Distinction Entre Droit Civil Et Droit Commercial

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Ohadata D-10-25

LA DISTINCTION DROIT CIVIL - DROIT


COMMERCIAL A L’EPREUVE DE L’OHADA : UNE
PROSPECTIVE DE DROIT MATERIEL UNIFORME
Justine Diffo Tchunkam∗

Revue de droit uniforme UNIDROIT, ns Vol. XIV/2009, p. 57

RESUME

L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) est un rêve :
le rêve d’un espace juridique substantiellement et fonctionnellement unifié. L’avènement du
droit matériel uniforme issu de l’OHADA a profondément transformé la configuration du
droit privé africain. Dans ce contexte, si la distinction droit civil / droit commercial a
longtemps été considérée comme essentielle et consacrée par la doctrine civiliste notamment,
tel ne serait plus le cas de nos jours. Au rythme de l’évolution des activités économiques, le
législateur communautaire entend promouvoir des règles adaptées aux besoins économiques
des Etats. Le souci d’une plus grande sécurité économique au service de l’efficacité juridique
débouche sur une relative fusion de certains domaines du droit privé, mettant à mal les
distinctions classiques. L’érosion des bases séparatrices du droit civil et du droit commercial
coïncide avec le renouvellement de notions plutôt fédératrices des deux disciplines. Cette
démarche pragmatique du législateur OHADA suscite néanmoins des interrogations
auxquelles il est urgent de répondre. On se demande s’il n’est pas allé trop loin dans cette
entreprise d’unification des solutions du droit africain des affaires. A l’évidence, bien que la
plasticité et la transversalité de certaines matières commandent tantôt l’unicité des sources,
tantôt la simplification des procédures aux fins de la prévisibilité et de l’efficacité du droit
applicable, la prudence dans l’art de légiférer voudrait que l’on évite les excès et les dérives
congénitales aux initiatives de reforme et de codification du droit. En outre, le maintien de la
distinction du droit civil et du droit commercial paraît difficilement conciliable avec les
orientations de politique législative de l’OHADA.
La valeur de cette constatation ne doit cependant pas être exagérée ; elle peut n’être qu’un
leurre dissimulant la réalité selon laquelle la distinction droit civil / droit commercial ne serait
plus qu’un spectre dont il conviendrait de se débarrasser, ou une survivance idéologique dont
le droit des affaires, droit matériel uniforme selon l’esprit du Traité de Port-Louis, permettrait
de mesurer l’ampleur de l’isolement.
« Rien de plus glorieux, rien de plus utile et de plus
désirable que de réduire toutes les coutumes de ce
royaume – très nombreuses et souvent divergentes


Docteur en Droit - Chargée de cours - Faculté des Sciences juridiques et politiques, Université de Yaoundé II
(Cameroun).
sans aucun motif – en une seule loi courte,
1
parfaitement claire et uniforme » .

Toute norme juridique est un défi au temps, une tentative de stabilisation des rapports sociaux
en perpétuel devenir2. J.-L. BERGEL, cet érudit de la science du droit, qualifie ainsi le
renouvellement perpétuel des règles et des sources, en réponse aux besoins sans cesse
mouvants de la société humaine. Dans ce mouvement naturel qui intervient par la force des
choses, il arrive très souvent qu’un défaut de perspective porte à faire croire que l’on se trouve
au commencement d’une ère nouvelle ou en présence d’une rupture révolutionnaire avec le
passé ; pourtant, à y voir de près, l’on se trouverait simplement en face d’indices marquant
l’accentuation d’un processus en cours. C’est en ces termes que M. ROTONDI3 décrit le
processus d’unification du projet italien de 1942 portant sur l’élaboration d’une théorie
générale des obligations civiles et commerciales. Et, selon toute vraisemblance, la distinction
du droit civil et du droit commercial qui a marqué d’une empreinte presqu’indélébile plusieurs
siècles du droit romano-germanique, s’inscrirait aujourd’hui dans une construction
révolutionnaire4 et pragmatique du processus d’unification du droit OHADA. L’une des
conséquences de cette logique d’harmonisation, d’intégration ou même d’unification serait,
sans doute, la tendance inavouée mais perceptible à la relativisation de l’importance jusque-là
accordée au principe même de cette distinction, comme étant l’une des bases fondamentales
qui consacrent la summa divisio du droit privé.
Cette œuvre du législateur communautaire est loin d’être une tentative isolée. En effet, la
perspective du rapprochement du droit civil et du droit commercial et, partant, de la fusion
progressive des méthodes des deux disciplines, est une constance qui a traversé l’histoire du
droit privé. Des esprits très éminents purent le croire au début du XXème siècle. Et Ch. LYON-
CAEN, dans l’étude qu’il consacrait à « l’influence du droit commercial sur le droit civil
depuis 1804 », affirmait que « les différences qui subsistent entre le droit civil et le droit
commercial n’ont rien d’essentiel (...) ; il ne faut, par suite, pas s’étonner que beaucoup de
ces différences aient disparu ou se soient, tout au moins, atténuées »5. Quelques années
auparavant, un article de C. VIVANTE avait même formellement préconisé la rédaction d’un
« Code unique des obligations »6. Dans cette progression historique, c’est surtout le droit
commercial qui a gagné du terrain, et ces progrès paraissent tout à fait en harmonie avec ceux
qui ont été réalisés dans la société moderne par le biais des opérations commerciales et l’esprit
commercialiste.
De plus en plus, le droit commercial partage très largement aujourd’hui la même conception
libérale de l’économie et du droit et la même prédilection pour l’individualisme et les
principes civilistes de protection de la propriété privée et des biens. De ce point de vue
justement, le droit commercial, en tant que partie du droit privé interne, peut être défini

1
Ch. DUMOULIN, Opéra, T. II, 690 ; cité par Ph. MALAURIE, Anthologie de la pensée juridique, Cujas,
Paris (2001), 64.
2
J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, Paris (1985), 24.
3
Voir Rapport général des journées de Pavie et de Milan sur « L’intégration du droit civil et du droit
commercial en matière d’obligations », in: Travaux de l’Association H. CAPITANT, T. VIII (1953), 63.
4
L’exposé des motifs du Traité OHADA qualifie ainsi, et à juste titre, certains traits du droit OHADA, à savoir
qu’il introduit une unification perçue comme source de sécurité juridique et judiciaire dans le milieu des
affaires, source de symbiose dans les relations, dès lors que les opérateurs économiques changeant de cadre
géographique ne sont pas pour autant juridiquement dépaysés.
5
Ch. LYON-CAEN, « De l’influence du droit commercial sur le droit civil depuis 1804 », in: Livre du
centenaire : Code civil, 1804-1904, Dalloz, Paris (2004), 208.
6
C. VIVANTE, "Per un codice unico delle obligazioni", Archivio Giuridico, T. XXXIX, 407, traduit sous le
titre « Un code unique des obligations », Annales de droit commercial (1893). 1-15.
comme étant constitué « d’un ensemble de lois spécialement destinées, soit à régler la forme
et l’effet des transactions dont le commerce se compose, soit à déterminer les obligations
particulières auxquelles sont assujettis ceux qui en font leur profession ; de certains principes
du droit commun appliqués, autant que le permet la nature des choses, à ces mêmes
transactions, lorsque les lois spéciales n’ont rien déterminé »7.
Le contexte ainsi balisé suscite quelques interrogations assez pertinentes. La première que
l’on perçoit est celle de savoir s’il est théoriquement possible d’envisager une fusion à terme,
des règles communes aux deux disciplines du droit privé, sans que leurs spécificités
respectives déstabilisent dans leur fondement, les solutions envisagées8. Si en revanche, la
distinction reste techniquement maintenue dans certains domaines, serait-elle encore
véritablement fondamentale au regard de l’objectif d’unification du droit africain des
affaires ? En second lieu et de façon sous-jacente, si la distinction droit civil / droit
commercial est progressivement abandonnée, les conflits potentiels de normes, techniquement
appelés conflits de conventions de droit international privé9, demeurent une préoccupation
constante du point de vue de la prospective juridique. Il s’agit de la prévention ou de la
résolution des conflits latents de compétences matérielles entre l’OHADA et les divers
organismes régionaux africains appelés à prendre des Actes uniformes dans le domaine du
droit des affaires10, avec dans le prolongement, les conflits de primauté entre les normes
OHADA et celles de ces organismes.
Pour y répondre, une réflexion critique sur les liens qu’entretiennent les deux branches du
droit privé dans la législation OHADA nous semble scientifiquement enrichissante11. Dans
cette perspective, l’analyse devrait également permettre de démontrer le champ matériel du
droit OHADA relativement au domaine assez résiduel et très ciblé qu’il réserve à la
distinction dans ce contexte. De façon accessoire, et puisqu’il s’agit d’un regard prospectif sur
la question, des pistes de réflexion en rapport avec les principes généraux d’interprétation des
conflits de normes et de conventions de droit international privé seront suggérées.
L’approche retenue et plus ou moins imposée par cette thématique est une approche
analytique et transversale, aux confins de la théorie du droit et du droit international privé
conventionnel. Les interrogations soulevées seront abordées selon une démarche prospective

7
D. ALLAND / S. RIALS, Dictionnaire de culture juridique, Lamy PUF, Paris (2003), 439. Dans le droit
français contemporain, l’essence du droit commun est celle d’opposer les principes aux exceptions, les règles
d’application générale à celles qui n’édictent que des dispositions spéciales, ou, en procédure, les juridictions
qui ont vocation à gérer toutes sortes d’affaires à celles qui n’exercent que des compétences d’attribution.
Voir également R. GASSIN, « Lois spéciales et droit commun », Recueil Dalloz (1961), Chr. XVIII.
8
Ch. LAURENT, De la fusion du droit civil et du droit commercial, thèse, Paris (1903).
9
C. BRIERE, Les conflits de conventions internationales en droit privé, LGDJ, Paris (2001) ; J. DIFFO
TCHUNKAM, Les conflits de lois et de conventions dans l’espace OHADA, Cours de Droit International
Privé, Université de Yaoundé II (2008-2009).
10
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), Communauté Economique et
Douanière de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA),
etc.
11
Cependant, pour des besoins de concision, nous nous sommes volontairement abstenus d’aborder les
questions relatives à l’extension du champ spatial du droit OHADA. Bien qu’intéressantes et pertinentes du
point de vue de la difficile conciliation des familles juridiques fondamentalement différentes dans un espace
francophone de tradition civiliste, ces questions soulèvent des problématiques qui, à notre sens, n’intéressent
pas directement le sujet en étude. Voir à ce propos les récents développements dans les Actes, P. MEYER,
« L’harmonisation du droit des contrats », Rapport Général, in: Actes du Colloque sur l’harmonisation du
droit OHADA des contrats, Ouagadougou 2007, publiés dans Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. (2008), 379, accès
recommandé : http://www.unidroit.org/english/publications/review/articles/2008-1&2/001-008.pdf;
P.G. POUGOUE / Y.R. KALIEU ELONGO, Introduction critique à l’OHADA, Presses Universitaires
d’Afrique, Yaoundé (2008), 113 et s.
prenant en compte non seulement l’édification d’un droit commun des activités économiques
identique pour toutes les composantes de la discipline, mais également les spécificités de la
matière dans ses rapports avec l’ensemble des relations consenties ou subies par les acteurs et
opérateurs économiques.
L’approche législative ainsi annoncée vise à élaborer des solutions unificatrices du droit des
affaires OHADA. Elle présente un intérêt théorique constant : celui fondamental du
dépassement de la théorie étriquée de la commercialité, comme fondement des solutions du
droit des affaires africain, en faveur de l’élaboration de solutions simples, flexibles et
équitables, construites autour de la notion de profession exercée dans le cadre d’une entreprise
organisée12. La constance sur laquelle théoriciens13 et praticiens du droit OHADA s’accordent
aujourd’hui est celle de la perte de vitalité de cette distinction, aussi bien dans l’élaboration
que dans la mise en œuvre du droit en étude. Toutefois, afin d’éviter les excès et les dérives
congénitales propres à l’art de légiférer14, la prudence législative voudrait que la tendance à
l’amenuisement des frontières de la distinction repose sur des notions suffisamment
transversales pour réaliser l’œuvre unificatrice du droit OHADA.
D’ores et déjà, l’on perçoit clairement l’esprit du droit uniforme OHADA en construction :
aussi bien la distinction droit civil / droit commercial, que les conflits de conventions ne
doivent constituer un frein à l’intégration tant fonctionnelle que substantielle de l’OHADA.
L’intérêt pratique d’une telle approche résiderait dès lors, dans le souci de saisir aussi bien les
acteurs économiques que l’activité, dans un instrument unique constitué de règles homogènes
dans le plus grand nombre de matières15. De la sorte, le droit OHADA s’inscrirait
parfaitement dans le sillage de l’unification du droit privé tel que préconisée par la doctrine
italienne du XVIIIème siècle16 et reprise par les concepteurs du Traité de l’OHADA.
Pour aborder toutes ces questions, une analyse duale guidée par les deux axes de la
problématique retenue apportera un éclairage illustratif sur la tendance au décloisonnement
progressif des frontières entre le droit civil et le droit commercial dans le droit OHADA,
d’une part (I), ce qui, nonobstant les conflits de normes et de conventions déjà perceptibles,
permettra ensuite de mieux appréhender l’ampleur du processus de fusion envisagé par le
droit OHADA, d’autre part (II).

