T312 Labonne
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Résumé — Au Cameroun, le secteur élevage est dominé par les ruminants (environ 4 millions de
bovins et 7 millions de petits ruminants). L’Adamaoua et le Nord-Ouest alimentent le marché du sud.
Le Nord-Cameroun, avec 1,8 millions de bovins, ne parvient pas à satisfaire la demande locale.
Les importations tchadiennes compensent le déficit. Dans la province du Nord, la surface disponible
pour le pâturage n’est pas limitante (33 % de la superficie totale). Mais ce disponible est fortement
concurrencé au sud par les zones de chasse et les réserves (45 % de la superficie totale), au nord par
l’agriculture (10 % de la superficie totale). La province pourrait supporter 1,4 millions d’UBT
contre 0,9 actuellement. Seule la transhumance permet de valoriser correctement cette ressource
variable dans le temps et dans l’espace. C’est aussi la meilleure pratique pour l’évitement des
contraintes sanitaires saisonnières et la recherche de l’eau. Actuellement, les nombreuses entraves à
la mobilité du bétail pour la transhumance et la mise en marché (mitage agricole, positionnement
des zones réservées à la chasse, insécurité, taxations arbitraires…) freinent le développement de
l’élevage, générant sous-exploitation du cheptel, conflits ou désintérêts pour des zones trop
enclavées. Jusqu’à un passé récent, les services de l’élevage ont favorisé des stratégies de
développement technicistes et individualistes, prenait peu en compte la diversité des situations et
des besoins à l’échelle de la province. Aujourd’hui, les priorités d’intervention portent sur la
sécurisation des espaces pastoraux et l’organisation des éleveurs pour défendre les intérêts de la
profession à tous les niveaux de négociation. Elles prennent en compte la dimension locale, un
zonage pastoral est proposé.
Abstract — The breeding sector in Cameroon and the in northern provinces: current situation,
constraints, risks and challenges. In Cameroon, the breeding sector is dominated by the ruminants
(approximately 4 millions of bovines and 7 millions of small ruminants). The Adamawa and the North-
West provinces supply the southern market. The North Province, with 1.8 millions of bovines,
does not supply local demand. Chadian imports compensate the deficit. In the North Province,
the available surface for pasture is not a limiting factor (33% total area). But this available is
strongly competed in the south by hunting and reserve zones (45% of the total area), in the north
by agriculture (10% of the total area). The province could have support 1.4 million TBU as
against
0.9 currently. Only transhumance allows valorising this time and space varying resource. It is also the
best practice to avoid seasonal sanitary constraints and the research of water. Presently, the
numerous hinder to the mobility of transhumant cattle and the placement in markets (agricultural
vicinity, positioning of hunting zones, insecurity, arbitrary taxation…) brake the development of
breeding, generating an under exploitation of the livestock, conflicts or disinterest for too enclosed
zones. Until a recent past, breeding services have favoured technical and individualistic
development strategies and took little case of the diversity of situations and needs at the province
scale. Today, priorities of intervention focus on the secularisation of pastoral spaces and the
organisation of breeders to defend the profession interests at all levels of negotiation. They take
into account the local dimension, a pastoral zoning is proposed.
Le contexte national
Les grands objectifs économiques sont de porter la croissance du PIB réel au minimum de 5 % et de
stabiliser le déficit commercial aux alentours de 2 %. Les objectifs sociaux sont de réduire le chômage, et
de lutter contre la pauvreté. Enfin, la protection de l’environnement est un objectif important.
Le secteur de l’élevage est pleinement concerné par les défis à relever. Le document « Etude
d’élaboration des grandes lignes de la politique sectorielle du développement de l’élevage »
(Management 2000 et Minépia, 2000) fixe pour objectif de satisfaire la demande intérieure camerounaise
et de permettre une consommation supérieure à 33 kg de viande bovine par habitant et par an. Pour
atteindre ces objectifs ambitieux, il faut que les produits de l’élevage camerounais soient disponibles sur
le marché, ce qui signifie que la production doit être suffisante et effectivement mise sur le marché.
