160 Guilbot

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Les insectes des prairies :

un maillon essentiel
de l'écosystème prairial

R. Guilbot

Les insectes des prairies sont un maillon indispensable de l'écosys-


tème prairial. Dans les prairies comme dans d'autres milieux, la
richesse de l'entomofaune se voit compromise par certaines inter-
ventions humaines. Et des espèces, en France, sont menacées ...

RÉSUMÉ
L'entomofaune, extrêmement riche et variée, est essentielle au fonctionne-
ment des cnetnes trophiques. Dans les prairies, elle contribue notamment à
la décomposition et au recyclage des fèces. L:entomofaune des prairies per-
manentes (prairies humides ou pelouses sèches) est d'autant plus riche que
leur végétation est plus diversifiée. De nombreuses espèces vivant dans les
prairies sont menacées par certaines actions de l'homme: l'intensification
(par appauvrissement de la flore, piétinement accru, modification des
rythmes et dates de fauche, certains traitements vétérinaires, pollution de la
nappe phréatique par la fertilisation ...) et la modification de l'usage des sols
(drainage et disparition des prairies humides, forestation. ..) qui réduisent la
superficie des habitats d'intérêts faunistique et floristique. Le cas de
9 espèces de Lépidoptères des prairies françaises menacées de disparition
est présenté.
1. L'entomofaune et la diversité biologique

Diversité et utilité des insectes

Les insectes représentent à eux seuls les trois quarts des espèces
animales connues. Actuellement, environ un million d'espèces est
recensé. Ce chiffre ne cesse d'augmenter car une infime partie
seulement des milieux naturels est inventoriée. Environ 4 000 à
5 000 espèces sont décrites annuellement. Certaines estimations sug-
gèrent qu'il en existerait encore 10 millions à découvrir.
Le rôle tenu par les insectes dans les chaînes trophiques est
essentiel. Si quelques centaines d'espèces causent des dommages,
parfois importants aux yeux de l'homme, les autres assurent la polli-
nisation des végétaux en transportant le pollen : la fécondation des
fleurs de 80% des plantes cultivées est assurée par les insectes ; 33%
de notre régime alimentaire, végétal ou protéique dépend des insectes
pollinisateurs. Les études biocénotiques des groupements d'insectes
ravageurs montrent tout l'intérêt des insectes prédateurs et parasites
(Syrphes, Coccinelles, Hyménoptères ...). La formation et la fertilisation
des sols sont assurées par des milliers d'Arthropodes. On ne dénombre
pas moins de 10 kg d'insectes de petite taille par hectare de sol dans
une prairie normande.

L'entomofaune des prairies


L'écosystème «prairie permanente» (prairie humide ou pelouse
sèche), et le système de haies et d'arbres plus ou moins isolés qui l'ac-
compagne, sont une formidable source de diversité biologique. La
faune entomologique y sera d'autant plus riche que la flore y est
diversifiée. Cela dépend, bien évidemment, de la conjonction de fac-
teurs écologiques (sol/climat) et de l'usage qui est fait de ces forma-

PHOTO 1 : Carabus aura-


tus, le Carabe doré, est
un redoutable préda-
teur des limaces et
escargots.
PfCTURE 1 : Carabus
auratus is a formidable
predator of slugs and
snails.
tions herbacées. Par exemple, les prairies soumises à un pâturage
intensif voient leur diversité entomologique diminuer. Les Orthoptères
fuient les bovins, alors que les Diptères se multiplient en fortes colo-
nies dans les pâturages. Autrement dit, l'animal pâturant est un fac-
teur écologique important de l'écosystème herbacé.
À côté d'éléments dominants comme les Bactéries, les
Collemboles et les Acariens, agents producteurs d'humus qui doivent
être absolument conservés, de nombreux ordres d'insectes sont pré-
sents : les Lépidoptères (Pyrales, Noctuelles, Géométrides,
Notodontides, Piérides, Lycènes, Nymphalides ...), les Coléoptères
(Sitones, Altises, Taupins, Carabes (photo 1),Cétoines, Géotrupes et de
nombreux Coléoptères coprophages : Aphodius, Onthophagus ...), les
Hyménoptères (Tenthrèdes, Bourdons, Abeilles solitaires : Andrène,
Mégachtle ...), les Orthoptères (Criquets, Sauterelles, Grillons), les
Diptères (Tipules, Oscinies, Cécidomyes, Muscides (photo 2), Syrphes,
Volucelles...).

