Atlas Des Montagnes - Unknown

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Atlas des montagnes

Espaces habités, mondes

imaginés

Xavier Bernier, Christophe Gauchon


Cartographie : Alexandre Nicolas

Éditions Autrement
Collection Atlas/Mémoires
© Éditions Autrement 2013
77, rue du Faubourg-Saint-Antoine – 75011 Paris
Tél. 01 44 73 80 00 – Fax 01 44 73 00 12 – www.autrement.com

ISBN : 978-2-7467-3167-7
ISSN : 1272-0151

Dépôt légal : octobre 201


Imprimé et broché en France par l’imprimerie Pollina, France.
PRÉFACE

Les montagnes ne divisent pas les

hommes, elles les rassemblent

Chambéry a toujours fait corps avec les montagnes et sa


position de cluse lui a permis de se forger un destin de
porte des Alpes. La ville s’est assigné depuis vingt ans une
vocation originale de « ville au service des montagnes » :
celles qui l’environnent et toutes les autres. Une ville
ouverte aux montagnes du monde ! En 2013, nous avons
voulu marquer dignement ce vingtième anniversaire en
faisant de la montagne le fil conducteur de l’année à
Chambéry.
Une manière de nous rappeler que la ville a été dès 1874 le
siège d’une des premières sections du Club alpin français
et qu’elle abrite le siège du parc national de la Vanoise. En
2000, lors du premier Forum mondial de la montagne, elle
a vu naître l’Association des populations des montagnes
du monde, avant d’être deux ans plus tard désignée par
l’État pour être le « point focal français » de l’Année
internationale des montagnes organisée par l’ONU. Et
localement, Chambéry a été l’une des toutes premières
villes en France à tisser avec les massifs qui l’entourent des
relations de solidarité et de complémentarité. En 2014, elle
accueillera le congrès de l’Association nationale des élus de
la montagne pour son trentième anniversaire.
Pour toutes ces raisons, nous sommes très heureux de
nous associer à l’édition de cet Atlas des montagnes,
espaces habités, mondes imaginés, qui offre un regard
renouvelé sur les montagnes du monde, porté « autrement
», en belle adéquation avec ce que nous tentons de vivre
tous les jours avec les montagnes proches. Des enjeux
d’aménagement aux aspects culturels, les nombreux
thèmes abordés ici font écho aux préoccupations des
acteurs et des gestionnaires de terrain.
Espaces habités, les montagnes ne divisent pas les
hommes, contrairement à une idée trop répandue, elles les
rassemblent et les incitent à construire des solidarités de
proximité et des communautés de destin bien au-delà des
frontières et des continents. Mondes imaginés, elles
doivent composer avec d’immenses espoirs et de
redoutables ambitions. Les ressources qu’elles renferment
sont autant de conquêtes pour les uns et de trésors à
protéger pour les autres. Livrées à l’évolution accélérée du
climat, attaquées à leurs bases par l’appétit des hommes,
parfois même rasées au bulldozer, elles sont ailleurs en
proie à la déprise ou font l’objet d’une protection attentive.
Nous sommes particulièrement bien placés, en Savoie, au
pied des plus grands domaines skiables du monde, dans
les vallées où l’expansion urbaine interroge l’équilibre des
territoires, pour vivre au quotidien ces réalités contrastées.
Dès lors, il appartient à tous ceux qui l’aiment de la
regarder d’une manière apaisée et ambitieuse, à
proportion des enjeux qu’elle représente. Et cela
commande de mieux la connaître, délestée des clichés
simplistes et des impénétrables codes des spécialistes.
C’est le très grand mérite de cet ouvrage et de ses auteurs
d’être nos guides, observateurs très avertis et analystes
éclairés. À les suivre au pas des montagnards sur un
chemin où chaque page dévoile un point de vue saisissant,
nous savourons le plaisir d’en savoir davantage sur les
pentes ensoleillées comme sur les abîmes menaçants pour
mieux tracer notre route et si ce n’est parvenir au sommet,
au moins tenter de l’atteindre.
Bernadette LACLAIS maire de Chambéry députée de
Savoie
INTRODUCTION

La réinvention permanente des mondes

d’en haut

Il ne s’agit pas ici d’un atlas de « la » montagne, envisagée


comme un objet aux spécificités intrinsèques. De
nombreux discours scientifiques et un bruit de fond
médiatique s’efforcent de fonder l’étude des montagnes
sur des caractéristiques propres. Cela nourrit de la fausse
connaissance. Bien plus que de montagnes jeunes ou de
montagnes vieilles, de hautes ou de moyennes
montagnes, il s’agit ici de distinguer surtout les montagnes
proches ou lointaines. La distance, entre contact et écart,
abolie ou franchie, est au cœur des montagnes comme
espaces habités et mondes imaginés. Tantôt appropriées
comme cours de récréation par les touristes ou les urbains,
tantôt sanctuarisées au nom d’idéologies naturalistes, elles
sont investies sans vergogne ici par les aménagements les
plus spectaculaires, quand elles sont là des lieux refuges
pour certaines cultures…
L’étude des montagnes croise les représentations et les
activités dans des temporalités et dans des combinaisons
qui ne laissent place à aucun déterminisme. Elle envisage
de façon critique le poids des normes et des archétypes,
tandis que le registre si souvent convoqué des fragilités et
des handicaps admet trop de contre-exemples pour être
validé.
Des lieux du monde
Davos et Saint-Moritz : deux villages des Alpes suisses
perdus dans les hautes vallées des Grisons aux dialectes
atypiques… Le premier s’ouvre au monde au milieu du
XIXe siècle à travers le climatisme et la construction de
sanatoriums où afflue la bonne société européenne. À la
même époque, le second devient un des hauts lieux du
tourisme dans les Alpes et reçoit à deux reprises, en 1928
et en 1948, les Jeux olympiques. Davos, devenu une ville
de 11 000 habitants permanents, est aujourd’hui un des
foyers de la mondialisation économique et financière où se
rendent chaque année les dirigeants les plus puissants de
la planète, tandis que, été comme hiver, Saint-Moritz
accueille les clientèles fortunées des grandes stations
mondaines. L’inscription dans la mondialisation a donc
suivi des chemins différents, mais elle a fait de ce coin des
Alpes un des centres du monde les plus inattendus.
Certes, les montagnes ne sont pas identifiées comme des
pôles majeurs de la mondialisation actuelle, tels que l’ont
été un temps la Méditerranée, l’Atlantique ou aujourd’hui
le Pacifique. Et il faut remonter à la protohistoire pour
trouver, entre 1300 et 400 av. J.-C., la brillante civilisation de
Hallstatt (Salzkammergut, Alpes autrichiennes) dont
l’influence commerciale, matérielle et culturelle s’exerçait
sur une large partie de l’Europe. Au cours de l’histoire, les
montagnes n’ont jamais été durablement ni
systématiquement isolées ; et de près ou de loin, elles ont
intégré les centres et périphéries du monde.
Quotidienneté et exceptionnalité
La densité des phénomènes spatiaux et de leurs
arrangements fait des montagnes du monde les lieux
d’une évidente géodiversité où s’exprime la fantaisie des
sociétés. Les montagnes ont sans cesse oscillé entre
singularisation et banalisation : il fut un temps où un
montagnard n’était qu’un paysan comme les autres, parfois
un peu plus pauvre, et la spécialisation vers
l’agropastoralisme, par exemple, n’est apparue que
tardivement. D’ailleurs, avec le tourisme, n’est-il pas devenu
un urbain comme les autres, parfois un peu plus riche ? À
Courchevel se tiennent en plein hiver des expositions de
yachts qui installent la station savoyarde à mi-chemin entre
Londres et Monte-Carlo et résonnent comme une
invitation des montagnes à faire venir le monde à elles.
De nombreuses expressions et de nombreux proverbes sont associés à la
montagne ; chacun exprime à sa manière sa place dans les sociétés
humaines ou pour les individus. Les difficultés de la mesure, par exemple,
sont exprimées par les « grand ou gros comme une montagne » quand
celles de l’ascension ou de la découverte sont retranscrites par les « déplacer
ou soulever des montagnes », auquel succède en cas de déception « la
montagne a accouché d’une souris ». Nommer, mesurer, voir, cacher, révéler
ou explorer les montagnes, les découvrir à distance ou les collectionner
traduisent pourtant des géographies très dynamiques qui invitent à
dépasser la montagne, en tant qu’évidence éternelle et immuable, et à
dénoncer cet autre proverbe selon lequel « il n’y a que les montagnes qui ne
se rencontrent pas ». Sous la mer ou sous la glace, gravie depuis des siècles
ou inviolée, quel que soit son nom ou son altitude, l’essentiel est de « ne pas
s’en faire une montagne » !
Les mots pour le dire

Les mots utilisés pour désigner la montagne et les


montagnes sont de puissants révélateurs pour
appréhender les relations des sociétés avec ces espaces.
Leur très grande diversité révèle la complexité des
rapports entre les hommes et les mondes d’en haut.
L’étymologie ou la calligraphie, les images ou les
associations de mots sont des constructions culturelles
très fortes. Parmi les termes génériques, plusieurs
registres sont convoqués, de l’échelle la plus locale à la
plus universelle. Autant les chaumes sont restées
attachées à la crête des Vosges, autant l’alpe a connu une
diffusion très large.

DE L’ÉCRITURE À L’ÉVOCATION
Dans les manuels d’écriture des jeunes élèves japonais, le kanji
(idéogramme) signifiant yama (montagne) est souvent figuré par une
construction progressive entre l’image de trois sommets et l’idéogramme
actuel. Attention néanmoins à ne pas réduire sa lecture à une simple
description géométrique : les travaux d’Augustin Berque insistent sur les
deux sens associés à yama, à savoir la montagne et la forêt, avec des
parentés linguistiques fortes pouvant être respectivement distinguées dans
le birman yoma, le turc yamac ou le yema de plusieurs langues d’Asie du
Sud-Est.
Cette ambivalence se retrouve en japonais dans le terme de sanson,
littéralement village de montagne, dont les contours sont définis par des
critères… forestiers. Ces espaces sont de facto utilisés par les agriculteurs. La
tradition japonaise envisage ainsi autant les dichotomies que les porosités
entre plaine et montagne. Clairement délimité, voire borné, le passage de
l’un à l’autre a aussi des significations anthropologiques et religieuses. La
présence des fameux yama-no kami, ces génies maîtres de la montagne, qui
descendent vers la plaine, est ainsi une des signatures de la montagne dans
le shintoïsme.
C’est aussi dans le bouddhisme et l’hindouisme qu’il faut chercher les
origines du népalais himal (« demeure des dieux »), tandis que pahar
désigne en contrebas le domaine des hommes. Les dimensions spirituelles
des cimes sont également présentes dans les termes de tour, ziggourat ou
pyramide (pyramide de Carstensz, Indonésie) qui peuvent, par extension des
bâtiments évoqués, avoir une portée symbolique très forte. Et « tête » ou «
crêtes » déterminent aussi plus que des extrémités ou des terminaisons
topographiques.
La chaîne du Kunlun, dont l’étymologie se confond avec
Hundun et évoque le chaos des origines et l’idée de vie,
se situe sur la frontière nord du Tibet. « Au milieu du
monde », elle est habitée par Xiwangmu, Mère Reine de
l’Ouest ou reine des Immortels (taoïsme).

...

DES SIGNIFICATIONS MULTIPLES


Le sommet désigne autant la forme que le but à atteindre. La description
topographique va d’ailleurs souvent bien au-delà d’une simple approche
géométrique avec des références aux formes féminines (mamelons, croupes,
ballons…) ou phalliques (aiguilles, éperon, pics, pitons…). Les lectures
paysagères ont ainsi plusieurs niveaux, avec des distinctions précises,
comme en Amérique latine entre les sierras (montagne), cerros (chaîne) et la
montaña ou monte (davantage reliés au couvert végétal plus ou moins
pénétrable), ou dans le monde andin entre la ceja de montaña (versant
forestier des montagnes) et la puña (haut plateau).
Des montagnes et des hommes. Entre le mont, le massif, la chaîne ou la
cordillère, il y a des sauts d’échelle, mais aussi des différentiels
d’agencements et de disposition par rapport aux peuplements humains.
Ainsi, dans le monde germanique, ils s’expriment avec Berg et Wald, dans le
slovène avec gora et planina (prairie de montagne) ou encore dans le
français « grande montagne » et « petite montagne ». Ce sont là aussi des
explications des différentes formes d’appropriation socio-économique, ici
pour le monde des éleveurs et des pâturages – les « montagnettes »
présentes en Savoie ou dans les Hautes-Alpes –, et là pour celui des
forestiers et/ou des agriculteurs – la « colline » provençale.
Du particulier au général. Parmi les termes les plus génériques, citons amba
dans le monde éthiopien, ou ol doinyo dans l’espace masaï (Kenya-
Tanzanie). Et bien sûr les « Alpes », terme présent à toutes les échelles et
jusque dans la toponymie lunaire.

QUELS VOCABULAIRES ?
Les nombreux termes se référant à la montagne
peuvent être regroupés en fonction de leur portée
sémantique. Beaucoup ont des sens multiples que
traduisent en partie les recoupements de la figure ci-
contre. Les mots liés aux caractéristiques géométriques
et aux grandes architectures d’ensemble décrivent
souvent les reliefs (vocabulaire lui-même signifiant) plus
sûrement qu’une définition. Ils glissent aussi vers une
approche des paysages, parfois lus dans des binômes
associant les hauts et les bas, et traduisent souvent les
étagements des systèmes socio-économiques. Les
glossaires sont enrichis par des dimensions
anthropologiques, avec des références à la religion ou à
la transcendance.

Verbatim
« Père, existe-t-il des pays sans montagnes ? »
Friedrich Schiller, 1804, Guillaume Tell.
À chaque montagne son nom

Si de nombreux termes désignent les reliefs dans toutes


les langues, chaque montagne reçoit à son tour un nom
spécifique, à même de la distinguer de ses voisines. Selon
la complexité des formes, le niveau de connaissance et
l’importance de la fréquentation, la densité des
oronymes (noms donnés aux montagnes) est donc
extrêmement variable d’un massif à l’autre. Cette densité
s’accroît encore lorsqu’un même sommet est connu sous
plusieurs noms, au risque de confusions : si chacun
identifie la silhouette du Cervin, le reconnaît-on toujours
sous ses noms de Cervinio ou de Matterhorn ?

LES NOMS VERNACULAIRES


Ils sont utilisés dans la vie quotidienne et attestés de longue date. Dès 1572,
Jacques Peletier écrivait à propos de la Savoie : « Il n’i a Mont, que le païs ne
nomme. » Dans le massif du Mont-Blanc, les principaux sommets étaient
identifiés et dénommés avant l’arrivée des premiers voyageurs qui en
apprirent les noms auprès des habitants de Chamonix. Ces noms mobilisent
des registres descriptifs. Ailleurs, les noms des volcans actifs des Antilles
évoquent des signaux de danger. Une forme particulière vaut son nom au
mont Aiguille (Alpes occidentales) ou à la montagne de la Table qui domine
Le Cap (Afrique du Sud). Les pics du Midi (d’Ossau ou de Bigorre) se dressent
au sud des villes du Piémont pyrénéen et sont comme des gnomons
naturels.
...

LES NOMS DES GRANDES CHAÎNES


Ils ont été élaborés au fur et à mesure que les géographes ont compris
l’organisation de ces chaînes : les Alpes désignèrent d’abord les montagnes
de Suisse, de Savoie et du nord de l’Italie, puis le terme s’étendit au Tyrol et
aux Alpes orientales. Les cordillères reconnues en Amérique du Sud sont
peu à peu unifiées sous le nom d’Andes. Et, en France, le Massif central
n’apparaît guère, en tant que tel, avant le tournant du XIXe au XXe siècle.
Cette construction toponymique fut souvent hésitante, et des incertitudes
planent encore sur les limites précises de ce que l’on appelle les Cévennes.
...

LES NOMS DONNÉS PAR LES ASCENSIONNISTES


Ils tranchent sur la toponymie préexistante, car l’usage a longtemps voulu
que le sommet fût baptisé par le premier qui l’avait gravi. Aussi, les noms des
alpinistes anglosaxons ont-ils essaimé sur toutes les montagnes du globe :
dans le massif des Écrins (Alpes occ.), on n’en trouve pas moins de six !
Toutefois, ces exonymes s’appliquent plutôt à des sommets secondaires, car
les principaux portaient déjà des noms plus anciens, ou furent érigés en
emblèmes politiques. Ainsi, dans le Pamir, le point culminant de l’URSS s’est-
il d’abord appelé pic Staline, puis pic du Communisme avant de devenir le
point culminant du Tadjikistan sous le nom de pic Ismail Samani.
Ces noms historiques composent aujourd’hui avec la toponymie
autochtone qui reprend peu à peu ses droits. Ainsi, le mont McKinley, point
culminant des États-Unis, retrouve sur les cartes officielles, son nom
athapascan de mont Denali. Une pluralité de noms désigne donc,
successivement ou simultanément, quelques grands sommets : lorsqu’en
1865 l’Everest fut baptisé en l’honneur du chef du service géodésique des
Indes, des alpinistes anglais dont Freshfield contestèrent la pertinence de
cet exonyme et plaidèrent pour le nom local Devadhunga, la demeure des
dieux. Plus tard, dans les années 1960, les autorités népalaises promurent le
terme de Sagarmatha pour faire pendant au nom tibétain Chomolungma
attesté depuis plusieurs siècles.
Ainsi, l’oronymie continue-t-elle à s’enrichir au fil de l’ouverture de nouvelles
voies d’ascension. Elle s’est même étendue aux montagnes de la Lune et de
Mars, souvent en recyclant les noms des montagnes de la Terre ou des
savants astronomes, géographes et mathématiciens.

.
Verbatim

« Il ne savait pas le nom de ces montagnes. […] Ou, plus


exactement, il les savait tous, mais c’était des noms qu’il
leur avait donnés lui-même, au gré de sa fantaisie, et que
personne d’autre ne connaissait. »
M. Rigoni Stern, 1998.
Mesurer les montagnes

Mesurer les montagnes suppose d’avoir une notion


précise de ce que sont les montagnes et l’altitude. Cette
évidence mit du temps à s’imposer et on a confondu
l’altitude avec la hauteur des pentes au-dessus des
plaines ou des mers. C’est pourquoi le pic de Teide était
tenu pour une montagne beaucoup plus élevée que le
Cotopaxi… L’idée que le niveau de la mer puisse
constituer une référence générale supposait une bonne
connaissance du globe et la maîtrise de techniques
reproductibles dans toutes les régions. Si bien que les
discours sur la hauteur des montagnes ont souvent
précédé la mesure proprement dite.

DIVERSITÉ DES TECHNIQUES


C’est surtout à partir du XVIIIe siècle que des protocoles de mesure s’affinent.
Plusieurs techniques ont été mises en œuvre, et le sont encore, pour obtenir
la mesure la plus précise possible. L’expérience menée par Blaise Pascal au
puy de Dôme a mis en évidence la diminution de la pression atmosphérique
et de la température d’ébullition de l’eau avec l’altitude. Mais le lien
physique entre ces phénomènes n’était pas encore formalisé et il faudra
près d’un siècle pour ajuster les courbes et préciser le gradient altitudinal.
Dès lors, ces mesures physiques seront couramment utilisées, y compris
pour certaines entreprises de cartographie clandestine dans des contextes
géopolitiques hostiles.
Mais la barométrie suppose des mesures simultanées au pied et au sommet
des montagnes pour compenser les variations permanentes de la pression.
Elle ne peut donc se révéler utile que sur des distances assez courtes. Pour
caler avec précision l’altitude du pied des montagnes, il faut encore recourir
à l’ancestrale technique du nivellement direct, au moyen de perches. Même
améliorée avec l’invention et le perfectionnement du niveau à bulle, elle
oblige à cheminer avec mille précautions depuis le bord de la mer jusqu’au
piémont ; au moins permet-elle de poser les bases d’un travail de mesure
sérieux.
Enfin, les perfectionnements de l’optique favorisent les progrès des visées
géodésiques. Contrairement aux autres méthodes, la triangulation permet
d’obtenir l’altitude d’un sommet à distance, sans l’avoir gravi. C’est ainsi que
l’Everest fut mesuré par les agents de l’Indian Survey depuis des stations
installées sur les collines du nord de l’Inde, à des distances comprises entre
174 et 190 kilomètres de l’objectif. Il fallut ensuite plusieurs années de
calculs et de corrections pour parvenir à une mesure qui se révéla juste à dix
mètres près !

...
COMBINAISONS ET PROGRÈS
Dans les faits, ces différentes techniques ont souvent été combinées entre
elles, comme pour la mesure du mont Blanc publiée par Jean-André Deluc
en 1772. Entre les années 1730 et le milieu du XIXe siècle, plusieurs sommets
furent ainsi identifiés comme le point culminant de la planète, d’abord dans
les Andes de l’Équateur où s’étaient rendus les envoyés de l’Académie des
sciences, puis dans l’Himalaya à partir de 1784. Jusqu’aux années 1950, on
s’interrogea encore sur la réalité d’un sommet qui aurait dépassé les 9 000 m
dans l’ouest de la Chine et dont la révélation aurait confirmé l’existence d’un
mythique Transhimalaya…
Depuis une trentaine d’années, les techniques satellitaires ont validé ou
précisé ce que l’on savait de l’altitude des montagnes : dès 1856-1857, le K2
(Karakoram) a été reconnu comme le deuxième plus haut sommet de la
Terre. En 1986, une campagne de mesures par GPS livre un résultat très
remarqué : le K2 serait plus élevé que l’Everest ! Mais une campagne menée
l’année suivante rétablit la suprématie de ce dernier.

...

LES ENJEUX DE LA MESURE


La mesure des montagnes a accompagné la découverte des différentes
chaînes sur chaque continent ; ainsi, en Antarctique, le mont Vinson ne fut
pas reconnu avant 1958. Elle a surtout été un puissant moteur de leur
ascension. En effet, depuis le XVIIIe siècle, tous les plus hauts sommets des
Andes, des Alpes et de l’Himalaya ont été mesurés avant d’être gravis, et la
connaissance de leur altitude a engendré le désir d’en réaliser l’ascension.
Dès 1933-1934, Marcel Kurz inaugure la métaphore du « troisième pôle »
pour désigner l’Everest et publie la première liste des sommets de plus de 8
000 m. La première expédition française dans le Karakoram s’appuie sur
cette liste pour se fixer comme objectif le Hidden Peak (Gasherbrum I).
La mesure des montagnes ne s’arrête d’ailleurs pas à notre planète. Sur Mars,
le mont Olympus couvre plus de 300 000 km2 et culmine à plus de 21 200 m
d’altitude : de quoi faire naître bien de futures vocations d’exo-alpinistes…
.

Verbatim

« Que n’ai-je pris l’Everest pour une aspérité. »


Alain Bashung et Jean Fauque, 1994.
Le visible et le caché

Si les montagnes sous-marines peuvent en partie être


offertes à la vue de certains submersibles, si le monde
souterrain des montagnes est plus ou moins accessible,
la visibilité de ce qui est dessous, derrière ou à côté pose
parfois problème. Toutefois, certains processus liés aux
changements climatiques et le développement des
sciences et des techniques révèlent des parties et des
phénomènes longtemps restés cachés sous la neige et les
glaciers ou dans la roche. Ces découvertes ouvrent des
perspectives inédites dans la compréhension du monde,
en même temps qu’elles alertent les populations.

QUAND LA MONTAGNE DÉVOILE SES DESSOUS


Bon nombre de sommets ne se dévêtent jamais de « leur blanc manteau
neigeux », attisant la curiosité des scientifiques et stimulant les imaginaires.
Les technologies modernes ont permis de produire des cartes et des profils
topographiques de plus en plus précis de « ce qu’il y a en dessous ». Dès
1965, Lliboutry proposait ainsi une coupe des cryptoreliefs rocheux sous la
microcalotte glaciaire du sommet du mont Blanc. Et, plus récemment, des
chercheurs grenoblois ont établi sur le site des relevés d’une plus grande
précision encore. Les évolutions, saisonnières ou sur une plus longue durée,
de cette couverture sommitale et de sa hauteur ne manquent d’ailleurs pas
de remettre en question les mesures fines des montagnes. À une autre
échelle, la connaissance des montagnes de l’Antarctique s’est précisée tout
au long du XXe siècle, au point de permettre aujourd’hui d’appréhender le
caractère très montagneux de ce continent. Les grands inlandsis, ces glaciers
de très grande étendue qui forment ici la calotte polaire, masquent en effet
l’essentiel de ces reliefs, y compris sous le niveau marin. Les monts
transantarctiques ne se révèlent ainsi guère que dans certaines parties
sommitales ou sur les littoraux de la mer de Ross.
Des phénomènes de réchauffement conduisent ailleurs à faire apparaître
tout ou partie de certains reliefs. Dans les régions du monde où le recul des
glaciers est significatif (celui des Bossons, dans le massif du Mont-Blanc, peut
être étudié sur un temps long grâce à une production iconographique
ancienne et abondante), cette mise à nu est souvent envisagée comme un
signal dramatique. Neiges et glaciers sont en effet une ressource pour de
multiples acteurs. Au point que les Suisses, pour ralentir ce processus,
n’hésitent désormais plus à couvrir de plastique leurs glaciers, comme celui
du Rhône, par exemple. Dans le Montana, il subsiste aujourd’hui à peine un
quart de la partie englacée du glacier National Park, estimée à près de 100
km2 en 1850. Mais c’est sans doute pour les glaciers dits « tropicaux » que
ces phénomènes de retrait sont les plus spectaculaires et les plus à même
de marquer les esprits. Un recul glaciaire massif a ainsi conduit à un
émiettement en plusieurs petits appareils glaciaires dans les parties hautes
du Carstensz (Indonésie). En Afrique, les fameuses « neiges du Kilimandjaro »,
plus encore que celles moins connues du mont Kenya ou des montagnes
du Ruwenzori, semblent appelées à disparaître complètement dans un
avenir plus ou moins proche.
CE QUI SE PASSE À L’INTÉRIEUR
L’étude du permafrost ou pergélisol (entendu comme la
partie de la roche dont la température reste négative
pendant au moins deux années de suite) a donné lieu à
quantité de mesures, dont certains résultats peuvent
être interprétés comme des indicateurs du changement
climatique. L’acquisition des données de températures
dans les parois subverticales d’altitude implique souvent
des forages horizontaux. Des chercheurs du laboratoire
Edytem ont réalisé ces dernières années des mesures de
températures en continu dans les parois rocheuses de
l’aiguille du Midi (massif du Mont-Blanc). Considérés
comme les plus élevés en altitude au monde (3 745 m),
ces forages prennent en compte la variabilité de la
durée d’enneigement et l’exposition. Les mesures
indiquent que la couche active (partie superficielle de la
paroi qui dégèle l’été) atteint ici une profondeur de
l’ordre de deux mètres. La figure révèle également un
décalage thermique d’environ six mois entre la surface
de la paroi et la base du forage dans l’acquisition des
minima et des maxima. Ces fluctuations et
l’approfondissement éventuel de la couche active dans
le temps favorisent le développement des
écroulements.

...
DEDANS, DEHORS
L’activité sous-glaciaire, en particulier torrentielle, contribue intensément à
l’érosion. L’écoulement des grands glaciers s’accompagne aussi d’autres
formes de « révélations ». Les moraines et les rochers apparaissent et
disparaissent au gré de l’histoire des glaciers qui restituent, parfois après des
années, des cadavres et toutes sortes d’objets. Comment ne pas évoquer ici
les célèbres « Malabar Princess » et « Kangchenjunga », ces deux avions
indiens disparus dans le massif du Mont-Blanc après des crashs survenus
respectivement en 1950 et en 1966 ? Parmi les tonnes d’objets trouvés
pendant les décennies suivantes, dont certains ont été exposés récemment :
une hélice, un moteur, mais aussi des lettres, des bijoux, des documents
personnels… Bref, toute une histoire révélée.

Verbatim

« Je me suis penché sur la montagne la plus élevée de la


chaîne de montagne. Je me suis penché et j’ai dit : comme
c’est haut. »
Raymond Queneau.
Montagnes immergées, montagnes

émergées

À la différence des autres planètes connues, la surface du


globe est occupée à 71 % par les mers et les océans. Si
cette considération affecte la notion de mesure des
reliefs en fournissant un niveau marin (dont il n’y a
jamais eu de valeur universelle et dont la référence est de
toute façon une moyenne), elle produit une géographie
de montagnes immergées et de montagnes émergées.
Des outils sophistiqués de mesure par satellites et des
techniques non moins élaborées d’étude des profondeurs
permettent désormais d’en dresser des cartographies
relativement fiables qui mettent à mal certaines
représentations communes.

TOPOGRAPHIES DU MONDE SOUS-MARIN


Les montagnes sous-marines ont une importance et des dimensions
insoupçonnées. Si une partie d’entre elles s’inscrit dans des logiques
continentales, la plupart sont liées à la tectonique des plaques et aux
phénomènes qui affectent le manteau. Les montagnes les plus
remarquables par leur étendue et par les dénivelés mesurés sont à mettre
en relation avec les dorsales océaniques. C’est à leur axe que se forme la
croûte océanique basaltique, tandis que les grandes fosses océaniques
(l’abysse le plus profond, plus de 11 000 m sous le niveau marin, est celui des
Marian nes dans le Pacifique) sont créées par la subduction (processus lié au
passage d’une plaque tectonique océanique sous une autre). Il en résulte un
système de dorsales médio-océaniques qui parcourt le globe sur plus de 60
000 km ! Les dorsales atlantique, est-pacifique, centrale-indienne, sud-est
indienne, sud-ouest indienne et antarctique ont ainsi produit des systèmes
montagneux sous-marins et des reliefs qui s’élèvent de 2 000 à 2 500 m au-
dessus des plaines abyssales.
Les rifts océaniques, des vallées de 20 à 30 km de large et de 1 à 2 km de
profondeur, coupent souvent ces dorsales. Depuis Vingt mille lieues sous les
mers de Jules Verne, les progrès scientifiques ont permis de dresser des
cartes aux isobathes très précises (lignes joignant des points d’égale
profondeur). Importantes pour les sous-mariniers, elles renseignent toute
une toponymie comme les Monts du Géographe (Pacifique nord) ou les
fameux Jumeaux de Thor (popularisés par le film À la poursuite d’Octobre
rouge) au sud de l’Islande. La dorsale médio-atlantique émerge au point de
produire des reliefs majeurs (Islande) et des ensembles insulaires (Açores,
Bermudes ou Tristan da Cunha).
Des enjeux géopolitiques et stratégiques se manifestent également dans les
relations entre le monde immergé et le monde émergé. Les forages sous-
marins liés à l’exploitation des hydrocarbures et les recherches de minerais
sont des enjeux connus. Mais les revendications récentes liées à la dorsale
de Lomonossov (océan Arctique) sont édifiantes. Fin juillet 2007, une
expédition russe a en effet déposé à la verticale du pôle Nord (plus de 4 200
m sous la surface) une capsule de titane contenant le drapeau russe.
L’argument d’un prolongement de cette dorsale depuis le continent
eurasiatique est depuis discuté par les Danois et les Canadiens.
...

