Ecrire Un Roman Policier

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Résumé

Du roman d’enquête au polar à la française en passant par le


policier historique, voici les recettes à connaître avant de se lancer dans
l’écriture d’un roman policier.
Longtemps dénigrée, la littérature policière s’impose aujourd’hui
comme un genre noble, au succès mondial inégalé. Nombreux sont ainsi
ceux qui rêvent de maintenir à leur tour en haleine un lectorat toujours plus
avide.
Mais quelle atmosphère donner à votre histoire ? Comment structurer
l’intrigue ? Comment construire vos personnages pour qu’ils soient à la fois
crédibles et consistants, pour qu’ils « portent » l’histoire d’un bout à l’autre
sans lâcher le lecteur d’une semelle ?
En s’appuyant sur de nombreux exemples commentés ainsi que sur la
parole d’autres écrivains, Alain Bellet vous dévoile les dessous de l’écriture
policière : des ficelles techniques indispensables aux petits « plus » qui
vous aideront à accrocher le lecteur, vous découvrirez tout ce qu’il faut
savoir pour affûter au plus fin votre plume et concocter un roman policier
digne de ce nom.

Biographie auteur
Né à la Bastille un 14 juillet, Alain Bellet a écrit de nombreux ouvrages
dans des genres littéraires diff érents. Auteur de plusieurs romans noirs, de
romans historiques pour la jeunesse, de nouvelles et de récits, de
documentaires historiques et de livres consacrés à l’Histoire de France, il
conduit de nombreux ateliers d’écriture et chantiers littéraires.
Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris cedex 05

www.editions-eyrolles.com

Dans la collection LES ATELIERS D’ÉCRITURE, chez le même éditeur :

HARO Franck, Écrire un scénario pour le cinéma


JUSSEAUX Patrick, Écrire un discours
MAYER Bob, Écrire un roman et se faire publier
POCHARD Mireille, Écrire une nouvelle et se faire publier
RESSI Michèle, Écrire pour le théâtre
STACHAK Faly, Écrire, un plaisir à la portée de tous

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou


partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’Éditeur ou du
Centre Français d’Exploitation du Droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles, 2009


ISBN : 978-2-212-54413-8
Alain Bellet

Écrire un roman policier


et se faire publier

« En partenariat avec le CNL »


Remerciements de l’auteur

Pour leurs réflexions et leurs réponses à ses questions, à :


Stéphanie Benson, écrivain (adultes et jeunesse)
Anne Pambrun, professeur de littérature
Dominique Paquet, comédienne, philosophe et dramaturge
Didier Daeninckx, écrivain
Maître Thierry Domas, avocat au barreau de Paris
Robert Mac Kee, scénariste
Serge Livrozet, écrivain et ancien perceur de coffres-forts
Michel Louvet, ancien colonel de la Gendarmerie nationale
Patrick Raynal, écrivain et éditeur

Remerciements particuliers et chaleureux à Dominique Paquet pour ses


nombreux conseils et sa relecture attentive.
À la mémoire de Frédéric Fajardie
Avant-propos

Vous envisagez d’écrire un livre et vous vous documentez en ce sens.


Pour apprendre et maîtriser la composition d’un récit quel qu’il soit, il
convient de s’atteler à la tâche et d’écrire, écrire, encore et encore…
Sachez que l’écriture n’arrive pas qu’aux autres et les millions de livres
qui dorment à perpétuité dans les trop vieilles bibliothèques n’y sont pas
toujours pour quelque chose…
Pour moi, l’écriture est un jeu complexe de navettes entre les autres et
soi-même, entre le monde tel qu’il se montre à voir et une intériorité
toujours mutante, éternellement en devenir.
Personne n’apprend réellement à écrire, on se jette un jour dans
l’écriture comme un besoin d’air pur, un geste de sauvegarde, un espace à
gagner sur le monde rationnel, un lieu de retrouvailles avec sa propre
histoire, sa part d’humanité.
Allez, une confidence intime pour commencer : l’école ne m’a jamais
donné envie de lire, pas davantage d’écrire, d’ailleurs…
La littérature me semblait décalée du réel. Écrire, c’est toujours viser
l’autre, c’est l’école de l’autre qui donne à notre langue la patine du temps
et la nécessité de s’offrir… L’autre soi-même, dissimulé sous sa carapace,
l’autre qui prend le temps de poser un regard oblique, l’autre, croisé au
hasard d’un chemin de traverse et qui deviendra personnage, l’autre, sans
mystification, devenant lecteur le temps d’une rêverie…
L’autre, c’est notre bonheur et notre condamnation, l’Enfer, affirmait le
philosophe du Néant… Personnellement, les autres m’ont toujours
intéressé, questionné, attiré. Proches ou anonymes, ils s’imposent toujours
dans mes plates-bandes, mes romans, mes documentaires historiques, les
rencontres et les nombreux ateliers d’écriture conduits depuis vingt ans.
Après le désir d’écrire surgit la question du genre littéraire. Confidence :
j’aime cheminer d’un genre à un autre, roman noir, polar, récit littéraire,
texte historique, roman pour la jeunesse, documentaire de mémoires vives
et propos recueillis…
Sans doute, est-ce la quête d’une humble mémoire à travers l’histoire
d’hier et celle qu’écrit notre époque qui me sert de boussole.
Des histoires s’inventent, se reforment, se recomposent, sous la plume
ou le clavier. Les humains sont toujours mobilisés et parfois le roman me
semble constituer un détour. J’aime aussi le documentaire, les paroles
d’autrui recomposées, un réel d’aujourd’hui ou d’autrefois à peine mis en
scène. L’essentiel reste le dire, le sentir, le hurler. Le convaincre aussi, et là,
l’autre pointe à nouveau sa fragile silhouette…
Auteur d’une bonne trentaine de livres (récits, romans, documentaires,
livres pour la jeunesse), j’ai écrit cinq romans policiers, mais je crois que
c’est l’ensemble de mon travail qui m’autorise ci-après à dispenser
quelques conseils, à offrir des éléments de méthodes, l’ébauche de quelques
analyses.
PREMIÈRE PARTIE
Les bases du genre
Vous décidez d’écrire un polar…

Un soir, vous refusez une sortie, évitez d’ouvrir la télé, fermez


brusquement un roman inachevé, vous n’êtes là pour personne, votre
décision est prise : vous allez écrire un polar et vous commencez tout de
suite !
Apparemment, cela vous semble plus facile que de choisir un autre
genre littéraire. La littérature générale, le roman vous apparaissent hors de
portée. Vous pensez que les grands écrivains appartiennent à un monde
inaccessible… En revanche, ce que l’on nomme d’une manière péjorative le
roman de genre vous semble un objectif plus facilement réalisable.
Le plus souvent, chacun admet volontiers qu’un roman policier peut
capter notre attention sans trop d’effort et bénéficie d’une facilité de lecture.
Certes. Cependant, entre lire et écrire, un long chemin subsiste.

Pourquoi écrire ?
L’idée de se lancer dans l’écriture d’un livre répond souvent à un désir, à
une envie forte d’exprimer ses pensées ou ses critiques à l’égard du monde
qui nous entoure.

Paroles d’éditeur…

“ En tant qu’éditeur, j’ai découragé peu de gens. Pour


moi, l’éditeur, c’est un regard objectif et gentil sur votre
travail. L’éditeur sera de votre côté avec un œil non
complaisant. Il ne faut pas être dedans, mais rester
extérieur, deux conditions indispensables pour trouver les
meilleurs manuscrits…

Patrick Raynal

Tenter de se jeter dans la composition d’un roman policier, ou d’un polar,


part aussi souvent du refus de trop s’impliquer personnellement dans le
contenu même d’un projet de livre.
Des crimes, des délits, la vie interlope de malfrats ou de criminels, les
questionnements et les errances des enquêteurs, ce ne sont pas là les
ingrédients de votre quotidien, vos références de chaque instant.
En effet, le choix d’un polar va vous permettre de naviguer dans
l’imaginaire, éloigné de votre propre existence, de vos propres routines.
Loin de vous mettre en scène ou dans une logique introspective, vous ne
serez guère présent dans les pages ; à moins naturellement d’avoir trempé
de près dans une affaire réelle ou de pratiquer l’une des professions
concernées par le genre, il y a globalement moins d’implication personnelle
que dans la littérature dite, communément, blanche…
Cette envie de vous jeter dans un chantier épistolaire de plusieurs mois,
maturée ou saugrenue, est assez proche d’un jeu solitaire, ou pourquoi pas à
plusieurs. Mais qui dit jeu doit intégrer des règles, acquérir un règlement,
respecter une marche à suivre. En un mot réfléchir à un ensemble de
décisions à prendre avant de se jeter, à l’aveugle, sur la feuille blanche.
Derrière votre décision de tenter l’écriture d’un roman policier se
cachent sans doute des motivations singulières. Cela peut être le désir avoué
de régler facilement des comptes de papier avec de vraies situations
connues ou traversées.
Si le roman policier classique s’évertue à présenter une énigme ficelée et
à suivre le raisonnement d’un enquêteur chargé de résoudre une affaire en
maintenant le suspense jusqu’au bout, le roman noir ou le polar à la
française constitue souvent une sorte de machinerie visant à dénoncer un
fait sociétal ou une réalité connue. Dans ce cas, l’aventure délictuelle ou
criminelle inventée sera la plupart du temps un prétexte pour développer
une critique acerbe d’un problème de société ou plus généralement de la
politique d’un pays.

Paroles d’avocat lecteur…


Lecteur de romans policiers, pour moi, un bon polar est

“ un livre qui me passionne totalement au point de ne pas


avoir envie d’interrompre ma lecture tant le récit me prend.
La qualité d’une intrigue et la cadence du récit me
semblent être les éléments les plus importants du genre.
Le roman policier est une voie d’entrée sur la société
qu’il décrit et peut contenir des critiques sévères sur
certains de ces aspects, mais pour moi, son rôle reste
essentiellement celui que j’attribue à la forme romanesque.
Captiver, occuper, distraire.
Dans le roman français, les personnages qui me sont
familiers, c’est bien sûr le policier, l’avocat quand il est un
personnage important et le juge d’instruction ou le
procureur, acteurs incontournables du théâtre judiciaire.
Mais les romans policiers ne sont pas toujours
vraisemblables du point de vue professionnel. Les plus
connus et souvent les plus intéressants ont été écrits par des
auteurs qui ont fait l’effort de connaître la réalité des
milieux qu’ils décrivent, bien davantage que ceux des films
ou des séries qui ont un mal fou à ne pas se tromper…
Pensons aux scènes de procès devant les tribunaux français
où l’avocat dit : objection, votre Honneur ! (formule
récurrente des feuilletons américains). Quant à l’impact de
ces œuvres, je ne pense pas que le roman noir à la
française fasse bouger quelque peu la police, pas
davantage la magistrature…

Maître Thierry Domas

Raconter la vie
Vous allez raconter une histoire. Vous serez auteur certes, mais aussi
conteur. Pour rencontrer immédiatement l’adhésion d’un lecteur, vous
devez admettre que le matériau essentiel dune histoire concerne l’humain et
ses caractéristiques propres (la fameuse nature humaine !) et non la réalité
froide d’un délit ou d’un crime.
Se posent alors les questions des conduites humaines de vos
personnages, des registres des relations tissées, de la nature des humanités
brassées par une intrigue.

Paroles d’écrivain…

“ Un conseil pour écrire un polar ? D’abord, ne touchez


pas à l’écriture, sérieux, c’est un piège ! Mais si vous
décidez d’y toucher quand même, tant pis pour vous, il faut
prendre des risques. Avec le roman, nous ne sommes pas
dans la recherche de la vérité mais dans l’organisation du
vraisemblable. Un bon livre sera celui qui donnera au
lecteur un sentiment d’apesanteur. J’aime les livres qui
m’obligent à marcher sur les lignes de l’ouvrage comme si
j’étais un funambule, avançant sur un fil à cinquante
mètres de haut, un balancier en main…
La question centrale reste celle du vertige. Il ne faut pas
avoir le vertige en écrivant, mais il faut évidemment le
donner, le transmettre au lecteur…

Didier Daeninckx
Les origines du roman policier

Peut-on trouver la genèse de la littérature policière dans les romans


« effrayants » plantés dans la fantasmagorie de châteaux tourmentés, livres
que dévoraient les jeunes filles de l’aristocratie et des bourgeois éclairés, à
l’aube de la Révolution française ? Oui, indéniablement. Les années noires
et sanglantes suivant l’abolition des privilèges offrent un décor de
cauchemar pour cultiver ses peurs, entretenir un rapport ludique à tout ce
qui peut effrayer un lecteur.
La mise en scène de la criminalité a toujours impressionné l’opinion.
Les crimes, les vols, la violence gratuite, les mœurs dégradées sont
autant de sujets disponibles pour devenir des éléments fictionnels. Ce que
les chroniqueurs des débuts des journaux populaires nommaient déjà des
« faits divers » passionnaient davantage leurs lecteurs qu’ils ne les
repoussaient.
Le fait divers et l’écho de masse que l’on va lui donner correspondent
objectivement à plusieurs fonctions :
• Tout d’abord, redéfinir à chaque occasion de débordement de la règle ou
de transgression de la loi ce qui sort du cadre, ce qui est blâmable,
condamnable et, en conséquence, passible d’une punition. La mise en
spectacle du délit permet l’affirmation des règles sociales, désignant
brutalement celles et ceux qui ne les respectent pas. Le fait divers est un
dérivatif au quotidien sombre ou difficile. On applaudit les exploits
délictueux, on suit la traque policière d’un criminel. La dose de grands
frissons et les peines promises inscrivent dans la tête du lecteur le respect
de l’ordre comme une priorité absolue.
• Le spectacle du fait divers éloigne le peuple de ses revendications, de
l’organisation même d’une résistance. Se passionner pour un meurtrier, se
pâmer à la lecture d’une aventure délictuelle extraordinaire fait oublier
pour un moment la lutte de classes, notamment dans la période des
grandes révolutions sociales de la moitié du XIXe siècle. Lorsque le tueur
en série romantique et homme de lettres Pierre-François Lacenaire
défrayait la chronique, le peuple de Paris ne pensait plus à ses mauvaises
conditions de vie, de travail.
• S’amuser des difficultés policières pour appréhender un tueur récidiviste
constitue un dérivatif à la confrontation sociale d’un monde en mutation
profonde.

Le crime à la une
L’histoire sociale cahotante du XIXe siècle est ponctuée d’affaires
célèbres et de crimes épouvantables que la scène du mélodrame popularise.
Plus tard, le roman peu onéreux et le cinéma exploiteront sans vergogne
meurtres et cambriolages spectaculaires.
Dans L’Auberge des Adrets, l’illustre Frédérick Lemaître (immortalisé
par Les Enfants du paradis, film de Marcel Carné) interprétait le rôle de
Robert Macaire, un bandit affairiste et sans scrupule que les spectateurs du
« boulevard du Crime » affectionnaient particulièrement. Ils s’identifiaient à
ce voleur pouvant ressembler à n’importe quel tire-laine alentour.
Pourquoi imaginer, inventer de fond en comble de sombres histoires que
la réalité nous livre chaque jour avec une régularité époustouflante ? Des
figures monstrueuses ou plus attachantes s’imposent. Les petits journaux
illustrés constituent l’âge d’or de la presse. On sait désormais à peu près lire
dans les milieux populaires des grandes villes et tous les malfrats aux
sombres desseins deviennent de croustillants sujets de conversations,
d’émois, d’affects.
Sur la première page, le dessinateur de presse noircit les traits du
criminel, il expose ses armes, effraie à l’envi.
Le lecteur tremble, se mobilise, s’émeut. La gravure souligne en quelque
sorte la posture même de la victime représentée ou celle de son assassin. De
terribles détails induisent volontiers du lyrisme et exploitent à souhait une
théâtralisation du meurtre commis : les yeux qui roulent, la bouche ouverte,
le sang qui coule à flots…
De la présentation outrée du réel au roman, un genre vient de naître. La
criminalité sous toutes ses facettes va peu à peu devenir un centre d’intérêt,
déjà présent dans certains romans d’Émile Zola, d’Eugène Sue, de Balzac
bien sûr.
Edgar Allan Poe invente le « roman policier » dès 1843 avec plusieurs
nouvelles littéraires dont Double Assassinat dans la rue Morgue traduit par
Charles Baudelaire, dans lequel le premier des détectives privés de la
littérature, le chevalier Dupin, va résoudre ce que la police officielle n’a pu,
n’a su faire.
Le premier pas est fait. Dans les années qui suivent, le roman policier se
structure, se développe et, en tant qu’objet d’étude, il va rencontrer ses
analystes.
Le professeur de littérature Anne Pambrun le définit comme « un récit
rationnel dont le ressort dramatique est un crime, vrai ou supposé ».
Le nom générique roman policier englobe plusieurs genres bien
spécifiques avec leurs contraintes précises et leurs références propres.

Les différents romans policiers


Le roman de mystère ou d’énigme
Il peut présenter un problème autre qu’un crime, et la frontière avec le
fantastique semble, ici, assez poreuse… C’est aussi la spécialité française
du roman d’aventures. Fantômas figure en bonne place des héros du roman
de mystère.

Le roman d’enquête
Le roman d’enquête met en scène un policier ou un détective privé. Il
devient au fil des ans l’archétype du genre. Un délit ou un crime a eu lieu,
un enquêteur est chargé de trouver le coupable. Le livre l’accompagnera du
début à la fin, le lecteur devenant le complice du raisonnement, des
questionnements… Les plus fameux personnages de détective viennent du
roman d’enquête : Sherlock Holmes, Hercule Poirot, etc.
Le roman noir
Par-delà l’intrigue, le roman noir critique la société, ses déviances et ses
dysfonctionnements. Il donne à voir l’état du monde, les tensions sociales et
leurs conséquences.
Les humains en mouvement en sont souvent les victimes et se débattent
dans une urgence de résister, une nécessité de survivre. L’archétype de la
figure du détective privé dans le roman noir reste le personnage de Dashiell
Hammett : Sam Spade.

Le roman de cambriolage
Ce roman exalte une aventure extraordinaire. Le voleur intrépide séduit
toujours son lecteur. Le personnage sera plaisant, humain, souvent altruiste
et enchanteur à la Arsène Lupin.

Le roman policier historique


Le roman policier historique inscrit l’intrigue dans une autre époque que
celle vécue par les lecteurs… Le livre fera découvrir des réalités peu
connues, recomposera une psychologie singulière, guidera dans des
contextes sociaux ou politiques recomposés… Le commissaire au Châtelet,
Nicolas Le Floch, est un personnage typique de l’enquêteur de roman
policier historique en ce qu’il permet l’entrée dans un univers, une époque
et des personnages choisis et rigoureusement décrits : la vie parisienne sous
les règnes de Louis XV et Louis XVI.

Des antihéros sympathiques


Dans la dernière décennie du XIXe siècle, l’ouvrier, le pauvre,
l’alcoolique, tous ceux que la bourgeoisie avide de réussite rassemble sous
l’étiquette « classes dangereuses » deviennent les héros repoussoirs
d’aventures à découvrir avec délices. Un double mouvement s’opère alors.
La presse quotidienne va multiplier l’information des faits criminels et
l’État lance les fondements d’une nouvelle police fondée sur des
découvertes récentes. La photographie, la reconnaissance des empreintes, la
morphologie, la graphologie, l’anthropométrie du docteur Bertillon vont
contribuer à faire des enquêteurs traditionnels de farouches limiers. Dès
lors, arsenal compris, ils peuvent devenir des personnages intéressants pour
captiver l’attention d’un lecteur.
En 1863, Émile Gaboriau sera le premier auteur français à construire une
intrigue romanesque, sur les pas mêmes des policiers chargés de résoudre
une enquête, dans une ambiance teintée de mélodrame. Petite ou grande, la
ville est là, comme décor, comme personnage transcendant avec ses
problèmes spécifiques.

« Rien plus n’existait qu’un crime dont l’auteur était à


découvrir et un juge : lui. Mais, il avait beau exagérer sa roideur
habituelle et ce dédain des sentiments humains qui a fait à la
Justice plus d’ennemis que ses plus cruelles erreurs, tout en lui
tressaillait d’une satisfaction contenue, tout, jusqu’aux poils de sa
barbe, taillée comme les buis de Versailles… »
Émile Gaboriau, La Corde au cou

Totalement lié aux débuts de l’ère industrielle, le roman policier change


la donne. Le mystère mute problème. Le héros romantique devient un
professionnel muni de savoir-faire et de ressources scientifiques aux seules
fins de résoudre une énigme.
Glacé et chargé seulement de régler une question posée, Sherlock
Holmes, imaginé par Conan Doyle, deviendra l’archétype du héros de ce
nouveau genre.

