Les Pouvoirs de La Parole

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 24

Pixellence - 15-04-22 14:09:12

FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 1 - BAT


Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

Les Pouvoirs
de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 2 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 3 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

Les Pouvoirs
de la parole
Présentation, choix des textes, notes, annexes et cahier photos
par Grégoire SCHMITZBERGER, professeur de lettres
et Arnaud SOROSINA, professeur de philosophie

Flammarion
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 4 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

Les anthologies « Humanités »


dans la même collection

L’Humanité en question
Les Pouvoirs de la parole
La Recherche de soi
Les Représentations du monde

Malgré toutes nos recherches concernant la plaidoirie de Paul Lombard repro-


duite p. 58-63 de cette édition, nous ne sommes pas parvenus à entrer en
contact avec les ayants droits. Toute personne souhaitant se faire connaître
peut s’adresser à l’éditeur.

© Éditions Flammarion, 2019.


Édition revue, 2022.
ISBN : 978-2-0802-8468-6
ISSN : 1269-8822
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 5 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

SOMMAIRE

■ Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
L’art de la parole 10
L’autorité de la parole 11
Les séductions de la parole 11

I. L’ART DE LA PAROLE

1. Les règles de l’art 14


1. Aristote, Rhétorique, I, 3 15
2. Cicéron, De oratore 17
3. Quintilien, Institution oratoire, livre II 20
4. Salisbury, Metalogicon, I, 7 23
5. Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, « Logique et
rhétorique » 26
Zoom sur : Histoire de la rhétorique 29
2. Qualités et défauts du style 31
6. Aristote, Rhétorique, III, 3 31
7. Pseudo-Longin, Sur le sublime, 17 34
8. Boileau, L’Art poétique 36
3. L’éloge et le blâme 39
9. Pseudo-Aristote, Rhétorique à Alexandre 39
10. Synésios de Cyrène, Éloge de la calvitie 41
11. Madame de Sévigné, Lettres 44
12. Érasme, Éloge de la folie 46
Zoom sur : Le rôle de l’éloge dans l’Antiquité 50
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 6 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

13. D’Holbach, Essai sur l’art de ramper 51


4. L’attaque et la défense 53
14. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse 54
Zoom sur : Joutes oratoires et disputationes médiévales 57
15. Paul Lombard, « Plaidoirie pour le procès de Christian
Ranucci » 58
16. Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison 63
5. Exhorter et dissuader 65
17. Homère, Iliade, II 66
18. Homère, Iliade, IX 70
19. Démosthène, « Deuxième Philippique » 72
20. Thucydide, « Oraison funèbre de Périclès » 75
21. Robert Badinter, « Discours pour l’abolition de la
peine de mort en France » 79
22. André Malraux, « Transfert des cendres de Jean Moulin
au Panthéon » 86
Prolongements 88

II. L’AUTORITÉ DE LA PAROLE

1. Parole et inspiration 92
23. Homère, Odyssée, VIII 93
24. Hésiode, Théogonie 95
Zoom sur : Oracles et prophètes 98
25. Platon, Ion 99
26. Ronsard, « Ode à Calliope » 102
27. Marcel Détienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce
archaïque 104
Zoom sur : Les actes de langage 108
2. Les garants de la parole 110
28. Tacite, Annales, livre I 110
29. La Chanson de Roland 113

|
6 Les Pouvoirs de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 7 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

30. Avicenne, Livre de la guérison de l’âme 115


3. Parole et enseignement 118
31. Platon, Protagoras 119
32. Platon, Ménon 121
33. Sénèque, « Lettre 27 » 125
34. Rabelais, Gargantua 128
Prolongements 131

III. LES SÉDUCTIONS DE LA PAROLE

1. L’humour : séduire par le rire 134


35. Aristophane, Lysistrata 135
36. Sermon joyeux de saint Jambon et de sainte Andouille 137
37. Molière, Le Médecin malgré lui 140
38. Bergson, Le Rire 148
2. Le pathétique 150
39. Homère, Iliade, VI 151
40. Homère, Iliade, XXIV 154
41. Sophocle, Œdipe roi 155
42. Catulle, Poésies 158
43. Villon, Poésies 159
44. Bossuet, « Oraison funèbre de Henriette-Marie
de France » 162
3. D’où vient la force de la fiction ? 166
45. Xénophon, Mémorables 167
46. Ovide, Métamorphoses 170
47. La Fontaine, « Le pouvoir des fables » 174
48. George Orwell, La Ferme des animaux 177
4. Les dangers de la parole 181
49. Homère, Odyssée, XII 182
50. Aristophane, Les Nuées 184
51. Gorgias, Éloge d’Hélène 186