SEUILS ET TRANCHES ALTITUDINALES


Des modèles numériques de terrain des terres émergées du globe peuvent
être réalisés aujourd’hui de façon très fine (la résolution correspond à une
maille de 1 km et ne fait donc pas apparaître les parties les plus sommitales).
Ces cartes, dressées à partir de données de l’US Geological Survey, sont
discriminées sur la base de seuils arrondis en mètres. Elles ont donc un sens
amoindri dans un monde anglo-saxon qui s’exprime en pieds, avec des «
seuils psychologiques » différents. Dans l’histoire de l’alpinisme, ils ont eu
d’ailleurs un rôle non négligeable : l’Everest est par exemple le seul sommet
dépassant 29 000 pieds.
Étudiées par palier de 1 000 m, les cartes des terres émergées produisent des
géographies intéressantes à confronter aux images préconçues. La forte «
présence » de l’Afrique australe, d’une partie de la péninsule arabique, de
l’Asie du Sud et de l’Est au-delà de 1 000 m, la mise en valeur de
l’Antarctique et dans une moindre mesure du Grœnland, un plateau tibétain
mieux représenté que l’Himalaya au-delà de 2 000 m, sont quelques
exemples significatifs. À une autre échelle, les altitudes moyennes des
départements de la Savoie (1 500 m) et de la Haute-Savoie (1 160 m)
contredisent aussi les représentations, l’altitude de l’ensemble variant de 200
à 4 800 m environ.
.

Verbatim

« Une Troisième Considération, c’est la Jonction des


Continents, soit par les Isles et Rochers, soit par les Terreins
au-dessous du Niveau de la Mer. Cette profondeur égale
les plus Hautes Montagnes. »
P. Buache, 1770.
Grands explorateurs et grandes

découvertes

Même lorsque s’organisèrent de grandes expéditions


parrainées par les clubs alpins ou les sociétés de
géographie, l’exploration des montagnes est toujours
restée une affaire de marcheurs. Dans des régions qui
n’étaient pas encore ouvertes à la circulation, les
marches d’approche et les reconnaissances duraient
souvent plusieurs mois et pouvaient être reconduites
année après année. Ainsi, entre 1760 et 1787, Horace
Bénédict de Saussure multiplie les voyages dans les
Alpes entre la Suisse, la Savoie, le Piémont et la
Méditerranée, tandis que son contemporain Balthasar
Hacquet explore les Alpes orientales.

DE GRANDS MARCHEURS
Les montagnes du monde ont vu se succéder des marcheurs qui ont
couvert des centaines, voire des milliers de kilomètres. Ni la clandestinité, ni
les privations, ni la guerre, ni les conditions climatiques n’ont pu décourager
Alexandra David-Néel (1868-1969) qui a parcouru pendant quatorze ans les
contrées tibétaines. À la même époque, l’explorateur Sven Hedin (1869-
1952) consacre près de cinquante ans à l’exploration de la vaste région
comprise entre le Tibet et la Mongolie. Ces expéditions n’appartiennent pas
toutes à un passé lointain : en plus de ses ascensions, Reinhold Messner
accomplit entre 1986 et 1992 de longues marches de plusieurs mois au
Tibet, au Bhoutan et en Asie centrale. Et, à l’automne 2011, un groupe
d’alpinistes français réussit en 28 jours la première traversée de la cordillère
de Darwin, en Terre de Feu. Les montagnes restent donc, à la surface de la
Terre, les dernières régions où la notion d’exploration garde tout son sens.
UNE AVENTURE SCIENTIFIQUE EXCEPTIONNELLE
Accompagné du botaniste Aimé Bonpland, Alexandre
de Humboldt voyage entre 1800 et 1805 dans l’«
Amérique équinoxiale », dont deux ans dans les Andes
de Colombie et du Pérou. Il multiplie les observations
naturalistes et pose les fondements d’une géographie
des montagnes, précisant l’étagement de la végétation.
Il cherche à préciser l’altitude du Chimborazo et en
tente l’ascension. Puis, il poursuit l’étude des volcans du
Mexique, dont le Jorullo qu’il observe en éruption. Ce
voyage devait contraster avec l’expédition officielle, plus
frustrante, qu’Humboldt conduisit en 1829 dans l’Oural
et sur les contreforts de l’Altaï, sans avoir le temps
d’approfondir ses investigations.

...

EXPLORATION ET DÉPAYSEMENT
Évidemment, l’exploration des montagnes européennes s’est souvent
apparentée à une forme de prototourisme, dont l’intérêt reposait sur la
recherche d’un exotisme de proximité ; ainsi Alexandre Dumas visitant les
montagnes de Suisse et de Savoie utilise tous les moyens de transport qui
sont à sa disposition et parcourt en un été tous les sites renommés des
Alpes occidentales. Les expéditions dans les Andes, en Himalaya ou en
Alaska offrent un exotisme redoublé où la haute altitude s’ajoute à
l’éloignement. Quand ces voyages s’accompagnent aussi de grandes
ascensions, les explorateurs découvrent des environnements nouveaux et
de nombreux pièges qu’ils apprennent à éviter au fil de leur progression. Les
récits d’exploration en montagne sont donc toujours marqués par une
grande composante d’improvisation face à des situations nouvelles :
l’histoire de l’himalayisme regorge d’épisodes où les premières expéditions
ont passé plusieurs semaines à chercher un sommet convoité qu’elles ne
trouvèrent pas toujours !

...

DES PALAIS ROYAUX AUX TOITS DU MONDE


Les expéditions menées par le duc des Abruzzes tiennent à la fois du voyage
d’exploration et de la conquête des plus hauts sommets, anticipant ainsi sur
le parcours des grands alpinistes de la seconde moitié du XXe siècle. Ce
neveu du roi d’Italie a parcouru tous les continents et réalisé de grandes
ascensions, tant dans les Alpes qu’en Alaska ou en Afrique centrale. Aidé de
guides recrutés dans le Val d’Aoste, il s’est lancé à l’assaut du K2 dont il n’a
pu atteindre le sommet, tout en battant le record d’altitude de l’époque (7
498 m) sur les pentes du Chogolisa. Il participa aussi à la course au pôle,
tandis que sa dernière expédition l’a mené le long du fleuve Chébéli, jusqu’à
ses sources situées dans les montagnes d’Éthiopie.
Les explorations des montagnes ont donc prolongé le grand mouvement
des voyages de découverte. Alimentées par des motivations pratiques,
politiques, sportives ou scientifiques, elles permettent de compléter les vides
que présentent encore les cartes, de préciser les lignes de partage des eaux,
de corriger des altitudes fantaisistes ou de vérifier l’existence de montagnes
imaginaires…
.

Verbatim

« Non Sahib, moi pas suivre toi. Toi très courageux, mais toi
pas connaître dangers montagne ! Toi pas raisonnable,
Sahib !… »
Tharkey à Tintin, Tintin au Tibet, 1960.
Les ascensions et les collections

Lorsqu’il quitte l’Andalousie, Christophe Colomb ignore


la largeur de l’Atlantique et le lieu où il va accoster ; de
même lorsqu’il pénètre dans un gouffre nouveau, le
spéléologue ne sait pas jusqu’à quelle profondeur il va
descendre. Au contraire, la montagne se donne le plus
souvent à voir avant d’être gravie. Elle peut être
contemplée, examinée sous toutes ses faces, des plans
d’assaut sont dressés en fonction de la saison et des
conditions. Une phase d’appropriation par le discours, le
regard, le dessin ou la photo précède donc l’ascension
proprement dite qui, parfois après des années, viendra
couronner le projet longuement mûri.

LA QUÊTE DES PLUS HAUTS SOMMETS


Si la première ascension du mont Fuji (663) a bien été consignée dans les
chroniques, il est souvent plus difficile de savoir avec exactitude quand et
par qui furent gravis de très nombreux sommets. Dans les Andes, des sites
archéologiques de haute altitude précolombiens ont été identifiés sur les
flancs du Coropuna (6 200 m, au Pérou). Toutefois, à partir du XIXe siècle, les
alpinistes vont s’efforcer d’atteindre des altitudes qui étaient jusque-là
restées hors de portée des hommes. Cette quête concerne surtout les
montagnes d’Asie, où l’altitude de 7 000 m est dépassée pour la première
fois en 1907 au Trisul, puis l’altitude de 8 000 m en 1922 sur les pentes de
l’Everest. Mais au-delà des seuils altitudinaux, ce sont surtout les sommets
qui ont motivé l’organisation de grandes expéditions : les Britanniques,
frustrés de la conquête des pôles, tiennent à être les premiers au sommet de
l’Everest (trois jours avant le sacre de leur reine), tandis que les autres nations
se répartiront tacitement les autres 8 000 de l’Himalaya et du Karakoram, et
se hâteront pour en accrocher au moins un à leur palmarès. Les Italiens, par
exemple, s’attachèrent à réaliser l’ascension du K2 en souvenir de
l’expédition de 1909 conduite par le duc des Abruzzes. Finalement, entre
l’Annapurna et le Shishapangma, les quatorze plus hauts sommets de la
planète auront été gravis en moins de quinze ans !

...

UNE CONQUÊTE INACHEVÉE


Dès lors, l’intérêt se reporte sur d’autres sommets : le mont Vinson (4 892 m),
point culminant de l’Antarctique, n’est atteint par une cordée américaine
qu’en 1966. Et dans le Karakoram, le sommet du Saser Kangri II (7 518 m) n’a
pas été foulé avant le 24 août 2011 ! Ainsi, quelques expéditions peuvent
encore accrocher de prestigieuses premières, car il reste en Asie plusieurs
dizaines de sommets dépassant 6 000 et 7 000 m qui n’ont jamais été gravis.
Au Tibet, l’ascension du mont Kailash, sacré pour les bouddhistes et les
hindous, est interdite ; et le Bhoutan a interdit depuis 1994 toute ascension
au-dessus de 6 000 m : le Gangkhar Puensum (7 570 m) reste donc le plus
haut sommet inviolé.
...

L’ÉVOLUTION DES TECHNIQUES


La conquête des plus hauts sommets a d’abord nécessité le recours à des
guides locaux. Puis, dans les années 1880, l’alpinisme « sans guide » est
apparu. Une fois les principaux sommets des Alpes gravis, les alpinistes se
sont intéressés aux sommets secondaires. Le critère de la difficulté
technique est venu s’ajouter, les ascensionnistes se sont alors aventurés
dans des faces plus abruptes, plus longues et plus froides, puis dans des
voies nouvelles, à la fois élégantes et très soutenues (les directissimes). Le
niveau de difficulté a encore été rehaussé par les conditions de l’ascension :
en solo, en hivernale, en technique légère ou en enchaînant les sommets.
Avec quelques décennies de décalage, les mêmes évolutions se sont
retrouvées dans l’Himalaya, les Andes et les autres grandes chaînes.
Les critères d’appréciation de ce qu’est une grande ascension ont ainsi
changé au cours de l’histoire de l’alpinisme. En 1978, Reinhold Messner
gravit l’Everest sans bouteille d’oxygène, ouvrant la voie à une nouvelle
forme d’himalayisme jugée jusque-là impossible ; en 1986, il réalise
l’ascension du Makalu et du Lhotse, bouclant le premier la collection des
quatorze 8 000 (dont plusieurs escaladés deux fois) et il parachève les sept
ascensions majeures de ce qui est devenu depuis la « liste Messner » !

...

SCIENCE ET ALPINISME
Cette prise de risques et cette recherche de la difficulté ont pu légitimer
l’idée que les alpinistes étaient des « conquérants de l’inutile », selon
l’expression de Lionel Terray. Ces ascensions ont constitué autant d’exploits
sportifs, mais elles ont aussi permis de mieux connaître les milieux d’altitude.
Les recherches sur la lumière, sur la haute atmosphère, sur les climats, ont
tiré profit des expériences réalisées depuis des siècles sur les montagnes. Les
alpinistes et les himalayistes ont aussi concouru à l’amélioration des
connaissances physiologiques, surtout lorsqu’ils ont été amenés à séjourner
en altitude, depuis Horace Bénédict de Saussure au col du Géant (3 365 m)
en 1788 jusqu’à Nicolas Jaeger sous le sommet du Huascarán (6 700 m) en
1979.

Verbatim

En conclusion
Qu’elles soient vues d’en bas ou d’en haut, visibles ou
cachées, les montagnes sont appréhendées par les
populations à travers de nombreuses représentations.
L’extrême richesse du vocabulaire et de la toponymie, sans
cesse renouvelés, découle des différentes pratiques autant
que du cadre culturel et religieux ou des imaginaires. La
montagne se révèle bien plus qu’un simple relief et le
drapeau ou la croix plantés au sommet, les tas de pierres,
les écritures monumentales ou les géoglyphes sont des
signes et des symboles de conquêtes. Le « géant
d’Atacama », figure anthropomorphe la plus haute du
monde (86 m), semble ainsi ne faire qu’un avec le flanc
ouest du Cerro Unita (Chili, 1 250 m).
L’acquisition de savoirs et de connaissances sur la
montagne est autant passée par les explorations que par le
développement de techniques de plus en plus
perfectionnées, dont certaines peuvent être mobilisées à
distance.
L’évolution des compréhensions des mondes d’en haut
souligne l’importance des relations aux basses terres et aux
espaces périphériques, en particulier urbanisés, dont ils
sont indissociables. Les nouvelles appropriations de la
montagne en font le lieu de nouveaux enjeux.
« Puisque l’ère des grandes découvertes géographiques est
à peu près terminée, d’autres voyageurs se disputent en
grand nombre l’honneur d’être les premiers à gravir les
montagnes non encore visitées. »
Élisée Reclus, 1880.
Lors de l’inauguration du tunnel du Mont-Blanc le 16 juillet 1965, une stèle
fut dévoilée pour célébrer « le tunnel routier le plus long du monde qui, sous
les montagnes les plus hautes d’Europe, relie deux nations déjà
fraternellement unies ».
Cette courte formule pointe à la fois les enjeux politiques, symboliques,
économiques et techniques du franchissement, qui apparaissent
inextricablement liés. Et près de cinquante ans après, même si le vocabulaire
a changé, il n’est pas un seul Sommet franco-italien qui ne mette à l’agenda
la question des traversées alpines et de la future liaison Lyon-Turin. L’intérêt
pour l’infrastructure à construire est-il également partagé ? L’un des deux
États est-il plus engagé dans le projet ? Est-il en situation de l’imposer à
l’autre ? Si ces enjeux sont perçus avec une telle acuité dans une montagne
pacifiée, ils le sont plus encore lorsque le contexte est conflictuel ou que des
litiges territoriaux pèsent sur les relations entre peuples des montagnes.
Les exploits techniques au service de la

traversée

La montagne est trop souvent associée à un obstacle ou


une barrière au franchissement difficile. Plus encore que
les populations locales, les pouvoirs publics et les acteurs
privés ont très tôt convoqué le génie civil ou militaire
pour des travaux de percement ou la construction de
ponts. Présentés comme autant de prouesses exprimant
la puissance politique, ces aménagements ont souvent
une portée bien au-delà des montagnes. Pour
spectaculaires qu’ils soient, les artefacts ne sont pas les
seuls instruments des traversées. Les solidarités et les
réseaux circulatoires font aussi la cohésion de ces
espaces.
UN EMPIRE DE CHEMINS
Le chemin inca, ou Qhapaq Ñan, désigne bien
davantage qu’un réseau de chemins montagnards de
23 000 km. Au temps de l’Empire inca, il était un des
fondements mêmes d’un système administratif et
politique organisé autour de la capitale, Cuzco. Quatre
sous-ensembles étaient articulés : le Chinchaysuyo qui
allait de l’Équateur au nord du Pérou, le Antisuyo qui
rejoignait la cordillère à l’est, le Contisuyo qui se dirigeait
vers l’ouest jusqu’à la côte, et enfin le Collasuyo qui
ralliait le sud du Pérou, une partie du Chili et une petite
frange de l’Argentine. Parcourus en courant par les
Chasquis, ces jeunes hommes qui distribuaient le
courrier sous forme de message ou d’objet en se
relayant entre des cabanons espacés de deux kilomètres
environ, ces chemins étaient aussi le support d’intenses
circulations. Aujourd’hui réappropriés par le tourisme
sur quelques segments, ils sont dédiés à des treks, en
particulier autour du site du Machu Picchu (Pérou).

DES RECORDS ET DES EXPLOITS…


L’histoire des transports en montagne a alimenté un livre des records où
sont égrenés « les plus hauts », « les plus longs », les plus anciens ou les plus
modernes. À ce jeu, la route qui franchit le col de Kardong (Ladakh) à 5 602
m semble ne pas avoir de rivale, d’autant plus qu’en raison d’un très faible
niveau d’enneigement, elle reste quasiment ouverte à l’année. Ailleurs, les
transports par câbles et la technique de la crémaillère ont permis de partir à
l’assaut des plus fortes pentes.
En la matière, le funiculaire de Katoomba (Blue Mountains en Australie), le
fameux « Mountain Devil », affiche des performances sans égales : sur
seulement 206 m de dénivelée, la pente moyenne est de 84 %, avec un
maximum à 122 % ! Beaucoup de ces installations, au départ construites
pour le transport de pondéreux, sont en partie réappropriées à des fins
touristiques. Érigés en biens patrimoniaux, certains artefacts remarquables
connaissent un engouement immédiat. C’est le cas par exemple du viaduc
de Millau, véritable symbole d’une traversée longitudinale du Massif central.

...

… JAMAIS GRATUITS
Parmi les grandes traversées routières de montagne, la route du Karakorum,
ou Karakoram Highway (KKH), occupe une place à part. Sa construction,
commencée en 1960 dans les gorges de l’Indus, s’est achevée en 1979. Près
d’un millier d’hommes, surtout pakistanais, sont morts pendant le chantier,
ce dont témoignent encore plusieurs cimetières le long de la route. D’abord
entamée sous l’égide de l’armée pakistanaise, cette réalisation visait à
rattacher au pays les régions du nord, après que les conflits indo-chinois de
1962 et indo-pakistanais de 1965 ont bloqué la situation au Cachemire. À
partir de 1973, l’implication du gouvernement chinois allait donner au projet
une dimension qu’il n’avait sans doute pas au départ. Il s’agissait désormais
d’une route moderne, large et recouverte que les Pakistanais appelèrent dès
lors KKH. Si le col de Khunjerab est aujourd’hui un des postes frontaliers les
plus élevés au monde (4 693 m), un écroulement bloque depuis 2010 la
vallée de la Hunza au niveau du lac d’Attabad. Entre Kashgar (Turkestan
chinois ou Xinjiang) et Islamabad, la capitale pakistanaise, son rôle
stratégique demeure évident aujourd’hui.
Sa place de plus haute route asphaltée au monde lui est disputée par l’axe
Tingri-Nyalam (Chine), qui s’élance sur le versant nord de l’Himalaya avant de
rejoindre le Népal au niveau du « pont de l’Amitié ». Seule route carrossable
entre les deux pays, elle a été construite dans les années 1960 pour relier
Katmandou à Lhassa, depuis plusieurs années passée en territoire chinois.
Régulièrement fermé pour des raisons politiques dans la seconde moitié du
XXe siècle, cet axe a une importance commerciale non négligeable. Notons
que depuis 2006, Lhassa est aussi reliée à Pékin par la plus haute ligne
ferroviaire au monde, avec le passage du col de Tangula Shankou à 5 068 m
d’altitude. Exploit technique sans doute, entrepris à visées géopolitiques
assurément.
...

LES « ROUTES DU VERTIGE »


Beaucoup d’itinéraires de montagnes sont aujourd’hui associés à des
parcours vertigineux qui attirent quantité de touristes. Les routes évoquées
plus haut, de même que certains segments élevés des routes de la soie, sont
ainsi parcourus par des motards ou des automobilistes en mal de sensations
fortes.
En France, les routes du Vercors (et parmi elles celles des gorges de la
Bourne ou des Grands Goulets taillées dans la verticalité des parois calcaires)
font partie des itinéraires alpestres incontournables. Leur construction,
entamée dès la seconde moitié du XIXe siècle, s’inscrit dans une véritable
mythologie locale. Il en va de même pour la route des Grandes Alpes, entre
Thonon et Menton. Élaboré à l’instigation du Touring Club de France, son
cahier des charges, qui visait à mettre en réseau les passages les plus élevés
en altitude, fut atteint avec l’ouverture de l’Iseran (1937, 2 764 m).
PERCER POUR PASSER
Le tunnel de la Traversette, ou pertuis du Viso, long de
70 m, s’ouvre à 2 900 m d’altitude entre le Queyras et la
haute vallée du Pô. Tout premier tunnel creusé dès
1480, il évitait de franchir une crête escarpée située à
peine 30 m plus haut.

Verbatim

« Entre ces deux passages, il y a un nouveau passage bien


merveilleux pour entrer au pays d’Italie. C’est un pertuis
qu’on a fait à côté du mont Viso par une montagne qu’on a
percée tout outre, il y a treize ans. »
J. Signot, 1515.
« Effacer » la montagne pour mieux la

traverser

Souvent reprise par Mao Zedong, une vieille légende


chinoise évoque Yukong, ce paysan parvenu, au prix
d’intenses efforts, à déplacer deux montagnes qui
bloquaient l’accès à sa maison. Dans le monde
contemporain, les traversées des montagnes reposent
sur des ambitions techniques et politiques qui tendent à
leur effacement. Les tunnels de base transalpins sont un
des avatars infrastructurels les plus aboutis de ce
processus historique. Face à des espaces plus traversés
que réellement desservis (« l’effet tunnel »), des
mouvements s’organisent pour revendiquer une place
mieux maîtrisée par les sociétés locales.

DES TRAVERSÉES DE MOINS EN MOINS HAUTES


Les lieux communs peinent à débarrasser le théâtre des représentations à
propos des mobilités en montagne. Barrière infranchissable ici, obstacle à
contourner là, les reliefs opposeraient des contraintes insurmontables. La
découverte d’Ötzi dans les Alpes de l’Ötztal (1991) peut servir de premier
démenti. Retrouvé à près de 3 200 m d’altitude, cet homme semblait bel et
bien capable il y a 4 500 ans de circuler à travers les Alpes…
Les historiens nous ont d’ailleurs depuis longtemps appris l’ancienneté et
l’importance des passages transalpins : Hannibal et ses éléphants, pour
lequel on ne cesse ici ou là de revendiquer des itinéraires possibles, les
armées successives (des Carolingiens aux troupes napoléoniennes), les
routes commerciales comme celle du sel ou des colporteurs, les récits de
marches au long cours ou les traditions des « messes lointaines » attestent
un espace depuis longtemps parcouru, sillonné et traversé. Des documents
fonctionnels anciens comme la Table de Peutinger se présentent comme les
ancêtres des cartes routières et renseignent sur l’abondance des chemins et
les traversées possibles par les grands cols.
Le développement des moyens motorisés et des infrastructures adaptées,
depuis deux siècles, a permis l’augmentation des vitesses, mais a aussi
conduit à la concentration des flux. Dans les Alpes, en particulier, il en résulte
un processus de fermeture généralisée. Autrefois pratiqués toute l’année, de
nombreux hauts cols restent ainsi fermés plusieurs mois et sont réaffectés
l’hiver à des pratiques touristiques. Le déneigement de la chaussée pour «
retrouver le noir » n’a en effet plus la même nécessité socio-économique.
Après la fermeture du tunnel du Mont-Blanc (incendie de 1999), une
situation hivernale inédite a placé quelques jours les tunnels du Fréjus en
position d’uniques passages terrestres franco-italiens !
...

UN TRIPLE PROCESSUS HISTORIQUE


Des dynamiques spatiales récurrentes ont accompagné la modernisation
des transports. Trois formes de glissement peuvent ainsi être identifiées.
Pour les itinéraires principaux, il s’agit d’abord d’un délaissement progressif
des hauts de versants pour les fonds de vallées. Là se concentrent désormais
les grandes autoroutes et les grandes structures ferroviaires au débouché
des principaux tunnels. La position de ceux-ci est elle-même redevable d’un
glissement vertical, depuis les tunnels sous col ou tunnels de faîte. Creusés
en altitude pour des percements de moindre longueur (la Traversette, le
Galibier…), ils ont peu à peu cédé la place à ce qu’on appelle, depuis le XIXe
siècle, des tunnels de base routiers, comme dans les Pyrénées avec le
monotube d’Aragnouet-Bielsa ou le tunnel du Somport.
Quant aux tunnels ferroviaires, la voie ferrée du Hauenstein (Suisse),
inaugurée en 1916, en est un exemple représentatif. Les nouvelles
transversales ferroviaires à travers les Alpes (Lötschberg, Saint-Gothard) ont
depuis donné à ce concept une ampleur nouvelle avec des traversées dites «
de plaine », dont l’altitude des grands tunnels dépasse à peine 500 m.
Résultant des deux précédentes, la dernière forme de glissement consiste en
une extériorisation des principaux points de rupture de charge vers la
périphérie des massifs. Pour les Alpes, elle fait des grandes agglomérations
situées en plaine comme Lyon, Turin, Munich ou Milan les véritables portes
de la montagne. Le projet toujours discuté dans d’intenses débats du Lyon-
Turin à grande vitesse s’inscrit dans cette dynamique, avec un tunnel
international de 57 km, entre Saint-Jean-de-Maurienne en France et Suse en
Italie. Malgré l’hypothèse de gares intermédiaires (à Chambéry ?), les deux
grandes métropoles polariseraient plus que jamais la traversée.
...

L’INGÉNIERIE AU SERVICE D’UN RETOUR POLITIQUE DU LOCAL ?


Les sociétés montagnardes manifestent parfois leur volonté de
réappropriation de ces grandes infrastructures. Terminée en 1929, la ligne
Toulouse-Barcelone traverse les Pyrénées par le tunnel de Puymorens (à 1
500 m d’altitude environ) grâce à de fortes rampes et à un tunnel en hélice
dans la haute vallée de l’Ariège. Pour minimiser ce qui pouvait être perçu
comme un effacement, il fut un temps envisagé de construire une gare au
centre du tunnel afin de desservir par ascenseur une station de ski aux
environs du col. Bien des années plus tard, le projet de la Porta Alpina lié au
tunnel de base du Saint-Gothard lui fait écho. Une gare souterraine devait là
aussi relier Sedrun en surface par l’entremise d’installations de plusieurs
centaines de mètres de long ! Comme son devancier, il sera finalement
abandonné par le gouvernement des Grisons en septembre 2007. Le
tourisme peut aussi parfois se révéler un allié de poids pour le maintien de
certaines lignes des traversées ferroviaires des Rocheuses canadiennes ou de
l’Altiplano bolivien.

...

IL EST PASSÉ PAR ICI, IL NE REPASSERA PAS PAR LÀ !


Les dernières années ont vu s’exprimer avec vigueur des mouvements de
refus de ces grandes infrastructures traversières. Arguant de différentes
formes de pollution et animés par le souci de reprendre la main, des
associations et des collectifs se sont constitués pour restreindre certaines
circulations ou faire abandonner certains projets.
Les NO TAV (« Non au train à grande vitesse » en italien) forment un
mouvement populaire emblématique de ce type de contestation. Parti du
Val de Suse, il s’est aujourd’hui étendu de part et d’autre de la chaîne pour
dénoncer la future liaison Lyon-Turin.

Verbatim

« On conte que Hegel, devant les montagnes, dit


seulement : “C’est ainsi […], le spectacle des montagnes
donne quelque idée du fait accompli, par cette masse qu’il
faut contourner.” »
Alain, 1926.
Les montagnes dans la guerre

Les combats qui se poursuivent sans discontinuer depuis


1979 en Afghanistan ou les guerres en Yougoslavie et
dans le Caucase alimentent l’idée que les montagnes
sont devenues le lieu de prédilection des conflits armés
du monde contemporain. Une violence endémique serait
même devenue une caractéristique de nombreux espaces
montagnards. Or, si les guerres nous heurtent partout,
elles peuvent nous paraître encore plus inacceptables en
montagne, tant elles entrent en contradiction avec des
représentations qui idéalisent une montagne irénique,
harmonieuse, lieu de concorde et de vertu civique…
DES THÉÂTRES PÉRIPHÉRIQUES
La guerre en montagne est spectaculaire, elle frappe les imaginations en ce
qu’elle ajoute à la violence des combats les rigueurs extrêmes liées à
l’altitude, tant pour les combattants que pour le matériel. Mais son rôle
stratégique doit être relativisé. Si les deux guerres mondiales ont entraîné de
rudes combats dans des zones de montagne, les belligérants n’y ont pas
emporté de victoire décisive : le 8 mai 1945, les troupes de l’Axe tenaient
encore la plus grande partie des Alpes orientales, sans que cela ait eu de
conséquence sur l’issue de la guerre. De nombreuses guerres de libération
nationale favorisèrent le développement de maquis dans les zones de
montagne, mais c’est dans les villes et sur les tribunes internationales que se
sont jouées les indépendances. Dans bien des cas, la montagne permet à
l’un des antagonistes d’installer le conflit dans la longue durée, dans l’attente
d’une évolution ou d’un renversement des rapports de force : la guerre dure
dans la montagne, mais elle s’y gagne rarement.

...

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA GUERRE EN MONTAGNE


Tout au long du XXe siècle, la guerre en montagne a été marquée par un
double mouvement de singularisation et de banalisation. D’un côté, la
plupart des États ont développé des troupes spécialisées (les chasseurs
alpins ou les Alpini), dotées d’armement adapté, alors qu’auparavant, la
troupe traversait les massifs sans matériel ni préparation appropriée. Les
militaires ont organisé l’apprentissage du ski, dont ils avaient compris
l’intérêt pour le déplacement des troupes. Et la possession de grands
sommets a été fort prisée des offices de propagande : que l’on songe aux
Allemands, puis aux Soviétiques au sommet de l’Elbrouz dans le Caucase…
Mais d’un autre côté, les fronts d’altitude ont aussi connu les guerres de
tranchées, que ce soit sur la crête des Vosges ou dans les Dolomites et les
Alpes juliennes. Le recours aux moyens aériens et aux satellites a réduit
l’avantage que procuraient les positions hautes en matière d’observation et
les possibilités de dissimulation qu’offraient les massifs montagneux. Le
transport de troupes aéroportées (hélicoptères, planeurs ou parachutistes) a
eu raison du caractère inexpugnable des régions réputées les plus
inaccessibles (Crète en 1941 ou Vercors en 1944).
L’après-guerre. Lorsqu’elles se terminent, les guerres en montagne laissent
des paysages durablement marqués. La remise en état paraît moins
pressante que dans les régions de plaine, et plusieurs massifs libanais n’ont
pas encore été déminés depuis la fin de la guerre civile en 1990, tandis que
de nombreux secteurs des Alpes occidentales (frontière franco-italienne) ou
orientales (frontière austro-italienne ou Alpes slovènes) recèlent encore des
réseaux de fils barbelés à moitié enfouis… que les associations nettoient
petit à petit depuis les années 1980.

...

LA PLUS HAUTE GUERRE DU MONDE


Loin d’être des espaces délaissés, les montagnes sont convoitées même
lorsqu’elles semblent former des angles morts ou de lointaines périphéries.
Parfois, le conflit s’y enkyste justement parce qu’il n’affecte pas le centre des
espaces nationaux. Ainsi en est-il du glacier du Siachen, où les troupes
indiennes et pakistanaises se font face depuis 1984 à plus de 6 000 m
d’altitude ! Dans cette région du Cachemire, la ligne de contrôle établie en
1949 s’interrompait une trentaine de kilomètres avant la frontière chinoise
(elle-même contestée). Demeurait alors en amont un secteur
d’appropriation incertaine au débouché du col du Karakoram. Les Indiens
ont pris le contrôle de ce glacier en 1984 et ont relégué les troupes
pakistanaises derrière la crête du Saltoro : à ces altitudes, tout assaut paraît
impossible, et la situation militaire semble bloquée depuis le cessez-le-feu
de 2003. Mais le Siachen reste un théâtre très périphérique dans
l’affrontement indo-pakistanais, dont ni la causalité ni la résolution, violente
ou pacifique, ne peuvent se résumer à cette étonnante guerre des glaciers.

