Pour Une Parcelle de Gloire
Pour Une Parcelle de Gloire
Pour Une Parcelle de Gloire
D E GLOIRE
BIGEARD
P o u r u n e parcelle
de gloire
Edition° 1
D U MÊME AUTEUR
Contre-Guérilla, 1957.
Mais on n'échappe pas à son destin même sous les traits d ' u n
Hitler plus envahissant que jamais. Le 22 mars 1939, rappelé pour
six mois en principe, je dois rejoindre m o n 2 3 régiment d'infanterie
de forteresse à Haguenau... A nouveau ce quai de gare... Pleurs des
parents, leur fils part peut-être à la guerre. Ils ont vécu dans l'Est
celle de 14-18... Gaby est là aussi... la mère passe l'éponge.
Mes réactions ne sont plus celles d'il y a trente mois. Mourir pour
m o n pays, défendre les miens, ma Lorraine, j'entends presque des
voix qui me stimulent et lorsque le train s'ébranle, je rêve d'être un
héros dont m o n pays sera fier. A l'époque, à l'école, chez soi, on
apprenait ce qu'était la Patrie. Si seulement Gaby était avec moi,
mais je la reverrai et elle fera l'amour avec u n autre individu que ce
provincial enfermé dans sa médiocrité.
Haguenau. La même caserne, les mêmes copains dont m o n brave
Millot râlant ferme... « Ils nous cassent les pieds avec leur guerre !
Que les sous-offs se tiennent peinards, sinon ils vont comprendre. »
L'état d'esprit est mauvais. Je sens confusément que le Français n'est
pas mûr pour se battre.
Personnellement, je vois l'Armée différemment puisque mainte-
nant il y a u n b u t : défendre notre sol ; à partir de là, tout me paraît
désormais facile.
Pas de problèmes, en avant pour les cheveux courts, l'attitude mili-
taire, le travail d'arrache-pied. P r o m u sergent, je suis les cours d u
brevet de chef de section permettant de devenir officier de réserve...
L'examen a lieu, je concours avec des sergents-chefs, des adjudants
de carrière bardés de cartes, de jumelles, de boussole. Les épreuves
se déroulent sur trois jours. J'ai l'impression d'avoir rupiné. Les résul-
tats : Bigeard, premier sur soixante... Télégramme à Toul : «Reçu
premier, j'arrive en permission. »
En tenue de sergent, sec, en pleine forme, j'ai l'impression de
dominer la ville, m o n faubourg, mes collègues à la banque, voire la
mère qui n'ose rien dire lorsque je rentre au petit jour, m'étant
endormi dans une chambre d'hôtel avec m a toujours Gaby.
Septembre 1939. Hitler envahit la Pologne. La France, l'Angle-
terre lui déclarent la guerre. Nous faisons mouvement dans les inter-
valles de la ligne Maginot en vue d'y organiser des points d'appui.
Chef de poste, j'ai du travail, des responsabilités... j'aimerai toujours
avoir des responsabilités.
Cette vie dure, virile, me plaît. Je ne souhaite pas la guerre, mais
physiquement, moralement, je suis prêt à l'affronter et crois aux slo-
gans de l'époque : « N o u s sommes les plus forts. » « Souscrivez aux
bons d'armement, nous forgerons l'acier de la victoire », et la belle
devise de notre régiment : « On ne passe pas », inscrite sur u n magni-
fique lion.
Et c'est la « Drôle de guerre », avec quelques rares permissions ;
toujours sur la brèche, aux sports, aux travaux, à l'entraînement, je
crée u n esprit dans m o n groupe, mes hommes me suivent. Oui, ils
ne passeront pas. E n 1966, vingt-sept ans plus tard, alors comman-
dant une brigade parachutiste à Pau, je recevrai avec émotion la lettre
suivante :
Cher Marcel,
Depuis 1939-40 je t'ai pas oublié et de temps en temps, j ' a i lu dans
le journal le héros des paras le colonel Bigeard. L'année dernière où
tu as dirigé les manœuvres à Bitche à 30 kilomètres de moi. Tu te
souviens comment on a construit un abri à la ligne Maginot (au P.A.
1 bis).
P a r hasard, j ' a i rencontré un jeune homme de mon village (Schlei-
thal), qu'il y a un colonel appelé Bigeard, un grand d'une allure
nerveuse, mon premier mot « c'est Marcel » l'homme sans fatigue et sans
repos.
Mais, écoute, tu as fait une belle carrière de caporal-chef au colonel
et de ma part je te félicite sincèrement.
