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V.10-55390–Août 2010–300
Ce document a été préparé par le Service d’appui au secteur privé et à la promotion des investisse-
ments et de la technologie de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel
(ONUDI) sur la base du travail réalisé par Nuria Ackermann, consultante à l’ONUDI, et sous la direc-
tion de Fabio Russo, spécialiste principal du développement industriel à l’ONUDI. L’auteur souhaite
remercier Gilles Galtieri, consultant à l’ONUDI, pour sa collaboration, et Gerardo Patacconi, chef du
groupe pour la qualité, les normes et la conformité à l’ONUDI, pour ses précieux commentaires.
Ce document n’a pas fait l’objet d’une mise au point rédactionnelle de la part des services d’édition des
Nations Unies. Les appellations et les documents cités dans la présente publication ne reflètent à aucun
égard une opinion du secrétariat de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel
concernant le statut juridique d’un pays, d’un territoire, d’une ville, d’une zone, ou de ses autorités, ou
concernant le tracé de frontières ou limites. Les opinions, chiffres et estimations figurant dans le présent
document sont de la responsabilité des auteurs et ne doivent pas nécessairement être considérés comme
étant ceux de l’ONUDI ou comme impliquant son approbation. Les appellations “pays développé” ou
“pays en développement” sont employées à des fins statistiques et n’expriment pas nécessairement une
opinion quant au stade de développement de tel pays ou de telle zone. La mention d’une entreprise ou
d’une marque commerciale ne signifie pas que celle-ci ait l’aval de l’ONUDI.
Le texte original espagnol du présent document a été traduit par des services extérieurs.
SOMMAIRE
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1. Protection légale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.1. Les indications géographiques: un labyrinthe juridique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.2. L’art de jouer sur plusieurs fronts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Bibliographie citée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Annexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
ENCADRÉS
ENCADRÉ 1 Systèmes de protection d’indications géographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
ENCADRÉ 2 Moyens légaux de protection de produits traditionnels d’origine. . . . . . . . . . . . . 10
ENCADRÉ 3 Indications géographiques institutionnalisées (IGI), marques de certification
et marques collectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
ENCADRÉ 4 Mexique: le fromage Cotija de Jalmich. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
ENCADRÉ 5 Établissement séquentiel d’un consortium de qualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
ENCADRÉ 6 Suisse: le pain de seigle du Valais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
ENCADRÉ 7 Italie: la pomme “Melinda” du Val di Non. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
ENCADRÉ 8 Le mouvement Slow Food . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
iii
Introduction
La tendance prédominante dans les marchés agro-industriels révèle un intérêt croissant de la
part des consommateurs envers des produits traditionnels et étroitement liés à un lieu d’origine
déterminé. Dans les pays développés, aussi bien que dans ceux en voie de développement,
les clients finals montrent de plus en plus une propension à acheter des produits alimentaires
ou agro-industriels ayant leurs racines dans les différentes cultures populaires, même si cela
a pour conséquence de devoir payer des prix plus élevés. La préférence envers ce qui est
perçu comme authentique et typique est, en grande mesure, une réaction face aux change-
ments rapides qu’entraîne la globalisation. La croissance du commerce international, la pro-
lifération des entreprises multinationales, avec leurs produits standardisés, et l’homogénéisation
progressive de l’offre ont provoqué une réaction de “retour aux sources” chez un grand
nombre de consommateurs. Ceux-ci refusent de voir la simple valeur utilitaire d’un bien et
ils sont prêts à payer un prix plus élevé pour consommer des produits fidèles à leurs racines
et conservant la qualité d’antan, et qui n’ont pas été “souillés” par une modernisation qui
semble hors de contrôle aux yeux de beaucoup d’entre eux (Van de Kop et Sautier: Van de
Kop et al. 2006; FAO 2008).
Pour les producteurs et les petites et moyennes entreprises du secteur agro-industriel, cette
nouvelle tendance représente une grande opportunité, car elle leur permet de ne pas devoir
entrer en compétition au niveau du prix avec des produits génériques et standardisés. Au
contraire, elle les récompense pour bien faire ce que, dans une certaine mesure, ils ont tou-
jours fait: produire, en utilisant des méthodes artisanales, des produits traditionnels fortement
enracinés dans une région et ayant des caractéristiques spéciales. Dans les pays du Sud de
l’Union européenne (UE), le potentiel commercial de ce qui sera dorénavant dénommé
“produit traditionnel d’origine” a été reconnu très tôt.
Depuis plusieurs siècles, quelques vins français identifiés par le nom géographique de leur
région de provenance — par exemple, le bordeaux — ont bénéficié de certains privilèges
précisément associés à leur lieu d’origine. De plus, le précurseur des produits traditionnels
d’origine officiellement protégés, tels que ceux qui sont connus aujourd’hui, est apparu
dès 1666. Cette année-là, le parlement de Toulouse décréta: “Seuls les habitants de Roquefort
ont l’exclusivité de l’affinage du produit. Il n’existe qu’un Roquefort, et c’est celui qui est
affiné à Roquefort de temps immémorial dans les grottes de cette ville…” (Cambra Fierro
et Villafuerte Martín 2009: 330, libre traduction). Cependant, si les produits traditionnels
d’origine existent depuis longtemps en tant que réalités historiques, culturelles, économiques
et sociales, ce n’est qu’au début du xxe siècle que ces produits ont fait une apparition légale
proprement dite en Europe (Cambra Fierro et Villafuerte Martín 2009; Van Caenegem 2003).
À cette époque ont commencé à apparaître dans les pays méditerranéens de plus en plus de
groupements régionaux d’opérateurs économiques ruraux qui avaient pour objet principal la
coordination de la production d’aliments et de vins typiques de très grande qualité et la
1
La valorisation des produits traditionnels d’origine
certification de leur origine pour promouvoir leur commercialisation. Les initiatives privées
collectives ont rapidement obtenu l’appui et la reconnaissance officielle publique. La France
a été le premier pays au monde à établir un système national pour protéger et garantir la
qualité des produits traditionnels d’origine, en particulier des vins; une première loi approuvée
en 1919 en a jeté les bases.
Depuis lors, l’action privée et l’action publique sont en grande mesure allées de pair dans
les pays européens méditerranéens. Les acteurs économiques de zones rurales spécifiques se
sont petit à petit organisés en groupements pour renforcer collectivement l’avantage concur-
rentiel d’un bien agroalimentaire local donné. En même temps, ils ont lutté pour obtenir
l’appui légal de l’État pour défendre l’authenticité du produit face à l’adultération et la
falsification. Peu à peu, de plus en plus de pays ont modifié leurs cadres légaux pour octroyer
une protection spéciale aux produits traditionnels d’origine au moyen de l’introduction des
“indications géographiques”. Ces marques officielles d’origine et de qualité figurent sur
l’emballage de produits certifiés comme le Parmigiano Reggiano italien, le café de Colombie
et le fromage Feta grec. Ils représentent autant un moyen de sauvegarde légale face aux
copies frauduleuses qu’un instrument de promotion et de marketing pour attirer les consom-
mateurs raffinés. Sans compter les vins et les spiritueux, l’UE compte déjà plus de 750 pro
duits agroalimentaires à indication géographique, avec une grande concentration dans la
région méditerranéenne. Quatre-vingt-dix pour cent des boissons et des aliments proviennent
de six pays: Allemagne, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal (Cambra Fierro et Villafuerte
Martín 2009; FAO 2008).
Depuis qu’elles ont été recueillies et définies par l’Accord de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC) de 1994 sur les “Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent
au commerce” (ADPIC), les indications géographiques ont connu un grand essor dans les
pays en voie de développement et en transition (Paus 2008). Cependant, dans la pratique,
les indications géographiques, en tant que figure légale, sont aujourd’hui encore relativement
peu étendues en dehors du contexte européen. Mais de plus en plus de gouvernements,
d’institutions privées et d’organisations d’opérateurs économiques sont intéressés par la
promotion des produits traditionnels d’origine, car ils sont conscients de leur potentiel.
Dans ce contexte, la principale préoccupation des acteurs concernés est souvent d’obtenir
rapidement une indication géographique. Cependant, on ne pense pas assez qu’une indication
géographique ne sert qu’à identifier et à protéger un produit ayant des caractéristiques spé-
ciales et ainsi à promouvoir sa commercialisation. Or ce n’est jamais un prodigieux moyen
qui peut à lui seul doter de qualité un produit traditionnel d’origine ni créer pour lui, à partir
de rien, une demande sur les marchés. De fait, ce qui a permis à certains produits typiques
de pouvoir conquérir les marchés a été surtout une stratégie inlassable de valorisation collective
développée au sein d’associations d’opérateurs économiques. Les indications géographiques
ont certainement contribué à ce succès, mais il est difficile de leur en imputer clairement la
responsabilité principale. On attribue trop souvent des avantages aux indications géographiques
qui n’ont rien à voir avec cet instrument légal en lui-même mais plutôt avec les projets col-
lectifs de différenciation, qui mènent à son obtention et qui se poursuivent par la suite. Dans
un contexte où les revenus de différents opérateurs économiques indépendants sont liés à la
réputation d’un même produit traditionnel d’origine sur le marché, l’association entre les
producteurs concernés, la standardisation conjointe de la qualité du produit, le contrôle du
respect des procédures de production établies et le marketing collectif sont tous des com-
posantes clés du succès. C’est pour cette raison que lancer un projet pour la demande d’une
indication géographique, alors qu’il n’existe pas encore d’“infrastructure” productive et organi-
sationnelle, peut parfois équivaloir à commencer à construire une maison par le toit.
2
Guide pour la création d’un consortium de qualité
En poussant plus loin la métaphore, à la fin du processus de construction, le toit peut revêtir
plus ou moins d’importance.
La création d’une organisation collective représente donc le cœur des efforts de promotion
des produits traditionnels d’origine. Plus concrètement, l’un des types d’association le plus
répandu dans ce contexte est le consortium de qualité. C’est un groupement de producteurs
et d’entreprises indépendants ayant pour but de valoriser un produit traditionnel d’origine;
il agit comme une plate-forme pour la coordination équitable et équilibrée d’intérêts et
d’efforts tout au long d’une même filière. La portée des bénéfices que les divers membres
peuvent obtenir de leur participation au projet conjoint dépend en grande mesure des
dynamiques de coopération et du fonctionnement de l’organisation collective. De même,
l’impact socioéconomique au niveau local et les processus de développement rural peuvent
être renforcés ou limités en fonction du mode d’organisation et de la structure de l’initiative
collective. Cela dit, il s’agit d’aspects qui ont tous pu être observés dans d’autres types de
projets d’associations d’entreprise.
L’ONUDI a une grande expérience dans ce domaine, car, depuis des années, elle promeut
et développe la création de systèmes productifs locaux et de réseaux d’entreprises dans le
monde entier. Il est bon de signaler plus particulièrement le programme de promotion de
consortiums d’exportation qui a été conçu pour faciliter l’accès de petites et moyennes entre-
prises (PME) aux marchés internationaux. Ici, le rôle de l’ONUDI a toujours été centré sur
l’assistance aux PME dans leurs processus de regroupement, dans la préparation de stratégies
de marketing conjointes, et a contribué à la mise en place de projets collectifs de mise à
niveau et d’amélioration de la qualité pour renforcer la compétitivité. Dans le cadre des divers
projets qui ont été développés en Amérique latine, en Asie et dans les pays du Nord de
l’Afrique, ce sont surtout des consortiums d’exportation dans le secteur manufacturier et les
services qui ont été créés; cependant, au cours des dernières années, l’attention a de plus en
plus été posée sur les besoins des opérateurs du secteur agro-industriel Le système de
coopération et d’appui mutuel, qui constitue l’essence du succès des consortiums d’exportation,
a permis aussi à de petits producteurs du secteur agro-industriel de pénétrer ensemble de
nouveaux marchés. Récemment, un intérêt accru a pu être observé parmi les contreparties
et les bénéficiaires des projets de l’ONUDI pour le développement de stratégies associatives
plus différenciées et plus axées sur la valorisation de produits traditionnels d’origine. Pour
répondre à cette demande, l’ONUDI va promouvoir, dans le futur, la création de consortiums
de qualité dans le secteur agroalimentaire; ce document doit être vu comme un premier pas
dans cette direction.
Dans les pages suivantes seront abordés, du point de vue pratique, les facteurs dont il faut
tenir compte pour pouvoir appuyer efficacement la promotion et la valorisation d’un produit
traditionnel d’origine. Si ce document est essentiellement consacré aux processus de regroupe-
ment, il a été considéré comme essentiel de clarifier les concepts et d’élucider les implications
juridiques des indications géographiques, en les mettant surtout en perspective avec la législa-
tion relative aux marques. La première partie du document est donc consacrée aux aspects
juridiques. La deuxième définit et aborde d’une façon générale les groupements de valorisa-
tion et de promotion de produits traditionnels d’origine et souligne le rôle de ces groupements
dans les dynamiques de développement rural. Une première introduction aux consortiums de
qualité y est également présentée. La troisième partie, qui constitue la composante
méthodologique du document, traite des différents aspects dont il faut tenir compte pendant
le processus de création et de développement d’un consortium de qualité. Dans cette section
sont analysés les facteurs qui déterminent, d’une part, la portée des bénéfices socioéconomiques
pouvant être obtenus par les différents membres d’un consortium grâce à leur engagement
3
La valorisation des produits traditionnels d’origine
dans l’initiative conjointe et, d’autre part, le niveau de succès du produit traditionnel d’origine
sur le marché. Plus concrètement, les éléments suivants sont abordés: les caractéristiques
souhaitables du produit à promouvoir; les modalités pour lancer une initiative de valorisation
collective; les procédures pour élaborer et mettre en œuvre ensemble des normes de produc-
tion partagées; les services pouvant être offerts par un consortium de qualité; les manières
de promouvoir collectivement le produit; les aspects liés à l’élargissement du consortium de
qualité; les critères selon lesquels il est possible d’opter pour une indication géographique;
l’importance des appuis externes. Bien que le document comprenne des réflexions théoriques,
il est orienté vers l’action et centré sur des éléments qui s’appliquent sur le terrain. Les
nombreux exemples réels auxquels le texte fait référence répondent à cet objectif.
Ce document est exclusivement axé sur les produits traditionnels d’origine, mais il n’empêche
que plusieurs des aspects traités peuvent être étendus aux produits biologiques, écologiques
ou issus du commerce équitable. Ces derniers misent sur un autre type de valeur ajoutée et
ils essayent de satisfaire un autre genre de besoin mais, dans une certaine mesure, la stratégie
de vente et le processus de structuration du consortium sont très similaires. De même, il est
utile de préciser que, si la grande majorité des produits traditionnels d’origine provient du
secteur alimentaire ou, par extension, du secteur agro-industriel, il en existe aussi plusieurs
autres qui appartiennent au secteur manufacturier, comme certains tissus typiques de fabrica-
tion artisanale. Le présent document aborde surtout les produits de la première catégorie,
mais il n’est pas dit pour autant que les informations présentées ne puissent être également
applicables à des stratégies de valorisation collective d’autres biens.
4
1. Protection légale
Comme tous les autres types d’articles de vente, les produits traditionnels d’origine peuvent
également être enregistrés sous la législation des marques dans n’importe quel pays. Cependant,
en parlant de protection légale de produits typiques liés à un territoire spécifique, la première
idée qui vient à l’esprit est celle des “indications géographiques”. Or ce qui est entendu par
le concept de “marque” est largement connu en raison de la très grande diffusion acquise
dans le commerce par ce type de label; mais, qu’est-ce exactement qu’une indication
géographique? Répondre à cette question et clarifier les implications légales de cette figure
juridique face aux marques commerciales, voilà le principal objectif des pages suivantes.
5
La valorisation des produits traditionnels d’origine
du dessin industriel où les lois diffèrent largement d’un pays à l’autre (Escudero 2001). Selon
l’accord ADPIC, qui est d’appliqué dans les 149 pays signataires de l’OMC et qui est, sans
aucun doute jusqu’à ce jour, le document multilatéral le plus important dans ce domaine,
“on entend par indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit
comme étant originaire du territoire d’un État Membre, ou d’une région ou localité de ce
territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du
produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.” (Art. 22). Dans la
pratique, ce qui est ou ce qui n’est pas une indication géographique est nécessairement une
question d’interprétation. Ce sont les autorités compétentes d’un État donné qui doivent
décider si les attributs ou la réputation d’un produit sont dus essentiellement à l’origine terri
toriale et si le produit en question doit être enregistré dans le pays, et s’il mérite une protection
spéciale en vertu de sa provenance (Thevenod-Mottet cité dans: Gerz et al. 2008).
