Lenseignement de La Communication Interp
Lenseignement de La Communication Interp
Lenseignement de La Communication Interp
Ap p ro ch e s p o s s ible s
Claudia SAPTA
Chargée d'enseignem ent Université Paul Sabatier - Toulouse
Membre du CIRET - Paris (France)
Ré s u m é
In tro d u ctio n
Quelque part entre arts plastiques, arts m usicaux et arts littéraires, l'art de la
com m unication. Des interactions et des relations : form es, liens, im ages et contenus
en quête de sens. Des nouveaux paradigm es : les approches de type
transdisciplinaire.
Les m anières d'aborder la com m unication étant m ultiples, il subsiste toujours la
difficulté d'en choisir la plus appropriée, notam m ent dès qu'il s'agisse d'évoquer un
sujet com m e celui de l'enseignem ent de cette discipline. Une discipline qui, nous le
rappelons devrait rencontrer toutes les autres disciplines et cela indépendam m ent
des filières scientifiques ou littéraires.
L'approche que l'on choisit dans l'enseignement de la com m unication répond souvent
à un questionnem ent de finalités et im plicitem ent de contenu. Si nous prenions par
exem ple com m e finalité la création des conditions propices favorisant la prise de
parole et l'expression écrite, une interrogation surgit : quelle place accordera-t-on au
contenu com m unicationnel par rapport au degré d'authenticité du m essage ? Peut-on
exprim er véritablem ent un contenu 1 à la m anière authentique soulignée par C.
1 Cette notion étant pour le m oins ambiguë, nous choisissons de nous référer aux savoirs im plicites et
explicites, transversaux de type "constitutifs d'expérience". En ce sens, voir nos précédents travaux
« De l’utilité du savoir transversal : un renversem ent de paradigm e », (B. Roussel, C. Sapta, 20 14).
1
Rogers autrem ent que par les voies dites classiques que nous retrouvons dans les
différents cursus ?
Com m ent la capacité d'opérer une transform ation au niveau individuel et collectif se
perçoit-elle à travers le processus d'apprentissage, et cela, d'un point de vue de
l'acquisition des com pétences et des savoirs transversaux ? A l'aide de quels m oyens ?
Par la suite notre analyse se concentrera plus particulièrem ent autour des points
suivants :
• La dém arche artistique ne serait-elle plus appropriée pour illustrer à la fois
l'art et la m anière de faire de l'enseignem ent de la com m unication une activité
plaisante et stim ulante pour l'ensem ble des apprenants ?
• Dans quelle m esure l'art peut-il servir de liant dans le processus de
construction si éphém ère d'un sem blant de com m unication ?
2 L'attribut relevant de la rareté fait que l'éthique reste l'un des sujets les plus transversaux que les
Notre société m oderne fonctionne selon des règles s’inspirant notam m ent du concept
de com m unauté ouverte de type global. La plupart du tem ps la com m unication
structure les relations sociales selon le m odèle des interactions à double registre :
com m unication/ incom m unication.
Nous pouvons traduire l'incom m unication com m e relavant d'un m anque de
com préhension causé par une l'absence de conditions propres à l'expression et à
l'intégration de la connaissance dans un tout unitaire de savoir. Ainsi, com m e le
rem arquait C. Lévi Strauss, « on pourrait presque dire que nos sociétés perdent
progressiv em ent leur charpente et tendent à se pulvériser, à réduire les individus
qui les com posent à la condition d’atom es interchangeables et anony m es ». Il s’avère
que dans cette com munauté de type virtuel, la société-m êm e devient une société
virtuelle à l’intérieur de laquelle les actes, les attitudes, les intentions des personnes
com m unicantes sont réglés par des norm es et des références sous-jacentes auxquelles
ces m êm es personnes n’ont pas toutes le m êm e accès.
Malgré le rapprochem ent apparent proposé par les com m unautés virtuelles, nous
finissons souvent par adopter des conduites d'éloignem ent. Une explication pourrait
être fournie par la capacité d'intégration d'une dém arche apte à construire du sens
dépassant le sim ple droit à l'opinion. Dans le cas des com m unautés souvent
hétérogènes (espaces virtuels de prise de parole) cette capacité est souvent
m anquante.
