Bude 1247-6862 1955 Num 14 4 4150
Bude 1247-6862 1955 Num 14 4 4150
Bude 1247-6862 1955 Num 14 4 4150
Séchan Louis. Légendes grecques de la mer. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°14,
décembre 1955. pp. 3-47;
doi : https://doi.org/10.3406/bude.1955.4150
https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1955_num_14_4_4150
# ##
29. Sur les métamorphoses de Nérée dans sa résistance à Héraclès, qui veut
apprendre de lui la route du jardin des Hespérides, v. Phérécyde,//. 33 ; Apd.,
Bibl., Il, 5, u. Pour celles de Thétis luttant contre Pelée, v. in/., p. 38 sq.
30. Nous citons, dans tout cet épisode, la traduction si pittoresque de Victor
BÉRARD.
8 LEGENDES GRECQUES DE LA MER
46. D'après l'Hymne homérique, Apollon seul est né à Délos (v. 16, 119) et
Artémis n'est point sa sur jumelle.
47. H. hom. à Apollon, v. 135 ; Callimaque, H. à Délos, v. 249
et 260.
48. V. A. Dieterich, Nekyia, p. 35 sq. ; J. Girard, Le sentiment religieux en
Grèce, p. 266 sq. ; E. Rohde, Psyché, p. 56-91 et 566 de l'éd. française
d'A. Reymond ; Gernet- Boulanger, Le génie grec dans la religion, p. 63 ;
P. M. Schuhl, Essai sur la formation de la pensée grecque, p. 103 sq.
49. « Les deux conceptions qui nous font voir, l'une un paradis enfantin perdu
dans le passé, l'autre un bonheur parfait réservé aux élus dans l'avenir, sont
étroitement apparentées ; et il est difficile de dire laquelle peut avoir influencé
l'autre » (E. Rohde, 0. c, p. 87).
50. E. Rohde, o. c, p. 86 ; cf. G. Germain, o. c, p. 351.
51. Hésiode, Trav., 171 ; Pindare, OL, II, v. 77-78.
52. « Le pays de l'arrivée» d'ap. Étym. M., 428. 36 : irocpà tJjv eXeuaiv XtX.,
v. Rohde, o. c, p. 63 et n. 1. Pour d'autres explications, v. Schuhl, o. c, p. 104,
n. 6.
53. La seconde Nekyia, Od., XXIV, 1-204, ne donne pas de l'outre -tombe
une idée bien différente. On sait, d'ailleurs, qu'ARiSTOPHANE de Byzance et
Aristarque voyaient en XXIII, 296, la fin de l'Odyssée authentique.
54. Od., XI, 489 sq.
LEGENDES GRECQUES DE LA MER II
55. E. Rohde, o. c., p. 56. Sur cette exception constituée par Ménélas et sur
le pessimisme de !a Nekyia qui serait, avance l'auteur, d'origine asiatique
v. G. Germain, o. c, p. 346 sq.
56. Où l'Elysée sera plus tard englobé (v. Rohde, o. c, p. 255, n. 2, et p. 259-61).
57. Pindare, O/., III, 31-32. Ils résidaient en Istrie dit le poète (ib., v. 25-26),
non pas la péninsule que nous nommons ainsi, mais « le pays mystérieux pour
les Grecs du Ve siècle où le Danube prend sa source » (A. Puech, Pind., I,
p. 55- n. 1.
58. V. Schuhl, o. c, p. 105 et n. 2. Pour la mesure dans laquelle il convient
de rapprocher les Iles des Bienheureux de la Schéria des Phéaciens, v. E. Rohde,
o. c., p. 69.
59. Hésiode, Trav., 167-68.
60. Hésiode, Trav., 171-73.
61. Pindare, Pyth., X, 29-30, Sur l'existence bienheureuse des Hyperboréens,
ib., 31-46. Malgré ce mystère des Iles Fortunées, on chercha plus tard à les
découvrir et la plus connue de ces tentatives est celle attribuée à Sertorius par
Plutarque, Sert., 8-9. Il était convaincu de les avoir retrouvées à 10.000 stades
à l'ouest de l'Afrique (v. Rohde, o. c, p. 567 et n. 1 ; Schuhl, o. c, p. 105, n. 2).