...

LES GUERRES DU CAUCASE


Dans le monde contemporain, les régions caucasiennes restent de hauts
lieux de la conflictualité. Depuis plus de vingt ans, les guerres de
réorganisation de l’espace postsoviétique se déroulent dans des montagnes
où les Caucasiens s’étaient opposés à la conquête russe dès les XVIIIe et XIXe
siècles. La frontière entre la Russie et la Géorgie suit la crête du Grand
Caucase, coupant en deux les régions de peuplement ossète.
Ces dernières années, les peuples caucasiens ont cherché à rejeter tant la
tutelle russe (les Tchétchènes) que la tutelle géorgienne (les Abkhazes),
trouvant parfois l’appui de la grande puissance rivale dans des alliances au
fort pouvoir de contagion régionale. Plus au sud, dans le Petit Caucase, les
affrontements ont opposé Arméniens et Azéris pour le contrôle d’enclaves
réciproques héritées des frontières soviétiques…
Ces combats, tantôt larvés, tantôt ouverts, se déroulent dans une région où
les enjeux liés aux hydrocarbures sont omniprésents, le tout à la frontière de
la Turquie, puissance régionale et pilier de l’Otan. Les guerres du Caucase
illustrent donc bien cette situation de montagnes plongées dans des
guerres qui les dépassent.
.

Verbatim

« Le pâturage était interdit vers la frontière et, pour la


première fois depuis des siècles, dans dix chalets on n’était
pas monté à l’alpage. Le long des chemins, on traînait à
bras d’hommes les gros canons. »
Rigoni Stern, 1978.
Gagner par les hauts, gagner par les bas

Dès 1921, Jean Brunhes et Camille Vallaux, rejetant une


idée bien ancrée, affirmaient : « La valeur des montagnes
comme barrière a toujours été fort exagérée. À l’épreuve,
aucune montagne ne s’est montrée insurmontable. » Les
exemples abondent de combats en montagne où l’audace
et la rapidité de mouvement furent décisives. Pour qui
sait exploiter la dimension verticale, la montagne permet
d’inverser le rapport du faible au fort. Elle permet aussi
bien le franchissement offensif que la défense acharnée,
la mobilité de petits groupes de guérillas ou les
interminables guerres de positions…

LA MONTAGNE FORTIFIÉE
Tenir les hauts, bloquer le débouché des vallées, contourner les massifs,
franchir les gorges et fondre sur les plaines… sont autant de figures
classiques de la guerre en montagne qui met toujours en jeu les trois
dimensions de l’espace.
Certaines montagnes en position frontalière ont été fortifiées afin de
bloquer les mouvements de troupes. On trouve les fortifications aussi bien
dans les fonds de vallée, le long des versants que sur les sommets et le long
des lignes de crête. À l’époque moderne, le col du Théodule, à la frontière du
Valais et du Val d’Aoste, portait le plus haut bastion d’Europe à environ 3 300
m ; à cette altitude, il n’était probablement tenu que pendant l’été. Lors des
guerres du XXe siècle, lorsque les forteresses d’altitude étaient occupées tout
au long de l’année, les premiers téléphériques ont été construits pour les
approvisionner quelles que soient les conditions de neige. Et les routes de
montagne ont souvent été construites pour desservir des fortifications ou
surveiller des cols frontaliers.
...

QUAND LA MONTAGNE FAVORISE LA MOBILITÉ


Mais cette dimension statique rend mal compte de ce qu’est la guerre en
montagne. Car loin d’allonger systématiquement les distances, la montagne
peut aussi les raccourcir de façon spectaculaire, surtout lorsqu’un nœud
orographique majeur donne sur plusieurs vallées : le franchissement de cols
permet alors de basculer rapidement, de porter l’attaque là où on ne l’attend
pas, de prendre à revers des défenses ennemies. Hannibal, en franchissant
les Alpes avec ses éléphants, s’y était-il pris autrement ? Et les ingénieurs
militaires qui dressèrent les premières cartes précises des Alpes ou des
Pyrénées ne s’y étaient pas trompés.
Vue depuis la plaine, la montagne est surtout perçue à travers les problèmes
de circulation et les chausse-trappes qui y guettent toute troupe armée.
L’inversion du regard permet pourtant de considérer le théâtre d’opérations
depuis l’amont. La montagne réserve alors de formidables occasions de
mouvement. Les raids en montagne ont ainsi fondé leur succès sur des
itinéraires transversaux aux grandes vallées, de façon à contourner les
défenses sans avoir à les forcer. En août 1689, une troupe de 900 vaudois
rallient en dix jours les rives du Léman à la vallée de Torre Pellice (Piémont),
soit environ 225 km, en se jouant des troupes savoyardes, françaises et
piémontaises et en franchissant plusieurs cols à plus de 2 000 m, dont
l’Iseran.
La bataille de Caporetto (24-25 octobre 1917) a illustré la notion d’attaque
par les hauts. Depuis plus de deux ans, le front entre l’Autriche et l’Italie était
bloqué dans les Alpes orientales, avec des combats souvent à plus de 2 000
m. À l’automne 1917, les Allemands et les Autrichiens ont percé le front de
l’Isonzo par une attaque lancée depuis les pentes du Krn, faisant sauter le
verrou de Caporetto. Progressant dans la plaine du Frioul, ils sont finalement
bloqués sur le Piave. La montagne avait permis le mouvement, la plaine
favorisait la défense.
Bien sûr, les mouvements par les hauts n’ont pas toujours été couronnés de
succès. Ainsi, lorsqu’en juillet 1747, les Français ont tenté de pénétrer en
Piémont en contournant le fort d’Exilles par les crêtes, les Austro-Piémontais
sont parvenus à les stopper à la tête de l’Assiette après une journée de
combats au-dessus de 2 600 m.

...

COMPLÉMENTARITÉ DES HAUTS ET DES BAS


Depuis 1994, les guerres en Tchétchénie ont associé mouvements rapides et
guerre de position. Dans les années qui ont suivi 1999-2000, les Russes se
sont surtout efforcés de contenir les insurgés dans les montagnes et de
sécuriser le piémont, c’est-à-dire Grozny et les voies de communication
(dont l’oléoduc) qui longeaient la retombée nord du Caucase. Au
traditionnel « Qui tient les hauts tient les bas » tendait à se substituer la règle
selon laquelle « Qui tient les bas n’a plus besoin des hauts ». Mais pour les
combattants tchétchènes, la montagne a aussi offert une base de départ
pour de multiples raids en direction des républiques caucasiennes voisines
ou vers les plaines. Progressivement, les Russes et leurs alliés locaux se sont
donc attachés à réduire les poches de résistance installées dans la
montagne, pour sécuriser à la fois l’espace nord-caucasien et la frontière
avec la Géorgie, théâtre d’autres enjeux.
...

ET EN HIVER ?
Bien sûr, les guerres en montagne sont fortement marquées par la
saisonnalité, mais elles ne s’interrompent pas toujours pendant l’hiver. En
février 1945, les Allemands tentent une incursion dans le massif du Mont-
Blanc ; grâce au téléphérique de service de l’aiguille du Midi, ils sont arrêtés
lors de combats nocturnes à 3 600 m ! Les guérillas de montagne se
caractérisent par leur capacité à tenir le terrain en toutes saisons, et les
attaques menées au cœur de l’hiver bénéficient d’un effet de surprise
souvent redoublé.

Verbatim

« Le capitaine remontait lentement, entre les hautes


fontaines de neige des obus français, le névé sous le col de
la Seigne, pour rejoindre le bataillon Edolo qui défilait déjà
le long du bord de la Combe Noire. »
C. Malaparte, 1941.
Les montagnes refuges

Métaphore classique de la montagne, le refuge s’applique


aussi à l’île ou à l’oasis, et il arrive que ces figures se
combinent pour parachever l’image du refuge naturel et
imprenable. Mais si le refuge évoque un nid plutôt
douillet, la montagne a souvent fonctionné en espace de
relégation, plus subi que choisi, pour des hérésies
persécutées, pour des minorités ethniques ou pour des
peuples premiers repoussés par la colonisation. C’est
ainsi que certaines montagnes apparaissent comme des
conservatoires de traditions culturelles ou nationales,
parfois comme des isolats linguistiques ou religieux, où
vivent ici des Berbères, là des Hongrois sicules ou des
vaudois du Piémont.
LES HAUTS COMME SIMPLES CONSERVATOIRES ?
Par convention, l’Asie du Sud-Est s’étend à l’est de l’Inde
et au sud de la Chine. De fait, sur le temps long, le
peuplement de cet espace se révèle complexe et
largement influencé par les processus de sinisation et
d’indianisation.
Les protopopulations et les sociétés de la région n’ont
sans doute pas eu ici le rôle passif dans lequel on a
souvent voulu les cantonner. Elles ont bel et bien
participé aux grands mouvements de populations et
aux grands processus civilisationnels qui ont traversé les
grandes plaines littorales et les grands couloirs fluviaux
comme ceux de l’Irrawaddy, du Chao Phraya, de la
Salouen, du Mékong ou du Sông Hong. Dans ce
contexte, on aurait tort d’envisager les montagnes
comme un « musée des peuples » premiers. Même
combattues, paupérisées et/ou folklorisées, les
populations tibéto-birmanes des hauts, les Hmong-Yao,
les Karen ou les Môn-Khmer des montagnes prennent
en effet leur place dans les sociétés contemporaines.

LES CONDITIONS DU REFUGE


Pour que la notion ait un sens, la montagne refuge doit être accessible, mais
à l’écart des grands axes ; jugée accueillante pour qui y cherche un asile,
mais répulsive pour les peuples d’en bas qui construisent des empires et en
négligent les angles morts. La fonction de refuge est attestée à toutes les
époques. Archétype du rapport des sociétés à la montagne, elle se décline à
des échelles complémentaires…
...
DE L’HABITAT AU MASSIF REFUGE
À l’échelle du village ou du groupement élémentaire, la fonction du refuge
s’est traduite par le perchement de l’habitat, fréquent autour du bassin
méditerranéen (en Provence, en Italie du Sud…), mais aussi dans les villages
troglodytes des Pueblos à Mesa Verde (Colorado). Les phases de
perchement sont corrélées à des périodes de grande insécurité ; lorsque la
stabilité revient, les habitats peuvent descendre des hauteurs et se
rapprocher des routes dans les plaines. La complémentarité joue alors entre
les deux implantations, selon la saison et selon le contexte historique.
À l’échelle de la région, la montagne refuge correspond à une forme plus
structurelle du peuplement et répond à de grands mouvements historiques
en Asie du Sud-Est ou en Afrique du Nord. Face à une nouvelle donne
territoriale, le repli sur la montagne permet le maintien d’une certaine
autonomie politique et la pérennisation des pratiques culturelles, parfois sur
un temps très long. L’habitat de montagne, lorsqu’il s’accompagne d’un
isolement marqué, peut engendrer la constitution de microsociétés, comme
dans les îlets des cirques de La Réunion (Salazie, Cilaos ou le très enclavé
Mafate dans lequel ne circule aucune route).
Au Liban, les montagnes ont surtout été les refuges de groupes
confessionnels locaux ou minoritaires au sein de leur religion : les maronites
dans le mont Liban, première préfiguration de ce qui deviendra l’État
indépendant en 1943, les Druzes dans le Chouf ou les chiites dans les
montagnes du Sud ou dans la Bekaa. Cette géographie se retrouvait en
partie en Syrie, avec le djebel Druze qui constitua un État éphémère dans les
années 1920, au début du mandat français. Par opposition, les sunnites et les
Grecs orthodoxes étaient majoritaires dans les villes et les plaines littorales,
situées juste en contrebas.
.

Verbatim

En conclusion
En termes géopolitiques, les enjeux dépendent de la façon
dont s’articulent les montagnes, les frontières et les
territoires des États. Au Canada, l’achèvement des lignes
transcontinentales a été un moment fort dans la
construction nationale et les points de franchissement des
Rocheuses (col Rogers, col Kicking Horse) sont devenus des
lieux de mémoire. Entre Bologne et Florence, le tunnel
ferroviaire de Vaglia, sous les Apennins, long de 18,7
kilomètres, a permis depuis 2009 de mettre les deux villes à
moins de 40 minutes l’une de l’autre.
Mais dès que plusieurs états sont en jeu, le creusement
d’un tunnel sous une crête frontalière suppose la signature
d’un traité international. Le développement des échanges
entre le Chili et l’Argentine a nécessité la densification des
voies de passage à travers les Andes devenues une
interface active. Dans les Alpes ou dans les Pyrénées, les
échanges d’un versant à l’autre passent aussi par la
construction de lignes électriques internationales, souvent
contestées par les populations. Quant aux ouvrages qui
relient le Pakistan au nord de l’Inde, ils restent tributaires
des relations diplomatiques entre les deux pays et leur
voisin chinois.
« Au fond, le Djurdjura, énorme, impassible, dont les
sommets enneigés, confondus avec la brume, se perdent
tout haut, infiniment. Ce sont les remparts de plomb qui
nous séparent du monde. »
Mouloud Feraoun, 1957.
Dans la grande Encyclopédie dirigée par Diderot et d’Alembert, un article ne
manque pas de retenir l’intérêt, celui consacré aux crétins des Alpes,
populations dégénérées et un peu mystérieuses que l’on trouvait
habituellement dans les vallées reculées, et en particulier dans le Valais…
Mais, l’article « Valais » réserve pour le coup une tout autre vision, celle d’une
région idyllique, prospère et bien cultivée, dont les habitants affables
entretiennent les mœurs les plus policées. Comment la même montagne
peut-elle donc être ainsi le lieu de cette contradiction majeure ? Comment
peut-elle à la fois abriter une population aux limites de l’humanité et offrir les
conditions de vie les plus enviables ?
Or, ces représentations paradoxales ont largement survécu jusqu’à nous, et
nombre d’ouvrages insistent encore sur l’inhospitalité fondamentale de la
montagne où l’humanité subsisterait dans une situation d’inconfort définitif,
alors que tant de situations de par le monde sont là pour les démentir.
Montagnes vides, montagnes pleines

À l’échelle planétaire, le premier constat des manuels de


géographie du peuplement renvoie à une diminution
générale de la densité de population avec l’altitude. Les
statisticiens ne manquent pas de le nourrir de chiffres qui
semblent renvoyer les montagnes à des images de
déserts humains. La population mondiale vivrait ainsi à
320 m d’altitude moyenne et serait massée pour près des
3/5 à moins de 200 m et des 4/5 à moins de 500 m… Les
chiffres ont bien sûr la valeur qu’on leur donne et il est
aisé de les relativiser d’un continent à l’autre ou en
fonction des systèmes de peuplement et, surtout, de
dénoncer des corrélations simplistes.

QUELLES LIMITES ?
Dans de nombreuses montagnes, les densités s’effondrent dès les premières
hauteurs. En la matière – et pour partie en raison du recul historique du
peuplement gaélique –, l’Écosse offre un des cas les plus spectaculaires. Dès
400 ou 500 m, une fois passés les derniers crofts, s’ouvre un espace pour
ainsi dire vide d’hommes. À l’inverse, de vastes étendues terrestres
enregistrent des densités importantes en continu au-delà du seuil des 500 m
: les hautes terres mexicaines et le plateau brésilien, l’Afrique des grands lacs
et le Drakensberg, les Ghats indiens, les rebords méridionaux de l’Himalaya
et la Chine orientale, la péninsule ibérique et l’Anatolie sont quelques
exemples significatifs.
Les différents plafonds de l’habitat humain sont l’objet d’une certaine
confusion. Beaucoup d’auteurs les situent autour de 5 000 m. Même si la «
stratégie du développement de l’Ouest » du gouvernement chinois a
conduit ces dernières années au relogement forcé de populations à des
altitudes inférieures, les hauts plateaux tibétains du Chang Thang n’ont-ils
pas abrité jusqu’à 500 000 pasteurs nomades dans des espaces avoisinant 5
400 m ? Les villes minières andines ont elles aussi porté le peuplement au-
delà de 4 000 m en Bolivie (Potosi et ses 200 000 habitants) ou jusqu’à 5 500
m à Aucaunquilcha (nord du Chili), où les installations ont fermé au milieu
des années 1990. Et les garnisons militaires indiennes et pakistanaises du
glacier du Siachen se font face toute l’année à des altitudes supérieures à 6
000 m !
Les problèmes physiologiques liés à la raréfaction de l’oxygène et à la baisse
de la pression atmosphérique sont souvent mis en avant et s’expriment à
travers le fameux « mal des montagnes » aux symptômes connus : vertiges,
maux de tête, nausées, inappétence… En dehors d’une acclimatation
progressive et avant la diffusion récente des caissons à oxygène par des
opérateurs spécialisés, le retour rapide à des altitudes basses a souvent été la
seule échappatoire pour les touristes désireux de s’aventurer au-delà de
certaines altitudes. Mais chez les populations locales, des études ont pu
mettre en évidence des formes d’adaptation morphologique, par exemple
l’hypertrophie du muscle cardiaque chez les Aymaras de l’Altiplano bolivien.
...

QUAND ON VIT MIEUX EN HAUT


Rapportées à l’altitude, les courbes de peuplement présentent des
irrégularités remarquables. En Afrique, les densités s’accroissent nettement
entre 1 000 et 1 500 m, phénomène également sensible entre 3 000 m et 4
000 m en Amérique latine. Cette « inversion » du peuplement est redevable
d’explications multiples : dynamiques de refuge ou installations historiques,
davantage de fraîcheur et d’humidité au-dessus des zones sèches, plus
grande salubrité liée à la disparition de certains vecteurs pathogènes dans
les zones tropicales humides : la fièvre jaune cesse ses ravages aux alentours
de 1 000 m, de même que des épizooties comme la trypanosomiase, tandis
que le paludisme, ou malaria, étymologiquement relié aux « marais » et au «
mauvais air », est pour ainsi dire inconnu au-delà de 2 000 m…
Empires aztèque et inca, Abyssinie, Arabia Felix (actuel Yémen), les espaces
de grandes civilisations d’altitude ont été nombreux. Aujourd’hui encore,
près de 85 % des Équatoriens sont andins et sept Boliviens sur dix vivent au-
dessus de 3 000 m ! Et la formule du géographe Jean Gallais, qui voyait « la
montagne la plus peuplée du monde » en Éthiopie, conserve toute sa force
avec 80 % de ses 91 millions d’habitants au-dessus de 1 500 m.

...

DES PICS TEMPORAIRES DE DENSITÉ EN ALTITUDE


Concentrées dans l’espace et dans le temps, certaines mobilités peuvent
aussi occasionner des densifications notables en altitude. Les grands
déplacements touristiques hivernaux engendrent un déplacement du
centre de gravité à l’intérieur des massifs des Alpes et en direction de leurs
stations. Des événements sportifs, comme les arrivées en altitude du Tour de
France, donnent aussi lieu à des gradients démographiques avec un public
massé au bord des routes. Enfin, certains rassemblements ponctuels sont
significatifs comme ces messes d’été à Rochemelon (Piémont, 3 538 m) ou
en 2012 le rassemblement de Bugarach (Corbières) pour la « fin du monde
»…

Verbatim

« Dans les contrées de l’Europe privilégiées de la Nature, on


compte huit cents habitans par lieue quarrée ; sur le sol
ingrat de la Suisse, on en compte plus de mille. »
François Robert, 1789.
Habitats montagnards, villes de montagne

Avec 19 millions d’habitants, Mexico est l’une des plus


grandes agglomérations urbaines du monde, située à 2
250 m d’altitude : autant dire que les montagnes ne se
réduisent pas aux images bucoliques d’agro-pastoralisme
ni aux champs de neige… Mais une ville dite de montagne
est-elle toujours une ville située en altitude ? Dans les
Alpes, Grenoble et Trente culminent autour de 200 m,
Innsbruck à 500 m. Aussi, la ville de montagne,
indépendamment de son altitude, est celle dont les
fonctions sont liées à la montagne : maîtrise des
itinéraires de traversée, impulsion de l’équipement
industriel ou touristique, organisation du territoire…

POURQUOI ÉTABLIR DES VILLES EN MONTAGNE ?


Villes créées sur des bassins miniers, villes liées à de grands itinéraires de
franchissement, villes thermales ou touristiques, villes répondant à des
objectifs militaires… les fonctions urbaines en montagne disent la diversité
des cas de figure. Ici, les empires coloniaux ont pu privilégier des sites
urbains d’altitude, soit pour assurer la continuité avec le pouvoir précolonial
comme à Mexico, soit pour faciliter l’acclimatation des colons comme à
Nairobi. Là, les villes de pied de col constituaient des relais où les voyageurs
laissaient passer une mauvaise tempête avant de se lancer sur les routes de
montagne.

...
QUEL SENS DONNER AUX CAPITALES D’ALTITUDE ?
Vingt-sept États ont aujourd’hui leur capitale à plus de 1 000 m d’altitude ;
les uns sont des États enclavés, d’autres s’ouvrent sur une façade maritime.
Comparé aux grandes métropoles, Thimphu (Bhoutan) n’a guère que 80 000
habitants. Parmi ces capitales, peu sont vraiment des villes mondiales :
Mexico est la seule à avoir accueilli des événements sportifs majeurs ou de
grands sommets internationaux et Addis-Abeba abrite depuis 1963 le siège
de l’Union africaine. Les capitales en altitude jouent donc surtout un rôle à
l’échelle nationale, sur le plan politique et symbolique : pour certaines, leur
statut est un héritage assumé de la période coloniale, comme Nairobi, née
avec le réseau ferroviaire au début du XXe siècle. Pour d’autres, leur situation
sur des plateaux d’altitude résulte du choix de se recentrer dans l’espace
national, comme lorsque la capitale du Brésil fut installée à Brasilia ou celle
de la Tanzanie à Dodoma. En Arabie Saoudite, le gouvernement quitte
chaque année Riyad (altitude : 612 m) et prend ses quartiers d’été à Taïf, à 1
680 m d’altitude dans la chaîne des Sarawat ; la population de la ville double
alors. Dans certains cas, ces capitales politiques s’organisent dans un lien de
complémentarité avec un port qui concentre les fonctions d’échange,
comme Guayaquil en Équateur ou Mombasa au Kenya.
...

LES PAYSAGES URBAINS DANS LA VERTICALITÉ


Dans les villes de montagne, la segmentation sociale s’organise à la fois
selon la pente, l’altitude et l’exposition : à La Paz (Bolivie), la ville historique et
les quartiers résidentiels autour de la place Murillo occupent le centre de la
Cuenca (cuvette) vers 3 650 m. Puis, la ville s’est développée à la fois vers le
bas, le long des vallées jusque vers 3 200 m, et vers le haut en direction de
l’Altiplano : l’aéroport international le plus élevé du monde et les quartiers
les plus pauvres se tiennent sur les plateaux d’El Alto, entre 3 900 et 4 160 m
! Trois téléphériques sont actuellement en construction pour faciliter les
déplacements des 1,5 million d’habitants de l’agglomération.
...

LES URBANISATIONS TOURISTIQUES


Le tourisme au XXe siècle a fortement stimulé la croissance urbaine en
montagne : dans les Alpes, Chamonix et Davos dépassent les 10 000
habitants permanents, tandis que Val d’Isère propose plus de 30 000 lits
touristiques en saison pour 1 500 habitants permanents environ.
L’architecture des stations d’altitude a repris certains volumes urbains
(habitat dense, construction en hauteur, urbanisme de dalle), déclinés en
fonction de données paysagères passées au prisme des architectes ; la
notion de mimétisme, souvent revendiquée, recouvre des réalisations très
variables, des immeubles qui cherchent à épouser la pente à ceux dont la
silhouette défie le vide ou se découpe sur le ciel et rivalise avec les pics
environnants…
Le jeu avec la pente autorise différentes combinaisons, comme pour ces
immeubles dissymétriques qui se raccordent doucement à l’amont, tandis
que leur haute façade domine la vallée. À Sestrières (Piémont), les deux
immeubles-tours construits dès les années 1930 sont emblématiques d’une
architecture moderniste en montagne. Quant à l’habitat traditionnel de
montagne, ses motifs décoratifs (bardages, façades, toits) sont de plus en
plus souvent convoqués pour redonner un vernis de pseudo-authentique à
ces nouvelles villes d’altitude.
.

Verbatim

« C’étaient des Indiens que la ville avait attirés et rejetés,


des mendiants que la misère avait dégénérés, des gamins
des rues, toute une humanité habituée à dormir parmi les
sacs de n’importe quel marché. »
Jorge Icaza, 1993.
Rester ou migrer : les enjeux économiques

De nombreuses régions de montagne connaissent un


processus de recul démographique. Dans les Alpes, un
premier maximum a souvent été atteint au milieu du XIXe
siècle. Mais cette déprise affecte surtout le monde rural
et n’est donc pas une spécificité des espaces d’altitude.
Néanmoins, la reconnaissance sociale et juridique de la
montagne a souvent été fondée sur le constat d’espaces
en crise démographique et économique qui auraient
nécessité des aides. Bon nombre de subventions et de
dispositifs d’aide concernent ainsi directement les
montagnes. Pourtant, de puissants leviers socio-
économiques existent ou peuvent être actionnés.

RESTER AU PAYS
Slogan politique ou réel objectif social, la portée de cet impératif doit sans
doute être tempérée. La figure du montagnard arrimé à ses vallées et dont
les comportements sédentaires pousseraient à la consanguinité a nourri une
abondante littérature et une copieuse iconographie. Elles ont concouru à
l’entretien de certaines images, comme le « crétin des Alpes » popularisé par
le capitaine Haddock. Les descriptions abondent autour de ce montagnard
atteint de nanisme et affligé d’un goitre. Les espaces montagnards sont en
fait ouverts à de multiples formes de circulation, et les cloisonnements
s’assoient surtout sur des formes d’organisation sociale ou religieuse. Ainsi,
les caractères parfois décrits comme « archaïques » ou « primitifs » des
peuples mafa dans les montagnes du Nord Cameroun sont-ils sans doute
davantage liés à une endogamie longtemps très stricte dans la classe des «
forgerons », par exemple. Au sud du Zanskar (Inde), dans la vallée de Kullu,
dite « vallée des dieux », les Malanis s’expriment dans un dialecte très
différent de ceux de leurs voisins et s’imposent eux aussi un mariage
intracommunautaire très encadré.
Pour chaque classe d’âge, rester au pays se révèle souvent un défi . La
scolarisation des plus jeunes nécessite certes des structures de ramassage
performantes, mais assure une cohésion sociale bien décrite pour
l’Auvergne dans le film Être et avoir (Nicolas Philibert, 2002). Dans les
montagnes de Talesh (Iran), à la frontière azerbaïdjanaise, les petites écoles
ont ce même rôle essentiel et l’instituteur y est un pivot fondamental… La
situation d’isolement des plus âgés est tout autant problématique, les
contraignant parfois à abandonner leur ferme pour la ville (situation
dépeinte dans le film Une hirondelle a fait le printemps, de Christian Carion,
2001) ou, selon une tradition médiévale japonaise, à finir leur vie au sommet
d’une montagne (La Ballade de Narayama, de Shohei Imamura, 1983). Les
populations en âge de travailler sont quant à elles souvent poussées à la
polyactivité, comme c’est le cas avec les éleveursfromagers-artisans-
moniteurs de ski.
LABELLISER POUR MAINTENIR
La labellisation est un des leviers les plus anciens et les
plus performants pour assurer des plus-values à
certaines filières, en particulier ici fromagères. Beaucoup
de fromages sont identifiés à des « pays » de montagne,
comme les Causses pour le Roquefort, qui a depuis
longtemps une renommée mondiale. Il a d’ailleurs été
l’objet de la première appellation d’origine française en
1925.
Aujourd’hui encore, compte tenu des emplois
productifs et de ceux induits par le tourisme, « quand la
filière Roquefort tousse, c’est tout le sud Aveyron qui
s’enrhume ». La majeure partie du territoire du Massif
central est désormais engagée dans des processus de
labellisation, la Rigotte de Condrieu étant la dernière
venue (2009) dans le domaine fromager. Mais la
superposition d’appellations multiples peut aussi
brouiller l’image de certains espaces.

...

(RÉ)INDUSTRIALISER LES MONTAGNES


L’industrialisation ne pourvoit pas toujours suffisamment d’emplois. Bien sûr,
le tourisme est une aubaine pour de nombreux massifs mais, en dehors des
grands domaines skiables et des grandes stations thermales, ses retombées
restent limitées. L’aventure de la « houille blanche », lancée en France par
Aristide Bergès (1882) près de Grenoble, a jeté les bases d’une
industrialisation parfois très dynamique, mais celle-ci a surtout concerné les
fonds de vallée (Arve, Maurienne, Romanche) et a finalement contribué à
vider beaucoup de massifs.
Certaines montagnes ont pourtant trouvé les moyens de maintenir un tissu
industriel durable. Avec ses usines de plastique (décrites en 1955 par Roger
Vailland dans son roman 325 000 francs) et un secteur horloger toujours à la
pointe, le Jura est un exemple remarquable. Si l’économie se révèle ici plus
dynamique côté suisse, c’est bien une montagne ouvrière vivante plus qu’un
patrimoine éteint que valorise l’inscription au patrimoine mondial de
l’Unesco de La Chaux-de-Fonds et de Le Locle. Les Vosges sont un autre
exemple d’une moyenne montagne qui perpétue son tissu industriel autour
de « filières d’excellence » dans les secteurs de l’agroalimentaire, de l’eau et
du bois, de la papeterie et des nouveaux textiles. Le dynamisme des
chambres de commerce et d’industrie les a d’ailleurs poussées à s’organiser
en réseau avec d’autres montagnes françaises et européennes.

...

PARTIR POUR RESTER


Saisonnières ou pluriannuelles, les migrations sont aussi une stratégie
ancienne déployée par de nombreuses sociétés montagnardes. Le film La
Trace (Bertrand Favre, 1983) a beaucoup fait pour la popularisation du « petit
colporteur savoyard ». Des spécialisations professionnelles, comme les
hongreurs des Bauges, conduisaient dans toute l’Europe au gré des saisons.
Parfois, ces migrations ont créé des communautés éloignées de leur
montagne, mais toujours proches de leurs racines. Ainsi, la place des
Auvergnats à Paris n’a cessé de se développer depuis le XVIIe siècle, avec les
Bougnats. Dans les montagnes du Népal où la position des Gurkhas, ces
mercenaires au service des armées britanniques et indiennes, est valorisée,
les réseaux et itinéraires professionnels spécialisés, vers l’Inde ou les pays du
Golfe, sont primordiaux. Ces « transmigrations » issues des montagnes sont
également importantes depuis les Balkans ou l’Asie centrale (avec en
particulier le peuple baloutche) en direction de la mer Noire. Ces
phénomènes sont bien sûr aussi très prégnants et induisent des transferts
de fonds significatifs entre les montagnes du Maghreb (Atlas, Anti-Atlas et
Rif) et l’Europe.