Si nous prenions le cas des certains forum s de discussion à usage inform atif
reconvertis en outil éducatif 4 nous constatons l'im m ense décalage persistant entre
l'em ploi d'une technique (ou d'un outil) et les finalités pédagogiques. D'où le fait que
l'esprit critique et la form ation préalable nécessaire non seulem ent à la
com préhension m ais égalem ent à la structuration d'un processus d'apprentissage
présupposant des codes clairs et des norm es éthiques en dehors desquels il est
im possible de com m uniquer, doivent être m is au centre de l'actualité d'un
enseignement visant l'éducation globale aux m édias. Cette éducation doit être conçue
autant au niveau spécifique (durant les cours de comm unication) que d'une m anière
transversale traduisant un véritable projet éducatif destiné à la form ation intégrale de
la personnalité de l'élève ou de l'apprenant.
4 Nous notons la préférence de certains enseignants de l'enseignem ent secondaire pour le réseau social
de type Facebook em ployé en tant que m oyen de com m unication avec les élèves, tout comm e le fait
que ce réseau a pu servir d'espace de partage d'information, de site (lieu, locus) de dépôt de devoirs ou
des consignes alors que sa fonction initiale ne correspondait en rien à ce type d'usage, sans parler des
conséquences que cette pratique pseudo-pédagogique puisse engendrer. Ces aspects que nous
qualifierons de dérives montrent clairem ent les lim ites de la com préhension de l'usage du m oyen
technique, presque parfait corolaire d'une m odernité en rupture entre le calcul (la technique) et
l'hum ain dans sa dim ension identitaire, affective et com m unicative. A cet effet nous recom m anderons
la conférence sur les lim ites de la raison scientifique m oderne d'Olivier Frérot (polytechnicien et
enseignant) qui procède à un bref éclairage historique de l'évolution de la pensée m oderne :
https:/ / www.youtube.com/ watch?v=GXMxxGfjuM0 .
3
A notre avis il est im portant de conjuguer pratiques pédagogiques classiques dans
l'enseignem ent de la com m unication et approches de terrain. En ce sens, le travail sur
des outils com m e docum entaires, vidéos et im m ersions sur le vif (spectacles,
réunions-débats, expositions, visites de galeries ou de musées, ..) reste un form idable
m oyen d'appropriation à la fois des nouveaux savoirs avec la sensibilisation à
l'esthétique, et une m ise en pratique des principaux concepts véhiculés par les
sciences de la com m unication.
La m ise en pratique outre le fait d'une visualisation génère très probablem ent des
attitudes positives, respectueuses pouvant déboucher sur des pistes nouvelles
d'exploration d'attitudes, de prédispositions, d'aptitudes et d'autres qualités
correspondant au vocabulaire de la psychologie positive et à l'authenticité de
l'apprentissage et que certains auteurs associent à un état positif de joie.
M. Csikszentm ihalyi évoque dans son livre 5 l’im portance de l’éducation accordée à la
conscience et im plicitem ent au bonheur. Selon ce psychologue, il est facile de traduire
nos ém otions, les ém otions négatives inclus en y prêtant attention : ce n’est pas dans
un m onde pleinem ent heureux que nous vivons (sans peurs et sans dureté), m ais c'est
notre aptitude fondam entale de transcender ces obstacles qui pourrait constituer le
prem ier pas vers le changem ent. Le changem ent est ici com pris com m e
l’appropriation d’un nouveau m onde potentiellem ent heureux.
Les travaux réalisés ont m ontré que les artistes et en général les esprits créatifs vivent
ce qu’on appelle l’expérience optim ale qui se m anifeste comm e bonheur. En y
rattachant la conception d’une éthique com m e ouvrant au passage obligé vers la
rencontre avec soi et l’autre, il est possible de com prendre l’état de création artistique
com m e étant à la fois le résultat et la source d’un bonheur habitant la conscience de
l’artiste et du spectateur. Cet état équivaut à une sorte d’oubli de soi, tout le contraire
du repli. C’est l’ouverture, l’extériorité de l’intim ité, le langage retrouvé dans un
m onde encom bré par des im ages dépourvues de sens.
Dans l’approche centrée sur la personne (approche à la fois éducative et artistique) on
quitte le centre d’un soi égoïste pour retrouver le centre (la conscience) d’un bonheur
partagé. Nous quittons la virtualité pour nous plonger dans le cœur du réel, ce réel
qui n’est autre que la conscience de soi, condition fondam entale à la reconquête de
notre place sociale.