L’accord ADPIC fixe l’obligation des pays Membres d’établir les moyens légaux nécessaires
pour empêcher la concurrence déloyale et l’attribution trompeuse des indications géographiques,
mais il ne spécifie pas les systèmes de protection devant être mis en œuvre. De fait, il existe
une grande variété de schémas juridiques et il existe même de grandes divergences entre les
systèmes légaux des grandes destinations d’exportation. Alors que des pays comme les États-
Unis ou l’Australie réglementent les indications géographiques au moyen de normes appli-
cables aux marques commerciales, l’UE a établi un système spécifique sui generis (législation
spéciale) pour ce type de droits de propriété intellectuelle qui offre une protection bien plus
large que celle accordée aux marques. De plus, certains pays recourent davantage aux lois de
défense du consommateur ou relatives à la concurrence déloyale et à l’attribution trompeuse
pour protéger les produits traditionnels d’origine. Cependant, ces régimes juridiques, plutôt
que de protéger une indication géographique en tant que telle, servent avant tout de remède
au cas par cas pour une utilisation indue de celle-ci.
Le fait qu’un signe déterminé ou qu’une certaine marque remplisse ou non la fonction
d’indication géographique dépend de ce qui a été établi par les diverses lois nationales. À titre
d’exemple, un produit des États-Unis traditionnel d’origine, protégé au moyen d’une marque
de certification, peut être considéré comme ayant une indication géographique aux États-Unis,
alors que, pour l’UE, un produit uniquement enregistré sous la législation des marques ne
sera jamais reconnu comme une indication géographique. Pour l’UE, un produit typique ne
pourra être qualifié de droit comme indication géographique que s’il est protégé sous le système
sui generis. D’autre part, il existe des pays, par exemple le Mexique, où certains types de
marques, tout comme la protection sui generis, sont considérés comme étant des moyens légaux
pour la reconnaissance officielle des indications géographiques (Cambra Fierro et Villafuerte
Martín 2009; OMPI 2002; Olives Cáceres 2007; Poméon 2007; Riveros et al. 2008).
Face à l’impossibilité de définir avec exactitude et d’une manière globale le concept d’indication
géographique, désormais les indications géographiques protégées en tant que telles dans leurs pays
d’origine à travers n’importe quel système juridique seront dénommées “indications géographiques
reconnues”, alors que la sous-catégorie d’indications géographiques existant au niveau mondial,
6
Guide pour la création d’un consortium de qualité
qui sont enregistrées sous un système sui generis dans leurs pays respectifs, recouvre les “indica-
tions géographiques institutionnalisées”. Selon cette définition, toutes les “indications géographiques
institutionnalisées” sont des “indications géographiques reconnues”, mais toutes les “indications
géographiques reconnues” ne sont pas des “indications géographiques institutionnalisées”, du fait
que tous les pays n’ont pas établi de système sui generis de protection.
o
raditi nnels
st Toutes les IGR1 protègent des produits traditionnels
IGR1
d’o
rigin
Toutes les IGI2 sont des IGR. Mais toutes les IGR ne
sont pas des IGI, car tous les pays n’ont pas un
système sui generis (législation spéciale).
Produits Selon ce système légal, toutes les IGR sont des IGI,
traditionnels car il n’existe que la protection sous le système sui
Autres
d’origine generis (législation spéciale).
produits/ Marques
services Les IGI sont protégées sous un système qui diffère de
IGI
celui des marques. Les produits traditionnels d’origine
peuvent être protégés comme des marques et/ou
des IGI. Un produit protégé uniquement sous une
Source: élaboration de l’auteur marque ne peut avoir le statut d’IGR; l’enregistrement
comme IGI est indispensable.
7
La valorisation des produits traditionnels d’origine
L’accord ADPIC fait aussi la différence entre les diverses catégories de produits, et il établit
des règlements et des niveaux de protection différents en fonction de celles-ci. Les vins et
les liqueurs bénéficient de garanties bien plus larges que celles accordées à tous les autres
produits (Art. 23). En général, l’ADPIC exige seulement que les désignations des produits
n’induisent pas les consommateurs en erreur en ce qui concerne le lieu de production. Les
désignations “thé de Ceylan produit en Malaisie” ou “fromage Mozzarella de bufflonne produit
en Colombie” sont autorisées, puisqu’elles indiquent clairement la véritable origine du produit
et que, par conséquent, elles ne créent aucune confusion. Cependant, dans le cas des boissons
alcoolisées, l’utilisation du nom protégé est absolument interdite pour des produits réalisés
en dehors des limites du terroir d’origine. Il n’est donc pas permis de vendre du “champagne
allemand” ni du “vin Chianti produit au Chili” (Grazioli cité dans: Gerz et al. 2008). Mais,
là encore, il existe des différences entre les cadres juridiques des différents pays ayant signé
l’accord ADPIC. Toutes les législations nationales ne sont pas aussi permissives; dans le cas
des systèmes sui generis, il est fréquent que les noms de toutes les indications géographiques
sans exception soient complètement protégés.
L’accord ADPIC établit également d’autres exceptions en ce qui concerne la protection des
indications géographiques qui rendent l’application du traité encore plus flexible. D’une part, la
sauvegarde des indications géographiques dans un pays ne doit pas aller à l’encontre des droits
de marques identiques ou similaires déjà existantes, ou de droits d’utilisation établis de bonne
foi. Et, d’autre part, un produit ayant une désignation spécifique pourra être reconnu comme
indication géographique uniquement si le terme faisant l’objet de la demande d’enregistrement
n’est pas un nom générique dans un pays donné; cet aspect est illustré ci-après.
Le mot “Emmental” désigne une zone géographique située en Suisse, qui a donné son nom
à un fromage connu par ses trous caractéristiques et qui provient de cette région. Le fromage
“Emmentaler” a été enregistré en 2002 en Suisse comme indication géographique; mais il ne
pourra jamais obtenir la même protection sur les autres marchés européens, car l’UE considère
que le terme “Emmentaler” et les traductions qui en existent à ce jour ont acquis un caractère
générique. Par conséquent, la désignation en tant que telle ne peut pas être enregistrée, à
moins qu’elle ne soit combinée avec un autre lieu de provenance additionnel, comme dans
le cas du fromage allemand protégé “Allgäuer Emmentaler”.
C’est presque tout le contraire qu’il faudrait dire en ce qui concerne le thé rouge “Roiboos”
d’Afrique du Sud. Sur le marché national, ce nom est considéré comme un terme générique
et, pour l’instant, il ne peut aspirer à aucun type de protection de la marque. Cependant,
jusqu’à il y a quelques années, une entreprise d’Afrique du Sud exportait le produit aux
États-Unis sous la protection de la marque commerciale légalement enregistrée “Rooibos”.
En principe, ce thé aurait de bonnes chances d’être reconnu par un grand nombre de pays
importateurs comme indication géographique, mais la législation et le contexte national
8
Guide pour la création d’un consortium de qualité
d’Afrique du Sud ont, jusqu’à présent, représenté un empêchement. En effet, selon l’accord
ADPIC, un produit ne peut faire l’objet d’une demande d’enregistrement, comme indication
géographique dans d’autres États ayant signé l’accord, que s’il est déjà protégé au niveau
national (Gerz et Bienabe cités dans: Van de Kop et al. 2006).
Face à un panorama juridique global si varié et différent, et lorsqu’il faut décider de miser
ou non sur la promotion d’un produit traditionnel d’origine, il est important de distinguer
nettement entre le potentiel commercial inhérent à ce produit et les perspectives qu’il a
d’obtenir une indication géographique sur le marché national et sur les marchés d’exportation.
De plus, le fait d’engager une procédure destinée à obtenir une indication géographique ou
une autre marque garantissant tant le nom que les caractéristiques du produit (voir encadrés 2
et 3) procède souvent d’une décision plus tactique que stratégique, car parfois les marques
commerciales communes peuvent aussi être une excellente voie pour protéger un produit et
pour contrôler un marché.
Le cas du café d’Éthiopie en est l’exemple. Dans le cadre d’une initiative publique et privée
nationale menée par le Bureau éthiopien de la propriété intellectuelle, une analyse a été
effectuée concernant le type de protection légale le plus approprié en vue d’une commerciali-
sation réussie des célèbres cafés produits dans certaines zones spécifiques de ce pays; la
conclusion a été que les marques commerciales communes offrent de bonnes garanties. Le
gouvernement éthiopien a présenté, dans 34 pays, une demande d’enregistrement des trois
marques “Harrar/Harar”, “Sidamo” et “Yirgacheffe” pour les cafés provenant de zones
géographiques homonymes. Dans l’UE, les trois marques commerciales ont déjà une protec-
tion, alors que, jusqu’à présent, au Japon et aux États-Unis, seulement deux dénominations
sur les trois ont pu être déposées (Schüßler 2009).
Toutefois, il faut préciser que l’enregistrement de noms géographiques comme marques com-
merciales communes est juridiquement limité à des cas très spécifiques et que, par conséquent,
ce n’est pas toujours faisable. L’enregistrement est possible lorsqu’une désignation géographique
n’est pas considérée comme telle dans le pays où est demandée la protection ou bien lorsque
le nom géographique a acquis une signification secondaire, ou encore lorsqu’il est compris
comme un mot imaginaire (OMPI 2001).
Les organismes qui sont derrière les produits traditionnels d’origine et qui ont conquis les
marchés internationaux ne se sont pas concentrés exclusivement sur une seule voie juridique
pour protéger leurs produits et les désignations qui leur correspondent; ils se sont au contraire
montrés flexibles et créatifs pour s’adapter aux différents cadres juridiques des pays
d’exportation. C’est ainsi que, par exemple, la société gouvernementale mixte hispano-cubaine
“Habanos S.A.”, chargée de la commercialisation des cigares légendaires en provenance de
l’île des Caraïbes, certifie la qualité et l’origine de ses produits au moyen du label “Habanos”,
indication géographique institutionnalisée à Cuba. Les divers cigares de l’entreprise sont com-
mercialisés sous différentes marques commerciales globales, multilocales, locales et de niche,
mais toutes les boîtes portent le label “Habanos”. Ce nom a pu à son tour être enregistré
dans de nombreux pays comme indication géographique, mais certainement pas dans tous;
dans de nombreux États, le label d’origine du produit a dû être aussi protégé au moyen d’une
simple marque commerciale (El Benni et Reviron 2009).
Le secret du succès des produits traditionnels d’origine consiste donc à jouer la carte juridique
appropriée selon les circonstances et les besoins du moment. L’objectif stratégique ne doit pas
être d’obtenir une indication géographique, mais d’augmenter la part de marché; et donc, par-
fois, les marques commerciales en tant que telles peuvent aussi se révéler d’excellentes alliées.
9
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Les encadrés 2 et 3 indiquent les caractéristiques des divers moyens légaux qui sont le plus
souvent utilisés pour protéger les produits traditionnels d’origine: les indications géographiques
(institutionnalisées), les marques de certification et les marques collectives. Tous ces modes
de protection juridique ont des avantages et des inconvénients devant être soigneusement
évalués. De fait, l’enregistrement d’une indication géographique (institutionnalisée) n’est pas
une simple question de viabilité juridique, c’est également une question de volonté et de
priorité. Plus loin dans ce document, le paragraphe 3.8 analyse, d’une manière détaillée, les
éventuelles implications socioéconomiques de l’enregistrement de ce type de label.
Dans les paragraphes suivants sont expliquées les implications légales des divers modes de
protection légale de produits traditionnels d’origine qui existent; une distinction est essen-
tiellement faite entre indications géographiques institutionnalisées et marques. Bien que le
but soit d’offrir la vue la plus générale possible du panorama juridique global actuel, les
différences entre les systèmes de protection nationaux existants empêchent d’effectuer
des descriptions qui encadrent tous les systèmes juridiques. Les informations présentées
dans cet encadré et dans le suivant peuvent donc être valables pour certains pays et moins
pour d’autres.
10
Guide pour la création d’un consortium de qualité
11
La valorisation des produits traditionnels d’origine
sont définis dans les législations nationales. L’UE, qui dispose du cadre réglementaire le
mieux développé dans ce domaine, a établi la différenciation suivante:
12
Guide pour la création d’un consortium de qualité
géographique; mais uniquement si cela ne suppose pas une violation de droits antérieurs
de propriété intellectuelle. Les garanties et les droits conférés par ce type de protection
sont exactement les mêmes que ceux dont peut bénéficier tout autre produit enregistré
sous la législation des marques. C’est pourquoi les limitations de ce système, par rapport à
la large protection assurée par une législation sui generis, font souvent l’objet de critiques.
Marque collective
Une marque collective est un signe distinctif qui certifie que les produits/services des
membres d’un organisme public ou privé déterminé, ayant une personnalité juridique
13
La valorisation des produits traditionnels d’origine
propre sont conformes aux standards et aux caractéristiques préétablis par le titulaire de
la marque, qui est précisément l’organisme collectif. Normalement, le titulaire n’utilise pas
la marque à des fins commerciales, mais il s’en sert pour faire de la publicité et pour pro-
mouvoir les produits/services de ses membres qui vendent sous le label collectif. L’organisme
exerce un contrôle interne et certifie que les articles labellisés ont certaines caractéris-
tiques, par exemple, l’origine géographique, la zone de production, la matière première, le
mode de production, la qualité ou simplement l’appartenance du produit à l’organisme; les
associés voulant utiliser la marque se soumettent volontairement au contrôle interne et
s’engagent à respecter les conditions fixées. En général, la marque collective ne peut être
transmise à des tiers. Pour que le titulaire puisse enregistrer sa marque collective auprès
des autorités compétentes, la demande doit être accompagnée d’un règlement d’utilisation
de la marque. Le règlement d’utilisation doit établir les caractéristiques du produit/service,
les conditions d’utilisation de la marque, les personnes autorisées à utiliser la marque, les
conditions d’affiliation à l’organisme, les mesures de contrôle de l’utilisation correcte de la
marque et le régime de sanctions en cas de non-respect. Il est habituel que les associés
utilisent leurs propres marques commerciales conjointement à la marque collective.
Dans le domaine des produits traditionnels d’origine, les marques collectives sont relative-
ment communes; et pas uniquement dans les pays où elles servent d’instrument légal pour
la reconnaissance officielle d’une indication géographique. Les organisations collectives
respectives optent souvent d’abord pour la protection de leurs produits traditionnels
d’origine à travers une marque collective, tout en laissant une porte ouverte à la possibilité
d’obtenir plus tard la protection selon le système sui generis. Les raisons peuvent en être le
manque d’un cadre réglementaire sui generis suffisamment défini pour les indications
géographiques dans le pays ou le simple intérêt de commencer rapidement à opérer sous
un label commun, sans attendre les longues démarches nécessaires à l’enregistrement
d’une indication géographique institutionnalisée. Par ailleurs, de nombreux groupements
de producteurs considèrent que les marques collectives sont le meilleur moyen de proté-
ger leur produit sur le marché. C’est ainsi que, par exemple, à l’opposé des indications
géographiques (institutionnalisées) les marques collectives permettent de limiter le nombre
d’utilisateurs du label commun, puisqu’elles ne peuvent être utilisées que par les membres
de l’organisme titulaire. Bien qu’en théorie il ne soit pas toujours facile d’éviter que de
nouveaux opérateurs économiques à intérêt légitime soient affiliés à l’organisation titulaire,
dans la pratique, il est généralement simple de décider et aussi de contrôler le quota de
producteurs autorisés à utiliser le label.
Les marques collectives représentent également un bon instrument de protection des
produits agro-industriels qui ne peuvent prétendre devenir des indications géographiques
institutionnalisées dans un certain pays pour des motifs très divers tels que le manque de
renommée du produit, le faible potentiel économique ou le niveau limité de l’engagement
des opérateurs du secteur. Les associations de producteurs italiens et les chambres ita
liennes de commerce enregistrent de plus en plus de marques collectives géographiques
pour protéger différents produits alimentaires traditionnels contre les imitations et les
falsifications (Olivieri 2004; García Muñoz-Nájar 2006; OMPI 2002; OMPI 2001).
14
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Utilisateurs Tous les producteurs Tous les producteurs qui Tous les producteurs
d’une zone qui respec respectent le règlement membres de l’organisme
tent le cahier des charges. d’utilisation sont autorisés titulaire. L’affiliation à
Il n’est pas possible à utiliser la marque. l’organisme peut être
d’exclure des produc L’organisme titulaire ne restreinte et donc de
teurs. Les producteurs peut généralement pas même pour l’utilisation
locaux qui ne respectent exclure de producteurs. de la marque.
pas le cahier des charges
perdent le droit
d’utilisation du nom
protégé.
Base légale Protection basée sur un Protection basée sur Protection basée sur
acte de droit public (loi, l’enregistrement auprès du l’enregistrement auprès
décret, arrêté). Bureau des marques. du Bureau des marques.
15
La valorisation des produits traditionnels d’origine
16
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Durée de la Souvent illimitée si les Souvent dix ans (besoin Souvent dix ans (besoin
protection conditions ayant motivé de rénovation). de rénovation).
l’enregistrement sont
toujours valables.
Marketing L’IGI, en tant que signe Coûts élevés de publicité. Coûts élevés de publicité.
de la qualité, réduit les
Dans quelques pays, la
coûts de marketing des
marque de certification ne
producteurs si les clients
peut être utilisée pour du
connaissent bien le
matériel promotionnel,
concept d’IGI.
mais seulement pour le
produit dont les caractéris
tiques sont certifiées.