J ' a i demandé le jeune homme si tu es marié ou célibataire mais j ' a i
pas eu de réponse précise. Moi j ' a i cinq garçons et une fille. Le fils aîné
fait actuellement son service militaire à Bitche.
Je termine ma lettre en te saluant cordialement ton ancien cama-
rade de chambre et de travail et du succès jusqu'au général de Corps
d'Armée.
Lustig Jacques
La défaite et la captivité
Les c a v a l e s
Départ pour Alger. Nouveaux adieux. Pauvre fille ! seule une fois
encore. Quel courage, je l'admire. Pris par mon travail, ayant mainte-
nant un but, la séparation m'est moins pénible. Mais ferai-je un bon
parachutiste ? A l'époque, sauter dans le vide n'était pas monnaie
courante.
Entraînement au « Club des Pins », à une vingtaine de kilomètres
à l'ouest d'Alger. Camp secret, cent pour cent anglais. Une trentaine
d'officiers d'origines différentes sont présents : quatre ou cinq
commandants, une vingtaine de capitaines et quelques lieutenants.
Je suis le plus jeune en âge et en grade.
Les Anglais nous mettent à l'aise dès l'arrivée. «Vous allez subir
un entraînement rigoureux pendant trois mois. Pour nous, vos galons
français n'existent pas, vous recevrez en fin de stage un grade fictif
correspondant à la mission qui vous sera confiée, suivant vos aptitu-
des... » C'est clair... j'ai mes chances au départ.
Ces satanés Anglais font méticuleusement et à fond ce qu'ils ont à
faire. J'apprendrai beaucoup en un trimestre : sauter en parachute,
ce qui est vite fait, manipuler les explosifs, filer un personnage, échap-
per à une filature, vivre dans la clandestinité muni de faux papiers
avec toutes les polices à vos trousses, sans compter les raids d'endu-
rance de 50 à 80 kilomètres, close-combat, escalader une falaise,
pénétrer dans un immeuble à l'aide d'un grappin, et autres exercices.
Nous découvrirons stylos-boussoles, crayons à retardement pour faire
sauter une charge d'explosif, valise radio, etc. Les années passées
m'ont terriblement endurci et je suis à l'aise.
Vers la fin du deuxième mois, suis convoqué par le major anglais,
l'œil mauvais : « Bigeard, votre femme s'est présentée à l'entrée du
camp. Ce lieu est secret, vous aviez reçu pour consigne de n'en dévoi-
ler l'emplacement à personne. En conséquence, je suis dans l'obliga-
tion de vous renvoyer avec regret car vous êtes un de nos meilleurs
éléments. » Je n'y comprends rien, n'ai jamais dit à Gaby où je me
trouvais... Je dois être très pâle...
Il me sourit et dit : « Allez, filez vite. Vous avez trois jours de per-
mission. » Ouf !
Retrouvailles. Elle aussi avait dû apprendre à remonter une filière.
Elle saura toujours me retrouver sans que jamais je m'en plaigne. Le
stage se termine. Suis promu chef de bataillon à titre fictif... Quatre
galons, moi, le saute-ruisseau de la Société Générale. J'ai vingt-huit
ans, je dois recevoir une belle mission... Enfin, ma revanche ! Revoir
ma Patrie. Etre de ceux qui la libéreront !
Mon nom de résistance sera Aube. Mon ordre de mission est le
suivant :
Le commandant Aube de l'Armée française est nommé délégué
militaire départemental de l'Ariège. En conséquence, il assurera dans
ce département les fonctions suivantes :
1 — Conseiller technique des F.F.I.
2 — Liaison entre les F.F.I. et Londres ou Alger.
3 — Commandement de tout le personnel français en mission
venant de Londres ou d'Alger, et des services d'opérations.
4 — Financement du budget militaire dans la mesure où les fonds
lui seront remis.
Quels sont mes moyens, mon brain-trust avec lequel je vis depuis
un mois, suant, peinant en commun, les Anglais ne larguant que des
équipes se connaissant et s'entendant parfaitement :
Bill Probert, mon major anglais, trente ans, une gueule d'amour, a
fait Tobrouk, l'Ethiopie, le Tanganyika, Madagascar et devait
rejoindre les forces de Tito lorsqu'il fut désigné pour sauter en
France... une belle carte de visite. John Deller, vingt-huit ans, notre
radio, Canadien d'Ottawa, géant blond, timide, imperturbable, par-
lant lentement avec un accent savoureux. Casanova, sergent-chef
ariégeois, tout jeunot, vingt-deux ans, petit, râblé, solide. Et quelques
moyens réduits : valise radio, codes de camouflage, 500 000 francs
en bons de la Défense, 50 000 francs en pièces d'or.