« C’était le surlendemain de Noël. Je m’étais rendu chez mon


ami Sherlock Holmes afin de lui présenter les vœux d’usage… Je
le trouvai en robe de chambre pourpre, allongé sur son divan, son
râtelier à pipes à portée de la main. Sur le parquet, un tas de
journaux, dépliés et froissés, indiquait qu’il avait dépouillé avec
soin la presse du matin.
On avait approché du divan une chaise, au dossier de laquelle
était accroché un chapeau melon graisseux et minable, bosselé
par endroits et qui n’était plus neuf depuis bien longtemps.
Une loupe et une pince, posées sur le siège, donnaient à
penser que le triste objet n’avait été placé là qu’aux fins
d’examen.
— Vous êtes occupé, dis-je. Je vous dérange ?
— Nullement, Watson ! Je suis au contraire ravi d’avoir un
ami avec qui discuter mes conclusions… »
Conan Doyle, L’Escarboucle bleue

En France, Maurice Leblanc ou Gaston Leroux conserveront toujours


certains ingrédients du roman d’aventures, notamment la question des
passions, celle des idéologies en présence, celle de la morale collective
d’une époque. Arsène Lupin ou Fantômas s’inscriront dès lors dans un
contexte d’oppositions sociales fortes où la compassion du premier n’aura
pas grand-chose à voir avec la dureté glaciale, voire meurtrière, de l’ennemi
juré du journaliste Fandor et de son ami personnel, le commissaire Juve.
L’âme du roman noir

Désormais, dans la plupart des romans, le lecteur sera confronté à des


aventures construites à la frontière du vraisemblable. Le roman d’aventures
classique laisse peu à peu place au roman d’enquêtes. C’est alors
l’apothéose du détective, public ou privé, chargé de résoudre un problème
et de trouver, le plus vite possible, les coupables… À l’origine, en effet, le
roman policier s’attache à la personne même de celui qui doit résoudre la
responsabilité d’un délit. Il est le héros, le personnage principal et tout
s’organise autour de la quête de la seule vérité.
Depuis, tout au long du XXe siècle, différents genres de romans policiers,
pouvant être classés en deux grandes familles, se sont succédé, jusqu’au
roman noir, forme complexe à la frontière entre plusieurs genres.

Les « romans du discours »


Dans ce registre particulier, Agatha Christie et son détective culte, le
citoyen belge Hercule Poirot, excellent :

« — Constatez, mon ami, déclara Hercule Poirot, que les


mensonges sont parfois aussi précieux que la vérité.
— Vous a-t-on dit des mensonges ? demanda Peter Lord.
Hercule Poirot hocha la tête.
— Certes et pour diverses raisons. La personne qui,
précisément, se devait de proclamer la vérité avec tout le
scrupule de sa conscience délicate fut celle qui m’intrigua le plus.
— Elinor ! murmura Peter Lord.
— Justement les témoignages la désignaient comme la
coupable et elle n’essaya point de détourner les soupçons.
S’accusant d’intention sinon de fait, elle fut sur le point
d’abandonner la lutte et de plaider coupable devant le tribunal
pour un crime qu’elle n’avait pas commis… »
Agatha Christie, Je ne suis pas coupable

Cherchant des indices pour élucider un crime, le lecteur chemine à côté


du héros qui explique sans cesse son raisonnement et ses déductions, mais
en omettant volontairement un ou plusieurs détails. Chaque protagoniste
présent dans l’histoire peut être un parfait coupable et la démonstration du
détective peut sembler valide pour chacun. Enfin, la chute aménagée
constitue toujours un grand moment jubilatoire : il s’agit de la grande
réunion de dévoilement du coupable.
Cette mécanique de précision va évidemment répondre, en nous perdant
un peu, à la question centrale et ludique : qui a tué ?

Les « romans du regard »


Ils s’attachent davantage à la description sans fard ni complaisance
d’une réalité, d’un contexte social urbain. Son précurseur, Dashiell
Hammett (dit « Dash »), puis Raymond Chandler, dans l’Amérique en crise
des années 1920-1930, interrogent surtout les causes profondes de la
criminalité ou l’origine de l’acte délictueux. La violence de la réalité
environnante pénètre dans la fiction. Alors, l’auteur montre, dévoile,
condamne. La société est seule coupable de tous les dérèglements, de toutes
les casses psychologiques.
On peut voler parce que l’on a faim, on tue parce que l’usine de Detroit
a déposé son bilan… N’importe qui peut devenir un réprouvé, un criminel
en puissance, par haine, dégoût, désœuvrement…
La ville, la rue où l’on gâche son existence deviennent le grand théâtre
du pire où tout peut déraper… La grande ville sans âme ou les banlieues
poisseuses s’imposent comme décors et personnages anxiogènes. C’est
toujours la ville qui tue…
Fondateur du roman noir, le grand Dash regarde son environnement, et
va dépeindre tout autour d’une intrigue la survie urbaine parfois misérable,
confrontée aux malheurs sociaux d’une époque.
De son côté, l’écrivain David Goodis regarde la vie réelle avec un
découragement grandissant, débusquant une maladie sociale derrière
chaque solitude un peu trop affichée.

« À l’autre extrémité du bar, il y avait foule, mais de son côté à


lui, il était seul, en train de boire un gin-tonic. Leur gin-tonic
était très bon au Laurel Rock mais il ne s’en rendait même pas
compte. Pour lui, rien n’avait plus de goût. Alors, ainsi que cela
peut arriver à chacun de nous un jour ou l’autre, il envisageait de
mettre fin à ses jours. Pourquoi pas ce soir ? pensa-t-il. Aussi
bien ce soir qu’un autre. Pas loin d’ici l’eau est profonde, et tiède
la mer des Caraïbes. Tout ce que ça demanderait, ce serait
quelque chose de lourd attaché à la cheville. Mais on dit que c’est
une façon maladroite de se tuer, cet étouffement, cette inondation
interne, quel affreux gâchis ! Peut-être qu’une lame de rasoir
ferait mieux l’affaire… »
David Goodis, Descente aux enfers

Le héros est usé, ravagé, on ne sait pas exactement s’il va mourir ou s’il
va tuer. Les rôles se mélangent, la morale s’est joliment éclipsée, juste le
temps immémorial de la crise, crise économique, crise des valeurs, crise de
la confiance absolue en des jours meilleurs. « La vie est dégueulasse »,
disent-ils tous, dans l’urgence d’un témoignage littéraire.

Au seuil des années 1930, une véritable « bible » de conseils pour


auteurs en herbe est élaborée et publiée dans l’American Magazine de
septembre 1928. En voici quelques extraits :
« Le lecteur et le détective doivent avoir des chances égales de
résoudre le problème. Tous les indices doivent être pleinement énoncés
et décrits en détail. (…) Le coupable ne doit jamais être découvert
sous les traits du détective lui-même ni d’un membre quelconque de la
police. (…) La culpabilité doit être déterminée par une suite de
déductions logiques et non par hasard, par accident, ou par confession
spontanée. (…) Dans tout roman policier il faut, par définition, un
policier. Or, ce policier doit faire son travail et il doit le faire bien. Sa
tâche consiste à réunir les indices qui nous mèneront à l’individu qui a
fait le mauvais coup dans le premier chapitre. (…) Le problème
policier doit être résolu à l’aide de moyens strictement réalistes. (…) Il
ne doit y avoir, dans un roman policier digne de ce nom, qu’un
véritable détective. (…). Le coupable doit toujours être une personne
qui a joué un rôle plus ou moins important dans l’histoire, c’est-à-dire
quelqu’un que le lecteur connaît et qui l’intéresse (…). Il ne doit y
avoir, dans un roman policier, qu’un seul coupable, sans égard au
nombre d’assassinats commis. (…) Toute l’indignation du lecteur doit
pouvoir se concentrer sur une seule âme noire. (…)
Le fin mot de l’énigme doit être apparent tout au long du roman, à
condition, bien sûr, que le lecteur soit assez perspicace pour le saisir.
(…)
Il ne doit pas y avoir, dans le roman policier, de longs passages
descriptifs pas plus que d’analyses subtiles ou de préoccupations
atmosphériques. De tels passages retardent l’action et dispersent
l’attention, détournant le lecteur du but principal qui consiste à poser
un problème, à l’analyser et à lui trouver une solution satisfaisante.
(…) Ce qui a été présenté comme un crime ne peut, à la fin du roman,
se révéler comme un accident ou un suicide. Le roman policier doit
refléter les expériences et les préoccupations quotidiennes du lecteur,
tout en offrant un certain exutoire à ses aspirations ou à ses émotions
refoulées… »

Il n’est plus question, dans ce « roman du regard », de donner dans le


poncif ou la grosse ficelle. Finis les indices fumeux tel le mégot trouvé sur
les lieux du crime, finis les raisonnements simplistes telle l’accusation d’un
proche de la victime parce que le chien de la maison n’a pas aboyé à
l’arrivée du meurtrier…

Un mélange des genres « à la française »


En France, le détective privé Nestor Burma, imaginé par l’auteur
libertaire Léo Malet, tentera une sorte de synthèse entre les deux grandes
familles évoquées ci-dessus (romans du discours et romans du regard) dans
un Paris encore préservé et traditionnel, au sortir de la Seconde Guerre
mondiale. La Trilogie noire donne le ton : La vie est dégueulasse, Le soleil
n’est pas pour nous… et Sueur aux tripes. Ensuite, Les Nouveaux Mystères
de Paris dévoileront les secrets cachés des arrondissements parisiens.

« Je laissai Marc Covet, le journaliste-éponge, en


contemplation devant le grand verre aux parois embuées, et la
pipe au bec traversai la vaste et luxueuse pièce, prenant un réel
plaisir à fouler de mes pieds plébéiens le tapis qui recouvrait le
parquet, puis sortis sur le balcon. Le soleil de juin baignait les
Champs-Élysées, faisant étinceler les carrosseries des
somptueuses bagnoles qui coulaient en un flot ininterrompu. »
Léo Malet, Corrida aux Champs-Élysées

Depuis, la « Série Noire » des éditions Gallimard avec la publication des


romans de Chester Himes (« homme de couleur ayant connu la prison »,
disaient les critiques des années 1950) est devenue une collection culte et
des centaines d’auteurs ont continué à effrayer ou tétaniser leurs lecteurs,
des décennies durant. Occupant une place originale, Jules Maigret, le
célèbre commissaire promené dans plus de cent livres par Georges
Simenon, abandonne à d’autres la lubie d’expliquer l’enquête. Maigret pèse
les âmes, il veut tenter de comprendre, élucider la part de crise, dans la
psychologie d’un être, qui le conduit au drame. Il s’attache alors à un détail
essentiel, une phrase, une posture, un regard.

« La tête avait-elle été jetée dans la Seine ou dans un égout ?


Maigret le saurait peut-être dans quelques jours. Il était persuadé
qu’il saurait tout et cela ne provoquait chez lui qu’une curiosité
technique. Ce qui importait, c’était le drame qui s’était joué entre
les trois personnages et au sujet duquel il avait la conviction de
ne pas se tromper. »
Georges Simenon, Maigret et le corps sans tête
Plus tard, le néo-polar créé par Jean-Patrick Manchette, et bien d’autres
après lui, tentera une sorte de passerelle entre le noir américain à la Goodis
ou à la Hammett et un nouveau genre, la critique politique et sociale.
Manchette préfère suivre le criminel que le flic. Terrier est le personnage
principal du roman cité ci-après.

« Et parfois il arrive ceci : c’est l’hiver et il fait nuit ; arrivant


directement de l’Arctique, un vent glacé s’est engouffré dans la
mer d’Irlande, a balayé Liverpool, filé à travers la plaine de
Cheshire où les chats couchent les oreilles en l’entendant hurler
et passer ; ce vent glacé a traversé l’Angleterre et franchi le Pas-
de-Calais, il a survolé des plaines grises et vient frapper
directement les vitres du petit logement de Martin Terrier, mais
ces vitres ne vibrent pas et le vent est sans force. Ces nuits-là
Terrier dort en silence. Dans son sommeil, il vient de prendre la
position du tireur couché. »
Jean-Patrick Manchette, La Position du tireur couché

Depuis les années 1980, le roman noir à la française a acquis ses lettres
de noblesse avec Jean-François Vilar, Didier Daeninckx, Jean-Claude Izzo
ou Thierry Jonquet. Il s’est fortement politisé. Les désillusions des
soixante-huitards, l’écroulement du communisme, la mondialisation et le
règne sans partage de l’univers de la communication offrent un cadre
général à des dizaines d’auteurs.
Les dérèglements sociaux, économiques, financiers et bientôt
climatiques donnent autant de thèmes nouveaux pour y glisser un autre
dérèglement, moral ou psychologique à l’échelle des individualités.
La société urbaine a créé de nouvelles pathologies et, en retour, celles-ci
peuvent offrir de belles moissons pour la littérature policière.

« Être à Paris sans autre rendez-vous qu’avec Paris, je


pédalais, jubilant de ce bonheur-là. Je jouais à suivre au plus
près, exercice difficile, le tracé du pourtour de l’ancienne
forteresse, tracé sur le sol. Revenant à contre-sens, je décrochai
sur le boulevard Richard-Lenoir, juste devant la pharmacie que
Pierre Goldman n’avait pas attaquée… »
Jean-François Vilar, Bastille tango

Les romans à suspense légués par l’histoire foisonnante du roman


policier captent toujours l’intérêt des lecteurs pour deux raisons
essentielles : une curiosité passionnée pour les faits mis en scène, mais aussi
pour la manière dont le personnage principal va se comporter avec des
éléments que le lecteur comprend vite. Une attitude anxieuse permet alors
le redoublement d’intérêt. Autrefois, le roman de mystère avait
essentiellement pour raison d’être d’attiser la vivacité de son lecteur, en
l’invitant dans une sorte de jeu de société où tous les suspects pouvaient
être coupables.
Une écriture de l’urgence

De l’imaginaire au politique : que voulez-vous exprimer ? Si le roman


policier de facture classique respecte une certaine neutralité à l’égard du
contexte social, le roman noir ou le polar à la française va le plus souvent
dénoncer une situation jugée inique, critiquant au passage les rapports
sociaux, l’organisation politique en place, les institutions en présence.
L’auteur peut ne pas être tendre avec le pouvoir établi et ses différentes
administrations, notamment la police qui pourrait être au centre de ses
préoccupations. Dès lors qu’il choisit un fait divers réel ou une situation
singulière, son regard va subjectiver son matériau de départ. La structure de
son intrigue découlera du réel, puis il habillera celui-ci de fiction.

S’exprimer à travers le roman


Certains écrivains de romans policiers choisissent volontairement de
s’inscrire en « pour » ou en « contre » ce qu’ils vont nous montrer, faire
vivre, recomposer, dans leurs textes. Le lecteur sera pris à parti, deviendra
le témoin décalé d’un événement ayant réellement existé. L’histoire
immédiate ou plus ancienne va parfois servir de terrain d’investigation
romanesque pour tenter de recomposer un réel enfoui. Par-delà ses
personnages, l’auteur devient lui-même une sorte d’enquêteur impartial de
tout ce qu’il veut nous faire découvrir, partager, instruire – au sens quasi
judiciaire du mot. Il va aller fouiller, trouver des traces, consulter les
archives de la presse, si possible rencontrer des témoins oculaires, etc.
Indéniablement, un couple contradictoire de valeurs ou de défauts se met
alors à l’œuvre. « Justice » et « Injustice » s’offrent un bras de fer
spectaculaire et tout peut être dénoncé dans un ouvrage.
Si l’auteur s’inscrit dans une volonté objective de « rendre la justice » au
moyen d’un personnage fort, des registres s’imposent comme toile de fond
du livre à composer :
• la tyrannie d’une caste, d’un groupe, d’une politique d’État, d’une société,
d’une secte… ;
• la réaction humaniste contre la haine distillée ;
• le combat pour la vérité et contre le mensonge d’État, les avanies
quotidiennes, le mensonge à son propre égard.
D’une manière générale, disons qu’un roman policier s’organise presque
toujours sur fond de conflits empilés les uns dans les autres ou les uns après
les autres. Le conflit majeur, celui du thème abordé par l’ensemble de
l’histoire racontée, doit déclencher un réel sentiment de mise en péril, de
danger, quel qu’il soit.
Un ouvrage riche en rebondissements abordera plusieurs registres de
conflits :
• les conflits extérieurs au personnage principal, c’est-à-dire tout ce qui peut
gêner sa quête de vérité ;
• les conflits liés aux personnages et découlant de leur statut (pauvres,
riches, détestés, adulés, etc.) ;
• les conflits intérieurs, ou les états d’âme contradictoires du personnage
principal.

Paroles d’un ancien perceur de coffres-forts

“ Je ne pense pas qu’avoir connu la détention et la


pratique de délits donne plus de crédibilité lorsqu’on écrit
un roman policier. En tout cas, pour le seul vrai polar que
j’ai écrit, ainsi que pour les romans noirs, je ne l’ai pas
vraiment ressenti. Lorsque je me trouve dans des salons à
côté de Didier Daeninckx, qui n’a jamais fait de prison, il
signe deux fois plus de livres que moi. Alors qu’il lui est
déjà arrivé de m’appeler pour me demander un
renseignement concernant les coffres. En revanche, pour ce
qui concerne mes essais et mes documents concernant
l’incarcération, il semble évident que mon expérience
renforce ma crédibilité. Constat qui me conduit à penser
que le lecteur de polars cherche plus le rêve que la réalité.
Le polar, selon qui l’écrit, peut permettre de dépeindre,
de façon plus ou moins ludique, un monde parallèle
(imaginaire ou réel), jusque-là étranger aux lecteurs. Il est
également possible de dénoncer de manière romancée,
donc plus attrayante, moins brutale que dans un essai,
nombre de travers sociaux. En ce sens, le polar peut être
considéré comme un outil susceptible de participer à une
relative prise de conscience de nos multiples folies
contemporaines. Finalement tout dépend de celui ou de
celle qui utilise l’outil. Je lis très peu de livres policiers.
Sans doute parce que j’ai trop souvent été déçu. À moins
que, narcissique à l’extrême, je ressente plus de plaisir à
les écrire qu’à les lire. Je puis en revanche indiquer le titre
d’un livre qui a frappé mon adolescence : J’irai cracher
sur vos tombes de Boris Vian. Ce polar a éveillé en moi la
haine du racisme, du communautarisme et des violences
ordinaires qui découlent de ces plaies, hélas, universelles.

Serge Livrozet

La fabrique personnelle du romancier


Mais avant de se poser la question du sujet traité et de sa traduction en
intrigue romanesque, il importe d’évoquer de quoi est « fabriqué » un texte
romanesque, ses éléments, conscients ou inconscients.
J’appelle cela les matériaux du texte, présentés ci-dessous. Tout ou
presque sera utilisé, malgré vous. En écrivant, nous jonglons avec ces
éléments que nous portons en nous-mêmes. Notre vécu, notre mémoire,
notre affect constituent une première réelle boîte à outils. La réalité et la
mémoire collective d’un événement nous offrent de solides instruments
pour voyager aisément dans l’imaginaire qui vient simplement de nous.
Tout écrivain utilise ces matériaux au fil d’un récit, quel qu’il soit.
Même si vous vous lancez dans l’écriture d’un roman policier, ces
différents éléments s’imposeront au texte, malgré vous.
De la même manière, tout écrit romanesque se compose,
schématiquement, de parts mouvantes particulières dont le dosage
inconscient dépend lui aussi de l’auteur. L’ensemble fluctuera en fonction
de l’utilisation, par exemple, de documentation, d’éléments singuliers de la
réalité, des idées personnelles de l’auteur… Les cinq parties du schéma ci-
dessous ont une répartition évidemment aléatoire selon les auteurs.
L’important pour vous qui voulez tenter l’aventure est aussi de vous rendre
compte que les choix d’écriture intègrent le roman lui-même.
Ne faut-il pas s’essayer dans un texte
court ?

Avant de vous lancer dans la composition d’un roman, peut-être serait-il


judicieux d’aborder l’écriture fictionnelle en commençant par des récits
plus courts ? Comment s’y prendre, alors ? Comme un musicien rêvant
d’une symphonie, faites quelques « gammes » avec différents sujets qui
vous tiennent à cœur au moyen de deux types d’écrits : la bribe et la
nouvelle.

La bribe littéraire
Sans aucune logique d’intrigue ou de construction, elle permet de
travailler d’une façon autonome la description d’un lieu, l’approche d’un
portrait physique ou psychologique, une scène dialoguée entre deux
personnages antagoniques, l’évocation d’un crime, par exemple. Ce n’est
pas une histoire complète mais des morceaux choisis pouvant être utilisés
plus tard dans le cadre d’un travail de plus longue haleine.
Poursuivez le début d’une bribe ci-dessous au choix :
• Jamais un port n’avait ressemblé à celui où je déambulais par mégarde, les yeux perdus dans les
gréements de la flotte de plaisance qui attendait le retour des beaux jours… L’océan me narguait…
• Cette femme n’était qu’un regard azur où tous les paquebots du monde s’échoueraient à marée
basse, un matin déraisonnable…
• Ses mains tremblaient, la posture de son corps sentait le malheur ordinaire, des années noires, les
coups du père, peut-être, pour un oui ou pour un non, comment juger ?