Cad re m é th o d o lo giqu e
« Quand j’analy se très attentivem ent les m aîtres en politique et en religion, je doute violem ent sur le
sens profond de leur activité. Était-ce le bien ? Était-ce le m al ? En revanche je n’éprouve aucune
hésitation devant certains esprits. Ils ne recherchent que les actes nobles et sublim es. Ils passion nent
donc les hom m es et les exaltent, sans qu’ils s’en rendent com pte. Je découvre cette loi pratique dans
les grands artistes et ensuite dans les grands savants. Les résultats de la recherche n’exaltent ni ne
passionnent. Mais l’effet tenace pour com prendre et le travail intellectuel pour recevoir et pour
traduire transform ent l’hom m e. »
(Albert Einstein, « Com m ent je vois le m onde », Flam m arion, 1979)
5 Il s’agit du livre Vivre, La psy chologie du bonheur (en anglais, Flow : the psychology of optim al
experience), paru aux Editions Laffont, 20 0 4.
4
Qu’est-ce que l’éthique si ce n’est une traduction des tem ps m odernes ? Mais c’est
avant tout l’effort de com prendre, cette exaltation faisant office de loi pratique dont
parlait Einstein et qui nous pousse à travailler et à observer les transform ations que
nos actions engendrent, et en m êm e tem ps nous encourage à nous exprim er, à
apprendre à écouter les autres, à s'auto-responsabiliser en agissant à bons escient.
Pourquoi parle-t-on aujourd’hui tant d’éthique ? Quelle est la place de la morale, si
toutefois il en reste encore une ?
L'éthique sem ble se m ontrer discrète en se relevant aux esprits recherchant un sens
pour les actions qu'ils accom plissent. Elle sem ble s'em parer des m ots qui ne peuvent
pas toujours être dits m ais seulem ent traduits, transform és, m étam orphosés dans
d'autres form es tout aussi tangibles que la parole, car l'éthique est respectueuse et
soucieuse. De soi et des autres (P. Ricœur, 1994).
Pris par des préoccupations diverses nous nous exprim ons, nous m ontrons tout ce
que nous savons faire, parfois m aladroitem ent, parfois avec plus d’adresse. Par
contre, ce que nous m ontrons m oins relève de notre individualité : nos peurs, nos
soucis, notre altérité. Ces aspects sont-ils réservés à l’éthique et à la com m unication
authentique ? Notre pratique en tém oigne.
C. Rogers soulignait la posture authentique com m e ém inemm ent respectueuse.
Malgré quelques interprétations fallacieuses donnant lieu à des dérives
com m unicationnelles 6 , l'apport de C. Roger à la pédagogie souligne la nécessité de
prendre en com pte la com m unication com m e étant respectueuse de la personne.
Pour notre part, cette approche est indispensable pour la com préhension des
rapports com plexes existant entre l'acte d'apprendre et la perspective hum aniste
d'éducation. Par conséquent il est im possible de dissocier notre dém arche d'analyse
du contexte et des enjeux éthiques.
« Je crois que l’art est la plus haute expression de l’esprit hum ain.
Je crois que nous aspirons à transcender le fini et l’éphém ère… que cette aspiration est aussi
puissante chez l’être hum ain que le besoin de reproduire l’espèce.
A travers le local ou le régional, à travers nos voix individuelles, nous travaillons à créer des œ uvres
d’art capables de parler à des gens qui ne savent rien de nous. Du caractère indirect m êm e de cette
relation naît une intim ité inattendue.
La voix individuelle est la voix collective.
La voix régionale est la voix universelle. »
(J oyce Carol Oates, La foi d’un écrivain, 20 0 4)
L’art est une form e de com m unication sociale. L'art transgresse les barrières, fait
tom ber les m asques qui nous rendent opaques à nous-m êm es et à l’extérieur, œuvre à
ébranler ce qu’on pourrait appeler l’équilibre statique synonym e d’im m obilism e. L’art
6Il faudrait souligner le fait que ces dernières années les stages de form ation en com m unication s'étant
m ultipliés, les approches se rélévant des travaux de C. Rogers n'ont le plus souvent rien à voir avec
cette philosophie.
