B i e n h e u r e u s e M a r i e - M a d e l e i n e M a r t i n e n g o et le C œ u r d e M a r i e a39
L e s C l a r i s s e s d e L y o n et le S a c r é - C œ u r , m o n o g r a p h i e ( x v r V x x * siècles). a4a
Conclusion. ; l e m y s t è r e d u b i e n et «du m a l d a n s l e m o n d e a44
L e d o n d e l a c r é a t u r e à D i e u et l a loi d u sacrifice sÇS
L e C h r i s t p o s a n t l a loi d u m o n d e et l a f o n d a n t s u r le sacrifice d ' a m o u r . 247
Le cantique de l'amour de saint François a5o
Notes c o n c e r n a n t les c o n g r é g a t i o n s d u V e r b e I n c a r n é , d e l'Oratoire et
d e s E u d i s t e s , et l e P . G a b r i e l - M a r i a a5a
Table des gravures a53

&4-14. — Imprimerie des Orphelins-Apprentis d'Auteuil, F. BLÉTIT,


40, rue La Fontaine, Paris.

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