La nouvelle littéraire
Par ailleurs, vous pouvez écrire en peu de temps une nouvelle policière,
c’est-à-dire une histoire achevée.
La nouvelle littéraire est un texte court qui se caractérise par une intrigue
simple et la mise en place de très peu de personnages. On rentre de plein
fouet dans une histoire avec une situation de départ, sans trop se soucier de
l’espace et du cadre temporel, pas davantage de l’histoire et de la
description physique et psychologique des personnages. Le but recherché
sera de créer une tension absolue vers un effet unique. Un début rapide, un
développement permettant la mise en place dune action ou d’un suspense,
puis la conclusion ou chute du texte.
S’entraîner à écrire des nouvelles constitue une démarche sérieuse qui
permet de mettre en avant pour chaque nouveau texte un contexte ou un
thème singulier. Par exemple, retrouver les ambiances singulières d’un lieu,
dune ville, d’un milieu spécifique, ébaucher l’étude de caractère d’un
personnage, la description d’un délit, d’un crime, travailler les réactions de
témoins, etc.
Les ingrédients de base, nécessaires, pour venir à bout dune nouvelle
littéraire sont les suivants : une situation de départ, un personnage principal,
une perturbation inattendue, l’élément perturbateur permettant la mise en
tension, comme le nomment les enseignants de français, un corps d’histoire
plus ou moins resserré, et une fin ménageant toujours un effet de surprise
pour le lecteur.

Une suite de nouvelles ?


Comment porter à maturité votre projet personnel ? Et si une suite de
nouvelles s’articulait ?
Un bon roman va souvent offrir à ses lecteurs des fausses pistes, des
indices qui brouillent leur propre raisonnement afin de ménager les
éléments d’intrigue conduisant à la résolution de l’enquête organisée.
Le découpage d’une histoire passant par des chapitres ou des séquences
différentes pourrait faire l’objet d’un traitement séparé.
Ainsi, l’enquête d’un policier centrée sur l’assassinat d’un homme
politique, un député ou un Premier ministre, sur les berges d’un canal par
exemple, pourrait être traitée et construite de deux manières. Tout d’abord,
il s’agit là d’un long récit structuré donnant à voir les interrogations
quotidiennes de celui qui est désigné pour rechercher la vérité.
Par ailleurs, plusieurs textes apparemment autonomes peuvent permettre
à l’auteur de bien maîtriser l’ensemble des facettes du projet poursuivi :
dans le cas de figure évoqué ci-dessus, un découpage s’impose.
• La première nouvelle s’organiserait sur la découverte du corps. Et une
question : qui avait intérêt à cette disparition ?
• La deuxième pourrait poser la question des relations entre la politique et le
domaine de l’argent.
• La troisième nouvelle pourrait donner à voir les relations au plus haut
niveau de l’État et l’assujettissement des uns à l’égard des autres.
• La quatrième présenterait la personnalité et la vie quotidienne de
l’enquêteur chargé du dossier.
Enfin, la question du rebondissement se pose. Qui est coupable ou non ?
À l’enquêteur de trancher, à vous plutôt, désormais…
N’oubliez jamais, dans une nouvelle policière, l’importance de la chute.
Elle se joue en quelques phrases. Il s’agit souvent d’une sanction, d’un coup
de théâtre. Courte, forcément courte…

« Je ferme les yeux.


J’irai peut-être en prison pendant les vingt années à venir
si cette heure ne me revient pas en mémoire.
Ça me laissera le temps d’y réfléchir. »
Tonino Benacquista,
Le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures

« Je pensais à la tête des présentateurs de journaux télévisés,


à la manière dont ils annonceraient que le modeste employé de la
voirie de Paris, las de ramasser les merdes des chiens avec sa
moto ad hoc, avait décidé de les exterminer tous. »
Delacorta, Coup de lune
Écrire seul, en duo, ou en groupe ?

Si vous décidez une écriture à quatre mains ou davantage, se pose


d’emblée la question de la répartition de chacun pour la réalisation de
l’ouvrage.
Toute écriture collective, qu’elle soit assumée par des adultes ou par des
adolescents, par exemple dans le cadre d’un atelier de pratique artistique au
collège ou au lycée, oblige à la structuration précise d’un scénario (comme
pour un film où le travail est toujours collectif) sur lequel un accord
préalable sera obtenu par souci de cohérence.
Au minimum, un synopsis présentant les intentions de traitement devra
être établi, permettant ainsi la mise en œuvre d’un découpage en chapitres
ou séquences, assumés par tel ou tel.
Celui-ci permet de cadrer ce que chacun va écrire, présenter, traiter, sans
chevaucher la séquence prévue pour une autre personne.
Ainsi, pour les partenaires engagés dans un projet de livre commun, il
apparaîtra clairement qui doit « ouvrir » un personnage entrant en scène,
développer telle ou telle action, décrire un lieu, un décor, faire avancer
l’histoire, la faire stationner, accélérer la descente vers la chute.
Quand on écrit un roman à quatre mains (ce que j’ai fait une fois avec
Frédéric Larsen pour Les anges meurent aussi en « Série Noire »), il
convient de s’accorder sur le déroulé de plusieurs chapitres en résidant
quelques jours au même endroit ; l’un les écrit, l’autre les amende, les
enrichit, les corrige.
La répartition à opérer semble s’imposer, selon nos propres capacités à
faire évoluer et vivre tel ou tel personnage. On sait également qu’un des
deux auteurs s’installe plus volontiers et longuement dans la description
d’un milieu, d’une ambiance, alors que l’autre fera avancer le récit plus
nerveusement, plus rapidement. Dans le cas de Les anges meurent aussi,
Larsen connaissait les avocats véreux, moi les loubards de banlieue :
somme toute, un simple partage de compétences ! Au final, la finition est
commune et un lecteur ordinaire ne pourra voir les ruptures de style. En
revanche, un confrère avisé connaissant les deux complices trouvera ce qui
a été produit par l’un ou par l’autre.
Lorsqu’on écrit à plus de deux – et même pour simplifier le travail à
deux –, certains outils peuvent être aidants, en particulier pour travailler le
texte séparément et pas forcément linéairement. Le tableau ci-dessous
permet par exemple de déterminer qui va traiter tel ou tel point du synopsis
de départ, permettant ainsi aux auteurs d’éviter les chevauchements. Des
transitions pourront être ménagées dans un second temps entre les parties
écrites par les différents contributeurs.
Si l’on découpe le roman en vingt séquences par exemple, certains
repères de temporalité (chronologie) et d’espaces (lieux, décors) seront
nécessaires.
Le choix du thème du livre

Votre livre va s’enraciner, prendre appui dans une époque (la nôtre ou
bien un autre temps…) et ses contradictions sociales. Cela oblige à ne pas
trop s’éloigner du réel et à mettre le vraisemblable au poste de commande.
Que voulez-vous traiter ? Que voulez-vous démontrer ?

Paroles d’écrivain…

“ À quoi sert cette littérature ? Comme l’autre, qualifiée


de “blanche”, à strictement rien ! Depuis Rabelais et même
certainement bien avant, tout ce qui pourrait être utile à
l’humanité a déjà été dit ou écrit. Ce qui ne me paraît pas
avoir beaucoup transformé les individus. Les tortionnaires,
les dictateurs, les puissants, desquels dépend la
désorganisation du monde, ont changé d’appellation et de
méthode, mais n’ont pas renoncé à leur ambition. Quant
aux plus modestes, ils poursuivent, cahin-caha et avec une
étonnante patience, leur accablante vie de moutons et
d’esclaves sublimés. Considéré du côté de l’auteur, on peut
envisager deux aspects : d’une part, le plaisir de la
création, la satisfaction de croire (ou de s’imaginer) qu’on
a permis à un lecteur de passer un moment agréable, voire
plus ou moins profitable ; d’autre part, un aspect – moins
sympa à mes yeux – qui fait fi de ce qui précède et qui
repose exclusivement sur un mélange confus de narcissisme
et de mercantilisme. Dans ce dernier cas, le souci du
lecteur prend évidemment bien peu de place dans l’esprit
de l’auteur. L’important est qu’on le reconnaisse… Dans ce
cas, le polar mute insensiblement vers la machine à fric, sa
rédaction devient répétitive. Seule change l’énigme, avec
bien entendu plus ou moins de bonheur. Le livre équivaut
alors pour le lecteur à une sorte de match de foot. Le “qui
a tué ?” remplaçant le “qui va gagner ?”.
Considéré du côté du lecteur, je me sens assez mal placé
pour répondre. Je pense qu’il orientera son choix vers l’un
ou l’autre des auteurs en fonction de sa personnalité et de
ce qu’il attend d’un livre policier. Le seul problème consiste
à savoir ce qu’il en espère. Le plus important consiste à
éviter de tenir le livre policier pour un genre mineur. Il
convient d’oser l’utiliser comme un moyen de
communication semblable aux autres, même si a priori il
paraît différent aux yeux de certains. C’est l’auteur de
blanche et de noire qui répond.

Serge Livrozet

Le roman puzzle
Ces questions sous-tendent la nécessité de connaître ce que l’on veut
exprimer, dire, montrer, démontrer. Un roman à suspense n’aura pour souci
que de tenir son lecteur en haleine, en l’invitant dans une sorte de jeu de
société où les pièces volontairement mélangées par l’enquêteur devront être
remises en ordre pour pouvoir résoudre l’affaire et fermer le livre, satisfait.
C’est le roman policier « puzzle ».
Toutes les pièces doivent s’articuler et la moindre information ne doit
être donnée que pour servir l’intrigue, la résolution du problème. Un
personnage ne sera traité sur le fond que si sa personnalité ou ses actes
donnent l’un des éléments du mystère à comprendre.

Les dix règles de Raymond Chandler

1. La situation originale et le dénouement doivent avoir des mobiles


plausibles.
2. Il ne doit pas y avoir d’erreurs techniques sur les méthodes de
meurtre et d’enquête.
3. Les personnages, le cadre et l’atmosphère doivent être réalistes. Il
doit s’agir de gens réels dans un monde réel.
4. À part l’élément de mystère, l’intrigue doit avoir du poids en tant
qu’histoire.
5. La simplicité fondamentale de la structure doit être suffisante pour
être facilement expliquée quand le moment est venu.
6. La solution du mystère doit échapper à un lecteur raisonnablement
intelligent.
7. La solution, quand elle est révélée, doit sembler inévitable.
8. Le roman policier ne doit pas essayer de tout faire à la fois. Si c’est
l’histoire dune énigme fonctionnant à un niveau mental élevé, on ne
peut pas en faire aussi une aventure violente ou passionnée.
9. Il faut que dune façon ou dune autre le criminel soit puni, pas
forcément par un tribunal (…) [Sans la punition], c’est comme une
dissonance qui irrite.
10. Il faut une raisonnable honnêteté à l’égard du lecteur.
Quelques remarques sur le roman de mystère

Un univers dévoilé
Une question se pose alors. Quand on construit, structure, articule au
millimètre près une histoire, une autre frustration peut apparaître : la place
que l’on laisse réellement à l’écriture, à sa propre littérature. Où va exister
votre jubilation ? Dans le labyrinthe de l’intrigue conduite, ou davantage
dans la forme littéraire choisie et le travail sur la langue ?
Un livre est un chantier : il faut rassembler les matériaux de
construction, maîtriser l’établi… Synopsis, scénario ficelé, improvisation,
c’est selon chacun… Le plus souvent le livre va résoudre une intrigue
« policière » posée dès le premier chapitre. Un vol, un meurtre, une
disparition…
• Qui a volé ?
• Qui a tué ?
• Qui a enlevé ?
La suite s’organise dans l’ombre ou la lumière de l’enquêteur, au gré de
ses interrogations, de ses états d’âme et des regards qu’il porte sur le monde
et sur ses semblables.
L’intrigue d’un livre est l’histoire que l’on imagine. Elle peut se résumer
en quelques lignes. Une situation, un événement, le lent cheminement d’un
enquêteur pour comprendre et retrouver la logique de l’acte et le
coupable…
Vous allez interpeller de futurs lecteurs et leur conter, avec plus ou
moins de talent, une histoire. Pour ce faire, vous allez puiser vos matériaux
dans votre imaginaire, dans vos connaissances accumulées, enfin dans une
solide documentation. Sans cesse, vous serez amené à poser au lecteur des
questions partielles qui permettront de maintenir sa curiosité en éveil, ainsi
que sa volonté de découvrir ou de connaître les événements à venir. De la
tension s’impose alors pour que l’attention demeure vivace. Une question
essentielle doit habiter l’esprit d’un auteur : celle de l’univers investi. Quel
univers avez-vous envie d’arpenter ? Dans quel univers allez-vous faire
voyager votre lecteur ?
Ensuite, comme une image, comme pour un film, vous allez être conduit
à montrer, dévoiler un contexte, un décor, une gigantesque toile de fond.
Les scénaristes américains parlent à ce propos d’« exposition », c’est-à-dire
l’ensemble des éléments objectifs qu’un spectateur ou lecteur doit connaître
ou maîtriser très vite, pour rentrer dans l’histoire, suivre le film ou le fil des
pages.

Paroles d’écrivain…

“ Une intrigue est un double mouvement : la manière dont


on masque la réalité des choses et comment on enlève peu à
peu cette fausse apparence…
L’intrigue d’un roman, c’est l’évidence cachée… Suivre
une intrigue, c’est savoir comment l’auteur s’y est pris
pour masquer puis démasquer l’évidence au fil des pages…
J’utilise le roman policier pour tenter de résoudre des
intrigues qui se posent à moi. Nous sommes entourés
d’intrigues et, pour moi, l’essentiel est d’apporter des
réponses satisfaisantes à la question centrale qui me
préoccupe : comment l’Histoire fonctionne-t-elle ?
J’utilise le genre du roman policier pour réaliser une
mise à plat, conduire une sorte d’inventaire de l’Histoire
des hommes, de l’histoire sociale…
Je veux comprendre comment des faits, des actes
ignobles ont pu se dérouler et comment les hommes, les
humains se sont débrouillés avec ça… Comment les
humains sont-ils entraînés dans le mouvement de
l’Histoire ? Comme il m’est impossible d’aller gambader
moi-même dans le passé pour rendre visite à l’Histoire,
j’essaie de la comprendre avec mes personnages. Ils
voyagent dans le temps, se débrouillent avec le passé. Moi,
je les envoie simplement en éclaireurs, pour comprendre la
guerre de 1914-18, celle d’Algérie, la colonisation…
J’utilise le roman policier pour effectuer une sorte de quête
de l’Histoire au moyen de l’enquête d’un personnage, pour
aller sur les traces d’une personne disparue, pour la
connaître, pour découvrir ses émotions, ses rancœurs…
Dans un monde où tout est devenu traçable (carte à
puces, téléphones, Internet, ADN…), le roman policier
interroge les traces et, dans mon travail, j’amplifie toutes
ces traces, toutes les empreintes laissées dans la société…

Didier Daeninckx
Les exigences des voyages dans l’hier

Le roman policier n’est pas l’apanage du contemporain. De tout temps,


des individus ont transgressé les lois de leur époque, et la nécessité morale
de punir les récalcitrants a toujours animé les tenants de l’ordre existant. Si
vous avez l’envie de planter une histoire dans une période que vous aimez
particulièrement, c’est sa recomposition au quotidien qui sera le plus
difficile.
Quels en sont les contextes sociaux ? Qui commet un crime, par
exemple, et pourquoi ? Quelles sont les réalités de l’époque choisie ?
Souvent, l’auteur va d’abord élaborer une trame de scénario pour
approcher au plus près l’univers souhaité.
Quels sont les moyens des criminels ? Quels sont ceux des enquêteurs ?
Dans quel cadre juridique et légal vont-ils se débattre ?

Recomposer du réel
Le roman policier historique impose une connaissance précise de la
période choisie, allant d’une maîtrise du contexte social, urbain, politique et
légal, à la connaissance des comportements, des modes de vie, de la
psychologie des personnages mis en mouvement. Par ailleurs, l’écriture
dans les parties dialoguées devra tenir compte de la réalité de la langue de
l’époque abordée (lexique, syntaxe).
Recomposer du réel, c’est tenter de traverser le temps et de redonner vie
à un ensemble d’éléments qui vont signer l’époque. La vraisemblance
s’impose à chaque paragraphe, à chaque élément de décor, dans la
temporalité même de l’histoire de fiction que l’on invente, pour approcher
un réel, et pourquoi pas des personnalités ayant existé. Jean-François Parrot
s’invite ainsi chez la marquise de Pompadour ; dans un polar pour enfants,
Le chevalier Du Guesclin mène l’enquête, j’entraîne Du Guesclin dans une
enquête sur le vol de documents royaux…
Il faut ainsi veiller à étudier méthodiquement les points suivants en
fonction de votre choix d’enraciner votre intrigue dans une époque ou dans
une autre. Répondre à une série de questions permet d’approcher une réalité
à réanimer.

Les modes de vie du temps


Comment le personnage est-il habillé ?
Que mange-t-il ? Où mange-t-il ?
Comment se déplace-t-il ?
Quel temps met-il pour aller d’un lieu à un autre ?

L’organisation sociale de l’époque


Quelle est la place sociale du personnage dans la société ébauchée ? Est-
ce une personne du peuple, un aristocrate, une courtisane, un guerrier ?
Du côté de l’enquête, où en est-on de l’état des techniques
d’investigation ?
Quelles sont les institutions en présence (police, justice) ?

La psychologie des humains d’alors


Quelle est la réalité des relations humaines (sociales comme intimes) ?
Quelle est la place du religieux et des croyances ?
Quel rapport à la mort les hommes de cette époque entretiennent-ils ?
On s’interrogera également sur les relations des hommes et des femmes,
abordant ainsi l’histoire des émotions.
Enquêter dans l’hier, ce sera également approcher la question du rapport
à la criminalité dans d’autres contextes que la société contemporaine. Face
à des crimes singuliers, moteurs d’intrigues, l’auteur devra interroger la
structure juridique, judiciaire, policière. Promener le lecteur dans le doute
d’une intrigue posée dans un univers du passé oblige à de fortes certitudes
quant à l’habillage du roman.
Ce travail de recherche préalable est impératif afin d’éviter l’invitation
de tout anachronisme fâcheux et involontaire dans votre texte.

Trouver le bon équilibre


Tout cela nécessite un réel travail de documentation. Appréhender les
modes de vie, c’est aussi tendre au plus près des peurs, des croyances, de la
foi religieuse, des habitudes humaines et des mentalités.
Néanmoins, il faut se méfier d’un travers qui devient alors un piège : le
soin apporté à faire vivre et comprendre l’époque ne doit pas vous faire
négliger l’intrigue elle-même.
Le choix d’entrer dans un roman historique peut décupler l’intérêt d’un
lecteur passionné de romans policiers. Ce type de roman lui permet non
seulement de suivre les réflexions du personnage qui conduit l’enquête,
mais aussi de plonger dans des univers parfois méconnus, portant eux aussi
une vraie part de mystère et de découvertes. Les éditions 10/18, notamment,
font la part belle aux romans policiers historiques. On gambade à l’époque
de la Révolution française, on choisit plus tard la Belle Époque, on se
passionne pour le siècle des Lumières… Imaginées par Jean-François Parot,
les dynamiques aventures du jeune et attachant commissaire Nicolas Le
Floch, enquêteur au Grand Châtelet de Paris sous les règnes de Louis XIV
et de Louis X V, ont ainsi passionné bon nombre de lecteurs.

