RR HR Pauvrete Infiantile IWEPS
RR HR Pauvrete Infiantile IWEPS
RR HR Pauvrete Infiantile IWEPS
RAPPORT DE RECHERCHE
RÉSUMÉ
Réalisée à la demande du Gouvernement des scénarios d’action publique, avec les
wallon, cette étude prospective, fruit parties prenantes et les acteurs des poli-
d’une collaboration entre l’IWEPS et tiques ; élaboration de scénarios portant
l’AVIQ, décrit la façon dont pourrait évo- sur le contexte socio-économique avec
luer l’action publique de lutte contre la des experts scientifiques ; consultation
pauvreté des enfants à l’horizon 2050. des bénéficiaires (enfants et familles en
À la croisée des politiques des droits situation de pauvreté ou de précarité),
de l’enfant et de lutte contre la pauvre- sous forme de témoignages relatifs à
té, cette action transversale à différents leurs attentes, besoins et souhaits pour
domaines (politique de l’enfance, poli- l’avenir (cf. Partie II). Le résultat de ce tra-
tiques sociales, politique scolaire…) as- vail consiste en quatre scénarios établis
socie des acteurs publics et associatifs à l’horizon 2050 et présentant à la fois le
de tous niveaux de pouvoir. Cette poli- contexte dans lequel la Wallonie pour-
tique vise à agir sur l’état de privation rait évoluer et le type d’action publique
matérielle des enfants et sur les difficul- de lutte contre la pauvreté des enfants
tés d’accès à leurs droits fondamentaux. qui pourrait s’y déployer. Ces scéna-
Depuis la ratification de la Convention rios présentent quatre configurations
internationale des droits de l’enfant en contrastées déterminées par l’état des
1992, jusqu’à la mise en œuvre de la ga- relations entre le modèle économique
rantie pour l’enfance en 2022, cette poli- et la forme prise par l’État social avec,
tique s’est formée, en Belgique, à travers en toile de fond, le rôle structurant des
différentes étapes décrites dans l’étude. effets des changements climatiques et
Pour imaginer les futurs possibles de environnementaux sur les inégalités. En
long terme de cette forme d’action pu- conclusion, l’étude développe six en-
blique, cette étude a privilégié une mé- jeux et domaines d’action permettant au
thode de scénarisation participative qui Gouvernement et aux acteurs de déve-
a mobilisé une grande diversité de pu- lopper une action stratégique basée sur
blics : co-construction du diagnostic l’analyse prospective.
prospectif, d’hypothèses d’évolution et
COLOPHON
Auteurs : Vincent CALAY (IWEPS)
Frédéric CLAISSE (IWEPS)
Caroline COUWENBERGH (AVIQ)
Michaël DEGREEF (AVIQ)
Olivier FORTZ (AVIQ)
Editeurs
responsables : Sébastien BRUNET (IWEPS)
Françoise LANNOY (AVIQ)
IWEPS
Route de Louvain-La-Neuve, 2
5001 NAMUR
Tel : 081 46 84 11
http://www.iweps.be
INTRODUCTION AVANT-PROPOS
Cette étude est le fruit d’une collaboration entre l’IWEPS et l’AVIQ, souhaitée
par le Gouvernement wallon dans le cadre du « Plan wallon de sortie de la
pauvreté » adopté le 25 novembre 2021. Elle vise à réaliser une analyse
prospective des politiques de lutte contre la pauvreté infantile en Wallonie.
L’équipe en charge de l’étude était composée, à l’IWEPS, de Vincent Calay
et de Frédéric Claisse, attachés scientifiques – experts en prospective et, à
l’AVIQ, de Caroline Couwenbergh et de Michaël Degreef, gestionnaires de
projets en évaluation des politiques publiques, prospective et statistiques.
La présentation des résultats est organisée en deux parties.
La première partie, rédigée par Vincent Calay et Frédéric Claisse, est
intitulée « Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie : rétrospective,
scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques ». Elle présente l’analyse
prospective et ses conclusions.
Une seconde partie, rédigée par Caroline Couwenbergh, Michaël Degreef
et Olivier Fortz, présente les résultats d’une consultation organisée par
l’AVIQ relative aux attentes des bénéficiaires des politiques de lutte contre
la pauvreté infantile.
Les travaux publiés n’engagent que les auteurs et leurs institutions.
L’Institut wallon de l’évaluation,
de la prospective et de la statistique
JUIN 2024
RAPPORT DE RECHERCHE
RÉSUMÉ
Réalisée à la demande du Gouverne- méthode de scénarisation participa-
ment wallon, cette étude prospec- tive qui a mobilisé une grande diver-
tive, fruit d’une collaboration entre sité de parties prenantes des poli-
l’IWEPS et l’AVIQ, décrit quatre fu- tiques considérées, ainsi qu’un panel
turs possibles de l’action publique d’experts scientifiques du contexte
de lutte contre la pauvreté des en- socio-économique. Le résultat de ce
fants à l’horizon 2050. À la croisée travail de co-construction consiste
des politiques des droits de l’enfant en quatre scénarios à l’horizon 2050,
et de lutte contre la pauvreté, cette qui présentent à la fois une trajec-
forme d’action associe des acteurs toire d’évolution du contexte global
publics et associatifs de tous niveaux pour la Wallonie et le type d’action
de pouvoir et traverse différents do- publique de lutte contre la pauvre-
maines (politique de l’enfance, poli- té des enfants qui pourrait s’y dé-
tiques sociales, politique scolaire…). ployer. Chacune de ces configura-
Elle vise à agir sur l’état de privation tions apparaît déterminée par l’état
matérielle des enfants et sur les dif- futur des relations entre le modèle
ficultés d’accès à leurs droits fonda- économique et la forme prise par
mentaux. Depuis la ratification de la l’État social avec, en toile de fond, le
Convention internationale des droits rôle structurant des effets des chan-
de l’enfant en 1992, jusqu’à la mise en gements climatiques et environne-
œuvre de la garantie pour l’enfance mentaux sur les inégalités (sociales,
en 2022, cette politique s’est progres- environnementales, scolaires, de
sivement constituée en paradigme santé…). En conclusion, l’étude déve-
d’action publique, dont cette étude loppe six enjeux et domaines d’ac-
reconstitue les étapes et questionne tion permettant au Gouvernement et
les implicites. Pour imaginer les fu- aux acteurs de développer une ac-
turs possibles de long terme de la tion stratégique basée sur l’analyse
lutte contre la pauvreté des enfants, prospective. Vincent CALAY (IWEPS)
l’étude prospective a privilégié une Frédéric CLAISSE (IWEPS)
Remerciements
Nous remercions Yasmina Al Meriouh, Caroline Couwenbergh, Michaël Degreef et Olivier Fortz, ges-
tionnaires de projets en évaluation des politiques publiques, prospective et statistiques à l’AVIQ ainsi
qu’Élodie Bardi et Céline Dévière, gestionnaires de veille informationnelle et stratégique à l’AVIQ,
pour le travail fourni pour l’organisation des ateliers prospectifs et la rédaction des fiches-variables
composant la base prospective. Nous remercions également Juliette Garain, gestionnaire de projets
en évaluation des politiques publiques, prospective et statistiques à l’AVIQ qui a alimenté l’analyse
rétrospective de ses travaux sur les allocations familiales. Nos remerciements vont aussi à Lore Pon-
cin, directrice de la Direction de la Recherche, de la Statistique et de la Veille des Politiques de l’AVIQ,
Marius Hanon, responsable du Conseil de la stratégie et de la prospective ainsi qu’Anne-Françoise
Cannella et Françoise Lannoy, co-administratrices de l’AVIQ, pour leur confiance et leur soutien.
Cette étude a également bénéficié des précieux apports de plusieurs chercheurs et chercheuses et
experts de l’IWEPS. Ils/elles ont directement contribué au développement de la base prospective
en l’alimentant d’hypothèses d’évolution. Ils/elles ont également participé, en tant qu’experts thé-
matiques, à plusieurs ateliers visant au développement de scénarios relatifs au contexte socio-éco-
nomique wallon. Sans leurs contributions, le travail de scénarisation n’aurait pu aboutir à de tels ré-
sultats. Nous remercions chaleureusement Frédéric Caruso, Marc Debuisson, Matthieu Delpierre,
Anne Deprez, Claire Dujardin, François Ghesquière, Olivier Meunier, Isabelle Reginster, Raphaël Ri-
tondo, Christine Ruyters, Vincent Scourneau, Delphine Thimus, Annick Vandenhooft et Valérie Van-
der Stricht. Ils souhaitent également remercier Síle O’Dorchai, directrice de la Direction Recherche et
évaluation, et Frédéric Vesentini, directeur de la Direction Données et indicateurs, pour avoir encou-
ragé et permis cette collaboration particulièrement fructueuse entre les directions de l’IWEPS. Nous
souhaitons également adresser nos vifs remerciements à Jean-Luc Guyot, Directeur de la Direction
Anticipation des phénomènes socio-économiques, pour son accompagnement quotidien, ses con-
seils avisés et son soutien sans faille durant toute la durée du projet. Enfin, nos remerciements vont
à Sébastien Brunet, Administrateur général de l’IWEPS, pour sa confiance et son constant soutien.
L’ensemble de la démarche prospective s’est appuyée sur une large participation des parties pre-
nantes des politiques de l’enfance et de lutte contre la pauvreté. La démarche a pu s’appuyer sur
des participants et participantes particulièrement investis et collaboratifs dans les différents ateliers.
Nous tenons à remercier très vivement les organisations et leurs représentants qui ont pris le temps
de s’impliquer dans ce processus : Aide à la jeunesse Fédération Wallonie-Bruxelles, ARES, ASBL
Comme chez Nous, ATD Quart Monde, Bureau fédéral du Plan, Camille, CAP48, Centre d’Étude en
Habitat durable, Centre de Formation Fédération des CPAS – Union des Villes et des Communes de
Wallonie, Centre de Planning Familial de la Province de Namur – Réseau Solidaris, Centre Local de
la Promotion de la Santé, CESE Wallonie, Confédération des Syndicats chrétiens, Délégué général
aux droits de l’enfant, Eurochild, Famiwal, Fédération Infor Jeunes Wallonie-Bruxelles, Fédération
Générale du Travail de Belgique, Fondation Roi Baudoin, Centre de Planning familial du Centre et de
Soignies, Haut conseil stratégique, Infino, KidsLife, Ligue des familles, Ministère de la Fédération
Wallonie-Bruxelles – Secrétariat général – Cellule de lutte contre la pauvreté et pour la réduction
des inégalités sociales, Office de la Naissance et de l’Enfance, Réseau Wallon de Lutte contre la
Pauvreté, Service de la prévention de Liège, Service interfédéral de lutte contre la pauvreté, la
Le projet a pu bénéficier à ses différentes étapes des conseils avisés d’un Comité de suivi particuliè-
rement diversifié. Nous remercions les membres du Comité de leurs apports : Séverine Acerbis (Gou-
vernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Ministre de l’Enfance), Anne Baudaux (Office de la
Naissance et de l’Enfance), Geneviève Bazier (Office de la Naissance et de l’Enfance), Ludivine By-
kans (Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté), Philippe Defeyt (Institut pour un Développement
durable), Anne-Marie Dieu (Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse),
Philippe Durance (CNAM – Chaire Prospective et Développement durable), François Ghesquière
(IWEPS), Olivier Henskens (Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté), Carine Jansen (Service public
de Wallonie – Intérieur et Action sociale – Direction de la Cohésion sociale), Anne-Françoise Janssen
(Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté), Mélanie Joseph (Service interfédéral de lutte contre la
pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale), François Klarzynski (Gouvernement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles – Ministre-Président), Willy Lahaye (UMons – Sciences de la Famille), Solayman
Laqdim (Délégué général aux droits de l’Enfant), Vincent Lorge (Service interfédéral de lutte contre
la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale), Christine Mahy (Réseau wallon de Lutte contre la Pau-
vreté), François Maniquet (UCLouvain – CORE), Jean-Philippe Preumont (Gouvernement wallon –
Cabinet du Ministre-Président), Elodie Razy (ULiège – LASC), Dominique Rossion (Office de la Nais-
sance et de l’Enfance), Christopher Sortino (Gouvernement wallon – Cabinet du Ministre-Président),
Olivier Thévenon (OCDE – WISE), Anne-Michèle Wauthier (AVIQ).
Nous remercions spécialement Régis Doyen et Marie Gerbayhaie, respectivement chef de cabinet
adjoint et conseillère au cabinet de la ministre en charge des Allocations familiales pour leur accom-
pagnement et leur suivi du projet.
Enfin, nous remercions très vivement nos collègues Pascale Dethier, pour sa relecture approfondie
du manuscrit, Evelyne Istace, pour la qualité de son travail d’édition et Aurélie Hendrickx pour ses
conseils avisés pour la publication du rapport.
Ce projet procède de la mise en œuvre du Plan wallon de sortie de la Pauvreté adopté par le Gou-
vernement wallon le 25 novembre 2021 (mesure 3.6).
L’objectif de ce projet est de développer une analyse prospective de nature exploratoire visant à
établir des futurs possibles à l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants à l’horizon
2050.
L’étude présentée dans ce document développe une analyse technique approfondie des contextes
futurs conditionnant l’état de pauvreté des enfants et la lutte contre celle-ci. Elle propose, en outre,
des récits qui permettent d’en comprendre la dynamique et d’en saisir les trajectoires temporelles.
Elle développe, enfin, six enjeux et domaines d’action permettant aux gouvernements concernés et
aux acteurs de développer une action stratégique basée sur l’analyse prospective.
En outre, l’état de la pauvreté en Wallonie n’a cessé de se dégrader depuis le début des années
2000. On observe, notamment, depuis 2003, une croissance tendancielle du recours aux aides so-
ciales, recours qui s’est particulièrement accentué depuis 2015 pour les publics les plus jeunes (18-
24 ans) 4. De plus, depuis la fin des années 2000, se développe un accroissement de la pauvreté des
conditions de vie. Cela s’observe, notamment, dans l’indicateur de précarité énergétique, qui touche
une part croissante de la population wallonne 5.
Dans ce contexte, depuis la fin des années 2000, la pauvreté des enfants est devenue un problème
public à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie. La mise en œuvre de la
Convention internationale des droits de l’enfant a, en effet, pu s’appuyer sur de nouveaux outils de
mesure de cette pauvreté au niveau européen et belge. Ces outils permettent, depuis peu, de quan-
tifier l’état de la pauvreté des enfants : le taux de déprivation des enfants 6 en Wallonie est de 18 %
en 2021 ; en outre, 16,5 % des enfants vivent dans un ménage aux revenus inférieurs au seuil de pau-
vreté 7.
1
Voir : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2022/03/I001-GINI-032022_full1.pdf
2
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-materielle-sociale/
3
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/deprivation-materielle-severe-selon-type-de-menage/
4
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-majeurs-beneficiant-de-laide-so-
ciale/#:~:text=Les%2018%2D24%20ans%20(taux,%2C46%20%25%20en%202021).
5
Voir : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2019/12/I018-PREC.ENERG_.-122019_full1.pdf
6
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/
7
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-risque-de-pauvrete-selon-la-classe-dage-et-le-sexe/
Depuis l’adoption de la CIDE, la politique des droits de l’enfant a connu un lent développement qui
s’est traduit, au fil du temps, par la création de plusieurs institutions : le Délégué général aux droits
de l’enfant (DGDE) en 1991, l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse
(OEJAJ) en 1998 et la Commission nationale pour les droits de l’enfant (CNDE) en 2006. Ces diffé-
rentes institutions ont, par leur action, concouru à faire reconnaître la pauvreté des enfants, en tant
que défaut d’accès aux droits fondamentaux reconnus par la Convention, comme un « problème
public » – c’est-à-dire un problème politiquement reconnu comme objet d’une action publique né-
cessaire et légitime.
La politique des droits de l’enfant est fondée sur la Convention internationale des droits de l’enfant
de l’ONU entrée en vigueur en Belgique en 1992. Elle rend l’enfant titulaire de droits au motif de
sa « vulnérabilité » ou de sa « fragilité », droits qui lui sont personnels et indépendants de ses
parents ou de sa famille.
L’enfant est titulaire de trois types de droits censés garantir son « bien-être » : les droits de provi-
sions, les droits de protection et les droits de participation.
Les droits de provisions concernent la possibilité pour l’enfant d’accéder à un ensemble d’outils
administratifs, financiers ou juridiques qui lui permettent de mener une vie conforme aux stan-
dards du bien-être admis aujourd’hui dans un pays comme la Belgique.
Les droits de protection concernent la fixation d’un ensemble de limites à l’exercice de libertés
par le mineur afin de le protéger (financières, de loisirs, affectives et sexuelles, de consommation
d’alcool, de spiritueux et de tabac, de conduite de véhicules motorisés).
Les droits de participation concernent la participation de l’enfant aux différents types de décisions
(judiciaires, juridiques, en matière de santé, en matière politique, en matière numérique) qui le
concernent et qui touchent à différents aspects de la vie.
Cette politique est mise en œuvre par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à
la Jeunesse et par le Délégué général aux droits de l’enfant ainsi que par les administrations wal-
lonnes et de la Fédération Wallonie-Bruxelles via les Plans d’action en matière de droits de l’en-
fant.
Cette évolution historique a connu un premier tournant au milieu des années 1990 avec l’affaire Du-
troux et l’événement politique qui l’a suivi le 20 octobre 1996 : la Marche Blanche, considérée comme
l’une des plus grandes manifestations citoyennes qu’ait connues la Belgique. Ces événements ont
cristallisé un large consensus social et politique autour de la nécessité de protéger les enfants en
raison de leurs vulnérabilités, principe au cœur de la définition de l’enfance de la CIDE.
Mais la jonction entre la protection des droits de l’enfant et la lutte contre la pauvreté des enfants ne
s’est opérée de façon décisive qu’à la fin des années 2000, au terme de plusieurs évolutions con-
jointes :
• L’élargissement de l’action du DGDE à la pauvreté des enfants. En 2008, Bernard De Vos (en
fonction de 2008 à 2023) identifie la pauvreté comme enjeu majeur de la mise en œuvre de
la CIDE : « […] la pauvreté, c’est le fossoyeur des droits de l’enfant, que ce soit le droit à l’édu-
cation ou la santé. Aucun droit de la Convention des droits de l’enfant ne résiste à l’épreuve
de la pauvreté » 8. Il publie, ainsi, en 2009, le premier rapport dédié à l’analyse de la pauvreté
des enfants en Belgique francophone, le Rapport relatif aux incidences et aux conséquences
de la pauvreté sur les enfants, les jeunes et leurs familles 9.
• Une nouvelle approche de la mise en œuvre de la CIDE par l’OEJAJ centrée sur le rôle de
l’État. L’Observatoire choisit d’orienter son travail vers une information autour de l’État et de
ses obligations plutôt que vers la sensibilisation des publics adultes et mineurs concernés
par la CIDE : « Il ne s’agit pas de mieux faire connaître ou comprendre, aux adultes ou aux
enfants, les droits ou leurs droits et la manière de les exercer (article 42 de la CIDE). Il s’agit
de mieux faire connaître et comprendre, et donc de mieux faire endosser, les obligations que
l’État partie a d’assurer la pleine effectivité des droits » (OEJAJ, 2010 : 5).
• Une concertation de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la conception
et la mise en œuvre de leurs Plans d’action en matière de droits de l’enfant (PADE). La prési-
dence conjointe de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles par Rudi Demotte 10 à
partir de 2009 entraîna la mise en place de PADE au niveau de la Région wallonne pour les
compétences qui lui sont propres (logement, action sociale, santé, numérique, transport, in-
frastructures sportives), en plus des PADE déjà en place en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Par ailleurs, la coordination entre la Fédération et la Wallonie dans l’élaboration des PADE
fut renforcée à partir de novembre 2013 par un accord de coopération.
Les années 2010 voient ainsi émerger une première concentration de moyens autour de la pauvreté
des enfants, devenue un véritable « problème public » – on la nomme d’ailleurs de plus en plus
« pauvreté infantile », pour appuyer le fait qu’il s’agit d’une réalité « à part entière ». Le grand public
découvre, d’ailleurs, avec émotion à partir de 2013, grâce à l’initiative Viva for Life de la RTBF, l’im-
portance du phénomène en Belgique francophone, non sans que se constitue une controverse au-
tour d’un nouvel enjeu porté par les acteurs de la lutte contre la pauvreté et plusieurs chercheurs
actifs sur la question des inégalités : « […] se focaliser sur la pauvreté infantile, c’est encore donner
l’illusion d’une pauvreté particulière et c’est tromper la vigilance du public. Car le fond du problème,
ce sont les parents en situation de pauvreté. Cette façon de saucissonner la problématique de la
pauvreté est un non-sens sauf s’il s’agit de faire pleurer grand-mère et de chercher à attendrir en
8
Entretien accordé au périodique Le Vif publié le 27 mai 2021 : https://www.levif.be/actualite/belgique/la-jeunesse-ce-
puissant-levier-portrait-de-bernad-de-vos-delegue-general-aux-droits-de-l-enfants/article-normal-1429757.html
9
Voir : http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=8639
10
Rudi Demotte (PS) fut conjointement chef des Gouvernements (Ministre-Président) de la Fédération Wallonie-Bruxelles et
de la Wallonie entre 2009 et 2014.
La considération de la pauvreté infantile comme réalité « à part entière » se renforce encore en 2018
lors de la publication de la première recherche scientifique sur la pauvreté des enfants en Belgique,
menée à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin, intitulée : « La pauvreté et la déprivation des en-
fants en Belgique. Comparaison des facteurs de risque dans les trois Régions et les pays voisins »
(Guio et Vandenbroucke, 2018). Cette étude établit plusieurs constats statistiques sur la pauvreté des
enfants en Belgique sur la base des données européennes SILC (Statistics on Income and Living
Conditions) qui alimenteront, par la suite, l’action de nombreux acteurs, notamment le DGDE.
Enfin, la dernière évolution connue en Belgique s’est constituée autour de la mise en œuvre de la
garantie pour l’enfance, adoptée par le Conseil de l’Union européenne 12 le 14 juin 2021. Issue du socle
européen pour les droits sociaux (2017), elle vise au développement de mesures spécifiques adres-
sées aux enfants exposés au risque de pauvreté ou à celui d’exclusion sociale : « Cette proposition
recommande aux États membres de garantir aux enfants dans le besoin un accès à des services
essentiels de qualitè́ : structures d’éducation et d’accueil de la petite enfance, scolarisation (avec
participation aux activités parascolaires), soins de santè́, alimentation et logement » 13. Il s’agit donc
d’une évolution importante pour les politiques menées au niveau des États dans la lutte contre la
pauvreté des enfants : ceux-ci se voient désormais obligés de garantir à certains enfants jugés « dans
le besoin » 14 l’accès à différents droits fondamentaux.
Ainsi, en mai 2022, l’administration fédérale belge en charge de la mise en œuvre de la garantie
européenne pour l’enfance, le SPP Intégration sociale, a publié le « Plan d’action national belge Ga-
rantie européenne pour l’enfance 2022-2030 » 15. Ce plan d’action fixe pour objectif à l’État fédéral et
aux entités fédérées de sortir 93 000 enfants de la pauvreté à l’horizon 2030 (sur les cinq millions
d’enfants « dans le besoin » recensés aujourd’hui en Europe).
Au regard de cette évolution, la pauvreté infantile semble aujourd’hui s’imposer comme un véritable
« paradigme d’action publique » c’est-à-dire « un cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seu-
lement les objectifs de la politique et le type d’instruments qui peut être utilisé pour les atteindre,
mais également la nature même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont supposés traiter » 16. À ce
titre, elle présente l’avantage de focaliser l’attention et les moyens sur une réalité particulière. Cette
évolution traduit, néanmoins, un processus d’autonomisation d’un champ d’action publique qui n’est
pas sans risques pour l’avenir, risques que cette analyse prospective tente d’identifier à travers une
série d’enjeux (voir point 7).
11
Le Vif, 17 décembre 2021 : https://www.levif.be/belgique/viva-for-life-une-operation-spectacle-regressive-et-derisoire-
contre-la-pauvrete-entretien/
12
Voir : https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/epsco/
13
Voir https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people/jobs-growth-and-investment/eu-
ropean-pillar-social-rights/european-pillar-social-rights-20-principles_fr
14
Les destinataires de la « garantie européenne pour l’enfance » recouvrent sept catégories spécifiques d’enfants : des en-
fants à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale définis comme des enfants vivant des situations qui combinent trois élé-
ments : la pauvreté de revenu pour le ménage, la déprivation matérielle sévère et la vie dans un ménage à faible intensité de
travail ; des enfants sans-abris ; des enfants souffrant d’un handicap ; des enfants vivant une situation migratoire ; des enfants
issus de minorités ethniques ou raciales ; des enfants placés en instituts de soin ou de garde ; des enfants vivant dans des
situations de famille précaires : vivant dans des familles monoparentales, vivant avec un parent souffrant d’un handicap, vivant
dans un ménage où une ou plusieurs personnes souffrent de problèmes de santé mentale ou de maladie de longue durée,
vivant dans un ménage dont certains membres sont toxicomanes, vivant dans un État différent de celui de ses parents, dont
la mère est mineure ou étant eux-mêmes mères mineures, ayant un parent emprisonné.
15
Document accessible via ce lien : https://www.mi-is.be/fr/nouvelles/garantie-europeenne-pour-lenfance-le-plan-dac-
tion-national-de-la-belgique-0#:~:text=La%20Belgique%2C%20qui%20présidera%20l,entre%200%20et%2018%20ans.
16
Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018.
• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation des évolutions à venir.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, que
les futurs possibles puissent servir de boussole aux décisions présentes.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.
La présente étude revêt un caractère exploratoire : elle vise à imaginer des évolutions possibles de
la pauvreté des enfants et de l’action de lutte contre celle-ci à un horizon de long terme (2050). À la
différence de démarches prévisionnelles de court terme, son objectif n’est donc pas de prédire « ce
qui va se passer », mais d’anticiper ce qui pourrait arriver dans les trente prochaines années. Ceci
porte tant sur des déterminants de l’action dont le niveau d’incertitude peut être considéré comme
peu élevé (les « tendances lourdes » auxquelles se préparer – en l’occurrence, les effets des chan-
gements climatiques et environnementaux, ou encore le vieillissement de la population), que sur des
facteurs porteurs d’incertitude majeure, dont les contraintes risquent de peser sur l’action (comme
les variables de contexte socio-économique et leurs effets sur le financement, mais aussi les con-
ceptions du modèle social).
Vu son caractère exploratoire, une étude prospective de ce type constitue un outil d’aide à la déci-
sion d’une nature spécifique : elle pointe et identifie des enjeux et des tensions qui pourraient émer-
ger et/ou s’intensifier dans les prochaines décennies et exercer de fortes contraintes sur le cadre de
décision et d’action. Les scénarios et les enjeux qui en découlent constituent, de ce fait, des balises
permettant de délimiter un cadre de décision pour le futur. La présente étude ne livre donc pas de
plan stratégique assorti d’objectifs et ne préconise pas d’actions spécifiques.
Bien que sa portée stratégique soit, de ce point de vue, limitée, cette étude présente cependant une
originalité par rapport à d’autres études prospectives de ce type : l’exploration de modalités d’action
spécifiques de lutte contre la pauvreté des enfants dans différentes configurations socio-écono-
miques. À chaque scénario est en effet associée une configuration d’action particulière qui imagine
le déploiement d’actions menées à travers un spectre très large de domaines d’action politique.
Ceux-ci peuvent être soit dédiés spécifiquement à l’enfant (politique d’accueil de l’enfance ; politique
de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse ; politique des droits de l’enfant), soit agir sur
lui à travers son milieu d’accueil (politique de lutte contre la pauvreté ; politique de soutien à la pa-
rentalité ; politique scolaire ; politique de promotion de la santé ; régime de sécurité sociale (y compris
les allocations familiales), soit encore jouer un rôle plus indirect dans la lutte contre la pauvreté des
enfants, en visant la composante économique (politique du logement ; politique fiscale).
On trouvera donc également dans cette étude de quoi imaginer des leviers d’action possibles sur le
phénomène de pauvreté des enfants, et, plus largement, de quoi alimenter le débat public et cons-
truire une vision pour l’avenir.
• Les parties prenantes : au cœur du système sous étude, ces acteurs ont à la fois des intérêts
en jeu et des connaissances particulières, situées, de leur domaine d’action, essentielles à la
bonne réalisation du projet : acteurs de la lutte contre la pauvreté, des droits de l’enfant, de
l’enfance et de la jeunesse, caisses d’allocations familiales, mais aussi, mutuelles, syndicats
et autres associations ou organismes actifs dans ces politiques ;
• Les experts, chercheurs et membres du monde scientifique et académique, spécialisés dans
les champs relevant de l’objet sous étude (sociologues, économistes, démographes, polito-
logues, anthropologues, spécialistes de l’aménagement du territoire, environnementa-
listes…). À la différence des parties prenantes, ces acteurs n’ont pas d’intérêts en jeu, mais
des connaissances « savantes » qui ont enrichi le processus, en particulier pour l’élaboration
des scénarios de contexte ;
• Les bénéficiaires et/ou destinataires de la décision ont, quant à eux, été intégrés en aval du
processus, à travers une série de focus groupes centrés sur des parents concernés par la
pauvreté, ainsi que sur des adolescents scolarisés, dans différents contextes sociaux et géo-
graphiques (cf. partie II de l’étude).
Chacun de ces publics a été sollicité, souvent à différentes reprises, à travers une séquence d’ateliers
répartis sur une période d’un peu plus d’un an, conçus pour parvenir à co-construire les scénarios
de cette étude :
• Des ateliers prospectifs exploratoires, réalisés avec les parties prenantes, qui ont réfléchi à
la fois sur le diagnostic du présent (la pauvreté des enfants comme phénomène et comme
expérience de vie) et sur la rétrospective (les facteurs déterminants ou événements de ces
trente dernières années qui ont mené à la situation actuelle) ;
• Des ateliers hypothèses d’évolution, portant sur les états futurs possibles, à l’horizon 2050,
des variables de contexte et des variables politiques. Travail hybride réalisé, d’une part, avec
les experts (qui ont également eu pour tâche de prioriser les variables de contexte en termes
de motricité-dépendance et d’impact-incertitude) et, d’autre part, avec les parties prenantes,
qui ont travaillé sur les futurs possibles des variables politiques ;
• Des ateliers de proto-scénarisation, menés avec les experts, qui ont co-élaboré des confi-
gurations spécifiques du futur contexte socio-économique dans lequel sera menée l’action
publique de lutte contre la pauvreté des enfants ;
• Un atelier de scénarisation, au cours duquel les parties prenantes ont pu imaginer des mo-
dalités d’action politique cohérentes avec les scénarios de contexte conçus par les experts,
ainsi que les trajectoires de ces politiques jusque 2050.
Au terme de cette séquence d’ateliers participatifs, quatre scénarios contrastés (dont un scénario
tendanciel) présentent des configurations particulières de lutte contre la pauvreté des enfants, dans
des contextes socio-économiques marqués par des états d’inégalités très variables, des formes
d’État social ou de modèle économique dont certains sont proches de la situation actuelle, d’autres
plus éloignées, voire en rupture avec celle-ci. Aucun de ces scénarios n’aurait été possible sans les
apports, réflexions, échanges et débats menés avec l’ensemble des publics engagés.
Ainsi, la démarche prospective proposée vise à positionner cette politique dans un ensemble plus
vaste qui permet d’en comprendre les déterminants et les effets. Par cette approche, elle vise à
répondre à deux questions principales : pourquoi cette politique tend-elle à s’autonomiser pour for-
mer un champ d’action spécifique ? Comment pourrait-elle évoluer dans différents contextes et
quels seraient les causes et les effets de ces évolutions ?
Le traitement de ces deux questions est réalisé de façon simultanée : à travers le positionnement de
cette politique au sein d’un système, on peut comprendre la façon dont elle répond à un état des
inégalités sociales qui conditionne celui de pauvreté des enfants, mais aussi les raisons pour les-
quelles cette réponse politique prend une forme spécifique. Ce travail suppose donc une décons-
truction. Celle-ci s’appuie sur un cadre méthodologique propre à la « prospective française » 17 dont
nous exploitons les ressources épistémologiques et méthodologiques dans le cadre de ce projet.
La démarche menée dans cette analyse prospective vise à développer des scénarios de nature ex-
ploratoire (voir point 3). L’objectif est d’identifier un nombre restreint de scénarios contrastés dotés
d’une certaine plausibilité. Pour qu’un exercice prospectif de type exploratoire garde sa pertinence
et puisse alimenter des débats et discussions autour des stratégies à mettre en place, il est impor-
tant, pour conserver ces contrastes, d’éviter de proposer des scénarios qui consisteraient en des
variantes d’un même état du système prospectif. Ainsi, l’objectif poursuivi dans ce projet est de pro-
poser des états du système très différenciés. Ceci est obtenu en travaillant sur l’état des variables
composant le système et, en particulier, sur celui des variables motrices, aptes à créer les contrastes
recherchés.