Quatre hommes conditionnés, un poste radio, de l'argent... C'est
peu mais suffisant pour mettre le feu aux poudres dans ce départe-
ment que je ne connais pas, mais dont j'ai travaillé la carte pendant
des heures.
« Gaby, c'est pour ce soir. Sois courageuse. Tout se passera bien. »
Un pincement au cœur en la quittant. La reverrai-je ?
22 heures. Blida. Un avion Halifax, une trappe ronde dans la car-
lingue, au bord de laquelle il faut s'asseoir et se jeter dans le vide
au garde-à-vous. Survolons les lumières de Blida, la Méditerranée,
essayons de blaguer au milieu de nos parachutes, de nos leg-bas. Le
largueur nous offre café et bonbons... impossible de dormir un peu.
« Préparez-vous. » Nous fixons nos pépins. Les minutes sont longues,
trop longues. Que se passe-t-il ? Mauvaise météo... il faut rentrer.
3 heures du matin. Atterrissage à Blida. Notre chambre. Je frappe.
« Qui est là ? — C'est moi, Gaby. » Quelle fin de nuit sensationnelle,
non prévue au programme, sanctionnée par des yeux bien cernés au
lever du jour.
Quarante-huit heures plus tard, nouvelle séparation, même avion,
même équipage, même largueur... Fatigués par l'usure nerveuse du
premier essai et ces quarante-huit heures vécues au maximum, nous
sommeillons au-dessus de la Méditerranée. Le largueur nous
secoue... un café brûlant. «Equipez-vous.» Nous survolons la
France...
1 heure du matin... La trappe est ouverte. On a l'air fin tous les
quatre, assis, les jambes pendant dans le vide. Je suis numéro un,
Probert deux, Deller trois, Casanova quatre... Go ! je pars suivi de
mes coéquipiers. Sous moi, les trois feux allumés par les maquisards.
Balancé au-dessus de la terre française, dans cette nuit d'encre, l'air
vif, la tension ont fait disparaître toute fatigue... Où vais-je atterrir ?
Attention, groupe-toi bien, serre les jambes. Les feux s'approchent,
j'attends le choc à l'arrivée.
Pas de choc. Je reste pendu à un arbre, à une dizaine de mètres du
sol... des bruits, des hommes parlent fort en langue étrangère. J'en-
tends Probert qui gueule : « Marcel, où es-tu ? — O.K. Bill, là-haut. »
Je déplie mon ventral, me dégrafe, me laisse glisser le long des sus-
pentes... J'embrasse la terre française... ma Patrie.
La bataille p o u r Foix
La libération en Ariège
Mais il faut être raisonnable, je n'ai que vingt-neuf ans, le coup est
régulier et le bilan positif : j'ai bien tourné depuis 1936 dans des
activités variées, ai appris beaucoup sur le turf, suis à l'aise dans les
situations critiques et adore les responsabilités.
La vie menée m'a terriblement endurci, je me sens invulnérable et
pourtant, une équipe de psychologues anglais, venus à l'école, après
multiples examens, avait conclu que j'étais « bon pour l'assaut partout
et toujours, entraîneur d'hommes né, mais devant s'astreindre à une
discipline de travail et de vie, et que, d'autre part, par bonté, je ris-
quais d'être imprudent ». Pour ce dernier paragraphe, ils avaient rai-
son. Sentimental, j'aimerai toujours sentir l'adhésion et ne saurai
jamais prendre de sanctions. Tout compte fait, je ne le regrette pas,
bien au contraire. Il y a une corde sensible dans chaque individu, il
suffit de la détecter... Passons.
Retour en Lorraine. Gaby regrette un peu sa belle villa et le bord
de mer... Quel contraste avec la petite chambre chez la belle-mère !
Par voie ferrée, je rejoins l'Allemagne. Voici Villingen, P.C. du
2e bataillon du 23e régiment d'infanterie coloniale. Le chef de batail-
lon me donne le commandement d'une compagnie de combat. Je
dois me présenter au lieutenant-colonel Gilles, adjoint au colonel
Debes commandant le régiment. Gilles, dont le nom éclatera à la une
des journaux huit années plus tard au cours des combats au Tonkin,
e général Bigeard est né en 1916 à Toul.
[...]
Lucien Bodard
» Jean-Jacques Servan-Schreiber
- » Joseph Kessel
Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.
Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.
*
La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.