62. Pindare, OL, II, 76-77 ; cf. A. Puech, notice, p. 37.
63. Hésiode, Trav., 156 sq. ; cf. E. Rohde, o. c, p. 76 sq.
64. Kinkel, Ep. graec. fragm., p. 34 ; cf. Od., XXIV, 47.
65. <Docev\àv vàaov (ë/ei), Pind., Ném., IV, 49-50. Cf. Hér., IV, 55 ; Eur.,
1'Andr.,
'A/. 1260
8p6iAOÇ.
; Iph.
On Taur.,
donna435.
aussiC'est
à Achille,
là, ou comme
dans une
compagnons,
île voisine,Patrocle
qu'on plaçait
et les
deux Ajax. V. Rohde, o. c, p. 71-73 ; 566, n. 3 ; 568, n. 9. Alcman,/t. 48, appelle
Achille SxuOtaç ôcvaÇ.
66. PAUSANIAS, 3, 19, IX.
12 LEGENDES GRECQUES DE LA MER
# ##
77. Ces détails figurent déjà dans les Travaux d'HÉsiODE, mais c'est une
addition postérieure, v. P. Mazon, Ttav., p. 92, n. 1, sous l'influence probable
de l'orphisme (v. inf., n. 82). Le thème de la réconciliation de Zeus avec Cronos
apparaît chez Eschyle, Eum., 646, et il était supposé par l'affabulation du
Prométhée délivré où Zeus avait, aussi, libéré les Titans (v. L. Séchan, Mythe de
Prométhée, p. 57-58 et 70), comme le mentionne Pindare, Pyth., IV, 291.
L'accord avec Zeus est impliqué dans OL, II, 75 sq.
78. C'est, notamment, l'idée de Wilamowitz, Pindaros, IIe OL ; cf. Croiset,
La poésie de Pindare, p. 212-16. Réserves dans Puech, Pindare, IV, p. 194.
79. J. Girard, Le sentiment religieux en Grèce, p. 266.
80. V. sup., p. 11. C'est la voie lactée selon Bergk ou, plutôt, selon Rohde,
p. 438, n. 2, une à6ocv<XT<ov Ô86ç, accessible seulement aux dieux et aux élus.
81. 'Etoïjxov raxpeSpov, le « diligent assistant » plutôt que « l'assesseur », qui
évoque pour nous la pensée d'un jugement qui n'existe pas (v. sup., p. 12, n. 75).
82. OL , II, 68-88 Au sujet de l'inspiration orphico-pythagoricienne de ce
passage, v. J. Girard, o. c, p 267 et A Puech, notice de la IIe OL. p. 37 sq.
et n. 2, où sont rappelés trois fragments de thrènes qui ne concordent pas dans
tous les détails mais dont le caractère général est analogue ; le plus étendu de
ces fragments évoque notamment le séjour charmant des élus, èpotTÔç ^copoç
par quelques traits descriptifs apparentés à ceux de la IIe OL (v. A. Puech,
Pindare, IV, p 194 sq.
83. A. Bessmertny, L'Atlantide, Exposé des hypothèses relatives d l'énigme de
VA. (1949), intr., p. 10.
84. Berger, ap. P. W., R.-Enc, c. 21 17.
14 LEGENDES GRECQUES DE LA MER
85. On trouve dans H. Martin, Études sur le Timée, I, p. 257 sq., une analyse
de tous les ouvrages importants antérieurs à 1840. Cf. A. Rivaud, Notice du
Critias (coll. G. Budé), p. 247, n. 5. Il existe, sur ce sujet, plus de
2.000 ouvrages, dit Bessmertny, dont la Bibliographie ne contient que les
principaux et qui renvoie, pour plus de détails, à la Bibliographie de l'Atlantide,
par J. Gattefossé et Cl. Roux (Lyon, 1926). Signalons comme tout récent
le livre de Jûrgen Spanuth, L'Atlantide retrouvée (1954). Ce problème a soulevé,
notamment en France, beaucoup de curiosité et même de polémiques (v. le
Mercure de France, 1925 et 1927). Sur la revue Atlantis, la Société d'Études
« Les Amis de l'Atlantide » et la « Société d'Études atlantéennes» v. Bessmertny,
o. c, app. I, p. 222 sq.