Sommaire 7 |
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 8 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

52. Platon, Gorgias 189


53. Molière, Dom Juan 191
54. Rousseau, Émile ou De l’éducation, livre II 195
55. Victor Klemperer, LTI. La Langue du IIIe Reich 198
Zoom sur : Langage et violence 202
5. La parole comme baume 203
56. Sénèque, « Consolation à Marcia » 204
Zoom sur : Les thérapies de la parole 207
57. Musset, On ne badine pas avec l’amour 208
58. Nelson Mandela, « Discours de Pretoria » 213
Prolongements 216

■ Lexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 9 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

P RÉSENTATIO N

Si, à l’époque de la communication de masse et des réseaux,


la parole est partout et concurrence les images, on ne lui fait
pas pour autant spontanément confiance : dès l’Antiquité, le
philosophe Démocrite (v. 460-370 av. notre ère) disait d’elle
qu’elle ne valait pas l’action, tandis que la sagesse populaire
nous rappelle volontiers qu’elle s’envole, alors que les écrits, eux,
demeurent. Malgré la promesse que garantit la « parole
donnée » ou le respect qu’inspire la « parole tenue », une parole
court toujours le risque d’être contredite par la réalité. C’est que,
par elle, on peut manipuler, se tromper, manquer de sincérité :
« Paroles et paroles et paroles que tu sèmes au vent », disait la
chanteuse populaire Dalida à son partenaire Alain Delon. C’est
peut-être que la parole est à la fois le signe de notre dignité
d’homme – seul animal parlant, l’homme peut, par la parole,
désigner ou même faire exister ce qui n’est pas – et de nos plus
graves manquements : parler, ce n’est que manier des mots.
Au début du XXe siècle, l’un des fondateurs des sciences du
langage, le linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913), propo-
sait de distinguer le langage, la langue et la parole. Le langage
est l’ensemble des capacités d’expression orales et écrites parta-
gées par l’humanité. Il revêt donc une portée universelle. La
langue renvoie au système de signes communs à un ensemble
d’individus (le français vs l’anglais ou l’allemand, etc.) ; elle est
d’ordre général. La parole, elle, est l’appropriation, par un indi-
vidu, des codes et du lexique de sa langue : la parole désigne

Présentation 9|
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 10 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

donc la modalité particulière par laquelle un individu se saisit


du langage. Chacun peut prendre la parole, et ne peut le faire,
en principe, que parce qu’on la lui donne.
Première ambivalence : la parole est à la fois un don, ce qui
suppose qu’elle mérite d’être protégée et régulée, et une prise,
au sens, cette fois, polémique et éventuellement combatif du
terme. Car certains prennent la parole comme on a pris jadis la
Bastille. Autant dire que la parole n’est pas un instrument de
communication neutre, et qu’elle ne sert pas uniquement à
véhiculer des informations.

L’art de la parole
Prendre la parole, certes, mais de quelle façon ? Encore faut-il
maîtriser les règles qui président à son déploiement : poser sa
voix, placer sa respiration, choisir les mots et le registre adé-
quats. En découle un ensemble de techniques qui ont fait l’objet
de longs traités et d’exercices multiples. Ce savoir-faire qui, chez
les véritables virtuoses de l’éloquence * 1, devient un art, a un
nom depuis l’Antiquité grecque : la rhétorique, ou l’art de bien
parler.

1. Les termes suivis d’un astérisque sont définis dans le lexique, p. 217.

|
10 Les Pouvoirs de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 11 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

L’autorité de la parole
La maîtrise de cet art contribue à donner à celui qui parle
l’autorité nécessaire pour être écouté et que l’on obéisse à ses
prescriptions : qu’il soit législateur, prêtre, médecin ou institu-
teur, celui qui prend la parole attend en effet de ses auditeurs
qu’ils reconnaissent la légitimité de son discours *, à laquelle les
a rendus sensibles la maîtrise de l’art de la parole qu’il déploie.
Toutefois, l’autorité d’une parole ne dépend pas seulement de
la manière dont elle est formulée, de l’aptitude à bien parler. De
sorte que, même si nous savions tous parler avec assurance, le
lieu depuis lequel nous le faisons et le contexte dans lequel nous
nous y risquons dépendent, nous le verrons, de paramètres exté-
rieurs.