Sources: Thevenod-Mottet cité dans: Reviron et al. 2009 24-25; OMPI 2002; OMPI 2001; Addor et Grazioli 2002; O’Connor
et Co. 2007; Olives Cáceres 2007
Pour plus d’information concernant les systèmes légaux de 160 pays, consulter O’Connor et Co. 2007 (Partie II)
17
2. Les groupements de valorisation
Au sein d’une organisation collective — appelée ici groupement de valorisation — les membres
d’une même filière ne créent pas de nouvelle proposition alimentaire ou agro-industrielle; ils
ne font qu’adapter leur produit artisanal préexistant, à première vue pas vraiment compétitif,
aux exigences de qualité d’un segment de marché élevé. Par exemple, au moyen d’une stra-
tégie de marketing de niche, un succulent produit traditionnel, mais apparemment sans grande
valeur ajoutée, n’est plus un simple aliment de la culture populaire d’une région spécifique;
il devient, aux yeux du client final, un mets hautement différencié pour lequel il vaut la peine
de payer un surprix. Le pilier essentiel de la stratégie et la raison ultime de la différenciation
du produit sont l’origine et le lien indéfectible avec la zone géographique de provenance. En
définitive, “la stratégie de produit ou filière a pour objectif la commercialisation de la culture
locale, “l’encapsulation” du terroir dans un produit qui peut être commercialisé directement...”
(Ray 1998 cité dans: Acampora et Fonte 2007: 195, libre traduction).
Les groupements de valorisation développent une “stratégie à contre-courant” qui, dans une
certaine mesure, leur permet de se dégager de leur environnement compétitif naturel et de
réduire l’exposition aux fluctuations des prix dans les marchés internationaux de produits
agro-industriels de base. Les opérateurs agricoles d’une région peuvent oublier la forte
concurrence des prix entre eux et joindre leurs efforts afin d’élever les standards de qualité
du “vieux” produit, de le réinventer et de renforcer sa nouvelle image sur la base d’une
marque partagée liée au territoire, laquelle peut être ou ne pas être une indication géographique.
L’établissement d’un groupement de valorisation permet d’unir les ressources et d’obtenir un
niveau de production optimal. Cela, d’une part, justifie les frais à débourser pour la création
et le maintien de cette image différenciée nécessaire pour augmenter les bénéfices économiques
et, d’autre part, permet d’atteindre le volume critique indispensable pour accéder à des canaux
19
La valorisation des produits traditionnels d’origine
de distribution exigeants (Reviron et Paus cités dans: Gerz et al. 2008; Barjolle et al. 2005;
Bramley et Kirsten 2007).
Dans un autre ordre d’idées, il faut également signaler que la création d’une organisation,
l’émergence correspondante d’économies d’échelle et l’existence d’une stratégie de niche col-
lective ne font que clarifier la possibilité d’obtenir, dans une zone donnée, de bons revenus
pour un grand nombre d’opérateurs agricoles produisant un même produit; cependant, il n’y
a pas de réponse à la question sur comment ceux-ci parviennent à faire face à la concurrence
sur les marchés cibles. L’explication est à chercher dans le mode de structuration et de ges-
tion d’un groupement déterminé; cela sera l’un des aspects traités dans des paragraphes qui
suivent (Barjolle et Chappuis 2000).
Les fonctions développées par une organisation collective peuvent être nombreuses et variées;
elles dépendent, entre autres, de la forme juridique, du nombre de membres, des marchés et
des canaux de distribution du produit traditionnel d’origine, de l’existence d’une indication
géographique, etc. Alors que certaines associations maintiennent un profil très bas et ont des
responsabilités très limitées, d’autres jouent un rôle essentiel pour leurs membres. Le groupe-
ment de valorisation est souvent très actif quant à la définition et à l’établissement des stan-
dards de qualité et des procédures d’élaboration du produit “réinventé”. Ces normes sont
fixées dans ce qui est appelé le “cahier des charges”1, que tous les membres s’engagent à
respecter et à appliquer. L’organisation se charge de veiller au respect et à l’application de
ce document et aide les producteurs pour qu’ils puissent respecter les nouveaux standards
de qualité. De plus, parmi les principales fonctions du groupement figurent également le
développement de marchés et la promotion et la défense du label commun sous lequel un
1
L’expression “cahier des charges” est généralement utilisée pour se référer aux normes qui réglementent l’utilisation d’une indica-
tion géographique institutionnalisée. En se référant à une marque, on parle généralement de règlement d’utilisation. Ici, les termes “cahier
des charges” sont avant tout utilisés pour désigner les règles de production agréées entre tous les membres du consortium de qualité,
indépendamment du fait que l’on souhaite protéger un produit traditionnel d’origine par indication géographique ou par une marque.
20
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Il est possible d’atteindre des impacts simultanés dans plusieurs domaines de développement
rural à travers la promotion des produits traditionnels d’origine. En premier lieu, les méthodes
d’élaboration artisanale, généralement utilisées pour produire des produits typiques, entraînent
souvent un taux d’emploi et une sécurité de l’emploi plus élevés, car ils impliquent des sys-
tèmes de production extensifs qui valorisent les connaissances et les capacités locales et
autochtones. Le maintien de l’emploi dans les régions agricoles permet de freiner l’exode
rural. Par ailleurs, les produits traditionnels peuvent également servir de “produits phares”
de leur région d’origine et augmenter ainsi la visibilité de régions auparavant marginales. De
fait, ceux-ci peuvent contribuer à développer le tourisme rural, par exemple, au moyen de
routes gastronomiques (Addor et al. 2003; FAO 2008; Wiskerke 2007).
21
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Par ailleurs, les groupements de valorisation sont habituellement considérés comme des outils
précieux pour renforcer un secteur agricole plus diversifié et orienté vers le bénéfice et
l’innovation. En effet, les acteurs économiques, dont les produits ont atteint un certain renom
sur les marchés grâce à leur excellente qualité, sont généralement prêts à investir dans
l’amélioration ou, le cas échéant, dans l’élargissement de la gamme de leurs articles afin de
conserver leur position concurrentielle. Les procédures de contrôle de la qualité — très sou-
vent mises en place dans le cadre d’un groupement, de sorte que les membres appliquent le
cahier des charges commun de manière satisfaisante — représentent également un avantage.
Les vérifications et les inspections touchant plusieurs maillons, voire tous les maillons, de la
filière, contribuent à augmenter la sécurité du produit et facilitent la mise en place de systèmes
de traçabilité (Addor et al. 2003; FAO 2008; Wiskerke 2007).
Un autre point méritant d’être souligné est le rôle essentiel que peuvent jouer les groupe-
ments de valorisation dans la préservation du legs culinaire, culturel et écologique d’une
région déterminée. Ces associations ne sont pas uniquement des moyens utiles pour conserver
le savoir-faire et les connaissances traditionnelles engagés dans le processus d’élaboration ou
de fabrication d’un produit déterminé; elles peuvent également contribuer à maintenir la
biodiversité, l’écosystème et les paysages. En effet, les processus de production ancestraux
respectent généralement l’environnement; dans la pratique, tous les produits traditionnels
d’origine ne sont bien sûr pas élaborés selon des méthodes anciennes ou d’une manière
extensive. Mais le bilan final des impacts obtenus grâce aux groupements est normalement
toujours constatable. Les cas d’étude existants indiquent “que les alliances d’aliments certifiés
sur la base de l’origine ont des “externalités négatives” réduites et des “externalités positives”
élevées sur le territoire de production rurale” (Barjolle et al. 2005: 117; libre traduction).
Les autorités gouvernementales des pays faisant la promotion des produits traditionnels
d’origine et disposant de systèmes de protection d’indications géographiques sont générale-
ment conscientes des multiples bénéfices qui en découlent. Par exemple, l’un des objectifs
clairs de la politique de l’UE en matière d’indications géographiques est précisément de
promouvoir le développement rural. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la recon-
naissance officielle d’une indication géographique pour un produit typique ne fait que ren-
forcer les impacts socioéconomiques qui s’obtiennent par la stratégie de valorisation de
celui-ci; elle ne les crée pas. Les bénéfices ou, le cas échéant, les préjudices, sont toujours
préalables à l’enregistrement et dérivent du projet misant sur la différenciation en elle-même,
ainsi que de l’articulation et du fonctionnement d’un groupement donné (Reviron et Paus
cités dans: Gerz et al. 2008; Bramley et Kirsten 2007; El Benni et Reviron 2009; Marescotti
2003; Barjolle et al. 2007).
22
Guide pour la création d’un consortium de qualité
plus de 400 ans, un produit qui doit son nom à un village de la région. Cet aliment si typique
avait toujours été très ancré dans le système socioéconomique des rancheros, basé sur
l’élevage, la culture itinérante de maïs et la production saisonnière de fromage affiné à
partir de lait de vache. Longtemps, cet aliment a même constitué un pilier essentiel de
l’économie locale; mais l’urbanisation et la modernisation ont provoqué l’abandon progres-
sif des fermes et la dégradation des conditions de vente du fromage artisanal typique,
celui-ci devant soudain faire face à la concurrence d’imitations industrielles plus économi-
ques de fromages appelés “type Cotija”. À la fin du xxe siècle, seules 200 familles marginales
de fermiers continuaient l’exploitation agropastorale traditionnelle.
Dans les zones isolées de la Sierra de Jalmich, où il n’existe que très peu d’opportunités
économiques et où les conditions géophysiques difficiles ne permettent pas de mettre en
œuvre des méthodes de production intensives et industrielles, les habitants se trouvaient
devant l’alternative de continuer avec le système socioéconomique traditionnel ou
d’émigrer. Les trois promoteurs de l’initiative de valorisation — deux académiciens et un
homme politique municipal mexicains — estimèrent que le seul moyen de préserver la
culture fermière et le patrimoine historique s’y associant était d’inverser le processus de
dévalorisation du fromage Cotija authentique et de lui rendre son importance économi-
que de manière à assurer des revenus décents aux producteurs. Même si, au début, l’objectif
principal était d’obtenir une indication géographique pour l’aliment typique de façon à le
protéger et à le différencier des copies industrielles, il s’est rapidement avéré clair que le
problème à aborder était bien plus complexe.
Protéger légalement la typicité du fromage fait à base de lait frais n’était pas suffisant. Il
fallait également améliorer la régularité de la qualité du produit et assurer sa sécurité sani-
taire pour le rendre compétitif sur le marché. Ce n’est qu’en innovant que la tradition
pouvait être maintenue. De plus, il était indispensable de sortir les fermiers de l’isolement
et de l’oubli de la part des institutions en le regroupant au sein d’organisations pour la
défense collective du fromage Cotija.
Les trois promoteurs commencèrent leur projet avec huit fermiers qui voyaient dans cette
initiative une voie leur permettant à la fois de préserver leur style de vie et d’éviter d’émigrer.
L’un des premiers objectifs fut d’élaborer le cahier des charges pour le fromage Cotija.
En collaboration avec les producteurs, les promoteurs réinventèrent le produit, en associant
les pratiques de production ancestrales et le savoir-faire local avec les connaissances
scientifiques.
En 2001, les premiers producteurs décidèrent de formaliser le processus associatif qui se
mettait en marche progressivement dans la Sierra de Jalmich grâce aux trois promoteurs.
L’Association régionale des producteurs de fromage Cotija (ARPQC — sigle en espagnol)
vit alors le jour; l’organisme est donc, depuis lors, un organe de coopération collective des
fermes et une représentation officielle face aux institutions publiques. Au fil des années
suivantes, l’ARPQC a connu une forte croissance puisque que, à ce jour, elle compte parmi
ses membres presque la moitié des 200 fermes existantes.
En parallèle, en 2002, à partir de l’initiative des trois coordinateurs, 25 groupes de proxi-
mité ont été constitués, servant de plates-formes organisationnelles informelles afin que
toutes les familles des fermiers de la région puissent se faire entendre et contribuer à
l’identification des facteurs conditionnant la commercialisation du fromage Cotija, et donc
le développement local. Il s’avéra rapidement que l’introduction de nouvelles pratiques
23
La valorisation des produits traditionnels d’origine
24
Guide pour la création d’un consortium de qualité
(NOM)* pour le fromage Cotija artisanal affiné a été publiée. Il s’agit d’un véritable repère
historique car les NOM existant jusqu’alors pour les fromages prévoyaient l’utilisation de
lait pasteurisé pour leur élaboration. Le fromage originaire de Cotija ne pouvait donc pas
y trouver sa place. Mais, maintenant, le Cotija authentique pourra être lancé sans obstacles
sur les marchés aux niveaux national et international. Un accord a été signé récemment
avec une importante enseigne de la distribution mexicaine pour l’achat de Cotija à
200 pesos/kg. De plus, les activités de promotion extérieure, actuellement en cours grâce
à l’aide publique, devraient servir à exporter le fromage au prix de 400 pesos/kg.
La NOM du Cotija pose les fondements permettant de combattre la concurrence déloyale
de produits industriels sur la base de la spécificité et de l’unicité du fromage. L’Institut mexi-
cain de la propriété industrielle a récemment fait savoir que, d’ici à quelques années,
l’attribution d’une indication géographique institutionnalisée à cet aliment typique entrerait
dans le domaine du possible; il ne reste qu’à rehausser encore davantage les standards
d’hygiène dans les fermes. Il y a encore un autre défi à relever, celui de la pleine appropria-
tion de l’initiative de la part des producteurs et de l’ARPQC qui les représente, étant
donné que, jusqu’à présent, le rôle des promoteurs reste toujours très important.
Source principale: Pomeón 2007
Autres sources: Agence Réforme 2009; Medios Libres 2009; Quadratin 2008; Semanario Guía 2009; Semanario
Guía 2008
* Les normes officielles mexicaines (NOM) fixent les règles, les attributs et les procédures de production et
d’élaboration de différents produits au niveau national.
25
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Les consortiums de qualité peuvent être essentiellement subdivisés en deux types d’organisations,
indiqués ci-après:
• Le consortium interprofessionnel est intégré par des membres de différents maillons d’une
même filière, comme les producteurs de matières premières, les entreprises de transfor-
mation primaire, les entreprises de transformation secondaire et même, parfois, les gros-
sistes ou les détaillants. En Europe, les consortiums interprofessionnels sont les plus
répandus (Reviron et al. 2009; Barjolle et al. 2005).
• Le consortium professionnel est uniquement intégré par les opérateurs d’un même maillon
de la filière; dans la pratique, ce type d’organisation est généralement composé d’entreprises
de transformation et il apparaît normalement en cas de lien faible entre celles-ci et les
producteurs primaires d’un produit donné. Très souvent, le consortium professionnel appa-
raît dans des secteurs où une ou deux entreprises dominent clairement le marché; tout en
ayant souvent une part de marché supérieure à 70%, celles-ci ont intérêt à collaborer avec
d’autres entreprises plus petites pour arriver à des accords sur la qualité du produit et
pour renforcer leur position dans les négociations avec les institutions publiques. Cepen-
dant, les expériences recueillies dans quelques cas d’étude semblent indiquer que les
consortiums professionnels sont souvent confrontés à des problèmes de faiblesse au niveau
de l’organisation et de la gouvernance. Lorsque le cahier des charges du consortium inclut
des clauses qui concernent plus d’un maillon de la filière, il peut arriver qu’un consortium
professionnel se transforme en alliance interprofessionnelle. Dans le cas du fromage italien
Parmigiano Reggiano, ce qui était auparavant un consortium d’entreprises de transforma-
tion est devenu, à un moment donné, une organisation interprofessionnelle plus large afin
d’intégrer aussi les affineurs (Reviron et al. 2009: 17; Paus 2008).
• La taille des consortiums varie considérablement; il en existe des petits, comptant quelques
douzaines de membres, et aussi des plus grands qui en regroupent des centaines; en
principe, les consortiums interprofessionnels ont tendance à être plus grands. Les
consortiums sont généralement des associations ou des fondations à but non lucratif,
ayant une personnalité juridique propre et veillant à la représentativité paritaire des intérêts
économiques et sectoriels impliqués. Lorsque le produit traditionnel d’origine obtient le
statut d’indication géographique institutionnalisée, les consortiums — dans le cadre de
certaines législations nationales — peuvent devenir, dans une certaine mesure, les prin-
cipaux dépositaires de cette indication et ils peuvent se transformer en organismes de
droit public. La gestion des consortiums est effectuée par une assemblée de délégués, où
sont représentés tous les maillons de la filière, et d’un conseil de direction normalement
composé d’un président, d’un secrétaire et de plusieurs membres. Au sein du groupement,
toutes les décisions sont prises de façon collective et démocratique; mais cela n’empêche
pourtant pas les divers groupes d’opérateurs représentés de chercher à influencer les
décisions. Quant au financement, les revenus des consortiums proviennent généralement
des cotisations de leurs membres, de paiements pour services et d’aides publiques (Belletti
et al. 2007; Reviron et al. 2009).
3
Dans ce contexte, le consortium Melinda est évidemment une exception (voir p. 48).