Si la consommation de viande de monogastriques va se développer et de nouvelles formes d’élevage voir
le jour, il nous semble toutefois que la demande en viande bovine restera forte et que la production
Actes du colloque, 27-31 mai 2002, Garoua, Cameroun
extensive de bovins a de l’avenir.
Le cheptel
Les effectifs réels sont extrêmement difficiles à connaître avec certitude. Les chiffres fournis par le
Minépia, en l’absence de recensement récent (le dernier date de 25 ans !), se basent sur les animaux
vaccinés et sont donc sujet à des biais importants. Par expérience, nous savons que généralement
les éleveurs M’Bororos ne font vacciner leurs animaux que tous les trois ans et qu’ils sont
majoritairement dans le Mayo-Rey et le Faro. Les éleveurs du département du Mayo-Louti sont
majoritairement des agro- éleveurs pratiquant une intensification qui les pousse à vacciner plus. La
Bénoué possède les deux types d’éleveurs. Nous disposons des chiffres du Minépia issus de la
vaccination (1995) et ceux de l’étude de faisabilité du Projet d’hydraulique pastorale (PRCPB) faite en
lien avec la recherche nationale (CIRAD- TERA, BCEOM, 1998) (tableau I). Pour notre part, en nous
basant sur la vaccination 2001 contre la péripneumonie contagieuse des bovins, nous arrivons à 779
000 bovins pour la province du Nord.
Tableau I. Effectifs des ruminants dans les provinces du Nord et de l’Extrême-Nord du Cameroun.
Tableau II. Evaluation des surfaces pâturables dans les départements de la province du Nord du
Cameroun (en kmZ).
Figure 1. Espaces pastoraux et aires protégées de la province du Nord. Carte à dire d’acteurs dressée
avec les CZV.
La part des résidus de récolte dans la production annuelle de MS des départements de la province du
Nord est la suivante : Bénoué, 27 % ; Faro, 5 % ; Mayo-Louti, 41 % ; Mayo-Rey, 3 %.
On retrouve les tendances des études antérieures : surcharge dans le Mayo Louti ; équilibre à surcharge
dans la Bénoué ; sous-charge dans le Faro ; énorme potentiel dans le Mayo Rey.
L’étude CIRAD-TERA (1998) estime que le potentiel des parcours de la province du Nord est compatible
avec une projection du cheptel en 2007 estimée à 1 400 000 UBT. Pour notre part nous concluons
que le potentiel global de la province du Nord fournit des ressources permettant de nourrir un
cheptel au moins aussi important que celui estimé actuellement. Même si les méthodes sont
grossières dans l’estimation du cheptel, la rareté de la ressource n’est pas avérée de manière globale.
La ressource est inégalement répartie dans l’espace de la province et elle est inégalement répartie dans
le temps. La MS produite n’est pas utilisé uniformément tout au long de l’année. Les résidus de
récolte le sont durant 3 à 5 mois et l’utilisation des parcours dépend de la saison. Une
différenciation entre la disponibilité en saison sèche et en saison des pluies aurait été utile, mais n’est
pas possible actuellement.
Seule la transhumance permet de s’adapter à cette disponibilité inégale de la ressource et d’optimiser
son utilisation. Le problème de l’alimentation des ruminants dans la province du Nord est celui de
l’accès à la ressource. Or, il est difficile pour les éleveurs et sa recherche entraîne des conflits :
– la circulation des animaux rencontre de plus en plus de difficultés à cause d’une installation de
l’agriculture qui prend peu en compte les zones traditionnelles de pâturage et les pistes à bétail ;
– d’une année sur l’autre, l’agriculture occupe souvent les lieux de résidence des éleveurs en
voulant profiter de la fumure ;
– les zones d’intérêt cynégétique et les parcs forment un véritable barrage empêchant l’accès au sud de
la province (Mayo Rey et Faro) qui porte pourtant la majorité de la ressource (figure 1) ;
– ni les chefferies ni l’Administration ne garantissent l’accès à cette ressource ; des délimitations de
zones de pâturage avaient été faites dans les années 60, mais elles ne sont plus respectées ; les
délimitations actuellement tentées rencontrent de grosses difficultés de respect d’accords pourtant
négociés ;
– l’insécurité des biens et des personnes dans certaines zones fait qu’elles ne sont pas utilisées ;
– enfin, l’augmentation sans précédent du coût des déplacements ou des séjours du fait de la
multiplication des communes rurales qui prélèvent des taxes de manière non harmonisée et à des
taux fixés arbitrairement et les pratiques des chefferies qui, pour beaucoup, ont un budget où la
part de l’élevage est prépondérante, font que de grands espaces sont délaissés.