Les séductions de la parole


Quand quelqu’un parle avec autorité, il exerce toujours une
forme d’ascendant sur son auditoire : une relation d’asymétrie
s’instaure entre celui qui détient l’autorité de la parole et celui
qui la reçoit. Dans certains cas, la parole d’autorité peut se faire
séductrice : il s’agit alors pour celui qui parle d’attirer l’auditeur
à soi (se-ducere) par tous les moyens de la persuasion, notam-
ment l’appel à ses sentiments. Alors que la parole d’autorité met
en évidence la distance entre l’orateur et l’auditoire, invitant ce
dernier à adhérer à la parole qui lui est adressée, la séduction

|
Présentation 11
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 12 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

cherche à abolir cette distance, en s’attirant subrepticement


l’approbation de l’autre. Cette apparente proximité avec celui
qui écoute peut dissimuler une certaine forme de manipulation
qui vise à mieux ôter à l’auditeur sa faculté critique, raison pour
laquelle il importe de savoir analyser le discours d’autrui avec
attention. Le ravissement qu’il peut y avoir à écouter le beau
parleur risque en effet d’entraîner l’amère déconvenue de se voir
ravir sa liberté de pensée.
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 13 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

I. L’art de la parole

Parler : voilà qui semble naturel et spontané, même si l’on s’accorde


à reconnaître que certains individus ont en la matière un talent
plus manifeste que d’autres, qu’on l’appelle tchatche dans le registre
familier ou faconde dans le registre littéraire. À l’époque des matchs
d’improvisation, des battles de rap et autres concours d’éloquence *,
il faut cependant se méfier du mythe de l’inspiration : le flow du
rappeur, le bagout de l’improvisateur, l’originalité et la finesse du
rhéteur sont autant d’effets qui, pour ainsi dire, ne s’improvisent
pas. Il faut, pour bien parler, être rompu à certains exercices, avoir
assimilé les règles de l’art. Tout l’art du beau parleur réside dans le
fait de donner l’illusion de la facilité en dissimulant le travail qui
fait la maîtrise véritable.
Il n’a donc échappé à personne que la parole relevait d’un long et
lent apprentissage. Depuis l’Antiquité, les rhéteurs et les professeurs
de rhétorique multiplient les traités pour encadrer cet art, détermi-
ner les contraintes imposées par les divers genres de discours *, énu-
mérer leurs différentes parties, et préciser pour chacun sa matière.
Cela ne signifie pas que tous les orateurs se moulent dans un
modèle universel qu’il s’agirait d’appliquer tel quel, tout au
contraire. Une fois que l’on a compris les règles de l’école, il est
bienvenu de se les approprier et de leur donner de la personnalité.
C’est cela qu’on appelle le style * : la manière unique d’utiliser un
code partagé. Voilà ce qui est attendu de l’orateur qui, pour avoir
« du style », doit savoir se prémunir contre certains défauts identi-
fiés, cultiver des qualités attendues, en produisant un certain
nombre d’effets sur son auditoire.

|
I. L’art de la parole 13
Pixellence - 15-04-22 14:09:12
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 14 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

De cette façon, le discoureur saura s’illustrer librement dans des


genres aux règles pourtant définies, en tenant compte des circons-
tances et du moment. Dans le genre épidictique * (par lequel un
orateur fait l’éloge * ou le blâme de quelqu’un), il faut savoir identi-
fier les caractéristiques saillantes de l’objet décrit et taire ce qui
pourrait nuire à la thèse que l’on défend, à moins de prévoir aussi
les objections que l’adversaire pourrait opposer pour les anéantir
par avance. Proche du genre épidictique, mais dans une veine plus
pondérée et argumentative, se trouve le discours judiciaire *, qui
structure encore la rhétorique juridique actuelle. Comme l’explique
le philosophe Aristote (388-322 av. notre ère) dans sa Rhétorique,
ce genre de discours s’attache à présenter un fait passé en vue
d’accabler ou de dédouaner quelqu’un, selon qu’on est en position
de l’attaquer ou de le défendre. Au contraire, le discours délibératif *
porte sur l’avenir : son but n’est pas de conduire l’auditoire à telle
ou telle opinion, mais de le pousser à agir. Dans le discours délibéra-
tif, on considère que la parole est assez efficace pour déterminer les
comportements, pour pousser l’auditoire à changer de manière de
penser, d’évaluer et d’agir.