86. Timée, 24 e ; Crit., 108 e ; cf. Timée, 25 b-c.
87. Sur ce qu'il faut entendre par Lybie, v. A. Rivaud, 0. c, p. 136, n. 3.
88. D'après les textes du Timée, 21 c-d, et du Critias, 113 a-b, i! y aurait eu
un commencement d'exécution dont une trace eût subsisté dans les manuscrits
de Solon que Critias le jeune se flatte de posséder. Il est dit également, dans le
passage du Critias, que les Égyptiens avaient déjà consigné par écrit cette histoire.
89. Plutarque, Solon, 31 sq. Plutarque attribue cette interruption à la mort,
mais on pense plutôt que la fin du dialogue n'a jamais été composée (v. A. Rivaud,
notice, p. 233).
LEGENDES GRECQUES DE LA MER 15
commis quelque faute et, se servant de témoins les uns aux autres,
ils renouvelaient leur serment de régner avec équité. Voici
comment ils engageaient leur foi et procédaient à leurs jugements.
Des taureaux sauvages étaient lâchés dans le téménos de Poséidon,
et les rois priaient le dieu de leur faire capturer la victime qui lui
serait la plus agréable. Sans être armés de glaive, munis
seulement de pieux et de filets, ils acculaient une des bêtes et, après
l'avoir maîtrisée, ils regorgeaient sur une base d'orichalque où
leurs lois les plus saintes étaient inscrites. Ils aspergeaient chacun
d'eux d'un caillot de sang du taureau, avatar manifeste de
Poséidon, puis, faisant une libation sanglante dans le feu, ils
prêtaient le serment d'être justes et de respecter les lois ances-
trales, et ils buvaient du sang dans des coupes d'or, ce qui était
une des plus redoutables ordalies des religions antiques 96, car,
pour qui se trouvait en état ou en disposition de parjure, boire du
sang, en particulier du sang de taureau, c'était s'exposer à
mourir sur-le-champ. Enfin, après avoir dédié les coupes dont
ils avaient fait usage, la nuit venue et toutes lumières éteintes,
revêtus de belles robes d'azur sombre comme la mer qui étaient
ensuite également consacrées, assis parmi les cendres refroidies
des sacrifices, ils jugeaient et subissaient le jugement, rendant
des sentences qui étaient, au lever du jour, gravées sur une table
d'or 97.
Telles étaient cette grandeur et cette félicité fondées sur la
vertu, mais qui devaient s'éclipser avec l'altération de cette
dernière. Peu à peu, en effet, les rois Atlantes laissèrent se flétrir en leur
âme cet élément divin qu'ils avaient hérité de Poséidon, et Zeus se
résolut à les châtier 98. La prospérité leur avait inspiré, comme à
leur peuple, le délire de la puissance, qui veut toujours reculer
ses bornes ; ils tombèrent dans l'ûêpiç, ce mélange de violence
et d'orgueil toujours puni par les dieux, et, au mépris de toute
mesure, ils avaient projeté de conquérir le monde. C'est alors que,
partis à la conquête de tous les peuples méditerranéens ", ils
se heurtèrent à la cité d'Athènes, qui, non moins impavide qu'elle
devait l'être plus tard devant les Perses, vainquit les envahisseurs,
abattit leur insolence et sauva la liberté de tous. Mais à ce moment
survinrent d'effroyables tremblements de terre et des cataclysmes
qui n'épargnèrent même pas les vainqueurs :
Dans l'espace d'un seul jour et d'une nuit terrible [dit a Solon
le prêtre égyptien] toute votre armée fut engloutie d'un seul coup
sous la terre et, de même, l'île Atlantide s'abîma dans la mer et
disparut I0°.
