Les Grandes Batailles de L'histoire

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STUDYRAMA

■ Les croisades
■ La prise de Jérusalem

■ Le contexte : la croisade contre les Albigeois (1208-1244)


■ Le sac de Béziers

■ Le douloureux contexte de la guerre de Cent Ans


■ La bataille
■ Iéna
■ Auerstedt

■ Borodino
■ Moscou
■ La Berezina
■ L’offensive allemande vers l’ouest
■ La percée de Sedan
■ La victoire allemande
■ La bataille de Stalingrad (septembre 1942-février 1943)
■ Koursk (juillet-août 1943)

■ L’offensive de Rommel
■ El-Alamein

■ La bataille de la mer de Corail (4-8 mai 1942)


■ La bataille de Midway (3-6 juin 1942)
■ La bataille de Guadalcanal

■ Iwo Jima (15 février-26 mars 1945)


■ Okinawa (1er avril-21 juin 1945)
■ Ouvrages
■ Presse écrite
■ Sites internet
Qadesh, Salamine, Alésia, Azincourt, Bouvines, Lépante, mais aussi
Austerlitz, Iéna, Camerone, Sedan, Verdun, Stalingrad, El-Alamein, Diên
Biên Phu… sont autant de batailles évocatrices de l’histoire de
l’Humanité.
Cet ouvrage entend présenter l’histoire des batailles survenues à travers le
monde, non seulement les plus célèbres, mais aussi les plus importantes,
tant par leurs effectifs que par leurs conséquences militaires, politiques ou
même religieuses. Il s’agit également de faire connaissance avec ceux qui y
ont participé et ont orienté l’histoire des peuples, positivement ou
négativement.
L’intérêt que présente chaque bataille correspond non seulement à la
possibilité de retracer les enjeux qui poussèrent des hommes à s’affronter,
mais aussi à observer les cultures selon différentes époques.
Si l’Occident, et plus particulièrement la France, occupe ici une place
privilégiée, il faut se rappeler que les grandes batailles de l’Histoire eurent
très souvent une origine européenne, qu’elles se soient déroulées sur le
sol européen même ou qu’elles aient été provoquées à l’instigation
d’Européens, comme les croisades, par exemple.

D’après le Hachette, le mot « bataille » signifie «


. La bataille peut être livrée dans
diverses conditions, selon qu’on l’engage, qu’on l’accepte ou qu’on la
subit. Elle peut être offensive ou défensive, organisée par avance ou
survenue par surprise.
Ainsi, en plus du classique affrontement de plusieurs belligérants sur un
champ de bataille, l’auteur a choisi de traiter également des sièges et des
opérations ayant eux aussi utilisé la stratégie et la tactique pour livrer et
conduire le combat afin de parvenir à un objectif politique. Par exemple,
le siège de Jérusalem à l’époque des croisades et celui de Stalingrad
pendant la Seconde Guerre mondiale. Ou encore, l’opération Tempête
du désert, qui dépasse la définition de la « bataille » pour entrer dans celle
de la « guerre », «
( Hachette), comme la plupart des
affrontements ayant eu lieu depuis 1945.
À la lecture de cet ouvrage, on sera conscient qu’il n’existe pas
véritablement d’art de gagner des batailles et que les fautes de l’un des
belligérants jouent souvent un grand rôle dans la victoire de son ennemi.

Aujourd’hui, la guerre a changé et peu de batailles au sens classique du


terme ont été enregistrées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En effet, le recours à la bombe atomique par les Américains contre le
Japon, à l’été 1945, devait par la suite provoquer une telle crainte de
l’arme nucléaire que l’idée même de risquer une troisième guerre
mondiale qui ne manquerait pas d’être apocalyptique, les pays pouvant
être littéralement anéantis en une seule frappe, fut prise en considération.
De peur d’une escalade, les batailles furent alors de plus en plus limitées
et l’on entra dans la Guerre froide, caractérisée par des affrontements
indirects entre les deux « Super Grands », les États-Unis et l’URSS, et
marquée par le début de la dissuasion nucléaire.
Depuis l’implosion de l’Union soviétique en 1991, qui a entraîné la
disparition du système de bipolarisation propre à la Guerre froide, les
conflits périphériques « de bloc à bloc » ont disparu pour laisser le plus
souvent la place à des guerres civiles. Quant à la dissuasion nucléaire, elle
reste d’actualité puisqu’elle a jusqu’ici permis, par sa capacité de
destruction, d’éviter des batailles bien plus meurtrières que toutes celles
que l’Histoire a connues.
À l’aube du XXIe siècle, ce sont les bombes des terroristes et la guérilla qui
tendent à remplacer le bruit des canons qui avaient résonné pendant des
siècles. La « bataille » traditionnelle, au centre de l’activité guerrière, est
en voie de disparition…
La situation de l’Égypte au XIVe siècle avant notre ère est celle de l’âge
d’or, né avec la XVIIIe dynastie. Celle-ci marque le début du Nouvel
Empire qui va durer cinq siècles, de 1552 environ à 1070 avant notre ère.
L’un des premiers pharaons de cette période, Thoutmosis III (1458-1425
av. J.-C.), se lance dans de vastes conquêtes en direction de l’Asie, qui
font de l’Égypte un empire allant de la Nubie, au sud, à l’Euphrate, au
nord.
Un siècle plus tard, le règne d’Aménophis IV (1352-1338 av. J.-C.), époux
de la célèbre Néfertiti, est marqué par l’abandon du culte d’Amon en
faveur d’une nouvelle religion monothéiste reposant sur l’adoration du
disque solaire, Aton. Le pharaon, qui prend alors le nom
d’« Akhenaton », entend réduire ainsi le pouvoir du clergé thébain1.
Son successeur, Toutankhamon (1336-1327 av. J.-C.), se heurte à
l’hostilité des conservateurs et du clergé, et restaure l’ancienne religion.
C’est à l’occasion de cette période d’instabilité religieuse que l’Égypte,
fragilisée, voit les Hittites (un peuple de l’actuelle Turquie) s’emparer de
ses possessions en Syrie et en Palestine.

Ce peuple d’Anatolie orientale est issu du mélange entre les


autochtones et des Indo-Européens arrivés au début du IIe millénaire
avant notre ère2. Ayant constitué un empire, ils s’étendent au
XVIe siècle av. J.-C. en Syrie du Nord et affrontent les Babyloniens en
1530 av. J.-C. Après une période d’instabilité et d’affrontement avec
l’empire Mitanni (couvrant l’Arménie, la Syrie et l’Assyrie au XVe et au
XIVe siècle avant notre ère), la puissance hittite, qui bénéficie de l’usage
du char et des mines de fer d’Anatolie, culmine aux XIVe et XIIIe siècles
av. J.-C., où elle s’équilibre avec celle de l’Égypte (Qadesh).
L’Empire hittite disparaît au XIIe siècle av. J.-C., à la suite de l’invasion
des peuples de la mer venus des côtes et des îles de la mer Égée.

À partir du règne du dynamique pharaon Séthi Ier (v. 1294-1279 av. J.-
C.), l’Égypte entame la reconquête des territoires perdus et récupère la
Palestine. Son fils Ramsès II (1279-1212) décide, dès son arrivée au
pouvoir, de poursuivre l’œuvre de son père et de reprendre la Syrie aux
Hittites.
Quatre ans après le début de son règne, il commence par s’emparer de
l’Amourrou, un État sur la côte syrienne, puis il retrouve l’Égypte afin de
préparer une nouvelle campagne.
Le pharaon veut avant tout s’emparer de Qadesh (actuelle Tell Nebri
Mend), une ville fortifiée sur l’Oronte, en Syrie, qui avait déjà été
conquise une première fois en 1450 par Thoutmosis III. Qadesh présente
un intérêt particulier puisque son emplacement a une grande importance
stratégique : c’est à la fois un point de passage entre la Syrie et la
Palestine, et entre le fleuve Euphrate et la Méditerranée.

Ramsès II réunit une puissante armée comprenant 20 000 hommes


répartis dans quatre divisions placées chacune sous la protection d’un dieu
(les armées d’Amon, de Ptah, de Rê et de Seth), ainsi que le corps d’élite
de soldats, les Naârin, et sa garde royale de mercenaires des Shardanes.
Face au pharaon, le roi hittite Muwatalli est à la tête d’une importante
coalition car 18 princes vassaux se sont joints à lui. Il dispose ainsi de
35 000 hommes d’infanterie et de 3 500 chars.
Au printemps 1274, les troupes de Ramsès quittent l’Égypte les unes
après les autres pour gagner Qadesh en l’espace d’environ un mois par
voie de terre, en longeant le littoral de la Palestine et du Liban.

Lorsque Ramsès II parvient aux abords de Qadesh, il ne sait pas où se


trouve son adversaire. Interrogeant deux Bédouins sur les positions de
l’armée hittite, il apprend que l’ennemi se trouve à 200 kilomètres plus au
nord. Mais Ramsès II ignore que les Bédouins sont envoyés par Muwatalli
et viennent de lui transmettre de fausses informations. En réalité, l’armée
hittite est dissimulée derrière les remparts de Qadesh.
Accompagné de la division d’Amon qu’il dirige personnellement, des
Naârin et de la garde royale, Ramsès installe son campement au nord-
ouest de Qadesh. Croyant que l’ennemi est encore loin, le souverain
égyptien donne l’ordre d’assiéger la forteresse. Deux éclaireurs hittites,
faits prisonniers par les Égyptiens, révèlent sous la torture la véritable
situation. Mais il est trop tard pour se préparer à riposter, d’autant que
l’armée égyptienne s’étire sur 30 kilomètres.
Les Hittites profitent du passage sur l’Oronte des troupes de la division
de Rê (le 2e corps égyptien) pour les prendre par surprise. Très vite, la
division de Rê est coupée en deux et ses hommes sont massacrés par les 2
500 chars hittites. Galvanisés par cette première victoire, les Hittites se
dirigent ensuite vers le camp de Ramsès. Les survivants de la division de
Rê ayant pu atteindre le camp donnent l’alerte, mais, en racontant
l’horreur de l’attaque hittite, ils sèment la panique.
La division d’Amon choisit de s’enfuir et seuls les combattants de la garde
royale restent aux côtés du pharaon pour affronter l’ennemi. Tandis que
ceux-ci résistent courageusement autour du char de Ramsès, les Hittites
mettent à sac le bivouac égyptien. Ramsès réagit promptement et, tout en
combattant courageusement contre les redoutables chars hittites qu’il
parvient à contenir, il envoie des messagers chargés de faire venir des
renforts. Il s’agit notamment de faire accélérer les divisions Ptah et Seth
qui, fermant la marche de l’expédition militaire égyptienne, n’ont pas
encore rejoint le reste de l’armée.
Alors qu’ils pensaient l’emporter, les Hittites ont la surprise de voir surgir
les Naârin, qui contre-attaquent courageusement. Devant un tel exemple,
les hommes de la division d’Amon, qui avaient d’abord refusé de défendre
le campement, se ressaisissent et se lancent à leur tour contre les Hittites.
Ils forcent le passage dans les rangs ennemis, qui sont contraints de
reculer sur l’Oronte. Malgré le millier de chars envoyés en renfort par
Muwatalli, les Hittites sont débordés.
Lorsque les combats cessent en fin de journée, les Égyptiens sont maîtres
de la situation, en dépit de très lourdes pertes. Toutefois, l’assaut lancé
par les Égyptiens contre Qadesh échoue car la forteresse résiste.
La bataille reprend le lendemain, alors que l’armée égyptienne est
renforcée par les divisions Ptah et Seth, ce qui tend à équilibrer les
effectifs des deux belligérants.

Conscient de la menace égyptienne, le roi hittite propose rapidement de


cesser les combats. Ramsès y consent et la bataille de Qadesh s’achève
ainsi, sans réel vainqueur. En effet, bien que Ramsès ait fait preuve d’un
grand courage, le sort de la bataille s’est surtout joué grâce à
l’arrivée des renforts égyptiens. Mais le pharaon considère pourtant cette
bataille comme l’une de ses plus grandes victoires, sans doute parce qu’il a
réussi à compenser l’infériorité numérique de départ et à renverser la
situation, malgré l’embuscade des Hittites.
En dépit de cette victoire tactique, l’Égypte ne récupère pas la Syrie,
puisque Ramsès renonce à Qadesh et à l’Amourrou.
Il faut encore attendre 16 ans pour que soit signé en 1258 un traité de
paix entre Ramsès II et le successeur de Muwatalli, Hattusili II, complété
d’une alliance défensive. Le traité concerne notamment le partage des
terres et, à cette occasion, la frontière est délimitée sur l’Oronte. Pour
sceller cette nouvelle amitié, des liens familiaux sont établis : Ramsès II
épouse la fille du roi hittite.
La menace grandissante des Assyriens a ainsi eu raison des vieilles
rancunes…

Les bas-reliefs des temples (Abou Simbel, Karnak, Louxor, etc.) édifiés au
cours de son règne par Ramsès II, grand bâtisseur, représentent les
victoires remportées par ce grand pharaon, dont Qadesh.
Cette bataille est la première de l’Histoire à avoir laissé des témoignages
détaillés de son déroulement.
Dans la seconde moitié du VIe siècle avant notre ère, l’Empire perse (du
grec « », désignant à l’origine la région située au sud de l’Iran)
s’étend des frontières occidentales de l’Inde jusqu’à l’Égypte, englobant
l’Asie mineure, la Mésopotamie et la Syrie-Phénicie.
L’empire est alors gouverné par l’empereur Darius Ier (521-486 av. J.-C.),
troisième souverain de la dynastie des Achéménides fondée par Cyrus le
Grand en 559 av. J.-C.

Les Grecs, bien que désunis par la rivalité entre les grandes cités, sont le
seul peuple voisin encore insoumis, à l’exception des cités grecques
situées en Asie mineure. C’est dans cette région qu’en 499 av. J.-C., la
révolte des îles grecques d’Ionie (encouragée par la récente défaite de
Darius devant les nomades scythes), durement réprimée, met le feu aux
poudres.
Les Athéniens, que la cité de Milet avait appelés au secours, soutiennent
la révolte des Ioniens. Ils envoient 20 bateaux qui débarquent en Asie
mineure, tandis que la ville d’Érétrie en envoie cinq. Forts de ce soutien,
les Ioniens s’en prennent par surprise à la ville perse de Sardes, capitale de
la province de Satrapie, qu’ils incendient. Les Perses interviennent,
battant les Ioniens à Éphèse, reprenant Chypre et détruisant le port de
Milet en 494 av. J.-C.
La destruction de Sardes a fait naître chez Darius une telle rancune
qu’avant chacun de ses repas, un serviteur doit désormais lui répéter
« …

C’est ainsi que commence la première guerre médique, qui oppose les
Perses (les Mèdes) aux Grecs. Désireux de se venger d’Athènes, Darius
ouvre les hostilités en 492 av. J.-C., en envoyant à la fois une importante
armée de terre commandée par le général perse Mardonios et une flotte
partie de Cilicie. L’armée de terre est chargée de s’emparer d’Athènes et
d’Érétrie, après être passée par la Thrace déjà conquise.
Mais alors que les Perses sont mis en difficulté par les Thraces, la flotte
perse est prise par une tempête au large du mont Athos. 20 000 hommes
sont noyés et 300 navires détruits, soit presque toute la flotte. Face à ce
désastre, l’offensive perse est abandonnée, bien que Mardonios ait réussi à
assujettir la Thrace et la Macédoine.
Mais celui que l’on appelle le « Roi des rois » ne s’avoue pas pour autant
vaincu. En 491 av. J.-C., Darius envoie des ambassadeurs chargés de
demander « la terre et l’eau », c’est-à-dire leur soumission et leur
allégeance, au souverain perse. Athènes, Platées et Sparte ayant refusé,
Darius décide de lancer à nouveau une expédition militaire et lève une
nouvelle flotte.
Au début du mois de septembre 490 av. J.-C., celle-ci navigue jusqu’à l’île
d’Eubée afin de prendre la ville d’Erétrie, qui avait participé à la révolte
des Ioniens. La ville est détruite sans pitié et ses habitants sont réduits en
esclavage.
Une fois ce forfait accompli, la flotte perse prend la direction de l’Attique
et parvient à débarquer dans la baie de Marathon afin de se venger
d’Athènes.

Les Perses comptent environ 20 000 hommes3, sous les ordres du général
mède Datis et du général Artaphène, neveu de Darius. De leur côté, les
Grecs n’ont réuni qu’une armée de 10 000 hommes, menée par le stratège
Miltiade et essentiellement composée d’Athéniens. Ces derniers n’ont
trouvé pour les soutenir que Platées, située en Béotie, qui lui envoie un
millier d’hommes. Connaissant la redoutable réputation des Perses,
Sparte a invoqué les fêtes en l’honneur du dieu Apollon pour s’abstenir de
participer aux combats sans avoir l’air de refuser officiellement.
Les deux belligérants se rencontrent à une quarantaine de kilomètres au
nord-est d’Athènes, dans la plaine de Marathon, longue de 10 kilomètres
et profonde de 3 kilomètres. Miltiade a immédiatement positionné des
hommes sur les hauteurs environnantes pour empêcher les Perses de
s’avancer en direction d’Athènes.
Les deux armées ne s’affrontent pas immédiatement. Elles prennent le
temps de s’observer, pour tenter de deviner leurs intentions mutuelles et
positionner leurs troupes le plus favorablement possible. Le général Datis
est persuadé que Sparte va bientôt envoyer des renforts aux Athéniens. Le
chef perse décide alors d’attaquer à la fois par terre et par mer, et fait
rembarquer une partie de ses troupes pour contourner l’Attique en
direction du port d’Athènes, Phalère. Le but est d’attaquer la cité affaiblie
par l’absence des combattants restés à Marathon pour affronter le reste de
l’armée perse.
Miltiade profite de cette occasion pour compenser son infériorité
numérique. Il dispose ses troupes sur une ligne équivalente à celle de
l’ennemi, soit 1 600 mètres. Mais lorsqu’il lance l’offensive, Miltiade fait
croire qu’il attaque par le front.

Hésitants sur la façon d’engager le combat, les Perses aperçoivent soudain


les hoplites (fantassins) grecs s’élancer vers eux et avancer de plus en plus
rapidement avec de longues piques et de larges boucliers, depuis une
distance de 1 500 mètres. Les Perses ont à peine le temps d’utiliser leurs
nombreux archers et foncent à leur tour droit devant, réussissant à percer
le centre athénien. Ils s’enfoncent alors dans le piège qui leur est tendu.
En effet, les Perses ignorent que les Athéniens n’ont pas placé leurs
principales forces au centre, mais sur leurs ailes, de façon à envelopper
l’ennemi par les côtés : les ailes comprennent huit rangs d’hoplites, tandis
que le centre n’en a que quatre.
Comme l’a prévu Miltiade, les Perses sont pris au dépourvu par la
puissance de l’attaque des ailes grecques. Ils n’ont pas le temps de faire
intervenir leur cavalerie ni leurs archers, alors que se rabattent autour
d’eux les phalanges4 grecques.
Complètement dépassés, les Perses placés sur les ailes préfèrent
abandonner la bataille et les Grecs, les laissant fuir, se retournent contre
les Perses placés au centre, qui sont encerclés. Contrairement aux
hoplites, les Perses ne sont pas protégés par une cuirasse et sont mis en
déroute. Ils s’enfuient alors en direction de leurs vaisseaux, poursuivis par
les Grecs. La bataille de Marathon, qui s’achève vers 9 heures du matin, a
duré trois heures.
Mais les Perses, bien que lourdement battus à Marathon, ne désarment
pas et les rescapés de la bataille partent rejoindre les effectifs déjà envoyés
en direction de Phalère.

La légende raconte qu’à l’issue de la bataille, un soldat athénien aurait été


chargé d’informer le plus vite possible Athènes de la victoire remportée à
Marathon. Le messager, Philippidès, aurait alors couru 42 kilomètres en
quatre heures sans s’arrêter et serait mort d’épuisement à l’arrivée, juste
après avoir transmis son message. En mémoire de cet exploit, les Jeux
olympiques modernes organisent une course de 42,195 kilomètres
baptisée « marathon ».
Dans les faits, Miltiade fait parcourir à ses hommes la même distance, non
pas en courant mais à marche forcée pour arriver à temps. Lorsque les
Perses parviennent aux abords de Phalère, le lendemain de la bataille de
Marathon, ils réalisent que le combat est perdu d’avance, car les
vainqueurs de Marathon les ont précédés. De plus, les Lacédémoniens,
les habitants de Sparte que la défaite perse a convaincus d’intervenir,
s’ajoutent cette fois aux Athéniens tous réunis.

Pour la première fois, le puissant empire de Darius est vaincu, et d’une


façon particulièrement humiliante puisque les Perses, bien que deux fois
plus nombreux que leurs adversaires, ont perdu environ 6 400 hommes,
contre 192 victimes du côté athénien. C’est la fin de la première guerre
médique.
Les combattants morts au cours de la bataille ont été ensevelis dans la
plaine de Marathon et l’on peut aujourd’hui encore y trouver le
sous lequel ils reposent, faisant probablement de ce lieu le plus ancien des
cimetières militaires.
La victoire de Marathon, bien que peu spectaculaire, anéantit la
réputation d’invincibilité des Perses et donne aux Athéniens un prestige
considérable, renforçant leur attachement à la liberté de leur cité et à leur
rôle de citoyens. Elle met aussi en avant la supériorité des hoplites,
jusqu’à ce que survienne une nouvelle victoire, navale cette fois, des Grecs
sur les Perses à Salamine, en 480 av. J.-C. Celle-ci distingue la puissance
maritime athénienne au détriment de sa puissance terrestre.
Alors que la première guerre médique vient de prendre fin, Darius jure
une nouvelle fois de se venger et d’anéantir définitivement toute menace
du côté de la Grèce continentale. Aussi, dès les années 489-488 av. J.-C.,
le souverain perse ordonne-t-il de préparer une nouvelle expédition
d’envergure. Mais Darius n’a pas le temps de mettre ses projets à
exécution, car il meurt en 486 av. J.-C.
Son fils et successeur Xerxès s’en charge, poursuivant ainsi l’ambition
perse de dominer toute la mer Égée. En 481 av. J.-C., il reprend les
immenses préparatifs lancés par son père : il réunit environ 300 000
hommes5 venus de toutes les provinces de l’empire et achève la
construction d’une flotte de 1 200 navires de guerre et de 3 000 navires de
transport.
Parallèlement, Xerxès mène une intense activité diplomatique en faveur
de la Perse, afin de se trouver le plus d’alliés possible contre les Grecs.
Xerxès s’adresse aux Carthaginois pour qu’ils empêchent les Grecs de
Sicile d’intervenir. Il parvient à rallier les Thessaliens et les Béotiens qui
se joignent à l’armée perse, ainsi qu’Argos, ennemi juré de Sparte. La
Grèce est ainsi divisée en deux camps, le Nord et le Centre étant prêts à
passer sous protectorat perse.

De leur côté, les Grecs ont saisi la menace. Un des archontes (hauts
magistrats) athéniens, Thémistocle, convainc à temps les Athéniens de se
doter d’une véritable flotte de guerre afin de pouvoir faire face à la Perse,
redoutable sur terre mais bien plus fragile sur mer. Après avoir reçu l’aval
de la pythie de Delphes interrogée par les Athéniens, la construction de
200 trières supplémentaires pour la nouvelle flotte est lancée. Elle est
financée par Athènes, grâce au développement de l’exploitation des mines
d’argent du Laurion, où sont employés jusqu’à 20 000 esclaves.
L’exploitation de ces mines prendra progressivement une grande place
dans l’économie de la cité, allant jusqu’à constituer la base financière de la
domination athénienne. En outre, Thémistocle fait aménager le port du
Pirée, moins exposé que celui de Phalère et qui devient alors le premier
port d’Athènes.
Pour affronter la menace ennemie, une trentaine de cités se sont unies à
Corinthe. En cas de conflit, il est décidé que les troupes grecques seront
commandées par le roi de Sparte Léonidas Ier, tandis que la flotte sera aux
ordres d’un autre Lacédémonien, Eurybiade, et de l’Athénien
Thémistocle.

Également appelée « trirème », la trière est un vaisseau léger


mesurant entre 40 et 50 mètres de long sur moins de 7 mètres de large
et doté d’un long éperon au niveau de la proue pour frapper la coque
des navires ennemis. Elle comprend environ 170 rameurs placés sur
trois rangs superposés, auxquels s’ajoutent les officiers et une dizaine
de soldats qui mènent l’abordage.
Sur d’étroits espaces, l’infanterie est placée à l’avant. L’état-major et la
timonerie se trouvent à l’arrière.
La puissance combative de ce type de vaisseau dépend de la force des
rameurs, qui sont des citoyens dans la trière athénienne, mais des
esclaves étrangers dans la trière perse. Ce détail est d’importance lors
d’une bataille navale.
La trière est le plus important navire de guerre de l’époque.

Une décennie après Marathon, la seconde guerre médique est lancée. En


480 av. J.-C., Xerxès fait traverser l’Hellespont (actuel détroit des
Dardanelles) à ses troupes sur un double pont de navires gigantesque
mesurant 1 600 mètres et mobilisant environ 670 bâtiments ancrés et
reliés aux côtes du détroit par des filins. Passant alors par la Thrace et la
Macédoine, la puissante armée perse a pour objectif d’entrer en contact
avec la flotte perse qui opère au nord de l’île d’Eubée, contre la flotte
athénienne.
Au cours de l’été, se déroule la bataille navale du cap Artémision, au nord
de l’île d’Eubée, au large duquel la flotte perse est vaincue par les Grecs
commandés par le général lacédémonien Eurybiade.
Pendant ce temps, l’armée de terre perse arrive au niveau des
Thermopyles. Ce détroit est situé en Locride orientale sur la mer Égée,
entre le golfe de Lamia et la chaîne du Callidromos. Il revêt une certaine
importance car c’est une voie d’accès sur le reste de la Grèce.
Consistant en un défilé étroit (à l’époque, entre 10 et 50 mètres) entre les
contreforts du Callidromos et un marécage, il est alors défendu par
Léonidas Ier (roi de Sparte depuis 490 av. J.-C.) et son armée de 7 000
hommes venus du Péloponnèse, de Thèbes, de Phocée, qui sont postés
dans le défilé afin de bloquer l’avancée des Perses.
Malgré une supériorité numérique et de multiples attaques contre les
Grecs, les Perses sont systématiquement repoussés et leur défaite navale à
Artémision ne leur permet pas de surprendre les Grecs en débarquant des
hommes sur les arrières de l’ennemi. Aussi, sur les conseils d’un déserteur
grec, les Perses, commandés par Hydarnes, s’organisent-ils pour
contourner le défilé afin de prendre les Grecs à revers. Mais ils sont
repérés à temps par les soldats grecs, qui donnent l’alerte.
Ne gardant avec lui que 300 Spartiates formant l’arrière-garde6, Léonidas
fait informer la flotte grecque placée au nord d’Eubée et se lance dans le
combat contre les Perses. Livrant une héroïque résistance jusqu’au
dernier homme, Léonidas et ses Spartiates se sacrifient pour barrer la
route aux Perses et permettre au reste de l’armée grecque de s’échapper.
En leur mémoire, une inscription sera gravée sur les lieux : «

Ayant franchi les Thermopyles au printemps, Xerxès et ses hommes


déferlent sur l’Attique, détruisant Thespies, Platées et Athènes (dont
l’incendie réduit en cendres les bâtiments de l’Acropole)… Tandis que la
flotte grecque recule jusqu’au golfe Saronique, les Perses prennent le
contrôle de toute la Grèce centrale.
L’archonte Thémistocle, qui a décidé ses concitoyens à quitter Athènes
avant l’arrivée des Perses, a alors l’idée d’attirer la flotte perse à proximité
de Salamine…
Alors que la plupart des Grecs se sont réfugiés derrière le détroit de
Corinthe, dans le Péloponnèse, les Perses sont les maîtres du port
athénien de Phalère, où ils ont ancré plus d’un millier de navires. Cela
coupe ainsi toute possibilité de retraite à la flotte grecque, qui ne peut que
très difficilement affronter une flotte perse bien supérieure
numériquement.

Pourtant, à la fin du mois de septembre 480 av. J.-C.7, la situation va se


renverser à Salamine, une île grecque sur la côte ouest de l’Attique, dont
elle est séparée par un étroit bras de mer d’une longueur de 7 kilomètres.
C’est à cet endroit que se sont abritées les 378 trières de la flotte grecque,
sur lesquelles tous les Athéniens valides ont embarqué.
Jugeant que la baie de Salamine est un endroit idéal pour engager le
combat, Thémistocle utilise la ruse pour faire venir la flotte perse.
Envoyant auprès de Xerxès un de ses esclaves sous la couverture d’un
traître, il fait croire que les Grecs, paniqués par la menace perse,
s’apprêtent à quitter Salamine au cours de la prochaine nuit.
Convaincu par l’esclave grec, le souverain perse fait immédiatement
déplacer au moins 500 navires de sa flotte (comprenant notamment des
Perses, des Phéniciens, des Ioniens, etc.) en direction de l’entrée du
détroit. Il souhaite ainsi bloquer toute tentative de fuite des bâtiments
grecs et massacrer leurs occupants. Il s’installe sur l’une des collines de
l’Attique, où il fait placer son trône pour suivre « royalement » l’agonie
des Grecs.

Mais tandis que le jour se lève, les Perses ont la surprise de voir la flotte
grecque s’avancer dans leur direction, sous les encouragements des Grecs
restés sur la côte. Ils s’aperçoivent alors qu’ils sont victimes d’une
embuscade. Les nombreux navires perses tentent d’esquisser une
manœuvre d’enveloppement pour repousser les navires grecs vers le
rivage, mais ils ne peuvent se déployer, manœuvrant très difficilement en
raison de l’étroitesse du détroit. Ils doivent alors affronter dans le plus
grand désordre les trières grecques commandées par Eurybiade et
Thémistocle.
Les Grecs, conscients qu’il s’agit là de l’unique occasion d’effacer leur
infériorité numérique et de vaincre de façon décisive leur ennemi
héréditaire, lancent l’assaut avec acharnement. Ils éperonnent les lourds
vaisseaux perses et massacrent leurs équipages. Athènes réussit à
envelopper l’aile droite du dispositif ennemi tenue par les Phéniciens
(alliés des Perses) et se porte au secours des Lacédémoniens (Spartiates)
en difficulté face à un ennemi supérieur numériquement (les Ioniens).
Les Grecs finissent par remporter la victoire. Les Perses ont perdu 200 de
leurs navires et les Grecs seulement 40. L’amiral en chef de la flotte,
Ariabigne, frère de Xerxès, est mort pendant les combats.

Quelques années plus tard, le poète Eschyle fera le récit de cette bataille
dans sa tragédie intitulée , jouée au printemps 472 av. J.-C. lors
des Grandes Dionysies. Il y rend hommage au patriotisme des Grecs, qui
se sont battus avant tout pour leur liberté et celle de leur cité, et dont la
population soutenait leur flotte avec des appels tels que : «

Grande victoire des Grecs, Salamine a un impact considérable sur le


moral des belligérants. Pourtant, elle ne permet pas de chasser les Perses.
En effet, ceux-ci ne renoncent pas et, dès l’année suivante, ils reprennent
leur lutte contre l’Attique. Ce n’est qu’avec leur défaite à Platées, en 479
av. J.-C., que les Perses choisissent de regagner les rives asiatiques de la
mer Égée. Au cours de cette bataille, les 40 000 Grecs commandés par
Pausanias, l’autre roi de Sparte, écrasent l’armée de Mardonios.
Les Perses ont également été battus en mer par la flotte grecque à
Mycale, près de l’île de Samos. Athènes profite de la situation pour porter
la guerre sur l’Empire perse, libérant les Grecs Ioniens, et conquiert
Sestos, dans l’Hellespont.
La disparition de la menace perse marque la fin des guerres médiques.
Forts du prestige des victoires de Marathon et de Salamine, ainsi que de
leurs succès en Asie mineure, les Athéniens peuvent désormais prendre la
tête des autres cités grecques. Celles-ci se réunissent en 477 av. J.-C. au
sein de la ligue maritime de Délos, du nom de l’île des Cyclades où se
trouvent le siège et le trésor de cette confédération qui disparaîtra au Ier
siècle av. J.-C. Progressivement, cette ligue se transformera en Empire
athénien. Mais la rivalité entre Sparte et Athènes dégénérera en 431 av.
J.-C. en guerre ouverte dite « du Péloponnèse », une cinquantaine
d’années à peine après Salamine.
En l’an 336 av. J.-C., Alexandre succède à son père Philippe II de
Macédoine (382 à 336 av. J.-C.). Deux ans plus tôt, celui-ci avait établi la
tutelle macédonienne sur la Grèce, se préparant à marcher contre les
Perses.
Le jeune Macédonien, âgé de 20 ans et qui s’est fait élire commandant en
chef de la Ligue de Corinthe, décide de poursuivre l’œuvre de son père. Il
part conquérir l’Asie mineure afin de délivrer les cités grecques soumises
aux Achéménides.
Il traverse l’Hellespont (le détroit des Dardanelles) en 334 av. J.-C., à la
tête de près de 40 000 soldats macédoniens et grecs (issus de toutes les
cités, sauf Lacédémone, c’est-à-dire Sparte). Il affronte pour la première
fois l’armée de Darius III au Granique.

Dans le temple de Zeus de la ville de Gordion, ancienne capitale des


rois de Phrygie, en Asie mineure, il existait un nœud en écorce de
cornouiller, si étroitement entrelacé que personne n’était encore
parvenu à le dénouer. Selon un oracle, celui qui y parviendrait
deviendrait le maître de l’Asie. Alexandre voulut tenter sa chance et,
sortant son épée, trancha le nœud d’un coup.

Les deux armées se rencontrent à proximité de la ville de Troie, sur les


rives du Granique (actuel Kocabas), un cours d’eau d’Anatolie au sud du
Bosphore. Les Macédoniens alignent près de 35 000 hommes et les
Perses 38 000. Alors que Parménion commande l’aile gauche
macédonienne (avec la cavalerie thessalienne), Alexandre, menant la
cavalerie macédonienne, choisit d’opérer sur sa droite. Il espère ainsi
enfoncer de façon oblique le flanc gauche de l’adversaire et surprendre la
cavalerie perse placée en avant de l’infanterie.
Cette stratégie s’avère efficace puisque la cavalerie perse, prise à chaque
fois de flanc, se retrouve débordée et immobilisée. De plus, les Perses ne
disposent pas d’un commandement unique (il y a huit chefs) et sont mal
organisés, contrairement aux Macédoniens qui sont mieux coordonnés et
menés par trois hommes : Alexandre, Parménion et Philotas, qui
commande la phalange, le corps d’élite macédonien, au centre.
De plus, si les Perses disposent d’un meilleur armement, Alexandre a
lancé l’offensive l’après-midi, afin que son adversaire ait le soleil de face et
perde l’avantage. Les Perses, gênés et moins combatifs que les Grecs,
perdent effectivement du terrain et permettent aux Macédoniens de
percer leurs lignes.
Après une tragique résistance et des pertes bien supérieures (12 000
hommes, surtout au sein de l’infanterie gréco-asiatique des Perses) à
celles des Gréco-Macédoniens (moins de 150 hommes), l’armée perse se
rend. De nombreux mercenaires grecs la composant sont alors exécutés
pour trahison, sur l’ordre d’Alexandre.
Cette première victoire sur les Perses permet à Alexandre de conquérir
toute l’Anatolie et de libérer enfin les cités grecques de la côte ionienne.
Moins de 18 mois après sa victoire au Granique, Alexandre, qui a
poursuivi ses conquêtes en Cappadoce, rencontre à nouveau l’armée perse
à Issos, en Cilicie. Cette région est située au-delà de la chaîne de
montagnes du Taurus (actuelle Turquie), dominant la Méditerranée. Le
site d’Issos est aujourd’hui situé en Syrie.

C’est la première fois qu’Alexandre affronte Darius en personne et le


rapport numérique est nettement à l’avantage des Perses, qui alignent
470 000 fantassins et près de 30 000 cavaliers. Les Macédoniens n’ont que
35 000 fantassins et moins de 6 000 cavaliers8. Alexandre choisit de
compenser cette faiblesse en déployant son armée à proximité d’un défilé,
limitant ainsi la ligne de front des Perses.
Son armée est sensiblement organisée comme au Granique : deux ailes,
commandées par Parménion (sur la gauche, avec les Thessaliens) et, cette
fois, par Nicanor (à droite, avec les Macédoniens). Alexandre, lui,
commande la phalange.
Les Perses ont peu de latitude pour se déployer car la mer se trouve à
proximité de leur flanc droit et un fleuve difficilement franchissable, le
Pinare, sépare les deux armées. Darius porte ses efforts sur son flanc
droit, dont il espère que sa cavalerie vaincra les Thessaliens avant
d’atteindre les phalanges d’Alexandre, sur sa gauche. Ce dernier,
organisant la défense de ses phalanges, parvient à franchir le Pinare avec
ses hommes et envoie la cavalerie attaquer l’aile gauche des Perses,
défendue par les Cardaques (des hoplites asiatiques). Ces derniers perdant
du terrain, Alexandre attaque en oblique vers la gauche.
La bataille tourne une fois de plus à l’avantage du Macédonien. Darius,
pris de panique, s’enfuit, provoquant la déroute de ses troupes
abandonnées par leur chef.

D’après les sources de l’époque, les Macédoniens auraient perdu moins de


150 hommes et les Perses plus de 100 000 !
Alexandre ne peut se saisir de Darius, mais il parvient à capturer sa famille
(sa mère Sisygambis, sa femme Stateira et trois de ses enfants), qu’il traite
avec respect.
En mémoire de son succès dans cette bataille, il fonde la ville
d’Alexandrette (actuelle Iskenderun). Cette victoire lui permet de prendre
et de se rendre maître de la Syrie et de la Phénicie. Mais il doit pourtant
faire le siège de Tyr pendant plus de sept mois, avant de poursuivre vers
le sud et l’ouest.
Alexandre est parvenu à prendre les grandes villes de la Phénicie, telles
que Byblos (actuelle Jbail) ou Sidon (devenue Saida), sans rencontrer de
résistance. Mais il se heurte au refus du roi de Tyr, Azémilcos, de le
laisser entrer dans sa ville.
Tyr, la plus méridionale des cités phéniciennes (actuelle Sour, située à 70
kilomètres au sud de Beyrouth, actuelle capitale du Liban), bénéficie en
effet d’une position particulière : située sur un îlot rocheux et entourée de
hautes murailles, elle semble imprenable.

Alexandre ne peut accepter cette résistance et poursuivre sa route en


laissant derrière lui un ennemi susceptible d’être soutenu par les
Carthaginois. Toutefois, ceux-ci étant eux-mêmes en difficulté au
moment du siège de Tyr, ils n’interviendront pas auprès de leurs alliés
tyriens. Mais surtout, cela montre au monde qu’Alexandre n’est pas
invincible. Il entame donc le siège de Tyr, une entreprise qui va s’avérer
très difficile.
Le Macédonien fait d’abord construire des tours, placées sur une jetée
d’une longueur de 60 mètres, pour relier l’île au rivage et atteindre ainsi
les murailles de la ville. Mais les assiégés parviennent à les détruire en les
enflammant grâce à un vaisseau construit et embrasé à cette fin. Alors que
les tours ont été reconstruites, ils les sabotent à nouveau grâce à
l’intervention de plongeurs.
Alexandre reçoit alors le renfort de près de 200 navires venus de Grèce,
qui encerclent Tyr. Mais les assiégés n’osent pas engager de bataille
navale, d’autant plus que les trois vaisseaux que les Tyriens ont laissé
sortir pour défendre les murailles ont été rapidement coulés. Néanmoins,
les Tyriens se défendent ardemment en jetant sur les navires grecs des
grappins, des harpons et du sable enflammé qui pénètre les cuirasses des
soldats et les brûle atrocement.
L’historien latin Quinte-Curce raconte qu’un «
[…]
[…]

. Cet épisode est source d’une grande joie et de festivités


pour chacun des adversaires et contribue à raffermir leur détermination.

Ce n’est qu’après plusieurs mois de siège que les Macédoniens, à l’aide de


tours et de ponts suspendus, parviennent enfin à franchir les remparts de
la ville. Alexandre ouvre le chemin, donnant l’exemple à ses hommes.
Toujours selon Quinte-Curce, «
[…]

. Les
défenseurs sont anéantis et des béliers fracassent les murailles, tandis que
les navires grecs entrent dans le port de Tyr.
Ainsi succombe l’orgueilleuse ville, payant un lourd tribut : aux 6 000 à
7 000 Tyriens morts au combat s’ajoutent les 2 000 jeunes hommes
qu’Alexandre fait exécuter tandis que la population est réduite en
esclavage.

Alexandre poursuit alors sa route. Après une nouvelle victoire, sur Gaza,
le Macédonien pénètre en Égypte en 332 av. J.-C., où il est accueilli sans
résistance par la population, lasse de la domination perse. Les soldats
perses ayant essuyé de graves revers, Mazacès, le commandant perse de
Memphis, est rapidement soumis.
Alexandre ne désire pas changer les coutumes ni les croyances des
Égyptiens. Descendant le Nil, il fait connaissance avec ses nouveaux
sujets. Pour asseoir une fois de plus sa légitimité (pense-t-il vraiment être
un demi-dieu ?), il se recueille dans le temple d’Amon où un oracle lui
assure la domination du monde.
À la suite de cet épisode, Alexandre décide de fonder la prestigieuse ville
d’Alexandrie dans le delta du Nil, future capitale égyptienne dont le
phare, construit après la mort d’Alexandre, figurera parmi les Sept
Merveilles du monde décrites par Philon de Byzance au IIIe siècle avant
notre ère.
Au printemps 331 av. J.-C., Alexandre quitte l’Égypte pour rejoindre
Babylone et combattre Darius qui s’y est réfugié. Ce dernier a proposé à
Alexandre des pourparlers après sa défaite d’Issos, mais en vain.
Alexandre franchit l’Euphrate, puis le Tigre…

Le roi perse Cyrus, un ancien vassal des Mèdes, fonde cette dynastie
vers 550 av. J.-C. Celle-ci étend sa domination sur l’Orient, de
l’Afghanistan à l’Égypte et de l’Asie mineure au golfe Persique, en
passant par l’Iran et la Mésopotamie, entre le milieu du VIe siècle et la
fin du IVe siècle avant notre ère. Elle prend fin à la suite de la victoire
d’Alexandre à Gaugamélès et de la mort de Darius III en 330 av. J.-C.
Le dernier affrontement entre Alexandre et Darius III se déroule à
Gaugamélès, une vaste plaine à proximité de la ville d’Arbèles, à l’est du
Tigre (en Haute-Mésopotamie).

Le rapport de force est très inégal car Alexandre réunit moins de 50 000
hommes (environ 40 000 fantassins et 7 000 cavaliers), tandis que les
Perses en comptent au minimum cinq fois plus (200 000 fantassins et
45 000 cavaliers, selon certaines sources, et jusqu’à un million d’hommes
selon d’autres !). En outre, les Perses ont considérablement amélioré leur
armement : ils disposent de lances plus longues, de meilleurs chars
équipés de faux et même d’éléphants. Tirant les leçons de leur défaite
d’Issos, ils ont aménagé le lieu de la rencontre pour qu’il leur soit
favorable : ils ont nivelé le sol en faisant ôter les cailloux pour le passage
de leurs chars et en installant des piques métalliques dans le sol pour
ralentir l’avancée des Grecs.
Fort de ses succès des deux années précédentes et convaincu du
professionnalisme de ses troupes, le Macédonien va se lancer dans la
bataille, après quelques hésitations. Alexandre privilégie cette fois la
cavalerie pour les premières charges et prend la tête de l’aile droite de son
armée. Il confie l’aile gauche à Parménion.
Cette dernière est bientôt mise en difficulté par les cavaliers perses, mais
de son côté, Alexandre parvient à enfoncer les lignes adverses, se frayant
un passage entre l’aile gauche des Perses et leur centre. Lançant les
fantassins, Alexandre envoie une partie de la phalange venir en aide à
Parménion, tandis que l’autre charge contre le centre de l’armée perse où
se trouve Darius. Ce dernier est contraint de reculer, puis s’enfuit vers les
montagnes, tandis que les Macédoniens font un véritable massacre dans
les rangs ennemis, ce qui finit par entraîner la déroute de l’armée perse.
Au soir du 1er octobre, la bataille achevée, on dénombre de très
nombreuses pertes dans les rangs des Perses (entre 40 000 et
90 000 morts), tandis que les Macédoniens ne compteraient, eux, que 500
victimes.
Une nouvelle fois, Alexandre a vaincu Darius, mais Gaugamélès marque
la fin de l’empire des Achéménides. Le vainqueur entre alors dans les
villes perses de Babylone, où il se fait proclamer roi d’Asie et dont il fait sa
nouvelle capitale, Suse, puis Persépolis, Pasargades et Ectabane.
Alexandre prend possession du trésor de Darius. Il laisse ses soldats piller
Persépolis, la ville de Cyrus, et incendier ses palais, mais se recueille sur la
tombe du fondateur de la dynastie qu’il vient de vaincre.
Alexandre se lance en vain à la poursuite de Darius. Celui-ci s’est réfugié
dans les hauteurs de la province perse de Bactriane (actuel Afghanistan,
dont la capitale est alors Bacres), mais en juillet 330 av. J.-C., il est
assassiné à l’approche des Macédoniens par l’un de ses satrapes, Bessos, le
gouverneur de la province de Bactriane. Lorsqu’Alexandre découvre son
corps à Hécatompylos, au sud-est de la mer Caspienne, il décide de
rendre hommage à son ancien adversaire en le recouvrant de son
manteau, puis en lui offrant des funérailles solennelles. Il fait ensuite
capturer et mettre à mort le régicide Bessos à l’été 329 av. J.-C.
Ce vainqueur qui reconnaît le courage de l’ennemi et respecte sa
mémoire est devenu le maître de la Grèce et de l’Asie centrale. Il assoit
son pouvoir sur les anciennes satrapies perses et fait taire toute opposition
dans ses propres rangs, allant jusqu’à tuer de ses mains son ancien
compagnon Cleitos, en 328 av. J.-C.

Alexandre ne veut pas s’arrêter là et décide de poursuivre ses conquêtes


vers le nord-est, au-delà des frontières de l’ex-empire des Achéménides,
vers ce que l’on pense alors être « l’extrémité du monde . Il parvient en
327 av. J.-C. sur les rives de l’Indus, après avoir fondé de nombreuses
villes, telles que Samarkand (dans l’actuel Ouzbékistan), Kandahar, Hérat
(en Afghanistan), etc. Alexandre pénètre en Inde où, grâce au roi de
Taxile soumis au printemps 326 av. J.-C., il découvre le bouddhisme et
l’hindouisme. L’été suivant, il atteint la rivière Hydaspe…
Arrivé sur les rives de l’Hydaspe (actuelle Jhelam), en Inde occidentale,
Alexandre se heurte aux troupes indiennes du roi Porus, qui en bloquent
la traversée. Profitant d’un rapport de force plutôt équitable (environ
40 000 Macédoniens contre 35 000 Indiens), Alexandre choisit de passer
l’obstacle en contournant de nuit l’île d’Admana, mais il se trompe d’île
avant de parvenir à ses fins.
Placée devant l’infanterie, la cavalerie d’Alexandre l’emporte contre les
chars de Porus et doit affronter les éléphants du roi indien (entre 100 et
200, selon les sources), derrière lesquels sont réfugiés les fantassins
ennemis. Finalement, l’armée de Porus est prise en tenaille. Harcelés par
la cavalerie (plus rapide que les pachydermes), les éléphants deviennent
fous de douleur sous les nombreuses blessures infligées et finissent par
s’emballer et piétiner les soldats indiens, qui sont bientôt encerclés par les
Macédoniens.
Le roi Porus est battu et dénombre de nombreuses pertes, dont son
propre fils.

Bien que le Pendjab ait été conquis et alors qu’Alexandre entend


continuer sa route et atteindre le Gange, ses hommes refusent de
continuer : ils sont à bout de forces et découragés après les 20 000
kilomètres parcourus depuis leur départ de Grèce.
Alexandre est donc contraint de revenir sur ses pas, mais le chemin du
retour, entre 325 et 324 av. J.-C., s’avère long et pénible. Une partie de
ses troupes, menée par Néarque, rentre par voie maritime, la mer
d’Oman et le golfe Persique. L’autre partie, menée par Alexandre, prend
la voie terrestre, qui s’avère extrêmement dure. De nombreux hommes y
périront de faim, de déshydratation et d’épuisement. Alexandre ne survit
lui-même que peu de temps à cette expédition. Il s’arrête d’abord à Suse
en février 324 av. J.-C., avant de regagner Babylone.
À son retour dans son nouvel empire, il s’attache à consolider les liens
entre les Macédoniens et les Perses. Il organise à Suse 10 000 unions et
épouse lui-même la fille aînée de Darius, Statira10. Toutefois, ses
conceptions d’égalité et d’assimilation des différentes cultures réunies
dans son empire sont mal acceptées par ses anciens compagnons.
Pris de fièvre au sortir d’un banquet, Alexandre décède le 13 juin 323 av.
J.-C. à Babylone, très probablement d’une crise de malaria. Il laisse un
fils, Alexandre IV Aigos, qui ne succédera jamais à son père.

Deux années après sa mort, l’empire d’Alexandre est finalement partagé


entre trois de ses généraux. Séleucos prend la Mésopotamie et la Syrie,
avec comme capitale Antioche, et fonde la dynastie des Séleucides.
Ptolémée Lagos prend l’Égypte, avec Alexandrie pour capitale, et installe
sur le trône pharaonique la dynastie des Lagides dont le dernier souverain
sera la célèbre Cléopâtre, décédée en 30 av. J.-C. Enfin, Antigonos prend
la Macédoine et le nord de la Grèce, inaugurant le règne de la dynastie
des Antigonides.

naissance d’Alexandre à Pella, capitale de la


Macédoine antique.
Philippe II de Macédoine, père d’Alexandre,
parvient à repousser les Illyriens et à asseoir son autorité sur la Grèce
(victoire sur les Thébains et les Athéniens à Chéronée en 338 av. J.-
C.).
Alexandre succède à son père, Philippe II, assassiné.
les troupes d’Alexandre pénètrent en Asie mineure et
remportent la victoire contre l’armée perse au Granique.
victoire contre les Perses à Issos.
conquête de l’Égypte et de la Phénicie (siège de
Tyr de janvier à août 332 av. J.-C.).
victoire contre les Perses à Gaugamélès, suivie de la
chute de l’Empire perse.
conquête de l’Asie centrale jusqu’à l’Indus.
victoire contre le roi indien Porus sur la rivière
Hydaspe.
retour d’Alexandre et de ses hommes en Perse.
mort d’Alexandre, à 33 ans.
partage de l’empire entre les généraux d’Alexandre, les
« diadoques » (successeurs).
Au IIIe siècle avant notre ère, Rome entre en conflit avec l’autre grande
puissance de la Méditerranée occidentale, Carthage, une cité fondée au
IXe siècle av. J.-C. par les Phéniciens de Tyr en Afrique du Nord, dans
l’actuel golfe de Tunis. Carthage contrôle un vaste empire allant de la
Cyrénaïque à Gibraltar, ainsi qu’en Espagne, et dispose de comptoirs en
Corse, en Sicile et en Sardaigne.
La rivalité de ces deux puissances est avant tout commerciale et les
conduit à s’affronter pendant plus d’un siècle, de 264 à 146 av. J.-C., au
cours des guerres puniques (du latin qui signifie « carthaginois »).

Au cours de la première guerre punique, qui dure 23 ans (264 à 241 av. J.-
C.), Rome conquiert la Sicile, transformée en province romaine, puis les
autres possessions carthaginoises les plus proches de l’Italie, c’est-à-dire la
Corse et la Sardaigne. Cela contribue à renforcer sa puissance maritime
naissante et affaiblit d’autant plus Carthage, qui décide de réagir pour
retrouver au plus vite son prestige.
En 221 av. J.-C., son plus grand général, Hannibal, commandant en chef
des armées carthaginoises, attaque (en période de paix !) et détruit la cité
de Sagonte, alliée de Rome. Cette provocation fait éclater la deuxième
guerre punique.

Avec une surprenante rapidité, les Carthaginois progressent en Espagne


sans laisser le temps aux Romains de débarquer. Puis, traversant les
Pyrénées, ils profitent de la neutralité des habitants de la Gaule
narbonnaise et franchissent les Alpes, en passant par le col du Petit-Saint-
Bernard. Hannibal est alors à la tête de 50 000 fantassins et de près de
1 000 cavaliers. Cette armée est composée de Carthaginois, d’Espagnols,
de Gaulois, etc., certes moins formés que des légionnaires romains, mais
Hannibal parvient parfaitement à les discipliner.
Parvenus en Italie, ceux-ci surprennent les Romains et leur infligent trois
défaites successives : au Tessin et à la Trebia, à l’automne 218 av. J.-C., ce
qui leur donne le contrôle de la région du Pô, et près du lac Trasimène,
en Etrurie (Italie centrale), en juin 217 av. J.-C., où Hannibal tend une
embuscade et détruit deux légions du consul Flaminius.

Né à Carthage en 247 av. J.-C., Hannibal est le fils du général


Hamilcar Barca, grand ennemi de Rome qui a participé à la première
guerre punique.
Après s’être distingué au combat en Espagne aux côtés de son beau-
frère, le général Hasdrubal, Hannibal lui succède aux fonctions de
commandant en chef des armées carthaginoises en 221 av. J.-C.
Deux ans plus tard, il déclenche la deuxième guerre punique en
attaquant l’allié de Rome, Sagonte. En 218 av. J.-C., à la tête d’une
armée comprenant 60 000 hommes et 37 éléphants, il franchit
successivement les Pyrénées, puis le Rhône avec des bateaux, et enfin
les Alpes pour atteindre l’Italie. Cet exploit, estimé irréalisable par les
Romains, prouve sa remarquable maîtrise de la logistique. Hannibal
parvient à infliger de lourdes pertes à son adversaire à plusieurs
reprises, mais renonce à prendre Rome. Se dirigeant vers le sud de
l’Italie, il bat les Romains à Cannes, en Apulie, au cours de l’été 216
av. J.-C.
Hannibal est contraint de quitter l’Italie pour porter secours à
Carthage menacée par les Romains et Scipion l’Africain, mais il est
battu à Zama en 202 av. J.-C. Après avoir tenté de réaliser le
redressement économique de Carthage, il doit s’exiler devant la
menace des Romains.
Au cours des vingt dernières années de sa vie, il est employé comme
mercenaire par des souverains hellénistiques. Il gagne en 196 av. J.-C.
la Syrie, dont le roi Antiochos III est son allié. Après la défaite de ce
dernier, il se rend en Bithynie (actuelle Turquie) en 189 av. J.-C.
En 183 av. J.-C., apprenant que les Romains ont obtenu son
extradition de Prusias Ier, roi de Bithynie, il préfère mettre fin à ses
jours en s’empoisonnant plutôt que de tomber entre les mains de son
ennemi.
Par son sens de l’opportunité stratégique et son génie tactique,
Hannibal demeure l’un des plus grands guerriers de l’Histoire.

Bien que Rome soit accessible à ses troupes, Hannibal commet l’erreur de
ne pas l’attaquer et de poursuivre plus au sud, où il espère recevoir le
soutien de cités grecques et italiques, alliées récalcitrantes de Rome. Les
Romains, qui n’étaient pas prêts à combattre, ont alors le temps de se
préparer à attaquer Hannibal.
Or, dans un premier temps, le dictateur Quintus Fabius Maximus, dit « le
Temporisateur », met en avant la tactique d’usure. Mais lorsque son
mandat parvient à son terme, ses successeurs, les consuls Caius Terentius
Varron et Paul Émile, choisissent d’attaquer l’ennemi.
Paul Émile souhaite porter l’offensive en région montagneuse, mais se
plie finalement à l’avis de Varron, qui préfère le site de Cannes, où sont
installés les Carthaginois. Le 2 août 216 av. J.-C., la bataille de Cannes
s’engage ainsi en Apulie (sud-est de l’Italie), sur les rives de la rivière
Aufidius (actuelle Ofanto).
Caius Terentius Varron et Paul Émile sont à la tête de huit légions, ainsi
que de plusieurs contingents alliés. Leurs forces s’élèvent à 90 000
soldats, dont 6 000 cavaliers, et les deux consuls se partagent le
commandement à tour de rôle. Hannibal dispose de 50 000 hommes,
dont 10 000 cavaliers.
Les Romains sont disposés sur une ligne de bataille comportant la
cavalerie romaine sur l’aile droite, la cavalerie alliée sur l’aile gauche et
trois rangs successifs de légionnaires au centre.

Les combats commencent au matin du 2 août 216 av. J.-C. Les fantassins
romains se dirigent en direction du milieu du dispositif ennemi, où se
concentrent habituellement les principales forces. Mais Hannibal leur a
tendu un piège : il a volontairement allégé son centre en plaçant des
Ibères et des Gaulois légèrement armés au milieu de ses forces, tandis
qu’il a consolidé ses ailes, où sont placées ses troupes d’élite et la
cavalerie.
Sous les ordres du consul Varron, les légionnaires se lancent sur le centre
de l’armée ennemie, qu’ils enfoncent facilement. Au même moment, les
cavaliers carthaginois attaquent la cavalerie romaine sur ses flancs et
l’amènent à se replier en désordre. Le consul Varron ne s’aperçoit pas du
piège tendu et donne l’ordre aux légions de poursuivre dans la brèche
centrale, alors que leurs flancs ne sont plus protégés par la cavalerie.
Continuant leur mouvement, les quatre légions sont entraînées en
profondeur dans la ligne ennemie, où elles se retrouvent face à des soldats
africains qui se rabattent autour d’elles en formant un croissant. Les
légions sont alors encerclées par les Carthaginois qui les enveloppent par
les côtés et l’arrière de leur dispositif. Prises en tenaille par la cavalerie,
elles ne peuvent plus reculer et sont massacrées.
La férocité des combats entraîne la mort de près de 50 000 Romains, dont
le consul Paul Émile, et la capture de 10 000 autres. Les Carthaginois ne
perdent que 6 000 soldats, en majorité des Ibères et des Gaulois qui,
placés au centre, ont été en quelque sorte sacrifiés.

Cette victoire témoigne du génie militaire d’Hannibal, capable de vaincre


des forces bien plus nombreuses que les siennes. Elle demeure un
exemple classique de manœuvre d’enveloppement qui inspirera plus tard
de célèbres militaires comme Napoléon Ier, von Schlieffen et Rommel.
Cannes fait partie des plus lourdes défaites rencontrées par l’Empire
romain, qui y a perdu ses meilleurs légionnaires et une centaine des
sénateurs qui dirigeaient alors la République. Mais Hannibal estime que
ses effectifs ne sont pas suffisamment nombreux et ne profite donc pas de
cet affaiblissement exceptionnel de son ennemi pour prendre Rome.
Les Romains retournent à la tactique d’attente de Fabius Maximus, tandis
qu’Hannibal s’installe à Capoue pour passer l’hiver en attendant des
renforts d’Afrique qui ne viendront pas, les sénateurs carthaginois étant
jaloux des succès d’Hannibal. Quant aux alliés de Rome, ils ne se sont pas
retournés en sa faveur, comme Hannibal l’avait espéré.
Le chef carthaginois tente bien tardivement de prendre Rome en 211 av.
J.-C., mais il échoue en raison de la fatigue de ses soldats et du manque
d’équipement nécessaire pour investir une place forte.

La ville de Capoue, où s’installent Hannibal et ses hommes, est une


ville de luxure et de corruption auxquelles ne résistent pas les
vainqueurs de Cannes au cours de l’hiver 215 av. J.-C. Plutôt que
d’attaquer Rome, les soldats d’Hannibal succombent à ses « délices »
et y perdent leur combativité, laissant le temps aux Romains de se
ressaisir. Reprise par les Romains en 211 av. J.-C., Capoue perd tous
ses privilèges pour avoir pactisé avec les Carthaginois.

En 206 av. J.-C., Hannibal apprend que les Romains, menés par Publius
Cornelius Scipion, un jeune général de 24 ans, ont ouvert un second front
en Espagne et se dirigent vers l’Afrique. Le général carthaginois est alors
contraint de quitter l’Italie, tandis que Scipion le rejoint en Afrique pour
attaquer Carthage.
Après la défaite de Syphax, allié de Carthage, en 203 av. J.-C., le chef
romain inflige une défaite décisive à Hannibal à Zama, en Numidie, en
septembre 202 av. J.-C. À l’issue de cette bataille, Carthage est
transformée en un État tributaire et doit renoncer à toutes ses possessions
hors d’Afrique, tandis qu’Hannibal s’enfuit. Le vainqueur, Scipion, reçoit
le surnom de « l’Africain » lors de son retour triomphal à Rome.

Une dernière guerre punique, bien plus courte que les précédentes (149-
146 av. J.-C.), se déroule à la suite de l’attaque lancée par Carthage sur
son voisin, le roi Massinissa de Numidie orientale (à l’est de l’actuelle
Algérie), allié de Rome. À l’issue d’un siège de deux ans, l’armée romaine
prend Carthage, qui est ensuite totalement rasée et dont le territoire est
soumis à Rome pour plusieurs siècles.
Les Romains commencent à prendre pied en Gaule au IIe siècle avant
notre ère. En 118 av. J.-C., ils annexent le sud de la Gaule, c’est-à-dire la
région méditerranéenne, le couloir du Rhône et le Languedoc, qui prend
le nom de « Province Narbonnaise ». Leur objectif est alors double : ils
veulent protéger la colonie grecque de Massilia (Marseille), menacée par
les habitants d’origine (Celtes et Ligures), et aménager une voie reliant
l’Italie à l’Espagne dont ils viennent d’achever la conquête, Au-delà de
cette romaine s’étend la Gaule libre, dite « chevelue »,
constituée d’une soixantaine de peuples différents. Cette Gaule comprend
la Belgique au nord, la Celtique au centre, et l’Aquitaine au sud-ouest.

En 59 av. J.-C., Jules César obtient le proconsulat des Gaules cisalpine et


transalpine et de l’Illyricum, pour cinq années renouvelables.
C’est à ce titre qu’il est appelé au secours par les Éduens (peuple établi en
Bourgogne), menacés par les envahisseurs helvètes. Ceux-ci, chassés par
les Germains, émigrent massivement vers l’ouest. Appuyé par ses légions,
Jules César profite alors des divisions internes des Gaulois pour entamer
la conquête de cette région riche en hommes et en produits agricoles et
miniers, en 58 av. J.-C. : c’est « la guerre des Gaules », connue par les
récits du même nom (en latin, ) écrits par Jules César à
l’automne 52 av. J.-C.
Après avoir dispersé les Helvètes et éloigné les Germains, César s’installe
avec ses six légions dans le Jura pour y passer l’hiver.

Une légion est l’unité fondamentale de l’armée romaine. Elle compte


6 000 hommes, répartis en 10 cohortes (chaque cohorte correspond à
une unité comprenant le 10e de la légion, soit 600 hommes),
30 manipules (chacune de ces unités compte deux centuries, soit 200
hommes) et 60 centuries (chaque centurie comporte 100 hommes).
Cette présence romaine commence à inquiéter les Gaulois, mais César
profite des divisions politiques et des rivalités entre tribus gauloises pour
conquérir le Nord (la Belgique), à l’été 57 av. J.-C. Contournant le
Centre, il s’impose entre 57 et 53 av. J.-C. à l’Ouest, du Cotentin à
l’Aquitaine.
Parallèlement, entre 55 et 54 av. J.-C., Jules César entreprend une
campagne à l’est du Rhin contre les Germains et outre-Manche, en
Bretagne (future Grande-Bretagne). Les tribus gauloises profitent de
l’absence de César pour lancer une série de rébellions contre l’occupation
romaine, en 54 av. J.-C. César parvient néanmoins à vaincre ces
soulèvements l’année suivante. Rassuré, il regagne alors l’Italie, ne
laissant que la Gaule celtique (centrale) encore indépendante, mais
encerclée par les troupes romaines.

C’est dans cette Gaule celtique, et plus précisément dans le Massif


central, que s’organise la révolte des Gaulois.
Un jeune chef arverne (auvergnat) d’une vingtaine d’années, dont le nom,
Vercingétorix, signifie approximativement en gaulois « le grand chef des
guerriers », profite de la révolte des Carnutes à Cenabum (Orléans) en
janvier 52 av. J.-C. Il regroupe les Arvernes contre les Romains avant de
prendre la tête de l’insurrection générale, réunissant la majeure partie du
Centre et une partie de l’Armorique. Vercingétorix est le fils de Celtill,
un riche commerçant élu magistrat suprême des Arvernes et exécuté par
les Gaulois car soupçonné de vouloir imposer une dictature.
Tandis que les citoyens romains sont massacrés par les Gaulois,
Vercingétorix cherche à éviter le combat direct avec les légions romaines
et met en place la « tactique de la terre brûlée » : il fait incendier les
récoltes, les fourrages, etc., afin d’empêcher les Romains de
s’approvisionner.
Mais en avril 52 av. J.-C., à l’issue d’un siège d’un mois, César parvient à
prendre la riche ville d’Avaricum (Bourges), dont il massacre tous les
habitants. Vercingétorix est contraint de se replier en Auvergne, où il
trouve refuge à Gergovie (au sud de Clermont-Ferrand), sa ville natale.
En mai suivant, après avoir divisé son armée pour effectuer à la fois une
attaque contre les Arvernes et une autre sur les « », à Lutèce
(ancêtres des Parisiens), César met le siège devant Gergovie. Il s’appuie
sur les Éduens, qui ont néanmoins de vives sympathies pour la cause
gauloise. Aussi César ne parvient-il pas à faire tomber cette place forte,
ses troupes étant repoussées par la résistance arverne.
Vaincu à Gergovie, César est contraint de renoncer momentanément. Les
Éduens changent de camp, admiratifs de la capacité de résistance gauloise
face aux légions romaines.

Vercingétorix est reconnu officiellement commandant en chef lors d’une


assemblée générale des Gaulois à Bibracte (capitale des Éduens, près de
l’actuelle ville d’Autun, en Saône-et-Loire). Il poursuit la lutte en
réunissant 15 000 cavaliers et en reprenant sa tactique de la terre brûlée.
De son côté, César entend prendre sa revanche. Il prend la direction du
nord pour rejoindre à Senon (actuelle ville de Sens) son lieutenant
Labiénus qui opère dans le bassin parisien. Il étoffe sa cavalerie en
engageant des auxiliaires germains dans la région des Rèmes (Reims
actuelle).
Accompagné d’une longue colonne de 60 000 Romains, auxquels se
joignent les cavaliers germains, César descend la vallée de la Saône en
direction de la . Vercingétorix, sans doute trop confiant
et poussé par les Éduens impatients, décide d’attaquer les Romains à
proximité de Dijon. Les légions, encerclées et harcelées, parviennent
toutefois, grâce à leur formation en carré, à résister à l’assaillant gaulois,
tandis que les cavaliers germains et les javelots romains mettent en
déroute la cavalerie de Vercingétorix.
Tout en envoyant des émissaires chercher du secours, le chef gaulois se
retranche avec ses troupes sur le plateau d’Alésia, une place forte à
418 mètres d’altitude servant à l’époque de refuge au peuple des
Mandubes et dont les défenses la rendent imprenable. Après bien des
hypothèses, on situe aujourd’hui Alésia sur le site dominant Alise-Sainte-
Reine, en Côte d’or.
Rejoints par les légions romaines, les 80 000 soldats gaulois restés dans la
ville sont rapidement assiégés. César, dont les troupes comprennent entre
10 et 12 légions, soit environ 70 000 hommes, fait alors preuve d’une
parfaite maîtrise de l’art du siège : il fait construire trois fossés successifs,
piégés, avec des postes fortifiés reliés entre eux. Une ceinture de 15
kilomètres de long, appelée « contrevallation », est ainsi créée pour
résister aux tentatives des Gaulois assiégés.
Alors que la faim et la soif s’installent dans la place forte, les Gaulois
décident de faire sortir les vieillards, les femmes et les enfants. Ceux-ci,
considérés comme des « bouches inutiles », auront sans doute la chance
d’apitoyer l’ennemi. Mais contrairement aux espoirs des Gaulois, Jules
César les fait repousser et bientôt, ils périssent de froid et de faim autour
des remparts de la ville.
Les assiégés ne peuvent compter que sur l’armée d’environ 250 000
hommes11 et 8 000 cavaliers menés par Commios, roi des Morins, appelé
en renfort. Mais César, informé de leur arrivée, fait construire une
nouvelle ligne de fortifications de 21 kilomètres de long tournée vers
l’extérieur (une « circonvallation »). Au bout d’environ deux mois,
lorsque les troupes de Commios parviennent aux environs d’Alésia, les
cavaliers germains chargent avec succès et infligent une cruelle défaite aux
cavaliers gaulois.
De leur côté, Vercingétorix et ses hommes échouent à deux reprises dans
leurs tentatives de sorties. Ils se retrouvent pris dans les terribles pièges
disposés par les Romains, tels que des pieux acérés.

À la fin du mois de septembre 52 av. J.-C., alors que les assiégés sont
réduits à la famine, Vercingétorix décide de se rendre. D’après la version
officielle transmise par l’historien grec Plutarque, Vercingétorix, paré de
ses plus beaux atours, aurait jeté ses armes aux pieds de César avant de
descendre de sa monture. Pourtant, César est loin de le traiter d’égal à
égal : le chef gaulois est emprisonné et chaque Gaulois survivant est
réduit en esclavage.
Conduit en Italie, Vercingétorix est traîné enchaîné avec d’autres chefs
vaincus dans les rues de Rome, à l’occasion d’une cérémonie du triomphe
de César, le 26 septembre 46 av. J.-C. Il est étranglé peu après à la prison
Mamertine où il était retenu en captivité12.
Peu après la défaite de Vercingétorix à Alésia, César parvient à défaire les
derniers foyers de rébellion et soumet cette fois l’ensemble de la Gaule,
soit environ 8 millions d’habitants. La guerre des Gaules prend fin en 51
av. J.-C. avec la reddition d’Uxellodunum, ville du Quercy actuel, et un
million d’esclaves gaulois sont ramenés en Italie. La conquête de la Gaule
vaut un grand prestige à Jules César, qui peut désormais lutter contre son
rival au Sénat romain, Pompée.
Divisée en quatre provinces (Aquitaine, Belgique, Lyonnaise et
Narbonnaise), la Gaule romaine paie désormais un impôt à Rome et se
romanise, transformant les Gaulois en « Gallo-Romains ». Pendant trois
siècles, elle connaîtra une période fort tranquille de modernisation et de
prospérité, connue sous le nom de « ».
La bataille d’Actium demeure indissociable de la tragédie qui toucha à
cette occasion deux amants célèbres, Antoine et Cléopâtre.
Cléopâtre est la descendante de Ptolémée Lagos, un général macédonien
qui avait hérité de l’Égypte à la mort d’Alexandre le Grand et qui avait
alors fondé la dynastie des Lagides.
Née en 69 av. J.-C., Cléopâtre hérite du trône à 17 ans. Elle partage le
pouvoir avec son frère Ptolémée XIII, de sept ans son cadet et qu’elle a
épousé, comme l’exige la tradition dynastique.
À cette époque, l’Égypte s’apparente à un protectorat romain officieux.
Alors que Cléopâtre a été écartée du pouvoir par l’entourage de son frère,
sa liaison avec Jules César lui permet de revenir sur le trône d’Égypte en
48 av. J.-C. et de tenter de restaurer la domination des Lagides sur la
partie orientale de la Méditerranée. Un enfant naît de ses amours avec
César, appelé « Ptolémée-César » et surnommé « Césarion ». Cléopâtre
s’installe alors à Rome avec son fils.
Mais sa présence inquiète les politiciens romains qui craignent l’union
officielle de César avec la reine d’Égypte. Cela lui permettrait de former
un grand empire romain oriental, qui pourrait revenir plus tard à
Césarion.
Jules César est assassiné en mars 44 av. J.-C. par Cassius, général romain.
Brutus, son fils adoptif, Cléopâtre et Césarion regagnent l’Égypte, tandis
qu’une guerre civile éclate à Rome.

Les successeurs du dictateur sont Caius Octavius, plus connu sous le nom
d’Octave, un autre fils adoptif, et Marc-Antoine, lieutenant et ami de
César. En 43 av. J.-C., ils forment un triumvirat avec Lépide (proconsul
de Narbonnaise) et parviennent à vaincre ses meurtriers deux ans plus
tard à la bataille de Philippes, en Macédoine. Ils se partagent ensuite
l’Empire romain, lors de la paix de Brindes en octobre 40 av. J.-C. Octave
prend la partie occidentale avec Rome. Marc-Antoine prend la partie
orientale de l’empire, c’est-à-dire la Grèce et l’Asie. Lépide reçoit
l’Afrique.
Mais (Marc) Antoine tombe amoureux de la belle reine d’Égypte et, bien
que marié à la sœur d’Octave, il s’installe à Alexandrie auprès de
Cléopâtre. Son amour pour elle est tel qu’en 34 av. J.-C., il rédige un
testament en sa faveur, dans lequel il lui lègue plusieurs régions orientales
de l’Empire romain. Or, deux amis d’Antoine, exaspérés par la soumission
de celui-ci vis-à-vis de Cléopâtre, informent Octave de l’existence de ce
testament. Octave s’en empare et le lit devant le Sénat romain qui consent
à déclarer la guerre à Cléopâtre VII. Par cette initiative, Octave conforte
son pouvoir en se présentant comme le défenseur de l’empire de Rome
contre l’Orient corrompu par une intrigante.
Prenant le parti de sa maîtresse, Antoine s’organise en attendant l’arrivée
des armées romaines. Il rassemble sa très importante flotte dans le golfe
d’Ambracie, au nord-ouest de la Grèce : 480 navires de guerre, auxquels
s’ajoutent les 60 navires de l’escadre de Cléopâtre. De plus, il dispose de
19 légions disposées dans l’éventualité d’une attaque terrestre d’Octave.
De son côté, Octave compte 400 navires et à peu près autant de
légionnaires. Mais ses troupes sont mieux entraînées et ses vaisseaux plus
rapides. Il est accompagné du remarquable général romain Agrippa.
Alors qu’ils approchent de l’ennemi, Octave et Agrippa font fermer
l’entrée du golfe d’Ambracie, afin de bloquer la flotte adverse et de gêner
son ravitaillement. Conscient qu’il est indispensable de réaliser une
percée, Antoine fait avancer sa flotte, tandis que les vaisseaux de
Cléopâtre se positionnent en seconde ligne.

Le 2 septembre 31 av. J.-C., aux environs de midi, la bataille s’engage


devant le promontoire d’Actium, qui surplombe la mer Ionienne. La
flotte d’Octave se trouve à une distance de 1 500 mètres et bénéficie
d’eaux profondes, ce qui lui permet de déployer ses navires plus
facilement.
Antoine tente de déborder les ailes ennemies et de les prendre en tenaille.
Agrippa profite alors du mouvement de l’aile gauche d’Antoine pour
entourer chacun de ses vaisseaux qui sont ensuite assaillis de flèches, de
harpons, de javelots, etc. De cette façon, le général romain veut vaincre la
flotte d’Antoine par une manœuvre d’encerclement.
Mais soudain, profitant d’une brèche formée dans la flotte ennemie,
Cléopâtre et ses navires quittent la bataille en direction du sud-ouest, vers
l’île de Leucade. Croit-elle la victoire acquise ?
S’apercevant du départ de sa maîtresse, Antoine monte alors sur un navire
à cinq rangs de rameurs et s’enfuit à son tour. Cette désertion, suivie de
quelques dizaines de navires appartenant à la flotte d’Antoine, conduit les
bâtiments restants à se rendre ou s’enfuir.
La bataille navale d’Actium s’achève dans l’après-midi avec la victoire
complète d’Octave. Ses hommes ont réussi à capturer 300 galères et à
tuer 5 000 soldats d’Antoine. Quant aux légions, elles sont restées à terre
sans combattre, regardant la bataille depuis le rivage.
L’armée de terre d’Antoine, commandée par Canidius Crassus, se rend à
Octave une semaine plus tard.

D’après l’écrivain grec Plutarque (v. 50-v. 125 apr. J.-C.), la fuite
d’Antoine est une trahison : « […] […]

[…]
Mais toujours d’après Plutarque, le
nombre de victimes tend à prouver que cette désertion n’était pas
préméditée par Antoine et sa flotte. En revanche, certains pensent que
cette fuite aurait été décidée avant la bataille, le but étant de forcer le
blocus et de rejoindre l’Égypte avec un maximum de navires.