1. Les règles de l’art

Qu’elle soit l’objet d’une réflexion théorique à travers la rhétorique


ou le sujet de discussions philosophiques, la parole (logos * en grec)
est centrale en Grèce antique, puis à Rome. L’Occident doit beau-
coup aux principes établis au temps de Périclès (Ve siècle avant notre
ère) par les rhéteurs et les philosophes en ce qui concerne les règles
formelles de l’art de bien parler, mais aussi les principes – fondés
sur la raison – de l’art de bien argumenter.
Du point de vue formel, on entreprend des classifications relatives
aux genres rhétoriques (Aristote) ; on décrit le parcours à suivre pour

|
14 Les Pouvoirs de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 15 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

maîtriser le b.a.-ba de l’éloquence *. L’art de bien parler appartient


ainsi au cursus scolaire, que les Grecs appellent paideia (« éduca-
tion »). Il s’agit de la formation par laquelle un individu devient
cultivé : elle suppose la maîtrise du langage, non pas comme une
fin, mais comme un moyen pour devenir « un homme de bien par-
lant avec à-propos » (vir bonus dicendi peritus), comme le défendent
en chœur Cicéron et Quintilien. Cette leçon sera entendue par les
penseurs du Moyen Âge, fervents lecteurs d’Aristote, qui retiennent
de lui que « l’éloquence est la capacité de dire avec la mesure qui
convient ce que pour lui-même l’esprit juge à propos d’exprimer »
(Jean de Salisbury, p. 23-24). L’art de parler témoigne de ce qu’est
l’homme dans le monde, c’est-à-dire un être spirituel : en affichant
ainsi sa maîtrise rationnelle, l’homme révèle en même temps le
degré d’élévation qui l’éloigne de l’animalité. Cette idée fondamen-
tale permet, aujourd’hui encore, de penser le rôle primordial de la
rhétorique dans le renouveau de la culture (Chaïm Perelman et Lucie
Olbrechts-Tyteca).

■ 1. Aristote, Rhétorique, I, 3
(entre 335 et 323 av. notre ère)

Aristote (384-322 av. notre ère) fut l’élève du philosophe grec Platon
(428-348 av. notre ère) avant d’être chargé de l’éducation
d’Alexandre de Macédoine (356-323 av. notre ère), futur Alexandre
le Grand. Aristote fonda ensuite à Athènes sa propre école, le Lycée.
Ses cours nous sont parvenus sous forme de notes et montrent qu’il
s’est intéressé à la plupart des savoirs scientifiques et des tech-
niques de son époque. L’art de la parole est ainsi le sujet de sa
Rhétorique. Au chapitre 3 du livre I, Aristote propose de distinguer
trois genres de discours *, en fonction du but qui leur est assigné.

Les espèces (eidès) de la rhétorique sont au nombre de trois.


Car les auditeurs de discours se répartissent précisément en trois

|
I. L’art de la parole 15
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 16 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

espèces. Trois composantes en effet forment le discours : celui


qui parle, ce dont il parle, celui à qui il parle ; et la fin 1 (telos)
5 visée concerne ce dernier, je veux dire l’auditeur. Or, l’auditeur
est nécessairement soit spectateur soit juge et, s’il est juge, c’est
ou bien de faits passés ou bien de faits à venir. Celui qui juge de
faits futurs, c’est par exemple le membre de l’assemblée ; pour
les faits passés, c’est par exemple le juré, tandis que pour la com-
10 pétence de l’orateur, c’est le spectateur. C’est pourquoi, de toute
nécessité, il y a trois genres (genè) de discours relevant de la
rhétorique : le délibératif *, le judiciaire *, l’épidictique *.
Dans une délibération, tantôt l’on exhorte, tantôt l’on dis-
suade. Dans tous les cas en effet, que l’on donne un conseil en
15 privé ou que l’on adresse au peuple un discours sur les affaires
communes, on fait l’une ou l’autre chose. Dans un procès, il y a
d’un côté l’accusation et de l’autre la défense, car il est nécessaire
que les parties adverses fassent soit l’une soit l’autre. L’épidic-
tique se divise en louange et en blâme.
20 Le temps correspondant à chacun de ces genres est, dans la
délibération, le futur (car – que l’on exhorte ou que l’on dis-
suade – on délibère sur ce qui sera) ; dans un procès, c’est le
passé (car l’accusation ou la défense portent toujours sur des
actes accomplis) ; pour l’épidictique, c’est principalement le pré-
25 sent, car tous ceux qui louent ou qui blâment le font en fonction
de données actuelles, même si l’on ajoute souvent un rappel du
passé ou une anticipation du futur.
La fin (telos) visée par chacun de ces genres est différente, et
comme ils sont trois, il y a aussi trois fins : pour une délibération,
30 c’est l’utile ou le nuisible 2 (car lorsqu’on délibère, on donne ce
à quoi l’on exhorte comme meilleur et ce dont on dissuade
comme pire), et les autres considérations que l’on invoque – le