.
Verbatim

« Au milieu, chez nous en Éthiopie, le paradis ; à la


périphérie, le feu de l’enfer. »
Proverbe éthiopien.
Des systèmes agraires d’altitude en

mutation

Le constat d’un monde agricole en crise n’épargne pas les


espaces montagnards. Les productions labellisées ou de
niche, l’artisanat et la polyvalence professionnelle en
liaison avec le tourisme, proposent çà et là des solutions
plus ou moins convaincantes. Mais le fossé semble se
creuser entre des systèmes de production extensifs et
des productions spécifiques et de qualité à haute valeur
ajoutée. La notion de productivité doit donc être
envisagée selon un prisme particulier, tandis que les
dispositifs d’aide sont souvent indispensables. Rappelons
que la PAC est la seule des politiques européennes à
offrir une approche spécifique pour la montagne.

MAÎTRISER LES PENTES ET L’ALTITUDE


Des stratagèmes ont souvent été trouvés par les sociétés pour retourner les
éléments dits contraignants dans une relation à haute valeur ajoutée. La
pente et la verticalité sont des atouts depuis longtemps maîtrisés pour
développer l’irrigation ou l’organisation en terrasses. Le djebel al Akhdar
(Oman) est ainsi littéralement une « montagne verte » et anciennement
peuplée grâce à un système de canaux traditionnels (les falajs) vieux de 5
000 ans, tandis que la vallée de la Hunza (Pakistan) et ses terrasses irriguées
ressortent depuis longtemps sur les cartes des densités de population.
La riziculture en terrasses s’est beaucoup développée dans les montagnes
asiatiques. Celles du Yunnan (Chine méridionale) ou des cordillères des
Philippines comptent parmi les plus remarquables. Dans cet archipel, les
rizières de la province d’Ifugao (Luçon) sont d’ailleurs classées par l’Unesco
depuis 1995. Les altitudes atteintes, l’ancienneté des aménagements (plus
de 2 000 ans) et la hauteur des terrasses (certaines atteignent 15 m !) sont en
effet exceptionnelles. Dans le monde tropical (pour la culture du thé au Sri
Lanka) comme dans le monde méditerranéen, elles semblent ces dernières
années connaître un regain d’intérêt, soit à des fins spéculatives
périurbaines, soit pour revivifier des cultures anciennes.
Le système d’exploitation agricole mixte des Andes centrales s’est, lui,
accommodé d’altitudes élevées, entre 3 500 et 4 500 m, entre le nord du
Pérou, la Bolivie, le nord du Chili et le nord-est de l’Argentine. Cette vaste
zone offre des potentiels agro-écologiques très variés, avec des gradients
thermiques et d’aridité parfois marqués. Mais avec des exploitations de
petites dimensions, une grande mixité entre une agriculture de subsistance
(maïs, quinoa, pomme de terre ou orge) et des activités pastorales (moutons,
lamas, alpagas) sur les parties hautes, la productivité reste faible.

...

BOUGER SUR LES VERSANTS


En dépit du processus de sédentarisation, le nomadisme vertical, parfois
qualifié de type turco-iranien, est une forme de pastoralisme qui tend à se
maintenir. Ainsi, les Qashqaï, dans la région de Chiraz (Iran) continuent à
perpétuer des déplacements entre des campements d’été en altitude et
d’hiver au bord du golfe Persique. Il faut par ailleurs bien distinguer les
pratiques liées à la transhumance, migration saisonnière du bétail sur des
distances au moins décakilométriques, de la montagne vers la plaine ou de
la plaine vers la montagne, et celles qualifiées de remues, qui désignent des
mouvements à l’échelle locale, des villages aux estives (alpages d’été)
notamment. La transhumance reste une réalité dans le monde
méditerranéen, en particulier autour des Alpes, de l’Atlas ou du Taurus ; elle
y concerne beaucoup les moutons, comme ceux de la plaine de la Crau
(Bouchesdu-Rhône).
La transhumance des abeilles repose quant à elle sur des déplacements de
ruches parfois significatifs. Les arguments tiennent dans tous les cas à la
disponibilité des ressources alimentaires et servent un discours sur une
production à la typicité plus ou moins reconnue : ici le beaufort d’alpage, là
le miel de montagne… En liaison avec le tourisme, ces pratiques tendent
beaucoup à la folklorisation et alimentent un événementiel du type « fête de
la transhumance ».
...

FAIRE FACE À LA CONCURRENCE


La déprise est l’un des principaux défis que les sociétés rurales de montagne
doivent relever. Elle conduit souvent à un recul de la diversification des
formes d’exploitation et à des formes plus ou moins avancées de fermeture
du paysage. Dans les petits villages des Andes équatoriennes, les fortes
dynamiques d’émigration depuis les années 1990 expliquent le net repli de
la polyculture et la progression rapide des forêts et des pâturages. Les
appellations d’origine ont pu participer dans les montagnes européennes à
une préservation des races de montagne (vaches montbéliardes ou tarines,
salers ou aubrac, ovin corse, des causses du Lot ou de Lacaune, etc.) qui
avaient parfois presque disparu. Mais c’est sans doute les concurrences très
fortes autour des ressources foncières ou en eau qui fragilisent le plus les
systèmes agraires, en particulier dans les régions touristiques ou
périurbaines. Sans être spécifiquement montagnard, l’agritourisme valorise
des savoir-faire et diversifie les revenus, tandis que les territoires de projet («
pays » ou parc naturel régional) se multiplient.
...

DES CULTURES MARGINALES COMME ALTERNATIVE ?


Certaines populations montagnardes sont aussi amenées à se tourner vers
des cultures de petits segments de marché mais qui peuvent se révéler très
lucratives. Baies, plantes médicinales et plantes à liqueur sont cultivées ou
cueillies en complément économique dans de nombreuses montagnes du
monde. D’anciens vignobles d’altitude sont également rénovés. Profitant
souvent d’un accès difficile, certaines sociétés de montagne se tournent vers
des cultures illicites, servant par exemple à fabriquer des drogues : la culture
du pavot s’est ainsi beaucoup accrue dans certains massifs d’Afghanistan.

Verbatim

« Ramassant en un endroit des pierres dispersées çà et là,


ils élèvent de hauts murs, si bien qu’ils ont fait d’une
montagne stérile une belle campagne qu’on peut cultiver
facilement et qui est fertile et agréable. »
J. Dandini, 1685.
Réinventer la montagne : modernité,

innovation

La montagne n’est pas le conservatoire de toutes les


arriérations. Dans l’histoire économique, deux séquences
au moins ont transformé les sociétés montagnardes. À la
fin du XIXe siècle d’abord, l’hydroélectricité et
l’industrialisation associée (électrochimie,
électrométallurgie) ont joué un rôle essentiel et les
villages de montagne ont souvent été électrifiés avant
bien des zones urbaines. Ensuite au XXe siècle, le
développement du tourisme de sports d’hiver a permis
des inventions à la fois techniques, urbaines et
commerciales. L’expérimentation scientifique ou les
télécommunications alimentent aujourd’hui de nouvelles
formes d’innovation.

LA MONTAGNE ET LA SCIENCE
Dans le massif du Mont-Blanc, le refuge Vallot (4 362 m) a été construit et
utilisé depuis 1890 pour des observations météorologiques et des travaux
en physique et sur la physiologie en altitude. Les observatoires
météorologiques furent les premiers centres de recherche à s’installer
préférentiellement en montagne (mont Aigoual, Ventoux…), même si la
plupart d’entre eux sont aujourd’hui fermés, détrônés par les satellites. En
1942, le gouvernement américain installe le centre de recherches atomiques
de Los Alamos sur le plateau Pajarito (Nouveau-Mexique), à 2 230 mètres
d’altitude : un lieu isolé, facile à sécuriser aux yeux des responsables du
programme.
Sous la montagne, dans des galeries creusées latéralement aux tunnels
routiers, des laboratoires souterrains, comme celui du Gran Sasso (Abruzzes)
ou celui du Fréjus (frontière franco-italienne), ont été aménagés. Dans ces
deux cas, il s’agit de laboratoires de physique ; les recherches visent à
mesurer des phénomènes qui ne sont pas perturbés – ou le moins possible
– par les rayonnements cosmiques, d’où l’intérêt de se mettre à l’abri de la
plus grande épaisseur de roche. Les tunnels routiers permettent d’accéder
au cœur de la montagne sans avoir à creuser de galeries spécifiques. De
même, dans les monts de Vaucluse, le laboratoire à Bas Bruit de Rustrel
occupe un ancien poste de commandement militaire creusé dans la
montagne. Dans les Alpes suisses, c’est en partant de la conduite
hydroélectrique du Grimsel que des recherches sont menées sur le
confinement géologique des matières radioactives en milieu cristallin. La
présence de ces laboratoires, invisibles dans le paysage, est plutôt discrète et
leur activité reste souvent déconnectée des régions où ils sont implantés ;
on n’en parle guère qu’à l’occasion de découvertes scientifiques notoires…
...

MONTAGNES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS
Depuis l’invention du télégraphe Chappe en 1794, les points hauts du relief
ont été convoités pour tous les dispositifs de télécommunications. Leur
visibilité optique accrue permettait en effet de les observer à longue
distance et de réduire d’autant la densité du réseau. Dès lors qu’il s’agit de
stations radars ou de relais hertziens, fonctionnant à des fins civiles ou
militaires, leur installation sur des sommets permet de couvrir de plus vastes
superficies, d’où les innombrables stations d’écoute qui maillent les régions
de montagne. Ces installations sont d’autant plus nombreuses qu’elles
doivent effacer les zones d’ombre, liées aux lignes de crête et aux vallées, et
que la demande en nouvelles technologies (téléphonie, internet) est très
forte dans les espaces touristiques. C’est un domaine de pointe en Nouvelle-
Zélande. Les régions de montagne sont donc plutôt bien couvertes, même
lorsqu’elles apparaissent comme des zones peu peuplées. Lors de conflits,
ces sommets constituent des objectifs privilégiés des bombardements
aériens, par exemple pendant les guerres en ex-Yougoslavie après 1991.

...

QUAND LA MODERNITÉ PASSE PAR LE TOURISME


Le nouveau refuge du Goûter dans le massif du Mont-Blanc (3 835 m),
construit par la FFCAM, ou la nouvelle cabane du mont Rose construite par
le CAS, l’École polytechnique fédérale de Zurich et l’université de Lucerne (2
883 m) constituent de véritables vitrines technologiques. La haute
montagne est mise en avant en tant que banc d’essai pour les innovations
en matière de performances énergétique et logistique. Dans un contexte où
tout est très contraint (coût d’acheminement, saison de mise en œuvre,
choix de la localisation elle-même, sur des itinéraires et à l’emplacement
d’anciens refuges), les cahiers des charges sont très exigeants en termes
d’isolation thermique, de gestion des différentes expositions…
Des rétroactions positives. De même, les fabricants de remontées
mécaniques s’appuient sur la fiabilité du matériel éprouvé en haute
montagne pour la conquête de nouveaux marchés. En retour, ce
déploiement de technologie peut également participer à l’acquisition de
nouvelles connaissances : ainsi les technologies de la neige artificielle
s’accompagnent du déploiement de stations météorologiques le long des
versants, qui ont permis de mieux comprendre les climats de montagne à
très grande échelle.
.

Verbatim

En conclusion

S’il est vrai que quatre humains sur cinq vivent en dessous
de 500 m, cela fait encore près de 1,5 milliard d’individus
qui habitent et travaillent au-dessus de cette altitude !
Dans sa brutalité, ce seul chiffre démontre le poids de cette
humanité d’en haut qu’on aurait tort de tenir pour
marginale. Ces hommes et ces femmes vivent et travaillent
en montagne, ils peuplent les hautes terres rurales
d’Afrique de l’Est et d’Amérique latine, ils animent des
agglomérations millionnaires au-delà des seules capitales :
que l’on songe à Johannesburg ou à Denver. Ces habitants
des montagnes ne restent pas cantonnés dans leurs hautes
terres, mais participent aux mouvements migratoires.
Tous les secteurs d’activités y sont représentés, des plus
traditionnels aux plus innovants. L’économie illégale
participe aussi de l’inscription des montagnes dans
l’espace mondial. Derrière le discours de l’enclavement
montagnard, la réalité est à une ouverture sans cesse
croissante, dont les nombreux petits terrains d’aviation
sont un des leviers. Ainsi, des massifs qui sont encore
présentés comme des angles morts dans leur espace
national (comme les Karavanke entre Autriche et Slovénie)
sont-ils aujourd’hui intégrés dans les échanges
internationaux.
« Accès internet haut débit et téléphonie en zone d’ombre
par satellite en haute montagne. La société Astra annonce
aujourd’hui l’installation d’une trentaine de refuges de
haute montagne des Alpes, avec son service. »
Nov. 2011.
Alors que les opinions sont de plus en plus sensibilisées aux questions
relatives à l’environnement, les montagnes tiennent une place de choix dans
ces débats. Elles font tantôt figure d’espaces à préserver en priorité, tantôt
de laboratoires pour expérimenter des politiques et des techniques
attachées aux principes du développement durable, par exemple. Mais est-
on sûr que les milieux de montagne sont plus fragiles que d’autres ?
Comment expliquer que la faune et la flore de montagne soient l’objet de
telles attentions ? Sont-elles vraiment plus riches, plus variées, plus rares
qu’ailleurs ? Des données naturalistes peuvent-elles rendre compte de ces
positions, ou bien faut-il plutôt invoquer la façon dont nous envisageons les
montagnes et les images édéniques que nous y associons ? Car de Rousseau
à Jean Ferrat (« Pourtant, que la montagne est belle »), les visions idéalisées
de la montagne ne peuvent masquer ni les convoitises fortes pour les
ressources, ni les conflits nombreux, ni les risques.
Et si l’on ne protégeait que les montagnes

Presque tous les pays qui se sont dotés de parcs


nationaux en ont d’abord créé un en montagne ; cela vaut
tant pour les « pays neufs » (Argentine) que pour les
États européens (Italie), pour les États qui ont été
pionniers en la matière (États-Unis, dès 1872) que pour
ceux qui y sont venus plus tardivement (Allemagne, pas
avant 1978), pour ceux où la montagne est omniprésente
(Norvège) que pour ceux où elle est plus marginale
(Brésil), pour les pays à majorité catholique (Espagne),
protestante (Canada) ou musulmane (Algérie)… Par-delà
tous les clivages, cette préoccupation pour la protection
des espaces de montagne semble quasi universelle.

D’ABORD LES MONTAGNES !


Aujourd’hui encore, plusieurs pays ne présentent qu’un seul parc national, et
ce parc se trouve en montagne : en Suisse depuis 1914 dans les Grisons, en
Mongolie (Gorkhi-Terelj), au Portugal (Peneda-Gerês)… Ce dispositif
singularise la montagne en tant que patrimoine de grande valeur et opère
une hiérarchisation implicite avec les autres écosystèmes. En Slovénie, le
parc national du Triglav a été créé dès 1924 : situé à l’époque sur la frontière
avec l’Italie, il était pour la toute jeune Yougoslavie un moyen de s’affirmer
dans un espace disputé et de démontrer son ancrage en Europe et dans les
Alpes en s’impliquant dans la protection des paysages. Agrandi en 1961,
puis à nouveau en 1981, le parc couvre aujourd’hui la plus grande partie des
Alpes juliennes et s’organise autour du point culminant de la Slovénie
(Triglav, 2 864 m) qui tient une grande place dans la représentation
symbolique du territoire national.
Alors pourquoi tant d’efforts déployés pour protéger les montagnes ? Par
rapport à d’autres écosystèmes, les montagnes ne sont ni les plus riches ni
les plus menacées. En général, la biodiversité tend même à diminuer avec
l’altitude, les associations végétales se réduisent avec la péjoration
bioclimatique, même si, à l’échelle du massif, l’endémisme confère souvent
une valeur particulière à la faune et à la flore. Dans les Alpes, 72 % de la
superficie couverte par les parcs nationaux se trouve au-dessus de 2 000 m
d’altitude, c’est-à-dire majoritairement au-dessus des forêts, à l’étage des
pelouses et des rochers. Depuis plusieurs siècles, les représentations de la
montagne se sont construites autour de l’idée d’une nature à la fois vierge et
majestueuse. Plus que les caractéristiques floristiques ou faunistiques elles-
mêmes, ce sont surtout les paysages de montagne et la façon dont ils ont
été perçus qui ont été décisifs.
...
LES ENJEUX DE LA NATURALITÉ
Lorsqu’à la fin du XIXe siècle s’installe l’idée de créer des espaces protégés,
les montagnes apparaissent comme des écosystèmes peu artificialisés,
même si de nombreuses activités s’y déploient. Les premiers projets
d’aménagement hydroélectrique provoquent alors un mouvement
d’opinion pour la protection des paysages de montagne ; la construction
des routes suscite les mêmes réactions. Au cours du XXe siècle,
l’aménagement touristique de la montagne amène également de grandes
perturbations paysagères, d’où, en réaction, la création de nouveaux espaces
protégés dans les interstices. En Europe par exemple, quels que soient les
enjeux et l’opposition parfois rencontrée, les convoitises sur l’espace restent
plus faibles dans les montagnes que dans les régions environnantes ; la mise
en place d’espaces protégés s’y montre donc relativement moins
conflictuelle.

...

PROTECTION ET DÉVELOPPEMENT
Les niveaux de protection sont très variables d’un parc national à l’autre
dans le monde. La majorité d’entre eux n’excluent pas les activités, y compris
des stations de sports d’hiver, comme le parc national Vicente Pérez Rosales
au Chili ou le parc national du Mont-Tremblant au Québec. Le Parc national
suisse est, lui, traversé par la route de l’Ofen Pass, ouverte l’été au trafic
automobile. Mais certains espaces font l’objet d’une mise en défens plus
stricte, comme le vallon du Lauvitel dans le parc national des Écrins (Alpes
occidentales) érigé depuis 1995 en « réserve intégrale » où nul ne pénètre.
Les réserves de biosphère, promues par l’Unesco dans le cadre du
programme Man & Biosphere, cherchent à concilier la protection de la
biodiversité et le développement des sociétés humaines, alors que ces
objectifs ont longtemps été présentés comme antinomiques dans les pays
du Sud. Sur 610 réserves dans le monde, objectifs et moyens sont donc très
disparates, en particulier en Afrique où l’on en compte 77, dont 29 dans des
zones de montagne réparties entre 13 pays. On relève l’hétérogénéité des
espaces couverts, depuis la réserve de Taza en Algérie (16,5 km2) jusqu’à la
réserve Ténéré-Aïr au Niger (240 000 km2).

...

LA DIMENSION GÉOPOLITIQUE
Lorsque les massifs se trouvent en position frontalière, la création d’espaces
protégés répond aussi à des préoccupations géopolitiques. Ils marquent
alors de la part des pouvoirs publics une réaffirmation de la souveraineté sur
des espaces périphériques. Dans les Carpates, la frontière nord de la
Slovaquie (avec la République tchèque, la Pologne et l’Ukraine) est ourlée de
parcs, de réserves et de paysages protégés. Tout au long de l’arc des
Carpates, ces espaces protégés sont organisés depuis 2006 en un réseau qui
porte des coopérations et des échanges d’expérience, sur le modèle du
réseau Alparc qui existe dans les Alpes. D’autres associations transfrontalières
entre parcs voisins existent de par le monde, dans les Rocheuses ou dans les
Andes.

Verbatim

« Tout devient plus spectaculaire sur les cimes de la


montagne nue. »
Texte de promotion de Gränslandet, complexe de 2 105
km² comportant neuf espaces protégés transfrontaliers
entre Norvège et Suède.
La faune de montagne ? Un construit

historique !

La faune constitue un élément fort des écosystèmes et


des représentations de la montagne : enjeux biologiques
et enjeux symboliques y sont fortement associés, et les
discours les ont si étroitement tricotés qu’il est parfois
difficile pour une marmotte d’y retrouver ses petits !
L’image de la montagne est associée à sa faune
emblématique, ce qui vaut tant pour les animaux
domestiques (espèces souvent rustiques) que pour la
faune sauvage. Et les espèces les plus typiques sont
identifiées aux milieux qu’elles occupent, que ce soit les
gorilles des montagnes d’Afrique de l’Est, la vigogne des
Andes ou le léopard des neiges du Pamir et de l’Altaï.

ANIMAUX DES MONTAGNES…


Les liens entre la faune et la montagne sont de différentes natures. Plusieurs
cas de figure se présentent : certains animaux sont assez indifférents quant à
l’altitude. Ainsi le renard, dès lors qu’il trouve des proies à son goût, évolue
indifféremment depuis les plaines jusqu’à 3 000 m d’altitude ! Le chevreuil
ou le cerf restent à basse altitude ou gagnent les moyennes montagnes en
fonction du couvert végétal et des conditions de densité qu’ils rencontrent.
D’autres animaux se sont retrouvés en montagne du fait de la pression
historique subie en plaine. Ainsi le lion de l’Atlas, jadis présent dans toute
l’Afrique du Nord, fut peu à peu acculé dans les massifs montagnards jusqu’à
ce que les derniers individus soient tués dans l’Atlas marocain au XXe siècle.
De même, l’aigle royal ne se trouve plus que dans les montagnes d’Europe
occidentale et dans la péninsule ibérique.
Quant au loup, les cartes de répartition montrent qu’il y a deux cents ans,
l’animal était présent sur tout le territoire français et que son éradication
planifiée et progressive ne se superpose pas à la carte des montagnes. En
revanche, son retour à partir de 1992 s’opère par la frontière italienne, dans
les Alpes du Sud (Mercantour), d’où les populations gagnent peu à peu de
nombreux secteurs des Alpes occidentales (en France et en Suisse). Plus
récemment, des éclaireurs sont observés dans le Cantal, en Ardèche, puis
dans l’est des Pyrénées. Il est d’ailleurs possible que cette implantation
montagnarde du loup ne signe qu’un état transitoire d’une reconquête
appelée à s’étendre à des espaces ruraux de faible densité et de plus basse
altitude.

...

… OU ANIMAUX MONTAGNARDS ?
Certains animaux sont strictement inféodés à des milieux de haute altitude,
ce dont témoigne le nom de ce criquet, la miramelle des moraines, ou celui
de ce papillon, l’écaille du Cervin, qui vit dans les Alpes entre 2 400 et 3 200
m ! Dans les montagnes européennes, il s’agit souvent d’espèces reliques
des époques glaciaires qui se sont installées en altitude lors des périodes de
réchauffement. Il en résulte une segmentation des habitats et une forte
tendance à l’endémisme, que ce soit chez les insectes, chez les rongeurs ou
chez les ongulés. Mais, de ce fait, ces espèces sont très liées aux conditions
bioclimatiques de la montagne et très vulnérables aux changements
environnementaux : ainsi, dans un massif qui culmine à 1 630 m, le papillon
appelé apollon du Forez n’a plus été observé depuis plusieurs années et
semble avoir disparu sous l’effet du réchauffement actuel. Ce sont
également des animaux qui présentent les traits les plus caractéristiques,
comme l’aptitude à l’homochromie saisonnière, lorsque, par mimétisme
avec l’environnement, le pelage (pour le lièvre variable) ou le plumage (pour
la perdrix des neiges) blanchissent à la tombée de la neige et s’obscurcissent
au retour du printemps.
FAIRE REVENIR L’ANIMAL
En 1870, il ne restait plus dans les Alpes qu’une
quarantaine de bouquetins dans le massif du Grand
Paradis. Protégée dans les réserves de chasses royales,
cette population résiduelle a constitué le réservoir pour
les premières réintroductions en Suisse centrale puis, à
partir de 1928, autour du mont Pleureur (Valais). En 1950
ont lieu les premières réintroductions en Savoie et dans
le Mercantour (France). Tous les pays alpins ont
aujourd’hui retrouvé des populations de bouquetins,
jusqu’en Styrie (Autriche) et en Slovénie. Les Suisses en
ont aussi réintroduit dans le Jura, au-dessus du lac de
Neuchâtel. Les réintroductions se poursuivent sur la
base des connaissances paléontologiques. La présence
historique de l’animal dans les différents massifs
légitime l’opération dont la « naturalité » est ainsi
garantie vis-à-vis des acteurs locaux, de plus en plus
rétifs à toute opération d’acclimatation. En 2005, on
estimait que 8 700 bouquetins vivaient dans les seules
Alpes françaises.

...

ENJEUX ET CONTRADICTIONS
Certes, les pressions sur la faune ne sont pas inexistantes en montagne :
l’exploitation forestière, la chasse, la fréquentation et l’aménagement
touristiques, la fermeture des paysages, l’artificialisation des milieux,
l’intensification des circulations ou le cloisonnement croissant des biotopes
peuvent occasionner bien des dérangements. Mais la déprise facilite aussi
les dynamiques de reconquête spontanée.
Cette faune de montagne participe souvent de la ressource touristique ; si
une partie fait l’objet de politiques de protection, une autre est convoitée
par les amateurs de trophées de chasse, et la présence ou la réapparition de
prédateurs (lynx, puma et tigre) engendre bien des conflits. Ainsi, la souche
pyrénéenne des ours n’a pu être sauvée d’une extinction programmée,
tandis que des opérations de réintroduction ou de renforcement
enregistrent des succès dus aux savoir-faire des zootechniciens. Et s’il est vrai
qu’en Europe, les derniers représentants de la grande faune sauvage se
trouvent presque exclusivement en montagne, il s’agit d’une faune gérée,
administrée et contingentée dans des écosystèmes fortement anthropisés.
Cette faune de montagne est donc très hybride, tant du point de vue des
dynamiques de peuplement que de son statut vis-à-vis des sociétés
humaines.

Verbatim

« Les lévriers d’Écosse s’accordaient avec la nature africaine.


Peut-être était-ce dû à l’altitude, à l’air léger, car ils
manifestaient une sorte d’unisson avec la montagne et
n’étaient plus les mêmes dans la plaine. »
Karen Blixen, 1937.
Des forêts comme emblèmes

Dans leurs études de la végétalisation des versants, les


spécialistes ne manquent pas de rechercher les
différentes formes d’étagement et les limites supérieures
de la forêt (LSF) et de l’arbre (la « tree line »). Leurs
évolutions sont interprétées ici comme les signes de
fluctuations bioclimatiques, là comme les marqueurs de
sociétés en mutations. L’accès, l’entretien et
l’exploitation des forêts ont souvent donné aux acteurs
de la filière bois une place d’importance et ont contribué
à en faire des éléments forts du patrimoine et de
l’identité. Sacralisés, l’arbre et la forêt peuvent devenir
comme au Japon un des symboles mêmes de la
montagne.

UNE RESSOURCE, DES RESSOURCES


L’expression de forêts en montagne est sans doute plus adaptée que celle
de forêts de montagne. En fonction des espèces, l’étagement et les
combinaisons paysagères peuvent être redevables de l’héliométrie, de la
barométrie ou de l’aérologie, données pour lesquelles la topographie et
l’exposition sont des composantes parfois fortes. L’endémisme concerne
surtout des massifs (plusieurs dizaines d’espèces de chênes en sierra Madre
mexicaine) et peut être renforcé par le cadre insulaire (comme avec le pin
laricio en Corse). Mais la montagne ne produit en elle-même ni espèces ni
caractères spécifiques : le hêtre souvent assigné à l’étage montagnard par
les biogéographes, se retrouve en fait depuis les rivages océaniques
jusqu’aux moyennes montagnes. De même, le nanisme ou la croissance
lente des végétaux s’observent aussi dans les zones froides. La « forêt des
nuages » occupe préférentiellement les pentes des reliefs rwandais,
ougandais ou costariciens situées entre 1 000 et 3 000 m d’altitude, d’abord
pour des raisons thermiques et hygrométriques.
Des formes originales de sylviculture et de bûcheronnage ont pu se
développer en montagne en relation avec les pentes et les conditions
d’accès parfois difficiles. Le film Les Grandes Gueules (R. Enrico, 1963)
décrivait déjà les pratiques dangereuses liées à la schlitte : « La schlitte tue
l’homme en montant, et l’achève en descendant. » Appelé aussi zlitte ou
hhlite, ce traîneau est employé dans les Vosges ou en Forêt-Noire pour
descendre le bois dans la vallée. De nombreux chemins de schlittage en bois
sont aujourd’hui patrimonialisés, tandis que fêtes et démonstrations se
multiplient (à Menaurupt ou pour la fête de la forêt à La Bresse dans les
Vosges). Si le débardage par hélicoptères se pratique en Colombie-
Britannique (Canada) depuis les années 1970, des formes anciennes en sont
parfois réactivées avec en particulier les chevaux de la race des franches-
montagnes (Jura suisse). La filière bois mobilise encore de nombreux acteurs
des montagnes, au point d’avoir voulu les dernières années dans le massif
de la Chartreuse monter un dossier d’appellation d’origine contrôlée « bois
de Chartreuse » pour les résineux…
...
DES MÉMOIRES ET DES SYMBOLES
Si les forêts progressent aujourd’hui dans les montagnes sujettes à la
déprise, d’autres se sont maintenues dans le temps et apparaissent comme
des reliques. C’est le cas de la forêt d’Iraty dans les Pyrénées-Atlantiques
(bassin versant de l’Èbre), l’une des plus grandes hêtraies d’Europe.
Accessible par la route depuis 1964 seulement, elle est le théâtre de
nombreuses légendes basques. Les cèdres du Liban sont, eux, souvent
présentés comme les reliques de ceux cités dans la Bible. Des formes de
protection et de mise en tourisme originales existent, comme au Séquoia
National Park (Californie) où l’éclairage touristique est focalisé sur des sujets
remarquables comme le General Sherman et le General Grant. Ou encore
avec la route des Sapins qui parcourt, dans le Jura, les forêts de Levier, de la
Joux et de la Fresse, entre Levier et Champagnole. L’actuel « sapin président
», vieux de plus de deux siècles (45 m de haut pour un diamètre de 1,20 m),
y occupe une place de choix.
RETOURS DE FLAMMES
Si l’État américain de l’Idaho est connu pour les sports
d’hiver, le parc national de Yellowstone ou les pommes
de terre (vantées sur les plaques de voiture), il l’est aussi
pour ses incendies répétés et de grande ampleur. Ceux
de 1910 ont marqué les mémoires (inter)nationales et
n’ont pas manqué de servir de référence en août 2012,
quand de multiples feux ont embrasé les montagnes,
quelques semaines après ceux du Colorado, de l’Utah,
du Wyoming et du Montana.

Verbatim

« Les Cèdres [du Chouf]. Les touristes leur fichent la paix, à


ceux-là. Ils ne sont pas dans le Baedeker. On n’a pas été
obligé de les entourer de barbelés, comme leurs
camarades maronites de Bcherré. »
Pierre Benoît, 1924.
L’obscurité et la lumière, le froid et le

chaud

Les conditions climatiques et atmosphériques se


traduisent en montagne par un certain nombre de
phénomènes exacerbés. Si le gradient thermique moyen
admis est de – 0,6 °C par 100 m, les phénomènes
d’inversion thermique conduisent à la constitution de «
mers de nuages » au-dessus desquelles prospèrent les
stations de ski (l’Alpe-d’Huez, « l’île au soleil », en a fait
un argument publicitaire). Selon la saison,
l’ensoleillement paraît encore plus intense du fait du
cœfficient de réflexion (albedo) : entre 0,6 pour la glace
et 0,9 pour la neige fraîche. Au contraire, à certains
étages intermédiaires, la nébulosité est plus persistante.