L’année suivante, le 31 juillet 30 av. J.-C., une nouvelle bataille à


proximité d’Alexandrie permet à Antoine de repousser la flotte d’Octave.
Mais cette fois, sentant la partie définitivement perdue et sans doute aussi
en mémoire de la fuite de leur chef à Actium, ses vaisseaux finissent par
rejoindre le camp adverse.
Deux jours plus tard, le 1er août, Antoine se suicide en apprenant la
(fausse) nouvelle de la mort de Cléopâtre. Octave débarque en vainqueur
à Alexandrie et laisse la vie sauve à Cléopâtre. Mais celle-ci comprend que
c’est pour la traîner enchaînée à l’arrière de son char lors de son triomphe
à Rome. Aussi, après s’être rendue sur la tombe d’Antoine, elle se suicide
dans ses appartements en se faisant mordre par un serpent. Bien que privé
de ce trophée, Octave offre à Cléopâtre des funérailles et permet qu’elle
soit enterrée aux côtés d’Antoine.
Avec Cléopâtre VII s’éteint à jamais la dynastie des Lagides, car son fils
Césarion, âgé de 17 ans, est mis à mort par Octave après avoir été trahi
par son précepteur.
Octave rentre à Rome en 29 av. J.-C. Deux ans plus tard, il prend le nom
d’Auguste et institue un régime impérial sur les ruines de la République.
Cet empire durera jusqu’à la chute de Rome en 476.
Au début du IVe siècle de notre ère, le christianisme est une religion
particulièrement persécutée au sein de l’Empire romain, polythéiste.
Successivement, les empereurs multiplient les tortures de toutes sortes
pour dissuader leurs sujets d’embrasser la nouvelle religion venue de
Judée.
Parallèlement, le pouvoir politique est victime de son système très
particulier, qui repose sur la tétrarchie, un gouvernement à quatre. Il
comprend deux « Augustes », Dioclétien pour l’Orient et Maximien pour
l’Italie et l’Afrique, et leurs successeurs potentiels, les deux « Césars »,
Constance Chlore pour la Gaule, l’Espagne et la Bretagne, et Galère pour
l’Illyrie et les régions du Danube.
Ce système de tétrarchie a été instauré en 293 apr. J.-C. par l’empereur
romain Dioclétien, dans un souci d’efficacité grâce à une répartition
équilibrée de l’autorité. Mais en mai 305, au départ de son fondateur, il
devient une source de confusion liée à la répartition des pouvoirs.
En 306, disparaît Constance Chlore, devenu « Auguste ». Son fils
Constantin, né en 274, lui succède. Mais Galère ne lui accorde que le titre
de « César ». Constantin se trouve alors face aux « Augustes » Galère et
Sévère et au « César » Maxima Gaïa. Il a pour rivaux Maximien Hercule
et Maxence, fils de Maximien.
Les rivalités au sein de la tétrarchie aboutissent à une guerre entre
tétrarques, à l’assassinat de Sévère, ainsi qu’à l’élimination de Maximien
et de Galère en 306.

En 312, Constantin réside à Trèves et décide de partir à la conquête de


Rome pour renverser Maxence, installé à Rome, et tenter de réunifier
l’Empire romain sous son autorité. À cette fin, il fait alliance avec
Licinius, un ancien ami de Galère devenu lui aussi « Auguste » et
empereur d’Orient, qui se trouve alors en Gaule.
L’armée de Constantin, forte de 25 000 hommes, franchit les Alpes au
Mont-Genèvre. Parvenu en Italie, Constantin prend et détruit la ville de
Suse, avant de gagner Turin où il vainc les troupes de Maxence. Après
une série de victoires, dont la prise de Milan, Constantin s’avance vers
son objectif, Rome.

Les armées de Constantin et de Maxence se rencontrent au mois


d’octobre 312, à quelques kilomètres au nord de Rome, sur les bords du
Tibre.
Maxence dispose ses soldats à proximité du pont Milvius, construit deux
siècles plus tôt sur la rive droite du Tibre, à l’endroit où la voie
flaminienne franchit le fleuve14. Il fait également installer un pont
d’embarcations à quelques mètres du pont Milvius, de façon à pouvoir se
replier si nécessaire en franchissant le fleuve.
De son côté, Constantin aurait eu une vision la veille des combats : la
tradition raconte qu’il aurait aperçu dans le ciel une croix en X lumineuse,
traversée par un « P » (désignant Jésus-Christ) et entourée de la phrase
latine (« ). Constantin fait
alors peindre ce symbole, le « , sur le bouclier de ses soldats et
sur son étendard. Pour certains, Constantin aurait reçu un signe solaire
qu’il aurait alors interprété comme provenant d’Apollon ou de Mithra.
Le 28 octobre 312, Constantin lance l’offensive contre Maxence.
Rapidement, les soldats de Constantin se frayent un chemin pour
s’emparer du pont Milvius et parviennent à faire reculer l’ennemi, qui
tombe dans le Tibre ou fait chavirer sous son poids le pont de navires
installé la veille.
Maxence lui-même se noie pendant la bataille, alors qu’il tente de gagner
la rive opposée.

Ayant remporté la victoire, Constantin entre en maître dans Rome.


Bientôt, il se tourne vers le christianisme. Il fait venir le chef de la
communauté chrétienne de Rome, Miltiade, qui vivait jusqu’alors caché
dans les Catacombes, et l’installe au palais impérial du Latran.
Désormais, les persécutions sont officiellement interdites dans l’Empire
romain et quelques mois après la bataille de Pont Milvius, Constantin fait
proclamer l’Édit de Milan au début de l’année 313. Il rencontre à cette
occasion Licinius et organise avec lui la liberté de culte dans l’empire :
désormais, les citoyens sont libres de vénérer le dieu de leur choix. Cet
édit de tolérance lui rallie les chrétiens de l’empire, de plus en plus
nombreux, même si Rome demeure un foyer du paganisme.
Malgré cet édit, l’entente entre Constantin et Licinius se détériore,
Constantin accusant Licinius de maltraiter les chrétiens. Ce motif conduit
Constantin à combattre Licinius en 316 à Cibalae, puis à Andrinople et à
Chrysopolis, en 324. Vainqueur à chacune de ces batailles, Constantin fait
exécuter Licinius et devient l’unique maître des deux parties de l’empire.

La liberté religieuse dure une douzaine d’années. En 325, le concile de


Nicée instaure la religion chrétienne comme seule religion d’État de
l’Empire romain, à une époque où la doctrine du prêtre Arius, qui nie la
divinité du Christ, connaît un succès croissant. Constantin craint un
schisme qui mettrait en péril l’unité de l’empire.
L’arianisme est condamné, le paganisme interdit et les traditions
polythéistes combattues. Les fêtes païennes sont remplacées par les
célébrations chrétiennes, de façon à inciter les païens à se convertir : par
exemple, la fête de Saturne devient Noël, la fête d’Astarté laisse la place à
celle de Pâques.
Après avoir conquis l’empire d’Orient de Licinius, Constantin installe en
330 sa nouvelle capitale à Byzance. Celle-ci prend le nom de
Constantinople et devient le siège d’un gouvernement au pouvoir absolu
entouré d’une hiérarchie de fonctionnaires et d’une nouvelle noblesse.
L’empire se transforme en « monarchie de droit divin », qui marque le
point de départ de l’intervention de l’État dans les affaires religieuses.
Désormais, le christianisme est doté d’une double autorité spirituelle et
temporelle. Cependant, l’empereur, devenu « Constantin le Grand », se
rend responsable de tant de cruautés que la sincérité de sa conversion est
mise en doute.
Il ne reçoit d’ailleurs le baptême que sur son lit de mort, des mains d’un
évêque arien, Eusèbe de Nicomédie, le 22 mai 337. Son règne reste
toutefois célèbre dans l’Histoire comme celui de la conversion officielle
de l’Empire romain au christianisme.
En 381, l’empereur Théodose mettra fin aux querelles religieuses entre
les partisans et les opposants de l’arianisme, en réaffirmant les principes
du concile de Nicée de 325, et notamment le , une formule
symbolique par laquelle l’Église affirme officiellement la consubstantialité
du Père et du Fils.

La religion chrétienne n’est pas inconnue de Constantin lorsqu’il bat


Maxence à Pont Milvius : sa mère, Hélène, est chrétienne et on lui
doit de nombreux travaux en Terre sainte qui ouvriront la voie aux
pèlerinages sur les lieux exhumés. On raconte que les fouilles qu’elle
ordonna à Jérusalem auraient conduit à la découverte de la Vraie
Croix.
Au milieu du Ve siècle, une vague de terreur se répand dans toute
l’Europe : les Huns, menés par Attila, surnommé « le fléau de Dieu »,
détruisent tout sur leur passage, ne laissant que ruines, incendies et
dévastations. Attila aime à répéter lui-même que «
.
Les Huns sont un peuple originaire d’Asie apparu au VIIe siècle av. J.-C.
au sud de la Sibérie actuelle et apparenté aux Mongols. Au IIIe siècle de
notre ère, les Huns commencent à se répandre en Europe orientale,
semant la panique dans les contrées qu’ils traversent en raison de leurs
méthodes cruelles et de leur sauvagerie. Au Ve siècle, les Huns
abandonnent leurs traditions de nomadisme pour s’installer au sud du
Danube.

Attila est un prince hun né vers 395 et élevé à la cour de Constantinople.


Adulte, il retrouve son pays d’origine, la Pannonie (actuelle Hongrie), où
il tente de conserver un royaume durable dans la vallée du Danube. Il le
gouverne à partir de 434 aux côtés de son frère Bléda, après la mort de
son oncle.
Ayant fait assassiner Bléda en 445, il parvient à rassembler sous sa seule
autorité toutes les tribus des Huns, l’année suivante. À cette époque, il
attaque à deux reprises (441-443 et 447-449) l’Empire romain d’Orient
où il a grandi. Vainqueur, il soumet l’empereur Théodose II à d’énormes
tributs.
Parallèlement, il envahit les Balkans en 448, soumettant alors les Slaves,
puis les Germains. Il poursuit son chemin vers la Gaule et franchit le
Rhin début avril 751 avec une armée forte de 200 000 hommes (de toutes
origines, bien que la majorité d’entre eux soient des Huns). Il ravage en
chemin la grande ville de Trèves (en Allemagne) et prend Metz le jour de
Pâques. Il pille la ville avant de l’incendier et massacre ou réduit en
esclavage ses habitants. Poursuivant sa route à travers la Champagne, il
s’en prend aux villes de Reims, Saint-Quentin et Laon, qui sont détruites.
Les Gallo-Romains pensent qu’Attila va se diriger vers Lutèce (future
Paris), ville riche et qui connaît une grande importance militaire grâce à
la Seine. Les 2 000 habitants de la ville, affolés, hésitent à partir, mais
grâce au courage d’une jeune femme très pieuse et déterminée
prénommée Geneviève, ils choisissent de se défendre. Ils entourent alors
la ville d’une muraille de deux mètres de hauteur et les habitants
rassemblent toutes les armes qu’ils trouvent : piques, faux, massues, arcs
et flèches, tout en organisant des tours de garde. Très croyante,
Geneviève demande aux habitants de pratiquer un jeûne de trois jours et
de détourner la colère d’Attila par des prières adressées à Dieu.
Lorsque Attila se rapproche de Lutèce, il apprend par ses éclaireurs que la
ville est bien défendue, ce qui l’étonne car il n’a jusqu’alors rencontré
aucune résistance sérieuse. Aussi, plutôt que de s’attaquer à Lutèce, Attila
se dirige directement vers la Loire, en direction de Genabum (Orléans),
qui dispose de stocks importants pour nourrir ses nombreux soldats. Pour
avoir sauvé Lutèce, Geneviève devient la « sainte protectrice de Paris ».

Les Huns arrivent à Orléans, mais ils doivent affronter les habitants
réunis autour de leur évêque, Aignan, qui les encourage à résister comme
l’a fait Geneviève à Lutèce. Cet évêque, un ancien militaire, organise la
défense de la ville en renforçant les fortifications et appelle à l’aide le
général romain Aetius afin qu’il envoie des renforts au plus vite.
Nommé consul en 432, puis patrice15 en 433, Aetius dispose à Ravenne
d’un pouvoir important auprès de l’empereur Valentinien. En outre, il
connaît particulièrement bien les Huns pour avoir vécu comme otage à la
cour du (roi) des Huns dans sa jeunesse. Devenu officier romain, il
en a recruté à plusieurs reprises dans son armée car, bien que cruels, ils
sont aussi réputés pour leur bravoure.
Pendant que les Huns installent des instruments d’assaut devant les
remparts de la ville, survient une armée de secours commandée par
Aetius. Celui-ci a levé des troupes parmi les Wisigoths du Sud-Ouest,
menés par leur roi Théodoric Ier, les Alains, les Burgondes, les Francs, les
Bretons, etc. C’est la première fois qu’est réunie une telle coalition de
tribus barbares.
La lutte est acharnée et fait de nombreuses pertes dans les rangs des
Huns. Attila est alors contraint de lever le siège de la ville et de se replier
en Champagne avec son armée, honteuse de cet échec et démoralisée. À
nouveau, il doit épargner la ville de Troyes, défendue par l’évêque saint
Loup.
Mais à la mi-juin, les Huns, installés au , aux environs
de Moirey près de Troyes, sont rattrapés par les troupes d’Aetius. C’est à
cet endroit, et plus précisément dans l’immense plaine de Mauriac, que
s’engage, le 20 juin 451, une terrible bataille entre environ 50 000 Huns
et les 60 000 hommes d’Aetius16. Cette plaine sera appelée plus tard
« champs Catalauniques » (nom qui vient probablement de ,
« chefs de guerre », du gaulois , « combat », et de , « chef »).
Les cavaliers huns affrontent non seulement des cavaliers adverses, mais
aussi des fantassins. Bientôt, alors que la lutte évolue au corps à corps, les
Huns, habitués aux combats rapides à cheval, commencent à être
débordés. Attila tente de renverser la situation par une charge
particulièrement violente, au cours de laquelle est tué Théodoric, le roi
des Wisigoths. Ces derniers, fous de colère, décident de venger la mort
de leur chef en redoublant d’acharnement contre les Huns.
Attila, spécialisé dans l’attaque fulgurante, n’est pas habitué à affronter
une pression soutenue de l’ennemi. Il choisit alors de reculer avec ses
hommes et il se retranche derrière des remparts improvisés, constitués de
chariots. Tandis que les Huns empêchent les assaillants d’approcher en
tirant des projectiles, Aetius décide d’assiéger ce campement de fortune.
Au bout de trois jours, Attila parvient néanmoins à ouvrir une brèche et à
s’enfuir. Aetius laisse alors ce qui reste de son armée quitter la Gaule et
rejoindre la vallée du Rhin.

Attila ne cherchera jamais à revenir en Gaule. En revanche, un an après sa


défaite aux champs Catalauniques, il a réorganisé ses forces et envahit
l’Italie. Après avoir pillé et dévasté les villes de Milan, de Padoue et
d’Aquilée, il est arrêté par le pape Léon le Grand, qui parvient à le
convaincre de retourner en Pannonie moyennant finances. Attila ne sera
jamais le maître de l’Occident…
Le « fléau de Dieu » décède en 453, le soir même de ses noces avec une
princesse burgonde, des suites d’une hémorragie et d’un excès d’alcool.
Avec lui, disparaît son empire : touchés par une épidémie de peste, les
Huns survivants se dirigent ensuite vers l’est et notamment dans la région
du fleuve Volga.
Quant au brillant chef gallo-romain Aetius, il ne survit qu’une année à
son ancien ennemi, l’empereur Valentinien III, jaloux de son prestige,
l’ayant fait assassiner en 454.
Parmi les peuples « barbares » qui s’installent dans l’Empire romain entre
le IIIe et le Ve siècle se trouvent les Francs, originaires des bords de la
Baltique et descendants d’anciennes tribus germaniques (« franc » signifie
« courageux » en langue germanique). Ils occupent la Rhénanie, la
Belgique, puis le nord de la Gaule, dont la richesse des terres leur procure
une puissance qui leur permet de vaincre leurs adversaires.
Au milieu du Ve siècle, les Francs sont divisés en deux groupes principaux,
eux-mêmes divisés en multiples royaumes : les Francs du Rhin avancent
dans la vallée de la Moselle et les Francs Saliens s’étendent
progressivement depuis le Rhin jusqu’à la vallée de la Somme (soit la
Belgique et le nord de la France actuels).

En 458, Mérovée, le chef du principal groupe des Francs-Saliens,


disparaît. Il était maître du petit royaume de Tournai (actuelle Tournai et
ses alentours, ainsi qu’une partie de la Belgique). Son fils Childéric lui
succède, avant d’épouser la fille du roi de Thuringe, Basine. Vers 466,
celle-ci donne naissance à un fils, nommé « Clovis » ou « Chlodowech »
(signifie « illustre à la guerre » et deviendra « Hludovicus »,
« Lodovicus », « Lodoïs », et enfin « Louis », prénom couramment
donné aux rois de France). Clovis appartient à la dynastie des Mérovingi
(descendants de Mérovée), connue plus tard sous le nom de
« Mérovingiens ».
Le jeune prince devient roi dès l’âge de 15 ans, à la mort de Childéric en
481. À cette date, l’empire d’Occident a disparu : en 476, le dernier
empereur a été déposé par le chef barbare Odoacre, qui s’est emparé de
Rome. Il ne subsiste qu’une zone occupée par des légions gallo-romaines,
sous l’autorité de Syagrius, un fils de général romain qui se proclame
héritier du pouvoir gallo-romain. Celle-ci est située entre la Seine et la
Somme et sa capitale est Soissons. Du côté des Francs-Saliens, tous ne
sont pas rattachés au royaume de Tournai et il existe encore plusieurs
tribus indépendantes.

On trouve à l’ouest, en Bretagne, les Armoricains ; les Alamans à l’est,


entre les Vosges et le Rhin ; les Burgondes au sud-est, dans les vallées
du Rhône et de la Saône ; les Wisigoths au sud-ouest, entre la Loire et
les Pyrénées ; les Romains au centre, dans les vallées de la Marne et de
l’Oise ; et enfin, au nord, les Francs en Belgique, en Champagne et en
Picardie.
Source : Julaud Jean-Joseph, , First,
2004.

Contrairement à son père Childéric qui avait combattu aux côtés des
Romains contre les Wisigoths et les Alamans, Clovis Ier prend les armes
en 486 pour attaquer Syagrius.
À la tête d’environ 5 000 guerriers, il réussit à vaincre les légions gallo-
romaines à Soissons et scelle ainsi la fin de la présence romaine en Gaule.
La célèbre histoire du vase de Soissons se déroule à cette occasion : après
la victoire, et alors que les guerriers francs se partagent le butin, Clovis
décide de restituer un magnifique vase d’Église à un évêque, mais un
soldat franc s’y oppose et brise le vase. L’année suivante, alors qu’il passe
ses troupes en revue, Clovis aperçoit l’insolent soldat. Clovis lui prend ses
armes et les jette à terre, prétextant qu’elles sont mal entretenues. Tandis
que le soldat se baisse pour les ramasser, il lui fend le crâne avec sa hache
en s’écriant : «

Clovis multiplie les batailles et peut désormais unifier le royaume franc


qui couvre alors tous les territoires au nord de la Loire. Il s’attelle à la
double tâche de consolider son pouvoir sur son territoire sans cesse
agrandi et de se faire respecter par les autres chefs barbares. À ce titre, il
élimine les Francs Saliens qui pourraient lui porter ombrage et combat les
Thuringiens en 491.
Avant de s’en prendre aux Alamans, cinq ans plus tard, Clovis épouse en
493 une princesse chrétienne, Clotilde, fille du défunt roi burgonde
Chilpéric. Clotilde ne parvient pas à convertir Clovis, roi païen, mais elle
fait baptiser leurs fils et venir des chrétiens influents à sa cour.

En 496, Clovis, âgé de 30 ans, entreprend de combattre les Alamans,


peuple germanique proche des Francs. Ceux-ci, installés au sud du bassin
du Rhin, sont attirés par les richesses du nord de la Gaule et tentent
d’étendre leur domination chez les Francs Rhénans, alliés aux Francs
Saliens de Clovis.
Clovis se rend alors avec son armée dans la région de Cologne (en
Allemagne actuelle), où il compte attirer les Alamans venus défendre leur
territoire d’origine. Les Francs et les Alamans se rencontrent à une
trentaine de kilomètres au sud de Cologne, dans une plaine rhénane
proche de la forteresse romaine de Zülpich ( en latin, qui
deviendra Tolbiac). La bataille s’engage avec des combats au corps à
corps : les fantassins s’affrontent à coups d’épée, de haches à un ou deux
tranchants (la francisque des Francs), de lances et de javelots à pointe
barbelée. Ils sont également munis d’arcs et de flèches…
Peu à peu, les soldats de Clovis, massacrés par l’ennemi, perdent du
terrain. Le roi franc, sentant la victoire lui échapper, invoque alors le
« Dieu de Clotilde » : «
Le miracle survient : tandis que le roi
alaman est tué sur le champ de bataille, ses troupes perdent confiance et
reculent à leur tour devant les Francs qui se sont ressaisis. Clovis est
bientôt vainqueur, ce qui lui permet d’étendre son pouvoir jusqu’au Rhin.
Respectueux de son engagement, Clovis se fait baptiser dans la cathédrale
de Reims par l’évêque Rémi, le 25 décembre 496 (selon la tradition), ainsi
que 3 000 de ses soldats. «
lui ordonne l’évêque au-dessus des fonts
baptismaux.
Par cette conversion, Clovis est le premier roi barbare à adopter pour son
peuple le christianisme. Désormais, l’Église est protégée et va s’étendre
en Europe occidentale. Quant à Clovis, il bénéficie du soutien de l’Église
et de ses fidèles, notamment de ses sujets gallo-romains, ce qui lui facilite
les conquêtes.

Une coalition de barbares de confession arienne s’organise avec l’appui du


roi des Ostrogoths Théodoric le Grand, qui règne alors sur l’Italie. Mais
Clovis parvient à la battre en l’an 500, puis à imposer un tribut aux
Burgondes qu’il transforme en alliés. Ayant privé les Wisigoths du
soutien éventuel des Burgondes, il remporte en 507 la bataille de Vouillé
(nord-ouest de Poitiers), au cours de laquelle le roi Wisigoth Alaric II
trouve la mort. Clovis soumet alors les Wisigoths et prend l’Aquitaine.

Arius (v. 256-336 apr. J.-C.), un prêtre d’Alexandrie, établit cette


doctrine que l’Église catholique considère comme une hérésie. Celle-
ci la condamne en 325 au concile de Nicée, puis en 381 au concile de
Constantinople.
À l’époque de Clovis, un certain nombre de chefs barbares, dont les
Wisigoths et les Burgondes, sont ariens.

Cet appui constant de l’Église permet à Clovis de former peu à peu un


royaume franc non géré par des chefs de tribus mais par une
administration épiscopale. Par sa conversion, le roi des Francs devient
également l’allié de l’empereur (chrétien) de Constantinople.
En 508, Clovis désigne Paris comme capitale, située au cœur de son
royaume et appelée encore aujourd’hui « Ile-de-France ». La ville compte
alors près de 30 000 habitants.

Clovis meurt à Paris en novembre 511, alors qu’il n’a que 45 ans. Seul le
royaume des Burgondes bénéficie encore d’une relative indépendance : en
vingt ans, Clovis a réussi à étendre le royaume des Francs sur toutes les
régions comprises entre les Pyrénées et la vallée du Rhin, à l’exception de
la Vasconie, en Gascogne, et de la Septimanie, le futur Languedoc.
Ce royaume est ensuite partagé entre ses quatre fils : Childebert,
Clodomir, Thierry et Clotaire. Ces derniers poursuivent l’œuvre de leur
père en conquérant la Thuringe (en Allemagne), la Bourgogne et la
Provence, mais les rivalités entre les fils et les petits-fils de Clovis divisent
à nouveau la Gaule. La dynastie mérovingienne disparaît en 751 pour
laisser la place aux Carolingiens.
À la fin du VIIe siècle, les descendants de Clovis, surnommés « les rois
fainéants », ne détiennent pas de véritable pouvoir. En réalité, l’autorité
est détenue par le maire du palais, une sorte de super-intendant que l’on
pourrait qualifier aujourd’hui de « Premier ministre ». C’est justement la
grande valeur du maire du palais d’Austrasie, Pépin de Herstal, qui donne
sa puissance à ce royaume franc de l’époque mérovingienne, dont la
capitale est Metz.
Pépin remporte une série de victoires et son fils Charles, qui lui succède
en 714, achève la conquête du royaume franc de Neustrie. Il multiplie les
interventions militaires, au cours desquelles il assomme l’ennemi avec sa
masse d’armes comme s’il s’agissait d’un marteau, ce qui lui vaut d’être
surnommé « Martel ».
La principale menace à laquelle Charles Martel doit répondre vient du
Sud. Entre 711 et 713, les Arabes ont conquis une grande partie de
l’Espagne prise aux Wisigoths, avant de franchir les Pyrénées quelques
années plus tard, sous les ordres de l’émir al-Hurr. En 720, après avoir
mené une série de raids dans la vallée du Rhône et de la Saône pendant
plusieurs mois, des pillards sarrasins s’implantent en Septimanie
(Languedoc) et prennent Narbonne. Puis ils pénètrent dans la région de
Toulouse au cours de l’année suivante, mais la ville parvient à être sauvée
par l’intervention d’Eudes, duc d’Aquitaine. Les Arabes prennent ensuite
Carcassonne en 724 et, remontant la vallée du Rhône, ravagent Autun en
725.
Après une accalmie, les troupes sarrasines, menées par des Arabes et
comprenant de nombreux Berbères convertis depuis peu, réapparaissent
en Aquitaine en 732.

Cette année-là, le chef arabe Abd-al-Rahman ibn Abd-Allah, surnommé


« » (« le compagnon du Prophète »), parti de la ville espagnole
de Pampelune, franchit les Pyrénées à la tête d’une armée de 15 000
soldats. Il entend notamment piller les riches sanctuaires chrétiens et
étendre son territoire depuis l’Espagne conquise récemment. Les troupes
arabes marchent sur Bordeaux en saccageant la région. Après avoir
finalement vaincu Eudes d’Aquitaine, ils prennent Bordeaux. Alors que la
ville est incendiée et ses habitants exterminés, Charles Martel répond aux
appels désespérés d’Eudes et aux injonctions des évêques. Il se met en
route avec une armée en direction de Poitiers, où se dirigent également
les troupes d’Abd-al-Rahman. Celles-ci, une fois parvenues à Poitiers,
saccagent à nouveau les édifices de la ville, dont la basilique Saint-Hilaire,
et reprennent leur route en direction de la riche abbaye de Saint-Martin-
de-Tours.
Les deux armées se rencontrent le 25 octobre 732 à une vingtaine de
kilomètres au nord de Poitiers, le long de la voie romaine qui relie cette
ville à Tours, en un lieu appelé aujourd’hui « Moussais-la-Bataille ».
Lorsque Charles Martel entend les troupes arabes approcher, il ordonne à
ses soldats de se protéger derrière une série d’arbres les mettant à l’abri
des premiers tirs de projectiles ennemis. Après une semaine passée à
s’observer mutuellement, les Arabes passent à l’attaque.
Gardant l’initiative, les Francs se jettent sur les cavaliers arabes et les
matraquent à coups de haches et de masses. Après avoir tenté de déborder
les Francs par de multiples attaques au cri de « (« Dieu
est grand ! », en arabe), les Arabes commencent à fatiguer. Les guerriers
francs, formés en groupes très serrés et équipés de boucliers, casques et
cottes de mailles, forment une sorte de mur d’acier particulièrement
solide et disposent de lances plus efficaces que les épées et les javelots de
leurs adversaires.
Charles Martel choisit ce moment pour lancer ses troupes et surtout sa
cavalerie lourde à l’assaut de l’ennemi. Au cours de cette charge d’une
violence inouïe, les lances franques massacrent abondamment sur leur
passage et la cavalerie franque, qui dispose d’étriers récemment diffusés,
s’avère presque invincible. À la fin de la journée, les armées arabes, dont
le chef Abd-al-Rahman a trouvé la mort dans les combats, sont
contraintes de battre en retraite, s’éloignant d’un champ de bataille
rempli de cadavres.
Après une nuit de repos, les Francs s’apprêtent à reprendre les armes,
mais s’aperçoivent que leurs ennemis ont disparu en laissant leurs tentes,
leurs esclaves et leurs butins. Les troupes arabes ont repris la voie
romaine vers Bordeaux, qu’ils surnomment « pavé des martyrs », et
franchissent les Pyrénées en sens inverse.

Cette victoire de Charles Martel à Poitiers, considérée comme une


grande victoire de la chrétienté sur les « Infidèles » (dans les faits, cette
bataille ne correspond qu’à un affrontement limité), permet de mettre un
terme aux raids sarrasins et donne au vainqueur un immense prestige. Le
pape Grégoire III nomme Martel . Ce titre très honorifique
offre au maire du palais un statut proche de celui d’un souverain. De son
côté, Martel interviendra à la demande de ce même pape contre les
Lombards en 739.
Charles Martel profite de sa réputation pour s’imposer en Aquitaine, en
Provence et en Bourgogne, qui passent sous son autorité. D’ailleurs,
Charles Martel est progressivement devenu le vrai maître du royaume
franc. Lorsque le roi Thierry IV meurt en 737, aucun successeur n’est
désigné.
Les Arabes reviennent pourtant en 735 et ravagent Avignon. L’année
suivante, ils pillent la Bourgogne et reprennent la ville de Narbonne,
qu’ils occuperont pendant une quarantaine d’années. En dépit d’une
nouvelle intervention de Charles Martel, les troupes arabes ne quitteront
définitivement le territoire qu’en 769.

Charles Martel meurt le 22 octobre 741 et, tel un roi, partage le royaume
entre ses fils Carloman et Pépin dit « le Bref » en raison de sa petite
taille. Mais ces derniers doivent faire face à de nombreuses révoltes et
décident de remettre sur le trône un héritier de la dynastie des
Mérovingiens, Childéric III.
Quelques années plus tard, alors que Carloman a choisi de se retirer dans
un monastère, Pépin réalise un coup d’État en 751 : avec l’accord de
l’Église qu’il a toujours soutenue, il dépose Childéric et se fait élire roi
des Francs. C’est la fin des Mérovingiens et le début d’une nouvelle
dynastie, celle des Carolingiens, jusqu’en 987.
Pépin sera sacré une première fois à Soissons par l’évêque Boniface en
751, puis à Saint-Denis par le pape Étienne II en 754, qui oint également
son fils Charles âgé de 12 ans, le futur Charlemagne. Cette cérémonie du
sacre par le pape, qui fait du roi l’élu de Dieu et symbolise l’alliance du
trône de France avec l’Église, devient la règle pour tous les rois de France
jusqu’à la Révolution.
La Normandie de la seconde moitié du XIe siècle est aux mains de
Guillaume, duc de Normandie et fils naturel de Robert le Magnifique
(également dit « le Diable »), né en 1027. Guillaume, surnommé le
« Bâtard », a dû lutter plusieurs années contre les autres prétendants au
duché de Normandie, et ce n’est qu’en 1047 qu’il est parvenu à asseoir
son autorité sur les barons. La Normandie de cette époque est riche, très
peuplée et puissante.
À la même époque, de l’autre côté de la Manche, le roi d’Angleterre,
Édouard le Confesseur, meurt le 5 janvier 1066, sans fils pour lui
succéder. Dès le lendemain du décès, son beau-frère, le comte anglo-
saxon Harold, s’empare du trône et se fait couronner roi d’Angleterre
dans la cathédrale d’York, alors deuxième ville du royaume.
Mais Guillaume, duc de Normandie, réagit immédiatement : Édouard le
Confesseur, son cousin, a fait de lui son héritier dès 1051, une décision
qu’Harold était chargé d’annoncer officiellement. Guillaume entend donc
prendre possession de son héritage, y compris par les armes. Il commence
par envoyer des représentants à Rome. Harold s’étant rendu coupable de
parjure en ayant trahi la promesse faite au roi Édouard, Guillaume
parvient à le faire excommunier et à obtenir le soutien du pape Alexandre
II pour attaquer l’Angleterre. C’est sous les bannières pontificales que
Guillaume franchira la Manche.

Guillaume fait construire des navires suffisamment grands et solides pour


y embarquer non seulement des soldats mais aussi des chevaux, des armes
et des vivres. Après plusieurs mois de préparatifs, la flotte comprend 1
400 navires, 400 pour les hommes et 1 000 pour les chevaux.
De nombreux volontaires, dont des seigneurs et des chevaliers, se
présentent pour participer à l’expédition. Ils viennent de différentes
régions de France, voire d’Italie, et sont avides d’aventure, de nouvelles
terres et de butin, tout en étant rassurés par la bienveillance du pape
envers le projet de Guillaume. Ce dernier constitue ainsi une armée de
près de 7 000 hommes, dont 2 000 cavaliers.
La traversée de la Manche est retardée en raison de l’absence de vent,
puis de la tempête, et ce n’est qu’après un mois et demi d’attente qu’ils
peuvent appareiller.
Le 28 septembre 1066, ils s’élancent enfin et ne rencontrent pas
d’obstacles majeurs pendant la traversée, la flotte de Harold étant
bloquée, à son tour victime du vent.
Harold se retrouve dans une situation particulièrement difficile, car au
moment où Guillaume s’apprête à débarquer, une autre menace apparaît,
cette fois sur la mer du Nord : le roi Harald de Norvège, également
parent d’Édouard le Confesseur, veut reprendre la couronne à Harold.
Ce dernier parvient cependant à battre les Norvégiens à Stamford Bridge,
le 25 septembre 1066.
L’armée de Guillaume débarque le 29 septembre à Pevensey, sur les côtes
du Sussex. Décidée à affronter rapidement les Anglais, elle gagne
Hastings, tandis que les troupes d’Harold descendent vers le sud du pays.
Le 13 septembre, les Anglais parviennent dans la localité d’Hastings et,
apercevant les Normands, s’installent sur la colline.
Au matin du 14 septembre, la bataille s’engage entre les deux armées dont
les effectifs sont équivalents. Rapidement, les Normands réalisent qu’ils
ne peuvent venir à bout des Anglais, qui bénéficient d’une position en
hauteur et forment avec leurs boucliers une haie infranchissable, en dépit
des attaques des archers et des cavaliers.
Guillaume a alors recours à la ruse : faisant reculer ses troupes pour
feindre une retraite, il fait ainsi descendre les troupes d’Harold dans la
plaine avant de lancer sa cavalerie. Les Anglais, déstabilisés, se défendent
avec vigueur, mais finissent par perdre espoir lorsqu’ils apprennent la
mort de leur chef, Harold, atteint d’une flèche en pleine tête.
À la fin de la journée, les Normands sont victorieux.

Guillaume se fait sacrer roi d’Angleterre le 25 décembre 1066, dans la


cathédrale londonienne de Westminster. Au cours des années suivantes, il
fait de l’Angleterre le royaume le plus riche et le plus puissant d’Europe
occidentale.
Toutefois, en tant que duc de Normandie, Guillaume est également
vassal du roi de France Philippe Ier. Cette situation est source de graves
tensions et Guillaume doit affronter l’alliance de son fils aîné, Robert de
Courteheuse, avec le roi Philippe.
À l’été 1087, Guillaume est grièvement blessé au cours d’un affrontement
avec le roi de France sur le sol français. Il meurt le 7 septembre suivant,
dans la ville de Rouen, et est inhumé selon ses volontés dans l’abbaye
Saint-Etienne-de-Caen.
Son second fils, Guillaume le Roux, lui succède sur le trône d’Angleterre.

Au VIIe siècle, la Palestine, aux mains des Byzantins chrétiens depuis trois
siècles, est passée sous la domination des Arabes, appelés aussi
« Sarrasins » par les chrétiens et qui pratiquent la religion musulmane
fondée par Mahomet. En 638, le patriarche Sophronius a remis les clés de
Jérusalem à Omar, le chef des armées arabes, et a reçu l’assurance que les
droits des chrétiens seront respectés.
Pourtant, cette mainmise musulmane sur la ville est vécue comme une
épreuve par les chrétiens, qui dénoncent le manque de respect des
« Infidèles » envers leurs lieux de culte et se plaignent des difficultés
rencontrées lors de pèlerinages en Terre sainte.
Dès le début du XIe siècle, le pape Sylvestre II lance : «
En 1009, le Saint-Sépulcre (le
tombeau du Christ), haut lieu de dévotion des chrétiens à Jérusalem, est
même détruit par le fanatique sultan fatimide d’Égypte El-Hakim, avant
d’être finalement rebâti en 1047.

C’est surtout l’avancée des Turcs Seldjoukides, venus de la région du Syr-


Daria en Asie centrale, qui aggrave considérablement la situation des
chrétiens. Les Turcs soumettent la Perse en 1046 et remportent contre
les Byzantins la victoire de Manzikert (Arménie) en 1071. Refoulant ces
derniers à l’ouest de l’Asie mineure, ils prennent également la Syrie et la
Judée. Au fil de leurs victoires contre l’Empire byzantin, les Turcs
Seldjoukides soumettent de nombreux chrétiens grecs, arméniens et
syriens, qu’ils réduisent souvent en esclavage après avoir détruit leurs
lieux de culte. Ils prennent Jérusalem en 1078 et en rendent alors l’accès
bien plus difficile aux chrétiens.
Plusieurs papes, dont Grégoire VII et Victor III, continuent d’évoquer la
libération des Lieux saints et s’inquiètent de l’avancée musulmane. Mais il
faut attendre la fin du XIe siècle pour que ces appels soient véritablement
entendus.
Le contexte sociopolitique est lié à cette évolution. À l’époque, il s’agit de
pacifier l’Europe en détournant les volontés bellicistes des chevaliers vers
des contrées lointaines, à qui l’Occident semble devenu trop étroit. De
plus, les Turcs menacent depuis longtemps de prendre Constantinople et
l’empereur byzantin Alexis Comnène presse le pape Urbain II
d’intervenir.
Enfin, un chrétien de retour de Palestine, Pierre d’Acheris, connu sous le
nom de Pierre l’Ermite, se rend auprès du pape pour le convaincre à son
tour de lancer la première croisade. Ce pape, conscient des enjeux pour la
chrétienté et sans doute aussi touché par les propos de Pierre l’Ermite,
prend cette idée très au sérieux.
Urbain II convoque un concile à Clermont (actuelle ville de Clermont-
Ferrand) en novembre 1095. Il lance alors un appel aux chrétiens pour
aller « », accordant une indulgence plénière à
tous les croisés : «

[…]

[les Turcs] […]

Cette expression désigne celui qui participe à un pèlerinage armé


mené par les chrétiens occidentaux. Son habit est orné d’une croix
d’étoffe cousue, d’où son nom de « croisé ».

La croisade est prévue pour l’année suivante, mais une première


expédition se met en route. Elle est constituée de pauvres et notamment
de mendiants galvanisés par les propos de Pierre l’Hermite et du chevalier
désargenté Gauthier-sans-Avoir. Partis de Cologne le 12 avril 1096, ces
quelque 20 000 pèlerins traversent l’Europe sans aucune discipline, pillant
pour se nourrir, affrontant les Bulgares, massacrant des juifs et suscitant la
colère des Byzantins. Environ 12 000 d’entre eux parviennent jusqu’en
Asie mineure dans un état lamentable et finissent massacrés par les Turcs
en octobre 1096.
Parallèlement à cette « croisade des pauvres gens », une autre expédition
quitte l’Europe occidentale à la fin de l’année 1096 pour rejoindre la
Terre sainte. Elle comprend cette fois des hommes bien armés,
disciplinés, et organisés. Elle est composée de Flamands et de Lorrains
sous l’autorité de Godefroi de Bouillon et de Robert de Flandre, de
Normands et de Bourguignons commandés par Hugues de Vermandois
(frère cadet du roi de France) et Étienne de Blois, de Normands de Sicile
menés par Bohémond de Tarente et son neveu Tancrède, d’Aquitains et
de Provençaux menés par Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse.
Aux 4 500 cavaliers et 30 000 fantassins s’ajoute une véritable population
composée de 100 000 personnes environ, hommes et femmes de tous âges
et origines. C’est la « croisade des barons », des nobles et des chevaliers
européens menant cette expédition à la place des rois de France (Philippe
Ier) et d’Allemagne, tous deux excommuniés.
Les croisés se rejoignent en 1097 à Constantinople, où ils s’engagent
auprès de l’empereur Alexis Ier Comnène à restituer à l’Empire byzantin
tous ses anciens territoires. Ils traversent ensuite l’Asie mineure, où ils
bénéficient de la discorde régnant entre les chefs turcs : ils prennent la
ville fortifiée de Nicée, capitale de l’Anatolie turque, le 20 juin 1097, puis
remportent une nouvelle victoire contre les Turcs à Dorylée (actuelle
ville d’Eskisehir) un mois plus tard, le 5 juillet.
Parvenus en Syrie, ils prennent la citadelle d’Antioche le 3 juin 1098,
après huit mois de siège, mais ne restituent pas cette ville à l’empereur
byzantin. En effet, entre-temps, le représentant du pape, Adhémar de
Monteil, évêque du Puy, est décédé d’une épidémie survenue pendant le
siège d’Antioche. Désormais, en l’absence d’une véritable autorité, on
passe outre la promesse faite à Alexis Ier Comnène.
En janvier 1099, les croisés menés par Raymond de Saint-Gilles
reprennent leur route, avec pour objectif Jérusalem. Ils ont refusé les
offres du vizir égyptien al-Afdal, dont les troupes ont réussi à reprendre
Jérusalem aux Turcs, le 26 août 1098. Ce dernier leur proposait de
conserver leurs territoires nouvellement conquis et de laisser en échange
la Palestine aux Fatimides d’Égypte.
Entre Antioche et Tripoli, les croisés s’emparent le 28 janvier (sans
combat, les habitants ayant fui) de la forteresse d’Hisn al-Akrad, en Syrie.
Après de nombreux travaux réalisés par l’ordre des Hospitaliers, celle-ci
deviendra quelques décennies plus tard le célèbre Krak des Chevaliers,
destiné à protéger le comté de Tripoli (dans l’actuel Liban) des offensives
musulmanes.
Au printemps suivant, les croisés pénètrent au nord de la Palestine…


Le 7 juin, les croisés arrivent aux abords de Jérusalem, où ils recueillent
des chrétiens que les Égyptiens ont expulsés de la Ville de peur d’une
trahison. L’armée se prépare à attaquer, mais demeure mal équipée, bien
qu’une escadre génoise ait débarqué à Jaffa avec vivres et armes. De plus,
ses effectifs demeurent restreints face à la détermination des défenseurs
de Jérusalem.
Le siège commence, dans des conditions extrêmes. Le récit de
explique : «

De
leur côté, les assiégés narguent les croisés qui préparent avec difficulté des
tours mobiles et des échelles géantes, et insultent leur religion, ce qui
accroît la colère des chrétiens : «

L’assaut contre la ville est néanmoins lancé, mené par Godefroi de


Bouillon et son frère aîné, Eustache de Boulogne. Très rapidement, les
échelles et les tours mobiles sont repoussées et incendiées par le feu
grégeois utilisé par la garnison égyptienne. Les croisés doivent alors
détruire un navire génois afin d’avoir suffisamment de bois pour
poursuivre l’assaut.
Après 40 jours de siège, Godefroi de Bouillon est le premier à atteindre le
sommet des remparts, tandis que la muraille nord est envahie. De
nombreux habitants, terrorisés, se réfugient dans le Temple, et le
gouverneur de Jérusalem, Ifkhitar al-Dawla, conscient que la situation est
désespérée, prend la décision de se rendre.
Le 15 juillet après-midi, les croisés investissent la ville. À bout de forces et
envahis par une rage folle, ils se rendent alors coupables d’un horrible
massacre. Les musulmans réfugiés dans le Temple de Salomon, devenu la
mosquée d’Omar, et les juifs enfermés dans une synagogue sont massacrés
sans pitié, y compris les vieillards, les femmes et les enfants. Certains
défenseurs de la cité ont la vie sauve, grâce à la parole donnée par des
hommes comme Tancrède de Hauteville ou Raymond de Saint-Gilles,
qui tentent de les protéger en les réunissant sous leur bannière.

Il existe de nombreux récits sur cet épisode de l’histoire des croisades, qui
témoignent tous d’un véritable carnage.
Le chroniqueur de l’époque, Raimond d’Aguilers, raconte les scènes
atroces survenues dès le 15 juillet : «
[…]

[…]

[…] ».
L’auteur musulman Ibn Al-Atyhïr (1160-1223) en fait un récit tout aussi
effrayant dans sa écrite au XIIe siècle : «

[…]

Enfin, un chrétien anonyme raconte également : «

[…]
Ce massacre marquera pour de nombreux siècles une rupture entre les
Arabes et les Francs…

Une fois aux mains des croisés, Jérusalem est confiée à l’autorité de
Godefroi de Bouillon, et non à Raymond de Saint-Gilles qui avait
pourtant été choisi par le pape comme chef militaire de cette croisade.
Godefroi est élu comme souverain le 22 juillet 1099, mais il refuse le titre
de « roi de Jérusalem », par humilité envers le Christ. Il prend le titre
d’« Avoué du Saint-Sépulcre ».
La prise de Jérusalem marque la fondation du « royaume latin de
Jérusalem », mais les croisés, dont une partie des effectifs retourne soit
vers le Nord soit en Europe, se retrouvent dans une région à la fois
hostile et difficilement contrôlable.
Aussi soumettent-ils rapidement toutes les places fortes de Galilée, ainsi
que les ports de la rive méditerranéenne. Après avoir refusé les nouvelles
offres de pourparlers du vizir fatimide, ils repartent également se battre
contre les troupes égyptiennes à Ascalon, port de l’ancienne Palestine
méridionale et ancienne cité royale des Philistins. Grâce à une attaque
surprise entre la mer et la cité, le 12 août 1099, ils parviennent à écraser
leur adversaire, qui avait pourtant réuni une armée de 10 000 hommes.
Cette victoire est particulièrement bénéfique aux croisés car elle écarte de
la Terre sainte la menace d’une reconquête par les Égyptiens.
Toutefois, la prise de la ville d’Ascalon sera retardée d’un demi-siècle, en
raison de l’hostilité d’un certain nombre de chevaliers, dont Raymond de
Saint-Gilles, à confier l’autorité de cette place forte à Godefroi de
Bouillon. Ascalon ne sera véritablement aux mains des croisés que le
19 août 1153. Cette rivalité s’avère bien inutile, d’autant que Godefroi de
Bouillon, après s’être activement occupé de l’organisation des États latins,
disparaît quelques mois plus tard, le 18 juillet 1100. Son frère cadet
Baudouin lui succède jusqu’en 1118.
En prenant la cité d’Ascalon, les croisés découvrent l’oignon d’Ascalon
( en latin), dont le bulbe est utilisé comme condiment. Ils
décident d’en rapporter en France, où il reçoit le nom d’« échalogne »
en vieux français (amalgame d’« Ascalon » et d’« oignon »). Il est
aujourd’hui connu sous le nom d’« échalote ».

On dénombre au début du XIIe siècle quatre États latins d’Orient : le


royaume de Jérusalem gouverné par Baudouin Ier de Boulogne ; plus au
nord, le comté de Tripoli, sur les côtes syriennes (Liban actuel), qui
revient à Raymond de Toulouse ; la principauté d’Antioche, dans la vallée
de l’Oronte (Turquie actuelle), qui revient à Bohémond de Tarente ; au
nord-est, le comté d’Édesse (actuelle Urfa, en Turquie), qui échoit à
Baudouin de Boulogne.
Les croisés parviennent à maintenir leurs positions jusqu’aux années
1170, mais leur situation demeure incertaine. Ils sont avantagés par les
divisions existant au sein de la communauté musulmane : les Arabes
s’opposent aux Turcs, les Égyptiens aux Syriens, les Sunnites aux Chiites,
etc., bien que ces multiples ennemis soient une menace permanente.
Les croisés se sont assimilés aux populations locales, avec lesquelles ils
entretiennent des rapports cordiaux. Des quatre États latins qu’ils ont
fondés à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, les croisés ont perdu le
comté d’Édesse, le 23 décembre 1144. Or, la prise d’Édesse par Imal al-
Din Zanki, gouverneur de Mossoul, constitue la première grande victoire
musulmane sur les croisés. Le pape Eugène III a donc demandé à Bernard
de Clairvaux de prêcher une nouvelle croisade.
Celle-ci est lancée à Vézelay, en Bourgogne, à l’occasion des fêtes de
Pâques de 1146. L’empereur du Saint Empire romain germanique
Conrad III et le roi de France Louis VII en prennent le commandement,
mais la mésentente entre les deux souverains fait très rapidement échouer
cette deuxième croisade, en 1149.
Les Francs se maintiennent néanmoins en Terre sainte et parviennent à
prendre Ascalon en 1153. Ils doivent ensuite affronter un adversaire de
taille, Nur al-Din Mahmud (1118-1174), fils du gouverneur de Mossoul,
Zanki. Celui-ci règne sur la Syrie unifiée après avoir pris Damas le
25 avril 1154 et lutte contre eux avec détermination. Nur al-Din
Mahmud organise avec succès plusieurs expéditions en Égypte pour
contrer les ambitions du roi de Jérusalem, Amaury Ier, qui lance en 1163
une offensive contre l’Égypte. Les Francs parviennent ainsi à occuper la
ville du Caire de 1167 à 1169.

En 1174, les croisés voient apparaître une nouvelle source d’inquiétude :


alors que Nur al-Din Mahmud vient de mourir, le chef kurde Saladin
parvient à unifier les Égyptiens et les Syriens sous son autorité. La même
année, le roi de Jérusalem, Amaury Ier, est emporté par le typhus et laisse
pour héritier son fils Baudouin, âgé de 13 ans seulement et dont on
découvre qu’il est atteint de ce terrible fléau qu’est la lèpre. Le régent
chargé d’administrer le royaume jusqu’à la majorité du jeune roi, Million
de Plancy, de triste réputation, est rapidement assassiné. Il est remplacé
par Raymond III de Tripoli, seigneur de Tibériade, qui conclut une trêve
avec Saladin en mai 1175.
Le jeune Baudouin est finalement couronné roi dans la basilique du
Saint-Sépulcre, le 17 juillet 1177. Malgré son jeune âge, le nouveau
souverain s’avère un homme habile et courageux. À 16 ans, Baudouin IV
commande et galvanise ses troupes depuis une litière et remporte, avec
environ 450 chevaliers, la bataille de Montgisard (ou Tell el-Safiya), près
d’Ascalon, le 25 novembre 1177. Les 20 000 hommes de Saladin sont
contraints à la fuite.
Les relations du jeune roi de Jérusalem avec Saladin seront par la suite
marquées d’une estime réciproque, les deux hommes étant tous deux
profondément attachés aux valeurs chevaleresques. Après trois années au
cours desquelles Baudouin IV tient tête aux offensives du sultan, une
trêve renouvelable est conclue entre eux en 1180.

Godefroi de Bouillon 1099-1100


Baudouin Ier 1100-1118
Baudouin II 1118-1131
Foulques d’Anjou 1131-1143
Baudouin III 1143-1163
Amaury Ier 1163-1174
Baudouin IV, le « roi lépreux » 1174-1185
Baudouin V 1185-1186
Guy de Lusignan et la reine Sibylle 1186-1192

Baudouin IV meurt le 16 mars 1185, à 24 ans. Son successeur, Baudouin


V, est un enfant de cinq ans. Le beau-frère de Baudouin IV, Guy de
Lusignan, assure alors la régence du royaume. Il est l’époux de Sibylle,
sœur aînée de Baudouin IV, fille d’Amaury Ier et également mère de
Baudouin V, fruit de son premier mariage avec Guillaume de Montferrat.
Un an plus tard, c’est au tour du jeune Baudouin V de décéder.
En dépit de l’opposition de nombreux barons et de Raymond de Tripoli,
le régent Guy de Lusignan devient roi de Jérusalem, grâce à sa femme
Sibylle, héritière de la couronne, et avec le soutien de Héraclius,
patriarche de Jérusalem, de Gérard de Ridefort, grand-maître de l’ordre
des Templiers, et de Renaud de Châtillon, prince d’Antioche. C’est ce
dernier qui va rompre la trêve avec les musulmans, jusqu’alors respectée.
Renaud de Châtillon avait déjà organisé en 1181 une attaque contre une
caravane de La Mecque et tenté de couper la route de pèlerinage vers la
première des villes saintes de l’Islam. Cette tragique initiative avait alors
mis en grande difficulté les croisés, qui durent faire intervenir Raymond
de Tripoli, ce dernier entretenant de bonnes relations avec Saladin, pour
restaurer le dialogue avec les musulmans profondément choqués et
maintenir néanmoins le .

Quelques années plus tard, à la fin de 1186 ou au début de 1187, Renaud


de Châtillon se rend à nouveau coupable de pillages et notamment d’une
attaque contre une riche caravane commerciale qui se rend d’Égypte à
Damas. Il fait prisonnier ses marchands et les soldats qui l’accompagnent,
rejetant avec insolence le message d’indignation que Saladin lui adresse.
Cette fois, l’intervention de Raymond de Tripoli reste vaine, car des
Templiers ont attaqué sans motif des soldats musulmans, à l’initiative de
Gérard de Ridefort.
Depuis 1183, Saladin a achevé l’unification de tous les territoires
entourant les possessions des Francs, ayant réuni Alep à Damas et au
Caire. Il se sent désormais prêt à combattre. Il mobilise toutes ses armées
de Syrie du Nord, de Damas, d’Alep et d’Égypte et déclare la guerre aux
croisés au printemps 1187. Après avoir pénétré avec ses troupes en
Galilée, il met le siège devant la ville de Tibériade, qui tombe
rapidement.
Après de nombreuses hésitations, certains barons estimant l’entreprise
trop risquée, Guy de Lusignan se range finalement à l’avis de Gérard de
Ridefort, partisan de la guerre à outrance contre les musulmans, et décide
d’aller à la rencontre de Saladin. L’armée des croisés, concentrée à
Séphorie, au centre de la Galilée, se met en marche à l’aube en direction
de Tibériade, afin d’empêcher l’avancée des soldats de Saladin.
Elle parvient en fin de journée au niveau du défilé de Hattin, situé au
nord-ouest au-dessus du lac de Tibériade, où les croisés s’installent pour
passer la nuit. Cette longue colline atteint 300 mètres au-dessus du niveau
de la mer et comporte une petite cime de chaque côté, dont la forme
ressemble à deux cornes, d’où le surnom « les Cornes de Hattin » que les
Arabes donnent à cette région.
À la nouvelle de l’arrivée de croisés, compte tenu de la situation
hautement défavorable dans laquelle ces derniers se placent alors, Saladin
se serait exclamé : «
Le lendemain matin, le 3 juillet, les croisés se réveillent encerclés par les
troupes musulmanes. Saladin donne l’ordre d’enflammer les herbes
sèches de la colline afin que les croisés souffrent de la chaleur et de la
fumée ainsi provoquées.
Deux armées s’affrontent alors : les troupes de Saladin, reposées,
hydratées et hautement déterminées, face aux croisés trois fois moins
nombreux (autour de 70 000 hommes), épuisés par la marche qu’ils
viennent d’accomplir en plein soleil et tout autant assoiffés. Ils n’ont pu se
désaltérer dans les eaux du lac de Tibériade car Saladin en a fait barrer
l’accès.
Affaiblis physiquement et en état d’infériorité numérique, les croisés
s’engagent dans un combat désespéré face aux sabres musulmans. Saladin
fait donner l’attaque au petit matin, alors que le soleil rouge aveugle les
croisés qui se battent en direction de l’est. Leurs fantassins sont
rapidement terrassés et leur cavalerie, après deux charges téméraires, plie
bientôt sous la loi du nombre. Leur moral est d’autant plus affaibli que les
musulmans parviennent à s’emparer de la relique de la Vraie Croix, qui
accompagne les croisés dans chaque bataille.
Épuisées, démoralisées et encerclées par les hommes de Saladin, les
troupes franques sont rapidement anéanties. 30 000 soldats sont
massacrés, tandis qu’un nombre équivalent est capturé.
Raymond de Tripoli et ses hommes, ainsi que quelques chevaliers, sont
parvenus à se replier pour rejoindre la côte. Mais le roi de Jérusalem Guy
de Lusignan, Renaud de Châtillon et Gérard de Ridefort sont faits
prisonniers, ainsi que 150 chevaliers.
Après avoir fait venir les chefs francs dans sa tente, Saladin les accueille
avec courtoisie et offre à Guy de Lusignan une coupe de sorbet. Mais ce
dernier, après en avoir bu, la tend à Renaud de Châtillon. Or, le geste du
chef musulman correspond à une tradition signifiant qu’en donnant à
boire ou à manger à l’ennemi vaincu, on lui laisse la vie sauve. Saladin se
met alors en colère et déclare à peu près ceci : «

Saladin prend alors son épée et tranche l’épaule de Renaud de Châtillon,


coupable de tant de méfaits contre les musulmans. Ses soldats se chargent
ensuite de le décapiter…
Saladin fait exécuter 300 hommes appartenant aux ordres du Temple et
de l’Hospital, des moines-soldats qu’il qualifie de « races immondes »,
tous ayant refusé la proposition d’avoir la vie sauve en échange de leur
conversion à l’islam. Seul le grand-maître des Templiers, Gérard de
Ridefort, est épargné. Certains prétendront ensuite qu’il aurait accepté de
renier sa foi chrétienne, tandis que d’autres affirmeront qu’il aurait été
sauvé grâce à l’intervention de Lusignan.
Les prisonniers susceptibles de payer une rançon sont enchaînés et
emmenés à Damas. Les autres, bien plus nombreux, sont réduits sur place
à l’état d’esclaves.

La défaite de Hattin est terrible pour les Francs, qui viennent de perdre
l’élite de leur chevalerie. Le chemin est libre pour Saladin qui s’empare de
nombreux ports francs. Il fait capituler Saint-Jean-d’Acre le 10 juillet
(tout en épargnant la population), puis Beyrouth le 6 août, ainsi que
d’autres villes d’importance comme Jaffa. Ces forteresses tombent les
unes après les autres car le lâche Guy de Lusignan s’est engagé à
encourager les redditions en échange de sa liberté.
Après avoir repris Ascalon, qui a résisté plusieurs semaines, et Gaza le
5 septembre, Saladin est libéré de la menace de renforts pour les croisés
et se dirige enfin vers Jérusalem.

Au début du XIIe siècle, des ordres de moines-soldats se forment afin


de protéger les chrétiens en Terre sainte.


Ils appartiennent à un ordre fondé à Jérusalem en 1119 par Hugues de
Payns, premier grand-maître, et par huit autres chevaliers qui forment
alors « la milice des pauvres chevaliers du Christ ». Sa fondation
officielle date toutefois du concile de Troyes, en 1128, qui impose aux
Templiers la règle cistercienne et leur donne le droit de posséder des
terres, des vassaux, et de recevoir l’aumône. Ils sont vêtus d’un
manteau blanc orné d’une croix vermeille cousue sur le côté gauche, à
proximité du cœur.
Ils tiennent leur nom du temple de Jérusalem, car le roi Baudouin II
leur avait prêté, au moment de la création de l’ordre, une maison à
proximité de l’emplacement de l’ancien temple du roi Salomon.
Ce sont des moines-guerriers chargés de défendre les forteresses (ils
en construiront plusieurs) et les frontières des États latins. Au fil des
années, ils s’enrichissent grâce à de nombreuses donations et
deviennent les banquiers des pèlerins, puis du Vatican et de nombreux
princes.
Le roi de France Philippe IV le Bel, jaloux de leur puissance et
souhaitant s’emparer de leurs richesses, les fait arrêter à Paris le
13 octobre 1307 et confisque leurs biens. Au terme de sept années de
procès truqué, plusieurs dizaines de templiers, dont le grand maître
Jacques de Molay, sont condamnées à périr sur le bûcher le 18 mars
1314. Deux ans plus tôt, le pape Clément V avait officiellement
dissous l’ordre des Templiers présent dans plusieurs pays.


Leur ordre est créé en 1113 en Palestine par Gérard Tenque, puis
développé par son successeur Raymond du Puy. Ce sont également
des moines combattants, qui ont pour mission de protéger et
d’accueillir les pèlerins venus en Terre sainte.
À l’origine, on désignait ainsi les religieux de l’hospice de Jérusalem
dédié à saint Jean, qui accueillaient et soignaient les pèlerins. En 1140,
cet ordre devient également militaire, même si ses membres
continuent à pratiquer leur vocation première. Ces moines portent
une cape noire ornée d’une croix de Jérusalem blanche.
Ils deviennent les « chevaliers de Rhodes » de 1302 à 1522, période
pendant laquelle ils occupent l’île. Ils prennent le nom de « chevaliers
de Malte » en 1530, lorsque Charles Quint leur donne l’île en échange
de leur lutte contre les Turcs.
En 1798, les chevaliers de Malte doivent se rendre au général
Bonaparte, puis sont expulsés de l’île par les Britanniques en 1802.
Depuis cette date, l’ordre a pu retourner à Malte, mais il n’exerce plus
que des missions caritatives.
Le 20 septembre, les troupes musulmanes parviennent devant les murs de
Jérusalem. La ville n’est plus protégée que par 6 000 soldats, en raison de
la récente bataille de Hattin qui a mobilisé de nombreux combattants,
disparus ou faits prisonniers depuis.
Parmi les défenseurs de Jérusalem se trouve Balian d’Ibelin, un chevalier
fait prisonnier à Hattin, puis libéré et autorisé par Saladin à rejoindre sa
femme, Marie Comnène (petite-nièce de l’empereur byzantin Manuel
Comnène et veuve du roi de Jérusalem Amaury Ier), dans la Ville sainte.
Prenant en main la défense de Jérusalem, il remplace les chevaliers
disparus au combat à Hattin en conférant le titre de chevalier aux
hommes de plus de 15 ans.
Saladin fait donner l’assaut de la ville avec des engins de siège et parvient
à faire une brèche dans les murailles, mais les assiégés se défendent avec
courage. Balian d’Ibelin demande alors à s’entretenir avec Saladin pour
lui proposer la reddition de la ville en échange de la vie sauve et de la
liberté pour ses habitants.
Or, Saladin a promis à ses hommes de se venger de la terrible prise de
Jérusalem par les croisés en juillet 1099. Balian lui répond alors : «

Animé de nobles sentiments, Saladin ne veut pas perdre ce qui fait la


richesse de la ville. Il demande alors à ses hommes d’être relevé de sa
promesse, puis accepte la proposition du chevalier. Les plus riches
habitants de Jérusalem paient une rançon pour leur libération et les
pauvres peuvent partir après avoir payé une modique somme forfaitaire.
Les habitants de Jérusalem sont ensuite conduits vers les ports chrétiens
de Tripoli et de Tyr sous la protection des soldats de Saladin, pour les
protéger des attaques des Bédouins, avant de pouvoir s’embarquer pour
l’Europe. Le 2 octobre, les défenseurs de Jérusalem se rendent et les
musulmans prennent possession de la Ville.
René Grousset raconte : « […]

[dans
Jérusalem]
[…] ». Saladin accorde
également aux chevaliers d’Acre, d’Ascalon et de Jérusalem de rejoindre la
ville de Tyr. Cette forteresse, qui devait servir de refuge aux combattants
francs rescapés des récentes défaites, se révélera bientôt imprenable par
les troupes arabes.
Entré triomphalement dans Jérusalem le 3 octobre, Saladin fait
immédiatement restaurer les lieux de culte musulman de la Ville, c’est-à-
dire la mosquée d’Omar, dont il fait ôter la grande croix dorée qui la
surplombait depuis 1099, et la mosquée al-Aqsa, que les Francs appelaient
« Temple de Salomon » en raison de son emplacement. Puis il restaure et
prolonge les fortifications de la Ville et permet aux juifs de revenir vivre
et prier à Jérusalem.

Après la chute de Jérusalem, Saladin prend encore les ports de Djabala et


de Lattaquié, de nombreuses forteresses appartenant à la principauté
d’Antioche. Il échoue en 1188 devant Tyr, grâce à l’action du marquis
piémontais Conrad de Montferrat (frère du premier mari de Sibylle), et
devant le Krak des Chevaliers, la forteresse des Hospitaliers. Il ne reste
alors aux armées franques que les villes de Tyr, Antioche et Tripoli.

D’origine kurde, Salah ad-Din al-Ayyubi (nom qui signifie « la


droiture de la religion ») est né à Tikrit (Irak actuel) en 1138. Très
jeune, il aspire à la libération des terres musulmanes envahies par les
croisés, et plus précisément des Lieux saints.
Il accompagne son oncle Chirkouh lors d’une expédition en Égypte,
afin de protéger le pays des ambitions du roi franc Amaury Ier, puis lui
succède aux fonctions de vizir d’Égypte le 23 mars 1169.
Il instaure très rapidement son autorité sur le pays et défend
ardemment les frontières de son empire de toute invasion étrangère.
Les croisés sont ainsi repoussés des côtes de Palestine, ainsi que les
Byzantins qui tentent de pénétrer à Damiette, sur le delta du Nil.
Après avoir renversé les Fatimides d’Égypte, il s’autoproclame sultan
en septembre 1171 sous la suzeraineté nominale des Abbassides de
Bagdad. Il remplace l’appel à la prière, désormais lancé au nom du
calife de Bagdad, sunnite, et non plus au nom du calife d’Égypte,
chiite. Il fonde ensuite la dynastie des Ayyubides.
Devenu l’unique chef des musulmans, il impose le sunnisme comme
religion de son empire (les Fatimides appartenaient à la secte chiite-
ismaélite).
Il voit bientôt disparaître son ancien suzerain devenu rival, le roi
syrien Nur al-Din Mahmud, mort de maladie en 1174 et dont le
successeur n’est qu’un enfant, As-Salih Ismaël al-Malik. À la même
époque, le roi Amaury Ier de Jérusalem meurt du typhus, laissant lui
aussi pour successeur un enfant, Baudouin IV. Saladin en profite pour
se faire prêter allégeance par les princes syriens et soumettre les
principautés turques de Mésopotamie.
Il pénètre en vainqueur à Damas le 25 novembre 1174. En 1181, le
jeune roi syrien As-Salih Ismaël décède, probablement empoisonné,
alors que ses partisans s’opposent à Saladin. Ce dernier, qui a épousé
la veuve de Nur al-Din Mahmud, élimine les autres prétendants à la
succession et devient l’unique chef de la Syrie et de l’Égypte. Saladin
est également maître de l’Arabie et de l’Irak, à la tête d’un État qui
s’étend du désert de Libye à la vallée du Tigre.
Alors que ses territoires encerclent les États francs de Palestine, il
enlève Alep en 1183, remporte la célèbre victoire de Hattin, le 3 juillet
1187, puis réussit à reprendre Jérusalem des mains des croisés, le
2 octobre suivant. Mais il échoue devant Tyr en 1189 et doit faire face
à une troisième croisade chrétienne menée par les rois de France
(Philippe Auguste), d’Angleterre (Richard Cœur de Lion) et
d’Allemagne (Frédéric Barberousse), auxquels il inflige de lourdes
défaites.
À l’issue de plusieurs batailles, les croisés renoncent à combattre
Saladin en 1192. Saladin signe une trêve avec Richard Cœur de Lion,
tout en autorisant aux chrétiens l’accès aux Lieux saints de Jérusalem.
Saladin décède peu de temps après, en mars 1193, à 55 ans. Il est
enterré à Damas et sur sa tombe figure l’inscription suivante :
« »

Sa mort est suivie pendant plusieurs années de troubles en Syrie et en


Égypte. Son empire est partagé entre ses trois fils et son frère, Malek-
Adel, constituant les États ayyubides d’Égypte, d’Alep, de Damas et de
Mésopotamie.
Mais Malek-Adel, après avoir renversé les trois fils de Saladin, tente de
réunir sous son autorité l’ensemble de ces territoires, jusqu’à sa mort
en 1218. À cette date, l’empire est à nouveau partagé entre les trois
fils, mais la désunion conduit à l’affaiblissement puis à la disparition de
la dynastie des Ayyubides, en 1260, renversée par les Mongols.
Aucun de ceux qui tentèrent par la suite d’accomplir ses exploits ne
parvint à atteindre le talent et la noble personnalité de Saladin, ce fin
stratège à l’esprit chevaleresque, dont la légende gagna l’Europe du
Moyen Âge.

À la suite de la défaite de Hattin et de la chute de Jérusalem, le pape


Grégoire VIII, alerté par les appels au secours de Conrad de Montferrat,
proclame la troisième croisade, le 29 octobre 1187.
Celle-ci est menée par l’empereur allemand, Frédéric Barberousse, le roi
de France, Philippe Auguste, et le roi d’Angleterre, Richard Cœur de
Lion. Elle comprend la plus grande armée croisée depuis 1096. Frédéric
Barberousse n’atteindra jamais la Terre sainte car il meurt noyé
accidentellement en Anatolie au mois de juin 1190. Philippe Auguste et
Richard Cœur de Lion parviennent à reprendre les villes situées le long
du littoral méditerranéen, dont Acre en 1191, où le roi Richard y aurait
gagné son surnom de « Cœur de Lion ». Alors que le roi de France est
reparti en Europe, le roi Richard reprend Jaffa et Ascalon, mais doit
renoncer à Jérusalem et quitte la Palestine en 1192, après avoir consolidé
ce qui reste des États latins et pris possession de Chypre en 1190.
Seulement six années après le retour de la dernière croisade, en 1198, le
pape Innocent III exhorte les rois et féodaux à repartir libérer les Lieux
saints. Cette fois, l’appel du pape et le prêche de Foulques de Neuilly ne
suscitent pas autant d’enthousiasme que lors des précédentes expéditions.
Les Français et les Anglais sont en guerre, l’Allemagne s’oppose à la
papauté et la dernière croisade s’est achevée il y a trop peu de temps.
La quatrième croisade est alors confiée non pas à des souverains mais à de
simples chevaliers : Boniface de Montferrat (frère de Conrad), Baudouin
de Flandre et Geoffroy de Villehardouin.
Pour cette nouvelle expédition, les croisés n’entendent plus passer par
Constantinople, car les relations entre les Latins et les Byzantins se sont
dégradées, mais veulent gagner directement l’Égypte. Cette riche
province d’Orient est devenue le centre de la puissance musulmane
depuis l’époque de Saladin.

Sans demander l’accord du pape, ils envoient des représentants dans


plusieurs villes italiennes afin de négocier un contrat de transport vers
l’autre rive de la Méditerranée. Finalement, la république de Venise
propose de fournir des navires afin de transporter 30 000 croisés jusqu’en
Égypte, en échange d’une forte somme d’un montant de 85 000 ducats
d’argent.
Mais lorsque vient l’heure d’embarquer, en 1201, les croisés sont bien
moins nombreux et ne peuvent régler que 60 % du montant fixé par les
Vénitiens. Le doge de Venise, Enrico Dandolo, leur propose alors un
marché : les Vénitiens acceptent de transporter les croisés et de remettre
leur dette en échange de leur participation préalable à la prise de Zara,
une ville portuaire chrétienne de Dalmatie (actuelle Zadar, en Croatie)
qui est une ancienne possession vénitienne, et de leur aide pour replacer
sur le trône de Constantinople Alexis et Isaac Ange, à la solde de Venise.
Ce soutien des Vénitiens à un prétendant au trône byzantin, Alexis Ange,
dont le père Isaac II a été chassé et emprisonné en 1195 par l’empereur
Alexis III, leur permettrait ensuite de rétablir leurs positions
commerciales à Constantinople. Celles-ci ont été stoppées depuis que les
Byzantins préfèrent traiter avec Gênes, une autre ville commerçante
moins exigeante.
L’accord est conclu en dépit des protestations du pape, d’autant plus
qu’Alexis Ange passe lui-même un marché avec Boniface de Montferrat :
le paiement de la dette des croisés envers Venise en échange de leur aide
pour reprendre le trône byzantin.

Une grande partie des croisés part alors en direction de Zara, tandis que
d’autres croisés, dont Simon de Montfort et ses hommes, refusent de
participer à ce qu’ils considèrent comme une guerre fratricide : la ville est
en effet catholique et sous l’autorité du roi de Hongrie Émeric, qui avait
accepté de participer à la quatrième croisade. En novembre 1202, les
Francs parviennent à prendre la ville et la remettent aux Vénitiens.
Le pape Innocent III est outré de l’attaque sur Zara et du détournement
de la croisade, dont le but n’est plus alors de délivrer les Lieux saints mais
de combattre des chrétiens. Il excommunie alors les croisés et les
Vénitiens, sanction qui ne les empêche néanmoins pas de se diriger
ensuite vers Constantinople, dont ils s’emparent une première fois le
17 juillet 1203.
L’empereur Alexis III s’enfuit et Alexis Ange devient l’empereur Alexis
IV, tandis que son père Isaac, libéré mais devenu aveugle, est nommé
coempereur. Alexis IV se retrouve alors confronté à de nombreux
problèmes. D’une part, les caisses de l’État sont vides et il ne peut
respecter les promesses financières qu’il a faites aux croisés. D’autre part,
le peuple de Constantinople est hostile à la présence des Francs chez lui
et ne reconnaît pas un souverain soutenu par les Latins. Bientôt, la
situation devient explosive et Constantinople est au bord de la guerre
civile.
Une révolution a lieu au début de l’année 1204 et le chef de l’opposition
anti-occidentale, Alexis Doukas, prend le pouvoir. Le nouvel empereur de
Constantinople, devenu Alexis V, fait exécuter son prédécesseur et jeter
les Latins hors de la ville.
Ces derniers ne tardent pas à tenter de reprendre Constantinople et, le
9 avril 1204, 20 000 Francs et Vénitiens lancent l’assaut. Les croisés se
battent sur terre, infligeant de lourdes pertes aux Byzantins qui doivent
alors se replier dans la ville, tandis que les Vénitiens attaquent par la mer,
la Corne d’or dont la lourde chaîne a été rompue. Les remparts sont
attaqués de part et d’autre, et les croisés parviennent à pénétrer au nord-
ouest de Constantinople, à proximité du palais des Blachernes. Le
12 avril, ils prennent Constantinople.
Or, les croisés savent qu’ils ne peuvent payer les sommes dues aux
Vénitiens, aussi entendent-ils mettre à leur profit les richesses de la ville.
Pendant trois jours, les vainqueurs mettent la ville à sac, commettant
d’horribles massacres et pillant ce qui est à cette époque la plus riche cité
du monde méditerranéen. Ils s’emparent d’objets en métal précieux, de
reliques, de vivres, de chevaux, etc.
On trouve aujourd’hui encore à Venise de nombreuses œuvres d’art prises
à Constantinople en 1204, dont les quatre chevaux en bronze qui se
trouvaient dans l’hippodrome de Constantinople et qui, depuis, ornent la
basilique Saint-Marc.
Le terrible sort fait à la ville et à ses habitants va désormais
considérablement aggraver les divisions existant entre les chrétiens de rite
latin, catholiques, et les chrétiens de rite grec, orthodoxes.

L’empereur Alexis V est parvenu à s’enfuir et se réfugie en Thrace, tandis


que les Byzantins se replient sur l’Anatolie, où s’organise la résistance
contre les Latins. Celle-ci se divise par la suite en plusieurs branches
autour de différents États : l’empire de Trébizonde (sur la mer Noire),
fondé par Alexis et David Comnène, le despotat d’Épire (comprenant la
Grèce du nord-ouest et l’Albanie actuelle), avec Michel Ier Ange
Comnène, et surtout, l’empire de Nicée, en Turquie, avec Théodore Ier
Lascaris.
L’Empire byzantin est partagé entre les vainqueurs, qui décident de la
fondation d’un Empire latin dirigé par l’un des leurs, Baudouin de
Flandre, et dont Constantinople demeure la capitale. Cet État, fondé en
mai 1204, demeure sous la forte influence de Venise, qui s’attache à
s’implanter sur les côtes et dans les îles du nouvel empire, comme la
Crète, pour favoriser leur commerce. Les Vénitiens peuvent désormais
régner en maîtres sur la Méditerranée orientale.

Baudouin de Flandre 1204-1206


Henri de Hainaut 1206-1216
Pierre de Courtenay 1216-1217
Robert de Courtenay 1121-1228
Jean de Brienne 1229-1237
Baudouin II 1237-1261

Cependant, l’empire latin de Constantinople doit rapidement faire face à


de nombreuses oppositions tant sur ses frontières, notamment face à une
coalition gréco-bulgare, qu’au sein de la population révoltée par
l’intransigeance de Rome qui souhaite fermer les églises grecques, de rite
byzantin.
Seuls Constantinople et ses alentours seront alors véritablement contrôlés
par les Latins.
L’Empire latin disparaît le 25 juillet 1261, avec la reconquête de la
capitale par Michel VIII Paléologue (un des successeurs de Théodore
Lascaris) qui restaure l’Empire byzantin.

Après cette quatrième croisade, quatre autres seront encore organisées.


La cinquième croisade est lancée par le pape Innocent III, qui avait appelé
à la quatrième croisade, lors du concile de Latran IV, en 1215. Mais elle
est précédée de la « croisade des enfants », en 1212.
La sixième croisade est menée par l’empereur allemand Frédéric II.
Jérusalem, Bethléem et Nazareth sont reprises aux Égyptiens après
négociations. Mais Jérusalem est définitivement reprise en 1244.
Les septième et huitième croisades sont organisées à l’initiative de Louis
IX, également connu sous le nom de « Saint Louis », qui est fait
prisonnier au cours de la septième croisade et mourra de la peste à Tunis
le 25 août 1270, au cours de cette dernière croisade.