Le travail de conception des scénarios nous a permis d’aboutir à quatre scénarios contrastés : trois
scénarios « de rupture », qui proposent trois images possibles du futur, et un scénario tendanciel. Ce
dernier consiste en un chaînage des états tendanciels des variables investiguées dans le projet. Les
trois scénarios de rupture permettent de présenter des états futurs du système cohérents et forte-
ment différenciés entre eux. Ils sont construits autour de trois formes d’État social particulières, con-
ditionnées par trois contextes spécifiques marqués par des situations socio-économiques, géopoli-
tiques et sociales singulières. Le quatrième scénario, le tendanciel, joue un rôle heuristique : il permet
de souligner certaines apories dans les orientations politiques actuelles, compte tenu de l’évolution
des contraintes contextuelles.
L’imagination de scénarios qui présentent des traits parfois radicalement différents de la situation
actuelle est l’une des idées-forces de la prospective. Aucun des quatre scénarios, a fortiori les plus
tranchés ou radicaux, ne vaut cependant pour lui-même : ils doivent être appréhendés en parallèle
et en contraste. L’horizon de long terme permet de se décentrer des enjeux du présent pour se
17
Cette approche privilégie l’analyse systémique et le développement de futurs alternatifs (Durance, 2014 ; Godet, 2009).
Ils présentent quatre configurations contrastées déterminées par l’état des relations entre le modèle
économique et la forme prise par l’État social avec, en toile de fond, le rôle structurant des effets des
changements climatiques et environnementaux sur les inégalités.
Ils s’organisent sur une trame commune qui répond à cinq questions principales :
• Comment se structure l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants dans ce con-
texte ?
• Comment vivrait un enfant né en 2030 dans une famille en situation de pauvreté ou de pré-
carité dans le scénario imaginé ?
Dans le scénario 1, Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie précari-
sée, l’État social voit son budget limité et ses dépenses allouées prioritairement à la gestion des
multiples crises (sanitaires, sociales, écologiques, économiques…) issues du réchauffement clima-
tique (pandémies, inondations, vagues de chaleur et de froid, sécheresses, migrations climatiques
massives, renforcement des vulnérabilités…). L’action de l’État y est essentiellement réactive. Elle se
focalise sur des publics cibles et prioritaires dont font partie les enfants. Les situations de crise affec-
tent également grandement une classe moyenne mise sous pression : la prévention du risque de
pauvreté des enfants de la classe moyenne devient un élément central de l’action de l’État qui dé-
sinvestit progressivement le champ des politiques de lutte contre la pauvreté. Les personnes adultes
en situation de pauvreté sont davantage stigmatisées, associées à une « génération perdue » : l’État
tente de sauver leurs enfants en les extrayant de leur milieu familial et en les confiant de façon plus
systématique à des milieux d’accueil.
Dans le scénario 2, Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir, l’État social joue un rôle central dans la redistribution des fruits
d’une croissance centrée sur les « technologies vertes ». Les politiques de lutte contre la pauvreté
des enfants sont très largement financées que cela soit, par exemple, par l’investissement dans la
petite enfance qui permet à chaque enfant à partir de ses trois mois d’accéder à un système de
garde de qualité ; par la revalorisation des filières techniques et professionnelles permettant la for-
mation d’une main-d’œuvre qualifiée aux nouveaux métiers des transitions numériques et énergé-
tiques ; ou, par le développement des structures d’accueil parascolaires permettant aux enfants de
développer des compétences pertinentes pour cette double transition (formation au codage et à
l’utilisation des outils numériques, compréhension de l’intelligence artificielle et du dialogue avec les
robots, formation aux nouveaux modes de vie associés à la mobilité électrique…).
Dans le scénario 3, Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités dans
une Wallonie transformée, l’État joue un rôle de coordinateur des actions qui permettent le
Le scénario 4, Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance » dans une Wallonie
fragmentée, se veut « tendanciel ». Depuis l’émergence de l’État social actif au début des années
2000, on a pu observer un renforcement progressif de la conditionnalité des droits et des aides so-
ciales, en particulier dans la seconde moitié des années 2010. Dans ce scénario, nous inscrivons
l’évolution de l’État social dans cette tendance. La place de l’enfant demeure prioritaire dans ce scé-
nario. Nous poursuivons la tendance observée de « montée en puissance » conjointe d’une concep-
tion « onusienne » de l’enfance et d’une priorisation du public des enfants dans la lutte contre la
pauvreté. La notion de « bonne enfance » traduit cette évolution. La conjonction du renforcement de
l’État social actif et d’une focalisation sur le public des enfants (ainsi que sur d’autres publics cibles
prioritaires) en matière de lutte contre la pauvreté et de politiques sociales conduit à une fragmen-
tation sociale importante : certains publics se voient davantage protégés que d’autres faces aux
crises qui se multiplient en raison des effets des changements climatiques et environnementaux. En
outre, cette fragmentation est aussi territoriale et économique : la Wallonie poursuit la tendance à la
tertiarisation de son économie, ce qui la fragilise face aux crises, réduit la diversité d’offre sur le mar-
ché de l’emploi et génère d’importantes disparités territoriales.
Enjeu n°1 – Une tendance lourde : les effets des chocs écologiques générés par les changements
climatiques et environnementaux sur les inégalités
Cette situation climatique tendue pourra générer d’importantes conséquences en matière d’inégali-
tés, les populations les plus pauvres et précarisées étant davantage exposées aux effets des chan-
gements climatiques et environnementaux en raison, entre autres, de leurs revenus plus faibles, de
leur état de santé, de leur lieu de vie ou de la qualité de leur logement. Dans ce contexte, les enfants
vivant dans des milieux précarisés ou pauvres pourraient être particulièrement concernés par les
conséquences sociales des changements climatiques et environnementaux, ceci au détriment de
leurs droits fondamentaux et de leur santé physique et mentale.
La capacité à faire face à de tels chocs est envisagée de deux façons par les scénarios :
• Dans les scénarios 1, 2 et 4, cette prise en charge est tributaire d’une capacité financière. Par
conséquent, la forme prise par l’État social y joue un rôle central. Or, cette forme est, elle-
même, dépendante du modèle économique. En conséquence, la prise en charge des
risques écologiques, en supplément des risques sociaux, est amenée à prendre, elle aussi,
des formes très différentes. Ce chaînage entre nouveaux risques, modèle économique et
forme de l’État social constitue un enjeu en soi (enjeu n°3).
• Dans le scénario 3, le modèle de développement par la croissance de l’économie cède la
place à un développement par le « bien-être » (c’est-à-dire, un accès effectif aux droits fon-
damentaux pour l’ensemble de la population, une capacité de résilience aux chocs écolo-
giques et la soutenabilité des activités humaines dans le futur) 18 et la « pleine santé » 19. Ainsi,
dans ce scénario, les effets des changements climatiques et environnementaux (et du vieil-
lissement) se présentent comme des « catalyseurs de transformation » (non des « perturba-
tions » comme dans les précédents). Cette transformation consiste, d’une part, en une mo-
dification du paradigme économique, et, d’autre part, en une évolution de l’État social : celui-
ci joue un rôle de prévention et de protection bénéfique à l’ensemble des populations face
aux risques sociaux-écologiques pour satisfaire à l’orientation économique de bien-être et
de « pleine santé ».
18
« il importe de donner la priorité aux indicateurs de bien-être (mesurant le développement humain), de résilience (mesurant
la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de soutenabilité (mesurant le bien-être futur) dans la conduite des poli-
tiques publiques en dépassant puis en abandonnant définitivement le PIB et sa croissance, dans la conduite de l’action pu-
blique en France, en Europe et au-delà. » (Laurent, 2023 : 183)
19
« La transition vers la pleine santé consiste à relier la santé humaine à la santé animale, végétale et environnementale, et à
la placer au cœur de l’action publique et notamment des politiques économiques. Elle consiste en outre à reconnaître et à
atténuer les inégalités sociales de santé, parmi lesquelles les inégalités sanitaires face aux dégradations environnementales
et dans l’accès aux ressources naturelles, à commencer par une alimentation saine. » (Laurent, 2023 : 207)
La description de l’enjeu n°2 permet de saisir les effets importants des changements climatiques,
environnementaux et démographiques sur les interactions entre le modèle économique et la forme
prise par l’État social. On a qualifié ces effets d’« interférence » pour certains scénarios (1, 2 et 4), car
ils perturbent très sensiblement la fluidité de la relation entre le modèle économique et la forme
d’État social, tandis qu’on les a associés à un « catalyseur de transformation » pour le scénario 3. Ces
différences tiennent à la façon dont les chocs écologiques générés par les changements climatiques
et environnementaux sont intégrés comme « risques ».
Dans le scénario 1 et le scénario 4 (tendanciel), nous avons conçu une situation dans laquelle les
pouvoirs publics font face à une diminution de leurs ressources financières en raison d’une crois-
sance demeurant faible et/ou du poids du remboursement de la dette, situation imposant une « aus-
térité budgétaire ». Cette situation fragilise grandement l’État social : sa capacité à faire face aux
chocs écologiques est limitée et suppose de nombreux arbitrages pour parvenir à mettre en place
une mitigation des risques basée sur ses capacités financières. Dans ces scénarios, on assiste à la
« crise du régime assurantiel » de la protection sociale : l’État est contraint de désinvestir de nom-
breux pans de la sécurité sociale en renforçant la conditionnalité des droits, en confiant au secteur
privé une partie du système d’assurances sociales et écologiques, et en orientant son action vers
des publics prioritaires dont font partie les enfants. La cohésion sociale s’en trouve fortement affaiblie
et les inégalités s’accroissent sur tous les plans.
Dans le scénario 3, nous avons conçu les effets des changements climatiques et environnementaux
comme un « catalyseur de transformation ». La mitigation des risques s’opère sur d’autres bases que
la seule « capacité financière » : la transformation du modèle économique en un modèle de déve-
loppement centré sur le « bien-être » et la « pleine santé » des populations entraîne le développe-
ment d’une forme d’État social qui déploie une double action de prévention et de protection contre
les risques. Si, donc, cette mitigation des risques dépend d’une certaine capacité financière, elle se
fonde également, par la prévention, sur l’amélioration de la santé des populations et de la biosphère,
qui permet de mieux vivre les chocs écologiques et, sur le long terme, d’en réduire l’ampleur. Les
évolutions imaginées dans ce scénario supposent donc le développement de nouveaux modèles
Dans ces contextes, le statut des risques sociaux et écologiques dans le fonctionnement de la so-
ciété s’avère très variable.
Dans les mondes où ces risques sont mitigés par la seule capacité financière, que cela soit sous
forme d’investissement, comme dans le scénario 2, ou sous forme de compensation/dédommage-
ment, dans les scénarios 1 et 4, c’est une logique « créancière » qui persiste : les dépenses réalisées
ne sont pas gratuites, elles supposent, de la part de leur bénéficiaire, des obligations. Ainsi, dans ces
trois cas de figure, le bénéfice de droits sociaux ou écologiques est conditionnel.
À l’inverse, dans le scénario 3, on assiste au renouvellement d’une logique universaliste dans la pro-
tection sociale : l’ensemble de la population étant considérée comme vulnérable aux chocs écolo-
giques, elle profite des mécanismes de prévention et de protection nécessaires en fonction de ses
besoins pour y faire face et, ainsi, bénéficier d’un accès inconditionnel et effectif à ses droits fonda-
mentaux.
Ainsi, la dynamique observée dans les scénarios 1, 2 et 4 tend à souligner une disparition du régime
assurantiel au profit d’un régime assistanciel : les droits sociaux s’y individualisent et leur condition-
nalité se renforce. On observe, à l’inverse, dans le scénario 3, une universalisation des droits par un
renforcement du régime assurantiel.
Cette lecture doit, néanmoins, être nuancée, car apparaissent dans les scénarios 1, 2 et 4 des formes
de « réuniversalisation » des droits à l’égard de publics spécifiques, en particulier celui des enfants :
ils se voient protégés, mais à des niveaux et selon des modalités très différentes en fonction des
scénarios, comme un public vulnérable reconnu comme tel par les droits de l’enfant. Cette protec-
tion spéciale et universelle, car elle concerne tous les enfants, se concentre sur un groupe spécifique
au sein de la population.
Enjeu n°5 – Les transformations de la pauvreté des enfants comme phénomène social
En fonction des scénarios, les inégalités vécues par les enfants et la façon dont leur pauvreté est
conçue prennent des formes variées.
Dans les scénarios 1 et 4, les inégalités auxquelles sont confrontés les enfants sont très importantes :
• Dans le scénario 1 où les capacités d’action de l’État en matière sociale sont extrêmement
réduites et privilégient certains publics, dont les enfants, les inégalités s’accentuent en tous
domaines. Les enfants sont protégés par des mesures d’urgence et voient leurs droits se
dégrader.
• Dans le scénario 4, la situation est similaire au niveau des inégalités, mais la conception de la
pauvreté est moins radicale : elle est jugée inhérente au fonctionnement socio-économique.
De ce fait, elle tend à être stigmatisée et le contrôle social de ces populations se renforce :
les parents en situation de pauvreté ou de précarité sont « suivis de près » par les acteurs de
l’enfance en vue d’assurer la protection de l’enfant.
Enjeu n°6 – L’autonomisation du champ d’action publique de lutte contre la pauvreté infantile : un
risque majeur « d’ensilotage » face à des problématiques sociales complexes
L’autonomisation d’un champ d’action publique dédié à la lutte contre la pauvreté des enfants, issu
de cette trajectoire historique, présente de nombreux atouts, notamment en matière de coordination
des acteurs et des mesures mises en place. La reconnaissance des droits fondamentaux des enfants
constitue une avancée notable, celle de leur « intérêt supérieur » tout autant. Le risque demeure,
néanmoins, que cette politique s’organise, dans le futur, comme un « silo » distinct, voire concurrent,
des autres domaines d’action publique de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Cette évolution
pourrait donc conduire, dans un avenir proche, à une fragmentation importante de l’action et des
moyens dédiés alors même que la problématique est dépendante d’enjeux systémiques.
Dans la perspective de la conception d’une stratégie en matière de lutte contre la pauvreté des en-
fants, il nous semble donc primordial, à la lumière de cette analyse, de souligner qu’il est nécessaire,
pour son efficacité et son efficience, que cette stratégie soit le reflet de cette complexité : elle doit
pouvoir intégrer dans un cadre de gouvernance commun les différents enjeux identifiés en les
Il nous semble, néanmoins, que six chantiers pourraient être mis en place dans l’avenir pour intégrer
les enjeux identifiés par l’étude.
La grande complexité des déterminants des inégalités, ainsi que les vulnérabilités multiples des po-
pulations face aux changements climatiques et environnementaux, pousse au développement de
véritables forums hybrides visant à décompartimenter les approches et cadres existants pour per-
mettre une mise en débat et l’imagination de nouvelles catégories et modalités d’action.
Dans les trois scénarios fondés sur la capacité financière de l’État à intégrer les risques des change-
ments climatiques et environnementaux, nous avons identifié ce qui s’apparente soit à une faiblesse
(imaginer une réuniversalisation des droits sociaux et écologiques grâce aux investissements de
l’État suppose une croissance économique soutenue, mais quid si celle-ci n’est pas au rendez-
vous ?) ; soit à une dégradation de la cohésion sociale et une augmentation des inégalités en raison
de limites budgétaires et d’un nécessaire ciblage du système de protection sur des publics spéci-
fiques (dont font partie les enfants en vertu de l’universalité de leurs droits).
L’éradication de la pauvreté des enfants dans ces scénarios semble possible, mais au prix d’une
protection spéciale et sans garantie pour l’avenir : les crises écologiques perdurant, ces enfants, pro-
tégés jusqu’à leur majorité, risquent d’être précarisés une fois devenus adultes.
Les deux scénarios qui visent à investir massivement dans l’école et l’éducation le font dans des
directions très différentes.
Dans un scénario (scénario 2), l’école est envisagée comme un levier de mobilité sociale qui doit
permettre aux enfants d’intégrer les métiers et activités privilégiés dans le cadre du déploiement
d’une économie verte et d’une transition énergétique. Les métiers techniques et les filières qui y
conduisent sont revalorisés. Ce système repose sur une logique économique et de redistribution
Dans un autre scénario (scénario 3), l’école est envisagée comme un levier de prévention des risques
sociaux et écologiques : en misant sur le développement des capacités et compétences nécessaires
au développement d’une résilience face aux chocs écologiques, l’éducation permet de réduire la
vulnérabilité de futurs adultes et encourage, par ailleurs, le développement de nouveaux modes de
coopération permettant d’améliorer la résilience collective face à de tels chocs.
Ainsi, dans le premier cas, l’éradication de la pauvreté des enfants est possible moyennant leur inté-
gration au système de mobilité sociale et le fait que le système socio-économique tienne ses pro-
messes financières et de protection face aux risques sociaux et écologiques. Dans le second, l’éra-
dication de la pauvreté des enfants tient davantage à leur inclusion au sein d’un projet social centré
sur la prévention et la protection des vulnérabilités par l’encapacitation individuelle et collective per-
mettant de faire face aux chocs écologiques.
Les scénarios permettent de documenter une réflexion relative à deux modalités contrastées d’ab-
sorption des risques sociaux et écologiques par le système socio-économique et l’État social : l’une
par la « capacité financière » ; l’autre par une prévention et une protection, toutes deux basées sur
une économie du « bien-être ».
Le scénario 2 envisage la mitigation des risques sociaux et écologiques à travers les capacités finan-
cières de l’État. Dans ce scénario, c’est par l’investissement massif dans l’économie et le social que
l’État peut parvenir à atteindre des objectifs de transition et de protection de sa population. Ces ob-
jectifs sont tributaires de l’advenue d’une croissance économique soutenue.
Comme nous l’avons évoqué, la complexité des enjeux qui conditionnent l’état de pauvreté des en-
fants suppose que s’organise, en regard, une structure de gouvernance qui soit transversale et
prenne en considération l’ensemble des politiques concernées.
Dans les scénarios, nous avons envisagé l’état de dix politiques particulières : la politique d’accueil
de l’enfance, la politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse, la politique de sou-
tien à la parentalité, la politique scolaire, la politique des droits de l’enfant, la politique de lutte contre
la pauvreté, le régime de sécurité sociale, la politique de promotion de la santé, la politique du loge-
ment et la politique fiscale. Ces politiques s’organisent dans des univers parfois très éloignés les uns
des autres. Beaucoup d’entre elles intègrent une dimension « lutte contre la pauvreté infantile »
et/ou « droits de l’enfant », mais leur niveau d’intégration et de coordination est-il satisfaisant et suf-
fisant face à la complexité des enjeux ?
L’analyse rétrospective de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants a permis de mon-
trer la façon dont, au fil d’un parcours d’une trentaine d’années, depuis l’adoption et la ratification de
la Convention internationale des droits de l’enfant, cette politique s’est progressivement structurée
pour aboutir, aujourd’hui, à la mise en place d’objectifs chiffrés, d’outils d’action, d’indicateurs d’at-
teinte des objectifs.
Ce faisant, cette politique a tendu à restreindre la portée de son action à certains types d’enfants, les
« enfants dans le besoin », et à se focaliser sur les conséquences d’inégalités devenant structurelles.
Cette action est évidemment importante, mais sa « bureaucratisation », c’est-à-dire le fait qu’elle se
soit organisée en objectifs, outils d’action, instruments de mesure, tend à « verrouiller » les perspec-
tives d’évolution et à en restreindre la portée, alors que les évolutions futures, comme notre analyse
tend à le monter, remettront en cause les orientations choisies aujourd’hui.
En fonction des intérêts, la lecture peut donc se réaliser « à la carte ». Voici nos conseils :
• Vous vous intéressez à comprendre les scénarios, mais avez peu de temps pour rentrer dans
les détails techniques, lisez le Chapitre 4 – Section 4.
• Vous vous intéressez aux scénarios dans leur ensemble, lisez le Chapitre 4.
• Vous vous intéressez à la façon dont l’étude prospective peut être utilisée pour une dé-
marche stratégique pour lutter contre les inégalités, notamment celles qui touchent les en-
fants, lisez la Conclusion.
• Vous vous intéressez aux aspects « techniques » de la démarche prospective, lisez les Cha-
pitre 3 et Chapitre 4.
INTRODUC- INTRODUCTION
20
Pour les revenus de l’année 2019, le coefficient de Gini – qui mesure l’intensité de l’écart entre les revenus les plus élevés
et les plus bas – s’élevait, en Wallonie à 0,246, ce qui en fait une des régions les plus égalitaires d’Europe par rapport aux
revenus. Voir, sur ce point, l’analyse de l’IWEPS : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2022/03/I001-GINI-
032022_full1.pdf
21
« La privation matérielle et sociale comprend l’ensemble des personnes qui ne peuvent pas, pour des raisons financières,
se permettre au moins cinq des treize "biens et services" suivants : 1° payer à temps le loyer, l’emprunt hypothécaire, les
charges du logement ou les crédits à la consommation, 2° chauffer correctement son logement, 3° faire face à des dépenses
inattendues (d’environ 1 300 €), 4° manger des protéines tous les deux jours, 5° partir une semaine en vacances une fois par
an (pas nécessairement à l’étranger), 6° remplacer des meubles usés ou dégradés, 7° avoir une voiture, 8° avoir deux paires
de chaussures, 9° remplacer les vêtements usés par des neufs, 10° se retrouver avec des amis pour dîner ou boire un verre
une fois par mois, 11° participer régulièrement à des activités de loisir (sport, cinéma…), 12° dépenser pour soi une petite somme
d’argent chaque semaine, 13° avoir un accès personnel à Internet chez soi. » Voir sur ce point l’analyse de l’IWEPS :
https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-materielle-sociale/
22
Voir sur ce point l’analyse de l’IWEPS : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/deprivation-materielle-severe-selon-
type-de-menage/
23
« L’augmentation importante depuis 2015, découlant de la limitation dans le temps des allocations d’insertion (cf. fiche part
de revenus d’intégration), touche inégalement les différents groupes d’âge. Les plus jeunes (18-24 ans, surtout, et 25-44 ans)
voient leur taux augmenter très fortement ; les 45-64 connaissent une faible augmentation. » Voir, sur ce point, l’analyse de
l’IWEPS : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-majeurs-beneficiant-de-laide-so-
ciale/#:~:text=Les%2018%2D24%20ans%20(taux,%2C46%20%25%20en%202021).
24
L’IWEPS observe une augmentation tendancielle du taux de défaut de paiement des factures de gaz et d’électricité depuis
une dizaine d’années : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2019/12/I018-PREC.ENERG_.-122019_full1.pdf
25
« L’indicateur est assez proche du taux de privation matérielle et sociale, mais il est spécifique aux conditions de vie des
enfants. Il comptabilise l’ensemble des enfants de 1 à 15 ans qui vivent dans un ménage qui ne peut pas, pour des raisons
financières, se permettre au moins trois des 17 "biens et services" suivants : 1° remplacer les vêtements usés par des neufs,
2° avoir deux paires de chaussures, 3° manger des fruits et légumes chaque jour, 4° manger des protéines chaque jour, 5° avoir
des livres adaptés à l’âge des enfants, 6° avoir des jeux d’extérieur (vélo, rollers), 7° avoir des jouets adaptés à l’âge des enfants,
8° participer régulièrement à des activités de loisirs (sport, musique, mouvement de jeunesse), 9° célébrer des événements
(anniversaires, fêtes religieuses), 10° inviter des amis chez soi, 11° partir une semaine en vacances par an, 12° participer aux
excursions scolaires (payantes), 13° remplacer des meubles usés ou dégradés, 14° ne pas avoir d’arriéré de paiement (loyer,
crédits, factures), 15° avoir un accès Internet, 16° chauffer correctement le logement, 17° avoir une voiture. Parmi ces critères,
les 12 premiers sont spécifiques aux enfants, c’est-à-dire que l’enquêteur demande à l’adulte de référence du ménage, si tous
les enfants vivant dans celui-ci ont bien accès au bien ou au service (mais pas nécessairement les adultes). » Voir sur ce point
l’analyse de l’IWEPS : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/
26
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-risque-de-pauvrete-selon-la-classe-dage-et-le-sexe/
Ce nouveau « Plan de sortie de la pauvreté » resserre ses objectifs autour de trois domaines d’action
prioritaires : (1) le logement, (2) l’emploi et la formation et (3) la santé physique et mentale. Il intègre
également différents objectifs visant à faciliter l’accès aux services publics et aux droits (orientation
usagers de l’administration, automatisation des droits, simplification administrative). Il pousse égale-
ment au développement d’indicateurs pertinents permettant de mesurer l’impact des mesures am-
bitionnées par le plan.
Le plan identifie une série de publics cibles assimilés aux « personnes les plus fragiles » pour son
action : les familles monoparentales, les enfants, les femmes, les personnes d’origine étrangère, les
sans-abris et les personnes en situation de handicap.
L’objectif du projet est de développer une analyse prospective de nature exploratoire visant à établir
des futurs possibles à l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants à l’horizon 2050.
• Horizon temporel fixé à 2050. Il s’agit, d’une part, de garder une cohérence avec les politiques
de long terme menées en matière climatique, ces politiques ayant d’importants effets sur
l’état des inégalités. D’autre part, cet horizon temporel d’une trentaine d’années apparaît éga-
lement cohérent avec l’analyse rétrospective, celle-ci faisant coïncider la naissance des po-
litiques contemporaines de lutte contre la pauvreté infantile avec l’adoption de la Convention
internationale des droits de l’enfant en 1989.
• L’objet analysé est l’action publique visant à faire face au phénomène de pauvreté des en-
fants. L’analyse prospective ne concerne pas directement le phénomène de pauvreté des
enfants, mais bien l’action publique qui vise à l’endiguer. Dans cette étude, nous viserons
comme produit final des scénarios relatifs aux futurs possibles de cette action publique.
L’état de la pauvreté de la population wallonne et, plus spécifiquement, des enfants ne cons-
titue pas, en soi, l’objet de l’analyse prospective. Il est, néanmoins, évident que l’on ne peut
considérer les futurs de cette action publique indépendamment des futurs possibles de la
pauvreté des enfants, ceci d’autant que l’approche prospective se veut systémique. Il s’agit
d’une difficulté majeure de la commande : un exercice prospectif s’attache en principe à ima-
giner les futurs possibles d’un objet et non de l’action sur cet objet. Pour surmonter cette
difficulté, nous avons mis en place un protocole de travail et une méthode spécifique que
nous détaillons dans la section suivante.
• L’analyse prospective réalisée est de nature exploratoire et non normative. La demande for-
mulée par le Gouvernement vise au développement d’un outil d’aide à la décision de nature
prospective. Cet outil, livré sous la forme de scénarios, doit lui permettre d’informer sa ré-
flexion stratégique en matière de lutte contre la pauvreté. À cette fin, il est demandé que la
démarche entreprise explore de façon ouverte les futurs possibles de ces politiques sans
visée normative : il ne s’agit pas d’aboutir en fin de parcours sur une vision, mais sur des
enjeux. En outre, le Gouvernement souhaite que l’analyse repose sur la mobilisation d’un
large groupe d’experts et de parties prenantes afin qu’elle s’ancre dans les réalités de terrain
et intègre au mieux la complexité du système dans lequel s’inscrit la problématique analy-
sée.
• Le projet s’appuie sur un dispositif consultatif permettant « une large participation ». La dé-
marche prospective est de nature participative : elle vise à associer, en particulier, les parties
prenantes de l’action publique menée en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles en
matière de lutte contre la pauvreté des enfants. À ce titre, elle mobilise des acteurs qui ne
se situent pas uniquement dans le champ des politiques de lutte contre la pauvreté, mais
également dans celui des allocations familiales, de la politique de l’enfance, de la politique
scolaire ou de la politique des droits de l’enfant. Elle vise également, dans la mesure du
possible, à intégrer des parties prenantes issues d’autres niveaux de pouvoir (fédéral, euro-
péen, communal). En outre, elle associe à la démarche des experts issus de différents
champs disciplinaires et travaillant également dans différents domaines touchant à la pro-
blématique de la pauvreté des enfants.
Cette étude a été réalisée entre le 1er janvier 2022 et le 15 avril 2024 à travers une collaboration entre
l’Institut wallon de l’évaluation de la prospective et de la statistique (IWEPS) et l’Agence pour une vie
de qualité – Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles (AVIQ).
Ainsi, l’horizon temporel des scénarios étant fixé à l’année 2050, nous avons conçu une rétrospective
qui revient sur les trente dernières années. Nous l’entamons avec l’adoption (1989) et la ratification
par la Belgique (1992) de la Convention internationale des droits de l’enfant et montrons ensuite la
façon dont, à partir des années 1990, la politique des droits de l’enfant et la politique de lutte contre
la pauvreté – née également à ce moment – ont tendu progressivement à se rapprocher, mais aussi
à entrer en tension. Ce rapprochement a conduit, d’après notre analyse, à ce que la pauvreté des
enfants devienne, à la fin des années 2000, un « problème public », c’est-à-dire un problème politi-
quement reconnu comme objet d’une action publique nécessaire et légitime. Nous montrons com-
ment ce problème public s’est institué, au début des années 2020, en un « paradigme d’action pu-
blique », c’est-à-dire un cadre doté de ses propres outils de mesure et d’action qui s’impose comme
une référence légitime et une évidence pour un ensemble d’acteurs.
Cette rétrospective permet de comprendre la façon dont l’objet analysé s’est construit à travers une
trajectoire spécifique. Ce travail permet aussi d’identifier les bifurcations qui l’ont amené à s’agencer
sous la forme connue aujourd’hui par les différentes parties prenantes. Par ce biais, la rétrospective
opère une véritable déconstruction de l’objet particulièrement utile à l’analyse prospective : en dé-
crivant les « verrouillages » qui se sont opérés dans le passé et en questionnant ce qui apparaît
comme évident aujourd’hui, elle fournit les éléments nécessaires à une réouverture du champ des
possibles. Cette rétrospective apporte un matériau précieux au travail prospectif qui ne peut se can-
tonner à prolonger la situation présente en projetant une tendance, mais doit proposer des trajec-
toires alternatives et contrastées qui repositionnent l’objet au sein d’un ensemble contextuel plus
large – un système – intégrant, notamment, la question des inégalités et de leurs déterminants.
Nous présentons également, dans ce chapitre de cadrage, les spécificités de la mission d’analyse
prospective. Cette mission se construit, en effet, à un moment où l’action publique de lutte contre la
Il en vient, ensuite, à aborder les enjeux et difficultés de la conception d’une méthode de scénarisa-
tion dans le cadre de ce projet.
Il propose, en particulier, de clarifier la nature de l’objet analysé dans la mesure où elle présente une
« hybridité », source de difficultés méthodologiques. En effet, la mission confiée par le Gouverne-
ment appelle à réaliser une analyse prospective des futurs possibles des politiques de lutte contre
la pauvreté infantile. Mais comment concevoir cette analyse sans y intégrer celle du phénomène de
pauvreté des enfants ? Quel serait le sens de construire des scénarios d’évolutions de ces politiques
sans pouvoir concevoir les évolutions possibles de cette pauvreté ? Si les inégalités venaient à dis-
paraître dans l’avenir et, ce faisant, la pauvreté des enfants, ce type de politique serait totalement
obsolète. De même, si les inégalités venaient à se creuser et la pauvreté à se banaliser pour être
intégrée au fonctionnement social, ces politiques seraient tout autant caduques… On comprend là
qu’il y a un véritable problème de positionnement de l’objet et de conceptualisation auquel ce cha-
pitre apporte une première réponse, qui sera approfondie dans le chapitre 4.
La suite du chapitre présente la méthode de scénarisation adoptée dans ce projet. Il s’agit de l’ana-
lyse morphologique. Ce type d’analyse vise à développer différents scénarios en combinant des
états futurs différents (des « hypothèses d’évolution ») des variables qui composent le système pros-
pectif. Nous détaillons les spécificités de la méthode mise au point dans ce projet, qui apporte cer-
tains aménagements à la version « canonique » de l’analyse morphologique. En effet, nous avons
intégré à cette analyse une ample dimension participative qui a nécessité plusieurs adaptations.
Nous clôturons ce chapitre par une présentation de la démarche participative mise en place dans ce
projet, non sans avoir évoqué préalablement, de façon plus théorique, le rôle joué par la participation
en prospective.
Disons-le d’emblée, pour mener à bien cette mission, nous avons requalifié l’objet en « action pu-
blique de lutte contre la pauvreté des enfants ». Cette requalification pourra paraître anodine, mais
elle suppose, en réalité, quelques nuances qu’il est utile d’avoir à l’esprit pour bien comprendre le
Nous parlons, par ailleurs, de « pauvreté des enfants » plutôt que de « pauvreté infantile ». En utilisant
cette expression, nous souhaitons nous distancier de l’usage de la notion de « pauvreté infantile »
qui est associée au paradigme d’action publique actuel. Nous montrons, en effet, dans l’analyse ré-
trospective, que s’opère un glissement sémantique : au moment où la pauvreté des enfants devient
un problème public, elle tend à être qualifiée de « pauvreté infantile », ce qui, d’après notre analyse,
dénote sa conception comme une réalité en soi, objet d’une action particulière. Le choix de l’utilisa-
tion de l’expression « pauvreté des enfants » vise donc à faciliter l’analyse prospective, car il nous
permet de nous détacher des spécificités historiques associées à la notion de « pauvreté infantile ».