I.- LE DECLOISONNEMENT PROGRESSIF DES FRONTIERES ENTRE LE


DROIT CIVIL ET LE DROIT COMMERCIAL DANS LA LEGISLATION
OHADA
Des travaux préparatoires du Traité fondateur de l’OHADA, il ressort que les rédacteurs se
sont efforcés d’éviter des contradictions éventuelles entre les codes nationaux, dépassés pour
la plupart, et le but de la loi, en donnant à la législation africaine des affaires, un caractère

12
Pour comprendre l’évolution du droit des affaires africain qui a débouché sur le Traité de l’OHADA, il faut à
la fois analyser et comprendre les particularités du processus d’élaboration de ce droit, les conséquences sur
son développement et ses destinées.
13
POUGOUE / KALIEU ELONGO, supra note 11, 71 et s.
14
A. OUTIN / A-M. REITA, « Quelques réflexions axées sur le droit des affaires », Recueil Dalloz (2006),
Chr., (p.) 2919.
15
Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut puiser encore une fois dans les tréfonds ethnosociologiques
du droit. V. L. JOSSERAND, « Comment les textes de loi changent de valeur au gré des phénomènes
économiques », in: Etudes de droit civil à la mémoire de H. CAPITANT, Dalloz, Paris (1939), 369 ; Idem,
« Un ordre juridique nouveau », Recueil Dalloz (1937), Chr. (p.) 41.
16
M. ROTONDI, « L’unification du droit des obligations civiles et commerciales en Italie », Revue trimestrielle
de droit civil (1968), 1 et s.
objectif, moderne et fonctionnel. C’est sous ce prisme que l’on peut comprendre la
philosophie de la genèse du droit OHADA. Elle n’échappe pas à cette constance historique
qui justifie les reformes : exigences de modernisation du droit17 aux fins de prévisibilité de la
norme certes, mais également d’attractivité18 et d’efficacité économique.
Il s’est agi d’une intégration juridique à but économique car, en effet, dans l’optique d’attirer
les investisseurs internationaux et de relancer la croissance, les Etats membres ont nourri le
désir d’élaborer et d’adopter des règles communes, simples, modernes et adaptées à la
situation de leurs économies19. Cette philosophie d’ensemble va très vite inscrire le droit
OHADA dans une démarche très englobante, se dotant progressivement des solutions
unificatrices, et dont la neutralité et la maniabilité le créditaient d’une plus grande sécurité
juridique.
Dans cette logique, le droit commercial est utilement et fonctionnellement sorti de son
domaine d’exception pour empiéter sur des espaces réservés jusque-là au droit civil. Avec
cette évolution consacrée par le droit OHADA, certaines institutions classiquement réservées
aux commerçants se sont étendues aux autres professionnels de la vie économique.
En outre, s’il est vrai que l’influence du droit commercial sur le droit civil est de loin la plus
sensible, un regard sur l’histoire révèle une influence réciproque de chacune de ces
disciplines, l’une sur l’autre. Dans la construction historique d’un droit des affaires unifié, il
s’est agi tantôt de l’incursion du droit commercial dans les sphères jadis réservées au droit
civil (A), tantôt de l’intégration par le droit commercial, de certains mécanismes familiers au
droit civil (B). Toutes choses qui, sans trahir l’esprit volontariste d’édification d’un droit
matériel uniforme propre à l’OHADA, permettent néanmoins d’anticiper sur la problématique
des conflits de conventions de droit privé dans l’espace OHADA (C). Qu’en est-il
exactement ?

A. L’INCURSION DU DROIT COMMERCIAL DANS LA SPHERE DU DROIT CIVIL


De façon constante, l’anthropologie juridique tend à démontrer que « le juriste, volontiers
conservateur, n’accepte de modifier ses modes opératoires que s’il y est contraint par la
nécessité »20. Plus ou moins contraint par les nécessités d’adaptation du droit des affaires à
l’évolution sans cesse mouvante du commerce international, l’assouplissement des rigueurs
du droit civil s’est imposé comme une condition essentielle de praticabilité de
l’environnement des affaires. Dans cet esprit, l’extension des techniques commercialistes s’est
justifiée par une double aspiration téléologique, l’une liée à l’efficacité (1), l’autre à la
sécurité économique (2).

1. La généralisation des mesures de plus grande efficacité économique


Dans un premier temps, la généralisation des mécanismes du droit commercial est justifiée
par l’aspiration à une plus grande efficacité économique21. Il faut dire qu’en son temps déjà,

17
D. ABARCHI, « La problématique des réformes législatives en Afrique : le mimétisme juridique comme
méthode de construction du droit », Penant (2003), 88-105.
18
Kéba M’BAYE, « L’histoire et les objectifs de l’OHADA », Petites Affiches, Spécial n° 205 (13 octobre
2004), 4 ; également, POUGOUE / KALIEU ELONGO, supra note 11, 172-209.
19
Cf. art. 1er du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, J.O.
OHADA n° 4, 01/11/97,1 et s.
20
N. ROULAND, L’anthropologie juridique, Que sais-je ? PUF, Paris (1996), 68-93.
21
Sur la notion d’efficacité, voir C. JAMIN, « Les pièges de l’évaluation économique de la réglementation », in:
G. CANIVET / M.-A. FRISON-ROCHE (dir.), Mesurer l’efficacité économique du droit, LGDJ, Paris (2005),
103 s.
F. GENY écrivait que « le droit resterait comme un mécanisme tournant à vide s’il n’était
constamment approvisionné et nourri de la substance économique »22. Aujourd’hui encore, le
libre-échange et son corollaire, la libre concurrence, deux forces motrices des échanges
mondialisés, sont les principes cardinaux de la politique économique que les législateurs
s’efforcent d’intégrer.
Le droit OHADA, à l’instar du droit commercial international, a privilégié l’intérêt
économique au détriment des intérêts individuels. Ceci s’est traduit en droit civil, par
exemple, par la montée en puissance de la théorie économique du contrat qui, en privilégiant
le maintien du contrat, a fait de la nullité une solution exceptionnelle.
En référence à l’avant-projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats, il apparaît que « le
droit à l’exécution comprend, le cas échéant, le droit à la réparation ou au remplacement de
l’objet, ainsi qu’à tout autre moyen de remédier à une exécution défectueuse. Les dispositions
des articles 7/8 et 7/9 sont alors applicables »23. Ceci n’est qu’une reprise de l’article 250,
alinéa 2 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit Commercial Général (AUDCG), qui
dispose que « si les marchandises ne sont pas conformes au contrat, l’acheteur peut exiger du
vendeur la livraison des marchandises de remplacement ... » et, à l’alinéa 3, « si les
marchandises ne sont pas conformes au contrat, l’acheteur peut exiger du vendeur qu’il
répare le défaut de conformité ». Suivant cette perspective et contrairement aux prévisions du
Code civil, le contrat n’est plus rompu du fait de n’importe quelle inexécution : il faut
impérativement apporter la preuve d’un manquement essentiel au contrat24.
En réalité, cette tendance à la pénétration du droit civil par le droit commercial semble être un
phénomène plus global, qui dépasse largement les frontières de l’espace OHADA. Elle est
soutenue au plan doctrinal par Ch. LYON-CAEN, pour qui il s’agit simplement d’une
approche pratique et fonctionnelle qui se limite essentiellement à concilier les solutions
conciliables, compatibles, utiles et judicieuses pour l’harmonisation du droit des affaires.
L’auteur soutient en effet que, « quand deux législations coexistent, la plus équitable, la plus
simple, la moins formaliste, celle qui fait le plus complètement abstraction de la nationalité
des individus, et ce sont là des caractères du droit commercial par rapport au droit civil, tend
à s’étendre et à devenir la législation unique et commune »25.
A cet égard, si les instruments de paiement, tel que le chèque par exemple, et de crédit, à
l’instar de la lettre de change, du billet à ordre ou du warrant, étaient traditionnellement
utilisés par les professionnels commerçants, de nos jours, nombre d’autres professionnels
(salariés, agriculteurs, artisans, etc.) s’en sont familiarisés.

22
Cité par P. VASILESCO, « L’œuvre de F. Geny et ses résultats », in: Recueil d’études sur les sources du droit
en l’honneur de F. Geny, T. II, « Les sources générales des systèmes juridiques actuels », Recueil Sirey
(1981), 57.
23
Article 7/10 de l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA relatif aux contrats civils et commerciaux.
24
L’art. 7/13, alinéa 1 de l’avant-projet précité dispose justement qu’« une partie peut résoudre le contrat s’il y a
inexécution essentielle de la part de l’autre partie ». Cette notion de « manquement essentiel » s’inspire de
l’art. 254, alinéa 1, qui dispose que « l’acheteur peut demander la résolution du contrat à la juridiction
compétente : si l’inexécution par le vendeur de l’une quelconque des obligations ou de présentes dispositions
constitue un manquement essentiel au contrat ... ». En effet, le manquement essentiel est considéré comme
étant celui qui prive le contractant de ce qu’il était en droit d’attendre de l’autre partie. Ainsi, le contrat est
résolu parce qu’il n’a plus de cause. De l’autre côté, on a une possibilité de rupture unilatérale aux risques du
créancier avec intervention a posteriori du juge, une fois que les conditions sont réunies. Voir E. NSIE, « La
sanction de l’inexécution des obligations des parties dans le contrat de vente », Penant (2001), 96 ; également
l’art. 255, alinéa 2 de l’Acte uniforme relatif au Droit commercial général.
25
« De l’influence du droit commercial sur le droit civil depuis 1804 », in: Le livre du centenaire du Code civil,
supra note 5, 207.
Dans le même ordre d’idées, l’Acte uniforme relatif aux sûretés a créé, en remplacement de
divers types de warrant sans dépossession, une sûreté unique appelée nantissement des
stocks. La particularité de cette nouvelle sûreté est qu’elle n’est plus l’apanage des seuls
commerçants26. En conséquence, tous les professionnels opérant sur les stocks relevant de
cette énumération devraient pouvoir recourir à cette sûreté.
En outre, certaines opérations se voient aujourd’hui appliquer, sans égard à leur nature civile
ou commerciale, par extension, des solutions commerciales. Il en est ainsi de la commercialité
par la forme, qui a été étendue à tous les effets de commerce, à l’exclusion du chèque27.
La recherche de l’efficacité a conduit le législateur non seulement à simplifier les moyens
d’échange de biens et de services, mais également à unifier les modes de résolution des
différends. C’est ainsi qu’en période précontentieuse, par exemple, le créancier bénéficie d’un
régime simplifié de recouvrement de ses créances, indépendamment de leur nature, civile ou
commerciale. C’est le cas également de l’institution de l’injonction de payer, qui a été étendue
à certaines opérations civiles.
En période contentieuse, les parties peuvent décider de se passer de la justice étatique. Par
ailleurs, si les modes alternatifs de résolution des conflits, notamment l’arbitrage, sont
classiquement destinés au règlement des litiges nés des échanges à caractère commercial,
cette vue ne reflète plus l’évolution contemporaine du droit de l’arbitrage. En application
d’une clause compromissoire28 ou d’un compromis d’arbitrage, toute partie à un contrat, soit
que l’une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans un des Etats parties, soit
que le contrat soit exécuté en tout ou en partie sur le territoire d’un ou de plusieurs Etats, peut
soumettre un différend d’ordre contractuel, et nonobstant son caractère civil ou commercial, à
la procédure d’arbitrage29. Le droit OHADA n’ayant établi aucune distinction entre le contrat
civil et le contrat commercial, il en résulte que tous les différends d’ordre contractuel peuvent
être soumis à l’arbitrage. La justice arbitrale offre ainsi l’avantage de la maniabilité, de la
simplicité et de la discrétion, toutes choses qui concourent à la réalisation d’une plus grande
sécurité dans les transactions.