Au total, entre 1096 et 1270, huit croisades ont été organisées, avec le
même objectif initial de détenir les Lieux saints et de conquérir les
régions alentour pour développer les réseaux commerciaux. En 1291, la
prise par les Turcs de la dernière place forte des croisés, Saint-Jean-
d’Acre, entraîne le départ des Francs de Palestine et marque la fin de
l’époque des croisades.

Première 1096-1099
Deuxième 1146-1149
Troisième 1187-1192
Quatrième 1198-1204
Cinquième 1217-1221
Sixième 1228-1229
Septième 1250-1254
Huitième 1268-1270

À partir de la fin du XIe siècle, un mouvement religieux appelé


« catharisme » (du grec , qui signifie « pur ») se répand dans le
Midi toulousain, de la Garonne au Rhône, et en particulier dans les villes
de Toulouse, Béziers, Carcassonne, Montauban et Albi (d’où le nom
« Albigeois ). Il est bientôt qualifié d’hérétique par l’Église catholique.
Ce mouvement s’appuie sur une doctrine inspirée de l’enseignement de
Mani au IIIe siècle, père du manichéisme, et fondée sur le strict dualisme
opposant le Bien et le Mal. Cette doctrine s’affirme d’abord dans l’empire
d’Orient, du VIIe au IXe siècle, puis au Xe siècle en Bulgarie avec les
Bogomiles et en Italie, pour rejoindre un siècle plus tard le sud de la
France.

En 1167 se déroule à Saint-Félix de Lauragias un concile cathare au cours


duquel est fondée une contre-église, dotée de quatre évêchés, à Albi,
Toulouse, Carcassonne et Agen. Pour les cathares, il y a un monde issu
du Bien, donc de Dieu, qui ne peut être que spirituel, et un monde issu du
Mal, qui est matériel. L’homme étant fait de matière, il ne peut être
l’œuvre de Dieu : son corps est donc mauvais, mais son esprit est bon. De
même, le Christ ne peut avoir pris la forme d’un être de chair et il n’est
qu’un esprit envoyé par Dieu.
Par extension, l’Église et ses représentants sont l’œuvre de Satan et les
cathares refusent donc les sacrements catholiques, dont le mariage. Ils
n’ont qu’une sorte de bénédiction, le . Les fidèles se
divisent entre les simples croyants et les Parfaits (ou « Bons »), qui
mènent une vie extrêmement austère, privilégiant la pauvreté, la chasteté
et pratiquant le jeûne et la mortification.
Cette doctrine connaît un tel succès dans la région du Languedoc, dont
les habitants sont admiratifs de l’ascétisme des Parfaits, que l’Église
catholique réagit. Plusieurs grands représentants de l’Église vont prêcher
dans la région : Bernard de Clairvaux, futur saint Bernard, vers 1150, puis
Dominique de Guzman, futur saint Dominique. Ce dernier donne,
comme les Parfaits, l’exemple de la pénitence en parcourant les chemins
pieds nus pendant l’année 1206 et fonde l’ordre des Dominicains,
composé de religieux prêcheurs au contact de la population. Mais leurs
prédications se révèlent insuffisantes face au catharisme…
En 1179, le troisième concile de Latran constate dans son canon 27 :
«

La nouvelle religion inquiète d’autant plus qu’elle concerne non


seulement des paysans et des marchands, mais aussi la bourgeoisie des
villes et la petite aristocratie.

Avec l’avènement du pape Innocent III en 1198 commence véritablement


la lutte contre les cathares. Le nouveau souverain pontife les condamne
pour hérésie et en appelle au roi de France Philippe Auguste, qui y voit
l’occasion de saisir les richesses du trop fier Languedoc.
Le pape tente également de rallier à sa cause le comte Raymond VI de
Toulouse, dont les terres sont les plus concernées par le catharisme. Mais
celui-ci est ami des cathares et ne veut pas combattre ses propres sujets. Il
refuse donc et est excommunié en 1207. Le comte de Toulouse cherche
un arrangement avec Rome et reçoit en 1208 la visite de trois légats du
pape, mais l’un d’entre eux, Pierre de Castelnau, est assassiné.
Raymond de Toulouse est accusé du meurtre et Innocent III lance une
expédition armée contre les cathares, connue sous le nom de « croisade
des Albigeois ». Le roi de France confie le commandement de la croisade
au légat du pape, l’abbé Arnaud-Amaury de Cîteaux, chef des moines
cisterciens. De nombreux seigneurs et chevaliers, à qui l’on a promis
l’absolution et qui espèrent s’enrichir des domaines du Midi, viennent
grossir les rangs de l’armée des croisés, rassemblée à Lyon en juin 1209.
Lorsqu’elle se met en marche en direction du sud, commence une guerre
qui va durer un quart de siècle.


Alors que le pape est parvenu à rallier de force Raymond VI de Toulouse,
les croisés pénètrent sur les terres de ce dernier et plus précisément sur
celles de son vassal, Raymond-Roger de Trencavel, vicomte de Béziers et
de Carcassonne.
Parvenus aux pieds de Béziers, une ville riche entourée de remparts, les
croisés s’inquiètent : compte tenu des vivres qu’elle possède et de
l’hostilité de la population, la ville est capable de s’engager dans un siège.
L’évêque de Béziers, qui a rallié les croisés, demande alors à la population
de lui livrer les 222 cathares qui figurent sur une liste qu’il a lui-même
dressée. Mais les Biterrois refusent de livrer l’un des leurs, fut-il non
catholique, et de se soumettre aux exigences de reddition de leur évêque.
Le 22 juillet 1209, une dramatique erreur d’appréciation fait basculer la
situation : des Biterrois mal armés et peu expérimentés prennent
l’initiative de sortir de la ville pour combattre les croisés, qui en profitent
pour forcer l’entrée de la ville. L’assaut est lancé, les chevaliers fonçant
avec les fantassins sur les remparts, dans les fossés et jusqu’aux portes de
Béziers.
La ville est rapidement investie et pillée. Les habitants terrorisés résistent
peu et se réfugient dans les églises. À quelqu’un qui lui demande
comment distinguer les cathares des catholiques, Arnaud-Amaury de
Cîteaux aurait répondu : «
Au cours de cette journée, tous les habitants de Béziers, soit environ
25 000 personnes, sont massacrés, femmes et enfants compris. Les croisés
n’hésitent d’ailleurs pas à tuer d’autres chrétiens dans les lieux de culte
catholique, dont l’église de la Madeleine qu’ils brûlent, ainsi que la
cathédrale Saint-Nazaire. Les chefs de la croisade veulent faire de ce
massacre un exemple pour obtenir rapidement la soumission des villes de
la région.

Sitôt la population de Béziers exterminée, les croisés repartent, cette fois


vers Carcassonne, qu’ils assiègent le 1er août 1209. Pour sauver sa
population, Raymond-Roger de Trencavel préfère livrer la ville deux
semaines plus tard. Il est fait prisonnier et ses terres sont distribuées à
Simon de Montfort, alors seigneur de l’Yveline, qui prend également la
tête de l’armée aux côtés de l’abbé de Cîteaux car les grands seigneurs
rentrent chez eux, une fois leurs 40 jours de service accomplis. Les
citadelles cathares sont prises les unes après les autres : Minerve, Termes,
Cabaret, Puivert, Lastours, etc. Les hérétiques sont envoyés au bûcher.
En 1218, la ville de Toulouse est assiégée, mais les armées choisissent de
se disperser lorsque leur chef, Simon de Montfort, trouve la mort dans les
combats. Une nouvelle tentative, menée cette fois par Amaury, fils de
Simon de Montfort, échoue en 1224 contre le nouveau comte de
Toulouse, Raymond VII.

Deux ans plus tard, une nouvelle et dernière croisade s’organise contre les
cathares : Avignon est prise et, en 1229, le traité de Paris consacre
l’annexion du Languedoc à la Couronne de France. Le concile de
Toulouse renouvelle la condamnation contre l’hérésie cathare.
La croisade contre les Albigeois prend fin avec la chute de Montségur :
cette forteresse située au cœur des Pyrénées abrite alors les derniers
représentants du clergé cathare pourchassés par l’Inquisition. Elle a été
fondée en 1233 pour traquer les hérétiques et les convertir, ou les faire
disparaître. Une expédition menée par Hugues d’Arcy, sénéchal de
Carcassonne, et par l’archevêque de Narbonne, Pierre Amiel, parvient au
pied du nid d’aigle qu’est Montségur à partir du printemps 1243.
Après plusieurs mois de siège, Montségur est prise le 14 mars 1244 et les
habitants refusant d’abjurer leur foi, soit 224 cathares, sont brûlés devant
la forteresse. Les derniers cathares disparaissent au XIVe siècle, exécutés à
Carcassonne en 1329.
En 1214, Philippe II Auguste, monté sur le trône en 1180, est un roi riche
et puissant. Depuis qu’il a succédé à son père Louis VII, il a
considérablement agrandi le domaine royal, surtout au détriment du roi
d’Angleterre qui détenait la plus grande partie du royaume de France.
En effet, la mort du roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion, en 1199,
suivie de l’avènement de l’intrigant Jean sans Terre, ont donné l’occasion
au roi de France de récupérer en 1203 toute la Normandie. Cette région
retourne à la France après trois siècles de séparation, ainsi que les fiefs
d’Anjou, de Touraine, du Maine et du Poitou, qui avaient été autrefois les
joyaux de la couronne des Plantagenêts. Seules l’Aquitaine et une partie
du Poitou demeurent alors aux mains des Anglais.

En dépit de ces succès, des menaces subsistent : Jean sans Terre prépare
sa vengeance et son neveu, l’empereur Otton de Brunswick, monte une
coalition contre la France.
Jean sans Terre débarque à la Rochelle en février 1214 et remonte la
Loire, tandis qu’Otton se réunit dans le Nord, à proximité de
Valenciennes, avec les soldats de la coalition. Ceux-ci comprennent
Ferrand de Flandre et Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, tous
deux vassaux du roi de France mais favorables aux Anglais, ainsi que
plusieurs princes germaniques.
À la tête d’une armée de 60 000 hommes, Jean sans Terre prend d’abord
Angers, avant de se diriger vers Nantes. Mais le 2 juillet suivant, il est
défait en chemin par les troupes françaises menées par le fils du roi, Louis
(futur Louis VIII, dit « le Lion »), alors qu’il tentait de s’emparer de la
forteresse de la Roche-aux-Moines, dans le Poitou.
Conscient que Jean sans Terre et Otton de Brunswick veulent le prendre
en tenaille, Philippe Auguste décide de les prendre à revers en les
contournant par le nord-est. Ce dernier ne dispose que d’une dizaine de
milliers d’hommes, dont ses fidèles chevaliers tels qu’Eudes de
Bourgogne, Guillaume de Barres ou Mathieu de Montmorency, ainsi que
des gens issus des milices communales d’Amiens, Corbin, Beauvais,
Compiègne, Arras et Soissons.
Apprenant que le roi de France fait route vers Tournai pour attaquer la
Flandre, Otton décide de partir à sa rencontre et de s’installer à Bouvines,
au sud-est de Lille, entre Tournai et l’abbaye de Cysoing, où il compte
empêcher les Français de se replier. Informé de cette menace, le roi de
France décide de battre en retraite jusqu’à Lille, par la route la plus
courte, passant par le pont de Bouvines qui enjambe la petite rivière de la
Marcq.

Mais le dimanche 27 juillet 1214, les deux armées se rencontrent en ce


lieu. L’armée du roi de France, qui ne compte que 25 000 hommes, fait
face à celle d’Otton et des coalisés, qui compte 80 000 hommes.
En dépit de cette forte infériorité numérique, d’une certaine réticence à
rompre la paix du dimanche établie par l’Église et alors qu’une partie de
ses troupes s’est déjà engagée sur le pont de Bouvines, Philippe Auguste
consent à engager le combat en apprenant l’attaque de son arrière-garde
par les troupes coalisées.
Aux environs de midi, la bataille s’engage. D’après un témoin, Guillaume
Le Breton, «
[…]
[…]
.
Du côté d’Otton, l’armée est divisée entre trois parties : l’aile gauche
menée par le comte Ferrand, le centre mené par l’empereur lui-même et
l’aile droite dirigée par Renaud de Bourgogne.
Le roi de France envoie ses cavaliers sur les rangées allemandes et
flamandes. Les lances volent en éclats, les épées sont tirées et la mêlée
devient générale, alors qu’entrent dans la bataille, aux côtés des troupes
royales, des hommes des communes alentour. La bataille dure depuis
trois heures lorsque le comte Ferrand, ayant roulé à terre, est capturé par
les troupes du roi.
Alors que les Allemands lancent une nouvelle charge, Philippe Auguste
est harponné et désarçonné. Mais protégé des coups les plus violents par
son armure, il parvient à se dégager grâce à l’aide de ses chevaliers. Dans
cette bataille où les chefs sont particulièrement visés, Otton échappe de
peu à la mort et s’enfuit en direction de Valenciennes, sans que le roi de
France n’estime nécessaire de le rattraper.
Le duc de Brabant, membre de la coalition, sentant que Philippe Auguste
est en train de l’emporter, décide de quitter le champ de bataille. Ce
départ provoque une vive inquiétude dans les rangs allemands et
flamands, qui commencent à se disperser. À son tour, Renaud de
Boulogne, qui commandait les fantassins brabançons, est fait prisonnier
malgré une vive résistance.
À la fin de la journée, alors que la nuit tombe, plusieurs centaines de
soldats de la coalition, des Brabançons placés au centre de la bataille, se
retrouvent encerclés par une cinquantaine de cavaliers et environ 2 000
hommes à pied qui se jettent sur eux et réalisent un véritable carnage.

Le 27 juillet s’achève sur la victoire des troupes de Philippe Auguste.


Cette bataille a permis de capturer 5 comtes, 25 barons et 125 chevaliers
qui valent leur poids d’or : la rançon versée pour leur libération s’élèvera à
240 000 pièces d’argent, partagées entre Philippe Auguste et ses hommes.
Ces derniers rentrent à Paris triomphalement : d’après les témoignages de
l’époque, les maisons sont alors décorées, les chemins sont jonchés de
fleurs, et la population accourt au-devant du roi, chantant des hymnes et
des cantiques. La monarchie capétienne paraît désormais invulnérable…
Jean sans Terre est contraint de cesser sa progression et de regagner ses
terres, tandis qu’Otton, réfugié à Cologne, doit céder sa place à Frédéric
II, fils du précédent empereur Henri VI et proche du roi de France, à la
tête de l’Empire germanique.

La bataille de Bouvines est parfois considérée comme la première où


s’affirme véritablement un sens national au sein de la population
française, unie autour du souverain : le peuple a été présent à Bouvines et
a acclamé le roi à son retour à Paris.
Cette participation du peuple s’explique par le contexte de l’époque :
«
[…]

[…]
En 1328, alors que décède Charles IV, le dernier fils de Philippe le Bel,
les pairs du royaume désignent comme successeur le neveu du roi,
Philippe de Valois. Philippe VI est couronné à Reims le 29 mai 1328, et
c’est ainsi que les Capétiens directs laissent la place à la dynastie des
Valois.
Le roi d’Angleterre, Édouard III, refuse cette décision car sa mère
Isabelle est la fille de Philippe le Bel. Il est donc le descendant direct du
roi de France.
Toutefois, les États généraux réunis en 1317, s’inspirant de la loi salique
des Francs, ont décidé que les femmes ne peuvent hériter de la couronne
de France. De plus, les légistes français estiment qu’elles ne peuvent pas
non plus transmettre la couronne à leurs fils. Mais un tel cas ne s’est
jamais produit avant Isabelle et son fils Édouard, tous les souverains
Capétiens ayant pu transmettre la succession à un fils.
C’est pourquoi Édouard III affirme que c’est bien à lui que revient le
trône de France : ainsi éclate en 1337 la guerre de Cent Ans25, après que
le roi d’Angleterre a poussé les Flamands à la révolte contre l’autorité de
Philippe VI. En 1340, après avoir été reconnu comme souverain légitime
de la France, Édouard III décide de rejoindre l’Écluse, un avant-port de
Bruges, pour soutenir les Flamands. À cette nouvelle, les Français se
préparent à empêcher le débarquement anglais, inacceptable. Mais
lorsque se déroule la bataille navale dite « de l’Écluse », les Anglais
remportent une brillante victoire qui permet à Édouard de poursuivre ses
ambitions.

En juillet 1346, le roi d’Angleterre, accompagné d’une armée de 20 000


hommes, débarque en Normandie, qu’il ne tarde pas à ravager. Après
avoir esquissé un mouvement en direction de Paris, ses troupes se dirigent
non pas vers la capitale mais vers le Nord. Elles avancent notamment vers
la ville de Calais car les Anglais ont impérativement besoin d’un port pour
ravitailler leurs troupes et poursuivre leurs campagnes. Le 23 août,
Édouard III et son armée franchissent la Somme et installent leur
campement à proximité de la forêt de Crécy-en-Ponthieu.
Philippe VI, qui a réuni une puissante armée de 50 000 hommes, se lance
à sa poursuite et l’atteint le 26 août. La bataille est inévitable.
Afin de compenser son infériorité numérique, le roi anglais change les
règles traditionnelles du combat : plutôt que de placer sa cavalerie en
première ligne, il dispose ses archers dans des tranchées qu’il a fait
préparer. Les Français, bien que fatigués par une longue marche sous le
soleil, ne prennent pas le temps de se reposer et, impatients d’en
découdre, lancent l’attaque contre les Anglais.
Le combat commence avec les tirs des arbalétriers et des archers génois
de l’armée française, mais un orage éclate qui leur fait perdre leur
efficacité, leurs arcs étant mouillés.
C’est au tour des Anglais, dont les archers se lèvent : leurs arcs, abrités
pendant l’averse, ont des cordes bien tendues. Leurs flèches de frêne, très
solides et pointues, qui peuvent atteindre une cible à 300 mètres en moins
d’une minute, s’abattent massivement sur les Génois qui, paniqués,
commencent à s’enfuir. De plus, le roi anglais aurait fait mettre en
batterie des canons (alors rudimentaires, appelés « bombardes » à la fin
du XIVe siècle) pour effrayer les chevaux, et dont les boulets de pierre se
seraient également abattus sur les Génois26.
Certains chevaliers français sont excédés par l’impuissance des archers et
se jettent alors sur eux au lieu de s’occuper de l’ennemi. Ils y sont
encouragés par le roi Philippe VI qui, croyant à une trahison, n’hésite pas
à leur crier « D’autres
chevaliers franchissent à cheval le rang des archers, les bousculant sans
ménagement pour monter à l’assaut. Les chevaliers français espèrent
atteindre les chevaliers ennemis après avoir franchi les rangs des archers
anglais. Mais le beau temps est revenu et les chevaliers français ont le
soleil dans les yeux, ce qui les gêne pour combattre et riposter aux flèches
ennemies.
De nombreux chevaliers parviennent néanmoins à atteindre le premier
corps commandé par le prince Noir (surnommé ainsi en raison de la
couleur de son armure), le fils d’Édouard III, âgé d’une quinzaine
d’années seulement. Ils frappent fort, mais le second corps anglais,
bientôt suivi du troisième, vient secourir le premier corps.
Les braves chevaliers français sont victimes de leur fatigue et aussi de leur
armure, trop lourde : celle-ci, entièrement en fer, comprend un casque,
des brassards, des gantelets, une cuirasse pour la poitrine, des jambières,
etc. De même, la tête et la croupe de leurs chevaux sont couvertes de fer.
Les chevaliers, qui ne peuvent bouger facilement, avancent droit devant
eux et sont perdus lorsqu’ils sont désarçonnés. Des soldats, les
« coutiliers », après avoir coupé les jarrets de leurs chevaux pour les
mettre à terre, les transpercent de leurs poignards effilés attachés à une
pique. En outre, les chevaliers affrontent des archers lestes et rapides,
dont les flèches s’avèrent particulièrement redoutables sur les chevaux.
Épuisés et débordés, les chevaliers français sont massacrés ou contraints
de reculer. Philippe VI, qui a lui-même été blessé dans la bataille,
constate la victoire des Anglais et quitte le champ de bataille avec une
petite troupe de chevaliers.

Contrairement aux Anglais qui n’enregistrent que peu de victimes, les


pertes de l’armée française sont considérables : de nombreux soldats ainsi
que 1 500 chevaliers, dont certains personnages illustres comme Jean de
Luxembourg, roi de Bohême (bien qu’aveugle, il a tenu à participer au
combat), les ducs d’Alençon et de Touraine, les comtes de Blois,
d’Aumale, de Blamont, de Flandre, ou encore Charles, comte d’Alençon
et frère du roi.
La supériorité de l’armée anglaise, plus disciplinée, plus mobile avec ses
archers et ses fantassins, et dotée d’un armement plus performant (y
compris la bombarde ?) s’affirme ainsi face à l’armée française qui
conserve encore une structure féodale classique, avec sa cavalerie lourde.
Deux jours après leur victoire, les Anglais, qui ont renoncé à poursuivre
l’armée française, prennent la route de Calais. Ils assiègent celle-ci à
partir du 4 septembre. La ville fortifiée, ravitaillée par la marine
normande, réussit à tenir près d’une année, sans que Philippe VI
n’intervienne pour la sauver.
À bout de résistance et victime du blocus mis en place par l’ennemi,
Calais tombe le 4 août 1347. Édouard III décide de massacrer tous les
assiégés, mais sur l’insistance de Gautier de Hainaut, il accepte de
n’exécuter que six bourgeois qui doivent se rendre, la corde au cou, et lui
remettre les clés de la ville.
Heureusement, la sentence n’est finalement pas exécutée, grâce à
l’intervention de la reine Philippa de Hainaut qui parvient à convaincre
Édouard d’épargner ces hommes et de les libérer. Calais restera aux
mains des Anglais pendant deux siècles, jusqu’en 1558.
Au VIIe siècle, des Slaves venus de Galicie orientale (actuelle Ukraine) se
seraient installés, avec l’autorisation de l’empereur byzantin Héraclius, en
Serbie, dans une région de la péninsule des Balkans autrefois occupée par
des populations thraces et illyriennes.
En 1180, le prince serbe Stefan Nemanjic conquiert la région du Kosovo,
au sud de la Serbie, tout en réussissant à s’émanciper de la tutelle
byzantine.

Au XIVe siècle, la Serbie connaît son âge d’or, sous le règne d’Étienne IX
Douchan (1308-1355), monté sur le trône en 1331. Tout en dominant la
Bulgarie par son mariage avec la fille du souverain bulgare, le roi dirige
un empire comprenant la Serbie, la Macédoine (sauf Salonique), l’Albanie
et la Thessalie. En 1346, désireux de faire face à la menace turque en
donnant à son empire une force politique se substituant à celle de
l’Empire byzantin, il se fait couronner « empereur des Serbes et des
Romains27« dans sa capitale, Uskub (Skoplje, actuelle capitale de la
Macédoine).
Sous son règne, l’Église orthodoxe serbe est étroitement liée au Kosovo,
où le patriarche a fixé son siège à Pec et où se trouvent également les
monastères de Gracanica et de Decani. L’Église serbe, dont le patriarcat a
été créé par Étienne Douchan et qui est protégée par son empereur,
prend à partir de cette époque ses distances avec l’Église de
Constantinople.
Cette décision est directement liée à l’ambition d’Étienne Douchan qui
souhaite conquérir Constantinople. Il est même prêt à envisager une
alliance avec les Vénitiens ou avec les Turcs. Mais il meurt avant d’avoir
concrétisé ce projet.
Sa disparition a de pénibles conséquences pour la « Grande Serbie », qui
connaît un affaiblissement par l’instabilité politique qu’engendre la
succession : l’héritier, Uros, dernier souverain de la dynastie des
Nemanjides, voit son autorité contestée par les seigneurs régionaux
serbes, qui n’agissent plus que pour leur propre compte. Quant aux deux
régions du sud de la Serbie, le Kosovo et la Métochie, elles passent sous
l’autorité du cosouverain d’Uros, le roi Vukasin.
L’Empire byzantin perd ainsi un allié potentiel contre les Turcs, qui
menacent régulièrement l’Europe et qui finissent par y prendre pied, à
Gallipoli, en 1354.
L’année suivante, pour contenir l’avancée des Turcs, Uros parvient à
former une coalition réunissant la majeure partie des princes serbes, le roi
de Hongrie Louis d’Anjou, le prince de Valachie et le tsar bulgare de
Tarnovo. À partir de 1371, le sultan Murad Ier (1359-1389), futur
fondateur de la puissance ottomane en Europe orientale, se lance à la
conquête de la Serbie et de la Bulgarie. Malgré leur alliance, les Serbes et
les Bulgares sont vaincus à la bataille de Cernovem, le 26 septembre 1371.
Cette défaite correspond à une phase décisive de l’avancée des Turcs en
direction des terres serbes.

La « Grande Serbie », dont le souverain Uros vient de mourir sur le


champ de bataille, est alors divisée en principautés qui, comme la
Bulgarie, sont désormais soumises aux Turcs. Le roi Vukasin est lui aussi
mort au combat et son fils et successeur, Marko Krajlevic, reconnaît la
souveraineté du sultan. Il participera désormais aux campagnes militaires
contre les États chrétiens du voisinage.
Mais au cours de la décennie suivante, le prince Lazare (1371-1389), à la
tête de la principauté de Raska (une actuelle province serbe) et apparenté
à la dynastie des Nemanjides, refuse de continuer à subir la tutelle turque.
Prenant le titre de roi de Serbie, il conclut une alliance avec le roi de
Bosnie, Tverko Ier Kotromanic, en échange du soutien serbe dans ses
revendications sur la Croatie et la Dalmatie, alors sous domination de la
Hongrie.
Après une victoire sur les Turcs en Bosnie en 1387, l’alliance bosno-serbe
est renforcée par le ralliement de princes bulgares, albanais, valaques, qui
se joignent à Lazare. Murad Ier réagit en mobilisant à son tour ses troupes
et, après avoir à nouveau soumis la Bulgarie, il prend la direction de la
Serbie.
C’est en venant à sa rencontre que l’armée menée par le prince Lazare
tente de barrer la route aux Turcs à Kosovo Polje, dont le nom signifie en
serbe « le champ des merles » ( , en serbo-croate, désigne le merle) et
qui est située à mi-chemin entre Salonique et la Macédoine.
Le 28 juin 1389 (selon le calendrier orthodoxe), les 60 000 hommes de
Lazare et les 100 000 hommes du sultan Murad28 s’affrontent sur cette
plaine qui a donné son nom à toute la région, devenue « le Kosovo ». Il
ne s’agit pas précisément d’une armée uniquement serbe et chrétienne
contre une armée turque et musulmane, car les deux armées sont
composites. L’armée de Lazare, dite « armée serbe », comprend des
soldats de multiples origines telles que serbes, bulgares, valaques,
albanais, etc. (pas encore convertis à l’Islam). L’armée de Murad compte
dans ses rangs, outre ses propres soldats et les terribles janissaires, des
mercenaires non musulmans, plusieurs vassaux chrétiens bulgares et
serbes, dont très probablement les soldats de Marko Krajlevic.

Les janissaires (en turc, « , « nouvelle milice ») sont des


soldats d’un corps d’infanterie ottomane. Ce corps d’élite a été fondé
au XIVe siècle sous le règne du sultan Murad Ier.
Les janissaires sont recrutés parmi les enfants enlevés à des familles
chrétiennes de pays soumis à l’Empire ottoman, qui sont ensuite
convertis à l’islam et formés au métier des armes et à la dévotion au
sultan.
Cette redoutable infanterie, qui joue un rôle particulièrement
important dans les conquêtes impériales, devient au XVIIIe siècle une
force politique déterminante.
Mais après avoir été victime d’une terrible répression ordonnée par le
sultan Mahmud II (1808-1839), elle disparaît au début du XIXe siècle.

L’armée de Lazare commence par l’emporter car la cavalerie réussit à


faire reculer l’armée turque commandée par le sultan lui-même. L’issue
paraît si proche que, trop vite, Lazare fait parvenir un message de victoire
au souverain bosniaque Tverko, qui se hâte à son tour de l’annoncer aux
cours européennes. Le roi de France, Charles VI, aurait alors fait chanter
un pour remercier la Providence.
Mais quelques heures plus tard, les Turcs voient arriver des renforts
menés par le fils du sultan, Bajazet. Paniqués, le beau-frère de Lazare,
Vuk Brankovic, et le chef bosniaque Vladko, à la tête de milliers de
soldats, préfèrent se retirer de la bataille qu’ils croient perdue d’avance et
s’enfuient avec leurs troupes, portant un coup fatal à l’armée de Lazare.
Les troupes chrétiennes, vite débordées, sont massacrées et Lazare et
l’essentiel de la noblesse sont capturés et décapités devant la tente du
sultan. Murad Ier meurt à son tour car un proche de Lazare, Milos Obilic,
a réussi à pénétrer dans sa tente pour le poignarder.

À l’issue de cette défaite, l’indépendance de la Serbie et des autres peuples


des Balkans est condamnée. La Serbie tombe sous la tutelle ottomane et
ses principautés sont contraintes de payer un tribut, mais ce n’est qu’en
1521 que la ville de Belgrade sera soumise.
Le fils du prince Lazare, Étienne Lazarevic, devient roi d’une Serbie
vassale des Turcs (jusqu’en 1459, date à laquelle elle perd toute
autonomie) et se bat désormais dans le camp du sultan. Ainsi, les troupes
serbes participent aux côtés du sultan à la bataille de Nicopolis en 1396
contre les croisés, mais sont défaites à Ancyre en 1402 face au redoutable
Tamerlan (voir partie II, chapitre 12).
Les Turcs vont exercer leur domination sur la Serbie jusqu’au XIXe siècle,
la Serbie ne recouvrant complètement son indépendance qu’en 1878 au
congrès de Berlin.
Après leur victoire sur la Serbie, les Ottomans soumettent les autres États
slaves de la péninsule balkanique : la Bosnie en 1463, l’Herzégovine en
1481 et le Monténégro en 1492. Quant aux Bulgares, ils ont été conquis
dès 1393. La suprématie turque s’affirme enfin complètement avec la
disparition de l’Empire byzantin, qui tombe avec la prise de
Constantinople par les troupes ottomanes le 29 mai 1453 (voir partie II,
chapitre 15).

Le 28 juin, date anniversaire de la défaite de Lazare à Kosovo Polje, est


aujourd’hui encore considéré comme un jour de deuil national par le
peuple serbe. Le site même de la bataille est devenu un lieu de mémoire :
à la fin du XIVe siècle, le monument funéraire du sultan Murad devient un
lieu de pèlerinage musulman et les Serbes érigent dans la première moitié
du XXe siècle une tour en pierre de style médiéval et une stèle à la gloire
des soldats serbes morts à Kosovo Polje.
Tamerlan, l’un des conquérants les plus redoutables de l’Histoire, naît à
Kech le 10 avril 1336 au sein d’une famille d’origine turco-mongole
vivant au sud de Samarkand, en Transoxiane (région située dans l’actuel
Ouzbékistan). Son père, Teragaï, est le gouverneur de la ville de Kech et
un parent éloigné des Mongols de Gengis Khan. Tamerlan se servira plus
tard de cette filiation pour appuyer sa légitimité « gengiskhanide » à la
tête d’un second Empire mongol.
Tamerlan s’appelle en réalité Timour (« l’homme de fer »), mais une
flèche l’ayant rendu boiteux dans sa jeunesse, il devient Timour Leng
(« Timour le boiteux »), ce qui, francisé, donne « Tamerlan ». Bien
qu’orphelin dans sa jeunesse, Timour reçoit une éducation poussée et
devient dès l’âge de 18 ans le conseiller du gouverneur de Samarkand.
Puis il sert le roi de Transoxiane, auprès de qui il s’est distingué par son
intelligence et son érudition. En 1363, il renverse celui-ci et prend sa
place. Quelques années plus tard, après avoir supprimé toute opposition,
dont celle de son ancien allié et beau-frère Amir Hussein en 1370,
Timour se proclame khan de Djaghataï et héritier de Gengis Khan, dont
il entend restaurer l’empire.
S’identifiant à cet ancêtre supposé, Tamerlan s’en inspire et conserve son
code pénal (le code des Steppes ou ).

De son vrai nom Temüjin, il est né vers 1167, probablement à Delün


Boldaq, en Mongolie. Son père, Yesugei, chef de la tribu des
Bordjigin, serait mort empoisonné alors qu’il n’avait que 13 ans, mais
Temüjin parvient ensuite à se faire reconnaître comme son successeur.
Entre 1196 et 1205, il unifie les tribus mongoles, des bergers nomades
rivaux issus de peuples différents (issus des Turcs, au sud-est, ou des
Mongols, au nord et à l’est), sur lesquelles ne s’exerçait jusque-là
aucune autorité réelle. Maître de toute la Mongolie en 1206, il se fait
reconnaître comme tel et appeler « Gengis Khan », ce qui signifie « le
plus puissant des chefs ».
Ayant exterminé les Tartares, Gengis Khan décide de conquérir la
Chine vers laquelle il s’élance en 1211. Avec une armée de 200 000
hommes, il parvient à percer la Grande Muraille et à atteindre Pékin
en mai 1215, qui est assiégée puis incendiée. Ayant conquis la Chine
du Nord, le chef mongol se lance à la conquête de l’ouest, vers la
Transoxiane, l’Afghanistan et la Perse.
Ses conquêtes se traduisent par des massacres et la destruction de
villes telles que Boukhara, Samarkand, Herat. Selon certains
historiens, les hordes mongoles auraient ainsi tué jusqu’à 15 millions
de personnes. Pour montrer son hostilité à l’islam, dans ces pays de
confession musulmane, Gengis Khan aurait fait piétiner le Coran par
ses chevaux lors d’une incursion armée dans une mosquée.
Plusieurs de ses généraux ayant dévasté le Caucase et la Crimée entre
1218 et 1222, l’Empire mongol s’étend désormais du Pacifique à la
Volga. Une révolte survenue en Chine contraint Gengis Khan à
repartir à l’Est, où il meurt après une chute de cheval, à Qingshui,
dans la province de Gansu, au nord de la Chine, à l’été 1227. À sa
disparition, son empire est divisé entre ses quatre fils.
En une vingtaine d’années, Gengis Khan a réussi à créer un immense
empire. Bien qu’il fût un conquérant sans pitié, massacrant et
détruisant les pays conquis, il sut aussi être un bon administrateur et
un fin politique, faisant appel à des érudits bouddhistes et nestoriens
pour créer un gouvernement équitable. Il prit soin d’assimiler les
valeurs des pays conquis : les Mongols adoptèrent ainsi l’écriture des
Ouighours.

Musulman fanatique, convaincu d’une mission divine, c’est sous la


bannière du Prophète et au nom de la guerre sainte que Tamerlan part à
la conquête d’un empire, s’appuyant dès que possible sur la légitimité
islamique. Cela ne l’empêche pas de terroriser les populations qu’il
soumet, pour la plupart musulmanes. Mais il privilégie ensuite la religion
musulmane et ne fait disparaître que les religions chrétiennes et
bouddhistes des régions qu’il conquiert.
Il commence par s’emparer des khanats voisins, puis conquiert la Perse
(les villes de Chiraz et d’Ispahan sont saccagées en 1387), l’Azerbaïdjan,
l’Arménie, la Géorgie et la Mésopotamie. À la même époque, les fils de
Tamerlan envahissent le Turkestan chinois. Dans les années 1389-1395,
Tamerlan se tourne vers ses voisins mongols de la Horde d’Or,
commandés par le khan de Crimée, Toktamich, et dominant la Moscovie.
Il leur inflige des pertes sévères après avoir rencontré une sérieuse
résistance.
Puis, en 1398, il s’en prend au sultanat de Delhi, en Inde du Nord, qu’il
ravage après avoir battu les troupes du sultan à Panipat, le 17 décembre
1398. Pillages, incendies, viols et massacres sont devenus systématiques. Il
laisse derrière lui un pays saccagé, manquant de main-d’œuvre, touché
par la misère et la famine, et dont le morcellement politique est alors
accentué. En 1400, il intervient contre les Mamelouks maîtres de la Syrie
et de l’Égypte, et saccage les villes d’Alep, de Damas et même Bagdad,
capitale des califes abbassides, tout en exterminant les habitants. Tyran
sanguinaire, Tamerlan varie les châtiments sur les populations vaincues.
On raconte qu’à Damas, alors que 30 000 personnes, essentiellement des
religieux, des vieillards, des femmes et des enfants, s’étaient réfugiées dans
une grande mosquée sur ses conseils, Tamerlan fit condamner les sorties
du sanctuaire avant de le faire incendier. Alors qu’il avait promis de ne pas
faire couler le sang des 4 000 soldats arméniens vaincus s’ils se rendaient,
Tamerlan les fait enterrer vivants…

Passant par l’Anatolie, Tamerlan doit affronter les Ottomans, dirigés par
le sultan Bajazet Ier. Surnommé « la Foudre », celui-ci est le fils du Murad
Ier, vainqueur de la bataille de Kosovo Polje. Les Ottomans ont réussi à
s’emparer des dernières possessions des Byzantins en Asie mineure et
contrôlent alors la majeure partie de l’Anatolie, mais aussi la péninsule
balkanique (voir partie II, chapitre 11).
Les belligérants se rencontrent à Ancyre (appelée « Angora » au
XIXe siècle, avant de prendre le nom d’« Ankara », capitale de la Turquie
depuis 1923), un lieu déjà célèbre pour avoir été en 66 av. J.-C. le théâtre
de la victoire du général romain Pompée sur le roi Mithridate VI Le
Grand, roi du Pont.
Le sultan ottoman commande des troupes composites, disciplinées et
aguerries, dont les célèbres janissaires ainsi que 40 000 cavaliers serbes
sous les ordres du roi Étienne Lazarevic.
De son côté, Tamerlan est à la tête de trois corps d’armée dont les soldats
sont originaires des nombreuses contrées qu’il a conquises (du Caucase,
d’Asie centrale, des Indes, de Russie, etc.) et dispose d’une cinquantaine
d’éléphants, comme cela avait été le cas à Alep, Damas ou Bagdad.
Lorsqu’elles parviennent à Ancyre, les troupes ottomanes sont à bout de
forces, épuisées après une longue marche et assoiffées, les hommes de
Tamerlan ayant empoisonné les puits.
La bataille s’engage sous le soleil et la forte chaleur du mois de juillet.
Malgré le courage des janissaires et des cavaliers serbes, les troupes
mongoles remportent la victoire en l’espace d’une journée.
Fait prisonnier, Bajazet est enfermé dans une cage en fer et meurt en
captivité quelques mois plus tard, le 9 mars 1403.
La défaite des Ottomans, dont l’empire est alors désorganisé puis partagé
entre les fils de Bajazet, offre quelques années de répit à l’Empire
byzantin, qui n’est renversé qu’en 1453 alors qu’il aurait pu l’être un
demi-siècle plus tôt.

Après avoir anéanti la ville chrétienne de Smyrne, les troupes mongoles


regagnent Samarkand, d’où Tamerlan entend organiser une campagne
contre la Chine (comme l’avait fait Gengis Khan). Ce pays est alors
gouverné par la dynastie des Ming (de 1368 à 1644) et connaît une
période de grande prospérité.
La capitale de Tamerlan est devenue une ville magnifique témoignant de
la grandeur de son souverain. Elle abrite de nombreux monuments
construits par les ingénieurs et architectes venus embellir la capitale. En
effet, Tamerlan, fort cultivé, passionné d’art et d’érudition, protège ceux-
ci, ainsi que de nombreux artistes et savants issus de toutes les contrées de
l’empire. Il aurait un jour affirmé à ses hommes : «

Mais tandis que Tamerlan se rapproche de Samarkand, il tombe malade


et décède le 18 février 1405 à Otrar, sur le Syr-Daria, près de Chymkent
(actuel Kazakhstan), à 69 ans. Il est enterré à Samarkand et son
somptueux mausolée, le Gur-e-Amir, fait encore aujourd’hui partie des
grands monuments de la capitale.
Après sa mort, ses descendants, les Timourides, se partagent son empire,
fondant des dynasties séparées qui vont régner sur la Transoxiane, la
Perse et l’Afghanistan. L’un d’entre eux, Zaher al-Din Muhammad Baber
(ou Babour), né en 1483, se lancera à son tour dans des conquêtes
lointaines et fondera l’Empire moghol.

Après leur victoire à Crécy en 1346 et à Calais en 1347, les Anglais
écrasent à nouveau les Français à Poitiers en 1356. Au cours de la bataille,
le roi de France Jean II le Bon (1350-1364) est fait prisonnier, puis libéré
contre une forte rançon quatre ans plus tard.
Par le traité de Brétigny du 8 mai 1360, le roi Édouard III contraint le
dauphin Charles, qui assure la régence, à abandonner officiellement
Calais et tout le sud-ouest de la France (Aunis, Guyenne, Périgord,
Poitou, Saintonge), en échange de son renoncement à la couronne de
France.

Devenu le roi Charles V (1364-1380), le fils de Jean Le Bon s’attache au


cours de son règne à cicatriser les plaies subies par la France au cours des
deux règnes précédents.
Il restaure les finances et l’armée et confie au connétable Bertrand du
Guesclin la reconquête des provinces perdues. Ainsi, au cours de son
règne, alors que la plupart des Anglais sont chassés du royaume, l’unité
territoriale de la France est reconstituée. Seules Bordeaux, Bayonne et
Calais restent aux mains de l’ennemi. Lorsque Charles V meurt à
seulement 43 ans, le bilan de son règne s’avère assez satisfaisant.
En 1396, une trêve est conclue entre le roi de France, Charles VI, et le
roi d’Angleterre, Richard II. Les relations franco-britanniques
s’assouplissent en une période difficile pour la monarchie anglaise,
jusqu’en 1413. À cette date, le nouveau roi d’Angleterre, Henri V, rompt
la trêve et relance les prétentions au trône de France, prétextant qu’il
descend de Philippe le Bel par sa mère. Le nouveau roi d’Angleterre est le
fils et successeur d’Henri IV, qui, après avoir renversé le faible roi
Richard II en 1399, met sur le trône la maison des Lancastre, opposée à la
France.
En France, la situation est dramatique : lorsque Charles V meurt, son fils
n’a que 12 ans et la régence est assurée par ses oncles (ducs d’Anjou, de
Berry, de Bourgogne, etc.) qui laissent les rivalités et intrigues de cour
désorganiser la conduite des affaires du royaume.
Charles VI commence à gouverner en 1388, mais on s’aperçoit quatre ans
plus tard qu’il est atteint de folie. La régence est confiée à la reine Isabeau
de Bavière, tandis que le duc d’Orléans, frère du roi, et Philippe de
Bourgogne, son oncle, se disputent le pouvoir.
La situation est si grave que le nouveau duc de Bourgogne, Jean sans
Peur, fait assassiner en 1407 le duc d’Orléans, déclenchant une guerre
civile entre les Armagnacs (partisans des Orléans) et les Bourguignons.

Henri V profite de la crise pour demander en mariage la fille du roi,


Catherine de Valois, souhaitant récupérer ainsi le trône de France.
Éconduit dans sa demande, le roi d’Angleterre choisit alors d’intervenir
directement sur le sol français. Il réunit une flotte de 1 400 navires afin de
débarquer, le 13 avril 1415 à proximité de Harfleur, une armée de 30 000
hommes, des machines de siège et toute l’artillerie nécessaire pour
reprendre les anciennes possessions anglaises et, si possible, prendre le
trône. La situation lui est d’autant plus propice que les Bourguignons ont
fait alliance avec les Anglais en échange de leur soutien contre les
Armagnacs.
Après avoir dévasté Harfleur, Henri V se dirige vers Calais où ses
hommes, atteints de dysenterie, pourront se reposer et passer l’hiver
avant de reprendre la lutte au printemps aux côtés des Bourguignons.
L’armée anglaise se dirige donc vers le Nord en passant par la Picardie et
l’Artois, mais les chevaliers français réunis autour des Armagnacs décident
de lui couper la route.
Ayant franchi la Somme, les Anglais rencontrent les Français le
24 octobre 1415. Ces derniers, commandés par le connétable Charles
d’Albret, les attendaient de pied ferme, à proximité d’Arras. L’armée
française comprend 25 000 combattants29, dont des personnalités telles
que Charles d’Orléans, les ducs de Berry et de Bourbon… mais aucun
Bourguignon.
Les Français, confortés par leur supériorité numérique (les Anglais ne
disposent que de 6 000 hommes), refusent toute négociation avec Henri
V et choisissent comme champ de bataille un terrain près du bois
d’Azincourt (en Picardie). Ce lieu est pourtant trop étroit, notamment
pour pouvoir se replier correctement en cas de difficulté.


La bataille est prévue pour le lendemain et les Anglais en profitent pour
s’installer sur des hauteurs alentour afin de se reposer et de préparer leurs
armes. De leur côté, les Français passent la nuit sur leurs montures, le sol
étant détrempé par la pluie qui tombe depuis plusieurs jours.
La bataille s’engage le 25 octobre en fin de matinée. Face aux Français
resserrés sur leur ligne de bataille, les Anglais ont planté des pieux devant
leurs archers pour les protéger en cas de charge.
Alors que les chevaliers français se préparent à s’élancer au galop contre
les lignes anglaises, le duc Jean de Berry leur conseille de ne pas attaquer :
le terrain, boueux, est bien trop lourd et les hommes sont fatigués. En
outre, l’étroitesse du terrain ne permet pas aux chevaliers d’être appuyés
par les fantassins, qui sont écartés, au contraire des Anglais qui les
utilisent au mieux. Mais, rapidement submergés par les redoutables
flèches anglaises, les chevaliers décident néanmoins de charger. Ce sont
les princes de sang qui avancent en premier, suivis des soldats
professionnels.
Les arbalétriers français, placés sur les côtés et à l’arrière, ne peuvent pas
répondre à leur tour aux tirs ennemis avec la même efficacité que les
Anglais. Les chevaliers, alourdis par leurs armures dont certaines
atteignent 20 kilos, se déplacent avec difficulté, s’enfonçant dans la boue
tout en étant criblés de flèches ou écrasés par leurs chevaux blessés. De
plus, leur ligne est si serrée que les chevaliers ne peuvent que
difficilement lever les bras pour manier lances et épées. Enfin, comme à
Crécy, ils ont le soleil dans les yeux.
Le premier rang de chevaliers est décimé. Après avoir tiré suffisamment,
les archers anglais abandonnent leurs arcs et, accompagnés de fantassins,
se jettent sur les Français avec leurs épées, leurs haches, leurs maillets et
couteaux. Les chevaux s’affolent et les Français roulent à terre où,
empêtrés dans leur armure, ils deviennent une proie facile pour l’ennemi.
Le carnage est tel, malgré l’intervention du corps de bataille français venu
au secours des chevaliers, que les Français sont submergés malgré leur
bravoure.
Mais alors que 1 700 Français sont capturés, Henri V, furieux
d’apprendre une tentative de contre-attaque des Français et contrevenant
aux usages de l’époque consistant à échanger les prisonniers contre une
rançon, ordonne à ses archers de décapiter les prisonniers et d’achever les
blessés. Ce calcul politique vise à affaiblir au maximum les Armagnacs et
leurs partisans. Seuls quelques prisonniers seront épargnés, dont Charles
d’Orléans, neveu du roi de France, emmené pour de nombreuses années
de captivité en Angleterre.
Face à cette folie meurtrière, les fantassins, archers, ou chevaliers français
encore présents sur le champ de bataille sont effrayés et refluent. La
bataille d’Azincourt s’achève donc sur une victoire anglaise.

La France a perdu la fine fleur de sa chevalerie, dont le connétable


d’Albret, les ducs de Brabant, d’Alençon, de Bar, le comte de Nevers, etc.
Avec un total d’environ 10 000 hommes tués, cette bataille fait partie des
plus meurtrières du Moyen Âge. De leur côté, les Anglais n’ont perdu
« que » 1 600 hommes, alors qu’ils étaient trois fois moins nombreux que
leurs ennemis avant la bataille.
C’est la fin des guerres de chevaliers : le succès militaire repose désormais
sur une infanterie mobile et disciplinée, remarquée à Crécy et confirmée
à Azincourt.

Après cette bataille, Henri V part à la reconquête de la Normandie, tandis


que les Français, trop divisés pour s’unir contre les Anglais, reprennent la
guerre civile. Ainsi, en mai 1418, les Bourguignons font un massacre dans
Paris, tandis que la majeure partie du nord de la France passe sous la
domination britannique.
Mais les conséquences de la défaite d’Azincourt se ressentent plus
particulièrement au travers du traité de Troyes signé par Charles VI « le
Fou » en 1420 sous la néfaste influence de sa femme Isabeau, mettant en
péril la monarchie française. Le roi de France y renie et déshérite son fils
Charles (futur Charles VII) et consent à marier sa fille Catherine à Henri
V d’Angleterre, qui devient régent du royaume de France (pour quelques
mois seulement car il meurt en 1422).
Deux ans plus tard, le fils né de cette union est proclamé roi à Paris, sous
le nom d’Henri VI (1422-1471), bien que de nombreux Français
demeurent fidèles au dauphin de France, Charles (futur Charles VII), et
refusent l’hégémonie anglaise sur le royaume.
Alors que son père, Charles VI, a rendu son dernier soupir en 1422, son
fils Charles dénonce le traité de Troyes signé deux ans plus tôt et
rassemble ses partisans dans l’espoir de récupérer le trône de ses ancêtres.
Le dauphin ne règne que sur un minuscule royaume au centre de la
France, autour de la ville de Bourges. Il est entouré d’ennemis : les
Anglais au nord et à l’ouest, les Bourguignons à l’est.
Tandis que le duc de Bedford assure la régence en attendant que son
neveu Henri VI soit en âge de régner, les Anglais poursuivent leurs
conquêtes du territoire français. Le 24 octobre 1428, un corps
expéditionnaire anglais commandé par le comte de Salisbury (puis, après
sa mort accidentelle, par le duc de Suffolk) met le siège devant la ville
fortifiée d’Orléans, considérée comme un point stratégique pour
conquérir ensuite le sud de la France en franchissant la Loire.

Parmi la majorité des Français fidèles au dauphin légitime se trouve une


jeune fille française venue de Lorraine et âgée d’environ 17 ans, Jeanne
d’Arc. Se pressentant investie d’une mission divine, elle décide d’aller
trouver Charles.
Elle rencontre le dauphin au château de Chinon, le 6 mars 1426. Au cours
de son entretien, elle rassure Charles sur sa légitimité au trône (Charles
craint alors de n’être pas le fils naturel de Charles VI), lui assure le
soutien de Dieu et lui demande une armée pour aller délivrer Orléans. En
sauvant cette ville, elle empêcherait les Anglais de poursuivre leur
conquête du royaume.
Après avoir fait réaliser une enquête sur la jeune paysanne, le dauphin,
impressionné par sa foi et sa détermination, accepte de la considérer
comme un chef de guerre. Ayant reçu un équipement militaire (dont,
selon certains, l’épée de Charles Martel), elle quitte Chinon avec 12 000
hommes en direction d’Orléans assiégée.
La ville, protégée par de puissantes fortifications entourées d’un fossé, est
défendue courageusement par Dunois, mais les Anglais l’entourent,
empêchant tout ravitaillement. Orléans est ainsi progressivement touchée
par la famine.
Le 24 octobre, les Anglais prennent d’assaut les Tourelles : cette partie
est très importante car elle contrôle l’accès au pont-levis reliant la ville à
la rive sud de la Loire et au pont enjambant le fleuve. Aussi Dunois fait-il
détruire les arches du pont de la Loire pour empêcher l’ennemi d’en
profiter. La ville est bombardée et les assiégés, qui avaient tenté une
sortie pour s’emparer d’un convoi de vivres anglais, sont repoussés très
facilement.

Parvenue devant les remparts avec ses compagnons d’armes, Jeanne


réussit le 29 avril à entrer dans Orléans avec 200 chevaliers en passant par
le nord de la ville, alors que les Anglais se trouvent surtout au sud. Bien
qu’ils soient toujours assiégés, les Orléanais font un accueil triomphal à
Jeanne et reprennent courage en attendant l’arrivée imminente d’une
armée de secours… Quelques jours plus tard, Jeanne et ses hommes
parviennent à faire entrer un convoi de ravitaillement qui a réussi à
contourner le barrage ennemi.
Avant de passer à l’assaut, les Français ont néanmoins transmis à l’ennemi
une offre de paix. Celle-ci est refusée par les Anglais qui répondent à
Jeanne que loin de se retirer et d’abandonner la lutte, ils comptent la
capturer et la brûler.
Lorsque l’armée de secours arrive, l’attaque est immédiatement lancée, le
4 mai. C’est d’abord sur la bastille Saint-Loup que se portent surtout les
efforts des Français. Après une lutte acharnée, les Anglais sont bousculés
et doivent abandonner leurs positions.
Puis, alors que la bastille Saint-Augustin est prise le 6 mai, Jeanne et ses
troupes décident d’attaquer la forteresse des Tourelles, la partie la plus
dure à prendre. Tandis que les Anglais résistent de toutes leurs forces et
que les Français, épuisés, commencent à faiblir, Jeanne, bien que blessée,
galvanise ses troupes et prend la tête de l’assaut final lancé à la tombée du
jour, qui permet d’emporter les Tourelles.
Le 8 mai 1429, les Anglais renoncent au siège. Orléans est libérée et
devient un symbole de la résistance aux envahisseurs.

Après cette victoire qui redonne espoir au peuple français, Jeanne incite
Charles à aller se faire sacrer à Reims, mais celui-ci a peur : la
Champagne est aux mains des Anglais. Jeanne lui ouvre alors la route de
Reims en infligeant des échecs cuisants à l’ennemi à Patay, Auxerre,
Troyes, Châlons-sur-Marne, etc. Le 17 juillet 1429, le sacre de Charles
VII peut avoir lieu.
Alors que les Anglais sont démoralisés, Jeanne poursuit le combat, mais
elle échoue à prendre Paris, tenue par le duc de Bourgogne. En mai 1430,
elle est capturée par les Bourguignons devant Compiègne.
Ces derniers la vendent aux Anglais, qui la confient à un tribunal
ecclésiastique chargé de statuer sur son sort et dirigé par l’évêque de
Beauvais acquis à leur cause, Pierre Cauchon, qui tente de la faire passer
pour une sorcière. Déclarée « , elle est
condamnée au bûcher et meurt à Rouen, le 30 mai 1431.
Mais pour les Anglais, c’est la fin, car l’armée française continue la
reconquête du territoire et Charles VII parvient à rallier à sa cause les
seigneurs dissidents. Ainsi, le roi signe la paix avec le duc de Bourgogne
en 1435 et son armée reconquiert la Normandie en 1449, Bergerac en
1450, Bayonne en 1451, etc.
La guerre de Cent Ans s’achève avec la victoire française de Castillon, le
17 juillet 1453, à l’issue de laquelle les Français reprennent Bordeaux.
Alors que la guerre de Cent Ans prend fin sans qu’aucun traité n’ait été
signé, seule la ville de Calais demeure aux mains des Anglais pour encore
un siècle.
Depuis le XIIIe siècle, l’Empire ottoman étend sa domination en Europe
de l’est en s’emparant de nombreux territoires byzantins : une partie de la
Grèce, la Bosnie, la Serbie, la Macédoine, l’Albanie, l’ensemble de la
Thrace et une grande partie de la Bulgarie. Au XVe siècle, l’Empire
byzantin est ainsi réduit à sa seule capitale, Constantinople, et à quelques
territoires alentour.
Les Byzantins menacés n’ont plus d’espoir que dans l’intervention des
Occidentaux, mais le pape et les pays catholiques rechignent à aider un
rival qualifié d’hérétique depuis le schisme de 1054 qui a divisé la
chrétienté entre catholiques romains et orthodoxes byzantins.
Aussi un éventuel soutien des catholiques aux Byzantins est-il conditionné
par un accord religieux : c’est le concile de Ferrare-Florence, en 1439, par
lequel les Grecs, tout en conservant leur propre doctrine religieuse,
consentent avec beaucoup de difficultés à reconnaître l’autorité
pontificale.
Suite à cet accord, en 1443, les chrétiens hongrois et albanais, encouragés
par Rome, envahissent les Balkans, mais sont vaincus par les Turcs à
Varna en 1444, qui voient s’ouvrir de nouvelles perspectives d’expansion.

Reprenant les ambitions de son père Mourad II (1421-1451) qui avait


échoué face à la prestigieuse capitale byzantine en 1422, le sultan ottoman
Mehmet II (souverain de 1444 à 1446, puis de 1451 à 1481) profite de
l’affaiblissement des Byzantins pour tenter une nouvelle fois de prendre la
ville.
L’empereur byzantin Constantin XII Paléologue (qui porte le titre grec
de ) ne dispose que d’environ 8 000 hommes (dont les ,
des mercenaires) pour défendre sa ville et ses habitants30. Les forces
ottomanes réunissent une puissante armée d’un demi-million d’hommes
et une flotte de petits navires. De son côté, Mehmet II est à la tête d’une
armée forte de 80 000 à 100 000 hommes.
Le 5 avril 1453, les hostilités commencent. Le siège va durer près de deux
mois.
L’entrée de la Corne d’or, le bras de mer séparant les deux parties
(européenne et asiatique) à Constantinople, est protégée par des chaînes
de fer. Les Ottomans font alors passer leur flotte par voie terrestre pour
contourner celles-ci. Grâce à cet exploit réalisé en faisant tirer par des
bœufs et des milliers de soldats les navires sur des immenses troncs de
bois, les Ottomans parviennent à s’introduire dans le chenal de la Corne
d’or, prenant la cité à revers.
Parvenus aux pieds de la ville, les Turcs lancent leur puissante artillerie
contre les murailles afin de tenter d’ouvrir des brèches.
Constantin a fait appel à des renforts occidentaux, mais la dizaine de
bâtiments envoyés par Venise ne parvient pas à temps, faute de vent sur la
Méditerranée. Seule une petite troupe génoise, commandée par Jean
Giustiniani, réussit à atteindre la cité.
Au bout de 54 jours d’âpre résistance, la ville est investie et le
Constantin XII est tué les armes à la main dans la basilique Sainte-
Sophie, ainsi que Jean Giustiniani. Le 29 mai, les forces byzantines
décident de se rendre.
Au cours des trois jours suivants, la ville est pillée, ses habitants massacrés
ou réduits en esclavage. Le grec Michel Doukas, qui vécut le siège de
Constantinople, témoigne dans son :«
[II]

Le sultan Mehmet II, désormais surnommé « (« le


Conquérant »), transfère bientôt sa capitale d’Andrinople (actuelle
Édirne, siège du pouvoir ottoman de 1365 à 1458) à Constantinople.
Celle-ci est rebaptisée quelques années « Istamboul » (du grec
, « vers la ville »), en souvenir de la conquête lancée huit siècles plus
tôt32. La basilique Sainte-Sophie est transformée en mosquée, tandis que
le sultan fait ordonner des déportations depuis ses provinces pour
repeupler la ville.
Alors que l’activité économique reprend, la ville connaît un nouvel essor.
Huit années après Constantinople, en 1461, Trébizonde, dernière place
forte byzantine située sur la mer Noire, tombe à son tour aux mains des
Turcs, leur ouvrant la voie sur les Balkans (Bosnie, Albanie) et sur la
Crimée.
Bien que pressentie depuis longtemps, la chute de Byzance a un immense
impact sur les pays occidentaux, qui considèrent dès lors le monde turc
comme l’ennemi le plus redoutable de la chrétienté. Le pape Pie II (1458-
1464) aurait alors écrit à Mehmet II pour l’inciter à se faire baptiser…
De son côté, l’Église russe orthodoxe considère Moscou, siège de son
patriarcat, comme héritière de l’orthodoxie chrétienne depuis la chute de
Constantinople et donc comme la « troisième Rome ».
L’aigle à deux têtes de Byzance est ajouté aux armes du grand-duché de
Moscovie dont le grand-prince Ivan III épouse Zoé Paléologue, la nièce
du dernier , Constantin XII.
Constituant la fin des derniers vestiges de l’Empire romain, la disparition
de l’Empire byzantin en 1453 est considérée par les historiens comme la
fin du Moyen Âge.
De 1494 à 1516 se déroulent les « guerres d’Italie » qui ont pour origine
les revendications de la France sur Naples et Milan.
Le roi Charles VIII (1470-1498), fils de Louis XI, rêve d’agrandir le
royaume de France en conquérant un héritage en Italie et décide de
revendiquer le royaume de Naples. Celui-ci a appartenu au XIIIe siècle à
Charles d’Anjou, frère de Louis IX, ce qui autorise le roi de France à faire
valoir ses droits à la couronne. En 1494, Charles VIII part avec son armée
en Italie et, après être passé par Rome en décembre, arrive à Naples le
22 février 1495, sans avoir rencontré de résistance. Mais rapidement, une
coalition se forme contre les Français, réunissant le pape Alexandre VI,
l’empereur Maximilien d’Autriche, les rois catholiques d’Espagne
(Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon), Venise, et le duc de Milan.
L’armée française, vaincue à Fornoue (1495) malgré la bravoure des
cavaliers et du chevalier Bayard, doit se retirer.

À la mort de Charles VIII en 1498, son cousin Louis de Valois-Orléans


lui succède sous le nom de Louis XII (1462-1515). Il revendique non
seulement le royaume de Naples, mais également le duché de Milan,
d’après les droits légués par sa grand-mère maternelle, Valentine
Visconti. Il lance une nouvelle expédition vers l’Italie et, après avoir battu
le duc Ludovic Sforza, prend la région de Milan en 1498. Mais cinq ans
plus tard, malgré de nouveaux exploits du chevalier Bayard, il doit
capituler devant l’armée de Ferdinand d’Aragon, qui chasse les Français
du royaume de Naples.
Un compromis est trouvé en 1504 : la France abandonne Naples au roi
d’Aragon, mais conserve Milan. Cette solution n’est que temporaire car le
pape Jules II, qui veut assurer son autorité à toute l’Italie, monte une
nouvelle « Sainte Ligue » contre la France, comprenant Venise, l’Aragon,
la Suisse et l’Angleterre. Battus à Ravenne en 1512, les Français cèdent le
Milanais à l’Autriche et quittent complètement l’Italie. Louis XII
disparaît en 1515, après avoir conclu la paix l’année précédente.

Pierre Terrai, seigneur de Bayard, est né au château de Bayard, près


de Grenoble, vers 1475.
Il est issu d’une famille de chevaliers dont les ancêtres se sont
notamment illustrés à Poitiers ou Azincourt. D’abord page à
Chambéry auprès du prince de Savoie, il entame une carrière militaire
au service du roi Charles VIII. Il accompagne celui-ci en Italie et se
distingue à la bataille de Fornoue (1495). Sous Louis XII, il prend part
à la conquête du Milanais et s’illustre une fois de plus au pont du
Garigliano, en 1503. Ce haut fait d’armes, aussi célèbre que ses
victoires à Gênes (1507), à Agnadel (1509) ou à Brescia (1512), lui vaut
d’être surnommé « le chevalier sans peur et sans reproches ».
Capturé en Picardie, Bayard est relâché par les Anglais en 1513. Il
participe ensuite à l’expédition militaire de François Ier, qui franchit
les Alpes à l’été 1515 et affronte les Suisses à Marignan, les 13 et
14 septembre suivants. Bayard contribue de manière décisive à cette
bataille victorieuse. Au soir du combat, triomphant, François Ier rend
hommage à la chevalerie française en étant lui-même fait chevalier par
Bayard, qu’il estime être celui qui semble incarner à lui seul les valeurs
chevaleresques, étant un modèle de vertu, de courage et d’honneur
militaire. Bayard poursuit ses hauts faits militaires en contraignant
l’empereur Charles Quint à lever le siège de Mézières, en 1521.
En 1524, protégeant la retraite des troupes françaises devant les
Espagnols à Romagnano, il est mortellement blessé. Le chevalier
Bayard rend son dernier soupir dans le Milanais, sur les bords de la
Sesia, le 30 avril 1524, à 49 ans. Archétype du chevalier chrétien fidèle
à son pays, il entre alors dans la légende…

Un cousin du roi défunt, François Ier (1494-1547), lui succède sur le trône
de France, le 25 juin 1515. À peine sacré, il décide de venger la France
des récents échecs militaires et de reconquérir le Milanais. À la tête d’une
puissante expédition militaire comprenant 30 000 fantassins et 10 000
cavaliers, François Ier se lance vers l’Italie au mois d’août 1515. Son armée
comprend de nombreux chevaliers, tels que Bayard, le connétable de
Bourbon, le duc de Lorraine, le comte de Guise ou encore le maréchal
Trivulce. En effet, la noblesse a pour rôle de «
, en échange de nombreux privilèges.
Pendant la traversée des Alpes, la présence de 20 000 combattants suisses
au niveau des cols du Mont-Cenis et du Mont-Genèvre contraint l’armée
française à passer plus au sud, en remontant la Durance avant d’atteindre
la plaine du Pô. Ayant franchi les Alpes, les Français partent s’installer à
Marignan, à proximité de Milan, mais y rencontrent les Suisses, alliés de
la Sainte Ligue.
Le roi de France tente de négocier, mais, essuyant un refus, il se prépare
alors à combattre sur cette plaine marécageuse de Marignan. Galiot de
Genouillac, qui commande l’artillerie française, fait disposer les pièces
d’artillerie sur des zones sèches et surélevées, armes qui vont faire toute la
différence sur le champ de bataille. Les Français possèdent 72 canons,
tandis que les Suisses n’en ont que huit.
Dans l’après-midi du 13 septembre 1515, les Suisses se lancent à
l’attaque. Lançant charge après charge, ils commencent à ouvrir des
brèches dans les lignes françaises lorsque 200 cavaliers français menés par
François Ier surgissent. Mais ce sont surtout les batteries de canons qui
mettent l’ennemi en difficulté, et à trois reprises, les Suisses doivent
lâcher prise alors qu’ils parvenaient à les atteindre.
Au soir du 13 septembre, les combats sont interrompus pour la nuit. Le
roi de France en profite pour modifier la disposition de son armée, qu’il
place en longueur, sur une ligne élargie pour augmenter la puissance de
feu. Le roi est placé au centre, le duc d’Alençon sur l’aile gauche et le
connétable de Bourbon sur l’aile droite.
À l’aube, après avoir passé la nuit à veiller, parfois sans descendre de leur
monture, les soldats français voient les Suisses attaquer à nouveau. Ces
derniers choisissent de s’en prendre au centre du dispositif français, qui
est commandé par le roi, mais leurs 5 000 hommes sont alors repoussés
par les piquiers et les arquebusiers français, appuyés par l’artillerie. Ne
pouvant enfoncer le centre, les Suisses tentent alors de se diriger vers les
ailes de position des Français et de s’infiltrer jusqu’aux canons, en vain.
En fin de matinée, les Suisses sont pris à revers par une autre armée venue
soutenir François Ier et commandée par Alviano, capitaine de Venise.
Tandis que les Suisses commencent à reculer, les canons français se
déchaînent. Tentant de fuir, les Suisses sont rattrapés par la cavalerie, qui
fait un véritable carnage.
Submergés, les Suisses parviennent à battre en retraite définitivement.
Les Français, épuisés par les combats, renoncent à poursuivre les vaincus.
Pour le vieux maréchal Trivulce, qui a participé au cours de sa vie à 18
batailles particulièrement difficiles, ce fut « .
La bataille a été particulièrement meurtrière pour les Suisses, qui
dénombrent au moins 13 000 morts, alors que les Français ont perdu
environ 2 500 hommes.
Pour le jeune roi de France, cette brillante victoire, remportée à 20 ans,
lui donne un grand prestige auprès de ses sujets et des souverains
étrangers. Le soir même de la bataille, François Ier est fait chevalier par
Pierre Bayard « .
Alors que la coalition est brisée, Milan doit ouvrir ses portes aux Français.
François Ier repasse les Alpes à la fin janvier 1516.

La bataille de Marignan a des répercussions politiques particulièrement


favorables à la France : au cours de l’année 1516, la France signe à
Fribourg un traité avec les Suisses. Celui-ci prévoit une paix perpétuelle
et une alliance défensive, en échange de larges compensations financières
accordées par François Ier. De plus, un concordat est signé à Bologne avec
le pape Léon X, qui assure à François Ier un contrôle presque exclusif sur
le clergé français. Enfin, les Français reprennent le Milanais (ainsi que
Parme et Plaisance), une domination qui est reconnue officiellement par
le nouveau roi d’Espagne et successeur de Ferdinand d’Aragon, Charles
Ier (futur Charles Quint).
Toutefois, la France ne conservera pas longtemps ses fiefs italiens. Dix
ans après la victoire de Marignan, François Ier est battu à Pavie par
Charles Quint qui vient juste de reconquérir le Milanais. Fait prisonnier,
le roi de France renonce à l’Italie.
La conquête de ce pays aura toutefois eu l’avantage de sensibiliser les
Français à la richesse de la culture italienne, à une époque où se
développe l’art de la Renaissance. Ainsi, après Marignan, François Ier fait
venir en France Léonard de Vinci… avec son illustre tableau de la
Joconde.
Les guerres d’Italie s’achèvent définitivement en 1559 par l’abandon de
toute prétention française sur l’Italie, sous le règne d’Henri II, qui signe
avec Charles Quint la paix de Cateau-Cambrésis.
Alors qu’à la fin du XVe siècle débutent les conquêtes européennes en
Amérique, deux grandes civilisations se distinguent : celle des Incas, au
Pérou, et celle des Aztèques.
Les Aztèques viennent du nord-ouest du Mexique et, à partir de 1165 ou
1168, ils commencent à descendre vers le sud avant de s’établir quelques
années plus tard dans la vallée de Mexico.
C’est à cet endroit qu’ils entreprennent, en 1325, la construction de la
cité de Tenochtitlan, sur une île du lac Texcoco (site de l’actuelle capitale,
Mexico). Tenochtitlan deviendra, un siècle plus tard, la capitale du
puissant Empire aztèque et, au début du XVIe siècle, la plus grande capitale
connue au monde, comprenant environ 300 000 habitants répartis dans
les quatre quartiers de la ville. Un lieutenant du Cortès,
Bernal Diaz del Castillo, racontera dans ses :«

[espagnols]

Les Aztèques correspondent à une société guerrière, dominée par un


souverain et comprenant plusieurs castes, dont la plus haute est celle des
prêtres. Très religieux, les Aztèques vénèrent de multiples dieux. Ils
offrent au dieu soleil, le plus important, des sacrifices humains et lui
construisent de nombreux temples. Ainsi, lors de l’inauguration du
temple de Tenochtitlan, 20 000 personnes sont offertes en sacrifice.
Le degré de civilisation des Aztèques est avancé, comme en témoignent
leurs nombreux savants (qui étudient surtout les astres, les phénomènes
naturels et les mathématiques), leurs médecins, leurs artistes spécialisés
dans la taille de l’or et de pierres précieuses, ainsi que leur système
d’écriture.
Cependant, l’Empire aztèque, qui domine l’ensemble du Mexique central,
repose sur l’assujettissement récent des populations indiennes de la
région. Celles-ci fournissent chaque année un lourd tribut, dont des
adolescents destinés aux sacrifices.

En 1519, les Espagnols découvrent les Aztèques. Le Hernan


Cortès (1485-1547) est accueilli comme un dieu par l’empereur
Moctezuma et son peuple qui attendent la venue du dieu prêtre de la cité
toltèque de Tula, Quetzalcoatl. En outre, les Indiens sont impressionnés
par les chevaux et les armes à feu qu’ils n’avaient jamais vus. Ne
rencontrant pas de résistance, Cortès conquiert facilement le pays. Entré
avec ses hommes dans la capitale le 8 novembre 1519, il parvient bientôt à
soumettre l’empereur, qui lui offre son or puis renonce au pouvoir à son
profit. Mais lorsqu’il apprend qu’un gouverneur aztèque a fait tuer
plusieurs Espagnols, Cortès profite de l’occasion pour emprisonner le
souverain aztèque et faire exécuter son gouvernement. Parallèlement,
Cortès fait alliance avec les tribus indiennes échappant au contrôle
aztèque.
Quelques mois après l’arrivée des Espagnols, les Aztèques, choqués et en
colère contre l’occupant, se soulèvent. Alors que Cortès a quitté la
capitale pour affronter des hommes envoyés par le gouverneur de Cuba
qui lui est hostile, un de ses lieutenants, Pedro de Alvarado, décide de
supprimer l’aristocratie aztèque et de soumettre la population par la
terreur, afin d’écarter tout risque de conspiration dans la cité. Excédés, les
habitants de Tenochtitlan se révoltent et s’en prennent aux garnisons
espagnoles. Les Espagnols tentent des négociations par l’intermédiaire de
leur prisonnier, Moctezuma, mais ce dernier est mortellement touché par
une pierre. Confrontés à de très nombreux guerriers aztèques, entre 3 000
et 4 000 Espagnols et leurs alliés indiens choisissent de quitter la ville
avec leur butin lors de la (« la nuit triste », en espagnol), le
30 juin 1520. Ils sont alors tués par centaines et Cortès perd une grande
partie de ses effectifs, de nombreux chevaux ainsi que l’artillerie.

Les Aztèques croient les Espagnols définitivement partis et intronisent un


nouveau souverain, Cuitlahuac, en septembre suivant.
Mais pour Cortès, la guerre n’est pas finie et il entend reconquérir la ville
le plus rapidement possible. Il recrute de nouveaux effectifs, portant ainsi
son armée à 925 soldats espagnols, dont 86 cavaliers et 118 arbalétriers et
arquebusiers. Cortès fait également construire une flotte de 13 brigantins
(des navires à voiles rapides) pour mettre en place un blocus naval et
attaquer la cité lacustre. Il reconstitue son artillerie, qui comprend
notamment trois canons et dix quintaux de poudre.
De leur côté, les habitants de Tenochtitlan ont compris les intentions des
et préparent leur défense : ils fabriquent de nouvelles armes,
creusent des tranchées, dressent des barricades, etc. Touchés peu
auparavant par une épidémie de variole, qui a notamment emporté
l’empereur Cuitlahuac, les Aztèques comptent moins de 100 000
combattants.
Les Espagnols commencent le siège de la ville le 30 mai 1521, après avoir
détruit quatre jours plus tôt l’aqueduc de Chapultepec qui alimente la
ville en eau potable, ce qui constitue une perte dramatique pour les
assiégés. La ville est encerclée et les brigantins sont lancés, instaurant un
blocus et lançant une première attaque depuis le rocher de Tepopolco le
31 mai.
Malgré l’assaut, les Aztèques tiennent bon et infligent de lourdes pertes
aux assaillants. Mais ils ne peuvent qu’appliquer une tactique défensive,
alors que l’offensive ennemie s’appuie sur des canons, des arbalètes, des
cavaliers, etc.
Le nouvel empereur aztèque, Cuatemoc, refuse toutes les propositions de
reddition et soutient ses hommes, qui parviennent à contenir la
progression espagnole et même à faire des prisonniers, immédiatement
suppliciés puis exhibés pour décourager l’ennemi. Mais à la mi-juin, les
effets du blocus commencent à se faire sentir car les navires indiens qui
doivent ravitailler la ville sont systématiquement attaqués par les
brigantins espagnols.
Après plusieurs semaines de siège, le désespoir gagne les assaillants, qui
multiplient les sacrifices aux dieux. Les maladies telles que le typhus ou le
choléra déciment la population. La faim et la soif, sous le soleil de l’été,
affaiblissent les combattants et tuent les habitants les plus fragiles.
Ayant réussi à prendre le sud de la ville à la fin juillet, les Espagnols
lancent l’assaut final le 13 août 1521. Alors que les Aztèques reculent,
débordés, les Espagnols et leurs auxiliaires indiens se livrent à un horrible
carnage à propos duquel Cortès écrira à l’empereur Charles Quint : «

[…] […]
[…].

Les Aztèques, bien qu’ayant réussi à tenir deux mois et demi dans de
terribles conditions, sont définitivement vaincus. Entré triomphalement
dans Tenochtitlan, Cortès fait prisonnier le souverain Cuatemoc, qui est
jugé et exécuté. La capitale en ruine est rasée et, sur son emplacement, les
Espagnols construisent Mexico, qui devient la capitale de la Nouvelle-
Espagne (futur Mexique), fondée en 1535. Ils s’emparent ensuite du reste
de la région, dont le Chiapas, le Salvador, le Guatemala, etc.

Au cours des années qui suivent la conquête du Mexique, la population


est décimée par les maladies nouvelles (rougeole, variole) introduites par
les et dues aux mauvais traitements infligés à la main-
d’œuvre indienne, notamment employée à l’exploitation forcée des
richesses naturelles telles que l’or.
Mais pour les Espagnols, le XVIe siècle correspond au « siècle d’or », grâce
aux formidables ressources du Nouveau Monde.
Ivan III (1440-1505) devient grand-prince de Vladimir et de Moscou en
1462. Il parvient à libérer le sud de la Russie de la domination des
Mongols de la Horde d’Or, présents depuis le XIIIe siècle, et à unifier la
Russie, après avoir agrandi son territoire. Installant sa capitale à Moscou,
il y fait construire le Kremlin. À sa mort, en 1505, il laisse un État fort et
centralisé.

