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1.

Introduction

La chimie sol/gel a été à l’origine développée pour fabriquer des verres [1] ou des

matériaux céramiques [2] via l’hydrolyse, la condensation et la gélification de solutions

contenant des alcoxydes métalliques M(OR)n ou des sels métalliques [3][4]. A l’image du

potier qui fabrique un matériau utile via la cuisson d’une pâte à base d’argiles, le chimiste

sol/gel réalise des matériaux de haute technologie à partir de sols et de gels à composition

chimique et propriétés rhéologiques optimisées en vue de l’application souhaitée. Initialement

très empirique et pragmatique cette approche originale en chimie des matériaux s’est

progressivement transformée en véritable science [5] ayant de multiples relations avec

d’autres domaines de la chimie tels que: la chimie supramoléculaire, la reconnaissance

moléculaire, la chimie de coordination des systèmes autoassemblés, l’ingénierie cristalline et

la tectonique moléculaire [6]. De nos jours la chimie sol/gel peut être considérée comme l’une

des branches majeures des nanotechnologies, qui consistent à concevoir et synthétiser des

dispositifs à l’échelle du nanomètre. Un autre aspect évolutif de la chimie sol/gel consiste à

l’abandon progressif de l’étape de calcination. Ainsi si le chimiste sol/gel des années 70

pouvait être comparé à un potier, celui du XXIème siècle se compare mieux à un peintre. En

effet, d’une part la palette des précurseurs moléculaires s’est considérablement élargie

incluant la quasi-totalité des complexes de coordination, et d’autre part la rétention d’une

partie du solvant dans le matériau final rend les sols et les gels inorganiques compatibles avec

la matière molle rencontrée en chimie des polymères ou dans les milieux biologiques. De

cette synergie entre chimie inorganique et organique peut naître de nouveaux matériaux

hybrides aux performances inégalées.

Notre approche se situe dans cette stratégie d’élaboration de matériaux hybrides

organique/inorganique à partir de complexes en solution et sans calcination du matériau final.

Dans cette optique, trois types de matériaux solides peuvent être attendus:

1
i) Des monocristaux incluant les complexes de départ solvatés ou non, voire des

complexes polynucléaires issus de processus d’hydrolyse/condensation de ces mêmes

complexes. Si à l’origine la croissance de monocristaux était une simple méthode de

caractérisation des espèces présentes en solution, le développement récent du concept

d’ingénierie cristalline [7] permet aujourd’hui d’aller beaucoup plus loin via l’étude des

phénomènes de polymorphisme, du rôle du solvant dans l’élaboration du réseau ou de la

reconnaissance moléculaire entre entités modifiées de manière raisonnée.

ii) Des solutions colloïdales contenant des nanocristaux d’une phase solide présentant

des propriétés électriques, optiques ou magnétiques intéressantes. De tels sols sont

généralement le résultat des processus de solvolyse et d’autoclavage à température modérée

(T < 300°C) d’une solution contenant un ou plusieurs complexes de coordination. Ici le

contrôle de la taille, de la forme et de l’état d’agrégation de ces nanocristaux est l’objectif

essentiel à atteindre.

iii) Des gels réversibles ou non entremêlant de manière intime et tridimensionnelle des

centres métalliques et des ligands organiques. Le défi est ici le contrôle de la nanostructure du

réseau polymérique responsable de la gélification ainsi que sa caractérisation structurale fine

en termes de briques de construction.

Notre travail de thèse illustrera chacun de ces aspects de la chimie sol/gel des

matériaux hybrides organique/inorganique au moyen d’un oxyde métallique judicieusement

choisi. Concernant, ce centre métallique, dénominateur commun de cette étude, notre choix

s’est porté sur le titane en raison de l’importance stratégique de son oxyde en chimie des

matériaux. L’importance de l’oxyde de titane est liée à sa grande inertie chimique, à la grande

flexibilité du polyèdre de coordination du titane (le nombre de coordination du titane peut

prendre toute valeur comprise entre 4 et 8, de plus les octaèdres TiO 6 ne sont jamais

réguliers), mais aussi à la non-toxicité et à la bio-compatibilité de l’oxyde TiO 2 . L’importance

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de ce dernier point peut être appréciée par l’utilisation systématique dès 1920 de l’oxyde TiO 2

comme pigment blanc (peintures, plastiques, papiers, textiles, polymères…) en lieu et place

de composés à base de plomb ou de zinc. Une conséquence directe de cet état de fait consiste

à pouvoir détecter de manière très aisée les fraudes et les imitations de toiles de maîtres.

Ainsi, si la forme anatase est détectée dans la peinture utilisée pour l’œuvre, le tableau ne peut

être antérieur à 1920 ou postérieur à 1950. Si la forme rutile est détectée, la toile est forcément

postérieure à 1950. Enfin l’absence de TiO 2 indique que la toile est forcément antérieure à

1920. Si l’indice de réfraction très élevé de TiO 2 (2,7 contre 2,45 pour le diamant) explique

son utilisation intensive comme pigment blanc, son gap relativement large (3,2 eV) lui

confère une d’autres propriétés très intéressantes. Cet oxyde peut ainsi être utilisé dans

l’oxydation photocatalytique des matières organiques dissoutes dans l’eau (traitement des

eaux usées) [8], dans la photo-oxydation de NO [9] ou dans la photoélectrolyse de l’eau [10].