2. L’extension des mesures de plus grande sécurité économique


L’aspiration à l’efficacité va de pair avec le souci d’une plus grande sécurité des transactions
économiques. Plus que dans le cadre commercial, le besoin de sécurité est ressenti dans les
autres milieux professionnels. Le législateur OHADA a tenté d’accéder à ces exigences, de
diverses manières.
Tout d’abord, l’unification du mode de publicité est amorcée par l’article 19 alinéa 2, de
l’AUDCG, à travers l’institution du Registre du Commerce et du Crédit Mobilier, dont

26
L’Acte Uniforme relatif aux Sûretés ne fait référence à aucune catégorie professionnelle déterminée, encore
moins à celle de commerçant : l’art. 100 dispose : « Les matières premières, les produits d’une exploitation
agricole ou industrielle, les marchandises destinées à la vente peuvent être nantis sans dépossession par
l’émission d’un bordereau de nantissement, à condition de constituer un ensemble déterminé de choses
fongibles avant l’émission du titre ».
27
Article 4 de l’Acte uniforme relatif au Droit commercial général : « Ont également le caractère d’acte de
commerce, et ce par leur forme, la lettre de change, le billet à ordre et le warrant ».
28
Par définition, la clause compromissoire est la clause par laquelle les parties à un contrat conviennent au
moment où elles s’engagent, que tous les litiges qui pourront naître à l’occasion de ce contrat seront soumis à
l’arbitrage.
29
Article 21 du Traité OHADA.
l’obligation d’enregistrement est désormais étendue à toute personne physique ou morale
engagée dans une activité économique30.
A l’évidence, ce registre, qui était destiné à recevoir l’inscription des commerçants et de leurs
activités, est devenu le registre des activités, des professions, des acteurs, des professionnels
et des opérateurs économiques. Le législateur a étendu les règles de publicité aux
informations relatives au nantissement des actions et des parts sociales, aux clauses de réserve
de propriété ainsi qu’aux contrats de crédit-bail. A cet égard, il n’opère aucune distinction
entre les sûretés commerciales et les sûretés civiles. Ce faisant, on évolue progressivement
vers un dispositif OHADA qui a le mérite de centraliser dans un registre unique, la publicité
de toutes les sûretés utilisées par les professionnels, et qu’il conviendrait simplement
d’appeler « le fichier central des opérateurs économiques », car l’objectif final de cette
institution serait de simplifier la circulation de l’information, mais aussi d’établir un fichier
central qui retrace l’historique des sociétés régies par le droit OHADA. L’on se rapproche
ainsi du « casier commercial ou fichier commercial » défendu par une doctrine française
restée malheureusement sans écho31.
Ensuite, et dans le même ordre d’idées, le législateur a progressivement étendu aux autres
professionnels, certaines institutions.
C’est le cas, premièrement, de la prescription. Les prescriptions les plus courtes sont
classiquement du domaine commercial. Or, le droit de l’OHADA les a étendues aux actes
mixtes32. Il Y a là une volonté d’uniformisation des solutions, commandée par la finalité des
règles adoptées par le législateur.
C’est le cas en second lieu, de l’institution des baux commerciaux que l’OHADA consacre,
du fait non pas essentiellement de l’activité commerciale exercée, mais par rapport à la
pertinence de la profession, et du fait de l’existence d’une clientèle professionnelle qui mérite
d’être protégée, au même titre que la clientèle commerciale, dans le cadre des mécanismes de
sécurisation du fonds commercial. Car en effet, si le bail commercial profite aux
professionnels sur la base des articles 69, 70 et 71 de l’AUDCG, l’article 69-1° de ce texte ne
fait justement aucune distinction sur la forme juridique de l’exploitation. Dès lors, l’on
pourrait être fondé à croire que dans l’esprit du législateur OHADA, le régime des baux
commerciaux doit s’appliquer, que l’exploitation soit une entreprise individuelle ou sociale,
une société civile ou une société commerciale. Ce dispositif aurait l’avantage d’étendre le
droit au bail aussi bien aux commerçants n’exploitant pas un fonds de commerce, qu’aux
autres professionnels au sens où B. SAINSTOURENS l’envisageait déjà en élucidant « le bail
commercial des non-commerçants »33.
Dans la mesure où la finalité du droit est commandée par le souci d’une plus grande sécurité
économique, à savoir, dans le cas de l’espèce, la protection du fonds commercial, l’on conçoit
aisément que la propriété commerciale leur offre des privilèges exorbitants tels que
l’indemnité d’éviction et le droit au renouvellement. Les professionnels non commerçants ont
une clientèle à conserver, que l’usage soit commercial, industriel, artisanal ou de toute autre
nature, à l’exclusion de celle qu’écartent l’ordre public et les bonnes mœurs. Une telle

30
J. LOHOUES-OBLE, « Innovations dans le droit commercial général », in: L’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, Petites Affiches, n° spécial (2005), 11 ; POUGOUE /
KALIEU ELONGO, supra note 11, 139, n° 112.
31
Ph. FARJEAU, « Le fichier commercial », Revue trimestrielle de droit commercial (1965), 1.
32
Art. 18 AUDCG.
33
B. SAINTOURENS, « Le bail commercial des non-commerçants », in: Les activités et les biens de
l’entreprise, Mélanges offerts à J. DERRUPPE, Litec, Paris (1991), 93.
évolution traduit le constat que tous ces acteurs exercent finalement leurs activités dans les
mêmes conditions et sont soumis aux mêmes contraintes économiques que le commerçant.
Enfin, considérons l’institution de la faillite. Dès ses origines, elle revêt le caractère d’une
sanction dont la rigueur vise uniquement les commerçants qui trahissent leurs obligations
professionnelles. Aujourd’hui, consacrée sous l’appellation de droit des entreprises en
difficulté, la faillite est désormais un droit plus thérapeutique que moralisateur destiné à
l’entreprise, qu’elle soit civile ou commerciale34. Il en résulte que, de façon constante, bon
nombre de mécanismes développés dans le cadre du droit des affaires contemporain entraient
déjà dans les prévisions du Code civil.
Au total, l’on se rend compte, pour s’en tenir à ces quelques exemples, que l’incursion de
certaines règles du droit commercial dans les matières relevant classiquement du droit civil se
manifeste à diverses échelles. Il serait néanmoins excessif d’en déduire la manifestation d’une
hégémonie du droit commercial sur le droit civil, dans la mesure où l’on observe, tel un
mécanisme de vases communicants, des influences inverses de certaines techniques familières
au droit civil sur des institutions relevant du droit commercial.

B. L’INFLUENCE DES TECHNIQUES DU DROIT CIVIL SUR CERTAINES


INSTITUTIONS DU DROIT COMMERCIAL
Dans le cadre des transactions patrimoniales entre les individus, le droit civil exerce une
direction plus ou moins dominante. Il a construit et tient en perpétuel maniement, une sorte de
mécanisme des idées qui sert à actionner les rapports des commerçants, comme ceux des
particuliers. Au droit commercial, il communique sa logique, sa méthode et ses cadres de
démonstration35.
Quelques exemples marquants de l’attraction exercée historiquement par le droit civil et ses
méthodes sur le droit commercial sont assez révélateurs de la démarche adoptée par le
législateur OHADA.
Le recours aux dispositions du Code Napoléon a permis d’élaborer plusieurs notions et
institutions aujourd’hui classées comme étant des institutions fondamentales du droit
commercial.
Il en est ainsi de l’article 1832 du Code civil, qui définit la société comme étant « instituée par
deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat, d’affecter à une entreprise
commune, des biens ou leur industrie, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de
l’économie qui pourra en résulter (…) ». Ce faisant, le Code civil a jeté en premier les bases
du régime des sociétés, dans le Livre Troisième dudit Code, dont le Titre IX intitulé « De la
Société », contient les dispositions générales relatives à toutes les formes de société.
En outre, c’est cette notion civiliste de patrimoine qui a débouché sur le droit comptable qui
détermine les principes de gestion comptable des entreprises, auquel le législateur OHADA a

34
L’art. 2 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif a élargi le
champ d’application des procédures collectives, qui comprend alors « toute personne physique ou morale
commerçante, toute personne morale de droit privé non commerçante, toute entreprise publique ayant la
forme d’une personne morale de droit privé ».
35
E. THALLER, « De l’attraction exercée par le Code civil et par ses méthodes sur le droit commercial », in:
Livre du centenaire, supra note 5, 223-243.
consacré un Acte uniforme36. Quoiqu’insuffisamment élaboré, l’article 2099 du Code civil
entrevoyait déjà le régime des procédures collectives.
La jurisprudence, inspirée par l’article 1382 du Code civil, a construit la théorie de la
concurrence déloyale et des actions en contrefaçon.
De même, l’article 1121 du même Code a ouvert l’assurance sur la vie aux champs d’actions
les plus inattendus.
A l’origine, le droit de la consommation, tout comme le droit du travail, ont eu un penchant
nettement civiliste. Pour le premier, la consommation est envisagée au départ comme une
consommation de masse reposant sur une multitude de petits actes répétitifs qui supposent
simplicité et rapidité. A ce titre, le consommateur est d’abord envisagé comme une personne
ordinaire, fortement vulnérable, dont le besoin de sécurité a conduit à la naissance d’un droit
protecteur de ses intérêts. Pour le second, le droit du travail, son essence civiliste ne fait aucun
doute. Le travailleur dont la protection des intérêts fondamentaux est en cause, est ici
envisagé comme étant un individu dont les enjeux économiques de la protection sociale sont
encore largement escamotés.
De nos jours, le droit de la consommation, comme le droit du travail, sont dispensés comme
des disciplines relevant du droit des affaires et, donc, sont plus proches du droit commercial
que du droit civil. L’implication des salariés dans la gestion des entreprises, par le biais de
l’actionnariat salarié, illustre bien cette évolution. Le projet d’Acte uniforme OHADA relatif
au droit de la consommation confirme bien cette tendance à l’étiolement des frontières entre
le droit civil et le droit commercial, dans l’esprit du législateur OHADA37.
Du point de l’OHADA en effet, si la rencontre du droit et de l’économie (formalisme
juridique et flexibilité des règles) est quasiment réalisée en quinze ans de pratique du droit
communautaire africain des affaires, il convient de s’interroger sur les effets de cette
interaction entre les méthodes flexibles de l’économie et les règles plus ou moins rigides du
droit sur la force de résistance de la distinction entre le droit civil et le droit commercial
aujourd’hui.
La seule certitude pour l’instant résulte de ce que, à vrai dire, le législateur africain n’a fait
que traduire en données juridiques, les exigences imposées par la conciliation de
l’économique et du juridique, du civil et du commercial, pour une meilleure coordination des
règles de conflits de conventions de droit international privé.

C. L’OHADA SAISI PAR LE DROIT INTERNATIONAL PRIVE CONVENTIONNEL


Au-delà des principes connus et consacrés de la supranationalité du droit communautaire, la
nécessaire coordination des règles de conflits de conventions de droit privé dans l’espace
OHADA questionne les rapports entre droit communautaire et droits internes, sous l’angle de
l’interprétation des conventions concurrentes38 ou contradictoires. Car, si le droit commun

36
Acte uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, in :
J.O. OHADA, n° 10, (p.) 1 et s. ; également Code vert, OHADA, Traité et Actes Uniformes commentés et
annotés, Juriscope, Bruylant, Bruxelles, 3ème éd. (2008), 587-647.
37
L’on se souvient aussi de la problématique relative à la mobilité internationale des travailleurs dans l’espace
OHADA, de toute la littérature relative aux clauses sociales dans le commerce international, du principe de
l’étiquetage imposé dans le cadre de l’économie solidaire, etc.
38
M.-L. NIBOYET-HOEGY, « La mise en œuvre du droit international privé conventionnel », in: Nouveaux
Juges, Nouveaux pouvoirs, Mélanges en l’honneur de R. PERROT, Dalloz, Paris (1996), 313 ; également
M. VIRALLY, « Sur un pont aux ânes : les rapports entre droit international et droits internes », in:
Problèmes de droit des gens, Mélanges H. ROLIN, Pédone, Paris (1964), 488 et s.
issu des Actes uniformes aboutit à la disparition des conflits de lois, les conflits de
conventions, par contre, subsistent.
Cette problématique préoccupe le juge, dans la mesure où il peut être saisi d’une question
préjudicielle en interprétation des conventions de droit civil ou de droit commercial,
apparemment ou même véritablement contradictoires, et à propos de laquelle il doit se
prononcer in limine litis.
C’est dans cet esprit qu’il faut souligner la pertinence d’une question qui, bien que
partiellement abordée par la supranationalité du droit OHADA39, a échappé à toute esquisse
de solution concrète. Car à la vérité, l’OHADA n’ayant tenté d’uniformiser que les règles
matérielles du droit des affaires, la question du règlement des conflits de conventions de droit
international privé reste entière. Car, si un conflit de conventions n’est pas un conflit de
lois (1), la résolution de cette catégorie de conflit dépend plus de l’interprétation du contenu
des conventions en conflit (2) que de leur impérativité. Pour cette raison, le législateur devrait
sérieusement envisager la formulation des « règles de conflit conventionnelles » (3)
susceptibles de faciliter la coordination de conventions potentiellement ou même
accidentellement contradictoires.