Vingt-huit ans plus tard, un autre Ivan, devenu grand-prince de Moscou à


la mort de son père Vassili en 1533, poursuit l’œuvre de son illustre
ancêtre. En 1547, Ivan IV (1530-1584) n’a que 17 ans lorsqu’il se fait
couronner et proclamer « (« César », en référence aux empereurs
romains) pour asseoir son pouvoir. Cette démarche lui paraît nécessaire
car, ayant été orphelin dès l’âge de trois ans, il a grandi au milieu des
luttes intestines des boyards (les nobles russes) chargés de la régence et en
rivalité permanente pour le pouvoir.
Manifestant très rapidement son autorité, il entreprend une série de
réformes, réorganisant l’administration, élaborant un nouveau système
juridique et modernisant son armée. Ces réformes modernisent le pays et
contribuent aussi à renforcer sa position au détriment de l’Église et de la
noblesse. Celles-ci voient leur pouvoir considérablement diminué par des
confiscations de terres, des déportations, et la division du territoire russe
en (partie des terres d’empire appartenant au tsar) et
(reste des terres que se partagent les boyards). À cette
occasion, Ivan se dote d’une redoutable milice, les , chargés
d’appliquer les expropriations consécutives à cette réforme du territoire.
Autour des années 1550, le souverain s’engage dans une série de guerres
et d’annexions sur les frontières orientales et méridionales de la Russie,
lui permettant de pacifier et d’agrandir le territoire russe.

Préoccupé par les Tatars, un peuple d’origine turco-mongole de


confession musulmane qui n’hésite pas à multiplier les incursions sur le
territoire russe, Ivan décide de monter une expédition punitive. En
décembre 1547, il prend la route avec son armée en direction de la
capitale tatare du khanat indépendant de Kazan, située à plusieurs
centaines de kilomètres à l’est de Moscou, sur la rive gauche de la Volga.
Mais alors que l’armée s’est engagée sur le fleuve gelé, pour atteindre le
territoire tatar, la glace se fend, engloutissant soldats, chevaux et canons.

Après être revenu à Moscou pour préparer une seconde expédition, le tsar
reprend la route de Kazan, le 24 novembre 1549. Parvenu aux pieds des
remparts de la ville, le 14 février 1550, il lance l’assaut : l’armée russe a
recours aux canons, aux catapultes pour abattre les murs, ainsi qu’aux
béliers pour venir à bout des portes les plus épaisses. Les Russes
parviennent à ouvrir une brèche et 60 000 d’entre eux investissent la ville,
massacrant la population, pillant les habitations, etc. Toutefois, ils ne
parviennent pas à prendre la forteresse centrale, qui résiste
désespérément.
Un jour plus tard, survient un brusque dégel qui pénalise gravement les
assaillants. Ceux-ci doivent désormais avancer dans la boue, ne sont plus
ravitaillés en raison de la fonte des glaces qui inonde les routes, et ne
peuvent pas utiliser efficacement leur artillerie lourde pour attaquer la
forteresse, la poudre étant mouillée. Dans de telles conditions, il n’est
plus possible de combattre et l’ordre est donné, la rage au cœur, de battre
en retraite. Les Tatars réfugiés dans la forteresse sont sauvés et ont la
satisfaction de récupérer un certain nombre de pièces d’artillerie et autres
armements que les Russes ont dû abandonner en partant.

Ne s’avouant pas totalement vaincus, les Russes construisent non loin de


Kazan, en plein territoire tatar, une ville fortifiée baptisée « Sviiajsk » et
pouvant servir de base de départ à une nouvelle campagne. Malgré
l’opposition de la noblesse à une nouvelle expédition jugée trop coûteuse,
le clergé encourage Ivan à reprendre la « lutte contre les Infidèles », une
« guerre sainte ». Avec la bénédiction de l’Église et sous la protection
d’icônes sacrées, les Russes quittent donc à nouveau la capitale avec leur
empereur en direction du bastion des Tatars. Leur armée est estimée à
100 000 hommes. En chemin, les Russes soumettent un certain nombre
de tribus vivant aux alentours de la Volga, qui se joignent à l’expédition.
Parvenu aux portes de Kazan, Ivan invite les habitants à se rendre en
échange de la promesse qu’ils auront la vie sauve. Mais cette offre est
repoussée avec mépris par le gouverneur de Kazan, Iadiger-Mohamed,
qui ose défier le tsar…
Persuadés du soutien divin, les Russes montent au combat avec
détermination le 23 août 1552. Face à eux, 30 000 guerriers tatars
s’apprêtent à défendre leur ville jusqu’au sacrifice suprême. Dans les deux
camps, les soldats sont exaltés à l’idée de faire triompher leur foi…
Pourtant, lorsque les Russes pénètrent dans Kazan, qui n’a pas été
défendue malgré ses tours et ses doubles remparts, ils découvrent une
ville désertée par sa population.
Une fois de plus, les habitants se sont réfugiés dans la forteresse centrale
et lorsque celle-ci ouvre soudainement ses portes, surgissent des milliers
de Tatars, à cheval ou à pied, tous armés jusqu’aux dents. Après avoir
esquissé un recul, les Russes se ressaisissent, mais leurs adversaires se
réfugient à nouveau dans la forteresse.
Les Russes décident de les assiéger, mais, comme la première fois, le
temps change brutalement dès le lendemain : un vent violent s’abat,
accompagné d’une brusque montée des eaux qui inonde vivres et
munitions. Les Tatars en profitent alors pour multiplier les tirs de
flèches, de boulets. Ne pouvant riposter de façon efficace, les Russes s’en
prennent aux prisonniers, qu’ils torturent de telle façon que le spectacle et
leurs cris effraient et poussent les Tatars à se rendre.
Le 5 septembre, alors que le temps s’est amélioré, une nouvelle tentative
des Russes, consistant à creuser des tunnels sous les remparts jusqu’à
atteindre les réserves d’eau et les faire sauter, échoue. Malgré une terrible
explosion qui fait de nombreuses victimes, les Tatars refusent de se
rendre. Les jours passent… Désireux de lancer l’assaut final, les Russes
commencent par affaiblir l’adversaire avec de nouvelles explosions.
Alors que les Russes se ruent contre les murs de la forteresse avec des
échelles, les Tatars se défendent avec acharnement en déversant des
pierres ou de l’eau bouillante du haut des remparts. Mais cette défense ne
parvient pas à empêcher les assaillants de réussir, au prix de nombreuses
victimes dans leurs rangs, à atteindre le sommet des remparts. Il s’ensuit
alors un véritable massacre des habitants, tandis que les quelques
survivants sont enchaînés pour servir d’esclaves.
Les Kazanais tentent une dernière contre-attaque pendant que les Russes
sont occupés à piller, mais l’arrivée de renforts permet aux assaillants de
remporter la victoire définitive. Le 2 octobre, tandis que le gouverneur de
Kazan se rend, le drapeau russe est hissé sur la ville. Iadiger-Mohamed est
gracié avec sa famille par Ivan en échange de son allégeance au tsar et de
sa conversion à la religion orthodoxe.
En mémoire de la prise de Kazan, le tsar fait bâtir en 1560 une cathédrale
devant le Kremlin (à proximité de l’actuelle Place rouge), baptisée
d’abord « Intercession de la Sainte Vierge », puis dédiée ensuite à
« Basile-le Bienheureux ». On raconte que ses neuf coupoles surmontées
de bulbes colorés symbolisent chacune la tête des neuf chefs tatars
décapités sur ordre d’Ivan IV.

Quatre ans après Kazan, une autre capitale d’un khanat tatar, Astrakhan,
tombe aux mains des Russes. À la suite de la conquête de Kazan et
d’Astrakhan, les Tatars opposent une farouche résistance aux mesures de
russification. Pendant plus de deux siècles, ils prendront part aux
nombreuses révoltes qui agiteront la Russie. À partir du XIXe siècle, leur
identité linguistique, religieuse et culturelle sera progressivement tolérée,
puis reconnue au XXe siècle.
Quant à Ivan IV, il impose à la Russie un régime d’oppression et
manifeste une terrible cruauté envers ceux qui s’opposent à lui d’une
façon ou d’une autre, allant même jusqu’à tuer son fils de ses propres
mains. Cela lui vaut d’être surnommé « Ivan le Terrible ».
Grande figure du nationalisme russe, il reste également célèbre pour avoir
forgé un véritable État russe, lancé la colonisation de la Sibérie et ouvert
la Russie au commerce avec l’Occident. Mais à sa mort, en 1584, il laisse
un empire fragilisé qui entre pour trois décennies dans une grave période
de troubles.
La Méditerranée est dominée au XVIe siècle par plusieurs puissances que
sont Venise, l’Espagne et l’Empire ottoman.
Venise est une puissance maritime et commerciale qui tire l’essentiel de
ses ressources du commerce avec l’Orient. Ses navires de combat et leurs
équipages sont les meilleurs de l’époque. L’Espagne domine l’ouest du
bassin méditerranéen en contrôlant la Sicile, la Sardaigne, Milan, Gênes
et le royaume de Naples. L’Empire ottoman s’étend, quant à lui, sur trois
continents (Asie, Afrique et Europe) et notamment sur la Méditerranée
orientale, les Balkans, et jusqu’à la Hongrie. Après avoir occupé presque
tout le bassin méditerranéen, cet empire menace de plus en plus l’Europe
occidentale. Les Ottomans ont pris Belgrade en 1521, Rhodes en 1522, et
ont assiégé Vienne en 1529. Le souverain ottoman, Soliman Ier dit « Le
Magnifique », disparaît en 1566. Son fils aîné, Selim II, lui succède, mais
surnommé « l’Ivrogne », il amorcera le déclin de l’Empire turc.

Si les Ottomans ont échoué à prendre Malte en mai 1565, ils réussissent à
soumettre Chypre en septembre 1570, qui passe pour trois siècles sous
leur domination. Cette île, riche en vignobles et en plantations de coton
et de canne à sucre, appartient alors aux Vénitiens, qui l’ont rachetée en
1489 à une héritière des Lusignan. Après cette offensive, Venise se sent
de plus en plus menacée et doit abandonner sa politique de compromis
avec les Turcs.
L’attaque de Chypre est jugée intolérable par les chrétiens. Ceux-ci
redoutent aussi l’expansion ottomane et sont épuisés par les raids
« barbaresques » des Ottomans qui mènent des razzias sur les côtes
siciliennes ou espagnoles et réduisent des milliers de chrétiens en
esclavage. En outre, les puissances chrétiennes redoutent de croiser en
mer les galères turques, qui les attaquent et condamnent les équipages à la
captivité.
Une coalition dite « de la Sainte Ligue » (bien que la première à porter ce
nom ait échoué en 1538) se forme en mai 1571, à la suite de l’appel
prononcé par le pape Pie V en la basilique Saint-Pierre de Rome. Elle
réunit les États pontificaux, Venise, l’Espagne de Philippe II, les
principautés italiennes indépendantes (Savoie, Toscane, Parme et
Modène) et l’ordre de Malte. La France de Charles IX, aux prises avec ses
difficultés intérieures (c’est l’époque des guerres de religion) et
officiellement alliée aux Turcs, ne s’y joint pas.

La flotte chrétienne, qui compte 208 navires espagnols et 6 galéasses


vénitiennes (navires à voiles et à rames, plus puissants et lourds que la
galère), se réunit fin août 1571 à Messine. Elle est placée sous le
commandement de don Juan d’Autriche, fils naturel de Charles Quint et
demi-frère de Philippe II d’Espagne. Le prince, nommé Grand Amiral,
est âgé de 25 ans.
Face à la coalition, les Ottomans, dont le moral est excellent tant ils sont
convaincus de leur supériorité, disposent d’environ 250 galères
rassemblées sous l’autorité de l’amiral turc Ali Pacha.
De chaque côté, on compte près de 170 000 hommes (galériens compris),
dont l’équipage est de part et d’autre composé de Grecs venus de
provinces dominées soit par les Vénitiens, soit par les Turcs.
Le matin du 7 octobre 1571, les deux flottes se rencontrent, à l’entrée du
golfe de Corinthe, à proximité de la ville de Lépante (actuelle Naupaktos,
sur les côtes occidentales de la Grèce). Les chrétiens déploient l’étendard
rouge et or de la Sainte Ligue et les Ottomans se trouvent réunis derrière
un étendard blanc brodé de versets du Coran.
Favorisés par le vent, les Ottomans avancent rapidement en direction de
la flotte chrétienne, encore mal alignée. Mais bientôt, le vent tombe, ce
que les chrétiens interprètent comme un signe favorable. L’affrontement
se présente comme une immense mêlée. Les boulets lancés à faible
distance font des ravages et les deux camps rivalisent de férocité lorsque
les galères se rencontrent et sont prises à l’abordage.
Placé au centre, le navire-amiral des chrétiens, , affronte
directement le bâtiment d’Ali Pacha, venu à sa rencontre pour un combat
singulier.
Don Juan et ses hommes parviennent à capturer Ali Pacha, qui est
décapité (selon certains, il se serait suicidé). En dépit de la nouvelle de sa
mort, les Ottomans continuent à résister, en particulier autour d’Ullugh
Ali, bey d’Alger, qui tente en début d’après-midi une nouvelle offensive
héroïque, mais insuffisante face aux chrétiens. Sentant la partie perdue du
côté ottoman, les esclaves chrétiens en profitent pour se soulever contre
les équipages turcs, ajoutant à la confusion. Tandis qu’Ullugh Ali choisit
de se retirer de la bataille et de rentrer à Alger, les Turcs tentent de
gagner la terre ferme.
En fin d’après-midi, les Ottomans sont totalement vaincus. En une seule
journée, ils ont perdu environ 30 000 hommes, 3 000 hommes ont été
capturés et de nombreuses galères, canons et étendards ont été pris. Seule
une trentaine de bâtiments turcs sont parvenus à s’échapper.
Côté chrétien, on dénombre 7 500 morts, mais entre 12 000 et 15 000
esclaves chrétiens qui se trouvaient sur les galères turques ont été libérés.

Un célèbre espagnol, Miguel de Cervantès, auteur de ,


participa à la bataille de Lépante, au cours de laquelle il fut fait
prisonnier par les Turcs.
Il témoigna plus tard de cette bataille, expliquant à la fois sa
souffrance : «
[…]

, mais aussi son enthousiasme quant à l’issue de cette bataille :


«
».
Ayant perdu sa main gauche à cette occasion, il abandonna ensuite
l’armée et devint écrivain.

L’issue de la bataille de Lépante, bien qu’elle ne constitue pas une victoire


décisive des chrétiens sur l’Empire ottoman, s’avère très importante pour
les puissances occidentales.
D’une part, elle prouve que l’Empire ottoman n’est pas invincible. Elle
marque d’ailleurs le début du déclin de l’ennemi turc qui abandonnera
toute velléité de conquêtes sur la Méditerranée occidentale et orientera
désormais ses attaques contre les Perses.
D’autre part, elle permet à l’Espagne catholique (qui demeure, semble-t-
il, marquée par sa achevée en janvier 1492 avec la prise de
Grenade) de reprendre confiance et de se placer comme «
et chef de file de la contre-réforme face au protestantisme, ainsi
que d’assurer son hégémonie en Méditerranée.
En revanche, les Vénitiens ne récupéreront pas Chypre, y renonçant
officiellement trois ans après Lépante, en échange de la reprise de
relations économiques avec leur ancien adversaire ottoman.
Le pape décide, quant à lui, d’instituer la fête de Notre-Dame du Rosaire,
fixée à la date du 7 octobre, en mémoire de cette brillante victoire, ce qui
contribuera par la suite à l’essor de la dévotion du rosaire chez les
catholiques et à la naissance de nombreuses confréries.
L’avancée ottomane en Europe a été largement freinée par la victoire des
chrétiens à Lépante, le 7 octobre 1571. Elle s’arrête à l’issue du siège de
Vienne, qui constitue donc un événement décisif dans l’histoire de la lutte
des pays européens contre les Turcs.

Au XVIIe siècle, la puissance ottomane s’affaiblit. L’autorité du sultan a


perdu de sa puissance et la corruption gangrène l’administration, tandis
que les ennemis européens de l’empire s’organisent.
Pourtant, à la fin du XVIIe siècle, l’Europe est elle-même divisée : la
France, l’Angleterre et la Suède s’opposent à l’Autriche, à la Hollande, au
Brandebourg et au Danemark. De leur côté, les Polonais réunis ont des
vues sur la Prusse orientale.
Voulant tirer profit de cette aspiration de la Pologne et espérant la
rapprocher de son allié turc (et la brouiller ainsi avec l’Autriche), la
France de Louis XIV lance une offensive diplomatique auprès de Jean
Sobieski, devenu roi de Pologne en 1674. La France propose, dans le
cadre de l’accord (secret) de Jaworow en 1675, une forte somme d’argent
moyennant l’entrée en guerre des Polonais contre le Brandebourg.
Mais pour les Polonais, ce pacte ne peut se conclure sans qu’auparavant
ait été éliminé le principal danger que représentent les Turcs. Sobieski, à
la tête de l’armée polonaise, a déjà vaincu les Turcs en 1673 à Khotine, en
Ukraine.
Sobieski conclut alors une alliance anti-ottomane avec le pape en mars
1683, puis en avril suivant avec Léopold Ier de Habsbourg, archiduc
d’Autriche et empereur allemand (de 1658 à 1705), qui se sent
particulièrement menacé par les ambitions de la Turquie.

De leur côté, les Turcs ont conclu un pacte avec le roi de Hongrie,
Étienne Tokoly. C’est ainsi qu’au mois de mai 1683, les troupes
ottomanes se mettent en marche afin de venir en aide aux Hongrois
opposés à la suzeraineté de l’Autriche, tandis que les Hongrois entament
le siège de Presbourg (devenue Bratislava, actuelle capitale de la
Slovaquie).
Mais le chef ottoman, le grand vizir Kara Mustapha, décide de passer
outre les instructions du sultan Mehmet IV et se dirige sur Vienne, à la
tête d’une gigantesque armée de 150 000 hommes.
Le 14 juillet 1683, le siège de la capitale autrichienne commence.
Léopold Ier et le gouvernement ont eu le temps de quitter la ville, mais il
reste encore 60 000 habitants. Le comte Rüdiger Starhmeberg et le
bourgmestre Andreas Liebenberg organisent la résistance, s’appuyant sur
les quelque 20 000 hommes que comprennent les 11 régiments et la
milice de la ville. En prévision de l’arrivée des Turcs, les faubourgs de la
ville ont été rasés et quantité d’armes et de vivres stockés en vue du siège.
Grâce aux alliances passées par Sobieski, les Viennois savent qu’ils seront
bientôt secourus. Pourtant, en dépit de leur acharnement, la situation des
assiégés devient extrêmement difficile : au début du mois de septembre,
alors que la pénurie sévit, les fortifications menacent de céder devant
l’assaillant turc.
Les alliés des Autrichiens approchent enfin. Les troupes autrichiennes,
complétées surtout par des Bavarois et commandées par le duc Charles de
Lorraine, retrouvent les troupes polonaises de Jean Sobieski. Celui-ci se
retrouve alors à la tête d’un total de 65 000 hommes placés sous son
commandement.
L’armée ainsi réunie arrive sur les hauteurs du Kahlenberg, à l’ouest de
Vienne, le 11 septembre. Le lendemain matin, au cours de la messe
précédant l’attaque, les soldats sont galvanisés par le discours du moine
capucin Marco d’Aviano et partent au combat la rage au cœur. Pendant
toute l’offensive, le religieux les encouragera à se battre comme
« , gagnant par son charisme le surnom de « puissant
magicien » par les Turcs.
Après trois attaques successives des Turcs, survenues pendant leur
descente du Kahlenberg, les armées alliées organisent une puissante
contre-offensive à laquelle leur adversaire ne peut résister. Ce dernier,
affaibli par la fuite des Hongrois et des Tatars, est bientôt défait malgré le
courage des janissaires.
L’armée ottomane choisit de s’enfuir, abandonnant tout : artillerie, butin
accumulé au cours de précédentes victoires, vivres, etc. Elle laisse
également derrière elle entre 15 000 et 20 000 hommes tués au combat…

Jean Sobieski est salué dans l’Europe entière comme le sauveur de la


chrétienté et la victoire donne une forte impulsion à la reconquête des
terres prises par les Ottomans en Europe centrale et orientale. La
coalition poursuit alors sa lutte contre les Turcs en reprenant la Haute-
Hongrie, tandis que le grand vizir vaincu, Kara Mustapha, est condamné
à être décapité par le sultan.
Les Autrichiens pénètrent en Serbie et en Bosnie, après avoir vaincu les
Turcs à Mohacs en 1687. En 1697, le prince Eugène (de Savoie-
Carignan, devenu commandant en chef des armées impériales) remporte
la victoire contre les troupes de Mustafa II à Zenta. Deux ans plus tard, en
1699, la paix de Karlowitz est signée, libérant la Hongrie de deux siècles
d’occupation ottomane. Les Turcs perdent également la Transylvanie,
attribuée, comme la Hongrie, à l’Autriche ; la Podolie à l’ouest de
l’Ukraine, pour les Polonais ; la Morée (le Péloponnèse) et la Dalmatie,
prises par Venise.
C’est la fin de la menace ottomane sur l’Europe occidentale (les
Ottomans récupéreront plus tard les territoires balkaniques).

Toutefois, la période d’occupation ottomane restera présente dans les


esprits européens. En 1782, soit près d’un siècle après le siège de Vienne,
l’Autrichien Mozart (1756-1791) compose .
Également au XVIIIe siècle, Madame de Pompadour (1721-1764), la
maîtresse du roi de France Louis XV, lance la mode ottomane en
commandant au peintre Charles Van Loo trois tableaux la représentant
en sultane.

Dans le campement abandonné des Turcs, les vainqueurs découvrent


d’importants stocks de café. Un Polonais, Kulczyski, a l’idée de
mélanger le café à de la crème. Les Viennois donneront à cette
boisson le nom de (le ), en hommage au moine
qui les a tant encouragés pendant le combat.
Au cours du siège de Vienne, des boulangers de la ville ont donné
l’alerte alors que les Turcs tentaient d’attaquer au cours de la nuit. En
souvenir, ils fabriqueront après la victoire des « viennoiseries » en
forme de croissant, emblème qui ornait le drapeau turc.
Au milieu du XVIIIe siècle, les Français et les Anglais sont en rivalité pour
l’Ohio, région particulièrement importante car elle correspond à la route
la plus directe entre le Canada et la Louisiane. Le Canada lui-même est
source de discorde puisque les Anglais disputent aux Français la
Nouvelle-France.
En juin 1755, le conflit éclate à la suite de la capture par les Anglais de
300 navires de commerce français sur le Saint-Laurent. Sous l’autorité de
Pierre Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, les
Français décident de riposter et font appel aux Indiens afin de pallier leur
infériorité numérique. Vaudreuil entend mener contre les Anglais une
guerre de harcèlement. Il autorise les Indiens à commettre toutes sortes
d’atrocités. De son côté, l’armée régulière française se consacre à une
tâche plus noble, celle de protéger la colonie.
Mais le 14 mars 1756, Louis-Joseph de Montcalm, marquis de Saint-
Véran, âgé de 44 ans et issu d’une vieille famille de militaires, se voit
nommé par le roi Louis XV commandant des troupes de la colonie de la
Nouvelle-France. Débarqué à Québec le 13 mai suivant, Louis-Joseph de
Montcalm affirme immédiatement ses qualités militaires et s’avère un
excellent stratège. Pendant deux ans, il attaque les forts, fait construire
des routes pour le transport de l’artillerie, creuser des tranchées, etc. Il
remporte ainsi toute une série de victoires contre les Anglais, dont celle
de Fort-Carillon en juillet 1758. Au cours de cette bataille, il réussit à
bloquer l’attaque de 6 000 Anglais appuyés par 9 000 colons américains,
grâce à une remarquable défense du fort, avec une garnison de seulement
4 000 hommes.
La situation change lorsque le ministre anglais de la Guerre, William
Pitt, privilégiant ses colonies canadienne et indienne, décide d’envoyer
des renforts massifs au Canada. Dès le second semestre de l’année 1758,
les Anglais prennent Louisbourg, Fort-Frontenac, Fort-Duquesne, etc.
En 1759, deux expéditions sont organisées, l’une vers Montréal, l’autre
vers Québec, soit un total de 30 000 hommes dotés de véritables moyens
qui débarquent au Canada et viennent renforcer les effectifs anglais déjà
présents. Face à eux, les Français sont délaissés par Paris qui privilégie les
combats en Europe au détriment de ses colonies, alors que la France est
pleinement investie dans la guerre de Sept Ans. Montcalm, qui a envoyé
Bougainville, le futur grand navigateur, comme émissaire à Versailles,
demande alors à entamer des pourparlers avec les Anglais, mais Paris
rejette tout dialogue avec l’ennemi…

La guerre de Sept Ans survient en Europe entre 1756 et 1763. Elle


oppose la France, l’Autriche et leurs alliés (la Russie, la Saxe, la Suède
et l’Espagne) à la Grande-Bretagne, la Prusse et le Hanovre.
Déclenchée à la suite de la capture de navires de commerce français
par l’Angleterre en 1755, elle est motivée par le désir de l’Autriche de
reprendre la Silésie et par les hostilités entre Anglais et Français dans
leurs colonies.
Elle demeure marquée par les défaites françaises en Allemagne
(Rossbach, 1757), au Canada (prise de Québec et de Montréal) et en
Inde (1761).
À l’issue de cette guerre, la Prusse conserve la Silésie (traité de
Hubertsbourg du 15 février 1763), mais la France perd la Nouvelle-
France et l’Inde (traité de Paris du 10 février 1763).

N’ayant reçu que très peu de renforts face à la menace anglaise,


Montcalm se consacre à consolider la défense de Québec (fondée en
1608), dont la garnison comprend moins de 14 000 soldats, afin de
bloquer le passage du Saint-Laurent, unique grande voie de circulation.
En mai 1759, la flotte anglaise transportant 25 000 hommes atteint
l’estuaire du Saint-Laurent. Parmi eux, James Wolfe, un des meilleurs
généraux anglais de l’époque, est à la tête de l’expédition anglaise au
Québec et amène avec lui 8 500 hommes en renfort.
Tout au long de l’été, installés sur la rive droite du fleuve Saint-Laurent,
les Anglais bombardent la ville de Québec, assiégée par 40 000 hommes
appuyés par 150 navires. Les maisons de Québec et celles des alentours
sont incendiées et les habitants du pays contraints de partir.
Dans la ville même, en dépit des offres de reddition et de la poursuite des
bombardements, les assiégés tiennent bon et leurs ripostes parviennent à
infliger de lourdes pertes aux Anglais. Aussi le général Wolfe décide-t-il
d’escalader avec 5 000 hommes un plateau situé sur la rive gauche du
Saint-Laurent, dominant Québec, appelé les « Plaines d’Abraham ». Cet
endroit est idéal pour venir à bout de la résistance de la ville. Prenant
position sur deux lignes, les soldats de Wolfe se préparent à affronter les
Français le 13 septembre. Lorsque Montcalm apprend cette nouvelle, il
lance immédiatement une offensive avec 3 500 Français et Canadiens,
qu’il dispose sur six rangées de profondeur. Mais le tir nourri de l’ennemi
transforme l’attaque française en massacre. Montcalm est contraint de
battre en retraite et ses troupes, poursuivies par les baïonnettes des
Anglais, se replient vers Québec dans de terribles conditions. La bataille a
duré deux heures, au cours desquelles les Français ont perdu 1 200
hommes, soit le double des pertes anglaises.
Le général Wolfe est mort pendant l’assaut des Français et Montcalm,
grièvement blessé, meurt au matin du 14 septembre. Avant de mourir,
Montcalm a pris le temps de rédiger une lettre au général Wolfe, qu’il
croit toujours en vie, afin d’intercéder en faveur de ses hommes :
«

Ayant perdu leur chef disparu et épuisés par les bombardements


incessants des Anglais, les Français sont démoralisés. Leurs effectifs sont
réduits à moins de 4 000 personnes, essentiellement des civils. Ils finissent
donc par se rendre : le 18 septembre, le commandant de la garnison,
Ramezay, signe la capitulation.
Un an plus tard, le 8 septembre 1860, le marquis de Vaudreuil,
gouverneur général français, capitule à son tour à Montréal, sans combat,
afin de préserver la vie des habitants. Cela lui vaudra d’être emprisonné à
la Bastille à son retour en France.

La colonie de la Nouvelle-France, administrée comme une province


française depuis le XVIIe siècle, disparaît avec le traité de Paris du
10 février 1763 : au nom du roi de France Louis XV, le Premier ministre,
le duc de Choiseul, cède aux Anglais le Canada et une partie de la
Louisiane située à l’ouest du Mississipi34, ainsi que la plupart des
possessions françaises des Indes…
La Nouvelle-France est rebaptisée quelques mois plus tard « Province du
Québec ».
Fondées aux XVIIe et XVIIIe siècles, les treize colonies britanniques
d’Amérique établies le long de la côte atlantique en Amérique comptent 1
200 000 habitants vers 1750. Chacune d’entre elles est administrée par un
gouverneur nommé par le roi d’Angleterre, sauf quatre colonies
(Connecticut, Pennsylvanie, Maryland et Rhode Island) qui élisent des
assemblées locales et se considèrent presque autonomes, bien que toutes
les colonies soient soumises à la Couronne britannique.
À l’issue du traité de Paris de 1763, la Grande-Bretagne a récupéré les
territoires français de la Nouvelle-France (voir partie IV, chapitre 1). Or,
les Britanniques entendent non seulement faire de ces nouveaux
territoires des propriétés de la Couronne, mais aussi faire payer aux
colons américains les frais de cette guerre fort coûteuse.
Les colons refusent les nouveaux impôts puisqu’ils ne bénéficient pas de
représentants élus au Parlement britannique. Londres met alors en place
un impôt sur le timbre, le , en vain. En 1767, elle le remplace
par la loi Townshend, établissant divers impôts sur les produits
nécessaires aux colonies, dont le thé. Cependant, la Compagnie des Indes
orientales n’est pas concernée par l’impôt sur le thé, ce qui révolte les
colons américains. Pour exprimer leur colère devant cette injustice, ceux-
ci décident de saisir une cargaison de thé évaluée à 100 000 livres se
trouvant dans l’un des navires de la Compagnie ancré à Boston, et de la
jeter par-dessus bord. Cette initiative, survenue le 16 décembre 1773 et
restée célèbre sous le nom ironique de « », entraîne une
violente riposte de Londres. Des soldats sont envoyés pour rétablir
l’ordre et plusieurs lois sont publiées (surnommées « intolérables » par les
colons), dont le rattachant une partie du territoire des
provinces rebelles au Canada.
Réunis en congrès à Philadelphie en septembre 1774, les représentants
désignés par les treize colonies proclament une « Déclaration des droits »
qui affirme l’indépendance des colonies face aux décisions unilatérales du
Parlement britannique. Les relations avec les Anglais ne cessent de se
détériorer lorsque le 19 avril 1775, à Lexington, près de Boston, des
miliciens du Massachusetts échangent des coups de feu avec les soldats
anglais. C’est le début de la guerre d’Indépendance.

Alors que se met en place la lutte armée des treize colonies, les
sont placés sous les ordres de George Washington, désigné commandant
en chef des troupes continentales.
Le 4 juillet 1776, une nouvelle réunion du congrès des représentants des
colonies à Philadelphie adopte la Déclaration d’indépendance, qui met un
terme définitif à l’assujettissement à la couronne britannique.
À cette époque, débute le soutien de la France aux colons : en juin 1777,
le marquis de La Fayette se rend en Amérique avec plusieurs chefs
militaires français pour former les combattants et acheminer des armes et
des équipements.
Malgré cette aide et une volonté farouche d’obtenir leur liberté, et bien
que les Anglais n’aient pu mobiliser qu’environ 40 000 hommes à la fois
et soient parfois dépassés par cette forme de guérilla, les
peinent à remporter des victoires. Seule celle de Saratoga, le 17 octobre
1777, est une victoire importante : les Américains parviennent à faire
capituler 5 000 soldats anglais. Elle permet de rallier la plupart des colons
à la guerre d’Indépendance et rend crédible cette guerre, laquelle suscite
désormais bien davantage l’intérêt de la France qui y voit un moyen de
prendre une revanche sur l’Angleterre.
L’américain Benjamin Franklin (inventeur du paratonnerre) intervient
auprès du ministre français Charles de Vergennes, qui parvient à
convaincre Louis XVI. Les relations franco-américaines s’accentuent
alors avec le « Traité d’amitié et de commerce conclu entre le roi et les
États-Unis de l’Amérique septentrionale », signé à Paris le 6 février 1778,
qui accorde un premier prêt et intensifie les livraisons d’armes et de
matériel.
Puis, le 11 juillet 1780, une escadre française de 8 vaisseaux et de 2
frégates, accompagnant 26 navires qui transportent un corps
expéditionnaire de 5 500 hommes commandé par le lieutenant-général de
Rochambeau, débarque à Newport.
Avec l’aide des Français, le général Washington planifie sa campagne
militaire contre les Anglais. Rochambeau estime toutefois qu’il est
nécessaire de faire parvenir de France de nouveaux renforts avant de
passer à l’action. En septembre suivant débarquent 3 300 hommes
supplémentaires, sous les ordres du marquis de Saint-Simon. Washington
est partisan d’une attaque de New York, mais Rochambeau, apprenant
que l’amiral de Grasse est en route pour la baie de Chesapeake, en
Virginie, conseille d’attaquer dans le sud, où les Anglais ont concentré
leurs efforts avec succès.
C’est ainsi que les américains et les armées de Rochambeau,
appuyés par l’escadre française de l’amiral de Grasse, qui ont réussi à faire
croire aux Anglais que leur objectif était New York, manœuvrent en
direction de la base navale de Yorktown, en Virginie. Préalablement, La
Fayette et ses 1 500 hommes ont réussi à repousser le général Charles
Cornwallis et ses 8 000 hommes jusqu’à Yorktown, où ils se sont
retranchés au cours du mois de juillet, sur ordre du général anglais
Clinton qui surestime vraisemblablement l’adversaire.
Mais les Français craignent que les Anglais n’évacuent par la mer et font
venir la flotte française qui, partie de Saint-Domingue, atteint la Virginie
le 3 septembre 1781.
Une victoire navale décisive est alors remportée par l’amiral François de
Grasse sur la flotte de l’amiral anglais Thomas Graves, au niveau de
l’embouchure de la Chesapeake, le 5 septembre 1781. De Grasse met
ensuite sa flotte, forte de 3 000 hommes, à la disposition de Washington
et de Rochambeau pour appuyer leurs opérations terrestres.
La flotte de l’amiral de Grasse stationne dans la baie de Chesapeake pour
bloquer toute sortie de l’ennemi et empêcher tout secours anglais par la
mer. Yorktown se retrouve assiégée à partir du 28 septembre par les 6 000
hommes de Washington, les 5 500 hommes du corps expéditionnaire de
Rochambeau, rejoints par les forces du marquis de Saint-Simon et les
hommes de La Fayette, soit au total 16 000 Français et Américains.
Alors que Rochambeau a fait venir des canons français, l’artillerie harcèle
la place forte et des fossés sont creusés par des ingénieurs français. Quant
aux Anglais, ils tentent en vain, à plusieurs reprises, de forcer les lignes
franco-américaines.
Au bout de plusieurs semaines de siège, alors que des soldats français
commandés par Charles de Lameth parviennent à prendre les premières
redoutes, l’assaut final est lancé par le Marquis de La Fayette. Ses
hommes, qui attaquent baïonnette au canon, réussissent à s’emparer des
dernières redoutes et de la batterie anglaise la plus puissante. Alors que
les Anglais capitulent, le 19 octobre 1781, le comte de Rochambeau a
l’élégance de refuser l’épée du général O’Hara, adjoint de Cornwallis,
pour que celui-ci la remette à George Washington…

L’Angleterre est contrainte de reconnaître l’indépendance de ses treize


colonies par un traité signé avec les représentants des États-Unis en
novembre 1783. Le 3 septembre 1783, le traité de Versailles met fin à la
guerre et proclame officiellement l’indépendance des États-Unis
d’Amérique.

Jean-Baptiste Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, est né à


Vendôme le 1er juillet 1725.
Entré dans l’armée en 1742, il est remarqué à l’occasion du siège de
Maastricht, lors de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748),
puis lors de l’expédition française contre Minorque, annexée par les
Anglais pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763).
Promu lieutenant-général, il prend la tête du corps expéditionnaire
français envoyé au secours des Américains lors de la guerre
d’Indépendance et contribue à la victoire de Yorktown en 1781.
Nommé gouverneur des provinces de Picardie et d’Artois à son retour
en France en 1783, il est élevé à la dignité de maréchal en 1791. Il
prend le commandement de l’armée du Nord de 1790 à 1792.
Emprisonné sous la Terreur en 1794, il est libéré quelques mois plus
tard, après la chute de Robespierre. Sous l’Empire, il est fait grand
officier de la Légion d’honneur par Napoléon Ier.
Ce grand soldat finit sa vie dans son château de Rochambeau, à
Vendôme, où il meurt en 1807 avant d’être inhumé à Thoré, dans le
Loir-et-Cher.
Son fils, Donatien, deviendra général.
Sous le Directoire (octobre 1795-novembre 1799), un jeune officier du
nom de Bonaparte se distingue. Né à Ajaccio le 15 août 1769 dans une
famille de la petite noblesse corse, ce dernier a suivi des études dans
divers collèges militaires, dont celui de Brienne, puis à l’École militaire de
Paris en 1785.
Dès les débuts de la Révolution, il participe à la lutte contre les troupes
des puissances alliées réunies au sein d’une coalition formée à partir de
mai 1792 et comprenant notamment l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre, la
Hollande et l’Espagne, etc., contre la France. Il est remarqué en
décembre 1793 lors de la reprise du port de Toulon, qui avait été livré
aux Anglais par les royalistes. Promu général de brigade en 1794, il prend
part à la répression du soulèvement royaliste d’octobre 1795. Nommé le
2 mars 1796 général en chef de l’armée d’Italie (une semaine avant
d’épouser Joséphine, veuve du général de Beauharnais), il combat avec
succès les troupes autrichiennes et conquiert la plaine du Pô. La prise de
Milan (15 mai 1796) et les victoires de Montenotte (12 avril 1796), de
Castiglione (5 août 1796) et d’Arcole (15-17 novembre 1796), puis de
Rivoli (14 janvier 1797), entre autres, ouvrent la route de Vienne. Elles
imposent à l’Autriche le traité de Campoformio (18 octobre 1797), qui
livre à la France le Milanais, la Lombardie, la rive gauche du Rhin jusqu’à
Cologne, et la Belgique. Bonaparte y acquiert une immense gloire
militaire et en profite pour créer une République cisalpine en Italie du
Nord, avec pour capitale Milan, qui devient un État vassal de la France.

À son retour d’Italie, Bonaparte, qui n’a pourtant que 28 ans, est nommé
par le Directoire général en chef de l’armée d’Angleterre. Mais son
indépendance d’esprit, son ambition et sa popularité inquiètent le
gouvernement français. Aussi, lorsque le jeune général demande à être
envoyé en Égypte dans le double objectif de fonder une nouvelle colonie
et de menacer le commerce britannique en coupant la route vers les
Indes, les Directeurs consentent à ce projet gigantesque pour l’éloigner.
Pourtant, l’Égypte est alors aux mains de l’Empire ottoman, lui-même
allié de la France depuis le XVIe siècle. Talleyrand, ministre des Affaires
Étrangères qui soutient totalement le projet de Bonaparte, se charge de
persuader Selim III que cette expédition n’est pas dirigée contre lui.
Pour financer l’expédition d’Orient, le Directoire envahit la Suisse,
prétextant la défense des Vaudois. Après avoir réprimé sévèrement une
insurrection en septembre 1798, la France contribue à faire disparaître la
Confédération des XIII cantons et met la main sur les fonds de Berne.
Bonaparte, qui prétend qu’« et
croit probablement trouver à nouveau la gloire en Égypte, embarque à
Toulon le 19 mai 1798 avec deux généraux, Kléber et Desaix, et 38 000
hommes. Parmi eux, figurent 150 ingénieurs et savants, dont le chimiste
Claude Berthollet, le géologue Dieudonné Dolomieu, le naturaliste
Geoffrey Saint-Hilaire, le mathématicien Gaspard Monge, l’égyptologue
Jean-François Champollion, ainsi que le dessinateur Denon, chargés de
profiter de l’expédition pour étudier les vestiges archéologiques du pays
des pharaons.
L’expédition débarque à Alexandrie le 1er juillet suivant, après s’être
emparée en chemin de l’île de Malte et avoir miraculeusement échappé à
la flotte du contre-amiral britannique, Horatio Nelson.
Mais une fois sur le sol égyptien, le corps expéditionnaire français doit
affronter ses défenseurs, les Mamelouks, commandés par deux beys,
Mourad et Ibrahim.

Mamelouk signifie en arabe « homme acheté, possédé ». Il s’agit


d’une milice fondée au XIIIe siècle par un sultan ayyubide (la dynastie
musulmane fondée par Saladin), dont les membres sont recrutés parmi
les esclaves blancs (surtout des Turcs).
La toute-puissance de cette milice leur permet de prendre le pouvoir
en 1250 et de fonder une dynastie dominant l’Égypte et la Syrie.
En 1517, le sultan ottoman Sélim Ier parvient à soumettre le sultanat
mamelouk, dont les chefs, portant le titre de « », conservent
cependant les gouvernements des provinces désormais rattachées à
l’Empire ottoman.
À l’époque de l’expédition française en Égypte, à la fin du XVIIIe siècle,
les Mamelouks se soulèvent de plus en plus contre l’autorité
ottomane. Certains d’entre eux préfèrent d’ailleurs rejoindre les
Français, constituant plus tard un escadron de la Garde impériale.
En 1811, le vice-roi d’Égypte envoyé par la Sublime Porte,
Mohammed Ali, fait exécuter 300 chefs mamelouks, anéantissant
définitivement leur puissance.

S’étant rendus maîtres d’Alexandrie dès le 2 juillet 1798, les Français


avancent en direction du Nil. Pendant trois semaines, les conditions sont
extrêmement difficiles : les soldats avancent à pied ou à dos de chameaux,
sous une chaleur écrasante, en particulier lors de la traversée du désert de
Dananhour, avant d’être surpris par les embuscades des Mamelouks
lorsqu’ils atteignent enfin le Nil.
Le 21 juillet, parvenus à quelques kilomètres des pyramides et du Caire,
au niveau de Waraq el-Hader, les Français se retrouvent face aux troupes
du chef mamelouk Mourad Bey : 6 000 cavaliers sont disposés en ordre de
bataille, prêts à lancer l’assaut sur les Français. Dans les environs, le
village retranché d’Embabeh est tenu par les janissaires, tandis que sur le
Nil, une flottille se tient prête à « accueillir » les navires français chargés
de la logistique. Enfin, la ville du Caire est elle aussi défendue par près de
20 000 soldats égyptiens, sous les ordres d’Ibrahim Bey.
Avant la bataille, Bonaparte se serait écrié, pour encourager ses hommes :
«
Devant compenser l’infériorité numérique de ses troupes
qui ne disposent, en outre, que de quelques cavaliers, Bonaparte fait
disposer ses hommes en immenses « carrés » comprenant 2 000 hommes
sur les côtés. Au centre, sont disposés les civils participant à l’expédition,
les bagages et l’intendance, mais aussi le commandement et la cavalerie.
Sur les angles, sont placés des canons. Enfin, formant eux-mêmes les
carrés répartis en cinq lignes (trois mobiles et deux statiques) et chargés
de servir de rempart à ceux placés au centre, les fantassins armés de fusils
se préparent à faire face à l’offensive ennemie.
C’est ainsi que la cavalerie ennemie partie à l’assaut en rangs serrés est
frappée avec force par les tirs français (balles et boulets) qui parviennent à
les repousser. Lorsque les Français attaquent à leur tour, l’aile gauche
parvient à bloquer les Mamelouks dos au Nil. Ne pouvant reculer, ceux-ci
sont rapidement débordés et se dispersent. Avant de s’enfuir comme
Mourad Bey, Ibrahim Bey fait incendier les navires qu’il avait disposés sur
le Nil.
En l’espace d’environ deux heures, Bonaparte et ses hommes ont défait
les Mamelouks, qui dénombrent 1 500 tués alors que les Français en
comptent 40.
Bonaparte entre en vainqueur au Caire, le 23 juillet 1798. La bataille des
Pyramides, qui lui offre le contrôle du nord du pays, est l’épisode le plus
marquant de cette courte expédition d’Égypte.

Quelques jours plus tard, les Français apprennent la destruction de leur


flotte par les Anglais dans la rade d’Aboukir, le 1er août.
Bonaparte, qui se retrouve « prisonnier » de sa conquête, continue
néanmoins à soumettre le pays, tandis que les Ottomans entrent en
guerre contre la France et concentrent leurs troupes en Syrie. Les troupes
françaises s’emparent de Gaza et Jaffa, battent les Turcs au mont Thabor,
mais sont arrêtées à Saint-Jean-d’Acre. Touchés par une épidémie de
peste et épuisés, les Français retournent en Égypte où ils doivent faire
face au débarquement de troupes turques transportées par des navires
anglais. Le 25 juillet 1799, les Français sont victorieux à Aboukir.
Quelques jours plus tard, apprenant les difficultés de la France qui
affronte une deuxième coalition (Angleterre, Autriche, Russie, Turquie)
et multiplie les revers depuis le mois de mars, Bonaparte confie le
commandement de ses troupes d’Égypte à Kléber et rejoint la France, où
il débarque le 9 octobre.
Le retour de Bonaparte est triomphal et celui-ci en profite pour mettre
fin au Directoire par le coup d’État du 18 Brumaire an VIII (9 novembre
1799) et instaurer le Consulat, le 13 décembre 1799. Il fait alors partie,
avec Sieyès et Ducos, des trois consuls provisoires nommés par le Conseil
des Cinq-Cents, chargés de réorganiser le pays et de rédiger une nouvelle
constitution.

En Égypte, la situation se dégrade dangereusement : les caisses sont vides,


l’épidémie de peste continue de sévir, les soldats sont démoralisés et les
Turcs sont désormais soutenus par Londres. En juin 1800, le général
Kléber est assassiné et remplacé par le général Menou. En septembre, les
Français se rendent aux Anglais, qui les ramènent en France sur leurs
propres navires. La campagne d’Égypte s’achève sur un désastre et seuls
les découvertes des savants et le développement de l’égyptologie
permettront plus tard à Napoléon, qui a fondé l’Institut d’Égypte, de
magnifier cette expédition.
Malgré les propositions de la France, l’Autriche et l’Angleterre refusent
de faire la paix. L’Autriche entend envahir le territoire français à la fois
depuis le nord de l’Italie et depuis le Rhin. Au printemps 1800, Bonaparte
reprend donc le chemin de l’Italie pour une seconde campagne. Ayant
franchi les Alpes au niveau du col du Grand Saint-Bernard, l’armée
française remporte le 14 juin 1800 la victoire de Marengo, près
d’Alexandrie (Piémont), contre les Autrichiens commandés par le baron
de Mélas. Quelques mois plus tard, les troupes du général Moreau
infligent une grave défaite aux Autrichiens de l’archiduc Jean, à
Hohenlinden, le 3 décembre 1800. L’Autriche vaincue est alors
contrainte de négocier.
En l’espace de trois ans et fort de son autorité de Premier consul,
Bonaparte réussit à effacer Sieyès et Ducos, et à redresser l’état de la
France par une complète réorganisation de l’administration, de la justice,
de l’enseignement et des finances. De plus, sa victoire à Marengo lui
permet de mettre fin à une décennie de guerre en signant la paix de
Lunéville avec l’Autriche en 1801 et la paix d’Amiens avec l’Angleterre,
l’année suivante.
Très populaire pour avoir ramené la paix et la prospérité, le Premier
consul est élu « Consul à vie » par le peuple. Il a toutefois pris des
mesures radicales en exilant ses derniers opposants.
Deux ans plus tard, à l’instigation du Premier consul, le Sénat instaure
l’Empire et proclame Napoléon Bonaparte empereur des Français, le
18 mai 1804. Cette décision est approuvée par le peuple, qui a été une
nouvelle fois consulté par un plébiscite. Napoléon Ier est sacré empereur
par le pape Pie VII le 2 décembre 1804 en la cathédrale Notre-Dame de
Paris.

Mais le régime impérial ne tarde pas à retrouver la guerre. Dès l’été 1805,
l’Angleterre forme une troisième coalition avec l’Autriche, la Russie, la
Suède et le royaume de Naples, dans le but de forcer Napoléon à quitter
l’Italie, dont il s’est proclamé roi.
Lorsque l’Angleterre, alors l’ennemi le plus dangereux, rompt la paix
d’Amiens, Napoléon décide de l’envahir. Aussi l’empereur réunit-il à
Boulogne 200 000 hommes et une flotte gigantesque de 3 000 bâtiments.
Toutefois, l’invasion n’est réalisable que si les Anglais s’éloignent de la
Manche. Il faut notamment contenir l’escadre anglaise de Méditerranée
commandée par l’amiral Nelson, 47 ans, le redoutable vainqueur
d’Aboukir. À cette fin, Napoléon donne l’ordre à l’amiral Villeneuve, qui
commande la flotte française basée à Toulon, d’attirer Nelson le plus loin
possible, puis de revenir en direction de la Manche.
Quittant Toulon en mars 1805, Villeneuve passe donc Cadix et part pour
les Antilles, pris en chasse par la flotte anglaise. La première partie du
plan de Napoléon se déroule alors favorablement. Mais Villeneuve est
inquiet, et craignant d’être envoyé par le fond, il regagne le continent
européen, ancrant sa flotte au Ferrol, en Espagne du Nord.
À la suite d’une mauvaise communication avec l’Empereur, Villeneuve
rejoint ensuite le port espagnol de Cadix, bloquant les projets d’invasion
de l’Angleterre. Harcelé par Napoléon qui l’attend à Boulogne, l’amiral
français décide d’en ressortir, bien qu’il soit conscient de son infériorité
face aux Anglais. Le 20 octobre, les 18 navires de Villeneuve, soutenus par
15 bâtiments espagnols aux ordres de l’amiral Gravina, prennent le large,
profitant de l’information selon laquelle une partie de la flotte anglaise est
partie effectuer un ravitaillement. Hélas, Villeneuve ignore que Napoléon
vient de quitter Boulogne pour contrer les Autrichiens et a abandonné
son plan d’invasion. Pendant que les navires français et espagnols longent
les côtes méditerranéennes, Nelson et ses 27 vaisseaux, qui veillaient au
large de Cadix, partent à leur rencontre avant que ceux-ci n’atteignent le
cap de Trafalgar au sud-est de l’Espagne.
Au matin du 21 octobre, la flotte franco-espagnole découvre qu’elle est
suivie de près par les Anglais, dont la flotte se scinde en deux colonnes,
selon la tactique adoptée par Nelson. Ces deux colonnes, respectivement
commandées par Nelson, à bord du , et par l’amiral Cuthbert
Collingwood, sur le , doivent couper la ligne
ennemie et la tronçonner en petits groupes isolés, donc vulnérables.
Le 21 octobre, vers midi, les deux flottes se retrouvent face à face et la
bataille navale s’engage. Les Anglais lancent leurs deux colonnes à
l’assaut, galvanisés par le célèbre appel de Nelson, leur rappelant que
« . Ils parviennent
rapidement à s’infiltrer au milieu de la ligne franco-espagnole et la
désorganisent. Le centre et l’arrière du dispositif franco-espagnol,
détruits par l’une des deux colonnes ennemies, plient sous le feu intense
de l’artillerie anglaise. Villeneuve est contraint de venir au secours des
Espagnols, mais il se retrouve isolé dans la mêlée.
À 13 heures 15, Horatio Nelson s’affaisse : un coup de feu tiré du navire
français vient de lui transpercer l’épaule et la colonne
vertébrale. Il décède trois heures plus tard, mais a néanmoins le temps de
voir sa flotte remporter la victoire.
La bataille s’achève vers 17 heures, après que 18 vaisseaux franco-
espagnols ont été mis hors de combat et que l’amiral Villeneuve a été
capturé. En l’espace de cinq heures, les Franco-Espagnols ont perdu
5 000 hommes, dont l’amiral Gravina, et la moitié de leurs navires. Les
Anglais déplorent la perte de « seulement » 450 hommes, dont fait
toutefois partie le chef de leur flotte, l’amiral Nelson.
En outre, la plupart des bâtiments français pris par le vainqueur et
acheminés vers Gibraltar sombrent la nuit suivante, une tempête s’étant
abattue au sud de l’Espagne.

Trafalgar est considérée comme l’une des plus grandes batailles navales
de l’Histoire. Napoléon ne peut désormais plus envisager de débarquer en
Angleterre, pays qui se voit également garantir la maîtrise des mers.
Napoléon est alors contraint de vaincre la « perfide Albion » par un
blocus continental.
L’amiral Nelson, considéré comme un héros, reçoit des obsèques
nationales avant d’être inhumé dans la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Napoléon dira de lui à Sainte-Hélène : «

Malheureux sur les mers, Napoléon remporte toutefois de glorieuses


victoires à terre. Son initiative consistant, le 3 septembre 1805, à renoncer
à traverser la Manche et à conduire ses sept corps d’armée de Boulogne
au Rhin permet de déjouer les plans des coalisés.
Marchant d’abord vers le sud de l’Allemagne, la Grande Armée vainc les
Autrichiens commandés par le général Karl Mack à Ulm, en Bavière, le
20 octobre 1805 (veille de la défaite de Trafalgar). Elle gagne ensuite
Vienne qui est prise sans résistance le 15 novembre suivant.
Pendant ce temps, les Russes et les Autrichiens tentent de faire entrer la
Prusse dans la coalition.
Après avoir pris Vienne, Napoléon lance la Grande Armée vers l’est à la
poursuite de l’armée russe, comprenant 40 000 hommes (sur plusieurs
centaines de milliers d’hommes mobilisés, la moitié ne reviendra pas).
Commandés par le maréchal Mikhaïl Koutouzov, 7 000 soldats russes
parviennent à bloquer les troupes françaises du maréchal Joachim Murat à
Hollabrünn. Mais au petit matin, les Russes doivent se retirer, après avoir
perdu la moitié de leurs effectifs dans les combats.
Le 19 novembre 1805, les troupes françaises atteignent Brünn, en
Moravie (actuelle ville de Brno, en République tchèque), située au nord-
ouest de Vienne et au sud-ouest d’Olmütz. C’est justement à Olmütz que
sont stationnées les armées austro-russes, sous le commandement du
général russe Mikhaïl Koutouzov.
Napoléon donne l’ordre à ses troupes de s’arrêter à Brünn, car il n’ose
s’avancer trop en avant : au fur et à mesure de sa progression, il doit en
effet laisser des effectifs pour contrôler les régions, diminuant ainsi ses
capacités numériques face à l’ennemi. De plus, il craint l’entrée en guerre
de la Prusse aux côtés des Austro-Russes et doit agir vite.

L’Empereur espère attirer les Russes dans le combat à un moment où la


France a encore de bonnes chances de gagner la bataille. Napoléon est
donc conscient que sa seule chance est de livrer une bataille décisive le
plus rapidement possible. Mais pour que cette bataille s’avère une victoire
totale, elle doit s’appuyer sur une grave faute stratégique de l’adversaire,
compte tenu de l’infériorité numérique des Français.
Pour inciter les Austro-Russes à se battre, Napoléon leur fait croire que
ses forces n’atteignent qu’environ 50 000 hommes, chiffre qui ne
correspond en réalité qu’aux forces dont il dispose dans l’immédiat. En
effet, celles-ci montent à 75 000 hommes avec le 1er corps de Bernadotte
et le 3e corps du général Davout stationné à Vienne.
Les forces austro-russes, elles, comptent environ 85 000 hommes35.
Informées de la « faiblesse » numérique de la Grande Armée, les troupes
alliées cherchent donc le combat. L’empereur François II du Saint
Empire romain germanique et le tsar Alexandre Ier de Russie, tous deux
présents à Olmütz, veulent eux aussi passer à l’attaque le plus vite possible
pour infliger enfin une défaite décisive à la Grande Armée.
À proximité de Wishau, un affrontement met en difficulté les hommes de
Murat, qui perdent un drapeau et une centaine de cavaliers faits
prisonniers. Cet épisode conforte les Austro-Russes dans leur sentiment
de supériorité, ce qui fait le jeu de Napoléon. Ce dernier, simulant la
crainte et le désarroi, accepte même des pourparlers sur un éventuel
armistice le 30 novembre, mais les exigences russes coupent court aux
négociations.

La veille de la bataille, le 1er décembre, Napoléon prépare son ordre de


bataille, après avoir donné l’ordre à ses troupes d’évacuer Austerlitz
(actuelle Slavkov, en République tchèque) et le plateau de Pratzen, deux
jours plus tôt. Les Français sont étonnés, tandis que les alliés croient y
voir un signe de faiblesse.
Napoléon abandonne donc le terrain aux coalisés, conseillant toutefois à
ses officiers « ». Il choisit le lieu
de la bataille, sur le plateau de Pratzen, à l’est du village d’Austerlitz,
avant que les alliés n’aient eu le temps d’y concentrer toutes leurs forces.
Ces derniers étant disposés sur des lignes très espacées (le front s’étend
sur 15 kilomètres), l’Empereur entend attaquer leur centre, plus faible.
Aux troupes de Murat, de Lannes et de Soult se joignent en toute
discrétion celles de Bernadotte, venues de Brünn, et celles de Davout,
venues de Vienne. Le 1er décembre, Napoléon peut compter sur 75 000
combattants et près de 140 canons.
Il place le gros de ses troupes sur son aile gauche (au nord, Lannes et
Murat barrent la route de Brünn), tandis que l’aile droite de son
dispositif, placée au sud, est très allégée, gardée essentiellement par la
brigade Legrand du 4e corps. Au centre, deux brigades (Saint-Hilaire et
Vandamme) sont positionnées face au plateau du Pratzen, devant la
division d’élite du général Oudinot et la Garde Impériale commandée par
Bessières.
La stratégie des Austro-Russes repose sur une manœuvre de débordement
sur le flanc droit des Français. Weyrother, le chef d’état-major autrichien,
prépare le plan de bataille consistant en l’attaque de quatre colonnes, sous
le commandement de Buxhowden, sur le sud (l’aile droite française), afin
de couper la route de Vienne d’où peuvent venir des renforts. En cas de
résistance, leurs forces coalisées doivent se concentrer pour attaquer
massivement sur ce flan droit.

Le 2 décembre, à 7 heures du matin, les troupes austro-russes attaquent


massivement et commencent leur manœuvre de débordement de l’aile
droite au sud de Pratzen. Sous un épais brouillard, les 40 000 hommes du
général Buxhowden descendent du plateau de Pratzen pour attaquer la
partie la plus fragile du dispositif français et assaillent la division Legrand.
En attaquant au sud, ils dégarnissent le plateau au centre et tombent ainsi
dans le piège tendu par Napoléon. Les forces ennemies étant concentrées
dans les zones basses de Pratzen, celui-ci ordonne de prendre le plateau
qui domine la vallée.
À 8 heures 30 du matin, le brouillard se dissipe et les premiers rayons du
« soleil d’Austerlitz » apparaissent, éclairant sur les hauteurs les troupes
austro-russes. Les Français, placés en aval, ne sont pas encore visibles par
l’ennemi. Positionnés au centre du champ de bataille, face au plateau du
Pratzen, Saint-Hilaire et Vandamme se lancent à la conquête de celui-ci,
sous le commandement du général Soult. Vers 11 heures, ils se sont
rendus maîtres du plateau.
Ce faisant, ils coupent l’aile gauche des coalisés du reste de leur armée. Le
maréchal Koutouzov rappelle ses troupes pour remonter le plateau et
tente plusieurs contre-attaques, en vain. En début d’après-midi, Soult
encercle les Austro-Russes, et Koutouzov ne parvient pas à forcer les
lignes adverses.
Parallèlement, à 9 heures, les troupes de renfort du maréchal Davout sont
arrivées sur le champ de bataille pour soutenir la division Legrand et ont
engagé avec succès les combats dans la zone sud.
Au nord, l’infanterie de Lannes et la cavalerie de Murat, qui barrent la
route de Brünn et constituent l’aile gauche du dispositif français,
affrontent l’aile droite alliée, constituée des 13 000 hommes du général
Bagration et de la cavalerie de von Liechtenstein. Mais cette dernière,
bientôt neutralisée par les cuirassiers et les dragons de Murat, ne peut
venir en aide à Bagration, qui peine à tenir un front de 4 500 mètres. Le
général russe se voit contraint de conserver ses positions tout en évitant
d’être coupé du reste de l’armée alliée, sur sa gauche. En fin de matinée,
le front de Bagration se scinde en deux.
Mais les Français attaquent avec une telle férocité que les alliés sont
écrasés. Pour anéantir l’aile gauche ennemie, Napoléon ordonne à sa
Garde et à deux divisions de Soult placées sur le Pratzen d’intervenir, soit
un total de près de 25 000 hommes.
Malgré leur supériorité numérique, les Austro-Russes sont dans une telle
difficulté sur leurs deux ailes, qu’ils font venir leurs réserves pour sauver
leur centre : la Garde impériale russe, commandée par le grand-duc
Constantin, soit environ 10 000 hommes. Ainsi, au centre de la bataille, à
proximité du village d’Austerlitz, la Garde impériale russe fait face aux
cavaliers de la Garde impériale française, en particulier les grenadiers du
général Ordener. Les charges de la cavalerie française sont si violentes
qu’elles permettent de disperser les Russes et de percer le centre du
dispositif ennemi.
Plus au sud, les soldats de l’armée de Buxhowden tentent de traverser
l’étang gelé de Satschan pour forcer les lignes de Davout, mais sont
repoussés par celui-ci. Leur poids et les obus lancés par l’artillerie de la
Garde depuis les hauteurs de Pratzen font rompre la glace, provoquant la
noyade de nombreux soldats.
L’échec de la Garde russe puis celui des troupes de Buxhowden donnent
le signal de la retraite des armées coalisées. Au bout de neuf heures de
combat, la victoire des Français est acquise. Bagration et ses troupes ont
réussi à se replier en ordre sans tomber aux mains des Français.
Koutouzov s’est retiré vers le nord, poursuivi par Murat.
L’armée française a perdu 8 279 hommes, dont 1 288 morts. L’armée
austro-russe compte 29 000 hommes mis hors de combat, dont 7 000
tués. Elle laisse au vainqueur plus de 20 000 prisonniers, 180 canons qui
seront fondus pour la fabrication de la colonne Vendôme à Paris, et 40
drapeaux qui orneront l’église Saint-Louis des Invalides.

Ce 2 décembre, l’Empereur remporte à Austerlitz sa plus prestigieuse


victoire, acquise grâce à un coup de génie militaire qui amène l’ennemi à
se placer dans la position désirée.
La bataille d’Austerlitz, appelée aussi « bataille des trois empereurs »,
marque la fin de la troisième coalition. L’armée russe, réduite à environ
45 000 hommes, se retire avec le tsar et prend la route de la Pologne.
L’armée autrichienne, pratiquement anéantie, est à la merci des troupes
françaises, ce qui contraint l’empereur François II à demander l’armistice.
Le 26 décembre, l’Autriche signe à Presbourg (actuelle ville de Bratislava,
capitale de la Slovaquie) une paix particulièrement humiliante. François II
doit abandonner la Vénétie, l’Istrie et la Dalmatie, mais surtout, il prend
désormais le « simple » titre d’empereur d’Autriche (François « Ier »,
cette fois), car le Saint Empire romain germanique disparaît
officiellement.
L’Europe passe sous la domination complète de Napoléon Ier, car
l’Empire français est augmenté de l’Italie, de la Hollande et de
l’Allemagne du Sud, et comprend désormais 130 départements. Les États
européens faisant partie de cet empire deviennent des pays vassaux de la
France ou sont distribués à la famille Bonaparte.

La colonne Vendôme, située sur la place Vendôme à Paris, a été


fondée en 1685 et son nom provient de l’hôtel qui la précédait. De
plus de 43 mètres de haut, elle a été établie par Napoléon Ier en
l’honneur de la Grande Armée, en remplacement d’une statue
équestre de Louis XIV démolie à la Révolution. Inaugurée par
l’Empereur le 15 août 1815, elle est l’œuvre de deux architectes,
Gondouin et Lepère, qui se sont inspirés de l’antique colonne de
l’empereur romain Trajan (98-117 apr. J.-C.), grand bâtisseur et
administrateur comme Napoléon, qui célébrait sa victoire sur les
Daces.
Le revêtement en bronze provient des 1 200 canons pris à l’ennemi
lors de la victoire d’Austerlitz et les bas-reliefs évoquent les glorieux
faits d’armes des troupes napoléoniennes. La colonne est surmontée
d’une statue de Napoléon Ier en empereur romain.
Abattue par les Communards en 1871, cette colonne sera rétablie en
1874 avec une nouvelle statue de l’Empereur, en redingote cette fois.
En juillet 1806, Napoléon créé la Confédération du Rhin avec les princes
d’Allemagne de l’ouest et du sud. L’Autriche semble se résigner à la
disparition du Saint Empire et la Russie se contente de faire traîner ses
négociations avec la France. Mais la Prusse, quant à elle, montre
ouvertement son mécontentement envers l’influence française en
Allemagne et, tout en se rapprochant de Londres et de Moscou, se
prépare à entrer en guerre.
En août 1806, est ainsi formée la quatrième coalition, regroupant la
Prusse, l’Angleterre et la Russie. Quelques semaines plus tard, la Prusse
prend l’initiative d’ouvrir les hostilités par l’envoi d’un ultimatum à
Napoléon qui exige le départ de ses troupes de l’ensemble des États
allemands et leur retour au-delà du Rhin.
Reçu le 7 octobre, l’ultimatum est immédiatement rejeté par l’Empereur,
qui y répond en organisant l’offensive. L’armée prussienne envahit alors
la Saxe. Sous le commandement du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III
et du duc de Brunswick, l’armée prussienne veut prendre les Français en
tenaille : les troupes françaises étant réparties en Rhénanie et en Bavière,
les Prussiens veulent frapper sur le Main, c’est-à-dire à la charnière entre
les deux secteurs, pour couper en deux le front français et isoler la Bavière
qui doit alors être attaquée par les Autrichiens et les Russes.
À son tour, Napoléon lance son armée vers la Saxe, le 8 octobre. En hâte,
il part à la rencontre de l’ennemi, qu’il veut frapper de façon foudroyante
avant que la Russie n’ait le temps d’intervenir. L’idée initiale de
l’Empereur est d’intervenir par une manœuvre sur les arrières de
l’ennemi.


Les armées prussiennes ayant franchi l’Elbe se dirigent vers le sud-ouest
en trois colonnes espacées les unes des autres par une cinquantaine de
kilomètres. Celle de droite, aux ordres du général Rüchel, compte
environ 40 000 hommes. Celle de gauche, qui dénombre 44 000 hommes,
est commandée par le prince de Hohenlohe. Celle du centre est menée
par le duc de Brunswick accompagné du roi de Prusse et comprend
56 000 hommes. À ces trois colonnes, s’ajoute une réserve d’environ
20 000 hommes.
En face, Napoléon rassemble près de 170 000 soldats qui avancent,
comme l’ennemi, en trois colonnes séparées entre elles par une trentaine
de kilomètres : à droite, celle de Soult et Ney ; au centre, celle de Murat
suivie de Bernadotte et Davout ; à gauche, Lannes et Augereau.
Remontant la vallée de la Saale, les troupes de Lannes parviennent à
rejoindre, le 10 octobre, l’avant-garde des troupes du prince Louis-
Ferdinand, neveu du roi de Prusse. Elles leur infligent une défaite lors de
la bataille de Saalfeld au cours de laquelle le prince meurt au combat.
De leur côté, Davout et Bernadotte parviennent à rejoindre les arrières
prussiens de la colonne de gauche, le 13 octobre, passant par le Nord
pour ôter aux Prussiens toute possibilité de retraite vers l’Elbe en
prévision de la bataille.
Pour attaquer les flancs français et prendre la Grande Armée en tenaille,
Brunswick et Hohenlohe se séparent en deux corps, le défilé d’Iéna
n’étant alors gardé que par Hohenlohe.
Dans la nuit du 13 au 14 octobre, Napoléon fait occuper le plateau du
Landgrafenberg, dominant la Saale, au nord d’Iéna. Il organise son ordre
de bataille, disposant Lannes au centre de son dispositif, Augereau et Ney
à gauche, Soult et Murat à droite.
Napoléon prévoit une attaque de front depuis Iéna vers Weimar. De leur
côté, Davout doit menacer la retraite de l’ennemi et Bernadotte doit
réaliser la liaison entre les troupes de Davout et la Grande Armée.
Pourtant, le cours de la bataille s’avérera différent de ce que l’Empereur
avait prévu.

À l’aube du 14 octobre, profitant de l’épais brouillard qui cache les


troupes françaises, numériquement inférieures puisqu’il ne dispose à Iéna
que de 40 000 hommes, Napoléon lance ses troupes à l’assaut. Ces
dernières se déploient dans la plaine d’Iéna de façon compacte contre un
ennemi dont les détachements sont, au contraire, trop dispersés.
Ney contient les contre-offensives ennemies et Soult pilonne les positions
prussiennes après avoir enfin réussi à placer les canons sur le plateau. La
cavalerie de Murat achève d’écraser les troupes de Hohenlohe qui,
désorganisées et anéanties en quelques heures, s’enfuient en direction
d’Erfurt. Les Français font 2 000 prisonniers et s’emparent de 200 canons
prussiens.
Mais alors que Napoléon a cru combattre la majeure partie de l’armée
prussienne, celle-ci se trouve en réalité à une vingtaine de kilomètres plus
au nord, à Auerstedt.


Le jour même de la bataille d’Iéna, Davout et ses 27 000 hommes, dont
2 000 cavaliers, parviennent comme prévu à Auerstedt. Ils ont la surprise
de se voir largement inférieurs numériquement puisque les troupes
prussiennes de Brunswick atteignent 56 000 hommes dont 12 000
cavaliers.
Davout appelle Bernadotte en renfort, mais celui-ci est en marche vers
Dornbourg et ne peut intervenir. Les trois divisions de Davout doivent
donc affronter seules les importantes forces prussiennes.
Grâce à la division Gudin, placée sur l’aile droite et qui résiste
héroïquement aux attaques de la cavalerie de Blücher, Davout organise au
mieux son dispositif. Il place la division Friant à droite, de façon à
soutenir la division Gudin, et la division Morand à gauche. Ayant
renforcé ses ailes, Davout peut faire déployer son armée de façon à
encercler l’ennemi.
Les Prussiens, surpris par la forte résistance des Français et assaillis par
les tirs d’artillerie habilement concentrés sur les secteurs plus fragiles du
dispositif ennemi, plient lorsque Davout passe à l’offensive. La première
ligne ennemie est enfoncée par la rapidité de la manœuvre française, et en
fin de matinée, alors que le duc de Brunswick vient d’être mortellement
blessé d’un coup de fusil, le roi de Prusse préfère donner l’ordre de battre
en retraite.
Il compte alors sur le renfort des troupes de Hohenlohe venues d’Iéna
pour reprendre le combat. Or, contrairement à ses attentes, le roi voit
celles-ci arriver non pas victorieuses, mais poursuivies par les troupes de
Napoléon.
Alors que le roi de Prusse et sa femme prennent la fuite, la bataille
d’Auerstedt s’achève, comme celle d’Iéna, sur une victoire française.

Au total, les Prussiens ont perdu 27 000 hommes, tués ou blessés, dont le
duc de Brunswick, âgé de 71 ans. 25 000 autres Prussiens ont été faits
prisonniers, dont le futur général et théoricien militaire Carl von
Clausewitz, alors âgé de 26 ans et qui se distinguera à la bataille de
Waterloo. Toute l’artillerie passe aux mains des Français, qui déplorent
de leur côté la perte de plus de 10 000 hommes.
Après que les derniers rescapés de l’armée prussienne ont été rejoints par
les cavaliers de Murat et faits prisonniers, l’Empereur entre en vainqueur
à Berlin par la porte de Brandebourg, le 27 octobre suivant.
L’armée prussienne est anéantie et, à cette défaite, s’ajoute l’humiliation
de cette armée qui était jugée redoutable et qui s’est pourtant effondrée
très rapidement. La Prusse est occupée par les troupes françaises, avant
d’être morcelée par le traité de Tilsit de 1807.
Quant à la campagne de Prusse, elle est loin d’être achevée et les années
qui suivent seront l’occasion pour les Prussiens de tenir leur revanche,
notamment à Waterloo et au congrès de Vienne de 1815.

C’est le 29 août 1805 qu’apparaît pour la première fois le terme


« Grande Armée » pour désigner les troupes de Napoléon Ier.
Les soldats sont recrutés selon la loi de conscription de 1798, qui
concerne tous les Français de sexe masculin âgés de 20 à 25 ans, sauf
les hommes mariés et les séminaristes.
En 1808, la Grande Armée comprend 520 000 hommes en campagne,
ainsi que 180 000 hommes cantonnés dans les dépôts et garnisons.
Mais au fil du temps, cette conscription ne permet plus de remplir les
rangs de l’immense armée napoléonienne. En 1812, la moitié de la
Grande Armée est composée d’étrangers. Au total, environ 1,6 million
de Français a été mobilisé entre 1800 et 1815, auquel il faut ajouter de
très nombreux étrangers issus des pays alliés ou soumis à la France.
Les officiers subalternes sortent du rang et, à partir de 1808, l’école
militaire de Saint-Cyr forme les officiers supérieurs. Les généraux
sont des hommes jeunes (une quarantaine d’années), expérimentés,
pouvant parfois par leur bravoure et leur talent militaire accéder à la
distinction de maréchal, qui a été réintroduite par Napoléon en 1804.
L’armée est divisée en sept corps, chacun comportant deux à quatre
divisions d’infanterie et une brigade ou division de cavalerie,
d’artillerie, de génie et de train d’équipage. L’armée comprend
également six divisions de cuirassiers et de dragons, ainsi que la garde
à pied et à cheval.
La Grande Armée atteint ainsi un total d’environ 190 000 hommes,
sans compter les troupes alliées. Napoléon est apprécié de ses
hommes, avec qui il s’entretient régulièrement et qu’il encourage avec
force avant chaque bataille.
La puissance de la Grande Armée devint un modèle pour d’autres pays
européens qui modifièrent leur système militaire.

Ayant écrasé la Prusse, Napoléon entend soumettre un autre ennemi


majeur du continent européen, la Russie. Aussi poursuit-il en direction de
l’est. Affrontant les Russes en Prusse orientale à Eylau, les 7 et 8 février
1807, puis à Friedland, le 14 juin suivant, la France remporte la victoire à
deux reprises, ce qui conduit le tsar à accepter de négocier.
Par le traité secret de Tilsit, le 7 juillet 1807, Alexandre Ier renonce à
combattre la France et accepte de déclarer la guerre à l’Angleterre si
celle-ci n’a pas fait la paix au 1er novembre suivant. En outre, la Russie
participe au blocus continental contre l’économie anglaise.
En échange, le tsar peut poursuivre la guerre contre la Suède et projeter
de démembrer les possessions européennes de la Turquie. Napoléon
pense alors qu’il va pouvoir vaincre l’Angleterre, mais la Russie ne
renoncera pas à commercer avec cette dernière.
Par la paix de Tilsit signée le 9 juillet, officiellement cette fois, le tsar
consent à l’occupation de la Prusse et à son dépeçage avec la création de
la Westphalie à l’ouest et du grand-duché de Varsovie à l’est.