Ces éléments permettent d’introduire le deuxième élément central de l’analyse exposée dans ce
chapitre : la définition du système prospectif. La définition de ce système est indispensable à la réa-
lisation des scénarios. En effet, les différents scénarios proposés correspondent à différents états
contrastés du système. Sans un système conçu de manière analytique, nous ne pourrions élaborer
de scénarios utiles et robustes. Une partie de ce chapitre développe par conséquent en profondeur
le processus que nous avons suivi pour élaborer ce système et le produit qui en est issu. Sur ces
bases, nous proposons quatre scénarios d’évolutions possibles. Ceux-ci sont construits grâce aux
relations de motricité-dépendance des variables au sein du système : en modifiant les états de cer-
taines variables-clés au sein du système, nous pouvons proposer quatre trajectoires d’évolutions
possibles qui font coïncider, d’une part, les transformations de l’état de pauvreté des enfants, et
d’autre part, une action publique qui s’attache à y remédier. C’est ce travail que nous qualifions de
version « technique » des scénarios.
En complément à cette version « technique », d’une lecture relativement exigeante, ce chapitre pro-
pose une version « littéraire » qui vise à mettre en récit la version technique des scénarios, à la fois
pour en faciliter l’accès et la compréhension, mais aussi pour en tester la cohérence. Cette mise en
récit suppose également que ces scénarios reçoivent un intitulé « évocateur » :
• Scénario 1 – Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie précari-
sée ;
• Scénario 2 – Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir ;
• Scénario 3 – Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités dans
une Wallonie transformée ;
• Scénario 4 (tendanciel) – Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance » dans
une Wallonie fragmentée.
En effet, la prospective vise à éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles pour ré-
pondre à quatre questions principales :
• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation des évolutions à venir.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, que
les futurs possibles puissent servir de boussole aux décisions présentes.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.
• dans un premier temps, nous tentons d’identifier les principaux apports de l’étude ainsi que
ses limites ;
• dans un deuxième temps, nous détaillons la façon dont cette étude peut informer les déci-
sions futures en matière de politique de lutte contre la pauvreté des enfants en nous con-
centrant sur les six grands enjeux dégagés par l’analyse prospective. Ces six enjeux doivent
pouvoir servir de base aux réflexions stratégiques qui pourront être menées à la suite de
cette analyse prospective ;
• dans un troisième temps, sur la base des enjeux identifiés, nous considérons six chantiers
d’avenir pour la lutte contre la pauvreté des enfants.
Enfin, nous identifions les fortes relations qui unissent ces différents enjeux aux attentes, besoins et
craintes pour l’avenir exprimés par les enfants et les familles en situation de pauvreté et de précarité
dans le cadre de l’enquête menée par nos collègues de l’AVIQ dont les résultats sont présentés dans
la seconde partie du rapport.
INTRODUC-
CHAPITRE 1
Pourtant, dix ans plus tard, malgré les millions récoltés chaque année grâce à cette initiative, les
analyses statistiques perdurent à montrer qu’en Wallonie près d’un enfant sur cinq est touché par la
pauvreté et que la situation ne s’améliore pas 27. Viva for Life « sensibilise » le grand public à une
problématique importante qui ne peut qu’émouvoir, mais parvient-elle à « politiser » la question pour
que les choses changent ? « Au bout du compte, quelques millions d’euros récoltés et saupoudrés
alors que l’enjeu de la lutte contre la pauvreté pèse chaque année cinq à dix milliards. Où est fran-
chement l’utilité d’une telle opération si ce n’est une façon d’exprimer sa satisfaction de rendre un
peu plus supportable l’insupportable par la remise d’un chèque ? », questionne le professeur Phi-
lippe De Leener dans une interview donnée à l’hebdomadaire Le Vif 28. Le chercheur s’inquiète éga-
lement de voir la pauvreté découpée en différents publics cibles comme celui des enfants : « […] se
focaliser sur la pauvreté infantile, c’est encore donner l’illusion d’une pauvreté particulière et c’est
tromper la vigilance du public. Car le fond du problème, ce sont les parents en situation de pauvreté.
Cette façon de saucissonner la problématique de la pauvreté est un non-sens sauf s’il s’agit de faire
pleurer grand-mère et de chercher à attendrir en mettant en avant le triste sort des enfants
pauvres. » 29
La lutte contre la pauvreté des enfants se réduirait-elle à un détournement d’attention face à une
problématique sociale plus large, comme l’indique Philippe De Leener ? La réalité est un peu plus
complexe que cela. En effet, l’opération « Viva for Life » peut également être analysée comme le
signe de l’émergence d’un nouveau « problème public » qui la dépasse, c’est-à-dire le signe qu’un
phénomène social tend à s’institutionnaliser et à devenir l’objet d’une action publique spécifique 30.
Considérer la « pauvreté infantile » comme tel suppose que l’on comprenne la trajectoire historique
qui conduit à cette institutionnalisation. Cette analyse doit permettre d’identifier autant les enjeux qui
la parcourent que les acteurs qui l’ont portée, car l’émergence de la pauvreté des enfants 31 comme
27
Le taux de déprivation des enfants en Wallonie est de 18 % en 2021 ; en outre, 16,5 % des enfants vivent dans un ménage
aux revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/ et
https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-risque-de-pauvrete-selon-la-classe-dage-et-le-sexe/
28
Le Vif, 17 décembre 2021 : https://www.levif.be/belgique/viva-for-life-une-operation-spectacle-regressive-et-derisoire-
contre-la-pauvrete-entretien/
29
Ibid.
30
Par « problème public », nous entendons l’apparition au sein de l’espace public de faits sociaux qui font l’objet de débats et
de controverses et qui appellent à une « intervention publique légitime sous la forme d’une décision des autorités publiques »
(Garraud, 2004 : 50)
31
Nous parlons de « pauvreté des enfants » plutôt que de « pauvreté infantile ». En utilisant cette expression, nous souhaitons
nous distancier de l’usage de la notion de « pauvreté infantile » qui est associée au paradigme d’action publique actuel. Nous
montrons, en effet, dans l’analyse rétrospective présentée dans le présent chapitre, que s’opère un glissement sémantique :
au moment où la pauvreté des enfants devient un problème public, elle tend à être qualifiée de « pauvreté infantile », ce qui,
d’après notre analyse, dénote sa conception comme une réalité en soi, objet d’une action particulière. Le choix de l’utilisation
de l’expression « pauvreté des enfants » vise donc à nous détacher des spécificités historiques associées à la notion de « pau-
vreté infantile ».
Cette émergence de la pauvreté des enfants comme problème public ne peut être vue comme
celle d’une « politique spectacle » : elle s’inscrit dans une logique de transformation des politiques
sociales portée par l’essor de l’État social actif, une forme d’État social qui spécialise son action vers
des publics de plus en plus spécifiques aux motifs de la particularité de leurs besoins et d’une meil-
leure gestion des dépenses publiques en matière sociale 33. Dans le cas de la politique de lutte contre
la pauvreté des enfants, cette orientation s’est également appuyée sur la reconnaissance progres-
sive de droits subjectifs propres à l’enfant, reconnaissance qui a mené, notamment, à la réforme des
allocations familiales dans la seconde moitié des années 2010. Celles-ci sont devenues, à ce mo-
ment, un droit subjectif 34 et universel propre à l’enfant né en Wallonie et non plus un droit des parents
lié à leur statut professionnel, comme ce fut le cas jusqu’alors (Demertzis, 2018).
Dans la suite de ce premier chapitre, nous allons nous attarder sur les principales étapes de l’institu-
tionnalisation de la pauvreté des enfants comme problème public et présenter la façon dont l’action
publique de lutte contre cette forme de pauvreté s’est organisée pour faire de la pauvreté infantile
un véritable « paradigme d’action publique » 35 au début des années 2020. Cette analyse constitue
32
Les politiques de lutte contre la pauvreté ont émergé, en Belgique, à la fin des années 1970, dans la foulée de la crise
économique issue des chocs pétroliers de 1973 et 1979. Pour le sociologue Daniel Zamora Vargas ces politiques se substituent
aux politiques sociales mises en place dans l’après-guerre et constituent le contrepoint « social » des politiques d’austérité
économique développées dans le courant des années 1980 pour faire face à la crise ainsi qu’une compensation au « détrico-
tage » du régime assurantiel développé durant les Trente Glorieuses : « Le législateur fera peu à peu de l’assistance le com-
plément naturel des politiques d’austérité menées dans la sécurité sociale. De politique « résiduelle », la « lutte contre la
pauvreté » va petit à petit devenir une politique générale et de « première ligne », mobilisée afin de répondre aux désordres
générés par le retrait des politiques assurantielles. » (Zamora Vargas, 2017 : 112). Pour cet auteur, les années 1980, et plus
singulièrement encore les années 1990, voient l’institutionnalisation en Belgique des politiques de lutte contre la pauvreté.
Cette institutionnalisation s’inscrit dans le sillon du développement d’un l’État social actif et s’appuie, notamment, sur la parti-
cipation directe des pauvres et des publics précarisés à l’évaluation de l’état de la pauvreté et à la rédaction de recomman-
dations. Ce mouvement de naissance et de développement des politiques de lutte contre la pauvreté coïncide avec la mise
en place d’une action de coordination en la matière par le Gouvernement wallon en 1992 avec la régionalisation des compé-
tences nécessaires, en particulier l’action sociale et l’intégration de personnes étrangères ou de politiques étrangères en 1994
(Jansen, 2007). Ce mouvement a débouché en 1998 sur un accord de coopération entre l’État fédéral, les Communautés et
les Régions « relatif à la continuité de la lutte contre la pauvreté ». Ces évolutions constituèrent la base de la politique de
cohésion sociale mise en place depuis le début des années 2000 en Wallonie à partir du « Contrat d’avenir pour la Wallonie »,
qui a défini le principe de « cohésion sociale » comme « la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres,
à minimiser les disparités et éviter la polarisation. Elle peut donc s’analyser comme un processus dynamique qui reprend
l’ensemble des moyens mis en œuvre pour assurer à tous l’accès aux droits fondamentaux. Ainsi définie, la cohésion sociale
englobe toutes les politiques de lutte contre la pauvreté, l’exclusion, s’intégrant globalement dans une approche de déve-
loppement durable. La cohésion sociale résulte de la force des liens qui unissent une collectivité. Elle dépend de l’accès des
citoyens au logement, à l’emploi, aux soins, à la culture, aux loisirs » (Jansen, 2007).
33
Dans cette étude, nous prenons comme référence la définition de l’État social actif fournie par le sociologue Abraham
Franssen : « Comme toute idéologie, celle de l’État social actif comporte une dimension utopique. Elle préfigure une société
idéale débarrassée de toute conflictualité sociale, conciliant protection sociale et autonomie assumée, où chacun pourrait
disposer d’un emploi – puisque le plein emploi y serait réalisé, y compris pour les femmes –, mais également disposer des
ressources et du temps lui permettant de s’engager librement « dans diverses activités permettant d’inspirer le respect et le
respect de soi : par exemple, prodiguer des soins à un ami ou à un membre de famille, réaliser des actions sociales ou cultu-
relles volontaires, reprendre une formation ou se recycler professionnellement », disposer d’une retraite active valorisée par
la collectivité. Soutenu par une éducation permettant de gommer les inégalités de départ, encouragé à se former tout au long
de sa vie, gérant sa santé de manière préventive, il ne verrait pas sa volonté d’entreprendre découragée par des normes
homogénéisantes, une fiscalité décourageante ou des allocations sociales inconditionnelles qui le piègeraient dans une
fausse sécurité, mais il serait au contraire incité à l’activité, aux différents moments de sa vie par de différentes mesures
législatives, fiscales et sociales ciblées. En cas de maladie ou d’accident dans sa trajectoire sociale et professionnelle, il se
verrait proposer un « package de mesures sur mesures » en vue de favoriser son rétablissement le plus prompt. En contre-
partie de cette autonomie, il lui reviendrait de participer activement à la gestion des risques de son existence, d’assumer
pleinement la responsabilité de ses choix et les inégalités légitimes de situation qui pourraient en résulter. « Le meilleur des
mondes » de l’individualisme démocratique n’est pas loin. » (Franssen, 2008)
34
En Droit, on qualifie de droit subjectif « la prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet
à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt d’autrui ». Il
s’oppose au Droit objectif comme « ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent
aux membres d’une société. » (Cornu, 1987).
35
C’est-à-dire « un cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seulement les objectifs de la politique et le type d’instru-
ments qui peut être utilisé pour les atteindre, mais également la nature même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont sup-
posés traiter » (Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018).
L’émergence de la pauvreté infantile comme problème public en Belgique francophone s’est cons-
truite à travers quatre « tournants » :
Cette manifestation a rassemblé par-delà les clivages politiques traditionnels pour mettre en
exergue un fait simple : lorsque des parents se voient enlever leurs enfants par des criminels, ils font
face à une « machine judiciaire » peu sensible à la vulnérabilité de parents meurtris et peu efficace
dans la défense d’êtres eux aussi vulnérables, leurs enfants : « Meurtris par la disparition de leurs
enfants et désabusés par le fonctionnement de l’appareil judiciaire, plusieurs parents appellent à un
rassemblement de grande ampleur. […] [ils] invitent la population à se réunir lors d’une marche apoli-
tique » indique le journal L’Écho. Au terme de la manifestation, l’un des parents souligna la violence
de leur confrontation à l’institution judiciaire : « Nous avons cru que l’institution judiciaire allait nous
aider. Nous avons dû déchanter. Jusqu’au jour où un juge a bien voulu considérer nos enfants
comme des princesses à sauver. » 37.
Ce mouvement populaire soutenant la « cause des enfants » fut un véritable point de bifurcation : il
eut plusieurs répercussions importantes tant au niveau judiciaire 38 que dans celui de la protection
des enfants : en 1997 naît « Child Focus », la Fondation pour enfants disparus et sexuellement ex-
ploités 39, toujours active aujourd’hui. En outre, il consacra, par-delà les clivages politiques et de façon
unanime l’importance de protéger les enfants en raison de leur « vulnérabilité ».
Ces transformations supposent que les pouvoirs publics et les acteurs des politiques de l’enfance
puissent jouer un rôle direct dans la vie des enfants, indépendamment du cadre familial dont ceux-
ci sont issus. Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique d’ensemble où l’État tend à agir
36
Cette Marche Blanche est organisée quelques mois après l’arrestation de Marc Dutroux le 13 août 1996. Cet homme sera
jugé coupable le 22 juin 2004 de plusieurs chefs d’accusation, dont le meurtre de Julie et de Melissa, filles de parents à l’origine
de l’organisation de cette Marche Blanche.
37
Propos rapportés par le journal L’Écho.
38
Une Commission d’enquête parlementaire fut organisée quelques mois plus tard. Elle pointa dans ses rapports de nom-
breux dysfonctionnements et manquements dans l’institution judiciaire qui conduisirent notamment à la réforme des polices
(disparation de la gendarmerie et création d’une police intégrée) et à la création du tribunal d’application des peines (inexistant
jusqu’alors).
39
Créée par plusieurs parents à l’initiative de la Marche Blanche, avec le soutien du Premier ministre et de la Fondation Roi
Baudouin.
Mutatis mutandis, cette évolution aurait conduit à la formation de « politiques de l’enfance » admi-
nistrées directement par l’État. Ces politiques ne se baseraient plus uniquement sur les intermé-
diaires historiques des politiques de la famille comme le « chef de famille » 41 ou les grands corps
intermédiaires comme les syndicats ou les organisations religieuses, qui jouèrent un rôle central en
matière d’éducation et d’insertion sociale. Les professionnels de l’enfance et de l’éducation em-
ployés par des structures publiques ou subsidiées, par leur rôle d’acteurs des politiques de l’enfance,
interviendraient directement auprès des enfants et/ou des parents en fonction du mandat qui leur
est attribué. De multiples exemples permettent d’illustrer cette dynamique : des médecins d’un
centre public d’examen médical font le bilan de santé des enfants lors de « visites médicales » et
recommandent, le cas échéant, aux parents de prendre l’une ou l’autre mesure de soins de l’enfant
(correction visuelle ou auditive, régime alimentaire en cas d’excès pondéral…) ; une puéricultrice
d’une crèche publique éduque un enfant en bas âge et conseille les parents sur la meilleure manière
de s’y prendre pour le suivi à domicile ; un centre psycho-médico-social d’une école accueille un
enfant souffrant de troubles spécifiques, prend en charge le problème de santé de l’enfant et con-
seille les parents sur les façons d’agir ; l’école met en place un système de collation saine et impose
aux parents certaines pratiques de nutrition dans le cadre de la prévention de l’obésité infantile ; les
maisons des jeunes accueillent les adolescents et les accompagnent dans différents aspects de leur
vie en dehors de leur cadre familial ; etc.
Cette Convention fixe un référentiel international contraignant pour les États signataires ainsi qu’un
système de suivi des progrès des États via le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Cela signifie
40
En sciences politiques, ce passage est généralement assimilé à celui d’une transition d’un État « corporatiste » à un État
« libéral » (ou, dans ce contexte historique spécifique, « social actif »). Dans le contexte belge, on parle également de « dépil-
larisation ».
41
Ce mouvement d’immixtion de l’État au sein des familles est historiquement ancien : « Il faut se rappeler qu’au XIXe siècle,
par la notion d’intérêt de l’enfant, l’État est parvenu à individualiser l’enfant par rapport à l’autorité absolue du père et qu’il a
ainsi pu progressivement pénétrer dans la famille qui, auparavant, était un sanctuaire inviolable. L’intérêt de l’enfant est, en
réalité, un des concepts clés qui fonde le contrôle social. » (Moreau et Van Keirsbilck, 2007 : 11)
42
En Belgique, cette ratification date du 16 décembre 1991 et suit la loi d’assentiment du 25 novembre 1991. La Convention est
entrée en vigueur en Belgique le 15 janvier 1992.
Deux notions clés y sont présentes, sans forcément faire l’objet d’une définition précise : la notion
d’« enfant » et celle d’« intérêt supérieur de l’enfant ».
La Convention définit un « enfant » comme « tout être humain ágè de moins de dix-huit ans, sauf si
la majoritè́ est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (art. 1). En ce sens,
cette Convention attribue aux mineurs d’âge des droits propres, similaires pour un certain nombre
d’entre eux à ceux définis par la Convention européenne des droits de l’homme 44.
Par ailleurs, la Convention établit « l’intérêt supérieur de l’enfant » comme le guide indispensable à
suivre pour toute décision prise à son égard par une institution liée aux politiques de l’enfance :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions pu-
bliques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (art. 3.1).
Ce respect de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les décisions suppose une attention particulière à
son « bien-être » : « Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins néces-
saires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des
autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures légi-
slatives et administratives appropriées » (art. 3.2). Cette protection spéciale tire son fondement d’une
conception de l’enfant comme être vulnérable : le préambule de la Convention établit, en effet :
« l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection
spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après
la naissance. »
En outre, la Convention fixe des limites à l’exercice conjoint d’une responsabilité au bien-être des
enfants, respectivement par les parents et familles, et par l’État. Elle prévoit également que, dans
certains cas où le bien-être de l’enfant est menacé, l’État puisse suppléer aux parents : « La famille,
considérée comme le milieu naturel de l’enfant, doit veiller au bien-être, au développement et à
l’épanouissement de l’enfant. Ainsi, c’est par ses parents, qui ont une responsabilité commune dans
son développement (art. 18), qu’il doit être élevé (art. 7 al. 1). L’État, quant à lui, est engagé à prendre
les mesures nécessaires afin de garantir l’application des droits reconnus par la Convention (art. 4) et
soutenir les parents dans leur mission. Il ne doit suppléer aux parents que lorsque l’enfant est défini-
tivement ou temporairement privé de sa famille ou lorsque, pour le bien-être de celui-ci, il se doit
de le retirer de son milieu familial (art. 20) » (Jamin et Perrin, 2005 : 81).
43
La Convention a généré un tournant dans la législation relative à la protection de la jeunesse ainsi que dans la naissance de
nouvelles problématiques publiques : « les dispositions de la Convention ont fortement influencé les autorités politiques dans
la rédaction de certains textes législatifs. Il en est ainsi du décret de 1991 relatif à l’Aide à la jeunesse. Ainsi, (…) certains articles
découlent directement de la Convention (le droit du jeune à ce que son intérêt soit prépondérant dans toute intervention, le
droit à être informé de ses droits, le droit au respect de ses convictions philosophiques et religieuses…) tandis que d’autres
s’inspirent de sa philosophie (le droit à l’assistance d’un avocat ou d’une personne majeure, le respect d’un code de déonto-
logie pour les intervenants…). La Convention internationale des droits de l’enfant a par ailleurs, par les biais du Comité des
droits de l’enfant, attiré l’attention des politiques belges sur certaines thématiques problématiques. Ainsi, le Comité avait ex-
primé des préoccupations vis-à-vis de la politique menée à l’égard des enfants demandeurs d’asile. (…). Une attention toute
particulière a par ailleurs été donnée ces dernières années à la problématique des mineurs étrangers non accompagnés. »
(Jamin et Perrin, 2005 : 82-83).
44
« La Convention reconnaît à l’enfant le droit au respect à la vie privée, de la vie familiale, du domicile, de la correspondance
(art. 16). Elle lui garantit le droit à la liberté d’expression (art. 12 al. 1.), à l’accès à l’information (art. 17), la liberté de pensée, de
conscience et de religion (art. 13 et 14) » (Jamin et Perrin, 2005 : 82).
Ainsi, au fil du temps, le rôle joué par le Délégué général a évolué pour dépasser le seul cadre des
violences faites aux enfants et toucher à des questions plus individuelles, comme leur accès à une
série de droits fondamentaux, mais aussi plus intimes, en se souciant de leur « bien-être ». En 2007,
Stéphane Durviaux, qui exerçait la fonction ad interim dans l’attente de la nomination du successeur
à Claude Lelièvre (qui exerça la fonction de 1991 à 2003) déclarait au quotidien La Libre : « Selon moi,
il est important d’améliorer le quotidien des enfants, de rendre les plus harmonieux possibles ses
rapports avec sa famille, l’école, le monde associatif, son environnement général. C’est pourquoi, il
ne faut pas se focaliser sur les formes extrêmes des violations des droits de l’enfant qu’illustre de
façon emblématique l’affaire Dutroux. Elles doivent certes requérir notre attention, mais non occulter
d’autres types de violences physiques ou psychologiques qui sont infligées chaque jour aux enfants
dans des termes beaucoup moins spectaculaires, mais qui n’en sont pas moins traumatisants et qui
appellent, elles aussi, des réponses spécifiques même si elles sont moins facilement détectables. »
Bernard De Vos fut Délégué général aux droits de l’enfant en fonction de 2008 à 2023. Un important
chantier de ses mandats successifs fut la « pauvreté des enfants ». Lors de sa prise de fonction, il
entreprit une tournée en Belgique qui lui fit comprendre l’enjeu majeur de cette question dans l’ac-
cès aux droits de l’enfant : « Ce que j’ai découvert sur le terrain était édifiant, la pauvreté, c’est le
fossoyeur des droits de l’enfant, que ce soit le droit à l’éducation ou la santé. Aucun droit de la Con-
vention des droits de l’enfant ne résiste à l’épreuve de la pauvreté » 46. Durant ses mandats successifs,
le Délégué a publié deux rapports sur la pauvreté des enfants : un premier en novembre 2009 intitulé
« Rapport relatif aux incidences et aux conséquences de la pauvreté sur les enfants, les jeunes et
leurs familles » et un second intégré à son rapport d’activité 2019, intitulé « rapport pauvreté ». Le
premier rapport constitue l’assise de la démarche d’analyse de la pauvreté des enfants, tandis que
le second intègre une mise à jour des constats réalisés dix ans plus tôt et l’utilisation de nouveaux
outils de mesure de la pauvreté des enfants.
45
« Un cas d’enfant battu, de gosse violé, de mineur exploité au travail ? Il ne faudra désormais plus chercher le numéro de
téléphone de "SOS Enfants" ou frapper à toutes les portes des services d’aide à la jeunesse. Dans quelques mois, un numéro
vert devrait être installé pour répondre à toutes les questions que vous vous posez, enregistrer vos plaintes ou vos avis. À
l’autre bout du fil, un "délégué général aux droits de l’enfant" vous conseillera. La fonction a été officiellement approuvée, la
semaine dernière, par l’exécutif de la Communauté française. Il ne manque plus que la personne pour l’occuper », écrivait la
journaliste Joëlle Meskens dans le quotidien Le Soir le 18 juillet 1991.
46
Entretien accordé au périodique Le Vif publié le 27 mai 2021 : https://www.levif.be/actualite/belgique/la-jeunesse-ce-
puissant-levier-portrait-de-bernad-de-vos-delegue-general-aux-droits-de-l-enfants/article-normal-1429757.html
« La pauvreté pour l’enfant, ce n’est donc pas seulement le fait que ses parents ont peu d’ar-
gent. C’est un environnement global qui est perturbé par ces difficultés d’origine écono-
mique : la nourriture qu’il absorbe, les vêtements qu’il porte, les relations qu’il vit avec ses
parents, ses amis, sa communauté et jusqu’à l’air qu’il respire sont emprunts [sic] de cette
inégalité qui fonctionne comme un stigmate. L’avenir de l’enfant s’en trouve lourdement
compromis : les difficultés qu’il rencontre deviennent vite des handicaps insurmontables qui
complexifient encore le triste tableau. Plus grave, la pauvreté limite drastiquement la partici-
pation à la vie publique et la capacité à peser sur l’environnement public et politique. La par-
ticipation des enfants et des familles qui vivent la précarité constitue pourtant un enjeu pri-
mordial. Elle seule permet aux familles vivant dans la pauvreté de sortir des déterminismes
sociaux et économiques dans lesquels ils sont confinés et d’espérer éviter ainsi l’"abonne-
ment " intergénérationnel à la pauvreté : ce n’est que parce que celles et ceux qui vivent ces
situations difficiles, dégradantes ou humiliantes, auront la possibilité d’avancer leur propre
compréhension et leur propre expertise de celles-ci qu’ils pourront s’en sortir réellement… si
du moins il se trouve des forces sociales et politiques pour les entendre… » (Délégué général
de la Communauté française aux droits de l’enfant, 2009 : 12).
Cette définition de la pauvreté de l’enfant l’inscrit non seulement dans le manque de moyens finan-
ciers des parents, mais également dans le déterminisme de l’environnement dans lequel évolue
l’enfant. Cet environnement l’empêche d’accéder à certains droits fondamentaux : se nourrir, se vêtir,
mener des relations de qualité avec ses parents, ses amis et sa communauté, vivre dans un environ-
nement sain, participer à la vie publique. Le rapport fait de la capacité des enfants à participer aux
décisions qui les concernent un levier important de lutte contre la pauvreté, en cohérence avec ce
que nous relevions précédemment par rapport aux politiques de lutte contre la pauvreté et à l’inté-
gration d’une participation directe des publics cibles.
47
Le rapport de 2009 prend, notamment, comme point de départ le rapport de l’UNICEF publié en 2005 « La pauvreté des
enfants dans les pays riches », qui fait le constat d’une augmentation généralisée de la pauvreté des enfants (basée sur l’évo-
lution des revenus des parents) dans 17 pays « riches » sur 24, dont la Belgique, au cours des années 1990.
48
Notamment l’étude publiée en 2018 par la Fondation Roi Baudouin et réalisée par Anne-Catherine Guio (LISER – Luxem-
bourg Institute of Socio-Economic Research) et Franck Vandenbroucke (Université d’Amsterdam) relative à « La pauvreté et
à la déprivation des enfants en Belgique » (Guio et Vandenbroucke, 2018).
L’OEJAJ constitue l’« administration référente pour le suivi de l’application de la Convention interna-
tionale des droits de l’enfant et le rapportage aux Nations Unies ainsi que pour la mise en œuvre et
l’évaluation du plan d’action pour les droits de l’enfant » 50 en Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi
que, depuis 2013, en Wallonie, conjointement avec la Direction interdépartementale de la Cohésion
sociale du Service public de Wallonie.
Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles élabore tous les trois ans un « Plan d’actions
global relatif aux droits de l’enfant » dans les domaines de compétence de la Fédération. Ces plans
visent à intégrer les recommandations émises par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU sur la
base du travail de rapportage réalisé par l’OEJAJ et transmis à l’ONU par l’intermédiaire de la Com-
mission nationale des droits de l’enfant qui, depuis sa création en 2005, coordonne l’ensemble des
parties prenantes belges actives dans l’application de la Convention 51.
49
Cet arrêté a été complété par le Décret du 12 mai 2004, qui en redéfinit les missions et l’organisation.
50
Voir le site de l’Observatoire : https://oejaj.cfwb.be/qui-sommes-nous/nosmissions/
51
Depuis la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant, la Belgique a reçu quatre « observations finales »
du Comité des droits de l’enfant de l’ONU sur la base des rapports transmis par le Gouvernement belge, en 1995, 2002, 2010
et 2019.
Le Plan d’action national pour l’enfance 2005-2012 adopté en Belgique, suite aux recommandations
du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, positionne comme deuxième objectif : « Éliminer la pau-
vreté : miser sur les enfants ». Le plan n’utilise pas la notion de « pauvreté infantile » telle qu’elle est
largement employée aujourd’hui. Cet objectif du plan se contente de partir du constat que la Bel-
gique demeure touchée par une pauvreté constante, une précarité croissante et des phénomènes
d’exclusion sociale « auxquels n’échappent pas les enfants » (p. 14). Dans cette perspective, le plan
se limite à énumérer les politiques menées en Communauté française et en Région wallonne qui
luttent préventivement contre la pauvreté des enfants : « Au sein des Communautés, l’aide à la jeu-
nesse, la promotion de la santé, l’aide aux détenus, l’enfance, l’enseignement, la culture, la jeunesse
et le sport sont autant de secteurs qui participent à la prévention des exclusions les plus diverses et
ont une fonction essentielle d’intégration sociale et d’élimination de la pauvreté chez les enfants. En
Région wallonne, diverses mesures de prévention contre la pauvreté et l’exclusion sociale ainsi que
des mesures en faveur des personnes en difficulté sociale, des étrangers et des gens du voyage
bénéficient indirectement aux enfants » (p. 14).
Le plan souligne que des projets seront développés en matière de prévention : « La Communauté
française vise à assortir ses politiques d’intégration et d’éducation des jeunes d’un développement
de politiques préventives afin d’éviter la reproduction du cycle de la pauvreté chez les enfants et
leur famille » (p. 14) et énumère quelques activités et initiatives en ce domaine telles la discrimination
positive en matière de décrochage scolaire, ou l’intervention de professionnels dans le milieu de vie
plutôt que l’éloignement du jeune en difficulté.
Le plan souligne également des projets plus spécifiques en matière de politiques de lutte contre la
pauvreté. Il évoque à ce sujet quelques mesures menées en matière de taxes et de fiscalité diffé-
renciées pour les bas revenus, un travail spécifique sur la prévention de l’endettement, ainsi que le
relogement des personnes vivant à l’année en campings résidentiels. La question de la prévention
de la mendicité chez les jeunes est également abordée au niveau de l’information : « la Communauté
française entend mettre en place des actions concrètes de sensibilisation, d’information et de formation à
l’attention des autorités et intervenants en contact direct avec la population concernée et d’approfondir la
recherche en ce qui concerne la scolarité des enfants mendiants, conçue comme un vecteur d’intégration
essentiel pour les enfants » (p. 17). La protection pénale des mineurs est également abordée à travers
l’évocation d’un projet de loi visant à la répression des adultes faisant mendier des mineurs.
Ces mesures apparaissent, pour le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, insuffisantes. En effet, dans son
évaluation du plan, le Comité apparaît particulièrement critique tant sur la structure du plan que sur la
façon dont il envisage la lutte contre la pauvreté des enfants. Sur la question de la pauvreté, le Comité
« invite instamment l’État partie ß prendre toutes les mesures voulues pour donner suite aux recomman-
dations qu’il a formulées dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique de l’État partie
et qui n’ont pas encore été suivies d’effet, ou pas suffisamment, notamment celles qui ont trait ß la
52
Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Belgium. 13/06/2002 :
https://oejaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/Hors_PublicationsTravaux/Documents/CIDE/Observations_CRC/re-
commandations_texte_definitif-2.pdf
Nonobstant ces observations cinglantes des instances de l’ONU, il faut souligner que ce premier plan
belge dédié spécifiquement aux droits de l’enfant intègre très explicitement dans le champ des politiques
de l’enfance la question de la « pauvreté ». La pauvreté des enfants (qui deviendra au fil du temps la
« pauvreté infantile ») apparaît, néanmoins – même si c’est encore imparfaitement, à en croire le Co-
mité des droits de l’enfant de l’ONU – à partir de ce moment comme un « problème public » 55, c’est-
à-dire comme objet d’une intervention publique spécifique, problème qui, par injonction du Comité,
tend à s’inscrire à l’« agenda politique » puisqu’est requise de la part de la Belgique la mise en place
d’une « véritable » politique dotée d’objectifs, de budgets dédiés et d’indicateurs de mesure.