1. Le domaine des conflits de conventions de droit international privé dans l’espace


OHADA
L’OHADA ne constitue pas l’unique expérience d’uniformisation juridique dans le domaine
du droit des affaires en Afrique. Outre les tentatives sous-régionales telles que celles de la
Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ou de l’Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), on peut signaler l’uniformisation du
droit des assurances par le Traité CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance)
et l’uniformisation du droit de la propriété intellectuelle par l’OAPI (Organisation Africaine
de la Propriété Intellectuelle). Or, la ratification des conventions bilatérales ou multilatérales
ayant même partiellement un objet identique, peut entraîner des conflits, dans l’hypothèse où
deux conventions contiennent des dispositions contradictoires et se déclarent toutes deux
applicables à un même litige nonobstant sa nature, civile ou commerciale. Le conflit de
conventions internationales est donc latent dans le contexte de l’OHADA, de par la
prolifération des instruments juridiques internationaux portant parfois sur le même objet ou
ayant des contenus connexes.
Ce type de conflit tend justement à se substituer aux traditionnels conflits de lois et de
juridictions40 ; car les Etats étant généralement membres de différentes organisations
internationales, ils peuvent avoir ratifié plusieurs conventions négociées sous l’égide
d’organisations internationales différentes mais relatives à la même matière.
Concrètement, il existe un conflit de conventions lorsque deux instruments internationaux
sont incompatibles, c’est-à-dire quand il est impossible pour un Etat lié par deux textes

39
La supranationalité de l’ordre juridique OHADA et son corollaire, l’applicabilité directe du droit OHADA
dans les ordres juridiques internes des Etats membres sont théoriquement consacrées. Les principes sont
connus, les solutions rencontrent l’adhésion des Etats, bien que celle des acteurs judiciaires et extrajudiciaires
impliqués dans le processus de mise en œuvre reste compromise par la sensibilité des acteurs. En revanche,
les règles de conflit de lois dans les domaines résiduels relevant des législateurs nationaux, restent à élaborer.
Voir à ce propos : O. ABARCHI, « La supranationalité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA) », Revue Burkinabé de Droit (2000), 19-24, Ohadata D-02-02.
40
D’éminents auteurs tel que H. BATIFFOL ont prédit le déclin de la méthode conflictualiste, notamment dans
son Rapport spécial, L’avenir du droit international privé, Institut de Droit International, Livre du Centenaire,
1873-1973 (1073), 162-170 ; 172-185.
conventionnels, de respecter l’un sans violer les obligations qui résultent de l’autre41. Cette
hypothèse de conflit est susceptible de porter atteinte à l’unification des règles de droit
international privé, dans la mesure où deux conventions prévoyant des dispositions
contradictoires auraient vocation à s’appliquer à une même situation (civile ou commerciale)
de droit privé.
D’après F. RIGAUX, « le conflit de conventions implique que plusieurs traités ayant à la fois
le même domaine matériel et la même applicabilité dans l’espace contiennent des normes
primaires de droit international privé inconciliables »42. La définition donnée ici n’envisage
que les cas d’antinomie réelle que l’on rencontre lorsque les dispositions conventionnelles
concurrentes ont exactement le même champ d’application et apparaissent par conséquent,
directement en conflit.
Lorsque deux conventions abstraitement envisagées semblent contradictoires mais aboutissent
au même résultat une fois appliquées à l’espèce, il n’y a plus de réels conflits, puisque
l’antinomie n’est en réalité qu’apparente dans ce cas de figure. Le juge peut alors trancher le
litige qui lui est soumis, en fondant sa décision sur les deux textes internationaux en présence,
ce qui lui permet de mettre ainsi en œuvre la théorie classique de l’équivalence fonctionnelle
des résultats dans une situation où il n’existe pas de conflits.
Hormis l’hypothèse classique ici envisagée, se développent des cas d’incompatibilité réelle
entre des instruments traitant de la même matière, mais ayant un objet différent.
Apparaissent également des antinomies entre les normes conventionnelles régissant les
matières non similaires et ayant par conséquent, des objets distincts. Il s’agit alors
d’antinomie accidentelle difficilement décelable au stade de la conclusion de la convention,
car elles n’apparaissent généralement qu’à l’occasion de l’application des textes
conventionnels.
Ce sont là des hypothèses théoriques de conflits de conventions auxquels il faudra faire face,
et dont l’interprétation risque de soulever des difficultés au stade de la mise en œuvre du droit
uniforme issu de l’OHADA.

2. Des pistes d’interprétation des règles de droit uniforme


L’interprétation consiste, selon F. GENY43, à dégager du texte légal la plénitude des règles
juridiques qu’il contient. Généralement, il revient au juge saisi d’interpréter les dispositions
juridiques existant en la matière.
Pour l’instant, le fondement textuel le plus crédible est l’article 30 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités de 1969 qui, en son alinéa 2, consacre le recours à toute clause
de compatibilité pour résoudre un conflit de conventions. Ces clauses insérées dans les
conventions de droit international privé présentent des formulations très diverses. Parfois, leur
libellé est tel qu’aucun doute ne saurait surgir sur la solution à adopter. Bien souvent,
cependant, l’énoncé des règles de conflit conventionnelles peut être assez vague.
En ce sens, une formulation énonce simplement que « ce Traité ne sera pas appliqué aux cas
qui tombent sous le coup des dispositions de la convention concernant les investissements

41
Ch. ROUSSEAU, « De la compatibilité des normes juridiques contradictoires dans l’ordre international »,
Revue générale de droit international public (1932), 135.
42
F. RIGAUX, Droit international privé, Larcier, Bruxelles, T. l, 2ème éd. (1987), 235 ; Idem, « Droit privé
matériel et règles de conflit de lois », Revue belge de droit international (1991), 385-397.
43
Cité par VASILESCO, supra note 22, 57 ; sur l’interprétation, voir également, F. ZOLL, « Méthode
d’interprétation en droit privé positif », in: Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de
F. GENY, T. II, « Modes d’interprétation et sources », Recueil Sirey (1981), 310-415.
internationaux dans l’espace OHADA »44. Il ressort de cet énoncé, qu’il faut recourir à la
Charte communautaire des investissements de la CEMAC, lorsqu’il y a un conflit entre deux
dispositions portant sur la matière des investissements dans l’espace OHADA. A l’évidence,
cette dernière convention doit avoir obligatoirement la préférence, sans qu’aucune liberté
d’appréciation ne soit laissée au juge, même si les dispositions antérieures semblaient plus
favorables pour les justiciables. Son caractère impératif ne faisant aucun doute, tout conflit de
conventions se trouve ainsi éliminé.
Dans le même ordre d’idées, l’article 39 du Traité instituant l’UEMOA45 prévoit que « les
dispositions de la présente convention prévalent sur celles de toutes conventions auxquelles
les Etats contractants sont ou seront parties et qui contiennent des dispositions relatives aux
mêmes matières, à moins qu’il n’en soit autrement convenu entre les parties à de telles
conventions ». De cette formulation, l’on comprend que le Traité de l’UEMOA l’emportera
sur toute convention bilatérale ayant le même objet, sous réserve d’une disposition explicite
en sens contraire insérée dans une telle convention bilatérale.
L’expérience montre que selon le système juridique concerné ou selon la pensée juridique qui
peut différer d’un pays à l’autre, ce travail intellectuel peut donner des résultats divergents. En
cas de litige, l’on trouvera devant les juges nationaux, non seulement les règles
d’interprétation qui leur sont propres, mais aussi les systèmes juridiques, voire à certains
égards, les systèmes culturels également divergents. Autrement dit, les règles uniformes
utilisent les concepts juridiques dont la définition est en dernière analyse, l’œuvre du juge.
C’est pourquoi, l’unité recherchée par les promoteurs des Actes uniformes ou des conventions
internationales risque fort bien d’être compromise par des interprétations divergentes. Qui
plus est, ces divergences peuvent être accentuées par la personnalité et la sensibilité de ceux-
là même qui sont appelés à statuer.
Il est à peine besoin d’insister sur le fait qu’au sein même des juridictions, il peut y avoir des
écoles différentes, comme il en existe en doctrine. Ces divergences d’un pays à l’autre sont
une réalité qui se vérifie au quotidien dans les divergences d’interprétation d’un juge à un
autre, influençant même les décisions rendues sur le fondement d’un même Acte uniforme.
Cette interprétation portera non seulement sur le sens de la règle uniforme attachée aux faits,
mais aussi sur le champ d’application de la convention. Tout d’abord, eu égard à son caractère
partiel, toute convention d’unification du droit couvre un domaine limité qu’il convient de
circonscrire.
Sur ce point, la Cour Internationale de Justice a clairement admis la relativité et la souplesse
dans l’interprétation des conventions, en décidant que « les conventions ne sont pas plus que
les lois nationales, soustraites à une interprétation progressive, c’est-à-dire qui tient compte
de l’évolution des idées, des mœurs et du progrès social »46.
De cette relative souplesse, il résulte :

44
Illustrée par S. MELONE, « Le Traité OHADA et spécificités camerounaises : antinomies ou
complémentarités », inédit, 11-14.
45
Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, dont la plupart des Etats sont également membres de
l’OHADA.
46
H. BATIFFOL / Ph. FRANCESCAKIS, « L’arrêt BOLL de la CIJ et sa contribution à la théorie de Droit
International Privé », Revue critique de droit international privé (1959), 275-276 ; voir également,
R. MONACO, « Les principes d’interprétation suivis par la Cour de Justice des Communautés Européennes »,
in: Problèmes de droit des gens, Mélanges H. Rolin, supra note 38, 217-227.
- premièrement, que les règles de droit uniforme risquent de perdre ce caractère, si leur
interprétation est laissée aux juridictions nationales. Car, il est surtout question ici de
rechercher la commune intention des hautes Parties Contractantes ;
- deuxièmement, que le problème d’interprétation du droit uniforme étant suscité au
cours d’une procédure judiciaire d’application du droit au fait, c’est au cours de cette
même procédure qu’il doit être pourvu à un mécanisme régulateur commun aux Etats
liés par le droit unifié ;
- enfin, que le seul moyen efficace d’atteindre l’harmonie recherchée consiste à
attribuer aux juridictions internationales, le pouvoir d’interpréter le droit uniforme.
Pour qu’une telle procédure soit efficace, il faudrait que l’interprétation soit invoquée au
cours d’un litige suscitant un conflit sur l’interprétation, et que la décision interprétative
s’impose à la juridiction nationale saisie par ce litige. Autrement dit, il serait vain de vouloir
unifier des règles juridiques, si l’interprétation commune de ses règles ne peut être assurée. Il
s’ensuit que le recours en interprétation qui interviendrait à titre préjudiciel ne devrait pas
opposer la juridiction nationale à la juridiction internationale ou communautaire, mais au
contraire, il devrait les faire collaborer à une meilleure administration de la justice.
Il ne semble pas non plus qu’il puisse y avoir de doute sur la nécessité de reconnaître le
caractère obligatoire à la décision de la juridiction interprétative, sur la solution du litige à
propos duquel la question préjudicielle est intervenue : c’est l’essence même du mécanisme
du renvoi pour question préjudicielle. Lui reconnaître la valeur d’un simple avis équivaudrait
à vider la juridiction internationale de tout son intérêt : celui d’être l’outil de la régulation du
système d’harmonisation des solutions et de convergence du droit.
Le seul problème résiduel qui pourrait se poser est celui de savoir s’il faut limiter cette
autorité au litige qui a donné lieu à la question préjudicielle, ou s’il faut au contraire, lui
reconnaître une autorité absolue erga omnes pour tous les cas où la même interprétation serait
contestée.
Le principe de solution admis par la doctrine dominante de droit uniforme est que « les
juridictions nationales, même celles dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours
juridictionnel de droit interne, sont libérées de leur obligation de soumettre la question
préjudicielle à la cour de justice, dans les cas où celle-ci a donné une interprétation
antérieure dans une espèce analogue »47.
Pour l’instant, et sans préjuger des avancées législatives de l’OHADA, le recours aux
principes d’interprétation des conflits de conventions consacrés par la doctrine du droit
uniforme semble à l’évidence, l’une des issues salutaires de résolution des conflits de
conventions, notamment lorsque la question de l’interprétation se pose comme une question
préjudicielle. Toutefois, le caractère subjectif de la méthode d’interprétation, qui peut varier
d’un juge ou même d’un système juridique à un autre, commande la formulation de règles de
conflit de type conventionnel.