PHOTO 2 : Pollenia rudis :


les larves de ce diptère
sont parasites des lom-
brics ; les adultes peu-
vent envahir les habita-
tions.
PIC TURE 2 : Pollenia
rudis : the larvae of this
Dipter are parasites of
earthworms ; the adults
may intest houses.

Les prairies permanentes sont fréquentées par de nombreuses


espèces d'insectes qui entretiennent des relations de mutualisme
avec des végétaux ; c'est le cas de divers Hyménoptères avec des
Ophrys (Orchidaceae), mais il existe aussi des espèces animales non
apparentées qui entretiennent une interaction privilégiée, leurs
histoires évolutives pouvant se mêler au point de devenir interdépen-
dantes. C'est le cas des espèces de Lépidoptères du genre Maculinea
qui entretiennent des relations complexes avec des fourmis du genre
Myrmim.
Pour la plupart des insectes, l'alimentation des larves est dif-
férente de celle des adultes. C'est le cas des Hannetons' (Melolontha
melolontha) dont les larves, mieux connues sous le nom de «vers
blancs», vivent aux dépens des racines alors que l'insecte adulte vole
au crépuscule vers les lisières forestières pour s'alimenter du feuillage
des arbres. Chez les Taupins (Agriotes obscurus, A. lineatus) les larves
s'alimentent aux dépens des racines et collets des graminées alors que
les adultes se nourrissent des feuilles de la plante. La différence est
encore plus spectaculaire chez les insectes dont les adultes sont flori-
coles. Ainsi, les Diptères Scatophagidae, Calliphoridés, Anthomyidés,
Borboridae ont des adultes floricoles alors que les larves vivent dans
des milieux différenciés : fèces, pourriture végétale, cadavres d'ani-
maux, etc. De plus, ces larves fréquentent des milieux très divers,
aquatiques ou terrestres.
On peut imaginer à partir de ces différents exemples que la modi-
fication d'un seul facteur du milieu aura immédiatement une réper-
cussion sur l'ensemble de la biocénose.

L'intensification des prairies


appauvrit l'entomofaune

Alors qu'un pâturage intensif appauvrit la flore des prairies, la


restauration de biocénoses palustres par l'utilisation d'une race
bovine ancienne (Highland Cattle) en pâturage extensif (réserve
naturelle des Mannevilles, Marais Vernier (Eure) ; LECOMTE, LENEVEU,
JAUNAU, 1981 ; LECOMTE et LENEVEU,1993) reconstitue un écosystè-
me très diversifié du point de vue biologique. Au bout de 10 ans de
suivi, la réactivation du fonctionnement de l'écosystème aboutit à réta-
blir une diversification biologique de laquelle les insectes ne sont pas
absents. Les insectes floricoles permettent aux espèces végétales d'as-
surer la pérennité de leur capital génétique; les auteurs de cette étude
soulignent que le surplus de fruits et de graines produits par une
bonne fécondation assure l'alimentation de nombreux mammifères,
oiseaux et insectes. L'étude porte sur 27 espèces de Syrphidae,
insectes dont l'identification est facile et dont les larves fréquentent
toutes sortes de milieux, certaines ayant un régime alimentaire spé-
cialisé (Aphidiphages).
Les résultats font ressortir sur la parcelle pâturée de façon exten-
sive:
- une diversité supplémentaire et un cortège d'espèces nouvelles
concomitant de la disparition d'un nombre - plus faible - d'espèces
inféodées à la parcelle témoin ;
- une modification floristique dans la parcelle peu pâturée qui
possède environ cent espèces de Phanérogames permettant une florai-
son vernale, estivale et automnale. Cette ressource alimentaire, éche-
lonnée dans la saison, amène un étalement de la dynamique des
Syrphidae dans le temps pour la parcelle peu pâturée (photo 3). En
revanche, on constate un resserrement de la période des vols dans
celle exploitée de façon intensive. La production primaire consommée
immédiatement limite la floraison des Phanérogames, diminuant d'au-
tant l'alimentation indispensable à la survie des Syrphes.
Cette expérience montre qu'une modification du pâturage, d'in-
tensif à extensif, sur ce type de milieux, permet d'améliorer la diver-
sité biologique et de constituer un réservoir biocênotique d'un
grand intérêt écologique (par exemple pour les insectes pollinisateurs
et auxiliaires).
PHOTO 3 : Volucella
zonaria : les adultes de
la «Volucelle zoné»
butinent les fleurs ; sa
larve vit dans les nids
de guêpes.
PICTURE 3 : The adults
of Volucella zonaria
gather pollen in flo-
wers ; the larvae live in
wasps' nests.