5
peut donner les m oyens pour accéder à un état de joie, de paix, d’équilibre
dynam ique.
En ce sens il crée les conditions d’ém ergence du bonheur vers lequel nous aspirons
tous : « L’art dans ses m odes de dévoilem ent perm anent, ouvre dans le m onde ce qui
jusqu’alors n’était nulle part ailleurs, ni en attente, ni en puissance, ni en acte, ni en
som m eil. » (Salignon, 20 0 6). C’est en cela que nous pouvons affirm er que l’art crée la
vie, la récrée à sa m anière, car il s’em ploie à fouiller dans les endroits les plus
obscures de notre conscience, de nos préjugés (autant de blocages psychiques et
affectifs) qui nous habitent en nous rendant étrangers à nous-m êm es.
En étant anim é par un sens de responsabilité sociale (le sens éthique de l’art), l’artiste
se com m unique Soi tout en com m unicant, en dialoguant avec l’Autre. A travers ces
interactions, l'artiste crée les conditions (tout de m oins c’est ce qu’il espère) pour que
le spectateur puisse se com prendre soi-m êm e car en se com prenant, le spectateur
peut nouer à son tour des relations authentiques avec ses sem blables et pourquoi pas,
avec l’univers tout entier.
Le travail d’un artiste est avant tout un travail d’attention, tout comm e une
im m ersion dans les profondeurs d'un inconscient collectif. Souvent le détail
sym bolique revêt une valeur que l’on pourrait qualifier d’esthétique-éthique
débouchant sur des approches qui sont égalem ent celles du m onde de l’éducation et
de l’apprentissage, les deux pilons « qui rendent la vie navigable » (J .C. Oates, 1973).
C'est pour cette raison que l’art joue le rôle d’éveilleur de consciences en apportant
une présence, un regard, une vision.
6
Le rô le d e l'art d an s l'e n s e ign e m e n t d e la co m m u n icatio n
Si nous nous référons à l'art, ce n'est pas par une sim ple adition d'enseignem ent ; en
ce cas nous parlerions plutôt d'une approche pluri ou multidisciplinaire. Ce que nous
aim erions souligner vise davantage la perception globale des enjeux éducatifs qui
restent profondém ent tributaires à des logiques culturelles et politiques et de par cela
soum is à des im pératifs de résultat.
L'opérationnalité, l'em ploy abilité, l'utilisation de la ressource hum aine, ... voici
quelques-uns des concepts de la sphère du m anagem ent qui prennent petit à petit le
pas sur le m onde de l'éducation ; or nous som m es contraints de reconnaître que la
m odernité avec ses logiques duales, logiques de séparation voire de rupture 7 traverse
une crise 8 sans précédent et qui se fait ressentir à tous les niveaux de la vie sociale.
Pour la question qui nous y préoccupe, cette crise se traduit par une im possibilité
quasi généralisée de trouver ou de retrouver le sens perdu.
Cette situation est d'autant plus visible à travers la com m unication identifiant
notam m ent une perte de langage et de sa richesse, une pléthore d'expressions
herm étiques renferm ant certaines catégories de jeunes dans des com m unautés très
étroites (codes, norm es sous-jacentes, appartenances - refus d'appartenance,
désengagem ent, révolte) pour aboutir finalem ent à une profonde incom préhension et
un état de lieux pour le m oins navrant (l'incom m unication) dont les enseignants
continuent d'être désignés à la fois com m e des porte-parole et des bâtisseurs de paix.
L’art en tant que dom aine philosophique, esthétique, scientifique 9 fait partie
intégrante de nos vies. Sans toujours afficher un objectif clairem ent identifié com m e
esthétique, l’art ém eut, « transm ue la réalité en ry thm e, en battem ent, en quelque
chose qui n’offre plus de prise aux concepts, aux significations, aux form es form elles.
C’est en ceci qu’il donne de l’avenir une idée légère et fuy ante. » (Salignon, 20 0 6)
7 Nous soulignons la préférence quasi-systém atique pour les sciences dites dures, la prim auté des
m athém atiques perm ettant la m odélisation du réel.