3. La nécessaire formulation de règles de conflit conventionnelles


L’unification du droit des affaires par l’adoption des conventions internationales permettra
difficilement d’atteindre les deux objectifs essentiels du droit international privé, à savoir,

47
M. VIRALLY, supra note 38, 488 et s.
l’harmonie internationale des solutions et leur prévisibilité, si tout le système conventionnel
repose essentiellement sur la méthode de l’interprétation48.
Il s’agit d’une réflexion de prospective juridique qui envisage l’urgence de l’adoption d’un
Acte uniforme relatif au droit international privé conventionnel dans l’espace OHADA49. Cet
instrument serait justifié par la nécessité d’une systématisation des principes de solution ayant
vocation, soit de prévenir les conflits de conventions, soit de générer des règles de conflit
aptes à identifier laquelle des conventions en concours peut être retenue par le juge saisi.
Il faudrait alors esquisser une théorie générale de résolution des conflits potentiels de
conventions susceptibles de surgir en droit matériel de l’OHADA. Ce qui revêtirait toute son
importance du point de vue de la nécessaire coordination des solutions des conflits de lois
d’un pays à un autre. Car, si l’unification est présentée comme la voie royale de
l’internationalisation du droit, elle ne l’est que d’un point de vue formel, dans la mesure où
elle ignore les solutions nationales et exclut les différences. Il serait donc judicieux d’anticiper
sur la résolution des conflits de lois et de conventions par la formulation de règles de conflits
appropriées.
Dans cet esprit, le législateur OHADA pourrait commencer par délimiter clairement le champ
de compétence matérielle des uns et des autres, en donnant la primauté aux normes OHADA,
lorsque l’institution en cause regroupe partiellement ou totalement les Etats parties de
l’OHADA. Ou alors, faudrait-il soumettre à l’autorité de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage, tout le contentieux du droit des affaires50 de ces différentes institutions qui
traitent des segments parfois connexes d’une même matière.
C’est avec ces suggestions que l’on peut conclure partiellement sur cette première articulation
qui révèle, s’il en était encore besoin, l’effritement progressif des frontières entre le droit civil
et le droit commercial, dans la résolution des questions techniques liées à la praticabilité
souhaitée et recherchée du droit OHADA, dans ses volets aussi bien fonctionnels que
substantiels.
Destinée à se poursuivre, l’œuvre unificatrice ainsi amorcée – et dont les confins restent
encore quelque peu flous –, ne risque pas d’échapper à la maîtrise de ses concepteurs, en ce
sens que dans la perspective de l’adoption des Actes uniformes portant sur le droit de la
consommation51 et sur le droit du travail, par exemple, la plasticité et la fluidité des frontières
entre le droit civil et le droit commercial se renforcent davantage52.

48
H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, Paris (1956), 212 et ss ; Idem,
Problèmes de base de la philosophie du droit, LGDJ, Paris, 2ème éd. (1979), 131 ; sur les difficultés
d’interprétation uniforme des lois uniformes, voir E. TROUSSE / F. RIGAUX, « L’interprétation uniforme
des règles de droit uniforme », Revue trimestrielle de droit belge (1970), 99-116.
49
Sur la codification comme prétexte à la reconsidération des solutions, voir V. HEUZE, « Recodifier le droit
international privé » in: Le code civil, 1804-2004, Le livre du bicentenaire, Dalloz, Paris (2004), 401-411 ;
également, B. DUTOIT / F. MAJOROS, « Les conflits de conventions en droit privé et leurs solutions
possibles », Revue critique de droit international privé (1984), 565-596.
50
E. KRINGS, « L’opportunité de juridictions supranationales pour l’interprétation des lois uniformes »,
Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. (1998), 525-534.
51
Avant-projet d’Acte uniforme sur le contrat de consommation, version de travail du 16 mai 2006,
<www.ohada.com>.
52
J. YADO TOE, « La problématique actuelle de l’harmonisation du droit des affaires par l’OHADA », in:
Actes du Colloque de Ouagadougou 2007, supra note 11 ; P.C. POUGOUE, « Les tribulations d’un
universitaire », contribution au Colloque international sur l’harmonisation du droit des contrats,
Ouagadougou, novembre 2007, <www.ohada.com/doctrine>.
Sur cette question, une doctrine ancienne53 a fait sienne l’écho de la neutralisation progressive
du principe consacré et intangible de la distinction entre les deux disciplines du droit privé.
Aujourd’hui encore, l’on se rend bien compte que la problématique de la prévisibilité, de
l’efficacité économique et de la sécurité juridique au cœur du processus de modernisation du
droit OHADA a été un juste motif de relativisation de la pertinence, voire de l’opportunité de
la distinction, dont le processus de fusion est assez perceptible dans la réforme du droit
africain des affaires.

II. - LA FUSION PERCEPTIBLE DU DROIT CIVIL ET DU DROIT COMMERCIAL


PAR L’OHADA
Au gré des exigences tenant aussi bien à la délimitation matérielle qu’à celle de son domaine
spatial, la législation communautaire des affaires connaît une extension progressive affectant
tantôt le choix des matières à harmoniser, tantôt son champ spatial de compétence. Avec la
perspective de l’adoption de nouveaux Actes uniformes portant sur le droit du travail, le droit
de la consommation, le droit des contrats, l’on a tendance à voir dans cette démarche
universaliste, l’expression d’une hégémonie du droit africain des affaires qui sort de son
domaine d’exception, celui du droit commercial, pour empiéter sur les matières relevant jadis
du droit civil.
Qu’est-ce qu’on peut en retenir ? D’une part, que l’OHADA n’échappe pas à l’influence des
mutations socioéconomiques qui affectent le droit des affaires, droit économique par essence,
et lui imposent ses règles. Ramenée au contexte de l’OHADA, la vision de l’unicité des
sources (A) dont le but ultime est de saisir toutes les institutions, aussi bien civiles que
commerciales, afin justement de répondre à ces mutations, est perceptible dans l’esprit du
Traité ; d’autre part, que c’est cette vision qui soutient les éléments d’ancrage du processus
d’unification dudit droit (B) ; enfin, que l’œuvre entreprise par le législateur OHADA s’inscrit
bien et pour l’instant, dans la philosophie de l’unification du droit54, c’est-à-dire celle qui
poursuit l’harmonisation des solutions, tout en conservant néanmoins la distinction du droit
civil et du droit commercial dans des proportions bien précises (C).

A. L’UNICITE DES SOURCES ENTRETENUE PAR LE TRAITE OHADA


L’esprit du Traité rend fidèlement compte de ce qu’à vrai dire, sous le prisme visible de
l’harmonisation, le législateur OHADA a entrepris d’écrire la lettre du droit matériel uniforme
applicable aux relations économiques dans l’espace OHADA (1) ; car à la vérité, dans ce
domaine, comme dans bien d’autres, et la plupart du temps, « tout est donné par les
précédents du passé et par les demandes d’un présent où s’amorce le futur »55. Cette citation
de J. CARBONNIER illustre clairement l’histoire contemporaine (2) qui entoure l’évolution
et l’amenuisement de la distinction du droit civil et du droit commercial dans la construction
du droit uniforme OHADA.

53
J. HAMEL, « Les rapports du droit civil et du droit commercial en France », in: Etudes de droit commercial,
Mélanges H. CABRILLAC, Librairies Techniques, Paris (1968), 183-196 ; également D. TALLON,
« Réflexions comparatistes sur la distinction du droit civil et du droit commercial », in: Etudes offertes à
A. JAUFFRET, Faculté de droit et de science politique, Aix-Marseille (1974), 649-660 ; M. GERMAIN, « Le
Code civil et le droit commercial », in: Le code civil, 1804-2004, Le livre du bicentenaire, Dalloz, Paris
(2004), 639-656.
54
J.P. MARTY, « La distinction du droit civil et du droit commercial dans la législation contemporaine », Revue
trimestrielle de droit commercial et droit économique (1981), 685.
55
J. CARBONNIER, « Le Code civil », in: Nora (dir.), Les lieux de mémoire, La Nation (II), Gallimard, Paris
(1986), 293.
1. L’esprit du droit matériel uniforme issu du Traité de l’OHADA
Il n’est pas superfétatoire de rappeler la substance de l’exposé des motifs du Traité créant
l’OHADA, car celui-ci en fixe bien la vision ainsi que les objectifs. L’article 1er de ce Traité
précise les ambitions de ses signataires, qui entendent harmoniser les droits nationaux « par
l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation
de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par
l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels ».
Défini à l’article 2 du Traité précité, le domaine du droit des affaires OHADA apparaît bien
vaste. Il intègre les matières relatives au droit des sociétés commerciales, au statut des
commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés, aux voies d’exécution, au régime du
redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du
travail, au droit comptable, au droit des transports, et « toute autre matière » sur décision
unanime du Conseil des Ministres. L’impression qui se dégage alors est celle d’une
unification sans limites précises.
Ainsi formulée, cette disposition permet pratiquement de faire entrer dans le droit des affaires,
n’importe quelle matière du droit privé, puisqu’elle n’indique pas de critère d’inclusion.
Aussi, ne serait-il pas contraire au Traité, d’inclure dans le domaine du droit des affaires, des
matières considérées traditionnellement comme constituant des matières spécifiques du droit
civil, tel le droit des personnes et de la famille, les régimes matrimoniaux, les successions ou
les libéralités, et même le droit international privé.
A maints égards, en effet, ces dernières matières et notamment le droit international privé,
peuvent être saisies par le droit des affaires, lorsque des intérêts patrimoniaux d’une personne
impliquée dans des relations d’affaires présentant un élément d’extranéité, sont engagés.
Bien que pour l’instant, les instances juridictionnelles de l’OHADA n’aient pas encore été
saisies de cas relevant de ces prétentions, celles-ci sont loin d’être une vue de l’esprit ; dans la
mesure où le nom patronymique de la personne peut aussi être utilisé comme nom
commercial, il serait soumis à des règles particulières du droit commercial, notamment à
celles relatives à la protection d’un fonds de commerce exploité dans le cadre d’une entreprise
familiale56.
Il en serait de même de la gestion du régime matrimonial de la femme mariée commerçante.
En effet, le régime matrimonial de la femme mariée emporte des conséquences particulières,
qu’elle ait été mariée sous le régime de la communauté ou sous celui de la séparation des
biens. Question préjudicielle à régler par le juge civil sans doute, mais qui doit être tranchée
in fine par le juge commercial, au regard de la nature des intérêts patrimoniaux en cause.
Par ailleurs, l’ambition affichée de l’OHADA d’étendre le champ spatial du Traité aux pays
relevant de cultures juridiques de Common Law, ne semble pas éluder les contraintes liées à la
difficile conciliation des familles juridiques, fondamentalement différentes dans un espace
francophone de tradition civiliste57. C’est dire que l’OHADA envisage de façon méthodique,
l’éventualité à terme, de la simplification du formalisme qui entoure les procédures issues de
la tradition civiliste ; ce qui indubitablement, va contribuer à l’amenuisement de l’importance
jusque-là accordée à la distinction du droit civil et du droit commercial, dans la perspective
d’un droit matériel uniforme.

56
J. NGUEBOU TOUKAM, L’entreprise familiale, Thèse, Université de Yaoundé II (1995).
57
Voir « Les droits de tradition civiliste en question », in: Travaux de l’Association Henri Capitant, Rapport
2006, 18-20, spéc. 81-115.
Lorsqu’on envisage une telle hypothèse, la question qui naturellement vient à l’esprit est celle
de savoir si d’ailleurs, une telle distinction est encore véritablement nécessaire, voire
opportune, dans un contexte très poussé d’harmonisation du droit des affaires et d’unification
des règles destinées à juguler la vie du droit. Car en effet, si « harmonisation » ou
« uniformisation » procède avant tout d’un état d’esprit, le processus actuel devrait d’ores et
déjà intégrer l’éventualité d’une fusion nécessaire des solutions du droit civil et du droit
commercial, qui serait justifiée par des motivations d’efficacité du droit.
Il faudrait, alors, relativiser l’importance de cette distinction pour envisager la construction
d’une théorie générale des obligations civiles et commerciales58, par exemple. Cette démarche
pourrait paradoxalement assurer toute sa vitalité au droit OHADA, dans la mesure justement,
où, dans ce domaine qui subit constamment les influences des interdépendances économiques
et juridiques, le droit ne serait qu’une vue de l’esprit s’il ne répondait pas, de façon
méthodique59, aux contraintes sans cesse croissantes de l’économie globalisée.
La portée historique de cette réflexion révèle justement que la politique législative de
l’OHADA pose les bases d’une construction méthodique qui porte les indices de
l’accentuation d’un processus d’unification en cours, dans d’autres espaces et systèmes
juridiques.

