Levolution de La Phalange Macedonienne L
Levolution de La Phalange Macedonienne L
Levolution de La Phalange Macedonienne L
ANCIENT MACEDONIA
SIXTH INTERNATIONAL SYMPOSIUM
VOLUME 2
OFFPRINT
ΑΡΧΑΙΑ MAKEAONIA
ΕΚΤΟ ΑΙΕΘΝΕΣ ΣΥΜΠΟΣΙΟ
ΤΟΜΟΣ 2
65
A. Noguera Borel
3. Les unités mesures que nous avons adopté et leurs correspondances en système métrique
sont issues de F. Hultsch, Griechische und Römische Metrologie2, Berlin 1882, 42 s., table p. 697.
Ainsi un pied (πους) correspond à 30,83 cm. et une coudée (πηχυς) à 46,24 cm.
4. F. W, Walbank, A Historical Commentary on Polybius, vol. II, Oxford 1967,587.
5. I. G. Kidd, Posidonius II: the Commentary, l. Testimonia and Fragments 1-149, Cambridge,
1988,334 s.
6. Idem, 30-33.
7. Cf. F. Lammert, RE2 I A, cols. 2515 s., s.v. Sai'issa.
L'évolution de la phalange macédonienne 841
12. Plutarque, Philopoimen, 9, 3 et 5; voir aussi à ce sujet Polybe, XI, 16,2, Polyen, VI, 4, 3 et
Pausanias, VIII, 50, 1.
13. Polybe, V, 82,2 et 85, 9.
14. Bataille des Thermopiles: Tite Live, XXXVI, 18, 2; Appien, Sur la Syrie, 19.
15. Polybe XXXVIII, 37, 9; Tite Live, XXXVII, 40, 1 et 42, 4; Appien, Sur la Syrie, 35. B.
Bar-Kochva, The Seleucid Army: Organisation and Tactics in the Great Campaigns, Cambridge
1976, 7 s. et 51-52.
16. Polybe, XVIII, 30,2; Asclépiodote, II, 1.
L'évolution de la phalange macédonienne 843
modes pour le combat selon Tite Live (XXXVII, 42, 4), l'armement en géné-
ral était pesant selon Appien et la phalange avait des difficultés pour se
déployer et se mouvoir (Sur la Syrie, 35). En fait toute la bataille de
Magnésie était envisagée de façon à ce que la phalange ne devait pas avoir un
rôle décisif dans l'attaque mais plutôt un rôle défensif17. L'armement en
général de la phalange s'était alourdi et sans doute les sarisses corres-
pondaient au modèle utilisé en Macédoine au même moment.
En Europe les phalanges de Philippe V et de Persée eurent un dévelop-
pement parallèle. Pendant les premiers combats entre les troupes de Philippe
V et l'armée romaine Tite Live nous parle déjà des problèmes que les
longues lances (praelongae hastae) posaient aux macédoniens là où des arbres
étaient proches, en fait si la phalange ne formait pas "une sorte de palissade",
dit-il, elle n'avait plus aucune utilité18. Pendant le siège de la ville d'Atrax,
en Thessalie, en 198, les romains réussirent à faire effondrer une partie du
mur défensif et se heurtèrent aux troupes macédoniennes disposées en
phalange19: "en formation compacte, ils étendirent devant eux leurs lances
très longues (hastae ingentis longitudinis)", quand les romains arrivaient à
rompre le bout d'une lance celle-ci était toujours assez longue pour les tenir
en respect. En 197 les Rhodiens cherchèrent à récupérer leur Pérée contre les
macédoniens et affrontèrent une phalange de 500 hommes près d'Alabanda20.