« Depuis l’attentat de Damiens, la sûreté avait été resserrée


autour du roi et de sa famille. Certains événements ensevelis dans
le secret des cabinets, auxquels le jeune commissaire au Châtelet
avait été intimement mêlé et dont il avait éclairé les arcanes, le
plaçaient depuis près de dix ans en première ligne dans ce
combat et cette veille de tous les jours. Monsieur de Sartine lui
avait confié la surveillance rapprochée de la famille royale à
l’occasion du mariage du dauphin et de Marie-Antoinette,
archiduchesse d’Autriche. »
Jean-François Parot, Le Fantôme de la rue Royale
***

Ce tour d’horizon allant des origines du roman policier à la présentation


des différentes sortes d’ouvrages possibles vous permettra sans doute de
choisir avec précision le type de livre que vous avez envie d’écrire, de
composer. Vous appréhendez mieux, je l’espère, les différences entre un
roman d’enquête traditionnel ou classique et le roman noir à l’américaine et
ses cousins français du polar.
Sans problème majeur, vous pouvez décider du genre qui vous convient
le mieux : les romans du discours, où l’on suit le raisonnement de
l’enquêteur, ou les romans du regard, attachés pour leur part à décrire au
mieux un contexte social, à peindre dans le détail une réalité ambiante.
Avec la plupart des grands auteurs français, vous opterez peut-être pour un
mélange bien dosé des deux catégories ci-dessus.
Sans doute, un sujet particulier vous tient déjà à cœur ; mais avant même
de rentrer de plein fouet dans son traitement, interrogez vos capacités à
écrire, entraînez-vous, engrangez quelques expériences, de la bribe littéraire
à la nouvelle achevée. Les mots vont vous conduire à dévoiler un univers,
celui de votre choix bien sûr, mais aussi une période singulière vous
permettant de mieux approcher la reconstitution d’une réalité particulière.
Maintenant, une fois votre décision prise en amont, l’établi de l’écriture
et ses exigences s’imposent à vous : structure, type d’intrigue, construction
des personnages. Entrons ensemble dans l’atelier pour tenter de cerner les
grandes phases de la composition d’un roman.
DEUXIÈME PARTIE
Le cœur du texte
Le roman et sa structure

Une histoire policière se structure généralement à partir du délit pour


lequel on va rechercher le coupable, et donc de l’enquête du personnage
principal.
Lorsque le délit commis arrive à la fin de l’histoire, on s’éloigne du
genre strictement policier. Cependant, certains romans noirs adoptent cette
construction, s’attachant davantage à la trajectoire de leur héros jusqu’au
délit qu’il commettra à la fin du roman.
Elle peut encore être construite comme un film de genre : plan/contre-
plan, policier/gangster, profiler/criminel…

Paroles d’écrivain…

“ Avant de se lancer dans l’écriture d’un polar, il faut


avoir une bonne idée de la fin. Une bonne intrigue ? Avoir
des personnages forts qui font des choses à la fois logiques
et inattendues.

Stéphanie Benson

La structure du roman policier classique : deux


histoires mélangées
Si vous vous lancez dans un roman à énigme classique, tout commence
par un meurtre, nous l’avons dit.
La suite constitue l’enquête, et le personnage principal va remonter le
temps pour découvrir la généalogie du meurtre. Indices, suspects, mobiles
et armes du crime défilent au gré des déductions de l’enquêteur qui devront
être logiques. Deux histoires se mêlent sans cesse : celle de l’enquête et
celle du crime, reconstituée par morceaux en remontant le temps.
Votre lecteur découvrira alors ce genre de texte comme une sorte de jeu
où il tentera de trouver le coupable en même temps ou avant votre
personnage. Bien sûr, pour compliquer l’affaire, plusieurs meurtres peuvent
intervenir, comme un ensemble de fausses pistes, suspects pourvus d’alibis.
Comme à un confident intime, l’enquêteur confiera au lecteur ses
cheminements, ses déductions, sans rien dire de la personnalité du coupable
avant le dernier chapitre.
Dans un roman traditionnel, tout sera fait pour que votre lecteur
s’identifie au découvreur de vérités aux raisonnements judicieux et
implacables. Ce personnage férocement habile est d’ailleurs souvent affublé
d’une sorte de faire-valoir moins habile mais parfois doué d’autres talents
auquel il doit sans cesse expliquer ses déductions, comme le docteur
Watson toujours admiratif de Sherlock Holmes.

La charpente du roman noir : trois niveaux de


construction mêlés
Pour être riche et accrocher un lecteur, le roman noir – ou polar à la
française – est souvent conçu selon plusieurs niveaux de construction. Il
s’agira alors pour vous d’organiser ceux-ci afin de donner à votre projet une
véritable colonne vertébrale. Articuler plusieurs niveaux de narration
permet aussi de ne pas coller à la seule enquête policière. Cela donne du
fond, de l’intérêt, un contenu autre que la seule investigation menée par le
personnage principal.

Paroles d’écrivain…

“ Une bonne intrigue, c’est quelque chose qui ne lâche


pas le lecteur. Il faut faire durer le suspense le plus
longtemps possible. Pour moi, une bonne intrigue, c’est
comme un élastique tendu. Dès que l’élastique se détend, le
lecteur perd son intérêt. Dans un livre, il y a aussi les
parties molles, lorsque l’auteur s’arrête sur la fourniture
de renseignements, d’explications. Très vite, il doit retendre
l’élastique…

Patrick Raynal

L’histoire du crime
Le premier des trois niveaux de construction est évidemment la
recherche du criminel par exemple, c’est-à-dire la quête de la vérité,
l’intrigue proprement dite. Les thèmes possibles de l’intrigue principale
sont innombrables ; cependant, méfiez-vous des sujets trop récurrents :
meurtres en série, enlèvement d’un milliardaire, traite des jolies femmes
blanches, trafic de drogue… Sortez des thématiques trop souvent traitées,
répétées, voire rabâchées de livre en livre.
De nombreux romans policiers jonglent sans cesse entre le réel et la
fiction. En effet, les faits divers quotidiens constituent une source fabuleuse
d’histoires pouvant être traitées, prolongées par la fiction.
Dans ce cas, l’acte criminel réel deviendra un élément déclencheur.
Restera à l’auteur à maquiller la réalité et à mettre en mouvement un
personnage principal, souvent l’enquêteur.
Puis, l’intrigue s’organisera peu à peu sur les pas du personnage que
vous avez imaginé. Les grandes affaires criminelles ont souvent été utilisées
comme point de départ dune inspiration : les crimes de Landru, les
massacres du bon docteur Petiot, la prise d’otage des enfants de Neuilly…
Dans ce sens, les intrigues des romans écrits par d’anciens policiers comme
l’inspecteur Borniche, Hugues Pagan ou le Chinois de Marseille partent de
vrais dossiers criminels.
D’une manière similaire, certaines bavures politiques et policières des
dernières décennies feront l’objet de romans passionnants et efficaces,
comme par exemple les massacres d’Algériens jetés dans la Seine à Paris en
octobre 1961 (Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx ou Les Caves
de la Goutte d’Or de Gérard Streiff…).
Enfin des événements politiques locaux ou internationaux fournissent
également matière à intrigues, comme la chute de la dictature militaire en
Argentine (Bastille tango de Jean-François Vilar).
Les personnages principaux et la structure générale de votre projet de
roman constituent la base même du livre à venir. Ils doivent être en parfaite
adéquation l’un vis-à-vis de l’autre pour que le récit soit cohérent.

Paroles d’écrivain…

“ Une intrigue sert à intriguer. C’est à elle qu’échoit la


difficile tâche de retenir d’emblée le lecteur. Par plaisir ou
par curiosité, elle l’incite à pousser plus avant sa lecture.
Tenu en haleine par le désir de savoir où l’auteur va le
conduire, le lecteur se trouve plus enclin à recevoir (entre
les lignes) des sortes de messages subliminaux concernant
la société, les injustices, les travers évoqués précédemment.
Au rebours de l’essai ou du document, il n’a, grâce à
l’intrigue, aucun effort à fournir pour percevoir l’éventuel
message que l’auteur, à condition que telle soit l’intention
de celui-ci, entend lui communiquer de façon plus ou moins
subtile.

Serge Livrozet

La vie des personnages


Le second niveau de construction concerne vos personnages principaux.
Il peut s’agir ici de la vie quotidienne de votre personnage principal, des
relations amoureuses de vos autres personnages, d’une rencontre, etc. Il
peut être l’occasion de construire des intrigues secondaires, en parallèle de
l’enquête principale.
Ce pan de l’histoire doit sonner juste, s’éloigner des clichés
traditionnels. Le détective abîmé et la prostituée en fin de parcours lassent
assez vite un lecteur friand d’originalité. Le héros n’a pas forcément toutes
les qualités et, dans le domaine amoureux, n’en faites pas forcément un joli
cœur ni un dragueur impénitent trop caricatural. Il peut être un mari trompé,
il peut aussi souffrir d’une impuissance sexuelle, ou connaître la lassitude
d’un couple abîmé, bref, les gagneurs sur tous les tableaux de la vie sont
plutôt rares ! L’essentiel reste l’évidence : tout doit sonner juste. Évitez d’en
faire trop : les James Bond, sans effets spéciaux ni images déconcertantes,
lassent plus qu’ils n’ensorcellent.

L’arrière-plan, un élément fort


Le troisième niveau de construction est l’ailleurs, votre ailleurs, un sujet
qui vous intéresse, qui vous passionne. Ce peut être un événement réel que
vous approchez au moyen de la fiction (la guerre d’Algérie, l’assassinat
d’un président, une révolution, la chute du mur de Berlin, la Commune de
Paris, etc.), mais aussi un univers artistique, un coin du globe, une de vos
passions, une personnalité que vous allez approcher…
Cette partie infiniment intéressante à structurer et à écrire, c’est le En
attendant Godot du texte, appelons-la le « tiers absent », concept de la
dramaturge et philosophe Dominique Paquet. C’est ce troisième niveau de
narration qui déclenche aujourd’hui l’intérêt du lecteur, parce qu’elle lui fait
découvrir un univers méconnu, un pan d’histoire cachée. C’est sur cette
partie que nous nous appuyons pour avancer quand notre imaginaire faiblit.
Ce troisième niveau d’histoire nécessite un réel travail de
documentation, de recherches, de recomposition. C’est aller de plein fouet
dans la reconstruction d’un univers qui vous motivera, ou vous permettra de
vous lancer vraiment dans un chantier de roman, en oubliant les sujets
rebattus et récurrents, les thèmes répétés, les énièmes versions des histoires
policières lues, relues, vues et revues au cinéma ou à la télévision.
Comment mêler une enquête et un sujet qui vous passionne ? Comment
plonger sans réserve dans un univers à dévoiler ? Pour répondre à ces deux
questions, pensez à ce que vous avez aimé dans certains polars : l’intrigue,
la structure, les personnages, ou plutôt la toile de fond qui tient réellement
l’ensemble.

Paroles d’écrivain…
L’ensemble de la production de romans policiers des
années 1980 portant sur la guerre d’Algérie ou sur les
rafles anti-juives a fonctionné comme un miroir tendu à la

“ police et à l’État… L’affaire Papon a permis de faire


bouger les mentalités. Tout le travail des romanciers a
permis une véritable réflexion de fond… L’image sans
fioritures que nous avons renvoyée aux policiers des
pratiques collectives de leurs collègues d’hier était pour
eux insupportable, ils ne voulaient pas s’y reconnaître…
Aujourd’hui, ils font avec ce passé détestable… Désormais,
en région parisienne, les policiers suivent des formations
spécifiques consacrées aux attitudes historiques de la
police française, ils reçoivent des cours centrés sur la
question de la désobéissance contre des ordres iniques, etc.
Dans les années 1980, une trentaine d’auteurs
produisaient des choses très proches, avec une sensibilité
politique commune, des trames romanesques presque
semblables. Ce n’était pas une école, mais davantage une
sorte d’essai collectif générationnel… Maintenant tout cela
s’est dilué, chaque auteur me semble replié dans une
pratique individualiste, il y a autant d’écoles que
d’écrivains… Dans la production actuelle de romans, des
choses m’intéressent, cela prouve l’extrême modernité du
roman d’enquête. J’estime que la structure de l’enquête
résiste à tout. Le système de l’enquête est un genre
plastique qui se prête volontiers à toutes les expériences.

Didier Daeninckx

La construction du récit
La structuration du livre en chapitres assez courts va sans cesse
permettre aux trois niveaux de construction d’avancer, de s’entrelacer… La
structure générale du récit devra alors mettre en mouvement une véritable
triangulation entre les trois niveaux de l’histoire et c’est cette articulation
bien dosée qui va donner son rythme à l’ouvrage.
Une focalisation spécifique pour chaque chapitre s’impose, comme un
éclairage singulier montrant avec force une partie restée auparavant dans
l’ombre, dans le suggéré… Ainsi, des milieux sont dévoilés, des décors
deviennent de véritables personnages.
Les trois pans de l’histoire se répondent en écho, ils s’enrichissent en
entrelacs l’un l’autre, au service du livre dans son ensemble. Aucun de ces
trois pans ne doit apparaître comme une digression. La force et la maîtrise
de l’auteur feront en sorte de les articuler, décuplant ainsi la motivation et la
passion de celui qui lira l’ouvrage.
Si vous découvrez le plaisir de donner vie à des personnages, mais aussi
à des lieux, à des ambiances, à des phénomènes climatiques, amusez-vous à
anthropomorphiser tous ces éléments, à les rendre vivants comme des
personnages. Ainsi une ville peut-elle rire, pleurer, respirer, de même
qu’une forêt peut se détendre pour mieux vous accueillir en elle et une pluie
d’été oser prétendre vous alléger…
La métaphore arrive alors sans prévenir et vous autorise sans peine à
enrichir votre langue, votre vocabulaire, loin des lieux communs
stéréotypés et des formules creuses.

Paroles d’écrivain…

“ Comment se structurent mes romans ? Je procède


souvent avec une construction double, à la fois une
chronologie diégétique (l’histoire) et une base littéraire, un
poème, une chanson, qui rythme la progression de la
narration.

Stéphanie Benson

L’écriture elle-même
Nous reviendrons plus loin sur ce sujet. Néanmoins, chaque personne
qui commence à écrire un texte doit s’interroger sur les registres de langage
quelle souhaite utiliser.
Nous verrons que ceux-ci dépendent de vos choix narratifs, des milieux
sociologiques que vous avez choisi d’aborder ou de faire traverser à vos
personnages, de l’importance des parties dialoguées. En effet, un dialogue
doit particulièrement bien refléter la manière de parler, précise et réaliste,
des personnages. Et, selon les caractéristiques propres de ces derniers,
différents niveaux de langue devront être choisis et utilisés.
Une langue familière ne pourra par exemple exister que dans la bouche
d’un narrateur à la première personne du singulier, selon la personnalité que
vous aurez choisi de lui donner, ou dans des dialogues collant au plus près
des réalités des personnages « vivant » dans le récit. Le vraisemblable est
aussi rendu par le choix du registre de langue que vous allez utiliser : à
bonne distance d’un discours plaqué, pour coller au plus près de la réalité
d’un personnage, pour transmettre une émotion, éclairer un événement,
dénoncer ce qui vous semble odieux, applaudir une bonne idée ou une
victoire, assumer une défaite.

Paroles d’écrivain…

“ On peut apprendre à structurer, à agencer, jamais à


écrire. Pour moi, l’écriture est une petite musique. Chaque
écrivain a la sienne. Depuis que la fiction existe, depuis
Sophocle, on raconte toujours les mêmes histoires, mais
jamais de la même façon. C’est le toucher, la façon de
monter ou de descendre les gammes qui peuvent
simplement changer. Les ingrédients d’un bon livre se
résument en une simple équation. Pour moi, le style de
l’auteur ajouté au fond, cela donne du sens. À l’opposé, si
l’on fait un roman pour faire passer des idées, on se
trompe, on rédige un tract, un essai. Écrire m’angoisse
toujours, cela me remet sans cesse en question. Après
chaque livre, j’ai envie d’arrêter d’écrire… Pourtant plus
je lis, plus j’écris, mieux j’écris. Il faut lire les autres, un
ébéniste regarde toujours les meubles faits par d’autres
artisans.

Patrick Raynal
Les points de vue de la narration

Choisir son narrateur


Le choix du narrateur est capital dans l’écriture d’un roman. De là va
dépendre le ton de votre récit, la couleur que vous allez donner à votre
histoire. Le narrateur peut être le centre de votre récit, mais vous pouvez
aussi le choisir plus décalé : un ami, une concierge, le facteur…
Voici deux narrations différentes pour la même histoire :

• Les yeux du commissaire Blanchard allaient d’un suspect à


l’autre, installés sur des chaises bancales. L’air semblait lui
manquer et soudain, le visage écarlate, il hurla :
— Alors, je vous boucle tous les deux ?
• Je posai mon regard sur le premier type, puis sur le second,
dans la seconde, recommençant mon cirque aussitôt, les
fusillant sans état d’âme, vautrés sur les chaises bancales.
J’étouffai dans ce bureau sordide où je bossai depuis des
années et je crevai de chaud, mon visage devint sans doute
cramoisi, quand je hurlai :
— Alors, je vous boucle tous les deux ? Foi de Blanchard,
vous allez vous coucher, les mecs…

Le choix de la forme narrative s’impose à vous au moment précis où le


récit s’ouvre. C’est la première des choses à décider : qui raconte ? Quelle
focalisation (point de vue) allez-vous choisir ?

Le « il » narrateur
Le « il » narrateur met en scène, raconte les événements : il est le
conteur de l’histoire. Il s’agit de la forme « Il était une fois… » des contes
de fées de l’enfance.
La narration pourra alors alterner entre de l’action rapide, des
descriptions un peu longues, l’expression d’une temporalité, une mise en
place, un rapport au temps et à l’espace.
La narration au « il », quand elle est extérieure à l’action racontée, va
toujours organiser les événements présentés dans le récit. Elle oblige
cependant l’auteur à la distance, et à utiliser un registre lexical neutre,
correct, froid.
On peut trouver trois types de « il » :
• un narrateur qui sait tout ce qui se passe, en tout lieu, en tout temps et
dans la tête de tous ses personnages – il est alors dit « omniscient » ;
• un narrateur dit « externe », c’est-à-dire qui raconte les événements de
façon « extérieure », comme s’il n’en connaissait que les apparences ;
• enfin un narrateur dit « interne », dont le foyer est la conscience d’un
personnage de l’histoire.

Le narrateur omniscient
La construction narrative omnisciente (utilisation de la troisième
personne du singulier) est extérieure à l’action. Le narrateur en sait alors
plus que les personnages eux-mêmes, il peut prévoir leurs réactions,
indiquer leurs états d’âme : il sait tout.
Cette construction permet à l’auteur d’ouvrir simultanément des univers
différents. Le « il » est libre de tout dire, tout imaginer, sans vraie
cohérence. Le « il » est comme un dieu suspendu au dessus du monde qui
organise soudain une histoire. Le narrateur extérieur tire les ficelles des
marionnettes choisies pour la grande geste du drame imaginé par l’auteur.
La narration se structure alors au fil du récit. Le lecteur découvre des
personnages, leurs actes, leurs pensées, leur histoire. L’auteur précise,
affine, revient. La narration se rappelle la mère du personnage, la neige,
l’enfance…
« Novacek émergea progressivement à l’air libre… Il se mit à
marcher à contre-courant des touristes venus respirer place
Wenceslas, après le piétinement sur le pavé des ruelles engorgées
qui montent du quartier de la Vieille Ville. Quelques flocons
commençaient à danser devant ses yeux. Il se souvint que dans
son enfance sa mère les appelait les confettis du ciel. »
Didier Daeninckx, Un château en Bohême

Le narrateur externe
Comme le narrateur omniscient, le narrateur externe n’est pas un
personnage de l’histoire ; il ne raconte pas les faits de l’intérieur. À
l’inverse du narrateur omniscient qui sait tout, le narrateur externe ne
connaît de l’histoire que les apparences. Il ne sait en aucun cas ce qui se
passe dans la tête des personnages dont il décrit tout bonnement les faits et
gestes.
Ce type de narration ne donne aucun accès direct à la psychologie des
personnages, il faut donc savoir faire appel à des procédés divers pour
donner au lecteur des informations quant aux intentions et sentiments des
personnages.
La narration décrit, pose les actes. Les personnages vivent. On ne sait
pas ce qu’ils pensent de leur vie, de leur histoire, de leurs actions.
Le texte est froid, distant, efficace.