26
3. La création d’un consortium de qualité
Il existe de nombreuses variantes de consortiums de qualité, ce qui rend difficile l’établissement
de directives standard qui pourraient être largement appliquées dans différents pays. De plus,
la majorité des cas étudiés provient d’Europe, la région où sont nés les premiers groupements
et où ils sont les plus répandus encore aujourd’hui. Il n’est pas toujours fructueux d’essayer
d’extrapoler les expériences européennes à d’autres continents. Dans les paragraphes suivants,
on ne prétend pas donner des prescriptions à suivre, mais plutôt souligner les considérations
pratiques clés dont il faut tenir compte pour promouvoir et guider la création d’un consortium
de qualité.
Dans tous les cas, si l’on fait en sorte d’établir avec toutes les précautions d’usage les modèles
séquentiels destinés à refléter les parcours des divers groupements, on distingue grosso modo
deux parcours possibles; l’un pouvant être qualifié de “court” et l’autre, de “long”.
Lorsque les membres d’une filière disposent dès le début de larges ressources techniques,
financières, commerciales et relationnelles, il peut être approprié de travailler selon une
approche méthodologique initiale “courte” qui donne la priorité à l’enregistrement rapide
d’un label collectif (indication géographique ou bien une autre marque à usage partagé). À
l’origine, le consortium de qualité est une plate-forme pour coordonner et mener à bien le
processus d’obtention du label; cela implique au minimum l’élaboration du cahier des charges,
la mise en place des démarches administratives nécessaires et, le cas échéant, le développe-
ment des activités de promotion et de lobbying nécessaires pour obtenir une indication
géographique. Cependant, et au plus tard après avoir obtenu le label, le rôle du consortium
devient plus important. Il doit en effet assumer des responsabilités additionnelles puisque, si
le groupement ne fonctionne pas correctement, l’indication géographique — ou, le cas échéant,
la marque — n’obtiendra probablement pas l’impact recherché. Les cas d’étude sur le pain
de seigle suisse (voir p. 33) ou la pomme Melinda (voir p. 48) pourraient s’inscrire plutôt
dans ce type de parcours “court”.
De plus, lorsque les opérateurs concernés par l’élaboration d’un certain produit traditionnel
d’origine n’ont pas les connaissances, les capacités ou les moyens de production nécessaires
27
La valorisation des produits traditionnels d’origine
pour répondre aux exigences habituelles des marchés, l’obtention d’une indication géographique
ou de tout autre label collectif peut difficilement s’ériger en priorité. Ce doit plutôt être un
objectif à long terme. Du point de vue méthodologique, le groupement collectif a tout d’abord
la fonction de coordonner, de soutenir et de mettre en place les activités nécessaires à la
valorisation collective du produit, et pour en faire un article pouvant être vendu à plus grande
échelle. Le consortium peut évidemment décider d’enregistrer un label collectif lors d’une
étape initiale, mais il n’y aurait que peu d’effets pratiques, cela pour deux raisons: si les
opérateurs de la filière ne respectent pas le cahier des charges, ils n’auront pas automatique-
ment le droit de travailler avec le label en question. Par ailleurs, si le titulaire du label ne
dispose pas des mécanismes de contrôle nécessaires pour garantir que celui-ci est utilisé
conformément au cahier des charges, aucun utilisateur potentiel ne pourrait être autorisé à
l’utiliser dans le commerce. Le cas du fromage Cotija illustre bien le point qui précède et
sert d’exemple pour le type de parcours “long” (voir p. 22).
La différence principale entre les deux types de parcours séquentiels correspond au moment
de l’enregistrement effectif du label collectif et au rôle méthodologique initial attribué au
consortium de qualité. Cependant, les deux parcours coïncident avec un autre moment. Après
que le produit traditionnel d’origine a été réinventé au sein du consortium et après son
enregistrement sous un label commun, les défis auxquels se voit confronté le groupement
sont en principe les mêmes. L’encadré 5 reconstruit approximativement les étapes devant être
suivies, en général, pour mettre en marche un consortium de qualité; il est évident que beau-
coup de ces points sont également applicables à d’autres formes d’association et qu’ils ne
sont pas limités au consortium de qualité en tant que type de groupement spécifique.
28
ENCADRÉ 5. Établissement séquentiel d’un consortium de la
Guide pour qualité
création d’un consortium de qualité
Définition collective d’objectifs (objectifs économique: défense du nom traditionnel du produit, différentia-
tion, maintien d’un système de production extensif, pénétration de nouveaux marchés, amélioration des
revenus de producteurs primaires; objectifs non économiques: maintien des traditions, biodiversité, lutte
contre la bio-piraterie, valorisation du territoire; objectif juridique: indication géographique, marque
collective, marque de certification)
Élaboration collective du cahier des charges (en fonction des objectifs économiques, non économiques et
juridiques; aspects techniques et scientifiques + savoir faire pratique pour assurer la différentiation, la
qualité et la salubrité du produit)
Début de la mise en œuvre du plan d’amélioration au niveau individuel/ collectif qui culmine plus tard
avec la mise en oeuvre du cahier des charges (normalisation, traçabilité , technologies de production,
gestion d’entreprise, innocuité du produit recherche de soutien finacier et technique externe)
Début de la mise en œuvre du business plan ( recherche de partenaires commerciaux compatibles avec
les objectifs économiques et non économiques, recherche d’alliances territoriales)
Mise en marche de mécanismes de certification internes et/ou externes pour contrôler le respect du
cahier des charges (en fonction des ressources économiques disponibles; aide aux membres du consortium
pour obtenir la certification recherche de soutien financier et technique externe)
Plein fonctionnement du consortium (coordination des transactions entre opérateurs, amélioration conti-
nue de la qualité, contrôle de l’opportunisme, gestion des volumes de production, promotion, etc.)
Note: l’ordre chronologique des étapes pour l’établissement d’un consortium de qualité peut varier.
Source: élaboration de l’auteur (dessins: http://design-download.blogspot.com/)
29
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Si, dès le début, la stratégie de valorisation conçue envisage l’obtention d’une indication
géographique, l’article doit respecter des conditions additionnelles. En effet, pour qu’un produit
puisse éventuellement être enregistré sous cette modalité légale, il doit déjà avoir une certaine
popularité et un certain renom parmi un grand nombre de consommateurs en tant que produit
de qualité d’une certaine région. De même, dans l’UE et dans de nombreux autres pays ayant
suivi le modèle juridique européen, les produits pour lesquels on veut opter pour une indica-
tion géographique doivent avoir une certaine tradition démontrable (Reviron et al. 2009).
Toutefois, dans la pratique, la notoriété et l’enracinement d’un produit ne sont pas néces-
sairement des données complètement objectives. Derrière un produit ancestral, il y a toujours
un fond historique où se confondent la légende et les données empiriques. Il faudrait même
ajouter que, “grâce à une campagne de publicité calculée pour créer l’impression de profondes
racines culturelles, les produits peuvent devenir célèbres du jour au lendemain. Un bon
exemple en est le jambon d’Aoste, Aoste n’étant guère plus qu’une marque commerciale.”
(Berard et Marchenay 2008: 23; libre traduction). D’autre part, même dans les cas où le legs
historique associé à un aliment n’offre aucun doute, la popularité du produit peut être aug-
mentée au moyen de sa “réinvention” réussie à des fins promotionnelles dans le cadre d’un
consortium de qualité. Dans une grande mesure, c’est la stratégie de différenciation en elle-
même, suivie par le consortium de qualité qui, peu à peu, fera augmenter la notoriété du
produit. Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’établir un consortium de qualité, l’exigence du
renom doit être considérée d’une manière équilibrée.
De plus, il peut être utile de travailler avec un produit pouvant réussir à obtenir, ou ayant
déjà obtenu, d’autres labels de garantie complémentaires (produit biologique, commerce
équitable, etc.). À travers différentes certifications, il est possible de répondre simultanément
aux besoins et aux désirs de groupes de clients hétérogènes et donc de couvrir des segments
de marché plus larges. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu’il est rarement possible
d’accumuler les surprix pouvant être obtenus de chaque label. Il ne faut pas non plus
oublier qu’il peut souvent y avoir des synergies entre plusieurs processus de certification,
contribuant à diminuer les coûts de mise en œuvre et de contrôle. Les produits tradition-
nels d’une zone géographique donnée sont fréquemment réalisés de manière biologique et
soutenable. En outre, de nombreux consortiums de qualité fonctionnent démocratiquement,
répondent à grands traits aux conditions nécessaires à la certification de commerce équitable
et commercialisent des produits pour cette niche de marché (Marette 2009; FAO 2008;
Reviron et al. 2009). En Indonésie, par exemple, dans le cadre d’une importante initiative
30
Guide pour la création d’un consortium de qualité
dont l’objectif final était d’enregistrer le café Kintamani Bali Arabika comme indication
géographique, la certification biologique pour ce produit a été obtenue d’abord (Gerz cité
dans: Gerz et al. 2008).
Par ailleurs, il est également important de tenir compte de la structure productive du produit
traditionnel d’origine. Toute stratégie de valorisation conjointe exige des sacrifices de la part
des opérateurs économiques concernés, et pas uniquement en termes économiques. Ils doivent
investir du temps, faire des efforts pour coordonner leurs activités avec les autres acteurs
impliqués, être prêts à apprendre et à appliquer de nouvelles pratiques de production ou des
innovations techniques permettant d’améliorer la qualité. Et même lorsqu’il est possible de
recourir à d’importantes aides externes de type financier et technique, il existe toujours un
coût d’opportunité pour les producteurs. Dans quelques contextes locaux, les pressions
socioéconomiques peuvent être si fortes que la réinvention collective du produit devient un
besoin. Dans d’autres cas, il peut exister des limites dans la motivation et l’intérêt des acteurs
concernés à s’impliquer ensemble; et pas uniquement lorsqu’il s’agit d’opérateurs économiques
bien établis sur le marché.
Comme cela a pu être observé dans des contextes ruraux européens, les producteurs primaires
peu compétitifs peuvent également avoir une raison de ne pas vouloir participer à l’initiative.
C’est ainsi que, par exemple, les agriculteurs d’un certain âge qui travaillent seuls dans leurs
champs, sans appui familial et sans successeurs pour leurs fermes, se montrent souvent réticents
à s’engager dans des projets ambitieux (Vuylsteke et al. 2003). Il ne faut pas oublier non plus
que de nombreux produits traditionnels ont peu d’importance économique pour leurs zones
d’origine respectives et pour leurs producteurs. Très souvent, les principaux revenus des opéra-
teurs impliqués ne dépendent pas du produit et celui-ci n’est destiné qu’à la consommation
propre ou à l’obtention d’un revenu additionnel. Dans ces cas-là, il peut être difficile d’obtenir
que les producteurs s’engagent dans un projet de différenciation et d’amélioration de la qualité.
Cependant, par fierté des traditions, en raison de la préoccupation envers la biodiversité ou
de l’intérêt pour maintenir les pratiques ancestrales, ces producteurs semi-professionnels peu-
vent chercher une voie associative pour protéger le legs historique. Mais bien sûr, dans ces
contextes-là, le consortium de qualité ne représente pas nécessairement la forme d’organisation
la plus adéquate (Marescotti 2003; Tregear 2004; Carbone 2003).
Il est évidemment impossible de prévoir avec exactitude le degré possible d’intérêt des divers
groupes d’opérateurs ou encore d’en établir une typologie commune; mais ce n’est pas là
l’objectif de la réflexion précédente. De plus, même si la motivation des acteurs engagés est
a priori très élevée, il est également évident que celle-ci n’est pas une donnée inaltérable. À
travers des incitations appropriées et une bonne coordination, il est possible de vaincre les
réticences qui peuvent surgir au sein d’un certain maillon de la filière, comme l’illustre bien
le cas du jambon de Teruel (voir p. 40).
31
La valorisation des produits traditionnels d’origine
ont souvent un rôle clé dans les pays du Sud, en tant que promotrices du processus de
regroupement d’opérateurs agricoles et d’artisans. Très souvent, ce sont des employés de ces
organismes qui servent de médiateurs entre les producteurs concernés et qui facilitent la
coordination d’éventuelles divergences d’intérêts. En Europe, le promoteur du processus de
regroupement existe également, mais en général ce sont les propres membres du consortium
en gestation qui embauchent un professionnel pour les guider et leur servir de médiateur
pour le travail conjoint entre les différents maillons de la filière (Reviron et al. 2009).
Disons que les consortiums de qualité commencent généralement par être des groupes de
discussion informels et temporaires, où la vision d’un producteur ou d’une entreprise leader
oriente généralement la direction de la discussion. Dans un premier temps sont identifiés les
objectifs, les intérêts et les valeurs partagés; les motivations et les attentes des différents
opérateurs en ce qui concerne le consortium de qualité à créer sont également éclaircies.
Habituellement, d’importantes décisions stratégiques sont prises dès les premières réunions
informelles, qui seront répercutées de différentes manières sur les divers acteurs et maillons
de la filière. Par conséquent, lorsque l’objectif final d’une initiative est d’établir un consortium
interprofessionnel, il faut dès le début que tous les représentants de tous les niveaux de la
filière participent; c’est le seul moyen de s’assurer que tous les acteurs se sentiront ensuite
engagés de la même manière envers le projet. La tâche d’unir les différents acteurs autour
d’un projet commun est considérablement facilitée lorsqu’il existe une possibilité de travailler,
non pas avec des opérateurs individuels, mais avec des associations ou des structures collec-
tives préexistantes, même si celles-ci ont peu de poids (Sautier et Van de Kop cités dans:
Van de Kop et al. 2006; Barjolle et al. 2005; Reviron et al. 2009; Boutonnet et Damary cités
dans: Gerz et al. 2008; Wiskerke 2007).
Le rôle du promoteur revêt donc une importance particulière dans ce contexte. À l’occasion
des premières réunions, il doit s’assurer que tous les participants disposent du même niveau
d’information. Lors de la discussion de thèmes aussi importants que le produit à réinventer,
les obligations des membres et les objectifs non strictement économiques du projet, il est
essentiel que les acteurs des divers maillons de la filière prennent conscience de la portée
éventuelle et des conséquences potentielles des décisions qui seront prises; c’est seulement
de cette manière qu’ils pourront faire valoir leurs intérêts dès le début (Barjolle et al. 2005;
Reviron et al. 2009; Boutonnet et Damary cités dans: Gerz et al. 2008).
Dans le cas de la Tequila mexicaine, par exemple, une grande majorité de paysans produisant
l’agave — ingrédient à la base de la boisson — ignorent encore, alors que le label d’origine
a été obtenu depuis longtemps, ce que signifie réellement le concept d’“indication
géographique”. En raison de leurs connaissances limitées, les paysans n’ont jamais pris
conscience de l’importance du rôle qu’ils pourraient jouer dans la création de valeur ajoutée
s’ils valorisaient leurs pratiques de culture traditionnelles. Le manque d’information entre les
32
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Il faut observer que le leadership fort d’un ou de plusieurs acteurs de la filière peut représenter
un facteur déterminant de succès lorsqu’il s’agit d’établir un consortium de qualité solide et
bien intégré. Cependant, il est nécessaire d’éviter dès le début que l’apparition de quelques
leaders n’empêche l’implication des producteurs primaires dans la gestion du groupement
(Roep et al. 2006).
L’idée de valoriser le pain de seigle typique est née dans le cadre d’une large stratégie de
développement rural que le canton suisse du Valais commença à élaborer au cours des
années 1990. À travers la promotion du produit traditionnel, on prétendait soutenir les
opérateurs économiques locaux, améliorer la visibilité du canton pour attirer les touristes
et affronter la menace de disparition de l’aliment élaboré et de son ingrédient de base, le
seigle. En effet, la survie de ce pain ne semblait pas garantie; un pain qui, durant des siècles,
avait été partie intégrante du régime alimentaire régional, le seigle étant la seule céréale
adaptée à un climat alpin hostile. Il fut donc décidé de profiter des nouvelles habitudes
alimentaires d’une partie croissante de la population se montrant de plus en plus soucieuse
d’acheter des produits sains, et de relancer le pain des “paysans pauvres” comme un produit
diététique de niche, fortement différencié.
Au fil des longs mois suivants, le groupe de discussion commença à effectuer les tests
techniques nécessaires à l’élaboration du cahier des charges du produit; il profila aussi la
structure du consortium interprofessionnel tel qu’il existe à ce jour. Pour que l’initiative
puisse avancer, l’alliance fut élargie; il manquait des artisans boulangers locaux et, surtout,
des cultivateurs de seigle. En 2000, lorsque la production de seigle atteignit son niveau
historique le plus bas, l’intégration des agriculteurs dans le groupement était devenue un
besoin vital urgent. Le fait de ne pas avoir intégré les producteurs dès le début avait été
une erreur difficile à corriger; ceux-ci avaient toujours montré une attitude opportuniste
envers le projet et le motif principal de leur participation à l’association a toujours été le
surprix reçu pour le seigle par rapport à d’autres céréales.