Celle-ci resta immobile à sa place et les troupes rhodiennes ne parvinrent pas
à l'en déloger tant que ses flancs étaient protégés; lorsque la petite phalange
se retrouva seule elle fut incapable, malgré ses effectifs réduits, de tourner
ses sarisses pour faire face de côté. En effet cette manœuvre créa la confusion
dans ses rangs et les macédoniens n'eurent d'espoir que dans la fuite. Outre
le fait que ces troupes provenant de garnisons n'étaient peut-être pas
entraînées adéquatement il est évident que leur mobilité, et en particulier la
mobilité de leurs lances était réduite du fait de leur excessive longueur. Nous
en arrivons donc à la triste journée de la bataille de Cinocéphales en 197
aussi. La phalange macédonienne portait des sarisses si lourdes que Tite Live
en dit que leur longueur était un obstacle pour leur maniement21; plus loin22 il
en arrive même à qualifier la phalange de troupe lourde, avec des difficultés
pour manœuvrer qui n'était même pas capable de faire demi-tour. Nous
pourrions douter Tite Live s'il ne cherchait qu'à dénigrer l'ennemi mais pas
quand ces critiques banalisaient une victoire romaine. Une phalange de cara-
ctère similaire combat à Pydna en 168. Une fois de plus nous devons nous fier
à Tite Live qui néanmoins suit le texte de Polybe23: "si, par des harcèlements,
on oblige les phalangites à faire volte-face avec une pique à laquelle sa lon-
gueur et son poids enlèvent sa mobilité, ils se retrouvent empêtrés dans le
pêle-mêle de leur masse désordonnée". C'est-à dire que cette phalange pou-
vait avancer et même charger tant qu'elle conservait ses rangs serrés et
qu'elle se battait en terrain plat mais dès qu'elle avait à faire des manœuvres
elle perdait sa cohésion ce qui n'arrivait pas avec la phalange d'Alexandre le
Grand.
Ainsi, nous pouvons conclure que la phalange macédonienne sous Philippe
V et Persée avait un équipement plus lourd que celle de Philippe II et
Alexandre III. Les sarisses étaient sans doute plus longues et pesantes. Il
nous faut néanmoins chercher à quantifier ces changements pour mieux
comprendre leur importance. La sarisse du Ille et du Ile siècle dans les
armées macédoniennes mesurait sans doute 16 pieds, c'est à dire 7,4 m. ce
qui est énormément encombrant. Pourtant Polybe parle d'une sarisse de 14
pieds "pour les nécessités actuelles". Cet auteur rnégalopolitain fut hipparque
de l'armée de la confédération achaïenne en 170/6924, c'est à dire au moment
ou celle-ci vote la collaboration avec les romains contre Persée. Il est donc
possible d'avancer l'hypothèse suivante: la sarisse dont il parle est celle de la
phalange achaïenne de ces années là, elle mesurait sûrement 12 coudées sous
Philopoimen, comme nous l'avons vu, et fut rallongéc à 14 pour "les néces-
sités actuelles", c'est-à dire une éventuelle confrontation avec la phalange de
Persée dont les sarisses étaient encore plus longues comme nous l'avons vu.
Après la bataille de Pydna la sarisse semble disparaître des sources
antiques. Il est cependant assuré qu'elle continua à exister dans les armées
ptolémaïques, pergaméniennes et séleucides et peut-être ailleurs. Ce n'est
qu'en 86 av. J.-C. qu'une phalange appartenant à l'armée du roi du Pont
Mithridates VI Eupator combat contre Sylla à Quéronéc: "ils avaient de
grandes sarisses penchées en avant" (προβαλλομένων τάς σαρίσας μα
κράς) 25 . Le fait de parler de "grandes sarisses" confirme deux idées: la
première est que cette phalange utilisait des sarisses de grand modèle, sans
23. Idem, XLIV, 41,7. Voir aussi F. W. Walbank, Λ Historical Commentary on Polybius, vol.
III, Oxford 1979,378 s.
24. Polybe, XXVIII, 6,9.
25. Plutarque, Sylla. 18, 7. Frontin, Stratagèmes, 11. 3, 17 confirme qu'il s'agissait bien d'une
phalange de style macédonien.
L'évolution de la phalange macédonienne 845
doute de 16 pieds, et la deuxième est qu'il y avait des sarisses grandes et des
petites.
En résumé nous pouvons dire que la phalange de Macédoine porta des
sarisses de 5 m. en moyenne jusqu'à la fin du IVe siècle ou le début du
troisième. Ensuite celle-ci se prolongea jusque plus de 7 m. et resta immuable
aussi bien dans les phalanges Antigonides, Séleucides et du Pont; nous ne
pouvons pas préciser les caractéristiques de cette arme dans les autres
phalanges asiatiques ou africaines du monde hellénistique. En ce qui concerne
la phalange de la confédération achaïenne ses sarisses furent sans doute de 5
m. à ses débuts et fut par la suite prolongée dans le premier quart du Ile
siècle av. J.-C. à 6,5 m.