« Et, dans le compartiment de luxe du train de luxe, elle avait


dans les narines à la fois l’odeur luxueuse du champagne et le
parfum sale des billets sales et l’odeur sale de la choucroute qui
sentait comme de la pisse ou du foutre. »
Jean-Patrick Manchette, Fatale

« … Il se mariait. Il possédait déjà ce complet B qui provoquait


sa première scène avec sa femme et qui, des années plus tard,
devait être la cause de sa mort. Il ne fréquentait personne, ne
recevait pas de courrier. Il paraissait connaître le latin et par le
fait avoir reçu une instruction au-dessus de la moyenne. Dans son
bureau, Maigret rédigea une note pour réclamer le mort à la
police allemande… »
Georges Simenon, Le Pendu de Saint-Pholien

Le narrateur interne
La focalisation interne avec un narrateur au « il » est parfois utilisée :
c’est une posture à mi-chemin entre le choix de la narration interne à
l’histoire avec un narrateur qui dit « je » et une narration absolument
objective et extérieure à l’histoire.
La narration embrasse le point de vue d’un personnage en particulier et
raconte l’histoire à travers le filtre de ses sensations, de ses sentiments, tout
en n’étant pas aussi personnelle que si le narrateur disait « je ».
Cette narration permet de changer de focalisation au cours du texte : on
peut changer de point de vue selon les chapitres, en faisant tout de même
attention à ne pas perdre votre lecteur.
Après avoir longuement hésité, j’ai opté pour ce type de narration moi-
même, pour le roman Fausse Commune, me permettant ainsi d’éclairer les
questionnements, les affects, les débats intérieurs, parfois vifs, troublants et
houleux, des principaux personnages.
Trois exemples tirés du même ouvrage, avec des focalisations
différentes :

« Sans réelle conviction, le commandant Serge Duval relisait


attentivement le rapport de l’équipe de nuit. “C’est encore mon
pote de promotion qui a écrit ça…”, se dit-il. “Ramasse-
poussière devient mon principal pourvoyeur ! Je n’ai de ses
nouvelles qu’à travers sa prose morbide… C’est mon contraire,
ce type, cœur d’artichaut et sans souci.” »
« L’homme perdu voyait défiler sa vie d’hier, l’époque où il
croyait encore aux vertus de l’Histoire… “Pour exiger l’abolition
des privilèges ! dirait un Saint-Just débraillé, un costaud de la
parlote publique, shooté tout comme moi à la trouille et à
l’adrénaline !” pensa-t-il. “Je m’appelais encore Bernard
Lapierre, possédais un numéro de sécurité sociale, une cage à
lapins confortable, de quoi me nourrir et une jolie collection de
livres… Le fracturé social, il se le garde au frais son putain de
témoignage…” Le vieil homme haussa les épaules, regarda ses
chaussures éculées, puis il reprit sa marche. »
« La nuit était tombée depuis longtemps lorsque Chloé
atteignit le quartier qui bordait le canal Saint-Martin… Finement
maquillée, elle avait enfilé son blouson de cuir, mêlant volontiers
les genres. “Poulbot revêche et jolie séduc ! Pour une nouvelle
alchimie de la découverte !” avait-elle pensé, en traversant la
place de la République d’un pas alerte. »
Alain Bellet, Fausse Commune

Le « je » narrateur
Le choix d’une narration interne au « je », venant de l’intérieur même de
l’histoire racontée, permet toutes les audaces. La narration à la première
personne du singulier, le « je », installe d’emblée une ambiance, elle permet
l’introspection, elle découvre sans cesse les états d’âme de celui qui
raconte.
Évidemment, loin d’une littérature nombriliste actuelle, ce n’est jamais
l’auteur qui se raconte au « je ». L’écrivain choisit juste la voix qui lui
convient le mieux, l’angle, le point de vue du personnage le plus à même de
raconter l’histoire.
Cette narration seule permet d’adopter un ton très personnel, dicté par la
personnalité du personnage qui raconte.
Quelques exemples :

« Et moi, j’étais dedans. Une catastrophe ferroviaire ! Avec


moi dedans ! Et je ne suis pas mort et ils vont venir me tirer de là,
et il faut qu’ils se grouillent ces cons, je vais crier, je vais passer
à la télé, ils vont tout découper au chalumeau, ils ont sûrement
des chiens pour chercher, je suis coincé sous la tôle… »
Jean-Bernard Pouy, L’Homme à l’oreille croquée

« Il me l’avait bien dit, monsieur Bouvier, que si je continuais à


faire l’andouille, je pourrais jamais aller au collège normal,
comme les autres copains de la classe. Monsieur Bouvier, c’était
le maître qu’on avait en CM2… »
Thierry Jonquet, La Vie de ma mère !

« L’intérêt de se trouver sur les lieux même d’une explosion, c’est


que personne ne vous y piétine. Tout le monde fuit l’épicentre. Le
poids de la fille couchée sur moi me colle au sol. »
Daniel Pennac, Au bonheur des ogres

Ce parti pris littéraire souvent choisi par les auteurs de romans organisés
autour d’un personnage principal légèrement « décalé » aux états d’âme
interlopes offre au lecteur une densité, une noirceur, une humanité
désabusée ou compassionnelle que la narration au « il » atténue ou élude
pour rester à la surface de l’action et d’elle seule.
La plupart des récits mettant en scène une enquête conduite par un
détective privé, gouailleur, désabusé et souvent irascible, sont racontés par
lui-même. Le « je » confère une couleur forte, une tonalité qui berce le
lecteur…
Le personnage devient un conteur d’histoires terribles et l’adhésion du
lecteur redevenu enfant est souvent immédiate. Dans l’histoire même du
roman policier américain, on peut retrouver parmi de nombreux auteurs le
« récit du privé » toujours en doute, plus ou moins alcoolique, prêt à jeter
l’éponge par découragement endémique.

Choisir le temps du récit


Autre question à résoudre avant même d’écrire une phrase : quel sera le
temps de mon récit ?
Sera-t-il composé au passé ? Choisirai-je plutôt le présent ?
Contrairement à ce que la plupart des jeunes scolarisés et des gens
interpellés par l’écriture pensent spontanément, utiliser une conjugaison au
présent pour écrire s’avère très, très difficile.
En effet, si la narration (qui raconte l’histoire), les pensées de
personnages et les dialogues sont au présent, le texte va apparaître linéaire,
conçu comme un scénario de film.
À l’inverse, l’utilisation du passé narratif donne au lecteur des
sensations de rupture… Il est convenu que dialogues et pensées des
personnages soient toujours écrits au présent. La cassure du rythme permet
de remobiliser ou de capter à nouveau l’attention de votre lecteur.
Enfin, si l’on choisit un narrateur interne et s’il raconte au présent, il se
doit d’être présent dans tous les recoins du récit.
Enfin, la langue française offre une jolie palette de temps différents pour
raconter ou dire au passé.
Ces temps permettent une précision au scalpel que n’offre pas le présent.
Leur utilisation permet une sorte de profondeur de champ, comme pour la
photographie ou le cinéma, la narration pourra adopter un angle de vue et
des focales spécifiques.
• Le plus-que-parfait donne une narration éloignée, c’est le passé du passé.
C’est comme une sorte de panoramique au cinéma.
• L’imparfait reste le temps du récit, le temps de l’histoire inventée, le
temps du mensonge : « Il était une fois… » À l’image, la caméra s’est
rapprochée de ce que l’on veut montrer, c’est un plan américain.
• Le passé simple traduit l’immédiateté de l’action racontée au passé. Il
s’agit à l’image d’un gros plan centré sur ce dont on parle, ce que l’on
veut montrer. C’est aussi une action achevée.
• Le passé composé est avant tout le passé du dialogue. En narration, on
peut écrire : « Le commissaire avait interrogé le suspect toute la nuit… »
Dans une partie dialoguée, le commissaire en question dira : « J’ai
interrogé le suspect toute la nuit. »
Ces femmes étaient installées sous le kiosque du jardin public {Vue de loin, un panoramique…}.
L’une d’entre elles, avec ses cheveux rouges et ses yeux azur, fascinait le commissaire chargé de
les surveiller {On s’est rapproché…}. Soudain, une moto pénétra à vive allure dans le parc, une
détonation retentit et le policier s’écroula dans la poussière de l’allée centrale. {Gros plan, action
immédiate, rapide…} Une femme s’approcha de la victime et dit :
— J’ai déjà vu l’homme qui conduisait… {passé du dialogue}

Encore une fois, le choix du narrateur et celui du temps du récit devront


intervenir aux premières tentatives d’écriture. En fonction de ces décisions,
ce qui sera raconté ne pourra être la même chose.
La question centrale du point de vue du narrateur interne détermine un
récit singulier. Vous comprenez bien que le roman sera différent selon qu’il
s’agira d’une histoire racontée par le détective traquant un meurtrier, par les
proches de la victime ou encore par le criminel…
Ces points de vue différents permettent de traiter en profondeur tel ou tel
aspect d’un événement. Si l’on veut aborder par exemple sur le fond la
question des motivations d’un serial killer ou d’un assassin libidineux,
l’auteur a intérêt à lui faire raconter l’histoire à la première personne du
singulier…
Comment construire vos personnages ?

Ce n’est pas le rôle ou la fonction prédéterminée qui fait le personnage,


c’est son rapport au monde, sa part d’humanité ou d’avanie… Selon les
situations que vous choisirez de raconter, soit vous serez dans l’imaginaire
total, soit vous allez vous inspirer de « modèles » proches ou plus lointains,
existant ou ayant existé.
Même si un auteur n’utilise pas tout de ce qu’il sait d’un personnage
qu’il a créé, cette construction préalable demeure essentielle pour qu’un
personnage possède de la chair, de l’épaisseur, un rapport au monde. En
effet, ce n’est pas la situation préétablie autour du délit ou du crime choisi
qui détermine vos personnages, mais vous-même, dans un processus de
décision le plus précis possible. Un personnage possède une histoire
personnelle et ce qui lui arrive peut en découler (faille psychologique,
névrose familiale, etc.).

Méfiez-vous des modèles


À l’heure de décider de vous lancer dans l’aventure de l’écriture d’un
roman policier, et vu le nombre d’œuvres dites « de genre » existantes, vous
devez vous interroger sur l’idée de modèle. En effet, un mauvais réflexe
serait de retrouver presque spontanément une sorte de modèle
d’identification à tel ou tel personnage de fiction célèbre. Éloignez-vous le
plus possible de tout ce qui a déjà été écrit par d’autres. Sauf à choisir
volontairement le pastiche, il faut s’évertuer à tenir à bonne distance de soi
tout ce qui a déjà été conçu et mis en œuvre.
Il est nécessaire d’identifier tous vos personnages, de les connaître, les
enrichir au maximum avant de les mettre en mouvement. Il convient de
déterminer les milieux sociaux dans lesquels vous allez planter votre
intrigue, les personnages pouvant leur correspondre, mais ils peuvent
également se trouver en contre-emploi, ce qui donne des situations
originales, porteuses d’intérêt. Des personnages de fiction peuvent
ressembler à de vraies personnes, mais vous devez vous éloigner de vos
modèles pour qu’une « vie » autonome puisse se mettre en place.

La palette de personnages

Pour vous aider à maîtriser l’élaboration d’un personnage, inspirez-


vous de ce que je nomme une « palette de personnages ». Imaginez
une palette de peintre. Pour chaque personnage de votre histoire, il faut
déterminer les couleurs correspondant à :
• l’identité du personnage ;
• les traits physiques marquants ;
• les traits majeurs de caractère ;
• la définition de sa psychologie ;
• ses relations au monde ;
• son histoire ;
• son lieu d’origine ;
• sa vie personnelle, intime ;
• ses références ;
• ses qualités et ses défauts ;
• ce qu’il aime le plus ;
• ce qu’il déteste le plus ;
• ses avanies, ses hontes ;
• ce qu’il cache de lui-même ;
• ses rapports aux hommes ;
• ses rapports aux femmes ;
• ses amis ;
• son jardin secret ;
• etc.
Si, lors d’une attaque de banque, par exemple, vous pensez clients,
guichetiers, directeur et gangsters, un soldat de l’Armée du Salut peut
chanter des psaumes devant la porte principale de l’agence bancaire et
devenir votre personnage principal. Là, il sera peut-être un témoin original.
Amusez-vous à surprendre votre futur lecteur. Parmi vos personnages
secondaires, glissez-en toujours un ou plusieurs correspondant à des
métiers, des lieux, des profils, des habitudes que vous connaissez. Cela
accentuera le côté vraisemblable et vous permettra de vous « appuyer » sur
une réalité que vous maîtrisez. S’appuyer sur du connu, c’est aussi prendre
une certaine distance avec l’intrigue principale ; ce sera l’un des moyens de
donner de l’épaisseur à l’ensemble du récit.

Le personnage : un être vivant !


Lorsque le moment est venu de concevoir votre ouvrage, le choix
d’intrigues possibles (l’histoire que vous allez écrire) posé, il importe
d’imaginer les personnages qui vont « porter », « habiller », donner de la
chair à votre récit. Si vous utilisez le schéma classique du roman d’enquête
commençant par le crime ou le délit, vous devez choisir, si j’ose dire, la
bonne victime.
Qui est retrouvé mort ?
Qui a-t-on enlevé ?
Qui a été volé ?

Dans quelle arnaque allez-vous faire plonger vos futurs lecteurs ?


Évidemment se pose la question du pourquoi, c’est-à-dire ce que les
vrais fonctionnaires de police nomment le mobile d’un délit ou d’un crime.
Pourquoi cet assassinat ?
Que veut-on négocier ?
Est-ce une vengeance ?

Dès lors, la question des indices s’impose, celle des suspects aussi.
Le suspect connaît-il sa victime ?
Est-ce un motif d’intérêt ?
À quel événement relier cela ?

Le choix du héros
Quel type de héros pourrait être votre personnage principal ? Si
l’histoire du roman policier est peuplée de vrais flics et de détectives privés
à la voix d’outre-tombe nécessairement alcooliques, depuis quelques
années, les enquêteurs peuvent ressembler à vous et moi. Écrivain,
photographe, coiffeuse, militant syndical, avocat, médecin, webmaster,
chasseur de têtes, coach d’industrie, livreur de pizzas, vendeur de
téléphones mobiles, tout est possible. Mais dans ce cas, l’un des
personnages secondaires sera nécessairement un fonctionnaire de police,
une sorte d’interface avec le réel…
Ensuite, pensez aux personnages qui vont aider ou encombrer votre
héros. Ils vous permettront au long de l’enquête de faire vivre votre récit au
moyen de parties dialoguées. Ce sont parfois des silhouettes nécessaires
pour faire exister votre histoire, à d’autres moments des personnages
davantage construits, acteurs importants des histoires parallèles, des
intrigues croisées, contrepoints nécessaires du roman. Les personnages
secondaires doivent avoir une place à part entière, et pas seulement être les
faire-valoir du héros.
Posez-vous toujours la question de la motivation du personnage
principal. Que cherche-t-il dans la vie inventée ? Que veut-il au fond ?
Résoudre un crime ? Meubler sa vie vide depuis le départ de sa compagne,
le décès de son fils dans un accident ? Quel sera son moteur profond, en
pleine conscience ou par effet, par écho ? Enfin n’oubliez pas que la
création des personnages secondaires doit se trouver au service de votre
histoire, de la crédibilité même de votre intrigue et de son principal
protagoniste.

Paroles d’écrivain…

“ Tout est difficile dans le polar. Un bon polar est à la fois


un livre métaphysique, social, psychologique, littéraire.
Cela fait beaucoup ! Le personnage principal idéal doit
être le plus complexe possible. Qu’il soit le bon ou le
méchant, rien ne doit être facile pour lui.

Stéphanie Benson

Du cœur et des tripes


Vos personnages doivent ressembler à des humains, se comporter
comme eux, éprouver des sentiments, avoir des envies ou des besoins,
accomplir des gestes quotidiens, être confrontés aux contraintes ordinaires.
L’histoire personnelle des personnages peut filtrer de temps à autre dans
le récit. Nous l’avons déjà dit, cela peut même constituer l’objet d’une
seconde histoire, d’une autre intrigue. Un enquêteur peut connaître le doute,
être envahi par des questionnements métaphysiques, éprouver du désir pour
un autre personnage, aimer…

Connaître le mort mieux que quiconque


Quant au personnage de la victime, si votre livre part d’un crime,
soignez particulièrement son origine, son histoire personnelle. C’est sa
biographie et des précisions importantes du point de vue de son rapport au
monde (emploi, mode de vie, positions politiques, etc.) qui vont vous offrir
autant de directions différentes pour lancer une enquête, et par là même des
fausses pistes, des faux coupables, des suspects largement hors du coup.

Le climat du roman
Les personnages, l’intrigue centrale, le contexte choisi, tout cela
participe d’une couleur, d’un climat particulier qui rencontrera l’adhésion
ou le rejet de votre éventuel lecteur. Ce que je nomme ici « climat » est
aussi l’atmosphère dans laquelle évoluent l’intrigue et ses protagonistes.
C’est l’ambiance, la couleur générale de l’ouvrage qui déclencheront ou
non les réactions émotives et affectives d’un lecteur. L’émotion, en effet,
constitue l’un des moteurs de l’adhésion du lecteur à un roman policier.
Paroles d’écrivain…

“ Sur le fond, de quoi parlent tous les romans blancs ou


noirs ? Des sept péchés capitaux, le meurtre, la haine, la
jalousie, l’adultère… Mais l’intrigue n’est pas suffisante, il
faut que vos personnages existent, qu’ils fassent la danse
du ventre pour séduire, accrocher, toucher… Dans le polar,
le décor importe, le lecteur est toujours friand d’une
véritable étude de milieu construite autour d’un
personnage.

Patrick Raynal
Comment commencer à écrire ?

Pour la littérature générale, le poète et romancier Louis Aragon aimait


répéter qu’un roman ne correspond pas à une idée ou à un sujet à
développer, mais est avant tout fait de mots qui se suivent, s’accrochent, se
complètent. D’où l’idée de l’importance des premiers bouts de textes, de
phrases, que l’on jette au hasard. L’idée est simple : la première phrase d’un
roman joue le rôle d’une locomotive tirant les wagons des chapitres
suivants et de l’intrigue dévoilée.

Soigner son incipit


Tout d’abord, se poser toujours la question du comment « ça
commence » ? Quel sera l’incipit du texte (« il commence », « ça
commence » en latin, c’est-à-dire la première phrase d’un livre) ?
D’entrée, l’incipit choisi donne le ton, pose une ambiance, c’est
l’accroche pour le lecteur. Immédiatement, on sait qui raconte, qui va
parler… On sait dans quel contexte on est, dans quel registre on se trouve.
On plante aussi un décor en quelques mots…
Il faut s’entraîner à écrire une première phrase, comme si le roman était
déjà existant, et peut-être choisir le point de vue, ou l’angle narratif vous
semblant le plus pertinent pour raconter l’histoire que vous portez en vous.
La première phrase d’un roman informe le lecteur sur les choix de
constructions littéraires posés par l’auteur :
• C’était un matin chagriné, une nébuleuse de doutes encombrait le cerveau de Paul Mathias lorsqu’il
rejoignit les premiers secours regroupés autour d’un corps sans vie.
• L’eau noire du canal me dégoûte toujours lorsqu’elle clapote à l’ancienne, au-dessus d’un fond
tapissé des poubelles de la ville.
• Le cheveu était fin, le corps élégamment dessiné, le vêtement harmonieux et de bonne coupe ; le
trou à la tempe gauche permettait une buissonnière à perpète, la collégienne vautrée sur le trottoir
du boulevard Exelmans ne respirait plus.
• La rame s’était immobilisée juste avant la station Montparnasse-Bienvenüe et Claude Nizard pensa
qu’un peu plus loin sur la ligne un pauvre type avait choisi le métropolitain pour tirer sa
révérence…

L’incipit ouvre l’histoire, donne le ton. En une phrase, longue ou plus


courte, on plante un décor, on ébauche la silhouette d’un personnage. Cette
première phrase majeure d’un livre peut être « ouverte » vers tous les
possibles sans que le lecteur ne sache encore où vous allez le conduire. Cela
est vrai pour le polar et pour toute littérature :

« Ça a commencé comme ça, moi, j’avais jamais rien dit. »


Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

À l’inverse, l’ouverture, le démarrage du texte peuvent être serrés,


évidents, fermés.

« D’un tempérament doux, Vincent Arthus n’avait jamais tué


que sa femme. »
Jean-Marie Laclavetine, En douceur

Lancer l’intrigue
Dans le roman policier de facture classique, le premier chapitre sera
toujours utilisé pour jeter un crime ou un délit en pâture au lecteur. Soit il
est montré, décrit, presque mis en scène, soit il est annoncé avec une
importante extériorité (un article de presse comme dans la série Le Poulpe,
un flash télé, un coup de téléphone, un mail anonyme, un SMS de corbeau
branché…).
L’intrigue commence ensuite réellement au deuxième chapitre avec la
mise en mouvement d’un fouilleur de vérités, un enquêteur fonctionnaire,
un détective privé, un curieux de la vie n’ayant pas froid aux yeux comme
Gabriel Lecouvreur, le personnage mythique du Poulpe, imaginé par Jean-
Bernard Pouy et confié ensuite à plus de cent cinquante auteurs, chacun
plantant une intrigue dans le contexte de son choix en respectant cependant
la « bible » des personnages principaux et quelques passages obligés
comme un bistrot, les visites à la chérie coiffeuse…
Dans ce cas, le respect d’un cadre et de quelques contraintes,
contrairement à ce que l’on peut penser, donne une importante liberté
d’action et d’écriture. La bible à respecter permet d’avancer au lieu de subir
des pannes d’imagination ou des failles de structure.
Lorsque j’ai écrit Danse avec Loulou, le personnage du Poulpe était déjà
riche de près de cinquante livres et cette épaisseur donnée et investie par
autant d’auteurs m’a permis de travailler davantage la structure du récit et le
contexte du monde culturel de la danse contemporaine que j’avais choisi
comme toile de fond.