2. L’histoire contemporaine de la fusion envisagée


Si une brève incursion dans les archives du droit commercial français60 révèle le bien-fondé
d’une telle réflexion, celle-ci ne manque pas d’intérêt pratique, lorsqu’on voit l’importance
que la théorie du droit accorde aujourd’hui à la formulation des règles de droit érigées en
principes61 pour la réglementation de l’environnement économique des affaires, dans
différents systèmes et regroupements sous-régionaux62. Toutefois, si le droit OHADA évolue
assez prudemment vers la confirmation de cette tendance, force est de constater que dans
l’ensemble, l’édification d’un droit des activités économiques dans l’espace OHADA ne se
fera pas sans quelques concessions méthodologiques attachées à la rigueur que renferme la
distinction du droit civil et du droit commercial en droit privé. Cette démarche semble bien
coïncider avec une tendance déjà ancienne, à la formulation de structures juridiques
renfermant des solutions simples, flexibles et pragmatiques63 au service de l’unification du
droit privé.
58
L’intérêt d’actualité des principes de droit européen des contrats résulte d’un processus amorcé. L’Europe a
notamment connu un mode particulier d’harmonisation par le biais du jus commune. A l’heure actuelle, la
doctrine s’interroge même sur l’éventuel retour à un droit commun au sein de l’Europe. C’est dans un paysage
où de multiples « droits venus d’ailleurs » coexistent que vont être créés les principes européens du droit des
contrats. Ainsi, en 1980, la Commission pour le droit européen des contrats dite Commission Lando, se met
en place. Cette Commission a donc édicté des principes ayant pour visée d’organiser les relations
contractuelles au sein de la Communauté.
59
H. MOTULSKY, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, Dalloz. Paris, (2002), 10-22 ;
l’auteur soutient en effet que « le droit n’est pas désincarné » ; voir, dans le même sens, B. LATOUR, La
fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d’Etat, La découverte, Paris (2004), 235.
60
S. FREDERICQ, « L’unification du droit civil et du droit commercial. Essai de solution pragmatique », Revue
trimestrielle de droit commercial (1962), XV, 203-232.
61
P. ex., les Principes du droit européen des contrats, les Principes d’UNIDROIT relatifs au Commerce
international, la Loi-type de la CNUDCI pour la réglementation du commerce électronique ainsi que le Guide
pour son incorporation.
62
Voir A. SAYAG, « Quelle prospective juridique ? », Actes du Colloque « Le droit des affaires, demain », in:
La Semaine Juridique Édition Entreprise N° 29 (janvier 1986), spéc. (p.) 5 ; V. LASSERRE-KIESOW,
« L’ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit », Recueil Dalloz (2006), Chr., 2279-2280.
63
Au cœur de cette problématique, se trouvent les modifications profondes qui se sont produites dans de
nombreux domaines depuis un demi-siècle déjà, lesquelles ont amené les juristes à se demander si les rapports
Les archives de philosophie du droit révèlent que le problème de l’unification du droit civil et
du droit commercial a fait l’objet de multiples études à la fin du XIXème siècle, notamment
lorsque la Suisse a réuni en un seul Code, toute la matière des obligations64. Depuis que les
Pays-Bas (1934) et l’Italie (1942)65 ont renoncé à la distinction traditionnelle entre ces deux
branches du droit privé, la question connaît un regain d’actualité66. Elle a été évoquée comme
thématique centrale des Journées de Pavie et de Milan de l’Association Henri Capitant en
septembre 195367 et lors d’un colloque tenu à Paris du 6 au 10 octobre 195368. Aujourd’hui, le
législateur européen a jeté les bases d’un Code européen des contrats69.
Au regard du rapprochement souhaité des solutions dans le processus d’harmonisation
proclamé par le législateur OHADA, l’on s’acheminerait très sensiblement, toute proportion
gardée, vers l’assimilation des régimes particuliers applicables tant aux opérateurs du
commerce international qu’à certaines transactions professionnelles qui ne sont pas
nécessairement de nature commerciale. Cette évolution est perceptible dans la mesure où
l’AUDCG, par exemple, n’a pas seulement traité des commerçants dans leur ensemble. Il a
également abordé les institutions publiques qui veillent sur le commerce, les auxiliaires qui
prêtent leur ministère aux opérations de commerce, les institutions relevant du droit civil,
mais dont la rigueur et la stabilité devront concourir à la sécurisation des biens de l’entreprise
et du professionnel.
Dans cet esprit et selon toute vraisemblance, l’on peut dire sans risque de se tromper que le
législateur OHADA ne considère pas la distinction comme un obstacle au processus en cours.
Au contraire, par leur adhésion à la réforme du droit africain des affaires, les signataires du
Traité ont entendu jeter les bases d’une unification des solutions du droit privé. Car c’est bien
de cela qu’il est question aussi bien dans la lettre que dans l’esprit du Traité. Dans cette
perspective, dès lors, il devenait possible au sens de la prospective juridique, d’envisager
l’uniformisation des règles, qui va de pair avec l’unification du droit70, de formuler des règles
de portée générale susceptibles de s’appliquer aux relations économiques, nonobstant leur
nature, économique ou civile.
Pour ce faire, il a fallu élargir le champ matériel du droit régissant les activités économiques,
par le truchement de notions transversales susceptibles de saisir la plupart des acteurs, des
activités, et des biens impliqués dans la vie économique.

entre les différentes branches du droit tels qu’ils étaient compartimentés dans les codes, devaient être
considérés comme immuables.
64
P. ENGEL, Traité des obligations en droit civil : dispositions générales du Code des Obligations, 2ème éd.,
Staempfli, Berne (1997) ; F. BELLANGER / F. CHAIX / Chr. CHAPPUIS, Le contrat dans tous ses états,
Ed. SA, Berne (2004).
65
Voir VIVANTE, supra note 6, 1 et s. ; ROTONDI, supra note 16, 1-24.
66
Pour la Belgique, voir R. PIRET, « Vers l’unification du droit civil et du droit commercial », Revue de la
Banque (1946), 225-240 ; J. LIMPENS, « De l’unification du droit civil et du droit commercial », Journal des
tribunaux (1953), 353-359 ; J. VAN RYN, « Autonomie nécessaire et permanence du droit commercial »,
Revue trimestrielle de droit commercial (1953), 565-575 ; aujourd’hui, la même tendance se dessine en
Allemagne, et plus largement dans le projet en marche vers l’élaboration des principes européens du droit des
contrats.
67
Travaux de l’Association Henri Capitant, T. VIII (1955), 79 et s.
68
« L’unification interne du droit privé », Paris, 6-10 octobre 1953, in: Collection des Colloques internationaux
du Centre National de la Recherche Scientifique, T. VI, Paris (1954), 140.
69
Voir F. WERRO, « Vers un Code européen des contrats », in: BELLANGER / CHAIX / CHAPPUIS, supra
note 64,341-357.
70
Voir supra.
B. LES ELEMENTS D’ANCRAGE DU PROCESSUS D’UNIFICATION MATERIELLE
AMORCE
Le point de mire du processus législatif opéré dans l’espace OHADA, faut-il le rappeler,
repose essentiellement sur des considérations d’ordre téléologique. Ainsi compris, pour éviter
les dérives habituellement constatées dans les processus de réformes, il s’est avéré nécessaire
d’identifier et de consacrer des notions transversales susceptibles non seulement de renforcer
l’architecture juridique des affaires, en faveur de l’unicité des sources et des règles, mais
également de répondre aux exigences de sécurité juridique71 et économique liées à la
globalisation des échanges.

71
Il convient de rappeler ici la place importante accordée à la sécurité juridique par la théorie du droit : voir
P.C. POUGOUE, Les figures de la sécurité juridique, Leçon inaugurale, inédit, UFD-Université de
Yaoundé II (2004). Sur la comparaison avec la notion de confiance légitime en science administrative, voir
P. CASSIA, « La sécurité juridique, un nouveau principe général du droit aux multiples facettes », Recueil
Dalloz (2006), Chr. 1190, spéc. 1193.
Pour ce faire, l’utilitarisme prononcé du droit des affaires a conduit à des choix fonctionnels
tels que la consécration de notions plutôt fédératrices de la distinction du droit civil et du droit
commercial, à savoir la reconnaissance d’un véritable statut de professionnel, d’une part (1),
et la notion économique d’entreprise, d’autre part (2).

1. Du commerçant au professionnel, acteur économique


Pour que la distinction droit civil / droit commercial reste intangible, il aurait fallu que
l’AUDCG fasse l’objet d’une définition précise qui décline avec force, clarté et exhaustivité
les actes dont l’empreinte serait décisive pour la qualification "commerciale" d’une part, les
personnes dont les actes par l’habitude ou la profession imprimeraient le statut de
« commerçant » à leur auteur, d’autre part. Or, pour l’instant, l’absence d’une telle précision
complique inutilement la tâche du praticien, et l’oblige à recourir très souvent à la
qualification préalable de l’opération en cause, pour ensuite lui affecter une nature
commerciale ou civile, ou alors un statut civil, commercial ou professionnel, pour ce qui est
de l’auteur de ladite opération.
L’article 3 de l’AUDCG, par exemple, reprend les formules traditionnelles telles que « les
contrats entre commerçants pour les besoins de leur commerce, les opérations de location de
meubles … ». A cette énumération, il ajoute les immeubles qui, de par leur nature,
ressortissaient du domaine du droit civil. De ce fait, deviennent ipso facto commerçants les
promoteurs immobiliers72, les membres de certaines professions libérales73, les intermédiaires
visés par l’AUDCG74, etc. Au demeurant, les opérations de transit et de télécommunication
sont introduites dans la catégorie des actes de commerce par le législateur OHADA.
L’exploitation industrielle des carrières et de tout gisement de ressources naturelles ainsi que
les assurances constituent une véritable innovation du droit OHADA. Le législateur OHADA
a tellement élargi « l’assiette » des actes pouvant être considérés comme commerciaux, que
l’on pourrait considérer que finalement, le professionnel de l’OHADA est un commerçant qui
s’ignore75.
Déjà, Ph. LE TOURNEAU, à travers une analyse comportementale du commerçant et du
professionnel76, tentait une assimilation des deux statuts sans toujours en tirer toutes les
conséquences juridiques, au sens du dépassement de la distinction du droit civil et du droit
commercial. Pour le profane, en effet, la définition du commerçant est toujours celle contenue