Si Platon a repris par deux fois cette étrange histoire, c'est que,
en dehors de son attrait poétique, elle s'accordait avec certaines
de ses tendances et lui offrait une illustration, un symbole de sa
pensée. Les rois-prêtres de l'Atlantide ressemblent un peu aux
«puXaxsç TeXeiot, les « gardiens parfaits » de la République, et ce
que, surtout, rappelle ce dialogue, c'est l'organisation politique
imaginée pour les Athéniens du passé 101, adversaires victorieux
des Atlantes ; leur répartition en trois classes distinctes,
cultivateurs, artisans et guerriers, « gardiens de leurs concitoyens »,
ne faisant aucun usage d'or ni d'argent, et prenant leurs repas en
commun, sans compter la participation des femmes au service
militaire, tout cela évoque le chef-d'œuvre de son âge mûr102 et
souligne encore l'intérêt constant de Platon pour les constitutions
idéales après que les déconvenues de sa jeunesse l'eurent écarté
des gouvernements réels 103. En outre, par le thème de la victoire
des Athéniens d'autrefois sur les Atlantes, sorte de préfiguration
des victoires médiques, le philosophe « peu disposé à la
bienveillance envers ses contemporains », trouvait « l'occasion de
glorifier l'Athènes du passé aux dépens de l'Athènes moderne et
de flatter ses lecteurs tout en les humiliant » 104. Enfin, la puissance
atlante ne s'était développée, on s'en souvient, que par la vertu et
la justice, toujours liées dans sa doctrine à la prospérité, au
bonheur des individus et des peuples, comme le déclin de cet
empire avait été le résultat d'une décadence d'ordre moral, ce qui
est le corollaire du principe platonicien hérité de l'enseignement
de Socrate 105.
Ce récit correspond si bien aux tendances et aux idées de
Platon qu'il est loisible de se demander s'il n'a pas imaginé de
toutes pièces cette révélation du prêtre de Sais, qu'il est, d'ailleurs,
le premier à nous rapporter 106 et qu'Aristote considérait déjà
100. Tintée, 25 b-d.
101. Critiat, 111 «-112 e.
102. V. Rép., 3, 416 d, 417 a ; 5, 542 a, 466 c. Cf. Rivaud, not. du Critias,
p. 240. Rappelons d'autre part que le début du Tintée, 17 c-ig a, résume plusieurs
des thèmes de la République, que l'on s'accorde à considérer comme sensiblement
antérieure (v. Rivaud, not. du Timée, p. 20).
103. « La philosophie ne fut originellement, chez Platon, que de l'action entravée
et qui ne se renonce que pour se réaliser plus sûrement » (A. Diès, introd. à la
République, p. v et cxm). Cf. L Séchan, La politique de Platon (Problèmes du
jour : confér. du lundi de l'Univ. de Bordeaux, 1947), p. 217-241.
104. A. Rivaud, not. du Timée, p. 15 et 28.
105. V. notamment le Gorgias et la République ; cf. Gomperz, Les Penseurs de
la Grèce, II, p. 72 sq et 476.
106. On trouvera, dans l'app. III de Bessmertny (0. c, p. 247 sq.) une
traduction de tous les textes postérieurs à Platon.
l8 LÉGENDES GRECQUES DE LA MER
comme une fable de son maître 107. S'il y a sans doute maint
souvenir de la Crète minoenne dans la capture du taureau et les
rites sacrificiels des rois-prêtres atlantes et dans tels détails
relatifs à l'assemblage de pierres diversement colorées, à la
métallurgie ou, encore, à l'hydraulique, et si la majesté
géométrique des constructions de l'Atlantide peut se rattacher à
l'influence d'Hippodamos de Milet, le fameux ingénieur du Pirée,
un des précurseurs de l'urbanisme, qui fut aussi, comme Platon,
un théoricien social 108, il est pourtant bien surprenant qu'on
ne relève nulle part avant le philosophe deux données capitales
de son récit, la donnée d'une grande civilisation atlantide et celle
d'un conflit avec une Athènes rivale. On se heurtera, sur ces
deux points au moins, à la formule sceptique de Stéphane Gsell :
« L'Atlantide n'est mentionnée que par Platon et ceux qui l'ont
lu 109. » Mais cet éminent savant ne poussc-t-il pas trop loin son
scepticisme ? Du fait qu'on ne puisse apporter aucun
témoignage antérieur des deux données précédentes, suit-il qu'on
doive considérer toute l'histoire comme un mythe no et n'est-on
pas fondé à estimer véridique la troisième donnée qui a servi
de point de départ aux développements imaginaires de Platon,
celle d'immenses catastrophes géologiques auxquelles croyait
certainement le philosophe m, bouleversements que confirme
la science moderne et qu'elle nous permet, semble-t-il, de
localiser dans les parages assignés par lui à sa « fabuleuse » Atlantide ?