La longueur de cette arme peut sembler un fait marginal dans l'histoire
militaire du monde ancien. Cependant ce fut celle-ci qui contribua grandement
aux victoires de Philippe II et d'Alexandre le Grand ouvrant la possibilité à
l'expansion de la culture hellénique et ce fut celle-ci aussi qui contribua à
l'effondrement des troupes macédoniennes face aux légions romaines. La ten-
dance à l'alourdissement de cette arme et de la phalange en général (le bou-
clier du phalangite subit une évolution parallèle) convertit cette unité en un
mur protégé par une palissade de pointes qui l'obligeait à combattre dans un
terrain plat, sans obstacles et à ne pas faire de manœuvres. La tactique en gé-
néral des armées macédoniennes s'en ressentit. Cette tendance à l'alourdisse-
ment peut-être comparée à celle de la cavalerie dans les mêmes armées, les-
quelles partant du compagnon à cheval de l'armée d'Alexandre en arrive aux
cataphractaires bardés de fer comme apogée. Cette évolution à de nombreux
parallèles dans l'histoire militaire dont un des exemples de l'alourdissement
de l'armement peut-être vu chez les chevaliers du Moyen-Âge européen.
étude séparée26. Il suffit de rappeler que Markle lui donnait une longueur de
4,57 m.
Outre ces armes de cavalerie il semblerait que des sarisses encore plus
courtes furent utilisées et certaines d'entre elles le furent même comme
projectiles.
En 328 av. J.-C. eut lieu le malheureux épisode du meurtre de Clitos à
Samarcande. Après une vive discussion Alexandre emporté sans doute par la
colère et la boisson chercha une arme pour tuer Clitos. Il se saisit alors de la
sarisse de l'un de ses hypaspistes qui faisait la garde à l'intérieur de la tente
royale27. Il est évident que cette sarisse ne pouvait pas mesurer 5 m. car elle
n'aurait eu aucune utilité à l'intérieur de la tente royale si haute fusse-t'elle.
De plus, postérieurement Alexandre tua Clitos avec cette sarisse sûrement
dans le vestibule de la tente royale. Dans son désespoir le roi essaya de se
donner la mort en appuyant la sarisse dans un mur pour s'en transpercer, une
longue sarisse n'aurait jamais pu être utilisée dans ce but. D'autre part
Plutarque qualifie cette arme de αιχμή, et l'hypaspiste de δορυφόρος, Arrien
nomme cette première λόγχη et ce dernier somatophylaque; la confusion
semble régner en ce qui concerne l'arme, cela est sans doute dû au fait que
ces appellation sont ici équivalentes et que cette sarisse est semblable à une
lance courte grecque habituelle de hoplite. Toutes ces considérations inter-
disent de penser que nous nous trouvons face à une sarisse longue, au plus
cette arme devait mesurer entre 2 m. et 2,5 m. Polyen (IV, 3, 24) nous
raconte qu'Alexandre en rentrant de l'Inde rendait justice dans une salle
entouré de 500 argyraspides, qui ne sont autres que les anciens hypaspistes,
ceux-ci ne pouvaient pas porter de sarisse longue dans une salle fermée.
En 324, arrivé à Suse Alexandre fut confronté à la mauvaise gestion et
aux comportements abusifs de certains de ses gouverneurs et administrateurs,
il châtia certains d'entre eux et tua de ses propres mains Oxathrès, satrape de
Paraetacène en le transperçant avec une sarisse28. Peut-on imaginer le roi à
plus de quatre mètres de son sujet pour le châtier à distance? Il serait plus
logique de penser que cette sarisse était d'un type beaucoup plus court; il
l'emprunta certainement à un des hypaspistes qui l'entouraient et qui consti-
tuaient sa garde personnelle ce jour-là.