La prise en compte de la question de la « pauvreté des enfants » dans les politiques de l’enfance en
Belgique francophone semble avoir pris un tournant en 2010, lors de la publication d’un document
de l’OEJAJ intitulé « Les droits de l’enfant en Belgique : quelles sont les obligations de l’État ? ». Ce
document est issu d’un séminaire organisé par l’Observatoire et rassemblant des experts acadé-
miques des droits de l’homme.
La particularité de ce document est d’initier une nouvelle approche de la mise en œuvre de la Con-
vention internationale des droits de l’enfant. En effet, il propose d’orienter le travail de mise en œuvre
vers une information autour de l’État et de ses obligations plutôt que vers la sensibilisation des pu-
blics adultes et mineurs concernés par la Convention : « Il ne s’agit pas de mieux faire connaître ou
comprendre, aux adultes ou aux enfants, les droits ou leurs droits et la manière de les exercer (article
42 de la CIDE). Il s’agit de mieux faire connaître et comprendre, et donc de mieux faire endosser, les
obligations de l’État partie d’assurer la pleine effectivité des droits » (OEJAJ, 2010 : 5).
Cette manière d’approcher la mise en œuvre de la Convention n’est certainement pas étrangère aux
recommandations émises par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU évoquées précédemment.
En outre, cette nouvelle orientation dans les travaux de l’OEJAJ résulte également d’un constat ap-
puyé sur le rapport de 2009 du Délégué général aux droits de l’enfant dédié à la pauvreté des en-
fants : malgré l’existence de la Convention depuis la fin des années 1980 et malgré son entrée en
vigueur en Belgique depuis 1992, les constats faits en 2010 sur la situation des enfants belges ne
traduisent pas, pour l’OEJAJ, l’effectivité de tels droits pour l’ensemble des enfants. Il subsiste d’im-
portantes inégalités dans l’accès à ces droits liées aux situations de pauvreté. Pour l’Observatoire, les
statistiques sur la situation de pauvreté des enfants sont accablantes : « 12 % d’enfants vivent en
53
Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Examen des rapports prèsentès par les Ètats parties en application de l’article 44 de
la Convention. Observations finales : Belgique, Cinquante-quatrième session 25 mai-11 juin 2010, p. 2. https://oe-
jaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/Hors_PublicationsTravaux/Documents/CIDE/Observations_CRC/CO_CIDE_ver-
sion_officielle_FR.pdf
54
Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Examen des rapports prèsentès par les Ètats parties en application de l’article 44 de
la Convention. Observations finales : Belgique, Cinquante-quatrième session 25 mai-11 juin 2010, p. 3. https://oe-
jaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/Hors_PublicationsTravaux/Documents/CIDE/Observations_CRC/CO_CIDE_ver-
sion_officielle_FR.pdf
55
Par « problème public », nous entendons l’apparition au sein de l’espace public de faits sociaux qui font l’objet de débats et
de controverses et qui appellent à une « intervention publique lègitime sous la forme d’une dècision des autoritès publiques »
(Garraud, 2004 : 50).
Face à ces constats, l’Observatoire souligne qu’il est impératif de mettre en place une action pu-
blique qui permette aux enfants de pleinement jouir de leurs droits économiques, sociaux et cultu-
rels, c’est-à-dire, aux termes de la Convention, que l’État garantisse les droits suivants : « droit à la
santé, droit à la sécurité sociale, droit à un niveau de vie suffisant (incluant le droit au logement),
accès à la culture et, bien sûr, droit à l’éducation » (OEJAJ, 2010 : 8). Il s’agit, pour l’Observatoire, d’une
obligation de l’État qui se justifie par plusieurs principes centraux dans la Convention : « l’intérêt su-
périeur de l’enfant, la non-discrimination, la survie et le développement de l’enfant et la participation
de l’enfant aux décisions qui le concernent » (OEJAJ, 2010 : 9).
Cette nouvelle approche a pour conséquence de mettre au centre des débats sur l’application de la
Convention internationale des droits de l’enfant en Communauté française l’enjeu de « la pauvreté
des enfants ». En effet, l’une des principales recommandations du document est de focaliser l’action
sur un nouveau public encore absent comme tel des politiques de l’enfance, « les enfants pauvres » :
« Il est suggéré que dans l’ensemble des actions, mesures, programmes et politiques publiques
consacrant les droits économiques, sociaux et culturels des enfants, les enfants pauvres soient une
cible spécifique et prioritaire » (OEJAJ, 2010 : 20). Cette approche sera actée par les Plans d’action en
matière des droits de l’enfant qui seront développés au cours des années 2010 tant au niveau de la
Fédération Wallonie-Bruxelles que de la Wallonie.
3.3.2 Les Plans d’action en matière de droits de l’enfant au niveau wallon (2011)
Au niveau wallon, la présidence commune de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles par
Rudi Demotte 56 à partir de 2009 généra un changement important : sous cette présidence conjointe
des deux entités fédérées, furent en effet mis en place des Plans d’action en matière de droits de
l’enfant (PADE) au niveau de la Région wallonne pour les compétences qui lui sont propres (loge-
ment, action sociale, santé, numérique, transport, infrastructures sportives). La Direction interdépar-
tementale de la cohésion sociale (DiCS) du Service public de Wallonie a eu la charge d’assurer le
suivi et la mise en œuvre du PADE wallon en concertation avec toutes les parties prenantes.
Trois plans ont été mis en place en Wallonie depuis leur intégration aux politiques wallonnes : le
PADE 2011-2014, le PADE 2016-2019 et le PADE 2020-2024. Ces plans s’organisent autour de trois
axes 57 : un axe « gouvernance et pilotage des politiques publiques », un axe
56
Rudi Demotte (PS) fut conjointement chef des Gouvernements (Ministre-Président) de la Fédération Wallonie-Bruxelles et
de la Wallonie entre 2009 et 2014.
57
Voir le site de la DICS du SPW dédié au PADE : http://cohesionsociale.wallonie.be/actions/PADE
3.3.3 Le rapport relatif à la pauvreté du Délégué général aux droits de l’enfant (2019)
Le rapport relatif à la pauvreté des enfants publié en 2019 par le Délégué général aux droits de l’en-
fant marque un nouveau tournant dans la façon dont ce « problème public », à l’agenda depuis à
peine une dizaine d’années, est pensé comme tel.
Ce rapport propose, en effet, un cadre spécifique d’action publique contre la pauvreté des enfants.
Le rapport se fonde en grande partie sur les recommandations du Comité des droits de l’enfant de
l’ONU. Il épingle plusieurs éléments mis en exergue par le Comité.
Tout d’abord, la nécessité de « mettre en œuvre une stratégie globale de lutte contre la pauvreté
des enfants qui soit fondée sur les droits et accompagnée d’un ensemble d’indicateurs mesurables
et assortis d’échéances ». Cet élément, déjà identifié tel quel dans les recommandations du Comité
de 2010, est mis en exergue dans le rapport du Délégué général aux droits de l’enfant.
Cette politique doit s’appuyer, ensuite, sur une approche spécifique du budget de l’État qui doit per-
mettre la mise en place d’un système d’évaluation et de reddition de comptes 58, mais aussi la défi-
nition de postes budgétaires spécifiquement dédiés aux enfants, en particulier les enfants défavori-
sés et protégés en cas de crise ou de situation d’urgence.
Enfin, cette politique doit permettre de façon effective la protection de certains droits de l’enfant. La
garantie de jouissance d’un droit à un logement convenable est vue comme une priorité. Un autre
point important souligné par le Comité et relayé dans le rapport du Délégué est la réforme du sys-
tème de prestations sociales « pour tous les enfants et toutes les familles défavorisées » afin que
ces prestations permettent à leurs bénéficiaires d’avoir un « niveau de vie décent », mais aussi que
la diversité des situations familiales puisse être prise en compte dans l’octroi et le calcul de ces allo-
cations pour éviter toute discrimination. Une autre priorité touche à l’accès à l’éducation qui demeure
très inégalitaire et peu favorable à l’intégration des enfants issus de familles pauvres et/ou de l’im-
migration, non seulement en raison du coût de la scolarité (les frais de scolarité doivent, pour le
Comité, être supprimés), mais aussi en raison des différentes formes d’exclusion de l’enseignement
général.
Sur la base de ces principes, le rapport établit une liste de recommandations. Ces recommandations
s’inscrivent dans un cadre général qui conçoit la politique de lutte contre la pauvreté des enfants
comme un sous-ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté, et non comme une concur-
rente. La justification proposée à cette articulation, mais aussi à la délimitation d’un nouvel ensemble
58
Elle doit permettre, selon les termes des recommandations relayés dans le rapport, de mettre en place « un système de
suivi de l’allocation et de l’emploi des ressources destinées aux enfants pour l’ensemble du budget ». Ce système de suivi
devrait appuyer la réalisation d’« évaluations d’impact mettant en évidence la façon dont les investissements réalisés dans un
secteur donné peuvent servir l’intérêt supérieur de l’enfant […] ». Ce budget doit, en outre, être élaboré de façon participative
et mettre en place une logique de reddition de comptes de la part des autorités locales : les pouvoirs publics doivent, pour le
Comité, « veiller à ce que l’établissement du budget soit transparent et participatif grâce à un dialogue avec la population,
notamment avec les enfants, et à ce que les autorités locales rendent dûment compte de leurs actions ».
« si ce sont bien les parents qui vivent en situation de pauvreté, et, par conséquent, qui de-
vraient être la cible prioritaire de politiques susceptibles d’améliorer notamment leur situation
socio-économique, [le Délégué] est convaincu qu’agir aussi là où ces mauvaises conditions
touchent aux droits des enfants et des jeunes peut être de nature à améliorer sensiblement
leur développement et leur bien-être. Déterminer ces atteintes à hauteur d’enfant, prendre
chaque article de la Convention et évaluer l’ampleur des dégâts en termes d’accès à l’édu-
cation, aux soins de santé, à la culture, aux loisirs, aux sports, à une protection… peut per-
mettre de recommander des mesures concrètes susceptibles d’alléger la gestion des pa-
rents et le quotidien des enfants. Car, s’il y a bien une chose qui ne peut pas être enlevée à
ces parents, c’est leur volonté tenace de protéger, vite et durablement, leurs enfants de leur
pauvreté. » 59
La politique de lutte contre la pauvreté infantile trouve, dans cette définition du Délégué, une signi-
fication et une portée particulières : il s’agit de développer une action spécifique visant à permettre
aux enfants d’accéder à leurs droits dans le but d’« alléger la gestion des parents » et de permettre
aux enfants de ressentir un certain bien-être quotidien. Les optiques des deux ensembles politiques
sont donc, dans cet esprit, complémentaires.
59
Rapport DGDE 2019, p. 23.
En 2009, est introduit au sein de la base de données européenne SILC (Statistics on Income and
Living Conditions) – principale source statistique en matière d’analyse de la pauvreté construite à
partir d’un questionnaire – un module spécifique dédié aux déprivations des enfants (Guio et al., 2017).
Cette introduction permet la production de nouvelles données qui ont débouché sur des analyses
complexes de la situation de pauvreté des enfants. Elles se sont basées sur une liste de dix-huit
items permettant de caractériser les formes de déprivation dont peuvent souffrir les enfants : treize
de ces items sont spécifiques aux enfants et cinq relèvent du ménage dont ils font partie.
60
D’après Guio et al., un mouvement de reconnaissance de la « pauvreté des enfants » comme problème public s’est construit
à l’échelon européen dès le début des années 2000, à la suite de développements connus au niveau international sous l’im-
pulsion de l’UNICEF : « The fight against child poverty and social exclusion and the importance of investing in children’s well-
being has been high on the EU policy agenda for more than a decade. A first significant step was the independent report on
Taking forward the EU Social Inclusion Process, commissioned by the EU Luxembourg Presidency in the first half of 2005 […].
This report stressed the need for “children mainstreaming” and suggested a specific approach to child wellbeing at EU level.
It also argued that simple age group breakdowns of EU social indicators were insufficient to adequately capture the multidi-
mensional nature of poverty and social exclusion of children – child-specific measures are needed. Following this recom-
mendation, the EU Social Protection Committee (SPC) decided to reserve a slot for (at least) one indicator on “child wellbeing”
in the EU portfolio of social protection and social inclusion indicators and to set up an EU Task-Force on Child Poverty and
Child Well-Being. The report of this Task-Force and its 15 recommendations were endorsed by the European Commission
and all EU countries in 2008 […]. Another step forward was taken in February 2013, when the European Commission published
a Recommendation on “Investing in children, breaking the cycle of disadvantage”, which was also endorsed by all EU Member
States a few months later […] » (Guio et al., 2017 : 836).
Cette étude établit plusieurs constats sur la question en Belgique, dresse une analyse des détermi-
nants de la pauvreté des enfants au niveau national et propose une série de recommandations poli-
tiques.
Lorsque l’on s’inquiète de connaître la proportion d’enfants qui est privée de quatre des dix-sept
items, la Belgique présente un taux très supérieur (12 %) à ceux des pays voisins ainsi que de la
France : « 12 % des enfants sont privés d’au moins quatre items en Belgique, alors que cette propor-
tion se situe entre 7 et 9 % aux Pays-Bas, en Allemagne et en France et n’est que de 2 % au Luxem-
bourg. » (p. 7)
Ils indiquent néanmoins que le niveau de richesse d’un pays a également d’importants effets sur la
situation de pauvreté. En effet, d’après eux, un pays « plus riche », c’est-à-dire au PIB plus élevé, offre
davantage de soutien aux plus défavorisés à travers, par exemple, la qualité et l’accessibilité finan-
cière des systèmes d’éducation, de garde d’enfants, de santé et de transport public.
Les auteurs soulignent par ailleurs que tout élément qui affecte le revenu du ménage de façon struc-
turelle ou, à tout le moins dans la longue durée, a un impact important sur l’état de déprivation des
enfants. Chômage de longue durée, faible qualification des parents, famille monoparentale, état de
locataire du logement, endettement important, problèmes de santé chroniques : ces facteurs pris
individuellement ou cumulés affectent de manière décisive la situation de pauvreté matérielle et
sociale des enfants.
• l’emploi, en réduisant les charges fiscales et sociales afin de réduire les coûts salariaux et
d’augmenter les revenus nets, mais aussi en investissant dans le développement de l’éco-
nomie sociale ;
• le niveau de vie, en revalorisant les revenus de remplacement et les allocations sociales des
familles précarisées, notamment à travers la réforme des allocations familiales (encore en
cours au moment de la réalisation de l’étude) ;
• le logement, en développant l’offre de logements sociaux, en soutenant l’essor des agences
immobilières sociales et en renforçant les primes à la location ;
• la petite enfance, en investissant dans le développement des services d’accueil pour les
rendre abordables, de qualité et par des règles d’accès donnant priorité aux publics défavo-
risés ;
• le développement de services publics et sociaux accessibles ;
• en réinvestissant le rôle social de l’école, par une ouverture sur la communauté locale et par
des actions visant à lutter contre les différentes formes de déprivation : alimentaire, soutien
scolaire, frais scolaires, activités extrascolaires…
Lors du sommet européen de Göteborg sur les droits sociaux le 17 novembre 2017, le Conseil de
l’Union européenne, le Parlement européen et la Commission européenne ont adopté conjointe-
ment le « socle européen des droits sociaux ». Ce socle commun aux pays de l’Union européenne
définit vingt principes répartis en trois thèmes : (1) l’égalité des chances et l’accès au marché du tra-
vail, (2) des conditions de travail équitables, (3) protection et inclusion sociales. Ce socle intègre dans
son troisième chapitre un principe spécifiquement dédié à l’enfance, le principe 11, intitulé « Accueil
de l’enfance et aide à l’enfance ». Ce principe établit une protection spécifique des enfants vis-à-vis
de la pauvreté : « Les enfants ont droit à des services d’éducation et d’accueil de la petite enfance
abordables et de qualité. Les enfants ont droit à la protection contre la pauvreté. Les enfants de
milieux défavorisés ont le droit de bénéficier de mesures spécifiques visant à renforcer l’égalité des
chances » 61.
L’adoption de ce principe au sein du socle commun de droits sociaux au niveau européen en 2017 a
mené au développement d’une action spécifique en matière de protection des droits de l’enfant.
Cette action se décline en deux volets : une stratégie européenne en matière de droits de l’enfant et
la « garantie européenne pour l’enfance ». Il s’agit, d’une part, de développer un cadre d’action pu-
blique au niveau de l’Union européenne pour assurer la protection des droits de l’enfant et, d’autre
part, de garantir un accès aux services/droits fondamentaux pour les enfants en situation de pau-
vreté.
La stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant 62 a été adoptée par la Commission européenne le 24
mars 2021. Elle comporte sept axes : (1) participation à la vie politique et démocratique, (2) inclusion
socio-économique, santé et éducation, (3) lutte contre la violence à l’égard des enfants et protection
de l’enfant, (4) une justice adaptée aux enfants, (5) société numérique et de l’information, (6) dimen-
sion mondiale de la protection de l’enfance, (7) intégrer la perspective de l’enfant dans toutes les
actions de l’UE. L’axe 2 vise plus spécifiquement au développement de la lutte contre la pauvreté en
spécifiant « une Union qui se bat contre la pauvreté des enfants et promeut des sociétés inclusives
et bienveillantes à l’égard des enfants, ainsi que des systèmes sanitaires et éducatifs adaptés à ces
derniers » (p. 6).
La lutte contre la pauvreté conçue dans la stratégie vise à garantir aux enfants européens une « éga-
lité des chances ». Plusieurs constats sont relayés dans la stratégie pour étayer la nécessité d’une
action, vu les inégalités existantes en Europe.
Tout d’abord, la stratégie prend en compte le rôle de la structure familiale comme déterminant-clé
de l’état de pauvreté des enfants, mais aussi la localisation géographique ou la situation d’immigra-
tion : « le risque de pauvreté des enfants élevés par un seul parent ou dans des familles de plus de
61
Voir : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people/jobs-growth-and-in-
vestment/european-pillar-social-rights/european-pillar-social-rights-20-principles_fr
62
Voir : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/ds0821040frn_002.pdf
La stratégie acte également que le niveau d’éducation des parents joue un rôle important dans l’état
de pauvreté des enfants : « La moitiè environ des enfants dont les parents ont un faible niveau d’édu-
cation sont exposés au risque de pauvretè́ ou d’exclusion sociale, contre moins de 10 % des enfants
dont les parents ont un niveau d’éducation élevè́ » (p. 7).
Enfin, le document reconnaît le rôle du revenu des parents dans l’accès au logement : « Les enfants
issus de familles à faibles revenus sont exposés au risque le plus élevé de privation grave de loge-
ment ou de surpopulation et sont davantage exposés au sans-abrisme » (p. 7).
Sur cette base, la stratégie européenne prône la mise en place d’une « garantie européenne pour
l’enfance ». Il s’agit de mesures spécifiques adressées aux enfants exposés au risque de pauvreté ou
à celui d’exclusion sociale : « Cette proposition recommande aux États membres de garantir aux en-
fants dans le besoin un accès à des services essentiels de qualité : structures d’éducation et d’accueil
de la petite enfance, scolarisation (avec participation aux activités parascolaires), soins de santé, ali-
mentation et logement » (p. 7). Cette garantie constitue donc, sur la base de cette stratégie, une
orientation importante pour les politiques menées au niveau des États membres dans la lutte contre
la pauvreté infantile : accès à l’éducation et à l’enseignement, accès aux activités parascolaires, ac-
cès aux infrastructures d’accueil pour les enfants en bas âge, accès aux soins de santé, accès à une
alimentation de qualité et accès au logement.
Cette « garantie européenne pour l’enfance » a été officiellement adoptée par le Conseil de l’Union
européenne 63 le 14 juin 2021. Elle se fonde sur une analyse détaillée de la question de la pauvreté
infantile et en particulier d’une spécification particulière du public destinataire de l’action, « les en-
fants dans le besoin » (children in need) 64. Pour la Commission européenne, les destinataires de la
« garantie européenne pour l’enfance » recouvrent sept catégories spécifiques d’enfants :
1. des enfants à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale définis comme des enfants vivant
des situations qui combinent trois éléments : la pauvreté de revenu pour le ménage, la dé-
privation matérielle sévère et la vie dans un ménage à faible intensité de travail ;
2. des enfants sans-abris ;
3. des enfants souffrant d’un handicap ;
4. des enfants vivant une situation migratoire ;
5. des enfants issus de minorités ethniques ou raciales ;
6. des enfants placés en instituts de soin ou de garde ;
7. des enfants vivant dans des situations de famille précaires : vivant dans des familles mono-
parentales, vivant avec un parent souffrant d’un handicap, vivant dans un ménage où une ou
plusieurs personnes souffrent de problèmes de santé mentale ou de maladie de longue du-
rée, vivant dans un ménage dont certains membres sont toxicomanes, vivant dans un État
différent de celui de ses parents, dont la mère est mineure ou étant eux-mêmes mères mi-
neures, ayant un parent emprisonné.
63
Plus précisément par l’EPSCO (Employment, Social Policy, Health and Consumer Affairs Council) : organe du Conseil de
l’Union européenne composé des ministres chargés de l’emploi, des affaires sociales, de la santé et de la protection des
consommateurs de tous les États membres de l’UE ainsi que des membres de la Commission européenne compétents pour
ces matières. L’ESPCO a pour mission « d’augmenter les niveaux d’emploi et d’améliorer les conditions de vie et de travail,
tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine et des consommateurs dans l’UE », voir :
https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/epsco/
64
Voir le document de la Commission européenne « Commission Staff Working Document Accompanying the document
Proposal for a Council Recommendation establishing a European Child Guarantee » du 24 mars 2021 : https://ec.eu-
ropa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=10024&furtherNews=yes
Afin de sortir de ce cercle vicieux, la Commission recommande aux États membres de l’Union euro-
péenne de garantir un « accès gratuit et effectif » aux enfants dans le besoin à quatre droits/ser-
vices :
Elle recommande, en outre, la garantie d’un accès effectif (mais non gratuit) à une alimentation saine
et à un logement adéquat.
Tout d’abord, elle a instauré une compréhension et une analyse du phénomène de pauvreté des
enfants propre à l’Union européenne. Cela suppose que les États européens puissent être comparés
entre eux et que la problématique soit comprise à une nouvelle échelle, spécifique au contexte so-
cio-économique des États européens (alors que le cadre de l’ONU supposait de très fortes disparités
à l’échelle internationale).
Ensuite, la garantie européenne pour l’enfance a permis de définir un cadre partagé d’objectifs poli-
tiques prioritaires, à la fois qualitatifs et quantitatifs, communs en matière de lutte contre la pauvreté
des enfants au niveau européen. Jusqu’alors, le cadre fixé par la Convention internationale des droits
de l’enfant demeurait, comme on l’a vu, déterminé par l’interprétation réalisée par les États
65
Voir le document « Factsheet: European Child Guarantee » de la Commission européenne : https://ec.europa.eu/so-
cial/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=10024&furtherNews=yes
Enfin, l’adoption de la garantie européenne pour l’enfance a ouvert à des sources de financements
européens pouvant appuyer le développement de la politique de lutte contre la pauvreté des en-
fants dans les États membres. Elle a aussi contraint les États, dans certaines conditions, à allouer un
budget spécifique à cette politique.
De ce fait, la garantie européenne pour l’enfance fixe un cadre d’action tout à fait nouveau dans la
politique de lutte contre la pauvreté des enfants. En Belgique, ce cadre a généré une réorganisation
de la coordination de cette politique au niveau fédéral : la mise en œuvre de cette politique euro-
péenne a nécessité le développement d’un nouveau plan d’action national spécifique qui complète
et réarticule les mesures prises en matière de droits de l’enfant. Cette évolution fusionne définiti-
vement deux champs d’action publique encore distincts : les politiques de lutte contre la pauvreté
et les politiques menées en matière de droit de l’enfant. Cela se traduit au niveau institutionnel par la
prise en charge par le SPP Intégration sociale de la conception et de la mise en œuvre de ce plan,
en concertation avec les entités fédérées.
Cette évolution marque l’émergence de la « pauvreté infantile » comme un paradigme d’action pu-
blique. Elle devient « un cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seulement les objectifs de la
politique et le type d’instruments qui peut être utilisé pour les atteindre, mais également la nature
même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont supposés traiter » (Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018).
Comme nous l’avons vu, en effet, cette problématique s’est peu à peu organisée et structurée pour
stabiliser certains éléments de définition : la pauvreté des enfants est un problème d’accès à certains
droits jugés fondamentaux pour les enfants européens (se nourrir, se soigner, s’éduquer, se divertir).
Avec l’adoption de la garantie européenne pour l’enfance, ces éléments ont conditionné les objectifs
des politiques mises en œuvre autant que leurs instruments (par exemple : le droit à une alimentation
de qualité se traduit par la garantie d’un repas sain par jour, ou l’accès à l’éducation par la gratuité de
la scolarité).
Enfin, la nature même du problème de pauvreté des enfants est désormais devenue, dans l’esprit
des décideurs, un problème d’accès aux droits fondamentaux, davantage, par exemple, qu’un pro-
blème de revenu ou de pouvoir d’achat des parents, ce qui n’est pas sans effets sur les mesures
prises ni sur la manière dont la lutte contre la pauvreté des parents et des familles peut évoluer.
En outre, comme on l’a vu également, le public des enfants pauvres est subdivisé en différents types
de publics plus spécifiques regroupés au sein d’une catégorie englobante « d’enfants dans le be-
soin ». Par ce truchement, l’enfance comme catégorie d’action publique connaît une nouvelle spé-
cification qui l’éloigne de celle, générale et abstraite, d’être « vulnérable », historiquement portée par
la Convention internationale des droits de l’enfant.
Ce document met en œuvre, au niveau belge, les accords européens portant sur la garantie pour
l’enfance. Il souligne d’emblée que le rôle joué par l’échelon fédéral porte principalement sur la coor-
dination des actions menées par les entités fédérées du pays qui sont compétentes pour les ma-
tières concernées : « La lutte contre la pauvreté des enfants nécessite une approche coordonnée
des différents domaines politiques. Les interventions politiques se situent à l’intersection de diffé-
rents domaines politiques tels que le bien-être, la jeunesse, l’éducation et la santé. Les mesures
visant à briser le cercle vicieux de la pauvreté se trouvent donc dans les différentes politiques et
plans d’action des organes politiques concernés » 67.
Ce plan d’action fixe pour objectif à l’État fédéral et aux entités fédérées de sortir 93 000 enfants de
la pauvreté à l’horizon 2030 (sur les cinq millions d’enfants « dans le besoin » recensés aujourd’hui
en Europe). Cet objectif doit être atteint à travers quatre axes de travail :
1. « Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient effectivement et gratuitement accès à une
éducation et à des soins de qualité pour la petite enfance, à des activités éducatives et sco-
laires, ainsi qu’à un repas sain chaque jour d’école ;
2. Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient un accès effectif et gratuit à des soins de
santé de qualité ;
3. Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient effectivement accès à une alimentation suf-
fisante et saine, notamment au moyen du programme européen pour la consommation de
fruits, de légumes et de lait dans les écoles ;
4. Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient effectivement accès à un logement adé-
quat. » 68
Le plan répertorie ensuite l’ensemble des actions actuellement menées dans les entités fédérées
du pays dans le cadre de ces quatre axes.
Il détaille également les différentes sources de financement européen qui soutiendront la mise en
œuvre du plan.
Il propose, enfin, un détail des indicateurs existants pour circonscrire le groupe des « enfants dans le
besoin », désormais public cible de la politique de lutte contre la pauvreté infantile. Il énumère cer-
tains types d’« enfants dans le besoin » déjà identifiés, en soulignant le caractère non exhaustif de ce
premier inventaire : les enfants vivant dans un ménage à très faible intensité de travail, les enfants
des familles monoparentales, les enfants en situation de handicap, les enfants vivant dans une fa-
mille dont au moins un des parents est en situation de handicap, les enfants vivant dans de mau-
vaises conditions de logement, les enfants issus de l’immigration, les enfants dont les parents sont
nés à l’étranger.
66
Document accessible via ce lien : https://www.mi-is.be/fr/nouvelles/garantie-europeenne-pour-lenfance-le-plan-dac-
tion-national-de-la-belgique-0#:~:text=La%20Belgique%2C%20qui%20présidera%20l,entre%200%20et%2018%20ans.
67
Plan d’action national belge Garantie européenne pour l’enfance 2022-2030, pp. 3-4.
68
Id., p. 16.
Cette évolution récente ne doit toutefois pas masquer les actions entreprises depuis 2019 par la Fé-
dération Wallonie-Bruxelles et la Wallonie dans la lutte contre la pauvreté des enfants. Cette pro-
blématique occupe, en effet, une place importante dans les préoccupations politiques actuelles :
elle est abordée explicitement par les déclarations de politiques communautaire et régionale adop-
tées au début de la législature 2019-2024 et fut intégrée aux différents plans de lutte contre la pau-
vreté mis en place par les Gouvernements de la Fédération et de la Wallonie durant la législature.
Enfin, il est également important de relever que la Wallonie dispose depuis la sixième réforme de
l’État d’un outil de protection sociale particulièrement important en matière de lutte contre la pau-
vreté des enfants : les allocations familiales.
Ce document fixe, dès le troisième paragraphe de son introduction, une priorité d’action en matière
de « pauvreté infantile » : « Le Gouvernement s’engage ß définir un plan quinquennal de lutte contre
la pauvretè́ en collaboration avec les acteurs du secteur, ciblant en particulier la pauvretè́ infan-
tile » 70.
Cette ambition touche à différentes compétences exercées au niveau de la FW-B. Tout d’abord en
matière d’enseignement : le Gouvernement s’engage à la gratuité de l’école : « Le coût de l’éducation
constitue encore actuellement un problème pour de nombreuses familles. À terme, l’école doit de-
venir gratuite » 71.
69
Consultable ici et citée ci-après sous l’acronyme « DPC » : https://gouvernement.cfwb.be/home/publications/declara-
tion-de-politique-communautaire.html
70
DPC, p. 3.
71
DPC, p. 15.
72
DPC, p. 27.
Ce plan intègre à l’analyse de la pauvreté infantile, le taux de déprivation des enfants mesuré selon
la méthode adoptée au niveau européen en 2018 (voir supra). En partant de cette analyse de la si-
tuation, le plan s’inscrit dans la lignée du « rapport pauvreté 2019 » du Délégué général aux droits de
l’enfant et de l’analyse livrée par la Fondation Roi Baudouin dans l’étude « La pauvreté et la dépriva-
tion des enfants en Belgique. Comparaison des facteurs de risque dans les trois Régions et les pays
voisins », évoqués précédemment. Dans cet esprit, ce plan intègre également l’idée selon laquelle
la pauvreté infantile est « intimement liée au risque de pauvreté et d’exclusion sociale des pa-
rents » 77.
Cependant, malgré cette prise en compte de la situation de pauvreté des familles, le plan développe
une perspective spécifiquement orientée vers les enfants, en tant que public cible de son action, en
le justifiant sur la base des nombreuses compétences exercées en matière d’enfance. Ainsi, par ce
plan, la FW-B définit un rôle à jouer pour l’entité pour « enrayer les mécanismes inégalitaires qui
touchent directement ces enfants et stopper, dès le plus jeune âge, la transmission intergénération-
nelle de la pauvreté » 78. En se positionnant de cette façon, la FW-B donne au plan un objectif central
en matière de lutte contre la pauvreté infantile : « garantir à ces enfants – et à leurs parents – un
meilleur accès et usage à des services de qualité en matière d’enseignement, de culture, de sport,
de loisirs, d’accueil de la petite enfance » 79. Ce plan semble donc traduire une mise à l’agenda poli-
tique de la « pauvreté infantile », constituée en problème public depuis la fin des années 2000.
• Axe I : Garantir l’accessibilité des services de la FW-B et de l’offre des opérateurs partenaires
aux personnes en situation de pauvreté ;
• Axe II : Prévenir les situations de vulnérabilité tout au long du parcours de vie des publics
dans les compétences de la FW-B ;
73
Ibid.
74
Ibid.
75
DPC, p. 28.
76
Consultable ici : http://www.federation-wallonie-bruxelles.be/index.php?eID=tx_nawsecu-
redl&u=0&g=0&hash=be119816ce69c7a95649d970ba83353f4476d5f3&file=fileadmin/sites/por-
tail/uploads/PDF/Plan%20Pauvrete%20FW-B%202020-2025%20-%20Version%20finale%20%2810.02.21%20%29.pdf
77
Plan de lutte contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités, p. 29.