EXPOSITIONS
L’agencement orographique par rapport à la course du soleil définit des
conditions d’exposition aux rayonnements que les populations ont
intégrées dans des termes multiples. D’origine franco-provençale, adret
(pour les versants ensoleillés) et ubac (pour les plus sombres) ont leurs
échos pyrénéens (soulane et ombret ou ombrée), corses (asulana et umbria)
ou italiens (adritto et opaco), tandis qu’endroit et envers, d’usage plus
générique, sont particulièrement expressifs. Les vallées germaniques
opposent elles aussi leur Sonnenseite et leur Schattenseite, étendus aux
massifs de part et d’autre de l’Inn (Sonnenberg et Schattenberg).
Ombre contre soleil. Dans les sociétés traditionnelles alpines, quand la
pression démographique est élevée, les deux types de versants sont
également convoités. Mais dès qu’elle se relâche, les ubacs sont
prioritairement délaissés au profit des adrets. Au XIXe siècle en particulier, les
premiers ont souvent une valeur bien moindre, au point d’être la mauvaise
part au moment des partages familiaux (récoltée par le cadet ou les filles…)
et d’être dépourvus d’attribution toponymique spécifique. Ainsi, les villages
sur le versant côté ombre portaient-ils le nom du village d’en face, côté
soleil, précédé du terme « envers » : Envers de Sollières (Maurienne), Envers
de Fontenille (haute vallée de la Durance) ou Inverso Pinasca (val de Cluson,
dans la province de Turin). Mais le développement des sports d’hiver a
contribué à un retournement partiel des appréciations pour des versants
susceptibles de mieux conserver leur niveau d’enneigement. Les glaciers y
sont également moins exposés à des processus de recul.
Être dans l’ombre. Dans les vallées orientées est-ouest, le phénomène peut
conduire certaines communes à rester dans l’ombre deux à trois mois par
an. À Brissogne (Val d’Aoste), la Féta de l’oumbra célèbre chaque année à la
mi-août l’arrivée de l’ombre. Dans le Piémont, les habitants de Viganella
(massif d’Ossola) sont depuis 2006 « éclairés » l’hiver par un miroir de huit
mètres sur cinq installé à 1 100 m. Piloté par un ordinateur qui ajuste son
orientation pour s’adapter au mieux aux rayonnements solaires en fonction
des heures et de l’avancement de la saison, ce dispositif vise aussi à changer
les représentations pour un hameau privé de lumière directe des premiers
jours de novembre à début février. Cet aménagement dit beaucoup de
l’héliotropisme des sociétés actuelles.
...

DES RÉSERVES DE FROID


La montagne est aussi une réserve de froid. L’exploitation de la glace pour
les habitants des vallées, voire pour les ensembles urbains plus éloignés, a
parfois pris des proportions significatives. Il s’agissait d’approvisionner des
populations aisées qui appréciaient de boire frais au cœur de l’été. Les
glaciers de la Meije, du Mont-Blanc, de la Vanoise ou du Tessin ont ainsi
donné lieu à des prélèvements à l’origine d’un véritable commerce. Les
pains de glace étaient transportés à dos d’homme ou de mulets, puis par
chariots pouvant contenir plusieurs tonnes de blocs et morceaux. L’arrivée
des chemins de fer a ensuite permis d’approvisionner une bonne partie de
l’Europe, en particulier à la fin du petit âge glaciaire (mi-XIXe siècle). Dans les
Alpes, ces pratiques semblent avoir perduré jusqu’à la Seconde Guerre
mondiale. Elles s’accompagnaient de l’exploitation des glacières construites
en pierres ou en bois, ou naturelles : dans le Jura vaudois, par exemple, ces
cavités souterraines ouvertes conservent la glace ou la neige tout au long de
l’année, dans une région où la température moyenne annuelle est positive.
Une culture de la glace s’est en effet parfois développée, avec des structures
de stockage plus ou moins sophistiquées, installées à proximité des maisons.
Ces différentes formes d’exploitation de la glace se perpétuent au moins
jusque dans un passé proche, avec les glaciers andins d’Équateur ou sur les
flancs de l’Himalaya. Il est remarquable que ce commerce se soit maintenu
en temps de guerre pour l’approvisionnement d’une ville comme Kaboul
(Afghanistan). La plus grande fraîcheur des hauteurs a aussi une valeur
sanitaire depuis longtemps comprise par les sociétés dans les régions
tropicales chaudes et humides ou méditerranéennes, avec des pratiques
d’estivage parfois très développées.
...

ET LA SANTÉ DANS TOUT ÇA ?


Mais la haute montagne connaît également des froids intenses, avec
lesquels doivent notamment composer les alpinistes. Quiconque prend la
mesure des amplitudes thermiques diurnes sur le glacier du Khumbu (massif
de l’Everest), en particulier au niveau de l’Icefall, peut imaginer les
conséquences sur les environnements et sur les organismes. Les écarts
journaliers peuvent en effet dépasser les 50 °C ! Conjuguée à l’hypoxie
(diminution de la quantité d’oxygène distribuée aux tissus par le sang),
l’exposition sur de longues durées à de très basses températures peut
occasionner de graves engelures conduisant à des amputations des doigts
des mains ou des pieds ou carrément à des morts de froid sur les parois.
Cette fin tragique est par exemple l’épilogue du manga de Jirô Taniguchi Le
Sommet des dieux, dans lequel le héros Habu Joji tente de retrouver la trace
de George Mallory et Andrew Irvine disparus en juin 1924 sur la crête nord
de l’Everest. Dans plusieurs secteurs des Alpes, la persistance du froid et de
sols gelés en profondeur combinée à l’absence des prêtres en hiver ont aussi
pu conduire au moins jusqu’au XIXe siècle à des inhumations différées
jusqu’au printemps : les cadavres attendaient alors dans une pièce froide ou
carrément sur les toits des maisons ! Les pratiquants de la haute montagne
sont aussi sujets à des hallucinations ou à des illusions d’optique comme le
spectre de Broken. Les yeux mal protégés s’exposent enfin à l’ophtalmie des
neiges.
...

LÀ-HAUT, ON Y VOIT MIEUX


Les espaces d’altitude sont des lieux d’observation privilégiés, en particulier
pour les observatoires astronomiques. Les avantages sont nombreux à se
positionner au-dessus des basses couches de l’atmosphère : moins de
poussières et de particules, plus faibles quantités d’humidité, turbulences
moindres liées aux fluctuations thermiques de surface, éloignement par
rapport aux pollutions lumineuses liées par exemple aux villes… Des
conditions optimales et en particulier une extrême aridité ont fait du désert
d’Atacama un lieu de prédilection pour ces installations, dont le
fonctionnement dépend souvent de personnels et de financements
internationaux. À plus de 5 000 m d’altitude, pas moins de sept ensembles
sont en fonctionnement ou en cours de construction, dont le fameux
Chajnantor Alma (Atacama Large Millimeter Array), réputé pour être le plus
grand et le plus coûteux projet au monde. Le Chili est de fait à la pointe pour
ce genre d’équipements. Certains ont une accessibilité restreinte et des
fonctions essentiellement scientifiques, quand d’autres sont ouverts à une
activité observatoire touristique.

Verbatim

« Le Haut-Pays venait de basculer dans les mois obscurs :


malgré l’intense luminosité de certaines journées d’hiver,
les vieilles bâtisses restent sombres, plongées dans un
déclin de jour perpétuel. »
Jean Carrière, 1972.
Eau, énergie et déchets : des solutions

pour l’autonomie

Les refuges de haute montagne, les stations touristiques


d’altitude et les communautés rurales de montagne sont
confrontés à la difficulté de se raccorder aux réseaux.
L’alimentation en eau potable et en énergie, ainsi que le
traitement et l’évacuation des eaux usées sont rendus
compliqués par la dispersion des implantations et le coût
des infrastructures. Ces problèmes ont été identifiés
tardivement : soit les solutions techniques n’existaient
pas, soit on admettait de se dispenser de ses ressources,
soit les effluents étaient rejetés sans souci des
conséquences. Dès lors, la question se pose : la rusticité
ou l’imagination ?

DÉPASSER L’ISOLEMENT
Les refuges, construits en haute montagne pour les alpinistes et les
randonneurs, réunissent toutes les données du problème, en cumulant
isolement, éloignement et coûts de raccordement aux réseaux qui seraient
exorbitants. En général, ils ne sont pas desservis par la route ni par une piste,
et sont ravitaillés à dos d’hommes, par des animaux de bât ou par
héliportage. Dans ces conditions, il est difficile de les approvisionner en
combustibles et les solutions recherchées visent à l’autonomie maximale
pour satisfaire le minimum de confort (lumière, sanitaires, parfois chauffage)
auquel aspire la clientèle. Par ailleurs, l’isolement doit aussi être pris en
compte par rapport à la nécessité de résorber les déchets solides (que l’on a
longtemps brûlés sur place) et les effluents liquides. Au pied des grands
sommets himalayens, les camps de base sont exposés aux mêmes
difficultés, aggravées par l’absence d’infrastructures pérennes : les acteurs
économiques et associatifs se sont souvent efforcés d’organiser de grandes
opérations de nettoyage, qui ne constituent pas une solution durable...
Dans les stations touristiques, le problème se pose en d’autres termes : les
besoins sont beaucoup plus élevés compte tenu des services proposés à la
clientèle. De plus, la fréquentation hivernale correspond à une saison où
l’eau, sous forme liquide, est peu disponible. La production de neige
artificielle réclame de grandes quantités d’eau et d’énergie ; et la montée en
gamme de l’hébergement passe par la multiplication des spas et des centres
nautiques. Mais à la différence des refuges, les grandes stations totalisent
plusieurs dizaines de milliers de lits et peuvent tabler sur une clientèle
solvable qui justifie de lourds investissements. Les réseaux de distribution et
d’évacuation doivent y être surdimensionnés par rapport à la population
permanente, comme dans tous les espaces touristiques, ce qui induit
évidemment des surcoûts et encourage de nouvelles constructions pour
mieux les rentabiliser.
...

FAIRE VENIR L’EAU ET PRODUIRE L’ÉNERGIE SUR PLACE


L’alimentation en eau des sites isolés est le premier problème auquel sont
confrontés les aménageurs et les gestionnaires : le gel hivernal, la maigreur
des sols, les écoulements accélérés par la pente et l’absorption immédiate
de l’eau dans les montagnes calcaires pèsent lourdement sur la ressource et
sur sa disponibilité. Capter l’eau des glaciers, des névés ou des sources,
conduire l’eau par gravité ou par pompage jusqu’aux lieux de
consommation, ou installer des réservoirs et les maintenir hors gel, tels sont
les défis relevés au quotidien pour l’alimentation des refuges. Les travaux
sont rendus compliqués par le souci de limiter les impacts paysagers. Les
tuyaux qui apportent l’eau jusqu’aux refuges sont souvent posés à même les
rochers : ils doivent être réinstallés chaque année, et sont vulnérables aux
chutes de pierres.
Les énergies alternatives et renouvelables ont apporté un certain nombre de
solutions nouvelles, alors que les groupes électrogènes ont longtemps été
les seules sources d’approvisionnement en énergie des refuges : l’énergie
solaire est fréquemment sollicitée depuis maintenant plusieurs décennies.
Au refuge de la Valette (Vanoise), une éolienne à axe vertical (ou
aérogénérateur) est expérimentée depuis quelques années. À proximité du
refuge du Prariond (Tarentaise), l’installation d’une picocentrale d’une
puissance de 2 kWh sur le torrent du Niolet fournit, depuis 2010, de l’énergie
électrique en complément des panneaux photovoltaïques. La diversité des
réponses techniques permet de moduler les choix en fonction de
l’exposition, de la dimension des structures desservies, de la saisonnalité de
l’activité… Dans la plupart des cas, les aménagements apportés aux refuges
ne sont fonctionnels que durant l’été, alors que les stations de sports d’hiver
connaissent un pic de fréquentation et d’activité lors des mois les plus froids
et des jours les plus courts.
LES KILOWATTS N’ONT PAS D’ODEUR
En 2007, la station de Valloire (Savoie) à 1 400 m s’est
dotée d’un équipement visant à optimiser la production
énergétique. En parallèle à un aménagement
hydroélectrique préexistant pour réduire les
investissements, une conduite a été ajoutée. Elle
transporte les eaux domestiques usées jusque dans la
vallée de l’Arc. Là, les eaux sont turbinées après une
chute de près de 600 m. Les eaux usées sont ensuite
épurées.

...

DÉPASSER UNE APPROCHE SEGMENTÉE DES PROBLÈMES


Ces questions ne sont pas dissociées les unes des autres. En refuge, le
traitement de l’eau par ultraviolets consomme de l’énergie. Une partie de la
capacité énergétique est donc mobilisée pour le pompage de l’eau et pour
sa potabilisation. La mise à disposition de douches dans un refuge a un effet
démultiplicateur, en termes de quantité d’eau nécessaire et d’énergie pour
la chauffer et pour la traiter. Des solutions imaginatives et innovantes
doivent être mises en place.
À l’échelle d’une station de tourisme, les eaux usées peuvent aussi participer
à la production d’énergie : c’est à Verbier, en Valais, qu’un dispositif a d’abord
été installé en 1993 sur une hauteur de chute de 450 m. Comme les eaux
sont de toute façon descendues dans la vallée pour être épurées,
l’installation d’une turbine en bas de la conduite permet à ces eaux usées de
contribuer à la production hydroélectrique. Ces aménagements restent
encore exceptionnels, mais ils mettent en évidence autant de gisements de
production.

.
Verbatim

« Une fois, nous fûmes coincés par la tempête au refuge


Vallot. Ceux qui connurent l’ancienne cabane avant les
retapages successifs dont on la consolida par la suite
comprendront très bien les délices de la situation. »
Samivel, 1940.
De l’eau pour tous ?

La notion de château d’eau est très fréquemment


associée à la montagne, à toutes les échelles et dans
toutes les parties du monde. Cette notion subordonne
explicitement la ressource présente en montagne à
l’usage qui peut en être fait dans les plaines
environnantes. Elle suppose donc une complémentarité à
sens unique, qui va guider tous les aménagements
hydrauliques : ainsi, en 1660, P.-P. Riquet a-t-il l’idée de
capter les eaux de la Montagne Noire et de les conduire
par une rigole jusqu’au seuil du Lauragais pour alimenter
le canal du Midi ! Que ce soit à des fins agricoles,
industrielles ou énergétiques, il en va ainsi à toutes les
époques.

EAU DES PRÉS, EAU DES CHAMPS


Les sociétés agricoles furent les premières à conduire les eaux des
montagnes vers les versants et les terroirs de vallée : la gravité aidant, les
canaux distribuaient la manne vers les prés de fauche, les champs et les
villages. La petite hydraulique est une constante dans toutes les montagnes
du monde, avec une grande diversité des techniques mises en œuvre. Selon
la pression démographique et selon l’orientation vers les cultures ou vers
l’élevage, ces systèmes ont été plus ou moins développés.
Dans le Valais, au prix de travaux parfois héroïques, les bisses suspendus à
flanc de rochers parcourent ainsi l’adret sur des dizaines de kilomètres ;
exemple parmi d’autres, le réseau des bisses d’Ayent existe au moins depuis
le XIVe siècle et a été étendu vers l’amont et vers l’aval jusqu’à la fin du XIXe
siècle. Il recoupe tout l’étagement des cultures, depuis les alpages jusqu’au
vignoble au pied des versants. Des dispositifs sonores alertaient les villageois
lorsque la circulation était interrompue par un écroulement et l’on se hâtait
alors d’aller réparer le dommage. Ces canaux, leur entretien et leur utilisation
constituent un puissant ciment pour les sociétés rurales concernées. En
Équateur, sur les pentes du volcan Antizana, des canaux analogues, les
acequias, irriguent les cultures des petites exploitations. L’eau très froide,
captée directement à l’aval des glaciers ou des névés, doit souvent être
tempérée dans des bassins avant d’être distribuée dans les champs. De nos
jours, les acequias contribuent aussi à l’approvisionnement en eau de
l’agglomération de Quito.

...

UNE EAU USINÉE


L’ère de l’hydroélectricité a évidemment changé la donne après les années
1880. Dans un premier temps, les centrales fonctionnent au moyen de prises
d’eau dans les torrents, soit au fond des vallées, soit en altitude ; l’eau est
acheminée jusqu’aux turbines, fait tourner les usines, puis elle est restituée
aux cours d’eau. Mais à partir de l’entre-deux-guerres, ce système montre ses
limites. La force électrique produite reste sous la dépendance des régimes
hydrologiques : quand les débits baissent, les usines chôment. Et les régimes
de montagne font souvent coïncider les étiages d’hiver avec les périodes de
plus forte demande. D’où l’idée de stocker l’énergie en altitude sous la forme
de grands barragesréservoirs (barrage Alberto Lleras en Colombie à 1 630 m
d’altitude) qui vont transformer les paysages et les économies pastorales. Par
la suite, une autre étape sera franchie lorsque, pour optimiser le remplissage
des barrages et les hauteurs de chute à turbiner, on opérera des transferts
d’un bassin à l’autre, en général par des conduites souterraines creusées
sous les crêtes. Parfois, on est même allé capter les torrents sous-glaciaires,
comme sous le glacier d’Argentière (massif du Mont-Blanc) pour en turbiner
les eaux dans la vallée voisine de Vallorcine. Enfin, à partir des années 1980,
les stations de transfert d’énergie par pompage mettent à profit l’électricité
nucléaire produite en excédent aux périodes creuses pour remonter l’eau
jusque dans les réservoirs d’altitude et la turbiner ainsi plusieurs fois. On
aboutit alors à des hydrosystèmes de montagne fortement artificialisés, tant
du point de vue des débits et des régimes que des limites de bassins
versants.

UN AMÉNAGEMENT LITIGIEUX
Entre 1957 et 1960, EDF entreprend l’aménagement du
ruisseau de Carol et de la haute Ariège. Sur le versant
sud des Pyrénées, le Carol est un affluent du Sègre qui
s’écoule vers l’Espagne. Le barrage construit à l’aval de
l’étang de Lanoux en France permet d’en accroître la
capacité ; une conduite creusée sous le Puig Pedros
achemine l’eau dans la vallée de l’Ariège, sur le versant
atlantique, où elle est turbinée. Il en résulte un long
contentieux franco-espagnol, qui s’aggravera encore
lorsque la France proposera de restituer au bassin
versant du Sègre les eaux usées du Pas de la Case !

...

L’EAU D’EN HAUT, LES USAGES D’EN BAS ?


Ces transformations ne vont pas sans conflits ni convoitises entre électriciens
et sociétés locales, entre amont et aval, entre les différents utilisateurs de la
ressource. Les litiges portent sur la ressource en eau elle-même, sur les
terrains noyés sous les lacs de barrage (et parfois les villages avec), sur les
transformations des paysages et sur l’usage fait de l’électricité produite. En
Amérique du Nord et en Europe, certaines montagnes ont connu un rapide
mouvement d’industrialisation ; mais d’autres massifs ont fourni de
l’électricité aux régions de piémont sans véritable développement
économique in situ. Toutefois, en fonction des systèmes de redevance, les
revenus de l’hydroélectricité ont aussi constitué des leviers pour le
développement d’autres secteurs économiques, comme l’équipement
touristique ou la montée en qualité et la labellisation des productions
agropastorales.
L’eau retenue dans les barrages peut faire défaut aux pays situés en aval : le
chapelet de barrages construits par la Turquie sur l’Euphrate (dont le barrage
de Keban à 830 m d’altitude, avec un lac de 675 km2) permet la production
hydroélectrique et l’irrigation des plateaux anatoliens au détriment des
régions syriennes et irakiennes situées en aval. Le cas peut être encore plus
conflictuel lorsque la ressource est détournée vers un autre bassin versant :
sur le Colorado, les grands barrages à l’amont (barrage de Glen Canyon à 1
141 m d’altitude, avec le lac Powell de 658 km2) et à l’aval du Grand Canyon
alimentent les agglomérations littorales de la Californie, à 300 km de là.
Des usages incompatibles ? L’eau des barrages est convoitée pour différents
usages qui ne sont pas forcément compatibles entre eux, surtout lorsqu’ils
supposent des niveaux de remplissage différents selon les saisons :
production hydroélectrique, développement des loisirs et du tourisme
autour du plan d’eau, irrigation des terres agricoles, prélèvement d’eau pour
la neige artificielle… Les arbitrages peuvent toujours être remis en cause.
Dans les montagnes méditerranéennes par exemple, les volumes qui
servent à l’irrigation ou à l’alimentation des villes pendant l’été ne pourront
pas être turbinés à l’automne. La multifonctionnalité, tant vantée dans les
discours, est du coup difficile à mettre en œuvre.
.

Verbatim

« Ce qui coulait ainsi hors de la montagne, c’était la vie,


c’était le sang même des hommes. Dieu ouvrait ses écluses
et montrait sa puissance. »
Antoine de Saint-Exupéry, 1939.
Risques montagnards ou risques en

montagne ?

Sans doute parce que l’on y pressent la menace de périls


plus grands ou moins connus, les montagnes sont
volontiers présentées comme des espaces où les risques
seraient plus importants qu’ailleurs. L’intensité des
phénomènes gravitaires (avalanches, écroulements,
glissements de terrain…), ce que les spécialistes appellent
les effets de dominance, et la chronique des catastrophes
pourraient d’abord accréditer l’idée de certaines
spécificités liées la montagne. Mais ce serait réduire les
risques à l’expression des aléas. Il faut en fait les chercher
dans des combinaisons originales de gestion des
vulnérabilités et des représentations associées.

LES RISQUES SONT-ILS TOUJOURS LÀ OÙ L’ON CROIT ?


Les avalanches retiennent d’abord l’attention quand elles détruisent des
installations et des vies humaines, et elles sont souvent associées à des
décomptes dramatiques. Une avalanche balaie une cinquantaine de
maisons du village d’Uzengili (nord-est de la Turquie, janvier 1993) : 56
morts. Une autre traverse la route transcaucasienne en Ossétie du Nord
(Russie, janvier 1993) : plus de 50 morts. Dans cette même région,
l’effondrement en septembre 2002 d’un glacier de dizaines de millions m3
sur le village de Nijni Karmadon fait 127 morts et disparus. En France, les
mémoires gardent encore les souvenirs de la catastrophe de Val-d’Isère qui
fit 39 morts et 37 blessés en février 1970.
Différents outils sont mis en œuvre par les sociétés de montagne ou par les
pouvoirs publics, selon qu’il s’agit de se prémunir, de prévoir ou de se
protéger contre les avalanches. En France, on doit les premiers ouvrages de
protection aux corps des ingénieurs et à des experts en avalanches comme
à Barèges (Hautes-Pyrénées), dès 1860, sous l’impulsion du génie militaire,
puis des services RTM (Restauration des terrains en montagne). Dès lors, et
cela vaut autant pour les glissements de terrains et les écroulements que
pour les grandes éruptions volcaniques, une tendance récurrente consiste,
sous couvert d’objectivation scientifique, à segmenter les différentes
dimensions des processus environnementaux. Elle est souvent conditionnée
par les cadres juridicopolitiques dont découlent des contradictions et des
ambiguïtés. Ainsi, sur la commune de Chamonix, les hameaux de Taconnaz
et du Tour fournissent deux exemples édifiants : l’équipement en ouvrages
de protection (paravalanches parmi les plus importants au monde, digues
sur l’Arve…) ou les zonages de prévention des risques en liaison avec les
processus d’urbanisation ont transformé, déplacé et requalifié les risques
sans les éliminer. L’argumentaire naturaliste autant que les questions de
financement semblent avoir aussi servi ici à défendre des intérêts politiques
et institutionnels. Au sud de Grenoble, ce sont de semblables considérations
qui ont présidé au développement récent de la commune de Saint-Paul-de-
Varces. En dépit de la surimposition d’aléas multiples (inondations,
glissements de terrain, crues et laves torrentielles, éboulements et
écroulements et même avalanches !), un processus de périurbanisation très
dynamique est en cours sur les premières pentes du massif du Vercors.
CONSTRUIRE ENVERS ET CONTRE TOUT
Au sud de l’agglomération grenobloise, le bassin du
Lavanchon connaît ces dernières années une
urbanisation très rapide au mépris d’une exposition à de
multiples aléas. Dans les enquêtes, les populations
apparaissent paradoxalement très sensibilisées aux
différentes formes de pollution, alors que les dernières
décennies ont été surtout marquées par une
occurrence exceptionnelle de phénomènes de type
avalanches, chutes de blocs, inondations… Malgré ces
dommages parfois significatifs, la densification du bâti a
pris des proportions remarquables, augmentant encore
le niveau de vulnérabilité.

...

FAIRE FI DES RISQUES OU FAIRE AVEC ?


Sans que cela soit une particularité des espaces de montagne, la pression
urbaine est un des principaux leviers dans le contournement d’outils de
préconisation préalablement établis. Le développement de Quito
(Équateur), depuis l’altitude de 2 850 m vers la vallée de Los Chillos, en
contrebas, est révélateur de la gestion politique des territoires et des
difficultés d’évaluation de l’aléa. Dans une région de grande densité
volcanique, ce n’est pas tant le tout proche Pichincha qui est perçu comme
la principale menace que le Cotopaxi, éloigné de 20 km environ. L’éruption
de 1877 avait occasionné de très meurtriers lahars, et le passage historique
de ces coulées boueuses d’origine volcanique semble de moins en moins
bien intégré dans les zonations des risques (entre 1988 et 2003). Des plans
de gestion de crise sont aujourd’hui proposés dans une approche plus
complexe des vulnérabilités. Ils sont d’autant plus nécessaires que
l’urbanisation a gagné des secteurs escarpés, notamment dans les quartiers
de Rumiñahui.
Si la ville colombienne d’Armero n’a pas été reconstruite suite à la
catastrophe du Nevado del Ruiz (avec 25 000 morts ensevelis sous des lahars
en 1985), les pentes du volcan Merapi (Indonésie) sont elles aussi très
fortement urbanisées, de la très grande ville de Yogyakarta aux ensembles
déjà plusieurs fois menacés de Muntilan et de Magelang. Après les
fréquentes manifestations volcaniques, les agriculteurs eux-mêmes se
hâtent de regagner des terrains situés jusqu’à 1 700 m. Comment ne pas
penser ici aussi au mariage parfois houleux mais durable entre Naples et le
Vésuve ?
...

LES GRANDS ACCIDENTS DANS LES TUNNELS MONTAGNARDS


Les grands tunnels de franchissement constituent d’autres équipements
vulnérables en montagne. Les vingt dernières années ont été marquées par
des catastrophes nombreuses et meurtrières (12 victimes en 1999 au tunnel
autrichien du Tauern, 11 en Suisse au Gothard en 2001, et dans le cas d’un
funiculaire pour les sports d’hiver, 155 morts en Autriche à Kaprun en 2000).
Mais les Alpes gardent surtout le souvenir du dramatique accident du tunnel
du Mont-Blanc et de ses 39 morts (mars 1999). Si l’on doit assurément parler
ici de risques en montagne, certains caractères montagnards peuvent être
soulignés comme la rampe d’accès au tube (qui contribue beaucoup à la
surchauffe des moteurs) ou les différentiels barométriques entre versants
dont les effets peuvent être amplifiés par le fœhn, ce vent chaud et sec qui
dévale les pentes. L’image elle-même du mont Blanc pouvait se trouver
affectée par l’accident, au point pour les habitants de dénoncer le syndrome
d’un « Chamonix Mont-Noir » et de contribuer à l’allongement du délai de
réouverture à trois ans.

Verbatim

« Montagne des grands abusés, Au sommet de vos tours


fiévreuses Faiblit la dernière clarté. Rien que le vide et
l’avalanche, La détresse et le regret ! »
René Char, 1974.
Sous la neige et dans le froid : circuler en

toutes saisons

Le rythme des saisons en montagne n’est pas calqué sur


celui de la plaine : l’hiver y est plus long, l’été souvent
plus court et les fluctuations météorologiques plus
fortes. Il fonde une pluriactivité ancienne et n’est bien
sûr pas sans incidences sur la circulation, du fait de
l’altitude (problèmes de combustion des moteurs et
niveaux en général plus importants des précipitations),
des pentes (dangerosité accrue) et surtout d’une
politique de prévention qui peut conduire à la fermeture
durable de certains axes. Leur ouverture et la qualité de
leur déneigement sont aussi à mettre en relation avec les
activités touristiques.

AVEC OU SANS NEIGE, ON PASSE


La plupart des montagnes ont été traversées en toutes saisons et l’absence
d’infrastructures routières ou ferroviaires n’empêche pas des formes intenses
de circulation en altitude, comme c’est le cas depuis très longtemps entre le
Népal et le Tibet. Les caravanes de yaks franchissent des cols à des altitudes
pouvant dépasser 5 000 m, y compris dans la neige. Et l’hiver ne marque pas
la fin des circulations. Dans les Alpes, les routes et passages de montagne
sont longtemps restés actifs toute l’année. Qu’une tempête survienne ou
qu’un épisode neigeux encombre les chemins, hommes et diligences
attendaient dans une auberge au pied des cols une nouvelle « fenêtre »
pour passer… De part et d’autre du col du Mont-Cenis, Lanslebourg et Suse
ont ainsi fait leur fortune autour des activités liées au passage. Dès le XIIe
siècle et jusqu’à la construction d’une route lancée par Napoléon en 1805,
les « marrons » se sont faits passeurs grâce à la technique de la ramasse, avec
d’abord des luges en branchages, puis des traîneaux. Chemins et pistes
étaient également pratiqués en hiver après le tassement de la neige,
effectué souvent par des animaux qui pouvaient éventuellement tirer un
tronc placé en travers. Le chien Flambeau y fait localement figure de
légende pour avoir assuré dans les années 1930, été comme hiver, sa
mission de porteur de sacs postaux entre Lanslebourg et le fort de Mont-
Froid, à plus de 2 800 m d’altitude…
La mise en place des transports motorisés, en particulier dans la deuxième
moitié du XIXe siècle dans les Alpes, puis au XXe siècle dans les Andes et en
Himalaya, a conduit à une concentration des flux sur un nombre d’itinéraires
restreints. Routes goudronnées et chemins de fer sont partis à l’assaut des
versants, avant de trouver des voies plus aisées avec les grands tunnels. Très
tôt, des équipements spécifiques comme les chasse-neige ferroviaires,
rotatifs ou équipés de socs, ont permis le maintien des passages hivernaux à
travers les montagnes et l’ouverture de gares d’altitude, comme dans les
Rocheuses ou en Suisse, où subsistent de nombreuses lignes de montagne.
La plupart des hauts cols routiers restent aujourd’hui fermés l’hiver et leur
ouverture au printemps devient un événement. Au col du Petit-Saint-
Bernard, la célébration annuelle de la Pass Pitchu entre la Tarentaise et le Val
d’Aoste, en est un exemple emblématique.
...