La détection de matière gazeuses telles que NO2 [11], CO [12], O2 , H2 ou EtOH [13] est une

autre application prometteuse de l’oxyde de titane. Il a aussi été montré que la conversion de

Ti4+ en Ti3+ sous l’action de la lumière ultraviolette confère à la surface de l’oxyde de titane

un caractère amphiphile (hydrophobe en l’absence de radiation et hydrophile après

irradiation) conduisant à des applications intéressantes comme les revêtements anti-buée et

auto-nettoyants [14]. Pour les mêmes raisons l’oxyde de titane est également omniprésent

dans les cellules photovoltaïques [15-17] et peut être aussi utilisé pour réaliser des

revêtements électrochromes [18], voire des batteries d’intercalation [19-20]. Enfin de

nombreuses céramiques font appel à l’oxyde de titane, soit pour réduire la température de

frittage de cet oxyde hautement réfractaire [21-23], soit pour l’associer à d’autres oxydes dans

le but d’obtenir des matériaux à propriétés intéressantes comme:

3
i) Des verres SiO 2 -TiO 2 à coefficient de dilatation thermique très faible voire nul (< 10

wt% TiO 2 ) [24], des verres résistants aux milieux alcalins (> 10 wt% TiO 2 ) [25] ou à indice

de réfraction ajustable entre 1,6 et 2,2 [26].

ii) Des catalyseurs SiO 2 -TiO 2 pour la catalyse acide de réactions telles que amination

des phénols, hydratation de l’éthylène, isomérisation du butène, désalkylation du cumène,

déshydratation de l’isopropanol ou décomposition du 1,2-dichloroéthane [27].

iii) Des matériaux ferro-, piézo- ou pyroélectriques en association avec un élément

bivalent comme le magnésium, le calcium, le strontium, le baryum ou le plomb. On peut ainsi

citer le titanate de baryum BaTiO 3 pour la fabrication de condensateurs céramiques

multicouches [28], le titanate de strontium SrTiO 3 pour la fabrication de varistors, de relais et

de transistors [29] et le titanate de plomb PbTiO 3 pour la réalisation d’actuateurs, de senseurs

et de mémoires non-volatiles [30].

Dans le domaine des matériaux hybrides organique/inorganique, l’utilisation de

l’oxyde de titane permet d’obtenir de nouveaux matériaux présentant à la fois une haute

transparence, une basse température d’élaboration et une bonne stabilité thermique [31]. La

fabrication de lentilles de contact présentant un bonne perméabilité au dioxygène et une bonne

résistance à l’abrasion est un exemple frappant de l’importance de ces matériaux hybrides

[31-32]. Là encore l’indice de réfraction élevé de l’oxyde de titane permet de réaliser

aisément des matrices hôtes pour diverses applications liés à l’optoélectronique [33]. D’un

point de vue général ces matériaux hybrides peuvent être divisés en deux grandes classes [34-

35]:

i) La première classe est constituée de molécules ou de polymères organiques

encapsulés dans une matrice inorganique. De l’oxyde de titane mésoporeux permettant

l’oxydation des oléfines et l’hydroxylation des dérivés benzéniques peut être ainsi obtenu

[36]. En jouant sur la nature chimique du surfactant il est aussi possible d’obtenir des fibres

4
creuses de TiO 2 [37], de l’oxyde de titane macroporeux pour les tamis à photons [38-39], des

membranes à porosité optimisée pour la filtration [40] ou des sphères creuses pour matériaux

de remplissage à faible poids mais aussi pour l’encapsulation de médicaments ou d’agents

biologiquement actifs [41-42].

ii) La deuxième classe se caractérise au contraire par l’existence de liens forts (liaisons

covalentes) entre les parties organique et inorganique du matériau final. Dans ce cas la partie

organique est très souvent un oxoalcoxyde de titane possédant un ou plusieurs ligands

polymérisables [43-45]. La synthèse de matériaux de type core/shell contenant de l’oxyde de

titane en surface [46-49] ou au cœur [50-51] est un autre exemple de ce type d’hybride.

Pour ce qui concerne ce travail nous nous bornerons à une approche très moléculaire

se focalisant sur la synthèse et la caractérisation de nouveaux précurseurs de l’oxyde de titane.

Il se trouve en effet que la plupart des structures des alcoxydes ou aryloxydes de titane(IV)

sont encore très mal connues. Ceci nous a semblé très préjudiciable à une bonne

compréhension des étapes ultérieures d’hydrolyse et de condensation, d’où notre

préoccupation de bien maîtriser la synthèse et de bien connaître la structure de nos produits de

départ. La transformation de ces précurseurs en oxyde ne sera abordée que dans le cadre de la

formation de nanocristaux d’oxyde de titane. Nous sommes tout à fait conscients qu’il s’agit

ici d’une application très pointue de la chimie sol/gel et qu’une étude des nombreux gels

obtenus au cours de cette étude aurait été plus en rapport avec notre ambition affichée de

réaliser des matériaux hybrides organique/inorganique. Toutefois la caractérisation fine et

complète d’un gel sur le plan structural se trouvait hors de portée en termes de coûts et de

moyens d’une petite équipe de recherche localisée sur un campus dévoué à la chimie

moléculaire. Nous espérons toutefois que d’autres équipes dotées de moyens plus conséquents

pourront dans un futur très proche étudier et caractériser les gels hybrides que l’on peut

obtenir par hydrolyse de nos nouveaux précurseurs.

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