Napoléon entreprend ensuite d’envahir le Portugal et se lance dans une


guerre désastreuse avec l’Espagne. C’est au cours de celle-ci que
l’Angleterre, profitant des premiers échecs de la France, amène l’Autriche
à se joindre à elle dans une cinquième coalition. La guerre reprend en
Europe avec l’invasion de la Bavière par l’Autriche en avril 1809. Mais les
victoires napoléoniennes à Aspern et à Essling, les 21 et 22 mai, puis celle
de Wagram, le 6 juillet, font disparaître une nouvelle fois la coalition.
Par la paix de Vienne du 14 octobre 1809, Napoléon contraint l’Autriche
à renoncer à d’immenses territoires et à payer une énorme indemnité.
L’empereur d’Autriche François Ier capitule et Napoléon épouse en avril
1810 sa fille Marie-Louise, qui succède à Joséphine comme impératrice.
Napoléon devient le petit-neveu par alliance de la reine de France Marie-
Antoinette, épouse de Louis XVI. De cette union naît l’année suivante un
fils, le roi de Rome.
Contrairement aux attentes de Napoléon, le tsar ne respecte pas les
accords secrets de Tilsit et continue d’ouvrir ses ports au commerce
anglais. De plus, la création du grand-duché de Varsovie, qui fait renaître
une Pologne que les Russes avaient contribué à faire disparaître, inquiète
Alexandre Ier.
La tension est telle qu’elle aboutit à la guerre : le 24 juin 1812, la Grande
Armée franchit le Niemen, le fleuve séparant la Pologne de la Russie.
Pour une campagne de cette envergure, Napoléon a mobilisé entre
600 000 et 700 000 hommes36, majoritairement étrangers, dont des
soldats prussiens et autrichiens.
Face à cette immense armée, les Russes ne sont que 120 000 environ,
mais Koutouzov, nommé commandant suprême, adopte une tactique
redoutable : reculant au fur et à mesure de l’avancée de la Grande Armée,
les Russes forcent leur adversaire à s’enfoncer toujours plus en
profondeur dans les immenses steppes russes. La population, mobilisée
contre le « Grand Satan » français, s’enfuit à l’approche de l’ennemi en
pratiquant la « tactique de la terre brûlée » qui consiste à incendier les
villages et les récoltes.
Lorsque les Français parviennent dans un village, ils ne trouvent ni vivres
ni fourrage pour leurs chevaux. Pourtant, bien que Napoléon ait compris
le plan des Russes, il s’obstine à se diriger vers Moscou plutôt que de
rejoindre la capitale de l’époque, Saint-Pétersbourg.


Manquant de vivres et souffrant de dysenterie après deux mois de marche
extrêmement pénible sous la chaleur des mois de juillet et août, les
Français parviennent à proximité du village de Borodino, sur les rives de
la Moskova, à plusieurs dizaines de kilomètres à l’ouest de Moscou.
C’est à cet endroit, dans une région vallonnée, que les Russes les
attendent, décidés à leur barrer la route de Moscou. Ayant opté pour une
attitude défensive, ils ont installé des pièges et ont couvert les collines
alentour de redoutes garnies d’une puissante artillerie.
Le 5 septembre 1812, la Grande Armée arrive sur ce dangereux terrain.
Napoléon ne dispose plus que de 130 000 hommes, ayant perdu des
dizaines de milliers de soldats touchés par la maladie ou déserteurs. Deux
jours plus tard, les belligérants s’affrontent dans de sanglants combats.
Davout propose à Napoléon d’envelopper les arrières de l’ennemi par une
manœuvre nocturne sur les arrières russes, mais l’Empereur refuse,
confiant dans l’attaque classique.

Le 7 septembre, à 6 heures du matin, la bataille s’engage. La veille, les


divisions napoléoniennes se sont placées entre Schevardino et le ravin de
Semenovskoie. L’artillerie française commence à se déchaîner contre
l’aile gauche du général (et prince) Bagration, qui couvre trois collines
ainsi que Semenovskoie.
Ney réussit à prendre la colline de Schevardino, tandis que le prince
Eugène de Beauharnais expulse les hommes du général Miloradovitch et
s’empare du village de Borodino ainsi que du rempart de la Grande
Redoute. Pour déborder l’aile gauche des Russes, Davout part s’emparer
des Trois Flèches, les défenses de Semenovskoie dont on a sous-estimé
l’importance. Mais Davout est blessé et remplacé par Ney et Murat, qui
parviennent à prendre les Trois Flèches vers 10 heures. Ils conserveront
le terrain conquis, malgré les terribles charges des cuirassiers russes.
Napoléon commet l’erreur de ne pas envoyer la Garde impériale, son
dernier atout qu’il veut conserver pour la suite des événements. Les
Russes, qui estiment les Français épuisés par leurs assauts, en profitent
pour contre-attaquer et parviennent à regagner du terrain.
Le général Bagration reprend la Grande Redoute au prix de combats
particulièrement violents, mais tombe mortellement blessé alors que la
cavalerie de Murat multiplie les assauts. De son côté, le prince Eugène
parvient à se maintenir dans le village de Borodino, malgré les flammes.
Dans l’après-midi du 7 septembre, les divisions Morand et Gérard et les
cavaleries de Grouchy, Montbrun et de Caulincourt parviennent, pour
certains au prix de leur vie, à reprendre la Grande Redoute, devenu le
point stratégique de la bataille. Quant au prince Poniatowski, futur
maréchal de France, il menace les arrières de Koutouzov par la forêt
d’Outitza.
Mais bien que les Russes ne parviennent pas à enfoncer leurs lignes, les
Français ne sont finalement parvenus qu’à prendre 2 000 mètres du
champ de bataille, sans mettre véritablement en péril l’adversaire.
Une nouvelle fois, Napoléon rechigne à faire intervenir la Garde pour
réaliser une percée et se contente de tirs d’artillerie lourde contre les
Russes, ce qui correspond toutefois à la puissance de feu de 400 canons
sur un front de 3 kilomètres et s’avère dissuasif. Au cours de ces deux
heures de mitraille, les Russes se replient à Mojaïsk, en direction de
Moscou.
Vers 18 heures, la bataille prend fin. Particulièrement meurtrière, elle a
coûté la vie à plus de 50 000 hommes. La Grande Armée a perdu 30 000
hommes (10 000 tués, 20 000 blessés), dont une cinquantaine de généraux
et une quarantaine de colonels. Les Russes ont perdu 60 000 hommes
(dont 15 000 blessés et 2 000 prisonniers), mais cette hécatombe leur
ouvre la route tant espérée…


Une semaine après Borodino, le 14 septembre 1812, les 100 000
survivants de la Grande Armée atteignent Moscou, mais trouvent une
ville vidée de ses habitants, où seuls subsistent les repris de justice. Ceux-
ci ont été libérés en échange de la promesse de créer dans Moscou un
véritable climat d’insécurité pour les soldats de Napoléon et d’incendier
la ville avec les matières combustibles entassées dans différents quartiers.
Tel est le plan prévu par le gouverneur Rostopchine, père de la comtesse
de Ségur.
Cinq jours plus tard, alors que l’incendie fait rage et que son armée
manque de vivres et de munitions, Napoléon ordonne de battre en
retraite. Cette retraite, effectuée dans les plaines glacées de Russie, est
sans conteste le pire épisode de l’histoire de la Grande Armée, qui se
replie dans un froid extrême, ravagée par la faim et la maladie. Nombreux
sont les soldats qui meurent gelés ou d’épuisement.
Victor Hugo évoquera plus tard ce tragique épisode dans
(parus en 1853) :


Poursuivies par trois armées russes et harcelées par les cavaliers cosaques,
les troupes françaises parviennent à la fin novembre au niveau de la
Berezina, un affluent du Dniepr qui a subitement fondu à la suite d’un
dégel. Il leur faut franchir la rivière, mais celle-ci est large de près d’une
centaine de mètres.
Les 400 pontonniers du général Eblé entreprennent alors de construire
deux ponts de fortune sur la rivière, l’un pour les soldats, l’autre pour
l’artillerie et l’équipement. À partir du 26 novembre, les soldats
parviennent ainsi à franchir la rivière, pendant que les généraux Oudinot
et Victor font diversion auprès des Russes.
Parmi les survivants de l’armée de Napoléon, 12 000 d’entre eux, des
retardataires37, ne sont pas encore parvenus à atteindre les ponts lorsque
le 28 novembre, l’un d’entre eux se brise. Lorsque les Russes arrivent le
lendemain, les retardataires ont commencé à franchir le dernier pont dans
une immense et meurtrière bousculade. Puis, pour empêcher l’ennemi de
traverser à son tour, Eblé prend la terrible décision de détruire ce pont.
Certains retardataires, pris de panique, se jettent dans la rivière et se
noient, tandis que les autres sont tués par les Russes ou faits prisonniers à
l’état de moribonds.
Lorsque l’armée française franchit le Niemen en sens inverse, à la mi-
décembre, il ne reste plus que 15 000 survivants.
Quant à Napoléon, il a rejoint Paris de toute urgence afin de faire
échouer une conspiration, ayant appris que le général Claude François de
Malet avait annoncé sa mort.
La campagne de Russie, désastreuse pour la France, décourage les troupes
étrangères qui préfèrent quitter la Grande Armée et redonne espoir aux
pays ennemis de l’Empire. Apparaît ainsi en février 1813 une sixième
coalition, à l’instigation de la Prusse et de la Russie, rejointes l’été suivant
par l’Autriche, la Suède (dont le roi a rallié le maréchal Bernadotte) et
l’Angleterre.
Le 17 mars 1813, la Prusse lance les hostilités en déclarant la guerre à la
France, mais Napoléon remporte les batailles de Lützen (2 mai), de
Bautzen (20 et 21 mai) et de Dresde (26 et 27 août).
Malgré ces trois victoires successives, Napoléon est finalement vaincu à la
bataille de Leipzig, du 16 au 19 octobre 1813, surnommée à juste titre
« bataille des nations » par des armées coalisées deux fois supérieures en
nombre. Cette terrible défaite contraint Napoléon à se retirer
d’Allemagne et permet aux coalisés d’entamer la « campagne de France »,
en janvier 1814.
Malgré le courage et la résistance de ses soldats, Napoléon ne parvient
pas à retenir l’invasion ennemie. Le 30 mars 1814, la capitulation de Paris
est signée. Poussé par ses maréchaux et Talleyrand, son ministre des
Affaires Étrangères, Napoléon abdique à Fontainebleau, le 6 avril suivant.
L’Empereur déchu est envoyé en exil sur l’île d’Elbe, en Méditerranée, à
l’est de la Corse. La France vaincue est ramenée à ses frontières de 1792.

Avec le retour du comte de Provence, devenu « Louis XVIII » depuis la


mort de son neveu Louis XVII en 1795, les Bourbons retrouvent le trône
de France. Mais cette « Restauration », voulue depuis longtemps par les
coalisés, demeure fragile. En effet, l’exil de Napoléon ne dure que
quelques mois, puisqu’il débarque avec 700 partisans sur le sol français, à
Golfe-Juan, le 1er mars 1815. Ce sont les « Cent jours ». Le 20 mars,
l’Empereur, soutenu par le peuple, réintègre le palais des Tuileries et
Louis XVIII se réfugie une nouvelle fois à l’étranger.
Mais les puissances européennes, réunies à l’occasion du congrès de
Vienne ouvert en septembre 1814 pour réorganiser l’Europe, sont
toujours hostiles à Napoléon. Les souverains européens déclarent « l’ogre
corse » hors la loi et concentrent 700 000 hommes prêts à intervenir.
Parmi eux, le général en chef prussien Blücher et son homologue
britannique, le général Wellington, sont stationnés en Belgique, à la tête
de 220 000 hommes.
Sentant la guerre imminente, l’Empereur réunit une armée d’environ
100 000 hommes et choisit de se rendre en Belgique pour attaquer le
premier avant que toutes les armées coalisées, qui comptent également les
Russes et les Autrichiens, n’aient eu le temps de se regrouper. Le plan
français consiste à attaquer les Prussiens et les Anglais séparément, de
façon à gommer l’infériorité numérique des Français. Les Prussiens
doivent être repoussés sur le Rhin et les Anglais rejetés à la mer.
Les Français franchissent la Sambre, à Charleroi, le 15 juin, d’où
Napoléon part affronter les Prussiens, commandés par le général Blücher
et qui menacent son flanc gauche. Dès le lendemain, le 16 juin, les
troupes napoléoniennes parviennent à repousser les Prussiens à Ligny,
mais non à les vaincre.
Napoléon envoie le maréchal Grouchy et la moitié de ses 70 000
hommes, qui constituent l’aile droite du dispositif français, à la poursuite
des Prussiens. Puis il rejoint la cavalerie du maréchal Ney, sur l’aile
gauche, mise en difficulté aux Quatre-Bras, au carrefour des routes de
Charleroi à Bruxelles et de Nivelles à Namur. L’Empereur entend
s’occuper cette fois des troupes de Wellington. Mais Napoléon a toutefois
commis une lourde faute en laissant passer une quinzaine d’heures avant
de donner l’ordre de poursuivre les Prussiens momentanément battus :
ces derniers parviennent à gagner Wavre avant de rejoindre leurs alliés
anglais à la bataille de Waterloo.
Le 17 juin, Napoléon parvient avec ses 73 900 hommes (ceux qui restent
après le départ des 33 000 hommes envoyés avec Grouchy à la poursuite
des Prussiens) à la ferme de la Belle-Alliance, à 3 kilomètres des positions
ennemies. Les Anglais (et les Hollandais) sont en effet installés sur le
plateau du Mont Saint-Jean, près du village de Waterloo, au sud de
Bruxelles.

Le 18 juin, l’affrontement se déroule sur cette plaine de Wallonie


dominée par les Anglais. En raison des fortes pluies survenues la veille, le
terrain est détrempé. Napoléon a choisi d’adopter une position défensive
au sud du plateau et, hésitant à engager son infanterie dans ces
conditions, il préfère attendre la fin de matinée pour combattre l’ennemi.
Il est 11 heures 30 lorsque les Français passent à l’attaque contre les
70 000 hommes anglo-hollandais de Wellington. Les troupes de Jérôme
Bonaparte, frère de l’Empereur, se lancent à l’assaut du château de
Hougoumont, sur le Mont Saint-Jean, afin de faire diversion. En
attaquant l’aile droite ennemie, Napoléon espère forcer les Anglais à
dégarnir leur centre, mais les Français s’acharnent sur cet objectif
secondaire, ce qui provoque inutilement de lourdes pertes. La cavalerie
(Drouet d’Erlon, Kellermann, Lefebvre-Desnouettes, Milhaut) est
rapidement mise en difficulté et bien que les Français détiennent 350
canons, l’artillerie est difficile à déplacer et la puissance de feu demeure
insuffisante. La position des Français sur le champ de bataille est
particulièrement mauvaise puisque ceux-ci se trouvent à découvert face à
un ennemi protégé par ses retranchements et placé en amont.
Vers 13 heures, les Français aperçoivent les 30 000 hommes de la
cavalerie prussienne de von Bülow, ce qui les contraint à modifier leurs
objectifs d’attaque sur l’aile gauche ennemie. Le maréchal Ney multiplie
les offensives et les contre-offensives sur sa gauche, puis sur son centre,
sans parvenir à rompre la défense adverse. Les Anglais, solidement
retranchés sur le Mont Saint-Jean, résistent avec succès.
Dans le milieu de l’après-midi, le flanc droit des Français, commandé par
Lobau, est surpris par l’attaque du général Blücher. Grouchy n’est pas
parvenu à bloquer les Prussiens, qui l’ont contourné avant de rejoindre
leurs alliés anglais. Napoléon n’a pas de nouvelles de son maréchal, bien
qu’il lui ait fait parvenir un message lui ordonnant de le rejoindre.
Grouchy ne recevra le message qu’à 17 heures, mais il a déjà entendu le
bruit de la bataille. Pourtant, il continue à obéir aux ordres initiaux de
l’Empereur, qui lui a demandé de poursuivre les Prussiens jusqu’à
Wavre38.
Pour les Français, l’arrivée des Prussiens est une catastrophe, car à la
résistance des Anglais s’ajoute désormais un grave déséquilibre
numérique. Les Français crient à la trahison pendant que les Prussiens
réalisent leur jonction avec les Anglais, en début de soirée.
Il est 19 heures lorsque Napoléon lance huit bataillons de la Garde et ce
qui reste de ses troupes contre le Mont Saint-Jean. Mais à peine entamée,
cette ultime offensive échoue car la cavalerie prussienne, commandée par
Zieten, surgit au nord-est et les charge de flanc. Pendant que les Français
se replient en désordre, Blücher lance de nouvelles charges.
Malgré la débandade des Français assaillis par les sabres ennemis, deux
bataillons du 1er régiment de grenadiers de la Garde impériale, dont l’un
sous les ordres du général Cambronne, poursuivent le combat avec
acharnement, constituant le « dernier carré » de la Vieille Garde. Sommé
de se rendre, Cambronne aurait répondu39 : «
Il est 21 heures 30 lorsque le piège se referme complètement sur les
derniers combattants de la Grande Armée.
Napoléon donne l’ordre de battre en retraite, abandonnant 250 bouches à
feu à l’ennemi. Sur les 73 900 hommes engagés à Waterloo, les Français
comptent alors 36 généraux, 720 officiers et 26 000 hommes tués ou
blessés, auxquels s’ajoutent 10 000 hommes faits prisonniers. De leur
côté, les alliés dénombrent 21 000 hommes mis hors de combat.
Pendant que la Grande Armée, réduite à une masse d’hommes en déroute
et de chevaux, fuit vers le sud, l’Empereur gagne la route en direction de
Charleroi, protégé par les grenadiers de la Garde, «
, racontera l’un d’eux.

En l’espace de dix heures, la Vieille Europe de la Sainte-Alliance l’a


emporté à Waterloo… Napoléon racontera plus tard : «

Outre l’état psychologique de l’Empereur qui perd


confiance en lui, il faut aussi tenir compte du fait qu’il n’a pas pris
suffisamment en compte l’infériorité numérique de ses troupes, ni leur
position défavorisée sur le terrain par rapport aux Anglais. Et l’on peut
douter du fait que, compte tenu de ces deux postulats, si les renforts de
Grouchy étaient arrivés, l’issue de la bataille aurait été différente. Enfin,
cette défaite s’explique également par l’absence de nombreux généraux de
qualité qui entouraient autrefois Napoléon. Ceux-ci sont décédés au fil
des campagnes napoléoniennes (Kléber, Lannes, Poniatowski, Duroc) ou
sont passés du côté des Bourbons (Masséna).
Ayant transmis son commandement à Jérôme Bonaparte, Napoléon laisse
les restes de son armée à Genappe et prend le chemin de Paris.
Comprenant qu’il n’y a plus d’espoir et n’ayant pu obtenir des Chambres
les pouvoirs extraordinaires qu’il sollicitait, Napoléon abdique à nouveau,
le 22 juin 1815.
La France vient non seulement de perdre des milliers d’hommes, mais
doit également subir une nouvelle modification de ses frontières,
ramenées cette fois à celles de 1790. En outre, elle doit payer une très
forte indemnité de guerre et doit subir pendant cinq ans l’occupation du
Nord et de l’Est de son territoire par 150 000 soldats de la coalition.

L’Empereur déchu est exilé à des milliers de kilomètres de la France, dans


l’Atlantique Sud, sur l’île de Sainte-Hélène. Il y décède six années plus
tard, le 5 mai 1821, probablement d’un cancer de l’estomac.
Son fils, le roi de Rome, bien que reconnu par les Chambres des Cent-
Jours sous le nom de Napoléon II, ne lui succède pas. Devenu duc de
Reichstadt, il décède de la tuberculose à Vienne auprès de sa famille
maternelle, le 22 juillet 1832, à 21 ans.
Louis XVIII retrouve son trône dès juin 1815, mais au cours des décennies
qui suivent la fin du Premier Empire, la France conserve une certaine
nostalgie de la gloire impériale. Déçue par les Bourbons, elle élit à la
présidence, en 1848, le neveu de Napoléon Ier, Louis Napoléon
Bonaparte, qui devient en décembre 1851 l’empereur Napoléon III
(1852-1870). Son échec à Sedan contre les Prussiens, le 2 septembre
1870, conduit au retour définitif de la République.
re • Toulon (siège de) • 7-19 septembre 1793
(1792-1798) • Montenotte • 12 avril 1796
Comprend l’Autriche, la Prusse, • Castiglione • 5 août 1796
l’Angleterre, la Hollande, • Arcole • 15-17 novembre 1796
l’Espagne, le Portugal, les • Rivoli • 14 janvier 1797
Deux-Siciles, la Sardaigne et les
États pontificaux.
e • Pyramides • 21 juillet 1798
(1798-1802) • Aboukir (navale) • 1er août 1798
Comprend l’Angleterre, • •
l’Autriche, la Russie, la Turquie, • Marengo • 14 juin 1800
les Deux-Siciles et la Suède.
e • Ulm • 20 octobre 1805
(1805) • Trafalgar • 21 octobre 1805
Comprend l’Angleterre, • Austerlitz • 2 décembre 1805
l’Autriche, la Russie, Naples et
la Suède.
e • Iéna et Auerstedt • 14 octobre 1805
(1806) • Eylau • 8 février 1807
Comprend l’Angleterre, la • Friedland • 14 juin 1807
Russie, la Prusse.
e • Essling • 21-22 mai 1809
(1809) • Wagram • 5-6 juillet 1809
Comprend l’Angleterre et
l’Autriche.
e • Moskova ou Borodino • septembre 1812
(1813-1814) • Leipzig • 16-19 octobre 1813
Comprend la Prusse, la Russie,
la Suède, l’Autriche,
l’Angleterre.
e • Waterloo • 18 juin 1815
(1815)
Comprend les mêmes pays que
ceux de la précédente coalition.
Depuis l’échec de la Révolution de 1848, l’Italie est morcelée et dominée
par l’Autriche. Dix ans plus tard, elle n’a toujours pas réussi à s’unifier.
Cependant, le royaume de Piémont-Sardaigne continue à croire en
l’unification de l’Italie et son Premier ministre, Cavour, recherche l’appui
de la France contre l’Autriche. Pendant la guerre de Crimée (1854-1855),
il envoie même ses propres troupes aux côtés des Français et il promet de
donner à la France la Savoie et le comté de Nice41, si Napoléon III
accepte de soutenir son projet.
Bien qu’acquis au principe des nationalités42, Napoléon III se montre
d’abord réticent à engager la France dans une guerre avec l’Autriche.
Aussi Cavour se fait-il très diplomate et lors d’une rencontre à Plombières
en juillet 1858, il demande à l’empereur des Français de ne s’engager à
intervenir qu’en cas de « geste agressif » de l’Autriche. Un geste qui est
ensuite provoqué par Cavour… C’est ainsi que le 3 juillet 1859, la France
déclare la guerre à l’Autriche.
Les troupes se rendent en Italie auprès du roi de Piémont-Sardaigne,
Victor-Emmanuel III, et entament les combats. La bataille déclenchée
autour du village de Magenta se passe mal pour les forces françaises et
sardes. Napoléon III manque d’être fait prisonnier, avant que
l’intervention du général Mac-Mahon ne renverse la situation sur le
champ de bataille. Au prix de nombreuses pertes, la bataille de Magenta
est remportée le 4 juin 1859 par les Franco-Sardes. Le général Mac-
Mahon, l’artisan de cette victoire, est fait maréchal à cette occasion. Le
7 juin, les troupes françaises atteignent Milan.

Le 24 juin 1859, en Lombardie, à proximité du village de Solferino, les


Franco-Sardes rencontrent l’armée autrichienne. Les Autrichiens,
avantagés par des effectifs de 160 000 hommes supérieurs aux Franco-
Sardes, sont commandés par l’empereur François-Joseph Ier en personne.
Les combats s’engagent au petit matin sur le plateau de San Martino, près
du lac de Garde. Au centre du dispositif français, le maréchal Mac-Mahon
et le général Forey se heurtent au gros des troupes autrichiennes, qui se
trouvent aux environs de Solferino. L’objectif des Français consiste à
enlever de force les positions de l’ennemi et se concentre désormais au
niveau du village de Solferino, pivot de la défense autrichienne.
L’assaut frontal, extrêmement violent, se poursuit, tandis que Mac-
Mahon et ses chasseurs à pied parviennent à contourner le sud du village
et que les autres unités françaises attaquent à leur tour Solferino. Les
Autrichiens sont submergés…
Cependant, le carnage est tel dans les deux camps que Napoléon III,
voulant limiter ses pertes en prévision d’autres menaces, propose à
François-Joseph de mettre fin aux hostilités. Alors qu’un violent orage
éclate au-dessus du champ de bataille, l’empereur autrichien bat en
retraite.
À la fin de la bataille, on dénombre 22 000 Autrichiens tués et 17 000
Français et Sardes, sans compter les blessés.

Le champ de bataille est rempli de cadavres, mais aussi de blessés et de


mourants qui agonisent pendant des jours sans qu’aucun secours ne soit
organisé. Les quelques blessés recueillis sont laissés à terre sur de la paille,
au milieu de la vermine…
Henry Dunant, un Suisse de 31 ans, se trouve alors en voyage d’affaires et
est amené à visiter le champ de bataille. Choqué par tant d’horreurs, il se
transforme pour quelques jours en brancardier. À son retour en Suisse,
Henry Dunant est bien décidé à dénoncer le traitement fait aux soldats
blessés à l’issue de la bataille et désire monter une organisation caritative,
neutre, qui soulagerait ces terribles souffrances. Il commence par rédiger
un livre, , qu’il publie à ses frais en novembre 1862.
Après de nombreuses démarches, il parvient à faire adopter une première
convention sur le secours aux blessés de guerre à Genève en 1864, signée
par 19 pays. Il crée aussi le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) qui connaît rapidement un immense succès. Henry Dunant sera
récompensé de cette formidable initiative en recevant le prix Nobel de la
paix en 1901.
L’hécatombe de Solferino, qui s’ajoute aux 9 000 morts de Magenta,
émeut Napoléon III. Au même moment, il apprend que la Prusse
mobilise sur le Rhin, ce qui laisse présager de sombres intentions envers
la France. De plus, des mouvements révolutionnaires prolifèrent en Italie
centrale et méridionale, menaçant les États pontificaux alliés de la France.
Napoléon III est pressé d’en finir et ne veut pas trop affaiblir l’Autriche,
rempart éventuel contre les ambitions allemandes. En dépit des vives
protestations piémontaises, il choisit alors de suspendre les hostilités, le
8 juillet.
Lors de la rencontre des deux empereurs à Villafranca, le 11 juillet 1859,
les conditions de l’armistice sont négociées sans les Piémontais. Elles sont
donc beaucoup moins intéressantes pour les Italiens qu’ils ne s’y
attendaient. Ces derniers se sentent trahis, au point que Cavour préfère
démissionner.
Alors que l’Autriche se retire de Lombardie, la Toscane, Modène, Parme
et la Romagne, libérées par les hommes de Garibaldi, votent leur
rattachement au royaume de Piémont-Sardaigne. Napoléon III consent à
reconnaître ce choix après l’organisation d’un plébiscite.
À l’issue d’un référendum en avril 1860, Nice et la Savoie choisissent leur
rattachement à la France à une très large majorité. Ainsi, malgré l’accord
franco-autrichien de juillet 1859, la France reçoit les territoires promis.
C’est une victoire pour le neveu de Napoléon Ier, qui est parvenu à effacer
les découpages territoriaux arbitraires du traité de Vienne.
En 1860, éclate une guerre civile au Mexique, opposant les conservateurs
catholiques aux partisans libéraux et anticléricaux du président de la
République Benito Juarez. À cette époque, le pays est affaibli. Il ne
parvient ni à payer ses dettes contractées auprès des puissances
européennes, ni à assurer la sécurité des ressortissants européens. Pour
ces raisons, l’Espagne, l’Angleterre et la France décident d’intervenir au
début de l’année 1862. Toutefois, Napoléon III ne souhaite pas
seulement récupérer l’argent prêté. Il veut également se présenter aux
catholiques français comme un défenseur de la religion romaine et du
cléricalisme, afin de leur faire relativiser son soutien à l’unification de
l’Italie qui se fait au détriment des États pontificaux.
Une fois les dettes payées, l’Espagne et l’Angleterre se retirent du
Mexique. Mais la France décide de rester pour prêter main-forte aux
opposants de Juarez et faire du pays un empire catholique, à la tête duquel
régnerait l’archiduc Ferdinand-Maximilien, frère de l’Empereur
François-Joseph d’Autriche, favorable aux intérêts politiques et
économiques français.
Rapidement, la France, se retrouvant seule dans cette expédition,
rencontre une forte résistance de la population qui soutient son président.
Napoléon III s’engage alors dans une campagne militaire et envoie des
renforts au Mexique, portant les effectifs du corps expéditionnaire à
28 000 hommes au début de l’année 1863. Au sein du corps
expéditionnaire se trouvent 1 500 légionnaires du 1er bataillon du
régiment étranger.
Après un premier échec devant Puebla, une ville fortifiée située entre
Veracruz et Mexico, l’armée française décide au mois de février d’assiéger
la ville une nouvelle fois. La Légion reçoit alors pour mission d’assurer,
sur 120 kilomètres, la sécurité des convois circulant de Veracruz à Puebla,
afin de fournir le ravitaillement nécessaire aux assaillants en vivres, en
médicaments, mais aussi en armes et munitions. La Légion se voit confier
cette mission car protéger le trajet de ces convois et garantir leur arrivée à
destination est une tâche très difficile. En effet, le climat humide est
propice à répandre la malaria ou le choléra, et les membres du convoi
doivent faire face à une population hostile et peuvent à tout moment être
attaqués par des partisans de Juarez.

Le 29 avril 1863, le colonel Jeannigros43, qui commande la Légion,


charge ainsi la 3e compagnie du 1er bataillon du régiment étranger de se
porter à la rencontre d’un convoi et de le protéger depuis Soledad jusqu’à
Chiquihuite. Ce convoi, parti de Veracruz deux semaines auparavant, est
particulièrement important : composé de 60 voitures et de 150 mulets, il
transporte outre des vivres et des médicaments, du matériel de siège et
des munitions, ainsi que trois à quatre millions de pièces d’or, dont une
partie correspond à la solde des troupes.
Les risques d’une attaque des Mexicains étant particulièrement élevés, la
compagnie composée de 65 hommes, dont trois officiers, quitte le camp
de Chiquihuite dans la nuit du 30 avril, à 1 heure du matin, pour traverser
Paso del Macho, puis Camerone et Palo Verde, avant d’atteindre enfin le
convoi à Soledad. Vers 7 heures du matin, après avoir parcouru une
vingtaine de kilomètres, la compagnie du capitaine Danjou atteint le
village indien de Camerone, détruit et abandonné, puis poursuit vers Palo
Verde. Alors que les légionnaires se sont arrêtés pour se préparer un café,
ils ont bientôt la surprise de voir surgir des cavaliers mexicains. Au total,
800 cavaliers et 1 000 fantassins attendaient à proximité le passage du
convoi pour l’attaquer.
Les légionnaires parviennent à se replier en direction de Camerone, où
les combats commencent. La compagnie repousse les premières attaques,
mais voit s’enfuir ses deux mulets, paniqués. C’est une immense perte car
ceux-ci étaient chargés des vivres, des réserves d’eau et des munitions. Les
légionnaires s’installent dans l’hacienda de Camerone, qui comporte une
cour carrée et un mur d’enceinte d’une hauteur de trois mètres. Vers dix
heures du matin, le colonel Milan, commandant l’armée mexicaine, leur
propose de se rendre, mais le capitaine Danjou refuse et fait promettre à
ses hommes de se défendre jusqu’au bout. Désormais, leur seul espoir est
de tenir le plus longtemps possible en attendant d’hypothétiques renforts.
La résistance est très bien organisée dans l’hacienda, les hommes se
plaçant à partir d’emplacements stratégiques, comme les toits ou
l’intérieur de la propriété dont on a bouché les accès. Mais les assauts se
succèdent… Pourtant, en dépit d’un rapport de force de 1 à 30, de la
fatigue, du manque d’eau et de nourriture qui affaiblissent de plus en plus
les légionnaires, ces derniers résistent héroïquement.
Le capitaine Danjou, âgé de 35 ans, est abattu en fin de matinée. Son
successeur, le sous-lieutenant Vilain, est tué à son tour en milieu d’après-
midi, alors que les Mexicains réussissent à pénétrer dans l’hacienda. Vers
17 heures, les douze hommes encore valides autour du sous-lieutenant
Maudet, remplaçant de Vilain, repoussent une fois de plus une
sommation du colonel mexicain. Alors que les Mexicains lancent l’assaut à
travers les brèches réalisées dans le mur, les derniers légionnaires se
réfugient dans un hangar, baïonnette au canon, faisant face à l’ennemi. À
18 heures, alors que Maudet et deux autres légionnaires sont tombés à
leur tour, les derniers défenseurs sont encerclés. Les combats prennent
fin lorsque les légionnaires acceptent de se rendre, à la condition de
garder leurs armes et que leurs blessés soient soignés.
Seuls trois des 65 légionnaires sont encore debout, mais 300 Mexicains
ont été tués et autant ont été blessés. Par leur courage et leur sacrifice, les
légionnaires ont réussi à sécuriser le passage du convoi, qui a pu atteindre
sa destination sans problème. Leur résistance, extraordinaire puisqu’une
soixantaine d’hommes ont réussi à tenir tête à 2 000 hommes pendant une
journée entière, demeure un exemple d’héroïsme.

Depuis 1906, la fête de la Légion est célébrée chaque année le 30 avril


à Aubagne, en mémoire de Camerone. Au cours de cette journée, la
main gauche du capitaine Danjou (en bois car il s’agissait d’une
prothèse) est portée par un ancien parmi les légionnaires, accompagné
de deux camarades désignés pour leur bravoure. Cette main est
conservée au musée de la Légion.
De plus, l’inscription « Camerone 1863 » se retrouve aujourd’hui sur
tous les drapeaux de la Légion.

Les Français parviennent à prendre Puebla en mai 1863, puis Mexico les
semaines suivantes. Cette victoire leur permet de placer l’archiduc
autrichien Ferdinand-Maximilien à la tête du Mexique. Mais Benito
Juarez et ses partisans ne renoncent pas, soutenus par les États-Unis qui,
une fois leur propre guerre civile achevée (la guerre de Sécession), exigent
le départ des forces françaises du Mexique.
Au printemps 1866, Napoléon III fait revenir en France le corps
expéditionnaire, pendant que s’accentuent les tensions politiques en
Europe. Privé de la protection des Français, l’empereur Maximilien ne
peut faire face à l’opposition armée et un an plus tard, il est renversé et
fusillé par les partisans du président Juarez.
En France, l’empereur Napoléon III doit faire face aux nombreuses
critiques devant le bilan de son expédition au Mexique, qui, en dépit de
ses succès initiaux, s’est révélée fort coûteuse pour un résultat final
désastreux. Trois ans plus tard, c’est au tour de l’empereur des Français
d’affronter l’ennemi puis d’être renversé.
La guerre de Sécession éclate en 1861. Elle est la plus meurtrière que les
États-Unis aient connue puisqu’en quatre ans, cette guerre civile a fait
près de 620 000 morts.

À l’origine, cohabitent un Nord industriel et protectionniste et un Sud


aristocratique, ouvert au libre-échange, mais dont l’économie repose sur
de grandes plantations et l’esclavagisme.
Le fossé se creuse entre le Nord et le Sud jusqu’à l’élection d’Abraham
Lincoln à la présidence des États-Unis, qui devient l’élément déclencheur
de leur rupture. Ancien avocat, Lincoln est un anti-esclavagiste
convaincu. À ce titre, il espère convaincre par le dialogue les États du Sud
de renoncer à leurs pratiques esclavagistes et d’adopter le système
économique du Nord. Conscient des vives réticences du Sud, il redoute
une guerre civile et ce n’est d’ailleurs qu’en 1863, près de deux ans après
le début de la guerre de Sécession, qu’il adoptera les mesures abolissant
l’esclavage.
Malgré cette approche prudente, la Caroline du Sud proclame son
indépendance le 20 décembre 1860, à l’annonce de la victoire électorale
de Lincoln. Le 8 février 1861, six autres États du sud des États-Unis
(Alabama, Floride, Georgie, Louisiane, Mississipi, Texas) font à leur tour
sécession, en formant une Confédération indépendante.
La guerre civile devient inévitable puisqu’il est hors de question pour
Washington et les États du Nord que ces sept États quittent les États-
Unis alors que la conquête de l’ensemble du territoire américain est à
peine terminée.
Ce sont toutefois les Confédérés qui mettent le feu aux poudres en s’en
prenant, le 12 avril 1861, à un fort de l’armée fédérale, Fort Sumter, près
de Charleston (Caroline du Sud). Le 15 avril, le président Lincoln
mobilise ses troupes. Quatre autres États du Sud (Arkansas, Caroline du
Nord, Tennessee, Virginie) décident alors de rejoindre la Confédération
des États d’Amérique.
Alors que débute la guerre de Sécession, le rapport de force est au
bénéfice du Nord : peuplé de 22 millions d’habitants, il bénéficie
d’infrastructures industrielles, de réseaux de transports modernes et sa
richesse lui permet d’avoir un budget militaire deux fois plus élevé que
celui du Sud.
Le Sud ne compte en revanche que 9 millions d’habitants, dont
3,7 millions d’esclaves noirs, mais manifeste une vive détermination.

Les deux armées s’affrontent pour la première fois le 21 juillet, à Bull


Run. En dépit de leur infériorité numérique, les troupes sudistes, menées
par le général Robert Edward Lee, remportent cette première bataille.
Les victoires se succèdent pour le Sud. Mais l’armée du général Lee
manque de vivres, de matériel et de munitions. Elle décide donc d’envahir
le Maryland, espérant que cet État choisira de se rallier à la
Confédération.
Le 6 septembre 1862, l’armée pénètre dans le Maryland après avoir
traversé le Potomac. Le gouvernement américain, fort inquiet, confie
pour la seconde fois le commandement des Nordistes au général Mac
Clellan, qui a été battu par Lee à la bataille de Fear Oaks, deux mois plus
tôt.
Le 17 septembre 1862, les Nordistes parviennent à battre les Sudistes à
Antietam, dont les effectifs étaient deux fois moins nombreux. À l’issue de
cette bataille très meurtrière (20 000 hommes tués ou blessés), le général
Lee est contraint de battre en retraite. Mais pour le chef des Sudistes, ce
n’est que partie remise… Cinq jours après cette victoire du Nord, le
président Lincoln annonce l’émancipation des esclaves noirs du Sud.
Près d’une année plus tard, malgré un certain nombre de déconvenues
face aux Nordistes, mais réconfortées par la victoire remportée à
Chancellorsville (Virginie) début mai, les troupes de Lee tentent une
nouvelle invasion du Nord, et si possible, jusqu’à Washington.
Pour les Confédérés, il s’agit de détourner l’attention des Nordistes de la
ville de Richmond, capitale de la confédération et objectif privilégié des
autorités du Nord, et de profiter d’un affaiblissement de leurs effectifs
dans le Maryland et la Pennsylvanie pour repousser le théâtre des
opérations militaires au-delà du Potomac, puis de chasser les Nordistes
pour atteindre la capitale des États-Unis.
Lee et ses troupes de l’armée de Virginie septentrionale tentent de gagner
Harrisburg (Pennsylvanie), une grande ville où se trouve un important
nœud ferroviaire dont la prise permettrait de couper les communications
de l’ennemi entre le Nord et l’Ouest. Apprenant que l’armée nordiste du
Potomac, commandée par le général George Meade, se rapproche, Lee
décide de concentrer son armée pour être prêt à livrer bataille. Mais celle-
ci va se dérouler dans un lieu qu’aucun des deux adversaires n’a envisagé.

Au matin du 1er juillet, les troupes nordistes du général Reynolds, suivies


de celles du général Howard, arrivent au niveau de Gettysburg, une
commune d’environ 1 500 habitants. Au même moment, le général
confédéré Hill se rend à Gettysburg afin de s’emparer d’une réserve de
souliers pour ses troupes. Lorsque les deux armées se rencontrent, le
combat s’engage aussitôt entre les hommes de Reynolds et ceux de Hill.
Les Sudistes sont rapidement mis en difficulté et plusieurs centaines
d’hommes sont faits prisonniers. Le général Reynolds (nordiste) est tué
au combat sans que le général Howard, qui vient d’arriver sur le champ
de bataille, n’en soit informé. Lorsqu’il apprend que c’est lui qui
commande désormais, il donne l’ordre à ses hommes de se positionner
dans les hauteurs au sud de Gettysburg, sur la colline de Cemery, au
niveau de la crête du Cimetière, d’où l’artillerie pourrait prendre
l’avantage.
Les commandants en chef, le sudiste Lee et le nordiste Meade, n’avaient
pas prévu de se battre à Gettysburg et doivent accélérer l’avancée de leurs
troupes vers la petite ville. Face à face, 24 000 Confédérés et 19 000
Nordistes vont s’affronter le premier jour.
Le 1er juillet, vers 16 heures, les Sudistes enfin regroupés se lancent
contre les Nordistes arrivés en renfort. Rapidement, alors que le front
fédéral recule dans la plus grande confusion, les Confédérés parviennent à
faire 2 500 prisonniers. Au soir du 1er juillet, lorsque cessent les premiers
combats, les Nordistes dénombrent de très lourdes pertes (jusqu’à 75 %
de pertes dans certains régiments !) et sont démoralisés. Ils rejoignent les
fortifications établies sur la crête du Cimetière…
En préparation des combats du lendemain, les Nordistes placent une
ligne de tirailleurs sur le versant de la colline de Cemery, face aux
Sudistes, et déploient d’autres lignes pour étendre le front sur les côtés.
Le 2 juillet, les renforts du Nord permettent à l’armée de Meade
d’acquérir une écrasante supériorité numérique. Le général Lee lance
l’assaut sur les ailes droite et gauche du dispositif ennemi sur la colline.
Les soldats se battent à coups de fusils, de baïonnettes, de crosses, etc.
Mais la résistance héroïque des Fédérés réussit à repousser la charge
sudiste.
Au matin du 3 juillet, le général Lee n’a plus le choix : il donne l’ordre de
lancer l’offensive sur la crête du Cimetière, où se trouvent les fédéraux. Il
passe ainsi outre l’avis du général sudiste Longstreet qui estime le risque
trop important et propose plutôt de contourner l’aile droite nordiste pour
l’obliger à attaquer. À midi, l’armée sudiste commence par une très
violente canonnade sur le centre de la ligne ennemie, pour protéger la
charge des troupes du général Pickett. Les Nordistes, qui bénéficient de
leur position élevée, ripostent : pendant deux heures, l’artillerie se
déchaîne.
Les Sudistes, qui pensent avoir l’avantage, lancent l’assaut à 14 heures,
mais alors qu’ils doivent parcourir plus d’un kilomètre avant d’atteindre
les rangs de l’ennemi, l’artillerie nordiste se met à bombarder avec une
intensité inouïe. En moins d’une demi-heure, tandis que le sol se couvre
de morts et de blessés, l’assaut sudiste est brisé sous le feu ennemi.
Au soir du 3 juillet, les Nordistes ont gagné la bataille de Gettysburg. Ils
dénombrent 23 000 tués, blessés ou prisonniers, sur un total de 93 000
hommes appartenant à l’armée du Potomac. Les Sudistes en comptent
28 000, soit plus du tiers des effectifs de l’armée de Virginie (75 000
hommes).

Cette bataille constitue un tournant dans la guerre de Sécession. Les


Sudistes ont perdu une part de leur crédibilité auprès des Américains et
ont considérablement affaibli leur armée. Désormais, les Nordistes
prennent l’avantage et ne le lâcheront plus, malgré les deux années de
combat qui restent.
La guerre de Sécession prend fin en avril 1865 avec la capitulation du
Sud.
La Prusse, gouvernée par Guillaume Ier de Hohenzollern, constitue une
menace grandissante pour la France alors que le Premier ministre
prussien, Bismarck, souhaite réaliser l’unification de la nation allemande.
Dès 1866, les relations entre les deux États se détériorent.
Quatre ans plus tard, après une série d’incidents diplomatiques, l’affaire
de la Dépêche d’Ems déclenche les hostilités. Au début du mois de juillet
1870, Bismarck annonce son soutien à la candidature d’un prince de
Hohenzollern au trône d’Espagne. Cette candidature entraîne de
nombreuses protestations, notamment celle de Napoléon III, qui fait
savoir qu’il y est opposé. L’Empereur est conscient qu’elle favoriserait le
jeu de la Prusse en Europe, qui bénéficierait en outre d’un allié au sud de
la France. Sous la pression de la France qui menace de mobiliser ses
armées, Guillaume Ier accepte de renoncer à la candidature d’un prince
prussien. Toutefois, la France demande des garanties, mais le roi de
Prusse fait savoir à l’ambassadeur de France qu’il refuse de s’engager.
Informé de cet incident par une dépêche envoyée par son conseiller
diplomatique, Bismarck se saisit alors de la dépêche et en manipule le
contenu, le transmettant en ces termes à la ,
puis aux ambassades européennes : «

L’expression
« est volontairement mal traduite pour lui donner un
sens injurieux à l’adresse de la France, puisque dans les faits, c’est le
prince Radziwill, officier du cabinet militaire du roi de Russe, qui s’est
adressé à l’ambassadeur français. La diffusion de la Dépêche d’Ems
constitue une grave offense pour la France et l’Empereur…

Aussi, malgré les conseils de prudence et de modération qui lui sont


adressés, Napoléon III déclare-t-il la guerre à la Prusse, le 19 juillet 1870.
Mais si cette dernière est assurée du soutien des autres États allemands,
l’empereur des Français n’est, lui, pas soutenu par des pays rivaux de la
Prusse, comme l’Autriche.
Dès le début des hostilités, la France est mise en difficulté. Elle ne
compte que 250 000 hommes, alors que les Allemands réunis atteignent
600 000 hommes et sont dotés d’un armement moderne (dont les canons
Krupp). En outre, les Français peinent à réunir leurs forces, alors que les
Allemands bénéficient d’une bonne organisation et de meilleurs réseaux
de transport pour la concentration des troupes.
Ainsi, après avoir passé le Rhin, les Allemands, commandés par le comte
Helmut von Moltke, lancent l’offensive les premiers, alors que les
Français devaient s’en charger. En deux semaines, les armées françaises
atteignent la frontière franco-allemande, menées par Napoléon III. Ce
dernier est malade (un caillou dans la vessie le fait horriblement souffrir)
et ne peut tenir sur son cheval.
Rapidement, les troupes de l’armée d’Alsace du maréchal Mac-Mahon,
ainsi que celles de l’armée du Rhin du maréchal Bazaine, en Lorraine,
sont réduites à une guerre défensive. Tandis que les défaites se succèdent
à Rezonville, Mars-la-Tour et à Saint-Privat, le maréchal Bazaine et ses
hommes se retrouvent encerclés dans Metz à la mi-août. Quant à Mac-
Mahon, avant de parvenir à rejoindre l’Empereur, il a été battu à
Wissenbourg et à Froeschwiller, en Alsace, les 4 et 6 août.
À Châlons, l’Empereur décide de lever une armée de secours commandée
par Mac-Mahon pour aller délivrer Metz. Elle comprend 130 000
hommes, 10 000 chevaux et 400 pièces d’artillerie répartis en quatre corps
d’armée.
Partie de Châlons le 28 août, elle est assaillie dès le lendemain par les
troupes allemandes. Le 30 août, elle est attaquée par les 4e et 12e corps
allemands à Beaumont, où elle dénombre de nombreuses pertes. Peu à
peu, elle est repoussée au nord-ouest de l’objectif qu’elle s’était fixé, le
sud de Metz. Les soldats français, blessés, épuisés et démoralisés, sont
condamnés à poursuivre le combat dans une cuvette de la Meuse, à Sedan,
dans les Ardennes.

La bataille de Sedan commence au matin du 1er septembre, alors que les


troupes allemandes encerclent les positions françaises. Il est 6 heures
lorsque le 1er corps bavarois, qui a progressé au sud de Bazeilles,
rencontre le 12e corps français, qui le repousse. Une heure plus tard, alors
que le maréchal Mac-Mahon inspecte ses troupes, un éclat d’obus le
blesse et le contraint à transmettre le commandement au général Ducrot,
déjà à la tête du 1er corps placé au centre du dispositif français.
Mais tandis que ce dernier, estimant la situation bien mal partie pour les
Français, donne l’ordre de se replier au nord du fleuve, vers Mézières, les
Allemands coupent la route vers le nord. Le général de Wimpffen
demande à prendre le commandement des opérations, ce que confirme
une note de service et que Ducrot accepte. Au contraire de Ducrot,
Wimpffen refuse d’entendre parler de retraite et veut poursuivre
l’offensive commencée le matin.
Celle-ci est lancée sur le sud-est, vers Bazeilles, mais les Bavarois contre-
attaquent avec succès. Les Français sont pris sous le feu de l’artillerie
allemande et ne parviennent pas à briser l’encerclement dont ils sont
victimes. Vers 10 heures du matin, les Allemands attaquent l’aile gauche
du dispositif français, face au plateau d’Illy, au nord de Sedan, qu’ils
prennent en quelques heures. Au centre du dispositif français, le 1er corps
d’armée est malmené par les Prussiens.
En début d’après-midi, les Français sont débordés et le général Ducrot
fait appel à la cavalerie pour permettre aux fantassins de réaliser une
brèche et d’échapper à l’étau qui se met en place autour d’eux. Mais la
cavalerie française est à son tour prise au piège et les hommes de la
division Margueritte se font tuer. Les Allemands, qui disposent de 400
grosses pièces d’artillerie, font un véritable massacre. L’armée française
commence alors une retraite désordonnée vers le centre de Sedan.
À 17 heures, Napoléon III ordonne la reddition, avant de se rendre
auprès de l’état-major ennemi. Les pertes françaises s’élèvent à 17 000
tués et 21 000 prisonniers, auxquels s’ajoutent, après la reddition, 83 000
prisonniers supplémentaires. Napoléon III est emprisonné au château de
Wilhelmshösse, dans la région de la Hesse.
Le 2 septembre, la France signe la capitulation au château de Bellevue, à
Sedan. De son côté, le maréchal Bazaine ne capitulera que le 27 octobre
suivant, à Metz.

À la nouvelle de la capitulation de l’Empereur à Sedan, l’Assemblée


proclame le 4 septembre la déchéance de Napoléon III, tandis que les
opposants au régime impérial saluent avec joie le retour de la République.
Un gouvernement de Défense nationale se met en place, comprenant des
hommes comme Léon Gambetta ou Jules Ferry. Ce gouvernement
provisoire décide de poursuivre la guerre, qui dure jusqu’en janvier 1871,
ne cessant qu’avec le siège de Paris et une nouvelle reddition de la France.
Le 1er mars, l’Assemblée consent aux exigences de Bismarck, soit une
indemnité de guerre, et surtout, la perte de l’Alsace-Lorraine44.
Deux ans plus tard, libéré de sa captivité dans la Hesse et ayant rejoint sa
femme en exil en Angleterre, l’ex-empereur Napoléon III meurt le
9 janvier 1873 au château de Chislehurst, dans le Kent.
À la fin du XIXe siècle, les Japonais supportent mal l’avancée des Russes en
Chine et leur influence grandissante en Corée. Eux aussi entendent
conquérir ces territoires.
À la suite de la révolte des Boxers, en 1900, la Russie s’est installée dans la
province chinoise de Mandchourie et dans la presqu’île de Liaotung, que
les Japonais ont dû évacuer. Cette rivalité conduit à la rupture des
relations diplomatiques entre Moscou et Tokyo en 1903, malgré les offres
de médiation du ministre des Affaires Étrangères français, Théophile
Delcassé.

Après s’être assuré deux ans plus tôt de la neutralité de l’Angleterre qui
s’irrite de l’expansionnisme russe, le Japon lance, le 8 février 1904, une
attaque surprise sur la base russe de Port-Arthur (installée depuis 1898 à
la pointe sud de la Mandchourie, sur la presqu’île de Liaotung). Il torpille
sept bâtiments de guerre, dont trois sont envoyés par le fond par la flotte
de l’amiral Togo, sans aucune déclaration de guerre préalable45.
À la suite de ce raid, des troupes japonaises envahissent le sud de la Corée
et prennent Séoul, le 1er mai 1904. Les Japonais remportent ensuite la
bataille de Liaoyang, le 3 septembre suivant. Puis ils font capituler la
garnison russe de Port-Arthur le 2 janvier 1905, à l’issue de plusieurs
mois de siège, après avoir isolé la rade avec des navires coulés. Les
Japonais n’y parviennent cependant qu’à la quatrième tentative, au prix de
12 000 morts et de 70 000 blessés dans leur propre camp.
Cette avancée foudroyante des Japonais se poursuit en Mandchourie, où
les troupes du général Kouropatkine sont mises en difficulté à Moukden,
capitale de cette province, au printemps 1905. Ce dernier tient bon en
attendant l’arrivée de renforts partis de la Baltique. En effet, la flotte de
l’amiral Zinovy Rojdestvenski, après être passée par le cap de Bonne-
Espérance, au sud de l’Afrique, arrive en Extrême-Orient au printemps
1905, au terme d’un voyage fatigant de huit mois. Mais il est trop tard
pour secourir les Russes de Moukden qui ont été vaincus le 8 mars
précédent, après trois semaines de combats acharnés, et qui ont quitté la
Mandchourie.
La flotte russe, qui comprend 45 bâtiments dont 5 cuirassés et 6
destroyers, entend rejoindre le port de Vladivostok pour récupérer de son
long voyage avant d’engager les combats. Voulant rejoindre cette base
navale russe au plus vite, l’amiral Rojdestvenski décide de passer par la
mer du Japon plutôt que de contourner l’archipel par le sud-est. Ce choix
est risqué et en s’approchant de la mer du Japon, la flotte russe se
retrouve bloquée par les navires de l’amiral Heihashiro Togo, parmi
lesquels se trouvent huit cuirassés dont deux particulièrement puissants.

Dans l’après-midi du 27 mai 1905, les deux flottes ennemies se


rencontrent au large du détroit de Tsushima, d’une largeur d’environ 100
kilomètres et séparant le sud de l’île japonaise d’Honshu de l’est de la
Corée. Les Japonais ont repéré l’avant-garde des Russes dès le petit matin
et ont immédiatement appareillé. Après avoir réussi une manœuvre de
« contre-marche », rapide mais fort risquée, ce dont les Russes n’ont pas
su profiter, les Japonais se lancent en ligne à l’assaut des navires russes,
concentrés sur la tête de l’escadre ennemie qui avance en file indienne.
Les Japonais disposent d’une redoutable puissance de feu, dont des
explosifs très efficaces qui viennent à bout des blindages les plus résistants
et dont les gerbes de flammes provoquées diffusent un gaz toxique. De
plus, leurs navires sont plus rapides (16 nœuds) que ceux des Russes (10
nœuds).
Quelques heures plus tard, la flotte russe, très gravement touchée, est en
voie d’anéantissement. Alors que la nuit tombe, les torpilleurs japonais
interviennent à leur tour. Ils ne repartent qu’à l’aube du 28 mai, après
avoir contraint deux navires russes, le cuirassé et le croiseur
, à se saborder pour ne pas tomber aux mains de
l’ennemi.
Dans la matinée, les Russes tentent de quitter la zone et se dirigent vers le
nord-ouest, en direction de Vladivostok, mais les Japonais veillent. Une
nouvelle fois, l’escadre de l’amiral Togo leur coupe la route. Avant midi,
tout est fini : les Russes hissent le pavillon japonais en signe de reddition.
La flotte russe est complètement anéantie : parmi ses 45 bâtiments, 33
ont été coulés. Six de ses huit cuirassés ont été mis hors de combat, un
s’est sabordé et le dernier a été capturé. Seuls deux destroyers et un
croiseur ont réussi à s’échapper vers Vladivostok. Plus de 5 000 marins
russes sont morts et les 6 000 survivants sont faits prisonniers.
La flotte japonaise a seulement perdu trois destroyers et 700 hommes,
tués ou blessés.

Le président américain Théodore Roosevelt, qui s’est proposé comme


médiateur, ouvre les négociations de paix entre la Russie et le Japon, ce
qui lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1906.
Ces négociations aboutissent au traité de Portsmouth (États-Unis), qui
consacre la victoire japonaise et contraint la Russie à des concessions
énormes. Le tsar Nicolas II est obligé de renoncer à ses possessions en
Mandchourie, Port-Arthur et Liaotung, ainsi qu’au chemin de fer sud-
mandchourien. Il doit reconnaître officiellement les droits du Japon sur
son protectorat en Corée et renonce à la moitié de l’île de Sakhaline, soit
la partie située au sud du 50e parallèle.
À l’issue de cette guerre, le Japon s’affirme comme une grande puissance
navale et une puissance régionale, au même titre que l’Angleterre, la
France, l’Allemagne et les États-Unis. Il jette les bases d’une politique
expansionniste qui se poursuivra jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
La Russie humiliée s’enfonce progressivement dans la guerre civile. Le
régime tsariste est discrédité, tant en Russie qu’à l’étranger, et
notamment chez ses alliés tels que la France46.
Enfin, la suprématie des Européens commence à être remise en question
dans les pays asiatiques, dont la Chine qui souffre d’être
systématiquement la victime du jeu des puissances colonialistes.
Les premières années du XXe siècle sont marquées par une tension
croissante entre les pays européens, qui sont divisés par des rivalités
politiques, commerciales, coloniales et militaires.
Les Français ne se remettent pas de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par
l’Allemagne en 1871. La Russie et l’Autriche-Hongrie rivalisent dans les
Balkans, tandis que les peuples soumis aux grands empires aspirent à
connaître enfin la liberté.
L’Allemagne de Guillaume II se nourrit depuis des décennies de
pangermanisme et aspire à dominer l’Europe. Quant à l’Angleterre, elle
entend au contraire empêcher toute velléité de domination de la part de
l’une ou l’autre des puissances européennes, désireuse de conserver avant
tout sa liberté de circulation et sa suprématie commerciale dans le monde.
Alors qu’on sent la guerre approcher, la course aux armements est lancée
et le jeu des alliances divise le Vieux Continent. Ainsi, la Triple-Entente
réunit la France, la Grande-Bretagne et la Russie. La Triple-Alliance, ou
Triplice, rassemble l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie47.
L’assassinat de l’archiduc héritier du trône d’Autriche-Hongrie, François-
Ferdinand, met le feu aux poudres. Le 28 juin 1914, un jeune nationaliste
serbe de Bosnie tire sur le prince et son épouse en visite à Sarajevo.
Vienne accuse la Serbie, puis lui déclare la guerre le 28 juillet, mais celle-
ci se voit soutenue par la Russie qui mobilise ses troupes. C’est au tour de
l’Allemagne de déclarer la guerre à la Russie le 1er août, puis à la France,
alliée des Serbes et des Russes, le 3 août. Alors que l’Allemagne envahit la
Belgique le 4 août, l’Angleterre lui déclare la guerre.
La Première Guerre mondiale a éclaté et l’on imagine alors qu’elle sera
courte…
Les Russes sont entrés en guerre dès le 1er août 1914, pour soutenir leur
allié serbe face à l’Autriche-Hongrie et respecter les dispositions de la
Triple-Entente, l’alliance passée avec la France et la Grande-Bretagne.
Après une mobilisation plus rapide que ne le prévoyaient les Allemands,
compte tenu de l’immense superficie du territoire et de l’importance des
effectifs, l’armée du général Jilinsky s’avance rapidement vers l’ouest,
menaçant le front oriental allemand. Forte de 650 000 hommes, elle est
composée de la 1re armée du général Rennenkampf et de la 2e armée du
général Samsonov. Les Russes vont passer à l’offensive rapidement,
comme le souhaite ardemment la France, de façon à contraindre l’ennemi
germanique à se battre simultanément sur deux fronts.

Le 15 août, la 1re armée russe passe la frontière et pénètre en Prusse


orientale. Le général Max von Prittwitz, à la tête des 135 000 hommes de
la 8e armée allemande, décide de l’affronter avant que la 2e armée de
Samsonov ne la rejoigne. Pourtant, à la surprise de Berlin, la 1re armée de
Rennenkampf parvient à repousser le général Max von Prittwitz, dont les
troupes sont très éprouvées au cours de la bataille qui se déroule à
Gumbinnen, le 20 août. Alors que les troupes allemandes sont contraintes
de reculer hors de Prusse orientale, la 2e armée du général russe
Alexandre Samsonov dépasse la frontière germano-polonaise…
Les Allemands sont pris au dépourvu, n’imaginant pas une offensive russe
aussi rapide. Très inquiet, le général Helmut von Moltke, chef de l’état-
major général allemand, déplace alors deux corps d’armée qui se trouvent
sur la Marne vers le front oriental, ce qui s’avère très favorable aux
Français.
Von Prittwitz est relevé du commandement de la 8e armée, que von
Moltke confie au général Paul von Hindenburg, dont les origines
prussiennes sont un avantage par sa connaissance de la région où doivent
se dérouler les opérations. Von Moltke nomme également le général
Erich Ludendorff chef d’état-major en Prusse orientale.
Les deux hommes décident de porter leurs efforts non pas sur l’armée de
Rennenkampf, mais au sud, en direction de celle de Samsonov. Cette
armée, dont les hommes sont épuisés, rencontre des difficultés de
ravitaillement, notamment en munitions pour l’artillerie. Mais le général
Jilinsky refuse tout ralentissement.
Pour l’état-major allemand, le risque encouru est de voir l’armée de
Rennenkampf attaquer les arrières des troupes allemandes. Mais grâce à
l’interception de messages militaires russes, les Allemands apprennent que
la 1re armée russe, au nord du dispositif, se trouve trop loin pour
intervenir rapidement. Cela leur laisse donc l’initiative au sud. En outre,
les deux généraux russes s’entendent particulièrement mal et il est
possible que Rennenkampf tarde d’autant plus à venir aider Samsonov.

Aussi le commandement allemand décide-t-il de s’attaquer aux troupes de


Samsonov, le 23 août, à Tannenberg (actuelle Stebark, en Pologne), selon
un plan de bataille assez simple. Pourtant, alors que s’ouvrent les
hostilités et en dépit de leur fragilité, les troupes russes réussissent à
contraindre les Allemands à reculer.
Cet avantage n’est que de courte durée, car dès le lendemain, le 17e corps
allemand lance une offensive réussie sur le flanc droit du dispositif russe,
causant de lourdes pertes dans l’infanterie de Samsonov, qui est à son tour
repoussée. 24 heures plus tard, c’est au tour de l’aile gauche d’être
enfoncée. Le 27 août, les deux flancs russes ayant été percés, le 20e corps
allemand charge au centre du dispositif russe.
Deux jours plus tard, l’armée de Samsonov est complètement encerclée et
ses 13e, 15e et 23e corps d’armée, les plus avancés en Prusse orientale, sont
pratiquement anéantis. Ne pouvant se replier et ayant perdu l’espoir de
voir arriver en renfort la 1re armée de Rennenkampf, les Russes capitulent
le 30 août.
Le bilan est tragique pour les Russes : alors que leur chef, le général
Samsonov, préfère se suicider, les Allemands capturent 92 000 hommes.
30 000 Russes sont tombés sur le champ de bataille, moins de la moitié du
côté allemand. Le général von Hindenburg est élevé à la dignité de
maréchal à l’issue de cette bataille.

Paul von Beneckendorff und von Hindenburg est né à Poznan, le


2 octobre 1847.
Il participe comme lieutenant à la campagne de 1870-1871 contre les
Français. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Hindenburg
est un général en retraite de 67 ans. En dépit de son âge48, on vient le
chercher dès le mois d’août 1914 pour le placer à la tête de la 8e
armée, afin de combattre les troupes russes en Prusse orientale.
Secondé du général Ludendorff, il parvient à stopper l’avancée russe
et est fait maréchal.
En août 1916, il remplace le général von Falkenhayn comme chef
d’état-major général et obtient le mois suivant le commandement
unique des forces allemandes et autrichiennes. Cet homme énergique
est également quelqu’un d’intransigeant qui obtient de Guillaume II le
départ de ceux qu’il juge trop conciliants avec l’ennemi. Il fait
également orienter toute la production allemande en direction de
l’effort de guerre, au détriment de la population civile.
Après avoir conclu la paix avec la Russie, il est à l’origine de la
première demande d’armistice allemande, le 3 octobre 1918, mais il
conserve ses fonctions jusqu’au bout.
Après la guerre, il prend définitivement sa retraite de l’armée mais,
admiré de ses concitoyens, choisit de participer à la vie politique
allemande. Candidat de la droite, il remporte les élections à la
présidence du Reich en 1925, puis est réélu contre Hitler en 1932.
L’année suivante, cédant devant la forte popularité du parti nazi, il
désigne Hitler comme chancelier.
Il meurt à Neudeck, en Prusse orientale, le 2 août 1934.

La victoire allemande de Tannenberg s’avère décisive car elle marque


l’arrêt de l’avancée russe sur le front oriental, dont les troupes se retirent
de Prusse orientale. Une semaine plus tard, le 7 septembre, c’est au tour
de la 1re armée russe d’être vaincue au bord des lacs Mazures (au nord-est
de la Pologne actuelle). Mais contrairement à celle de Tannenberg, il ne
s’agit pas d’une victoire d’envergure. La 1re armée pourra ensuite
continuer à se battre et, jusqu’à la révolution bolchevique d’octobre 1917,
les armées russes continueront à menacer le front oriental.
Alors que les Russes menacent le front de l’est au mois d’août 1914, les
Allemands ont reçu l’ordre d’en finir au plus vite à l’ouest afin de pouvoir
se consacrer à anéantir les troupes du tsar. La situation en France est
donc mauvaise, en cet été 1914 : après avoir envahi la Belgique et pris le
nord de la France, conformément au plan Schlieffen, les Allemands
atteignent la Somme le 29 août. Le généralissime Joffre a été défait en
Alsace et en Lorraine, et continue d’être repoussé. Devant l’avancée
allemande, le gouvernement Viviani s’est replié sur Bordeaux, le
2 septembre, et la population parisienne, traumatisée par le siège de 1870,
fuit la capitale par centaines de milliers.
Le commandant de Paris et du camp retranché, Gallieni, promet qu’il
remplira ses fonctions jusqu’au bout et prépare une contre-offensive.
Pour défendre Paris, 100 000 hommes formant la 6e armée de Maunoury
ont été prélevés sur le front de l’est de la France et prennent position dans
la région ouest de l’Ourcq, au nord de la capitale.

Ce plan tire son nom de son concepteur, Alfred von Schlieffen, chef
d’état-major de l’armée allemande de 1891 à 1906. Achevé en 1905, le
« Plan d’invasion de la France » est inspiré de la tactique d’Hannibal
lors de la bataille de Cannes, en 216 av. J.-C. Il s’agit d’une stratégie
offensive reposant sur le mouvement, la concentration, la vitesse, etc.
Le plan vise à permettre à l’Allemagne de combattre sur deux fronts
en même temps.
Avec cette stratégie, Schlieffen entend vaincre rapidement la France
grâce à un mouvement circulaire. Après avoir violé la neutralité belge,
les forces allemandes doivent entrer sur le sol français au niveau de
Maubeuge, à quelques kilomètres seulement de la frontière belge, puis
descendre en direction de la vallée de l’Oise, bordée au nord par la
Somme et au sud par la Marne. Ensuite, les troupes allemandes
doivent contourner Paris par le sud-est et enfermer les flancs et les
arrières des forces françaises dans un vaste mouvement tournant. La
marge de manœuvre des Français étant ainsi considérablement
réduite, les Allemands conservent l’initiative pour la bataille décisive.
Appliquant le plan en août 1914, le général von Moltke contourne
ainsi les forces françaises, après avoir envahi la Belgique afin de
pouvoir les envelopper.
Mais cette offensive à outrance et la manœuvre par enveloppement
montrent leurs limites au cours du conflit. Ainsi, les Allemands ont
misé sur la lenteur de la mobilisation russe, mais ils doivent finalement
affronter les troupes adverses sur le front oriental bien plus tôt qu’ils
ne l’avaient prévu. De plus, les Allemands n’imaginaient pas une telle
résistance de la part de la France, pensant qu’elle tomberait
rapidement.
Le plan Schlieffen est donc loin d’être parfait, le déroulement du
conflit ne correspondant pas à ce qui avait été prévu dix ans plus tôt, et
bien que Moltke l’ait modifié en conséquence.

Le 3 septembre, la 1re armée du général von Kluck se trouve à 25


kilomètres de Paris. L’état-major français apprend alors que les
Allemands ne se dirigent plus vers Paris, mais vers le sud-est, en direction
de la Marne, espérant ainsi enfermer les troupes françaises à l’issue d’un
vaste mouvement tournant, en enveloppant l’aile gauche d’une partie du
dispositif allié. Mais, ce faisant, les Allemands prennent le risque de
fragiliser leur flanc droit.
Deux jours plus tard, l’armée Maunoury avance sur l’Ourcq, alors que le
général Joffre, sur l’insistance de Gallieni, a pris la décision d’attaquer et a
échelonné six armées de l’Oise aux Vosges, après avoir obtenu le concours
des Anglais. Pendant une semaine, 2 millions d’hommes s’affrontent sur
un front de près de 300 kilomètres, allant de Meaux à Verdun.
Le 5 septembre, les troupes franco-britanniques lancent l’offensive : en
début d’après-midi, les soldats de la 6e armée de Maunoury affrontent les
troupes du général von Kluck au nord de Meaux, alors que celles-ci se
dirigeaient vers le sud.
Les premiers jours voient se dérouler une guerre de mouvement, sur les
flancs est et ouest du front, au cours de laquelle est mise en avant la
puissance de feu de chaque camp. Ainsi, au cours de la bataille, les canons
de 75 tirent 300 coups par jour !
Les Allemands modifient leur dispositif pour être en mesure d’avancer
vers l’ouest et n’être ainsi pas pris à revers. Ils contre-attaquent les 6 et
7 septembre pour tenter de déborder les troupes françaises par le nord.
L’armée alliée, quant à elle, demande le renfort des troupes basées à
Paris. Pour éviter l’enveloppement de l’armée Maunoury, il est en effet
indispensable de renforcer l’aile gauche de la 6e armée.
Pour parvenir à transporter en une nuit deux régiments, soit 4 000
hommes, en direction du front, un millier de taxis parisiens sont
réquisitionnés par Gallieni, ainsi que les chemins de fer. Cette
intervention des « Taxis de la Marne » reste depuis l’un des symboles de
la résistance française.
Les 8 et 9 septembre, la 9e armée du général Foch parvient à contrer les
assauts de la 2e armée du général von Bülow. Les troupes du corps
expéditionnaire britannique et une partie de la 5e armée française
réussissent à séparer les armées allemandes de Bülow et Kluck, une
brèche à laquelle le mouvement opéré par von Kluck vers l’ouest a
préalablement contribué. La 5e armée de Franchet d’Esperey se lance
dans cette ouverture, suivie des troupes britanniques, avant de franchir la
Marne le 9 septembre. Le 10 septembre, de nouveaux combats acharnés
font reculer les Allemands qui, menacés d’encerclement, se replient sur
l’Aisne, le long de la ligne Noyon-Verdun où ils se retranchent. Tandis
qu’ils creusent des tranchées, s’organise désormais une guerre de
positions.

Les alliés franco-britanniques ont su tirer profit d’une armée affaiblie par
l’envoi d’effectifs partis combattre les Russes en Prusse orientale. Ils
remportent ainsi la victoire de la Marne, annoncée officiellement au
ministre de la Guerre par le général Joffre le 11 septembre. Le bilan des
pertes françaises est cependant bien lourd : 80 000 morts.
Ce sont les combattants de Verdun qui se chargeront, deux ans plus tard,
de déloger les Allemands…
Après la victoire de la Marne, se déroule de septembre à novembre 1914
la « course à la mer », au cours de laquelle les armées allemande et
française tentent de se déborder mutuellement en direction de la Manche,
dans un secteur allant de Soissons aux côtes de la mer du Nord. Mais
bientôt, c’est la fin de la guerre de mouvement et le commencement de la
guerre d’usure, symbolisée par Verdun.
Alors que les Allemands soutiennent les Autrichiens, les Britanniques et
les Français ont également des obligations envers les Russes. Or, dès le
début de la guerre et avant de rencontrer de réelles difficultés, la Russie a
demandé à ses alliés d’intervenir contre l’Empire ottoman qui vient
d’entrer dans le conflit en novembre 1914 aux côtés de la Triplice et
s’avance dans le Caucase.
Inquiets de la situation sur le front occidental, les Alliés imaginent
l’ouverture d’autres fronts pour submerger l’ennemi. Winston Churchill,
alors Premier lord de l’Amirauté britannique, est partisan de s’en prendre
rapidement aux Turcs, considérés alors comme l’ennemi le plus fragile.
En prenant les détroits turcs des Dardanelles, les Alliés parviendraient à
faire la jonction avec les Russes au niveau de la mer Noire et à affaiblir les
Turcs dans le Caucase, voire peut-être à les contraindre à faire la paix.

À partir du 19 février, les navires britanniques bombardent puis


débarquent sans difficulté à Gallipoli. L’opération franco-britannique
dans les Dardanelles est lancée le 18 mars : les bâtiments de guerre alliés
investissent le détroit turc pour bombarder à nouveau les défenses
turques. Mais en dépit de l’importance des moyens engagés par les Alliés
pour cette opération navale (la flotte de l’amiral britannique Garden
comprend 188 cuirassés, 9 sous-marins et une vingtaine de destroyers et
torpilleurs), la riposte turque s’avère redoutable : à Canakkale, les Alliés
perdent le tiers de leurs navires, dont trois bâtiments coulés par des
mines.
Contraints de replier leurs flottes dans les îles grecques, les Alliés
décident de débarquer un corps expéditionnaire fort de 30 000 hommes
répartis en quatre divisions britanniques et une division française. Une
offensive terrestre devrait leur permettre de dégager la route pour leurs
navires.
Le 25 avril suivant, les troupes franco-britanniques débarquent sur la
presqu’île de Gallipoli, ainsi que les Anzacs, corps d’armée australien et
néo-zélandais : au sud, à Sedd-el Bahr et autour de Cap Helles, pris par
les Franco-Britanniques, et à l’ouest, à Anzac Cove, pris par les
Australiens et Néo-Zélandais.
Mais les Alliés ne s’attendent pas à une telle résistance de la 5e armée
turque qui, sous les ordres du général allemand Liman von Sanders,
inspecteur général de l’armée ottomane, a établi une remarquable défense
en disposant quatre divisions sur la rive européenne et deux divisions sur
la rive asiatique, appuyées par une brigade de cavalerie. Depuis les
hauteurs dominant les plages de la presqu’île, les Turcs attaquent
facilement les assaillants qui débarquent sous des tirs rapprochés.
Aussi, dès le premier soir, les armées alliées n’ont-elles pas réussi à
progresser suffisamment sous le feu nourri de l’adversaire et s’enterrent-
elles dans des retranchements. Au bout de 48 heures, les Britanniques ont
déjà perdu le quart de leurs effectifs et les Français plus du tiers… Des
contre-attaques sont organisées avec succès par le lieutenant-colonel turc
Moustafa Kemal Pasha, le futur Atatürk. Bientôt, le front se fixe dans des
tranchées… En raison de la sécheresse et du manque de ravitaillement en
eau potable, ainsi que de la proximité des positions ennemies, les combats
s’avèrent particulièrement pénibles pour les Alliés, qui reçoivent
néanmoins cinq divisions en renfort dès la fin du mois d’avril.

Né le 5 mai 1881 à Salonique, il entre à l’École de guerre de


Constantinople à 18 ans, puis à l’Académie militaire, dont il sort avec
le rang de capitaine en 1905.
Au cours de la Première Guerre mondiale, il participe aux combats
contre l’Italie en Afrique du Nord, puis il se distingue en contribuant
à faire échouer l’expédition franco-britannique des Dardanelles.
Promu général en 1917, il combat notamment contre les Russes.
Après la guerre, il refuse les clauses de la capitulation ottomane et
prend la tête du mouvement nationaliste turc en 1919. L’année
suivante, il est élu président du comité exécutif de la Grande
Assemblée nationale d’Ankara, qui proclame un nouveau
gouvernement reconnu par les Alliés.
Il est nommé généralissime avec des pouvoirs très étendus, alors qu’il
combat les Grecs, entre 1920 et 1922. À la suite de sa victoire, il
parvient à faire reconnaître par les Alliés les nouvelles frontières de la
Turquie qui récupère l’Arménie, le Kurdistan, la Thrace orientale et
les Détroits, lors du traité de Lausanne en 1923.
Le sultanat est aboli en 1920, puis le califat en 1922. L’année suivante,
la République est proclamée et Moustafa Kemal, surnommé
« », c’est-à-dire le « père de tous les Turcs », est élu président
au mois d’octobre 1923. Exerçant son pouvoir avec autorité, il
entreprend de moderniser son pays : le pays est laïcisé, le code civil
remplaçant la loi coranique, l’alphabet latin est adopté, les noms et les
vêtements occidentalisés, malgré plusieurs révoltes populaires.
Moustafa Kemal s’applique également à améliorer la situation
économique de son pays en attirant des investisseurs étrangers et en
modernisant les infrastructures. En matière de politique étrangère, il
pacifie les relations avec les pays voisins, et notamment avec deux
ennemis séculaires, la Grèce et la Russie. En 1934, la Turquie devient
membre de la Société des nations et récupère le contrôle exclusif des
Détroits en 1936, par la Convention de Montreux.
Moustafa Kemal décède à Istanbul le 10 novembre 1938.