2. Fertilisation et recyclage des fèces .


rôle des insectes coprophages

Diptères et coléoptères:
un maillon indispensable

Les déjections des gros herbivores représentent une source d'élé-


ments nutritifs importante pour les sols des pâturages, encore faut-il
qu'une faune variée et spécialisée soit présente pour les dégrader et les
enfouir (RIcou, 1985, 1989 ; figure 1). La durée de dégradation des
fèces est variable selon les conditions climatiques et l'activité de
la faune coprophile associée: un à six mois en Grande-Bretagne, un
à deux ans au Japon, un à trois ans en Californie. En France médi-
terranéenne, cette vitesse est comprise entre huit mois et quatre ans
selon la saison où les bouses ont été émises (LUMARET et al, 1993).
Transportons-nous dans une savane africaine. En période favo-
rable, à la saison des pluies, les excréments sont assaillis par une véri-
table armada de bousiers dont la taille varie de quelques millimètres à
plusieurs centimètres. On y compte jusqu'à 10 000 individus par kilo-
gramme de bouse appartenant à une centaine d'espèces (CAMBEFORT,
1991). En France, les vingt tonnes de fèces produites annuellement
sur une prairie par un troupeau de quarante vaches sont recyclées par
de nombreux micro-organismes (bactéries et champignons), et par de
nombreux invertébrés comme les lombrics qui sont des agents impor-
tants de recyclage des fèces. Un hectare de prairie normande contient
environ deux tonnes de ces vers qui peuvent consommer entre 25 et
50 tonnes de bouse par hectare de prairie et par an. Les Acariens, les
Nématodes aidés en cela par les Arthropodes tels que les Collemboles
et les insectes sont aussi des agents actifs de la mlnèraltsatton des
fèces. Néanmoins, les principaux «dêcompeseurs des fèces» restent

407
FIGURE 1 : Représenta-

les Diptères et les Coléoptères. Ces derniers sont à 90% des tion schématique de
Scarabaeoidea (RIeou, 1989). Toutes ces communautés sont fort diver-
l'écosystème «fèces»
se, et se succèdent selon l'état de fraîcheur des fèces; celles qui occu- (d'après DENHOLM-YOUNG,
cité par RICOU, 1989).
pent les mêmes niches écologiques se livrent à une forte compétition
pour l'espace et la nourriture. FIGURE 1: Schematic dia-
gram of the 'faeca/' eco-
system (after OENHOLM-
L'entomofaune s'est avérée indispensable YOUNG, quoted by RICOU,
pour la durabilité des prairies australiennes 1989).