33
La valorisation des produits traditionnels d’origine
certification, conformément au cahier des charges élaboré au préalable par les acteurs. Il
ne m
anquait plus que l’obtention de l’indication géographique.
Le processus d’enregistrement se confronta à l’opposition inattendue de la part d’agents
concurrents sur le marché. Plus particulièrement, un important détaillant suisse, qui vendait
une copie industrielle du produit, insistait sur le fait que la désignation “pain de seigle du
Valais” n’était guère plus qu’un terme générique. L’appui de l’initiative de la part du Minis-
tère fédéral de l’agriculture fut l’élément clé pour vaincre les entraves légales et obtenir
l’indication géographique en 2004.
À cette date, les premiers résultats du projet apparurent. La production de seigle avait plus
que doublé en seulement trois ans et le consortium comptait déjà 90 membres bénéficiant
du surprix que les consommateurs payaient pour le produit typique avec une importante
valeur ajoutée. Surtout pour les petits boulangers et les deux moulins à farine membres,
l’initiative contribuait nettement à améliorer leur positionnement concurrentiel dans un
contexte de concurrence industrielle croissante et de concentration de la distribution au
niveau national. La stratégie de marketing régionale, axée sur la typicité et l’enracinement
local de l’aliment, avait un grand succès et l’obtention de l’indication géographique contri-
bua ultérieurement à renforcer l’image du produit auprès des résidents et des touristes.
Les membres du consortium n’ont jamais été les seuls à se préoccuper de faire connaître
le pain de seigle; d’autres appuis de très grande valeur ont été fournis par les efforts publics
et ceux de la presse régionale faisant de la publicité aux aliments traditionnels du canton
du Valais ou encore par les activités de promotion de l’Association suisse pour les indications
géographiques (www.aoc-igp.ch).
Toutes les étapes de l’initiative ont pu compter sur l’appui organisationnel, technique, légal,
logistique et financier de différents organismes publics, ce qui a été vital pour sa réussite.
Néanmoins, le projet, né par suite d’une impulsion venue “d’en haut”, a été développé par
les opérateurs privés concernés, qui se sont immédiatement engagés envers lui et qui ont
pu établir un groupement collectif fort et bien structuré. Le consortium fonctionne de
manière démocratique et inclusive; il est composé d’environ 80 producteurs de seigle,
2 moulins régionaux et plus de 60 boulangers artisans et industriels. Les membres du comité
de direction représentent les trois maillons de la filière. Parmi les principales responsabilités
du groupement figurent: la définition du cahier des charges et le développement des normes
de qualité; l’interaction avec l’organisme de certification pour la gestion et le paiement cen-
tralisé du processus de contrôle; la défense de l’indication géographique; la rédaction de
contrats types pour les transactions commerciales entre les membres; la fixation de prix
indicatifs pour la vente du pain de seigle; l’offre de services d’assistance technique aux mem-
bres; la promotion du produit; la recherche de nouveaux membres pour élargir l’alliance;
l’interaction avec des institutions publiques et avec d’autres initiatives gastronomiques.
Maintenant que la demande potentielle pour le pain de seigle du Valais semble être pratique-
ment couverte au niveau régional et que le produit est renommé dans toute la Suisse, le
consortium s’est posé la question de savoir s’il ne serait pas bon de commencer à vendre le
produit à l’échelle nationale à travers des canaux de distribution plus longs. En agrandissant le
rayon géographique de vente du produit, l’initiative pourrait finalement arriver à s’autofinancer;
mais il existe des risques dans l’établissement de relations commerciales avec de nouveaux
associés physiquement éloignés et peu engagés envers les valeurs socioculturelles du projet;
ce sont des risques qui doivent être évalués dans le futur.
Sources: Reviron 2005; Reviron cité dans: Gerz et al. 2008; www.walliserroggenbrot.ch
34
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Même si les clauses précises du document sont souvent rédigées à un stade plus avancé du
processus d’établissement du groupement, les principes guidant les futurs accords sont nor-
malement abordés dès l’étape initiale. Le cahier des charges est la preuve que, même s’ils
peuvent être concurrents entre eux, les opérateurs agricoles sont réellement intéressés par le
projet conjoint et veulent s’y engager, puisque la coopération entre les membres du consortium
s’organisera autour de ce document (Reviron et al. 2009; Barjolle et al. 2006).
Le cahier des charges ne représente théoriquement qu’un peu plus que l’écriture des tradi-
tions et des coutumes préexistant dans une zone et relatives à l’élaboration d’un produit
typique. Mais, dans la pratique, son élaboration est bien plus complexe. Un produit tradition-
nel artisanal est presque, par définition, un produit non standardisé; il est donc normal que
dans une même zone coexistent des pratiques de production différentes quant aux matières
premières et aux méthodes de transformation (Berard et Marchenay 2008). “La définition du
processus de production n’est pas un fait donné, mais le résultat de l’union de l’expérience
et de la négociation entre les différents membres impliqués. Et même lorsque les critères sont
objectifs, les normes techniques sont une construction sociale complexe […].” (Barjolle et al.
2005: 108; libre traduction). Les divers acteurs doivent conjointement établir les attributs du
produit qui en constituent l’essence et qui en font ce qu’il est; ils doivent établir quelles en
sont les caractéristiques secondaires qui, par conséquent, peuvent être laissées au libre choix
de chaque opérateur sans devoir être codifiées. Ce qui est explicité tout autant que ce qui
n’est pas considéré dans le cahier des charges peut affecter positivement ou négativement
certains groupes d’acteurs économiques. C’est pourquoi le processus de codification entraîne
fréquemment d’importants conflits, surtout lorsque les opérateurs concernés sont très hété-
rogènes quant à leur taille, au degré d’industrialisation et aux canaux de distribution utilisés
(Tregear et al. 2004).
Parfois, par exemple, “le produit traditionnel”, que les entreprises de transformation plus
grandes souhaitent protéger sous un certain nom communément utilisé dans une région au
moyen d’une indication géographique, est diamétralement opposé aux caractéristiques du
produit que les petits opérateurs agricoles fabriquent sous la même désignation. Dans le cas
des fromages, par exemple, il est assez fréquent que des conflits naissent entre, d’une part,
35
La valorisation des produits traditionnels d’origine
des opérateurs industriels intéressés par la codification d’un produit fait à base de lait pasteurisé
et, d’autre part, des producteurs artisans préoccupés par la continuation de la production de
leur fromage “traditionnel” avec du lait non traité (Moity-Maizi cité dans: Gerz et al. 2008).
Les spécifications du cahier des charges doivent être, d’une part, suffisamment claires et bien
définies pour étayer la différenciation du produit sur la base de sa qualité et, d’autre part,
elles doivent être suffisamment flexibles et inclusives pour garantir que tous les acteurs
économiques peuvent être intégrés dans le projet commun sans devoir renoncer à une stratégie
commerciale propre sur la base de leurs marques individuelles. L’une des clés du succès d’un
consortium de qualité est précisément le maintien d’un équilibre entre le contrôle ferme et
la flexibilité; de cette manière, il est possible de préserver la concurrence entre les entreprises
membres et de couvrir divers segments de marché (Barjolle et Sylvander 1999). De plus,
lorsqu’il s’agit d’élaborer le cahier des charges, il est également nécessaire de laisser une
marge d’action suffisante pour que les opérateurs du consortium puissent à tout moment
s’adapter à de nouveaux changements technologiques et juridiques ou à d’inattendues ten-
dances du marché. “Les IG [indications géographiques] ont l’avantage de permettre l’inclusion
de nouveaux attributs (par exemple de nouveaux systèmes de sécurité alimentaire, de bien-
être animal ou de protection de l’environnement) tout en préservant les attributs de base sur
lesquels est fondée la différenciation de l’IG, de façon que les surprix ne soient pas dilués…”
(Babcock et Clemens 2004: 14; libre traduction).
Cependant, ce que le cahier des charges ne spécifie pas peut se révéler tout aussi probléma-
tique que ce qui y est trop détaillé. Si le cahier omet de mentionner les pratiques tradition-
nelles à utiliser pour produire la matière première, le pouvoir d’influence des producteurs
primaires sur les décisions d’un consortium interprofessionnel peut se voir fortement réduit
dans le futur. De fait, le pouvoir de négociation des divers acteurs dans une même chaîne
productive est généralement proportionnel à leur contribution à la création de la valeur ajoutée
globale. Par conséquent, il est nécessaire, dès le début, d’identifier et de codifier les facteurs
touchant à la qualité du produit et qui dépendent du travail des producteurs de la matière
première. La contribution des acteurs des divers maillons de la filière doit être valorisée et
reconnue par le cahier des charges pour assurer la cohésion entre tous les opérateurs
économiques. Le cahier doit renforcer la reconnaissance des relations de dépendance mutuelle
existant entre tous les membres; il peut ainsi être évité que certains groupes soient mis en
marge dans le futur par rapport à la prise de décision sur des aspects clés comme celui de
la distribution des bénéfices tout le long de la filière (Boutonnet et Damary cités dans: Gerz
et al. 2008; Bowen 2007).
À tout moment, il faut s’assurer que le cahier des charges est élaboré de manière participa-
tive, afin que puissent se créer entre les divers acteurs des liens forts qui débouchent sur
un accord. Dans ce contexte, il faut tenir compte du fait que “atteindre un accord ne
signifie pas arriver à un compromis (ou à conclure un bon marché), mais plutôt créer la
solidarité entre les divers acteurs et réconcilier leurs intérêts” (Casabianca et al. 2000: 324;
libre traduction). Étant donné qu’il peut souvent être difficile pour les producteurs primaires
de faire entendre leur voix lors des négociations avec des entreprises de transformation plus
grandes, dans le cas des consortiums interprofessionnels, il est recommandé que les discus-
sions relatives aux caractéristiques du produit à réinventer aient lieu tout d’abord au niveau
horizontal; de cette manière, les représentants des différents maillons de la filière pourront
mieux faire valoir leurs intérêts, lorsque plus tard ils auront à définir ensemble le contenu
du cahier (Boutonnet et Damary cités dans: Gerz et al. 2008). Il est, de plus, important
que tous les acteurs comprennent bien la différence entre les deux types de standards
généralement abordés dans un cahier des charges: les stipulations spécifiques volontaires en
36
Guide pour la création d’un consortium de qualité
relation directe avec l’authenticité et la tradition, et les stipulations de caractère plus régle-
mentaire ou conventionnel qui garantissent la salubrité et facilitent la commercialisation du
produit (Casabianca et al. 2000).
Il convient de préciser que, bien qu’il soit certain que les producteurs primaires se situent
souvent dans une position moins avantageuse face aux entreprises de transformation, il est
aussi évident que, dans certains cas, la situation est inversée. Lorsqu’il y a un manque de
matière première sur le marché, les producteurs primaires ont en principe de meilleures cartes
à jouer. Par exemple, cette situation se présente dans le cas de l’huile de graine de courge
autrichienne, protégée par une indication géographique. Le cahier des charges n’établit pas
de critères clairs de qualité pour les graines de courge, ce qui aboutit à un problème sub-
stantiel pour les entreprises de transformation d’huile. Cependant, face à la difficulté de
trouver des agriculteurs en nombre suffisant qui souhaitent fournir cette matière première
appréciée, les entreprises de transformation sont dans une situation de relative faiblesse
(Schwarz 2008).
Sur un autre plan, il convient également de souligner que la rédaction du cahier des charges
peut avoir une influence sur l’atteinte des objectifs non économiques du consortium de
qualité et qu’elle peut avoir un impact tant positif que négatif sur son environnement. Le
cahier des charges de l’huile d’argan — produit marocain qui vient d’obtenir le label
d’indication géographique — établit le besoin de planter de nouveaux arganiers; étant donné
que ce type d’arbre remplit une fonction importante dans la lutte contre la désertification,
la mise en place du cahier peut avoir un effet écologique bénéfique (Reviron et al. 2009).
La Tequila mexicaine représente le cas contraire. Alors que, traditionnellement, neuf types
d’agaves différents avaient toujours été utilisés pour la production de la boisson alcoolisée,
l’inclusion d’une seule variété de la plante dans le cahier a signifié une institutionnalisation
de la monoculture et a contribué à réduire la biodiversité (Bowen 2007).
Dans tous les cas, lorsqu’il s’agit d’élaborer le cahier des charges, il ne faut jamais perdre de
vue le facteur coût. Le document n’a aucune valeur si ses clauses ne sont pas mises en œuvre
et si l’application pratique n’est pas scrupuleusement réalisée. Il est donc essentiel de tenir
compte du fait que l’obéissance aux prescriptions du cahier implique des coûts plus ou moins
élevés. Les frais auxquels les opérateurs doivent faire face dépendent dans une grande mesure
de la rigueur imposée par le cahier des charges.
37
La valorisation des produits traditionnels d’origine
agriculteurs et des petites entreprises artisanales. Tout cela implique des coûts en temps et
en argent. De plus, si un membre décide de ne se consacrer que partiellement à l’élaboration
du produit “réinventé”, il peut se voir forcé de maintenir des lignes de production indépen-
dantes. Au-delà de l’inefficacité pouvant se révéler dans ce cas au niveau de la gestion, il est
également possible que l’opérateur agro-industriel se voie obligé d’investir dans de nouveaux
biens pour produire, stocker ou transporter séparément les deux types de produits (Belletti
et al. 2007).
Cependant, la seule application méticuleuse du cahier des charges n’est pas toujours suf-
fisante pour atteindre les objectifs du consortium; et surtout, elle ne l’est pas pour pouvoir
obtenir certains labels de qualité. En effet, il est généralement nécessaire de contrôler et
d’assurer en interne et/ou en externe que tous les associés obéissent aux procédures établies.
Même si, en principe, un simple autocontrôle de la part des membres peut être considéré
comme un moyen valable pour garantir les standards de qualité préfixés, il n’en est pas
de même en cas de marque collective et de marque de certification; dans ces situations-là,
le contrôle des activités des utilisateurs du label de la part du titulaire — le cas échéant,
du consortium lui-même — devient alors une pratique légalement indispensable. Le même
principe est parfois valable en ce qui concerne les indications géographiques; il faut cepen-
dant préciser que, dans ce contexte, de nombreuses législations nationales ne se satisfont
pas des procédures de supervision au sein du groupement; elles exigent au contraire qu’un
organisme de certification indépendant se charge de l’évaluation de la conformité du
produit. Dans l’UE, par exemple, seuls les produits contrôlés par des organismes externes
peuvent opter pour une indication géographique institutionnalisée; les consortiums de
qualité européens n’ont plus la capacité légale pour agir en tant que garants exclusifs de
la qualité.
38
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Opter pour les services d’un organisme de certification indépendant n’a de sens que lorsque
les opérateurs concernés par les inspections ont une réserve financière suffisamment grande.
Dans la création d’un consortium, il est important d’analyser dès le début cet aspect; en
particulier si l’on souhaite opter pour un label de qualité qui prévoit, pour son obtention, un
système de certification indépendant. Dans un tel cas, il est nécessaire, dès le début, d’inclure
dans tous les calculs et dans tous les plans les frais devant être assumés par les membres par
la suite pour l’octroi du certificat de conformité de la qualité. De plus, il faut s’assurer que
le cahier des charges objet de certification n’établit pas de conditions dont le contrôle suppose
de payer des montants excessifs.
Afin d’éviter que les frais d’inspection ne soient trop élevés, voire qu’ils ne puissent pas être
payés par les petits producteurs et les artisans, il faut considérer s’il est bon de permettre
certaines pratiques de contrôle interne en plus des contrôles externes; c’est quelque chose
d’habituel pour les produits biologiques. Quand un système de contrôle interne a été cor-
rectement mis en place au sein d’un consortium, l’organisme de certification indépendant ne
doit pas contrôler chaque opérateur impliqué, mais uniquement un échantillon d’entre eux
ou uniquement ceux qui appartiennent au dernier maillon de la filière (Boutonnet et Damary
cités dans: Gerz et al. 2008). Le café du Honduras à indication géographique Marcala est
contrôlé avec ce système qui garantit une traçabilité parfaite du produit depuis les champs
jusqu’aux dépôts pour l’exportation. L’organisation collective se charge de l’exécution de
toutes les inspections et supervisions nécessaires tout le long de la chaîne agroalimentaire;
l’organisme de certification externe n’intervient qu’à la dernière étape, en délivrant la quali-
fication finale du lot de café prêt pour l’exportation et en contrôlant le conditionnement et
l’étiquetage (Consejo Regulador del Café Marcala 2007).