Les conflits signalés par les agents du Minépia avec l’agriculture sont surtout rencontrés dans le
Mayo- Louti, la Bénoué et le Faro. Les conflits avec l’environnement sont majoritaires dans le Mayo-
Rey mais existent aussi dans le Faro.
L’engouement actuel pour la création de zones de chasse ou d’utilisation de la ressource selon une
gestion communautaire développe un « état mixte du conflit » dans la mesure où l’élevage est mal
représenté dans les négociations. Nous avons assisté à des débats initiés par l’Environnement et menés
par leurs techniciens où les espaces laissés à l’élevage étaient ceux jugés « impropres à l’agriculture »
(arrondissement de Lagdo, zone de Tongo). Le secteur de l’élevage, dont on a vu l’importance au
nord du Cameroun, en arrive à devoir se trouver des justifications d’existence. Les déficiences des
Services qui en sont en charge (les moyens du Minépia sont entièrement dévolus aux aspects
sanitaires) ainsi que l’absence d’organisation des éleveurs sont sans doute des causes de cette
situation.
Ces préoccupations ne sont pas nouvelles, et tant les thèmes techniques que le problème foncier
existaient déjà dans la littérature technique et dans les politiques de développement des années 60.
Eyédi (1966) parlait déjà de crise de l’élevage transhumant, de conflits agriculture-élevage, d’association
agriculture-élevage. Sans une nouvelle vision du monde de l’élevage et sans des stratégies de mise
en œuvre dotées de moyens adéquats, les politiques de développement resteront lettres mortes. Un
processus de développement amène à replacer chaque discipline dans un contexte plus global.
Conclusion
Au Nord-Cameroun, l’élevage est un secteur souvent oublié par le développement et qui n’a pas
bénéficié des investissements faits dans les autres secteurs.
L’élevage a pourtant un potentiel important (vaste bassin de consommation, ressource fourragère
importante, situation sanitaire maîtrisée, eau disponible…) pour participer à l’effort de développement
national et répondre aux enjeux et défis actuels.
Délaissé par les bailleurs de fonds, ce secteur est mal défendu par les Services de l’élevage et la
recherche qui ont eu jusqu’à présent une approche trop technique et visant principalement les individus.
Les éleveurs eux-mêmes, sans organisation réelle, sont absents des instances de négociation à toutes les
échelles (locales, provinciales et nationales).
Le développement pastoral d’un élevage des ruminants basé sur la transhumance qu’il faut promouvoir à
travers des actions facilitant et sécurisant l’accès aux ressources devrait mobiliser des investissements.
L’élevage a une place dans l’économie et la vie sociale de la province du Nord est il ne doit plus se
définir par défaut face à l’agriculture ou bien au secteur de l’environnement. Des synergies et des
échanges doivent être établies entre ces trois secteurs qui se partagent l’espace régional.
Les approches des années 70 avec les grands projets d’élevage basés sur l’hydraulique, la santé
vétérinaire, les ranchs et la gestion technique des parcours font encore référence.
La nouvelle vision proposée de l’élevage doit modifier les axes de développement pour veiller à la
viabilité des systèmes de production, prendre en compte la diversité des situations et des besoins à
l’échelon local, aborder des aspects plus généraux comme le juridique, promouvoir l’émergence
d’organisations de producteurs efficaces, susciter la négociation à tous les échelons et renouveler les
approches techniques en s’appuyant sur les pratiques et les besoins effectifs des éleveurs.
Remerciements
Les auteurs remercient E. Vall pour ses commentaires et suggestions.