Un second débarquement a lieu le 7 août, plus au nord, à Sulva Anarfata


(ou Sulva Bay), sur la façade ouest de la presqu’île. Mais il connaît un
nouvel échec car les hautes terres de Sari Bair et de Tekke Tepe restent
aux mains des Turcs qui bénéficient de la maîtrise du relief.
À la fin de l’été, l’entrée en guerre de la Bulgarie contre la Serbie et
l’invasion de cette dernière contraignent les Français à envoyer une partie
de leurs effectifs à Salonique pour soutenir les alliés serbes et prendre les
Bulgares à revers. Cette intervention finit néanmoins par échouer en
raison de la position du roi Constantin de Grèce, beau-frère de
Guillaume II et donc proche de l’Allemagne, malgré la neutralité
officielle de son pays.
Dans les Dardanelles, au bout de six mois, les Alliés ne sont toujours pas
parvenus à réduire les positions turques et n’ont jamais avancé de plus de
5 kilomètres en profondeur. Les Français proposent donc, au mois
d’octobre, de retirer le corps expéditionnaire. Les Britanniques, qui
craignent de perdre la face, n’y consentent que le mois suivant, après une
visite de Lord Kitchener, le ministre britannique de la Guerre. Anzac et
Sulva Bay sont ainsi évacuées en décembre 1915 et Helles en janvier
1916.

En raison de l’extrême férocité des combats, le bilan de cette opération


est très lourd : sur plus de 450 000 soldats alliés ayant pris part à
l’expédition des Dardanelles, 150 000 sont morts. Du côté turc, les pertes
s’élèvent jusqu’à 250 000 tués ou blessés, selon les estimations.
Le désastre de cette expédition connaît un fort retentissement en Grande-
Bretagne, où elle entraîne la démission de Winston Churchill et la chute
du cabinet Asquith (Premier ministre de 1908 à 1916).
Depuis la bataille de la Marne, la guerre de mouvement s’est transformée
en guerre de positions : les combattants s’enterrent dans des tranchées,
luttent dans d’horribles conditions, repliés dans la boue au milieu des rats,
entourés de cadavres qu’il n’est pas toujours possible d’évacuer, et surtout,
survivent dans la peur…
C’est sur le saillant de Verdun que le général Erich von Falkenhayn49
entend, comme il l’écrira plus tard, « » par
le feu de milliers de canons, c’est-à-dire l’épuiser aussi bien moralement
que physiquement avant d’en venir totalement à bout. Il est soutenu dans
cet objectif par le Kronprinz, fils aîné de Guillaume II, lui aussi bien
décidé à anéantir l’armée française et qui qualifie Verdun de «
symbolique.
Pourquoi Verdun ? Les Allemands savent l’importance de ce site situé sur
la Meuse, en Lorraine, dont les fortifications en font à la fois un enjeu
stratégique et une question d’honneur national pour les Français. La
défense de Verdun a en effet une histoire militaire très ancienne : des
fortifications existaient déjà au XIVe siècle, avant que ne soit construite une
citadelle souterraine sous Louis XIII, consolidée sous Louis XIV avec
Vauban, puis encore renforcée à la fin du XIXe siècle. Par deux fois, la ville
a été assiégée et prise par les Prussiens, en 1792 et en 1870. Verdun est
effectivement difficile à défendre car la Meuse coupe en deux le champ de
bataille, tandis que le front présente un saillant, donc deux parties à
défendre au lieu d’une seule.
Les Allemands savent aussi qu’il est difficile pour les Français de venir au
secours des troupes basées à Verdun, en raison de l’absence d’une ligne de
chemin de fer digne de ce nom. De plus, les forts sont dépourvus
d’effectifs et d’armement en nombre suffisant, puisque Joffre est persuadé
du caractère quasi-imprenable des fortifications de Verdun et n’imagine
même pas une offensive à cet endroit. D’ailleurs, en août 1915, les
autorités militaires ont décidé de déplacer une quarantaine de batteries
lourdes et une dizaine de batteries de campagne sur d’autres secteurs
jugés plus sensibles. Aussi, lorsque la bataille de Verdun éclate, les
Français sont-ils particulièrement surpris, s’attendant à une bataille en
Champagne.

Décidée dès décembre 1915, la bataille de Verdun, que le haut


commandement allemand veut décisive, a été minutieusement préparée.
Des tunnels en béton ont été aménagés le plus près possible des positions
françaises, de profonds abris ont été creusés, pouvant accueillir 72
bataillons d’assaut, et les effectifs allemands ont été renforcés, passant à
huit divisions. La 5e armée allemande est placée sur un front d’une
douzaine de kilomètres et 221 batteries d’artillerie sont installées. Malgré
le secret qui entoure ces préparatifs, les services de renseignements
français sont informés d’une attaque prévue pour le 11 février. Mais les
autorités militaires n’accordent que peu de crédit à cette surprenante
information, même si quelques renforts sont envoyés sur place, au cas
où…
Pour des raisons météorologiques, l’attaque est reportée de quelques
jours. Le 21 février, à 7 heures 30, l’artillerie allemande passe à l’action.
Elle détient plus de 1,2 million de canons, dont 13 redoutables Krupp de
420 mm. Les trois divisions françaises présentes sur ce front d’une
quinzaine de kilomètres seulement sont assaillies par un déluge de
bombes. Von Falkenhayn espère ainsi anéantir au maximum l’infanterie
adverse, qui ne dispose, pour riposter, que de 65 batteries d’artillerie et de
270 canons.
En fin d’après-midi, après neuf heures de bombardements, l’artillerie
allemande laisse la place à l’infanterie : les fantassins allemands se lancent
contre les positions françaises, et, pour la première fois, l’arme redoutable
qu’est le lance-flammes est utilisée.
En quelques jours, alors que deux millions d’obus sont déversés sur les
positions françaises dès les premières 48 heures, le front français est
enfoncé jusqu’à une dizaine de kilomètres. Pourtant, alors que
s’acharnent leurs tirs d’artillerie, les Allemands ont la surprise de voir les
soldats français, même isolés et sans commandement, s’obstiner à
défendre leurs positions.
Bien que les Français déplorent la perte de 20 000 hommes, Joffre donne
l’ordre de résister coûte que coûte, affirmant avec détermination : «
Il confie le commandement de la défense de Verdun au
général Philippe Pétain, à la tête de la 2e armée et secondé par les
généraux Nivelle et Mangin.
En place à partir du 26 février, Pétain entend colmater la brèche réalisée
par l’ennemi et organise une liaison avec l’arrière : 6 000 camions
prennent l’unique route menant de Bar-le-Duc à Verdun, la « voie
sacrée », permettant ainsi en l’espace de 24 heures d’acheminer les
renforts, le ravitaillement en vivres et en munitions. Au retour, ils
rapatrient les nombreux blessés. Désormais, ce sont 90 000 hommes et
50 000 tonnes de matériel qui sont véhiculés chaque semaine.
De plus, pour limiter les pertes dans chacune des divisions et permettre
aux poilus de se reposer dans les environs de Bar-le-Duc, Pétain met en
place une rotation des unités, ce qui amènera les deux tiers de l’armée
française à participer aux combats de Verdun.
De février à avril, les effectifs français passent de 230 000 à 584 000
hommes, tandis que l’artillerie approche les 2 000 pièces, dont le quart est
constitué d’armes lourdes.
Pourtant, les Allemands continuent à se montrer redoutables : le
27 février, le fort de Douaumont, dont la garde n’est assurée que par une
soixantaine de soldats, est pris. Le 6 mars, les Allemands attaquent sur la
rive gauche de la Meuse, prenant le bois de Cumières le 7 mars, la crête
de Mort-Homme le 14 mars, et la cote 304 le 24 mai.
Au début du printemps, l’assaut allemand sur les fronts est et ouest
parvient à être repoussé, de même que la brèche réalisée par l’ennemi est
comblée à la fin mars. Bien que les armées du Kronprinz aient été défaites
le 9 avril, les Allemands parviennent à se reprendre rapidement et le
général Mangin échoue à reconquérir Douaumont du 22 au 24 mai.
En dépit de l’importance des pertes subies dans « l’enfer de Verdun », la
guerre d’usure continue. Le 7 juin, le fort de Vaux est pris par les
Allemands, qui lancent un nouvel assaut fin juin à Thiaumont, Fleury et
aux alentours de Froideterre. Les terribles bombes au phosgène
apparaissent pour la première fois et les Allemands parviennent à avancer
de 3 kilomètres, ce qui menace les positions françaises au niveau de la rive
droite de la Meuse.
Mais la situation sur la Somme, plus au nord, fait basculer peu à peu le
rapport de force : le 1er juillet, les forces franco-britanniques y lancent une
vaste offensive qui contraint les Allemands à réduire leurs effectifs à
Verdun pour tenir leurs positions dans la Somme.
À Verdun, le Kronprinz tente un nouvel assaut sur le fort de Souville le
11 juillet, mais la riposte de l’artillerie française et les contre-attaques
menées sauvent la situation .
Compte tenu des difficultés rencontrées par les forces allemandes, le
général von Falkenhayn est destitué de ses fonctions le 29 août 1916, qui
sont confiées au maréchal Hindenburg, secondé une nouvelle fois par le
général Ludendorff.

Erich Ludendorff est né à Kruszewnia, en Posnanie, le 9 avril 1865.


Membre de l’Académie de guerre allemande en 1893, il est nommé en
1905 à la section de mobilisation du quartier général. Alors colonel, il
est chargé de la rédaction du plan Schlieffen en 1911.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il participe étroitement
à la prise de Liège en tant que chef d’état-major adjoint de la 2e armée
de von Bülow. Devenu ensuite chef d’état-major du général
Hindenburg en Prusse orientale, il s’illustre lors des victoires de
Tannenberg et des lacs Mazures contre les Russes en 1915. Resté
collaborateur de Hindenburg, il est chargé du front oriental jusqu’au
mois d’août 1916, puis du front ouest lorsque Hindenburg succède à
von Falkenhayn pendant la bataille de Verdun.
Partisan de la guerre à outrance, Ludendorff ne supporte pas la défaite
de l’Allemagne et est remplacé par le général Gröner, le 26 octobre
1918.
Après la guerre, cet ultranationaliste, convaincu de la « supériorité »
des Aryens, se lance en politique. Après avoir soutenu Hitler lors du
putsch manqué de Munich en 1923, il est élu député au Reichstag en
1924 et se présente aux élections présidentielles de mars 1925, où il
n’atteint pas 1 % des voix. Il se distingue alors d’Adolf Hitler et fonde
son propre parti, le , raciste et nationaliste.
Le général Ludendorff meurt en Bavière le 20 décembre 1937.

Le 24 octobre, le général Robert Nivelle, qui a succédé au général Pétain


à la tête de la 2e armée (Pétain se voit confier le commandement du
groupe d’armées du Centre), lance une contre-offensive sur Verdun. Cela
permet de renverser définitivement la situation en regagnant le terrain
sans cesse perdu depuis février : le fort de Douaumont est repris en
quelques heures, puis celui de Vaux le 2 novembre, faisant enfin reculer
les Allemands50. Le front se stabilise le long d’une ligne Champneuville-
Bezonvaux, sur la rive droite de la Meuse.
Le 18 décembre 1916, la bataille de Verdun est gagnée par les Français.
Après dix mois de massacres et 37 millions d’obus tirés, cette victoire a un
impact psychologique immense.
Mais le total des pertes est effrayant : celles-ci s’élèvent à environ
162 000 morts ou disparus et 216 000 blessés côté français, et à environ
145 000 morts et 190 000 blessés côté allemand. Verdun est la plus
meurtrière des batailles de la Première Guerre mondiale, après celle de la
Somme.
Au cours de l’hiver 1915-1916, l’offensive de la Somme est organisée. Elle
est chargée, d’une part, de soulager le front de Verdun, et, d’autre part,
de prendre les nœuds de communication du Nord si utiles aux Allemands.
En principe, cette offensive devrait permettre aux Alliés de réaliser la
poussée finale.
À l’initiative du général Joseph Joffre, commandant en chef des armées
françaises, la campagne prévue repose sur les méthodes de la guerre
d’usure. Ainsi, les Alliés entendent parvenir à réaliser une percée dans les
lignes ennemies de la 2e armée allemande de von Bülow, après avoir
alterné l’intervention de l’artillerie, pour ensevelir les Allemands sous des
milliers d’obus et paralyser leur mouvement, et l’intervention de
l’infanterie contre les positions ennemies, chacune des vagues permettant
de faire avancer le front en faveur des Alliés.
Pour cette campagne, plusieurs commandements sont réunis et
s’organisent : du côté français, la 10e armée de Micheler et la 5e armée de
Fayolle doivent attaquer au sud, tandis que du côté anglais, la 4e armée de
Rawlinson, la 5e armée de Gough et la 2e armée d’Allenby sont chargées
d’attaquer au nord.

Joseph, Jacques, Césaire Joffre est né le 12 janvier 1852 à Rivesaltes,


près de Perpignan, dans une famille de la petite bourgeoisie.
Polytechnicien, il sert comme officier du génie lors du siège de Paris
et intègre l’armée régulière en 1871. Il est ensuite envoyé outre-mer,
où il sert successivement en Indochine, puis au Soudan et à
Madagascar sous les ordres du général Gallieni.
Promu général de brigade en 1902, il prend la direction du génie au
ministère de la Guerre trois ans plus tard. En 1910, il devient
directeur des services de l’arrière. Chef d’état-major général de
l’armée et vice-président du Conseil supérieur de la guerre en 1911, il
est à l’origine du plan de mobilisation connu sous le nom de « Plan
XVII », appliqué lorsque la guerre éclate à l’été 1914.
Mais sous-estimant la menace allemande, son plan est un échec et
Joffre échoue à la bataille des frontières, du 14 au 24 août 1914, alors
qu’il commandait les armées françaises du Nord et du Nord-Est,
Joffre entame alors une retraite stratégique et concentre ses troupes
sur la Marne, où il remporte la célèbre bataille du même nom début
septembre. Il contribue ensuite à freiner la « course à la mer » des
troupes allemandes. Nommé commandant en chef des armées
françaises en décembre 1915, il est l’objet de critiques croissantes des
milieux politiques qui lui reprochent son autoritarisme et les piètres
résultats de la bataille de la Somme en 1916.
Il est démis de ses fonctions et remplacé par le général Nivelle, qui
conduit bientôt les troupes au désastre au chemin des Dames en 1917.
Son prestige lui permet néanmoins d’être nommé maréchal en
décembre 1916, avant d’accomplir une mission en Amérique l’année
suivante.
Auteur de plusieurs ouvrages, il entre à l’Académie française en 1918.
Il décède à Paris le 3 janvier 1931 et reçoit des obsèques nationales.

Tandis que les Français ont placé un canon tous les 18 mètres et les
Anglais un canon tous les 50 mètres, le bombardement des lignes
ennemies commence le 24 juin 1916. Après plusieurs jours de tirs
incessants (plus de 1,5 million d’obus a été envoyé) qui laminent les lignes
allemandes, ainsi que l’explosion de mines sous les positions ennemies,
l’infanterie peut enfin passer à l’attaque : l’offensive alliée est lancée le 1er
juillet suivant, sur l’axe Bapaume-Cambrai.
À 7 heures 30 du matin, 100 000 soldats quittent leurs tranchées pour
attaquer les positions ennemies. Mais contrairement aux attentes du haut
commandement allié, les bombardements ne sont pas parvenus à détruire
les défenses allemandes. En effet, les forces allemandes ont eu le temps,
avant l’offensive, de consolider leurs lignes, ce qui leur permet de riposter
avec force sur les assaillants.
L’artillerie allemande, qui a résisté au bombardement allié, fait des
ravages sur l’infanterie britannique qui avance en rangs serrés. Les soldats
britanniques, dont la plupart sont des engagés volontaires peu ou pas
expérimentés, avancent trop lentement sur le terrain accidenté et tombent
les uns après les autres… Karl Blenk, un fusilier allemand du 169e
régiment, témoignera : «

Au soir du premier jour de l’offensive, alors que les objectifs les plus
importants n’ont pas été atteints, les pertes parmi l’infanterie anglaise
sont terrifiantes : 20 000 tués et 40 000 blessés ou disparus. Les pertes
allemandes n’atteignent que 6 000 hommes tués et 2 200 faits prisonniers.
Les Français, commandés par le général Ferdinand Foch, s’en sont mieux
sortis, mais leurs résultats demeurent faibles.
Bien que cette attaque soit la plus sanglante que les Anglais aient connue
au cours de leur histoire, le général Sir Douglas Haig refuse toute idée de
repli et ordonne de maintenir la pression le plus longtemps possible face
aux 18 divisions allemandes.

Le 20 juillet, les Alliés passent à la deuxième phase de l’offensive et


l’infanterie continue d’avancer, mais lentement et dans des conditions
terribles de combats au corps à corps dans des paysages de désolation,
dans des villages comme Guillemont, Maurepas, etc., où tout a été
détruit.
Le 27 août, de nouvelles attaques alliées sont lancées et, dans le cadre de
la troisième phase de l’offensive, les Anglais utilisent pour la première fois
des chars d’assaut. 49 chars britanniques MI entrent ainsi en action le
15 septembre devant Flers, au sud de Bapaume. En dépit de pannes et
d’autres problèmes techniques, ils vont avoir un impact à la fois positif sur
le moral des Alliés et très négatif sur celui des Allemands.
Après un ralentissement au mois d’octobre, au cours duquel la pluie
incessante rend le mouvement des troupes bien plus difficile, notamment
en raison de la boue, les Anglais renforcent leurs attaques jusqu’à la mi-
novembre. Le 19 novembre, après avoir réussi à progresser de 10
kilomètres, l’offensive s’achève pour des raisons météorologiques, sans
que les Alliés aient réussi à percer le front ennemi.

Cette bataille, reposant avant tout sur le nombre d’hommes engagés et la


supériorité du matériel, s’avère un échec, contrairement aux espérances
des chefs alliés : au total, les Alliés ne sont parvenus à reprendre qu’une
parcelle de terrain d’environ 30 kilomètres sur 6. Le général Joffre est
ainsi relevé de ses fonctions de commandant en chef au cours du mois
suivant.
Le coût de la bataille de la Somme est effrayant, puisque, malgré la
difficulté d’obtenir des chiffres précis, on estime que le camp franco-
britannique et le camp allemand ont perdu chacun 600 000 hommes, tués
ou portés disparus. Avec 1,2 million de victimes, la bataille de la Somme
est la plus meurtrière de la Grande Guerre.
Le succès de la contre-offensive à Verdun en octobre 1916, notamment la
libération du fort de Douaumont, a contribué à donner un véritable crédit
au général Robert Nivelle. Aussi ce dernier est-il nommé commandant en
chef des armées françaises en remplacement de Joffre, en décembre 1916.
Au début de l’année 1917, pressée par les autorités civiles, l’armée
s’organise une nouvelle fois pour tenter de porter un coup fatal à
l’ennemi. En dépit des conseils d’autres généraux, dont Joffre qui estime
l’opération trop difficile à réaliser, Nivelle entend attaquer le saillant
entre Arras et Soissons en lançant ses hommes sur le secteur du chemin
des Dames. Il s’appuie sur des estimations aveugles : après un
bombardement intensif, il espère une progression entre 7 et 8
kilomètres/heure, irréalisables dans les conditions connues jusqu’alors.
Nivelle dispose ainsi 1 200 000 soldats entre Soissons et Reims, le long de
l’Aisne, tandis que d’énormes moyens sont réunis, notamment deux
milliers de pièces d’artillerie disposées tous les 23 mètres et plus d’un
millier de pièces d’artillerie lourde réparties tous les 40 mètres.

Situé en Champagne, entre les vallées de l’Ailette et de l’Aisne, le


chemin des Dames correspond à une route d’une trentaine de
kilomètres. Ce chemin a été baptisé ainsi car, au XVIIIe siècle, le roi
Louis XV le faisait entretenir pour permettre à ses filles (« dames » de
France) de l’emprunter pour rejoindre le château de la Bove, où
résidait leur amie, la duchesse de Narbonne.

Mais le général Ludendorff a été informé des intentions de Nivelle, grâce


à la capture d’un sous-officier qui détenait sur lui les plans de l’opération
française. Il préfère alors replier ses hommes dans le cadre de l’opération
Albéric, du 11 mars au 5 avril, sur la ligne fortifiée Hindenburg située
derrière la Somme à quelques dizaines de kilomètres des positions
allemandes. Ainsi, il laisse derrière lui un terrain miné, réduit le front et
fait disparaître le saillant que Nivelle comptait attaquer.
Pourtant, le général Nivelle maintient son plan. Pour faciliter l’offensive
française, les Britanniques attaquent le 9 avril au nord de la Somme, près
d’Arras. Ils parviennent à avancer de quelques kilomètres, tandis que les
soldats canadiens prennent les crêtes de Vimy, au prix de lourdes pertes.

L’attaque de Nivelle, retardée par de très mauvaises conditions


météorologiques, est finalement lancée le 16 avril : le long du chemin des
Dames, les 20 divisions françaises, dont les tirailleurs sénégalais du 2e
corps colonial, ouvrent la marche et partent à l’assaut de la 7e armée
allemande commandée par le général Boehn.
Les Allemands se sont remarquablement bien organisés : installés sur la
crête qui domine la plaine du chemin des Dames, ils ont abrité leur
artillerie dans des caves naturelles aménagées dans la craie depuis le début
de la guerre, permettant également aux 21 divisions de première ligne
d’attendre la fin des bombardements français sans être décimées. En
outre, placées à une dizaine de kilomètres en arrière, dix divisions sont
prêtes à contre-attaquer.
Dès la première journée, l’offensive de Nivelle s’engage très mal. Le
bombardement ne produit pas les effets attendus et l’avancée des troupes
françaises, notamment des chars Schneider, est très lente (seulement
500 mètres au cours de la première journée). Alors que les mitrailleuses
allemandes se déchaînent à leur tour, les soldats tombent par dizaines de
milliers. Malgré cette hécatombe et la qualité du dispositif allemand,
Nivelle s’obstine à poursuivre l’offensive.
Les Allemands enfoncent le front le 27 avril, avant de traverser l’Aisne et
d’atteindre Château-Thierry le 30. À cette date, les Français, vaincus,
dénombrent la perte de 117 000 hommes, dont près de 40 000 morts,
alors que les Allemands n’ont perdu que 21 000 hommes, essentiellement
faits prisonniers.

Cette boucherie inutile atteint profondément le moral des poilus et des


mutineries éclatent dès la fin avril. Dans les semaines suivantes, une
centaine de cas de « grave indiscipline » éclatent dans 54 divisions
différentes. Le désarroi des poilus est d’autant plus grand que Nivelle a
mobilisé, avant son offensive au chemin des Dames, tout le capital de
confiance restant. Désormais, les soldats sont de plus en plus las,
désespérés d’être sacrifiés à des méthodes tactiques insuffisantes.
Le 29 avril, le général Nivelle est relevé de son commandement et
remplacé par Philippe Pétain. Celui-ci prend immédiatement en main
l’amélioration du quotidien pour relever le moral de ses hommes :
nourriture, cantonnements, temps de repos, permissions, récompenses,
etc. Le général contribue également à limiter le nombre d’exécutions qui
suivent la vague de mutineries : sur environ 500 condamnations à mort,
une cinquantaine de soldats sont fusillés.
Le chemin des Dames ne sera repris aux Allemands qu’en octobre 1918.
Lorsque l’Italie entre en guerre aux côtés de l’Entente, en mai 1915, ses
forces sont réparties sur les deux secteurs du front : l’un au nord-ouest de
Vérone et l’autre à la frontière avec l’Autriche, à l’est. Cette frontière suit
approximativement le cours du fleuve Isonzo, d’une longueur de 138
kilomètres, qui naît dans les Alpes juliennes (au niveau de la Slovénie
actuelle) et se jette dans le golfe de Trieste.
Ainsi le cours du fleuve est-il occupé par les forces italiennes dès leur
entrée en guerre. Mais étant entouré de montagnes et de plateaux
accidentés, il s’avère favorable aux Autrichiens, qui en tiennent les
hauteurs, et difficile d’accès pour les Italiens, qui ne peuvent avancer
qu’en escaladant les pentes escarpées.
En dépit du handicap du relief, c’est dans la région de l’Isonzo que se
portent les efforts de l’armée italienne. En effet, le général Luigi
Cadorna, commandant l’armée italienne, y a envoyé les 2e et 3e armées
ainsi que 19 bataillons alpins, pour des raisons aussi bien militaires
(soulager l’armée serbe affrontant les Autrichiens) que politiques (la partie
autrichienne de cette région est revendiquée par l’Italie).
Mais en dépit de la prise de Gorizia, en août 1916, et de dix autres
batailles livrées entre le 23 juin 1915 et le 29 août 1917, les gains
territoriaux correspondent seulement à une avancée d’une dizaine de
kilomètres et s’avèrent donc minimes. En revanche, 30 000 soldats
autrichiens et 150 pièces d’artillerie ont été capturés, ce qui est suffisant
pour inquiéter l’Autriche-Hongrie.

L’Autriche-Hongrie a jusqu’alors été réticente à réaliser une véritable


offensive contre les Italiens, en raison du manque d’effectifs, les troupes
autrichiennes étant surtout mobilisées sur le front oriental. De plus,
l’empereur François-Joseph est réticent à l’idée de prendre l’initiative
contre un pays catholique. La mort de l’empereur en novembre 1916, à
qui succède Charles Ier, fait changer les choses, tout comme l’accord du
commandant allemand qui s’engage à soutenir les Austro-Hongrois à
l’endroit où devra être portée une offensive décisive contre l’ennemi
italien, palliant ainsi leur infériorité numérique.
En effet, le général von Wäldstatten, adjoint du chef d’état-major
autrichien, s’est rendu à Berlin le 29 août 1917 pour convaincre le
commandant en chef des forces allemandes, le général von Hindenburg,
de l’intérêt d’une offensive commune dans la haute vallée de l’Isonzo,
entre Tolmino et Caporetto.
D’abord réticent, Hindenburg envoie le général Kraft von
Dellmensingen, spécialiste du combat en montagne, effectuer une
reconnaissance sur l’Isonzo, début septembre. Ce dernier estime qu’une
victoire est difficile, mais envisageable, à condition de frapper vite et fort.
L’état-major allemand donne donc son accord à l’opération.
À la fin de l’été 1917 est ainsi organisée l’offensive par les états-majors
allemand et autrichien, qui forment une 14e armée germano-autrichienne
placée sous le commandement du général von Belöw. Celle-ci comprend
sept divisions allemandes, devant être renforcées par deux autres venues
de l’est, et sept divisions autrichiennes.
À la même époque, le général Cadorna donne l’ordre à ses troupes de
passer à la défensive, une décision qui lui sera lourdement reprochée plus
tard. Ce dernier se justifiera en invoquant un manque de munitions et en
affirmant avoir reçu une information lui indiquant l’imminence d’une
attaque ennemie.
Mais en dépit de ces derniers arguments, Cadorna se trouve dans une
situation qu’il a lui-même rendue difficile : tyrannique avec ses hommes,
il les pénalise à tour de bras et ses officiers n’osent plus prendre
d’initiative. S’ajoute un moral bien bas lié non seulement aux conditions
de vie des soldats, mais aussi à l’inquiétude face à un manque important
d’équipements.
Estimant que le terrain est trop abrupt dans le secteur de Caporetto
(actuelle Kobarid, en Slovénie) et qu’il décourage donc toute attaque en
cet endroit, Cadorna n’y place qu’une légère couverture. Les Italiens
s’attendent, en effet, à être attaqués au sud de Gorizia, sur un terrain assez
plat.
Le front italien est ainsi défendu par 41 divisions, réparties entre la 2e et
la 3e armées. La 2e armée, commandée par le général Capello et forte de
28 divisions, se place depuis Plezzo et Caporetto jusqu’au nord de la ville
de Gorizia. La 3e armée, aux ordres du duc d’Aoste, protège la partie sud
du front, depuis Gorizia jusqu’à l’Adriatique.

La coalition germano-autrichienne a prévu d’attaquer le 22 octobre, mais


les caprices de la météo contraignent à repousser l’opération de 48
heures. L’offensive est donc lancée à l’aube du 24 octobre 1917.
L’artillerie allemande entre en action dans le secteur de Tolmino-Plezzo,
lançant notamment des obus asphyxiants sur les positions italiennes. Les
tirs sont si violents que la défense italienne est parfois complètement
débordée.
À 8 heures du matin, l’attaque de l’infanterie est lancée vers Plezzo, à
proximité de Caporetto, par le général autrichien Krauss, doté des
meilleures unités de montagne autrichiennes ainsi que d’une division
allemande de chasseurs alpins et d’une division de tirailleurs bosniaques.
Une heure et demie plus tard, après avoir fait 3 000 prisonniers et saisi 80
canons, le front du 4e corps italien est entamé, mais le groupement Krauss
ne parvient pas à atteindre Plezzo.
Au même moment, plus au sud, entre Plezzo et Tolmino, les troupes du
général Stein s’avancent également. Le front, tenu par le 18e corps
d’armée italien du général Pietro Badoglio (futur maréchal et président
du Conseil italien), correspond à la partie la plus fragile du dispositif
italien. En milieu d’après-midi, après n’avoir rencontré qu’une faible
résistance, les hommes de Stein atteignent Caporetto et gagnent 20
kilomètres sur les lignes ennemies. 2 000 soldats italiens sont faits
prisonniers, dont le général Farisoglio, commandant la 43e division
italienne.
Au soir du 24 octobre, seules résistent encore dans ce secteur les troupes
italiennes du général Caviglia, au sud de Tolmino. Deux jours plus tard,
les troupes allemandes parviennent à prendre le mont Matajur, puis,
l’ayant franchi, prennent Cividale le 27.
Du côté italien, les troupes du général Capello (très malade) reçoivent
l’ordre de Cadorna de se replier à l’ouest, jusqu’à la rivière Tagliamento.
C’est à cette rivière que correspond la ligne de front dès le 31 octobre,
après que les troupes coalisées ont réussi à prendre la ligne Gemona-
Udine-Palmanova.
Ainsi, la coalition germano-autrichienne, qui a atteint les plaines du
Frioul, peut se préparer à se rabattre vers le sud pour encercler les troupes
italiennes. La 3e armée du duc d’Aoste est prise au piège au sud et, bien
que parvenant à se dégager, elle perd une partie de ses effectifs, faits
prisonniers. Dès la fin octobre, apprenant le désastre de Caporetto, les
armées française et anglaise envoient 11 divisions commandées par le
général Foch, chef d’état-major général depuis le 15 mai, porter secours
aux Italiens.

Ferdinand Foch est né à Tarbes le 2 octobre 1851. Polytechnicien,


commandant l’École supérieure de la guerre en 1907, il publie deux
ouvrages : (1903) et (1904).
Ayant atteint le grade de général lorsque la Première Guerre mondiale
éclate, il prend part à la bataille des frontières d’août 1914 à la tête du
20e corps d’armée de Nancy, visant à bloquer l’avancée allemande en
Lorraine. Puis il se voit confier la 9e armée qui contribue de façon
décisive à la victoire de la Marne en septembre 1914. Il commande
ensuite le groupe des armées du Nord, dont les troupes réussissent à
arrêter la « course à la mer » des Allemands. Il dirige les offensives de
l’Artois en 1915 et la bataille de la Somme en 1916.
Succédant à Pétain comme chef d’état-major général et conseiller
militaire du gouvernement, il coordonne à l’automne 1917
l’intervention alliée en Italie, après la défaite de Caporetto. Il est
chargé de préparer la formation d’un Conseil suprême réunissant les
représentants des Français, des Anglais et des Italiens pour unifier la
conduite des opérations alliées (conférence de Rapallo, novembre
1917).
Le 16 mars 1918, il est nommé généralissime des troupes alliées sur le
front occidental. Après avoir réussi à arrêter l’avancée ennemie dans la
Somme en avril, il déclenche la contre-offensive de juillet et remporte
la seconde bataille de la Marne. En août, alors qu’il est élevé à la
dignité de maréchal de France52, il lance l’offensive générale qui
permet de remporter la victoire définitive et amène les Allemands à
capituler. Il est présent à Rethondes le 11 novembre pour la signature
de l’armistice.
Auteur de deux ouvrages, il entre à cette époque à l’Académie
française. À l’issue du conflit, il devient en 1919 président du Conseil
supérieur de la guerre et prend part aux négociations alliées. Son avis
de placer la frontière militaire franco-allemande sur le Rhin n’est
toutefois pas suivi.
Après avoir rédigé ses , le maréchal Foch décède le
20 mars 1929 à Paris.

Alors que la ligne de front du Tagliamento est atteinte le 2 novembre, les


troupes italiennes se replient une fois de plus vers l’ouest, jusqu’à la Piave,
nouvelle ligne de front au 10 novembre. Alors que la retraite italienne
s’avère tragique par sa précipitation et sa désorganisation, l’artillerie est
souvent abandonnée à l’ennemi et les déserteurs se multiplient, atteignant
des dizaines de milliers d’hommes. Alors que la 2e armée du général
Capello disparaît, le général Konrad von Hötzendorf, à la tête de la 11e
armée autrichienne, lance une offensive à l’ouest, à partir de la ville de
Trente, le 9 novembre. Mais cette armée est incapable de faire
mouvement assez vite pour fermer la ligne Trévise-Venise et doit faire
face à la résistance des positions italiennes de la Piave et à l’arrivée des
troupes alliées. Elle ne parvient donc pas à envelopper les Italiens.
Tandis que le général Cadorna est relevé de son commandement et
remplacé par le général Diaz, les Italiens, soutenus par les Alliés,
parviennent à résister derrière la Piave. La bataille se stabilise en
décembre le long du fleuve.
Entre le 24 octobre et le 31 décembre 1917, 37 000 Italiens ont été tués,
91 000 blessés et 335 000 faits prisonniers. L’armée italienne a également
perdu la moitié de son artillerie.
Bien que durement touchée et malgré une telle défaite, elle se ressaisit
cependant rapidement. Le général Diaz laisse passer l’hiver et le
printemps pour réorganiser ses troupes. À partir de juin 1918, il est en
mesure de faire face aux Allemands.
Le 24 octobre 1918, un an jour pour jour après Caporetto, l’offensive
finale est lancée sur les Autrichiens et la 7e armée italienne, soutenue par
des troupes franco-britanniques, remporte la bataille de Vittorio Veneto,
à proximité de Trévise.
Les Italiens ont donc réussi à tirer les leçons du désastre de Caporetto et à
restaurer leur fierté nationale.

L’année 1917, que Raymond Poincaré qualifie d’«


pour les Alliés, est aussi celle de l’entrée en guerre des États-Unis aux
côtés de l’Entente et de la révolution bolchevique en Russie. À partir
de ces deux événements, la situation sur le théâtre des opérations
s’accélère.
Ayant signé la paix de Brest-Litovsk en mars 1918 avec la Russie
soviétique, l’armée allemande concentre tous ses efforts sur l’ouest où,
de mars à mai, ses troupes poursuivent leur avancée : une brèche est
ouverte en Picardie et l’armée allemande se dirige vers Paris.
Toutefois, bénéficiant de 200 000 soldats supplémentaires et d’un
matériel performant depuis l’arrivée des Américains, les Alliés
reprennent l’initiative à partir de juillet 1918.
Au mois d’octobre suivant, Foch, commandant en chef des forces
alliées, lance l’offensive générale, des côtes du Nord jusqu’à la Meuse.
En dépit de leur affaiblissement, les troupes allemandes continuent de
résister énergiquement jusqu’à ce que, épuisées, désorganisées et
harcelées par les troupes alliées qui ne cessent de gagner du terrain,
elles ne soient conduites à se replier, au début de novembre.
Le 11 novembre 1918, à 11 heures, les Allemands vaincus signent
l’armistice à Rethondes, dans la forêt de Compiègne. Deux jours plus
tôt, l’empereur Guillaume II a abdiqué et la République a été
proclamée en Allemagne.
La guerre finie, les pays belligérants doivent affronter les terribles
conséquences (morales, économiques, démographiques, etc.) de ce
premier conflit mondial. L’Europe a perdu une grande partie de sa
puissance d’avant-guerre au profit des États-Unis.
La Seconde Guerre mondiale a commencé le 1er septembre 1939 avec
l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, aux ordres de leur
Adolf Hitler. Ce dernier, ultranationaliste, est au pouvoir depuis
janvier 1933, sous le régime du IIIe Reich. Sa politique repose sur la
doctrine du nazisme, qui mêle à la fois le pangermanisme, le totalitarisme
et le racisme antisémite. Hitler entend soumettre l’Europe à l’Allemagne
nazie dans le cadre de la conquête d’un « espace vital ».
Il envahit ainsi la Pologne le 1er septembre 1939 avant de se tourner vers
l’ouest, au terme d’une période de neuf mois pendant laquelle rien ne se
passe sur les fronts français et allemands, appelée par les Français « drôle
de guerre ». Les combats ne commencent qu’au printemps 1940 sur le
front occidental.


Le 10 mai 1940, les troupes allemandes lancent leurs opérations sur le
front occidental, avec l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique et du
Luxembourg, pourtant neutres. Désormais, la déferlante allemande ne
peut être évitée.
L’offensive allemande sur le front ouest correspond à la mise en
application du « plan jaune », ou « plan Manstein », du nom du général
qui en est l’auteur. Elle consiste à attaquer les Pays-Bas et la Belgique afin
de provoquer une montée des forces françaises et britanniques vers le
nord-est, puis à passer les Ardennes et à prendre l’ennemi à revers en le
poussant vers la côte, avant de se retourner vers la ligne Maginot53
jusqu’alors évitée, afin de la neutraliser.

À l’aube du 10 mai, alors que le président du Conseil, Paul Reynaud,


annonce aux Français l’offensive allemande, les troupes françaises
prennent la route en direction du nord afin de gagner la Belgique et
d’affronter les divisions allemandes.
Les Français s’attendent à ce que les Allemands appliquent une nouvelle
fois le plan Schlieffen de la Première Guerre mondiale, consistant à
envahir la Belgique, puis à contourner les Ardennes par le nord pour
ensuite attaquer la France. Le général Gamelin, commandant en chef des
forces françaises, est persuadé que le sort de la bataille doit se jouer dans
les plaines du Nord, où tant d’invasions se sont déroulées. Aussi les
Français, qui comptent 300 000 hommes, appliquent-ils le plan Dyle (du
nom d’un affluent de l’Escaut, en Belgique) qui prévoit de concentrer
leurs forces en Belgique pour contenir l’avancée allemande. Ils
n’imaginent alors pas la force de frappe des Allemands, ni que l’ennemi
puisse contourner l’obstacle en passant par la Meuse.

Les forces en présence en mai 1940

Divisions
• infanterie 135 94 10
• motorisées 7 3 0
• cavalerie 1 5 1
• blindées 10 3 1
Chars 2 600 2 400 600
Canons 7 700 11 000 1 500
Avions 4 500 2 176 550

Dès le 10 mai, les Belges sont débordés par les troupes allemandes du
groupe d’armées A, commandé par le général von Rundstedt (45
divisions), qui inaugurent leur . La forteresse d’Eben-Emael, sur
le canal Albert entre Maastricht et Liège, à proximité de la frontière avec
l’Allemagne, pourtant réputée imprenable, tombe très rapidement aux
mains des Allemands.
Le 11 mai, les forces allemandes du groupe d’armées B, sous les ordres du
général von Bock (29 divisions, dont trois blindées), déferlent
massivement sur les Pays-Bas. En dépit des efforts désespérés de l’armée
hollandaise, elles frappent la « forteresse hollandaise » en plein cœur. Le
14 mai, Rotterdam, dernier bastion de la résistance hollandaise, subit un
terrible bombardement aérien. Le lendemain, le 15 mai, le général
hollandais Winkelman signe la capitulation des Pays-Bas.

Les Allemands appliquent sur le front ouest la , ou « guerre


éclair » en allemand, inaugurée lors de l’invasion de la Pologne, en
septembre 1939.
Fondée sur l’emploi conjugué des blindés et de l’aviation, elle consiste
à attaquer avec, au sol, des chars rapides et groupés, les .
Viennent ensuite l’infanterie motorisée, puis l’infanterie à pied, tandis
que dans les airs, le feu des bombardiers et des avions de combat
stukas de la , l’armée de l’air allemande, appuie l’offensive.
Une fois les positions de l’adversaire enfoncées, les divisions blindées
et l’infanterie peuvent s’introduire dans la brèche réalisée et pénétrer
en profondeur dans le territoire ennemi. Éliminant les poches de
résistance avec l’appui de l’aviation, elles continuent à avancer
rapidement.
Guderian, théoricien des chars et père de la guerre éclair, pense qu’il
est inutile de chercher à consolider les positions après une attaque
victorieuse. Au contraire, il faut poursuivre la progression en
profondeur.
La permet donc d’avancer très rapidement sans laisser à
l’adversaire le temps de se réorganiser. En bref, elle consiste à frapper
vite et fort, de façon foudroyante, d’où son nom.


Les Français considèrent que la forêt des Ardennes est impénétrable et le
maréchal Pétain a lui-même affirmé que ce n’était pas un secteur
dangereux. Par conséquent, elle est mal défendue et c’est justement à cet
endroit que les Allemands ont prévu d’attaquer.
Aussi, parallèlement à leur avancée sur le front hollandais, les Allemands
concentrent leurs efforts sur l’ouest. Dès le 10 mai, ils avancent dans les
Ardennes belges et luxembourgeoises, vers Namur et Dinant, mais aussi
plus au sud, entre Givet et Sedan.

Forts de sept divisions blindées placées sous le commandement du


général von Kleist et de trois divisions motorisées sous les ordres du
général Guderian, les Allemands entendent traverser les Ardennes et
passer à l’attaque sur la Meuse, au nord de Sedan. Pourtant, l’état-major
français, sûr de son plan Dyle et confiant dans les capacités de la
résistance belge, évaluées à une semaine, a concentré ses forces vers le
Nord.
La ligne Namur-Sedan, un secteur s’étirant sur 100 kilomètres, n’est alors
contrôlée que par la 9e armée française, commandée par le général Corap.
Celle-ci est mal équipée et essentiellement composée de réservistes peu
expérimentés. Plus à l’est, se tient la 2e armée du général français
Huntziger. À la charnière de ces deux armées, la Meuse n’est protégée
que par deux divisions.

Dans la nuit du 12 au 13 mai, les chars allemands franchissent le fleuve à


la hauteur d’Anhée, où l’île de Houx sépare la Meuse en deux bras. Au
cours de la journée du 13 mai, ils passent également au niveau de
Monthermé. Les Allemands mettent alors en place des têtes de pont
capables de résister aux contre-attaques de la 9e armée.
Plus au sud, à la charnière entre la 9e et la 2e armée française, les stukas
mitraillent les Français qui ne sont pas équipés de DCA et ne bénéficient
d’aucun appui aérien. La 55e division d’infanterie du général Lafontaine
commence à perdre du terrain en arrière de Sedan, dans les bois de la
Marfée, avant d’être anéantie. Au cours de l’après-midi, la bataille fait
rage. La 2e armée, dont les contre-attaques s’avèrent impuissantes, est
bientôt sans nouvelles de la 9e armée. En dépit d’une résistance française
acharnée, les troupes allemandes réussissent à atteindre Sedan le soir
même.
Le 14 mai, le front est percé à Sedan, et bien que l’aviation française et
anglaise intervienne enfin, les Allemands conservent désormais la maîtrise
du sol comme celle du ciel. Le soir même, le général Guderian concentre
sur la Meuse la quasi-totalité de ses deux divisions blindées engagées à
Sedan, les 1re et 10e DB allemandes.
Les Allemands réalisent une brèche de 70 kilomètres de long de la
Sambre à l’Aisne, entre les deux armées françaises, et s’y engouffrent. Le
15 mai, le général Corap donne à ses hommes l’ordre de se replier (il est
remplacé par le général Giraud le lendemain), tandis que la 2e armée de
Huntziger, reculant jusqu’à la ligne Maginot, est éparpillée et a également
perdu toute force de frappe.
À partir de ce moment, les forces allemandes entament une progression
vers l’ouest.

Divisions 45 (dont 7 blindées et 3 29 (dont 3 blindées) 19


motorisées)
Le groupe • 4e armée (Kluge) • 18e armée
d’armées
• 12e armée (List) • 9e division de
rassemble :
• 16e armée (Busch) • 6e armée (von Reichenau)
• Groupement blindé du général • 26e corps blindé
von Kleist
• 16e corps d’armée (Hoeppner,
3e et 4e divisions de )

Divisions 22 (dont 2 motorisées) 35 19


Le groupe • 1re armée • 3e armée • 8e armée
d’armées
• 2e armée • 4e armée
rassemble :
• 7e armée (général Giraud) • 5e armée
• 9e armée
• Le corps expéditionnaire britannique
( , général Gort), qui
compte 7 divisions dont 1 mécanisée et 2
motorisées.


Le 18 mai, la capitale belge tombe aux mains des Allemands. Les
Français, affolés par la défaite de Sedan, commencent à retirer leurs
troupes du pays. Les armées belge et anglaise perçoivent ce retrait comme
un « , selon le témoignage du général
Olivier Derousseaux, l’un des chefs d’état-major du roi Léopold de
Belgique.
Les armées alliées de la France entament alors à leur tour leur retraite. Le
25 mai, alors que les Allemands ont réussi à prendre Bruxelles, Namur,
Louvain puis Anvers, le front tenu par l’armée belge s’effondre. Le
28 mai, le roi Léopold choisit de signer la capitulation de son pays.
Tandis que les forces alliées reculent vers le sud, les Allemands atteignent
la baie de Somme le 20 mai. Le général Weygand, qui a succédé à
Gamelin le 19 mai, tente d’organiser une nouvelle ligne de défense, mais
les Allemands bifurquent vers la côte. Bientôt, les 45 divisions des forces
alliées se retrouvent encerclées dans les Flandres et se replient vers la
mer, où elles se retrouvent bientôt prisonnières de la « poche de
Dunkerque ».
Les Britanniques mettent alors en place l’opération Dynamo, confiée à
l’amiral Ramsay, pour évacuer les soldats. Entre le 28 mai et le 3 juin,
200 000 soldats britanniques et 100 000 soldats français parviennent à
quitter Dunkerque pour rejoindre l’Angleterre. Puis la ville tombe et les
40 000 soldats qui n’ont pu embarquer sont capturés le 4 juin. Les
combats reprennent le 5 juin, mais la ligne de défense sur la Somme et sur
l’Aisne est rapidement percée.
Les Allemands continuent leur avancée vers le sud, tandis que des
centaines de milliers de Français prennent la route pour fuir l’avancée
ennemie. Le 11 juin, Paul Reynaud déclare Paris « ville ouverte », alors
que le gouvernement s’est replié vers Bordeaux. Le 12 juin, le général
Weygand ordonne la retraite générale. Paris, Lyon et Brest tombent aux
mains de l’ennemi entre le 14 et le 20 juin.
Les forces de la ligne Maginot doivent également capituler le 22 juin, jour
de la signature de l’armistice à Rethondes par le maréchal Pétain, qui a
pris la place de Reynaud le 17 juin à la présidence du Conseil. La
campagne de France s’achève, avec le triste bilan de 123 000 soldats
français tués et de plus de 1,5 million d’autres faits prisonniers.
La France entre alors dans l’une des périodes les plus sombres de son
histoire. Coupée en deux par une ligne de démarcation, elle passe le
10 juillet, pour quatre longues années, sous l’autorité du régime de Vichy.

La défaite de Sedan reste l’un symbole de cette campagne de France,


gagnée par les Allemands grâce à leur supériorité en matière de blindés et
à leur nouvelle stratégie de « guerre éclair ». La France ne s’était pas
préparée à une guerre de mouvement, en dépit des avertissements répétés
du colonel Charles de Gaulle. Celui-ci avait alerté à plusieurs reprises le
haut commandement et les autorités civiles sur la qualité du matériel
allemand et plus particulièrement de leurs chars54, mais il n’avait, hélas,
pas été écouté.
À l’été 1940, l’Angleterre est le seul pays d’Europe occidentale à n’être
pas tombé sous la coupe d’Adolf Hitler ou de ses alliés. Le nouveau
Premier ministre britannique, Winston Churchill, écarte toute idée
d’armistice et même la moindre négociation avec Hitler, qui considère
inadmissible qu’on puisse lui opposer la moindre résistance.

Les Allemands décident alors d’envahir l’Angleterre. Ils mettent sur pied
l’opération Seelöwe (« Otarie », en allemand), qui consiste en un
débarquement après avoir préalablement détruit les défenses côtières et
neutralisé la , l’armée de l’air britannique, pour s’assurer la
maîtrise du ciel. Le 30 juillet, le chef de la , Hermann Goering,
proclame le début d’une grande bataille aérienne contre l’Angleterre.
Les Allemands bénéficient d’une supériorité numérique : ils disposent de
1 000 chasseurs, de 1 200 bombardiers Junker, Dornier et Heinkel, ainsi
que de 280 bombardiers stukas et de 375 chasseurs-bombardiers Focke-
Wolfe et Messerschmitt. L’ensemble mobilise 10 000 pilotes et hommes
d’équipage. Le nombre de leurs appareils mis à contribution est alors
« limité » à environ 2 800 avions, car il s’agit de ne pas trop perdre de
matériel.
De leur côté, les Britanniques sont commandés par le maréchal de l’Air
Sir Hugh Dowling et ne disposent que de 850 chasseurs Spitfire (très
performants, dotés d’un moteur Rolls-Royce Merlin) et Hurricane, et de
3 080 hommes, répartis dans les 55 escadrons du Fighter Command.

La bataille d’Angleterre débute par une première phase appelée


« » du 10 juillet au 11 août, avec une série d’affrontements
au-dessus de la Manche consistant en l’attaque de navires britanniques
par les avions allemands. À partir du 12 août, alors qu’Hitler a reporté
l’opération d’invasion Otarie à la mi-octobre et décrète officiellement le
blocus de la Grande-Bretagne, l’offensive de la passe à la
seconde phase, baptisée « Adler » (« attaque de l’Aigle »). Elle
s’intensifie, prenant pour cible les bases aériennes britanniques et les
usines d’armement aérien.
Ce combat à outrance contraint les avions de chasse britanniques à de très
nombreuses sorties quotidiennes. Mais ceux-ci sont alors les seuls à
bénéficier d’une récente et très précieuse découverte : le radar, qui leur
permet de détecter l’arrivée des avions ennemis jusqu’à 200 kilomètres de
distance. De plus, les Anglais installent des ballons reliés au sol par des
filins d’acier permettant de trancher les ailes des avions ennemis qui
s’aventureraient trop bas. Les pilotes de la RAF se battent avec une rare
détermination, totalisant jusqu’à 500 sorties quotidiennes. Churchill leur
rend hommage le 20 août en déclarant : «

Voyant que la partie est mal engagée, Hitler lance le 7 septembre une
nouvelle forme d’offensive, cette fois sur la population. Les sites civils
sont bombardés afin de créer une atmosphère de terreur qui démoralise la
population, pouvant l’inciter à demander la reddition. Le 17 septembre,
le plan d’invasion est repoussé.
C’est le début du (« éclair », en allemand), qui concentre tous les
efforts sur les grandes villes anglaises : Londres, où dès le 7 septembre, on
dénombre plus de 400 victimes, Birmingham, Liverpool, Manchester,
etc., sont atrocement touchées par des bombes explosives ou incendiaires.
Mais les Britanniques tiennent bon. Ils sont soutenus par l’exemple de la
famille royale qui refuse de quitter la capitale et par le Premier ministre,
qui, dès le 13 mai 1940, soit trois jours après l’invasion de la France, les a
prévenus : «

Le 12 octobre, Hitler renonce définitivement à l’opération Otarie. Mais si


le plan d’invasion est abandonné, le est poursuivi encore de
nombreux mois. Début novembre, les raids deviennent nocturnes et
touchent également les ports et les sites industriels. Dans la nuit du 14 au
15 novembre, plus de 500 bombes, contenant une charge totale de 600
tonnes d’explosifs, sont déversées sur Coventry, anéantissant la ville et
tuant des milliers de personnes.

Il faut encore de nombreux mois de souffrance et d’horreur avant que les


Allemands ne choisissent d’abandonner la destruction des villes anglaises,
le 11 mai 1941, pour se consacrer à l’opération contre l’Union soviétique.
Mais désormais, les Allemands ont perdu le mythe de leur invincibilité, ce
qui aura de profondes répercussions psychologiques pour l’avenir de
l’Europe. Churchill a lui-même précisé : «
[…]

Le courage des Anglais l’a emporté, comme en témoigne d’ailleurs le


chiffre des pertes militaires enregistrées pendant la bataille d’Angleterre :
côté anglais, on dénombre 415 pilotes tués dans les combats aériens et
900 appareils abattus, tandis que, côté allemand, on enregistre la
disparition de près de 4 000 pilotes et de 1 700 appareils. Malgré les
pertes limitées du côté anglais (50 % de moins que pendant la campagne
de France), on déplore environ 50 000 victimes parmi les civils. Coventry
ravagée (15 000 victimes) et Londres (13 500 victimes) sont les villes les
plus touchées…
Ayant abandonné l’espoir de vaincre l’Angleterre, Hitler décide de
réaliser une autre de ses grandes ambitions : envahir l’Union soviétique.
L’échec de la face à l’Angleterre conduit Hitler à renoncer à son
plan d’invasion en octobre 1940, mais l’amène à envisager sérieusement
une autre conquête, plus importante encore, celle du territoire soviétique.
Berlin et Moscou ont signé le 23 août 1939 un pacte de non-agression
d’une durée de dix ans, qui comportait la clause secrète d’un nouveau
partage de la Pologne entre les deux pays. Mais Hitler est conscient que
sa puissance ne sera véritablement établie que s’il conquiert la totalité du
continent, et surtout, cet immense pays qu’est l’URSS.
Il pourrait ainsi agrandir son (« espace vital », en allemand) et
réduire en esclavage les Slaves, qu’il qualifie de « sous-hommes ». Il
pourrait aussi exploiter librement les abondantes ressources, tant
alimentaires du « grenier à blé » qu’est l’Ukraine que pétrolières dans le
Caucase, si nécessaires à la poursuite de la sur d’autres fronts.
Cette « guerre éclair » présente l’inconvénient d’engendrer une forte
dépendance au carburant pour les blindés, les avions et l’infanterie
motorisée.
De plus, Hitler se méfie de Staline, qui a profité de sa mainmise sur la
Pologne pour reprendre en juin 1940 les États baltes de Lituanie, de
Lettonie et d’Estonie. Staline a aussi envahi la Finlande dès l’automne
1939 (vaincue en mars suivant), puis a arraché la Bessarabie au pouvoir
bulgare. Enfin, Hitler estime que l’annexion de l’URSS par l’Allemagne
porterait le coup de grâce à la résistance britannique, qui serait alors
contrainte de négocier.
Les préparatifs de l’invasion s’accélèrent, mais Hitler est obligé de
reporter l’opération en raison des échecs rencontrés par les Italiens dans
les Balkans. C’est pourquoi, du 6 avril au 2 mai 1941, les troupes
allemandes envahissent la Yougoslavie et la Grèce afin d’y asseoir leur
domination et d’éviter de devoir affronter deux fronts au moment de leur
attaque sur l’URSS.

Les Allemands lancent l’opération Barbarossa (du nom de l’empereur


allemand Barberousse, au Moyen Âge) d’invasion de l’Union soviétique
avec plusieurs semaines de retard. Précisés par Hitler dès le début d’avril
1941, les objectifs initiaux sont au nombre de trois, respectivement
orientés vers le nord, le centre et le sud de la partie occidentale du
territoire soviétique. Il s’agit, d’une part, de conquérir les pays baltes, puis
de gagner la ville de Leningrad (actuelle Saint-Pétersbourg), seconde ville
d’Union soviétique et port d’attache de la flotte sur la Baltique. Il s’agit,
d’autre part, de se diriger vers la Biélorussie et de prendre Minsk, puis
d’atteindre Moscou, première ville et capitale de l’URSS Smolensk.
Enfin, il faut s’emparer de l’Ukraine et de sa capitale, Kiev, puis de la
Crimée et de la Moldavie, avant de gagner Rostov et le Caucase.

Divisions 26 51 59
Objectif Les États baltes et Biélorussie, puis Moscou Ukraine, puis
Leningrad Rostov

À l’aube du 22 juin, 5,5 millions de soldats allemands (ainsi que des


soldats roumains) franchissent la frontière soviétique. Pour cette
opération de grande envergure, Hitler a mobilisé près de 140 divisions,
dont 17 divisions blindées et 13 divisions motorisées, 3 800 chars et 5 000
avions (bombardiers et avions d’attaque stukas et chasseurs).
Les trois groupes d’armées progressent rapidement selon les axes prévus,
appliquant la . En trois mois, la plupart des objectifs de départ
sont atteints : la Biélorussie, Smolensk, une partie de l’Ukraine et les pays
baltes sont conquis en juillet, la Moldavie et le port de Crimée Odessa, en
août. Leningrad est assiégée à partir de décembre, alors que le groupe
d’armées Centre de von Bock se rapproche dangereusement de Moscou.
Ce siège durera 31 mois, causant la mort de 1,8 million de Soviétiques.
L’armée Rouge n’est pas prête au combat : les purges de 1938 ont décimé
l’état-major soviétique. Depuis, l’armée manque d’officiers, se trouve mal
commandée par des hommes inexpérimentés et ne bénéficie pas d’un
armement suffisant et de qualité.
C’est pourquoi, dès l’annonce de l’invasion de l’URSS, les États-Unis
étendent aux Soviétiques la loi prêt-bail mise en place au printemps 1941
pour soutenir l’Angleterre avec l’envoi de matériel militaire.
Le 3 juillet, Staline lui-même prend la parole pour encourager les
Soviétiques à se battre jusqu’au bout. Il encourage la guerre des partisans
et la tactique de la terre brûlée, et insère dans les rangs des soldats des
commissaires politiques chargés de punir toute tentative de repli. En
dépit de cette méthode « d’encouragement » radicale, les soldats, qui ne
disposent que d’un fusil pour deux, sont submergés par l’avancée
allemande, tandis que les populations sont régulièrement massacrées.
Il s’agit bien d’une guerre sans merci, et même d’extermination : toute
résistance est passible de mort et les populations juives sont
systématiquement exécutées. Quant aux prisonniers, leur sort n’est pas
plus enviable puisque, entre juin 1941 et février 1942, près de deux
millions d’entre eux périssent de faim, de maladies et de mauvais
traitements.

Mais l’hiver approche et les soldats allemands ne sont pas équipés pour
passer le terrible hiver russe. Leurs véhicules s’enlisent sur des routes
défoncées et gelées, et tombent en panne à cause du froid.
Staline a formé trois commandements confiés aux maréchaux Vorochilov,
Timochenko et Boudienny. Lorsque les troupes allemandes du général
Guderian parviennent à 20 kilomètres de Moscou, les généraux Joukov et
Rokossovski lancent une contre-offensive réussie le 6 décembre, qui
permet de sauver la capitale.
À la fin de l’année 1941, le bilan de l’opération Barbarossa est pourtant
assez satisfaisant pour l’Allemagne, dont les pertes (564 727 hommes au
8 octobre 1941) sont cinq fois moins élevées que celles des Soviétiques,
qui ne comptent plus que 2,2 millions de combattants.
Au printemps 1942, les Allemands intensifient à nouveau leurs attaques,
ralenties pendant l’hiver en raison du froid. C’est en direction du sud et
sud-est, vers le Don, la Crimée et surtout en direction du Caucase que se
dirigent cette fois les troupes allemandes.
Il est prévu de prendre la Volga et d’envoyer une division plus au sud de
l’URSS, vers Groznyï (actuelle capitale de la Tchétchénie, république
appartenant à la fédération de Russie) et Bakou (actuelle capitale de
l’Azerbaïdjan, ancienne république socialiste soviétique devenue
indépendante en 1991).
À partir du 28 juin, une nouvelle offensive est engagée, qui permet aux
Allemands de prendre Kharkov, un grand centre métallurgique, et de
s’avancer en Crimée et dans les terres situées entre le Don et la Volga.

Pendant l’été, Hitler change ses objectifs : le 23 juillet, il ordonne à une


partie de ses troupes de prendre la direction de Stalingrad, sur la rive
droite du fleuve Volga (d’où son nom actuel, Volgograd, la « ville de la
Volga »), avec ordre de soumettre la ville avant de rejoindre le Caucase.
Les régiments du sud doivent s’y consacrer, alors que la progression en
direction du Caucase est ralentie.
Le général Friedrich von Paulus, à la tête de la 6e armée, franchit le Don
et se rapproche de Stalingrad au mois d’août 1942. La 4e armée blindée
de Hoth, qui devait lui ouvrir la voie, reçoit l’ordre de gagner le Caucase.
Plusieurs officiers s’inquiètent de la décision du de prendre
Stalingrad, mais ce dernier rejette tout commentaire et limoge une partie
de son état-major qui refuse d’appliquer sa stratégie, dont le chef d’état-
major général Franz Halder et le général von Bock, qui dirigeait la 4e
armée de .
Hitler tient absolument à s’emparer de cette ville industrielle de la basse
Volga, qui s’étend sur 40 kilomètres et compte alors 600 000 habitants.
Ceci pour une double raison : en partie sans doute car elle porte, depuis
1925, le nom de « ville de Staline », et surtout parce qu’elle a l’avantage
de se trouver à un carrefour dont le contrôle permettrait de couper les
voies de ravitaillement soviétiques et de protéger l’offensive allemande en
direction du Caucase. Et outre un gros réseau de voies ferrées, cette ville
comprend d’immenses usines métallurgiques portant des noms à la
mémoire de la révolution de 1917 comme « Octobre rouge » ou
« Barricade ». L’une d’entre elles est spécialisée dans la fabrication de
chars T-34.
Le 5 septembre, la 6e armée de von Paulus atteint la banlieue de
Stalingrad. Les combats commencent et la résistance des habitants est
acharnée, Staline ayant exigé : « ». Le général
Tchouikov, à la tête de la 62e armée soviétique et chargé de défendre la
ville, fait disposer des pièges dans toute la ville et mobilise de nombreux
tireurs d’élite. Les combats se déroulent rue par rue, maison par maison,
car si les Allemands sont redoutables, les Soviétiques bénéficient, eux, de
la connaissance du terrain.
Le 21 septembre, les Allemands atteignent le centre de la ville, puis la
Volga cinq jours plus tard. Le 28, sont lancées des attaques contre les
usines au cours desquelles les soldats allemands ont la surprise de voir que
parmi leurs opposants figurent de nombreuses femmes, des ouvrières
d’Octobre rouge ou de Barricade…
À la fin du mois d’octobre 1942, les Allemands contrôlent une grande
partie de la ville, tandis que les Soviétiques sont pris en tenaille entre
l’ennemi et la Volga. Mais ils continuent à résister désespérément. Le
chef d’état-major soviétique, le général Georgi Joukov, est chargé des
opérations sur le Don et à Stalingrad, tandis que des commissaires
politiques, dont Nikita Khrouchtchev, le futur chef du Parti communiste
d’Union soviétique (PCUS), sont envoyés dans la ville pour s’assurer de la
combativité des assiégés. Staline fait venir des renforts de Sibérie
comprenant 200 000 hommes, dont une division d’élite, ainsi que du
matériel (DCA, chars T-34, artillerie).
Le 11 novembre, les soldats de von Paulus parviennent enfin à occuper la
ville, mais ils se retrouvent bientôt coincés à l’intérieur de Stalingrad,
alors que les troupes roumaines chargées de la protection des voies de
ravitaillement terrestres sont battues par deux divisions de l’armée Rouge.
Prêt à renoncer à la cité détruite aux 9/10e, Paulus reçoit pourtant l’ordre
de tenir à n’importe quel prix. Hitler s’acharne, invoquant l’importance
symbolique de cette ville, alors que la situation des Allemands est
dramatique. Manquant de vivres, ils se nourrissent de chats errants et
meurent de froid. Hitler leur fait parvenir des caisses… de décorations.

La défense soviétique a eu le temps de s’organiser et, le 19 novembre, les


Soviétiques lancent l’opération Uranus, sous le commandement du
général Joukov. Il s’agit d’une contre-offensive, menée à la fois au nord
par le général Rokossovski, au sud de la ville par le général Ieremenko, et
au sud-est par le général Vatoutine, soit au total 15 armées.
Immédiatement, sous la neige et dans un épais brouillard, l’artillerie russe
intervient avec les « orgues de Staline », des lance-fusées Katioucha
motorisés. Bientôt, la partie du front défendue par la 3e armée roumaine,
alliée de l’Allemagne, s’effondre, puis la 4e armée roumaine. Les soldats
allemands, qui sont depuis des semaines de moins en moins bien équipés
pour le froid et le combat, échouent à se dégager.
Le 23 novembre, les Soviétiques ont réussi à encercler les 22 divisions et
les 160 unités allemandes.

Contrairement aux assurances d’Adolf Hitler et Hermann Goering, la


n’est pas parvenue à assurer correctement le ravitaillement de la
6e armée. Elle n’a pu larguer que 120 tonnes par jour, au lieu des 500
tonnes nécessaires aux 300 000 hommes pris au piège. La tâche est
d’ailleurs quasi impossible, car un tel largage demande 250 rotations
quotidiennes face à la redoutable DCA soviétique. La voie terrestre reste
alors la seule solution pour le ravitaillement, mais les troupes du maréchal
von Manstein (élevé à cette distinction en juillet 1942 après sa victoire à
Sébastopol), qui attaquent Stalingrad le 12 décembre, échouent à opérer
leur jonction avec la 6e armée, située à 50 kilomètres de distance.
Début janvier, la pénurie est telle que Paulus donne l’ordre de ne plus
alimenter les blessés. Le 22, il avertit qu’il ne dispose plus de vivres ni de
munitions, mais Hitler refuse à nouveau toute capitulation. Après avoir
essuyé un dernier refus de la part du , qui préfère le faire maréchal
e
(!), le chef de la 6 armée décide de se rendre le 31 décembre.
Le 2 février, von Paulus, qui a perdu 200 000 hommes au combat (les
Soviétiques en ont perdu 50 000) et n’est plus entouré que de 91 000
survivants, capitule avec ses 24 généraux. Parmi les 120 000 hommes faits
prisonniers à Stalingrad, seuls 6 000 reviendront après la fin de la
guerre… Hitler, apprenant la reddition de ses troupes, se serait exclamé :
« Un jour de deuil national est décrété
à Berlin.
Le maréchal von Paulus, une fois prisonnier, va servir la propagande
soviétique en se joignant au « Comité de l’Allemagne libre » dénonçant
Hitler. En représailles, les nazis feront emprisonner sa famille.

La victoire des Soviétiques à Stalingrad constitue un tournant décisif dans


le déroulement de la Seconde Guerre mondiale. Désormais, la situation
évolue en faveur des Soviétiques : l’immensité de l’espace russe, la rudesse
des hivers, la détermination jusqu’à l’héroïsme des Soviétiques permettent
finalement de vaincre l’immense puissance de l’ennemi nazi.
À partir du début 1943, les Allemands ne cessent de reculer et sont
obligés de concentrer le maximum de leurs effectifs sur le terrible front
de l’est. Quant aux Soviétiques, ils ont gagné une immense popularité
dans le monde entier, ce qui permet désormais à Staline de traiter en
position de force avec ses alliés anglo-saxons.
Le bilan total des pertes subies au cours des six mois de combat, de l’été
1942 à la reddition de février 1943, atteint le chiffre terrifiant de
2 millions de morts, dont 1,2 million du côté des Soviétiques.
De peur d’être encerclées, les armées allemandes qui s’étaient avancées en
direction du Caucase choisissent dans un premier temps de se replier,
tandis que les Russes parviennent à reprendre Kharkov en février.
Toutefois, le maréchal von Manstein tente une contre-offensive et les
Allemands récupèrent Kharkov le 11 mars.
Fort de ce succès, von Manstein propose une nouvelle fois de contre-
attaquer sur un étroit secteur au nord du Caucase, le saillant de Koursk,
dans la région du Don, afin d’envelopper les 500 000 soldats de l’armée
Rouge placés à l’intérieur de ce saillant, au cœur des défenses allemandes.
En effet, Koursk, située à mi-chemin entre Orel et Kharkov, a été
soumise par les Allemands en novembre 1941, avant d’être reprise par
l’armée Rouge le 8 février 1943.


Le projet de von Manstein est accepté par Hitler le 15 avril 1943, en dépit
des réticences de nombreux officiers supérieurs, dont Guderian, devenu
inspecteur des . Le entend par cette opération
parvenir à effacer l’affront de Stalingrad et diviser la coalition alliée :
selon lui, un échec des Soviétiques ne manquerait pas de renverser la
situation et d’entretenir la rancœur de Staline qui demande avec
insistance l’ouverture d’un second front à l’ouest, que les Anglo-Saxons
tardent à mettre en place. Hitler attend donc beaucoup de cette bataille,
précisant : «

L’opération reçoit le nom de « Citadelle ». Prévue pour le 1er mai, elle est
retardée pour permettre aux forces blindées allemandes d’être équipées
des nouveaux chars Tigre et Panthère. La 9e armée du général Model,
appartenant au groupe d’armées Centre du général von Kluge et
concentrée dans la zone d’Orel, doit avancer jusqu’aux arrières de
Koursk. La 4e armée du général Hoth, du groupe d’armées Sud du
maréchal von Manstein et de Bielgorod, doit traverser le front de Voronej
et opérer une jonction avec la 9e armée au niveau de Koursk. Enfin, la 2e
armée allemande doit attaquer les Soviétiques sur le flanc ouest.
L’opération paraît simple car une centaine de kilomètres seulement en
moyenne sépare les deux extrémités du saillant de Koursk. Une attaque
conjuguée des armées du Centre venant du nord et des armées du Sud
doit suffire pour prendre en tenailles les Soviétiques.
Toutefois, les généraux soviétiques ont été informés de l’opération par
leur réseau de renseignements Lucy et ils ont eu d’autant plus le temps de
s’organiser que l’opération a été reportée de deux mois. Ils ont
préalablement placé des forces sur les flancs et à l’arrière du saillant,
tandis que dans le saillant même, huit zones successives de champs de
mines, de barbelés et de défense antichars avec des tranchées ont été
méticuleusement préparées. Le front de Koursk aurait été protégé par les
Soviétiques, par 1 500 mines antichars et 1 700 mines antipersonnelles
par kilomètre (soit quatre fois plus qu’à Stalingrad)…
De plus, les Soviétiques ont une parfaite maîtrise du terrain, qui est
encaissé, ce qui est un atout très important. Ils entendent épuiser les
Allemands par des combats incessants, avant de les détruire par des
contre-offensives aux environs d’Orel et de Bielgorod, créant ainsi un
immense front. Les généraux Rokossovski, sur le front central, et
Vatoutine, sur le front Voronej, sont chargés de la défense du saillant de
Koursk. Ils sont appuyés par d’importantes réserves commandées par le
général Koniev, sur le front de la steppe, l’ensemble des fronts étant
coordonné par le maréchal Joukov, représentant du haut commandement,
et le maréchal Vassilevski, chef d’état-major général.

Le 4 juillet, veille de la bataille, Hitler a pris soin d’exhorter une ultime


fois ses troupes : «
[…]

Les forces en présence sont légèrement inégales, les Soviétiques


bénéficiant d’un avantage en matière d’effectifs et d’armement. L’armée
Rouge compte 1,3 million d’hommes (moins de la moitié se trouve à
Koursk même, ce qui est un avantage pour encercler l’ennemi), 3 600
chars, 2 400 avions (de redoutables chasseurs Yakovlev Yak-9 et des
Iliouchine II « Stormovik » spécialisés dans la destruction des chars
ennemis) et 20 000 pièces d’artillerie (canons et mortiers), sous le
commandement de Joukov et Vassilevski. La dispose de près
d’un million d’hommes, de 2 700 chars (dont une centaine de nouveaux
chars Tigres Mark VI), de 2 000 avions et de 10 000 pièces d’artillerie,
dirigés par Kluge et Manstein. L’effort des Allemands est considérable
puisqu’ils consacrent à cette opération pas moins de 18 divisions, dont
près de la moitié des forces et la quasi-totalité des blindés sur le front de
l’Est.
La bataille voit s’opposer les deux armées à partir du 5 juillet. À l’aube, les
troupes de la déclenchent l’offensive, de part et d’autre du
saillant, mais elles se trouvent alors contraintes d’avancer face à une
violente attaque d’artillerie, préparée par les Russes. Ni les troupes
commandées par Manstein, au sud, ni celles qui sont sous les ordres de
Kluge, au nord, ne parviennent à progresser de plus d’une vingtaine de
kilomètres. La situation des Allemands n’est pas meilleure dans les airs :
en dépit de ses 3 000 sorties quotidiennes, la est régulièrement
mise en échec par l’aviation adverse.
Le 12 juillet, s’engage la plus importante bataille de blindés de l’Histoire,
au cours de laquelle s’affrontent 1 500 chars au total. Dans la plaine de la
Prokhorovka, le général allemand Hoth, avec 600 chars, se lance face à la
5e armée de la Garde du général Jadov et la 5e armée de blindés soviétique
commandée par le général Pavel Rotmistrov et équipée des redoutables
chars T-34. Le même jour, au nord de Koursk cette fois, les Soviétiques
commandés par le général Popov lancent une contre-attaque foudroyante
en direction d’Orel, principal bastion allemand depuis 1941.
Le général Rotmistrov témoignera plus tard : «
Les chars
s’entremêlent au point que l’aviation ne distingue plus l’ami ou
l’ennemi… Les Tigres ne peuvent faire face aux T-34 qui tirent à bout
portant. À l’issue de cette journée, les pertes allemandes s’élèvent à
10 000 hommes et plus de 350 chars.
Après cette terrible bataille et au bout d’une semaine de combats dans la
zone de Koursk, les effectifs des divisions blindées allemandes ont
considérablement diminué. Malgré d’immenses pertes dans chacun des
camps, l’armée Rouge n’a pas perdu de terrain, tandis que les Allemands
viennent de perdre ce qui constitue leur dernière grande offensive sur le
front russe.

Après quelques hésitations quant à l’engagement des forces restantes dans


la bataille, Hitler décide d’abandonner le 13 juillet et de redéployer des
forces en Italie, alors que les Alliés viennent de débarquer en Sicile. Cette
bataille de Koursk a coûté la vie à 120 000 Soviétiques et à 70 000
Allemands.
Les Allemands, qui ont perdu plus de chars qu’ils ne peuvent en produire,
vont désormais manquer d’hommes et d’armement de façon croissante.
Les Soviétiques, mieux armés et plus expérimentés, l’emportent
désormais rapidement, chassant les Allemands d’Orel dès le 5 août, puis
de Kharkov le 23 août. Ils poursuivent leur progression vers l’ouest et le
nord sur une ligne de front qui s’étend alors sur 1 500 kilomètres.
Quelques mois plus tard, cette ligne de front s’est élargie, allant du golfe
de Finlande à la mer Noire, ce qui s’avère bien trop large pour permettre
aux Allemands de combattre efficacement. À la fin de l’année 1943, ces
derniers ont reculé de 500 kilomètres par rapport à leur position un an
plus tôt.
Début novembre, les Soviétiques prennent Kiev, ouvrant ainsi la route
vers la Pologne et la Roumanie. En Crimée, Odessa est prise le 10 avril
1944. Bientôt, l’ouverture du second front à l’ouest, avec le débarquement
de Normandie du 6 juin, permet aux Soviétiques de libérer complètement
leur territoire. L’apport en armes et en matériel divers fournis par les
États-Unis, conjugué à la volonté soviétique, permet désormais à l’armée
Rouge de déferler sur les territoires de l’Axe de façon continue.

Georgi Konstantinovitch Joukov est né en 1896 dans la ville russe de


Kalouga, au sud-ouest de Moscou. Il est jeune apprenti-fourreur
lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Il s’engage alors en 1915
comme sous-officier aux Dragons de Novgorod, dans l’armée
impériale, où ses états de service lui valent d’être décoré de la croix de
Saint-Georges.
En 1919, il rejoint le parti bolchevique et participe à la guerre civile
dans les rangs de la cavalerie. Diplômé de l’Académie militaire
Frounze en 1931, il est conseiller militaire des Républicains pendant la
guerre d’Espagne. Il combat les Japonais dans la région du fleuve
Amour (Extrême-Orient soviétique) et les bat à Khalkin-Gol, en
Mandchourie (Chine), en août 1939. Il participe ensuite aux
opérations contre la Finlande entre fin 1939 et début 1940, avant
d’être nommé chef d’état-major de l’armée Rouge en février 1941.
Lorsque l’Union soviétique entre dans la Seconde Guerre mondiale, à
la suite de l’offensive allemande du 22 juin 1941, Joukov participe à la
défense de Leningrad, puis se voit confier celle de Moscou, dont il
organise la défense et la contre-offensive en octobre 1941. L’année
suivante, il intervient avec succès à Stalingrad à la fin de l’année 1942,
puis à Koursk en juillet 1943, une année au cours de laquelle ses
brillants faits d’armes le conduisent à être promu maréchal.
Au printemps 1944, à la tête de la 1re armée ukrainienne, il lance une
offensive victorieuse dans les Carpates et gagne la Tchécoslovaquie.
Puis, avec le 1er front de Biélorussie, il atteint la périphérie de
Varsovie en août (sans entrer dans la capitale polonaise avant janvier
suivant, selon les ordres de Staline), puis Berlin en avril 1945. C’est
dans la capitale allemande, au quartier général soviétique de
Karlshorst, que le maréchal Joukov reçoit la capitulation du maréchal
Keitel et des chefs des forces navales et aériennes allemandes, et signe
au nom du haut commandement soviétique.
À l’issue de la guerre, de 1945 à 1946, Joukov est chargé de la zone
d’occupation soviétique en Allemagne, puis du commandement de la
région d’Odessa, mais sa popularité conduit Staline à le destituer. Sa
carrière reprend après la mort de Staline en mars 1953 : il devient
ministre-adjoint, puis ministre de la Défense en 1955. Mais il est une
fois de plus écarté, cette fois par Khrouchtchev, en 1957. Exclu des
instances du Parti, il n’est réhabilité qu’en 1966.
Le maréchal Joukov décède en 1974 à Moscou.
Cette bataille, si importante pour le sort de la guerre, s’est déroulée tout
au long des six années du second conflit mondial. Elle débute le
3 septembre 1939 à la suite de l’entrée en guerre de la France et surtout
du Royaume-Uni, alliés de la Pologne envahie deux jours plus tôt par les
troupes allemandes.
Ce jour-là, l’ , un paquebot de 13 500 tonnes reliant Glasgow à
Montréal est coulé par un sous-marin allemand, ce qui entraîne la mort
de 112 personnes. Le 19 août précédent, l’état-major de la
aurait secrètement décidé de lancer le plus rapidement possible une
guerre sous-marine, donnant un rôle très important aux , les sous-
marins de l’ .