39
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Le rôle important que peut arriver à jouer un consortium interprofessionnel en tant que
coordinateur de transactions entre divers maillons de la filière est évident dans le cas du
jambon à indication géographique de la ville espagnole de Teruel. Il fut un temps où la
demande de jambon était très forte sur le marché, mais où les éleveurs de porcs se montraient
réticents à augmenter leur production, car ils craignaient, d’une part, les coûts élevés de
l’élevage et, d’autre part, l’éventuelle instabilité des revenus ainsi qu’une plus grande dépen-
dance vis-à-vis des abattoirs et/ou des producteurs de jambon. En fait, les porcs nécessaires
à l’élaboration de cet aliment typique ont des caractéristiques si spécifiques que cela limite
fortement les possibilités de les vendre sur d’autres marchés ou à travers d’autres canaux. Le
consortium et le gouvernement régional intervinrent pour servir de médiateurs entre les
acteurs et améliorer les flux d’information entre les différents niveaux de la filière. De plus,
pour stabiliser l’offre de viande de porc, un contrat type fut rédigé, pouvant être utilisé par
les éleveurs et les abattoirs dans leurs relations d’achat et de vente. Dans ce contrat étaient
inclus le prix d’achat minimum, les quantités du produit et les dates de livraison (Chappuis
et Sans 2000).
40
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Afin d’assurer une qualité optimale, les consortiums professionnels s’occupent souvent des
propriétés des matières premières que les membres achètent à des fournisseurs ne faisant pas
partie de l’alliance. Les consortiums interprofessionnels, quant à eux, coordonnent et inter-
viennent en général dans les négociations entre les divers maillons de la filière, afin que les
producteurs et/ou les entreprises de transformation produisent conformément aux standards
de qualité requis par leurs clients directs appartenant à l’alliance.
Dans ce contexte, identifier, mesurer et rétribuer correctement les apports des divers opéra-
teurs à la création de la valeur ajoutée globale est une tâche essentielle. Très souvent, les
consortiums interprofessionnels mettent en œuvre des systèmes de classification et de rétribu-
tion sur la base de la qualité afin de faciliter les transactions entre les différents niveaux de
la filière. Les prix des matières premières et/ou des produits transformés, commercialisés dans
le cadre du groupement, sont négociés et fixés collectivement à l’avance en fonction de cer-
taines caractéristiques objectives qui en déterminent la qualité. Le prix reçu par un opérateur
pour un lot de son produit varie et dépend chaque fois de ce que celui-ci respecte, dans une
plus ou moins grande mesure, certains standards préétablis. Au-delà d’une plus grande trans-
parence des activités commerciales, le système de classification garantit également à tous les
membres du consortium — tant les clients que les fournisseurs — une procédure de paiement
équitable, ce qui évite les conflits. En outre, à travers le système de classification, des incita-
tions économiques sont créées pour continuer d’améliorer les propriétés du produit (Barjolle
et al. 2005).
Il faut également souligner le rôle important que les consortiums peuvent développer par
rapport à la procédure de contrôle et de certification de la qualité. D’une part, les groupe-
ments se chargent souvent, au moyen d’une équipe propre de superviseurs, de la réalisation
de certaines, voire de toutes les inspections et les vérifications nécessaires à l’obtention du
label final de conformité. D’autre part, les consortiums interagissent très souvent avec
l’organisme certifié externe, le cas échéant. Étant donné que la certification collective est
souvent l’option financière la plus avantageuse, très souvent les groupements gèrent et cen-
tralisent le paiement des frais de contrôle externe pour tous leurs membres et ils interviennent
également dans les procédures administratives en relation avec cette certification. Par exemple,
c’est ainsi qu’en général, en échange des honoraires correspondants, les consortiums apportent
leur aide et offrent leur assistance aux membres pour la préparation des documents néces-
saires pour assurer la traçabilité, les mettant ensuite directement à disposition de l’organisme
41
La valorisation des produits traditionnels d’origine
externe. Cette manière de procéder ne permet pas seulement d’accélérer les démarches; en
diminuant l’implication de l’organisme externe, elle permet également de réduire les frais de
certification (Belletti et al. 2007; Couillerot et al. 2009).
De plus, les consortiums peuvent aussi utiliser leur pouvoir de négociation pour obtenir de
meilleurs tarifs de certification et pour s’accorder, en interne ou en externe, sur une struc-
turation des coûts plus adaptée aux besoins des membres économiquement plus faibles. Ce
fut le cas de l’huile d’olive extra vierge italienne à indication géographique “Toscano”. Les
frais de la certification indépendante étant trop élevés, les entreprises les plus petites ne
pouvaient pas participer au projet. Le consortium interprofessionnel est donc intervenu: d’une
part, il a pu négocier une réduction des coûts fixes exigés pour l’activité de contrôle externe
et, d’autre part, il a établi un système interne de redistribution des frais de certification.
Profitant des cotisations payées par toutes les entreprises associées, le consortium commença
à subventionner les coûts variables d’inspection que ces petites entreprises devaient affronter.
Les consortiums peuvent donc coordonner et avoir une influence sur la répartition des frais
de certification tant horizontalement que verticalement en gérant de manière appropriée les
cotisations payées par les associés (Belletti et al. 2007).
42
Guide pour la création d’un consortium de qualité
positionnement sur un segment de marché élevé. En fait, une brusque réduction des prix du
produit fini pousserait les acteurs de la filière à produire au-dessous des standards de qualité
requis, mettant ainsi en danger, à long terme, la réputation de la marque ou de l’indication
géographique. Même si la pertinence de la gestion des volumes avec l’introduction des quotas
de production pour les divers membres est claire, sa mise en application dans la pratique
n’est jamais simple, car de telles procédures peuvent aller à l’encontre des lois antimonopole
de divers pays (Chappuis et Sans 2000; Roep et al. 2006). Cependant, lorsqu’il est possible
de gérer la quantité avec l’approbation de l’État, comme dans le cas du fromage français
Comté à indication géographique, le contrôle des volumes offre des avantages indiscutables.
L’organisation interprofessionnelle du Comté restreint la production du fromage en vendant
aux différents opérateurs concernés un nombre limité de plaques de caséine, sans lesquelles
il est impossible de commercialiser légalement le produit. Chaque année, le nombre de plaques
augmente en fonction de la demande de fromage attendue. Pour le consortium, la vente de
ces labels obligatoires ne suppose pas uniquement un moyen de gérer les volumes de produc-
tion, c’est également une manière de financer les autres activités: 95% de ses revenus
proviennent de cette source (Bowen 2007).
Ce ne sont pas seulement les autorités de l’État qui s’opposent parfois à des pratiques de
contrôle de la quantité. Au sein du consortium, il peut également y avoir des voix en désac-
cord, car l’octroi de quotas de production va au-delà du contrôle de ce que produisent les
membres et de comment ils produisent; il conditionne aussi et engage les décisions futures,
limitant leur liberté d’action. Le consortium doit donc trouver une voie permettant de concilier
et d’adapter des intérêts opposés, et aussi de regrouper tous les acteurs autour de la stratégie
structurante de l’organisation collective. Dans le cas du consortium professionnel italien du
jambon de San Daniele, le problème éventuel a été résolu, d’une part, en recourant au
relâchement de quotas pour les entreprises exportatrices du groupement et, d’autre part, en
attribuant des quotas plus larges aux entreprises de transformation membres avec des frais
d’approvisionnement plus élevés que la moyenne (Clara 1999; Barjolle et Chappuis 2000).
43
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Il existe également une autre forme d’intervention pour le consortium concernant la distribu-
tion des bénéfices. Dans le cadre de l’organisation interprofessionnelle, il est possible d’organiser
des négociations entre les divers niveaux de la filière pour arriver à des accords obligatoires
sur les prix qui seront appliqués pour les activités commerciales entre opérateurs membres.
Les rétributions partielles doivent être en étroite relation avec la valeur finale du produit fini
sur le marché; les augmentations du montant final du produit doivent être reflétées dans les
augmentations des prix perçus par les différents opérateurs. Une fois de plus, le consortium
du Comté est aussi un exemple positif dans ce sens. Les prix partiels et le prix final du fro
mage sont directement liés grâce à un système de calcul utilisé au sein de l’organisation
collective, qui valorise équitablement les apports des différents maillons de la filière; lorsque
le prix moyen du Comté augmente, les producteurs primaires de lait et les entreprises de
transformation en sont bénéficiaires presque à part égale (Bowen 2007). Une redistribution
équitable des bénéfices permet à tous les opérateurs de se sentir engagés envers le projet
commun et de travailler pour optimiser le produit et en étendre la commercialisation.
F. Contrôle de l’opportunisme
Le consortium doit vérifier si tous les membres se soumettent aux normes auto-imposées et
au cahier des charges, en utilisant des mécanismes de contrôle social, des règlements écrits
et des mesures disciplinaires, y compris l’exclusion du groupement. Il faut éviter que quelques
associés adoptent des stratégies individualistes quant à la qualité, l’offre quantitative et le
marketing du produit, ce qui pourrait éventuellement mettre en danger la réputation et le
positionnement du produit sur le marché. Mais cette tâche n’est pas toujours facile, puisqu’en
principe le consortium n’a pas l’autorité légale nécessaire pour imposer et exécuter ses déci-
sions. C’est ainsi que, par exemple, le consortium ne dispose pas des moyens de pression
nécessaires pour assurer que tous les membres respectent le prix final indicatif établi collec-
tivement pour les ventes du produit. Cependant, comme il est démontré dans le cas du
consortium Melinda (voir p. 48), il est possible de compenser le manque de pouvoir par des
mécanismes créatifs.
Dans tous les cas, il convient de souligner que la capacité de gestion et de contrôle de
l’organisation ne doit pas dériver de son pouvoir hiérarchique sur les associés, mais de sa
capacité à collaborer avec eux. Les consortiums ne naissent pas comme des organismes d’audit
et de pouvoir; ce sont des alliances de coordination d’intérêts communs. En qualité d’associations
légalement autonomes, les consortiums doivent essayer d’atteindre la légitimité et un large
consensus autour de la stratégie conjointe afin de pouvoir être opérationnels (Clara 1999).
Il est vrai que, dans les pays de l’UE comme dans d’autres pays ayant un système juridique
similaire, les consortiums bénéficient d’importantes facultés juridiques face aux opérateurs
économiques, après avoir obtenu l’indication géographique institutionnalisée. Mais c’est juste-
ment pour cette raison que quelques consortiums “sont devenus davantage des instruments
de contrôle et d’audit des entreprises et des processus de production que des organismes
d’appui aux entreprises pour se différencier, commercialiser et s’orienter vers les consom-
mateurs d’une manière efficace” (Cambra 2009: 345). Lutter contre l’opportunisme, contre
la concurrence illégitime et contre l’utilisation frauduleuse de l’indication géographique sont
des tâches essentielles que le consortium doit développer, mais qui ne doivent pas devenir sa
fonction principale.
44
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Le succès d’un consortium de qualité est en grande mesure fondé sur la cohérence et l’équilibre
entre deux vecteurs: 1) la différenciation du produit et l’efficacité de la communication com-
merciale; 2) la cohésion des membres et la cohérence de la structure organisationnelle. Étayer
ces deux axes, voilà le principal objectif à atteindre; pour ce faire, il est nécessaire d’appliquer
une approche graduelle et méditée (Roep et al. 2006; Wiskerke 2007). La stratégie d’enregistrer
rapidement un label quelconque et/ou d’obtenir précipitamment une certification de qualité
pour le produit, dans le but de le lancer rapidement sur le marché, peut impliquer des
sacrifices quant au degré de différenciation, au contrôle de la distribution et au marketing.
Avant de commencer la commercialisation du produit “réinventé” à plus grande échelle, il
est donc essentiel que le projet conjoint ait atteint de hauts niveaux de cohérence interne et
que tous les membres soient en accord avec des objectifs communs à long terme (Vuylsteke
et al. 2008; Roep et al. 2006; Arfini et al. 2008).
La sélection des canaux de distribution ne doit pas se faire de façon précipitée ni circonstan-
cielle; elle doit au contraire être le fruit d’une analyse soigneuse et de relations solides.
L’expérience montre que les initiatives obtenant de meilleurs résultats économiques sont celles
qui parviennent à établir des alliances dès les premières phases, ou même à intégrer éventuel-
lement dans le consortium des grossistes ou des détaillants qui ne partagent pas seulement
la préoccupation pour la qualité, mais aussi la vision du produit enraciné dans le territoire
(Vuylsteke et al. 2008; Roep et al. 2006).
45
La valorisation des produits traditionnels d’origine
En ce qui concerne la distribution, le consortium doit également décider, tôt ou tard, si les
membres sont autorisés ou non à procéder à des ventes directes, en marge des canaux de distri-
bution spécifiquement sélectionnés par le groupement. Si l’on tient compte des attributs des
produits traditionnels d’origine, il est souvent recommandable que leur commercialisation ne se
fasse pas seulement à travers les grossistes et les détaillants conventionnels, comme les chaînes
de supermarchés ou les boutiques de produits gourmets. En particulier dans les zones touristiques,
des canaux de distribution plus courts permettent d’établir un lien entre le consommateur et la
région d’origine du produit; ils peuvent en renforcer l’image en tant qu’aliment ou, le cas échéant,
en tant que bien typique et authentique. Bien évidemment, dans le cas des ventes directes à la
ferme et de commercialisation individuelle sur les marchés artisanaux ou de produits frais, le
consortium doit vérifier si les membres respectent les normes collectives sur la qualité et les prix.
Dans ce sens, les ventes individuelles doivent d’abord être un composant du marketing mix plutôt
qu’une concession face à la stratégie promotionnelle et commerciale commune (Van de Kop et
Sautier cités dans: Van de Kop et al. 2006; Barjolle et al. 2005).
De nombreux consortiums de qualité ne se concentrent pas pour rendre visible une marque
commerciale partagée; au contraire, ils développent une stratégie de communication visant à
obtenir la reconnaissance du produit en tant qu’indication géographique. Dans les pays où il
n’existe pas de cadre juridique protégeant ce type de droits de propriété intellectuelle, les
consortiums doivent déployer leur projet comme cause d’intérêt commun afin d’exercer la
pression politique nécessaire permettant d’établir les conditions légales pertinentes. Dans tous
les cas, la stratégie de marketing ne doit pas être trop axée sur l’enregistrement d’une indica-
tion géographique, puisque la certification officielle, à elle seule, n’entraîne pas automatique-
ment d’importantes augmentations de la demande. Ce n’est pas pour l’indication géographique
en tant que telle que le consommateur est prêt à payer un surprix, mais pour la promesse
de qualité qui est associée dans son esprit à la protection légale; tout cela en tenant pour
acquis que le client connaît le concept d’indication géographique et sait ce que cela signifie,
ce qui n’est pas toujours le cas (El Benni et Reviron 2009).
En fait, même dans l’UE, où les indications géographiques ont une tradition juridique com-
parativement de longue date, nombreux sont les consommateurs qui ne connaissent toujours
46
Guide pour la création d’un consortium de qualité
pas le label distinctif des produits protégés ou bien qui ne savent pas ce que cela implique
exactement (Gerz et Dupont cités dans: Van de Kop et al. 2006; Cambra Fierro et Villafuerte
Martín 2009). De plus, et en particulier sur des marchés comme le marché européen — où
l’on peut observer une plus grande prolifération de boissons et d’aliments à indication
géographique —, la certification est une aide, mais elle n’est pas suffisante pour permettre à
un produit de se faire remarquer. En réalité, même parmi les articles à label distinctif, il existe
une importante concentration des parts de marché. En 2004 en Italie, les dix aliments phares
ont représenté 82 % des ventes totales nationales et extérieures de produits à indication
géographique, alors que les 130 autres marques italiennes certifiées sur la base de l’origine
n’ont facturé que les 18 % restantes. Dans le cas, par exemple, du jambon de Parme ou encore
du Parmigiano Reggiano, les consommateurs connaissent et reconnaissent les aliments davan-
tage comme des marques renommées que comme des produits à indication géographique
(Marette 2009).
Il convient aussi de rappeler que les indications géographiques ont généralement un impact
plus fort sur la décision d’achat dans un contexte de proximité géographique relative, c’est-
à-dire sur le plan national. Sur les marchés internationaux d’exportation, le consommateur
se laisse généralement davantage guider par la célébrité d’une marque ou par l’image du pays
d’origine d’un produit (Cambra Fierro et Villafuerte Martín 2009). Par ailleurs, au niveau
strictement local, la décision d’achat ne se voit pas non plus influencée par l’indication
géographique; le client comprend les qualités des produits de sa région et achète en fonction
de celles-ci. Dans le cas de l’huile d’olive italienne à indication géographique “Toscano”, le
nom lié à l’origine ne joue pas un rôle décisif parmi les consommateurs locaux traditionnels,
car ceux-ci connaissent le produit typique de première main et ils ont tout d’abord confiance
en sa qualité. Cependant, en dehors de la région Toscane, l’étiquette “Toscano” contribue à
attirer et à fidéliser les consommateurs italiens éloignés sur le plan géographique et culturel
(Rangnekar 2004).
47
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Il fut tout de suite convenu de travailler ensemble sous la marque collective “Melinda —
Val di Non” qui servirait à la fois de label d’origine et de qualité. Si les pommes vendues
auparavant par les coopératives étaient bonnes, elles devaient dès lors être meilleures.
