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LA CODIFICATION : L'EXPERIENCE MALGACHE

Par Ramarolanto RATIARAY


Professeur à l'Université d'Antananarivo

1. Vide juridique et codification- L'histoire de la codification à Madagascar


peut être initiée à partir d'un constat paradoxal mais désormais connu : le droit
malgache- pour paraphraser les réflexions d'un auteur- est très dense, voire complet
1
et pourtant on a pu parler du vide juridique malgache . Ce dont se plaignaient en
réalité les acteurs du droit à Madagascar il y eut un temps, c'était de l'insécurité
juridique : des textes introuvables sur un support quelconque, des jugements non
publiés, des coutumes tenaces, des pratiques débridées, des lois désuètes ne
répondant plus aux exigences du monde moderne et aux nécessités du
développement économique...Bref autant de signes révélateurs d'une dérive
juridique et, partant, annonciateurs de mouvements de réforme et de mise en forme
de la législation. La voie de la codification est ainsi toute tracée qui veut mettre un
terme à cet immense désordre. Elle appelle une triple remarque, de fond, de forme et
de méthode. Quant au fond, mises à part les codifications de la période royale, les
codifications dans le contexte malgache s’entendent principalement dans la
perspective de favoriser l’accès au droit et donc de se prémunir contre l’insécurité
juridique que l’absence d’un tel accès aux règles de droit pourrait générer. Quant à
la forme, ces codifications se présentent généralement en de simples "codification -
compilation" ou consolidation ; cependant les figures de "codifications -
2
innovations" sont tout aussi observées . Quant à la méthode, il s'avère impossible de
vouloir présenter la codification de chaque branche du droit, Madagascar ayant
3
codifié presque chaque secteur de son système juridique, du droit du mariage au
4 5 6
droit du travail et du droit international privé au droit bancaire en passant par le
7 8
droit de l'eau ou le droit maritime ...Aussi, la présente contribution s'efforcera-t-elle

1
Cf. Ph. DELEBECQUE, Le droit du commerce international à Madagascar, in Mélanges Charles
CADOUX, Tome II P.U.A.M 1998, 123 et ss.
2
Sur les diverses définitions de la codification, cf. R.CABRILLAC, les codifications, PUF 2002, spéc.
p. 53 et ss. Plus généralement, B.OPPETIT, De la codification, in "La codification, actes du colloque des
27 et 28 octobre 1995 de la faculté de droit de Toulouse", Dalloz 1996, 7 et ss.
3
Ord. 62.089 du 1er octobre 1962 relative au le mariage (JORM du 19 octobre 1962, 236).
4
Loi 94.029 du 25 Août 1995 portant code du travail, (JORM du 25 septembre 1995, 2564).
5
Ord. 62.041 du 19 septembre 1962 portant dispositions générales de droit interne et de droit
international privé (JORM du 28 septembre 1962.1982).
6
Loi 95.030 du 22 février 1995 relative à l'activité et au contrôle des activités de crédit (JORM du 4 mars
1996 éd. spéc. p. 292).
7
Loi 98.029 du 50 janvier 1999 portant Code de l'eau (JORM du 27 janvier 1999 éd. spéc. p. 735 et ss.).
8
Loi 99.028 du 3 février 2000 portant refonte du Code maritime (JORM du 8 février 2000 éd. spéc.
p. 526 et ss.).

95
elle plus modestement de dessiner les grandes tendances ainsi que les résultats
acquis ou espérés du mouvement de codification à Madagascar.
2. Histoire- Le phénomène de codification des textes juridiques à
Madagascar remonte à une époque relativement lointaine puisqu'on l'observait déjà
sous l'époque royale au XIXème siècle ; mais surtout, ce phénomène s'inscrit dans
des circonstances historiques qui tendaient ou bien à répondre au souci de consolider
la puissance du codificateur, ou bien à débusquer et à remédier aux failles d'un
système juridique ou bien enfin à poser les bases d'un nouvel ordre juridique en
faisant table rase du passé ou en tenant compte de ce passé en fonction du
codificateur en cause. On retrouve là certaines des raisons possibles de toute
1
codification . La première illustration de ce phénomène de codification date de 1828
par la promulgation du code de Ranavalona I, la dernière de 1996 date de
2
l'institution d'un Comité de Réforme pour le Droit des Affaires (CRDA) lequel
d'ailleurs est toujours théoriquement à pied d'œuvre. Entre les deux il existe toute
une panoplie de codifications des textes ou des coutumes malgaches lesquelles ont
connu des fortunes diverses.
3
Sous la monarchie (1600(?)-1895), le phénomène de codification a débuté
en 1828 par le code de Ranavalona Ière suivi des différents codes promulgués par
les souverains successifs. On en a dénombré une dizaine. On ne citera que les plus
célèbres d'entre eux, le code de 1828 mis a part : le code de Radama II (1862), les
deux codes de Ranavalona II (février 1863 et septembre 1863), le code des 101
articles (1868) et le fameux code des 305 articles (1881). Il n'entre pas dans nos
propos de vouloir exposer la teneur et la substance de ces différents codes. Ce qui
nous intéresse c'est l'esprit qui a conduit à leur élaboration et la méthode suivie pour
ce faire. A cet égard, un retour aux définitions et aux attentes de la codification
s'impose. Les codifications de cette époque peuvent s'analyser plus en une
codification à droit constant - si l'on peut se permettre cette transposition - qu'en une
4
"codification-réelle", pour reprendre la terminologie de Monsieur le Doyen Cornu .
Mais la combinaison des deux méthodes n’est pas exclue dans la mesure où chaque
promulgation de nouveaux textes sera l’occasion de faire revivre les anciennes
dispositions. Il s'agissait en effet de porter à la connaissance de la population par
voie écrite - donc en plus des discours Royaux sur les places publiques - l'état du

1
Sur les techniques de codification, cf. R. CABRILLAC op.cit.189 et ss.
2
Déc. 96.041 du 1er février 1996 portant création d'une commission de réforme du droit des affaires
(JORM du 1er avril 1996, 976 ; cf. infra IIème partie.
3
Une précision s'impose : on entendra par codification, la mise en forme écrite et reconnue par les
partenaires internationaux de Madagascar de règles de droit censées encadrer la vie économique et sociale
de l'époque. Les traditions orales étaient à la base de toutes les coutumes de l'Ile, mais à notre
connaissance, seuls les codes de la monarchie Merina à compter du XIXè siécle répondraient à ces
critères. Cf. G. JULIEN,les institutions politiques et sociales de Madagascar, éd. Guilmoto, Paris 1909, (2
vol.) spéc. le Tome II ; R. P. DUBOIS, Monographie du Betsileo, Paris 1938.
4
G.CORNU, L'élaboration du code de procédure civile, in La codification, actes du colloque de Toulouse
des 27 et 28 septembre 1995, Dalloz 1996, 169.

96
droit positif existant, c'est à dire l'état des pénalités que l'on pouvait encourir si l'on
1
s'adonnait à telle ou telle pratique déterminée . L'article 263 du code des 305 articles
témoigne de cette continuité dans les textes royaux en décidant que : « Les lois et
coutumes anciennes jusqu'à ce jour observées, alors même qu'elles ne figureraient
pas parmi les présentes, restent en vigueur et doivent être appliquées à l'égal des
lois écrites réunies dans le présent code ». Et le commentaire d’un spécialiste du
droit malgache de l'époque précise : « nous sommes en face d’une assise nouvelle
ajoutée à un édifice antérieur, modifiant certes, dans une certaine mesure,
l’architecture de l'édifice primitif, mais le continuant, l’achevant, le rectifiant, le
2
perfectionnant ».
Reste une question : pourquoi ? Pourquoi - et comment - s'était-il fait que ces
souverains malgaches du XVIIIe et XIXème siècle, coupés du reste du monde, à la
tête d'une population régie par les traditions orales - et dont seule une infime frange
de la bourgeoisie était alphabétisée - sont-ils arrivés à vouloir codifier leurs lois et
édits royaux ? La réponse tient, nous semble-t-il, non pas à une quelconque volonté
de vulgariser la loi - les Kabary (les discours royaux sur la place publique)
répondaient suffisamment à ce but- mais plutôt au dessein de montrer aux deux
principaux partenaires et ennemis de l'époque - les anglais et les français - la volonté
de Madagascar de vouloir entrer dans la modernité et ce faisant chercher peut-être à
apaiser la tension montante entre principalement Madagascar et la France. Cette
3
œuvre de codification est indubitablement malgache ; mais les écrits témoignent
qu’elle avait puisé vraisemblablement son inspiration dans les premiers contacts que
4
les membres des familles royales ont eus avec les anglais d'abord, les français
5
ensuite . Les affrontements successifs avec la France l'ont simplement porté à
maturation. Ce qui, comme chacun le sait, n'a pas empêché que le phénomène