De nouvelles preuves de sarisses courtes sont apportées par Strabon et
26. M. M. Markle, ait.cit., ΑΙΑ 1977, 333-339; M. M. Markle, art.cit., ASA 1978, 489-493;
P. A. Manti, "The Cavalry Sarissa", The Ancient World 1983, 73-80.
27. Arrien, Anabase, IV, 8, 8 et 9 et aussi IV, 9, 2; Quinte Curce, VIII, 1, 49 et 2, 4; Plu
tarque, Alexandre, 51,9.
28. Plutarque, Alexandre, 68, 7; Arrien, Anabase, VII, 4, 1.
L'évolution de la phalange macédonienne 847
courte, mais plus lourds en ce qu'ils portaient sans doute une cuirasse et un
bouclier plus grand.
Il existe d'autres cas de sarisses courtes bien qu'elles ne soient pas mises
en relation avec les hypaspistes. En 189 av. J.-C, pendant l'été, les romains
assiégèrent la ville d'Ambracie, cette cité épirote faisait-alors partie de la
Confédération Etolienne33. Comme les romains avaient réalisé une mine sous
les murs défensifs de la ville, les défenseurs firent une contre-mine. À
l'intérieur de celle-ci ils utilisèrent des sarisses pour repousser l'ennemi, de
plus ces armes en semblaient pas efficaces contre les boucliers des attaquants.
Il est évident qu'on ne saurait utiliser une longue sarisse au fond d'un étroit
tunnel dont la bouche aurait du être d'une taille excessive pour permettre son
introduction; d'autre part les longues sarisses étaient efficaces contre les
boucliers contrairement à celles-ci. Nous voilà donc à nouveaux face à des
sarisses courtes étendues au delà du domaine purement macédonien.
Nous avons donc établi qu'il existait des sarisses longues (qui mesuraient
entre 4,5 et 7,4 m.), des sarisses courtes comparables aux lances des hoplites
(qui mesuraient entre 2 m. et 2,5 m.). Cependant certains auteurs parlent de
sarisses utilisées comme projectiles et en cela elles devraient-être encore plus
courtes que toutes celles que nous avons vu antérieurement.
Polybe en décrivant le scutum romain dit qu'il est doté d'une pièce
métallique en son centre, l'umbo, qui sert à dévier les pierres, "les sarisses et
les projectiles en général"34. Il semblerait qu'il inclue les sarisses entre les
projectiles que le bouclier peut repousser.
Herodien, le grammairien, va encore plus loin; il en arrive même à
qualifier la sarisse de javelot: "σάρισα είδος ακοντίου μικροϋ"35 et "σάρισα
είδος ακοντίου μακροΰ"36. Cet auteur s'est peut-être trompé en ce qui con-
cerne la taille, ou bien c'est la transmission du texte qui est défectueuse,
cependant il reste évident que la sarisse est définie comme un javelot. Il
existait des javelots de différentes tailles mais ils étaient en tout cas plus
petits et plus légers que les lances des hoplites afin de pouvoir les lancer.
Outre ces faits qui pourraient-être considérés insuffisants pour démontrer
33. Polybe, XXI, 28, 11 et 14; Tite Live, XXXVIII, 7, 12; Polyen, VI, 17.
34. Polybe, VI, 23,5.
35. /Elius Herodien, Περί καθολικής προσωδίας, 3, 1,267,23.
36. Idem, Περί ορθογραφίας, 3,2, 579,2. Cf. dans le même sens Hesychios, s. ν. σάρισσα, et
Suidas, s.v. σάρισσα.
L'évolution de la phalange macédonienne 849
aàm\s q\i'\\ s' a.g\t \à à'vm mot a.ppa.Tletvat\t au àiatecte m&céàotuert q\i\ iut
adopté par les autres dialectes grecs, notamment par l'attique, après Philippe
II42. Σάρισσα était donc le mot macédonien qui signifiait "arme munie d'une
hampe" et seule la renommée acquise par la grande sarisse de la phalange
effaça ce sens qu'il est juste de rétablir aujourd'hui.
Espana
Beiträge, Stuttgart 1920, 21; J. N. Kalléris, Les anciens Macédoniens, Athènes 1954, 256 s.
42. J. Kalléris, op.cit., 484 s.