La production herbagère nécessite l'activité des insectes copro-


phages (Scarabéides, Hydrophilides, Staphylinides ..,) pour maintenir
un équilibre entre production d'herbe, pàturage et recyclage de la
matière organique. Nous en voulons pour preuve l'introduction par les
Britanniques, il y a deux siècles, de quelques vaches, taureaux et mou-
tons sur le continent australien, jusque là inconnus sur ce territoire.
L'absence totale de coléoptères coprophages inféodés aux fèces
des herbivores introduits a été à l'origine d'une grave détériora-
tion biologique des prairies australiennes. Les insectes associés aux
déjections des kangourous dédaignaient les bouses des mammifères
introduits, trop riches en eau. Les bouses restaient alors sur place très
longtemps intactes avant d'être peu à peu émiettées par les facteurs
climatiques et les termites. Comme le dépôt journalier était de 400 mil-
lions de bouses (à raison de 12 bouses/vache/jour) sur les pâturages,
de vastes surfaces devenaient rapidement improductives. Le CSIRO
(Commonwealth Scientific and Research Organization) a estimé la
perte annuelle à 1 million d'hectares de prairie. Ce Centre de
recherche, jugeant la situation alarmante pour l'économie australien-
ne a eu l'idée, vers 1960, d'introduire de nouvelles espèces de coléo-
ptères inféodés aux bouses. Le problème n'était pas simple et néces-
sitait de longues études préliminaires. Les espèces importées devaient
être adaptées au climat australien, et les chercheurs estimaient que
160 espèces étaient nécessaires. Il fallait choisir des espèces proli-
fiques à développement rapide et prendre des mesures pour éviter l'en-
trée d'épizooties en Australie. Au début de l'année 1970, la première
espèce introduite fut Onthophagus gazella, originaire d'Afrique. De
nombreuses autres espèces en provenance d'Afrique et du pourtour
méditerranéen devaient suivre (RIcou, 1989).
Actuellement, quelque 30 millions de têtes de bovins broutent les
pâturages australiens. Ce qui s'est déroulé démontre, d'une part, le
rôle indispensable de la faune coprophile dans le recyclage des fèces
et, d'autre part, la prudence à adopter lors de l'introduction de nou-
velles espèces ; le déséquilibre biologique qui en résulte est toujours
considérable s'il y a erreur ou méconnaissance de tous les facteurs du
milieu.

• Un exemple de risque pour l'entomofaune :


les traitements vétérinaires appliqués au bétail
L'exemple précédent montre bien tout l'intérêt de préserver un
système complexe d'interactions qui facilite la minéralisation des
bouses et leur disparition de la surface des prairies. Pourtant.. en
France, l'usage de produits vétérinaires administrés au bétail dans
certaines conditions pourrait, si l'on n'y prenait garde, réduire de façon
drastique les populations de la faune coprophlle (LuMAAJIT, ·1986,
1993). Le résultat des recherches dirigées par J.P LUMARET, dont les
grandes lignes sont brièvement présentées ci-dessous, est dans ce
sens extrêmement intéressant.
Les excréments du bétail sont porteurs d'oeufs et de larves de
divers parasites (helminthes pulmonaires et intestinaux). Ils représen-
tent donc des risques de recontamination importants. En prévision de
tout risque parasitaire, le bétail subit, de plus en plus fréquem-
ment avant sa mise à l'herbe ou son départ en alpage, un traitement
chimique. Les médicaments sont administrés soit par injection, soit
par voie orale. Dans de nombreux cas, ils sont éliminés dans les déjec-
tions. fis ont souvent un effet négatif sur les insectes (LUMARET,
1993). Les types de médicaments sont de deux ordres:
- Ceux qui sont rapidement éliminés dans les excréments
(quelques jours après avoir été administrés), de sorte qu'après ce
temps, les déjections sont exemptes de résidus de la molécule active ou
de ses dérivés.
- Les systémiques, souvent administrés par piqûre, demandent
parfois plusieurs semaines pour être éliminés.
PHOTO 4 : Trypocopris
vernalis : ce coléoptère
se rencontre dans les
milieux ouverts et
secs; il fréquente les
crottes de brebis, de
renards et de chiens ;
on le trouve également
sur les crottins de che-
val et les bouses.
PICTURE 4 : Trypocopris
vernalis : this Co/eopter
is to be found in open
and dry environments,
frequent/y in the faeces
of ewes, foxes and
dogs, a/so in those of
horses and cattle.