1
La manière dont les textes étaient rédigés n’avait rien de commun avec le style du Code civil français.
Comme l'énonce E-P THEBAULT, « il semble que nous nous trouvions en présence de règles de détail
sans grand intérêt et non pas en face de ces préceptes juridiques généraux qui, dans une formule lapidaire,
comme l’article 1382 C. civ., régissent toute une catégorie d’actes humains et de relations sociales. » in
code des 305 articles, Institut des Hautes Etudes de Tananarive, Imprimerie officielle, 1960, 12.
2
E-P THEBAULT,op.cit., 13.
3
Cf. les réflexions pittoresques de deux historiens de Madagascar, émises en leur temps, à propos de
l'article 10 du code des 101 articles qui édicte la peine des fers à perpétuité contre quiconque essayerait de
reprendre une instance pour laquelle un arrêt avait été rendu sous un des règnes précédents : « C'est là un
des articles qui prouvent le mieux à quel point nous nous trouvons ici devant le produit d'esprits
malgaches. Ordonner que tous les chicaneaux obstinés soient condamnés aux travaux forcés à perpétuité,
voilà qui n'aurait jamais pu germer dans une cervelle européenne...avec une telle législation, combien de
nos parlementaires prendraient le chemin de la Guyane! » ; cf. G.S.CHAPUS ET G.MONDAIN,
Rainilaiarivony, un homme d'Etat malgache, Ed. De l'Outremer 1953, 100.
4
Qui, les premiers, ont reconnu la souveraineté de Radama I (1810-1828) sur tout Madagascar par le
traité d'amitié et de commerce du 23 octobre 1817 et ont envoyé des membres de la haute noblesse ou
bourgeoisie se former en Angleterre. Cf. E.RALAIMIHAOTRA, Histoire de Madagascar, Editions de la
librairie de Madagascar, 1982, 156 et ss.
5
Qui ont eu les faveurs de la Cour sous Ranavalona grâce à des personnalités comme De Lastelle,
Laborde et Lambert Cf. E.RALAIMIHOATRA op.cit. 170 et ss.

97
colonial se produise. Quant au fond du droit, cette période monarchique de la
codification ne doit pas être mésestimée : le droit positif actuel notamment en droit
des biens et en droit de la famille et des personnes y puise sa substance. C'est ainsi
que le principe de l'interdiction de la vente des terres aux étrangers, actuellement de
1 2
nouveau sur la sellette , trouve ses racines dans l'article 85 du code des 305 articles
ou que - dans une autre matière - le principe actuel de l'interdiction de la bigamie
3
puise ses fondements dans l'article 50 du même code . Quant à la forme et la
technique, généralement, ces codifications royales pouvaient être attribuées au
souverain lui-même conseillé par ses proches collaborateurs dans le cas de
Ranavalona Ière (1828-1861) dont la très forte personnalité laissait supposer qu'elle
4
a dû participer à la confection du code qui porte son nom . Elles étaient
5
principalement l'œuvre du Premier Ministre Rainilaiarivony et de son équipe
éventuellement influencés selon les époques par la présence anglaise ou française
6
pour les autres codes .
La période coloniale à Madagascar est une période pauvre en matière de
codification non pas par nature mais plutôt par opportunité : le législateur colonial a
renoncé à l’instar des autres expériences coloniales à une codification des
7
coutumes . C'était comme si face à la présence d'un arsenal juridique coutumier de
droit écrit le clivage des juridictions en juridiction de droit coutumier et juridiction
de droit moderne prenait tout son sens : le droit moderne - le code civil et le droit

1
Les débats ont été vifs avant le vote de la récente loi du 27 Août 2003 qui remanie certaines dispositions
de l'ordonnance du 3 octobre 1960 sur le régime foncier de l'immatriculation : loi 2003-029 du 27 Août
2003 (JORM du 28 Août 2003, éd. spéc.).
2
Art 85 C. 305 art : « les terres à Madagascar ne peuvent être vendues ou données en garantie de capitaux
prêtés, à qui que ce soit, sauf entre sujets du gouvernement de Madagascar ; celui qui vendrait ou
donnerait en garantie une terre à un sujet étranger serait puni des fers à perpétuité. Le prix versé par
l'acheteur ou le capital prêté ne pourrait plus être revendiqué et la terre retournerait à l'Etat » (Traduction
G. Julien cité in E.P. THEBAULT, le code des 305 articles...)
3
Art. 50 code des 305 articles : « la polygamie n'est pas tolérée dans le royaume ; ceux qui s'y livreront
seront punis d'une amende de deux bœufs et de dix piastres. S'ils ne peuvent payer, ils seront mis en
prison à raison d'un sikajy (0,60 centimes) par jour, jusqu'à complet paiement » (trad. G. Julien cité in
E.P. THEBAULT, op. cit.).
4
Cf. La présentation édifiante qu'en avait faite le chancelier de l'académie malgache : « Au despotisme
éclairé de Radama I, succéda un retour aux traditions rétrogrades, par réaction délibérée contre l'esprit
rénovateur du règne précédent. Il y avait sur ce point une identité de vue entre Ranavalona et ses
conseillers... (lesquels) se méfiaient de l'influence anglaise à laquelle étaient favorables les jeunes formés
en Angleterre ou à Maurice...Un raidissement à l'égard du peuple intervint avec la publication d'un code
de 46 articles au début du règne » (E.Ralaimihaotra op. cit., 166).
5
Qui fut Premier ministre de Madagascar de 1864 à 1895 !
6
Cf E.Ralaimihoatra op. cit., 187 : « Sous le règne de Rasoherina (1863-1868), et grâce à Rainilaiarivony,
on entreprit un grand effort de codification. Ce travail eut pour premier résultat le code des 101 articles,
promulgué lors de l'avènement de Ranavalona II (1868-1883). Il fut repris et se poursuivit activement. Le
29 mars 1881 le code des 305 articles fut à son tour solennellement promulgué ».

7
Cf. R. VERDIER, L’acculturation juridique dans le domaine parental et foncier en Afrique de l’Ouest
francophone, in année sociologique P.U.F 1976, 403 et ss.

98
français - s'appliquait aux citoyens français ou aux étrangers et le droit coutumier
aux autochtones. Nul n'était besoin semblait-t-il de chercher encore à codifier car
chaque ordre de juridiction fonctionnait déjà sur la base de ses propres règles et était
censé connaître le droit applicable à sa catégorie de justiciables.
Cette codification des coutumes, elle aura lieu au lendemain de
l'indépendance de 1960 quand il s'était agi de poser les bases juridiques de la
nouvelle et jeune République de Madagascar. En fait cette codification préfigurait
d'ores et déjà la trame de toutes les réformes juridiques qui devaient être entreprises
à Madagascar et dont le fondement était de doter la grande Ile d'un arsenal juridique
textuel suffisant de manière à asseoir la certitude de la règle de droit et, partant, à
renforcer le principe de sécurité juridique. Le mouvement de codification initié dès
l'indépendance suivait une ligne qui, depuis, n'a jamais été démentie et que l'on peut
résumer dans la proposition suivante : tout ce qui pouvait concerner l'état des
personnes et le droit de la famille devait être en accord et en harmonie avec les faits
sociaux et politiques malgaches; et tout ce qui relevait de l'économique pouvait ou
même devait s'inspirer, voire se calquer sur les systèmes juridiques extérieurs et
internationaux.
3. Plan- A l'analyse, ce mouvement de codification portait en elle les germes
de ses avatars mais également de ses réussites. En effet, du point de vue de la
méthode, il s'est traduit par un double phénomène tantôt complémentaire tantôt
exclusif l'un de l'autre qui fait que le système juridique malgache piétine dans la
recherche de la règle de droit sinon idéale du moins optimale. D'un coté, la
codification se présente comme le fruit d'une pure et simple transplantation des
droits étrangers (I) ; de l'autre, elle est un véritable instrument de réforme et
d'amélioration du droit (II). Ce sont ces deux aspects du phénomène que l'on va
essayer de présenter, étant entendu que nos propos ne concerneront que la période
contemporaine, depuis l'indépendance jusqu'à l'époque actuelle.