Cette bataille de l’Atlantique va rapidement devenir décisive car il s’agit


pour les puissances en guerre de s’assurer la maîtrise des mers et océans
afin de contrôler le ravitaillement de l’ennemi. Or, l’océan Atlantique, qui
relie les continents européen et américain, est d’une importance vitale
pour les Alliés. En 1939, les Allemands sont conscients de leur infériorité
en matière navale : leur flotte ne dispose que de 250 000 tonnes, alors que
la flotte française en détient 600 000 tonnes, et la Marine britannique 1
350 000 tonnes. Pour venir à bout des Alliés, les autorités allemandes
comptent, au début de la guerre, non seulement sur les bâtiments de
surface et les sous-marins de la , mais aussi sur les mines
magnétiques larguées par la . Avec le temps, ce sont les sous-
marins, plus efficaces, qui auront la préférence : au total, 1 500
seront construits, alors que l’Allemagne n’en comptait qu’une
cinquantaine au début de la guerre.
L’offensive allemande se fait sentir très rapidement, visant
essentiellement des bâtiments anglais : le 14 septembre 1939, l’
réussit à envoyer par le fond un qui venait de l’attaquer, mais trois
jours plus tard, le , un porte-avions de 22 500 tonnes, est
coulé au large des îles Hébrides. Le succès rencontré au début laisse
penser aux Allemands que la victoire est proche. Au cours des deux
premiers mois de la guerre, ils parviennent à détruire pas moins de
750 000 tonnes de navires marchands alliés.

De leur côté, les Britanniques bénéficient de radars sous-marins mais


moyennement performants en 1939 (l’ASDIC, futur SONAR). Ils
décident d’augmenter sensiblement la construction de destroyers (contre
les mines) et d’escorteurs, dont le nombre bien insuffisant ne leur permet
alors pas de faire face aux capacités de l’ennemi. Pourtant, le 17 décembre
1939, le cuirassé allemand , encerclé par une escadre
britannique, est contraint de se saborder au large de la baie de
Montevideo. C’est une grande victoire pour l’Amirauté britannique car le
était un redoutable navire de guerre qui avait déjà torpillé,
avec son jumeau le , 50 000 tonnes appartenant aux flottes
adverses, en l’espace de deux mois.
Les Britanniques tentent de contrôler le passage des sous-marins
allemands dans la mer du Nord, car ceux-ci doivent contourner les îles
britanniques pour gagner l’Atlantique.
Mais au printemps 1940, avec l’invasion de la France, la Grande-Bretagne
se voit privée de cette solution ainsi que du soutien de la Marine
française. La grande crainte de Londres est de voir l’importante flotte
française passer aux mains de l’ennemi, malgré les clauses de l’armistice
du 22 juin 1940 qui écarte cette possibilité. Il s’agit donc de la neutraliser.
Le 3 juillet suivant, a ainsi lieu le tragique épisode de Mers-el-Kébir. Les
bâtiments de la Marine française présents dans ce port d’Algérie sont
coulés par la , après que leur chef, l’amiral Gensoul, a refusé de
suivre les propositions de son homologue anglais, l’amiral Somerville, qui
consistaient à la fois à rejoindre les Britanniques, à se laisser désarmer et à
se désarmer sous contrôle. 1 300 marins français y trouvent la mort.

À cette même période, Hitler entend isoler l’Angleterre et l’amener à


devoir capituler en empêchant tout ravitaillement de l’île grâce aux
, les sous-marins allemands qui ont pour mission de couler tout
navire se rapprochant des eaux territoriales britanniques. Hitler espère
parvenir à envahir l’Angleterre, mais la résistance des Britanniques est
telle qu’il doit abandonner son projet d’invasion à l’automne (voir partie
VI, chapitre 2). À la fin de l’année 1940, seuls 26 ont été coulés,
mais l’Angleterre n’a pas été asphyxiée par le blocus.
En 1941, les attaques allemandes sur les navires anglais s’intensifient. Des
ports français, tels que Saint-Nazaire, sont aménagés et servent de bases
de départ pour les , ce qui permet d’éviter un long et dangereux
détour aux bâtiments qui partaient auparavant des côtes allemandes.
Bien que leurs pertes soient considérables, qu’ils restent seuls dans le
combat et qu’ils affrontent des pénuries de toutes natures, les Anglais
vont également infliger des dommages sérieux à la flotte allemande. Ainsi,
le 27 mai 1941, la réussit le tour de force de couler le cuirassé
, fleuron ultramoderne de la , au large de la rade de
Brest.
À la fin de l’année 1941, la situation évolue avec l’entrée en guerre des
États-Unis (voir partie VI, chapitre 5), redoutée par les Allemands. Pour
se protéger des contre-attaques alliées, les sous-marins allemands
attaquent groupés, « en meute », et de préférence la nuit pour éviter la
riposte aérienne.
Mais l’amiral Karl Dönitz, chargé de l’organisation de la guerre sous-
marine contre le Royaume-Uni, a obtenu de consacrer des crédits
supplémentaires pour de nouveaux sous-marins et, en 1942, il dispose de
250 . Les chiffres témoignant de leur efficacité sont terrifiants :
entre juillet et décembre 1942, ils auraient coulé chaque mois 500 000
tonnes en moyenne de bâtiments alliés. Fort de ce succès, Dönitz est
nommé chef de la en 1943.
Pourtant, le vent tourne dans cette bataille de l’Atlantique à partir de
cette année 1943. Les équipements des navires et des sous-marins alliés se
sont perfectionnés, notamment avec le sonar, l’amélioration des grenades
anti-sous-marines, l’augmentation de la capacité des avions alliés, à plus
grande capacité d’action et dotés de radars améliorés permettant des
attaques nocturnes, et la généralisation du convoyage. Mais surtout, les
Alliés ont réussi à déchiffrer les messages allemands grâce au succès de
l’opération Enigma.

Il s’agit sans doute de la plus formidable opération de déchiffrement


de l’Histoire. Réunis dans le plus grand secret pendant la durée de la
guerre à Bletchley Park, en Angleterre, des milliers de spécialistes,
mathématiciens, linguistes, et même des musiciens se consacrèrent au
décryptage des messages ennemis. Ils réussirent à percer le chiffre de
la machine à coder allemande, , fonctionnant avec des disques
de codage qui pouvaient être changés. Cette machine était utilisée par
l’amiral Dönitz pour communiquer avec sa flotte dans l’Atlantique, et
plus particulièrement avec ses .

Désormais, de même que sur les fronts terrestres, les forces allemandes
accumulent les pertes en mer : du printemps 1943 au printemps 1945,
plus de 300 sont coulés par les flottes alliées, qui voient leurs
pertes chuter considérablement.
La bataille de l’Atlantique prend fin le 8 mai 1945, le jour de la
capitulation de l’Allemagne, et après que l’amiral Dönitz, désigné par
Hitler avant de mourir comme son successeur, a tenté sans succès de
négocier une paix séparée avec les Alliés de l’Ouest.
Le bilan de cette bataille est bien lourd : les Britanniques comme les
Allemands déplorent chacun la perte de 30 000 marins. La Grande-
Bretagne a vu couler près de 3 000 de ses bâtiments, tandis que
l’Allemagne a perdu un total de 781 et la plupart de ses bâtiments
de surface. Quant aux alliés des Britanniques (notamment les Canadiens)
ainsi que les pays neutres attaqués par la flotte allemande, ils dénombrent
un total de 15 000 victimes et de 3 000 navires détruits.
Les relations américano-japonaises se sont nettement dégradées tout au
long de l’année 1941.
Les États-Unis demeurent isolationnistes, bien que leur président,
Franklin Delano Roosevelt, soutienne les Britanniques et les Soviétiques
grâce à la loi prêt-bail votée le 11 mars 1941. Roosevelt s’inquiète de la
tournure des événements en Europe et est persuadé que les États-Unis
doivent entrer dans la guerre afin d’anéantir les nazis. Il signe même en
août 1941 la « Charte de l’Atlantique » à Terre-Neuve, avec le Premier
ministre britannique Churchill, qui dénonce la tyrannie nazie et défend
notamment la liberté des mers… ce qui peut évoquer l’Atlantique, mais
aussi le Pacifique.
En effet, les Japonais, alliés des Allemands et des Italiens depuis le
27 septembre 1940, ont des visées expansionnistes auxquelles s’oppose
Washington. En 1931, les Japonais ont conquis la Mandchourie, puis en
1937, une partie de la Chine. Au mois de juillet 1941, ils ont pris pied en
Indochine, alors colonie française.
Leur objectif est de constituer une zone de coprospérité exclusive en Asie
du sud-est tout en écartant toute présence ou influence des puissances
occidentales. Ils ont même pris la précaution de conclure, le 13 avril
1941, avec Moscou un pacte de neutralité valable cinq ans. Le 2 juillet
1941, une conférence de l’empereur Hiro-Hito fixe l’expansion japonaise
en direction du sud. Les États-Unis ne peuvent admettre cette politique
et imposent, avec le soutien de la Grande-Bretagne, un embargo pendant
l’été, coupant les relations commerciales avec le Japon et pénalisant ce
dernier en matière d’approvisionnement pétrolier, mais aussi de zinc, de
minerai de fer, de bauxite, de manganèse, indispensables à la poursuite
des conquêtes japonaises. Il s’agit là de mesures jugées inadmissibles par
Tokyo.
En octobre suivant, le général Tojo, partisan de l’entrée en guerre du
Japon, devient Premier ministre, ce qui va contribuer à accélérer les
événements. Le Japon ne veut pas être freiné dans sa conquête de la
Chine et de l’Asie du sud-est, et se tient prêt à défendre ses intérêts par la
force contre les Américains.
L’amiral Yamamoto, le chef d’état-major de la Marine japonaise, qui a
vécu aux États-Unis, est tellement persuadé de leur supériorité militaire
qu’il préconise une frappe préemptive afin de neutraliser leur flotte du
Pacifique.
Il s’inspire de l’attaque japonaise sur Port-Arthur (Chine du Nord) en
1904, ainsi que de celle, plus récente, des Britanniques qui ont lancé avec
succès des avions partis du porte-avions l’ contre des bâtiments
italiens dans le port de Tarente, le 11 novembre 1940. Il monte ainsi un
scénario de raid sur la plus importante base navale américaine dans le
Pacifique. Celle-ci est située à Pearl Harbor, sur l’île d’Oahu, dans
l’archipel des Hawaï, à 5 500 kilomètres des côtes japonaises. Le « plan
Z » de Yamamoto nécessite une longue préparation des pilotes de
l’aéronavale et la mise au point de torpilles capables d’agir en eau peu
profonde.
À partir du 26 novembre 1941, la flotte navale d’assaut commandée par
l’amiral Chuichi Nagumo quitte la base navale japonaise à Etorofou, dans
les îles Kouriles. Elle comprend 6 porte-avions (l’ , l’ , le ,
le , le et le ) dotés de plus de 400 avions de combat,
2 cuirassés rapides, 3 croiseurs lourds, 9 destroyers et 8 pétroliers, ainsi
que 26 sous-marins transportant 5 sous-marins de poche devant entrer
dans la base de Pearl Harbor. Passant par le Pacifique Nord, loin des
routes traditionnellement fréquentées, elle attend les ordres.
Le 2 décembre, l’amiral Nagumo reçoit le message «
» qui lui donne l’ordre d’attaquer Pearl Harbor. Deux jours plus
tard, la flotte change de cap vers le sud afin de se rapprocher de sa cible
jusqu’à 250 000 milles de distance.

C’est au matin du 7 décembre 1941 que les Japonais attaquent Pearl


Harbor. La première vague japonaise, comprenant 183 appareils (49
bombardiers d’altitude, 51 bombardiers en piqué, 40 avions-torpilleurs et
43 chasseurs Zéro), s’envole aux environs de 6 heures du matin. Alors
qu’elle a parcouru près de 500 kilomètres et qu’elle parvient à proximité
des côtes japonaises, son chef, le commandant Mistuo Fuchida, envoie le
code « » (« tigre » en japonais) à l’amiral Nagumo, lui
signalant que l’opération a commencé.
Il est 7 heures 56 du matin lorsque les bombardiers japonais ouvrent le
feu à la fois sur la base aérienne d’Hickam, au sud de la rade, détruisant
rapidement au sol les bombardiers et avions de chasse américains, et sur
l’île Ford, au centre de la baie, où les bâtiments américains sont ancrés
deux par deux. La rade de Pearl Harbor comprend 96 bâtiments
américains au mouillage, dont 8 cuirassés.
Cette attaque surprend complètement les soldats américains qui croient
tout d’abord à un exercice, puisqu’ils n’ont pas été mis en état d’alerte. En
outre, l’attaque a lieu un dimanche et survient au moment du changement
de quart. Très vite cependant, le contre-amiral Bellinger les informe que
ce n’est pas un exercice… Il est presque 8 heures.
C’est ainsi que, sous un déluge de feu, cinq cuirassés sont éventrés par des
bombes et des torpilles. L’ reçoit plusieurs torpilles et coule
avec 400 marins à son bord. Le est éventré par deux bombes et
une torpille, mais ne coule pas et finit par s’échouer. L’ reçoit
plusieurs bombes, dont une de 800 kg à l’avant, et une autre dans sa
cheminée, et explose car sa soute à munitions a été touchée, 1 177 marins
y perdant la vie. Le et le , touchés eux aussi par
des torpilles, s’enfoncent. Le , le , ainsi que le
sont également endommagés, mais ne sombrent pas.
Cette première attaque a duré près de 50 minutes lorsque survient la
seconde vague d’assaut japonaise composée cette fois de 176 appareils
japonais (86 bombardiers en piqué, 54 bombardiers en altitude et 36
chasseurs Zéro). Or, la plupart des pilotes américains ne peuvent décoller,
presque tous les avions ayant été détruits au sol. Les quelques appareils
qui parviendront à s’envoler détruiront 11 avions japonais. La DCA
parvient cependant à gêner les assaillants et à abattre elle aussi plusieurs
avions ennemis.
À 9 heures 45, l’assaut est terminé. Le bilan est très lourd pour les
Américains, qui dénombrent environ 2 300 morts et 1 200 blessés, ainsi
que 18 navires américains détruits ou gravement endommagés : les 7
cuirassés présents dans la rade ont été touchés, ainsi que les croiseurs
, et , le destroyer , le mouilleur de mines
, le navire-cible , et 2 navires-ateliers. De plus, 347 avions
(dont 50 % des bombardiers B-17) ont été détruits.
De son côté, l’assaillant nippon n’a perdu que 55 hommes, 29 avions et
ses 5 sous-marins de poche. L’opération organisée par l’amiral Yamamoto
est un grand succès pour le Japon, mais une catastrophe pour les
Américains.
Seule consolation pour les Américains : les trois porte-avions de la flotte
du Pacifique, l’ , le et le , n’étaient pas présents
dans la rade au moment de l’attaque. Après cette attaque, outre les trois
porte-avions, il ne reste à la flotte américaine du Pacifique qu’une
quarantaine de destroyers, une quinzaine de croiseurs et une quinzaine de
sous-marins. Six des huit cuirassés victimes de l’attaque pourront
néanmoins être réparés.

Ce n’est que trois heures après le début de l’attaque que le gouvernement


japonais transmet une déclaration de guerre officielle aux autorités
américaines. Le lendemain 8 décembre à midi, le président Roosevelt se
rend au Congrès et, au cours d’un discours de huit minutes, rappelle la
tragédie de la veille : «

» Après avoir retracé les


multiples étapes de l’agression japonaise en Asie, Roosevelt ajoute : «
, appelant de toutes
ses forces le peuple américain et le Congrès à quitter leur traditionnel
isolationnisme pour répondre immédiatement à l’agression nippone avant
qu’il ne soit trop tard.
Une heure plus tard, le Congrès américain, convaincu de la grave menace
pesant sur le peuple, le territoire et les intérêts américains, vote à
l’unanimité l’entrée en guerre des États-Unis contre le Japon. La
Grande-Bretagne et les Pays-Bas suivent l’exemple américain le jour
même. Trois jours plus tard, l’Allemagne et l’Italie, pays alliés du Japon,
déclarent à leur tour la guerre aux Américains. Désormais, la guerre est
véritablement « mondiale ».
Trois jours après le raid sur Pearl Harbor, le commandant en chef de la
flotte du Pacifique, l’amiral Husband Kimmel, est limogé. Ce dernier se
défend en évoquant la possibilité que le président Roosevelt ait
délibérément laissé attaquer Pearl Harbor pour rompre l’isolationnisme
de l’opinion publique américaine. Certes, des informations ont confirmé
que Washington savait qu’une attaque japonaise se préparait, grâce au
déchiffrement des codes de diplomates japonais, y compris le 7 décembre
au petit matin, parlant « d’heure limite » sans davantage de précision. Ni
le lieu ni la date n’aurait été précisé dans ces messages. En dépit de
l’inquiétude suscitée par le dernier message capté par les Américains, la
base navale de Hawaï n’avait pas été mise en état d’alerte pour des
problèmes techniques car le câble de l’armée n’aurait pas fonctionné le
matin du 7 décembre.
Quelques jours avant l’attaque sur Pearl Harbor, le chef de l’Amirauté,
l’amiral Harold R. Starck, avait affirmé qu’il était probable qu’une
offensive se déroule dans les Philippines, la Malaisie ou Bornéo.
L’autre raison invoquée est que les trois porte-avions de la flotte avaient
été envoyés loin de la base au moment de l’attaque. Faut-il en déduire que
le président savait ? Les preuves manquent pour que les historiens
puissent répondre par l’affirmative.
Car si l’on comprend très bien l’enjeu de cette entrée en guerre des États-
Unis, à une période où s’affirme en Europe toute la puissance nazie, on
peut aussi imaginer le désarroi d’un président quant à la décision de
sacrifier la vie de tant de compatriotes et de laisser couler des bâtiments
qui allaient nécessairement manquer après l’entrée en guerre.

Fils d’instituteur, Isoroku Yamamoto naît en 1884 à Nagaoka. Il


s’engage dans la Marine japonaise en 1900 et, remarqué pour ses
capacités intellectuelles particulières, est envoyé à l’université
américaine Harvard en 1917.
Sa maîtrise de la langue anglaise lui permet d’être nommé à
Washington en tant qu’attaché de marine en 1927. Il découvre alors
les États-Unis et l’aviation, prenant des cours de pilotage.
Revenu au Japon, il devient en 1936 vice-ministre de la Marine puis,
en août 1939, chef de la flotte combinée (les forces aéronavales). C’est
à ce titre qu’il organise avec succès l’attaque japonaise sur Pearl
Harbor en décembre 1941, car il estime nécessaire une attaque
préemptive contre les États-Unis pour neutraliser leur flotte du
Pacifique tout en les forçant à entrer en guerre.
L’amiral Yamamoto remporte ensuite de nombreuses victoires dans le
Pacifique, mais est battu par les Américains à Midway en juin 1942.
Homme admiré et respecté, l’amiral Yamamoto disparaît en plein ciel
en 1943, son avion ayant été abattu au-dessus des îles Salomon.

Dans un premier temps, les Japonais accumulent les conquêtes très


rapidement, d’autant que le président Roosevelt a choisi de privilégier
l’intervention de ses forces sur le front européen. Mais peu à peu, la
supériorité industrielle et militaire des Américains va faire la différence, y
compris dans le Pacifique où l’on voit au cours de l’année 1943 le rapport
de force se renverser au bénéfice des États-Unis.

la Mandchourie.
la Chine.
l’Indochine (française).
Hong Kong (britannique), les îles Guilbert, Guam et
Wake et Midway (américaines), la Malaisie, Formose (actuelle île de
Taïwan), Bornéo (britannique), la Thaïlande.
les Philippines.
Singapour (britannique).
la Birmanie (britannique), les Indes néerlandaises (actuelle
Indonésie).
les îles Aléoutiennes et la Nouvelle-Guinée.
île de Guadalcanal.
: le Japon menace directement l’Inde et l’Australie.
La guerre en Afrique du Nord a commencé le 16 septembre 1940 par une
attaque italienne à Sidi-Barrani contre les troupes britanniques présentes
en Égypte. Mais rapidement, les troupes italiennes du maréchal Graziani
sont dépassées par les Anglais. Ceux-ci lancent en décembre suivant une
offensive en direction de la Libye, remportant notamment une victoire à
Benghazi, et gagnent Tobrouk. En deux mois, les Italiens ont été
poursuivis sur 1 200 kilomètres à travers l’Afrique du Nord…
Simultanément, un autre corps d’armée britannique prend les autres
colonies italiennes de Somalie, d’Éthiopie et d’Érythrée. Hitler décide
alors d’envoyer deux divisions en Libye, afin de venir en aide à ses alliés
italiens.


À la mi-février 1941, l’ commandée par le général Erwin
Rommel, comprenant alors la 5 division légère et la 15e
e
,
débarque à Tripoli, la capitale libyenne. Elle a été constituée le 20 janvier
1941 pour contrer la 8e armée britannique qui vient de s’emparer de la
Cyrénaïque.
L’ , qui dénombre alors 20 000 hommes, entame avec succès la
campagne de Libye et parvient à repousser les Anglais vers l’est, en
Égypte. Rommel est conscient que les Anglais sont affaiblis par l’envoi de
troupes en Grèce et bien qu’il n’oppose que 174 chars face aux 724 chars
anglais, il dispose de terribles canons de 88. Une contre-offensive
britannique, appelée « » (« Hache d’armes »), est lancée le
15 juin mais échoue. L’ avance vite, mettant à profit le matériel
et appliquant régulièrement avec succès les tactiques de diversion et
d’encerclement. Peu à peu, Rommel gagne une réputation d’invincibilité
et reçoit le surnom de « Renard du désert ».
Il parvient à Tobrouk, un port qui revêt une grande importance
stratégique car il permet l’approvisionnement des Britanniques et détient
notamment une usine de distillation d’eau douce (180 000 litres par jour),
si précieuse pour la guerre dans le désert. En outre, Rommel ne peut
prendre le risque de laisser Tobrouk aux mains des Anglais. Cela
fragiliserait son flanc gauche alors qu’il entend poursuivre vers l’Égypte.
Aussi entame-t-il le siège de la ville le 11 avril 1941. Mais celle-ci tient
bon : fortifiée, elle est défendue par la 9e division australienne et
ravitaillée par la mer grâce aux Britanniques. Churchill a donné pour
instruction aux défenseurs de Tobrouk de tenir «
. Jusqu’au 4 mai, Rommel tente la percée de Tobrouk, mais ses
effectifs sont alors trop faibles.

Cette avancée de l’ suscite de terribles craintes chez les Alliés.


En effet, l’enjeu est de taille pour Churchill car il s’agit d’empêcher les
Allemands de gagner le canal de Suez et les pays du Moyen-Orient, dont
le pétrole est si important pour les Alliés.
L’armée anglaise comprend à la fois des Britanniques, des Australiens, des
Indiens, des Sud-Africains, des Français, des Grecs, etc., regroupés pour
former la 8e armée. En dépit de ses échecs précédents, elle lance
l’opération Crusader le 18 novembre 1941, consistant à repousser
l’ennemi qui continue d’avancer. Il s’agit de se diriger en direction de
Tobrouk et de tenter d’opérer une jonction entre la garnison de la ville,
qui réaliserait une percée, et les troupes britanniques de la 8e armée.
Très rapidement, les pièges antichars allemands détruisent les blindés
britanniques. Rommel lance une contre-offensive, mais il est bientôt
victime d’une pénurie de matériel. Il doit donc se replier au début de
décembre et abandonner momentanément Tobrouk, avant de pouvoir
contre-attaquer à nouveau le 21 janvier. La 8e armée est alors contrainte
de se retirer jusqu’à une position allant de la côte à Bir-Hakeim.
En janvier 1942, Rommel est placé à la tête de la , qui
comprend non seulement l’ , mais également les 10e et 31e
corps d’infanterie italiens et le 20e corps motorisé et blindé italien. À la
fin de mai 1942, juste avant de passer à l’attaque, l’ compte
90 000 hommes, 320 chars allemands et 240 chars italiens de moindre
qualité, devant faire face aux 100 000 Britanniques dotés de près de 900
chars.

Le 26 mai 1942, Rommel lance une nouvelle attaque massive vers l’est, en
direction du canal de Suez. L’opération Venezia consiste à gagner le sud
de Bir-Hakeim (en Libye, à 60 kilomètres au sud de Tobrouk), puis à
rejoindre le nord vers Tobrouk. L’objectif est d’encercler les Anglais par
l’est et de s’emparer de Tobrouk. Après avoir réussi à détruire deux
brigades d’une division indienne et à faire 4 000 prisonniers, Rommel
ordonne l’attaque de Bir-Hakeim le 1er juin.
Cependant, les troupes britanniques, sous les ordres du général Claude
Auchinleck, parviennent à se replier, grâce à la courageuse résistance des
Forces françaises libres (FFL) commandées par le général Koenig et qui
ont réussi à tenir leur position à Bir-Hakeim jusqu’au 10 juin. Quant aux
hommes de Koenig, après huit jours de bataille acharnée, ils ont réussi à
opérer une percée dans les lignes allemandes et à rejoindre leurs alliés
anglais.
Mais la 8e armée doit se retirer au-delà de Tobrouk et la ville,
abandonnée, tombe le 21 juin. Rommel fait 30 000 prisonniers et
récupère les nombreux véhicules et le carburant découverts dans la ville.
Hitler, satisfait, le nomme maréchal.


Les Anglais parviennent jusqu’à El-Alamein, en Égypte, à une centaine de
kilomètres avant Alexandrie et le delta du Nil. Afin de tenter de bloquer
l’avancée allemande, ils s’installent derrière une ligne de défense qui
s’étend sur 65 kilomètres de long, bordée au nord par la mer
Méditerranée et au sud par la dépression de Qattara, une zone
marécageuse. La vie dans le désert est rude : une forte chaleur le jour, le
froid pendant la nuit, les tempêtes de sable, la dysenterie et les insectes
peuplant les marécages empoisonnent le quotidien des soldats.
Les divisions blindées de Rommel, qui ne comptent plus qu’une centaine
de chars moitié allemands, moitié italiens, arrivent le 30 juin à El-
Alamein. Dès le 1er juillet, ne voulant pas laisser à leur adversaire le temps
de s’organiser, les Allemands tentent une offensive. Mais malgré de
nombreuses pertes dans les deux camps, celle-ci prend fin le 27 juillet sans
que ni les Allemands, ni les Britanniques n’aient réussi de véritable
percée. Dans les deux camps, des tranchées sont alors creusées et l’on
multiplie les champs de mines et les barbelés… À la fin juillet, Rommel
reçoit de nouveaux chars (210 blindés allemands, 300 italiens) qui doivent
l’aider à faire face au millier de chars britanniques.

Le 30 août 1942, la bataille d’Alam Halaf est déclenchée. Rommel échoue


de nouveau à encercler son adversaire, car ses véhicules s’enfoncent dans
le sable mou, notamment dans la dépression de Qattara, alors que
l’aviation britannique (la ) ne cesse de les assaillir.
Le 3 septembre, Rommel préfère renoncer et se retire à nouveau sur le
côté de la ligne opposé aux Anglais. Les deux camps, qui ont une nouvelle
fois perdu beaucoup d’hommes, morts ou faits prisonniers, choisissent de
se préparer plus minutieusement.

En juillet, Churchill a remplacé le général Auchinleck, commandant des


forces alliées au Moyen-Orient, par le général Harold Alexander. Il confie
également le commandement de la 8e armée britannique au général
Montgomery, qu’il qualifie de « . Cette initiative
s’avère judicieuse car dès son arrivée, le général s’emploie à remonter le
moral de ses hommes, à les entraîner méticuleusement et à préparer avec
soin une contre-offensive, ceci d’autant plus qu’il sait la 8e armée
supérieure en effectifs et en armement. En effet, les Britanniques
comptent 200 000 hommes et 1 000 chars (dont 250 nouveaux chars
américains Sherman M4), 1 400 canons antichars et 1 200 pièces
d’artillerie, ainsi que 750 avions. L’ dénombre 104 000
hommes, 490 chars, 750 canons antichars, 470 pièces d’artillerie et 350
avions et, contrairement aux Britanniques, manque de carburant et de
munitions.
Le 30 septembre 1942, deux brigades appartenant à la 44e division
britannique attaquent des positions allemandes dans le secteur de
Munassib. Cette opération ne vise toutefois qu’à tester les lignes de
défense allemandes à El-Alamein et ne constitue pas la véritable offensive.
Celle-ci, nommée opération « Lightfoots » (« pieds légers ») est lancée
par Montgomery trois semaines plus tard. Avant de lancer ses troupes à
l’assaut, Montgomery s’adresse à ses hommes : «

La bataille, qui va durer onze jours, commence au soir du 23 novembre, à


21 heures 40 précises, par une nuit de pleine lune afin de bénéficier d’une
meilleure visibilité. L’attaque débute avec un terrible bombardement,
pour lequel les Britanniques ont mobilisé un millier de pièces d’artillerie.
Puis les soldats britanniques partent à l’assaut de l’ennemi, dans un désert
de sable et de cailloux. Les hommes de la 8e armée franchissent
successivement les barrages d’artillerie mis en place par les Allemands,
dont le dispositif s’étend sur 56 kilomètres de long et 12 kilomètres de
profondeur. Les démineurs se chargent de délimiter le chemin le long des
8 kilomètres de champs de mines antichars allemands, une zone
surnommée « le jardin du diable ».
À 22 heures, l’infanterie entre en action, baïonnette au canon, pour ouvrir
la voie aux blindés. Interviennent ainsi la 517e division de Highlanders, la
1re division néo-zélandaise et la 1re division sud-africaine, appuyées au
nord par la 9e division australienne et au sud par la 44e division indienne.
C’est sur le secteur nord que doivent se porter les principaux efforts,
tandis que l’offensive dans la partie sud, qui consiste en une opération de
diversion, a pour mission de fixer les réserves blindées ennemies.
Des Allemands et des Italiens combattent face aux Britanniques : au nord,
le 21e corps d’armée italien, la division blindée italienne « Littorio » et la
15e division de , et au sud, le 10e corps d’armée italien, la division
blindée « Ariete » et la 21e division de .
L’offensive alliée dans le secteur sud se déroule favorablement. Mais
l’offensive dans le secteur nord, à proximité de la côte, est bien plus
difficile. Rommel, souffrant, revient d’Allemagne au plus vite pour
remplacer le général Stumme qui a succombé à une crise cardiaque le
24 octobre. Il renforce sa résistance au nord, y plaçant ses meilleures
troupes, mais voit diminuer dangereusement le nombre de ses chars, qui
ne sont déjà plus que 300, tandis que ses troupes sont usées par les
attaques incessantes des Anglais. Ces derniers auraient en outre réussi à
connaître les intentions des Allemands grâce au déchiffrement des codes
ennemis.
Montgomery raconte dans une lettre à sa femme, le 31 octobre : «

. Le 2 novembre, Montgomery lance une nouvelle


offensive, baptisée « Supercharge », menée par les 1re et 10e divisions
blindées britanniques et la 2e division d’infanterie néo-zélandaise. Il s’agit
de combattre, non plus aux extrémités nord ou sud, mais sur les lignes à
l’intérieur des terres car elles sont moins bien défendues. En dépit de la
résistance allemande dont les blindés sont décimés, l’infanterie
britannique et les chars, appuyés par l’aviation, réussissent à opérer une
percée dans les défenses allemandes, le 4 novembre.
Rommel a reçu l’ordre de tenir à n’importe quel prix, mais prévoyant un
effondrement total, il décide alors de battre en retraite, avec pour faible
appui la vingtaine de chars encore en état de marche.
La bataille finie, les armées déplorent les nombreuses pertes survenues
dans chaque camp : les Britanniques ont perdu 4 160 hommes et les
Allemands 2 300, auxquels s’ajoutent 3 000 hommes faits prisonniers par
la 8e armée.

Bernard Law est le fils d’un évêque anglican, né à Londres en 1887.


Après un passage au Royal Warwickshire Regiment, il participe à la
Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il se distingue dans
ses fonctions de commandant de peloton. Il est décoré et finit la
guerre comme lieutenant-colonel.
Au cours de l’entre-deux-guerres, il enrichit ses connaissances
militaires en servant à l’état-major dans la 2e division de Plummer.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il est nommé à la tête de
la 3e division et réussit en 1940 à évacuer à Dunkerque. Il commande
ensuite un corps d’armée en Angleterre, chargé de la défense du sud-
est du territoire. Puis il se voit confier le commandement de la 8e
armée britannique en 1942, qui combat en Afrique du Nord.
Après la victoire d’El-Alamein contre l’ de Rommel, en
Égypte, en octobre 1942, il avance avec succès en Libye, où il est
rejoint en février 1943 par les troupes françaises du général Leclerc.
Puis il arrive en Tunisie, où il fait capituler les forces italiennes et
allemandes, en mai suivant. Il fait ensuite débarquer sa 8e armée en
Sicile en juillet, puis en Italie en septembre, avant de rejoindre
l’Angleterre pour participer aux préparatifs du débarquement allié sur
les côtes françaises.
Lors de l’opération Overlord de juin 1944, Montgomery est à la tête
des forces terrestres, sous le haut commandement du général
américain Eisenhower. Après le succès de cette opération, il a ensuite
sous ses ordres le 21e groupe d’armées anglo-canadien, qu’il mène au
nord de la France, puis en Belgique.
Parvenu aux Pays-Bas, Montgomery échoue contre les Allemands à
Arnhem en septembre 1944. Il continue néanmoins jusqu’en
Allemagne, contribuant à encercler l’ennemi dans la Ruhr, puis
barrant la route aux Soviétiques qui pourraient être tentés de
poursuivre leur avancée jusqu’au Danemark.
Le 4 mai 1945, Montgomery reçoit la reddition des armées
allemandes du Danemark, des Pays-Bas et des îles Frisonnes. En
remerciement des immenses services rendus pendant la guerre, le roi
George VI le fait premier vicomte Montgomery of Alamein.
La guerre achevée, il sert comme chef d’état-major général et adjoint
au commandant suprême des forces atlantiques en Europe de 1951 à
1958.
Sir Montgomery décède en 1976 à Isington Mill, dans le Hampshire.

La victoire alliée à El-Alamein change complètement la situation au


profit des Alliés, d’un point de vue non seulement militaire, mais
également psychologique. Elle redonne confiance à des soldats qui
avaient auparavant dû reculer devant le « Renard du désert ». Elle s’avère
décisive car, d’une part, elle marque le début de la reconquête des Alliés
en Afrique du Nord et, d’autre part, elle oblige les Allemands à renoncer
à gagner le Moyen-Orient et ses ressources pétrolières.
Au même moment, sur le front russe, la 6e armée de von Paulus s’enfonce
dans le bourbier de Stalingrad, une autre défaite qui va également priver
les Allemands de l’accès au pétrole, cette fois du Caucase. Montgomery,
le vainqueur du « Renard du désert », accède au rang de héros.
Aidé par le mauvais temps et la méfiance des Britanniques qui ont tardé à
se mettre à sa poursuite de peur d’une contre-attaque surprise, Rommel
replie d’abord son armée à El-Agheila, à une centaine de kilomètres au
sud de Benghazi. Il ramène ensuite son armée vers la Tunisie, à plus d’un
millier de kilomètres vers l’ouest, qu’ils atteignent le 12 février. Les
Anglais reconquièrent progressivement les territoires vers l’ouest :
Tobrouk en novembre 1942, puis Tripoli en janvier 1943. Rommel
espère rejoindre la 5e armée du général von Arnhim en Tunisie et
pouvoir ensuite frapper de nouveau la 8e armée.
Or, le 8 novembre 1942, les Américains débarquent en Afrique du Nord
dans le cadre de l’opération Torch. L’ tente de réagir en
Tunisie à Mersa Brega, le 12 décembre, puis à Kasserine, du 22 au
25 février 1943, et enfin à Médénine, le 6 mars. Mais Rommel est à
nouveau battu par des Alliés de plus en plus nombreux et dont les forces
aériennes disposent d’une suprématie totale. Les troupes de l’
sont contraintes de se replier une nouvelle fois.
Le 10 mars, Rommel reçoit l’ordre de quitter l’Afrique du Nord, pour un
« congé maladie » dicté par Hitler, mais il échoue à le convaincre de faire
évacuer ses hommes vers l’Italie. Désormais, la poursuite de l’avancée
alliée en Afrique du Nord sera fatale aux forces de l’Axe qui capitulent le
13 mai 1943. 250 000 soldats allemands et italiens sont faits prisonniers.
Né en novembre 1891 à Heidenhein, dans le Wurtemberg, Erwin
Rommel s’engage dès l’âge de 19 ans dans une carrière militaire.
Pendant la Première Guerre mondiale, il sert dans un régiment
d’infanterie wurtembergeois, ce qui l’inspirera pour écrire son ouvrage
, publié en 1937. Il termine la guerre avec deux
décorations : la croix de fer 1re classe et celle du mérite.
Entre les deux guerres, Rommel devient colonel d’un régiment, puis
directeur d’une école militaire.
Remarqué par Hitler alors qu’il commande le quartier général de
celui-ci en Pologne en 1939, il se voit bientôt confier le
commandement de la 7e division du 15e corps. Maîtrisant
parfaitement la , il remporte une série de victoires en France
(1940) aux côtés du général Guderian. À cette occasion, il est fait
chevalier de la croix de fer, puis est nommé commandant en chef de
l’ .
C’est à ce titre qu’il est envoyé en Libye en février 1941, afin de
secourir les Italiens en difficulté face aux Britanniques. Il s’y distingue
à nouveau et gagne le surnom de « Renard du désert ». S’adressant à
cette époque à la Chambre des communes, Churchill dit de Rommel :
«

Parvenu en juin 1942 jusqu’à El-Alamein, en Égypte, Rommel est


cette fois battu en octobre suivant par les Anglais qui le contraignent à
se replier en Tunisie. Il est ensuite rappelé en Europe en mars 1943
pour « congé maladie », selon les ordres d’Adolf Hitler.
Il est nommé commandant du groupe d’armées B en France, chargé
des défenses contre un éventuel débarquement allié. Rommel
s’emploie à renforcer le Mur de l’Atlantique et préconise l’emploi de
blindés pour repousser toute tentative des Anglo-Saxons sur les plages
françaises.
Absent de Normandie au moment du débarquement du 6 juin 1944,
son retour précipité ne permet pas de repousser l’avancée alliée. Un
mois plus tard, après avoir été blessé lors d’une attaque aérienne le
17 juillet, il est arrêté pour avoir soutenu une conspiration visant à
assassiner Hitler le 20 juillet.
Il est contraint de se suicider à Herrlingen, près d’Ulm, afin d’éviter
un jugement infamant et de protéger sa famille. Ayant caché au peuple
allemand la participation de Rommel à l’attentat manqué contre sa
personne, Hitler lui offre des funérailles officielles. Sept ans après sa
mort, en 1952, un ouvrage de Rommel intitulé
sera publié.
Au début de l’année 1942, les Japonais affichent une nette supériorité sur
leurs ennemis américains. Ils poursuivent leurs conquêtes dans le
Pacifique et dans l’océan Indien, et menacent au printemps le nord-est de
l’Inde et les côtes australiennes.
Le 18 avril, un raid américain est mené par le major James Doolittle. Une
quinzaine de bombardiers B-25 décollés de deux porte-avions
bombardent la capitale japonaise. Cet épisode, loin d’être banal, fait
réagir les Japonais. Bien que les dommages matériels du bombardement
soient légers, le moral des Japonais est gravement atteint. Ceux-ci sont
désormais inquiets, voire choqués que les Américains aient eu
l’opportunité de s’en prendre au territoire japonais.
Afin d’éviter qu’une telle attaque ne puisse se reproduire et pour venir
rapidement à bout des Américains, le commandant en chef de la flotte
combinée japonaise, l’amiral Isoruku Yamamoto, estime alors que les
conquêtes japonaises doivent être poursuivies, notamment vers le centre
du Pacifique, pour élargir davantage encore le périmètre de défense
japonais.
Yamamoto décide de porter ses efforts sur l’atoll de Midway, base
américaine située à 1 700 kilomètres au nord-ouest de Hawaï. Ce point
d’appui est nécessaire pour, une fois la flotte américaine écrasée à
Midway, poursuivre la conquête jusqu’aux îles Hawaï voire, si possible,
jusqu’à la côte ouest des États-Unis, à moins que le président Roosevelt
ne se décide à négocier.


En dépit des projets sur Midway, le plan Mo, qui consiste à prendre Port-
Moresby, capitale de la Nouvelle-Guinée, est maintenu. Il permet de se
rapprocher de l’Australie, que les Japonais espèrent envahir. Cette
opération donne lieu, du 4 au 8 mai 1942, à la bataille de la mer de
Corail, une bataille navale au cours de laquelle, pour la première fois, les
navires ne s’affrontent pas directement mais laissent la première place à
l’aviation.
Forts de leur supériorité navale, les Japonais amorcent un débarquement
avec trois porte-avions, le , le et le . Mais ils trouvent
face à eux les porte-avions américains et , escortés de
croiseurs. En effet, les Américains ont été informés des plans japonais par
le décryptage de leurs codes et l’amiral Nimitz a envoyé une escadre
commandée par le contre-amiral Fletcher.
Une bataille aéronavale s’engage : dès le 4 mai, une quarantaine d’avions
décollés du coulent quatre bâtiments japonais. Le 7 mai, les
avions américains coulent le petit porte-avions , atteint par 13
bombes et 7 torpilles, tandis que 36 bombardiers japonais envoient par le
fond le destroyer américain . Le 8 mai, les Japonais envoient 70
bombardiers à l’assaut des deux porte-avions américains et endommagent
gravement le , qui reçoit deux torpilles sur son flanc gauche et
deux bombes sur l’avant. Le est atteint par une bombe de
400 kg. Du côté japonais, le a reçu notamment deux bombes des
avions du et d’autres bâtiments japonais de moindre tonnage
sont gravement endommagés.

Il faut remarquer dans cette première vraie bataille de porte-avions une


certaine confusion, voire des erreurs, tant dans le choix des cibles
(l’aviation américaine tarde à combattre efficacement les deux gros porte-
avions japonais et ne vient à bout que du ) que chez les pilotes. Dans
la mêlée, certains avions japonais se seraient par erreur présentés à
l’appontage devant le !
En outre, le fut considéré trop rapidement comme perdu par les
Américains et, après avoir été évacué par ses 3 000 marins, fut coulé par
un contre-torpilleur américain pour éviter qu’il ne soit récupéré par les
Japonais.
Le 8 mai, deux des trois porte-avions japonais ne sont plus opérationnels
et la plupart des avions du ont été détruits. Les Japonais sont
alors contraints de renoncer à leur tentative de débarquement.
Leurs pertes s’élèvent à 77 avions, un millier d’hommes, un porte-avions
et d’autres bâtiments tels qu’un contre-torpilleur, un dragueur de mines
et deux navires auxiliaires. Chez les Américains, elles s’élèvent à 66
avions, 543 hommes, un pétrolier et un destroyer. Cette victoire des
Américains et première défaite japonaise ne décourage cependant pas les
Japonais de poursuivre leur projet de conquête de Midway, mais remonte
formidablement le moral des Américains…


Trois semaines seulement après l’échec de la mer de Corail, l’opération
Mi est lancée. Le rapport de force entre les deux adversaires est très
inégal. Les Américains n’ont pas encore rattrapé leurs pertes de Pearl
Harbor et ne disposent que de trois porte-avions, tandis que les Japonais
en ont trois fois plus. Ils n’ont qu’une dizaine de croiseurs, les Japonais
une trentaine. Ils ne disposent que d’une quinzaine de destroyers, les
Japonais 70…
Mais les Japonais ignorent que les Américains sont parvenus, une fois de
plus, à percer les codes secrets japonais baptisés « ». Ainsi, dès le
20 mai, les Américains prennent connaissance du projet de Yamamoto, ce
qui annule l’effet de surprise espéré par les Japonais. Grâce aux
informations transmises par les messages décryptés, les Américains évitent
le barrage de sous-marins japonais mis en place entre Midway et Hawaï.
L’amiral Chester Nimitz, commandant en chef de la flotte du Pacifique,
peut faire partir à temps leurs porte-avions, le , l’ et le
, de la base de Pearl Harbor.
Au cours des semaines qui précèdent l’attaque, les Japonais ont divisé
leurs forces navales en trois groupes. Le premier est une force d’attaque
confiée à l’amiral Nagumo et placée en avant-garde. Elle est composée
notamment de quatre porte-avions transportant 250 avions (l’ , le
, le et l’ , qui ont participé à l’attaque de Pearl Harbor
quelques mois auparavant), de 3 croiseurs et de 15 destroyers. Le second
groupe, qui est une force d’invasion, est composé d’une flotte de
débarquement avec 5 000 hommes et commandée par l’amiral Kondo. Le
troisième groupe, où se trouve l’amiral Yamamoto, comprend la majeure
partie de la flotte aéronavale, dont un porte-avions léger, la plupart des
croiseurs et des destroyers, des cuirassés dont le puissant . Il se
trouve placé en arrière des deux autres formations.
Par ailleurs, les Japonais entament une attaque de diversion menée sur les
îles Aléoutiennes Attu et Kiska, dans le Pacifique Nord. Mais les
Américains, connaissant l’absence d’intérêt stratégique de cet archipel, ne
se laissent pas prendre au piège et n’envoient qu’une escadre de croiseurs.

Tard dans la soirée du 3 juin, un avion de reconnaissance américain


aperçoit une formation navale japonaise à 700 milles de Midway (il s’agit
du second groupe, sans porte-avions) et donne l’alerte. Quelques heures
plus tard, à l’aube du 4 juin, d’autres avions américains survolent cette fois
la première formation, celle de l’amiral Nagumo, située à seulement
200 milles de la flotte américaine.
À 4 heures 30, l’amiral Nagumo lance alors avec succès ses bombardiers à
l’attaque de Midway. Les premières ripostes de l’aviation américaine sont
peu efficaces et les vagues successives d’avions torpilleurs de l’
sont rapidement et massivement détruites par les batteries antiaériennes
et les chasseurs japonais.
Pourtant, commence une série d’erreurs tactiques qui vont peu à peu
donner l’avantage aux Américains. L’amiral Nagumo, se préparant à une
seconde attaque, mais sur des objectifs terrestres, donne l’ordre de
remplacer les torpilles et bombes perforantes prévues pour la seconde
vague d’attaque par des bombes explosives. Mais tandis que les aviateurs
s’exécutent, Nagumo est informé à 8 heures 30 de la présence de porte-
avions américains à proximité, ce qui l’amène à penser qu’il faut se
préparer plutôt à une bataille navale. Il fait alors changer à nouveau
l’armement des chasseurs pour une attaque navale et non terrestre, les
bombes non utilisées étant placées au niveau de l’entrepont des bâtiments.
Il est 10 heures 24 quand surgissent des nuages des escadrilles de
bombardiers Dauntless provenant des porte-avions américains. Ils
plongent en piqué sur trois porte-avions japonais, le , le et
l’ . Alors que les pilotes japonais sont encore occupés à changer leur
armement, les bombes placées sur les avions et celles laissées dans les
entreponts des bateaux explosent, ainsi que le carburant entreposé sur les
ponts. Les dégâts sont immenses sur les trois bâtiments qui, ravagés par le
feu, sombrent les uns après les autres, l’ ayant en outre reçu une
torpille fatale.
C’est avec le dernier porte-avions, l’ , que les Japonais lancent une
nouvelle attaque en fin de matinée contre le . Bien que
sérieusement touché, celui-ci ne sombre pas55. Les avions américains
ripostent, face à un adversaire qui ne sait comment protéger efficacement
ses porte-avions contre une attaque de bombardiers. C’est en effet la
première fois dans une bataille navale que l’aviation est si importante.
Le 4 juin, deux destroyers parviennent à couler le porte-avions ,
déjà gravement endommagé par les multiples attaques des escadrilles
américaines. Privé de son dernier porte-avions et choqué par le nombre
de pertes en un temps aussi court, l’amiral Yamamoto décide de renoncer
à l’opération Mi. Au matin du 5 juin, il ordonne la retraite de la flotte
japonaise. Toutefois, au cours des opérations de repli le 6 juin, l’aviation
américaine continue de harceler les bâtiments japonais et coule le croiseur
.

Le bilan de l’opération Mi est bien plus élevé pour les Japonais (3 500
hommes tués, 332 avions, 4 porte-avions et 1 croiseur perdus), que pour
les Américains (300 hommes tués, 147 avions, 1 porte-avions et 1
destroyer perdus).
C’est une immense victoire pour les Américains car elle efface
l’humiliation de Pearl Harbor et amorce leur reconquête du Pacifique. En
outre, cette bataille confirme la supériorité du rôle du porte-avions dans
la guerre du Pacifique. Les historiens inscrivent par conséquent cette
bataille de Midway comme un véritable tournant dans le déroulement de
la guerre dans le Pacifique.
À l’issue de cette bataille et en dépit de leur échec, les forces japonaises
demeurent importantes et redoutables. À la suite de Midway, les Japonais
sont contraints de renoncer au Pacifique Centre, mais ils poursuivent
néanmoins leur progression dans la zone sud-ouest du Pacifique, le long
de l’archipel des îles Salomon, ainsi qu’en Nouvelle-Guinée.
De mars à juillet 1942, leur progression leur permet de conquérir
notamment l’île de Guadalcanal, au sud-est des îles Salomon, à proximité
des côtes australiennes. En outre, ils réussissent bien facilement, début
juin, à prendre les îles Attu et Kiska, dans l’archipel des Aléoutiennes.
Mais celles-ci s’avèrent peu intéressantes sur le plan militaire. Le 15 août
suivant, les Américains reprendront l’île de Kiska désertée par les
Japonais. Il s’agit alors surtout d’en faire une opération psychologique
auprès de la population américaine, lui prouvant ainsi que les Japonais ne
peuvent s’en prendre à l’Alaska.
Pour contrer les Japonais dans le sud-ouest du Pacifique, les Américains
adoptent une stratégie de reconquête des îles du Pacifique, qualifiée de
« saute-mouton ». Bien que la priorité soit donnée à la guerre en Europe,
le général MacArthur, nommé en avril 1942 commandant en chef allié
des forces du sud-ouest du Pacifique, persuade les autorités civiles qu’une
contre-attaque est nécessaire.


Au début du mois de juillet 1942, les Américains découvrent que les
Japonais ont commencé à construire un aéroport à Guadalcanal, au cours
du mois de juin 1942. Celui-ci leur permettrait d’atteindre l’Australie,
située à 1 500 kilomètres, et de dominer ainsi le sud-ouest du Pacifique.
De plus, les Japonais ont débarqué à Buna, au nord de la Papouasie, et
entendent gagner Port-Moresby, qu’ils avaient échoué à prendre au cours
du mois de mai précédent, par voie terrestre, en descendant vers le sud de
la Nouvelle-Guinée à travers la jungle et la montagne, et soutenus grâce à
leur base de Guadalcanal.
Pour contrer la menace que les Japonais font peser à la fois sur l’Australie
et sur la Nouvelle-Guinée, les Américains mettent en place une stratégie
offensive sur les îles Salomon et décident d’intervenir d’abord à
Guadalcanal même. Leur objectif est de reconquérir toutes les îles du
Pacifique prises par les Japonais.

Le 7 août 1942, l’opération Watchtower est lancée, sous le haut


commandement de l’amiral Nimitz et par l’intermédiaire du vice-amiral
Robert Ghormley. On dénombre une flotte de 80 navires américains et
australiens, dont trois porte-avions américains (l’ , le et
le ) commandés par le contre-amiral Fletcher, la force amphibie du
sud-ouest sous les ordres du contre-amiral Turner, mais aussi 8 croiseurs,
17 bâtiments de transport et 6 cargos commandés par l’amiral australien
Crutchley et transportant les 18 000 hommes de la 1re division de
commandés par le général Vandergrift.
À l’aube, ces derniers débarquent sur l’île de Guadalcanal et celle voisine
de Tulagi. Les 12 000 autres débarqués à Guadalcanal remontent
vers le nord et parviennent à prendre la base aérienne japonaise tenue par
une garnison de 2 200 hommes. Ils la rebaptisent « Henderson Field »,
du nom d’un de leurs camarades mort à la bataille de Midway. Ils y
poursuivent jusqu’au 20 août les travaux d’aménagement entrepris par les
Japonais, afin d’en faire un soutien important pour la flotte. Quant aux
6 000 débarqués sur l’île de Tulagi, ils anéantissent en l’espace de
24 heures, et malgré une âpre résistance, les 1 500 soldats japonais qui s’y
trouvaient.
En dépit de ces rapides mais modestes victoires, le contre-amiral Fletcher
se méfie de la réaction des Japonais et éloigne sa flotte du rivage où s’est
déroulé le débarquement des . Or, le matin du 9 août, la 8e flotte,
commandée par l’amiral Gunichi Mikawa et composée de 7 croiseurs,
parvient à son tour au sud, à proximité de l’île de Savo, et lance une
attaque surprise.
Les Américains perdent très rapidement quatre croiseurs et un destroyer.
L’amiral Fletcher choisit de se replier, tandis que les Japonais se retirent
également. C’est une victoire navale pour les Japonais, ce qui remet en
question les perspectives quant à l’éventuelle réussite des Américains à
Guadalcanal, malgré le rôle des sur l’île depuis le 7 août.
Désormais, la bataille de Guadalcanal s’apparente davantage à une
campagne dans laquelle les Japonais vont progressivement perdre du
terrain et accumuler des pertes qu’ils ne pourront remplacer, au contraire
des Américains.
Sur l’île, les Japonais attaquent le 18 août les retranchés à
proximité de l’aéroport. Bien moins nombreux que les Américains, ils
sont mis en déroute après de nombreuses pertes. Un nouvel assaut
japonais, deux jours plus tard, prend fin de la même manière.
Pour tenir bon face à l’ennemi, les Japonais sont ravitaillés de nuit (pour
éviter une riposte américaine), par le biais de destroyers servant au
transport de troupes, surnommés « Tokyo Express » par les soldats
américains et commandés par l’amiral Raizo Tanaka.

Les Japonais ne parviennent pas à l’emporter non plus en Nouvelle-


Guinée, où ils se heurtent à la combativité des forces australiennes et néo-
zélandaises. Le corps expéditionnaire ne parvient pas à gagner Port-
Moresby, car la capitale est très bien protégée par deux divisions
australiennes et un régiment de . Il doit alors se replier dans les
montagnes, en attendant des renforts venus de la mer, qui échouent à leur
tour.
Aussi, le 25 septembre, la retraite est-elle ordonnée. Buna sera prise par
les Américains le 14 décembre suivant. Dans cette nouvelle opération en
Nouvelle-Guinée, les Japonais ont perdu 12 000 hommes et leurs
adversaires américains, australiens et néo-zélandais, 8 500.

La bataille de Guadalcanal se déroulant aussi en mer, les attaques se


poursuivent à la fin du mois d’août. Les Japonais regroupent trois porte-
avions, le , le et le (l’unique porte-avions rescapé
de la bataille de la mer de Corail), sous le commandement de l’amiral
Nagumo. Le 24, l’aviation américaine réussit à faire sombrer le porte-
avions léger japonais , mais une contre-attaque japonaise parvient à
endommager gravement l’ .
L’aéroport consolidé par les , devenu opérationnel, occupe dès
lors une place importante dans la bataille. Les avions partis d’Henderson
Field ont déjà réussi, le 20 août, à empêcher une tentative de
débarquement. Ils parviennent également, le 25 mai, à faire sombrer le
destroyer . L’amiral Tanaka donne alors l’ordre de la retraite.
Les forces japonaises n’ont pas réussi à détruire l’aéroport des , ni
à débarquer des renforts sur les îles de Guadalcanal et de Tulagi.
Les sous-marins japonais prennent la relève dans les jours suivants et
portent des coups très durs à la Marine américaine. Le 31 août, le porte-
avions est gravement touché et le 15 septembre, le sombre,
suivi du nouveau cuirassé et du destroyer .
Les Japonais réagissent également sur terre, mais avec de grandes
difficultés. Le 12 septembre, le général Haruyoshi Hyukatake, à la tête de
la 17e armée japonaise, décide une nouvelle attaque sur les de
Guadalcanal. Ce sera la terrible bataille de Bloody Ridge (« la colline
sanglante » en anglais) au cours de laquelle, de nuit, environ 7 000 soldats
japonais massacrent 40 et en blessent 400, perdant de leur côté
plus de 1 300 hommes…

Dans la nuit du 14 au 15 octobre, les Japonais commencent à bombarder


l’île de Guadalcanal. Deux cuirassés japonais, le et l’ ,
parviennent enfin à détruire l’aéroport d’Henderson Field. L’amiral
Yamamoto décide de profiter de cet affaiblissement des Américains pour
dépêcher sa flotte combinée. Mais les Américains, commandés par
l’amiral Halsey qui a succédé à l’amiral Ghormley, sont informés des
intentions japonaises et s’apprêtent à faire face à l’ennemi.
Une vaste offensive est lancée par les Japonais le 23 octobre, sous le
commandement de l’amiral Nagumo : c’est la bataille navale de Santa
Cruz. L’affrontement en mer est terrible : les bombardiers japonais
touchent sévèrement l’ et envoient par le fond le , tandis
que les Américains endommagent le , coulent le et
détruisent une centaine d’avions japonais.
Les Japonais, qui ont dû se replier, lancent une ultime attaque le
12 novembre. Face à face, s’affrontent 18 navires de guerre japonais dont
2 cuirassés, et 13 navires de guerre américains, dont 5 croiseurs et 8
destroyers. Le cuirassé ainsi que la quinzaine de navires qui
l’accompagnent sont coulés par les avions de l’ .
Les Japonais se retirent avant de revenir deux jours plus tard, mais pour
voir sombrer le porte-avions , coulé par le porte-avions
, et perdre également 6 navires et 6 bâtiments de transport de
troupes. Quant à l’ , elle perd 2 croiseurs et 7 destroyers.
Mais si les pertes sont lourdes des deux côtés, les Japonais ont de plus en
plus de mal à les compenser. Les Américains, quant à eux, bénéficient des
immenses progrès de leur industrie de guerre et produisent en immenses
quantités. Au cours de cette dernière offensive, l’ a ainsi pu
bénéficier d’importants renforts d’aviation, qui lui ont permis de tenir
tête aux Japonais.

Parallèlement à ces défaites navales, les 15 000 Japonais présents sur l’île
sont de plus en plus isolés. Ils souffrent de maladies tropicales et
manquent de vivres et de munitions, car les destroyers de ravitaillement
ne parviennent plus à passer. Ceux-ci sont sans cesse repoussés par les
Américains qui, eux, bénéficient de renforts et atteignent près de 60 000
hommes en novembre 1942.
Le 31 décembre 1942, l’île de Guadalcanal est sous le contrôle des
Américains. Guadalcanal se termine, symbole de la « guerre d’usure ». Le
bilan est très dur pour les Japonais. Du 7 août au 31 décembre 1942, les
pertes matérielles sont à peu près équivalentes, chacun des belligérants
déplorant la perte de 24 navires et d’environ 600 avions. Mais les pertes
humaines sont très inégales puisque, sur 35 000 hommes, les Japonais en
ont perdu 24 000, tandis que les Américains dénombrent 3 000 tués.
Au début de février 1943, après que l’état-major japonais a décidé
d’évacuer les rescapés de la 17e armée, les Japonais quittent Guadalcanal
et se replient au centre des îles Salomon.

Après les défaites navales de la mer de Corail et de Midway, la défaite


terrestre de Guadalcanal correspond à un échec supplémentaire dans la
stratégie de conquête japonaise. Elle remet profondément en question la
prétendue supériorité nippone face aux Américains.
Les Japonais commencent à perdre le contrôle de leur aire de
domination. Compte tenu des immenses pertes subies au cours du second
semestre de 1942, ils ne peuvent plus qu’adopter une stratégie avant tout
défensive, alors que commence l’année 1943.
En outre, la victoire américaine au cours de cette campagne de
Guadalcanal permet d’attirer l’attention dans les conférences interalliées
sur le déroulement de la guerre du Pacifique, jusqu’ici dénigrée par
rapport au théâtre européen et nord-africain.
Les Américains décident de concentrer leurs forces du Pacifique sur les
voies maritimes, afin d’isoler le Japon et de pouvoir ensuite opérer des
bombardements stratégiques sur un adversaire fragilisé.
Staline demande depuis longtemps l’ouverture d’un second front à
l’ouest. Conscient de cette menace et après les échecs d’El-Alamein et de
Tunisie, Hitler fait revenir le maréchal Rommel d’Afrique du Nord au
printemps 1943 pour lui confier une tâche qui peut être décisive : la
défense des côtes françaises.
La situation des forces de l’Axe s’aggrave semaine après semaine, depuis
la victoire soviétique à Stalingrad en février 1942. Partout, les troupes
reculent : à l’est, devant l’armée Rouge, au sud, devant les anglo-
américains qui ont pris pied en Corse, en Sicile puis en Italie, et dans le
Pacifique, les Japonais connaissent des difficultés croissantes.

La conférence de Téhéran, du 28 novembre au 1er décembre 1943, réunit


pour la première fois les trois chefs alliés, Churchill, Premier ministre
britannique, Roosevelt, président des États-Unis, et Staline, numéro 1
soviétique. Ils débattent enfin des détails du futur débarquement en
Europe de l’ouest. Les préparatifs de cette fantastique opération
amphibie, envisagée depuis de nombreux mois, s’accélèrent donc à la fin
de l’année 1943.
L’opération, baptisée « Overlord » (« suzerain », en anglais), est placée
sous le commandement du général américain Dwight D. Eisenhower.
Celui-ci est secondé par les généraux américains Omar Bradley et George
Patton, ainsi que par le maréchal Bernard Montgomery, désigné général
en chef de l’armée de débarquement.
Les côtes françaises, et plus précisément celles de Normandie, s’avèrent
les mieux placées pour réussir une telle opération. Certes, le Pas-de-
Calais est plus proche des côtes anglaises, mais les Allemands ont si bien
organisé la défense de ce secteur qu’il est devenu impensable d’y
débarquer. Hitler et son état-major sont en effet convaincus que le
débarquement doit avoir lieu dans cette zone, proche de la frontière
allemande. L’opération de désinformation Fortitude, montée par les
services secrets britanniques, les renforce d’ailleurs dans cette conviction.
L’autre avantage des plages normandes est que, contrairement à bien des
littoraux français, elles sont moins bien défendues par le Mur de
l’Atlantique érigé par Rommel depuis 1943, qui comprend de nombreux
, des pieux contre les navires (les « asperges de Rommel »), des
mines, etc. Ce Mur, qui vise à faire échouer toute tentative de
débarquement sur le flanc ouest de la (« Forteresse
Europe »), s’étend depuis le cap Nord, en Norvège, jusqu’à la frontière
franco-espagnole sur la côte Atlantique.
Les Alliés ont donc sélectionné cinq plages normandes s’étendant sur une
longueur totale de 80 kilomètres. La préparation de l’opération nécessite
un matériel important et les États-Unis, dont l’industrie de guerre
fonctionne à son maximum, fournissent ainsi 700 navires de guerre, 500
avions, 13 000 véhicules (dont les fameuses Jeeps), 1 500 chars, et 3 000
chalands de débarquement, ainsi que de nombreux équipements divers
nécessaires aux combattants (parachutes, fusils, munitions). Ce matériel
est si soigneusement préparé que l’on peut parler de véritables prouesses
techniques réalisées tout au long de la préparation du débarquement,
telles que des chars amphibies, des ports artificiels, des barges de
débarquement spéciales, etc.
Quant aux effectifs, ils réunissent essentiellement des Américains, des
Britanniques et des Canadiens. Ils doivent atteindre plus de 3 millions
d’hommes qu’il faut préparer, voire acheminer en Angleterre, d’où ils
rejoindront la Normandie le jour J.
Du côté de la Normandie, la résistance française se prépare elle aussi : il
est prévu que lorsque sera diffusé à la BBC le message «
, tiré
d’un poème de Verlaine, la résistance pourra alors passer à l’action,
notamment en sabotant les infrastructures allemandes (routes, chemins de
fer, réseaux de communication, etc.) ou en aidant les parachutistes alliés.

Le débarquement, prévu pour le printemps 1944, est à plusieurs reprises


repoussé en raison d’un temps défavorable. Les spécialistes de la
météorologie jouent alors un rôle si important qu’ils travaillent jour et
nuit depuis des semaines. Mais au matin du 5 juin, ils annoncent que le
temps va se dégager dans les prochaines heures. Eisenhower décide que
c’est le moment d’agir.
Au cours de la nuit du 5 au 6 juin, à partir de minuit, 25 000 parachutistes
sont largués au-dessus de la Normandie par des avions et des planeurs,
tandis que des plongeurs détruisent une partie des défenses sous-marines
allemandes. Dès 5 heures 30, l’aviation et plusieurs cuirassés bombardent
la défense côtière allemande.
Sous le commandement du général Montgomery, environ 5 000
bâtiments, transportant 135 000 hommes et encadrés de 10 000 avions,
quittent les côtes anglaises pour traverser la Manche. À 6 heures 30, par
marée basse, les premières péniches de débarquement commencent à
accoster, déversant des milliers de soldats, immédiatement pris sous le feu
de l’ennemi.
Deux divisions américaines débarquent sur les plages situées à l’ouest du
front de débarquement et baptisées pour l’opération « Utah » et
« Omaha » (surnommée plus tard « Omaha la sanglante » en raison du
grand nombre d’hommes qui y ont laissé la vie). Dans la partie située à
l’est du front, les troupes britanniques débarquent à Gold et à Juno, et les
troupes canadiennes à Sword, où sont également présents 177 fusiliers-
marins des Forces françaises libres commandés par le capitaine Kieffer.
De plus, deux divisions américaines sont larguées au-dessus de la base du
Cotentin, et deux divisions britanniques au niveau de l’embouchure de
l’Orne.
Mitraillés par les Allemands depuis les , des soldats meurent
avant même d’avoir atteint le sol français. Certains se noient sous le poids
de leur paquetage et l’avancée sur la plage s’apparente parfois à un
véritable carnage, surtout à Omaha.
Mais en dépit du grand nombre de soldats tués sur les plages, les troupes
alliées avancent. Les Allemands sont pris au dépourvu. Leur chef, le
maréchal Rommel, est absent : n’ayant pas pris de repos depuis six mois et
rassuré par le mauvais temps, il s’est rendu en Allemagne pour fêter
l’anniversaire de sa femme.
En raison de l’action de la résistance française, qui a dynamité les câbles
téléphoniques, les communications allemandes ne fonctionnent plus, ou à
peine. Aussi les forces concentrées dans le Pas-de-Calais ne sont-elles
informées qu’en milieu d’après-midi qu’un débarquement a eu lieu le
matin.
Mais les autorités allemandes persistent à croire qu’il s’agit d’une
diversion. Même Hitler, qu’on a tardé à réveiller, continue à croire que le
débarquement de Normandie n’est qu’un leurre et que le prochain, le
vrai, est imminent dans le Pas-de-Calais. Grâce à cette méprise, les Alliés
ne vont affronter que 17 divisions allemandes sur les 50 disponibles. De
même, sur les 300 000 soldats allemands présents dans la région, seuls
50 000 sont présents pour affronter les forces alliées. Leur situation
s’avère rapidement dramatique et ils perdent plusieurs milliers d’hommes
au cours de la journée.

Au soir du 6 juin, l’opération Overlord, l’opération aéronavale la plus


importante et la plus célèbre de l’Histoire, est un succès. Certes, les
Américains déplorent la perte de 3 400 hommes, les Britanniques, 3 000,
et les Canadiens, 335. Mais les Alliés ont réussi à débarquer dix divisions
et à installer une solide tête de pont sur la côte normande. Pour faciliter
l’arrivée de nouveaux bâtiments, deux ports artificiels sont installés au
cours des jours suivants à Arromanches et à Saint-Laurent-sur-Mer.

La campagne de Normandie, qui suit le débarquement, s’avère bien plus


difficile que l’état-major ne l’avait imaginé. Les Alliés s’engagent dans la
« guerre des haies », surnommée ainsi en raison de la végétation du
bocage normand qui freine l’avancée des chars et qui limite la visibilité
face à l’ennemi. Les villes sont bombardées, surtout Caen, faisant
14 000 morts parmi les civils.
Ce n’est qu’à la fin du mois de juillet, alors qu’ils sont parvenus à
débarquer un total de 1,5 million d’hommes et des centaines de milliers
de tonnes de matériel (dont les 16 000 Français de la 2e DB du général
Leclerc), que les Alliés réussissent à percer le front d’Avranches. La 7e
armée allemande se retrouve encerclée dans la « poche » de Falaise, le
21 août suivant.
Parallèlement aux opérations en Normandie, le débarquement de
Provence, réalisé le 15 août, est également un succès. Désormais, la
libération de la France est proche…
À l’issue de la campagne de Normandie, les forces allemandes ont perdu
500 000 hommes : 250 000 ont été tués et 250 000 autres faits
prisonniers.
Au début du mois de septembre 1944, les Alliés réussissent à envahir la
Belgique, tandis que des soldats canadiens assiègent les ports français de
Dunkerque, Calais et Boulogne.
Fort inquiet de cette avancée, Hitler donne l’ordre d’empêcher que les
Alliés ne prennent les ports à proximité du front et tente de recréer des
divisions d’infanterie en mobilisant des marins, des aviateurs, des hommes
âgés, voire des infirmes qu’il transforme en fantassins.
Il espère encore contre-attaquer pour bloquer l’avancée des Alliés, puis
les repousser vers la mer. Suivant l’exemple de l’offensive des Ardennes de
1940 qui avait permis de séparer les troupes alliées, Hitler imagine une
nouvelle attaque massive qui permettrait de couper les lignes adverses et
de reprendre Anvers. Ce port belge a été libéré par les Alliés le
4 septembre précédent et Hitler redoute que les Alliés n’y fassent venir
massivement des armements pour attaquer l’Allemagne. Il rappelle le
maréchal von Rundstedt, limogé à la suite du débarquement de
Normandie, pour reprendre le plan Manstein de 1940. Ce dernier accepte
de planifier l’offensive, mais comme d’autres généraux allemands, il
s’avère bien pessimiste quant à la réussite d’une telle opération, compte
tenu des faiblesses de l’armée allemande.
Hitler passe outre et tente de trouver des solutions. Ainsi, la
est fragilisée par le manque de batteries antiaériennes pour se protéger et
d’avions pouvant appuyer son offensive. Mais la période choisie par
Hitler, initialement à partir de la fin novembre, permet de se passer
d’aviation grâce au brouillard, fréquent à l’automne dans cette région du
Nord et qui, en outre, paralyserait l’aviation alliée. De plus, le
compte sur les possibles difficultés logistiques des Alliés qui devront
affronter un climat difficile, car l’hiver s’annonce rude. C’est ainsi que,
logiquement, l’opération reçoit le nom de « Brouillard d’automne ».

Le 16 décembre à 5 heures 30 du matin, un violent tir d’artillerie éclate


dans la forêt enneigée des Ardennes, avant que n’apparaisse aux yeux des
soldats américains ahuris une division blindée allemande. Au total, près
d’un millier de chars, commandés par le général Walter Model, attaquent
la 28e division américaine. Rapidement, le front s’étend sur une centaine
de kilomètres, en un secteur (entre Monschau et Echternach) choisi avec
soin par von Rundstedt. C’est à cet endroit que le front allié est le plus
vulnérable, tant les Américains étaient loin d’imaginer une offensive
allemande dans cette zone. La veille, le maréchal britannique
Montgomery avait déclaré : «

Pourtant, Hitler a pris l’énorme risque de mobiliser d’importants moyens,


disproportionnés à ceux qui lui restent, c’est-à-dire 29 divisions parmi
lesquelles les 7 divisions de la 6e armée du général Dietrich et de la
5e armée blindée du général von Manteuffel, ainsi que 4 divisions
d’infanterie de la 7e armée du général Brandenberger. L’ensemble des
forces allemandes représente 250 000 hommes, un millier de chars, 2 000
canons et 1 500 avions. Le chef SS Himmler est nommé commandant en
chef de la région du Haut-Rhin.
Face aux Allemands, les troupes américaines ne disposent dans ce secteur
que des 6 divisions appartenant au 5e corps du général Gerow et au 8e
corps du général Middleton, soit près de 83 000 hommes et 420 chars.
La contre-offensive prend les Américains par surprise, d’autant plus qu’ils
ne sont pas préparés à la tactique allemande d’enfoncer les chars loin dans
les lignes ennemies. En outre, leur aviation s’avère inefficace en raison du
brouillard, comme les Allemands l’avaient prévu. Enfin, la confusion
règne d’autant plus que le lieutenant-colonel SS Otto Skorzeny s’est
infiltré dans le camp allié avec les hommes de sa 150e brigade, déguisés en
soldats américains : c’est l’opération Greif, dont le but est de réaliser des
sabotages tels que la rupture de lignes de communications, l’inversion des
panneaux de signalisation, le dynamitage de dépôts de munitions, etc.
Cette opération est démasquée assez rapidement, mais elle handicapera
par la suite les relations internes aux Alliés qui, touchés par une sorte de
paranoïa, feront régulièrement des contrôles d’identité.
Tournés en direction de la Belgique, les Allemands se dirigent surtout
vers le port d’Anvers et la ville de Liège. Les Alliés doivent absolument
les empêcher de prendre les ponts de la Meuse au sud de Liège et
d’atteindre Anvers. Sinon, les Allemands réussiront à séparer les troupes
américaines du 21e groupe d’armées du maréchal britannique
Montgomery.
Le sort de la bataille des Ardennes va se jouer en Belgique au niveau de
Bastogne, une ville stratégique qui correspond à un carrefour où se
croisent cinq grandes voies de communication, très importantes pour
l’avancée des Alliés.
Le général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, réagit
promptement. Dès le lendemain de l’attaque, il envoie des renforts, en
particulier en direction de Bastogne et de Saint-Vith, autre nœud de
communication. Cette dernière tombe aux mains des Allemands le
21 décembre, conduisant les Américains, qui y ont perdu 8 000 hommes,
à battre momentanément en retraite.
À Bastogne, des milliers de soldats américains de la 28e division
d’infanterie, renforcés par ceux des 10e et 101e divisions aéroportées, sont
assiégés par deux divisions et une division d’infanterie allemande.
Mais les Américains tiennent bon et le général américain Anthony
MacAuliffe, commandant la 101e division aéroportée, se permet même
d’être ironique lorsqu’il refuse l’ultimatum des Allemands par ce
message : «

Le général Patton, à la tête de la 4e division blindée, lance une contre-


offensive le 22 décembre. Il prend la direction de Bastogne après avoir
libéré en chemin la capitale du Luxembourg. Puis, profitant d’une
amélioration du temps qui permet à l’aviation alliée de décoller, il amorce
une manœuvre de contournement. Le 25, la 4e division blindée de Patton,
qui a parcouru 260 kilomètres en 6 heures, parvient à Bastogne, pendant
que des avions Dakotas parachutent des vivres et des munitions. Le 26,
après de rudes combats entre les troupes de Patton et la 7e armée
allemande de Brandenberger, l’encerclement de la ville est rompu.
Ce premier échec des Allemands à Bastogne devrait décider Hitler à
renoncer, mais ceux-ci reçoivent 650 tonnes de ravitaillement pour
poursuivre le siège. Parallèlement, à la fin décembre, les troupes
allemandes poursuivent leur progression vers le Nord et la Meuse, malgré
le pilonnage de l’aviation alliée. Mais la 2e division blindée du général
Harmon parvient à bloquer définitivement l’avancée de la 5e armée
blindée du général von Manteuffel. Ainsi, la Meuse et Anvers ne sont plus
à la portée des Allemands, dont les divisions blindées commencent à
battre en retraite.
Pourtant, Hitler refuse la défaite et lance à partir du 1er janvier 1945 une
offensive de près d’un millier d’avions de la , mais en vain. Les
généraux américains Patton et Hodges lancent une nouvelle contre-
offensive le 3 janvier au nord de Bastogne, qui est enfin libérée le
16 janvier.
Jusqu’au 23 janvier se déroulent de terribles combats, les Allemands
poursuivant une lutte sans espoir et ce, malgré une grave pénurie d’armes,
de munitions et d’essence pour les blindés restants.
Lorsque prend fin cette dernière offensive allemande, on dénombre
100 000 tués parmi les Allemands, qui ont également perdu 800 chars et
un millier d’avions. Les Alliés déplorent près de 80 000 Américains et 1
500 Britanniques tués, ainsi que la perte de 800 blindés.
Cette offensive, aussi inutile que meurtrière, n’aura pour effet que de
retarder l’offensive des Anglo-Saxons sur l’Allemagne, laissant l’armée
Rouge gagner rapidement du terrain dans toute l’Europe centrale et
l’Allemagne orientale. On connaît les conséquences de cette avancée
après la guerre : les Soviétiques deviendront les maîtres d’un immense
glacis en Europe de l’est.