78
Ibid.
79
Ibid.
Dans le plan se retrouvent définies comme objectifs politiques des recommandations du Délégué
général aux droits de l’enfant. Plusieurs mesures vont, en effet, dans le sens d’une amélioration de
l’accès à l’enseignement et à l’éducation en misant, notamment, sur la gratuité (ou à tout le moins
une adaptation des tarifs aux revenus des familles) 80. Ces mesures sont envisagées tant pour la petite
enfance, par la facilitation de l’accès financier aux crèches, que pour l’enseignement, avec l’objectif
d’un renforcement de la gratuité de l’enseignement, l’adaptation des tarifications des activités paras-
colaires et garderies scolaires ainsi qu’une extension de la gratuité des cantines scolaires. En matière
de mobilité, le plan invite à une « réflexion sur les frais de déplacement » des jeunes et de leur famille
afin de leur permettre d’accéder aux différents services de l’aide à la jeunesse, toutefois sans enga-
gement relatif à la gratuité des transports, approche pourtant recommandée par le Délégué général
aux droits de l’enfant.
En matière d’infrastructures et de maillage territorial de celles-ci, l’accent est mis sur une améliora-
tion de la qualité des infrastructures scolaires afin de contribuer à un mieux-être des enfants. De
même, le renforcement du maillage territorial des milieux d’accueil pour enfants en bas âge est fixé
comme priorité, l’objectif étant, à ce niveau, d’augmenter la fréquentation des milieux d’accueil avant
la maternelle afin de réduire les inégalités d’apprentissage durant la période de scolarité obligatoire.
De même, l’amélioration de l’accès à l’infrastructure numérique est envisagée par le plan à travers la
mise en œuvre d’une stratégie numérique adaptée intégrant autant les aspects techniques que les
compétences personnelles des enfants et des parents.
Enfin, le développement de services adaptés auprès de publics spécifiques est également envisagé
comme priorité d’action par le plan.
80
Cette tension entre « gratuité » et « adaptation aux situations des enfants et des familles » renvoie à une tension particulière.
Cette tension fait cohabiter, d’une part, une logique « universaliste » inhérente à la Déclaration des Nations-Unies sur les droits
de l’enfant adoptée en 1959 et traduite en traité international en 1989. Cette logique se traduit, par exemple, dans le principe
de « gratuité », qui permet la mise en œuvre d’un accès universel à différents droits comme l’éducation, la culture, la mobilité,
etc. D’autre part, une logique « individualiste » inhérente à l’État social actif, qui suppose une adaptation de l’action publique
à la diversité des situations. Dans ce cas précis, le Plan absorbe, en quelque sorte, cette tension, en fixant le principe de
gratuité comme objectif tout en prônant une logique d’individualisation des droits d’accès par une adaptation de l’action à la
diversité des situations de revenus. Pour la mobilité, par contre, c’est l’optique « individualiste » qui est poursuivie par le plan.
81
Consultable ici et cité ensuite sous l’acronyme PADE FWB : https://oejaj.cfwb.be/droitsdelenfant/les-droits-de-lenfant-
en-belgique/
82
PADE FWB, pp. 1-2.
Le PADE 2020-2024 établit un axe d’action spécifiquement dédié à la lutte contre la pauvreté des
enfants intitulé : « Lutter contre la pauvreté en améliorant l’accessibilité des structures et activités
propices à l’intégration sociale et à l’épanouissement personnel ». Cet intitulé met l’accent sur deux
dimensions de cette action : la garantie d’accessibilité aux structures et activités et l’attention priori-
taire apportée à l’intégration sociale et à l’épanouissement personnel, envisagés comme principaux
leviers de cette lutte.
Cet axe dédié à la lutte contre la pauvreté infantile comporte dix objectifs déclinés, le cas échéant,
en plusieurs mesures.
Ces dix objectifs 85 concernent les compétences exercées par la Fédération en matière d’enseigne-
ment, d’accueil de la petite enfance, de culture, de sport et d’aide à la jeunesse. Ils intègrent égale-
ment une approche transversale et de coordination.
83
« C’est en se nourrissant de la parole des enfants et des jeunes, dans les contraintes de la situation sanitaires et dans les
limites des délais impartis, qu’ont été identifiées les principales mesures à ériger au rang de priorités. Dans le cadre du pro-
cessus "Nos droits, nos voix", une enquête par questionnaire auprès de plus de 2 000 enfants et jeunes âgés entre 5 et 17 ans
a été menée dans les cinq provinces de la Région wallonne ainsi qu’en Région bruxelloise. Les résultats de cette enquête ont
été affinés dans un volet qualitatif qui a permis de récolter le point de vue d’enfants issus de groupes vulnérables difficilement
atteignables par le volet quantitatif de la consultation. Ce faisant, nous voulons rappeler que ce plan d’action est plus qu’une
feuille de route gouvernementale. Il définit un instrument vivant, une opportunité et un laboratoire d’intelligence collaborative
dans lequel la société civile et les enfants sont considérés comme de véritables experts et partenaires. Les enfants et les
jeunes ont des choses à nous dire et il est essentiel de leur donner voix au chapitre. La plupart de ceux qui ont été consultés
ont l’impression d’être négligés dans la résolution des problèmes. Ils estiment que les adultes décident des mesures sans
solliciter leur avis, alors même qu’ils souhaitent l’exprimer. » PADE CFWB, p. 2.
84
Les neuf axes d’action retenus sont les suivants : (1) lutter contre la pauvreté en améliorant l’accessibilité des structures et
activités propices à l’intégration sociale et à l’épanouissement personnel ; (2) prévenir toute forme de violence et de harcèle-
ment ; (3) garantir la participation des enfants aux décisions qui les concernent ; (4) soutenir la prise en charge des besoins
fondamentaux des plus vulnérables ; (5) maintenir le lien avec les parents ; (6) former les futurs enseignants et professionnels
des milieux d’accueil ainsi que le personnel de la fonction publique à une prise en compte systématique des droits de l’enfant ;
(7) favoriser les interactions entre secteurs en charge des enfants en matière de gestion de crise ; (8) amplifier le pilotage des
droits de l’enfant ; (9) élargir la coopération intra-francophone relative aux droits de l’enfant et en améliorer la gouvernance.
85
Ces objectifs en matière de lutte contre la pauvreté des enfants sont les suivants :
1.1. Poursuivre les efforts engagés en vue de garantir la gratuité à l’école
1.2. Organiser la collaboration entre le secteur de l’enseignement et celui de l’accueil temps libre
1.3. Lutter contre le décrochage scolaire
1.4. Développer une stratégie visant à ce que tous les enfants en situation de pauvreté aient l’opportunité de fréquenter
une collectivité avant l’entrée à l’école maternelle
1.5. Garantir l’accès à la culture et à l’accueil temps libre
1.6. Garantir l’accessibilité des activités sportives
1.7. Améliorer l’accessibilité des activités jeunesse
1.8. Favoriser l’intégration d’enfants venant d’horizons culturels différents dans un environnement solidaire et accueillant
1.9. Réduire la fracture numérique
1.10. Coordonner la lutte contre la pauvreté avec les autres niveaux de pouvoir
En matière de culture, plusieurs objectifs convergent pour mettre en exergue le rôle essentiel de
l’accès à la culture dans la lutte contre la pauvreté, que cela soit en favorisant le développement
d’activités culturelles dans le temps scolaire ou extrascolaire, ou dans leur promotion au sein des
milieux d’accueil préscolaires. Cette promotion de l’accès à la culture passe par des leviers principa-
lement non monétaires liés au développement de logiques d’intégration de la culture et des arts à
l’enseignement, ainsi qu’à un travail de rapprochement des acteurs de l’enseignement et de la cul-
ture en vue de faciliter leurs collaborations. Cela passe également par un ancrage plus fort des mi-
lieux d’accueil des enfants dans leur environnement proche en suscitant le développement de rela-
tions avec les milieux associatifs locaux. L’accessibilité aux activités culturelles (mais aussi de loisirs
ou de jeunesse) est également envisagée au plan géographique, avec une attention particulière aux
difficultés de mobilité dans les zones rurales.
En matière de petite enfance, le plan intègre un objectif doté d’une série de mesures visant à assurer
un meilleur accès aux milieux d’accueil pour les publics les plus pauvres et précarisés. Outre un
travail spécifique sur l’accessibilité financière, le plan prévoit une action en matière de développe-
ment des places d’accueil ainsi que plusieurs mesures visant à une meilleure intégration des milieux
d’accueil dans leur environnement immédiat afin de favoriser l’accès des publics locaux touchés par
la pauvreté ou la précarité, ceci par un accompagnement ciblé des milieux d’accueil existants leur
permettant de développer des actions concrètes en la matière.
La lutte contre le décrochage scolaire constitue également un objectif important destiné à des pu-
blics spécifiques et doté de différents types de mesure d’accompagnement, y compris en cas d’ex-
clusion de l’élève du milieu scolaire.
La lutte contre la fracture numérique s’appuie sur l’équipement informatique des milieux scolaires,
une aide financière (réductions) destinée à l’acquisition de matériel informatique par les familles pour
leurs enfants ainsi que sur l’apprentissage de l’usage des outils informatiques à l’école.
L’intégration des publics issus d’horizons culturels différents doit bénéficier d’une meilleure forma-
tion des différents professionnels impliqués dans l’accueil et l’éducation des petits enfants, des en-
fants et des jeunes.
Enfin, le PADE soutient la nécessité d’une meilleure coordination des différents acteurs de la lutte
contre la pauvreté dans le cadre de l’accord de coopération de 1999 unissant les différents niveaux
de pouvoir (Fédéral, Communautés, Régions). L’optique est de développer et de renforcer le travail
conjoint mené sur la problématique de la pauvreté infantile.
La Déclaration concentre son attention sur l’emploi comme levier majeur de sa politique de lutte
contre la pauvreté : « Conscient que l’emploi est un levier important pour combattre la pauvreté, le
Gouvernement soutiendra l’insertion professionnelle et la formation en particulier aux métiers en de-
mande (métiers en pénurie et métiers d’avenir) afin de continuer ß améliorer le taux d’emploi et ß
réduire le taux de chômage wallon » 88. La Déclaration confère également un rôle à la Région wal-
lonne dans l’émancipation de ces concitoyens : « La Wallonie se doit de soutenir et de permettre
l’émancipation de tous ses habitants, en particulier les plus fragiles. Elle mettra donc tout en œuvre
pour assurer ß chacun une vie digne et de réelles perspectives d’avenir » 89.
La lutte contre la pauvreté fait l’objet d’un chapitre complet de la Déclaration. Le neuvième chapitre
du document (sur 29) est intitulé : « La lutte transversale contre la pauvreté et pour la réduction des
inégalités » 90. Ce chapitre dresse les grandes lignes d’« un nouveau plan stratégique, avec budget
ad hoc, de lutte contre la pauvreté et de réduction des inégalités » 91. L’ambition du Gouvernement
est de développer une action qui s’appuie sur une logique de « consolidation et de coordination »
avec l’autorité fédérale et la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans l’esprit de l’accord de coopération
de 1999.
La question de la « pauvreté infantile » est reprise comme premier élément d’une liste de neuf thé-
matiques que ce plan devra, pour le Gouvernement, veiller à intégrer. À ce sujet, la Déclaration in-
dique que le futur plan de lutte contre la pauvreté en Wallonie devra « évaluer l’impact des politiques
pour y traquer les causes fondamentales de la pauvreté infantile et prendre des mesures soutenant
les familles précarisées et monoparentales (qui ont souvent des femmes à leur tête) » 92.
Hormis cette ligne directrice fixée en matière de lutte contre la pauvreté infantile, la Déclaration in-
tègre également, dans le cadre son chapitre 28 dédié à l’Europe et à l’international, la création d’une
« garantie pour l’enfance » qui vise à ce que « chaque enfant en Europe en risque de pauvreté ou
86
Consultable ici : https://www.wallonie.be/sites/default/files/2019-09/declaration_politique_regionale_2019-2024.pdf ;
elle sera citée selon l’acronyme « DPR » dans la suite du document.
87
DPR, p. 3.
88
Ibid.
89
Ibid.
90
DPR, pp. 48-49.
91
DPR, p. 48.
92
Ibid.
Le volet transversal « entend apporter des mesures de sortie de la pauvreté qui relèvent de l’en-
semble des compétences wallonnes » 95. Il se décline autour de trois axes : (I) l’offre d’outils et de
bonnes pratiques en matière de sortie de la pauvreté à destination des pouvoirs locaux, (II) l’élabo-
ration et la mise en œuvre d’une stratégie de réduction du non-recours aux droits et (III) le soutien
aux familles monoparentales.
Le volet « politiques sociales » s’organise également autour de trois axes : (I) l’accès à l’insertion so-
cioprofessionnelle pour toutes et tous, (II) l’accès au logement pour toutes et tous et (III) l’accès au
bien-être pour toutes et tous. Ces trois axes concernent des compétences spécifiques exercées par
les pouvoirs publics wallons et visent, par conséquent, des ministres et ministères spécifiques pour
leur mise en œuvre.
Les différentes mesures développées au sein de ces deux volets sont adressées à six publics cibles :
les familles monoparentales, les enfants, les femmes, les personnes d’origine étrangère, les sans-
abris et les personnes en situation de handicap.
Les « familles monoparentales » bénéficient d’une attention particulière puisqu’elles sont spécifique-
ment visées par les mesures transversales. Cette attention contribue à la lutte contre la pauvreté
infantile en visant, en particulier, à la facilitation de l’accès aux services de garde d’enfants par, d’une
part, une information spécifique à l’égard de ce public visant à réduire le non-recours aux droits en
matière de service de garde et, d’autre part, un soutien financier aux demandeurs d’emploi chef.fe.s
de famille monoparentale par l’élargissement du bénéfice de l’intervention du Forem dans les frais
de crèche et de garderie.
• [mesure 1.8] la gratuité progressive des transports en commun pour les jeunes jusqu’à 25
ans ;
• [mesure 3.4] des collations saines gratuites dans les écoles maternelles et primaires à indice
socio-économique faible ;
• [mesure 3.6] allocations familiales : lutte contre le non-recours aux droits et étude prospec-
tive sur la pauvreté infantile ;
• [mesure 3.9] création et développement d’infrastructures d’accueil de la petite enfance.
Les mesures proposées par le plan s’inscrivent dans la logique d’accès à certains droits fondamen-
taux en matière de mobilité, d’alimentation, d’allocations familiales ou d’accueil de la petite enfance.
Ces différentes mesures sont envisagées de façon ciblée sans inscription dans une logique d’en-
semble :
• pour la gratuité de la mobilité, le plan envisage une diminution du prix des abonnements aux
transports en commun, sans intégrer, notamment, l’enjeu de la couverture territoriale ;
93
DPR, p. 117.
94
Cité ci-après sous l’acronyme PlanSOP et consultable ici : https://www.wallonie.be/sites/default/files/2021-11/plan_wal-
lon_de_sortie_de_la_pauvrete.pdf
95
PlanSOP, p. 29.
Nonobstant ces quatre mesures, d’autres mesures prévues par le Plan wallon de sortie de la pau-
vreté peuvent également avoir un impact direct ou indirect sur l’état de pauvreté des enfants en
Wallonie. C’est le cas des mesures adoptées en matière de logement, d’accès à l’énergie, d’accès
aux soins de santé de première ligne ou de tourisme :
Le PADE 2020-2024, actuellement en vigueur, a été adopté par le Gouvernement wallon le 16 dé-
cembre 2020 96. Il comporte cinquante-quatre mesures réparties en trois axes : (1) l’axe gouvernance
et pilotage des politiques publiques, (2) l’axe communication/information/formation et (3) l’axe accès
aux droits/lutte contre les inégalités.
Dans le cadre de ce PADE, l’axe 3 est dédié à l’accès aux droits et à la lutte contre les inégalités.
Aucune mesure envisagée ne fait spécifiquement référence à la pauvreté infantile. Les documents
accessibles sur le site s’avèrent trop lacunaires pour pouvoir établir une analyse du cadre wallon de
lutte contre la pauvreté infantile développé dans l’actuel PADE 2020-2024 97.
96
Voir : http://cohesionsociale.wallonie.be/actions/PADE
97
La rédaction du présent document se clôturant le 22 avril 2024, il n’a pas été possible d’intégrer les résultats de ce PADE
présenté dans un rapport spécifique adopté, en principe, par le Gouvernement wallon le 30 avril 2024.
En Wallonie, pour les enfants nés avant le 1er janvier 2020, les montants des AF varient selon l’âge et
la place dans la famille. Des suppléments sociaux existent également pour les ménages dont le
revenu ne dépasse pas un certain montant. Le régime d’allocations familiales belge a été réformé, à
partir de 2019, par les Régions. Elles deviennent, dans les trois entités, un droit de l’enfant – lié à son
existence et non plus au statut de l’attributaire. Ces nouveaux systèmes, pour les enfants nés à partir
de 2019, proposent un montant lié à l’âge pour tout enfant, complété par des suppléments sociaux
ciblés sur les familles vulnérables, en y intégrant les travailleurs pauvres (Guio et Vandenbroucke,
2019 : 42). Les deux systèmes coexistent donc.
Il y a à la fois une redistribution horizontale, basée sur la solidarité entre les familles avec enfants et
les familles sans enfant, et verticale, par un mécanisme de distribution des hauts revenus vers les
bas revenus. Nous nous demanderons quelle est l’efficacité de cette redistribution verticale et donc
l’impact des allocations familiales sur la pauvreté des enfants à travers un examen de la littérature.
Les parents eux-mêmes sont nombreux à juger les AF importantes dans le budget du ménage. Ce
degré d’importance est confirmé par la consommation immédiate de la quasi-totalité des allocations
familiales (UCM, 2014 ; FAMIFED, 2016). L’importance des allocations familiales pour le budget dé-
pend cependant de plusieurs facteurs : le montant du revenu familial disponible, le sexe du parent,
son âge et la taille du ménage. Ces allocations représentent également une part dans le budget plus
importante pour les jeunes ménages que pour les plus âgés. Enfin, les familles nombreuses et mo-
noparentales sont plus nombreuses à les juger importantes dans leur budget familial (Hosdey-Ra-
doux et al., 2018 : 22). Cela rejoint l’analyse de Steenssens et al. (2008) d’après lesquels les AF auraient
98
Le point 2.7.4. a été rédigé par Juliette Garain (AVIQ). Cette section a pour objectif de clarifier le rôle joué par les allocations
familiales dans la lutte contre la pauvreté des enfants. Dans cette perspective, l’analyse vise les effets du dispositif et non la
présentation du dispositif lui-même, comme nous l’avons réalisé dans les sections précédentes.
99
Situation au 31 décembre 2018, chiffres publiés par Famifed.
100
Si ces deux études datent, leur analyse est comparable à celle de l’impact des transferts sociaux de 2018. On peut donc
avancer que leur conclusion est toujours valable actuellement.
En plus d’être une source de revenus appréciable pour les familles vivant dans la pauvreté, les allo-
cations familiales sont précieuses pour ces dernières, car il s’agit là d’un montant fixe et prévisible
dans leur revenu. En effet, l’automatisation de l’ouverture des droits fait que peu de familles sont
confrontées à un problème d’accès au droit aux allocations familiales (Galand et al., 2013 : 116). Les
montants exacts sont versés chaque mois avec une charge administrative minimale (UCM, 2014 : 3).
Ces constats positifs sur l’impact des AF sur la pauvreté des enfants demandent néanmoins
quelques nuances.
Si la réduction de la pauvreté des enfants bénéficie indubitablement du système des AF, ces pres-
tations ne sont pas suffisantes pour prévenir complètement le risque de pauvreté. Pour de nombreux
auteurs, en effet, les AF ne suffisent pas à couvrir le coût minimal des enfants en Belgique (Storms
et Bogaerts, 2012 ; Cantillon et al., 2013 ; Van Lancker et Coene, 2013 ; Frans et al., 2014). Même si leur
montant a été adapté, les transferts qu’elles permettent restent insuffisants, y compris pour les en-
fants de personnes bénéficiant du taux majoré pour les chômeurs de longue durée et les personnes
porteuses d’un handicap (Storms et Bogaerts, 2012 : 620).
Des pistes d’explications ont été proposées, comme le fait que les suppléments d’âge, à mesure que
les enfants grandissent, restent insuffisants. Ils n’ont pas suivi le pouvoir d’achat (Storms et Bogaerts,
2012 : 620). Une autre explication tiendrait au fait que le montant des AF ne concorde pas avec le
coût réel de la vie (Storms et Bogaerts, 2012 ; Cantillon et al., 2013 ; Van Lancker et Coene, 2013). En
effet, avec le temps, les AF ont diminué de valeur. Selon Storms et Bogaerts, les salaires des ouvriers
et employés se sont accrus plus rapidement que l’augmentation du montant des AF.
Cette inadéquation avec le coût de la vie a un impact particulièrement important pour les familles
avec un emploi peu rémunéré et les familles monoparentales (Frans et al., 2014 : 14). Après transferts,
ces familles restent très vulnérables (Cantillon et al., 2013). Le poids de la sélectivité, et donc de la
solidarité verticale, dans le système belge d’AF est très limité, ce qui se traduit par une incapacité
relative à réduire sensiblement le risque de pauvreté des familles les plus vulnérables (Van Lancker
et Coene, 2013 : 285).
Il s’avère par conséquent que, dans la situation actuelle, le fait d’avoir des enfants augmente le risque
de pauvreté en faisant baisser le niveau de vie des familles. Dans ce contexte, de nombreux auteurs
en appellent à réévaluer le système de prestations familiales afin de les rendre plus efficaces dans
la lutte contre la pauvreté des familles avec enfants (Storms et Bogaerts, 2012 ; Van Lancker et
Coene, 2013).
INTRODUC-
CHAPITRE 2
101
Pour l’économiste et sociologue français Laurent Thévenot, le « gouvernement par objectif » consiste en une réduction des
objectifs politiques à la seule mesure : « Une place sans précédent est accordée ß la mesure, dans le double sens de la
quantification servant ß la détermination d’une valeur, et de la mesure politique. Plus précisément la mesure prend la forme
de l’objectif, la réalisation de l’objectif visè étant évaluée ß l’aune d’une mesure prétendant ß l’objectif. » (Thévenot, 2010 : 2),
102
Dans la perspective critique déployée par Alain Supiot, la mesure est centrale dans le fonctionnement d’une action politique
conçue comme une « machine à gouverner » : « L’état de délabrement institutionnel où se trouve plongée l’Europe procède
d’une certaine façon de penser le gouvernement des hommes, qui est apparue à l’aube de temps moderne et continue de
dominer son imaginaire normatif. Cet imaginaire consiste à se représenter le gouvernement comme une technique de pou-
voir, comme une machine dont le fonctionnement doit être indexé sur la connaissance scientifique de l’humain. » (Supiot,
2020 : 49).
103
La Nouvelle Gestion Publique se fonde sur deux principes : d’une part, une organisation efficiente de l’action administrative
qui veille à atteindre des résultats évaluables, et d’autre part, une structure administrative qui se décentralise autant en interne
que dans ses relations avec le monde extérieur à travers une contractualisation de ses objectifs stratégiques et opérationnels
avec le monde politique, à travers la collaboration avec le secteur privé pour développer ses activités et via l’implication des
usagers dans ses activités (De Visscher, 2004). Elle fut progressivement mise en place en Belgique dans le courant des années
1990 et s’est institutionnalisée au niveau fédéral par la « Réforme Copernic » en 2000 (Joris, De Visscher & Montuelle, 2009).
104
Nous présentons brièvement dans la rétrospective (Chapitre 1) la façon dont, dans le courant des années 1990, s’est cons-
titué au sein des politiques sociales un mouvement de « dépillarisation » qui permet à l’État d’agir de façon directe à l’égard
des administrés sans que ne soient mobilisés les corps intermédiaires traditionnels, mais aussi que les « usagers » ou « béné-
ficiaires » interviennent dans la gestion publique par différents mécanismes de participation, comme c’est le cas notamment
en matière de lutte contre la pauvreté ou de droits de l’enfant. Voir à ce sujet : Bruyère et al., 2019 ; Zamora Vargas, 2017.
105
Cette approche privilégie l’analyse systémique et le développement de futurs alternatifs (Durance, 2014 ; Godet, 2009).
106
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
Ces trois objectifs de la prospective peuvent être déclinés, en s’appuyant sur d’autres auteurs (no-
tamment : Da Costa et al., 2008 ; Fobé et Brans, 2011 ; Lugan, 2006), en une série de fonctions qui
permettent de comprendre l’utilité de la prospective.
De façon générale, la prospective exploite ces différents outils et méthodes dans l’objectif de ré-
pondre à quatre questions clés :
• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie,
qu’un choix parmi les futurs possibles puisse être posé à un moment donné.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.
De façon indirecte, les connaissances prospectives développées en cours d’analyse jouent un rôle
de facilitation dans la mise en œuvre des décisions. En effet, le travail d’identification des futurs
107
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
Plus fondamentalement, en tant que démarche stratégique orientée vers l’action, le travail prospectif
est supposé contribuer à la transformation du système sous examen.
2.2.2 Baliser les futurs possibles de repères qui aident à distinguer les faits porteurs d’avenir
La prospective propose une gamme d’outils et de méthodes qui permettent de créer une lisibilité
de l’avenir. Plusieurs aspects des futurs identifiés dans un exercice prospectif comportent une utilité
intrinsèque pour orienter l’action présente.
Au niveau des évolutions possibles, la démarche prospective, grâce notamment à son approche
systémique, est apte à identifier les risques auxquels s’expose un système ainsi que les inerties dont
il peut être l’objet. Cette analyse permet d’envisager des phénomènes de transformation issus de
ruptures ou d’émergences d’innovation. L’identification de ces différents éléments permet d’établir
des enjeux, opportunités d’action ou germes de changements, tous éléments qui concourent à l’éta-
blissement de « faits porteurs d’avenir » dans le présent, soit des « faits infimes par leurs dimensions
présentes, mais immenses par leurs conséquences virtuelles » (Massé, 1962).
Tout d’abord, l’intégration d’experts, de parties prenantes et/ou de publics plus larges contribue à la
légitimation des démarches autant qu’à leur transparence. En outre, elle permet aux participants et
participantes de comprendre de l’intérieur les spécificités de la méthode employée dans la dé-
marche prospective.
Ensuite, l’information et les connaissances produites dans le cadre du dispositif permettent égale-
ment aux participants et participantes d’intégrer les différents éléments contribuant à la définition
des futurs possibles et souhaitables. Cette démarche leur permet donc de s’approprier les diffé-
rentes formes de changements possibles, ce qui aide à la compréhension des décisions.
En outre, les connaissances développées par les participants et participantes aux exercices pros-
pectifs permettent aussi d’adopter une posture critique. La démarche prospective permet, en effet,
de remettre en cause des idées reçues ou habitudes ainsi que, par le travail d’analyse rétrospective,
de questionner les choix et décisions dans le passé. Elles nourrissent ainsi le développement du libre
arbitre face à l’avenir, pour faire de ce dernier un espace de liberté plutôt que de fatalité.
Enfin, les dispositifs d’intelligence collective développés dans les démarches prospectives, par les
différents types de confrontation de points de vue qu’ils orchestrent, aident à l’alignement des posi-
tions exprimées et à l’établissement d’une vision commune.
Cette posture est le fruit d’un contexte particulier, lié aux défis de l’après-guerre. Dans la France en
reconstruction, la prospective naît de la prise de conscience progressive des limites de l’approche
planificatrice. Aux États-Unis, c’est sous l’impulsion de l’armée de l’air que se développe une réflexion
formalisée sur les futurs, sur fond de guerre froide et d’entrée dans l’ère atomique (Durance, 2014 ;
Andersson et Prat, 2015). Par la suite, l’échec répété des prévisionnistes à prévoir les grandes crises
et évolutions du monde (chocs pétroliers de 1974 et 1979, krach boursier de 1987, chute de l’Union
soviétique), n’ont cessé de mettre en évidence la nécessité d’intégrer la complexité, l’incertitude et
le temps long (Gouirand, 1996). La multiplication des ruptures entraîne souvent les décideurs à ré-
pondre dans l’urgence à des situations de crise, quand il est déjà trop tard. Pour sortir de la pure
réactivité, la prospective vise à adopter une attitude préactive (« se préparer à un changement anti-
cipé ») et proactive (« agir pour provoquer un changement souhaitable » (Godet, 2007).
Ce refus du déterminisme situe la prospective, parmi les différentes manières d’étudier le futur, aux
antipodes de la prévision. À la différence des prévisionnistes, qui basent souvent leurs travaux sur
des modèles mathématiques et des séries quantifiées, la prospective souligne l’instabilité de sys-
tèmes complexes et l’impossibilité d’en prédire les états futurs. Pour le dire comme certains socio-
logues, il y a une « indétermination objective présente à des degrés divers dans tout système social »
(Boudon et Bourricaud, 1982). La société n’est pas comparable à un mécanisme dont on pourrait
connaître et maîtriser tous les rouages.
L’ignorance et les limites de l’observateur ne sont pas seules en cause : même s’il nous était donné
de connaître le futur, tout porte à croire que personne n’agirait sur la foi d’une telle prédiction. Les
anticipations des acteurs font partie intégrante de la réalité sociale. Si ce n’était pas le cas, la pros-
pective perdrait sa raison d’être : cela signifierait en effet qu’une meilleure connaissance du futur
serait sans conséquence sur celui-ci et que nous n’aurions qu’à le subir. Or, dans certains cas, le
simple fait d’énoncer une prévision entraîne des conséquences telles qu’elles sont invalidées (pro-
phéties auto-destructrices) ou rendues vraies (prophéties auto-réalisatrices).
Pour certains chercheurs dans le domaine des Futures studies, la question du rapport à la prévision
ne se pose même pas, dans la mesure où la prospective telle qu’ils la conçoivent porte sur des
représentations du futur avant même de porter sur des tendances objectivables (Milojevi et Inayatul-
lah, 2015). On retrouve cette position dans les principes énoncés en guise de boutade sous le nom
de « Lois du Futur » par Jim Dator (2019), dont la première se lit comme suit : « I. "Le futur" ne peut
être "prédit" parce que "le futur" n’existe pas ». Le rôle du chercheur est dès lors de travailler sur les
« images du futur » que se font les participants et participantes à une démarche prospective, de
manière à imaginer avec eux d’autres futurs et, parmi ceux-ci, des futurs souhaitables, dans une
perspective stratégique.
Parce qu’ils n’entendent pas prédire l’avenir et ne constituent pas des « connaissances sur le futur »,
les énoncés issus d’une démarche prospective ne sont pas évaluables en termes de vérité et d’er-
reur. Ils s’expriment en effet « dans le langage de la possibilité (mode conditionnel) et non dans celui
108
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
Ces objectifs ont alimenté la mise en place d’un dispositif d’analyse visant au développement de
scénarios exploratoires destinés à alimenter la réflexion stratégique des décideurs et parties pre-
nantes en matière de politique de lutte contre la pauvreté des enfants. L’étude vise, par conséquent,
à alimenter un débat sur les évolutions possibles du système dans lequel s’insère cette politique.
La fragmentation que nous identifions concerne non seulement la diversité des parties prenantes
concernées par la pauvreté des enfants, mais aussi les représentations et cadres normatifs utilisés
par ces parties prenantes pour l’appréhender au niveau politique. Le projet et sa méthodologie doi-
vent donc pouvoir intégrer cet aspect. De ce point de vue, la demande de « large participation »
formulée par le Gouvernement tend à faciliter les choses puisqu’elle ouvre à ce que l’ensemble des
parties prenantes soient consultées et participent aux différentes phases de l’analyse prospective
sans qu’un secteur plutôt que l’autre soit privilégié. En outre, la demande, telle qu’elle est formulée,
permet également d’intégrer au projet les différents niveaux de pouvoir et entités concernés.
Comme nous le verrons, le dispositif participatif mis en place vise, d’une part, à consulter les parties
prenantes sur leurs représentations de la problématique, des enjeux et de leurs visions des évolu-
tions futures, et d’autre part, de leur permettre de collaborer au-delà des partages institutionnels,
pour s’acculturer à la diversité des représentations existantes et aux enjeux transversaux des poli-
tiques menées en matière de pauvreté des enfants. Cette démarche n’a donc pas de finalité déci-
sionnelle, elle relève spécifiquement du domaine cognitif, les participants et participantes étant
amenés à expliciter leurs représentations, mais aussi à les mettre en question et à les faire évoluer.