I/ LA CODIFICATION, PHENOMENE DE TRANSPLANTATION DE DROITS


4. Transplantation et transferts de droit- La codification en tant que
1
phénomène de transferts de droits symbolise la reconnaissance ou l'appartenance à
un système ou à une famille juridiques. C'est ce qu’un éminent auteur avait appelé
2
les codification d'imitation ou codification de réception . On sait que les transferts
ou la transplantation des droits sont ces phénomènes historiques dans lesquels un
Etat ou une nation reçoit au sein de son arsenal juridique le droit d'un autre pays ou
3
d'une autre nation supposé meilleur . Ce qui est intéressant dans ce phénomène

1
Sur les nuances à faire entre la transplantation et le transfert de droits, cf. R. CABRILLAC, Les
codifications, P.U.F 2002, 287 spéc. note 4. Nous adopterons une seule et unique définition pour les deux
expressions.
2
B. Oppetit, de la codification, loc. cit. spéc. p.14.
3
Cf. de manière générale : J.GAUDEMET, Les transferts de droits, année sociologique (PUF)1976, 29 et
ss. ; A. C. PAPACHRISTOS, La réception des droits étrangers comme phénomène de sociologie

99
contemporain de codification par transplantation des droits, ce n'est ni la méthode ni
le processus suivi pour l'imposer (A), ce sont ses répercussions dans la structure
générale du système juridique malgache (B).
A/ La méthode
5. Si l'on regarde les questions de méthode, généralement ce transfert de
1
droits se concrétise par la signature d'accords bilatéraux internationaux , par
l'insertion dans la Constitution d'un article qui pose et consacre la valeur d'une telle
2 3
transplantation , ou encore par le recours à la théorie des successions d'Etats . Pour
Madagascar, cette phase de transplantation se situe à deux époques bien précises : au
lendemain de l'indépendance de 1960 et dans une moindre mesure au cours de la
IIème (1975-1991) et de la IIIème République (depuis 1991), quand il avait fallu
doter Madagascar d'un arsenal juridique plus conséquent en matière de propriété
intellectuelle ou de solutions alternatives de règlement de conflit. Dans un cas, ont
été purement et simplement intégrés dans l'ordre juridique malgache différents codes
français, mais pas le code civil puisqu'il traite du droit de la famille et de l'état des
4
personnes . De manière générale, dans ce dispositif issu de l'indépendance de 1960,
la référence de principe au système juridique français est consacré par l'article 4 des
accords de coopération franco-malgache qui pose en substance qu’a défaut des
textes malgaches sur telle matière déterminée, sera applicable le droit positif
5
français . Dans le second cas, ont été transposés avec quelques aménagements dans
le droit positif malgache la loi française de 1964 sur la propriété littéraire et

juridique, LGDJ 1975 spéc. 23. ; N.ROULAND, Legal anthropology the Athlone press, London 1994
spec. 291.
1
Art. 4 des accords de coopération franco-malgache du 27 juin 1960 : « A défaut des textes malgaches,
les dispositions législatives et réglementaires du droit français en vigueur à Madagascar à la date à
laquelle prend effet le présent accord continuent à être appliquées par les juridictions malgaches » ; texte
des accords in J.O.R.F. du 20 juillet 1960. V. notamment, G. CONAC et G. FEUER, Les accords de
coopération franco-malgaches, A.F.D.I. 1960. 859 et s. ; G. MANGIN, Les accords de coopération en
matière de justice entre la France et Madagascar, R.J.P. 1962 p. 339 et s. ; X. BLANC-JOUVAN, Les
accords franco-malgache de coopération en matière de justice du 27 juin 1960, J-Cl. Dr. int., vol. V fasc.
598 (1960) p. 11 n°43 et s.
2
Cf cas des pays d’Afrique noire francophone avant l'entrée en vigueur du traite OHADA de 1995.
3
Opinion suggérée par le professeur A. RAHARINARIVONIRINA, in la convention judiciaire franco-
malgache du 4 juin 1973, J-Cl. Dr. int. vol. X (1987) fasc. 598 spéc. n° 3 et ss. Cf. de manière générale,
D. BARDONNET, La succession d’Etats à Madagascar, L.G.D.J 1970, spéc. 258 et ss et surtout, du
même auteur, La succession aux traités à Madagascar, AFDI 1966, 593 et ss.
4
Les lois sur les sociétés commerciales de 1867 et de 1925 sur la SARL ont également fait l'objet d'une
transplantation pure et simple.
5
Cf. supra note 13.

100
1
artistique , le modèle-type de l’O.M.P.I. sur la propriété industrielle et les brevets
2 3
d’invention et la loi-type C.N.U.D.C.I. sur l'arbitrage .
Ces deux catégories de « codification – transplantation » diffèrent quant au
périmètre de codification : au lendemain de 1960, la codification s'est faite par
tranches, c'est à dire, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, seuls les codes perçus à l'époque
comme les moins porteurs d'embarras sociologiques ou les codes considérés comme
facteurs de développement économique ont été transplantés. Ainsi le Code de
commerce de 1807, le Code pénal de 1810, le Code d'instruction criminelle de 1812
ou le Code du travail dans sa rédaction d'avant 1960. Par contre, le Code civil
français qui est censé poser les bases et fondements d'une société a été exclu de la
transplantation. Pour combler les lacunes que ce choix pouvait générer, a été érigée
la Commission de Rédaction du Code Civil malgache chargée précisément de doter
4
Madagascar d'un code conforme à ses réalités sociologiques . Quant aux trois autres
lois transplantées sous les IIe et IIIème Républiques, elles sont venues plus
prosaïquement apporter une caution de bonne moralité pluraliste et individualiste à
un codificateur connu pour ses penchants collectivistes. Quoiqu’il en soit, dans ces
différents cas de figures, la recherche de l'identification des organes codificateurs du
droit transplanté s'avère superflue. En effet le rôle des comités techniques spécialisés
au sein des ministères censés rédiger de nouvelles lois ou censés proposer une
certaine méthode de réception du droit étranger est réduit à son strict minimum
puisque la transplantation consistant techniquement en une greffe totale du droit
étranger sur le système récepteur, la question de méthode est généralement occultée.
En l'occurrence, ce rôle des techniciens se situe non pas en amont mais en aval du
processus de transplantation.
B/ Les répercussions
6. Ce qui amène la question des répercussions de cette codification par
imitation. Ce phénomène a généré deux mouvements symétriques et
complémentaires : d'un coté, il a engendré un sentiment d'acculturation juridique
prononcé (1), et de l'autre il a néanmoins contribué à la sauvegarde des valeurs
fondamentales du système juridique malgache(2).
1°/ L'acculturation juridique
7. L'acculturation n’est généralement pas perçue comme un terme neutre et
l’acculturation juridique encore moins. Le mot est défini par le Larousse comme
étant le « phénomène d'adaptation sociale d'un individu ou d'un groupe,
consécutive... à un changement complet de milieu géographique, linguistique,

1
Loi 94.036 du 9 décembre 1994 portant sur la propriété littéraire et artistique (JORM du 6 Novembre
1995, 3554).
2
Ord. 89.019 du 31 juillet 1989 instituant un régime pour la protection de la propriété industrielle à
Madagascar (JORDM du 14 Août 1989, 1797).
3
Loi 98.019 du 2 décembre 1998 (JORM du 15 décembre 1998) modifiant le livre IV (art.439 à 464.2) du
Code de procédure civile consacré à l’arbitrage.
4
Cf. infra n° 8 et ss.