On a émis, au sujet de cette localisation, des hypothèses multiples
dont certaines ont notamment le défaut de négliger ou travestir
les précisions du Critias et du Tintée 112. On a parlé tour à tour
de l'Amérique, du nord de l'Afrique, delà Nigérie, de Tartessos,
des parages d'Héligoland, etc. 113 ; mais l'on ne doit envisager que
la région à l' Ouest de Gibraltar 114, si l'on veut s'en tenir strictement
148. Sur l'amour des dauphins pour la musique, v. Banquet des VII Sages, 1 62/ ;
cf. Eurip., El., 435-36 ; Anth., VII, 214 ; Pline, H. N., IX, 24. V. Defradas,
éd., n. 181.
149. Banquet, 162 c-d ; Intell, des anim., 969 e et 984 d. Pour les autres textes,
v. Defradas, éd., n. 177.
150. D'après Plutarque, Banq., 162 c, Hésiode fut simplement soupçonné de
complicité dans la séduction par un autre, mais c'est une version édulcorée et
il ne fait pas de doute que, dans la forme primitive de la légende, Hésiode n'ait
été le séducteur (v. P. Mazon, Hésiodb, intr., p. XII et n. 1).
151. 'TjroXa6oucra, comme pour Arion.
152. Même détail dans l'histoire d' Arion, « souvenir de l'épiphanie du dieu-
dauphin, dieu des promontoires, au moment où l'on célébrait son culte ».,
J. Depradas, éd., n. 179.
153. Hist., 1, 24,
154. Hérodote mentionne (/. c.) qu'il y avait au Ténare, dans un temple de
Poséidon, un ex-voto d'Arion, en bronze, représentant un homme sur un dauphin.
Cf. Paus., III, 25 ; Élien, Hist. des Anim., XIII, 45, qui rapporte l'inscription
qui y était gravée. J. Defradas, éd., n. 166, considère la légende comme étiologique
expliquant, comme celle de Taras-Phalanthos, un monument cultuel au dieu-
dauphin qui, venu de Crète, fut vénéré en de nombreux points des côtes
helléniques.
LÉGENDES GRECQUES DE LA MER 25
Thésée se précipitait dans les flots. Des dauphins 166 ou Triton l67
conduisaient Thésée auprès des divinités marines : Poséidon
promettait à son fils d'exaucer les trois premiers vux 168 qu'il
formerait, tandis qu'Amphitrite lui faisait présent d'une couronne
d'or 169 et d'un manteau de pourpre 170 qui constituaient, au retour,
des témoignages suffisants même si, comme en certains textes 171, il
n'était plus du tout question de l'anneau. En démontrant que le
jeune prince athénien descendait bien de Poséidon, cette légende
illustrait et fortifiait les prétentions d'Athènes à la suprématie sur
mer, et elle fut exploitée dans la période où, après les guerres
médiques, les Athéniens organisèrent leur empire maritime. Vers
474-73, le peintre Micon s'en était inspiré dans une grande
fresque du Théseion 172, le temple où venaient d'être déposées, à
leur retour de Scyros, les cendres de Thésée 173, et cette fresque a
influencé quelques vases peints l74 où nous voyons représenté le
même épisode. Le plus ancien, pourtant, est antérieur à l'uvre de
Micon, car il date de 490 environ, et cette coupe, signée d'Euphro-
nios, un des maîtres de la céramique à figures rouges, est l'un des
joyaux du Musée du Louvre 175. Aussi bien que telle métope du
Trésor des Athéniens à Delphes 176, ce chef-d'uvre nous montre
« le joli Thésée, au printemps de sa vie, à l'aube de sa gloire ; le
Thésée jeune, imberbe, encore un peu demoiselle, naïvement fier
de sa beauté, de sa cape flottante... de ses longues boucles », en
un mot, un véritable « Prince charmant » 177. Malgré la plongée,
et bien qu'on soit au fond de la mer, les fins plissés de sa tunique
comme les volutes de sa chevelure sont impeccables, et il en est
de même pour les deux autres personnages du tableau. Il est vrai
qu'Amphitrite, qui trône devant lui, a l'habitude de l'humide
187. rXaûxou Trr)S7)(ji,a, Paus., 9, 22, 7. Glaucos a été localisé aussi en Eubée
et l'on a trouvé une inscription cultuelle à son nom à Chalcis. Il était également
vénéré, sous le nom de yépoiv, chez les Ibères, où il y avait une axpa rXaûxoi)
(sch. Ap. Rh., II, 767 ; cf. Nilsson, Gesch. d. Griech. Religion, I, p. 224 et n. 1).