8 Notre analyse de cette crise m ulti-niveaux a fait l'objet d'une étude précédente (C. Sapta,
L’art et l’éthique intègrent tous deux cette nouvelle conception de l’existence dans son
urgence d’écologisation, à l’intérieur de laquelle la science (les sciences) joue un rôle
qui est loin d’être négligeable. Mais la science seule ne suffit plus com m e
échappatoire. Nous avons vu que la révolution technique n’a pas apporté que du
bonheur. Au contraire.
Par conséquent pourquoi ne pas pratiquer une révision des choses car « la science
n’épuise pas la nature de l’être, il y a place pour l’au-delà de la réalité qui est la
recherche de l’absolu, et cette recherche peut être m enée par l’art, m ais aussi par
l’am our, parfois les deux réunis. » (Pierrat, 1995)
Une vision intégrative art-sciences n'est-elle préférable étant donné que c’est à la
jonction de deux hém isphères que l’éthique s’exprim e ?
L’éthique doit œuvrer plus que jam ais car elle doit réenfanter la m orale. (Pierrat,
1995)
« La survie des êtres vivants dépend de l'inform ation convenable ou non qu'ils reçoivent sur leur
environnem ent »
(Paul W atzlaw ick, La réalité de la réalité, Éditions du Seuil, 1978 )
Afin d'illustrer nos propos quant au rôle de l'art dans l'enseignem ent de la
com m unication nous avons choisi d'interpréter une situation artistique en term es
d'interactions 10 .
Une situation artistique joue sur des registres de grande subtilité, en m aniant des
concepts, des idées, des engagem ents sociaux. Entrer en relation de com munication
avec une œuvre d'art (installation, sculpture, tableau, ..) présuppose la saisie d'une
opportunité ouverte au dialogue. Car c’est grâce au dialogue, à l’im plication
consciente, réfléchie et responsable des êtres hum ains que la barrière de la peur, de la
fuite, de l’incom préhension peut être franchie en toute liberté. Il faut reconnaître
10 Nos propos s'inspirent de l'approche systém ique en com m unication (la théorie des interactions) de
l'École de Palo Alto dont les principaux prom oteurs sont G. Bateson, P. Watzlawick, J . Weakland, en
m êm e tem ps des travaux en com m unication positive de C. Rogers. Quant à ce dernier, à notre avis il
m ériterait d'être souligné que sa vision de l'éducation ne peut s'appliquer que dans le cadre d'un
enseignem ent facultatif concernant une population autonom e et responsable (un enseignement
universitaire, par ex.); contrairement à l'opinion com m uném ent form ée quant au rôle passif de
l'enseignant (souvent confondu avec un form ateur), cette attitude ne dispense en rien l'enseignant
d'assurer son rôle de spécialiste et dont incombe la charge de l'organisation de l'enseignem ent.
L'enseignant se doit d'être capable d'im pulser une dynam ique d'apprentissage.
8
qu’entre la perspective visuelle et celle cognitive il y a une certaine distance et le
chem in n’est pas sans encom bre.
Dans sa théorie psychologique des interactions, J . Weakland (1977) m ontre qu’il est
fréquent d’analyser une relation établie entre les différents élém ents interagissant
préférentiellem ent en fonction des principaux points d’intérêt (par ex., on se
concentre plutôt sur le parcours voire sur les attitudes, sur la valeur qui est en jeu ou
le sens qu’on donne à nos actes, …). Tout com pte fait, c’est l’analyse opérée qui est
susceptible de m odifier la relation, en intervenant dans la relation elle-m êm e, et de
par cela, en créant ce qu’on appelle les situations de com m unication. Cette évolution
de parcours (on insiste plutôt sur la m ouvance de la relation en cours que sur les
causes initiales ou les effets attendus) im plique un certain coefficient de
« responsabilité partagée ». Arrivés à ce point, nous com prenons m ieux le rapport
entre responsabilité et éthique dans le cas précis de ce travail artistique.