101
religieux, professionnel ou autres subi par cet individu ou par ce groupe ». La
définition la plus abrupte nous est donnée par le dictionnaire américain the American
Heritage et on croit comprendre pourquoi. L'acculturation y est définie comme « la
modification de la culture d’un individu ou d’un groupe au contact d’une autre
1
culture » . L’acculturation juridique, quant à elle, suit les courbures des définitions
ainsi exposées. Ce serait, d'après un auteur particulièrement averti, « la rencontre de
2
deux systèmes de droit dont l’un tend à supplanter l’autre » . On préférera la
définition plus synthétique du Robert qui nous parait rendre compte de la
3
« résonance évolutionniste » - pour reprendre l'expression d'un auteur - du terme :
l’acculturation y est-il - exposé, « est le processus par lequel un groupe humain
assimile une culture étrangère à la sienne ».
En clair, quand la transplantation a lieu, elle est reçue par un système
juridique en train de se construire, à structure duale - le coutumier et le moderne -
composé d’hommes (et de femmes) issus d'une autre culture que celle qui sous-tend
les règles transplantées, mais qui doivent vaille que vaille maîtriser les nouveaux
outils à leur disposition sous risque de l'implosion de leur propre système.
L'assimilation devient ainsi une question sensible du fait de plusieurs facteurs dont,
en matière de codification, la différence de langue et de langage et le périmètre de la
codification. D'une part le hiatus est trop grand entre la langue du droit transplanté et
4
celle de ses destinataires ; d'autre part la transplantation s'est faite, ainsi qu'on l'a
énoncé, par tranches et non pas de manière globale : seules ont été transplantées les
branches du droit à caractère économique et technique à l'exclusion du droit de la
famille et l'état des personnes. Et quand on pense qu'en 1963, une demi-douzaine de
magistrats malgaches seulement ont été reçus au premier concours de l'Institut
d'Etudes Judiciaires qui préparait alors aux fonctions de juges, on se rend compte de
l'incongruité de la tâche. Bref, la conséquence de cette acculturation juridique est la
perpétuelle recherche d'une harmonisation et d'une cohérence dans la confrontation
entre les principes issus du droit importé et ceux du droit local malgache d'une part,
et entre ces deux corps de règles et les pratiques judiciaires observées sur le terrain
d'autre part.
Le constat d'une pareille confrontation a déjà été exposé il y a une dizaine
5
d'années lors d'un colloque consacré au droit des affaires à Madagascar . Pour
résumer, on peut dire que les résultats de cette acculturation juridique présente un

1
The American Heritage Dictionary V. “acculturation”: “the modification of a culture of a group or
individual by contact with other culture".
2
Cf. R. VERDIER, L’acculturation juridique …loc. cit., 403.
3
R. VERDIER loc. cit., 404.
4
Faut-il établir une distinction sur la base des dialectes pratiquées dans l'Ile? Cela ne nous semble pas
s’imposer. D'après les linguistes, la langue malgache est une et unique mais admet des déclinaisons ;
d'autre part, à l'époque, en 1960, le consensus s'est fait autour de la langue malgache officielle. Cf. E.
RALAIMIHOATRA, op. cit., introduction, p. 4.
5
Cf. RAMAROLANTO-RATIARAY et RAJAONA A. RAVELONA, Tendance et évolution du droit
des affaires à Madagascar, RIDC 1992, 409 et ss. spéc. 445.

102
double visage antinomique, un peu comme le Dieu Janus : la méthode et la
technique de la codification sont parfaitement acquises par les codificateurs
malgaches et il semble bien que l'Histoire propre à la grande Ile y est pour une part
importante. C'est ainsi qu'à partir de la IIème République, on verra une floraison de
textes juridiques issus de l'œuvre pure des techniciens nationaux. C'était comme si le
seul fait d'adopter ou de confectionner une loi était la panacée à tous les maux de la
société. Par contre et corollairement - c'est l'autre face de cette codification qui lui
1
est intimement liée - les questions de droit substantiel qu'elle traite requièrent dans
maintes situations que le codificateur ou la jurisprudence malgaches tranchent une
bonne fois pour toute, de la manière la plus objective possible, quelle est la solution
idéale pour Madagascar.
Deux exemples, parmi d'autres, serviront à illustrer cette proposition : l'article
4 des accords de coopération n'a pas été repris dans les seconds accords franco-
malgaches de 1973. Cela voudrait-il signifier que les matières pour lesquelles on se
référait au Code civil français parce qu'elles étaient absentes du droit positif
malgache sont censées ne plus exister ? De même, en droit des sociétés, Madagascar
étant régi par la loi française du 24 juillet 1867 dans sa rédaction initiale, la question
a été posée de savoir si la structure avec Président Directeur Général pouvait être
admise ou non. En dépit d'une jurisprudence claire de la Cour Suprême Malgache,
2
des hésitations sont encore notées en la matière .
2°/ Sauvegarde du système juridique malgache
8. Ce qui amène l'autre dimension de cette codification par transplantation
qui a contribué à poser et à sauvegarder les bases fondamentales du système
juridique malgache. La codification par transplantation a été accompagnée dès 1960
3
par la création d'une Commission de Rédaction du Code Civil malgache (CRCC)
chargée précisément de donner à la jeune République un droit conforme à ses
réalités sociologiques. On insistera sur ce point : ces deux phases de transplantation
et de rédaction des coutumes sont inséparables, elles sont congénitalement liées :
c’est parce que le secteur économique a été pourvu des textes transplantés que la
matière du droit de la famille et des personnes a dû être organisée. On est ainsi en
présence, sous la Ière République de la conjonction des deux méthodes de

1
Cf. Ph. MALAURIE, Rapport de synthèse au colloque de Toulouse op. cit. spéc. 198 : « Une expérience
millénaire montre qu’il y a toujours une relation entre la forme et le fond, même les différences de forme
qui paraissent les plus mineures : le plan, l’intitulé, la place d'une disposition dans le code peuvent avoir
des conséquences pour l'interprétation donc sur le fond. ».
2
Sur tous ces points, cf. notre article : La protection du nom commercial à Madagascar, Annuaire de Pays
de l'Océan Indien, 1995/1996, 497 et ss.
3
L'expression est usitée (semble-t-il pour marquer la volonté de s'inscrire dans la lignée du Code civil
français) dans l'exposé des motifs des différents textes rédigés par la commission, notamment dans celui
de l'ordonnance du 1er octobre 1962 sur le mariage ou dans celui de la loi du 20 novembre 1963 sur la
filiation. On la conservera par commodité pour la suite de nos développements quoique l'intitulé exact du
texte soit encore plus expressif. Il s'agit du Décret 60.082 du 27 avril 1960 concernant la constatation et la
codification des différentes coutumes applicables à Madagascar (JORM du 7 mai 1960, 824).

103
codification, complémentaires l'une de l'autre et encore une fois, indissolublement
liées par les nécessités historiques : à côté de la codification-transplantation, on
assiste à l'émergence d'une codification-innovation, la conjonction des deux formant
le socle du droit privé malgache actuel.
9. Mission et rôle de la CRCC- Cette CRCC a été placée sous la présidence
du Ministre de la justice et composée de 23 membres, dont 12 parlementaires choisis
à raison d'un député et d'un sénateur par provinces et 5 membres désignés
nommément par le Président de la République. Les 6 autres sont des techniciens du
droit du Ministère de la justice. La mission de ce Commission de Rédaction du Code
Civil a été, encore une fois, de bâtir le droit civil de Madagascar sur la base de ses
réalités coutumières en essayant, selon les termes même du décret, de ne pas figer ou
cristalliser les coutumes mais au contraire en avoir une vision évolutive de manière à
répondre aux nécessités du développement.
A ce stade, il est permis de revisiter la perception initiale de la création de ce
genre de commission au lendemain des indépendances. A l'époque, l’opinion
couramment admise était, face a l’urgence de la situation, l'inanité de vouloir
codifier les coutumes, l’important devant être dans la mise en place de codes utiles
1
au développement économique . Et d'un autre côté, encore à l'époque
contemporaine, il est un courant d'opinions qui dénonce l'inadéquation dans les pays
africains entre le droit tel qu'il est écrit et le droit tel qu'il est effectivement pratiqué
2
par les populations locales . Avec le recul de quarante années, et s’agissant de
Madagascar, pareilles positions méritent d'être largement tempérées. D'une part, il
est vrai qu'au départ, un certain flottement existait non pas véritablement entre les
textes et les faits, mais entre les textes et la manière dont ils ont été appliqués par des
officiers d'état civil ou interprétés par des juges ; d'autre part, il est vrai que
Madagascar n'est pas devenue un pays opulent (du moins pas encore), mais il est
désormais prouvé que la codification des coutumes malgaches, si elle n’a peut être
pas eu d’effets positifs perceptibles sur le développement économique (mais on peut
en discuter), a été d’un effet relativement neutre sur ce développement. Une chose
me parait certaine : cette codification des coutumes ne peut être la cause principale
du sous - développement économique du pays puisque, précisément de ce côté là,
tout - ou presque - a déjà été fait grâce au phénomène de transplantation des textes
de droit économique ou de droit des affaires….