188. Nauck, Trag. graec. fragm.2, fr. 26.
189. Id., fr. 27 et 34.
190. To TepaxâiSsç (Arist., Poét., 1456 a).
191. Iô (îoûxeptoç dans Prométhée, les Érinyes dans l'Orestie, les Phorkides
dans la pièce de ce nom.
192. Nauck2, fr. 28 et 29. Ce second fragment, xal ysijo^aC tuojç tt)ç àsi-
Çtiiou TToaÇ, prouve bien qu'il apparaissait sur le théâtre. Sur le <papu.axov
d'immortalité, v. F. Vian, La guerre des Géants, p. 195-96.
193. V. sup., p. 6-7. Virgile en fait le père de la Sibylle de Cumes (En.,
VI, 36 ; cf. Serv., Georg., I, 427).
194. Paus., 9, 22, 7.
195. Schol., Ap. Rh., I, 1310 sq.
196. Diod. Sic, IV, 48.
197. Eur., Or., 362 sq.
LÉGENDES GRECQUES DE LA MER 31
* ##
202. Il est vrai que le fr. 34 n'est qu'une simple énumération (x6y}(Ol,
p.o£ç, XOJOxpEia) et rien ne dit qu'il s'agisse proprement d'une parure. Mais il
semble encore moins qu'il s'agisse, comme chez Platon, d'incrustations à côté
des parties du corps « cassées, usées et totalement défigurées ».
203. 'Av6pû)7ToetSèç OyjpÉov, disait Eschyle, fr. 26 ; &axe rcavrl Gyjpkp èot-
xévai, dit Platon.
204. Cf. P. M. Schuhl, Platon et l'art de son temps 1933.
205. De nos jours encore on a repêché des statues : en 1925 des pécheurs grecs
ont retiré de la mer le charmant éphèbe de bronze dit de Marathon, et en 1928,
au cap Artémision, on a ramené à la lumière une statue de Zeus ou Poséidon
qui est peut-être, a écrit Robert Demangel, « le bronze le plus achevé que nous
ait légué, bien malgré elle, l'antiquité » (a. c. p. 22, n. 138).
LÉGENDES GRECQUES DE LA MER 33
supérieur à lui, mais cette union avec une immortelle ne fut pas
exempte de douleurs. Thétis, en effet, ne se résigna à cet hymen
jugé inférieur qu'avec un regret déjà bien marqué dans Y Iliade 232,
et l'on conta par la suite qu'elle avait tenté tout ce qui dépendait
d'elle pour se dérober à une telle mésalliance. Elle usa, pour cela, de
la faculté naturellement inhérente au caractère mouvant, instable,
décevant des esprits des eaux, la faculté de métamorphose 233 que
nous avons eu déjà l'occasion de signaler, et Pelée, malgréson amour
et son désir d'épouser une déesse, n'aurait pu sans doute la
contraindre, si son ami Chirôn, le Centaure du Pélion, ne l'avait prévenu
de ses magies, comme nous avons vu Idothée prévenir Ménélas.
Donc Pelée, qui, sous l'inspiration des Immortels, s'est épris de
la Néréide, guette par un beau soir de lune 234 celle qu'il doit
conquérir dans les parages du cap Sépias, sur la côte thessalienne
que hantait particulièrement la déesse 2bii. A peine l'a-t-il aperçue à
la frange des vagues qu'il bondit sur elle et la saisit dans ses
bras robustes tandis que, effarouché, le chœur des Néréides se
disperse. Loin de céder à la surprise, la déesse cherche
désespérément à se dégager de l'étreinte du héros : tour à tour, elle
devient un serpent, un tigre, un lion, un poisson glissant, un
arbre au vaste feuillage, un feu qui dévore, une eau ruisselante 236.