GÉOPOLITIQUES CIRCULATOIRES
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir la modernisation des
transports s’accompagner d’un processus de fermeture de routes qui peut
conduire à des enjeux nouveaux, dont la cartographie fluctue avec les
saisons. Dans les Alpes, le Queyras n’est guère accessible l’hiver que par une
route, tandis que le vallon de Livigno (Lombardie) devient une périclave
qualifiée alors de Petit Tibet italien. Dans les montagnes d’Asie centrale, les
aménagements de la période soviétique, puis les recompositions qui lui ont
succédé, ont été bien étudiés. La fragmentation des territoires a révélé des
discontinuités dans les réseaux circulatoires et des formes d’enclavement,
souvent vécues par les nouveaux États (Kazakhstan, Ouzbékistan,
Kirghizistan, Tadjikistan) comme des formes d’entrave à leur souveraineté.
L’altitude élevée de nombreux cols routiers (Koyetezek et Koulma culminent
à 4 271 m et 4 632 m, et leurs voisins dépassent souvent 5 000 m !) rend leur
franchissement hivernal problématique. Vu de Douchanbe, de Tachkent, de
Bichkek ou d’Astana, la fonctionnalité en toutes saisons des grands axes
devient une question stratégique majeure. Elle a conduit les dernières
années à l’aménagement d’un tunnel pour éviter le col d’Anzob et au
creusement en cours d’un autre sous le col de Shakhriston. Les ouvertures
vers la Chine constituent aussi des enjeux de plus en plus forts.
...
L’HIVER COMME ALLIÉ
À une autre échelle, l’enneigement et l’englacement hivernal des lacs et des
cours d’eau peuvent se révéler de puissants atouts dans les géographies
circulatoires. Quand, en hiver, le froid fait geler la rivière Zanskar, que les cols
entre 4 000 et 5 000 m deviennent moins praticables, un chemin de glace,
appelé Tchadar par les autochtones, ouvre une voie de 120 km de long dans
un corridor de montagnes abruptes. Il permet en particulier de conserver
des liens avec le Ladakh et sert notamment au transport du bois et des
vivres. Des touristes peuvent aussi désormais être croisés, car beaucoup
d’opérateurs spécialisés proposent ce trek dans leurs catalogues.
Dans les montagnes où sont installées des stations de ski, la volonté de
perpétuer une ambiance hivernale amène aussi les responsables à entretenir
un enneigement parfois même artificiel sur les chaussées, ce qui est d’autant
plus facile pour celles inaccessibles en voiture, comme en Suisse à Zermatt
(accès par train) ou Riederalp (par téléphériques).

Verbatim

En conclusion
Nos sociétés entretiennent beaucoup de contradictions
dans leurs rapports à la montagne, parfois en en exagérant
telles spécificités, parfois en les niant.
Dans les années 1950-1960, le développement industriel et
touristique a pu faire l’impasse sur les risques. Il est vrai que
la dynamique des avalanches était alors mal connue, sinon
de façon empirique par les sociétés locales, mais la
confiance était telle dans les solutions techniques mises en
œuvre que les aléas étaient souvent négligés. Plusieurs
graves catastrophes ont obligé à réviser cette vision
optimiste ou réductrice.
À l’opposé, l’engouement pour les espaces protégés qui
ont été créés en grand nombre dans toutes les montagnes
du monde ne s’accommode pas toujours des contraintes
imposées à la fréquentation. Autant la police de
l’environnement est-elle souvent drastique dans les parcs
américains, autant en Europe, il est plus difficile de faire
admettre des restrictions, car l’idéal de « la montagne pour
tous » est solidement ancré. Ceux-là mêmes qui attachent
une grande importance à la conservation de la faune et
des espèces emblématiques renâclent à voir leurs
déplacements entravés par des mises en défens
rigoureuses.
« Nous pourrions gagner le Saint-Gothard par Airolo et
l’hospice des Capucins. Ce chemin est pratiqué tout l’hiver
et se fait commodément à cheval. »
J. W. von Gœthe, 1779.
Se récréer et s’oxygéner ont été les deux modalités indissociables du
développement des activités touristiques en montagne. Le séjour en
montagne, comme pratique sociale valorisée, s’est imposé d’abord autour
des stations thermales et climatiques et reste toujours d’actualité. Comme le
proclame encore aujourd’hui un village du Vercors : « Quinze jours à Autrans,
santé pour un an ! » Mais si ces séjours sur prescription médicale ont
engendré les premières fréquentations touristiques et les premiers
aménagements, la montagne-sanatorium, malgré toute l’aura romanesque
qui l’accompagne, peut apparaître répulsive aux autres vacanciers. Respirer
le bon air, certes, mais il faut aussi s’amuser, découvrir les paysages, éprouver
ses capacités physiques, se frotter au danger. C’est pourquoi les vacances à
la montagne ont été rapidement associées à la pratique de sports variés
autour de l’alpinisme, de la randonnée pédestre, des sports d’hiver et de
multiples activités de pleine nature.
Cheminements touristiques

L’homo touristicus est par définition inscrit dans le


mouvement, soit pour accéder à des espaces récréatifs,
soit dans la pratique d’itinéraires sportifs ou
patrimonialisés. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe
siècle, les montagnes étaient déjà une destination
privilégiée du Grand Tour, ce long voyage initiatique
prisé par les jeunes aristocrates, dont Gœthe et Dumas
ont laissé des récits. Aujourd’hui encore, les touristes
cherchent souvent en montagne des pratiques
cathartiques (pèlerinages, raids ou traversées) à travers
une plus-value paysagère et la confrontation à des
difficultés supplémentaires.

AU BOUT DU CHEMIN : LE PATRIMOINE


Quantité de « routes » de montagne sont l’objet de classements et de
protections. Pour la seule Savoie, pas moins de cinq sont reconnues : les
chemins du baroque, la route des ducs de Savoie, la route romantique, la
route des vins et la route des fromages de Savoie ! Le label du Patrimoine
mondial de l’humanité de l’Unesco a quant à lui distingué les chemins de
Saint-Jacques-de-Compostelle (inscrits depuis 1998 pour la partie française),
les sites sacrés et chemins de pèlerinage dans les monts Kii (2004, Japon), les
réseaux de routes de la Quebrada de Humahuaca (2003, Argentine), la route
de l’encens - villes du désert du Néguev (2005, Israël) ou encore la ligne de
chemin de fer de Semmering (1998, Autriche) et les chemins de fer
rhétiques (2008, Suisse). Ouverts en 1889, ces derniers étirent leurs fameux
trains rouges entre 430 m et 2 328 m d’altitude au col de la Bernina et
transportent aujourd’hui plus de 10 millions de touristes par an. Le train est
un lieu d’observation privilégié des paysages et fait aussi l’objet d’une mise
en scène depuis des points ou des itinéraires aménagés. Toujours en Suisse,
les rampes ferroviaires du Lötschberg sont doublées de sentiers de
randonnée pédestre avec des panneaux qui expliquent les qualités des
ouvrages. Pour rejoindre des grands belvédères, pour traverser des massifs
ou pour atteindre des sommets, les téléphériques sont aussi des moyens
privilégiés pour accéder aux paysages emblématiques de la montagne. Ce
tourisme contemplatif vient compléter les usages sportifs des remontées
mécaniques.

...

VERS UNE STRUCTURATION EN RÉSEAUX


La plupart des grands itinéraires tendent à s’organiser en réseaux et à
proposer une offre en logements, en services (par exemple le transport de
bagages) et en activités, parfois très élaborée et adaptée autant aux cyclistes
qu’aux automobilistes et randonneurs. L’association Grande Traversée des
Alpes (GTA) propose ainsi six grands itinéraires de découverte comme la Via
Alpina, dont les 5 000 km de sentiers traversent huit pays. En Amérique du
Nord, l’Appalachian Trail (AT) repose également sur des réseaux de plus en
plus étendus. Il ne saurait en effet être réduit au chemin de randonnée
conçu par Benton MacKaye en 1921, qui traverse longitudinalement les
montagnes Appalaches d’un point culminant septentrional, le mont
Washington, à un autre, au sud, le mont Mitchell. Cet itinéraire s’est depuis
allongé jusqu’au mont Katahdin (Maine) et au mont Springer (Géorgie),
tandis qu’il intègre même une extension internationale jusqu’à Terre-Neuve
(Canada) et qu’il rejoint la Floride au sud, par l’entremise du Benton MacKaye
Trail (BMT) et de quatre autres itinéraires, l’ensemble formant le réseau
Appalachian Mountain Trail (AMT). Au départ fondement d’une utopie
sociale pour un peuplement montagnard, l’Appalachian Trail est clairement
devenu une aubaine pour la mise en tourisme de la région.

...
« FAIRE LE GR »
Des fédérations nationales et internationales de sentiers de grande
randonnée proposent aux marcheurs des itinéraires balisés parfois sur
plusieurs centaines de kilomètres, dont les difficultés sont renseignées dans
des guides et qui ont pu donner lieu dans certains cas à des « applis » pour
téléphone ou tablette. Si les premiers ont été tracés en France en 1947,
d’autres pays comme l’Espagne et le Japon se sont depuis ouverts à ce type
de chemins touristiques. Certains, comme le fameux et très difficile GR 20
qui traverse la Corse d’une côte à l’autre, sont abordés comme de réelles
épreuves sportives et nécessitent un solide entraînement, même si on peut
n’en parcourir que des tronçons. Parmi les cent premiers GR français
numérotés, 84 ont tout ou partie de leur parcours en montagne.
.

Verbatim

« Quand on a marché deux heures dans une montagne, on


est plus intelligent. »
Coline Serreau, 1996.
La montagne, c’est la santé ?

Le site officiel des stations de ski en France, www.france-


montagnes.com, met en avant un slogan, « La montagne,
bienfaits pour vous », qui valorise les séjours en altitude
pour « prendre soin du corps comme de l’esprit ». Et les
applis de se multiplier pour un usage optimal des qualités
de l’air, de l’eau ou plus largement de la vie dans les
hauteurs. Ce discours est ancien et Jean-Jacques
Rousseau vantait déjà les dimensions salutaires de la
nature montagnarde. Personnage mythique en Suisse,
Heidi a aussi nourri de nombreuses histoires autour des
vertus de la montagne. Mais comment faire la part entre
arguments médicaux et représentations ?

EAUX EN BOUTEILLES, EAUX EN STATIONS


La montagne à boire. De nombreuses eaux minérales appuient leur
marketing sur des qualités prêtées à la montagne. Dans les Aurès (Algérie),
l’eau de Batna est ainsi exploitée depuis l’Antiquité. La marque aujourd’hui
disparue Alaska Water n’hésitait pas à mentionner sur ses bouteilles « Alaska
Premium Glacier Drinking Water : l’eau pure des glaciers de la dernière
frontière non polluée », alors même qu’elle s’approvisionnait auprès des
services municipaux de Juneau ! Aquafina, une des marques les plus
vendues aux États-Unis et qui avait bâti sa communication autour de l’image
de la montagne, a reconnu il y a peu qu’elle filtrait l’eau du robinet avant d’y
ajouter des minéraux… Inversement, en dépit de qualités qui lui permettent
d’être distribuée sans traitement, l’eau de Grenoble, pompée dans la vallée, a
vu échouer toutes ses tentatives de commercialisation en bouteilles. C’est
donc bien l’image de la montagne qui fait vendre, aussi bien Poland Spring
(prélevée dans des sources de l’État du Maine) et Arrowhead (sources en
Californie) qu’Évian qui a multiplié les campagnes sur « l’eau de là-haut »,
avec des visuels inspirés par l’aiguille du Chardonnet. Rappelons, sans rien
enlever à ses qualités, que l’eau d’Évian provient essentiellement du plateau
Gavot qui surplombe le lac Léman à 900 m d’altitude…
Contrairement à une idée reçue, l’eau de nappe, en plaine, filtrée par des
alluvions, est souvent de meilleure qualité. Et la potabilité des eaux qui
traversent les villages des pentes du Ladakh et du Sikkim (Inde) ou du Népal
n’est pas toujours très bonne…
Les activités liées au thermalisme, sans être spécifiquement montagnardes,
se sont souvent déployées avec succès dans de nombreux massifs. Des
Pyrénées au Massif central, des Vosges à la Forêt-Noire, beaucoup de
stations connaissent ces dernières années un second souffle avec la vogue
des spas. Au Japon, les onsen (littéralement « sources chaudes ») sont ces
bains thermaux avec des eaux très chaudes généralement issues de sources
volcaniques et dont la tradition est très ancienne. Celles de Gero (Gifu) ou
celles de la région de Matsumoto (Nagano) comptent parmi les plus
connues, mais celles de Hakone (Kanagawa) bénéficient de la proximité de
Tokyo. Trains et routes de montagne, téléphériques, funiculaires y
desservent l’ensemble des sites autour du lac Ashi avec le mont Fuji en ligne
de mire…

...

QUEL BON AIR ?


Le « bon air » participe aussi d’une rhétorique sur les vertus sanitaires du
séjour à la montagne. Du climatisme à la climatothérapie, avec un bien-
fondé scientifique pas toujours bien établi, chaque mode a produit des
formes d’aménagement spécifiques. L’utilisation des propriétés d’un climat
dans le traitement de la tuberculose ou d’affections respiratoires chroniques,
comme l’asthme, est fondée sur une thérapeutique, des pratiques curatives
qui s’incarnent dans la silhouette imposante du sanatorium. Mais cette
fonction curative heurtait parfois l’activité touristique : dans le Vercors, le
canton de Villard-de-Lans s’organise à partir de 1926 comme un vaste
préventorium d’où sont exclus les tuberculeux. Entourés de plantations de
résineux supposés épurer l’air, les homes d’enfants se multiplient alors avec
leurs larges vérandas tournées vers le soleil.
Le monde colonial avait lui aussi favorisé l’émergence de stations
climatiques, en particulier dans les zones tropicales chaudes et humides. Le
Raj britannique avait ainsi fait de Shimla, au nord de Delhi, sa capitale d’été
tandis que les Britanniques de Calcutta allaient se réfugier à Darjeeling. Les
Français avaient quant à eux créé celle de Tam Dao (Tonkin), qui sera
détruite durant la guerre du Vietnam, et celle de Dalat (Sud-Annam).
Un air plus pur ? L’image d’un air pur en montagne mérite pourtant d’être
fortement nuancée. Dans les fonds de vallée la topographie et les
phénomènes d’inversion thermique concentrent les polluants primaires liés
à l’urbanisation, aux usines, aux circulations routières régulières ou
touristiques. Mais les brises de versants peuvent aussi les disperser vers les
hauteurs, par ailleurs sujettes à des pics d’ozone réguliers, susceptibles de
rendre dangereuse une pratique sportive, comme à l’été 2003 dans le massif
du Mont-Blanc.
...

BON POUR LE SPORT ?


Les bénéfices physiologiques de l’altitude sont pourtant recherchés par
beaucoup de sportifs. Le phénomène d’hypoxie (baisse de l’oxygénation des
poumons puis du sang) est souvent souligné. Au-delà de trois à quatre
semaines de séjour, certains effets persistent dans la durée, comme une
hyperventilation, une polyglobulie, une augmentation du nombre de
capillaires musculaires ou encore une baisse des maximums cardiaques. De
nombreux athlètes vont du coup profiter d’installations créées en altitude
(comme à Font-Romeu ou à Tignes en France), mais ces « avantages »
empêchent aussi parfois l’homologation de certains records. Et si l’alpinisme
de haute altitude nécessite des phases d’acclimatation, l’espace au-dessus
de 7 000 m constitue la zone de la mort où un séjour prolongé détériore
irrémédiablement les organismes.

Verbatim

« Autour d’eux, la vie du sanatorium poursuivait son cours.


En bas, des groupes se promenaient sur la neige
étincelante. Sur la terrasse, ceux que la maladie tenait
étendus conversaient. »
Joseph Kessel, 1926.
Le ski : une pratique mondialisée

L’histoire n’est pas banale, et seul le surf permettrait d’en


raconter une comparable : au départ, un moyen de
déplacement des plus rustiques, deux planches aux
extrémités recourbées pour glisser sur la neige, dont
l’invention se perd dans la nuit des temps, en Scandinavie
ou en Slovénie… Et, depuis un siècle, le ski est devenu
une pratique sportive mondialisée et l’un des piliers de
l’économie touristique de la montagne, reléguant très
loin les sports de glace qui avaient d’abord tenu la
vedette. De nombreux habitants des plaines ne
connaissent aujourd’hui la montagne qu’enneigée,
équipée et dévalée par d’innombrables taches
multicolores.

LES BALBUTIEMENTS DU SKI


Le ski a d’abord été une activité de loisirs bien avant de devenir une pratique
touristique. Dans les Alpes ou dans les Pyrénées, les premiers essais sont
attestés dans les années 1870-1880, et, au tournant des XIXe et XXe siècles,
de nombreux concours sont organisés. Mais de véritables séjours
touristiques supposaient de convertir les stations d’été ou de construire de
nouvelles stations en altitude. Ce mouvement ne s’amorce guère avant les
années 1920, avec Megève. Dans les faits, le ski nordique a précédé le ski
alpin : ainsi, aux premiers Jeux olympiques d’hiver de 1924, à Chamonix, il n’y
avait pas d’épreuves de ski alpin – les épreuves les plus suivies étaient les
courses de ski de fond, les concours de saut et les activités de glace. Le ski
alpin reste longtemps une activité peu organisée et l’apanage d’un petit
nombre de pratiquants dans les Alpes et en Amérique du Nord.
...

LE RÈGNE DU SKI
C’est entre les années 1930 et 1950 que le ski commercial a émergé, sans
cesser de se perfectionner depuis : les premiers téléskis sont construits au
début des années 1930. Contre l’achat d’un titre de transport, le skieur se
retrouve hissé en haut des pentes par des remontées mécaniques, et il
redescend sur des pistes dont la neige a été damée par des engins, quand
elle n’a pas été produite par des canons.
L’affirmation du ski alpin comme pratique dominante dans le tourisme de
sports d’hiver s’est appuyée sur l’engouement des clientèles pour qui les
vacances à la neige restent une pratique de distinction, ce qui favorise son
implantation dans de nouveaux pays. Elle a aussi bénéficié de la popularité
de champions et championnes brandis comme des étendards par les
stations. L’organisation des JO à Sapporo (Japon) en 1972 puis à Sarajevo
(Yougoslavie) en 1984 indiquait déjà une tendance à l’extension du ski au-
delà de ses berceaux alpins et scandinaves.
Dans les massifs de moyenne montagne ou en plaine dans les pays de haute
latitude, les grandes courses populaires de ski nordique rassemblent
plusieurs milliers de participants sur le modèle de la Vasaloppet en Suède. Le
circuit Worldloppet fédère les plus grandes courses.
...

LE SKI EN CHANTIERS
L’impact paysager du ski se révèle surtout l’été : pistes ouvertes dans la forêt,
travaux de déroctage pour effacer des barres rocheuses, poses de drains
pour limiter le ruissellement… Là où la densité de l’équipement est déjà
élevée, les exploitants se sont efforcés depuis les années 1990 de relier les
stations entre elles pour créer de grands domaines skiables. En Tarentaise,
les Trois Vallées couvrent une superficie plus importante (10 500 ha) que les
cinq plus grands domaines skiables d’Amérique du Nord réunis. Quant à la
neige, elle n’est pas tant recherchée pour son abondance, qui peut aussi
poser des problèmes, que pour sa régularité d’une année sur l’autre et au
cours de la saison. Dans tous les cas, les investissements sont lourds et le pari
d’ouvrir au ski de nouvelles montagnes du monde dans le Caucase (JO de
Sotchi en 2014), en Chine ou en Corée (JO en 2018) témoigne des enjeux
économiques associés à ces pratiques qui s’adaptent au contexte local et au
niveau technique des skieurs.
UN SKI PIONNIER
Recenser les sites de ski en Chine est un exercice difficile
car l’agencement et la pratique de ces espaces
nouvellement constitués sont très originaux et
beaucoup s’inscrivent dans une dimension urbaine
(simples langues de neige). Les équipements les plus
nombreux sont d’abord apparus dans le nord-est
chinois, puis ont récemment essaimé dans les provinces
montagneuses du centre et du sud, puis dans l’ouest.

Verbatim

« Va doucement, c’est tout bon, C’est tout bon, bon, bon,


C’est tout bon Killy, c’est bon ».
Hugues Aufray et Pierre Delanoë, 1967.
Les « nouvelles glisses »

Le cycle de vie des pratiques touristiques fait alterner des


phases de standardisation et des phases de
diversification. Au cours du XXe siècle, le ski alpin s’est
imposé comme la figure dominante des sports d’hiver, la
plus rémunératrice, celle qui draine des clientèles
solvables et qui créé le plus d’emplois et de richesses.
Mais cette offre monolithique s’est peu à peu diversifiée
à partir des années 1980 et surtout 1990, proposant de
nouvelles sensations, exigeant de nouvelles aptitudes
techniques, mettant en jeu de nouvelles valeurs et
attirant de nouvelles clientèles, sans éclipser toutefois le
ski alpin qui reste prédominant.

QUEL RENOUVELLEMENT ?
Les disciplines de neige et de glace se sont diversifiées, comme le montre
l’évolution du nombre d’épreuves aux Jeux olympiques d’hiver : 35 à
Grenoble en 1968, 86 à Vancouver en 2010, autant pour alimenter les
programmes de télévision que pour faire une place aux « nouvelles glisses ».
Bien sûr, il faut compter avec l’illusion de la nouveauté. Ici comme ailleurs,
on n’a pas hésité à faire du neuf avec du vieux. Des techniques anciennes
comme le télémark ont été parées de l’attrait de la nouveauté et aux JO de
1998 est réapparu le curling, disparu du programme depuis 1924. Et dans
certaines stations, l’absence de damage sur quelques pistes fait figure
d’innovation révolutionnaire… et appréciée ! À l’inverse, certaines
nouveautés n’ont jamais été réellement adoptées, tel le ballet à skis, proposé
aux JO de 1988 et 1992. D’autres, enfin, restent et resteront sans doute très
confidentielles, comme le kilomètre lancé, épreuve de vitesse pure qui ne se
pratique que sur quelques sites spécialement préparés (la piste des Arcs par
exemple, en Tarentaise).

...
NOUVELLES PRATIQUES, NOUVELLES VALEURS
Dans le même temps, des pratiques ont réellement renouvelé les sports
d’hiver : d’abord le surf des neiges, ou snowboard, qui a sauvé le ski alpin
d’une ringardisation annoncée en rajeunissant la clientèle des stations.
Pratique minoritaire certes, mais visible car savamment mise en scène, le
snowboard est approprié par les moniteurs de ski qui l’enseignent à leur
tour. Depuis 1998, il figure au programme des JO d’hiver. En parallèle se sont
développées toute une série de pratiques plus ou moins inventives :
descente sur un ski au lieu de deux ou sur de tout petits skis, ski tracté par
cerfvolant, ski associé à divers dispositifs de vol libre… Le ski et ses
déclinaisons se sont aussi ouverts à de nouveaux publics handicapés. Les
fabricants ont tiré profit de cette diversification des pratiques en mettant sur
le marché des matériels conçus pour chaque niche et en affichant plus de
légèreté, de maniabilité et de sécurité.
L’état d’esprit des pratiquants a évolué en parallèle. Dans les années 1950-
1970, le ski alpin triomphant était avant tout fondé sur les valeurs du sport
de compétition encadré par de puissantes fédérations. À partir des années
1990, les nouvelles glisses ont plutôt fait l’objet d’une auto-organisation
autour du plaisir et d’une certaine prise de risque ; les stations ayant
aménagé des espaces dédiés, elles ont intégré le modèle du sportspectacle,
comme lors des X-games qui proposent des épreuves acrobatiques de ski et
de snowboard à Aspen (Colorado) et à Tignes (Savoie). Plus récemment, des
équipements sont apparus qui misent sur le festif (pistes éclairées pour le ski
nocturne) et sur le ludique : des parcs de jeux sur neige sont ainsi aménagés
spécifiquement pour les enfants, comme le Ludoffaz, à Abondance (Haute-
Savoie). La compétition s’en inspire pour des challenges nocturnes.
...

DES DOMAINES SKIABLES REMANIÉS


Ces nouvelles glisses se sont accompagnées d’une fragmentation des
espaces de pratique : pour des raisons de sécurité et de confort, des
snowparks clos ont été aménagés à côté des pistes de ski pour permettre
l’évolution sur des modules sculptés à grands frais dans la neige. Ces
espaces, qui tablent sur une clientèle jeune, sont souvent sonorisés et créent
une ambiance qui les distingue du reste du domaine skiable. Ils établissent
une parenté de plus en plus nette avec les skateparks urbains et une street
culture acclimatée à la neige : mêmes pratiquants, mêmes codes
vestimentaires, mêmes figures acrobatiques. Les skidômes installés en ville
prolongent cette tendance.
Certaines stations ont aussi aménagé des pistes de luge ou des parcours de
ski scénarisés pour les enfants ; les exploitants de remontées mécaniques
sont ainsi amenés à réglementer les accès aux pistes en fonction des
niveaux de difficulté et des compatibilités entre pratiques. Hors des pistes
balisées et sécurisées, les freeriders ont investi toutes les pentes auxquelles
les remontées mécaniques donnaient accès, élargissant encore l’espace de
pratique. De ce fait, les qualités d’une station ont été réévaluées par les
pratiquants eux-mêmes, indépendamment des critères initiaux : telle station
familiale de moyenne altitude s’est révélée riche en couloirs et pentes
extrêmes recherchées, telle autre jadis réputée sportive n’a pas su offrir de
semblables opportunités d’évolution.
Cette diversification redéfinit la notion même de domaine skiable : les
couloirs parcourus par les freeriders en constituent des prolongements de
fait hors des périmètre sécurisés, et ces pratiques rentrent parfois en
contradiction avec les règlements des espaces protégés qui jouxtent les
pistes.

.
Verbatim

« Mais je ne risque rien, mon chéri. La neige est si propre


que tomber est un plaisir. »
Joseph Kessel, 1928.
Le foisonnement des activités de pleine

nature

Historiquement, le repos et l’effort ont constitué les


deux piliers, complémentaires plus que contradictoires,
de tout séjour en montagne : la marche et l’alpinisme
sont les archétypes de ces activités qui donnent
l’occasion d’évoluer « en pleine nature ». Sur ces bases,
les activités physiques ont évolué en intégrant d’un côté
une forte composante d’amusement et, de l’autre, une
recherche de la performance sportive dans des défis
toujours plus relevés. Il en résulte une démultiplication
des activités qui se déploient en montagne, devenue
terrain de sport, de jeux et d’aventure, intégrant une part
de transgression et une prise de risque.

ENTRE INNOVATION, RECYCLAGE ET IMITATION


L’alpinisme, l’escalade ou la spéléologie en montagne ont longtemps été
caractérisés par des techniques spécifiques et par des terrains de pratique
propres. Sur cette base, la diversification des activités de pleine nature (APN)
a suivi plusieurs voies. Une activité comme le deltaplane est une innovation
qui a gagné les montagnes à partir des années 1970. Dans le même ordre
d’idées, le canyonisme aboutit à l’investissement de lieux qui n’avaient
jamais été parcourus. D’autres, comme le ski sur herbe ou la luge d’été,
découlent d’une déclinaison sur l’année d’une activité saisonnière.
Mais la plupart de ces activités résultent plutôt d’une hybridation avec des
pratiques utilitaires ou urbaines. Ainsi, les via ferrata ont d’abord été des
cheminements militaires ; depuis vingt ans, on en trace de nouvelles comme
supports de parcours ludiques ou acrobatiques. Quant aux courses de fond
ou d’ultrafond en montagne, elles font écho aux marathons organisés dans
les grandes métropoles mondiales. La marche sur sangle tendue entre deux
reliefs (highline) emprunte aux disciplines du cirque et aux arts de la rue
(slackline). Enfin, la combinaison de la cascade de glace et de l’escalade sur
rocher donne le dry-tooling, pratiqué avec crampons et piolet.
Cette diversification s’est aussi appuyée sur une économie de l’offre portée
par les fabricants de matériel et les professionnels de l’encadrement. Ainsi, la
randonnée hivernale en raquettes, si elle n’est pas une pratique nouvelle,
s’est développée en attirant une part croissante de la clientèle des stations.

...

TOUJOURS PLUS D’APN


Les APN en montagne se sont à ce point diversifiées que, tendanciellement,
elles occupent tout l’espace, à toutes les altitudes et en toutes saisons. Elles
se déploient au sol, dans l’eau, dans l’air, sous terre, dans des espaces de
pratique sécurisés ou non. Les unes supposent des aménagements
pérennes et sont assez étroitement encadrées (sites écoles d’escalade), les
autres sont plus franchement transgressives (base jump). Certaines utilisent
en été des aménagements initialement construits pour les sports d’hiver,
comme les remontées mécaniques pour le vélo tout terrain, tandis que
d’autres supposent la maîtrise de techniques complexes (cascade de glace).
Elles peuvent cohabiter avec les activités agro-sylvo-pastorales, ou entre
elles, mais entrent parfois en conflit : par exemple lorsque randonneurs et
vététistes se déplacent sur les alpages, ils font parfois face aux chiens de
protection des troupeaux. Les canyonistes et les pêcheurs ont dû trouver
des terrains d’entente pour ne pas se gêner mutuellement, de même que les
via ferrata sont installées préférentiellement sur des parois qui ne présentent
pas d’intérêt pour l’escalade. Ainsi, les conflits d’usage et les conventions
passées entre associations aboutissent à étendre encore dans le temps et
dans l’espace l’investissement de la montagne par les APN. Certes, cette
saturation de l’espace est très relative, les adeptes du dry-tooling ou les
hommes-écureuils forment des communautés très réduites. Mais
l’occupation apparaît plus dense, plus visible, plus médiatisée et plus
intégrée à l’économie du tourisme qu’il y a quelques décennies.
Et ces nouvelles pratiques finissent par s’identifier à certaines destinations
phares, comme la descente de canyon dans les cirques de la Réunion ou la
pêche en montagne dans la vallée de la Soča (Alpes slovènes).
...

LA PLACE DE L’ÉVÉNEMENTIEL
L’effort de diversification conduit par les stations touristiques passe par le
succès de manifestations qui mêlent la compétition sportive et les
rassemblements de masse. Organisées en avant ou en arrière-saison, elles
permettent d’allonger la période de forte activité et concourent à
l’attractivité de la destination. Dans ce domaine, les trails sont des courses
longues en terrain très difficile, dépassant souvent les 100 km de distance et
approchant les 10 000 m de dénivellation positive. Elles combinent des
cadres prestigieux avec la recherche de la difficulté maximale : parmi les plus
connus, citons la Badwater, courue en près de 23 heures par les meilleurs
entre la Vallée de la Mort (point le plus bas des États-Unis) et les pentes du
mont Whitney (point culminant des États-Unis hors Alaska), l’Ultra-Trail du
Mont-Blanc ou la Diagonale des Fous à la Réunion, qui rassemblent plusieurs
milliers de participants. L’hiver, les courses de ski-alpinisme en constituent
l’équivalent. La Patrouille des glaciers, organisée tous les deux ans entre
Zermatt et Verbier (Valais), est un ancien exercice militaire devenu une des
principales courses. Ces événements très médiatisés consacrent le succès
rencontré par ces activités et leur donne une nouvelle audience, au-delà du
cercle des compétiteurs.