1
Cf. la position de R. David, l’éminent comparatiste, exposée par N. Rouland :”Foreign experts often
attacked such rearguard attitudes (le refus des paysans éthiopiens d’adhérer aux réformes touchant la
propriété foncière)…David believed that traditional law should be abandonned and replaced by modern
law, to build a new system…based on the demands of the economy rather than on sociological
observations: the code should be seen as a political instrument determining paths of development, rather
than a folksy collection of customs often standing in the way of development…this custom [traditional
law] is not worthy of respect; it is responsible for the present retarded state of African society; it is
responsible for under-development of all kinds.” in legal anthropology op. cit., 311.
2
Cf. N. ROULAND, aux confins du droit, Editions Odile Jacob 1991 spéc. pp.193 et ss. L'auteur évoque
le développement d'un secteur juridique informel qui serait « la plupart du temps néo-traditionnel : il
adapte les solutions anciennes au contexte nouveau ».

104
10. CRCC: fonctionnement et constat- L'œuvre de la Commission de
Rédaction du Code Civil malgache est inestimable. Par le biais d'enquêtes
coutumières menées dans toute l'Ile de Décembre 1960 à Mai 1961, elle a réussi à
doter Madagascar d'un socle de base du droit privé en adéquation avec ses réalités
sociologiques et coutumières. Avec le recul du temps, la conviction demeure que
c'était la démarche à entreprendre tant il est important pour le succès d’un texte
juridique que ses destinataires s’identifient à lui et non pas s’en sentent étrangers. Le
fonctionnement de la commission était demeuré immuable les huit années qu’elle a
pu œuvrer officiellement au travers de toutes les lois qu’elle avait réussi à faire
voter, sous réserve néanmoins de la spécificité de telle ou telle coutume. La
commission agissait sous la houlette du Ministre de la justice et avait procédé en
cinq étapes.
1) Une enquête nationale sur les coutumes juridiques s’est déroulée dans
toutes les sous-préfectures du 1er décembre 1960 du 30 mai 1961 : organisée par les
services du Ministère de la justice, elle a pu s’effectuer auprès des élus, des notables,
des ray aman-dreny, des municipalités et des fokonolona.
2) Toutes les réponses à cette enquête ont été examinées par des commissions
provinciales de constatation des coutumes présidées par les secrétaires d’Etat
délégués et composées notamment de parlementaires, de conseillers généraux, de
représentants des Missions religieuses et des Eglises, de membres du corps
enseignant. Ces commissions ont remis au gouvernement des rapports de synthèses.
3) Un rapport général de synthèse de cent trente trois pages sur les coutumes
a été présenté à la commission de rédaction du Code civil qui l’a étudié et
4) a présenté à son tour au Gouvernement des conclusions générales qui ont
été approuvées en conseil des Ministres le 28 mars 1962.
5) Ces conclusions ont été soumises à tous les conseils généraux durant leur
session du mois d’avril 1962. Les conseils généraux les ont approuvées en
assortissant leurs résolutions de vœux et de suggestions. C’est après avoir pris
connaissance de l’ensemble des divers documents ainsi réalisés que la commission
1
de la rédaction a commencé à rédiger les divers projets de lois .
La première loi, œuvre de la Commission, à avoir été votée fut la loi sur les
2
actes d’état civil en 1961 ; la dernière vraisemblablement pour raisons politiques,
3
celle relative aux successions, testaments et donations en 1968 . Entre les deux, cinq
autres « grandes » lois ont été adoptées qui dotent Madagascar encore aujourd'hui

1
Tiré de l’exposé des motifs de l’ordonnance 62-089 du 1er septembre 1962 sur le mariage (J.O.R.M du
19 octobre 1962, 2366 et ss.).
2
Loi 61-025 du 9 octobre 1961 (JORM du 14 octobre 1961, 1789 et ss.). Spécialement a l’égard des actes
de l’état civil, l’expose des motifs précisait qu’il s’agissait en tout premier lieu, de procéder à un
« rajeunissement (sic) des textes par leur adaptation aux situations nouvelles ». La codification à droit
constant était déjà à l’œuvre…
3
Loi 68-12 du 4 juillet 1968 (JORM du 17 juillet 1968, 1438 et ss.).

105
d’une armature juridique sans précédent en matière de théorie générale du droit et en
matière de droit de la famille et de la personne. Il s’agit : en 1962 de l’ordonnance
1
sur le nom, le domicile et l’absence , de l’ordonnance sur les dispositions générales
2
de droit interne et de droit international prive , et de l’ordonnance relative au
mariage déjà citée ; en 1963, de la loi sur la filiation, l’adoption, le rejet et la
3
tutelle ; et enfin en 1967, de la loi relative aux régimes matrimoniaux et a la forme
4
des testaments .
11. CRCC- conclusion. Au cours de toute cette période et pour toutes ces
lois, les principes de travail qui ont guidé les « codificateurs » ont été, ainsi qu'il a
été dit, notamment 1° de faire un texte authentiquement malgache tenant compte
dans la plus large mesure des coutumes constamment suivies et de l’esprit qui anime
les institutions traditionnelles et 2° de ne pas figer ou cristalliser les coutumes mais
doter le peuple malgache de lois modernes lui offrant de larges possibilités
d’évolution sans rompre brutalement avec ses traditions5. On le voit, le souci est de
faire en sorte que la phase de transition du passage d'une économie ou d'un système
traditionnel vers la modernité se fasse avec le moins de heurts possible. De manière
à ce que les institutions traditionnelles aient leur rôle à jouer dans le développement
de Madagascar ou du moins qu'elles accompagnent ce développement mais n'en
soient pas une entrave. Tel est le sens de la reconnaissance de la personnalité morale
aux communautés traditionnelles6. Telle est la raison d'être du dispositif établi en
matière de droit foncier où le passage vers une propriété individuelle est désormais
entré dans les mœurs7. Tel est le fondement premier de la création de la
Commissions de Rédaction du Code civil. Durant toute cette phase, la sérénité dans
la méthode était telle qu'une compilation périodique et systématique de tous les
textes de droit existant avait pu être effectuée par un éditeur privé8, œuvre
impressionnante et fondamentale infortunément stoppée par l'avènement de la
période socialiste.
Trois précisions finales méritent d'être apportées dans le cadre de cette
période.

1
Ord. 62-003 du 24 juillet 1962 (JORM du 4 Août 1962, 1527 et ss.).
2
Ord. 62-041 du 19 septembre 1962 (JORM du 28 septembre 1962, 1982 et ss.).
3
Loi 63-022 du 20 novembre 1963 (JORM du 30 novembre 1963, 2479 et ss.).
4
Loi 67-030 du 18 Décembre 1967 (JORM du 23 décembre 1967, 2080 et ss.).
5
Cf. de manière générale l’exposé des motifs de la loi sur le mariage et sur les actes d’état civil.
6
Ord. 62.004 du 24 juillet 1962 fixant les attributions, responsabilités et pouvoirs du fokonolona (JORM
du 11 Août 1962, 1559 et ss.). Plus généralement cf. l'ouvrage de référence en droit malgache : R.
RARIJAONA, Le concept de droit de propriété en droit foncier de Madagascar, Cujas 1967.
7
Ord. 60.146 du 3 octobre 1960 sur le régime foncier de l'immatriculation (JORM du 22 octobre 1960,
2205 et ss.).
8
Recueils des textes constitutionnels, législatifs et réglementaires de Madagascar, plus connu sous le nom
de son auteur-éditeur : le « Recueil Pascal », œuvre volumineuse de IX tomes qui recensait quasi-
intégralement les textes en vigueur à Madagascar, du début de la colonisation(1895) jusqu'en 1972, début
des troubles sociaux et politiques.