C’est dans la structuration de cette relation duale et relativem ent com plexe que l’on
pourrait parler d’une éthique de la com m unication. L'interaction est définie par les
élém ents de la contribution. Ainsi il existe la possibilité de poursuivre ou non la
relation proposée ou envisagée com m e possibilité. Dans tous les cas on peut parler
d’un engagem ent affectif et effectif en toute responsabilité. En conséquence on
dispose d’un élém ent supplém entaire d’analy se de soi ce qui traduit le fait que l'on se
construit dans la rencontre, respectivem ent « on perd son tem ps quand on ne sait
pas rencontrer l’autre. » (J acquard, 20 10 )
L’axe central constitutif de ce type d'interaction est repérable dans la valeur que
chacun des actants est disposée à donner. Ce sont les graduations de valeur et de sens
qui im priment le m ouvem ent dont on ne sait souvent rien au départ et l’artiste encore
m oins. C’est la raison pour laquelle la véritable difficulté pour l’artiste faisant acte
pédagogique - acte de com m unication réside dans le passage effectif à l’acte de
com m unication de son œuvre 11.
Nous rappelons que la connaissance correspond à une im brication com plexe faite
d'états, de dispositions et de perceptions qui peuvent être am plifiées et soutenues par
des élém ents com m e l'attention, la connaissance préalable de certains faits ayant trait
au sujet, la capacité d'interrogation de la perspective de pensée de l'ém etteur et la
réception du m essage. Le véritable m essage dialogique 12 de l’art réside dans le
chem inem ent de la pensée et la constitution du savoir. Un chem inem ent consentant,
car « devant l’œ uvre d’art, l’être s’entrouvre, il passe du côté du réel, du vide, du
souffle, où ce qui articule circule dans l’au-delà des form es et des catégories de la
form e et au travers d’elles. Ces traversées nous traversent tout aussi – elles m ettent
le corps en m ouvem ent. Y consentir est une chance. » (Salignon, 20 0 6)
Il est fort probable que lorsqu'on enseigne la com m unication, certaines personnes
n'iront m ontrer aucun signe de curiosité : aucun signal envoyé par le regard, par le
geste ou la prise effective de parole. Dans la prem ière situation, les apprenants
préfèrent se concentrer sur d'autres tâches surtout si les m oyens num ériques sont
autorisés en cours. Concernant la réponse gestuelle nous entendons une absence de
participation dans le sens visant l'essai d'une co-structuration des contenus, de
l'apport d'élém ents pouvant servir de base ou de m odèle, ou de la création de m ini
desseins ou de prototypes com m unicationnels de type audio et/ ou visuel. Quant à la
prise de parole, les possibles interprétations de signification restent absentes.
Nous pourrions appeler cette attitude une attitude du type détournem ent qui dans
l'acception de R. Feynm an (Prix Nobel de Physique, 1965) revêt une certaine form e
d’irresponsabilité sociale.
Ces aspects font que l'action de com m unication n'est pas seulem ent une nécessité,
m ais qu'elle se doit d'être une action profondém ent responsable, authentique et
respectueuse de l'autre.
12 Ce term e est em ployé par E. Morin, en faisant appel à la complexité du dialogue permettant la
cohabitation des logiques diverses, parfois contraires et antagonistes, m ais agissant avant tout comm e
des vecteurs culturels en charge de la structuration d’un savoir requis par la société com plexe. Afin
d’approfondir ce concept, nous suggèrerions la lecture de son livre, « Mes dém ons », Stock, 1994.
10
C'est pour cela que l'étude et la pratique de la com m unication constituent des
élém ents indispensables à l'établissem ent des relations harm onieuses au sein d'une
société.
Dans le cas d'une approche artistique de type visite de galerie ou d'exposition 13 avec
explication du processus com m unicationnel engendré par l'acte artistique, c'est
l'expérience de vie (au besoin réitérée) qui perm et une m ise authentique en dialogue.
Néanm oins afin qu'il soit constructif et porteur de connaissance, le dialogue nécessite
écoute. L'écoute reste l'un des élém ents prioritaires requérant développem ent dans
un cadre de com m unication via une approche artistique ou autre, car en son absence
nulle connaissance n'est possible.
C’est en fonction de ce savoir constitué que nous pouvons aborder cette fois-ci la
résultante culturelle de l’expérience créative en term es d’effets. S’ouvrir à une autre
pensée est parfois déconcentrant m ais tellem ent form ateur 14 !
Dans ce sens, il nous sem ble possible de dégager trois m om ents qui correspondent
avant tout à des expériences de vie (expériences sociales et culturelles) :
Notre analyse ne serait pas com plète si nous ne prêtions pas attention au
questionnem ent du concept d'auto-responsabilisation. Bien que chaque apprenant se
place sur l’orbite d’une structure à dom inante culturelle selon ses propres besoins 15 et
représentations ou références, l'enseignem ent de la com m unication interpersonnelle
doit im pulser rappelons-le, une dynam ique favorisant l'auto-responsabilité.