Le dichlorvos, organophosphoré utilisé comme vermifuge


pour les chevaux, fait partie de la première catégorie. Le produit se
retrouve dans les excréments durant 4 à 5 jours. La mortalité cumu-
lée des insectes attirés par le crottin contaminé avoisine 95% pendant
la période (les 10 premiers jours) où celui-ci est le plus attractif. Le
produit poursuit sa dégradation et l'on peut observer les premiers
insectes vivants 15 à 20 jours plus tard. Le traitement d'un cheval
conduit à la production de 40 kilogrammes de crottin toxique cor-
respondant à plusieurs milliers d'insectes susceptibles d'être tou-
chés. D'autres produits causent les mêmes effets (phénothiazine, rué-
lène...).
On a pu parfois observer en bordure des chemins de nombreux
cadavres de Géotrupes (photo 4) après le passage de randonneurs à
cheval (cela même dans un Parc National). Après enquête, on a décou-
vert que les chevaux avaient été traités avant le départ avec un vermi-
fuge organophosphoré. Il convient donc d'être extrêmement vigilant
dans ce domaine, a fortiori dans les zones naturelles protégées où les
plans de gestion prévoient parfois une certaine pression de pâturage
pour ralentir l'embroussaillement.
Les antihelminthiques systémiques, comme l'ivermectine et les
produits apparentés, sont de plus en plus couramment administrés au
bétail. Ils présentent les mêmes dangers pour la faune coprophile, et
ce d'autant plus queleur élimination par voie fécale est étalée dans le
temps (au moins deux semaines). L'ivermectine et ses divers métabo-
lites peuvent ensuite persister longtemps dans les bouses si la tempé-
rature est basse (plusieurs mois en hiver ; environ une semaine par
temps chaud). Durant les trente premiers jours qui suivent l'injec-
tion du produit à l'animal, les bouses peuvent contenir suffisam-
ment de matière active pour inhiber le développement larvaire de
tous les Diptères. Les Coléoptères semblent globalement moins
affectés, bien qu'on ait démontré que la fécondité des Scarabéides
pouvait être considérablement réduite et que les imagos nouvellement
éclos, consommant des excréments contaminés, mourraient en masse.
Les conséquences pour l'environnement sont importantes. La
réduction de l'activité des insectes dans les bouses contaminées a pour
conséquence une moindre attaque des excréments. L'absence de gale-
ries et la non-insémination des bouses a pour effet principal de freiner
les processus de leur élimination. Ainsi, le crottin de chevaux traités
au dichlorvos subsiste sur le sol beaucoup plus longtemps que la nor-
male, et il en est de méme pour les bouses d'animaux traités à l'iver-
mectine.
Les insectes coprophages sont notre capital, tant biologique
qu'économique. Leur raréfaction peut à terme avoir des répercussions
considérables sur l'équilibre des pâturages, en diminuant leur surface
utile, en ralentissant le cycle des nutriments, en obligeant les éleveurs
à des ébousages mécaniques. L'incorporation naturelle des bouses par
les insectes coprophages dans le système prairial est indispensable à
son fonctionnement. En France, on constate déjà une raréfaction de
nombreuses espèces autrefois largement répandues. Il est de notre
responsabilité de veiller dès à présent à la conservation de ce patri-
moine méconnu avant qu'il ne soit trop tard.
L'usage des helminthicides est une nécessité pour maintenir le
bon état sanitaire du cheptel. La protection des coprophages pourrait
être envisagée avec la commercialisation de molécules homologuées
comme peu ou pas nocives pour les insectes. Une autre démarche
consisterait à maintenir à l'étable les animaux durant les périodes de
post-traitement, avec destruction des bouses émises. Enfin, une mesu-
re ponctuelle plus immédiate consisterait déjà à interdire tout traite-
ment des animaux pâturant dans les espaces protégés, y compris
durant la semaine précédant leur venue, ou à préconiser des molé-
cules inoffensives pour l'environnement.