106
12. Recueil ou code ?
1) La première est de pure forme. Les sept lois préparées par la CRCC ont été
intégrées dans deux volumes modestement appelés recueils de lois civiles, Tome I et
tome II, mais n'ont pas fait l'objet d'une numérotation continue par articles. Au
contraire, elles se présentent en apparence - mais en apparence seulement - comme
de simples codifications-compilation où la date de promulgation des lois sert de plan
général aux deux tomes. L'idée de départ devait être de présenter tous les textes dans
un seul code, par numérotation continue à l'instar du Code civil français et
l'institution de la CRCC tendait d'ailleurs vers cet objectif. Cela ne s'est pas fait pour
quelconques raisons mais il ne semble pas que cela soit un obstacle dirimant à la
reconnaissance d'une codification qui ne dit pas son nom.
13. Lois hors CRCC- rôle des experts étrangers
2) La seconde remarque concerne deux lois qui n'ont pas été l'œuvre de la
commission mais qui font partie intégrante de la charpente juridique de
1
Madagascar : ce sont le Code de la nationalité promulgué dès 1960 et la loi sur la
2
Théorie Générale des Obligations (LTGO) votée en 1966 . Ces deux lois
fondamentales sont l'œuvre principales non pas de la CRCC mais des experts
étrangers appelés pour les besoins de la cause en l'absence de spécialistes malgaches
confirmés. Un mot doit être dit sur eux puisqu'ils participent du processus
intrinsèque de la codification. Il faut se garder de deux travers dans une réflexion sur
leur rôle. Ne pas croire, d'un côté que, puisqu'ils ne sont que le produit de leur
propre système, ils essaieront d'imposer leur point de vue et ne pourraient pas s'en
départir. Il y a eu effectivement des situations de ce genre mais fort heureusement
très rares. La plupart du temps, ces experts sont véritablement malmenés par les
autres experts, les techniciens ou les hommes politique locaux ce qui les amène à
revoir systématiquement leur position initiale. D'un autre côté, ne pas croire non plus
que ces experts ne sont que la plume des hommes politiques en place. Cela a été
également observé mais heureusement dans des cas peu nombreux : un ministère ou
une institution quelconque, dans le but de donner une caution de technicité à leur
projet, recrute un expert réputé chargé précisément d'avaliser ledit projet.
Généralement l'expert étranger honnête avec lui même finira par se réfugier derrière
sa technicité pour refuser de suivre les errements du donneur d'ordre. La vie d'un
projet de textes à Madagascar est ainsi émaillée de ces escarmouches sans gravité
entre experts locaux, entre experts étrangers et entre experts étrangers et locaux. Ce
qui est quand même la caution d'un texte de bon aloi juridique. Mais une chose reste
d'évidence : l'expert étranger est le produit de son propre système juridique et cette
donnée se reflète forcément dans l'œuvre accomplie.

1
Ord.60.064 du 24 juillet 1960 (JORM du 23 juillet 1960, 1305 et ss.).
2
Loi 66.003 du 2 juillet 1966 (JORM du 9 juillet 1966, 1428 et ss.).

107
14. experts étrangers (suite)- implications
3) Ce qui appelle la troisième et dernière réflexion. Le choix de l'expert n'est
généralement pas neutre. Il est le signe et le symbole d'appartenance à une famille
juridique qui essaiera de rattacher à elle le système qui fait appel à ses experts. Et
généralement, le système juridique d'accueil, destinataire de la transplantation, se
prêtera opportunément ou par calcul à ce jeu d'influence en l'accommodant à ses
propres réalités sociologiques. C'est ainsi que le code malgache de la nationalité
1
avoue sans fausse honte sa filiation étroite avec l'ordonnance française de 1945 .
Cependant, précise-t-il, « les règles d'attribution ou d'acquisition de la nationalité
malgache ont été déterminées de façon tout à fait originale pour tenir compte des
2
données démographiques, sociologiques et politiques malgaches » . Le même
raisonnement a été tenu pour la LTGO.
De manière générale, la source d'inspiration sert généralement de cadre
technique de référence pour la mise en place de la codification dans le pays
d'accueil. Mais il arrive que cette source d'inspiration se conduise de manière active,
avec ou sans l'entremise de ses experts, pour obliger le pays d'accueil à engager ou à
parfaire sa codification. D'observateur compréhensif, elle devient acteur
intransigeant et ce faisant change carrément de statut. Elle devient le codificateur qui
anime et qui insuffle, face au codificateur qui exécute. Cette situation est beaucoup
plus fréquente qu'on ne le croit, spécialement quand la codification n'est plus
analysée en un phénomène de transplantation mais en une véritable réforme du droit
existant.

II/ LA CODIFICATION, PHENOMENE DE REFORME DU DROIT


15. La codification en tant qu'outil- Il s'agit d'évoquer cette fois ci le
phénomène de création de droits dont la codification est le moyen. On est ainsi ici en
présence de la codification-réformation qui va poser de nouvelles règles juridiques
pour Madagascar. Historiquement, ce phénomène est observé au travers de toute
l'historie récente de la grande Ile à partir de 1960 où on avait assisté à la création de
la Commission de Rédaction du code civil. Il s'est amplifié et complexifié à partir de
la IIème République (1975-1991) quand Madagascar a voulu tourner le cours de
l'histoire à son avantage. Au regard de la codification, l'œuvre est considérable mais
on doit impérativement faire la part des choses entre les divers mouvements de
codification car si la technique parait identique, les ressorts qui l'animent sont
fondamentalement divergents alors que l'ensemble participe, ainsi qu'on vient de le
dire, d'un même constat initial : la codification sera essentiellement l'outil pour
arriver aux fins voulues par le Codificateur. Tout le problème des codifications

1
Cf. exposé des motifs de l'ordonnance du 22 juillet 1960 portant code de la nationalité malgache: »il a
paru commode d'adopter le cadre qu'offrait l'ordonnance (française) du 19 octobre 1945 qui avait
d'ailleurs inspiré un certain nombre de législations, notamment marocain, tunisien et vietnamien... ».
2
Exposé des motifs de l'ordonnance du 22 juillet 1960, JORM 23 juillet 1960, 1306.

108
malgaches vient précisément du constat d'ambivalence du codificateur (A) tempérée
heureusement par l'harmonie finale de la codification (B).
A/ L'ambivalence du codificateur
16. Cette ambivalence du codificateur est la résultante d'une idée connue qui
est le leitmotiv qui sous-tend désormais tout le processus d'évolution des pays en
développement : il faut doter Madagascar de textes de bon aloi juridique de manière
à ce qu'il puisse accélérer son développement. Seulement, il est évident que le choix
de ces textes juridiques est lié à l'option politique du gouvernement en place en
charge de la conduite des affaires de l'Etat. Il en résulte que le choix des
codificateurs est également tributaire de ce choix politique. Deux aspects de cet
empirisme dans la codification peuvent ainsi être relevés en fonction du codificateur
en charge.
1°/ Le codificateur socialiste
17. Le premier est celui du codificateur socialiste. Il a été provisoire mais
relativement long puisque il a quand même duré seize années (1975-1991) sur les
quarante que compte la jeune République. Cette codification a voulu opérer un
changement drastique dans la vision de la société et s'était attelée à modifier les
conceptions politique, économique et sociologique du pays. Il s'en est ensuivi une
codification marquante, d'une part sur les fonctions et rôles des institutions
décentralisées et d'autre part, sur la notion d'entreprise socialiste, concept fourre-tout
dont la finalité est de permettre à l'Etat d'avoir la mainmise sur tout ce qui est moyen
de production économique et vitale pour le pays.
Cette étape de la codification est tout d'abord marquée par l'unité de
codificateur. La pensée est unique de même que l'impulsion, voire même la
rédaction si l'on considère que la Charte de la Révolution socialiste, véritable code
1
avant la lettre , texte fondateur et véritable source d'inspiration de tous les textes
juridique subséquents, y compris la constitution, est l'œuvre d'un seul et même
homme.
Le second fait marquant c'est l'emploi de la langue malgache en tant que
réflexe identitaire dans la confection des lois. C'est depuis cette époque que les
2
textes juridiques doivent être obligatoirement rédigés en français et en malgache . A
cet égard, il appartient au ministère qui proposerait un texte dans une langue d'en
faire la traduction dans l'autre langue.
Le troisième fait marquant de cette période est - malgré des fois la démesure
dans l'adhésion aux idées et valeurs socialistes - l'irréductible attachement du
codificateur aux valeurs individuelles. D'une part, c'est sous cette époque qu'ont été

1
En ce que théoriquement, sa violation pouvait servir de base à une action en justice....
2
Déc. 84.022 du 6 juin 1984 (JORDM du 26 juillet 1984, 1577). Les jugements, eux, peuvent être rédigés
intégralement dans l'une ou l'autre des deux langues (référence constitution).