« Le Poulpe est un personnage libre, curieux, contemporain,


qui aura quarante ans en l’an 2000. C’est quelqu’un qui va
fouiller, à son compte, dans les failles et les désordres apparents
du quotidien. Quelqu’un qui démarre toujours de ces petits faits
divers qui expriment, à tout instant, la maladie de notre monde.
Ce n’est ni un vengeur, ni le représentant d’une loi ou d’une
morale, c’est un enquêteur un peu plus libertaire que d’habitude,
c’est surtout un témoin. »
Présentation du personnage du Poulpe sur le site www.gabriel-
lecouvreur.com

Le démarrage d’un livre s’organise toujours sur une cassure, un élément


qui brise, qui hurle, qui perturbe. Ça soupire, ça pleure, ça rend la vie
sinistre en un instant.
L’écriture, lieu d’expression de
l’imaginaire

Savoir raconter une histoire n’est pas donné à tout le monde. Écrire non
plus, quoi que l’on en pense. Un roman ne se réduit pas au récit d’une
aventure bien ficelée qui emporte l’adhésion d’un lecteur. Un roman
policier, un polar est constitué d’une intrigue, d’intrigues mêlées. Celles-ci
sont portées par des personnages que l’on doit faire évoluer, vivre, dans les
mains de la personne qui vous lit. Notre outil majeur pour convaincre,
toucher, émouvoir, ce sont les mots, notre rapport au verbe. C’est aussi le
lieu de rendez-vous avec la langue, le lieu d’exposition du travail d’écriture
d’un auteur. L’établi d’un écrivain mérite toutes les visites possibles.

Conduire l’orchestre
Pour composer un roman, il faut avant tout savoir que vous êtes le chef
d’orchestre d’une machinerie qui va vous échapper dès lors que le texte
prendra de l’importance, c’est-à-dire une autonomie relative à votre égard.
Ne vous en inquiétez pas, la création littéraire née de votre imaginaire et de
votre écriture deviendra peu à peu extérieure à vous-même.
Certains auteurs élaborent des plans précis, établissent des synopsis
détaillés, d’autres se lancent plus directement dans les mots, une fois le
cadre général arrêté.
Vous venez d’imaginer votre intrigue, vous commencez à fréquenter vos
personnages, vous avez choisi votre décor, votre époque. Maintenant,
l’atelier vous attend.
Après avoir déterminé votre structure narrative et le temps du récit,
lancez-vous sur quelques pages, pour une sorte d’essai. N’oubliez jamais
que vous disposez de trois sortes d’écrits :
• la narration : c’est l’histoire que vous racontez (au passé ou au présent
selon votre choix préalable) ;
• les parties dialoguées entre des personnages (toujours rédigées au
présent) ;
• la voix intérieure : le monologue intérieur d’un personnage qui pense
(écrit également au présent).
Si le genre du roman policier semble privilégier l’intrigue et l’histoire
racontée, le texte devient le théâtre de votre propre sensibilité. Des mots
jetés dans l’urgence peuvent être dans l’approximation, dans le lieu
commun aussi. Un récit quel qu’il soit ne saurait être réduit à votre premier
jet. Un roman en chantier devra revenir souvent sur l’établi des mots avant
de recevoir de votre part le label Fin.
Si l’écriture nous permet de raconter une histoire, n’oubliez jamais
qu’elle assume une autre fonction : elle est sans cesse un lieu de fabrication
d’images proposées au lecteur. Ce sont des mots qui montrent, ce sont des
mots qui priorisent ce que vous voulez exprimer, montrer ou, au contraire,
taire ou cacher.

Paroles d’ancien enquêteur…

“ Pour moi, le roman policier est un moment de détente


mais toujours avec le souci de trouver le coupable avant la
fin du livre (on ne se refait pas). Même si, dit-on, chacun a
un Goncourt dans la tête, je ne crois pas qu’un roman
puisse être réalisé sans avoir beaucoup lu, pour
comprendre comment le structurer et faire vivre les
personnages, ou avoir participé à des ateliers d’écriture…

Michel Louvet

Si tout peut être dit dans un texte, très vite il vous faudra acquérir
plusieurs réflexes nécessaires à mes yeux.

Le sens de l’épure
Tout n’est pas à dire, tout n’est pas à décrire. En quelques images
composées, en quelques lignes nécessaires, vous trouverez l’essentiel. Ce
n’est pas le nombre de pages d’un livre qui fait la qualité dune œuvre
romanesque, mais sa densité, son organisation, la diversité de ses focales. Il
convient d’aller à l’essentiel et, parfois, une ambiance, une situation, un
sentiment montré s’écrivent en peu de mots.
• Le grand café de la gare agonisait et, dans un sifflement strident, le train à grande vitesse traversait
la ville comme pour en annoncer la future décadence.
• Leurs regards suffisaient, leurs mains se pressaient l’une contre l’autre, de l’amour se moissonnait
dans le silence complice de deux êtres sans importance.

Le jeu des focales différentes


La force d’une phrase ou d’un paragraphe peut être trouvée dans une
capacité singulière à « promener » simultanément un lecteur dans des
« lieux » différents. Promenez des images comme une caméra, en effectuant
une sorte de travelling de mots, pour évoquer ici un outil
cinématographique.
• De son regard blessé, bleu hésitation, Mathilde le regardait avec lassitude, partout autour d’eux la
grande ville grouillait de mille facéties et, au fond d’une improbable cave, les vers attaquaient leur
ouvrage éternel.
• Ses bras s’ouvraient, son corps vibrait, sa peau se tendait comme un arc vers elle et, dans l’habitude
urbaine prise un soir de déraison, Julien s’était mis à chanter une traîneuse de saison juste en face
de l’abri de fortune où le faux couple s’était installé quelques heures glacées auparavant.
• Dans le cœur de la ville endormie, la jeune môme sans histoire avançait d’un pas décidé, je pensais
à mon père emporté par la malédiction des pas-de-chance, de son côté la lune bien pâlotte ce soir-là
s’offrait le premier rôle des stars désabusées.
• Sur un ordinateur bas de gamme, Jacques Mondol tapait la déposition du type qui lui faisait face
sans bonheur apparent, dehors Paris jouait le grand retour du printemps et, au coin de la rue du
Four, Mélanie Sylvestre regardait les vitrines comme une fée sans pouvoir.

L’ellipse
Tout n’est pas à dire, raconter, décrire. Pour donner un rythme soutenu à
un récit, il vous faut apprendre à sauter, couper, faire « cut » comme disait
Nicholas Ray dans son film Lightning Over Water (Nick’s Movie) coréalisé
avec Wim Wenders. Il faut juste s’arrêter dans les parties nécessaires à la
compréhension du texte. Il est inutile de décrire la vie complète d’un
personnage et d’évoquer des moments où il ne se passe rien. En coupant, on
crée une tension de lecture, laissant au lecteur le loisir d’imaginer la partie
non écrite.

Les dialogues
Les parties dialoguées d’un roman évitent tout d’abord d’être
uniquement dans la narration. Indéniablement, si elles sont difficiles à
écrire, elles donnent du rythme au texte, cassent la monotonie d’une trop
longue narration et font vivre et parler vos personnages. De plus, si le
roman est écrit à la première personne du singulier, les dialogues vont vous
permettre d’éviter de tout évoquer dans un style narratif. De plus, pour une
narration au passé, les dialogues au présent induisent des ruptures de
rythme et peuvent relancer l’attention d’un lecteur…
Un bon dialogue sera court, tendu, efficace. Évitez les trop longs
monologues où le lecteur perd souvent l’identité de celui qui parle. Il est
vrai que l’on peut utiliser des incises (« dit l’inspecteur », « répéta le
suspect », « ajouta l’inspecteur », etc.). Mais si on les utilise trop, une
certaine lourdeur s’installe…
• Je regardais la jeune Portugaise depuis de longues minutes. Soudain, j’osai :
— Vous êtes en France depuis combien de temps ?
— Un an et demi, monsieur le commissaire…
Elle tremblait légèrement. Je la savais en situation irrégulière mais ce n’était pas mon problème.
J’ajoutai :
— Vous parlez bien le français. L’homme que je recherche a dû vous dire quelques mots, non ?
— Je ne l’ai pas compris, je vous promets, me répondit-elle, visiblement angoissée.
— Vous mentez ! dis-je d’une voix péremptoire, agacé.
La jeune femme ignorait encore que je la soupçonnais depuis plusieurs semaines…

Le style
On ne peut connaître son style avant d’avoir écrit de nombreux livres, et
encore. Cependant, quelques manières d’écrire deviennent vite lisibles par
chacun. Avec des phrases courtes, ciselées, l’action avance. Des phrases
longues, des réflexions humaines, l’état d’âme d’un personnage ou du
narrateur permettent au lecteur de s’installer près de celui qui se livre.
L’utilisation renouvelée de métaphores personnelles, à la place des lieux
communs populaires nés de proverbes ou de formules langagières passées
dans le patrimoine lexical collectif (« boire comme un Polonais », « blond
comme les blés », « mentir comme un arracheur de dents », etc. : à proscrire
tout cela !), signe le début d’un style personnel. De la même manière, la
pratique aux ciseaux de l’ellipse fait découvrir son auteur.
Certains auteurs de romans noirs soigneront leurs intrigues, d’autres
leurs plumes. Entre le raconteur d’histoire et l’écrivain, le travail sur la
langue fait toujours la différence.
Les lourdeurs de style, les répétitions non contrôlées, les descriptions
sans saveur ni odeur ni couleur se travaillent au fur et à mesure d’une
pratique de création littéraire.
L’essentiel reste l’authenticité d’une écriture, sa concision, son
efficacité. Le talent d’un auteur n’est pas inné, il résulte toujours d’un
travail, d’une analyse de ce qui est produit, de l’opportunité du choix d’un
vocabulaire.

Les différents registres de langue


Dans un roman policier, plusieurs « langues » vont se confronter.
L’auteur devra coller au plus près de la réalité d’une situation, d’un
personnage, de son appartenance sociale. Le médecin légiste utilisera peut-
être une langue scientifique pour répondre aux questions d’un enquêteur
relatives à l’état d’un cadavre, le chauffeur routier sera éventuellement
grossier à l’occasion d’un accident, le jeune de banlieue mâchonnera un
« vas-y » chantant et n’hésitera pas à lancer des bordées d’injures métissées
dans un dialogue… La familiarité et la grossièreté utilisées seront toujours
au service de la vraisemblance, mais attention à la langue de la narration. Le
narrateur omniscient, rappelons-le, fait avancer l’histoire dans un registre
lexical neutre, correct et construit. Quant au langage du narrateur-
personnage, tout dépendra du choix posé.
Comme pour les enfants scolarisés, découvrant les joies de l’écriture
fictionnelle, un auteur de roman devra s’appliquer à se défaire des réflexes
nés de la langue orale et de ses approximations. Le mot juste, le verbe
définissant une action, l’adjectif chargeant de sens et d’affect une situation
ou une personne résultent d’une relecture attentive. Ainsi, il convient
souvent de faire la chasse aux verbes « être » et « avoir » et de les
remplacer par d’autres qui donnent de l’épaisseur au récit, de la précision à
l’action.

La correction par la mise en bouche


Pour vous connaître davantage encore, n’hésitez pas à vous offrir ce que
Gustave Flaubert appelait son « gueuloir ». Lire à voix haute devant un
auditoire restreint demeure l’un des moyens les plus efficaces pour
retrouver les imperfections d’un fragment de texte, pour déceler
l’incompréhension sur un visage, pour détecter les lourdeurs et les
répétitions. Le texte mis en bouche permet déjà d’aborder une phase de
réécriture.
***

Plus qu’un autre type d’ouvrage romanesque, le polar oblige à une réelle
structure, appuyée sur de solides charpentes. L’intrigue se doit d’être la
mieux construite et imaginée possible. La construction de votre récit ne
pourra être maîtrisée que si vous en avez choisi le point de vue narratif et le
temps du récit qui vous semble le plus à même de répondre à vos désirs, ou
de correspondre à vos compétences.
L’élaboration des personnages mérite toute votre attention car chacun
d’entre eux devra être vraisemblable, je dirais vivant !
Une fois l’intrigue conçue, les personnages choisis, l’heure s’impose.
L’ouverture d’un roman et notamment son incipit vont déterminer l’intérêt
d’un lecteur, ne l’oubliez jamais, tout comme il importe de ménager les
éléments de rupture, de perturbation d’une situation.
Par-delà l’histoire inventée, votre écriture fera ou ne fera pas l’affaire.
Elle sera le lieu d’expression de votre imaginaire. Dès lors, réfléchissez à ce
qui doit être exprimé, ce qui peut être suggéré, ce qui devrait être tu.
L’épure, l’ellipse, des registres de langue différents s’imposeront à vous.
Très vite, un style se forgera : votre style. La lourdeur massive d’une
histoire criminelle aura peut-être besoin d’une légèreté de traitement. Ou
l’inverse. Un style s’installe vite lorsque la langue est juste. Maintenant, des
questions essentielles restent encore à intégrer, ne les négligez pas : prêtons-
y attention ensemble.
TROISIÈME PARTIE
Les questions majeures
Garder la réalité et ses contraintes à
l’esprit

Pour se sentir à l’aise dans la conduite d’un projet de livre, il convient


d’oublier les grands mythes, de se dégager des personnages emblématiques
qui ont donné au genre policier ses lettres de noblesse. Derrière les choix à
opérer, les idées de l’auteur que vous allez devenir vont vous imposer une
typologie de personnages selon la place qu’occupe le « personnel » du
crime dans votre galaxie imaginaire.
Ces dernières années, le personnage principal traditionnel (le flic ou le
détective privé revenu de tout, bouteille comprise) s’est sensiblement effacé
pour laisser le champ libre à de nouveaux héros : juges, avocats, substituts,
médecins, procureurs.
L’enquêteur s’écrit aussi au féminin ; parfois des duos font leur
apparition, comme dans Les Orpailleurs de Thierry Jonquet par exemple,
où un flic cassé psychologiquement s’efforce de suivre les raisonnements
d’une pétillante juge d’instruction.
Tout est possible, à vous de choisir. Même des personnages à contre-
emploi, loin des stéréotypes.
Mais rappelez-vous toujours l’obligation de vraisemblance. Si votre
enquêteur est un amateur du dimanche, le reste du temps, il faudra le faire
travailler quelque part… Il ne pourra suivre quelqu’un pendant les heures
ouvrables, sauf à créer un suspect travaillant dans la même entreprise ou le
même bureau…
Personne n’est obligé de coller à une tradition séculaire qui a donné des
centaines d’ouvrages. Oser faire du neuf a donné le succès que l’on connaît
à Fred Vargas, par exemple, pour une belle innovation du genre. Pour bâtir
ses intrigues d’une façon originale et innovante, elle a largement utilisé ses
compétences professionnelles d’archéologue médiéviste !
Quand vous « tiendrez » définitivement vos personnages après leur avoir
donné une certaine consistance, n’oubliez pas de vous confronter sans cesse
au réel, d’aujourd’hui ou de l’époque que vous avez sélectionnée, par goût
ou par gageure. Ainsi, l’enquêteur, ses suspects et son éventuel coupable ne
pourront être fantaisistes que dans la forme, avec une sorte d’habillage
romanesque qui vous correspondra, car sur le fond vous serez contraint de
vous interroger sur l’idée même de l’enquête conduite et des conceptions en
présence venues de la réalité policière ou judiciaire.
Votre personnage enquêteur possède une vie avant, pendant et après son
investigation. L’auteur que vous devenez doit fréquenter son personnage au
plus près, c’est-à-dire tout connaître de lui, même si vous n’utilisez pas
l’ensemble des caractéristiques choisies.
Afin d’affûter votre connaissance du personnage principal, imaginez-le dans les situations les
plus banales et essayez de décrire son comportement, ses réactions, ses pensées. Cela sera tout
autant de scènes déjà écrites et qui viendront naturellement se loger dans votre texte une fois le
roman bien avancé. Ainsi, imaginez votre héros :
— en visite chez ses parents en province ;
— en présence d’une très belle femme ou d’un très bel homme ;
— en train d’acheter une baguette chez son boulanger habituel ;
— dans le bus ;
— au restaurant ;
— dans sa voiture ;
— témoin d’une rixe qui devient violente ;
— un soir de semaine chez lui/elle ;
— un dimanche comme les autres ;
— en proie à un mal de crâne persistant ;
— devant le miroir ;
— avec son amoureux(se) (de passage ou permanent(e)) ;
— etc.

Paroles d’ancien enquêteur…


Quelles sont les principales qualités d’un enquêteur ?
Le doute, l’absence d’idée préconçue et l’objectivité. Ce
sont les faits, les éléments qui doivent guider la réflexion, et

“ non l’intime conviction qui conduit à ne rechercher que ce


l’on croit savoir.
Le suspect, c’est forcément le personnage intéressant
qui émerge des investigations, des constatations et des
rapprochements. Il fait partie des favoris pour la suite de
l’enquête, mais il ne faut pas oublier que, comme dans les
courses de chevaux, ce ne sont pas toujours les favoris qui
gagnent, il y a aussi des surprises. Parfois,
l’inenvisageable est possible. Donc avoir une attention
particulière pour le suspect, OUI, mais ne pas négliger les
autres pistes. Une enquête judiciaire, c’est aussi une
démonstration a contrario en éliminant tous les impossibles
pour se concentrer sur les vraisemblables.
Quant au coupable, c’est celui qui dépense beaucoup
d’énergie et d’intelligence pour ne pas se faire prendre, que
son acte ait été prémédité ou non. Quoi qu’il ait fait, ça
reste un être humain qui doit être respecté en tant que tel,
même si c’est un pervers total…

Michel Louvet

À quelques millimètres de la réalité


Avec Raymond Chandler et de nombreux auteurs, réaffirmons ici que
tous les ingrédients dune histoire policière doivent appartenir au réel dans
lequel nous évoluons, ou au contexte spécifique dune réalité passée.
Une nouvelle fois, réaffirmons aussi l’obligation, pour être accepté et
cru par votre lecteur, du vraisemblable.
Et lorsque la réalité mute décor et intrigue, nous n’avons pas droit à
l’approximation, à l’erreur, pire, à la méconnaissance. Lorsque Georges
Simenon a créé le commissaire Jules Maigret, il a souvent fait le voyage
éducatif au 36, quai des Orfèvres pour interroger les modèles disponibles
sur leurs pratiques, les conduites habituelles d’investigation, la
vraisemblance du crime « proposé » lui-même.
J’ai moi-même profité, il y a plusieurs années de cela, des conseils d’un
commissaire divisionnaire de la brigade criminelle pour approcher au plus
vrai la réalité des crimes pédophiles, pour Les
anges meurent aussi.

Paroles d’ancien enquêteur…

“ En qualité d’ancien enquêteur chargé de dossiers


sensibles comme les enfants disparus, j’estime que le
roman policier permet de porter un regard sur la face
cachée de la société. Il nous parle de ce que l’on ne peut ou
ne veut pas voir, c’est un regard décalé.
Les intrigues découvertes sont très souvent proches du
réel, seul le facteur temps est trop réduit. Cependant, il
m’est arrivé de constater que la réalité, parfois, dépassait
la fiction.
La passerelle possible entre la réalité et la fiction, c’est
de s’inspirer d’un événement réel pour le romancer, mais
pour certains délinquants, c’est de vivre ce qu’ils ont pu
imaginer à travers la lecture d’un polar.
Quand on lit un roman, c’est pour se changer les idées,
que l’on soit enquêteur ou non. Quand tu l’écris et que tu
es enquêteur, c’est peut-être un moyen pour toi d’avoir
l’impression de maîtriser les choses, c’est certainement une
autopsychothérapie. Il y a des choses qui sont trop dures à
dire, alors autant les romancer, ça permet de les évacuer…

Michel Louvet

Les parcours obligés


Depuis le déclenchement dune sirène, une véritable procédure
s’enchaîne avec des phases établies avec précision. Qui trouve un corps
sans vie ? Quels services spécialisés se succèdent ? Quelles sont les
prérogatives de chacun d’entre eux ? Police ou gendarmerie ? À quel
moment le parquet de la République intervient-il ? Substituts et procureurs,
juges d’instruction, quels sont leurs rôles à l’égard des suspects, du supposé
coupable, de l’enquêteur responsable ?
Un auteur n’a cependant pas besoin dune formation policière ou
judiciaire. Il se doit juste de vérifier les éléments fragiles dune construction
fictionnelle pour éviter les non-sens, et surtout le ridicule.
Les procédures sont encore souvent spécifiques dans la plupart des pays
d’Europe, la Russie ou le monde anglo-saxon et chaque détail erroné
conduira un lecteur avisé à un phénomène de rejet. Il ne faut pas non plus
survoler ce que l’on ignore, même si la pratique littéraire de l’ellipse permet
d’éviter de fréquenter des lieux trop méconnus de vous. Inutile de décrire
des ambiances ignorées, de questionner des états d’âme dont vous n’avez
pas idée.
L’audience judiciaire, le parloir d’un centre de détention ou celui dune
maison d’arrêt, la fréquentation d’un greffe répondent à des règles strictes et
l’on ne peut les ignorer.
De même, si vous inventez un personnage incarcéré, la vie en détention
ne peut être décrite d’une manière farfelue ou erronée. Une véritable étude
de milieu, le recueil de témoignages d’anciens détenus, un travail
documentaire s’imposeront. Si votre histoire se passe en France, ne faites
pas vivre dans vos mots un pénitencier américain !