3. La sauvegarde des prairies permanentes est


un atout pour la protection de l'entomofaune

Conservation des habitats d'intérêt faunistique


On recense environ en Europe 130 000 espèces d'insectes
environ dont 39 000 vivent en France. Il est estimé que 10 à 15%
des invertébrés, soit 10 000 à 15 000 espèces sont en danger
(COLLINS et WELLS, 1987). Une centaine de papillons de jour sur les
380 espèces existantes sont menacées, de nombreuses autres espèces
ont déjà disparu. Plus de 50% de ces espèces fréquentent tous les
milieux herbacés : prairies mésothermophiles, gazons xérothermo-
philes, milieux herbacés mésophiles, prés à litières, etc. En France,
sept sous-espèces fréquentant ces milieux sont éteintes. La première
sous-espèce à s'éteindre est Lycaena dispar gronieri, disparue des
marais de Saint-Quentin dans l'Aisne vers 1905; par la suite, six sous-
espèces de Rhopalocères ont disparu ces dernières décennies
(Parnassius apollo francisi ; P. a. peyerirrwffi ; Pieris manni andegava ;
Cœnonympha œdipus sebrica ; C. Cœ. herbuloti; Maculmea arion micro-
chroa; BERNARD!, 1986).

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L'attention portée à la conservation des habitats d'intérêt
faunistique et florlstique reste très faible dans la plupart des
pays; par exemple 3% du territoire national aux Pays-Bas contre 11%
aux Etats-Unis (Rtcou, 1987). Dans notre pays, l'ensemble des zones
centrales des 7 Parcs Nationaux couvre 0,2% ; les 124 Réserves
Naturelles, 0,25% du territoire national ! Hélas, ces espaces ne sont
pas toujours les garants d'une réelle protection de l'entomofaune .

• Espèces de Lépidoptères en danger en France

Pour citer quelques exemples qui concernent les prairies de


fauche, nous nous appuierons (GUILBOT, 1995) sur les Lépidoptères
protégés au niveau national, par la Convention de Berne et la
Directive Habitat :

- Le Fadet des laîches (Coenonympha oedippus) : Ce papillon vit


dans les prés à litière. Sa chenille s'alimente sur des graminées (Poo
palustris et Poo annua, Loliwn, Carex, Iris pseudacoms). Il est extrê-
mement localisé et dispersé en France où ses biotopes sont de plus en
plus restreints. Dans le Marais poitevin, le Fadet des laîches était bien
implanté entre 1900 et 1940, date à partir de laquelle il a commencé à
régresser. Il n'y a plus été observé depuis 1968. Très menacé sur l'en-
semble de son aire de répartition, ce papillon est l'un de ceux qui sont
le plus en danger en France. Les principales causes de son déclin sont
l'agriculture (drainage) et l'extension des surfaces boisées.

- Le Fadet des tourbières (Coenonympha tullia) : En France, une


étude de la répartition de cette espèce (et plus précisément C. t. davus)
réalisée en 1984, ultérieurement complétée, a montré que la réparti-
tion de ce papillon s'étendait sur dix-sept départements, regroupant
85 stations correspondant à des tourbières et marais tourbeux. La
chenille s'alimente sur la linaigrette, diverses fétuques et laîches. Le
Fadet est rare et les effectifs sont le plus souvent faibles. Ce papillon
est situé dans le peloton de tête des espèces les plus menacées de
France. Les principales causes de son déclin sont imputables à l'agri-
culture (drainage, pacage ...), à l'afforestation (plantation d'épicéas) et à
l'aménagement du territoire (aménagements hydrauliques ...).

- Le Mélibée (Coenonympha hero) : Cette espèce fréquente les


milieux humides, rarement les prairies sèches. Il n'a plus été observé
dans le Bassin parisien depuis 1968, alors qu'autrefois il y était com-
mun ; il n'est plus observé en Bourgogne depuis 1976. En Alsace, il est
en voie d'extinction. Ce papillon fréquente les prairies humides et les
coupes faites dans les bois marécageux. Une mesure de conservation
serait d'assurer une gestion adaptée (fauche tous les deux ans, en
alternance par rotation des parcelles, pâturage traditionnel. ..).