109
1
adoptées les lois sur la propriété industrielle et sur la propriété littéraire et
2
artistique qui sont quand même le symbole de l'appartenance à une certaine idée des
valeurs individuelles et de la propriété privée mais qui de surcroît procèdent d'un
mécanisme de codification-transplantation puisque elles sont la transposition pure et
simple - à quelques nuances prés - soit de la loi française de 1957 soit du modèle
type des organisations internationales. D'autre part et surtout, cette période socialiste
n'a pas touché à un seul des textes de droit civil rédigés par la Commission de
Rédaction du Code Civil dans les années soixante alors même que l'esprit de ces
textes peuvent être porteurs d'une contradiction essentielle aux valeurs socialistes
officiellement prônées. Il en est ainsi de la loi sur le testament, de la loi sur la théorie
3
générale des obligations ou encore de la loi sur l'immatriculation foncière . Sans
parler des aspects politiques de la question, ce troisième élément peut être considéré
comme l'un des facteurs de l'échec du codificateur socialiste.
2°/ Une codification plurielle
18. Ce qui conduit à l'autre aspect de cette codification-réformation, qualifiée
de codification plurielle pour des raisons explicitées ci-après. Elle a commencé,
ainsi qu'on l'a vu en 1960 parallèlement avec la codification- transplantation ; elle a
été reprise en 1991 jusqu'à l'heure actuelle après la parenthèse socialiste 1975-1991.
La différence fondamentale avec la codification socialiste réside dans ce que le
codificateur, ici, admet et accepte la pluralité de vues comme vecteur premier de son
action. Mais force est de reconnaître que cette période n'est pas non plus indemne de
paradoxes.
19. a) Le premier d'entre eux est précisément le dédoublement de
codificateurs. Le terme est entendu ici dans ces deux composantes esquissées plus
haut. Si la finalité demeure immuable qui est la recherche de la sécurité juridique et
si le moyen reste constant qui passe par la codification, le codificateur, lui, subit une
mutation et se dédouble. La cause première de pareil phénomène est d'ordre
économique et avait débuté par les célèbres Plans d'Ajustement Structurel (P.A.S.)
des bailleurs de fonds internationaux dont les conséquences sur le plan social et
4
économique dans les pays du sud ont été unanimement dénoncées . En exécution de

1
Ord.89.014 du 31 juillet 1989 instituant un régime pour la protection de la propriété industrielle en
République Démocratique de Madagascar (JORM du 14 août 1989, 1798).
2
Loi 94.036 du 9 Décembre 1994 portant sur la Propriété Littéraire et Artistique (JORM du 6 octobre
1995, 3554). Il est vrai que cette loi a été votée bien après la période socialiste mais les textes pris sous
cette dernière époque avaient déjà prévu la situation des auteurs et autres interprètes sur le fondement de
la loi (française) 57-298 du 11 mars 1957 relative à la propriété littéraire et artistique ; cf. notamment :
Déc. 84-389 du 13 novembre 1984 portant création de l'office malgache des droits d'auteurs(JORDM du 1
décembre 1984, 2491) ou Déc. 84-390 du 13 novembre 1984 portant règlement général des perceptions
des droits d'auteurs(JORDM du 1er décembre 1984, 2500). L'article premier de ces deux textes
réglementaires spécifie expressément qu'ils sont pris « en application de la loi du 11 mars 1957 relative à
la propriété littéraire et artistique ».
3
Cf. Ord. 60.146 du 3 octobre 1960 relative au régime foncier de l'immatriculation, précitée.
4
Cf. le constat sans complaisance dressé récemment, à partir de l'exemple de l'Ethiopie, par un prix Nobel
d'Economie : Joseph. E. STIEGLITZ, globalization and its discontents, Norton 2002 spéc. p. 23 et ss.

110
ces mesures d'austérité drastiques, il était imposé, entre autres mesures, de l'Etat
destinataire des aides financières internationales la réforme intégrale de son secteur
du droit des affaires de manière à répondre aux exigences des investissements
1
internationaux . Le découplage du codificateur est ainsi né : d'un côté, le
codificateur qui insuffle, qui inspire, qui ordonne et dont il est hors de question de
contester les décisions, de l'autre le codificateur qui exécute par le biais de ses
experts.
20.a-1) Hormis les premiers pas de la codification-réformation de 1960, le
codificateur qui anime et qui insuffle est, dans les années directement issues de
1991, rarement l'Etat malgache, spécialement en matière de droit économique et en
droit des affaires. Ou mieux, l'Etat n'est plus véritablement maître des décisions à
prendre et au lieu d'en être l'inspirateur devient paradoxalement le destinataire et
l'exécutant du message de codification. Le codificateur qui insuffle, lui, sera le
bailleur de fonds international qui dicte ses conditions lesquelles doivent
transparaître dans les textes une fois adoptés. Généralement, il dépêchera un (sinon
plusieurs) de ses experts pour s'assurer de la bonne marche du travail. Le problème
c'est qu'il n'y a pas un seul bailleur mais plusieurs, lesquels se livrent à une lutte
d'influence à peine feutrée. La question paraîtrait légitime si ce n'était l'absence
totale de coordination entre les bailleurs de fonds qui a conduit à la multiplication
d'études - et donc de projets de textes - sur un même secteur économique ou
juridique (cf. notamment code de l'eau/droit foncier). La situation était à ce point
embarrassante qu'il a fallu une concertation au sein même de l'Organisation des
2
Nations Unies suivie du fameux UNDAF pour y mettre un terme.
21. a-2) Du côté du codificateur qui exécute, la situation ne se présentait
guère mieux. On note d'un côté les initiatives débridées des différents ministères qui
3
ne sont pas toujours cohérentes entre elles et de l'autre, les menées et travaux isolés
des cabinets d'études en fonction des desiderata de leurs commanditaires. On a
même vu des tentatives de codification-compilation, à une échelle véritablement

Adde, G. DURUFLE, La politique d'ajustement structurel en Afrique et à Madagascar, L'Harmattan,


1988.
1
La réforme du droit des affaires a été en effet sur la liste des exigences prioritaires des bailleurs de fonds
internationaux à tel point qu'elle fait partie intégrante du Document Cadre de Politique Economique
(DCPE) du gouvernement, document officiel présenté périodiquement aux bailleurs de fond qui décrit
chaque étape accomplie par le gouvernement et qui doit recevoir leur aval pour tout déblocage de crédits
internationaux
2
United Nations for Development and Assistance Framework. Plan-Cadre des Nations Unies pour
l'Assistance au Développement. Le problème concernait tous les pays en développement dont
Madagascar n'est qu'une infime composante mais qui a servi d'expérience pilote à ce projet. Cf. document
ONU, Plan-Cadre des Nations Unies pour l'Assistance au Développement, ONU, 11 mai 1998. S'agissant
précisément de Madagascar, un auteur a récemment résumé la situation : cf. R.
RARAZAFINDRAKOTO, L'urgence des solutions durables pour l'allocation optimale des ressources,
l'Express de Madagascar, Samedi 20 mai 2000.
3
Les débats autour du Code de l'Eau - qui empêchent la sortie des décrets d'application - ou du nouveau
projet de Code du travail ne sont pas prêts d'être réglés eu égard aux intérêts en cause.