1. La fin : ici, le but, la finalité.


2. Le nuisible : ce qui cause du tort, ce qui nuit.

|
16 Les Pouvoirs de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 17 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

juste ou l’injuste, le bien ou le mal – sont rapportées à cette fin ;


quant aux procès, ils ont comme fin le juste ou l’injuste, et les
35 autres considérations que l’on invoque sont là encore rapportées
à ces fins ; la louange et le blâme ont pour fin le beau ou le laid
et les autres considérations, là encore, y sont ramenées.
Aristote, Rhétorique, trad. et éd. P. Chiron, GF-Flammarion,
2007, livre I, chap. III, p. 139-141.

Questions
1. D’après Aristote, quels sont les trois genres de discours ?
Quelle est la fonction et la finalité de chacun ?
2. Pourquoi chaque genre de discours correspond-il à un temps
différent ?
3. D’après vous, qu’est-ce qui justifie la pratique et l’étude des
genres rhétoriques ?

■ 2. Cicéron, De oratore (55 av. notre ère)

Avocat et homme politique romain, Marcus Tullius Cicero, dit Cicéron


(106-43 av. notre ère), est l’un des plus grands orateurs de son
époque, en même temps qu’un théoricien important de la rhéto-
rique. Dans le livre I de son traité De oratore (« À propos de l’ora-
teur »), il met en scène une discussion imaginaire qui aurait eu lieu
vers 91 avant notre ère entre deux avocats renommés que Cicéron
avait pris en modèles : Publius Licinus Crassus et Marcus Antonius.
Devant un auditoire prestigieux, ils débattent des qualités qui sont
nécessaires au bon orateur. Marcus Antonius ne juge pas indispen-
sable de connaître le droit, la philosophie ni l’histoire pour bien
parler. Crassus lui répond en montrant au contraire que l’orateur
n’étant pas d’abord un technicien du langage ou un « communi-
cant », il a besoin de maîtriser ces disciplines. Cette démonstration

I. L’art de la parole 17|


Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 18 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

est l’occasion de rappeler les règles de la rhétorique classique, afin


de prouver que leur apprentissage est une étape nécessaire, mais
non suffisante, de la formation de l’orateur.

Et d’abord, en homme franc et sincère, je commencerai par


avouer que j’ai rempli ma mémoire de tous ces préceptes 1 vul-
gaires 2 qu’on apprend à l’école : – que le premier devoir de l’ora-
teur est de parler de manière à produire la persuasion 3 ;
5 – qu’ensuite le discours * s’applique à une question indéfinie sans
désignation de temps ni de personnes, ou à une question déter-
minée par les considérations de temps et de personnes : que dans
ces deux cas, quel que soit le sujet de la contestation, on examine
si le fait est arrivé, puis quelle en est la nature ou quel nom il
10 faut lui donner, ou encore, suivant quelques-uns, s’il est juste ou
injuste ; – que la discussion a souvent pour objet l’interprétation
d’un acte lorsqu’il s’y trouve quelque équivoque 4, quelque oppo-
sition entre le sens et la lettre 5 ; que chacun de ces différents
cas a ses moyens qui lui sont propres ; que dans les causes qui
15 n’appartiennent pas à la question générale on distingue deux
genres : le judiciaire * et le délibératif * ; qu’il en existe encore un
troisième, qui a pour objet l’éloge * et le blâme ; – que chacun de
ces trois genres a ses lieux communs : que dans le premier, par
exemple, on cherche de quel côté est la justice ; dans le second,
20 on examine ce qui est utile à ceux que l’on conseille, et dans le
troisième, enfin, on développe tout ce qui est à l’avantage de
ceux dont on fait l’éloge ; – que toute la puissance, la tactique de
l’orateur se divise en cinq parties : trouver les pensées qui doivent