72
Sur la question, voir A. TUNC, « Ebauche du droit des contrats professionnels », in: Le droit privé français au
milieu du XXème siècle (1950), T. 2, 136-158.
73
Cette tendance est fortement soutenue par la doctrine, notamment : R. SAVATIER, « Sociologie juridique des
professions libérales », in: Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, Dalloz,
Paris, 2ème éd. (1952), 122 ; J. SAVATIER, « Contribution à une étude juridique de la profession », Archives
de Philosophie du Droit (1971), 3-17 ; J. SAVATIER, La profession libérale, LGDJ, Paris (1947) ;
SAINTOURENS, supra note 33, 93 ; M. KONE, Le nouveau droit commercial des pays de la zone OHADA,
LGDJ, Paris (2003), N° 364 et ss ; dans le même sens, A. FOKO, Le devenir du statut du commerçant à la
lumière du droit OHADA, Thèse, Université de Yaoundé II (2005), 237 et s.
74
Les arts. 184 à 195 de l’AUDCG définissent clairement le statut de cette catégorie d’intermédiaires de
commerce qui sont assimilés aux commerçants.
75
Beaucoup de non-commerçants font aujourd’hui des opérations répétées ; comme des commerçants, ils ont de
fréquents appels à faire au crédit ; comme eux, ils ont parfois de nombreux créanciers, ils contractent avec des
étrangers ; enfin, des sociétés se fondent pour des opérations civiles de la plus grande importance. Les
habitudes du commerce tendent à devenir des habitudes générales ; ses besoins deviennent ceux de tout le
monde ; voir à ce titre, F. POLLAUD-DULLIAN, « L’habitude en droit des affaires », in: Etudes à la
mémoire d’A. SAYAG, Litec, Paris (1997), 349-369.
76
Ph. LE TOURNEAU, « Les professionnels ont-ils du cœur ? », Recueil Dalloz Sirey (1990), Chr. V, 21-26 ;
J. DIFFO TCHUNKAM, La responsabilité du professionnel, Mémoire de Maîtrise, Droit Privé, Université de
Yaoundé (1990), 43.
dans l’article 632 du Code de commerce, qui déjà brillait par son incapacité à encadrer toutes
les opérations de commerce qui conditionnent le statut de commerçant77. Il en résulte que ces
professionnels de l’activité économique doivent de ce fait, se soumettre à toutes les
obligations, mais aussi tirer avantage du régime spécial de protection attaché à cette qualité.
Cette démarche trouve un écho favorable dans la doctrine de droit civil, notamment. En effet,
la consécration juridique de la notion de profession par la doctrine de droit civil est le point de
départ de la réflexion sur l’esquisse d’un statut de professionnel78. C’est une fois de plus, à la
doctrine que revient le mérite d’avoir esquissé une définition par le biais de la notion de
professionnel. En ce sens, J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ définissent le
professionnel comme étant une personne physique ou morale qui agit dans le cadre d’une
activité habituelle et organisée de production, de distribution et de prestation de services79.
Cette définition a l’avantage non seulement d’exclure les travailleurs salariés et d’inclure les
personnes morales, d’une part, mais surtout, de limiter la notion de profession aux activités de
production et de distribution des biens et de services. Apparaissant ainsi comme une notion
fédératrice du droit civil et du droit commercial, la profession, quelle que soit sa nature,
constitue l’un des éléments d’ancrage qui permet de saisir et l’activité économique et la
personne qui l’exerce.
Déjà, pour encadrer cette catégorie juridique, la doctrine de droit civil a essayé d’élaborer un
droit propre aux professionnels. Dans la pensée des auteurs civilistes tels que G. RIPERT et
R. SAVATIER, élaborer un droit professionnel reviendrait à construire une théorie de la
profession susceptible d’accueillir et les professions civiles et les professions commerciales,
autrement dit, un droit propre aux professionnels, commerçants et non commerçants. Apparue
pour la première fois dans les travaux de G. RIPERT en 1939, l’« ébauche d’un droit
professionnel »80 entretenue par la doctrine de droit civil semble avoir trouvé son assise
législative dans le droit africain des affaires.
Le statut de professionnel a ainsi le mérite d’être fondé sur une conception extensive de « la
profession habituelle » qui, déduite des dispositions de l’article 3 de l’AUDCG, est le substrat
nécessaire d’une définition empirique et inclusive du commerçant. Voilà encore une notion
élaborée par le droit civil, qui permet d’asseoir plus aisément la qualification de l’acteur
économique dans l’espace OHADA, en servant de trait d’union entre le droit civil et le droit
commercial.
Inclusive, elle l’est parce qu’elle ne restreint pas l’élection du statut de commerçant à la
nature des actes exercés par leur auteur, encore moins à l’exercice, même à titre habituel, de
certains actes, mais inclut dans son champ d’action, les opérations et les actes de toute nature,
dès lors qu’ils présentent un faisceau d’indices suffisamment révélateurs de leur substance
économique.
Elle est essentiellement empirique dans la mesure où les éléments déterminants de la catégorie
juridique de « professionnel » dépendent purement et simplement de l’exercice d’une
profession habituelle. Qui plus est, la plupart des professions indépendantes, qu’elles soient
commerciales ou non, sont dominées par la recherche du profit dans un environnement

77
J. CALAIS-AULOY, « Grandeurs et décadences de l’art. 632 du Code de Commerce (Considérations sur le
domaine du droit commercial) », in: Etudes de droit commercial à la Mémoire de H. CABRILLAC, Librairies
Techniques, Paris (1968), 37-45.
78
J. SAVATIER, supra note 78 (1971), 3-17.
79
J. CALAIS-AULOY / F. STEINMETZ, Droit de la consommation, Dalloz, Paris, 6ème éd. (2003), 12 et s.
80
Etudes H. CAPITANT, Dalloz, Paris (1939), 607.
économique globalisé et hautement compétitif. Les secteurs agricoles modernes, les secteurs
miniers et immobiliers, peuvent être évoqués à titre d’exemple.
En effet, l’agriculture moderne, bien que relevant du secteur primaire, nécessite bien souvent
de gros investissements pour faire face à la concurrence, et oblige les agriculteurs à recourir
aux crédits au même titre que les commerçants. C’est également le cas des avocats qui, bien
qu’exerçant une profession libérale, doivent bénéficier d’un droit de propriété sur leur local,
car ils possèdent une clientèle fidèle qu’il convient de protéger81.
En revanche, il ne fait aucun doute que certains professionnels non commerçants tels que les
agriculteurs82, les artisans et les fermiers, sont considérés comme relevant du droit civil, dans
la mesure où leurs activités ne sont pas censées générer du profit. La doctrine a témoigné du
très grand attachement des agriculteurs à l’exclusion de leurs activités du droit commercial83.
Par exemple, l’agriculteur traditionnel produisait d’abord pour sa subsistance et vivait très
largement à l’écart du marché, n’achetait guère et ne vendait que le surplus de ses récoltes84.
Sa préoccupation fordali’1entaie consistait plus à se nourrir qu’à faire un profit. Ceci était
autant indéniable pour l’agriculteur primaire au sens strict du terme85, que pour l’éleveur.
D’ailleurs, traditionnellement, l’élevage ne se dissocie pas de l’exploitation de la terre. Dans
ces conditions, agriculteurs et éleveurs étaient allergiques à tout ce qui concerne les activités
du commerce ; et pour prendre appui sur un auteur bien connu86, « l’exclusion de l’agriculture
du droit commercial n’est pas seulement ... une règle juridique, ... elle constitue aussi un des
traits essentiels de la société ... : les agriculteurs lui restent fermement attachés et ne
manquent pas de s’insurger et même avec une certaine véhémence, lorsqu’ils soupçonnent le
législateur de vouloir y porter atteinte ».
De tout ce qui précède, l’on peut lire dans les orientations actuelles du droit OHADA,
l’émergence d’un véritable droit commun des activités économiques, et l’esquisse d’un droit
professionnel. Il faudrait alors, pour poursuivre le mouvement, établir une distinction
accessoire entre professionnel commerçant et professionnel non-commerçant. Autrement dit,
à l’instar des sociétés commerciales et des sociétés civiles, il s’établirait aujourd’hui
clairement une distinction entre profession commerciale et profession civile, tout simplement.
La plasticité du statut du professionnel permettrait ainsi de favoriser l’harmonisation non
seulement des règles et mécanismes, mais également des régimes spéciaux applicables aux
activités économiques qui, dans l’ensemble, trouveraient un ancrage socioéconomique dans le
critère de l’entreprise.

2. De l’acte de commerce à l’entreprise, socle de l’activité économique


La notion d’acte de commerce circonscrit la définition et l’octroi du statut de commerçant à
l’exercice répété de certains actes, ce qui exclut de cette catégorie, les acteurs et opérateurs

81
SAINTOURENS, supra note 33, 93 ; également, A. JAUFFRET, « L’extension du droit commercial à des
activités traditionnellement civiles », in: Mélanges P. KAYSER, P.U.A.M., Aix-en-Provence (1978), T. 2, 99.
82
Au sujet de certains agriculteurs classés dans la catégorie des professionnels non commerçants, lire
H.D. COSNARD, L’irréductible droit agricole, thèse, Paris (1949), spéc. (p.) 57.
83
JAUFFRET, supra note 81, 61 ; H. CABRILLAC, « L’agriculture et le droit commercial, le droit privé
français au milieu du XXème siècle », in: Etudes offertes à C. RIPERT, T. 2, LGDJ, Paris (1950), 273.
84
Dans la société traditionnelle africaine, les populations procédaient à des échanges de produits pour assurer
leur équilibre alimentaire. Cette opération a reçu la dénomination de « troc ».
85
Dans cette optique, l’activité agricole ne concerne que l’exploitation de la terre. Voir également, P. DIDIER,
« La terre et le droit commercial », in: Etudes de droit commercial à la Mémoire de H. CABRILLAC,
Librairies Techniques, Paris (1968), 153.
86
H. CABRILLAC, supra note 83.
engagés dans le secteur économique, alors même qu’ils exerceraient leurs activités dans le
cadre d’une organisation structurée. Dans ces conditions, des activités qui pourraient être
saisies par le droit des affaires, soit pour les soumettre au régime du droit commercial, soit
pour leur accorder les privilèges liés au statut d’entreprise commerciale, ont longtemps été
exclues du domaine matériel du droit des affaires. L’idée dominante ici c’est que les activités
économiques reposent sur un instrument économique et institutionnel incontournable, qui est
l’entreprise. Dans cette optique, de même que le fonds commercial n’a d’existence juridique
et économique qu’à travers la réalité de la clientèle, de même, l’activité économique – civile
ou commerciale – ne peut exister et bénéficier de tous les attributs qui sont naturellement
attachés à une telle activité, que parce qu’elle est exercée dans le cadre d’une entreprise
structurée, quelle qu’en soit la taille.
La définition communément admise de l’entreprise l’appréhende comme étant une structure
organisée « réunissant, sous une direction commune, des moyens tant humains que matériels
en vue de l’accomplissement d’activités économiques, commerciales, industrielles ou de
services »87. Qu’elle soit de nature commerciale ou civile, elle constitue, selon
M. PEDAMON, « la cellule de base de l’économie contemporaine »88. C’est pourquoi elle
exerce aujourd’hui, et au même titre que la société civile professionnelle, un attrait certain
auprès des opérateurs de l’activité économique. Elle est le centre de tous les enjeux, qu’ils
soient politiques, économiques ou sociaux. On comprend alors que la conception
exclusivement patrimoniale de l’entreprise soit de plus en plus critiquée par la doctrine
contemporaine89.
C’est cette aptitude à concilier les intérêts sociaux, économiques et institutionnels qui
représentent les enjeux conjugués des acteurs économiques, et dont la notion d’entreprise
permet de fédérer, qui justifie le glissement du critère d’acte de commerce à celui de
l’entreprise.
Il apparaît clairement dès lors, que la législation de l’OHADA porte une vision
transformatrice de l’environnement des affaires. Elle est orientée vers des actions ciblées et
assure par conséquent, une fonction utilitaire aux notions et institutions flexibles et
pragmatiques. Le mérite de la théorie du droit, on le sait, c’est d’« esquisser des moules
permanents de la construction juridique dans lesquels se coulent les aspirations variables de
chaque société, selon les époques, les latitudes et les choix idéologiques ou techniques »90.
Autrement dit, il s’agit non pas d’assimiler tous azimuts les règles du droit civil à celles du
droit commercial sans réserve, mais d’identifier des notions unificatrices qui faciliteraient la
mise en œuvre des mécanismes fonctionnels du droit économique en fin de compte91,
notamment dans ses aspects purement spéculatifs et transactionnels. Du commerçant au

87
V. R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Paris, Litec, 1ère éd. (2002) ;
S. GUINCHARD / G. MONTAGNER (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz (1999), 21ème éd.,
227.
88
M. PEDAMON, « Droit commercial », Recueil Dalloz (1994), n° 71, (p.) 59 ; H.D. MODI KOKO BEBEY,
« L’harmonisation du Droit des affaires en Afrique : Regard sous l’angle de la théorie générale du droit »,
Etudes Juriscope (2002), accès recommandé :
<http://www.juriscope.org/actu_juridiques/doctrine/OHAD/ohada_1.pdf>.
89
V. G. LAMBERT, « Introduction à l’examen de la notion juridique de l’entreprise », in: Mélanges
P. KAYSER, P.U.A.M., Aix-en-Provence, T. 2 (1979), 77 et s.
90
BERGEL, supra note 2, n° 1.
91
J. ISSA-SAYEGH, « Questions impertinentes sur la création d’un droit social régional dans les Etats africains
de la zone franc », Bulletin de droit comparé de travail et de la sécurité sociale, (2003), 170, 470 ;
J. LOHOUES-OBLE, « L’autonomie des parties : le caractère supplétif des dispositions de l’avant-projet
d’acte uniforme OHADA sur le droit des contrats », in: Actes du Colloque de Ouagadougou 2007, supra
note 11, 319.
professionnel et l’esquisse d’un droit professionnel, de l’acte de commerce au critère de
l’entreprise, cette approche téléologique et utilitariste du droit marque bien la tendance à une
unification progressive et prudente des sources du droit OHADA..
En ce sens, en effet, de nouveaux Actes uniformes92 en préparation sur le droit du travail93, le
contrat de consommation94, les sociétés coopératives et mutualistes, augurent bien de la
tendance à l’unification des sources du droit régissant les activités économiques dans l’espace
OHADA. Dès lors, si les motifs avoués restent le renforcement de la prévisibilité du droit à
travers l’unicité des sources et la simplification des procédures, l’efficacité du droit en
construction demeure soumise aux équilibres idéologiques qui permettent de contrôler et de
maîtriser les fondements théoriques de la distinction du droit civil et du droit commercial
chère au droit privé95.
C’est pourquoi, nous l’avons dit, l’approche adoptée par le législateur OHADA, et qui est
d’actualité dans la plupart des regroupements régionaux, est celle qui permet « de mesurer, de
contrôler et de maîtriser les avancées du droit uniforme »96. Elle a le mérite de circonscrire le
processus de fusion aux domaines d’élection identifiés par le législateur, en isolant ceux qui
sembleraient allergiques à toute œuvre d’unification.
L’épreuve que subirait la distinction du droit civil et du droit commercial sous l’angle de la
construction du droit uniforme OHADA est une épreuve congénitale au processus qui, dans le
cours normal des choses, conduit à l’isolement de la distinction à certains domaines précis,
selon la technique connue de l’unification du droit privé.