La com munication interpersonnelle m ettant au centre la personne facilité la
com préhension. Or com préhension veut dire responsabilisation. Ce va et vient
incessant entre la m esure de la responsabilité et de l'irresponsabilité dont l'acte de
com m unication se fait tém oin, traduit une tentative plus ou m oins aboutie de
transform ation que pourrait subir un ''je individuel'' à la recherche d'un ''je capable
de saisir des enjeux collectifs''.
13 A ce titre, le cas des installations - perform ances (com portant notamm ent des sculptures) peut
constituer un excellent cadre d'étude. Nous entendons par le terme visite également une possibilité de
visite virtuelle si toutefois un déplacement n'est pas envisagé.
14 Nous com prenons ce terme à travers l'angle de l'expérience de vie.
15 Nous faisons référence aux besoins évoqués par C. Rogers.
11
Co n clu s io n
Pour une raison secrète, l’art et l’apprentissage restent universels et très personnels.
E. Morin définissait la culture com m e une pédagogie du savoir : on s’ouvre à la
culture par la transm ission, la découverte du sens et l’intégration des nouvelles
form es et des nouveaux produits qui enrichissent les anciens. De par cela la culture
est un processus dynam ique à l’intérieur duquel la pédagogie joue le rôle catalyseur.
L’enseignem ent de l’art et de la com m unication com m e art devrait être le prem ier pas
vers une com préhension dynam ique (en action) de la transdisciplinarité. L'acte de
m ener à bien nos actions repose sur nos attitudes face à l'action. Nous ne pouvons
faire fi de nos attitudes dans l’acte de compréhension (de l’autre, de soi-m êm e, de
notre m onde) car ce sont ém inem m ent ces attitudes qui nous guident dans
l’appropriation du savoir. L'un de ces savoirs serait de découvrir (et la
com m unication sera là pour nous apprendre com m ent) le véritable m essage de l’art.
En com prenant l’œuvre d’art, nous nous com prenons. Cette action n’est guère
sim pliste car la com préhension dont il est question, dépasse l’idée que nous nous
faisons généralem ent de la com préhension. Il s’agit de quelque chose de plus
profond, allant au-delà de la com préhension intellectuelle (dont nous nous exerçons à
l’aide des concepts) pour plonger au cœur de l’ém otion. Cette ém otion vraie traduit
une action de résonance, de sym pathie ou de bienveillance envers l’œuvre d’art.
« C’est la raison pour laquelle il faut y consentir, se laisser accéder, sinon l’accès à la
vérité est refusé et avec lui l’accès à l’œ uvre et au réel échappe à toute précision,
logique ou conceptualisation. » (Salignon, 20 0 6)
Il nous reste donc à ''apprendre à com prendre'' autrem ent que par l’intellect ou la
raison et cela pour des raisons éthiques. C'est l'éthique entourant toute connaissance
qui est capable de dévoiler le réel sous une m ultitude d'approches et non uniquem ent
technicistes.
En tout cas, il est de notre devoir de tenter l'expérience car en retrouvant l’essence,
nous oublions l’étrangéité qui nous habite pour retrouver notre hum anité. Nous
passerons ainsi du qu’est-ce que c’est ? à qui suis-je ? Et dans l’équation du savoir
(perception – interaction – transform ation) chacun d’entre nous (entre)tient un rôle
actif pouvant changer le m onde.
Bibliographie sélective
12
Levi Strauss Claude « L’anthropologie face aux problèm es du m onde moderne »,
Seuil 20 11
Morin Edgar « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur », Seuil, 20 0 0
Oates J oyce Carol « La foi d’un écrivain », Philippe Rey, 20 0 4
Odier Géneviève « Carl Rogers, être vraim ent soi-m êm e : l'approche centrée sur la
personne », Paris, Eyrolles, 20 12
Pierrat Bernard « Le sens caché des choses », Ed. La nuée bleu, 1995
Rogers Carl « Le développem ent de la personne », Ed. Dunod, 1967 et Eyrolles, 20 12
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