Les sujets abordés


Indéniablement, la plupart des auteurs traitent souvent dans leurs
intrigues d’événements ou de faits divers ayant existé. Les casses
spectaculaires, les cavales fantastiques, les effondrements psychologiques
d’individus éprouvés débouchant sur des drames épouvantables, les trafics
d’influence approchant les sphères des pouvoirs s’entassent régulièrement
dans les colonnes des journaux ou dans les reportages télévisés. Les
déferlantes d’actes insensés, les enlèvements d’enfants, la maltraitance ou la
multiplication de crimes en série peuplent notre univers. Faut-il pour autant
coller à tous ces thèmes pour tenter un premier livre ? Par-delà les faits
éclaboussant l’actualité des médias, le roman tentera peut-être de faire
comprendre et de dévoiler les mécanismes sociaux et pathologiques
conduisant à des extrémités.

La critique sociale portée par la fiction


romanesque
Depuis des décennies, de nombreux auteurs ont porté à la connaissance
d’un large public de lecteurs un certain nombre d’informations,
sociologiques, politiques, économiques ou morales. De graves
dysfonctionnements des institutions judiciaires, pénitentiaires ou policières
furent dénoncés, expliqués, analysés. Pourtant, quelle qu’en soit sa force, un
livre de fiction n’a pas pour vocation de faire évoluer les structures
concernées et les personnels qui les servent. Il ne peut agir que sur les
mentalités individuelles, transformant les regards, mobilisant les
attentions…
À titre d’exemples, voici quelques thèmes traités par des auteurs
contemporains :
• la folie :

« Que fait l’Apache, seul dans le désert ? Que faire, bordel,


quand la femme de ma vie se sacrifie au Grand Manitou de la
Folie ? »
Patrick Mosconi, La Nuit apache

• la dictature chilienne :

« Des militaires chiliens auraient vendu à des archéologues


européens de fausses momies fabriquées avec les cadavres de
leurs victimes… »
Gérard Delteil, Chili incarné

• le petit monde des crapuleries quotidiennes :


« La vérité, on a du mal à la voir en peinture. Et on préfère la
garder pour soi. »
Jean-Jacques Reboux, La Cerise sur le gâteux

• la guerre d’Algérie :

« Barbès, pendant la guerre d’Algérie, une milice harkie fait


régner la terreur… »
Gérard Streiff, Les Caves de la Goutte d’Or

• le show-biz et son univers :

« Bourges, vingtième anniversaire du Printemps. Vingt ans, ça


suffit… »
Hervé Prudon, Vinyle Rondelle ne fait pas le printemps

• la toxicomanie :

« Barbès brûle, Farida veut du speed… »


Marc Villard, La Porte de derrière

• la Rome antique :

« Des dessins de Michel-Ange ont été volés à la bibliothèque


vaticane… »
Fred Vargas, Ceux qui vont mourir te saluent

• le franquisme :

« Comment prévoir que deux gentils amoureux me


conduiraient sur le sentier de la guerre d’Espagne ? »
Patrick Pécherot, Belleville-Barcelone

Paroles d’ancien perceur de coffres…


Le polar à la française a-t-il fait bouger quelque peu la

“ police ? Je serai, pour une fois, laconique et catégorique.


Les bavures qui se répètent à l’infini suffisent à men
convaincre : non. Même le fameux petit journal Que fait la
police ?, destiné à dénoncer les abus réguliers, n’a aucune
influence sur les comportements de cow-boys de certains
policiers.
Et la magistrature ? Question similaire : réponse
similaire. Les magistrats sont toujours présents pour faire
appliquer les lois souvent iniques des puissants, votées,
dans la plupart des cas, pour maintenir les plus modestes
en état de soumission et de dépendance.

Serge Livrozet
La vie urbaine et la ville, moteurs du
roman

La société réelle sera votre théâtre. Vraie ville ou décor reconstitué dans
l’imaginaire ? Attention, si vous choisissez de vrais lieux, il faut les
connaître, les faire reconnaître par votre lecteur et toujours être crédible…
Depuis plusieurs décennies, la ville tentaculaire et les banlieues
anxiogènes de tous les malheurs servent de décors à de nombreuses
intrigues où la pauvreté, le chômage, la violence et la drogue semblent des
passages obligés. À cette occasion, faites attention aux caricatures, aux
lieux communs, aux poncifs.
Une cité excentrée peut aussi protéger un amour, aider à grandir, receler
des trésors d’humanité. Il convient de se méfier des clichés convenus, des
images colportées par le tout médiatique qu’un auteur redistribue parfois
dans un texte sans même y penser.

La ville décor ou la ville sujet ?


Quelle place allez-vous donner au décor utilisé ? Est-ce seulement un
décor ou plutôt la question centrale de l’urbanité que le roman policier
interroge ?
Le regard de l’auteur embrasse évidemment la société dans ses rouages,
cadre et contexte du roman criminel d’aujourd’hui.
Tout en mettant des personnages en mouvement, il convient aussi de
réfléchir au discours que vous allez mettre en œuvre pour crédibiliser
l’ensemble de votre construction.
Dans la plupart des romans noirs, la ville apparaît comme la principale
thématique, et prend un rôle structurel.
La ville, telle qu’elle se dévoile, distribue les questions sociales, offrant
à qui veut s’en emparer toutes les difficultés qu’elle sécrète comme décor,
intrigue annexe, sujet.
La ville brille, la ville noircit. Le chic et le sombre. L’affiché et le caché.
Ses côtés face et pile compliquent la lecture que l’on peut faire de l’urbanité
dévoreuse de certitudes, de bonheurs et d’épanouissement. Comme dans la
réalité, des sans-abri peuplent désormais les pages de nombreux romans.
Avec ses exclus et ses plaintes, la ville est devenue personnage à part
entière, bourreau et victime. Et si les criminels hantent les rues de nos
livres, la ville s’impose comme lieu symbolique du récit. Sous les plumes
des auteurs de polar, elle devient un sujet de regard, d’analyse, de
dénonciation.

Une ville vivante truffée de contradictions


Le choix de la localisation d’un livre dans une ville en particulier
s’accompagne parfois d’un contexte humain singulier, permettant d’aborder
des mœurs différentes, évoquer et faire vivre des cultures minoritaires.
Faire vivre la ville, c’est aussi lui donner l’occasion de respirer, comme
un personnage. Il convient de faire battre son cœur, de donner à voir ses
défauts, ses qualités, son histoire parfois.
Si vous ne connaissez pas le Bronx, ne le choisissez pas comme lieu
d’implantation de votre roman ! Inutile désormais de « faire américain »
pour étaler de fausses couleurs d’angoisse. N’importe quel site urbain ou
rural peut accueillir une intrigue policière. La meilleure formule reste celle
de la connaissance.
Utilisez des lieux familiers pour faire évoluer votre histoire et vos
personnages. D’abord, parce que vous apprendrez sans doute quelque chose
à vos lecteurs, ensuite un lieu précis connu de vous pourra vous aider dans
l’écriture elle-même. C’est-à-dire qu’à l’occasion d’une faiblesse ponctuelle
ou partielle de votre fiction en train d’être racontée, vous pourrez vous
« appuyer » sur des éléments de décor, en évoquant leur réalité, leur origine,
leur histoire particulière, selon votre intérêt.
• Jacques Gandin arriva soudain place Léon-Blum… Sans savoir pourquoi, il se rappelait sa grand-
mère l’entraînant jadis place Voltaire au sortir de la communale de la rue Keller. C’était le même
endroit bien sûr, où trône stupidement la mairie du XIe arrondissement. La statue de Blum a
remplacé celle de Voltaire, fondue par les nazis pour en faire des canons, et la guillotine, brûlée là
en 1871 par les communards, n’effraie plus personne. Le Cadran du XIe existait encore. Gandin se
dit alors…
• Elle avait dit à Marc, rendez-vous à la Bastille, devant l’Opéra… Il était là, immobile en haut des
marches de l’immense édifice, la tête vide. Soudain, il regarda la colonne de Juillet avec tendresse.
Une symphonie de Berlioz s’emparait de son esprit, puis c’était les cortèges et les manifestants
contre la guerre d’Algérie qui hurlaient pour la paix. Il repensa à la vieille gare que le temple de la
musique voulu par Jack Lang remplaçait d’une manière guère harmonieuse… Manquaient juste les
CRS qui pour une fois devaient être en RTT…
Fantasmes et lieux communs

Bien que souvent asexués dans les premières décennies de leur


apparition et de leur impact, les romans policiers, comme toute littérature
dite populaire, taillent une belle part aux relations convenues entre hommes
et femmes. Hélas, il s’agit trop souvent de clichés, de passages obligés, de
stéréotypes glacés où l’humain disparaît derrière une fonction
manipulatrice, flattant les mauvais réflexes psychologiques d’un lectorat
bercé par toute une imagerie conditionnée, parfois fantasmée.

Les femmes, guère respectées par le genre policier


Jamais de véritable amour vécu pour l’enquêteur type, sa solitude
renforce peut-être ses compétences d’investigations. Le roman
d’espionnage ou d’aventures a souvent reflété, jusqu’à la caricature, la
misogynie ambiante selon les époques.
Les espionnes couchent toujours avec le premier héros venu et Mme
Maigret n’existe que pour apporter quelques références culinaires à
l’emporte-pièce et penser à faire nettoyer le costume du héros… Elle est
toujours l’épouse, la mère, la cuisinière au foyer, jamais une maîtresse…
Nestor Burma dédaigne les avances naïves et amoureuses d’Hélène, sa
douce et jolie secrétaire, lui préférant souvent les évaporées scabreuses, ou
les sombres femmes fatales… Faites attention à ne pas reproduire à
l’identique des automatismes et des comportements de personnages qui,
bien évidemment, sont en résonance avec des rôles sociaux
traditionnellement admis ou peu combattus.

Paroles d’écrivain…

“ Comment les femmes ne trouveraient-elles pas leur


place dans l’univers du polar ? Il existe des femmes
criminelles, des femmes flics, juges, enquêtrices.
Cependant, la représentation des femmes dans le roman
policier n’a guère évolué. Il y a toujours eu des femmes
stéréotypes et des femmes complexes. On revient là à la
question de la qualité d’écriture. Il y a toujours eu de bons
et de mauvais polars, qui traitent la question de la femme,
de l’homme, des enfants, des relations humaines, avec plus
ou moins de subtilités. Si on remonte au roman gothique
anglais, on trouve déjà des femmes complexes,
passionnelles, passionnantes, et des bimbos sans cervelle !
En tant que femme et écrivain, le polar ne m’a jamais
dérangée. Secouée parfois, remise en question, mais c’est
ce que j’y cherche. Je trouve que c’est un vivier génial,
plein d’énergie, d’expérimentations, d’écrivains,
d’humanité… Certains livres ne correspondent pas à ce que
je recherche en littérature, mais comme ailleurs. Il m’arrive
d’être déçue par des livres, mais pas dérangée, jamais.

Stéphanie Benson

Écriture et humanisme
Même si certains puristes du genre estiment qu’une histoire policière ne
doit pas être mélangée avec d’autres éléments, incontestablement les
lecteurs aiment trouver de « l’humain » et des questionnements existentiels
en contrepoint d’une intrigue. Dans ce domaine, cependant, trop de romans
évoluent avec une lourdeur manifeste. Les relations humaines taillées à la
serpe et la domination machiste ne constituent pas des passages obligés du
genre littéraire que vous avez choisi !
Il convient de laisser les vieux archétypes des représentations féminines
de côté pour vous lancer sur des pistes plus originales.
En effet, des centaines de romans policiers nous offrent toujours la
même gamme de personnages féminins :
• la vamp décolorée ;
• la pute sympathique, plus vraiment jeune ;
• la pauvre victime, sans grâce et chosifiée ;
• l’entraîneuse brésilienne (ancien footballeur) ;
• la mère de famille trompée et sans le sou ;
• l’étudiante brillante et un peu chaude ;
• la bourgeoise désagréable menant une double vie ;
• la chanteuse à la voix cassée ;
• la demi-mondaine vénale ;
• la bourgeoise odieuse, sans valeurs morales.
Évitez les poncifs et les idées toutes faites. Les relations entre les
femmes et les hommes, qu’elles soient hétéro ou homosexuelles, hantent la
plupart des ouvrages de tous les genres. Comment les aborder sans tomber
dans les pièges évoqués ci-dessus ? Par les personnages, bien sûr ! Si vous
éprouvez l’envie de créer une femme flic, la préférez-vous mère de famille
lesbienne ou rockeuse marchant vers Saint-Jacques-de-Compostelle ? Des
chapitres entiers ne seront pas évidemment les mêmes, votre construction
d’ensemble non plus.
Vous devez aborder les relations humaines d’une manière simple,
réaliste, loin de tout manichéisme. Et au lieu de renforcer ce qui tire vers le
bas, essayez de proposer un soupçon d’harmonie, d’espérance, dans un
monde bien rude.
Il faut toujours se méfier des caricatures, des lieux communs, des idées
préconçues que l’on distille dans un livre presque automatiquement. Il faut
peser la valeur et le signifiant de tout ce que l’on va écrire. Si un polar
s’insurge contre une faille sociétale, ne renforcez pas les automatismes des
places distribuées sans vous.

De faux passages obligés


Dans le domaine des clichés et des éléments trop souvent récurrents, le
genre policier n’oblige pas à retrouver, à rythmes réguliers, des situations
calquées sur d’autres livres qui n’apportent absolument rien à une intrigue.
Soyez vigilant et faites la chasse à des facilités temporelles et récurrentes
dans le déroulé même d’une histoire, qui n’apportent rien d’autre qu’une
certaine exaspération. Les codes du genre littéraire n’obligent en aucune
manière à recopier à l’identique des pseudo-passages obligés. En voici
quelques-uns parmi tant d’autres :
• l’enquêteur et ses phases alcooliques et désabusées ;
• le passage sous la douche permettant la réflexion ;
• l’assassinat sous la douche (ou dans la baignoire) ;
• les verres de whisky qui aident à la gamberge (ou les bocks de bière ayant
la même fonction) ;
• l’affaire non encore résolue enlevée par la hiérarchie ;
• la transpiration des femmes brunes ;
• les descriptions physiques stéréotypées ;
• le téléphone qui sonne à tout moment.
Ce qui peut mettre l’auteur en péril

La mort violente, la drogue, l’inceste, la pédophilie, la barbarie, le sang


à la une : la palette est vaste pour déterminer le registre dans lequel vous
allez bâtir une intrigue. Ces catégories violentes ne sont en rien obligatoires.
Un meurtre ordinaire commis par n’importe qui d’ordinaire peut aussi
donner lieu à un formidable livre, dès lors que votre écriture enchantera.
Quand on s’immerge dans ce qui constitue le terreau du roman policier,
il importe de cadrer pour soi-même ce que l’on est capable d’aborder, de
mettre en scène, d’écrire.
Il apparaît inutile de trop s’investir dans le scabreux pour viser
l’originalité. Bien sûr, les questions d’actualité, les faits divers monstrueux,
les sujets de société brûlants peuvent donner envie de les investir de la
plume pour faire entendre une voix complice ou dissonante. Certains
auteurs se complaisent à décrire l’horreur, détaillant d’atroces scènes de
crime, multipliant les images de la violence ordinaire. La force d’un texte
ne me semble pas dépendante de la description plus ou moins réaliste de
scènes ensanglantées. Faire gore ou pas gore ne me semble pas la question
clé de la réussite d’un livre.

Paroles d’écrivain…

“ Dans l’univers criminel abordé par les polars, ce qui me


passionne est la notion de transgression. Pourquoi certains
font ce que la plupart d’entre nous ne font pas, comment ils
s’y prennent pour pouvoir continuer, et comment d’autres
arrivent à les en empêcher…

Stéphanie Benson
De la fragilisation à la perte d’espérance
Rentrer dans certains univers difficiles et s’attacher aux pas de
personnages brisés n’est pas sans danger pour soi-même. Il faut juste
s’évertuer à en prendre conscience. La projection personnelle de l’auteur
dans son œuvre comporte des risques réels de fragilisation, de dépression,
d’attitudes mortifères.

Paroles d’écrivain…

“ Je pense qu’il n’y a pas de sujet tabou, mais si l’on


choisit un sujet sensible, il faut s’attendre à être bousculé si
l’on n’est pas percutant, précis, attentif. Dans l’écriture,
certains auteurs ne peuvent exister sans se mettre en
danger, des gens comme Antonin Artaud, Gérard de Nerval
ou Robin Cook ont commencé à écrire pour mal finir…

Patrick Raynal

Derrière le « je » narratif – notamment dans des textes extrêmes –,


l’auteur, en s’identifiant malgré lui à un personnage, peut s’abîmer lui-
même… Ainsi la littérature noire a-t-elle perdu l’un de ses meilleurs
écrivains : Robin Cook (1931-1994), qui, de livre en livre, descendait peu à
peu en enfer :

« Dans le roman noir, c’est la mort de l’autre qui essaie de


vous détruire ; et c’est cela qui donne parfois de la tendresse à
notre écriture, bien que la tendresse arrive presque toujours trop
tard. Et pourtant, l’amour est si réel quand l’écriture est bonne
que vous croyez pratiquement l’atteindre et le toucher, de la
même façon que vous embrasseriez l’épaule de votre compagne
dans l’obscurité ; l’écrivain de romans noirs n’a qu’une seule
terreur vis-à-vis de l’amour, et c’est, bien sûr, celle de le perdre…
S’il est vrai que parfois j’entre en désespoir (et c’est vrai), c’est
le défi du roman noir tel que je le vois. Je peuple mes livres de
gens gaspillés qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent
descendre la pente sans même une plainte. Mes livres sont pleins
de gens qui, sachant qu’ils ont été abandonnés par la société, la
quitte d’une façon si honteuse pour elle qu’elle ne fait jamais
mention d’eux. Et c’est pourquoi J’étais Dora Suarez (éditions
Rivages) n’est pas seulement un roman noir, et qu’il va encore
plus loin, pour devenir un roman en deuil. »
Robin Cook, présentation de J’étais Dora Suarez

Si le roman policier permet une véritable étude sociologique et un travail


d’investigation en profondeur quant aux dysfonctionnements des individus
et des structures, il me semble également poser les questions fondamentales
de la norme comportementale et de la transgression personnelle.
Et si la société nous montre chaque jour qu’elle génère de façon
récurrente et morbide des monstres agissants, renouvelant ainsi à l’infini la
notion même de cruauté, traiter de ces univers pervers et pathogènes oblige
l’auteur à se questionner sur sa propre capacité de résistance avant
d’aborder l’étalage d’univers trop sordides et de situations extrêmes.

Paroles d’ancien enquêteur…

“ J’ai travaillé sur des dossiers sensibles (pédophilie,


inceste, viols), doit-on en faire des contextes d’intrigues ?
Autant on peut construire une intrigue romanesque sur
un « serial violeur » ou sur un réseau pédophile
(regroupant les clichés habituels : les pauvres vendent leurs
enfants aux riches bourgeois), autant, sur l’inceste, cela me
paraît peu plausible, car c’est une atteinte profonde aux
valeurs humaines et c’est surtout un huis clos entre le
parent et l’enfant.
Dans mon travail, j’ai parfois côtoyé la douleur, le
sordide, l’épouvantable… Comment ne pas être fragilisé ?
Dans l’écrit, un texte peut déstabiliser ou perturber
l’auteur s’il vit totalement le personnage qu’il est en train
de créer. Je ne suis pas sûr que les auteurs sortent
indemnes de ce qu’ils inventent, mais surtout que tout n’est
qu’invention consciente. Peut-être faut-il se poser la
question de ce que l’écrit révèle de la pensée inconsciente
d’un auteur ?

Michel Louvet
Pour conclure

Derrière une construction romanesque quelle qu’elle soit, l’auteur


marque toujours avec plus ou moins d’épaisseur, volontairement ou
involontairement, sa propre présence. Il est là, avec tout ce qui fait la
construction de sa propre existence, de son histoire de vie.

Un thème de livre n’est jamais innocent


Les références de l’auteur, ses pensées, ses idées et son rapport au
monde s’invitent toujours entre les lignes, même si le sujet, l’intrigue, le
contexte du roman apparaissent éloignés de ses propres réalités. On ne
décide jamais d’écrire innocemment, et si le point de départ reste une
décision floue et imprécise basée sur un jeu, un pari, une envie spontanée,
très vite l’investissement sera d’une tout autre nature. Il y aura toujours de
l’urgence à dire, de la nécessité à s’exprimer, comme de la survie à gagner,
à imposer.
Sans être totalement transparent et à peine maquillé derrière l’un de ses
personnages, l’écrivain a évidemment son mot à dire sur la machinerie qu’il
crée, notamment à l’égard de ce qu’il nous donne à découvrir, à lire, à
apprécier ou non.
Des questions pertinentes affleurent alors autour du rapport qu’entretient
l’écrivain à son œuvre.
• Est-il complaisant à l’égard de la transgression sociale ou morale qu’il met
en scène dans son ouvrage ?
• Que pense-t-il réellement des êtres bousculés qu’il nous fait suivre, aimer
ou détester, dans les dédales d’une société en crise ou d’un effondrement
mental individuel pouvant conduire sans alternative à la criminalité ?
• Dans quelle mesure l’auteur se projette-t-il dans son œuvre, dans ses
choix, dans la logique de l’intrigue ?
Il n’y a jamais d’innocence ou de hasard dans le choix d’un thème de
travail littéraire. Interrogez-vous sur vous-même quand votre structure sera
presque construite, avant d’écrire.
Savoir avec précision pourquoi on se lance dans telle ou telle direction
permettra évidemment une implication plus forte de votre part, induisant
une pertinence de propos, une réelle efficacité pour convaincre et capter
votre lecteur.
Si l’acte d’écrire correspond toujours à une nécessité de dire et de se
dire, le choix précis du genre policier souligne aussi l’importance du regard
que l’on porte sur l’état du monde et ses conséquences, directes ou
indirectes, sur la fragilité des humains, sur des pratiques transgressives qui
nous questionnent.