De fait, l’étiquette “Melinda”* était uniquement réservée aux pommes produites con-
formément aux conditions très strictes du règlement d’utilisation de la marque, qui
comprenait des normes de “production intégrée” afin de garantir le respect des r ythmes
biologiques naturels. Les arboriculteurs qui ne réussissaient pas à passer les contrôles
des coopératives étaient sanctionnés et leurs produits ne pouvaient pas être commer-
cialisés pendant toute la saison. Dans ce contexte, le rôle joué par plusieurs organismes
publics spécialisés devint essentiel, en raison de l’appui technique et de la formation
accordés aux horticulteurs membres afin de faciliter leur adaptation aux nouveaux
standards de qualité.
Au début des années 1990, les responsabilités du consortium étaient encore relativement
limitées. Il se contentait de se charger de la promotion de la marque “Melinda”, de l’achat
du matériel de conditionnement et de la vente du produit à travers trois canaux de distri-
bution secondaires qui ne représentaient pas plus de 30% de la production: exportation,
grande distribution italienne et industrie. Les diverses coopératives continuaient de se
charger du reste des ventes de manière totalement indépendante, jouissant également
d’une liberté totale pour fixer les prix. Les gérants des coopératives avaient alors une
double fonction professionnelle; d’une part, ils continuaient à travailler pour leurs groupe-
ments respectifs et, d’autre part, ils occupaient collégialement les différents postes de haute
direction et de contrôle opérationnel au sein du consortium. Un mécanisme de rotation
et de recomposition des groupes permettait d’éviter la formation de blocs d’intérêts parmi
les représentants des différentes coopératives locales.
* S’il est vrai qu’au début “Melinda — Val di Non” figurait sur l’étiquette, les pommes sont surtout connues sous le nom
de “Melinda”.
48
Guide pour la création d’un consortium de qualité
La stratégie de coopération fut un succès et les pommes “Melinda” furent rapidement bien
reçues par le marché. Cependant, la division de responsabilités entre les deux niveaux
d’intégration associative démontra rapidement son manque de cohérence. Les diverses
coopératives maintenaient toujours entre elles la concurrence des prix, alors qu’elles ven-
daient des pommes de même qualité et surtout de même désignation. Ces comporte-
ments pouvaient bien sûr entacher le renom de la marque collective “Melinda”. C’est pour
cette raison qu’au milieu des années 1990 le consortium décida d’introduire un prix uni-
taire de référence pour toutes les pommes commercialisées directement par les coopéra-
tives. De plus, un système de classification et de rétribution sur la base de la qualité fut
introduit, qui serait maintenu dans le futur pour stimuler l’excellence. Cependant, le sys-
tème ne récompensait que de façon modérée les meilleurs; car tous les arboriculteurs
contribuaient à part égale au financement du consortium et au maintien du renom
”Melinda” sur le marché. Quant au prix de référence, le consortium établit également un
mécanisme d’encouragement corrigé, basé sur l’individualisation des pertes et la collectivi-
sation des bénéfices. Les coopératives n’étaient toujours pas obligées d’appliquer l’indication
de prix de l’alliance, mais elles avaient de bonnes raisons de le faire. Si elles vendaient au-
dessous du prix fixé, elles ne recevaient aucune indemnisation; si elles vendaient au-dessus
de ce prix, elles devaient donner la différence au consortium, et le montant total accumulé
était ensuite redistribué parmi les différentes coopératives, membres du consortium, en
fonction de la qualité du produit vendu.
Le mécanisme du prix unitaire servit à augmenter globalement les bénéfices, mais, quel-
ques années plus tard, le comité de direction du consortium considéra que le moment
était venu d’aller plus loin dans le processus de centralisation. La structuration en place
empêchait les éventuelles économies d’échelle et de spécialisation d’être pleinement
exploitées; de plus, elle ne permettait pas d’en finir avec les comportements opportunistes
et la concurrence des prix. Le changement de l’organisation du “système Melinda” fut éga-
lement stimulé par les généreuses aides économiques que l’Union européenne com-
mençait à offrir pour les grandes alliances de producteurs qui concentraient la gestion de
l’offre et celle de la logistique dans une seule structure stable. Le premier pas dans cette
direction fut la centralisation de toute l’activité de commercialisation qui, dès lors, allait être
totalement assumée par le consortium.
49
La valorisation des produits traditionnels d’origine
50
Guide pour la création d’un consortium de qualité
En tout cas, élargir le consortium ne doit pas être une fin en soi, et surtout cela ne doit pas
mettre en danger les piliers servant de base à l’organisation collective: la transparence, la
confiance mutuelle et l’égalité entre les membres; l’alignement d’intérêts et d’objectifs parta-
gés; la distribution équitable des coûts, des bénéfices et du pouvoir de décision (Roep et al.
2006). Dans ce contexte, il faut savoir que le fait d’intégrer de nouveaux membres dans un
consortium peut créer des tensions. Les nouveaux associés se sentent souvent attirés avant
tout par les avantages économiques qu’ils espèrent obtenir et ils ne partagent pas toujours la
vision et les principes directeurs qui ont originairement uni les membres fondateurs. Ceux-ci,
pour leur part, se méfient des nouveaux venus qui bénéficient d’un chemin tout tracé par les
autres, sans avoir à assumer de risques (Barjolle et al. 2005; Reviron et al. 2009). La décision
relative à l’admission de nouveaux opérateurs économiques peut être prise avec plus ou moins
de liberté selon le système de tutelle choisi pour le produit. Si le produit est protégé par une
marque collective, décider du nombre de membres, et donc du nombre d’utilisateurs du label,
ne pose généralement pas de gros problèmes dans la pratique. Mais ce n’est pas forcément
le cas lorsqu’il s’agit d’une marque de certification et encore moins pour une indication
géographique reconnue (Barjolle et al. 2005).
En fait, selon les cadres légaux d’un grand nombre d’États, une indication géographique peut
être utilisée par tous les opérateurs économiques situés dans la zone géographique en ques-
tion et qui respectent le cahier des charges et/ou les autres conditions pertinentes. Toutes les
législations nationales n’établissent pas que les acteurs concernés doivent appartenir obliga-
toirement au consortium ou à l’organisation collective pour être autorisés à faire usage du
label. Mais cela n’empêche pas que de nombreux opérateurs choisissent librement de faire
partie du groupement officiel qui veille sur l’indication géographique, puisqu’aux yeux de
nombreux producteurs le fait d’être membre de l’organisation collective représente d’énormes
avantages, comme des démarches plus simples pour la certification (Raynaud et al. 2002;
Belletti et al. 2007). S’il est vrai que, pour réguler les nouvelles affiliations et pour concilier
les niveaux d’offre et de demande du produit, les consortiums établissent généralement une
liste d’attente, il n’en demeure pas moins que l’enregistrement d’une indication géographique
peut entraîner une perte relative du contrôle du nombre de membres.
51
La valorisation des produits traditionnels d’origine
opter ou non pour la protection d’une indication géographique. Cependant, la grande expé
rience accumulée par les pays de l’UE dans ce domaine démontre que les indications
géographiques (institutionnalisées) ne sont pas nécessairement la panacée, comme nous allons
le démontrer ci-après.
Pour commencer, tous les types de produits ne sont pas appropriés de la même manière pour
obtenir un bénéfice d’une indication géographique. Certains produits — dont la nature permet
de bien les vendre à travers des canaux de distribution courts à des consommateurs locaux
et à des touristes, et qui, pour des raisons diverses, ne peuvent être produits en grandes
quantités mais qui sont déjà suffisamment connus pour pouvoir bénéficier d’importants surprix
sur leur marché objectif — ne vont pas forcément améliorer leur vente ni leur positionnement
avec une indication géographique. Du moins, ce ne sera pas au point de couvrir les frais
additionnels dérivant directement ou indirectement du contrôle de la qualité et de la certifi-
cation obligatoires. Cet aspect ne semble pas toujours être pris en compte; de fait, à cause
d’un manque d’information, le désir d’enregistrer des produits sous la modalité légale en
question a donné lieu à ce qu’il existe — et cela, même dans l’UE — de nombreux cas
d’indications géographiques officiellement reconnues et qui par la suite sont à peine utilisées
dans le commerce à cause du manque d’intérêt de la part des utilisateurs potentiels (Carbone
2003; Marescotti 2003).
En outre, les produits traditionnels d’origine, qui sont commercialisés pour la plus grande
part au niveau local, ne sont pas nécessairement confrontés à de grands problèmes associés
à l’utilisation frauduleuse du nom lié au territoire. Il semble être parfois justifié de craindre
l’effet contraire que peut avoir la reconnaissance de l’indication géographique. En fait, s’il est
vrai que la protection officielle sert à combattre plus efficacement une utilisation indue de la
désignation, la fraude est parfois stimulée par le plus grand renom et les meilleurs prix obte-
nus par le produit grâce à l’indication géographique sur les marchés (Marescotti 2003; Tregear
2004; Gerz et Fournier cités dans: Van de Kop et al. 2006).
De plus, lorsqu’un consortium décide de protéger un nom lié au territoire du produit ainsi
que les normes de production pertinentes comme indication géographique, les stipulations
du cahier des charges élaboré au préalable peuvent devenir l’objet de luttes farouches. Perdre
la bataille relative à la codification technique n’est pas un problème mineur pour les inté
ressés, étant donné qu’aucun opérateur ayant des pratiques de production qui ne soient pas
en harmonie avec le cahier n’est autorisé à utiliser l’indication géographique. Pour certains
d’entre eux, selon la désignation concrète avec laquelle ils souhaitent protéger le produit,
l’enregistrement de l’indication géographique institutionnalisée peut vouloir dire que, du jour
au lendemain, ils n’auront plus le droit de vendre leur produit sous son nom traditionnel,
celui qu’ils utilisaient depuis toujours. De plus, il peut également y avoir des producteurs et
des entreprises de transformation opportunistes qui craignent de rester en dehors de ce qui
promet d’être une affaire lucrative. Par conséquent, ils lutteront pour que le cahier des charges
établisse des conditions qui leur soient favorables.
Mais, très souvent, le conflit n’existe pas simplement entre les opérateurs économiques directe-
ment intéressés; ce sont également les institutions publiques et privées qui interviennent,
voyant dans l’indication géographique un bon moyen de stimuler le développement économique
local. Cependant, les administrations régionales, les communes ou les chambres de commerce,
ne sont pas toujours de bons alliés pour un consortium de qualité. L’expérience démontre
que ces institutions encouragent une définition ample et imprécise du cahier des charges dans
le but d’inclure le plus grand nombre d’opérateurs possible; mais cela peut avoir des effets
52
Guide pour la création d’un consortium de qualité
négatifs, au moins d’un point de vue commercial. Le produit peut arriver à perdre sa spéci-
ficité, son caractère distinctif, ses qualités typiques et, en définitive, la source essentielle de
sa valeur ajoutée (Tregear 2004; Belletti et al. 2002).
De plus, établir une zone légale de production très large peut entraîner une redistribution
interne de la rente perçue pour l’origine du produit. Ce phénomène a pu être observé dans
le cas de l’huile d’olive italienne en provenance de la vaste région de la Toscane. Alors qu’en
règle générale les zones de production déjà renommées ont subi un préjudice dû à la recon-
naissance de l’indication géographique, celle-ci a eu des effets très positifs pour les entreprises
plus dynamiques et situées dans les zones de production traditionnellement moins connues,
mais qui ont su pénétrer des marchés plus éloignés. Ce type de développement n’est pas
nécessairement négatif, mais il faut en tenir compte et l’intégrer dès le début dans les calculs
de coût et de bénéfice (Belletti et al. 2002).
Il ne faut pas non plus perdre de vue que, une fois l’indication géographique obtenue, il
est possible que le nombre de producteurs augmente dans la zone. De nombreux investis-
seurs industriels d’autres aires peuvent être attirés par les grandes marges de bénéfice
pouvant être escomptées. Par conséquent, les marques individuelles commercialisées sous
une même indication géographique augmentent, ce qui accroît aussi la concurrence interne
entre les opérateurs. Une profusion d’initiatives industrielles peut parfois représenter une
sérieuse menace pour les producteurs traditionnels de la zone. “Si l’on contemple le
parcours [des indications géographiques], l’institutionnalisation peut aider de puissants
acteurs externes (entreprises de la grande distribution, entreprises de transformation,
commerçants) à extraire des ressources et de la valeur ajoutée de l’aire d’origine, ce qui
constitue plus une menace qu’une incitation pour le développement local.” (Marescotti
2003: 4, libre traduction; Cambra Fierro et Villafuerte Martín 2009; Tregear 2004; Acampora
et Fonte 2007; Carbone 2003).
53
La valorisation des produits traditionnels d’origine
Bien sûr, tous les opérateurs locaux ne bénéficient pas toujours de l’indication géographique.
Très souvent, ceux qui finissent par être exclus sont les acteurs qui ont moins de capital social,
économique et technologique; ceux-ci n’ont pas souvent la capacité qui leur permettrait de
mettre en application le cahier des charges ou bien ils ne peuvent pas payer les frais de la
certification obligatoire. Non seulement ces acteurs, mis en marge car non autorisés à vendre
leur produit sous le nom protégé, ne peuvent pas obtenir le surprix de l’indication géographique,
mais parfois leurs produits perdent de leur valeur (Vuylsteke et al. 2003; Sautier et Van de
Kop cités dans: Van de Kop et al. 2006; Marescotti 2003; Acampora et Fonte 2007).
Dans ce contexte, un danger possible peut être le manque d’information, sur le cadre légal,
entre les opérateurs qui ne participent pas directement à l’initiative pour l’obtention de
l’indication géographique institutionnalisée. En Bosnie Herzégovine, par exemple, la future
protection légale du fromage traditionnel “Livanjski” dans les termes souhaités par une asso-
ciation de petites entreprises de production de fromage fermier, pourrait entraîner de sérieux
problèmes inattendus pour les entreprises dont la taille est réduite et qui produisent et com-
mercialisent avec succès un produit industriel homonyme. Beaucoup d’entre elles ignorent
les conséquences que peut entraîner l’enregistrement d’une indication géographique institu-
tionnalisée pour ceux qui ne respectent pas le cahier des charges. Ils ignorent qu’ils ne pour-
ront plus vendre le produit comme “Livanjski” ni comme fromage “type Livanjski”; ils pensent
au contraire que seul le droit d’afficher l’indication géographique leur sera refusé. Le manque
d’information explique très probablement le fait qu’aucun conflit n’ait surgi parmi les divers
groupes d’opérateurs quant au contenu des normes de production qui seront jointes à la
demande d’enregistrement. Il faut également signaler qu’une future exclusion de ces entre-
prises de l’utilisation de l’indication géographique n’aurait pas seulement des effets préjudi-
ciables sur ces dernières; par extension, cela aurait des conséquences sur toute l’économie
locale (Bernardoni et al. 2008).
En résumé, s’il est vrai qu’une indication géographique peut être un excellent instrument
permettant d’augmenter la compétitivité des opérateurs locaux, ce n’est certainement pas
toujours le cas, et cela ne l’est jamais pour tous; il existe des gagnants et des perdants. Les
membres d’un consortium de qualité doivent donc tenir compte des avantages et des incon-
vénients de l’enregistrement; ils doivent évaluer, en fonction de leurs priorités, si les bénéfices
attendus compensent les sacrifices. D’une manière générale, une bonne partie des problèmes
qui naissent de la décision d’opter pour une indication géographique n’apparaît pas si un
consortium se limite à travailler avec une marque collective ou de certification; mais il est
néanmoins vrai que le potentiel commercial et la portée de la protection légale au moyen de
l’indication géographique (institutionnalisée) sont bien plus importants.
54
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Étant donné que, en particulier au début d’une initiative de ce type, les banques commerciales
se montrent souvent réticentes à accorder les crédits nécessaires, l’appui financier d’autres
organismes externes devient essentiel pour que les producteurs puissent financer les innova-
tions techniques, organisationnelles et structurelles nécessaires. Non moins importants sont
l’assistance technique et l’appui en matière légale pour la définition des critères et l’élaboration
des normes du cahier des charges. De même, après l’élaboration, la mise en application du
cahier implique de nombreuses difficultés; et, là encore, des organismes externes peuvent
aider les opérateurs au moyen de formations techniques ou de services de conseil. De plus,
tout schéma d’appui qui implique la réduction des frais de certification pour les acteurs
concernés peut revêtir une importance particulière, car, pour un très grand nombre d’entre
eux, les coûts d’inspection représentent une barrière infranchissable. Les systèmes de certifica-
tion publics subventionnés, par exemple, peuvent être une voie valable dans ce contexte
(Wiskerke 2007; Roep et al. 2006; Boutonnet et Damary cités dans: Gerz et al. 2008).
Dans un autre ordre d’idées, il faut souligner, en relation avec les produits typiques alimen-
taires, que de nombreuses initiatives dépendent énormément de la bonne volonté des institu-
tions publiques d’accorder des exemptions légales. Certains produits traditionnels d’origine
doivent leurs caractéristiques organoleptiques à des pratiques de production et de transforma-
tion anciennes qui peuvent être en conflit avec la législation en matière de sécurité alimentaire.
Si les autorités publiques ne montrent pas suffisamment de flexibilité, le projet peut échouer
alors même qu’il n’en est qu’à ses débuts (Wiskerke 2007; Roep et al. 2006; FAO 2008).