111
artisanale eu égard aux difficultés de l'époque, résultant de l'initiative de personnes
privées en un temps où l'absence totale d'accès aux textes juridiques ouvrait la voie à
des pratiques sans nom. Une des raisons de création de la Commission de Réforme
du Droit des Affaires (CRDA) en 1996 fut précisément de coordonner tous ces
travaux qui allaient un peu dans tous les sens (cf. infra).
22. b) Le deuxième paradoxe c'est que, par un de ces tours dont seuls
l'Histoire et les urnes ont le secret, le codificateur qui a le plus œuvré dans le sens de
la codification plurielle dans la période récente est celui là même qui était le
dépositaire des valeurs socialistes et le maître d'œuvre de la codification socialiste en
son temps. La proposition peut prêter à sourire mais force est d'admettre, au regard
de la codification, que cette renaissance d'un codificateur déchu a donné des
résultats qui témoignent de l'œuvre considérable accomplie. C'était comme si le
codificateur avait finalement compris la nécessité de concilier impératifs
économiques et exigences juridiques. D'où le constat d'harmonie finale de la
codification.
B/ L'harmonie finale de la codification : création de la CRDA
23. Cette harmonie dans la codification est l'aboutissement de tout un
processus de réflexion et de cohérence dans la démarche du codificateur. Le constat
de départ reste le souci d'éradiquer l'insécurité juridique issue de seize années de
régime politique socialo-communiste. Cette insécurité se traduisait entre autres par
le difficile sinon impossible accès aux textes juridiques (le recueil des lois civiles n'a
fait l'objet d'aucune réédition depuis 16 ans), par l'absence totale de publication des
décisions judiciaires et par voie de conséquence par l'impossibilité totale de vouloir
anticiper sur toute action juridique que l'on voudrait envisager. Toute réforme à
entreprendre devait ainsi non seulement remédier à cette situation mais également
procéder à un "toilettage" des textes existants de manière à pouvoir les adapter aux
exigences économiques modernes.
Telle fut la raison d'être principale de la création de la CRDA en 1996. La
CRDA serait un peu au droit des affaires ce que la CRCC était au droit civil en
1960. Ce qui change c'est la nature et l'importance données à la codification-
réformation. D'une part, la commission n'est plus placée sous l'égide du Ministre de
la justice mais directement sous l'autorité du Premier Ministre. D'autre part, Le
Codificateur de 1996 avait axé sa priorité sur le droit des affaires de manière à
favoriser les investissements étrangers, ce qui devrait permettre une reprise du
développement économique. Or, ce faisant, il admettait implicitement la valeur
intrinsèque des recueils de lois civiles confectionnés sous la Ière République. Car il
faut bien avouer qu'à cette époque (en 1996), la dichotomie de codificateurs était à
son apogée et si le « codificateur qui insuffle » avait considéré que le droit de la
famille - par exemple - pouvait être de nature à entraver les investissements
étrangers, il l'aurait fait savoir sans état d'âme au « codificateur qui exécute.
24. CRDA – Composition, rôle, mission -Initialement, la CRDA était conçue
principalement comme un organe consultatif du gouvernement sur les réformes à

112
1
entreprendre en droit des affaires . Mais très vite, elle devient le véritable chef
2
d'orchestre de tout ce qui pouvait être entamé dans ce cadre . Elle est présidée par un
représentant du Premier Ministre ; elle réunit toute entité concernée par le droit des
affaires, des ministères aux entreprises en passant par les universités ; elle travaille
en séance plénière mais dispose d'un organe technique - appelé la cellule technique -
chargé de préparer les nouveaux textes ou les textes particulièrement difficiles ; elle
peut même recruter des cabinets d'études chargés de travailler sur un point
spécifique d'une réforme.
Concrètement, la mission de la CRDA était double : en même temps que des
travaux d'amélioration du droit existant se déroulaient en séance plénière ou en
cellule technique, la compilation de l'intégralité des textes juridiques sur le territoire
malgache était ordonnée. Les résultats d'une telle entreprise titanesque ont dépassé
toutes les espérances dans un temps relativement bref.
La "codification-compilation" est présentée sous forme de deux supports :
d'une part, un CDRom de droit des affaires, confectionné grâce à l'appui des
3
principaux bailleurs de fonds internationaux est mis en vente qui recense la quasi-
totalité des textes en vigueur en la matière à Madagascar. D'autre part, tous les textes
de droit civil ont été recensés dans deux volumes qui sont en quelque sorte la
continuation des anciens recueils de lois civiles et qui sont également mis à la
disposition du public dans le commerce.
De son côté, la CRDA ou sa cellule technique ont commencé à mettre à jour
le droit positif existant et à repenser carrément certaines lois. C'est ainsi que la
4
définition du commerçant dans le code de commerce a été remanié , qu'une loi sur la
5
transparence des entreprises a été adoptée , que la loi sur l'arbitrage est venue
réécrire un chapitre entier du code de procédure civile... C'est ainsi également qu'un
projet de loi sur les sociétés commerciale fort de quelques 900 articles a déjà été
déposé, qu'un projet de réforme de loi sur les sûretés a été lancé mais arrêté pour des

1
Le décret 96.041 du 1 février 1996 précité donnait pour mission à la CRDA « - d’identifier les réformes
à entreprendre dans le domaine du droit des affaires ; - de définir les priorités en tenant compte des
objectifs fixés et des directives du gouvernement ; - de formuler toutes suggestions ou conseils ou de faire
toutes propositions sur la nécessité comme sur l'opportunité de modifier les textes du droit des affaires ; -
de donner à titre consultatif son avis sur les projets de lois ou décrets lorsqu'elle en est requis ; - de veiller
à la cohérence des réformes » (JORM du 1er avril 1996 p. 976).
2
Le nouveau décret 97.750 du 29 mai 1997 témoigne de ce nouveau rôle conféré à la CRDA. Après avoir
repris les missions définies dans l'ancien décret du 1er février 1996, le décret du 29 mai 1997 précise :
« (la CRDA) fixe les délais d'exécution des travaux ; - formule les directives sur les principes devant
guider les réformes à entreprendre ; - approuve les travaux effectués au niveau de la cellule technique en
provoquant toute réunion ou concertation avec toute entité concernée. Des rapports périodiques sur l'état
d'avancement des travaux seront adressés par l'organe technique de la réalisation des travaux à la CRDA
qui adressera un exemplaire au Premier Ministre à titre de compte rendu ».
3
Principalement la Coopération Francaise, l'USAID et la fondation Friedriech Ebert.
4
Loi 99.018 du 2 Août 1998 relative au statut du commerçant (JORM du 16 Août 1999, 1865).
5
Loi 99.025 relative à la transparence des entreprises (JORM du 30 Août 1999 éd. spéc., p.2006).

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raisons politiques, de même que le projet de réforme sur les contrats civils et
commerciaux. Mais le constat final laisse confiant. Il reste à espérer que l'œuvre sera
continuée sereinement par la nouvelle équipe gouvernementale en place depuis
2002.
Et il y a à la fin un constat d'harmonie. Car toute cette oeuvre récente sur le
droit des affaires n'a pas une seule fois remanié ni même porté ombrage aux textes
de droit civil rédigés en 1960. Par là, le codificateur de 1996 (celui qui ordonne...),
admettait implicitement la valeur intrinsèque des recueils des lois civiles. Quitte à se
répéter, il faut bien avouer, encore une fois, qu'à cette époque, la dualité de
codificateurs était à son sommet et si le « codificateur qui ordonne » avait considéré
que le droit civil tout entier avait pu être de nature à empêcher le développement du
droit des affaires, il l'aurait fait savoir sans état d'âme. C'est ce qui se passe d'ailleurs
en matière foncière.
Il y a harmonie à un autre titre, celui de la méthode. La CRDA intégrait de
droit des experts étrangers de bords différents, français et américains. On retrouve
ici une sorte de similitude avec la situation du XIXè siècle des premiers codes
malgaches où anglais et français se disputaient les faveurs des souverains.
Seulement l'enjeu a changé. Ce n'est plus la recherche unilatérale d'une hégémonie
quelconque mais l'amélioration concertée du système existant, sous l'arbitrage de
Madagascar. Les résultats de cette concertation là en matière de codification
conduisent à souhaiter qu'elle perdure.
25. OHADA ? -Un dernier mot: dans cette effervescence de la reconstruction
totale d'un système, une question a été posée au codificateur qui était de savoir
pourquoi n'avoir pas profité d'un moule préexistant et prêt à l'emploi qui aurait
permis à Madagascar d'être doté immédiatement des instruments juridiques les plus
modernes et d'intégrer le concert des autres nations africaines qui elles aussi étaient
confrontées à un degré plus ou moins fort aux mêmes problèmes ? Le moule est bien
1
sûr le traité de l'OHADA , et le refus de Madagascar n'est pas pour l'instant suivi
d'explications officielles. Mais c'est peut être le signe que Madagascar est
véritablement entrée dans cette phase de codifications plurielles où l'on écoute
préalablement, on observe attentivement, on discute sereinement et on décide
opportunément. Et, semble-t-il, l'une ou l'autre de ces étapes attend impatiemment
d'être franchie.

1
Office pour l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique institué par le traité du octobre 1993 et qui
regroupe actuellement les Etats d'Afrique francophone au sud du Sahara.

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