Verbatim

En conclusion
Hergé situe le début de son album Tintin au Tibet à
Vargèse, une station savoyarde imaginaire dotée de son
lac, son casino, sa gare… c’est-à-dire des attributs
classiques de ce type de lieu dans la première moitié du
XXe siècle. Dès les premières cases, le jeune reporter au
retour d’une excursion s’exclame : « Éreinté, je l’avoue, mais
heureux comme un roi !... Ah ! la montagne que c’est beau
!... Et puis cet air vif et léger, un peu piquant…(…) » Et le
capitaine Haddock de lui répondre : « La montagne
comme paysage, ça ne me dérange pas trop… Mais
s’obstiner à grimper sur des tas de cailloux, ça me dépasse.
» Ce dialogue témoigne de l’ambivalence qui a
accompagné le développement du tourisme en
montagne. Quand certains recherchent le « bon air » sur la
base d’arguments médicaux plus ou moins fondés,
d’autres contemplent la montagne plus qu’ils ne la
pratiquent. La parution de cet album en 1960 correspond à
un engouement général pour la montagne. En France,
c’est le début d’une période faste pour le ski, avec des
résultats sportifs qui culmineront aux JO de Grenoble en
1968 (médailles de J.-C. Killy). Et, dans le domaine de
l’aménagement, l’État avec le Plan Neige (1961-1971) se fait
l’initiateur d’une industrie du ski et participe à
l’aménagement de nouvelles stations pour une ouverture
au plus grand nombre des pratiques associées. Dans la
mondialisation de la mise en tourisme des montagnes, la
valeur des lieux change, ainsi que les usages, en fonction
des pratiquants.
« Le Cervin convenait à mon projet. Depuis longtemps, je
cherchais à réunir dans un même “coup” mes trois passions
: l’aile delta, le ski extrême, l’escalade glaciaire. Rassembler
une sorte de bouquet inédit. »
J.-M. Boivin, 1981.
Dans le film Tarzan, l’homme singe (1932), lorsque la colonne d’explorateurs
à la recherche d’un cimetière d’éléphants s’approche de la montagne Mutia,
les porteurs africains refusent d’avancer davantage. Le cinéma hollywoodien
projette ici, sur une Afrique mystérieuse, l’idée que toute montagne est a
priori taboue pour les peuples primitifs. Les Européens, quant à eux, ne
s’arrêtent pas à ces préjugés ancestraux et souhaitent poursuivre leur
chemin…
Mais toutes les montagnes et toutes les époques ne produisent-elles pas de
telles croyances ? En 1902, au col du Petit-Saint-Bernard (Savoie, Val d’Aoste),
est érigée une haute statue de ce saint légendaire terrassant le dragon
monstrueux qui gardait ces lieux désolés… La même statue veille aussi sur
le col du Grand-Saint-Bernard (Valais, Val d’Aoste) et répète le message d’un
col arraché à la fois à Jupiter qui en avait été le premier gardien et aux
créatures merveilleuses qui peuplent les montagnes. La fantaisie des
hommes s’est plu à forger des images de la montagne qui se retrouvent tout
autant dans les croyances religieuses que dans les productions artistiques.
Des montagnes et des dieux

Que ce soit dans les religions du Livre ou dans les


religions animistes, toutes les croyances assignent à la
montagne une place éminente. Les savants parlent
d’invariant anthropologique, mais comment expliquer cet
attrait particulier ? L’apparition d’une divinité
impressionne-t-elle davantage lorsqu’elle se produit au
sommet d’une montagne ? Est-ce l’alliance de la solitude
et de la majesté qui cristallise la spiritualité aussi bien à
Saint-Martin-du-Canigou (Pyrénées-Orientales) que dans
la vallée de la Qadisha (mont Liban) ? Ou est-ce que la
présence d’un saint ermite est nécessaire pour apaiser
une montagne tenue pour maléfique ou diabolique ?

CHOISIR DES MONTAGNES POUR SES DIEUX


De nombreuses civilisations ont désigné des sommets remarquables
comme l’axe autour duquel s’organise le monde entier.
Dans plusieurs cosmogonies, des catastrophes primitives ont épargné le
sommet mythique à partir duquel la vie va redémarrer. Le mont Ararat
(Arménie historique), émergé au-dessus des eaux du Déluge, a souvent été
identifié comme le lieu de cette deuxième création, mais c’est la montagne
en général qui y gagne son caractère sacré…
Dans les religions qui accordent une place centrale à la révélation, les
montagnes sont les lieux privilégiés des théophanies, c’est-à-dire des
apparitions divines. Au contraire, dans des traditions où les dieux sont plus
proches des hommes, ils élisent domicile sur une montagne inaccessible,
comme l’Olympe dans la Grèce ancienne. La construction de monastères
peut venir pérenniser ces hauts lieux de l’histoire religieuse, comme le
monastère Sainte-Catherine dans le Sinaï. Mais dans d’autre cas, les couvents
s’installent au contraire dans les lieux les plus reculés pour privilégier le
retrait du monde et la méditation, comme le monastère de la Grande
Chartreuse au pied du grand Som (Alpes du Dauphiné).

...

LES PAYSAGES ET LES RITES


Ce n’est pas tant l’altitude de la montagne qui compte que la façon dont elle
se singularise dans le paysage et dont elle sollicite l’imagination. Si l’Olympe
(2 917 m) est bien le point culminant de la Grèce, beaucoup de montagnes
sacrées sont d’altitude plus modeste, même dans leur contexte régional. Il
arrive souvent que la montagne sacrée soit associée à des cavernes, comme
la grotte du mont Ida, où Zeus enfant fut nourri : la grotte redouble alors les
caractères de sacralité attachés à la montagne et se prête bien aux épisodes
où un saint chevalier vient déloger un dragon. Le Monte Sant’Angelo du
Gargano, dans les Pouilles, ne culmine qu’à 807 m d’altitude, mais la piété
pour saint Michel y reste fervente. À la Sainte-Baume, en Provence, où Marie-
Madeleine vécut de longues années de pénitence et de béatitude,
l’association montagne-grotte est complétée par la présence d’une très
belle hêtraie.
Comme tous les lieux qui sollicitent fortement l’imaginaire, la montagne est
essentiellement ambivalente, tout à la fois sacrée et diabolique. D’où la
nécessité de sanctifier les montagnes par l’édification d’oratoires et de
chapelles qui permettront de les soustraire à l’influence néfaste des démons
: d’innombrables sommets sont ainsi pourvus de croix ou de statues, y
compris des aiguilles aussi difficiles d’accès que le Grépon (3 482 m, massif
du Mont-Blanc) où une statuette de la Vierge fut installée en 1927. Les
pratiques de pèlerinage visent aussi à ancrer les montagnes dans le cercle
du monde. Les pèlerins eux-mêmes font valoir le mérite qu’ils ont eu à faire
le tour du Kailash (Tibet) en franchissant plusieurs hauts cols et en
s’allongeant la face contre le sol le long du parcours, ou à gravir la pointe de
Rochemelon (3 538 m, Alpes piémontaises) en égrenant leur chapelet, et
pour certains en finissant l’ascension à genoux.
...

RÉACTUALISER LA SACRALITÉ DES MONTAGNES


Les enjeux d’aménagement touristique autour du mont Olympe montrent
que le caractère sacré de la montagne perdure bien après que les croyances
religieuses qui y étaient attachées ont disparu. Un conflit analogue a éclaté
dans les années 1990 autour du mont Shasta (Californie) lorsqu’un projet de
station de ski fut annoncé et que les peuples premiers amérindiens le
contestèrent.
Ce rapport au sacré a trouvé des prolongements jusqu’en plein XXe siècle,
par exemple lorsque Gutzon Borglum sculpta les visages de quatre
présidents américains dans la paroi du mont Rushmore (Dakota du Sud)
entre 1927 et 1941. Cette sacralité civile sécularisée, qui renouvelait la valeur
symbolique des montagnes, heurta les Amérindiens pour qui les Black Hills
étaient un haut lieu sacré dans leur propre représentation du monde…
Aujourd’hui, c’est à travers le processus de patrimonialisation que se
perpétue cet attachement aux montagnes sacrées : sont ainsi inscrits sur la
liste du Patrimoine mondial de l’humanité le mont Athos (Grèce), le mont
Wutai (Chine) ou les temples de Tiwanaku (Bolivie).

Verbatim

« Les peuples qui vivent au pied des montagnes ont


souvent placé les divinités sur les sommets, non pas pour
les honorer depuis leur niveau inférieur, mais plutôt pour
les tenir à distance. »
Erri De Luca, 2005.
Montagnes rêvées, montagnes maudites

Ceux qui contemplent les silhouettes singulières de la


tour de Mustagh (7 273 m, au Karakoram) ou du Fitz Roy
(3 405 m, en Patagonie) se retrouvent plongés dans la
fantasmagorie. Les montagnes parlent haut et fort à
l’imagination, elles sont à la fois rêvées et réelles, bénies
et maudites. Leur connaissance tardive a favorisé
l’ancrage de cette dimension fantasmatique, mais
l’alpinisme a renouvelé les images de la montagne. La
montagne taboue est désirée par ceux qui voudraient la
gravir et crainte par ceux qui la vénèrent : ainsi en est-il
du Kailash, sacré pour trois religions et interdit à toute
ascension.

À LA RECHERCHE DES MONTAGNES MYTHIQUES


Les montagnes de la Lune, en Afrique orientale, ont longtemps été tenues
pour fabuleuses. Évoquées par Ptolémée, qui y situait les sources du Nil, elles
sont restées nimbées de mystère. Leur existence fut confirmée au XIXe siècle
par les expéditions qui les ont atteintes, jusqu’à l’ascension du Ruwenzori
par le duc des Abruzzes (1906).
Le mont Iseran, en revanche, attesté depuis le XVIIe siècle, disparut avec les
croyances qui lui avaient donné naissance : dominant les sources de l’Arc et
de l’Isère (Alpes de Savoie) du haut de ses 4 045 m supposés, il s’appuyait sur
l’idée que les grandes rivières prennent nécessairement leur source au pied
d’une grande montagne… Mais les alpinistes anglais vérifièrent vers 1860
qu’aucun sommet des environs ne dépassait les 3 600 m, et le nom de
l’Iseran resta finalement attaché à un col reliant la Maurienne à la Tarentaise.
L’histoire du Transhimalaya est encore plus incroyable, car elle se prolonge
en plein XXe siècle. Son existence supposée tenait à une conjonction unique
: les cartographes anglais s’étonnaient de ce que l’Indus et le Brahmapoutre
prennent leur source au nord de l’Himalaya et le contournent pour se diriger
au sud vers l’océan Indien. Or certains étaient persuadés qu’une grande
chaîne de montagnes devait forcément constituer une ligne majeure de
partage des eaux. La théorie voulait donc qu’il y ait une chaîne plus haute
plus au nord. Cette conviction fut partagée par l’explorateur suédois Sven
Hedin, qui consacra sa vie à prouver coûte que coûte l’existence de ce
Transhimalaya. De nombreux auteurs relayèrent cette croyance jusqu’aux
années 1950… et parfois bien après.
...

LES MOTS, RELAIS DE L’IMAGINAIRE


Des noms évocateurs. De la Jungfrau, la jeune fille emblématique des Alpes
bernoises, à la Maladeta, la montagne maudite qui porte le point culminant
des Pyrénées, les noms des monts ont été de puissants vecteurs de cet
imaginaire. Dans les Alpes de Lucerne (Suisse), le mont Pilatus était réputé
abriter toutes sortes de bêtes monstrueuses, sans que l’on sache si Pilate
était la cause de cette malédiction ou si l’on avait donné son nom à cette
montagne aux sinistres échos…
Ordre et désordres. Les montagnes ont longtemps été perçues comme les
vestiges du Déluge, comme la marque de la catastrophe qui avait rendu
informe la Terre, d’abord créée sans reliefs, donc parfaite. Et, lors du petit âge
glaciaire (XVII-XVIIIe siècles), les prêtres sont venus exorciser les glaciers qui
descendaient toujours plus bas et écrasaient les hameaux sur leur passage.
Ne s’agissait-il pas là d’une puissance proprement diabolique ?
Les phénomènes liés aux glaciers et à l’atmosphère, les désordres
physiologiques liés à l’altitude, la production artistique et les enjeux
symboliques nourrissent et recomposent sans cesse cet imaginaire. Les
montagnes apparaissent au bout du compte comme les lieux de séjour
aussi bien des dieux ou des saints ermites que des enchanteurs et des
marginaux. Ces mythes sont entretenus par la présence de bûcherons, de
charbonniers, de bergers qui vivent en montagne plusieurs mois de l’année
en communautés coupées du monde, parfois avec femmes et enfants.
Les montagnes racontées. La littérature de montagne a beaucoup joué sur
ces ressorts soit pour exalter le courage des montagnards et des alpinistes,
soit pour mettre en scène cette marginalité inquiétante. Le slovène Vladimir
Bartol, dans Alamut (1938), s’inspire du mythe du Vieux de la montagne et
décrit une secte terroriste qui s’est installée au sommet d’un piton pour
s’isoler totalement. René Daumal, dans Le Mont analogue (1952), met en
scène une expédition rocambolesque à la recherche d’une montagne qui
s’est toujours dérobée aux yeux de tous. Enfin, la littérature de sanatorium
constitue un genre à part entière, de Thomas Mann à Joseph Kessel, dans
lequel le séjour forcé en montagne est l’occasion d’intrigues sentimentales
autant que de réflexions sur le sens de la vie.
LA MONTAGNE QUI N’EXISTAIT PAS
Autour du Transhimalaya s’est nouée l’une des plus
grandes querelles géographiques : la chaîne existait-elle
réellement ? Ou n’était-elle qu’une vue de l’esprit, dans
un contexte où les grandes puissances cherchaient à
poser des jalons en Asie centrale ? De nombreux atlas
ont représenté ce Transhimalaya en reliant de grands
sommets du Tibet par un alignement plus imaginaire
qu’avéré.
...

MONTAGNES HEUREUSES, MONTAGNES REPOUSSANTES


En 1754, le Suisse Elie Bertrand publie son Essai sur les usages des
montagnes, dans lequel il démontre à la fois la beauté, la salubrité et la
fertilité des montagnes, dans une optique providentialiste. Peu après,
l’apôtre du pyrénéisme, Ramond de Carbonnières, laissa une description
édénique de la vallée de Campan (Hautes-Pyrénées) dont les habitants ont
fondé la prospérité sur la frugalité de leurs mœurs et l’intelligence de leur
travail. Mais cette opinion restait minoritaire, tant les montagnes étaient
alors perçues comme pauvres, malpropres, renfermées sur elles-mêmes à
l’écart du monde et terrifiantes. Les voyageurs qui étaient amenés à les
traverser n’osaient pas entrouvrir les rideaux de leur voiture et regarder au-
dehors…
Les premiers récits des Européens au Népal et au Tibet donnent une
impression effroya ble de ces pays et de leurs habitants. C’est au cours du
XXe siècle que leur image changea du tout au tout, sous le coup des récits
d’expédition, de la popularité de grands voyageurs et des himalayistes, de la
sympathie pour la cause tibétaine et de la vogue que connaît le
bouddhisme en Occident. Au gré des événements qui se déroulent à Pékin
et à Lhassa, des drapeaux tibétains fleurissent dans tous les pays des Alpes,
sur les maisons particulières et sur les bâtiments publics, et disent
l’attachement pour une montagne lointaine, idéalisée et en voie de
sinisation.

Verbatim

« Montagnes ! Poignards dans le ciel bleu Qui n’émousse


pas la pointe Le ciel s’écroulerait S’il ne reposait pas sur
elles. »
Mao Tsé-Tung, 1934-1935.
Bestiaire imaginaire

Des créatures légendaires et démoniaques du Seigneur


des anneaux de Tolkien (1954-1955) à l’éventail sans cesse
renouvelé des monstres des mangas et des jeux vidéo, les
montagnes sont des espaces privilégiés pour
appréhender un bestiaire d’une grande richesse. Avec des
caractères souvent maléfiques ou menaçants, ils ont en
commun des attributs sauvages ou anthropomorphes. Si
la figure de l’homme-singe se retrouve sur les principaux
continents, certains massifs sont « habités » par des
bêtes imaginaires spécifiques. Des parallèles peuvent
être faits avec les monstres de la mer dans lesquels les
sociétés projettent aussi leurs craintes de l’inconnu.
POUR SE MOQUER OU FAIRE PEUR
Un animal imaginaire comme le dahu sert d’abord à ridiculiser les
populations, généralement citadines, qui méconnaissent la montagne. Bien
avant Photoshop, les sociétés ont fait de cet animal sauvage un assemblage
de plusieurs autres et lui ont conféré, entre autres particularités, celle d’avoir
des pattes plus courtes d’un côté que de l’autre pour lui permettre de se
déplacer au mieux à flanc de montagne…
Dairi dans le Jura, darou dans les Vosges, tamarou en Aubrac et Aveyron,
tamarro en Catalogne et en Andorre ou rülbi en Valais germanophone, sa
chasse, à laquelle on convie les naïfs, nourrit des récits hilarants sans cesse
renouvelés. La bande dessinée de F’murr, Le Génie des alpages, alimente
également une veine comique dans un très riche anthropomorphisme
animalier.
Mais on imagine aussi les mondes d’en haut peuplés par des bêtes féroces.
En Afrique, le tigre des montagnes apparaît de l’Ennedi et du Tibesti jusqu’au
mont Kenya en passant par les montagnes du Soudan. Avec des dents faites
de sabres, il ne laisse pas de traces grâce au pelage qui recouvre ses pattes.
Comme lui, la bête du Gévaudan (l’actuelle Lozère) attaque et terrorise les
hommes. Dans les années 1760, sa présence est aussi l’occasion d’une
reprise en main par les pouvoirs politico-religieux, avec en particulier des
appels aux prières dont le fameux « mandement de l’évêque de Mende ».
L’incarnation bestiale des peurs est aussi un ressort dans la prolifération des
dragons, dont il existe des espèces de montagne comme en témoigne le
nom même du Drakensberg (montagnes du Dragon, Afrique du Sud).
S’il existe bien au Laos et au Vietnam un lézard qu’on appelle dragon, le
terme renvoie aussi à une grande variété de créatures, souvent ailées et dont
les œufs ont des pouvoirs magiques. Ces dragons-là peuplent
abondamment la littérature, les bandes dessinées ou le cinéma d’heroic
fantasy et les jeux vidéo.
SHINTOÏSME ET MANGAS
Dans le film d’Hayao Miyazaki (1997) inspiré des
montagnes de l’île japonaise de Yakushima, une
panoplie de créatures qui doit beaucoup à la religion
shintô mêle animalité et divinité. Comme un symbole,
l’héroïne élevée par une louve de 700 ans retourne en
montagne après un séjour dramatique au milieu des
hommes.
...

À LA RECHERCHE DU YÉTI
Les alpinistes eux-mêmes s’intéressent souvent aux animaux imaginaires des
montagnes. Edmund Hillary lance en 1959-1960 une expédition pour
retrouver des traces du yéti des cimes ou abominable hommes des neiges.
De la vallée de Rolwaling jusqu’au Khumbu (Népal), les dépouilles observées
semblent toutes être des peaux de chèvre ou de l’ours bleu, comme le
montreront les expertises menées ensuite. La même année 1960, Hergé
popularise une figure simiesque dans son Tintin au Tibet et le nom de
Migou, proche du migyu introduit par un journaliste anglais en 1920. Chemo
est plutôt le mot tibétain, yeti le mot népalais, mais on parle aussi de
chemong, de meti, de shupja, de migo, de kang-mi… Reinhold Messner est
une autre personnalité de l’himalayisme à s’y être intéressé, en particulier à
partir d’une longue randonnée solitaire dans le Tibet en 1986, au cours de
laquelle il rencontre un animal qu’il ne peut identifier et où il recueille les
premiers témoignages. Avec des arguments de la cryptozoologie, il hésite
entre deux hypothèses. La première est celle d’animaux semblables présents
dans d’autres montagnes du monde, généralement boisées et peu
occupées par l’homme : du Caucase à l’Amérique du Nord (sasquatch ou
Bigfoot). L’autre voudrait que le yéti soit intrinsèquement lié à la culture
tibétaine, et surtout au bouddhisme du diamant, avec intégration de cette
croyance à la cosmogonie.
Dans les récits, il y a souvent des accouplements avec des humains et
procréation, ce que l’on retrouve aussi dans des légendes liées aux ours en
Europe. La figure générique de l’homme-singe ou du monstre fonctionne
comme le miroir des peurs des sociétés face à la montagne.

...

QUAND LES CRÉATURES SE MÊLENT AUX HOMMES


Le bestiaire et les décors de La Princesse Mononoké doivent beaucoup aux «
Alpes flottantes » (jusqu’à 2 000 m d’altitude) d’une île du sud de l’archipel
nippon. Au milieu des sugis, ces conifères millénaires dont le plus vieux,
Jomon, aurait entre 6 000 et 7 000 ans, habiteraient encore les anciens dieux,
en particulier dans les parties les moins accessibles. Parmi les millions de
kamis, ces divinités ou esprits du shintoïsme, beaucoup sont attachés aux
montagnes et leurs représentations animalières ou anthropomorphiques
parsèment les routes.
L’artiste français Samivel a rassemblé jadis quelques éléments forts du
légendaire des Alpes suisses : les animaux fantastiques comme le dragon et
la vouivre occupent forêts et plans d’eau, tandis que fées et diables trouvent
leur abri dans les rochers. La vache blanche symbolise les glaciers qui
bientôt recouvriront les alpages…

.
Verbatim

« La haute montagne de la Rhétie [Grisons] sert de refuge à


des animaux de diverses espèces. Parmi les bêtes sauvages
et nocives, nous mentionnerons tout d’abord le dragon, ou
lindwurm. »
U. Campell, 1582.
La montagne dans l’art et la publicité

Dans le film Rencontre du troisième type (1977) de


Steven Spielberg, la montagne Devil’s Tower (Wyoming)
est le point de rendez-vous avec des populations
extraterrestres ; et tous ceux qui ont eu un premier
contact avec les ovnis tentent, sans la connaître, de la
reproduire en peinture ou en sculpture… Les montagnes
sont aussi l’objet d’expressions artistiques multiformes et
leur traitement s’inscrit dans l’histoire de l’art comme le
révélateur du regard que les sociétés portent sur elles. La
communication publicitaire s’empare aussi des images et
des valeurs de la montagne et les mobilise dans des
discours culturels de rejet ou d’attirance.

UN MOTIF QUI TRAVERSE L’HISTOIRE DE L’ART


La montagne a très tôt servi de support à une expression artistique
protéiforme, des gravures rupestres des monts Helashan (Chine) aux
pétroglyphes de Chaco Canyon (Nouveau-Mexique), en passant par les
géoglyphes de Nazca (Pérou). Sur les cartes, à bien des égards artistiques,
produites au Moyen Âge en Europe (la carte du monde de Ptolémée, la
Table de Peutinger), dans le monde arabe ou encore en Asie, les montagnes
apparaissent souvent avec des traits ou des alignements de taupinières qui
en disaient long sur la méconnaissance des mondes d’en haut. Mais
l’abondante production picturale renseigne aussi sur la fascination ancienne
qu’elles exercent sur les sociétés : celle des Chinois pour les paysages des
montagnes Jaunes (Huangshan) est presque à l’origine d’un genre.
Premiers mont Blanc. L’historien des arts se plaira à identifier la première
représentation de telle ou telle montagne, comme celle du mont Blanc, avec
La Pêche miraculeuse (1444) du peintre allemand Konrad Witz, où l’on
distingue en arrière-plan le déjà célèbre dôme neigeux. Ce type de «
première » se retrouve également dans la photographie lorsque Louis-
Auguste Bisson prend les premiers clichés au sommet du mont Blanc le 26
juillet 1861 ou encore dans le cinéma de fiction avec le film La Roue (Abel
Gance, 1923) où la haute montagne sert pour la première fois de cadre au
drame qui se déroule sur le toit des Alpes.

...
MONTAGNES EN PEINTURE, ARTS EN MONTAGNE
Gravures, estampes et peintures sont volontiers classées en périodes par les
spécialistes qui identifient des basculements dans les perceptions. Ce furent
d’abord ces « monts affreux » et ces horribles glaciers dessinés avec des
formes anguleuses et des sommets aux pointes recourbées… Puis vint, pour
reprendre la formule de Philippe Joutard, « l’invention du Mont-Blanc »,
comme objet de fascination esthétique puis de désirs touristiques.
Le peintre anglais William Turner (1755-1851) a proposé au début du XIXe
siècle une vision romantique des paysages de montagne qui privilégiait une
« nature vierge », non domestiquée par l’homme et qui faisait la part belle
aux désastres et aux ruines. Dans la même chronologie, Caspar David
Friedrich (1774-1840), avec Voyageur contemplant une mer de nuages ou
Watzmann, est aussi souvent convoqué. On s’imagine les contempler en
écoutant le poème symphonique La Nuit sur le mont Chauve (1867) de
Moussorgski… Cette évolution trouve des échos sur le continent américain,
avec Thomas Cole (1801-1848, View of Cornway Peak) ou Albert Bierstadt
(1830-1902, Valley of Yosemite).
La Société des peintres de montagnes, fondée en 1898, offre un cadre
institutionnel à une production qui devient vite pléthorique. Au tournant
des XIXe et XXe siècles, Paul Cézanne (1839-1906) renouvelle la vision de la
montagne dans l’art avec près de quatre-vingts représentations de la Sainte-
Victoire, et peu après, les expressionnistes comme Ernst Kirchner (1880-
1938) proposeront un nouveau regard.
Déclinaisons contemporaines. Au XXe siècle, les illustrations et les aquarelles
de Samivel (1907-1992) réenchanteront les images de la montagne alpine…
avant que le Land Art n’investisse les espaces montagnards. Ainsi, les
installations de Jean Verame au Tibesti (Tchad) ou du plasticien Philippe
Ramette frappent l’imagination. L’art s’exprime de plus en plus à la
montagne, où il joue souvent sur un effet de contexte, qu’il s’agisse
d’exposer en saison des œuvres sur les pistes de Courchevel ou de mettre
en scène des sculptures sur glace (à Valloire par exemple), que l’on veuille
appuyer un discours sur la modernité (les sculptures de Dubuffet à Flaine)
ou offrir un cadre à des festivals (théâtre dans le cirque de Gavarnie dans les
Pyrénées, chants à Baalbek au Liban). Comme un symbole, un concert pour
les Européens fut donné le 21 juin 1993 au mont Blanc, l’orchestre national
de Pologne jouant à 2 000 m, le pianiste Christopher Beckett à 3 600 m et le
chef Hugues Reiner officiant comme il se doit au sommet, à 4 807 m !

...

TRAVERSÉES EN LITTÉRATURE, EN CINÉMA, EN BD


La montagne a produit des héros que les arts ont mis en scène : les exploits
des alpinistes sont illustrés par les grands romans de Roger Frison-Roche (en
particulier sa trilogie alpine dominée par Premier de cordée, 1942) qui
connurent le succès bien audelà des cercles montagnards. Et la fiction n’est
jamais très éloignée des grands récits d’ascension, comme Annapurna
premier 8000 de Maurice Herzog (1951), dont on retrouve les lointains échos
dans Tintin au Tibet (1960) d’Hergé : le sherpa Tharkey qui avait accompagné
l’expédition française se retrouve à guider Tintin et le capitaine Haddock ! Le
cinéma a également magnifié les aventures de l’alpinisme avec La Sanction
d’Eastwood (1975), K2 de Roddam (1988), Cliffhanger d’Harlin (1993), Vertical
Limit de Campbell (2000), La Mort suspendue de MacDonald (2004) ou
encore Duel au sommet (Stölz, 2008) dans lequel l’ascension de l’Eiger
devient un enjeu pour l’Allemagne nazie. Et Le Sommet des dieux (2004), le
célèbre manga de Jiro Taniguchi, dont l’action se déroule des montagnes
japonaises à l’Everest, impressionne par sa précision et son souffle épique.
Mais les arts se sont aussi saisis de la montagne pour en rendre l’ambiance et
l’atmosphère, depuis que Rousseau fit évoluer les personnages de La
Nouvelle Héloïse (1761) dans les hauteurs qui dominent le lac Léman. Les
oppositions désespérées à l’aménagement touristiques fournissent la
matière au Fou d’Eddenberg de Samivel (1967). Les sites les plus
emblématiques sont particulièrement prisés, par exemple dans l’épilogue de
La Mort aux trousses sur les sculptures du mont Rushmore (Alfred Hitchcock,
1959) ou pour dresser le bûcher du Temple du soleil (Hergé, 1949). À partir
de 1976, Le Génie des alpages, de F’murr, décline ces thèmes sur le mode
parodique.

...

QUAND LA MONTAGNE FAIT VENDRE


Les publicitaires et les professionnels du marketing ont bien compris la force
des images véhiculées par la montagne et les ont très tôt mobilisées. « Nous
pressentons au contraire que cette seule publicité, en dépit de son
apparence d’exactitude, contient déjà un discours complet sur la montagne
» nous dit Jean-Paul Bozonnet en 1992 au sujet de la campagne « Évian, l’eau
de là-haut ». Sa grille d’analyse des slogans et des messages
infralinguistiques est éprouvée à l’aune de campagnes destinées à vendre
aussi bien des voitures, en particulier 4 x 4, que des banques, boissons,
vêtements, montres, cigarettes… en déclinant les images de la montagne.
Les techniques utilisées consistent entre autres à incorporer la montagne
dans l’humain ou à corporaliser la montagne. Mais la publicité peut
également « vendre » la montagne directement : les acteurs du marketing
s’en sont eux-mêmes emparés pour la promotion de telle station, voire de
tel massif. Comment ne pas songer ici à celle qui fit tiquer les Nord-Alpins
quand les Hautes-Alpes voulurent se présenter comme « les Alpes vraies » ?
Depuis vingt ans, les professionnels de la montagne française rivalisent
d’ailleurs de formules accrocheuses.
.

Verbatim

« Un homme : Clint Eastwood, Une montagne : l’Eiger, une


combinaison fatale. »
Bande-annonce pour le film La Sanction (1975).
La montagne, loin de la montagne

À défaut de déplacer les montagnes, les projets visant à


les construire ou à les susciter n’ont jamais manqué. En
2011, le Néerlandais Thijs Zonneveld, ancien coureur
cycliste, lançait comme une plaisanterie l’idée de
construire sur des polders une montagne de 2 000 m ! Le
projet, incluant de nombreux aménagements «
montagnards », a finalement suscité un tel engouement
que sa faisabilité a été étudiée. Avant d’être aussi
abandonné, semblable projet avait déjà été envisagé à
Berlin en 2009 où une montagne de 1 000 m devait être
bâtie à la place de l’aéroport de Tempelhof. La puissance
évocatrice des montagnes s’exerce en fait souvent bien
loin d’elles.