- Le Cuivré de la bistorte (Lycaena helle) : Le Cuivré fréquente


les prairies humides et tourbières de plaine jusqu'à 1 600 mètres. Sa
chenille se nourrit de Polygonum bistorta. En France, ce papillon est
assez largement dispersé en petites colonies plus ou moins abondantes
selon les localités : les Ardennes, où il est en déclin, les Vosges, dont

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les populations découvertes en 1970 sont peu abondantes et disper-
sées dans l'ouest, le Haut-Jura, où certaines régressent (localité du
Russey), certains points du Massif central: le Massif du Sancy, où les
populations sont abondantes, et le nord du Cantal, où elles sont plus
localisées. Les principales causes de la régression des populations sont
l'agriculture (drainage...), l'afforestation (enrésinement intensif) et
l'aménagement du territoire (aménagements hydrauliques ...).

- Le Cuivré des marais (Thersamolycaena dispar) : L'espèce est


en danger dans la plupart des pays d'Europe. Dans l'est de la France,
ses populations régressent, surtout dans le sud de l'Alsace par suite de
la reconversion des prés de fauche tardifs en cultures de maïs, ainsi
qu'en Basse-Alsace en raison d'aménagements hydrauliques. Pour les
mêmes causes, il est en cours d'extinction dans le Marais poitevin. Ce
papillon est encore assez courant en Aquitaine. Il fréquente les prés à
litière et les clairières des forêts humides, recherchant les biotopes à
végétation herbacée haute et stable durant de longues périodes. Sa
chenille vit sur le rumex géant (Rumex hydrolapathum) Les principales
causes de la régression des populations sont l'agriculture (drainage,
transformation des prés mouillés en cultures extensives ...) et l'aména-
gement du territoire (aménagements hydrauliques ...).

- L'Azuré des mouillères (Maculinea alcon) : En France, il est


connu dans la région parisienne (mais il a disparu de l'est
d'Armainvilliers entre 1972 et 1975), le Massif central, le Vaucluse, le
sud-est des Alpes, l'est des Pyrénées et l'Ouest, où il est génêralement
rare. Ce papillon habite les prairies humides et tourbeuses, les bois
frais et clairs où pousse Gentiana pneumonanthe. Les chenilles sont
adoptées par la fourmi Myrmica rnginodis. Les principales causes de la
régression des populations sont l'agriculture (épandage d'engrais, drai-
nage, fauches trop fréquentes, ou trop précoces ...), les reboisements et
l'aménagement du territoire (urbanisation, morcellement des bio-
topes ...).

- L'Azuré de la sanguisorbe (Maculinea telejus) : En France, il


existe dans l'Ouest, où la sous-espèce M. t. burdigalensis est en dan-
ger. Elle a disparu des environs d'Angoulême; elle est en cours d'ex-
tinction dans les environs de Bordeaux. Deux populations isolées ont
été trouvées récemment en Indre-et-Loire. En Alsace, les populations
régressent. Ce papillon habite les prairies humides, les marécages et
les landes où pousse la sanguisorbe. Ses chenilles sont acceptées par
Myrmica scabrinodis et Myrmica laevinodis. Les principales causes de
la régression des populations sont l'agriculture (drainage, piétinement
par les bovins, abandon des fauches traditionnelles ...), le boisement
(fermeture du milieu...) et l'aménagement du territoire (aménagements
hydrauliques ...).

- L'Azuré du serpolet (Maculinea arion) : L'Azuré du serpolet est


extrêmement menacé par la disparition de son habitat. Il fréquente les
pelouses sèches et les bois clairs. Les chenilles vivent sur le serpolet;
elles sont adoptées par Myrmica scabrinodis. La principale cause de la
régression des populations est la destruction de leur habitat.