La faible maturité que nous évoquons renvoie aux constats d’une problématisation publique très
récente de la pauvreté des enfants. Le Plan d’action national pour l’enfance adopté dans le courant
des années 2000 a inauguré la mise en place de différents plans et initiatives à tous les niveaux de
pouvoir. Des tentatives d’articulations ont également émergé, notamment par la coordination des
Plans d’action en matière des droits de l’enfant développés conjointement par la Wallonie et par la
Fédération Wallonie-Bruxelles et, très récemment, dans le cadre de la mise en œuvre de la garantie
européenne pour l’enfance 109. Il s’avère, cependant, que ces différentes initiatives se construisent de
façon sectorielle, selon les politiques impliquées, mais qu’aucun cadre commun aux différentes po-
litiques concernées n’a encore été mis en place, même si l’on peut subodorer que la garantie pour
109
Voir Chapitre 1.
On peut s’interroger, par exemple, sur le sens d’une politique visant à l’« investissement dans la petite
enfance » 110 motivée par des analyses montrant que la « réussite » sociale est davantage condition-
née par l’environnement de vie de l’enfant durant ses premières années et par les situations rencon-
trées par les familles, et en particulier par les femmes, confrontées à un marché de l’emploi aux
salaires insuffisants pour faire face aux dépenses multiples que suppose une vie de salarié et de
parent. Ce type d’approche, qui est tout à fait défendable et certainement pertinente, semble envi-
sager exclusivement la problématique à travers les publics concernés : des « familles monoparen-
tales » à « faible revenu », des « enfants en âge préscolaire », en l’occurrence, auxquels s’adaptent
des dispositifs d’action spécifiques. La problématique d’ensemble et l’horizon social de ces politiques
demeurent implicites. Ils semblent correspondre à une approche de type « État social actif » qui vise
à permettre aux personnes, en fonction des particularités de leur situation, de bénéficier d’une aide
adaptée à leurs besoins en les « encapacitant » afin d’améliorer leur situation de vie personnelle,
sans pour autant que ne soit visé un horizon de justice social d’ensemble intégrant la question poli-
tique des inégalités.
La question des implicites et, en particulier, du rôle joué par l’État et les pouvoirs publics dans les
politiques sociales, est l’objet de désaccords et de tensions entre les différentes parties prenantes.
Le caractère transversal de la pauvreté des enfants semble les faire émerger de façon assez
110
La question d’une conception nouvelle de l’action à l’égard de l’enfance dans la lutte contre la pauvreté est aujourd’hui
mise en exergue par les acteurs de la petite enfance qui relaient les thèses avancées par certains économistes spécialistes
des questions de pauvreté et de sécurité sociale depuis le milieu des années 2000, à travers l’idée « d’investissement dans la
petite enfance », associée aux travaux de l’économiste James Heckman, Prix de la Banque de Suède en 2000 (voir Behaghel
et al., 2023). Ces thèses ont été amplifiées et confortées dans les années 2010, notamment suite à la diffusion des travaux
menés en neurosciences sur la plasticité neuronale et le développement du cerveau des enfants (par exemple, sur l’effet du
stress dû à la pauvreté sur le cerveau des enfants, voir Blair et Cybele Raver, 2016). Une initiative comme celle de l’UNICEF,
basée sur le concept des « 1 000 premiers jours » (de la conception aux deux premières années de l’enfant), témoigne de
l’importance croissante de cette littérature scientifique dans l’élaboration de politiques publiques centrées sur l’enfance (pour
une discussion plus générale sur ce point, voir Broer et Pickersgill, 2015).
En sciences sociales, cette position s’inscrit également dans la suite des travaux de l’économiste et sociologue danois Gøsta
Esping-Andersen. Dans son ouvrage de 2008, Trois leçons sur l’État-providence (Esping-Andersen, 2008), cet auteur a iden-
tifié l’importance de prendre en compte l’âge préscolaire comme vecteur d’(in)égalités sociales. Selon les analyses qu’il dé-
veloppe dans la « deuxième leçon », le défaut des politiques sociales dans leur lutte contre les inégalités est de s’être focali-
sées sur les âges scolaires et d’avoir négligé la période préscolaire qui est, d’après lui, cruciale pour le développement des
capacités d’apprentissage de l’enfant, pour sa réussite scolaire future et, donc, pour son insertion future dans la société en
tant qu’adulte. En outre, l’investissement dans les infrastructures d’accueil de la petite enfance génèrerait d’autres effets ver-
tueux en matière d’emploi des femmes. Comme le dit Caroline Helfter dans sa recension de l’ouvrage d’Esping-Andersen :
« Le défi consiste donc à garantir un bon départ à tous les enfants. À cet égard, les structures collectives d’accueil ont un rôle
crucial. D’une part, parce que l’accès à un mode de garde abordable favorise l’activité des mères, surtout des plus faiblement
qualifiées. Or soutenir l’emploi des femmes, en particulier au bas de l’échelle des revenus, constitue un puissant moyen de
lutter contre la pauvreté infantile et ses conséquences au plan de l’échec scolaire et des coûts sociaux que celui-ci engendre.
Sans compter que les dépenses allouées à la garde d’enfants sont concrètement remboursées grâce à l’augmentation des
revenus de la mère tout au long de sa vie, soit aussi à celle des impôts que l’intéressée verse à l’État » (Helfter, 2010). L’inves-
tissement dans la petite enfance permettant un accueil des enfants hors de leur famille, il contribuerait également à rompre
les phénomènes de reproduction sociale de la pauvreté : « L’accueil des enfants hors de la famille permet, d’autre part, de
lutter contre les mécanismes-clés de l’hérédité sociale. En termes de stimulation des tout-petits comme de temps qui leur
est consacré par les parents – et, singulièrement, les pères –, il existe effectivement de fortes disparités qui dépendent du
niveau de qualification des parents et s’exercent au détriment des enfants des milieux défavorisés. Or, contrer l’impact de la
culture familiale est d’autant plus fondamental que ses effets sont généralement beaucoup plus importants que ceux liés au
revenu lorsqu’il s’agit d’expliquer les différences cognitives entre les jeunes de 15 ans » (Helfter, 2010).
3.1.3 Exploiter les tensions et incertitudes propres à l’objet pour concevoir les scénarios
Ces tensions sont inhérentes à la vie politique et démocratique. Or, la démarche prospective se par-
ticularise, précisément, par un travail d’investigation de futurs possibles ouverts et contrastés qui
émanent très souvent d’une diversité de visions du monde émergeant de débats, voire de contro-
verses autour d’une problématique. Dans le cadre de ce projet, la demande de réaliser quatre à cinq
scénarios contrastés des futurs possibles des politiques de lutte contre la pauvreté infantile tend à
encourager à ce que l’expression de cette diversité de visions soit permise par le dispositif et ali-
mente la conception des scénarios.
La fragmentation et la faible maturité évoquées pourraient apparaître sur le court terme comme des
faiblesses. Cependant, placées dans une logique de réflexion prospective de long terme, les incer-
titudes qu’elles supposent constituent une opportunité pour envisager des futurs possibles très ou-
verts et intégrant les relations étroites entre l’état de la pauvreté des enfants, les politiques menées
pour l’endiguer ainsi que les types d’État social qui les sous-tendent.
Le projet prospectif proposé dans le cadre de cette demande est agencé en vue de tenir compte
de la complexité de la situation actuelle pour l’intégrer au mieux autant à la démarche mise en place
qu’aux objectifs du projet. Ainsi, un dispositif de nature participative permettant une large consulta-
tion des parties prenantes et d’experts est organisé durant les phases de diagnostic prospectif et de
scénarisation dans une double perspective : d’une part, pour alimenter la réflexion de la diversité de
points de vue que nous venons d’évoquer, d’autre part, pour permettre, par les débats, réflexions et
travaux menés dans le cadre de ce dispositif, de contribuer à la maturation de ce nouvel espace
d’action publique.
Dans la suite de cette section, nous présentons une approche théorique du scénario prospectif afin
de baliser la démarche proposée par cette étude et introduisons les scénarios finaux du projet, en
décrivant les « images du futur » qui les caractérisent. Cette présentation permet de souligner l’arti-
culation de ces scénarios autour de quatre futurs de l’État social et des politiques de lutte contre la
pauvreté infantile qui s’y déploient.
Le scénario, en tant que dispositif méthodologique et didactique, occupe, en prospective, une place
privilégiée, au point qu’on assimile parfois l’un à l’autre, alors que ces deux termes ne sont pas syno-
nymes.
Suivant les objectifs visés et les modes d’élaboration, il est possible de distinguer plusieurs types de
scénarios prospectifs. La distinction la plus courante différencie scénarios exploratoires et scénarios
normatifs.
Pour de Jouvenel (1993), un scénario prospectif exploratoire est destiné à explorer le champ des
possibles. Il intègre trois éléments :
111
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
2. les cheminements, qui sont élaborés en faisant évoluer le système à travers le temps,
compte tenu que, dans cette progression, se posent des questions par rapport auxquelles
on considérera plusieurs hypothèses, en prenant ensuite soin d’en faire découler les consé-
quences. Ainsi, l’arborescence des futurs possibles, descendants potentiels du présent, est
construite par déduction et en précisant à chaque fois la conditionnalité ;
3. les images finales, qui sont obtenues à différentes étapes, et particulièrement à l’horizon de
l’étude (l’aboutissement des cheminements). La production de ces images finales n’est pas
plus importante que les chemins y conduisant. En outre, il est fondamental de préciser l’ordre
de grandeur des phénomènes et le moment de leur émergence.
Traditionnellement, la conception des scénarios exploratoires s’inscrit au sein d’un « cône des fu-
turs » dont le sommet est la situation actuelle et la base les différentes options envisagées. Aux ex-
trémités de cette base s’établissent des scénarios d’encadrement qui positionnent les situations les
plus extrêmes possibles du système. Entre ces deux extrémités s’insèrent un scénario de rupture qui
propose une image du futur totalement opposée à la situation actuelle ainsi qu’un scénario de réfé-
rence qui présente l’image du futur la plus vraisemblable. D’autres scénarios, définis comme des
variantes de l’une ou l’autre évolution possible, sont également envisagés dans l’analyse.
Le scénario exploratoire constitue donc une simulation d’évolution possible du système à travers le
temps. En ce sens, il peut être considéré comme « le déroulement hypothétique d’un certain nombre
de processus consécutifs à des données de départ ou plus précisément la description de l’état pré-
sent d’un système, d’un état futur possible de ce système et de l’ensemble des processus permet-
tant de passer de cette situation présente à cette situation future » (Lugan, 2006 : 74). Selon Lugan
(2006), sa valeur sera fonction :
Selon de Jouvenel (1993), cette méthode comporte un risque. La tentation, en effet, peut être grande
de multiplier les scénarios, par exemple par souci d’exhaustivité. Le danger est alors de se perdre
dans la complexité et le nombre des cheminements, sans mettre en exergue quelques grandes op-
tions et d’en examiner les conséquences. Il convient donc de se limiter à un nombre restreint de
scénarios, l’objectif n’étant pas de noyer le décideur ou les parties prenantes, mais de les éclairer.
Cette limitation peut s’appuyer sur une probabilisation des scénarios ou sur une décision plus arbi-
traire, mettant l’accent, par exemple, sur quelques grandes configurations très dissemblables et très
contrastées.
À l’inverse des scénarios exploratoires, les scénarios prospectifs normatifs, aussi qualifiés de straté-
giques, partent d’un objectif que l’on s’est fixé dans l’avenir et remontent dans le temps, établissent
un programme à rebours des actions à entreprendre pour l’atteindre (backcasting), au lieu de partir
du présent pour aller vers l’avenir comme le font les scénarios exploratoires (forecasting) (de Jouve-
nel, 1993). Le scénario normatif peut également être défini comme celui qui représente, parmi les
futurs possibles, l’expression du choix d’un avenir souhaitable (Julien et al., 1975).
Les deux démarches peuvent être combinées : dans un premier temps, des scénarios exploratoires
pour défricher ce qui peut advenir et, dans un deuxième temps, des scénarios stratégiques afin
d’identifier ce que l’on peut mettre en œuvre pour concrétiser un futur souhaitable et nourrir la vision
prospective.
Le travail de conception des scénarios décrit aux chapitres suivants nous a permis d’aboutir à quatre
scénarios contrastés : trois scénarios « de rupture », qui proposent trois images possibles du futur, et
un scénario tendanciel. Ce dernier consiste en un chaînage des états tendanciels des variables in-
vestiguées dans le projet. Les trois scénarios de rupture permettent de présenter des états futurs du
système cohérents et fortement différenciés entre eux. Ils sont construits autour de trois formes
d’État social particulières, conditionnées par trois contextes spécifiques marqués par des situations
socio-économiques, géopolitiques et sociales singulières. Le quatrième scénario, le tendanciel ou
baseline, joue un rôle heuristique : il permet de souligner certaines apories dans les orientations po-
litiques actuelles, compte tenu de l’évolution des contraintes contextuelles.
Ce choix s’avère également plus pertinent au regard des objectifs d’aide à la décision du projet : en
proposant des versions différentes, contrastées et plausibles des futurs possibles de l’État social et
de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants, nous fournissons des scénarios qui ne
constituent pas une fin en soi, mais le début d’un travail de réflexion stratégique qui pourra être mené
ultérieurement. Ces scénarios permettent, en effet, d’appréhender les futurs possibles et, de ce fait,
d’alimenter le débat public : en se confrontant à plusieurs futurs possibles, on perçoit autrement ce
qui peut advenir et ce qu’il est possible de faire. On comprend également mieux les conséquences
potentielles de ce qui est entrepris aujourd’hui.
• Comment se structure l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants dans ce con-
texte ?
• Comment vivrait un enfant né en 2030 dans une famille en situation de pauvreté ou de pré-
carité dans le scénario imaginé ?
Les quatre scénarios se différencient principalement dans les formes contrastées que prennent l’État
social et l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants.
Dans le scénario 1, Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie précari-
sée, l’État social voit son budget limité et ses dépenses allouées prioritairement à la gestion des
multiples crises (sanitaires, sociales, écologiques, économiques…) issues du réchauffement clima-
tique (pandémies, inondations, vagues de chaleur et de froid, sécheresses, migrations climatiques
massives, renforcement des vulnérabilités…). L’action de l’État y est essentiellement réactive. Elle se
focalise sur des publics cibles et prioritaires dont font partie les enfants. Les situations de crise affec-
tent également grandement une classe moyenne mise sous pression : la prévention du risque de
pauvreté des enfants de la classe moyenne devient un élément central de l’action de l’État qui dé-
sinvestit progressivement le champ des politiques de lutte contre la pauvreté. Les personnes adultes
en situation de pauvreté sont davantage stigmatisées, associées à une « génération perdue » : l’État
tente de sauver leurs enfants en les extrayant de leur milieu familial et en les confiant de façon plus
systématique à des milieux d’accueil.
Dans le scénario 2, Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir, l’État social joue un rôle central dans la redistribution des fruits
112
Voir Chapitre 3, point 4.3.3.
INTRODUC-
CHAPITRE 3
Méthode de conception
des scénarios
Ainsi, le projet fut organisé en trois phases : (1) la délimitation de la mission, (2) la réalisation du dia-
gnostic prospectif et (3) la construction des scénarios prospectifs. Ces phases se sont succédé dans
le temps et étaient articulées entre elles de façon cohérente : la délimitation de l’objet a permis de
réaliser le travail exploratoire nécessaire à la mise en œuvre du travail de réalisation du diagnostic
prospectif qui, lui-même, a constitué la base de l’exercice de scénarisation.
Dans le cadre de ce chapitre méthodologique de l’étude, nous nous focaliserons sur une description
synthétique des résultats du travail mené dans les phases 2 et 3 afin de permettre au lecteur inté-
ressé par ces aspects de cerner les contours de la méthode employée. Nous avons également choisi
de mettre l’accent sur l’aspect participatif des méthodes employées en présentant les dispositifs
dans une section dédiée en fin de chapitre.
113
Les parties prenantes mobilisées dans le processus participatif appartiennent au groupe d’organisations qui, en Wallonie
et en Fédération Wallonie-Bruxelles, concourent à l’action de lutte contre la pauvreté des enfants. Elles sont issues des sec-
teurs suivants : secteur associatif actif dans la lutte contre la pauvreté et les droits de l’enfant ; secteur public wallon, de la
Fédération Wallonie-Bruxelles et fédéral actif dans la lutte contre la pauvreté, les droits de l’enfant, la politique scolaire, la
politique d’aide et de protection de la jeunesse, la politique du logement, la politique de promotion de la santé, les allocations
familiales ; mutuelles et caisses d’allocations familiales ; syndicats. Le lecteur intéressé par l’aspect participatif de la démarche
prospective consultera le chapitre 3 – section 4 du présent document.
114
Un groupe d’experts scientifiques a contribué directement à la réalisation des scénarios. Il était constitué de 29 chercheurs
et chercheuses (22 experts IWEPS et 7 experts externes) disposant d’une compétence sur les disciplines, thématiques et
domaines abordés (économie, démographie, géographie, système politique et social, anthropologie…).
Cette étape vise à analyser la problématique de façon systémique. Dans l’analyse prospective, ce
système est élaboré à partir d’un jeu de variables et de leurs relations. Cette phase de diagnostic
permet également d’identifier les acteurs qui participent au fonctionnement du système et à com-
prendre les enjeux dont ils sont porteurs.
Le diagnostic prospectif fournit deux livrables principaux : d’une part, la base prospective, qui est
composée de la liste des variables pertinentes et des fiches variables qui les caractérisent ; d’autre
part, la représentation du système analysé qui doit permettre de comprendre le positionnement de
chacune des variables et leurs interactions.
Le travail sur les variables joue plusieurs rôles dans l’analyse prospective (Godet, 2007 : 114-115). Il
consiste en l’identification de variables motrices, c’est-à-dire les variables décisives dans les dyna-
miques de transformation du système. Le travail descriptif des évolutions possibles de chacune des
variables du système constitue, par ailleurs, la base de l’élaboration des scénarios.
L’objet de l’analyse est conçu comme un système structuré et dynamique, composé d’éléments
(des variables et/ou des acteurs) en interaction. Cette posture permet de mettre en relation les ap-
ports d’une multiplicité de disciplines scientifiques et d’envisager des connexions qui ne se limitent
pas à des liens de causalité linéaire.
La prospective cherche donc à mettre en évidence ce type de dynamique afin d’explorer les futurs
possibles. Pratiquement, la représentation du système est la plus souvent organisée en strates. La
première est le système spécifique, c’est-à-dire l’organisation, le territoire ou la problématique que
s’est donnée la démarche prospective. Les autres concernent le contexte avec lequel le système
spécifique interagit, à savoir son environnement proche (ou écosystème), sur lequel il conserve une
115
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
116
Ibid.
Une conséquence pratique de cette posture systémique est que plusieurs étapes de la démarche
prospective visent tantôt la modélisation du système (pendant la phase de diagnostic), tantôt l’anti-
cipation de ses changements et de ses états nouveaux (pendant la phase d’exploration).
Cet auteur souligne en outre que, pour qu’une base prospective soit suffisamment documentée et
couvre le plus exhaustivement possible la réalité analysée, elle doit intégrer une information répon-
dant à quatre critères (Godet, 2003 : 118) : détaillée, globale, dynamique et explicative.
117
Ibid.
L’information rassemblée doit enfin être « explicative ». Elle doit permettre de caractériser la façon
dont les éléments du système évoluent dans le temps pour permettre de comprendre les méca-
nismes à l’œuvre dans cette évolution : il est nécessaire d’identifier des « hypothèses d’évolution »
pour chacune des variables composant la base prospective. L’exploitation de ces hypothèses con-
tribuera utilement au travail de scénarisation, soit pour imaginer des prolongements de tendances,
soit pour représenter des futurs alternatifs.
Cette phase de travail fut organisée en trois parties : une partie « exploratoire », une partie de « con-
solidation » des résultats de l’exploration et une partie « documentaire » durant laquelle fut réalisée
la base prospective.
Sur la base des travaux menés avec les parties prenantes, nous avons synthétisé une définition de
la pauvreté des enfants. Elle est schématisée dans la Figure 3.
Autour de ce cœur de cible s’agencent trois ensembles qui caractérisent la pauvreté de l’enfant de
trois façons différentes. On retrouve l’opposition entre la pauvreté comme « état objectif » et comme
118
Voir le détail du dispositif au point 4.3.1. du présent chapitre.
En tant qu’état objectif, la pauvreté de l’enfant s’assimile à une situation qui peut être décrite via
différents outils d’analyse, notamment quantitatifs, qui appuient et calibrent une action politique et
administrative à son égard : l’accès à un ensemble d’items permet, par exemple, de déterminer la
réalité d’une situation de pauvreté, le niveau de ressources financières également. Comme nous
l’avons vu précédemment, l’état de déprivation matérielle constitue l’entrée analytique privilégiée
dans les analyses statistiques relatives à la pauvreté infantile et structure l’appareil de mesure mis
en place au niveau européen ainsi que l’action publique de lutte contre cette pauvreté.
Figure 3 : Proposition de définition de la pauvreté infantile sur la base du matériau issu des trois
journées d’atelier
Le second volet des travaux menés dans le cadre de ce dispositif consultatif a visé à comprendre la
façon dont les parties prenantes analysent les déterminants de la pauvreté des enfants. Les résultats
de cette réflexion ont permis de dégager une représentation du système dans lequel se situe la
pauvreté infantile.
Ce diagramme représente donc, de façon simplifiée, la pauvreté des enfants inscrite dans un sys-
tème de facteurs 119 qui en influencent l’état. Ces facteurs ne sont pas directement représentés sur le
diagramme pour éviter de l’alourdir. Le tableau ci-dessous reprend la liste complète de facteurs
associés aux catégories induites figurant sur le diagramme. Lus conjointement, ces éléments per-
mettent une première appréhension du système et de sa dynamique.
Tableau 1 : Les facteurs influençant l’état de la pauvreté infantile identifiés au cours de l’atelier
prospectif exploratoire
Catégories Facteurs
119
Cette première représentation du système met l’accent sur une définition individualisée de la pauvreté de l’enfant. Dans la
suite de la recherche, nous nous distancierons de cette approche pour envisager la pauvreté des enfants comme partie
intégrante de la question des inégalités sociales. L’analyse prospective portera donc sur les déterminants des inégalités qui
touchent les enfants pour en imaginer les évolutions possibles.
Mondialisation • Désindustrialisation
• Précarisation du monde du travail
• Présence croissante des femmes sur le marché du travail
• Migrations
• Crises financières et énergétiques
• Obsolescence programmée
• Concentration des commerces et hausse des prix
Cette première représentation a servi de base au travail mené ensuite dans la partie « consolidation »
de cette phase de travail, que nous détaillons dans la section suivante du rapport.
Cet enrichissement a consisté en un travail de traitement approfondi des résultats de l’atelier. Il fut
réalisé à travers la préparation de « rapports d’étonnement » 120 par les membres de l’équipe projet,
réalisés à partir des discussions individuelles et collectives tenues avec les membres du comité de
suivi du projet. Les éléments issus de ce travail ont ensuite été discutés avec les participants et par-
ticipantes à l’atelier dans le cadre d’une séance de restitution dédiée à la présentation du travail de
traitement des résultats. Les rapports d’étonnement ont identifié trois types d’éléments. Tout d’abord,
les « grands absents » : il s’agit d’éléments qui n’ont pas été évoqués dans le cadre des trois séances
d’atelier alors que leur importance semble manifeste pour les experts du comité de suivi. Ensuite,
les « éléments de rupture » : il s’agit d’éléments relevés dans le cadre des discussions avec les ex-
perts du comité de suivi ou dans la littérature qui n’ont pas été abordés dans les ateliers. Enfin, les
« éléments qui affinent » : il s’agit d’informations qui permettent de préciser certains points de débats
ou de discussion présents lors des ateliers, mais peu développés.
120
Chaque membre de l’équipe prépare individuellement une note qui vise à identifier les éléments qu’il juge originaux ou
manquants au sein de l’information collectée. La discussion de ces lectures individuelles en équipe permet ensuite d’enrichir
l’information et d’en discuter avec les participants et participantes aux ateliers lors d’une séance de restitution des résultats.
Complémentairement aux éléments précédents, nous en avons également cerné une série d’autres
qui permettent d’approfondir et de préciser ceux avancés durant les ateliers. Nous en avons relevé
onze, présentés et décrits dans le tableau ci-dessous.
La qualité de la liste des variables utilisées pour développer la base prospective apparaît fondamen-
tale. Par exemple, une liste trop longue et trop détaillée pourrait rendre l’analyse trop complexe et
difficile à réaliser. A contrario, une liste trop courte présenterait un risque de simplification du système
et de son fonctionnement. Cela pourrait conduire à formuler des scénarios trop génériques, si les
variables sont essentiellement contextuelles, ou, à l’inverse, trop spécifiques, si ne sont prises en
compte que des variables internes. Dans le premier cas, l’analyse demeurerait relativement superfi-
cielle puisqu’elle ne donnerait pas aux décideurs de clés suffisamment précises pour orienter leurs
choix présents. À l’inverse, dans le second cas, une analyse centrée sur les variables internes empê-
cherait de comprendre les enjeux contextuels parfois déterminants pour les évolutions futures et
cantonnerait les scénarios proposés à des variations autour d’une tendance, sans que, par exemple,
des ruptures contextuelles puissent être intégrées à l’analyse.
L’établissement de la liste des variables pertinentes pour l’analyse prospective résulte d’un travail de
synthèse d’informations recueillies à diverses sources et via différents dispositifs : entretiens, ateliers,
analyse documentaire… Comme le note bien Michel Godet : « Afin d’identifier une liste la plus ex-
haustive possible des variables, caractérisant le système constituè par le phénomène étudiè et son
environnement, aucune voie de recherche n’est a priori exclue, et tous les moyens de brainstorming
et de créativité sont bons » (Godet, 2003 : 157). Il explique également que ce travail d’inventaire est
de nature itérative et résulte d’un processus de réflexion et d’affinage exploitant les ressources d’un
travail collectif. Dans ce point, nous revenons sur certains éléments précédemment évoqués à pro-
pos de l’atelier prospectif exploratoire à partir duquel s’est développé l’établissement de cette liste
de variables et présentons brièvement le processus qui a mené à une liste stabilisée tant dans le
nombre de variables retenues que dans leur libellé.
L’atelier prospectif exploratoire a permis de lister une cinquantaine de facteurs qui influencent l’état
de la pauvreté des enfants. Comme nous l’avons décrit précédemment, cette liste de facteurs a
ensuite été enrichie d’éléments complémentaires recueillis via d’autres sources.
Les données brutes issues des travaux réalisés par les participants et participantes aux ateliers ont
fait l’objet d’un traitement par regroupement. Pour ce faire, nous avons procédé à l’aide de deux
méthodes différentes.
Dans un premier traitement, nous avons distribué les facteurs retenus dans une matrice PESTEL
(politique, économique, social, technologique, environnemental, légal). Chaque occurrence des fac-
teurs identifiés a également fait l’objet d’un recensement. Sur ce dernier point, nous avons opté pour
une distinction entre facteurs très fréquemment identifiés et facteurs moins fréquemment identifiés.
En outre, les catégories PESTEL ont également fait l’objet d’une adaptation : nous avons intégré une
catégorie « éducation », spécifique à l’objet analysé.
Dans un second traitement, nous avons regroupé les facteurs distribués dans la matrice en catégo-
ries plus spécifiques ou « clusters ». Cette démarche visait à dégager, en première analyse, une grille
de lecture de la dynamique de formation de la pauvreté des enfants ancrée dans les savoirs produits
Ces deux premiers traitements ont permis de tester des regroupements possibles des variables au
sein de catégories agrégées pour tenter de dégager des variables qui puissent couvrir les facteurs
identifiés et être libellées d’une façon plus générique.
Ce double traitement a servi de base de travail à une séance de brainstorming de l’équipe projet,
dont l’objectif principal était de parvenir à une liste de variables suffisamment « compacte », d’une
part, pour être exploitable et documentable dans le cadre du projet et, d’autre part, pour couvrir
l’ensemble du système analysé, tant au niveau des variables internes, propres à la pauvreté des
enfants, que des variables externes qui permettent d’en décrire le contexte.
À l’issue de cette séance, les regroupements ont été précisés, les variables qui les composent défi-
nies et labellisées d’une façon générique. Certaines incertitudes se sont maintenues au niveau du
partage ainsi que de la labellisation. Nous verrons au point suivant que ces incertitudes seront résor-
bées dans le cadre du travail sur la base prospective. Ainsi, malgré ces incertitudes, une première
liste de variable a pu être stabilisée en vue d’entamer le développement de la base prospective.
1. Les variables institutionnelles. Ces variables recouvrent l’ensemble des aspects politiques et
réglementaires envisagés par les participants et participantes aux ateliers. Comme nous
l’avons vu, les parties prenantes présentes à l’atelier confèrent à ce type de variables un rôle
important dans l’état de pauvreté des enfants. Dans le cadre de l’analyse prospective, cet
élément attire notre attention pour deux raisons : d’une part, car cette importance peut être
due à un biais de perception venant du fait que les parties prenantes sont actives dans la
mise en œuvre de ces politiques et les connaissent particulièrement bien ; d’autre part, car
ces aspects devront faire l’objet du travail de scénarisation, le projet portant sur le futur des
politiques en matière de lutte contre la pauvreté infantile. Nous reviendrons sur ces deux
aspects dans la section suivante où nous présenterons la mise en système des variables et
la discussion relative à leur poids dans le système. Relevons, en outre, que cette catégorie
« institutionnelle » est celle qui aura mis le plus de temps à se stabiliser – nous y reviendrons
également.
2. Les variables économiques. Ces variables ont été envisagées dans les ateliers sur différents
plans, au niveau de la situation économique des personnes, mais aussi au niveau politique,
en considérant le rôle des contraintes budgétaires dans le financement des politiques, et à
une échelle plus globale, en prenant en compte les transformations de l’économie et les
tendances macroéconomiques. Ces éléments ont permis une traduction relativement aisée
en variables plus génériques constituant un groupe rapidement stabilisé.
3. Les variables sociales et culturelles. Ces aspects ont été envisagés par les participants et
participantes à travers différentes dimensions : celles associées à la famille et à la place de
l’enfant, celles associées aux représentations et valeurs sociales, enfin celles liées aux iné-
galités et à la cohésion sociale. Les variables retenues dans ce groupe permettent de couvrir
ces différents champs d’analyse. Elles permettent également d’intégrer des dimensions re-
levant à la fois d’enjeux sociaux et de dimensions culturelles associées au rapport à la famille
et à la place des enfants dans la société.
Lors du travail de rédaction, ainsi qu’en phase de clôture, nous avons été amené à faire évoluer la
liste des variables : certaines variables se sont avérées trop génériques et ont demandé à être scin-
dées ; d’autres étaient au contraire trop spécifiques et ont dû être reformulées et développées ;
d’autres encore relevaient d’un statut encore imprécis qui a dû être repensé ; enfin, il est apparu que
certaines variables nécessaires n’avaient pas été prises en compte et devaient être intégrées à la
base prospective. Ces différents éléments sont apparus « chemin faisant » et ont permis d’enrichir et
de préciser la documentation disponible.
121
Voir Sonecom, IDD et CRI-ULg pour IWEPS (2018). « Étude prospective : Pauvreté, précarité et exclusion socio-économique
en Wallonie : quels futurs possibles ? Annexe au rapport synthétique », Namur, Iweps.
Afin de répondre à cette contrainte, nous avons exploité, en première approche, la méthode de clas-
sification « DPSIR » 122 (Drivers, Pressures, State, Impacts, Responses) pour permettre de conférer –
provisoirement – aux variables un statut, notamment lié à leur rôle moteur ou à leur dépendance, au
sein du système.
Dans la présentation de la liste de variables ci-dessous, nous avons intégré cette catégorisation dont
le sens et la pertinence heuristique dans le cadre du travail sur la description du système prospectif
apparaîtront à la section suivante.
122
Voir point 3.1.2 du présent chapitre.
Nos analyses préliminaires ont permis de saisir, d’une part, ce qui compose l’action publique de lutte
contre la pauvreté à travers la dynamique qui l’anime et les acteurs qui l’ont façonnée, et d’autre part,
ce qui caractérise la pauvreté des enfants, par le travail exploratoire réalisé avec les parties pre-
nantes. De ce fait, nous disposions des informations nécessaires pour comprendre les deux dimen-
sions de l’objet sous analyse. Cependant, nous faisions face à la difficulté de savoir comment les
relier pour rendre compte de leurs interdépendances.
Pour surmonter cet obstacle, nous avons fait un double choix : d’une part, nous avons subsumé la
question de la pauvreté des enfants sous une catégorie plus large, celle d’inégalités ; d’autre part,
nous avons conçu que chaque politique composant l’action publique de lutte contre la pauvreté des
enfants comporte, sinon induit, une définition propre de la pauvreté de l’enfant. Ainsi, par exemple,
comme nous l’avons développé dans le deuxième chapitre, la politique menée aujourd’hui via la
garantie européenne pour l’enfance réduit la question de la pauvreté infantile à une problématique
d’accès à certains droits fondamentaux pour des publics bien spécifiques. Cette définition concerne,
toutefois, un domaine d’action publique qui s’est autonomisé. En élargissant le spectre des politiques
prises en compte, notamment en intégrant la politique fiscale ou la politique du logement, nous ou-
vrons à une pluralité potentielle de définitions de la pauvreté de l’enfant ou, a minima, de logiques
qui l’influencent.