C. L’ISOLEMENT DE LA DISTINCTION DU CHAMP DE L’HARMONISATION


Le cantonnement de la distinction aux questions procédurales permet de mesurer l’ampleur de
l’isolement. Il concerne les domaines intrinsèquement exclus du champ de l’harmonisation.
L’harmonisation, comme on a pu le remarquer, notamment dans la pratique du droit OHADA,
ne se confond pas avec l’harmonie ; le suffixe exprime seulement un mouvement vers
l’harmonie des solutions, une volonté en mouvement qui inclut déjà l’objectif d’intégration
(normative et/ou judiciaire), mais exclut la composition ou la recomposition, qui prendrait,
par exemple, la forme d’un code, civil ou commercial, unifié à l’échelle régionale97. Car les
risques d’une construction africaine des affaires à dominante hégémonique sont suffisamment
réels, et la résistance suffisamment argumentée, pour inciter à concevoir l’harmonisation
comme une alternative à l’unification, c’est-à-dire comme un processus spécifique qui inclut
l’objectif d’intégration (normative et/ou judiciaire), mais se limite à une intégration imparfaite
dont la clé, comme on le sait, est non seulement la préservation de marges nationales, mais

92
Certains d’entre eux, qualifiés d’« actes uniformes transversaux », englobent le droit des sûretés, les
procédures simplifiées de recouvrement de créances, le droit de l’arbitrage ; ils sont suffisamment révélateurs
de la volonté d’extension aussi bien matérielle que spatiale du champ législatif de l’OHADA, et sa tendance
exprimée au desserrement des frontières du droit civil et du droit commercial dans l’élaboration des normes
applicables sui generis : D. SOSSA, « Le champ d’application de l’avant-projet d’acte uniforme OHADA sur
le droit des contrats : contrats en général, contrats commerciaux, contrats de consommation », in: Actes du
Colloque de Ouagadougou 2007, supra note 11.
93
ISSA-SAYEGH, supra note 91.
94
H. TEMPLE, « Quel droit de la consommation pour l’Afrique ? Une analyse critique du projet OHADA
d’Acte uniforme sur le droit de la consommation », Revue burkinabé de droit (2003), 57 et s.
95
J.-L. HALPERIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, PUF, Paris (2001), spéc. (pp). 258, 283.
96
M. DELMAS-MARTY, « Le pluralisme ordonné et les interactions entre ensembles juridiques », Recueil
Dalloz (2006), Chr., 951 et s.
97
« L’harmonisation du droit des affaires en Afrique : Regard sous l’angle de la théorie du droit », supra
note 88.
surtout la survivance nécessaire des domaines irréductibles de compétence spécifique (1), et
des considérations d’ordre procédural (2).

1. Des domaines de compétence propre aux deux disciplines


Une brève incursion dans les fondements théoriques du droit privé révèle bien les
particularismes, la singularité et l’autonomie classiques des méthodes et solutions du droit
commercial et du droit civil. C’est la manifestation du dualisme du droit privé98, qui
commande et entretient encore cette précaution législative observée dans les initiatives
d’uniformisation du droit. Droit civil, droit commun de tous les citoyens pour la gestion de
leur fortune personnelle et l’exercice de leur activité professionnelle non commerciale. Droit
commercial, droit d’exception applicable soit à tous les citoyens pour régir leurs activités
économiques, soit aux commerçants pour réglementer leurs activités professionnelles.
C’est bien ce caractère exceptionnel du droit commercial qui figure à l’article 1107 du Code
civil qui, fixant la portée d’application du titre « Des Contrats », prévoit que « les règles
particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au
commerce ».
Les rédacteurs du Code de commerce, tous imprégnés de cette conception d’un droit
d’exception, se sont contentés de poser des règles qui dérogent au droit commun du Code
civil.
Historiquement du moins, ces deux disciplines situées aux antipodes l’une de l’autre sont
présentées dans des manuels distincts et étudiées séparément. Le droit civil conserverait en
propre certaines matières. Il en est ainsi pour l’état des personnes99, l’organisation de la
famille, les successions, les donations, les testaments, les régimes matrimoniaux100. Le droit
civil protège le citoyen ordinaire dans sa personne et dans ses biens, alors que le droit
commercial est gouverné par la vie des affaires et la quête effrénée du gain. Ainsi, par
exemple, l’esprit des lois civilistes101 sera opposé à ce que le droit de la famille (mariage,
rupture du lien conjugal, filiation, tutelle, émancipation, succession, ...) soit cité comme une
matière pouvant relever du droit commercial.
De l’autre côté, c’est l’esprit commercialiste qui trouvera impropre le fait que les actes de
commerce ou certains types de contrats commerciaux102 soient régis par le droit civil, même si
certaines institutions commerciales tirent leur racine du Code civil.
En poussant un peu plus loin l’analyse, l’actualité du droit OHADA relativement au projet
d’Acte uniforme relatif aux contrats, confirme encore pour l’instant, la prudence qui devrait
conduire tout processus d’uniformisation du droit OHADA dans le sens du maintien de la
distinction dans certaines matières. En effet, si l’on considère la matière des contrats, par
exemple, un Acte uniforme portant sur la théorie générale des contrats traitant aussi bien des

98
HALPERIN, supra note 95, 261-265.
99
En ce qui concerne la capacité des personnes, toutefois, on concevrait que le droit civil fasse quelques
emprunts au droit commercial. De la sorte, les dispositions de l’AUDCG relatives aux conditions d’exercice
de la profession commerciale, au statut du commerçant, peuvent être étendues à la femme mariée ou au
mineur qui veut exercer une profession, même non commerciale.
100
YADO TOE, supra note 52.
101
PORTALIS opposait ainsi les lois commerciales et les lois civiles, en déclarant que « l’esprit des lois
commerciales diffère essentiellement de l’esprit des lois civiles », cité par M. GERMAIN, « L’esprit des lois
commerciales », in: Le Discours et le Code, Portalis deux siècles après le Code Napoléon, Litec, Paris
(2004), 213.
102
Les opérations sur le fonds de commerce par exemple, et le cas particulier du nantissement du fonds de
commerce, ainsi que les baux commerciaux.
contrats civils que des contrats commerciaux conduirait, selon J. ISSA-SAYEGH103, à une
situation paradoxale :
- la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA) serait
compétente pour connaître en cassation de tous les contrats civils, y compris
ceux qui n’ont rien à voir avec le droit des affaires tel que le bail à usage
d’habitation, le contrat de régime matrimonial, le prêt ou la location entre
voisins, le mandat entre un père et ses enfants, etc. ;
- en revanche, si l’on choisit de séparer les deux contentieux de cassation (CCJA
et Cour Suprême nationale), selon qu’un contrat est commercial ou civil, on
court le risque d’aboutir à des solutions contraires à propos d’un même point
de droit, ce qui ne sert pas l’objectif de sécurité juridique et judiciaire visé par
le Traité.
C’est dans cet esprit que la spécialité du droit des affaires lui commande de ne pas s’immiscer
dans la théorie générale des contrats, mais plutôt de s’attacher à produire des normes
uniformes sur les contrats spécifiquement commerciaux qui n’ont fait l’objet jusqu’à présent,
d’aucune réglementation de la part de l’OHADA. Le rapport général du Colloque de
Ouagadougou sur l’harmonisation du droit OHADA des contrats (novembre 2007) relève
comme principal champ d’intérêt le crédit-bail, le franchising, le factoring, le contrat de
cession exclusive, les contrats de distribution, ainsi que toutes les opérations liées à l’activité
bancaire104.
L’on mesure par là, l’ampleur de l’isolement de la distinction du droit civil et du droit
commercial aux fins de praticabilité du droit. C’est dans cet esprit qu’il faudrait comprendre
les irréductibles questions de procédures dont la maniabilité, liée aux subtilités de la matière,
écarte toute velléité d’unification.

2. L’isolement des questions procédurales


Devant les tribunaux et les cours, la distinction des chambres civiles et commerciales a
survécu au processus d’unification du droit privé en général105, et du droit des affaires et des
activités économiques en particulier.
Ce constat dénote sur le plan formel, la volonté manifeste de maintenir une séparation nette
entre les deux branches du droit privé, du moins d’entretenir la distinction entre le droit civil
et le droit commercial. En outre, si l’on considère certaines matières relevant foncièrement du
droit civil tel que le droit des personnes et de la famille, qui est un droit séculaire, ces matières
sont régies par des règles exclusives du droit civil, tandis que celles relevant du droit
commercial seront naturellement réglées par les principes et solutions propres au commerce.
Il apparaît donc légitime que des questions préjudicielles soient soulevées devant le juge
commercial, afin de permettre au juge civil de trancher un point du droit relatif, par exemple,
à la succession dans un litige commercial, et vice versa.
Quant aux domaines susceptibles de fusion, il s’agira pour le juge de rechercher, à partir de
certains indices106, la nature des litiges qui y sont nés, afin de les soumettre soit aux règles de
droit civil, soit à celles du droit commercial qui se démarquent bien souvent les unes des
autres. En matière de sociétés par exemple, il s’agira de savoir si, à défaut de l’identification

103
ISSA-SAYEGH, « L’OHADA : défis, problèmes et tentative de solutions », in: Actes du Colloque de
Ouagadougou 2007, supra note 11, 470.
104
MEYER, supra note 11.
105
ROTONDI, supra note 16, 1-24.
106
Le recours à la règle de la distributivité, par exemple.
par la forme, le critère de la commercialité par l’objet peut être retenu pour qu’une société soit
qualifiée de commerciale ou, à défaut, revête une nature civile.
Dans cette optique, la preuve des obligations, les règles de la solidarité, le montant des
intérêts ou les délais de prescription, de même que les règles de preuve, varieront suivant que
l’on est sous l’empire du droit commercial ou sous l’autorité des règles du droit civil. En tout
état de cause, le juge statuera soit en matière civile pour les litiges liés à l’état des personnes,
à la capacité, aux biens familiaux, etc., soit en matière commerciale, lorsqu’il s’agira de régler
les litiges nés à l’occasion de l’exercice des activités économiques, ou des différends entre
commerçants et autres professionnels dans le cadre de leurs activités.
Sous ce prisme, il convient également d’observer que la suite de la procédure demeurée
classique en droit civil, a subi des profondes mutations en droit commercial, à la faveur des
contraintes géo-juridiques nouvelles impulsées par le droit OHADA. A travers la création de
la CCJA, avec ses règles processuelles et organisationnelles, il va sans dire que la distinction
du droit civil et du droit commercial sur le plan procédural tend plutôt à se consolider. En
effet, la tradition en matière de procédure judiciaire voudrait qu’une fois le principe du double
degré de juridiction observé, ou encore, dès lors qu’une décision est rendue en dernier ressort,
la Cour de cassation nationale soit compétente pour connaître des pourvois formés à
l’occasion de la procédure. Si cette règle est rigoureusement observée en matière civile, une
révolution a été opérée en matière commerciale. Dès lors, en plus de donner des avis sur
l’interprétation et l’application communes du Traité de l’OHADA, des règlements pris tant
pour son application que pour celle des actes uniformes, et en plus d’intervenir en matière
d’arbitrage, la CCJA a principalement vocation à connaître des pourvois contre les décisions
de justice nationales rendues en dernier ressort en matière commerciale, et plus largement sur
les matières ayant fait l’objet d’un Acte uniforme.
Epreuve de la plasticité du droit107 ou épreuve des transformations108 des rapports aux fins
d’adaptation du droit à l’évolution du monde des affaires, l’amenuisement de la distinction du
droit civil et du droit commercial en droit OHADA permet aujourd’hui de mesurer l’ampleur
de son isolement au regard des impératifs liés à l’édification du droit matériel uniforme au
sens du Traité de l’OHADA.

__________

Revue de Droit Uniforme – NS Vol. XIV 2009-1/2, p. 57.

107
G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, LGDJ, Paris (1955), 76 ; voir également, dans le sens de
l’inopportunité de la science pour la praticabilité du droit économique : F. GRUA, « Les divisions du droit »,
Revue trimestrielle de droit civil (1993), Chr. 59 ; dans le même sens, X. MARTIN, « Le droit privé
révolutionnaire : essai de synthèse », Revue trimestrielle de droit civil (2006), Chr., 239 ; B. FRYDMAN, Le
sens des lois, Bruylant, Bruxelles (2005), 441, N° 211.
108
C. THIEBIERGE-GUELFUCCI, « Libres propos sur les transformations du droit des contrats », Revue
trimestrielle de droit civil (1997), 357.

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