DES MONTAGNES LÀ OÙ IL N’Y EN A PAS


Si l’on ne voit pas la muraille de Chine depuis l’espace, les grandes chaînes
de montagne sont bien identifiables par les astronautes en orbite. Sur Terre,
par temps clair, on cherche volontiers à reconnaître à distance la silhouette
de tel ou tel massif. Les Alpes sont ainsi visiblesautant depuis le vignoble
alsacien que depuis Milan. Cette inscription lointaine peut avoir une
dimension symbolique forte, comme avec « la ligne bleue des Vosges » qui
représentait la frontière derrière laquelle se trouvait l’Alsace conquise par les
Allemands.
La toponymie est aussi une signature marquante dans des espaces parfois
très éloignés des reliefs. Les rues, les places, voire les stations de métro
(Pyrénées et Simplon) de Paris sont riches de ce type de référence. Écho
remarquable à la montagne, l’ouest du XVe arrondissement se caractérise par
une forte concentration de noms rattachés aux Cévennes et à ses principaux
sommets. La liturgie catholique a souvent suscité la promotion de monts
dans l’espace urbain, assimilés au Golgotha : près de Paris, un chemin de
croix est tracé en 1663 sur les pentes du mont Valérien (162 m d’altitude)…
Ce vocabulaire spécifique employé loin des montagnes peut étonner,
comme ce col du Long Buisson (près de Bavay dans le Nord, en France) qui
culmine à 145 m, soit bien plus haut que celui de Bocca dia Guardia situé à
19 m sur le littoral de Corse du Sud…
Construire des montagnes de toutes pièces est une gageure maintes fois
évoquée sinon tentée. Après la Seconde Guerre mondiale, les ruines de
Berlin-Ouest furent peu à peu déblayées et entassées en bordure de la forêt
de Grunewald. Les 75 millions de mètres cubes formèrent bientôt une
colline dominant d’environ 80 m le lac voisin, la Teufelsberg. Au sommet, on
installa une station d’écoute et, sur les pentes, un stade de saut à ski : des
compétitions s’y déroulèrent jusqu’en 1969… À l’inverse, certaines
montagnes sont carrément rasées pour les besoins de l’urbanisation. Pour
étendre Lanzhou (province du Gansu), déjà ville la plus polluée de Chine, un
groupe privé n’hésite ainsi pas à revendiquer l’aplanissement de près de 700
reliefs alentour !
...

DES PRATIQUES MONTAGNARDES


À Lyon, un télésiège a été inauguré en 1964 sur les pentes de Fourvière ; il a
fonctionné une dizaine d’années, et en l’absence de neige, les skieurs
dévalaient la piste artificielle de la Sarra. Ainsi, les sports d’hiver se sont
installés loin de la montagne bien avant que soient construits les premiers
ski-dômes… En France, celui d’Amnéville (Moselle) a été aménagé sur un
ancien terril recouvert d’une structure métallique : il offre une dénivellation
de 80 m, enneigée par 15 canons à neige. Ouvert d’octobre à mai et de
juillet à septembre, il réalise la double saison à laquelle aspirent toutes les
stations de sports d’hiver. Des moniteurs de ski y sont installés, on y sert des
fondues, des compétitions y sont organisées et pendant l’été 2011, l’équipe
de France de slalom est venue s’y entraîner, appréciant de pouvoir
s’affranchir des conditions météorologiques si capricieuses de la montagne !
Si la Chine, le Japon et l’Europe du Nord offrent aux skieurs une grande
concentration d’installations indoor, celle construite en plein désert (Ski
Dubaï) continue de frapper l’imagination.
Les montagnes russes sont aussi un grand classique de l’aménagement
forain. En la matière, le record mondial de hauteur pour une construction en
fer est détenu avec 139 m par le Kinga Ka dans le parc Six Flags Great
Adventure (New Jersey).
...

DES ARCHITECTURES ÉVOCATRICES DE LA « FAUSSE MONTAGNE »


L’architecture fonde certaines réalisations sur des discours et des images
reliés à la montagne. Des représentations de la tour de Babel aux
constructions pyramidales aztèques, du temple-montagne de Borobudur
(grandiose stûpa bouddhiste près de Yogyakarta à Java) au chantier à venir
de l’opéra de Dubaï, les exemples abondent. Le cas des « fausses montagnes
» relève lui plutôt de la miniaturisation naturaliste en dépit d’une part
d’idéalisation. La montagne artificielle est un motif récurrent des jardins
chinois (comme celui de la forêt du Lion, à Suzhou) ou japonais, mais se
retrouve aussi dans le parc parisien des Buttes-Chaumont, dont la falaise
culmine à 30 m. Les parcs d’attraction et les zoos en sont aussi riches :
Matterhorn de Disneyland ou Grand Rocher du zoo de Vincennes.

Verbatim

En conclusion
Les glaciers sont bruyants, ils craquent, avancent et
reculent, ils ne sont jamais en repos, et de loin en loin, les
séracs s’écroulent dans un vacarme de fin du monde :
comment s’étonner que les montagnards aient pu y voir le
séjour des âmes du purgatoire dont les plaintes
s’exhalaient des crevasses et du front ?
Le fantastique et le pastoralisme sont souvent liés : les
longs séjours dans les alpages sollicitaient l’imagination
des jeunes bergers, restés seuls face aux éléments. Ainsi, en
septembre 1846, Mélanie et Maximin, âgés de 15 et 11 ans,
gardent leurs vaches sur les pentes de la Salette, dominée
par le mont Gargas, toponyme souvent associé à
Gargantua. Mélanie « fait la conversation avec les petites
fleurs du bon Dieu » et tous deux confectionnent des «
petits paradis » de pierres et de fleurs quand la Vierge
Marie leur apparaît dans cette improbable montagne
dauphinoise. Une basilique fut bientôt bâtie, vaste navire
échoué à 1 700 m d’altitude et propre à exciter à son tour
l’imagination.
Cet imaginaire des montagnes ne tourne pas à vide. Il
puise aux activités déployées en montagne, il mêle toutes
sortes de croyances et participe de l’enchantement des
travaux et des jours.
« Alors, Obélix, l’Helvétie, c’est comment ? – Plat. »
Astérix chez les Helvètes, 1970
CONCLUSION

L’exercice de la montagne

QUELLE(S) CARTE(S) DES MONTAGNES AUJOURD’HUI ?

Celui qui referme cet atlas déplorera peut-être l’absence de


« sa » montagne, celle où il vit comme celle de ses
souvenirs. En effet, des choix ont été nécessaires ; ils ont
été guidés par le souci de confronter les montagnes du
monde, leurs peuplements et leurs significations
culturelles.
La cartographie des montagnes élaborée ici dépasse bien
sûr les repères euclidiens, les catalogues thématiques et les
nomenclatures de lieux emblématiques. Elle est une
contribution à l’étude de l’espace des sociétés, une
invitation à des voyages géographiques accompagnés. En
ce sens, la carte de l’espace des montagnes reste toujours à
fabriquer.

LA PRESSE EN PARLE
Comme en témoigne l’actualité au moment de terminer
cet atlas, les relations des sociétés avec leurs montagnes se
recomposent sans cesse : l’Unesco annonce l’inscription
sur la liste du patrimoine mondial du mont Fuji (Japon),
dont le cône volcanique souvent couronné de neige est
mondialement connu. Objet de pèlerinages multiséculaires
et puissante source d’inspiration artistique, il est la pièce
emblématique d’une culture fortement marquée par la
montagne. La partie classée comprend le sommet de la
montagne et, répartis sur les pentes et à son pied, sept
sanctuaires, des auberges accueillant les pèlerins et un
groupe de « phénomènes naturels révérés » (des sources,
une chute d’eau, une pinède et des arbres moulés dans la
lave).
L’ascension du toit du monde s’est banalisée depuis que
les guides conduisent des clients de plus en plus
nombreux sur l’Everest. Un Japonais de 80 ans, Yuichiro
Miura, ne vient-il pas ce printemps d’en atteindre le
sommet ? Toujours en juin 2013, on apprend qu’à 4 100 m
d’altitude, le camp de base du Nanga Parbat, au Pakistan, a
été la cible d’une attaque terroriste ayant fait au moins
neuf victimes parmi les alpinistes ! Dans le même temps,
d’autres montagnes sont aussi des lieux de combats ou de
repli, comme pour des réfugiés syriens qui se tournent vers
le mont Liban. En France, après un hiver particulièrement
marqué, les cols d’altitude ouvrent à peine au milieu de
murs de neige, près de deux mois après les dates
habituelles… Ainsi, l’image de la montagne vide
d’hommes, havre d’une nature rousseauiste, ne résiste pas
à l’examen. Aussi convoitée et monnayée que d’autres
espaces, la montagne tient salons, elle a ses festivals, ses
journaux écrits et ses blogs, ses associations, etc.

PRATIQUES MONTAGNARDES, PRATIQUES EN MONTAGNE

Car la montagne est d’abord un espace qui se pratique,


quels que soient les verbes synonymes dans lesquels cela
s’entend. Il ne s’agit pas seulement ici d’usages récréatifs
ou sportifs, dont les modalités aussi bien que les codes
vestimentaires ou linguistiques empruntent plus que
jamais aux mondes urbains. En retour, ceux-ci sont
d’ailleurs colorés par des signes venus de la montagne. En
termes d’aménagement, des parentés ont été depuis
longtemps identifiées avec d’autres géotypes. Les
analogies avec les littoraux sont par exemple nombreuses
dans la mise en place des stations touristiques ou la prise
en compte des vulnérabilités. L’ensemble des activités
humaines produisent des montagnes dans des espaces
aux limites de plus en plus perméables.
C’est bien dans ces marges que prospèrent les images et
les symboles. Dans sa Grande Encyclopédie des fées, Pierre
Dubois (1996) n’hésite pas à définir les fées comme « les
déités des lieux, des sources, des montagnes, des prés et
des bois, les maîtresses de nos songes ». Pour tous ceux qui
sont prêts à partager leur vie avec les fées, les djinns et les
lutins, les montagnes restent des espaces à habiter et à
imaginer.
Collectivement, nous continuons à penser que, lorsque le
destin du monde est en jeu, il importe de prendre de la
hauteur… Aujourd’hui encore, les réunions entre chefs
d’État ne s’appellent-elles pas des sommets ? Dans
l’aspiration générale à réenchanter le monde, les
montagnes permettent de retisser à la fois des liens
horizontaux et verticaux. L’exercice de la montagne
renvoie à sa mise en pratique : ceux qui vivent en
montagne et ceux qui vivent la montagne sont les acteurs
de sa réinvention permanente.
Pôle montagne de Savoie-technolac (France),
234 m au-dessus du niveau de la mer,
le 21 juin 2013
ANNEXES
Bibliographie

ASTRADE Laurent, LUTOFF Céline, NEDJAÏ Rachid, PHILIPPE


Céline, LOISON Delphine, BOTTOLLIERDEPOIS Sandrine,
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DES REVUES SPÉCIALISÉES


L’Alpe
Mountain Research and Development
Journal of Alpine Research/ Revue de géographie alpine
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Mario Rigoni Stern, 1998, Sentiers sous la neige. Un berger
nommé Carlo, Éd. de la Fosse aux ours, p. 153.
« Que n’ai-je », Chatterton, Alain Bashung et Jean Fauque,
1994.
Raymond Queneau, Poèmes inédits, poèmes en panne, La
Pléiade, p. 859.
Philippe Buache, premier géographe du roi, publié en
1770. Texte en frontispice de la « Carte Physique ou
Géographie Naturelle de la France, divisée par Chaînes de
Montagnes et aussi par Terrains de Fleuves et Rivières »,
présentée en assemblée à l’Académie des sciences en 1744
et 1760, publiée en 1770 avec l’approbation et sous le
privilège de l’Académie.
Le sherpa Tharkey à Tintin, in Tintin au Tibet, 1960 (2009),
Hergé, Éd. Casterman, p. 37.
Le sherpa Tharkey à Tintin, in Tintin au Tibet, 1960 (2009),
Hergé, Éd. Casterman, p. 37.
Élisée Reclus, 1880, Histoire d’une montagne, chapitre 22, «
L’homme ».
Jacques Signot, vers 1515, La Totale et Vraie Description de
tous les passaiges, lieux et détroits par lesquels on peut
passer et entrer des Gaules des Ytalies. On vend lesdits
livres à la rue sainct Jacques, près sainct Yves, a lenseigne
de la croix de boys, en la maison de Toussains Denys
libraire, catalogué à la BNF, 40 feuillets.
Alain, Propos, juin 1926.
Mario Rigoni Stern, 1978, Histoire de Tönle, Éd. Verdier, p.
74.
Curzio Malaparte, 1941, Le soleil est aveugle, Éd. Denoël, p.
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Mouloud Feraoun, 1957, Les chemins qui montent, Éd. du
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les Grisons, le Vallais et autres pays et États alliés ; ou sujets
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Proverbe éthiopien.
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Billaine, p. 85.
Communiqué de presse de l’entreprise Astra, le 7
novembre 2011.
Gränslandet, région au centre de la Scandinavie.
www.graenslandet.se/en/mountain-expansesand-
bogs/the-dramatic-bare-mountain
Karen Blixen, 1937 (2005), La Ferme africaine. Une antilope,
Éd. Gallimard, 335 p.
Pierre Benoît, 1924 (2000), La Châtelaine du Liban, ch. IV,
Éd. Albin Michel, 288 p.
Jean Carrière, 1972, L’Épervier de Maheux, Éd. J.-J. Pauvert,
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Samivel, 1940, L’Amateur d’abîmes, Éd. Stock, p. 231.
Antoine de Saint-Exupéry, 1939, Terre des hommes, Éd.
Gallimard, p. 218.
René Char, 1974, « Pyrénées », in Les Matinaux, NRF Poésies
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J. W. Gœthe, Lettre de Brigue, le 10 novembre 1779.
Dialogue de Coline Serreau dans le film La Belle Verte
(1996).
Joseph Kessel, 1926, Les Captifs, Éd. Gallimard, ch. X, p. 108.
C’est tout bon, Hugues Aufray et Pierre Delanoë, 1967.
Joseph Kessel, 1928, Belle de jour, Éd. Gallimard, p. 177.
Jean-Marc Boivin, 1981, Trois défis au Cervin, Éd. Aventures
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Erri De Luca, 2005, Sur les traces de Nives, Éd. Gallimard, p.
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Mao Tsé Tung, « Trois poèmes de 16 caractères, 1934-1935
», trad. Billard, in Poésies complètes, Éd. Seghers, 1965.
Ulrich Campell, 1852, Histoire des Grisons.
Bande-annonce pour le film The Eiger Sanction (La
sanction) de Clint Eastwood (1975).
René Goscinny et Albert Uderzo, 1970, Astérix chez les
Helvètes, Éd. Dargaud, dernière planche.
Biographie des auteurs

Xavier Bernier

Agrégé de l’université, il est maître de conférences à


l’université de Savoie (Centre interdisciplinaire des sciences
de la montagne) et membre du laboratoire Edytem
(Environnements, dynamiques et territoires de montagne,
UMR CNRS 5204). Après des recherches menées au Niger,
au Népal (auquel il a consacré sa thèse de doctorat), son
travail l’a mené vers des terrains de montagne au Liban, en
Amérique du Nord et dans les Alpes. Il a été membre du
conseil scientifique du parc national de la Vanoise et fait
partie du conseil scientifique du Club des CCI de
montagne.
Il étudie les sociétés au prisme de leurs mobilités et de
leurs différentes façons de traverser l’espace. Le géotype
montagne sert de cadre à une grande partie de ses
publications où il est envisagé à travers les pratiques
spatiales.
Christophe Gauchon

Professeur de géographie à l’université de Savoie (Centre


interdisciplinaire des sciences de la montagne), il anime
l’équipe Territoires du laboratoire Edytem
(Environnements, dynamiques et territoires de montagne,
UMR CNRS 5204). Il a étudié la fréquentation et
l’aménagement des cavernes dans les montagnes
françaises, puis a étendu son champ d’analyse vers les
développements du tourisme, les processus de
patrimonialisation et les logiques de protection en
montagne. Ses principaux terrains d’étude sont les Alpes
françaises, les Pyrénées, les monts d’Ardèche, la Slovénie et
le Liban où il a aussi mené des excursions d’étudiants.
Il représente le CNRS au Conseil national pour la protection
de la nature, commission des parcs naturels régionaux et
des chartes de parcs nationaux.
Alexandre Nicolas

Cartographe et géomaticien, il a réalisé plusieurs atlas pour


Autrement (Atlas géopolitique d’Israël, Atlas des espaces
protégés, Atlas du nucléaire…). Ses derniers ouvrages sont
le DicoAtlas des mers et des océans (Éd. Belin, 2013) et
l’atlas Territoires picards et transition écologique (Éd. Dreal
Picardie, 2013).
Index géographique

A
Afghanistan
27, 30, 40, 45, 57
Kaboul
11, 40, 57
Afrique du Nord
35
Afrique du Sud
30, 31, 41, 44, 48
Drakensberg
38, 85
Pretoria
40
Johannesburg
48, 50
Algérie
50
Aurès
70
Batna
70
Djurdjura
35
Tassili n’Ajjer
50
Taza
51
Allemagne
Berlin
88
Forêt Noire
55, 70
Alpes
10, 11, 12, 13, 15, 20, 21, 22, 23, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 36,
37, 39, 40, 41, 42, 44, 45, 46, 47, 50, 51, 52, 53, 56, 57, 63, 64,
65, 68, 72, 77, 81, 82, 83, 85, 86, 87, 88, 89
Andes
12, 14, 15, 20, 23, 26, 36, 38, 44, 45, 51, 52, 57, 65
Antarctique
15, 16, 18, 19, 22
Vinson, mont
15, 22
Antilles, petites
12
Arabie Saoudite
81
Sarawat, chaîne des
41
Argentine
26, 36, 44, 50
Aconcagua
22, 23
Quebrada de Humahuaca
68
Fitz Roy
82
Arménie
31, 82
Asie centrale
20, 43, 64, 65
Kazakhstan, Ouzbekhistan, Kirghizistan
64, 65
Pamir
13, 52
Australie
10, 72, 81
Blue Mountains
26
Autriche
23, 31, 33, 53, 63, 68
Hallstatt, Salzkammergut
7
Karawanken
48
Semmering
68
Azerbaïdjan
31, 42
B
Balkans
43
Belgique
88
Bhoutan
20, 23, 40
Chomolhari
40
Thimphu
10, 11, 12, 13
Bolivie
26, 29, 38, 39, 40, 41, 44, 81
La Paz
40, 41
Bosnie-Herzégovine
10
Brésil
38, 40, 41, 50
Brasilia
40, 41
C
Cachemire
13, 27, 31
Siachen
30, 31, 38
Cameroun (Nord) montagnes du,
42
Canada
36, 50, 69, 72
Mont-Tremblant, Québec
51
Colombie-Britannique
54
Vancouver
74
Grouse
75
Carpates
51
Caucase
12, 30, 31, 32, 33, 73, 85
Elbrouz
22, 23, 30, 31
Chili
24, 26, 36, 38, 44, 51, 57, 81
Atacama
24, 57
Fitz Roy
82
Chine
10, 13, 14, 23, 27, 30, 34, 36, 38, 44, 65, 73, 80, 81, 83, 88, 89
Kunlun, chaîne du
10
Chomolhari
15
Yunnan
44
Monts Helashan
86
Montagnes Jaunes, Huangshan
86
Colombie
20, 40, 61, 63,
Bogota
40
Nevado del Ruiz
63
Congo
50
Corée
73
Costa Rica
40, 54
San José
40
Crète
30
Croatie
10
DE
Dubaï
89
Écosse
11, 38, 39, 53
Égypte Sinaï (Sainte-Catherine)
81
Équateur
14, 23, 26, 39, 40, 41, 45, 57, 60, 63
Chimborazo (Andes)
14, 15, 20, 22, 23
Cotopaxi
14, 23, 63
Quito
40, 60, 63
Guayaquil
20, 41
Érythrée (Asmara)
40
Espagne
54, 60, 69, 81
Pic de Teide (Canaries)
14
États-Unis
11, 13, 23, 70, 72, 77, 81
Alaska
20, 21, 23, 70
Appalaches
69
Aspen (Colorado)
75
Badwater
77
Californie
55, 61, 70, 77, 81
Colorado
35, 55, 61, 75
Denver
48
Devil’s Tower (Wyoming)
86
Disneyland
89
Géorgie
69
Glacier National Park (Montana)
17
Grand Canyon
61
Idaho
55
Juneau
70
McKinley, mont (ou mont Denali)
13, 22, 23
Mesa Verde (Colorado)
35
Maine
69, 70
Montana
55
Mont Rushmore
81, 87
Mont Whitney
77
New Jersey
89
Nouveau-Mexique
86
Plateau Pajarito (Nouveau-Mexique)
46
Rocheuses
29, 36, 51, 65
Saint-Elias, mont (Alaska)
21, 81
Sequoïa PN
55
Utah
55
Vallée de la Mort
77
Yellowstone
PN 55
Wyoming
55, 85
Yosemite
87
Éthiopie
11, 21, 38, 39, 40, 43, 50, 81
Addis-Abeba
40, 41
F
Fédération de Russie
19, 31, 32,33, 62, 72
Oural
20
Lomonossov (dorsale de, Russie)
19
France
Aiguille du Midi (mont Blanc)
17, 33, 69
Alpe d’Huez
56
Amnéville (Moselle)
89
Abondance (Savoie)
75
Arc (Savoie)
59, 82, 83
Ardèche
52
Arve (Alpes)
43
Auvergne
42, 43, 88
Bauges (Préalpes)
43, 53
Belledonne (Alpes)
53
Canigou (Pyrénées)
22, 80
Cantal
52
Cévennes
12, 89
Chambéry (Savoie)
6, 21, 29, 73
Chamonix (Savoie)
12, 21, 41, 63, 69, 72
Chartreuse (Alpes)
21, 53, 55
Corbières
39
Corse
45, 54, 56, 68, 69, 88
Courchevel (Savoie)
7, 73, 87
Écrins (Alpes)
13, 51, 53
Embrunais (Alpes)
53
Évian (Savoie)
70, 87
Flaine (Haute-Savoie)
41, 87
Font-Romeu (Pyrénées)
60, 71
Forez (Massif central)
53
Fréjus, tunnel du
28,46, 73
Grand-Saint-Bernard
79
Grande Chartreuse
81
Grenoble
40, 43, 62, 63, 69, 70, 74, 78
Hautes-Alpes
11, 87
Haute-Savoie
19,75
Iraty (Pyrénées)
54, 55
Iseran, col de (Savoie)
27, 33, 82, 83
Jura
42, 43, 53, 55, 57, 72, 84, 89
La Clusaz (Haute-Savoie)
74
Lanoux (Pyrénées)
60
La Plagne (Savoie)
41, 73
La Réunion
35, 77
Lauvitel (Alpes)
51
Les Angles (Pyrénées)
60, 75
Les Arcs (Savoie)
41, 73, 74
Lyon
29, 89
Massif central
12, 26, 43, 70, 84, 85, 89
Maurienne (Savoie)
29, 43, 56, 82
Megève (Haute-Savoie)
72
Meije (Alpes)
56
Mercantour (Alpes)
52, 53
Montagne Noire (Massif central)
60
Mont Aigoual (Massif central)
46, 89
Mont Aiguille
12
Mont Blanc
12, 14, 16, 17, 21, 23, 25, 28, 33, 46, 47, 53, 56, 61, 63, 71, 77,
81, 86, 87, 89
Monts de Vaucluse
46
Mont Ventoux
46
Paris
88, 89
Petit-Saint-Bernard
65, 79
Pics du Midi (Pyrénées)
12, 69
Puy de Dôme (Auvergne)
14, 15
Pyrénées
12, 29, 32, 36, 52, 54, 55, 56, 60, 62, 72, 75, 82, 83, 87, 89
Queyras (Alpes)
27, 53,65
Refuge Vallot (Savoie)
46, 58
Refuges Palet et Valette (Vanoise, Savoie)
59
Romanche
43
Route des Grandes Alpes
27
Saint-Paul-de-Varces (Isère)
62, 63
Sainte-Baume
81
Sainte-Victoire
87
Savoie
11, 12, 19, 20, 43, 53, 59, 64, 65, 68, 73, 74, 75, 79, 78, 82, 83,
89
Taillefer (Alpes)
53
Tarentaise (Savoie)
59, 65, 73, 74, 82
Tignes
71, 73, 75
Traversette, La (Alpes)
27, 29
Trois-Vallées (Savoie)
73
Val d’Isère (Savoie)
41, 62, 73
Vallée de la Durance
56
Valloire (Savoie)
59, 87
Vanoise (Alpes)
53, 56, 59, 73
Vercors (Alpes)
27, 30, 42, 63, 67, 70, 71, 89
Viaduc de Millau (Massif central)
26
Vosges
10, 30, 43, 55, 70, 84, 88, 89
GH
Géorgie
31, 32, 33
Grèce
81
Olympe
81
Mont Athos
81
Grœnland
19
Guatemala
40
Guinée
50
Himalaya
13, 14, 15, 19, 20, 22, 23, 27, 38, 57, 65, 82
Annapurna
13, 22, 23, 87
Cho Oyu
13, 22, 23
Dhaulagiri
13, 15, 22, 23
Everest
13, 14, 15, 19, 22, 23, 56, 57, 85, 87, 91
Kangchenjunga
13, 15, 22, 23
Lhotse
13, 22, 23
Manaslu
13, 22, 23
Makalu
13, 22, 23
Shishapangma
13, 22, 23
IJ
Inde
13, 14, 23, 27, 30, 34, 36, 38, 81, 83
Col de Kardong
26
Darjeeling
71
Himachal Pradesh
27, 65
Ladakh
30, 65, 70
Shimla
71
Sikkim
70
Zanskar
42, 65
Indonésie
81
Carstensz
10, 17, 22
Volcan Merapi
63
Borobudur
89
Iran
22, 31, 40, 42, 44, 45
Téhéran
40
Zagros
45
Islande
18
Israël
81
Néguev
68
Italie
11, 12, 21, 23, 27, 29, 30, 31, 32, 35, 39, 46, 50, 52, 56, 65, 72,
81
Abruzzes
21, 22, 46
Apennins
36, 89
Argentera
53
Fréjus, tunnel du
28, 46, 73
Gran Sasso
46
Grand Paradis
53
Grand Saint-Bernard
79
Piémont
19
Mont Viso
27
Sestrières
41
Val d’Aoste
32, 56, 65
Val de Cluson
56
Val de Suse
29, 65
Vésuve
63
Viganella, massif d’Ossola
56, 57
Japon
10, 11, 22, 23, 42, 54, 57, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 81, 85, 87, 89
Alpes flottantes
85
Fuji, mont
22, 70, 71, 81, 91
Hakone, Kanagawa
70, 71
Lac Ashi
70, 71
Matsumoto (Nagano)
70
Monts Kii
68
Yakushima
85
Jordanie (Amman)
40
K
Karakoram
13, 14,15, 21, 22, 23, 26, 27, 30, 31, 82
Broad Peak
13, 23
Col de Khunjerab
27
Gasherbrum I,
13, 15, 22, 23
Gasherbrum II,
13, 22, 23
K2,
13,14, 21, 22, 23, 27, 30, 87
Lac d’Attabad
27
Vallée de la Hunza
27, 44
Kenya
11, 40, 50, 81
Monbasa
41, 84
Mont Kenya
17,
Nairobi
40, 41
L
Lesotho (Maseru)
40
Liban
31, 35, 55, 80, 87, 91
Qadisha
80, 81
Baalbek
87
Lune
12
MN
Madagascar (Antananarivo)
40
Maghreb
Anti-Atlas
43
Atlas
43, 45, 52
Rif
43
Malawi
40, 50
Lilongwe
40
Mariannes, abysse des (Pacifique)
18
Mars
13, 15
Olympus, mont
15
Mexique
20, 22 40, 81
Mexico
40, 41
Sierra Madre
54
Mongolie
20, 40, 50
Altaï
20, 52
Oulan Bator
40
Népal
10, 13, 23, 27, 40, 43, 56, 57, 64, 70, 83, 85
Katmandou
27, 40
Khumbu
56, 57, 85
Niger (Aïr et Ténéré)
50, 51
Norvège
11, 50, 51
Nouvelle-Zélande
10, 47, 81
OP
Oman (djebel al Akhdar)
44
Ossétie
31, 32, 62
Ouganda
40, 50, 54
Kampala
40
Pakistan
13, 21, 23, 26, 27, 30, 36, 38, 44, 91
Nanga Parbat
13, 23, 27, 91
Pérou
20, 22, 26, 44, 81, 86
Philippines (Luçon)
44
RS
Roumanie
11, 51
Royaume-Uni
23
Ruwenzori, massif du (Afrique)
17, 21, 82
Rwanda
40, 50, 54
Kigali
40
Scandinavie
72
Slovénie
48, 50, 53, 72, 77
Krn
33
Triglav
33, 50
Karavanke
48
Sri Lanka
44
Suisse
12, 16, 20, 21, 23, 28, 29, 38, 42, 43, 46, 50, 51, 52, 53, 55, 61,
63, 65, 68, 69, 70, 72, 82, 83, 85, 89,
Cervin (Cervinio, Matterhorn) mont,
12, 21, 52, 69, 72
Davos
7, 41, 69
Gothard
28, 29, 63, 65
Grisons
29, 50, 53, 85
Lötschberg
29, 68
Mont Pleureur
53
Petit-Saint-Bernard
65, 79
Saint-Moritz
7, 69
Simplon
88, 89
Valais
32, 37, 53, 59, 60, 61, 77, 79, 84
Verbier
59, 77
Syrie (djebel druze)
35
Swaziland (Mbabane)
40
T
Tadjikistan
27, 64, 65
Pic Staline (ou pic du communisme, pic Ismail Samani)
13
Tanzanie
11, 40, 41, 50
Dodoma
40, 41
Kilimandjaro
17, 22
Tchad
Ennedi
84
Tibesti
84, 87
Tchétchénie
31, 32, 33
Tibet
10, 13, 19, 20, 23, 29, 38, 64, 78, 80, 81, 83, 85
Kunlun, chaîne du
10
Kailash
23, 80, 81, 82
Tunisie
50
Transhimalaya
14, 83
Tristan da Cunha (Atlantique sud)
18
Turquie
31, 61, 62,
Anatolie
38, 61
Taurus
45, 82
Mont Ararat
80, 81, 82
VYZ
Vietnam
34, 85
Tam Dao
71
Dalat
71
Yémen
39
Sanaa
40
Zambie (Lusaka)
40
Zimbabwe
40, 81
Harare
40
Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier certaines personnes les


ayant aidés avec du matériel scientifique, leurs
compétences techniques, leur relecture critique des textes
de cet atlas ou pour leur soutien dans ce projet : Laurent
Astrade, François Bart, Augustin Berque, Xavier Cailhol,
l’établissement national CCI France et le Club des CCI de
montagne, Laine Chanteloup, Christian Charles, Ryoko
Dardelin, Jean-Jacques Delannoy, Philip Deline, Robert
D’Ercole, Émilie Dreyfus, Marie Forget, Alain Gascon,
Camille Girault, Sébastien Hardy, Stéphane Héritier, Fabien
Hobléa, Stéphane Jaillet, Lionel Laslaz, David Lemarié,
Monique Marchal (Chambéry Promotion), David Medan,
Pierre-Alexandre Métral, Philippe Pelletier, Patrick Pigeon,
Estelle Ployon, Roland Pourtier, Nicole Ramel-Azzolin,
Laurent Rieutort, Magali Rossi, Kevin Sutton, Benjamin
Taunay, Ian Thomson, Julien Thorez, Pierre Thorez.
Mais aussi à exprimer leur gratitude à Marion Chatizel qui a
soutenu ce projet dès le départ, à Alexandre Nicolas,
cartographe de compétition et, bien sûr, à Anna Crine,
éditrice hors pair.
Un merci tout particulier à « l’ingénieur » André Paillet pour
son aide aux dessins, et aux partenaires de cet atlas : la
mairie de Chambéry, l’université de Savoie et le laboratoire
Edytem.
Le cartographe remercie le géomaticien Sylvain Barailler
pour la qualité de son travail et son aide précieuse tout au
long de cet ouvrage.

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