Par ailleurs, ce choix a pu s’appuyer sur une méthode spécifique permettant un premier design du
système prospectif, la méthode « DPSIR » (voir point suivant). L’usage de cette méthode nous a per-
mis de clarifier, en première approche, l’architecture du système et sa dynamique. Cette clarification
est apparue indispensable pour pouvoir penser les interactions entre les deux dimensions de l’objet
analysé, mais aussi, comme nous allons le voir, pour organiser le travail de scénarisation avec deux
publics spécifiques : (1) les experts, pour traiter les variables de contexte, et (2) les parties prenantes,
pour réfléchir aux évolutions possibles des différentes politiques dont elles sont les actrices.
123
Cette méthode est utilisée dans ce domaine de recherche pour appréhender les effets de l’anthropisation des écosys-
tèmes, notamment les systèmes océaniques (Sun et al., 2015 ; Patricio et al. 2016). Elle fut conçue par l’OCDE au début des
années 1990 dans l’objectif d’organiser les relations entre différents indicateurs afin de faciliter leur lecture par les décideurs
(Tscherning et al., 2012).
Dans le cas étudié par Labianca et al. (2020), illustré ci-dessous par la figure 5, la méthode est em-
ployée pour analyser le système de pollution des eaux. Dans ce cas, les auteurs associent aux Dri-
vers les pratiques agricoles, la démographie ou l’industrialisation qui constituent les variables mo-
trices de ce phénomène. Les Pressures recouvrent, notamment, les rejets de produits contaminants
ou la pollution des nappes phréatiques générés par les Drivers. Ces variables relais affectent, en
conséquence, l’état (State) des sédiments marins, de l’eau de mer ou de la biodiversité, variables qui
permettent de caractériser la situation par différents indicateurs. Ces détériorations ont un impact
(Impacts) par contamination sur les organismes marins, l’eutrophisation par des algues toxiques ou
la santé humaine. En réponse (Responses) à ces différentes problématiques, des politiques et des
technologies ad hoc sont développées dans différentes directions : agir sur les causes structurelles,
en tentant de modifier les Drivers, réduire les Pressures en transformant les technologies employées
et remédier à la détérioration de l’état (State) des mers.
Par analogie, nous pouvons imaginer un système « DPSIR » qui permet d’englober l’état des inéga-
lités à travers le groupe de variables d’état (State) et les politiques mises en place pour lutter contre
ces inégalités, que cela soit pour agir directement sur les variables d’état (State), sur leurs causes
structurelles (Drivers) ou sur les phénomènes qui conditionnent (Pressures) directement les variables
d’état.
Dans ce design du système, la pauvreté des enfants apparaît principalement au sein des variables
relais (« Impacts ») : elle est envisagée comme une conséquence de l’état des inégalités qui in-
fluence les variables « cohésion sociale » et « inégalités scolaires ». Appréhendée comme telle, et
considérant les observations réalisées à propos des politiques actuelles de lutte contre la pauvreté
des enfants en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, la lutte contre la pauvreté des enfants
semble donc consister en une action qui s’attaque pour l’essentiel aux conséquences de causes
structurelles et de l’état des inégalités. Cette observation tranche avec la façon dont l’orientation des
variables réponses est habituellement conçue dans les travaux employant cette méthode (Elliott et
al., 2017 ; Labianca et al., 2020 ; Sun et al., 2015 ; Tscherning et al., 2012) : ceux-ci situent, en règle
En premier lieu, ce diagramme permet de questionner le statut attribué à chacune des variables :
pourquoi associer telle ou telle variable à telle ou telle catégorie ? À ce stade, il est important de
noter que nous employons l’outil DPSIR de façon heuristique : il s’agit de prototyper le système pros-
pectif pour, en première analyse, tenter de saisir les dynamiques de relations entre variables. Ce
prototype du système prospectif, basé sur nos travaux exploratoires, est amené à évoluer, en parti-
culier à partir des résultats de l’atelier de proto-scénarisation où nous avons développé l’étude des
relations d’influence et de dépendance entre variables (voir point suivant).
En second lieu, comme nous l’avons évoqué, cette représentation du système permet de question-
ner le rôle spécifique joué par les variables politiques. Nous affirmions, en effet, que l’essentiel de
l’action menée porte sur les effets des inégalités (Impacts) sur la situation de pauvreté des enfants,
que nous avons associée à deux variables spécifiques : la cohésion sociale et les inégalités scolaires.
Il faut toutefois noter que cette lecture dépend de la catégorisation des variables : on pourrait, en
effet, considérer que plusieurs politiques agissent directement sur l’état des inégalités (State) notam-
ment en matière d’accès aux droits fondamentaux (politique des droits de l’enfant, garantie pour
l’enfance). D’autres politiques peuvent également porter leurs effets au niveau des Pressures : par
exemple, la politique de la famille ou la politique d’accueil de l’enfance peut répondre aux transfor-
mations des modèles familiaux, comme l’essor des familles monoparentales. Il faut, en revanche,
remarquer que cette représentation tendrait à laisser penser que les politiques associées à la lutte
contre la pauvreté des enfants ne touchent pas directement aux causes structurelles des inégalités
et de la pauvreté.
On le voit donc, à ce stade, cette première représentation du système soulève davantage de ques-
tions qu’elle n’apporte de réponses. Ces questions seront retravaillées et évolueront dans la suite de
Ce constat nous a amenés à concevoir le travail de scénarisation en deux volets (figure 7).
Dans un premier volet, nous avons choisi de nous interroger sur les transformations du contexte en
intégrant les variables motrices (Drivers) et les variables d’état (States) ainsi que les deux groupes de
variables relais (Pressures et Impacts) dans un ensemble cohérent. Leur mise en interaction forme
un sous-système qui permet de comprendre les déterminants de l’état de la pauvreté des enfants.
En outre, l’isolement de ce premier groupe de variables présente l’avantage de cibler un public spé-
cifique à consulter : des experts scientifiques et académiques de ces différentes variables de con-
texte. Ainsi que nous le détaillons au point suivant, qui décrit les dispositifs participatifs mis en place
dans ce projet, nous avons mobilisé un groupe d’experts pluridisciplinaire composé d’économistes,
de démographes, de sociologues, de géographes, d’environnementalistes, de psychologues so-
ciaux et d’anthropologues. Grâce à ce dispositif consultatif, nous avons stabilisé les hypothèses
d’évolution des variables de contexte ; nous avons également pu améliorer la définition du statut de
motricité et d’incertitude des variables ; enfin, nous avons élaboré des proto-scénarios de contexte
qui ont formé le socle à partir duquel furent conçus les scénarios finaux de l’étude.
Dans un second volet, nous avons focalisé le travail sur les variables politiques (Responses). Cette
focale nous a permis d’intégrer une réflexion parallèle à celle menée sur le contexte en nous ques-
tionnant sur les évolutions possibles de ces politiques. Ce travail fut également mené dans le cadre
d’un dispositif participatif rassemblant les parties prenantes de ces politiques : notre objectif était de
mobiliser leurs connaissances de terrain et leurs analyses pour pouvoir, dans un premier temps, ali-
menter l’élaboration d’hypothèses d’évolution de ces variables politiques. Dans un second temps,
nous avons organisé un nouvel atelier prospectif où les parties prenantes ont pris connaissance des
proto-scénarios de contexte issus du travail des experts et ont élaboré des scénarios d’évolution des
politiques cohérents avec ces proto-scénarios, en exploitant leur réflexion antérieure sur les hypo-
thèses d’évolution.
Ces hypothèses sont formulées sur la base, notamment, de l’analyse rétrospective des variables
réalisées dans le cadre de la phase de délimitation de l’objet et, d’une façon approfondie, dans le
cadre du développement de la base prospective.
La compréhension des trajectoires d’évolution passées des variables permet d’identifier, dans cer-
tains cas, des changements de tendance, voire des ruptures, mais aussi des modifications progres-
sives d’orientation. Ces ruptures et ces modifications constituent des bifurcations qui contribuent,
comme nous l’avons vu au chapitre 1, à la formation de la situation actuelle.
Dans ce chapitre rétrospectif, nous avons pu identifier, à travers l’histoire de l’émergence de la pau-
vreté des enfants comme problème public puis comme paradigme d’action publique, les différents
moments-clés de cette évolution qui ont induit des transformations et changements de trajectoires
aboutissant à la situation présente. On pourrait ainsi, rétrospectivement, se demander ce qu’il en se-
rait de la situation actuelle si la reconnaissance publique de la vulnérabilité des enfants après la
Marche Blanche n’avait pas eu lieu ; ou si le Comité des droits de l’enfant de l’ONU n’avait pas adressé
de façon récurrente des recommandations fortes à la Belgique pour qu’elle élabore une politique
structurée en matière de droits de l’enfant ; ou encore, si des acteurs comme la Fondation Roi Bau-
doin ou le Délégué général aux droits de l’enfant n’avaient pas mené un travail d’analyse approfondi
de l’état de la pauvreté des enfants en Belgique et en Fédération Wallonie-Bruxelles ; mais égale-
ment, si, au niveau européen, ne s’était pas mise en place la garantie européenne pour l’enfance, les
objectifs qui l’accompagnent et les fonds mis à disposition pour sa mise en œuvre.
Ainsi, dans la conception des hypothèses d’évolution, la prise en compte et l’anticipation de bifurca-
tions possibles apparaissent indispensables. Anticiper les bifurcations possibles, c’est-à-dire
Dans le cadre du présent projet, nous avons conçu une méthode d’élaboration des hypothèses
d’évolution qui articule deux dimensions : (1) le recours à des experts scientifiques pour la formulation
d’hypothèses relatives aux variables de contexte, et la mobilisation des parties prenantes pour celles
concernant les variables politiques ; (2) l’utilisation d’un cadre « contraint » pour la formulation des
hypothèses d’évolution afin de baliser le travail des personnes consultées, souvent perplexes, à dé-
faut de culture prospective, lorsqu’il s’agit d’imaginer une évolution différente de la tendance.
3.2.2.2. Des « futurs alternatifs génériques » pour cadrer la formulation des hypothèses d’évolution
Comme nous l’indiquions, la formulation d’hypothèses d’évolution peut apparaître déroutante lors-
que les personnes sont amenées à répondre de façon directe à la question : d’après vous, quelles
124
Les signaux faibles sont des « données non structurées, fragmentées et incomplètes » (Ponce del Castillo, 2020). Ils ren-
seignent sur des phénomènes émergents, encore peu perceptibles ou objectivables, mais qui ont le potentiel de produire
des changements importants dans la dynamique du système étudié. Il peut s’agir d’événements surprenants qui ne font pas
sens compte tenu des tendances actuelles, ou de signes annonçant le renforcement de tendances déjà existantes (Kuosa,
2016). Voir : https://www.iweps.be/faq_prospective/quest-ce-quun-signal-faible/
125
Le dispositif consultatif a, de la sorte, permis une relecture critique de l’ensemble des fiches-variables par les experts et
parties prenantes. Voir la Section 4 du présent chapitre.
Pour aider les personnes consultées à adopter cette attitude, nous avons fait le choix d’exploiter les
« futurs alternatifs génériques » imaginés par le prospectiviste américain Jim Dator (Dator, 2009). Ce
chercheur a conceptualisé, de façon inductive, quatre archétypes de futurs qu’il a exploités dans de
nombreux ateliers pour amener les participants et participantes à se projeter dans des futurs con-
trastés et en rupture.
Le premier futur alternatif concerne un futur qui s’inscrit en continuité avec le présent. Il s’agit d’une
évolution tendancielle de la situation actuelle. Le deuxième concerne un scénario d’effondrement
(« collapse »). Il s’agit d’un futur qui voit, par l’effet d’une rupture majeure, les structures d’une société
(économiques, sociales, environnementales…) se désagréger et disparaître, en totalité ou en partie,
pour laisser place à des versions alternatives fortement dégradées. Le troisième futur alternatif con-
cerne une évolution qui serait maîtrisée de façon incrémentale, consciente de ses limites (« discipli-
ned »), contrairement au premier type de futur qui n’intègre pas les contraintes du contexte, mais les
neutralise. Le quatrième futur alternatif est un futur de transformation sociétale majeure dû à des
orientations choisies (au contraire du scénario d’effondrement où le changement est subi par l’effet
d’une rupture non désirée).
Pour baliser la réflexion des participants et participantes, nous leur avons proposé de réfléchir à
quatre types d’hypothèses d’évolution, inspirées de ces archétypes : une hypothèse tendancielle,
une hypothèse incrémentale, une hypothèse de transformation et une hypothèse de dégradation.
Pour le premier type d’hypothèse, il leur était simplement demandé d’imaginer l’évolution tendan-
cielle de la variable au cours des vingt à trente prochaines années, en leur laissant le soin d’interpré-
ter le terme de « tendance ».
Pour le deuxième type d’hypothèse, nous leur demandions d’imaginer les changements incrémen-
taux qui pourraient conférer à la variable une trajectoire différente de l’évolution tendancielle, en se
focalisant sur l’évolution « interne » de la variable, par exemple en exploitant ce qui, selon eux, ca-
ractérise ses forces actuelles ou en imaginant des améliorations par rapport aux faiblesses obser-
vables aujourd’hui.
Pour le troisième type d’hypothèse, la question posée portait sur une transformation majeure de la
situation, un futur alternatif au tendanciel et à l’incrémental. Nous leur proposions d’imaginer un point
de bifurcation, correspondant à un changement majeur pouvant amener la variable à évoluer dans
une trajectoire nouvelle et en rupture. Nous leur proposions également d’intégrer à leur réflexion la
transformation d’autres variables ayant des effets majeurs sur celle prise en considération.
126
L’attitude prospective peut être définie à la suite de Gaston Berger comme une manière de penser et d’agir basée sur cinq
principes : voir loin (penser à un avenir lointain), voir large (réfléchir de façon interdisciplinaire et transversale), voir profond
(prendre le temps d’analyser les choses en profondeur pour en comprendre toute la complexité), prendre des risques (réflé-
chir différemment, sortir du cadre, critiquer les idées reçues), penser à l’Homme (mettre l’humain au centre de la mesure des
choses, se réapproprier l’avenir par le débat démocratique).
Voir https://www.iweps.be/faq_prospective/quentend-on-par-attitude-prospective/
Par ce biais, nous avons pu collecter des informations relatives à des états futurs possibles contrastés
des variables, mais aussi recueillir des éléments concernant les ruptures et points de bifurcation,
éléments utiles à la conception des trajectoires des différents scénarios.
Cette information prospective constitue le socle du travail de conception des scénarios. Elle doit,
cependant, faire l’objet de nouveaux traitements : d’une part, pour comprendre la façon dont les
états futurs des variables peuvent s’influencer mutuellement pour générer des trajectoires d’évolu-
tion contrastées du système ; d’autre part, pour parvenir à concevoir des scénarios qui soient adaptés
à l’objet analysé. Cela suppose que ces scénarios se structurent à partir des relations de motricité et
de dépendance entre variables du système étudié, mais aussi qu’ils intègrent les incertitudes ma-
jeures caractéristiques de l’objet et de son contexte. Un tel travail suppose de nouvelles étapes dans
la conception des scénarios. Nous les abordons tout d’abord de façon théorique, dans le point sui-
vant dédié à la méthode d’analyse morphologique, méthode qui sera déclinée, ensuite, de façon
empirique au chapitre 4 pour décrire le processus de conception des quatre scénarios introduits à la
fin du chapitre 2.
Dans la pureté des principes, cette méthode peut être définie comme un travail de combinaison des
différentes hypothèses d’évolution identifiées pour chacune des variables composant le système.
Cet exercice combinatoire permet de construire le champ des possibles, que l’on appelle également
« espace morphologique ». Ainsi, par exemple, comme l’illustre la figure 8, un système composé de
quatre variables dotées chacune de quatre hypothèses d’évolution structure un espace morpholo-
gique composé de deux cent cinquante-six combinaisons possibles.
127
« "Analyse morphologique", un nom bien savant pour une méthode très simple […] [qui] peut s’avérer très utile pour stimuler
l’imagination, aider à identifier de nouveaux produits ou procédés jusque-là ignorés et pour balayer le champ des scénarios
possibles » (Godet, 2009 : 221).
La simplicité de la mise en place de la méthode masque une difficulté majeure : comment parvenir
à faire le tri entre les différentes combinaisons possibles pour pouvoir proposer des scénarios qui
soient, comme le souligne Véronique Lamblin, cohérents, vraisemblables et « vraiment » contrastés
(Lamblin, 2018 : 5) ? En multipliant les combinaisons, il est en effet fort probable que certains en-
sembles d’hypothèses s’avèrent peu cohérents, peu vraisemblables et, surtout, peu contrastés entre
eux : plusieurs scénarios pourraient se présenter comme des variantes réciproques, les nuances se
construisant, à la marge, à partir de variables peu motrices.
Cet écueil suppose qu’en aval de cette matrice des hypothèses d’évolution soit mis en place un
système de traitement qui permet de limiter les combinaisons possibles à un nombre manipulable
pour les analystes. Il faut, nous dit Michel Godet, « réduire l’espace morphologique » : « La réduction
de l’espace morphologique est nécessaire, car il est impossible à l’esprit humain de balayer, pas à
pas, tout le champ des solutions possibles issues de la combinatoire ; elle est aussi souhaitable, car
il est inutile d’identifier des solutions qui, de toute façon, seraient rejetées dès la prise en compte des
critères de choix technique, économique, etc. » (Godet, 2009 : 225).
Reste, néanmoins, à élaborer une méthode qui permette à ces regroupements d’être réalisés. De ce
point de vue, à nouveau, différents critères pourront être employés, guidés par l’objet analysé, l’ex-
périence des analystes et/ou la nature du dispositif de conception des scénarios, notamment leur
co-construction éventuelle avec des parties prenantes et/ou des experts. Mais, comme le remarque
Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises les conséquences de cette contrainte double sur la
démarche développée dans cette analyse prospective et proposons en guise de rappel, avant de
présenter la méthode adoptée, de les synthétiser en trois points :
• Le travail exploratoire nous a amenés à établir une liste consolidée de trente-trois variables
structurant le système analysé. Cette liste a servi de fondement au développement de la
base prospective.
• Nous avons également opéré un premier regroupement des variables par l’intermédiaire de
la méthode DPSIR. Ce premier regroupement a facilité la réalisation d’une cartographie du
système. Cette méthode a également permis d’identifier les difficultés à associer à l’un ou
l’autre groupe de variables le phénomène de pauvreté des enfants ainsi que les effets des
politiques menées pour lutter contre celle-ci.
• Cette méthode nous a ensuite servi à distinguer les aspects contextuels des aspects poli-
tiques. Grâce à cette distinction, nous avons pu, d’une part, mettre l’action publique au centre
de l’analyse sans exclure le phénomène de pauvreté des enfants, situé au sein du contexte,
et, d’autre part, organiser un double travail participatif, avec un groupe d’experts et les parties
prenantes, pour concevoir les scénarios.
Dans un premier temps, nous avons mis l’accent sur les variables de contexte. Le travail s’est orga-
nisé en quatre étapes :
Premièrement, pour les variables retenues pour décrire le contexte (voir supra), des hypothèses
d’évolution ont été formulées de façon individuelle par des experts scientifiques via un questionnaire
en ligne.
Troisièmement, le traitement des résultats de cet atelier a visé à identifier les composantes du sys-
tème et à stabiliser le poids des variables. Nous avons défini l’architecture du système autour de cinq
composantes : économie, système politique, climat et démographie, société et état des inégalités.
Ces cinq composantes furent ultérieurement complétées d’une sixième, la composante politique,
traitée séparément. Nous avons, par ailleurs, consolidé les matrices de motricité-dépendance et
d’impact-incertitude nécessaires à la conception des micro-scénarios et des scénarios globaux.
Quatrièmement, en exploitant ces matrices et les proto-scénarios élaborés par les experts durant
l’atelier, nous avons conçu quatre scénarios contrastés articulés autour de micro-scénarios décrivant
les états futurs de chacune des composantes du système. Cette conception s’est appuyée sur une
analyse morphologique qualifiée de structurée, car le choix des hypothèses d’évolution et la déter-
mination du poids accordé aux variables se sont basés sur le travail préparatoire réalisé au cours des
trois étapes précédentes.
L’analyse prospective des variables politiques s’est opérée dans un cadre distinct de celle des va-
riables de contexte. Ce travail a été mené en trois étapes.
Premièrement, nous avons développé les hypothèses d’évolution des variables politiques en colla-
boration avec les parties prenantes, dans le cadre d’un atelier spécifiquement dédié.
Deuxièmement, nous avons développé des scénarios d’évolution de ces variables politiques au
moyen d’une analyse morphologique structurée 129, en collaboration avec les parties prenantes, dans
le cadre d’un atelier de scénarisation 130. Le choix des hypothèses d’évolution s’est opéré en cohé-
rence avec les scénarios de contexte.
Troisièmement, suite à l’atelier de scénarisation, nous avons intégré les micro-scénarios politiques
aux scénarios de contexte pour concevoir les scénarios globaux.
128
Voir point 4.3.3. du présent chapitre pour le détail de l’animation de cet atelier.
129
Car les évolutions de contexte avaient été stabilisées en amont sous forme de trois scénarios de contexte. Voir point 4.3.4.
du présent chapitre.
130
Voir point 4.3.4. du présent chapitre pour le détail de l’animation de cet atelier.
On peut distinguer quatre situations-types, selon, d’une part, le niveau de mobilisation souhaité
(faible ou élevé) et, d’autre part, le lien (direct ou non) de la démarche avec la prise de décision (Bootz,
2010 ; Bootz et al., 2019). (1) Une situation de type « aide à la réflexion » pourra ainsi parfaitement
s’accommoder d’une participation limitée à un petit groupe de parties prenantes, sans lien avec la
décision. (2) À l’extrême opposé, une démarche de « conduite du changement », qui doit aboutir à la
définition d’un plan stratégique, impliquera étroitement un plus grand nombre de parties prenantes
qui verront leurs représentations et cadres d’analyse se transformer profondément au cours du pro-
cessus. En pratique, les situations intermédiaires ou hybrides seront nombreuses à se présenter, qu’il
s’agisse, par exemple, (3) de travailler avec un groupe restreint de décideurs ou, (4) d’impliquer un
grand nombre de parties prenantes dans des projets de prospective exploratoire.
Le présent projet de prospective s’inscrit dans ce dernier cas de figure. Le commanditaire, qui n’in-
tervient pas directement dans le processus, souhaitait l’implication d’un grand nombre de publics
diversifiés et hétérogènes (parties prenantes, experts scientifiques et académiques, bénéficiaires),
de manière à informer le processus de décision (la réalisation d’une « analyse prospective » figure
dans la liste de mesures du « Plan wallon de sortie de la pauvreté », adopté par le Gouvernement le
25 novembre 2021).
Si la participation, en prospective comme ailleurs, suscite autant de malentendus, cela tient sans
doute au fait que le terme est investi de significations multiples. En effet, il peut désigner à la fois (1)
un projet politique, (2) un principe de justice et (3) un outil d’aide à la décision.
131
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
Deuxièmement, dans un sens assez proche, la participation peut désigner le principe de justice pro-
cédurale qui sous-tend de telles démarches : indépendamment de son résultat (en termes distribu-
tifs), une décision sera supposée plus « juste » si elle associe les destinataires de la décision. Au nom
de ce principe, dans des cas extrêmes, la participation peut ainsi être utilisée, voire instrumentalisée,
pour légitimer une décision, ce qui peut faire peser sur le processus dans son ensemble un soupçon
de manipulation (que les participants et participantes perçoivent cependant souvent assez vite).
Enfin, la participation peut, plus modestement peut-être, représenter un outil d’aide à la décision :
indépendamment de ses effets en termes de légitimation, la participation de destinataires de la dé-
cision (citoyens, usagers, parties prenantes, etc.) permet de prendre de meilleures décisions, c’est-
à-dire non seulement plus « justes », mais plus informées, plus pertinentes et plus robustes.
Ces dimensions ne sont pas mutuellement exclusives. On peut, par exemple, initier un processus
participatif parce qu’on y est contraint par la législation, mais aussi parce qu’on pense que c’est in-
trinsèquement juste, qu’il faut dépasser le cadre de la démocratie représentative au sens strict, mais
qu’en outre, cela va substantiellement améliorer la décision. À l’inverse, il n’est pas nécessaire de
souscrire au projet politique de la démocratie participative pour initier une démarche participative :
celle-ci peut se justifier simplement parce qu’on est convaincu qu’elle pourra améliorer le processus
de décision.
Dans le cadre de ce projet, la participation revêt essentiellement une fonction d’aide à la décision :
les divers publics engagés, grâce à leur expertise de l’objet sous étude (la pauvreté des enfants)
et/ou à leur expérience privilégiée de l’action publique menée en la matière, permettent d’appré-
hender le phénomène dans toute sa complexité, et d’ainsi contribuer à mieux informer la décision.
Une démarche prospective se construit dans l’échange argumenté entre des expériences, des po-
sitions et des savoirs différents : c’est un processus délibératif. Il est donc attendu des participants et
participantes qu’ils puissent modifier leurs représentations de l’objet, améliorer leurs connaissances
au contact d’autres formes de savoirs : la démarche prospective suppose un apprentissage collectif.
Ceci vaut pour tous les savoirs engagés dans le processus : savoirs « situés » des parties prenantes,
expertises « savantes », expertises « d’usage »… On vise un ajustement (individuel et mutuel) des
croyances et des représentations. La démarche prospective consiste également en partie à
Pour cette raison, les participants et participantes sont invités à s’exprimer en leur seul nom et non
en tant que représentants et représentantes d’une organisation ou d’un collectif. L’atelier est un
groupe de travail et non une tribune : c’est un lieu de construction d’une réflexion collective positive.
La collecte et l’analyse du matériau produit lors d’un atelier tendent d’ailleurs à abstraire les produc-
tions des personnes particulières qui les ont énoncées.
Précisions enfin une particularité de la démarche « à la française », par rapport à d’autres approches :
sa visée réaliste. Le diagnostic prospectif n’est pas le simple « reflet » des représentations des parti-
cipants et participantes : il se veut une représentation (systémique) de la réalité de l’objet sous étude
(relations entre variables, rétrospective, tendances, hypothèses d’évolution…).
Cette conception « réaliste » a des conséquences importantes sur la nature des ateliers prospectifs
à mener. Contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas de mettre des participants et participantes
autour d’une table pour faire émerger des idées innovantes, ni même pour recueillir un matériau
intéressant, tant du point de vue des parties prenantes que de celui de l’équipe en charge. La parti-
cipation n’est pas une « boîte à idées ». Certains participants et participantes expriment d’ailleurs ré-
gulièrement leur malaise à devoir s’exprimer sur des sujets qu’ils ne connaissent pas ou maîtrisent
mal. Ils demandent souvent à être « outillés » avant de se sentir habilités à exprimer un avis pertinent :
informations, données, rencontres avec des experts… Le fait d’avoir une place légitime dans un pro-
cessus ne suffit pas à construire un point de vue argumenté. Une démarche prospective « réaliste »
suppose de mettre les participants et participantes en capacité d’exprimer un point de vue aussi
informé et contextualisé que possible – d’où l’importance de la base prospective et des fiches-va-
riables dans la séquence d’ateliers prospectifs.
A minima, il sert à collecter des réflexions fournies par toute personne identifiée, au sens large,
comme « partie prenante » du point de vue du phénomène sous étude (acteurs, experts, usagers,
bénéficiaires, citoyens, décideurs, consommateurs…). La dimension prospective de l’atelier suppose
que les réflexions produites soient de nature innovante : elles permettent de jeter un autre regard
non seulement sur le futur, mais sur le présent et même le passé – les événements, tendances,
décisions et ruptures qui, en contribuant à la situation actuelle, montrent ce que cette situation a de
contingent. On attend de la confrontation de ces réflexions qu’elle ouvre le champ des positions et
des analyses des personnes impliquées dans un atelier prospectif.
Même s’il ne s’agit pas toujours d’un objectif explicite d’un projet prospectif, un atelier constitue de
ce fait un espace d’apprentissage individuel et collectif. Dans les projets plus stratégiques, qui s’ins-
crivent dans une démarche de conduite du changement (large participation et lien direct à la déci-
sion), un atelier peut également représenter une opportunité d’intégrer de nouvelles références par-
tagées.
Dans le cadre de cette étude, la séquence d’ateliers prospectifs a été conçue pour solliciter les con-
naissances et l’expérience d’une diversité de publics (parties prenantes, experts scientifiques et aca-
démiques), de manière à construire une réflexion collective sur les futurs possibles de l’action pu-
blique en matière de lutte contre la pauvreté des enfants. Les ateliers ont fourni le matériau qui a
permis d’alimenter les différentes étapes de l’étude, depuis la phase diagnostic (atelier prospectif
Les participants et participantes ont été invités à s’inscrire à une matinée de travail parmi trois dates
proposées (14, 21 et 22 septembre 2022), à raison d’une vingtaine de participants et participantes par
session. Lors de chaque session, les personnes ont été réparties en quatre sous-groupes de quatre
à six personnes. De cette manière, il s’agissait de pouvoir récolter douze (trois fois quatre) productions
originales. Le nombre de tables sur les trois jours devait permettre d’atteindre un certain seuil de
redondance, et donc de saturation de l’information qualitative.
Le petit nombre de participants et participantes par table devait aussi faciliter l’autonomie et les
échanges au sein de chaque groupe, sans facilitation spécifique, avec une intervention des anima-
teurs et organisateurs limitée à l’explicitation des consignes et à la gestion du temps.
La répartition des participants et participantes en sous-groupes au sein des ateliers tâchait de ré-
pondre à deux grands principes : (1) assurer ouverture et diversité de points de vue autour d’une
table ; (2) garantir, au-delà de cette diversité, une certaine complémentarité entre intervenants. Ainsi
nous avons systématiquement évité de rassembler des personnes appartenant à la même institution
(premier principe), mais aussi de réunir à une même table des profils trop atypiques (second principe).
De manière générale, l’objectif était que chaque table puisse apporter une contribution riche et per-
tinente au diagnostic prospectif.
Au moment de la composition des tables, ces deux principes sont parfois entrés en tension, ce qui
a nécessité des arbitrages au cas par cas. Parfois, nous avons délibérément recherché une certaine
cohérence entre les participants et participantes sous certains points de vue, par exemple le niveau
de pouvoir (régional, communautaire, fédéral) dont relève leur action. Parfois, c’est au contraire la
confrontation de points de vue ou de logiques d’action qui a été favorisée. Nous avons également
pris soin qu’aucune table ne présente de déséquilibre en termes de genre. De manière générale, les
tables ainsi constituées ont été passées plusieurs fois en revue pour vérifier que ces principes avaient
été suivis.
• Lors d’un premier exercice, les participants et participantes ont mené un travail (individuel,
puis collectif) autour de la question : « C’est quoi, "être un enfant pauvre" aujourd’hui en Wal-
lonie ? Les six caractéristiques de la pauvreté infantile. » Concrètement, chaque sous-groupe
devait reporter le résultat de leur réflexion sur un grand cube (à raison d’une caractéristique
par face), puis le présenter lors d’une séance plénière de mise en commun. L’animateur syn-
thétisait alors le produit de la discussion sur un grand poster reprenant la production de tous
les groupes.
• Le second exercice était centré sur la rétrospective. Il était demandé aux participants et par-
ticipantes de répondre à la question « Comment en est-on arrivé là ? », et de s’accorder sur
une liste dix facteurs qui ont conduit à la situation actuelle. Chaque facteur était décrit sur un
Post-it de couleur (selon son importance : influent, très influent, déterminant) et positionné
sur une ligne du temps, entre 1990 et 2020. La restitution était cette fois assurée par un, une
ou plusieurs porte-parole du groupe chargés d’exposer en plénière le résultat de leurs ré-
flexions. Le travail de l’animateur était ici plus limité que lors de l’exercice 1 (relances, expli-
citations, recoupements).
Le matériau collecté a ensuite été analysé selon une méthode inspirée de la théorisation ancrée
(grounded theory, Glaser et Strauss, 2010) : les chercheurs élaborent progressivement un cadre con-
ceptuel qui rend compte de leurs observations ou de leurs données en élaborant des catégories de
plus en plus générales. Le processus est considéré comme suffisamment complet ou achevé lors-
que l’information a été saturée sur le plan qualitatif, c’est-à-dire que toute donnée supplémentaire
n’apporte plus de nouveaux éléments et peut être intégrée au jeu de catégories, sans devoir res-
tructurer le matériau.
• D’une part, le travail sur l’évolution des variables de contexte a été soumis à un groupe d’ex-
perts scientifiques, constitués de 29 chercheurs et chercheuses (22 experts IWEPS et 7 ex-
perts externes) disposant d’une compétence sur les disciplines, thématiques et domaines
abordés (économie, démographie, géographie, système politique et social, anthropologie…).