Efforts inutiles, car les dieux en ont décidé autrement, et Pelée,
averti par Chirôn, se garde bien de lâcher prise. A chaque fois, au
contraire, ses mains se crispent davantage, la chaîne de ses bras
se resserre encore 237. C'en est fait, la déesse succombe, elle se
résigne à un amour mortel.
232. //., XVIII, 431-34-
233. Bien que la notion de Thétis-Néréide subsiste dans Y Iliade (XVIII, 86,
139, 432) à côté de Thétis-déesse, et qu'il y ait. de ce fait, une certaine dualité
(cf. p. 37, n. 231 ; Nilsson, Gesch. d. Griech. Relig., I, p. 223) il n'y est question
ni de la lutte avec Pelée ni de ses métamorphoses. La seule allusion qu'on ait
voulu voir à la lutte (XVII I, 430) est plus que douteuse. Thétis a été donnée à
Pelée par Zeus (XVI II, 431) ou les dieux (XVIII, 84) ou par Héra qui s'en flatte
(XXIV, 59 sq.). Cf. Nilsson, /. c. et p. 21-22. Selon M. Severyns, o. c, p. 90,
le trait des métamorphoses, éliminé par Homère, aurait figuré dans les Chants
Cypriens, mais l'opinion la plus courante est que cette tradition populaire était
étrangère à l'épcpée (v. Jebb-Pearson, Fragm. of Sopk., II, p. 256), et qu'elle
n'a été recueillie que par le lyrisme et la tragédie (v. in/.), Pausanïas l'indique
comme un des motifs du fameux coffret de Cypsélos (V, 18, 5). Pour le reste
de l'iconographie, v. Roscher, Lex. d. Myth., p. 795 sq. ; Frazer, Paus., III,
p. 614. Au sujet des différents textes, depuis Pindare (Ném., IV, 62 sq.) jusqu'à
Ovide (Met., XI, 235 sq.), v. Roscher, o. c, p. 786-87, et Frazer, Apollodore,
II, p. 67, n. 6. Signalons seulement que la lutte avec Thétis TcavTofXOpcpoç qui
devient Aéwv, Spàxcov, rrup, ûScop, est mentionnée dans deux fragments de
Sophocle (Nauck2, 561 et 154 = Jebb-Pearson, 618 et 150).
234. Nous appliquons à cette circonstance du guet ce que Pindare dit de
l'heure de l'union même, èv 8t,)(O^.7)Vi8Eacrt.v èoivépocic,, Isth., VIII, 44.
235. Hérodote, VI, 191. Liste des lieux de culte ap. Roscher, o. c, p. 792-93.
236. Pindare ne mentionne que « la flamme toute puissante, les griffes acérées
des lions farouches et la pointe de leurs dents redoutables » (Ném., IV, 62).
237. IIovTtav ©éxiv xocTÉ[xapc|jEV èyxvorjTt, Ném., III, 35-36, et sch. ad 1. :
xapTepY)<7aç TUEpiysyovs: ; cf. Soph., fr. 154 (Nauck2) = 150 (Jebb-Pearson).
LÉGENDES GRECQUES DE LA MER 39
254. Bibl., I, v, ï. Cf. Frazer, Apollodore, II, App. I : Pulting children on ihe
fire, p. 311 sq.
255. C. Robert, o. c, p. 67, n. 4, et 70, n. 1.
25O. Cf. Ap. Rh., A.rg., IV, 864 sq. Sui la colère de Pelée, en cette circonstance,
v. Arg., IV, 862 sq. Nilsson fait observer (o. c, p. 21-22) qu'il manque, dans
l'histoire de Thétis et Pelée, le tabou dont la violation entraîne parfois, en quelques
récits, la rupture entre des conjoints disparates (v. sup., p. 39). On peut être
tenté de le chercher dans un fragment du Troïlos de Sophocle (Nauck2, 561 =
Jebb-Pearson, 618) : ëyr^sv cbç ey/^sv à966yYOUÇ yà[jLouç — T75 tcocvto-
^6pço> ÔéxiSt, GUp.TcXax£Îç tcots. Entre autres explications proposées (v. C.