Rencontrer l’univers du crime


En fonction de vos personnages et des grands thèmes abordés par
l’intrigue, votre projet de livre va nécessairement se confronter à la misère
sociale ou psychologique, à la transgression voulue ou induite, à la noirceur
des quotidiens. Devez-vous accompagner le drame ou l’aérer avec des
contrepoints de respiration et des bulles d’air plus heureuses ? S’il s’agit
d’un travail abordant le domaine du politique et des affaires souvent peu
reluisantes qui peuvent s’y rattacher, resterez-vous dans le constat ou allez-
vous inventer un autre regard sur une démocratie salutaire à imaginer, au
moyen d’un personnage utopique et rêveur ?
Vous serez sans cesse présent dans le choix des mots, des situations
décrites, des images induites ou suggérées. Alors nécessairement, l’auteur
doit appréhender avec précision à quelle distance il se positionne face à sa
création, ce qu’il en pense, ce qu’il livre de lui-même en termes de pensées,
d’affect et d’implication dans une histoire inventée.

Paroles d’écrivain…
Il importe de toujours écrire un livre qu’on aimerait lire.

“ Sans jamais s’occuper de rien d’autre. L’auteur qui écrit en


s’inquiétant de savoir si son livre va intéresser tel ou tel
lecteur a toujours tout faux. L’auteur universel qui plaît à
tout le monde ne saurait exister.

Serge Livrozet

Ces quelques chapitres ont tenté de brosser l’univers et les grands courants
du roman policier avant de rentrer plus précisément dans une sorte
d’accompagnement pour qui veut s’essayer dans le genre.
Je crois avoir insisté au cours de ces pages sur le travail de la langue, sur
l’écriture elle-même, sur l’univers urbain, le milieu étudié.
La structure apparaît essentielle ; avant d’écrire un récit, amusez-vous à
traduire l’idée des trois niveaux de l’intrigue (au minimum) en élaborant un
schéma, un conducteur, qui vous fera découvrir le squelette de votre
histoire. Un cadavre de plus, en somme !
Maintenant, commencez votre manuscrit, avancez, achevez-le. Les
premiers jets aboutis, un long travail de réécriture vous attend. Ne le
négligez pas, c’est à ce moment-là que débutera réellement votre travail
littéraire.
Voici quelques règles à toujours garder en tête lorsque vous vous
pencherez sur votre manuscrit.

Les Petites Règles d’or du roman policier

1. Trouvez le « la ». Un roman, ce n’est pas un thème ou une idée à


développer, mais un enchevêtrement de mots, comme les notes
dune symphonie, c’est une composition, une partition…
2. Choisissez le meilleur narrateur possible, interne ou externe, et le
temps du récit ! Attention aux idées reçues : écrire au présent, c’est
difficile !
3. Connaissez vos personnages comme vous-même ! Laissez toujours
entre les mains du personnage principal son appréciation de ce qui
fait crise. Maltraitez vos personnages, le conflit permanent est aux
postes de commande…
4. Privilégiez et soignez vos dialogues. Les parties dialoguées donnent
de la vie, de la rapidité, de l’accélération au récit. Elles font avancer
l’histoire et permettent des ruptures pour le lecteur, afin de toujours
capter son attention.
5. Ne négligez pas les trois niveaux d’intrigues entremêlées. Les
chassés-croisés permettent de donner une existence forte à votre
histoire, offrant une réelle épaisseur à l’intrigue principale.
6. Soignez votre climat, vos ambiances. Le lecteur choisit le plus
souvent un univers en lisant un livre, par-delà l’intrigue et les faits
rapportés.
7. Ne prenez pas systématiquement votre lecteur pour un ignorant et
soyez dans l’exactitude, soignez sans cesse votre documentation.
8. Restez toujours non pas dans la vérité, mais dans le vraisemblable.
9. N’oubliez jamais qu’un personnage vit sa vie, qu’il pense, aime,
déteste… Ne soyez jamais complaisant avec vos créatures !
10. Et si, au détour d’un chapitre, un personnage vous échappe,
laissez-le vous entraîner dans un lieu ou un événement que vous
n’aviez pas prévu au début de l’écriture…

Une fois l’œuvre achevée, un autre parcours du combattant s’ouvrira


devant vous pour en tenter l’édition. C’est évidemment le plus grand mal
que l’on peut vous souhaiter…
La plupart des maisons d’édition ont ouvert des collections noires ou
policières. Découvrez leurs catalogues, comprenez leurs lignes éditoriales.
Une fois cette étude réalisée, vous saurez à qui envoyer votre création.
D’ici là, bon courage à celles et ceux qui estiment pouvoir se jeter dans
l’écriture d’un polar une fois ce livre refermé…
ANNEXES
Index des noms propres
(auteurs et personnages)

A
Aragon, Louis 81
Artaud, Antonin 114

B
Balzac 11
Baudelaire, Charles 11
Bellet, Alain 67
Benacquista, Tonino 34
Benson, Stéphanie 53, 60, 77, 110, 114
Bertillon, Dr 13
Borniche, Inspecteur 56
Burma, Nestor 21

C
Carné, Marcel 10
Céline, Louis-Ferdinand 82
Chandler, Raymond 18, 41, 100
Chinois de Marseille 56
Christie, Agatha 17–18
Cook, Robin 114–115

D
Daeninckx, Didier 8, 23, 27, 44, 56, 59, 65
Delacorta 34
Delteil, Gérard 103
Domas, Thierry 8
Doyle, Conan 14–15
Dupin, Chevalier 11
F
Fandor 15
Fantômas 15
Flaubert, Gustave 91

G
Gaboriau, Émile 13–14
Goodis, David 19, 22

H
Hammett, Dashiell 12, 18–19, 22
Himes, Chester 22
Holmes, Sherlock 12, 14, 54

I
Izzo, Jean-Claude 23

J
Jonquet, Thierry 23, 68, 97
Juve, Commissaire 15

L
Lacenaire, Pierre-François 10
Laclavetine, Jean-Marie 82
Landru 55
Larsen, Frédéric 36
Le Floch, Nicolas 13, 48
Le Poulpe 83
Leblanc, Maurice 15
Lecouvreur, Gabriel 83
Lemaître, Frédérick 10
Leroux, Gaston 15
Livrozet, Serge 27, 40, 56, 104, 119
Louvet, Michel 87, 99–910, 116
Lupin, Arsène 13, 15
M
Macaire, Robert 10
Maigret, Jules 22, 100
Malet, Léo 21–22
Manchette, Jean-Patrick 22–23, 66
Mosconi, Patrick 103

N
Nerval, Gérard de 114

P
Pagan, Hugues 56
Pambrun, Anne 12
Paquet, Dominique 57
Parot, Jean-François 48
Pécherot, Patrick 104
Pennac, Daniel 68
Petiot, Dr 55
Poe, Edgar Allan 11
Poirot, Hercule 12, 17
Pouy, Jean-Bernard 68, 83
Prudon, Hervé 103

R
Ray, Nicholas 88
Raynal, Patrick 6, 55, 61, 79, 114
Reboux, Jean-Jacques 103

S
Simenon, Georges 22, 66, 100
Spade, Sam 12
Streiff, Gérard 56, 103
Sue, Eugène 11

V
Vargas, Fred 98, 104
Vian, Boris 27
Vilar, Jean-François 23, 56
Villard, Marc 104

W
Watson, Dr 54
Wenders, Wim 88

Z
Zola, Émile 11
Index des œuvres citées

A
Au bonheur des ogres 68

B
Bastille tango 23, 56
Belleville-Barcelone 104

C
Ceux qui vont mourir
te saluent 104
Chili incarné 103
Corrida aux Champs-Élysées 22
Coup de lune 34

D
Danse avec Loulou 83
Descente aux enfers 19
Double Assassinat dans la rue Morgue 11

E
En douceur 82

F
Fatale 66
Fausse Commune 66–67

J
J’étais Dora Suarez 115
J’irai cracher sur vos tombes 27
Je ne suis pas coupable 18

L
L’Auberge des Adrets 10
L’Escarboucle bleue 15
L’Homme à l’oreille croquée 68
La Cerise sur le gâteux 103
La Corde au cou 14
La Nuit apache 103
La Porte de derrière 104
La Position du tireur couché 23
La Vie de ma mère ! 68
La vie est dégueulasse 21
Le 17 juillet 1994 entre 22 et 23 heures 34
Le chevalier Du Guesclin mène l’enquête 46
Le Fantôme de la rue Royale 48
Le Pendu de Saint-Pholien 66
Le soleil n’est pas pour nous… 21
Les anges meurent aussi 36, 100
Les Caves de la Goutte d’Or 56, 103
Les Enfants du paradis 10
Les Nouveaux Mystères de Paris 21
Les Orpailleurs 97
Lightning Over Water 88

M
Maigret et le corps sans tête 22
Meurtres pour mémoire 56

Q
Quelques remarques sur le roman de mystère 41

S
Sueur aux tripes 21
U
Un château en Bohême 65

V
Vinyle Rondelle ne fait pas le printemps 103
Voyage au bout de la nuit 82
Index des notions

A
Action 21, 32, 35, 64, 68–70, 90–91
Antihéros 13

C
Chute 18, 32, 34–35
Climat 78, 120
Complaisance 18, 118
Construction du récit 59
Contre-emploi 74, 97
Coup de théâtre 34
Crime 6, 10, 12, 14, 18, 21, 45, 47, 54–55, 76–77, 97, 100, 118
Critique sociale 102

D
Dialogue 60, 69–70, 88–90

E
Élément perturbateur 32
Enquête 33, 44, 53–54, 58–59, 99
Enquêteur 12–13, 26, 33, 42, 54–55, 77–78, 83, 97–99, 109
Épure 87

F
Fait divers 9–10, 25, 55, 113
Femmes 109–111
Fiction 18, 25, 46, 55, 57, 61, 100–102, 107
I
Imaginaire 6, 27–28, 42, 85
Incipit 81–82
Intrigue 13, 25, 28, 32, 40–43, 46–47, 53, 55–56, 58, 74, 76–78, 81, 83, 85–
86, 98, 100, 106–107, 111–113, 116–118, 120

N
Narrateur 60, 64, 67, 90
~ externe 65 131
~ interne 69–71
~ omniscient 91
Nouvelle 32–34

P
Personnage 13–14, 32, 73–74, 78, 85–90, 97–99, 106, 111, 117, 120
~ féminin 111
~ principal 17, 24, 26, 32, 53–57, 68, 76–77, 83, 97
~ secondaire 75, 77
Progression 60
Protagoniste 18, 77–78

R
Réel 11, 25, 27, 39, 45, 55, 77, 98, 100
Roman
~ d’enquête 12, 76
~ de cambriolage 13
~ noir 7–8, 12, 19, 23, 25, 54, 114
~ policier historique 13, 45, 48
~ puzzle 40

S
Structure narrative 86
Style 36, 61, 89–90
Suspect 24, 54, 76, 78, 98–99, 101
Suspense 7, 24, 32, 40, 55
T
Témoin 25, 32, 75, 84
Temps du récit 69–70, 86, 120
Transgression 9, 114–115, 118

V
Vérité 8, 17, 33, 55, 121
Ville 14, 60, 105–106
Vraisemblable 7–8, 17, 39, 61, 75, 99–910, 121
Vraisemblance 46, 90, 97 132
Bibliographie

BENACQUISTA Tonino, « Le 17 juillet 1994, entre 22 et 23 heures » in


Douze et amères, Fleuve Noir, 1997.
CÉLINE Louis-Ferdinand, Voyage au bout de la nuit, Folio, 1972.
CHANDLER Raymond, Les Dix Règles de Raymond Chandler, in
Quelques remarques sur le roman de mystère, Christian Bourgois, 1949.
CHRISTIE Agatha, Je ne suis pas coupable, Librairie des Champs-
Élysées, 1967.
COOK Robin, J’étais Dora Suarez, Rivages, 1990.
DAENINCKX Didier, Un château en Bohême, Denoël, 1994.
DELACORTA, « Coup de lune », in Douze et amères, Fleuve Noir, 1997.
DELTEIL Gérard, Chili incarné, Le Poulpe, Baleine, 1996.
DEMURE Jean-Paul, Aix abrupto, Série Noire, Gallimard, 1987.
DOYLE Conan, L’Escarboucle bleue, in La Bande mouchetée, quatre
aventures de Sherlock Holmes, Librio, 2001.
GABORIAU Émile, La Corde au cou, L’Instant Noir, 1987.
GOODIS David, Descente aux enfers, Glancier-Guénaud, 1986.
JONQUET Thierry, La Vie de ma mère !, Série Noire, Gallimard, 1994.
LACLAVETINE Jean-Marie, En douceur, Folio, 1993. MALET Léo, Corrida
aux Champs-Élysées, Fleuve Noir, 1966.
MANCHETTE Jean-Patrick,
Fatale, Folio, 1995.
La Position du tireur couché, Gallimard Folio Policier, 1998.
MARIE ET JOSEPH, Le Petit Roi de Chimérie, Série Noire, Gallimard,
1988.
MOSCONI Patrick, Nuit apache, Série Noire, Gallimard, 1990.
PAMBRUN Anne, Histoire du roman policier, www.bibliosurf.com, 2006.
PAROT Jean-François, Le Fantôme de la rue Royale, 10/18, 2003.
PÉCHEROT Patrick, Belleville-Barcelone, Série Noire, Gallimard, 2003.
PENNAC Daniel, Au bonheur des ogres, Série Noire, Gallimard, 1985.
POUY Jean-Bernard,
L’Homme à l’oreille croquée, Gallimard Folio Policier, 1998.
« Présentation du Poulpe », Baleine, 1996.
PRUDHON Hervé, Vinyle, Rondelle ne fait pas le printemps, Série Noire,
Gallimard, 1996.
REBOUX Jean-Jacques, La Cerise sur le gâteux, Le Poulpe, Baleine,
1996.
SIMENON Georges,
Le Pendu de Saint-Pholien, Fayard, 1974.
Maigret et le corps sans tête, Presses de la Cité, 1995.
STREIFF Gérard, Les Caves de la Goutte d’Or, Baleine, 2001.
VAN DINE S.S., « Vingt règles pour le crime d’auteur du roman policier »,
in American magazine, septembre 1928.
VARGAS Fred,
Ceux qui vont mourir te saluent, Viviane Hamy, 1994.
Un peu plus loin sur la droite, J’ai lu, 2000.
VILAR Jean-François, Bastille tango, Babel Noir, 1999.
VILLARD Marc, La Porte de derrière, Série Noire, Gallimard, 1993.
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Eyrolles
Du même auteur
Polars et romans noirs
Fausse Commune, Le Passage, 2003.
Danse avec Loulou (Le Poulpe), Baleine, 1998.
Saison d’hivernage, roman noir, In Fine, 1993.
Les anges meurent aussi, avec Frédéric Larsen, Gallimard, 1991.
Aller simple pour Cannes, Éditions de l’Instant, 1990.

Documentaires
Paris de Papa, Paris de 1945 à 1970, Terres éditions, à paraître en août
2009.
Paris lumière, photos Patricia Baud, Atlas, 2009.
Encyclopédie des rois de France, collectif, Philippe Auguste, éditions Atlas,
2009.
Vie d’ici en ville, mémoires vives, photos Patricia Baud, Centre régional
d’Art contemporain de Basse-Normandie, 2008.
La Belle aux bois des forges, photos de Patricia Baud, 2007.
L’Usine de ma vie, photos de Patricia Baud, Cherche-Midi, 2005.
P’tits Enfants du bassin minier, photos de Patricia Baud, L’Œil d’or, 2005.
Mosaïques, photos de Patricia Baud, L’Œil d’or, 2005.
Paris, capitale des arts et des révoltes, Alfil, 2000.
L’Art pour mémoire, photos d’Éric Larrayadieu, CCAS, 1995.
Achères, c’est mon nom… !, photos de Patricia Baud, In Fine, 1993.
Champ social, livre collectif, Maspero, 1977.

Récits littéraires
Histoires d’en Risle : Les Dominos de Montfort, photos de Hugo Miserey,
Krakoen, 2006.
Jeanne et André : Un couple en guerre, L’Œil d’or, 2005.
Dans la brume de l’Aude, roman, Companhs de Caderonne, 2001.
Voyage en grande terre, photos Patricia Baud, Brut de Béton, 1998.
Nuit agenaise, récit, photos de Patricia Baud, La Barbacane, 1997.
Jeanne et André, un couple en guerre, La Barbacane, 1991.
Romans pour la jeunesse
Virée nomade, Monde Global, à paraître en 2009.
Fleurs de pavé, un printemps d’Haussmann, Oskar Jeunesse, 2009.
Les Chevaliers de la Table ronde, album, Auzou, 2009.
Le chevalier Du Guesclin mène l’enquête, illustrations de Marcelino
Truong, Oskar Jeunesse, 2008.
La Dicteuse de lois, récit, réédition, Encre Bleue, 2002.
La Dicteuse de lois, récit, Balzac (Canada), 1999.
Les Mutins du Faubourg, roman historique, Magnard, 1999.
Le Noyé du canal Saint-Martin, roman historique, Magnard, 1998.
Le Gamin des barricades, roman noir historique, Milan, 1996.
La Machine à histoires, illustrations de Charly Barat, Le Verger, 1994.
Matelot de la Royale, roman historique, Milan, 1992.
Le Petit Camisard, roman historique, Nathan, 1991.
Sommaire

Avant-propos

Première partie • Les bases du genre

Vous décidez d’écrire un polar…


Pourquoi écrire ?
Raconter la vie
Les origines du roman policier
Le crime à la une
Les différents romans policiers
Le roman de mystère ou d’énigme
Le roman d’enquête
Le roman noir
Le roman de cambriolage
Le roman policier historique
Des antihéros sympathiques
L’âme du roman noir
Les « romans du discours »
Les « romans du regard »
Un mélange des genres « à la française »
Une écriture de l’urgence
S’exprimer à travers le roman
La fabrique personnelle du romancier
Ne faut-il pas s’essayer dans un texte court ?
La bribe littéraire
La nouvelle littéraire
Une suite de nouvelles ?
Écrire seul, en duo, ou en groupe ?
Le choix du thème du livre
Le roman puzzle
Un univers dévoilé
Les exigences des voyages dans l’hier
Recomposer du réel
Les modes de vie du temps
L’organisation sociale de l’époque
La psychologie des humains d’alors
Trouver le bon équilibre

Deuxième partie • Le cœur du texte

Le roman et sa structure
La structure du roman policier classique : deux histoires mélangées
La charpente du roman noir : trois niveaux de construction mêlés
L’histoire du crime
La vie des personnages
L’arrière-plan, un élément fort
La construction du récit
L’écriture elle-même
Les points de vue de la narration
Choisir son narrateur
Le « il » narrateur
Le « je » narrateur
Choisir le temps du récit
Comment construire vos personnages ?
Méfiez-vous des modèles
Le personnage : un être vivant !
Le choix du héros
Du cœur et des tripes
Connaître le mort mieux que quiconque
Le climat du roman
Comment commencer à écrire ?
Soigner son incipit
Lancer l’intrigue
L’écriture, lieu d’expression de l’imaginaire
Conduire l’orchestre
Le sens de l’épure
Le jeu des focales différentes
L’ellipse
Les dialogues
Le style
Les différents registres de langue
La correction par la mise en bouche

Troisième partie • Les questions majeures

Garder la réalité et ses contraintes à l’esprit


À quelques millimètres de la réalité
Les parcours obligés
Les sujets abordés
La critique sociale portée par la fiction romanesque
La vie urbaine et la ville, moteurs du roman
La ville décor ou la ville sujet ?
Une ville vivante truffée de contradictions
Fantasmes et lieux communs
Les femmes, guère respectées par le genre policier
Écriture et humanisme
De faux passages obligés
Ce qui peut mettre l’auteur en péril
De la fragilisation à la perte d’espérance
Pour conclure
Un thème de livre n’est jamais innocent
Rencontrer l’univers du crime

Annexes

Index des noms propres


Index des œuvres citées
Index des notions
Bibliographie

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