1. Préceptes : règles, instructions.


2. Vulgaires : ordinaires, communs.
3. La persuasion : l’adhésion à une thèse pour des motifs d’ordre émotionnel.
4. Équivoque : ambiguïté, incertitude.
5. Entre le sens et la lettre : entre la signification réelle du propos et les
mots employés pour l’indiquer.

|
18 Les Pouvoirs de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 19 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

faire le fond du discours ; les ranger non seulement dans un ordre


25 convenable, mais les distribuer, les grouper avec discernement,
avec habileté, de manière à leur donner plus de force ; les parer
des ornements de la diction, les imprimer fortement dans sa
mémoire, les débiter avec grâce, avec noblesse. J’appris encore
qu’avant d’aborder la discussion il faut commencer par nous
30 concilier les auditeurs, ensuite raconter le fait, préciser la ques-
tion, fortifier nos moyens, réfuter ceux de nos adversaires, et
enfin en terminant le discours amplifier et rehausser ce qui nous
est favorable, atténuer et détruire ce qui nous est contraire.

J’étudiai également les préceptes qu’on donne sur l’élocution,


35 lesquels sont : d’abord la pureté et la correction du langage, la
clarté, la netteté, l’élégance, enfin la bienséance et la convenance
du style * avec le sujet. J’appris tout ce qu’on enseigne sur cha-
cune de ces qualités ; je vis même que l’art cherchait à régler ce
qui dépend le plus de la nature ; je retins quelques principes sur
40 la prononciation et la mémoire, et je m’exerçai à les mettre en
pratique.
Tels sont à peu près les points essentiels sur lesquels porte la
doctrine des rhéteurs ; j’aurais tort de prétendre qu’elle est
inutile. Elle éclaire l’orateur, elle guide sa marche, elle lui montre
45 le but où il doit tendre et l’empêche de s’en écarter, mais je n’en
reconnais pas moins la limite où doit s’arrêter la puissance des
préceptes 1 ; ils n’ont pas formé les grands orateurs. Seulement
on a observé la marche du génie guidé par la nature, et on a
cherché à suivre ses traces. Ainsi ce n’est pas l’éloquence * qui
50 est un produit de l’art, mais c’est l’art qui est venu à la suite de
l’éloquence.
Cicéron, Dialogues sur l’éloquence : De oratore, Brutus, Orator.
Des Académiques, livre Ier. Du traité de la vieillesse,
trad. P.-L. Lezaud, Paris, F. Didot, 1866, p. 56-58.

1. Préceptes : voir note 1, p. 18.

|
I. L’art de la parole 19
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 20 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

Questions
1. Quelles sont les cinq parties du discours identifiées par la rhé-
torique classique ? Expliquez en quoi chacune d’elles confère une
force de persuasion particulière au discours de l’orateur.
2. Examinez les préceptes relatifs à l’élocution. Comment les
comprenez-vous ?
3. Que signifie à votre avis le constat : « l’art cherchait à régler
ce qui dépend le plus de la nature » ?
4. Comment comprenez-vous l’affirmation : « ce n’est pas l’élo-
quence qui est un produit de l’art, mais c’est l’art qui est venu à
la suite de l’éloquence » ?

■ 3. Quintilien, Institution oratoire, livre II (v. 92)

Théoricien de l’éducation, Marcus Fabius Quintilianus, dit Quintilien


(Ier siècle de notre ère), est l’auteur d’un des traités de rhétorique
les plus importants de l’Antiquité, l’Institution oratoire. Il s’y fait
l’instituteur du lecteur, pour lui permettre de devenir un orateur
chevronné. Si Quintilien retient les préceptes des traités précédents,
il se méfie des recettes toutes faites et des règles apprises par cœur.
Il compare la rhétorique à une stratégie militaire : elle doit être
adaptée aux conditions particulières de l’affrontement. En matière
d’éloquence * aussi, les innovations tactiques sont de rigueur.