Robert, Griech. Heldens., p. 66, cf. sup,, p. 37, n. 230 ; Jebb-Pearson, Fragm. of
Soph., II, p. 256), on a rapproché le détail d'àcpôOYyouç yà^ouç du conte
moderne crétois (sup., p. 39) où la Néréide conquise n'a jamais adressé la parole
à son époux et ne sort de son silence, pour lui crier son indignation, qu'au moment
où elle le quitte en lui arrachant l'enfant, que son mari feint, j ustement pour la
faire parler, de vouloir jeter dans le feu (v. Fragm. of Soph., l. c. ; Frazer,
Apollodore, II, App. X, p. 384 ; L. Séchan, Roman de Th. et Pelée, p. 13 ; cf. Sevehyns,
o. c, p. 91). Dès lors, le charme qui liait les époux est rompu dit Pearson, qui
estime cette coïncidence remarquable. Mais, après avoir déclaré que cette
explication est la meilleure, il convient pourtant que, dans l'histoire de Thétis, les
rôles sont inverses puisque ce sont les cris de Pelée qui causent le départ de la
déesse, en sorte que, conclut-il, le tabou doit avoir été quelque peu différent.
Rappelons, enfin, que dans le folklore hellénique, lorsqu'un homme regarde
une Néréide, celle-ci lui « prend la parole ». Était-ce Pelée qui ne devait plus
parler mais qui le faisait sous le coup de l'indignation et de la colère ? Nous
n'oserions en décider.
257. V. sup. n. 353.
258. Cf. Frazer, sup., n. 254.
42 LÉGENDES GRECQUES DE LA MER
# ##
Gesch.
271. d.SurGriech.
Aphrodite
Relig.,
marine
I, p. v.491.
Dict. des Antiq., art. Vénus, p. 723-24; Nilsson,
272. Nilsson, l. c.
273. 11., V, 370 sq. : cf. XX, 107. V. Nilsson, /. c, et p. 569-70. C'est pourquoi
on l'appelle parfois AlcovaCy) ou même Diônè, comme sa mère.
274. Il y a bien une Diônè dans la Théogonie, 353, mais cette Océanine n'est
pas la mère d'Aphrodite.
275. On en juge par le caractère primitif et brutal de la légende de sa naissance
(v. Nilsson, o. c, p. 490-91 ; sur cette plus grande ancienneté, cf. L. Robin,
notice du Banquet, p. xliii et n. 1). Le thème de la mutilation d'Ouranos est
estimé asiatique (v. Forrer, Mil. Cnmont, 1936, p. 687 sq. ; F. Dornseiff,
Altoriental. in Hesiods Theog., L'antiquité dass., 1937, p. 248 sq.) et cette
première Aphrodite, cette Ourania, est très vraisemblablement orientale (HÉrod.,
I, 105, 131 ; v. J. Humbfrt, H. hom. Aphrod., notice, p. 142-44; Nilsson,
o. c, p. 489 sq., avec cependant, quelques réserves, p. 486, r\. 2). Comme le
fait observer J. Humdf.rt, /. c, : « la déesse, qui, dans le grand Hymne homérique
qui lui est consacré, voulait être l'épouse d'Anchise, est vraiment une Asiatique ».
On explique aussi par cette origine l'institution, contraire aux mœurs grecques,
des hiérodules de Corintho, les TToXuÇévoc!, veâvi^eç, chantées une fois par
Pindarf. (v. A. Puf.ch, Pind , IV, p. 188, n° 3). On sait d'ailleurs comment,
dans l'Iliade, la Diônaiè, encore, protège les Troyens et particulièrement Énée
sur le point d'être tué par Diomède (V, 297 sq.). — Ajoutons que le nom
d'Aphrodite est préhellénique, « inexplicable par l'indo-européen », et que « le
rapprochement avec àçpôç est une fantaisie grecque» (Benveniste, ap. Humbert,
o. c, p. 143) ; aopoç est une « étymologie populaire »> (Nilsson, o. c, p. 491).
LÉGENDES GRECQUES DE LA MÏR 45