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- L'Azuré des paludes (Mamlinea nausithous) : En France on
rencontre cet Azuré en Alsace, dans l'Ain, l'Isère et la Savoie. Il a été
découvert dans les Vosges en 1985 et en 1993, dans l'est de la Lorraine
(Meyer, Weiss, comm. pers.). Tous les sites connus de la vallée du
Rhône ont été détruits à la suite de la construction d'un barrage en
1981. Ce papillon habite les prairies marécageuses. L'Azuré des
paludes pond ses oeufs sur la plante Sanguisorba oJfi.cinalis. Les
jeunes chenilles s'en nourrissent jusqu'au troisième stade de leur
développement, puis comme pour les autres Maculinea, elles sont
adoptées par la fourmi Myrmica rubra dont elles consomment les
larves. Les effectifs de l'Azuré des paludes régressent constamment à
la suite de modifications de son habitat liées à l'activité humaine: drai-
nage, pollution de la nappe phréatique par la fertilisation, modification
de l'usage des sols, etc.
On peut constater que, pour toutes les espèces citées, les causes
du déclin de leurs populations sont liées à l'action de l'Homme,
souvent une modification des pratiques agricoles, en particulier le
drainage et le mode de fauche.

Conclusion

La prairie permanente et le système "haie - arbre» qui l'accom-


pagne représentent un écosystème complexe, dans lequel la diversité
biologique des invertébrés, et plus particulièrement celle de l'entomo-
faune, tient une place essentielle : on y trouve des refuges pour les
insectes auxiliaires (syrphe, coccinelle, etc.) qui régulent les popula-
tions d'insectes ravageurs, des micro-habitats exploités par les
insectes pollinisateurs (abeilles solitaires, bourdons, etc.) qui favori-
sent la diversité végétale laquelle améliore la qualité de la production
herbacée, des milieux dans lesquels la faune sauvage y trouve des res-
sources alimentaires (gibier, par exemple). L'activité des insectes
coprophages qui recycle les fèces est importante, puisqu'elle participe
à l'enrichissement des sols et augmente les capacités de pàturage. En
revanche, plusieurs espèces présentant des phénomènes de co-évolu-
tion exceptionnels (Maculinea sp.) sont gravement menacées dans l'en-
semble des pays européens.
Les exploitants agricoles prennent conscience de l'intérêt de
maintenir ces systèmes complexes et fragiles et ce, dans tous les sens
du terme: écologique et économique. Leur maintien nécessite toujours
une exploitation extensive. Ces milieux amènent d'autres contraintes:
la réduction des amendements, la maîtrise de l'embroussaillement, le
maintien des haies et des arbres isolés qui, dans certaines conditions,
captent les nitrates épandus dans les cultures environnantes. Les
mesures agrt-envtronnementales mises à la disposition des exploitants
ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux. Parfois, ces milieux her-
bacés sont abandonnés ou reconvertis par des boisements de compen-
sation, voire drainés afin d'intensifier la production de l'exploitation. Le
manque de volonté politique de maintenir ces milieux originaux, qui
impliquent une exploitation extensive, conduit à leur disparition. Si

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l'on souhaite préserver leur forte valeur biologique, la mise en place de
mesures agri-environnementales spécifiques devient urgente.

Travail présenté aux Journées d'information de l'AF.P.F ..


«Agriculture durable et prairies»,
les 30 et 31 mars 1999.

Remerciements
Nous remercions J.P LUMARETet le Rédacteur en Chef de la revue
Insectes de nous avoir autorisé à publier une partie de l'article: "Insectes
coprophages et médicaments vétérinaires» paru dans le n091 de cette
revue (LUMARET,1993).

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SUMMARY
Insects in grasslands : an essential element in the pasture
ecosystem
The insect fauna is extremely rich and varied ; it constitutes an
essential element in the trophic chains, by contributing to flower pollina-
tion and to the formation and fertilization of soils ... In grasslands, it also
contributes to the decomposition and recycling of faecal matter. The
insect fauna of permanent pastures (wet lands and or dry pastures) is
ail the richer as their vegetation is diversified. Many species living in pas-
tures are threatened by certain human activities : intensification (through
the impoverished flora, increased trampling, changed cutting rates and
dates, certain veterinary treatments, groundwater pollution by fertili-
zers ...) and changes in land utilization (drainage and disappearance of
waterlogged pastures, afforestation ...) which reduce the area of the
habitats of interest to the fauna and the flora. A number of species are
threatened with extinction in France, among them 9 species of butterflies
of French grasslands, whose case is presented.

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