Personne sans doute n’exigera de moi qu’à l’exemple de la


plupart de ceux qui ont écrit sur la rhétorique, je prescrive aux
étudiants un certain nombre de règles immuables, dans le cercle
desquelles ils soient impérieusement circonscrits 1 ; que

1. Circonscrits : contenus, enfermés.

|
20 Les Pouvoirs de la parole
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 21 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

5 j’explique, par exemple, l’exorde 1, et quel il doit être ; la narra-


tion 2, qui doit le suivre, et quelles sont ses lois ; ensuite, la propo-
sition 3, ou, selon d’autres, l’excursion 4 ; puis, un certain ordre
de questions et autres préceptes du même genre, que de petits
esprits suivent avec une docilité 5 merveilleuse, comme s’il était
10 défendu de procéder autrement. Il faut convenir que la rhéto-
rique serait une chose facile et de peu d’importance, si elle se
renfermait dans un si petit nombre de règles. Aussi la principale
qualité d’un orateur est-elle le jugement qui lui fait varier l’appli-
cation et l’usage de ces mêmes règles, suivant le besoin de sa
15 cause.

Prescrira-t-on à un général, toutes les fois qu’il aura une


armée à ranger en bataille, de porter son corps principal 6 en
avant, d’étendre ses ailes 7 à droite et à gauche, de soutenir celles-
ci avec de la cavalerie ? Certes, cet ordre sera le meilleur, si rien
20 ne s’y oppose ; mais n’en devra-t-il pas changer suivant la nature
du terrain, s’il rencontre une montagne, un fleuve, des bois, des
défilés 8 ? […]
C’est par toutes ces considérations que je me suis fait une loi
de m’assujettir 9 le moins possible à ces préceptes qu’on appelle
25 universels ou absolus ; car rarement en est-il un d’une espèce telle

1. L’exorde est le début d’un discours.


2. La narration est la deuxième grande partie du discours, où l’orateur
retrace les faits à propos desquels il prend la parole.
3. La proposition, qui suit immédiatement l’exorde, indique l’orientation
générale du discours.
4. L’excursion est une marche en avant de l’orateur vers l’auditoire.
5. Docilité : facilité, obéissance.
6. Son corps principal : le gros de ses troupes.
7. Ailes : parties de l’armée situées sur les côtés, quand elle est en ordre de
marche ou de bataille.
8. Défilés : en montagne, passages étroits, qui obligent à marcher en file.
9. M’assujettir : me soumettre.

|
I. L’art de la parole 21
Pixellence - 15-04-22 14:09:13
FL4414 U000 - Oasys 19.00x - Page 22 - BAT
Les pouvoirs de la paroles - Relook - EC Anthologie - Dynamic layout 0 × 0

qu’on ne puisse ou l’affaiblir en quelque point, ou le battre tout


à fait en ruine. J’en parlerai plus amplement ailleurs. Cependant
je ne veux pas que les jeunes gens se jugent suffisamment
instruits pour avoir étudié 1 dans un de ces abrégés 2 qui circulent
30 partout, ni qu’ils se retranchent avec sécurité derrière les arrêts 3
de nos théoriciens. L’éloquence ne s’acquiert qu’à force de travail
et d’étude ; elle demande beaucoup d’exercice, une longue expé-
rience, une prudence consommée 4, un jugement très mûr. Les
règles sont sans doute de puissants auxiliaires 5, mais c’est
35 lorsqu’elles se bornent à enseigner le droit chemin, sans pré-
tendre tracer une ornière 6 dont on ne puisse dévier impunément,
car alors il faudrait se résoudre à n’aller qu’en tâtonnant comme
ceux qui marchent sur la corde. […]
C’est un sujet bien étendu et dont les combinaisons sont bien
40 variées que l’art oratoire ; chaque jour on y découvre du nou-
veau, et jamais on n’aura tout dit sur cette matière.
Quintilien, Institution oratoire, tome I, trad. C. V. Ouizille, Paris,
C.L.F. Panckoucke, coll. « Bibliothèque latine-française »,
1829-1835, livre II, chap. XIII, p. 285-293.

Questions
1. Que critique Quintilien dans la rhétorique ? Est-ce parce qu’il
se fait de l’éloquence une idée négative ? Justifiez.
2. Quelles ressemblances voyez-vous entre l’art oratoire et l’art
militaire ?

1. Pour avoir étudié : parce qu’ils ont étudié.


2. Abrégés : manuels plus compacts que les traités complets, énonçant
l’essentiel.
3. Les arrêts : les jugements, les positions.
4. Consommée : totale, parfaite.
5. Auxiliaires : aides, assistants.
6. Ornière : trace profonde creusée dans un chemin, à la longue, par les
roues des véhicules passant toujours au même endroit.

|
22 Les Pouvoirs de la parole

Vous aimerez peut-être aussi