George Smith Patton, fils d’un célèbre avocat américain également


prénommé George, est né en 1885 à San Gabriel, en Californie. Sorti
de l’Académie militaire de West Point en 1909, c’est un grand sportif
qui participe aux Jeux olympiques de 1912.
Au cours de la Première Guerre mondiale, il s’engage dans les blindés
et devient aide de camp du général Pershing, qu’il suit en France en
1917. Il est grièvement blessé l’année suivante à la tête d’une unité de
chars, mais son courage au combat le fait remarquer par l’autorité
militaire.
Alors que la Seconde Guerre mondiale a éclaté en Europe, il est
nommé général en 1940 et prend le commandement de la 2e division
blindée américaine, avec laquelle il débarque au Maroc en novembre
1942. Apprécié pour sa détermination et son talent, il est ensuite
nommé, quatre mois plus tard, commandant du 2e corps d’armée
américain en Tunisie, avec lequel il opère une jonction avec les forces
britanniques.
Il commande la 7e armée américaine pour le débarquement de Sicile à
l’été 1943, puis la 3e armée américaine pour le débarquement de
Normandie, en juin 1944.
Victorieux à Avranches, il se rend ensuite en Bretagne et laisse aux
FFI le soin de la libérer. Reparti en direction de l’est, il libère
successivement Orléans, Chartes, puis Nancy, avançant parfois sans en
avoir reçu l’ordre. Après avoir été bloqué par le manque de carburant,
Patton repart vers l’est et libère Metz le 20 novembre.
En décembre, il contre-attaque après l’offensive du maréchal von
Rundstedt dans les Ardennes, délivre Bastogne assiégée, puis
progresse en Allemagne. En mars 1945, il prend Trèves et se distingue
en malmenant les Allemands avec succès dans la région de Mayence,
où il franchit le Rhin le 23 à Oppenheim.
En quelques semaines, il avance ses troupes dans toute l’Allemagne
centrale, de la Hesse à la Bavière et à la Saxe. Il poursuit jusqu’en
Bohême, mais doit stopper, sur ordre, à une centaine de kilomètres de
Prague, afin de laisser le champ libre à l’armée Rouge. Le 25 avril, il
opère sa jonction avec celle-ci.
Il n’aura pas l’occasion de connaître les suites de la Seconde Guerre
mondiale, car il décède le 21 décembre 1945 dans un accident de
voiture à Heidelberg, en Allemagne.

Désormais, les efforts se portent sur l’Alsace occupée, car la 1re armée
française entend profiter de l’affaiblissement des Allemands. Le 1er corps
du général Bethouard, au sud, et le 2e corps du général de Montsabert, au
nord, bénéficient fin janvier des renforts du 21e corps américain. Le
e
9 février, un communiqué du général de Lattre annonce : «

Le même jour, la ligne Siegfried


est prise par les Alliés.
Alors que l’armée Rouge vient de pénétrer sur le sol allemand, à l’est du
pays, les Allemands qui combattaient dans les Ardennes sont de plus en
plus repoussés au-delà du Rhin, par la double opération alliée Lumberjack
et Undertone. À la fin février, le front s’étend sur 250 kilomètres, et le
7 mars, les Alliés franchissent le Rhin à Remagen, au sud de Bonn.
Désormais, les Allemands sont pris en tenaille par les Alliés et ils ne
résisteront plus que quelques semaines.
Hitler s’étant suicidé dans son bunker le 30 avril, le maréchal Wilhelm
Keitel se charge de la capitulation de l’Allemagne, signée le 8 mai à Berlin
avec les chefs des forces navales et aériennes allemandes, devant les états-
majors alliés.
La Seconde Guerre mondiale prend ainsi fin sur le front européen.
Après leurs victoires successives dans la mer de Corail, à Midway, puis à
Guadalcanal, au cours de l’année 1942, les Américains poursuivent leur
avancée dans le Pacifique, île par île. Leur objectif est de se rapprocher du
Japon, de couper l’archipel de ses conquêtes du sud-est asiatique et
d’opérer des bombardements stratégiques. L’étau se resserre donc autour
du Japon…
Au cours de l’année 1944, les Américains ont remporté plusieurs
victoires : dans les Mariannes, en juin, puis dans le golfe de Leyte, aux
Philippines, en octobre. Cela les a confortés dans l’idée qu’il est
désormais sérieusement envisageable d’installer des terrains permettant à
leur aviation d’aller bombarder le territoire japonais.
C’est ainsi qu’ils s’intéressent à l’atoll d’Iwo Jima, à 900 kilomètres au
sud-est de l’archipel nippon, ainsi qu’à l’île d’Okinawa, plus proche
encore, à environ 550 kilomètres au sud-ouest du Japon.


Iwo Jima est une île de taille modeste (8 kilomètres de long sur 4
kilomètres de large), où les Japonais ont aménagé trois petits aéroports.
Une fois consolidés par les Américains, ceux-ci serviraient de parfaits
tremplins pour lancer des raids de bombardiers B-29 sur le Japon. L’état-
major japonais est pleinement conscient de cet enjeu stratégique et a
même envisagé de faire sauter l’île, avant de lui préférer une autre
solution pour la rendre imprenable.

À partir du mois de décembre 1944, Iwo Jima est régulièrement


bombardée par l’aviation américaine basée dans l’archipel des Mariannes.
Au matin du 19 février, les Américains partent à l’assaut de l’île.
Après avoir effectué de nombreux tirs d’artillerie en direction d’Iwo Jima,
la 5e flotte commandée par l’amiral Spruance et forte de 6 cuirassés, 5
croiseurs et 1 porte-avions, débarque sur Iwo Jima les 30 000 soldats
américains des 4e et 5e corps amphibie, aux ordres du général Schmidt.
Immédiatement, les arrivants affrontent des tirs nourris, mais parviennent
à occuper le premier aérodrome dès le premier jour.
L’état-major japonais a choisi de défendre Iwo Jima par la présence de
21 000 soldats, installés dans des fortifications reliées entre elles par un
réseau de 20 kilomètres de galeries souterraines et protégées par des
pièges. Les soldats japonais, commandés par le général Kuribayashi, se
battent avec d’autant plus de détermination qu’en défendant cette île, ils
savent qu’ils protègent leur territoire national.
En quatre jours, plus de 2 500 Américains meurent sous les balles
ennemies, mais l’acharnement des leur permet de tenir bon face à
la résistance obstinée des Japonais. Le 23 février, des appartenant
au 28e régiment de combat de la 5e division réussissent à planter le
drapeau américain au sommet du mont Suribachi, un volcan éteint d’une
hauteur de 200 mètres et situé au sud-ouest de l’île. Cet épisode de la
guerre sera immortalisé par une photographie aujourd’hui célèbre et qui a
inspiré la sculpture du mémorial des au cimetière militaire
d’Arlington.
Deux jours plus tard, les soldats américains parviennent à prendre le
second aérodrome, ainsi qu’un important poste d’artillerie. Les ,
qui commencent à partir du 26 février à voir leurs pertes diminuer,
parviennent à avancer en utilisant des lance-flammes et en utilisant des
bulldozers qui bouchent les ouvertures des tunnels japonais, condamnant
les soldats ennemis qui s’y trouvent.
Enfin, le 2 mars, ils réussissent à prendre le troisième aérodrome, en dépit
des nombreuses défenses qui en interdisent l’accès.
Le 16 mars, la conquête d’Iwo Jima est considérée comme achevée, mais
les n’ont pas totalement anéanti la résistance japonaise. Dix jours
plus tard, les 300 derniers défenseurs japonais lancent un attaque-suicide.

Lorsque les combats cessent enfin, les pertes américaines s’élèvent à


26 000 hommes (19 000 blessés et 7 000 tués), soit 30 % des effectifs
américains engagés. Ce taux de pertes est le plus sévère pour eux de toute
la guerre. Mais ce sont surtout les Japonais qui sont anéantis, puisqu’ils
ont perdu presque la totalité de leurs effectifs : seuls 216 des 21 000
hommes ont survécu. Tous ne sont pas morts au combat, certains ayant
préféré le suicide à la reddition. Le général Cho, qui a choisi le ,
prend soin de laisser un mot précisant : «

Iwo Jima peut désormais servir de base aux Américains, qui se consacrent
cette fois à la prise de l’île d’Okinawa.


La conquête de l’île d’Okinawa, qui correspond à l’opération Iceberg, fait
partie d’un plan bien plus important consistant à envahir le Japon.
Dans cet objectif, l’île d’Okinawa servirait de point d’appui idéal pour les
troupes américaines : celles-ci construiraient des bases sur toute la
longueur de l’île, soit près de 100 kilomètres. Les bombardiers pourraient
alors disposer de plus de carburant et emporter plus de bombes qu’en
partant des bases de l’archipel des Mariannes, situées à plus de 4 500
kilomètres des côtes nippones.
La difficulté est de prendre cette île défendue par 120 000 soldats
japonais. Il faut donc préalablement l’isoler. Dès le 26 mars 1945, des
cuirassés de la britannique, soutenant leurs alliés américains,
lancent ainsi une attaque sur les bases aériennes japonaises situées sur les
îles Sakaishima, entre Formose et Okinawa. Le même jour, les
Américains prennent les îles Kerama et Keise. De plus, avant le
débarquement est organisé un bombardement intensif des bases
japonaises de Kyushu, à 500 kilomètres d’Okinawa, pour limiter les
capacités de riposte des Japonais.
D’importants moyens sont mobilisés en prévision d’un débarquement sur
Okinawa : la 10e armée commandée par le général Simon Buckner,
comprenant 5 divisions ainsi que 3 divisions du corps des , soit
près de 550 000 hommes. Ceux-ci bénéficient d’un appui en mer de la
réunissant 18 porte-avions, 10 navires de ligne et une force
amphibie de près de 1 400 bâtiments, ainsi que du soutien de la flotte
britannique.

Le 1er avril, 50 000 débarquent sur deux secteurs d’Okinawa : le 3e


corps amphibie débarque au nord de l’île et le 24e corps au sud.
Compte tenu des plages sableuses, les défenseurs se sont installés dans les
zones montagneuses, loin de la portée des tirs de l’ . Ils ont établi
une très forte défense intérieure de l’île, avec des abris reliés les uns aux
autres par des tunnels, comme à Iwo Jima.
Très rapidement, le 3e corps doit faire face à une âpre résistance, mais
parvient à l’emporter. Pendant trois semaines, il se consacre à prendre
possession du secteur nord de l’île. Les aérodromes de Kadena et Yontan
sont rapidement pris et le 20 avril, les contrôlent tout le nord de
l’île.
En revanche, les Américains débarqués dans le secteur sud demeurent en
difficulté : le 24e corps d’armée, progressant vers les aérodromes de
Machinato et de Yonabaru, s’est dirigé vers la ligne de défense japonaise
Naha-Shuri-Yonabaru, tenue par 80 000 soldats de la 32e armée japonaise
commandée par le général Ushijima. Les combats sont terribles. Ainsi,
entre le 18 et le 20 avril, les ne parviennent à progresser que de 1
800 mètres. Il s’agit notamment de prendre la forteresse de Shuri, qui
occupe une position clé dans la ligne de défense, au centre de l’île.
Les 4 et 5 mai, le général Ushijima lance une contre-attaque massive,
appuyée par des chars : 13 000 obus sont lancés avant que n’intervienne
l’infanterie japonaise. Toutefois, le lendemain, l’assaut est stoppé, et, bien
que les pertes soient importantes (environ 6 200 Japonais et 700
Américains tués), les combats continuent. La ville de Naha tombe le
23 mai aux mains de la 6e division de qui prend ensuite Shuri, le
29 mai.
Parallèlement, la flotte américaine est attaquée par de nombreux
kamikazes japonais. Entre avril et juin, près de 2 000 avions-suicides
harcèleront les bâtiments américains et britanniques. Lorsque les B-29
parviennent enfin à riposter en bombardant les pistes de décollage de
l’aviation japonaise, les dégâts sont déjà bien lourds. L’ perd ainsi
une trentaine de navires et plus de 360 autres bâtiments, dont quatre de
ses porte-avions ont été plus ou moins gravement endommagés.
Sur l’île même, la fin approche pour les Japonais. Le 9 juin, la 32e armée
japonaise est coupée en deux à la suite du débarquement de
derrière les lignes ennemies. Le 18 juin, le 8e régiment de
parvient à prendre la crête de Kunishi, au sud d’Okinawa, affrontant une
fois de plus des milliers de défenseurs japonais prêts à se battre jusqu’à la
mort. Entre le 18 et le 21 juin, 3 000 d’entre eux périssent dans les
combats. Le 18 juin, le général Buckner, commandant de la 10e armée
américaine, est tué par un éclat d’obus au cours d’une inspection de la
zone.
Le 21 juin, les Américains arrivent au sud de l’île, faisant près de 3 000
prisonniers dans la zone. De nombreux soldats japonais, dont le général
Ushijima, préfèrent le suicide au déshonneur du vaincu.
Malheureusement, cette solution extrême sera également celle de certains
civils d’Okinawa, dont des femmes et leurs enfants.
Après 82 jours de combat face à la résistance acharnée des défenseurs
japonais, les Américains sont maîtres de l’île d’Okinawa. Mais ils
déplorent la perte de près de 12 500 hommes tués et comptent également
35 000 blessés. Quant aux Japonais, ils dénombrent 110 000 soldats tués,
7 500 hommes faits prisonniers, ainsi qu’environ 80 000 civils qui vivaient
sur l’île.

Les Américains sont désormais situés à près de 500 kilomètres des côtes
japonaises et peuvent envisager un débarquement sur le sol nippon.
Toutefois, cette double victoire américaine à Iwo Jima et à Okinawa a
coûté cher en vies humaines. Les estimations réalisées quant au coût
d’une invasion du Japon, compte tenu du fanatisme des soldats japonais,
sont pessimistes, prévoyant au moins 250 000 morts parmi les assaillants
américains.
Les stratèges sont donc partisans de bombardements massifs sur les villes
japonaises afin de conduire la population, à bout de forces et démoralisée,
à renoncer à la poursuite de la guerre. Mais compte tenu de la forte
résistance japonaise dans les récents combats, civils compris, il n’est pas
certain que la population cède à cette forme de guerre psychologique. Les
Américains s’attendent donc à une guerre longue.
La découverte de la bombe atomique, expérimentée avec succès dans le
désert du Nouveau-Mexique trois semaines après la victoire d’Okinawa,
change la donne : par l’emploi de cette arme terrifiante, l’invasion du
Japon peut être évitée. L’arme atomique est ainsi lancée le 6 juin sur la
ville d’Hiroshima, puis le 9 juin sur celle de Nagasaki, faisant environ
200 000 victimes dans d’atroces conditions. Il aura néanmoins fallu ces
deux bombes aux Américains pour que le Japon, anéanti, accepte la
capitulation, le 14 août.
Celle-ci est signée le 2 septembre 1945 par l’empereur Hiro-Hito, devant
le général MacArthur, commandant en chef des forces alliées dans le
Pacifique, sur le porte-avions américain , marquant la fin de la
Seconde Guerre mondiale.
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, les Français sont présents dans
une grande partie de la péninsule indochinoise, en Asie du sud-est. Leur
colonie d’Indochine comprend le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine
(trois régions qui composent l’actuel Vietnam), le Laos et le Cambodge.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les nationalistes, membres du
Viêt-minh, le parti communiste indochinois, réclament le départ des
Français et l’indépendance de l’Indochine française. Ils refusent le
maintien de l’occupation coloniale française, en raison de l’attitude du
gouvernement de Vichy pendant la guerre et du rôle important joué par
les nationalistes dans la libération de leur pays envahi par les Japonais à
partir de juillet 1941. À l’initiative de leur leader Hô Chi Minh, ils
proclament l’indépendance de la « république démocratique du
Vietnam » le 2 septembre 1945, jour de la reddition officielle du Japon et,
donc, de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La France envoie deux émissaires, Jean Sainteny et le général Leclerc,
pour discuter avec Hô Chi Minh de l’avenir de la colonie française. Elle
entend maintenir celle-ci dans l’Union française, en dépit d’un statut
d’autonomie qui ne fait que « l’associer » à la France sans lui donner son
indépendance. Les nationalistes jugent cette solution inacceptable et, en
novembre 1946, éclate la guerre d’Indochine.
Le siège de Diên Biên Phu, au printemps 1954, correspond à la dernière
phase de cette guerre qui dure depuis presque huit ans.

De son vrai nom Nguyen tat Than, il est né en 1890 à Kiêm Liên,
dans la province de Nghê An située dans ce qui est alors l’Indochine
française, mais qui deviendra le Vietnam.
Après de courtes études à Hué, il quitte l’Indochine en 1911 et
parcourt l’Europe occidentale et la côte est américaine, vivant de
« petits boulots ». Il se rend en France en 1919, où il devient membre
des Jeunesses socialistes.
En 1921, marqué par le principe du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes défendu deux ans plus tôt par le président américain Wilson au
congrès de Versailles, il rédige un manifeste intitulé « Revendications
du peuple annamite » contre la colonisation française, et participe au
congrès de Tours.
Il se rend ensuite en Union soviétique, puis en Chine et à Hong Kong
où, recherché pour ses activités révolutionnaires, il finit par être arrêté
par les services anglais. En 1930, il fonde le parti communiste
indochinois. Il effectue un nouveau séjour en Union soviétique entre
1936 et 1937, au cours duquel il devient cadre du Komintern. Il
s’installe ensuite à Pac Po, dans la province de Cao Bang, avant de
retourner en Chine où il est de nouveau arrêté et emprisonné
plusieurs mois.
Revenu au Vietnam, il rebaptise en 1941 son parti le « Front
d’indépendance du Vietnam » (« Viêt-minh » en Vietnamien), et,
installé dans le maquis, il organise la résistance face à l’occupant
japonais en Indochine. En 1942, après avoir pris le nom de « Nguyen
aï Quoc », il adopte celui d’« Hô Chi Minh », qui signifie
approximativement en vietnamien : « celui qui apporte les lumières ».
Le 2 septembre 1945, il autoproclame l’indépendance du Vietnam,
mais celle-ci n’est pas reconnue, ce qui amène Hô Chi Minh à
négocier avec Jean Sainteny, l’envoyé du gouvernement français. En
mars 1946, le Vietnam devient un État libre, mais membre de l’Union
française, dont les prérogatives n’ont pas été précisées initialement, ce
que refuse Hô Chi Minh. Le 6 janvier 1946, celui-ci est devenu
président de la république du nouveau Vietnam, grâce au succès du
Viêt-minh lors de l’élection de la nouvelle Assemblée constituante.
Les négociations sont bientôt anéanties par l’incompréhension entre
le leader indochinois et le gouvernement français.
En novembre 1946, Hô Chi Minh prend l’initiative de lancer la
guérilla contre la France, qui riposte en bombardant le port
d’Haiphong. La guerre d’Indochine va durer huit ans, de 1946 à 1954.
Pendant toute cette période, Hô Chi Minh dirigera le Viêt-minh.
Élu président de la république démocratique du Vietnam du Nord en
1954, il entend réunifier le pays sous les principes du socialisme et
devient secrétaire général du parti communiste de 1956 à 1961.
Il décède à Hanoï en 1969, en pleine guerre du Vietnam, et ne verra
pas son ambition se réaliser. Ce n’est qu’en 1975 que le pays se
réunifiera sous un régime communiste, à la suite de la chute de
Saïgon, la capitale du Vietnam du Sud, rebaptisée depuis en son
honneur « Hô Chi Minh-ville ».

À la fin de l’année 1953, le général Henri Navarre, qui a succédé au


général Raoul Salan six mois plus tôt à la tête du corps expéditionnaire
français, reçoit pour mission de s’opposer à l’extension des activités du
Viêt-minh à l’ouest du Tonkin et de l’Annam, c’est-à-dire au Laos. Il
s’agit d’un État indépendant mais membre de l’Union française, dont le
souverain est favorable au maintien de la France dans la région.
Dans le cadre de l’opération Castor, deux groupements aéroportés sont
parachutés le 20 novembre dans les hauteurs du Tonkin, à proximité de la
frontière avec le Laos, sur un ancien chef-lieu administratif du nom de
« Diên Biên Phu ». L’objectif initial est alors de reprendre le secteur pour
empêcher l’avancée des troupes du général Giap.
Pour protéger la route de Louang-Prabang, les Français installent un
camp retranché, placé dans une cuvette de 16 kilomètres sur 9. Le choix
de cette cuvette peut étonner, mais les Français mésestiment alors
gravement les capacités du Viêt-minh et comptent aussi sur des renforts.
Les soldats du génie aménagent le terrain de façon à pouvoir repérer
l’artillerie ennemie et attaquer les combattants du Viêt-minh depuis cette
base. Sous les ordres du colonel Christian de Castries, plus de 4 500
hommes installent tout un dispositif de sécurité avec des barbelés, des
tranchées, des fortins, etc., et restaurent un ancien terrain d’aviation
utilisé par les Japonais dix ans auparavant.
Les Français ont sous-estimé l’ennemi, jugeant que le général Giap ne
pourrait ni masser plus de deux divisions dans la région, ni intervenir en
force loin de ses bases, car les routes sont si mauvaises qu’elles limitent
l’approvisionnement en artillerie lourde, vivres et munitions.
Pourtant, les troupes du Viêt-minh vont s’avérer à la fois plus nombreuses
et bien mieux équipées. Le général Vo Ngyen Giap, chef de l’armée
populaire du Vietnam, a réuni non pas deux mais cinq divisions qui, début
décembre, prennent la route à marche forcée en direction de Diên Biên
Phu. Au même moment, entre 75 000 et 80 000 porteurs équipés de
20 000 bicyclettes sont réquisitionnés parmi la population pour compléter
les effectifs déjà présents, tandis que les Chinois fournissent à leurs alliés
communistes un important stock d’armement.
Pendant cette marche en direction de Diên Biên Phu, à laquelle se
joignent un millier de camions, les 250 000 porteurs vietnamiens
accomplissent un véritable exploit. Ils s’avèrent capables d’amener à
bicyclettes ou à dos d’hommes, et sur 300 kilomètres de routes et chemins
défoncés, des pièces d’artillerie lourde (éléments de batteries
antiaériennes, mortiers de 120, canons de 105) et toute la logistique
nécessaire pour les troupes. Certains vélos transporteront jusqu’à 200 kg
de charge !

Au début de 1954, les divisions de Giap arrivent dans le secteur. Les


services de renseignements français confirment la présence de près de
60 000 hommes dotés d’une importante artillerie, telle qu’une vingtaine
d’obusiers de 105, une quinzaine de canons de 75 et de nombreux
mortiers et canons sans recul.
Les Français se retrouvent encerclés et doivent demander des renforts
d’urgence, le corps expéditionnaire passant à près de 12 000 hommes… À
l’origine offensif, leur plan d’action devient défensif. Pourtant, les
Français restent convaincus que l’ennemi ne peut déployer ses pièces
d’artillerie sur les hauteurs entourant le camp et qu’aucun obus ne peut,
par conséquent, atteindre avec précision les points sensibles comme, par
exemple, le terrain d’aviation au centre du camp.
À la mi-janvier, on croit à l’imminence d’une attaque, mais le général
Giap envoie finalement une partie de ses troupes à destination du Laos,
où le Viêt-minh a lancé une offensive. Giap entame au contraire un siège
long, organisé, encerclant Diên Biên Phu par 350 kilomètres de
tranchées.
Le 13 mars, il donne l’ordre à ses troupes de passer à l’attaque. En une
semaine, les Vietnamiens parviennent à 200 mètres du camp, tandis que
leur DCA, équipée de 30 canons de 37 mm et de 50 mitrailleuses de
12,7 mm, freine considérablement les moyens aériens des Français, tant
pour le ravitaillement en armes et en vivres que pour l’évacuation des
blessés.
Le 28 mars, le terrain d’aviation est devenu inutilisable, le pont aérien est
coupé et les ravitaillements ne se font plus que par parachutage dans des
conditions extrêmes pour les pilotes. Le camp est pilonné par l’artillerie
(200 000 obus sont lancés en moins de deux mois) et les avant-postes
(baptisés « Béatrice », « Gabrielle », « Isabelle », etc.) sont attaqués les
uns après les autres. À la fin mars, les combats se multiplient dans les
tranchées, où les Viêt-congs (soldats du Viêt-minh) sont réapprovisionnés
en permanence par des porteurs.
Au mois d’avril, alors que commencent les pluies de saison qui
transforment le théâtre d’opération en bourbier, on compte désormais
dans le camp français un millier de blessés qui ne peuvent être évacués. Le
dernier espoir réside dans les pourparlers qui ont lieu au même moment
entre les puissances occidentales et communistes sur l’avenir de la Corée
et du Vietnam. On attend l’ouverture de la conférence de Genève.
Pourtant, celle-ci viendra trop tard pour les soldats de Diên Biên Phu…

Alors que l’étau s’est considérablement resserré, le camp étant réduit à 1


km2, et que la plupart des fortins ont été pris aux premiers jours de mai,
l’assaut final est lancé le 7 mai. Les 5 500 hommes du camp retranché
encore valides combattent sous un déluge d’artillerie.
Le cessez-le-feu est déclaré à 17 heures 30, après que les soldats
vietnamiens ont pris le PC du chef français de Castries, général depuis la
mi-mars.
Alors que prennent fin ces terribles 56 jours de siège, le bilan est lourd : le
Viêt-minh a perdu 8 000 hommes57 et dénombre 15 000 blessés ; les
Français déplorent 1 700 tués et 1 606 disparus, comptant également 4
500 blessés.
10 000 hommes sont emmenés prisonniers dans des camps. Les mauvais
traitements qui leur sont infligés ne permettront qu’au tiers d’entre eux
de ressortir vivants, lors de leur libération en septembre 1954.

Le lendemain de la défaite française, le 8 mars, s’ouvre enfin à Genève la


conférence internationale visant à clore la guerre d’Indochine, à
officialiser le départ des colons français et à reconnaître l’indépendance
du Vietnam. Cette conférence, qui réunit les représentants d’une
vingtaine de nations dont la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne,
l’URSS et la Chine, s’est fixé pour objectif de trouver une solution avant
le 20 juillet à minuit, date limite pour le déroulement des négociations.
Les accords conclus pendant la conférence sont officialisés et signés le
lendemain, le 21 juillet 1954. Outre la confirmation du cessez-le-feu dans
toute l’Indochine française pour les jours suivants, le gouvernement
français s’engage à évacuer rapidement ses troupes, tandis que le Viêt-
minh libère les prisonniers français et se retire du Laos et du Cambodge.
Mais surtout, le Vietnam, devenu indépendant, doit être divisé de part et
d’autre du 17e parallèle. Des élections libres sont prévues en 1956 pour
une réunification du pays.
Le Viêt-minh, qui se trouve dans la partie du Vietnam située au nord du
17e parallèle, proclame la république démocratique du Vietnam. Sa
capitale est Hanoï et son régime, communiste, est dirigé par Hô Chi
Minh.
Quant à la partie sud du Vietnam, érigée elle aussi en État indépendant,
elle est dirigée par un empereur acquis aux Occidentaux, Bao Daï. Celui-
ci sera renversé rapidement par Ngô Dinh Dîem, un nationaliste anti-
communiste soutenu par Washington.
Les élections libres n’auront jamais lieu et, dix ans après la fin de la guerre
d’Indochine, s’engage la guerre du Vietnam, mettant face à face les
combattants du Nord communiste et ceux du Sud soutenus par les
Américains.
En juillet 1830, les forces françaises prennent pied en Algérie, à
l’instigation du roi Charles X qui espère ainsi détourner l’attention des
Français mécontents de son régime. Mais le dernier des souverains
Bourbons est renversé peu après et son successeur, le roi Louis-Philippe
d’Orléans, décide de poursuivre la conquête de l’Algérie et son
peuplement par des colons venus de métropole.
Au fil des décennies, l’Algérie est peu à peu considérée comme un
territoire français bien qu’en 1900, sur l’initiative des colons, elle
bénéficie de sa propre personnalité civile et de son propre budget.
Pourtant, les habitants de cette « Algérie française » ne sont pas tous
considérés de la même manière : alors que les juifs algériens ont obtenu la
nationalité française en 1871, les musulmans ne bénéficient pas des
mêmes droits que les citoyens français et ressentent de plus en plus cette
inégalité.

Dans les années 1930 apparaissent des organisations anticolonialistes


d’origine musulmane. Dans un premier temps, les autorités françaises
réussissent à contenir les tendances indépendantistes naissantes. Mais la
Seconde Guerre mondiale va permettre au nationalisme de se développer,
comme dans la majorité des colonies. Plusieurs facteurs vont conduire les
musulmans algériens à exiger le départ des Français : la perte de
crédibilité des Français pendant la guerre, la lutte entre partisans de
Vichy et ceux de la France libre, peut-être aussi l’influence de
l’occupation américaine en Afrique du Nord et, enfin, le mécontentement
de la population face à une situation économique désastreuse.
Dès la fin du conflit mondial, la lutte est déclenchée : le 8 mai 1945, une
insurrection éclate à Sétif et à Guelam, où défilent des partisans de
l’indépendance. 21 Européens sont massacrés. Le mouvement de révolte
s’étend en Kabylie et dans le Constantinois où une centaine d’Européens
sont tués. La répression est telle qu’on dénombre près de 10 000 morts à
la fin du mois de mai. Pour améliorer la situation, la France ne propose
que l’octroi de la citoyenneté à 60 000 musulmans, ce qui est jugé bien
insuffisant.
En octobre 1946 apparaît le Front de libération nationale (FLN) organisé
par un nationaliste particulièrement actif, Ahmed Ben Bella. Doté d’une
branche armée, l’Armée de libération nationale (ALN), le FLN bénéficie
du soutien au Caire de Gamal Abdel Nasser. Ayant mis en place cinq
zones de résistance, les , il se prépare à passer à la lutte armée.

Le 1er novembre 1954, le FLN lance une première vague d’attentats et


une insurrection dans les Aurès : c’est le début de la guerre d’Algérie, qui
va durer huit ans.
En 1955, la situation se dégrade dangereusement. Cette année-là, on
dénombre un total d’un millier d’attentats et le contingent français passe
de 55 000 à 80 000 hommes. Le FLN ne s’en prend pas qu’aux
Européens, mais également aux Algériens dont il espère obtenir le
ralliement par la terreur, notamment par le biais de massacres collectifs
qui doivent servir d’exemples.
Le gouvernement de Guy Mollet, arrivé au pouvoir en février 1956,
préfère rappeler le gouverneur général Jacques Soustelle, qui tentait
depuis 1955 d’initier des réformes aboutissant à la reconnaissance de la
pleine citoyenneté aux musulmans. Il décide de s’engager dans une guerre
totale. Le successeur de Soustelle, Robert Lacoste, nommé non pas
gouverneur mais « ministre résident », a pour mission de parvenir à
instaurer un cessez-le-feu par la force avant de passer aux négociations
avec les nationalistes algériens.
À partir de l’été 1956, alors que les effectifs du contingent français sont
passés à 400 000 hommes, les efforts du FLN se portent désormais sur les
villes, et notamment Alger, où les nationalistes algériens espèrent
provoquer une situation insurrectionnelle. Les chefs du FLN entendent
réussir à prouver au monde entier qu’ils bénéficient du soutien d’une part
croissante de la population. Ils divisent la « Zone autonome d’Alger »
(ZAA) en trois secteurs (centre, est et ouest) et un « réseau bombes » est
organisé.
Pourtant, on espère encore une issue pacifique, lorsque le 22 octobre, un
avion prêté par le Maroc et transportant des nationalistes algériens, dont
Ahmed Ben Bella, est détourné par les autorités françaises sur Alger, où
ses passagers sont emprisonnés. En novembre et décembre suivants, les
attentats à la bombe, à la grenade et à la mitrailleuse se multiplient à
Alger dans les lieux les plus fréquentés, faisant des dizaines de morts et
provoquant d’horribles mutilations sur des centaines de blessés, dont des
enfants.
Un ordre de grève générale, lancé le 1er novembre par le FLN, est
largement suivi par la population musulmane. En décembre, le
ressentiment des pieds-noirs envers les Arabes est à son comble après
l’assassinat d’Amédée Froger, maire de Boufarik. En outre, on découvre
que le FLN prépare une nouvelle grève insurrectionnelle pour soutenir
ses représentants au sommet de l’assemblée générale des Nations unies
organisé à la fin janvier.

Devant l’impuissance des forces de police, dont les moyens ne permettent


pas d’arrêter les chefs terroristes, les autorités décident de confier à
l’armée la totalité des pouvoirs de police dans la zone algéroise (800 000
habitants). Le 7 janvier, le général Jacques Massu, qui commande la 10e
division parachutiste, reçoit de Robert Lacoste les pleins pouvoirs de
police sur le Grand Alger.
Pour réaliser sa mission, Massu dispose des 4 600 hommes de sa division
parachutiste et de 1 500 fonctionnaires du corps urbain, ainsi que de
l’appui de la gendarmerie mobile. Il bénéficie d’une énorme supériorité
numérique, d’une meilleure mobilité et d’une totale disponibilité par
rapport aux forces de police qui, moins nombreuses, sont tenues par les
règles syndicales et doivent respecter les horaires de travail.
L’objectif consiste à traquer les terroristes, à faire disparaître le FLN et à
retourner l’opinion publique musulmane en faveur de la France. Depuis
le PC de la 10e division parachutiste, Massu, entouré de ses hommes,
organise sa mission : il divise la ville en quatre secteurs, chacun étant
placé sous la responsabilité d’un colonel de la 10e DP, et distingue les
quartiers musulmans des autres, avant de pouvoir passer à l’action.
Commencent alors les opérations de « ratissage », consistant à
perquisitionner, arrêter ou assigner à résidence les suspects. Des
patrouilles inspectent les rues en permanence et de nombreuses armes,
bombes, grenades, ainsi que des tonnes d’explosif, sont saisies par les
parachutistes.
Cette méthode porte peu à peu ses fruits en faisant baisser le nombre
d’attentats. Mais le choix fait par certains militaires français de recourir à
la torture pour faire parler des Algériens suspectés d’avoir posé des
bombes sera vivement dénoncé par la suite.
La grève générale prévue échoue car les soldats français forcent les
musulmans à se rendre à leur travail et à ouvrir leurs boutiques ou leurs
bureaux.
Le 15 février, l’un des chefs du FLN dirigeant la ZAA, Larbi Ben M’Hidi,
est capturé par le général Bigeard. À la nouvelle de son arrestation, les
autres membres de l’exécutif du FLN quittent Alger pour rejoindre le
plus rapidement possible la capitale tunisienne et se mettre à l’abri.
En quelques mois, le général Massu et ses hommes remportent la bataille
d’Alger, au prix d’environ 3 000 « disparitions », et laissent un FLN à
bout de forces et déchiré par des querelles internes.

Toutefois, si la pacification semble l’emporter sur le plan militaire, le


FLN s’affirme de plus en plus sur le plan politique dans une guerre dont
la légitimité est remise en cause au niveau international.
Une solution négociée s’impose, mais les pieds-noirs refusent de voir
leurs intérêts sacrifiés. Ainsi, le 13 mai 1958, après qu’une manifestation
des pieds-noirs a tourné à l’émeute et mis à sac la délégation générale
d’Alger, le général Massu est chargé de créer et de diriger un Comité de
salut public réunissant des Européens comme des musulmans.
Le même jour, la IVe République s’effondre. Le général de Gaulle,
revenu au pouvoir dans le cadre de la Ve République, reconnaît en 1961 le
principe d’un État algérien indépendant. Mais certains partisans de
l’Algérie française refusent et fondent l’Organisation de l’armée secrète
(OAS), qui passe à la lutte armée. Après avoir pratiqué vainement
plusieurs attentats, l’OAS se rend en juin 1962, trois mois après la
signature des accords d’Évian entre les autorités françaises et le FLN, le
18 mars 1962.
La guerre prend fin et l’Algérie obtient son indépendance.
À partir de 1961, Ngô Dinh Dîem, le chef de l’État sud-vietnamien qui a
renversé l’empereur Bao Daï en 1955, demande un soutien militaire au
président américain Kennedy car il se sent menacé par les Nord-
Vietnamiens. Un an plus tôt, les Nord-Vietnamiens ont, en effet, fondé le
Front national de libération (FNL) et ils entendent réunifier tout le
Vietnam sous le régime de Hanoï.
Désormais, les conseillers militaires américains se multiplient au Vietnam
du Sud afin de soutenir l’Armée de la république du Vietnam (ARVN).
En 1965, à la suite de heurts violents entre des navires américains et
nord-vietnamiens, les États-Unis décident d’envoyer des troupes au
Vietnam et commencent les bombardements contre les Nord-
Vietnamiens. La guerre du Vietnam a commencé…

Elle dure depuis bientôt trois ans lorsque survient, comme chaque année
entre la fin janvier et la mi-février, la période du Têt Ngyen Dau. Cette
fête vietnamienne de la nouvelle année lunaire correspond depuis le début
de la guerre à une période de trêve. Aussi les militaires américains ont-ils
relâché leur vigilance, les attaques des Viêt-congs devant nettement
diminuer à cette période.
Pourtant, les services de renseignements américains ont signalé
récemment des risques réels en provenance du FNL. L’attaque récente, le
21 janvier 1968, de la base de Khe Sanh, dans la partie Nord du Sud-
Viêtnam à proximité de la frontière avec le Nord-Viêtnam et le Laos,
pourrait correspondre aux menaces détectées par les services de
renseignements. Les Américains ont déplacé des soldats pour renforcer la
défense de cette base et de la zone frontalière, au détriment des villes du
sud du pays.
En réalité, cette attaque n’est qu’une manœuvre de diversion orchestrée
par le gouvernement communiste de Hanoï et par le FNL, qui entendent
lancer une offensive de grande ampleur contre le Sud-Viêtnam.
Le 31 janvier 1968, premier jour du Têt, le FNL lance une première
offensive en différents points au centre du Sud-Viêtnam. Les soldats
nord-vietnamiens, mêlés aux civils, réussissent à se fondre dans la foule et
parviennent à tirer sur des bâtiments officiels. Ils sont bientôt arrêtés par
les hommes de l’ARVN, l’armée sud-vietnamienne. Une fois de plus, on
pense qu’il s’est agi de l’offensive annoncée et que l’alerte est désormais
passée.
Or, c’est un piège : tandis que la surveillance se relâche, l’assaut est lancé
sur les grandes villes de province du Sud. Hue, l’ancienne capitale, est
notamment le théâtre de violents combats de rues et va devenir la ville la
plus touchée, l’ordre n’étant rétabli par les qu’à la fin février.
Parvenus dès le lendemain de l’offensive à Saïgon, la capitale, les soldats
du FNL s’en prennent aux bâtiments gouvernementaux, dont le palais de
l’Indépendance, le siège de la radio nationale, l’ambassade des États-Unis
et le quartier général américain. Au total, une centaine de cibles urbaines
seront touchées au Sud-Viêtnam.
Commandés par le général Westmoreland, les Américains se retrouvent
débordés par les forces nord-vietnamiennes au pire moment, alors qu’ils
sont affaiblis dans leur système de défense. Face aux 85 000 combattants
du FNL, la victoire américaine est loin d’être acquise. Il faut attendre la
fin du mois de mars pour que les Américains et les forces de l’ARVN
reprennent l’avantage et que les combats cessent officiellement.
L’armée nord-vietnamienne a perdu 45 000 hommes, soit plus de la
moitié des soldats ayant participé à l’offensive, les Sud-Vietnamiens ont
perdu 11 000 hommes et les Américains, 2 000.

L’offensive du Têt est un échec sur le plan militaire pour les Nord-
Vietnamiens, mais un succès politique car elle a un effet psychologique
redoutable sur les Américains et les Sud-Vietnamiens. Elle prouve
d’abord que les villes du Sud ne sont pas imprenables, mais aussi que les
Américains ne sont pas invulnérables et peuvent être mis en très grande
difficulté. Ce faisant, elle redonne confiance aux combattants nord-
vietnamiens et affaiblit le moral de ceux du Sud. Elle amène aussi la
population américaine, qui suit de plus en plus les événements de la
guerre du Vietnam à la télévision, à se poser bien des questions sur
l’utilité de l’intervention des États-Unis.
Plus encore, l’offensive du Têt n’est pas étrangère au discours du
président Johnson aux Américains, le 31 mars 1968. Celui-ci annonce,
d’une part, la fin des bombardements sur le Nord-Viêtnam et, d’autre
part, qu’il ne se représentera pas aux prochaines élections présidentielles.
Ce discours en faveur de la paix débouchera sur l’ouverture de
négociations à Paris, Hanoï et Washington.
Toutefois, le retrait des troupes américaines ne sera effectif que cinq ans
plus tard, sous la présidence de Richard Nixon qui signera les accords de
Paris le 27 mai 1973.
Ce n’est qu’en avril 1975, avec la chute de Saïgon consacrant la victoire
définitive des troupes communistes, que la guerre du Vietnam prend fin.
Le Vietnam est officiellement réunifié en juillet 1976, sous le nom de
« république socialiste du Vietnam », avec Hanoï pour capitale.
L’État d’Israël est apparu officiellement le 14 mai 1948, à la suite d’un
plan de partage des Nations unies. La résolution 181 du 29 novembre
1947 prévoyait de faire cohabiter un État israélien et un État palestinien,
tandis que les Lieux saints de Jérusalem et de Bethléem seraient placés
dans une zone internationale. Malgré le refus des pays arabes voisins de
reconnaître les dispositions de cette résolution, ces derniers ont envahi
l’État hébreu, en vain, dès sa création. Depuis, aucun État palestinien n’a
encore vu le jour et des centaines de milliers de Palestiniens sont devenus
des réfugiés.
Hormis une crise grave survenue en 1956 avec l’invasion du Sinaï par les
troupes israéliennes qui soutenaient l’opération franco-britannique contre
Nasser, les relations entre l’État hébreu et ses voisins sont restées froides
et tendues.
Le début des années 1960 voit ressurgir le problème israélo-palestinien :
après que les Israéliens ont décidé d’aménager les eaux du Jourdain pour
leurs propres cultures dans le Néguev, les pays arabes en profitent pour
resserrer leurs liens afin de s’opposer plus efficacement à l’État hébreu.
La conférence du Caire, organisée en janvier 1964, prend un certain
nombre de décisions, dont un plan de détournement des eaux du
Jourdain, et autorise l’Organisation de libération de la Palestine (OLP),
nouvellement fondée, à prendre part en tant qu’observateur aux sommets
arabes. Une armée de libération de la Palestine est également fondée et
reçoit l’autorisation de recruter dans tous les pays abritant des
Palestiniens. La tension ne peut désormais que s’accroître en Israël et
dans les pays arabes voisins.

En 1966, les relations entre Israël et ses voisins se dégradent encore


davantage. Le président égyptien Gamal Abdel Nasser se présente depuis
plusieurs années comme le défenseur du monde arabe, mais son prestige
est en déclin depuis le début des années 1960. Pour maintenir son rôle de
leader, il se présente comme le plus dangereux ennemi d’Israël et
multiplie les provocations verbales contre l’existence même de l’État
hébreu, soutenant avec force l’OLP. En 1966, l’Égypte et la Syrie ont
signé un accord de défense mutuelle, ce qui permet à l’Égypte de se sentir
confortée dans sa volonté d’unifier le monde arabe sous sa tutelle, tandis
que la Syrie entend jouer enfin un rôle de premier plan dans la lutte
contre son voisin hébreu.
Le contexte international s’y prête particulièrement : en s’opposant à
Israël, l’Égypte prend également position contre les États-Unis et leur
allié saoudien. En effet, l’Égypte, soutenue par l’Union soviétique depuis
une quinzaine d’années, connaît à cette époque une crise économique
difficile à enrayer et dépend de plus en plus de l’aide de Moscou. Du côté
de la Syrie, c’est en février 1966 que l’aile gauche du Baas, le parti
nationaliste, prend le pouvoir, recevant immédiatement le soutien à la fois
économique et militaire des Soviétiques et s’affirmant comme l’ennemi
d’Israël en apportant un soutien aux palestiniens.
Dès lors, le nombre d’attentats sur le sol israélien augmente et les
incidents se multiplient à la frontière israélo-syrienne. Depuis les
hauteurs du Golan, les Syriens agressent les Israéliens, tandis que l’armée
israélienne riposte au-delà de ses frontières au printemps 1966, détruisant
six Migs syriens. Avec le soutien des Soviétiques, les Syriens affirment
alors que les Israéliens ont massé 11 divisions le long de leurs frontières,
sous-entendant qu’ils préparent une offensive contre le nouveau régime
de Damas. Israël dément, proposant à l’ambassadeur soviétique comme au
président égyptien de venir constater ces propos par eux-mêmes. Mais ni
l’un ni l’autre n’y consentent, et Nasser en profite pour mettre son armée
en état d’alerte avant de se tourner vers les Nations unies.
C’est dans ce contexte particulièrement difficile que, le 19 mai 1967,
Nasser obtient du secrétaire général de l’ONU, U Thant, de remplacer
les Casques bleus présents dans le Sinaï depuis 1957 par ses propres
troupes. Ainsi, 100 000 soldats égyptiens s’installent dans la région
jusqu’à la frontière israélienne et des parachutistes égyptiens prennent
position à Charm-el Cheikh. Cette ville est située dans une zone
stratégique puisqu’elle contrôle le détroit de Tiran qui relie la mer Rouge
au golfe d’Aqaba et permet donc aux navires de rejoindre le port israélien
d’Eilat.
Au même moment, l’armée syrienne se concentre à proximité de la
frontière avec Israël.
Le 22 mai, Nasser annonce sa décision de bloquer l’accès du détroit de
Tiran et du golfe d’Aqaba, déclarant devant la presse internationale : «

Pourtant, l’Égypte avait elle-même


reconnu en janvier 1950 le caractère international du détroit de Tiran.
La décision de Nasser constitue une véritable provocation, empêchant en
particulier l’approvisionnement d’Israël en pétrole, et s’apparente alors à
une déclaration de guerre. Conscient des éventuelles conséquences de
cette mesure, Nasser demeure toutefois persuadé que l’armée israélienne
n’osera pas bouger : ses effectifs sont bien moins nombreux que ceux des
armées arabes et elle devrait dans ce cas mobiliser ses forces sur trois
fronts à la fois. Dans l’hypothèse inverse, si Israël voulait intervenir,
Nasser compte sur une rapide victoire des pays arabes, ce qui est une très
mauvaise estimation du véritable rapport de force.

C’est compter sans la détermination de l’État hébreu qui estime que ce


blocus est un véritable . Se sentant pris en étau par ses voisins
arabes menaçants, Israël opte ainsi pour une guerre préventive, visant à
anéantir le pacte militaire entre l’Égypte, la Syrie et la Jordanie.
Le rapport de force est pourtant défavorable à Israël, qui ne
dispose que de 850 avions et d’un millier de chars, tandis que les pays
arabes ont 800 avions et 2 000 blindés. Mais l’État hébreu, conscient de
cette faiblesse, mise sur l’effet de surprise et entend mener une « guerre
éclair ».
Au matin du 5 juin 1967, tous les avions israéliens, dont des Mirages
d’origine française, quittent leur base dans la plus grande discrétion,
volant à basse altitude et tâchant de ne pas être détectés par la défense
égyptienne. Or, du côté égyptien, les batteries antiaériennes ont été
exceptionnellement désactivées pour permettre au maréchal Amer de se
rendre en toute sécurité au Sinaï.
Parvenus au niveau des aérodromes égyptiens, les appareils israéliens
bombardent l’aviation militaire égyptienne, qui est rapidement détruite
au sol dans sa quasi-totalité, ainsi que certains des redoutables missiles
SAM 2 soviétiques installés dans le Sinaï. L’opération est également
effectuée contre l’aviation syrienne, jordanienne et irakienne, avec succès.
Les Israéliens viennent de se rendre maîtres de l’espace aérien.
Au même moment, l’armée israélienne s’avance en direction du Sinaï. Le
chef d’état-major de , le général Ytzhak Rabin, qui privilégie,
comme l’aviation, la rapidité de l’attaque, a envoyé les blindés vers Gaza
et vers Charm El-Cheikh. Le lendemain, le 6 juin, l’offensive israélienne
se poursuit dans le désert du Sinaï, ainsi qu’à l’est, en direction de la
Jordanie. Gaza tombe, ainsi que le secteur arabe de Jérusalem, sous tutelle
de la Jordanie depuis 1948. Le 7 juin, le Sinaï est le théâtre de terribles
affrontements entre les armées égyptienne et israélienne. Les Israéliens
prennent également pour cible des bombardements la capitale
égyptienne, Le Caire, ainsi que le canal de Suez que Nasser vient de
fermer. Alors que tombe Charm El-Cheikh, les Israéliens sont maîtres du
golfe d’Aqaba.
Sur le front syrien, le contrôle de l’espace aérien par les chasseurs
israéliens permet de neutraliser l’artillerie adverse, tandis que sur le front
israélo-jordanien, parvient rapidement à prendre la Judée-Samarie,
ou Cisjordanie. Dès le 7 juin, un cessez-le-feu est signé avec le roi
Hussein de Jordanie.
Les combats se poursuivent sur les fronts syrien et égyptien. À partir du
9 juin, ils se concentrent presque essentiellement sur le front syrien. La
situation est bloquée dans le Sinaï au bénéfice des Israéliens, bien que
Nasser ait refusé, le 7 juin, le cessez-le-feu demandé par les Nations
unies, car il le juge prématuré. Au nord-est du territoire israélien,
réussit à atteindre les hauteurs du plateau du Golan syrien, mais la Syrie
demande bientôt l’intervention des Nations unies pour faire cesser les
combats, sa capitale, Damas, étant menacée par l’aviation israélienne.

Pour la seconde fois, le Conseil des Nations unies demande un cessez-le-


feu qui intervient le 11 juin. Alors que prend fin cette guerre éclair de six
jours, la victoire de l’État hébreu est complète.
Les pays arabes, humiliés, doivent se rendre à l’évidence : ils ont perdu
non seulement des hommes, mais également des portions de territoire.
20 000 Égyptiens, 6 000 Jordaniens et 500 Syriens ont perdu la vie dans
les combats, tandis que les Israéliens ont perdu 800 hommes.
L’État hébreu récupère quelque 90 000 km2 formés du Sinaï et de la
bande de Gaza pris aux Égyptiens, du plateau du Golan pris aux Syriens,
ainsi que la Cisjordanie prise aux Jordaniens et Jérusalem-Est. L’État
hébreu proclame « avec un droit
d’administration et de juridiction étendu à toute la ville. C’est le début de
la question des « territoires occupés ». Pour l’État hébreu, à qui les pays
arabes voisins continuent de refuser le droit d’exister, ces territoires
constituent à la fois un glacis de sécurité et un moyen de pression pour
qu’en échange de la restitution d’un territoire, l’État d’Israël soit
officiellement reconnu.

Tandis que 250 000 Palestiniens prennent à leur tour le chemin de l’exil
vers la Jordanie, la Syrie ou le Liban, le Conseil de sécurité des Nations
unies vote la résolution 242, le 27 novembre suivant. Celle-ci exige
notamment la restitution de ces territoires, mais tout en reconnaissant le
droit à l’existence et à la sécurité d’Israël.
Depuis cette date, l’État d’Israël ayant été reconnu par l’Égypte en 1979,
le Sinaï lui a été rendu. La paix a également été signée avec la Jordanie en
1994. La bande de Gaza, évacuée à l’été 2005 par les colons israéliens, et
la majeure partie de la Cisjordanie devraient, un jour prochain, constituer
le futur État palestinien. En revanche, le Golan demeure occupé par les
armées israéliennes, la Syrie refusant toute négociation avec l’État
hébreu, qu’elle ne reconnaît toujours pas.
En outre, le sort des colonies juives situées à Jérusalem-Est, ainsi que la
gestion des Lieux saints et le statut de la Ville ne sont pas non plus réglés,
les Palestiniens entendant faire de Jérusalem leur future capitale, ce que
refusent les Israéliens.
En 1970, Gamal Abdel Nasser disparaît et Anouar el-Sadate, l’un de ses
principaux collaborateurs, lui succède à la présidence de l’Égypte. Les
années 1969-1970 ont été marquées par une guerre d’usure (tirs de part et
d’autre, raids de l’aviation israélienne, etc.) entre Égyptiens et Israéliens
au niveau de la zone du canal de Suez. Un des premiers objectifs de
Sadate est donc de parvenir à un accord concernant les territoires
occupés, mais il échoue à s’entendre avec les Israéliens.
Bientôt, en accord avec le chef de l’État syrien, Hafez el-Assad, et d’autres
dirigeants arabes, il décide d’une nouvelle guerre qui se poursuivrait
jusqu’à la reconquête des territoires perdus en 1967 et la restauration des
droits du peuple palestinien. Depuis la guerre des Six Jours, en effet, les
anciens vaincus ont eu l’occasion de méditer leur échec : leurs soldats ont
été formés par des conseillers soviétiques, leur aviation est protégée d’une
attaque au sol par des abris et leur territoire est défendu notamment par
des missiles sol-air SAM soviétiques et des missiles antichars.

Le 6 octobre 1973, alors que les Israéliens célèbrent le Yom Kippour, le


Grand Pardon qui est la fête la plus solennelle du calendrier juif, l’Égypte
et la Syrie lancent une double offensive contre l’État hébreu. Il est 13
heures lorsque les chars et les fantassins égyptiens franchissent le canal de
Suez en direction du désert du Sinaï, occupé depuis 1967 par les forces
israéliennes. Au même moment, les chars syriens pénètrent dans le
Golan, dont la majeure partie du territoire tombe en quelques heures, et
envahissent le nord d’Israël.

Israël 275 000 1 700 432


Égypte 285 000 2 000 600
Syrie 100 000 1 200 210
Source :

Bien que le gouvernement israélien demeure méfiant depuis quelque


temps, l’armée israélienne, prise par surprise, n’est pas prête. Ainsi,
lorsque 70 000 soldats égyptiens attaquent les fortins de la ligne Bar-Lev,
le long de la rive orientale du canal de Suez, seuls 500 soldats israéliens
sont présents pour les défendre. La mobilisation des réservistes est lancée,
mais il faudra quatre jours pour qu’elle soit effective. En outre, en ce jour
de fête, les civils sont de retour de réunions familiales et bloquent les
routes, gênant l’avancée des troupes.
Alors qu’au cours de la guerre des Six Jours, les Israéliens avaient misé
avec succès sur la mobilité et la suprématie aérienne, la guerre du
Kippour ne se présente pas dans les mêmes conditions : la défense
israélienne est d’abord statique et l’aviation doit désormais faire face à des
missiles sol-air. Les Israéliens perdent ainsi de nombreux appareils dès le
premier jour.
Le lendemain, le 7 octobre, Israël lance une contre-offensive sur le front
israélo-syrien, au niveau du Golan. Mais les Syriens y disposent de
davantage de blindés que les Israéliens et conservent l’avantage, malgré
les immenses efforts de l’aviation israélienne qui multiplie ses sorties.
Le 10 octobre, une terrible bataille de chars s’engage, ralentissant
sérieusement l’avancée des troupes syriennes sur le Golan, qui ne
parviennent pas à aller plus en avant, jusqu’en Galilée. Les Israéliens
choisissent alors de se rapprocher de la capitale syrienne, ce qu’ils
réalisent en moins d’une semaine, se plaçant en position défensive à une
vingtaine de kilomètres de Damas, de façon à immobiliser le front syrien.
Sur le front égyptien, la confusion apparaît au sein de l’état-major qui a
donné l’ordre, après avoir envahi la zone du canal entre le 6 et le
15 octobre, de ne pas poursuivre l’avancée vers l’est, en direction du
territoire israélien.
Quant à la Jordanie, si elle participe officiellement à l’offensive, son rôle
n’en est que symbolique : bien que faisant partie des pays arabes, elle
n’entend pas se brouiller avec ses alliés américains et britanniques. Elle
refuse donc l’ouverture d’un troisième front et se contente d’envoyer une
brigade blindée sur le front syrien.
L’Irak, elle, est entrée en guerre le 10 octobre comme la Jordanie, mais
n’envoie que 30 000 hommes combattre aux côtés de ses alliés arabes.

Ayant stabilisé le front oriental face à leur ennemi le plus faible, la Syrie,
les Israéliens privilégient de renforcer le front de l’ouest, dans le Sinaï,
contre les Égyptiens. Leur confiance est réconfortée par la mise en place
par les Américains, à partir du 11 octobre, d’un pont aérien qui, les
Açores, fournit aux Israéliens des armes et du matériel performant.
L’URSS met également en place un pont aérien pour les pays arabes.
Au cours de la nuit du 15 au 16 octobre, le général israélien Ariel Sharon
réussit à faire franchir le lac Amer à ses blindés, grâce à des barges
amphibies. 24 heures plus tard, ceux-ci passent le canal de Suez, puis
marchent sur Le Caire. Une tête de pont, défendue par cinq brigades
israéliennes, est mise en place.
Le 19 octobre, la 3e armée égyptienne est mise en difficulté par les blindés
israéliens et bombardée par l’aviation israélienne, les installations
antiaériennes égyptiennes ayant été détruites au sol. Le 24 octobre, la 3e
armée égyptienne est prise au piège à l’est du canal et la ville de Suez est
occupée par les Israéliens. Ce n’est que ce jour-là que les troupes
israéliennes acceptent de déposer les armes, après que l’Union soviétique
et les États-Unis ont menacé d’intervenir militairement pour séparer les
deux camps.
Entre-temps, le Conseil de sécurité a demandé un cessez-le-feu, le
21 octobre, sur les vives instances de Moscou et de Washington, inquiets
du bouleversement provoqué dans le monde arabe. En effet, quatre jours
plus tôt, les pays arabes membres de l’OPEP (Organisation des pays
exportateurs de pétrole), menés par l’Arabie Saoudite, ont annoncé un
embargo sur leurs exportations de pétrole à destination de l’Europe et des
États-Unis, tant que les armées israéliennes n’auront pas évacué les
territoires occupés.
Ces pays veulent ainsi punir Israël et, surtout, les États-Unis qui l’ont
soutenu pendant cette guerre. Ils profitent aussi d’une occasion unique
pour s’affirmer enfin face aux compagnies pétrolières anglo-saxonnes, les
, qui refusent une meilleure redistribution des dividendes de l’or
noir.

La guerre du Kippour prend donc officiellement fin le 24 octobre 1973,


consacrant la victoire d’Israël, qui déplore toutefois la perte de 3 000
hommes.
Sans effet territorial , puisque rien ne change au sujet des
territoires occupés, cette guerre a redonné confiance aux pays arabes
grâce aux victoires remportées au début du conflit, qui ont permis
d’effacer l’humiliation de la guerre des Six Jours. Elle renforce également
le soutien des pays arabes à la cause palestinienne lors du sommet arabe
d’Alger, du 26 au 28 novembre 1973, au cours duquel l’OLP est reconnue
comme « .
Pour Israël, en revanche, la guerre a coûté très cher, entre 7 et 8 millions
de dollars. L’économie va donc s’en ressentir et passer rapidement à une
situation de crise. La guerre du Kippour donne aussi une leçon à ,à
qui certains reprocheront, en dépit de la victoire israélienne, de s’être
crue invincible depuis la fin de la guerre des Six Jours, et qui n’était pas
suffisamment préparée lors de l’attaque.
Mais les conséquences les plus graves sont celles qui touchent le pétrole.
D’octobre à décembre 1973, le prix du pétrole est multiplié par quatre,
signant le début de la crise économique pour les pays occidentaux, qui
dépendent fréquemment à une hauteur de 75 %, voire plus, du pétrole
pour leurs besoins énergétiques.
Les îles Malouines, ou en anglais, se trouvent dans l’Atlantique
Sud, non loin du Cap Horn. D’une superficie totale de 12 000 km2, elles
comportent deux îles principales et de nombreux îlots. Elles
appartiennent aux Anglais depuis que ces derniers ont expulsé les
Argentins qui tentaient d’en prendre possession, en 1833. Leurs
habitants, de nationalité britannique, sont pour la plupart éleveurs de
moutons.

En 1982, cet archipel apparemment insignifiant est l’objet d’un conflit


entre l’Argentine et la Grande-Bretagne.
Le général Galtieri, chef de l’État argentin, cherche à détourner
l’attention de la population, mécontente d’une situation économique et
sociale désastreuse, et à compenser l’absence de liberté par un réveil du
sentiment nationaliste.
Or, le différend qui vient de naître avec la Grande-Bretagne apparaît
comme l’occasion idéale : le 19 mars 1982, une quarantaine de ferrailleurs
intéressés par une vieille baleinière se sont librement installés sur l’île de
Géorgie du Sud, qui fait partie de l’archipel des Malouines, et ont planté
le drapeau argentin au sommet de leur campement. Les Britanniques
protestent, en vain. Galtieri profite alors de cette opportunité inespérée
pour répondre par la force.
Le 2 avril 1982, 5 000 fusiliers marins argentins s’emparent de Port-
Stanley, la capitale des Malouines, s’en prenant aux quelques dizaines de
soldats britanniques qui s’y trouvent. Galtieri pense reprendre l’archipel
aux Anglais sans grande difficulté. Pourtant, le nouveau Premier ministre
britannique, Margaret Thatcher, s’y oppose catégoriquement et demande
le départ immédiat des soldats argentins. À son tour, le Conseil de
sécurité des Nations unies soutient les exigences britanniques en votant la
résolution 502 qui condamne l’initiative argentine et ordonne le départ
des soldats argentins.
Pour les Britanniques, il n’est pas question d’abandonner l’archipel.
Outre les gisements de pétrole se trouvant dans le plateau continental
auquel il appartient, celui-ci représente un atout important puisqu’il
permet, par son emplacement, de revendiquer une portion de
l’Antarctique, et également de surveiller ce qui se passe dans la zone de
l’Atlantique-Sud.
Devant le refus des Argentins, Londres se prépare à la guerre : les
Britanniques lèvent une armada de 70 navires, comprenant deux porte-
avions, plusieurs sous-marins atomiques et 6 000 soldats des troupes
d’élite.
Traversant les 15 000 kilomètres qui la séparent des , la
jette l’ancre à l’est de l’archipel le 25 avril. Les commandos marine
britanniques, débarqués sur l’île de Géorgie du Sud pour en faire une
base arrière hors de portée de l’aviation argentine, font immédiatement
prisonniers les 200 Argentins qui s’y trouvent.
Cinq jours plus tard, Londres proclame le blocus total sur les 200 milles
marins qui entourent l’archipel et décide de patienter jusqu’à ce que les
médiateurs aient trouvé une solution pacifique.
Alexander Haig, secrétaire d’État américain, essaie en vain d’ouvrir des
pourparlers. Finalement, éconduits par l’Argentine, les États-Unis
décident de soutenir la Grande-Bretagne.
Cette option américaine conduit alors l’Union soviétique à proposer de
défendre les intérêts argentins, une offre que ne peut néanmoins accepter
la junte d’extrême-droite au pouvoir.
Alors que la plupart des pays d’Amérique latine apportent leur soutien aux
Argentins, y compris Cuba, les pays de la Communauté économique
européenne prennent parti pour la Grande-Bretagne et décrètent un
embargo sur les exportations à destination de l’Argentine.

Les hostilités militaires s’ouvrent le 1er mai 1982, lorsque les Britanniques
bombardent Port-Stanley, tandis que l’aviation argentine, basée
essentiellement en Patagonie, attaque les chasseurs britanniques. Pour la
première fois depuis 1945, s’ouvre une nouvelle bataille aéronavale.
Le lendemain, grâce à un de leurs sous-marins nucléaires d’attaque, les
Anglais coulent l’unique croiseur argentin, le , qui a osé
poursuivre sa route au-delà de la limite des 200 milles.
Les Argentins, qui ne peuvent utiliser les quelques bâtiments dont dispose
leur marine, lancent leur aviation. C’est elle qui va supporter l’essentiel de
l’effort militaire argentin et remporter plusieurs succès, en infligeant de
lourdes pertes aux Britanniques. Le 4 mai, elle coule notamment le
destroyer britannique , touché par un missile Exocet58.
Fin mai, le combat devient également terrestre : les Britanniques
débarquent à San Carlos et s’emparent de Port-Darwin, puis de Port-
Stanley qu’ils ont encerclé.
Les soldats argentins, qui sont souvent de jeunes appelés, se retrouvent
assaillis par les troupes de choc britanniques. Ils doivent se battre et
progresser sous le feu de l’artillerie navale et de l’aviation. Après un
dernier assaut mené par 4 500 soldats professionnels britanniques sur le
sol malouin, les soldats argentins participant à la bataille décident de se
rendre le 13 juin.
Le lendemain, le général argentin Menendez, avec l’accord de son
gouvernement, capitule officiellement.

Le bilan humain s’élève à 750 Argentins et 254 Britanniques tués au


combat. Les Argentins ont perdu une centaine d’avions et les Anglais une
douzaine de navires.
À l’issue de ce conflit, Margaret Thatcher gagne en popularité, mais le
général Galtieri est contraint de démissionner trois jours plus tard. La
junte militaire au pouvoir depuis 1976 laisse la place à la démocratie, qui
est proclamée en 1983 avec l’élection du président Raoul Alfonsin.
L’archipel n’est plus l’objet de revendications officielles, mais la Grande-
Bretagne a, cette fois, maintenu sur les une importante
garnison.
À la suite de ses huit ans de guerre avec l’Iran (1980-1988), l’Irak se
trouve en pleine faillite financière. À l’été 1990, ses relations avec ses
voisins se détériorent lorsque Bagdad accuse l’Arabie Saoudite et le
Koweït de faire artificiellement baisser le prix du baril de pétrole par
l’augmentation de leur production. Le 18 juillet, s’adressant à la Ligue
arabe, Saddam Hussein reproche à son voisin koweïtien de profiter du
pétrole irakien en exploitant la nappe frontalière de Roumaila depuis
1980. Les Koweïtiens tentent de négocier le remboursement de
l’exploitation de Roumaila à l’Irak, mais ce dernier refuse toute discussion
et masse ses troupes aux frontières séparant les deux États.

Le 2 août 1990, l’Irak envahit le Koweït avec une armée de 100 000
hommes.
En réalité, le contrôle des îles Warba et Boubiane, dont la souveraineté
est disputée entre les deux pays, permettrait à Saddam Hussein de
retrouver un large accès sur le Golfe lui assurant l’argent nécessaire à son
économie dévastée.
L’Irak, qui possède déjà 10 % des réserves mondiales de pétrole,
obtiendrait ensuite une place prépondérante au sein de l’OPEP
(Organisation des pays exportateurs de pétrole) grâce à l’annexion du
Koweït, comptabilisant alors environ 20 % des réserves mondiales. À ces
bénéfices, s’ajouteraient les 122 milliards de dollars que détient le Koweït
en investissements, source d’enrichissement considérable.
Enfin, Saddam Hussein n’a pas perdu son ambition d’affirmer son
leadership sur la région… Le fait que son pays soit le premier importateur
d’armes du monde (3,5 milliards de dollars en 1988) confirme le fait qu’il
se donne les moyens d’y arriver, au moins par la force.
Les combats sur le sol koweïtien sont brefs et, dès le 3 août, tous les
points clés du pays sont contrôlés par l’armée irakienne. L’émir
koweïtien, le Cheikh Jaber, se réfugie en Arabie Saoudite.
Immédiatement, la communauté internationale réagit : le jour même de
l’offensive irakienne, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la
résolution 660 exigeant le retrait immédiat des troupes irakiennes. La
Ligue arabe condamne elle aussi l’invasion et appuie cette résolution dès
le lendemain. Pour empêcher l’Irak de mettre la main sur les
investissements financiers koweïtiens, les Occidentaux gèlent ceux-ci,
ainsi que les avoirs irakiens.
Saddam Hussein veut dissuader les Occidentaux d’intervenir : le 6 août, il
réunit les quelque 6 000 ressortissants occidentaux présents dans la zone,
plus d’une centaine d’entre eux devant servir de « boucliers humains » sur
des sites stratégiques irakiens. Le jour même, les Nations unies décident
le boycott commercial, financier et militaire de l’agresseur.
Le lendemain, soit moins d’une semaine après l’arrivée au Koweït des
troupes irakiennes, le président des États-Unis, George Bush, annonce sa
décision d’intervenir directement. La Grande-Bretagne, la France, le
Canada et l’Italie choisissent de participer à l’intervention, y compris sur
le terrain. Ils sont rapidement suivis par l’Égypte, la Syrie, le Maroc et
l’Arabie Saoudite, disposés à prêter leur assistance à cette coalition
militaire. L’Iran, quant à lui, ne bougera pas, Bagdad ayant pris la
précaution de signer avec Téhéran un traité de paix dans lequel l’Irak
renonce à toutes ses anciennes revendications.
Le 29 août, confirmant la déclaration américaine, une nouvelle résolution
onusienne autorise le recours à la force si l’Irak n’évacue pas le Koweït
d’ici le 15 janvier 1991. Or, si l’Irak refuse toujours de se retirer de ce
pays qui est devenu sa « dix-neuvième province », les négociations
entamées entre Javier Pérez de Cuellar, secrétaire général des Nations
unies, et Tarek Aziz, ministre irakien des Affaires Étrangères, réussissent
le 3 septembre à faire relâcher les otages devant servir de boucliers
humains. Au grand soulagement de tous, les 130 Occidentaux quittent
alors Bagdad pour Paris.

L’opération Bouclier du désert commence le 4 septembre avec l’arrivée


des premières unités américaines en Arabie Saoudite. Au total, 700 000
soldats de 26 pays, 4 000 chars et 1 500 avions sont engagés dans cette
opération. Un blocus maritime, décidé par le Conseil de sécurité, est
effectué par 65 bâtiments, dont 8 porte-avions.
En novembre, l’opération reçoit l’aval des Nations unies, dont le Conseil
de sécurité adopte la résolution 678 autorisant les États à contraindre
« l’Irak à quitter le Koweït.
Malgré cet avertissement, Saddam Hussein s’obstine. Croit-il un seul
instant en la capacité de résistance de ses troupes face à une telle
coalition ?
Certes, entre 1984 et 1988, l’Irak a été le premier importateur d’armes au
monde, mais c’était en pleine guerre contre l’Iran. Il a notamment
bénéficié de la vente de près de 11 milliards de dollars d’armes par la
France entre 1981 et 1987 (hélicoptères, dont des Super-Frelons, des
mirages F-1, des missiles AM-39 Exocet et des radars de détection). De
grands contrats passés avec Moscou lui ont permis de se doter de chars T-
62 et T-72, de missiles sol-sol Scud B et de Migs. En 1988, un millier de
conseillers militaires soviétiques se trouvaient en Irak, pendant que de
nombreux militaires irakiens suivaient un stage en URSS.
À la veille de l’opération Tempête du désert, l’armée irakienne dispose
d’environ 950 000 hommes, que le estime sans doute suffisamment
aguerris par les huit années de guerre contre l’Iran pour constituer une
grave menace pour les coalisés. Mais il s’agit essentiellement de
réservistes bien moins sensibles à la propagande de Saddam, dépourvus
d’une formation militaire suffisante et mal équipés. Les forces irakiennes,
organisées selon le modèle soviétique, sont divisées en 7 corps d’armée
comprenant 7 divisions blindées, 42 divisions d’infanterie et 6 divisions
d’élite de la garde républicaine.
L’Irak dispose d’environ 5 000 chars, modernes ou anciens, dont certains
sont d’origine soviétique (T-72, T-62, T-54, etc.) ou chinoise (type 59 et
69). L’armée de l’air irakienne compte 1 400 pilotes, mais ceux-ci sont
peu entraînés et leurs quelque 500 avions de combat (Migs et Mirage F-1)
sont en mauvais état, faute d’entretien. Quant à la marine, elle est assez
faible, compte tenu du peu de débouchés maritimes de l’Irak.
Au total, l’appareil militaire irakien s’avère fragile, quoiqu’en dise le
dictateur…

Le 15 janvier 1991, date limite imposée par l’ONU, Saddam Hussein n’a
pas retiré ses troupes. L’opération Tempête du désert reçoit donc
confirmation.
À partir du 17 janvier et jusqu’au 23 février, la coalition dirigée par le
général américain Schwartzkopf, commandant en chef des armées alliées,
bombarde les positions militaires et les infrastructures irakiennes, visant
également Bagdad et portant en quelques heures des coups décisifs au
potentiel ennemi.
Deux jours après le début de cette opération, dans l’espoir de pousser
Israël à entrer dans la guerre et de faire éclater la coalition à laquelle
participent plusieurs pays arabes, l’Irak lance sur Israël six missiles Scud
qui atteignent Tel-Aviv et Haifa, faisant plusieurs victimes.
Du 24 au 28 février, la coalition intensifie ses bombardements,
notamment avec des bombes au napalm, très meurtrières, et lance une
offensive contre les positions irakiennes, qui ne bénéficient pas d’une
couverture aérienne suffisante pour se protéger. Les tranchées sont
détruites et les défenseurs ensevelis, parfois même avant d’avoir
combattu. Quant aux chars irakiens, ils sont immobilisés par l’intensité
des bombardements alliés. Désorganisée et démoralisée, l’armée
irakienne enregistre un grand nombre de victimes, mais aussi de
désertions.
Fortes de leur supériorité, les troupes alliées pénètrent en Irak et au
Koweït, capturant plusieurs milliers de soldats irakiens. Tandis qu’une
opération de débarquement est simulée à l’est du territoire, depuis le
golfe Persique, les troupes terrestres de la coalition, parties d’Arabie
Saoudite, avancent dans un large mouvement d’enveloppement, sur un
front de 500 kilomètres.
Dès le 26 février, alors que les blindés alliés ont réussi à couper la retraite
de la garde républicaine irakienne, Saddam Hussein consent à accepter les
résolutions du Conseil de sécurité. Mais bien qu’il annonce le retrait de
ses troupes du Koweït, le dictateur irakien s’en prend à la population
civile. Il met le feu aux puits de pétrole koweïtiens et, en déversant le
pétrole dans le Golfe, provoque une marée noire. Le 28 février, Koweït
City est finalement libérée par les forces alliées.
Le 2 mars, les combats prennent définitivement fin lorsque Saddam
Hussein, vaincu, accepte la résolution 686 du Conseil de sécurité qui fixe
les conditions de cessation des hostilités et instaure un cessez-le-feu
provisoire. Un mois plus tard, l’Irak accepte également la résolution 687
décrétant un cessez-le-feu définitif dans le Golfe.

Lorsque s’achève l’opération Tempête du désert, on dénombre 320 morts


du côté de la coalition et près de 100 000 du côté irakien. Bien que
meurtrière, cette opération s’est cependant avérée moins dramatique que
ne le craignaient les Occidentaux : Saddam Hussein n’a pas utilisé les
armes chimiques redoutées, alors qu’il avait eu recours à des gaz de
combat contre l’Iran quelques années plus tôt. Les troupes irakiennes,
réputées aguerries et surentraînées, n’ont pas fait preuve d’une résistance
à la hauteur des menaces du dictateur irakien, qui prétendait détenir «
.
En revanche, une fois la « guerre du Golfe » achevée, Saddam Hussein
lance une terrible répression contre les Kurdes, au nord du pays, et contre
les Chiites, au sud, deux minorités qui espéraient un renversement du
pouvoir à Bagdad après l’opération Tempête du désert.

Le succès de la coalition occidentale permet au Koweït de retrouver sa


pleine et entière souveraineté. Le 3 avril 1991, la résolution 687 des
Nations unies prévoit l’élimination de toutes les armes de destruction
massive irakiennes. Mais la non-application de cette résolution par l’Irak
conduira les États-Unis à intervenir du 16 au 19 décembre 1998 en
bombardant les installations irakiennes incriminées dans le cadre de
l’opération Renard du désert.
Enfin, douze ans après la première guerre du Golfe, du 20 mars au 1er mai
2003, les États-Unis et leurs alliés britanniques interviendront une
nouvelle fois militairement contre l’Irak de Saddam Hussein, suspecté de
détenir encore des armes de destruction massive. Cette fois, le dictateur
irakien sera déchu et capturé…

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Benjamin Dias Periera, Deborah Lopez


Catherine Aubin

Dépôt légal : septembre 2022


978-2-7590-5107-6

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