Et même lorsque le projet est déjà en marche, l’aide externe, tant publique que privée, peut
faire la différence. Les subventions pour l’élaboration d’outils de communication ou le lance-
ment de campagnes de marketing peuvent être aussi importantes que le financement du salaire
d’un expert chargé de gérer le groupement et de promouvoir la commercialisation du produit.
En ce qui concerne le marketing, la légitimation publique de l’initiative peut également être
d’une très grande importance; et son obtention n’est pas toujours difficile, étant donné le
rôle important des produits traditionnels d’origine dans la promotion du développement
économique local (Wiskerke 2007; Roep et al. 2006).
Mais il est vrai que tous les produits typiques ne se prêtent pas de la même façon à la créa-
tion de liens avec d’autres secteurs économiques ni au développement du bien-être local. Par
conséquent, tous les produits ne réussissent pas à susciter le même intérêt de la part d’acteurs
tiers ni à remplir les fonctions d’élément agglutinant pour une vaste stratégie de développe-
ment territorial intégré. Pour qu’un produit puisse jouer un rôle de catalyseur dans le cadre
d’une stratégie territoriale intégrée, il faut qu’il ait un net contenu symbolique et identitaire
pour toute la communauté locale et pas uniquement pour les membres de la filière. Le produit
doit représenter un marqueur culturel qui serve à valoriser le territoire dans son ensemble et
à projeter l’identité régionale à l’extérieur. Pour cela, il doit y avoir des liens étroits entre le
produit, l’histoire locale et les divers aspects de la vie communautaire. De plus, le produit
doit être associé aux traditions locales et aux ressources naturelles, paysagères ou artistiques
(Acampora et Fonte 2007; Tregear 2004; Belletti et al. 2002; Barjolle et al. 2007).
55
La valorisation des produits traditionnels d’origine
et caractérisent le paysage d’une localité, il est bien plus faisable de développer une stratégie
territoriale autour d’un aliment ou d’un bien artisanal. Dans ce sens, les fruits traditionnels
d’origine accrochés à de beaux arbres peuvent avoir un grand attrait pour les visiteurs et ils
peuvent être d’excellents marqueurs culturels. De plus, ces aliments ont un autre avantage;
en effet, les ressources nécessaires à l’acquisition et à l’exploitation de vergers sont compara-
tivement réduites. En revanche, la charcuterie de porc traditionnelle d’origine est en principe
un catalyseur de développement territorial moins approprié. Les éleveurs internes de porcs
ne sont généralement pas très visibles et la production demande un équipement et des
connaissances techniques très spécialisés dont seuls quelques professionnels disposent (Tregear
2004; Belletti et al. 2002).
Il existe un large éventail d’acteurs locaux et extra-locaux potentiellement intéressés par une
participation à une stratégie de développement local centrée sur un produit traditionnel
d’origine; il serait donc quelque peu artificiel de vouloir en établir une liste limitée. Mais les
intérêts hétérogènes qui se rassemblent autour d’un marqueur culturel ne doivent pas obliga-
toirement devenir compatibles ou converger. Comme mentionné dans la section précédente,
les priorités des membres du consortium de qualité peuvent parfois être totalement à l’opposé
par rapport aux plans de valorisation territoriale d’autres opérateurs ou d’organismes publics
ou privés. Alors que la commercialisation du produit traditionnel d’origine est au centre des
préoccupations des membres de la filière, pour les autres acteurs, ce produit ne représente
parfois qu’un instrument servant à dégager des dynamiques territoriales de développement
bien plus grandes. En fait, la commercialisation efficace du produit traditionnel d’origine peut
même être moins importante que le potentiel en tant qu’étendard de la zone (Belletti et al.
2002; Tregear 2004).
En définitive, les membres du consortium de qualité doivent faire une analyse au cas par cas
pour savoir s’il est souhaitable d’impliquer certains acteurs dans le projet, selon que ceux-ci
partagent les mêmes objectifs et la même vision de développement territorial. Établir de vastes
alliances peut aider à cimenter l’initiative et à augmenter les revenus économiques; mais cela
peut également générer un effet contraire et contribuer à ce que le projet perde sa ligne
initiale et finisse par servir davantage les buts de tiers que les siens.
56
Guide pour la création d’un consortium de qualité
57
La valorisation des produits traditionnels d’origine
58
Conclusions
Une stratégie de valorisation collective autour d’un produit traditionnel d’origine permet de
se libérer de la concurrence de prix et d’étayer des bases compétitives solides fondées sur la
qualité et la différenciation. En particulier dans un environnement rural, de nombreux petits
producteurs artisans sont pris entre deux feux lorsqu’ils doivent faire face à une double con-
currence, celle des autres produits artisanaux traditionnels et celle des produits industriels
standardisés. La fuite en avant avec le pari sur la réinvention collective d’un produit typique
très lié au territoire devient, dans quelques contextes régionaux économiquement déchus, la
meilleure, voire l’unique, voie pour protéger des emplois, obtenir des revenus dignes et freiner
l’exode rural. Lorsque les conditions géographiques et environnementales d’un lieu rendent
impossible l’introduction de systèmes de production intensifs, il ne reste qu’à concentrer les
efforts, opter pour une stratégie offensive de niche, devancer l’immobilisme et passer de la
simple production au marketing. Dans un contexte où de nombreux producteurs d’une zone
se voient contraints de fabriquer un même bien typique, le développement local oblige à
rompre partiellement les dynamiques de marché et à les remplacer par la coopération.
Le point de départ de toute stratégie de valorisation est la reconnaissance d’un produit tra-
ditionnel d’origine non pas comme une simple denrée agro-industrielle générique, mais
comme un potentiel article haut de gamme. Le défi consiste donc à perfectionner le produit
typique et à le transformer en un bien apprécié qui réponde à l’attente d’une clientèle exi-
geante et prête à payer pour une qualité élevée et pour ces attributs intangibles, inhérents
aux produits traditionnels d’origine: l’authenticité et le lien territorial. Améliorer qualitative-
ment le produit, en créer une image différenciée et obtenir un positionnement élevé dans
l’esprit du consommateur, tout cela requiert de grands investissements en termes de temps
et d’argent. Mais la coordination d’efforts et la concentration de ressources au sein d’un
consortium de qualité rendent possible l’accumulation du capital productif, financier et tech-
nologique nécessaire pour pouvoir mettre en œuvre la stratégie de valorisation conjointe.
Cependant, il serait injuste de réduire l’utilité de ces groupements à une simple question
d’économies d’échelle. S’il est vrai qu’un consortium de qualité a tendance à attirer en
particulier l’intérêt de petits opérateurs économiques, pour autant ce type de groupement
ne représente pas un simple outil temporaire pour l’augmentation de la compétitivité des
plus “faibles”. Les consortiums de qualité naissent avec la vocation de durer dans le temps
et ils ne sont pas appelés à se dissoudre une fois que leurs membres ont atteint un bon
positionnement sur le marché. L’union autour d’un même article de vente crée des relations
de dépendance à long terme entre tous les membres, qui doivent être formellement coordon-
nées. Qui plus est, les consortiums de qualité peuvent remplir des fonctions difficiles à
remplacer par de simples transactions de marché entre un nombre très élevé d’opérateurs
économiques. La redistribution équitable des bénéfices tout le long d’une filière, le contrôle
des volumes de production pour se maintenir collectivement sur un haut segment de marché
59
La valorisation des produits traditionnels d’origine
60
Guide pour la création d’un consortium de qualité
les membres du consortium. La certification externe n’entraîne pas toujours des bénéfices
tangibles et, dans tous les cas, il vaut toujours mieux qu’elle soit accompagnée de pratiques
de contrôle interne afin de réduire les coûts.
• Le consortium de qualité peut offrir différents services qui permettent de renforcer le succès
du produit sur le marché et d’assurer une distribution équitable des coûts, des bénéfices
ainsi que du pouvoir de décision tout le long de la filière. Quelques exemples en sont les
contrats types, le système de redistribution basé sur la qualité, la coordination de la certifica-
tion collective, la gestion de la distribution des bénéfices entre les membres ou le contrôle de
l’offre quantitative.
• Pour pouvoir bien se positionner sur le marché, une promotion efficace du produit tradition-
nel d’origine est tout aussi importante que la grande qualité de celui-ci. Tous les membres
doivent suivre une même stratégie de communication et de marketing conjointe, orientée
vers le renforcement de l’image du produit comme le bien typique étroitement lié à un ter-
ritoire. En particulier, les canaux de distribution courts ne doivent pas être dédaignés, car ils
permettent d’établir un lien entre le consommateur et la région d’origine du produit.
• Bien que le nombre de membres d’un consortium ne détermine pas son degré de cohérence
interne, un élargissement peut faire naître des tensions entre les anciens et les nouveaux
membres et, par conséquent, l’élargissement doit être le fruit d’une décision méditée. En
fonction du label sous lequel le produit aura été enregistré, cette décision pourra être prise
avec plus ou moins de liberté.
• Pour le démarrage d’un consortium, il est essentiel de disposer de l’aide initiale externe de
caractère technique, légal, financier et promotionnel. De plus, lorsque le produit traditionnel
d’origine représente un marqueur culturel pour une région, celui-ci peut agir comme élé-
ment fédérateur et catalyseur d’une vaste stratégie de promotion territoriale qui engage de
nombreux organismes publics et privés. Dans ces cas-là, le consortium doit s’assurer que la
commercialisation effective du produit typique n’est pas compromise par les objectifs
ambitieux de développement local de tiers.
61
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68
Annexe
Cahier des charges
Produit avec indication géographique institutionnalisée — France
2) GROUPEMENT DEMANDEUR
Nom: Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels
de Roquefort
Adresse: 36 avenue de la République BP 348 12103 Millau Cedex
Tél.: (33) (0)5 65 59 22 00
Fax: (33) (0)5 65 59 22 08
Composition: producteurs et transformateurs
3) TYPE DE PRODUIT
Classe 1-3 – Fromages
4) NOM DU PRODUIT
Roquefort
5) DESCRIPTION DU PRODUIT
Le Roquefort est un fromage à pâte persillée, préparé et fabriqué exclusivement avec
du lait de brebis cru et entier conformément aux usages locaux, loyaux et constants.
69
La valorisation des produits traditionnels d’origine
La pâte non pressée et non cuite, ensemencée avec des spores de Penicillium roqueforti,
à croûte humide, renferme 52 grammes minimum de matière grasse pour 100 grammes
de fromage après complète dessiccation et 55 grammes minimum de matière sèche
pour 100 grammes de fromage affiné.
La pâte est onctueuse et bien liée, veinée de bleu uniformément, le bouquet, très
particulier avec une légère odeur de moisissure et la saveur, fine et prononcée.
Les décrets de 1979 puis de 1986 définissaient en application de la loi de 1925 une
aire géographique s’étendant sur le sud du Massif central et dans l’ancienne province
du Rouergue ainsi que certaines régions voisines, c’est-à-dire dans de nombreux dépar-
tements, compte tenu de la faiblesse des troupeaux, contraints de se satisfaire d’une
nourriture rare dans des zones arides et sèches.
Les efforts développés par les professionnels pour développer l’élevage des brebis ont
permis de restreindre progressivement l’aire d’approvisionnement en lait. Aujourd’hui,
le lait est collecté uniquement dans la zone correspondant au “rayon” qui comprend
560 communes ou parties de communes.
Il s’agit d’une grande partie du département de l’Aveyron et d’une partie des dépar-
tements limitrophes: Aude, Lozère, Gard, Hérault et Tarn, soit les communes ou parties
de communes suivantes:
[...]
70
Guide pour la création d’un consortium de qualité
3. Les fromages sont préparés et fabriqués exclusivement avec du lait de brebis mis
en œuvre à l’état cru et entier.
5. Les brebis doivent être élevées traditionnellement avec une alimentation à base
d’herbe, de fourrage et de céréales provenant au moins aux trois quarts, évalués en
matière sèche, de l’aire géographique de production.
6. Cette disposition pourra faire l’objet de mesures dérogatoires accordées par les
services de l’INAO pour les périodes de sécheresse, aléas climatiques ou autres circons-
tances exceptionnelles. Un complément azoté est autorisé.
8. Le lait de brebis ne peut être livré par les producteurs aux laiteries moins de
vingt jours après l’agnelage et doit provenir de deux traites complètes par jour.
9. Il ne peut être stocké à la ferme au-delà de vingt-quatre heures, sauf cas particulier.
11. Seuls les laits correspondant aux présentes dispositions peuvent approvisionner
les ateliers affectés à la fabrication du Roquefort.
71
La valorisation des produits traditionnels d’origine
12. La fabrication du fromage s’effectue avec le lait cru et entier, non normalisé en
protéines et matières grasses. Tout traitement physique autre qu’une filtration destinée
à éliminer les impuretés macroscopiques est interdit. Le réchauffage du lait pour
atteindre la température d’emprésurage est autorisé. L’adjonction de ferments lactiques
est autorisée.
13. L’emprésurage doit avoir lieu au plus tard quarante-huit heures après la traite la
plus ancienne, à une température comprise entre 28°C et 34°C. Il est réalisé avec de
la présure.
16. La conservation, par maintien à une température négative, des matières premières
laitières, des produits en cours de fabrication, du caillé ou du fromage frais est interdite.
19. Après égouttage, le fromage est marqué, en creux, pour permettre une identification.
23. Le piquage, destiné à aérer la pâte du fromage, est réalisé en cave ou en laiterie.
Le délai entre le piquage et la réception en cave d’affinage est au maximum de deux
jours; toutefois, ce délai peut être prolongé de deux jours supplémentaires en cas
d’interruption des réceptions en caves d’affinage, consécutive aux jours fériés.
24. La conservation sous atmosphère modifiée des fromages frais et des fromages en
cours d’affinage est interdite.
25. Le fromage est affiné et maturé pendant une période minimale de quatre-vingt-dix
jours à compter de son jour de fabrication. Au cours de cette période, il est procédé à
un affinage, suivi d’une maturation à température dirigée. L’affinage est réalisé dans les
caves situées dans la zone des éboulis de la montagne du Combalou (commune de
Roquefort-sur-Soulzon), délimitée par le jugement du tribunal de grande instance de
Millau du 12 juillet 1961, parcourue naturellement par les courants d’air frais et humide
provenant des failles calcaires, dites “fleurines”, de cette montagne.
26. Le fromage est exposé à nu dans lesdites caves pendant la durée nécessaire au
bon développement du Penicillium roqueforti. Cette durée ne peut en aucun cas être
inférieure à deux semaines.
72
Guide pour la création d’un consortium de qualité
27. Une maturation lente sous emballage protecteur se poursuit dans ces caves ou
dans des salles à température dirigée où les fromages sont entreposés.
28. La mise sous emballage protecteur s’effectue exclusivement dans les caves visées
définies ci-dessus.
En effet, les caves d’affinage de Roquefort, situées sous le site même du village de
Roquefort-sur-Soulzon, sont entièrement creusées dans des éboulis au pied des falaises
calcaires du Combalou qui, au cours des siècles, ont été le siège de fractures et d’ef-
fondrement. Par les fissures de ces éboulis arrive un courant d’air frais, plus ou moins
violent, qui crée des conditions biologiques uniques au monde.
Au xviiie siècle, le Roquefort reçoit les plus grands éloges de Voltaire, et surtout de
Diderot et d’Alembert qui le proclament “roi des fromages” en 1782.
Malgré la Révolution, les privilèges royaux accordés au Roquefort sont maintenus par
la Convention qui décide que “ne sera Roquefort que ce qui sortira des caves de
Roquefort”.
73
La valorisation des produits traditionnels d’origine
L’aire d’appellation correspond à l’esprit de la loi de 1925, les secteurs retenus ayant
des usages de production de lait de brebis et de fabrication.
L’affinage, qui a lieu exclusivement dans les caves naturelles des éboulis du plateau du
Combalou, confère, comme expliqué plus haut, au Roquefort sa saveur originale.
La conjonction d’un territoire difficile et ingrat, d’un don de la nature avec les caves
du Combalou au milieu de vastes étendues déshéritées, dont seule la rusticité de la
brebis peut s’accommoder, et de l’opiniâtreté et du talent d’hommes rudes, industrieux
et patients qui pendant des générations se sont transmis leur savoir-faire, explique la
réussite d’un fromage qui, “fils de la montagne et du vent, apporte sur votre table un
peu de l’âme du Rouergue”.
L’Institut national des appellations d’origine est un établissement public à caractère admi-
nistratif, jouissant de la personnalité civile, sous tutelle du Ministère de l’agriculture.
74
Guide pour la création d’un consortium de qualité
Ces indications sont également apposées sur les caisses et autres emballages contenant
ces fromages.
À l’exception de cette marque confédérale ainsi que des autres marques de fabrique ou
de commerce particulières ou des raisons sociales ou enseignes, l’addition au nom de
l’appellation “Roquefort” de tout qualificatif ou de toute autre mention est interdite.
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Imprimé en Autriche
V.10-55390–Août 2010–300