• D’autre part, la réflexion quant à l’évolution des variables politiques a été soumise à la dis-
cussion des parties prenantes, représentant différents organismes impliqués dans les poli-
tiques de lutte contre la pauvreté, dans les politiques de l’enfance ou dans la politique des
droits de l’enfant – c’est-à-dire une grande partie du public qui avait déjà participé à l’atelier
prospectif exploratoire.
Le travail sur les variables de contexte a été mené à distance par le groupe d’experts, entre le 26 mai
et le 16 juin 2023, via une plateforme d’enquête en ligne – en l’occurrence le logiciel Mesydel déve-
loppé à l’ULiège (François et al., 2013), qui s’inspire de la méthode Delphi (Landeta, 2006) pour faciliter
les consultations à distance de panels d’acteurs. En plus de disposer de toutes les fonctionnalités
permettant l’administration globale d’une enquête qualitative en ligne, la plateforme Mesydel per-
met une gestion collaborative et facilite l’analyse des données, à travers une interface adaptée aux
utilisateurs.
La première partie du questionnaire en ligne portait sur la relecture critique des fiches-variables.
Chaque expert pouvait choisir de relire et de commenter une ou plusieurs variables, en fonction de
ses domaines de compétences et affinités, afin de formuler des améliorations ou des corrections.
Dans un deuxième temps, la personne avait la possibilité de choisir la ou les variables sur lesquelles
formuler des hypothèses d’évolution. Pour cadrer l’exercice et aider les experts, parfois réticents à
se projeter dans des futurs de long terme, nous avons eu recours aux « futurs alternatifs géné-
riques » 132.
Grâce à un taux de participation élevé (80 %), cette consultation à distance a permis de récolter un
matériau particulièrement riche (32 000 mots, soit 198 réponses pour 115 questions). Au lieu de re-
courir à un second tour de questionnaire en ligne, les participants et participantes avaient été in-
formé.es qu’ils et elles seraient invité.es à discuter de leurs hypothèses en présentiel, à la faveur d’un
atelier spécifique dédié à la proto-scénarisation (voir section suivante).
Le travail sur les variables politiques a quant à lui été réalisé avec les parties prenantes lors d’un
atelier en présentiel d’une journée entière, qui s’est tenu le 4 juillet 2023. Pour faciliter la discussion
132
Voir supra, Chapitre 3 point 3.2.2.2.
La journée était structurée en trois temps, correspondant à trois objectifs distincts. Premièrement,
s’informer : à l’aide des synthèses des fiches-variables, les participants et participantes mènent une
réflexion, d’abord individuelle, puis collective, sur la définition et la rétrospective des variables con-
sidérées. Deuxièmement, analyser : le premier exercice de la journée (occupant toute la matinée)
était consacré à une analyse de type « AFOM » (Atouts-Faiblesses-Opportunités-Menaces) des po-
litiques menées, du point de vue de l’état actuel de la situation (chaque variable correspondant à une
politique). La partie « Opportunités » et « Menaces » de la discussion comportait déjà un élément de
projection dans le futur, qui devait préparer l’exercice suivant. Troisièmement, imaginer : à partir des
analyses AFOM de la matinée, l’exercice de l’après-midi consistait à réfléchir à des hypothèses
d’évolution de long terme pour chacune des variables considérées. Comme pour le travail avec les
experts techniques, nous avons eu recours aux « futurs alternatifs génériques » pour faciliter la ré-
flexion des parties prenantes. Les participants et participantes avaient pour tâche d’imaginer simul-
tanément, pour chaque variable considérée, des hypothèses « tendancielles », « incrémentales »,
« de rupture » et « de dégradation » 133.
Un système de rotation des participants et participantes d’une table à l’autre, sur le format « World
Café », a permis de discuter et de compléter, de manière itérative, le matériau produit par le groupe
précédent. Chaque participant et participante a ainsi eu l’occasion de s’exprimer au moins une fois
sur chacune des variables, et même d’approfondir, s’il ou elle le souhaitait, la discussion sur une
variable en particulier (la dernière rotation de la journée était en placement libre). À la fin de chaque
exercice, chaque facilitateur ou facilitatrice de table restituait en séance plénière, pour l’ensemble
de la salle, la réflexion de son groupe, transcrite sur un support (un poster au format A0).
Le travail de l’atelier était structuré en deux temps. Durant la matinée, les experts ont d’abord eu
l’occasion de prendre connaissance de l’ensemble des hypothèses sur les variables de contexte, qui
avaient été affichées sur les murs de la salle de réunion, à la manière d’un « cabinet de curiosité des
futurs de la Wallonie ». En circulant parmi l’exposition, les experts étaient invités à réfléchir aux ques-
tions suivantes, qui devaient préparer le prochain exercice portant sur la caractérisation des va-
riables : « Quels sont les éléments qui me marquent parmi les hypothèses d’évolution proposées ? »,
« Comment s’organisent les relations entre variables (influence/dépendance) ? Comment apprécier
la qualité des variables (impact-incertitude) ? » Après un moment de réflexion individuelle, les parti-
cipants et participantes, répartis en trois sous-groupes, devaient s’accorder sur le statut des variables
133
Voir supra, Chapitre 3 point 3.2.2.2.
Sur les huit proto-scénarios possibles (quatre sous-groupes multipliés par deux rotations), six seule-
ment représentaient des scénarios originaux, avec deux scénarios consistant en variantes ou correc-
tifs de scénarios proposés au premier tour. Dans l’ensemble, comme l’analyse du matériau l’a con-
firmé, le rôle assigné à chaque variable lors de cet exercice est venu corroborer le statut qui lui avait
été assigné lors de la matinée.
De manière à réduire l’espace de variations et le nombre de proto-scénarios ainsi généré, les experts
ont été invités à participer à un deuxième atelier, dit « de consolidation », le 9 octobre 2023. Après
l’exposé des résultats et la présentation des six proto-scénarios issus de l’atelier de juin, les partici-
pants et participantes ont été répartis en deux sous-groupes, correspondant respectivement à trois
scénarios d’accroissement et trois scénarios de réduction des inégalités.
Les tâches demandées aux experts lors de ce deuxième atelier étaient les suivantes : « Comparez
les trois scénarios entre eux, quels en sont les points communs et les différences ? » ; « Y a-t-il moyen
d’en rapprocher certains, voire de les fusionner ? », « Comment pourriez-vous affiner ces scénarios
pour décrire une image du futur relativement précise et concise ? ». À travers cette réflexion, indivi-
duelle puis collective, il s’agissait donc expressément d’éliminer les scénarios considérés comme
trop proches et de se concentrer sur des images du futur suffisamment précises et contrastées. Il
leur était également demandé de réfléchir aux trajectoires et aux jalons intermédiaires pouvant me-
ner à l’état futur en 2050, en particulier pour les scénarios qui présentent des points communs : à
quel moment s’opère(nt) le(s) point(s) de bifurcation qui les fera ou feront se différencier ? À ces élé-
ments s’ajoute une dimension plus systémique : « Les scénarios confirment-ils ou non le statut des
variables analysé lors du premier atelier (influence-dépendance et impact-incertitude) ? » « Ce statut
est-il cohérent d’un scénario à l’autre ? » « Le scénario porte-t-il bien sur les variables de contexte,
ou n’incorpore-t-il pas déjà, implicitement, des évolutions de variables politiques ? »
C’est donc à un véritable test de complétude et de pertinence que les experts scientifiques se sont
livrés lors de ce second atelier. La discussion en sous-groupes, puis en plénière, a permis de réduire
substantiellement le nombre de scénarios. D’une part, trois proto-scénarios d’accroissement des iné-
galités (ou de dualisation extrême) ont fusionné en un seul, avec deux variantes (selon, notamment,
Le résultat final du travail de consolidation, à savoir les trois scénarios de contexte et leurs compo-
santes, a été enfin présenté aux experts, lors d’un atelier de restitution qui s’est déroulé le 5 dé-
cembre 2023.
La journée s’est déroulée en trois rotations (une le matin, deux l’après-midi), qui ont permis à chaque
participant de travailler tour à tour sur chacun des scénarios, en reprenant la réflexion là où le groupe
précédent l’avait laissée, pour la compléter et l’affiner. Chaque rotation se terminait par une restitu-
tion en séance plénière réalisée par le facilitateur ou la facilitatrice, qui permettait à l’ensemble des
participants et participantes d’avoir un aperçu du développement du travail collectif.
Pour leur réflexion, les participants et participantes ont pu s’appuyer sur l’ensemble des hypothèses
d’évolution qu’ils avaient formulées lors de l’atelier du 4 juillet, préalablement synthétisées et en-
voyées dans les jours qui ont précédé le dernier atelier. Une (petite) minorité qui n’avait pu y participer
et prenait le processus en marche avait donc pu en prendre connaissance et s’est intégrée sans
difficulté aux discussions. Il s’agissait tout d’abord de reprendre, parmi les hypothèses d’évolution
imaginées en juillet, celles qui permettaient de développer le scénario considéré – ou d’en imaginer
d’autres. L’attention des participants et participantes a été attirée sur le fait que certaines hypothèses
consistaient spécifiquement en mesures, actions ou leviers politiques. Le cas échéant, il s’agissait de
se demander si ces mesures étaient effectivement compatibles avec le scénario, et s’il ne convien-
drait pas d’en imaginer d’autres.
Comme pour les experts scientifiques, la question des trajectoires, avec les états intermédiaires et
les états successifs, avait été intégrée à l’exercice : sur les supports (grands posters au format A0),
les scénarios comportaient, en plus de l’horizon final de 2050, des jalons en 2030 et 2040. Cette
dimension de la réflexion s’est révélée très précieuse lorsqu’il a fallu synthétiser les résultats de la
journée et élaborer la dynamique temporelle des scénarios. La dernière consigne donnée aux parti-
cipants et participantes portait sur la dimension systémique de l’exercice : réfléchir à la cohérence
de l’hypothèse d’évolution, non seulement avec le scénario, mais aussi avec les autres hypothèses ;
134
Dans le langage courant, une démocratie « illibérale » consiste en « un régime élu démocratiquement, qui, prétendant
détenir le monopole de la volonté générale du peuple, ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir et va
jusqu’à déposséder les citoyens de leurs droits et libertés ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illibé-
ral/188534. Pour une analyse de la notion, voir également Mineur, 2019.
Pour les deux derniers tours (répartis sur l’après-midi), qui voyaient les participants et participantes
reprendre et développer le travail des groupes précédents, de nouvelles consignes leur avaient été
données, visant à renforcer la cohérence interne du scénario : préciser ou affiner l’image du futur ;
imaginer des compléments ou des alternatives ; vérifier que le scénario dans sa globalité donne bien
une image globale et cohérente d’un futur possible de l’action publique en matière de lutte contre
la pauvreté des enfants ; s’interroger enfin sur la « portabilité » du scénario (est-il aisément commu-
nicable, au moins dans ses grandes lignes ?).
Ce dernier atelier a donc opéré la conjonction du matériau récolté lors des ateliers précédents : les
hypothèses d’évolution des variables politiques (produites lors de l’atelier du 4 juillet avec les parties
prenantes) ont été en quelque sorte « injectées » dans les scénarios de contexte socio-économique,
quant à eux élaborés avec les experts scientifiques, d’abord à distance (consultation en ligne du 26
mai au 16 juin), puis en présentiel (ateliers de « proto-scénarisation » du 20 juin et du 9 octobre).
Se concluait ainsi une séquence d’ateliers prospectifs et participatifs qui s’était échelonnée sur un
peu plus d’un an, entre septembre 2022 et novembre 2023 : en tout, sans compter les deux séances
de restitution, le projet a nécessité l’organisation de trois ateliers avec les parties prenantes et de
trois ateliers et/ou consultations avec les experts scientifiques.
La composition de ce public fut déterminée par trois principaux critères : (1) une certaine homogé-
néité dans les types de connaissance et d’appréhension de la pauvreté infantile, (2) une diversité la
plus large possible des points de vue, (3) un état qualifiable de « partie prenante », que ce soit dans
les politiques de lutte contre la pauvreté, des politiques de l’enfance ou dans les politiques de lutte
contre la pauvreté des enfants (ou, naturellement, à leur intersection). Ce public fut identifié à travers
l’analyse documentaire et les entretiens exploratoires individuels réalisés avec les membres du co-
mité de suivi du projet.
Tout d’abord, nous avons cherché à rassembler un public « homogène » dans les types de connais-
sance et d’appréhension de la pauvreté des enfants, dans l’objectif de dégager un « référentiel »
partagé ainsi que des points de tension entre acteurs de ces politiques. Cette orientation dans la
composition du groupe de participants et participantes aux ateliers repose sur un principe de cohé-
rence et une recherche de saturation de l’information au niveau des acteurs de l’action publique
contemporaine. Dans ce cadre, nous avons délibérément fait le choix de ne pas inclure parmi les
parties prenantes trois autres types de publics : (1) les « experts », chercheurs scientifiques et acadé-
miques (à une exception : un sociologue de l’UCL a participé à la discussion lors d’une journée d’ate-
lier exploratoire), (2) les publics cibles et bénéficiaires de l’action, enfin, (3) le commanditaire et le
personnel politique. Ces trois publics (détaillés dans les deux sections suivantes) devaient en effet
intervenir à d’autres moments du projet afin d’alimenter la définition de la pauvreté des enfants et
d’élargir, le cas échéant, le champ des variables prises en considération dans l’analyse, ainsi que les
points de bifurcation envisageables dans l’avenir.
Enfin, un troisième critère repose sur l’identification des personnes invitées comme membres d’or-
ganisations qualifiables de « parties prenantes » en matière de politique de lutte contre la pauvreté,
de politique de l’enfance et de politiques de lutte contre la pauvreté des enfants. Par « partie pre-
nante », nous entendons toute organisation détentrice d’un intérêt spécifique (institutionnel ou poli-
tique) dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces politiques.
Comme le montre la Figure ci-dessous, le public effectif qui a participé aux ateliers exploratoires de
septembre 2022 était composé en majorité par les acteurs des politiques de l’enfance et des poli-
tiques de lutte contre la pauvreté. Cinquante-sept personnes au total se sont inscrites aux trois demi-
journées d’ateliers.
• 25 % relevait d’un monde associatif actif directement dans ces politiques (Réseau wallon de
lutte contre la pauvreté, Ligue des familles, Eurochild…) ;
• 21 % étaient issus des organes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Délégué général aux
droits de l’enfant, Aide à la jeunesse, ONE, ARES…) ;
• 11 % provenaient des différentes caisses d’allocations familiales actives en Wallonie ;
• 9 % représentaient les services du SPW actifs en matière de politique de lutte contre la pau-
vreté et d’enfance (Haut Conseil Stratégique, Infrastructures/Crèches, DiCS) ;
• 7 % étaient issus des syndicats ;
• 7 % étaient membres d’organes fédéraux (Bureau du Plan, Service interfédéral de lutte
contre la pauvreté) ;
• D’autres types d’organismes, tels que les mutuelles, le Comité de Branche « Familles » de
l’AVIQ, la Fondation Roi Baudoin, l’AVIQ, CAP48 ou la Commission nationale des droits de
l’enfant, également actifs dans ces politiques, étaient représentés. Malgré nos efforts, des
organismes plus éloignés de ces politiques comme l’Union wallonne des entreprises ou les
pouvoirs locaux n’ont pas répondu à l’invitation ou n’ont pas pu participer.
À la différence des parties prenantes (voir section précédente), ils n’ont pas d’intérêts en jeu, mais
ont des connaissances « savantes » qui peuvent enrichir le processus à différents moments du pro-
jet : lors de la phase exploratoire, tout au long du suivi du projet, lors du développement de la base
prospective. Plus spécifiquement, un panel d’experts scientifiques a été constitué en cours de pro-
cessus, pour l’élaboration des hypothèses d’évolution des variables de contexte, puis la construction
des proto-scénarios qui ont servi de cadre aux parties prenantes pour l’élaboration des scénarios
finaux.
Dans le cadre de ce projet, les bénéficiaires de l’action ont été intégrés en aval du processus, à
travers une série de focus groups centrés sur des parents concernés par la pauvreté, ainsi que sur
des adolescents scolarisés, dans différents contextes sociogéographiques (voir Partie II du présent
rapport).
Il est, par ailleurs, prévu que les résultats de l’étude et les scénarios prospectifs soient présentés aux
élus et discutés par ceux-ci, en fin de projet.
INTRODUC-
CHAPITRE 4
Les scénarios
Un premier volet a consisté en un travail de définition d’hypothèses d’évolution des différentes poli-
tiques qui constituent ce champ d’action publique. Ce travail s’est opéré dans le cadre d’un atelier
rassemblant les parties prenantes de ces différentes politiques. Le dispositif a permis la co-cons-
truction d’hypothèses d’évolution par variables et l’identification de futurs possibles contrastés.
Un second volet a visé à la mise en concordance des hypothèses d’évolution avec les scénarios de
contexte. Les parties prenantes ont été amenées, dans le cadre d’un atelier, à choisir et à combiner
135
Voir Chapitre 3 point 3.3.3. pour la présentation de la méthode d’analyse morphologique et pour l’explicitation de la distinc-
tion entre analyse morphologique guidée et structurée.
Le premier volet de cette dernière phase vise à définir le système prospectif générique, c’est-à-dire
à stabiliser et à représenter une architecture du système articulant différentes composantes regrou-
pant chacune un jeu de variables clés, pertinentes en termes de motricité et d’incertitude.
Le second volet de cette dernière phase présente chacun des quatre futurs possibles du système
qui ont été retenus en dernière analyse, c’est-à-dire les quatre scénarios globaux. Nous la présen-
tons ici en trois points :
• dans un premier point, nous caractérisons le statut des variables en termes de motricité-
dépendance et d’incertitude/impact pour le scénario en question ;
• dans un deuxième point, nous détaillons les micro-scénarios de chacune des composantes
du système, micro-scénarios basés sur des hypothèses d’évolution spécifiques des variables
qui le composent ;
• dans un troisième point, nous représentons et expliquons l’état d’ensemble du système et le
scénario global qu’il définit.
136
Voir Chapitre 3 point 4.3.4.
137
Voir Chapitre 3 point 3.3.3.1.
Pour parvenir à repérer ces variables-clés du système prospectif, il existe une méthode : l’analyse
structurelle (Godet, 2009 : 155-186). Cet outil permet de saisir les relations d’interdépendance unis-
sant les variables et de leur conférer un statut de motricité et/ou de dépendance les unes vis-à-vis
des autres. Concrètement, il repose sur un positionnement des variables sur un plan à deux axes :
l’ordonnée caractérise le niveau de motricité de la variable, et l’abscisse, celui de dépendance. Par
ce moyen, on peut identifier trois types de variables essentielles à la compréhension de la dyna-
mique du système :
• d’une part, les variables d’arrière-plan, peu influentes et peu dépendantes, qui apparaissent
déconnectées du système et sans effet direct sur sa dynamique ;
• et, d’autre part, les variables de régulation, moyennement influentes et/ou dépendantes,
dont les effets sur la dynamique du système demeurent limités.
Pour renforcer la qualité de l’analyse du statut des variables, l’analyse structurelle peut être complé-
tée d’une analyse en termes d’impact-incertitude. Celle-ci permet d’approcher le phénomène de
motricité-dépendance sous un angle qui met en exergue les enjeux que peuvent représenter les
effets de certaines variables sur le système. Dans l’analyse structurelle, les variables relais peuvent
également être qualifiées de variables-enjeux. En effet, d’une part, leur état dépend de celui des
variables motrices, ce qui les rend sensibles à leur changement et, de ce fait, incertaines et, d’autre
part, elles jouent un rôle important dans la détermination de l’état des variables résultats. Les va-
riables relais apparaissent donc comme des leviers essentiels dans le fonctionnement du système.
138
Par la méthode dite micmac : la matrice est multipliée par elle-même plusieurs fois jusqu’à saturation de l’information afin
d’amplifier les contrastes entre variables et ainsi pouvoir les hiérarchiser (Godet, 2009 : 169-172).
139
Pour la présentation des dispositifs participatifs du projet, voir Chapitre 3 – Section 4.
140
Pour la présentation des dispositifs participatifs du projet, voir Chapitre 3 – Section 4.
141
Rappelons que ces deux analyses ne sont pas exclusives, mais complémentaires : elles visent à se consolider mutuelle-
ment pour renforcer la qualité de l’analyse prospective. Le dispositif participatif exploité pour réaliser cette analyse a d’ailleurs
permis de caractériser le niveau de consensus relatif au statut de chacune des variables : des opinions parfois divergentes
sur le statut de l’une ou l’autre variable ou, au contraire, convergentes ont pu apparaître durant ces échanges. Les résultats
présentés intègrent le niveau de consensus sur le statut de chacune des variables.
142
Pour certaines variables, on remarquera que deux statuts sont pris en considération. Cette double identité témoigne d’un
désaccord entre les experts consultés sur le statut de la variable au sein du système de contexte (voir note précédente).
Cette difficulté à les catégoriser tient à la question de leur dépendance et non de leur motricité. En
effet, pour les experts qui ont débattu du statut de ces variables, cette tension est liée, principale-
ment, à la question des limites du système. Toutes les variables évoquées jouent un rôle important,
mais sont inévitablement dépendantes de l’état d’autres variables : par exemple, la variable « chan-
gements climatiques et environnementaux », dont la motricité fait consensus, dépend de variables
comme les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre, mais aussi des politiques
climatiques ; de même, la « structure de l’État belge » dépend de variables comme l’état des rap-
ports de force entre courants politiques ou la situation économique, elles-mêmes tributaires d’autres
variables comme, par exemple, la situation géopolitique mondiale.
Ce statut ambigu de certaines variables tient en partie à la limite entre variables internes et externes
au système. On verra, dans la description des scénarios, que cette limite peut demeurer poreuse
dans certains cas de figure. Ainsi, la variable « changements climatiques et environnementaux » sera
principalement considérée comme motrice, bien que les états de variables externes dont elle dé-
pend soient pris en compte dans les narratifs des scénarios : on intégrera, par exemple, les effets de
la situation géopolitique mondiale ou l’état des politiques climatiques pour décrire la situation d’en-
semble dans laquelle se trouve plongé le système étudié.
Cette observation relative à la dépendance des variables motrices concerne, de façon particulière,
la variable « modèle familial » pour laquelle l’hésitation porte sur son niveau de motricité et de dé-
pendance, puisque son statut se tend entre la motricité et la régulation. Pour cette variable, les ex-
perts consultés s’entendent sur le fait qu’elle conditionne l’état d’autres variables, mais demeurent
en désaccord sur l’intensité de sa motricité. Cette tension tient au rôle conféré à cette variable dans
les inégalités dont souffrent certains enfants, en particulier ceux vivant dans des familles monopa-
rentales, familles pour lesquelles le risque de pauvreté est plus élevé que la moyenne. On verra
comment cette incertitude sur le statut de la variable peut être exploitée en fonction des scénarios
envisagés : dans certains cas, comme dans le scénario tendanciel (scénario 4), elle pourra jouer un
rôle moteur ; par contre, dans les autres scénarios, elle tiendra un rôle de régulation, voire même
Les variables motrices, pour deux d’entre elles, sont conçues comme tendances lourdes (climat,
paradigme économique). On ne retrouve pas de tendances lourdes associées à d’autres types de
variables : cela tend à confirmer la cohérence de l’analyse et conforte le statut de ces variables. Bien
entendu, cet effet de consolidation n’exclut pas, comme nous venons de le développer, que cer-
taines variables puissent glisser de statut en fonction des scénarios : certaines variables seront con-
sidérées comme variables relais ou de régulation plutôt que comme variables motrices dans certains
scénarios. En outre, le statut d’incertitude-impact pourra également évoluer, par exemple de ten-
dance lourde à incertitude majeure, en raison de certaines ruptures dans la dynamique du système.
Les variables de régulation sont des variables secondaires dans le système. La majorité d’entre elles
sont considérées comme relevant d’incertitudes mineures (au contraire des variables relais, pour
lesquelles l’incertitude est exclusivement majeure), ce qui tend à souligner et à renforcer le caractère
peu influent de ce groupe de variables dans le système. Au sein de ce groupe, on relève, néanmoins,
que deux variables (place des technologies, structure d’activité de la population) sont jugées tribu-
taires d’incertitudes majeures. Cet élément sera intégré dans la conception des scénarios : l’incerti-
tude associée à la variable technologique joue en effet un rôle important, en association avec
d’autres variables, principalement économiques. De même, l’incertitude associée à la structure d’ac-
tivité de la population, également grandement tributaire de l’état d’autres variables économiques,
sera prise en considération dans chacun des scénarios.
Les variables relais sont uniquement associées à des incertitudes majeures. Cela confirme leur rôle
d’enjeu dans le fonctionnement du système : si les états futurs de ces variables sont marqués par
une grande incertitude alors qu’elles jouent un rôle majeur dans l’état des variables résultats, elles
vont contribuer grandement aux trajectoires d’évolution possible du système. L’état du « budget (fi-
nances publiques) de la Wallonie », le « système politique », le « revenu des ménages » et, globale-
ment, la « situation économique de la Wallonie », constituent les quatre variables clés dans l’évolu-
tion du système, toutes dotées d’incertitudes majeures. Ces variables constituent donc des points
nodaux dans le système et dans la conception des scénarios. À ce groupe de variables s’ajoutent les
variables « paradigme d’action publique » et « structure de l’État » dont nous avons expliqué le statut
de variables relais plutôt que motrices dans le système. Cela permet d’accentuer leur statut d’enjeux
dans l’évolution du système puisque, comme nous l’avons mentionné précédemment, la variable
« paradigme d’action publique » joue un rôle nodal dans le fonctionnement du système et, par con-
séquent, dans la conception des scénarios.
Les variables résultats constituent les variables de sortie du système. Elles forment un ensemble
composé exclusivement de variables désignant l’état des inégalités (« inégalités environnemen-
tales », « inégalités scolaires », « inégalités sociales », « inégalités de santé », « inégalités technolo-
giques », « cohésion sociale »). Ces variables sont en majorité estimées tributaires d’incertitudes ma-
jeures dans leur état. Ce jugement semble cohérent et répondre aux incertitudes identifiées pour les
Les variables d’arrière-plan sont des variables dont l’évolution, si elle peut être influencée par l’état
du système, l’affecte de façon négligeable. L’analyse de motricité-dépendance, en associant cer-
taines variables à ce statut, permet donc, théoriquement, de les écarter du travail prospectif. Deux
variables relèvent de cette catégorie : « représentations et stéréotypes relatifs à la pauvreté » et
« système de valeurs (place de l’enfant dans la société) ». Écarter ces deux variables dans l’analyse
du système pourrait paraître quelque peu arbitraire, car elles demeurent liées à la dynamique du
système et l’on perdrait une partie de l’information en les excluant de l’analyse. Aussi, nous les réin-
tégrerons à l’analyse en tant que variables de régulation.
L’intégration de cet ensemble au système prospectif n’obéit pas à une logique similaire à celle des
variables de contexte. En effet, cet ensemble de variables concerne l’action menée à l’égard de la
pauvreté des enfants. Les variables de contexte étudiées précédemment permettent de décrire et
de comprendre la pauvreté des enfants en tant que phénomène systémique. Intégrer les variables
politiques au système suppose, par conséquent, qu’elles soient considérées dans l’analyse comme
un ensemble d’actions influençant les différentes variables qui composent le système et, ce faisant,
l’état de pauvreté des enfants. Dans le design du système, nous devons donc pouvoir incorporer à
son architecture, tout en la distinguant, la spécificité de ces variables politiques. En effet, cette incor-
poration doit pouvoir identifier la nature des interactions entre ces variables politiques et les autres
variables du système, ces interactions pouvant mener, dans un sens, à conditionner l’état des va-
riables politiques, et dans l’autre, à influencer l’état des autres variables composant le système. Grâce
au travail de prototypage du système réalisé par la méthode DPSIR, nous avons pu opter pour une
intégration de ces variables comme « variables réponses » distinctes des variables résultats. Nous
concevrons également ce groupe de variables comme une composante spécifique du système, la
composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants » 145.
143
Remarquons que cette variable, à la différence des autres, possède un caractère hybride : elle concerne à la fois l’état de
l’accès aux droits fondamentaux et l’action menée pour garantir cet accès. Le fait qu’elle soit considérée comme une rupture
critique, au contraire des variables objectivant l’état des inégalités, nous semble traduire cette double nature puisqu’une dé-
gradation de l’état de cette variable suppose une dégradation conjointe de l’accès aux droits fondamentaux et de l’action
menée pour garantir cet accès.
144
Voir Chapitre 3 – Section 1 – Point 1.1.
145
Voir point 2.4.6 du présent chapitre.
Dans cette section, nous allons passer en revue chacune des variables sélectionnées, c’est-à-dire
les variables motrices, les variables de régulation, les variables relais, les variables résultats et les
variables réponses. Par cet inventaire, nous en définissons la nature et en caractérisons l’évolution
récente par des éléments rétrospectifs.
L’analyse structurelle a permis d’identifier trois variables motrices : les « changements climatiques et
environnementaux », les « flux migratoires » et le « paradigme économique ». Chacune de ces va-
riables occupe donc une position importante dans le système par l’influence qu’elle peut exercer
individuellement ou en conjonction avec d’autres sur son état et sur ses évolutions.
Par exemple, la variable « place des technologies » permettra d’agrémenter la description d’une va-
riable motrice telle que le « paradigme économique » d’éléments clés sur les choix et orientations
des politiques économiques, le rôle conféré aux aspects technologiques dans la recherche de crois-
sance occupant une place importante dans de nombreux programmes politiques et économiques.
De plus, une variable démographique telle que la « structure par âge de la population » joue un rôle
important dans l’évolution de plusieurs variables relais : le vieillissement de la population impacte de
nombreuses variables économiques, et par ricochet, plusieurs variables associées à la forme prise
par l’État social.
Enfin, comme nous l’avons évoqué précédemment, nous avons fait le choix de réintégrer des va-
riables estimées d’arrière-plan dans l’analyse structurelle associées aux « représentations de la pau-
vreté » et à la « conception de la place de l’enfant dans la société ». Ces variables apparaissent
146
Le paradigme néoclassique met au centre des relations économiques le marché en tant que vecteur le plus efficient dans
l’allocation des ressources : un marché en équilibre (où l’offre égale la demande grâce à la libre concurrence) doit permettre
que l’amélioration de la situation d’un agent économique ne se fasse pas au détriment de la situation d’au moins un autre. Ce
principe est au fondement de celui de croissance économique : celle-ci permet une amélioration du bien-être de tous par
une augmentation du niveau de vie globale (Brand-Correa et al., 2022 ; Laurent, 2023). Cette croissance économique est basée
sur le développement des artefacts techniques et des technologies ainsi que des services associés estimés garants du bien-
être (Petit et al., 2022 : 30). Ce paradigme se fonde également sur un principe de comportement rationnel des individus : ils
sont censés chercher à maximiser l’utilité et leur satisfaction dans leurs choix économiques. En outre, la loi de l’offre et de la
demande, au cœur des logiques de marché, est estimée la seule à même de fixer un prix « juste » et de conférer, par ce fait,
une valeur à un bien ou à un service.
147
Le terme de « post-croissance » renvoie à un ensemble de travaux de recherches critiques qui visent à concevoir une
économie dont l’objectif n’est plus l’accumulation de richesses par la croissance continue, mais un bien-être des êtres hu-
mains et des êtres non humains respectueux des limites planétaires (Cassiers et al., 2017 ; Laurent, 2023 ; Rumpala, 2019).
Six variables ont été retenues comme variables relais. Quatre d’entre elles relèvent du fonctionne-
ment de l’État : « budget (finances publiques) », « paradigme d’action publique », « structure de
l’État » et « système politique ». Les deux autres concernent des aspects économiques : « situation
économique de la Wallonie » et « revenu des ménages ».
Ces éléments nous permettront d’alimenter la description de deux composantes centrales du sys-
tème et de positionner des enjeux clés de son fonctionnement : d’une part, la forme de l’État social,
déterminée, notamment, par les quatre variables relais évoquées ; d’autre part, le modèle écono-
mique, qui intègre les deux variables relais citées et d’autres variables, notamment motrices, comme
le « paradigme économique ».
Ce groupe est, dans cet esprit, composé de variables qui décrivent différentes inégalités condition-
nant l’état de pauvreté des enfants : « inégalités de santé », « inégalités technologiques », « inégalités
environnementales », « inégalités scolaires » et, de façon générique, les principales « inégalités so-
ciales ». Ce groupe intègre également la « cohésion sociale » qui permet de caractériser l’état d’ac-
cès des personnes aux droits fondamentaux ainsi que les processus mis en place pour garantir cet
accès.
L’état de cet ensemble de variables permet donc de comprendre la manière dont la dynamique du
système structurée par les autres types de variables détermine l’état de pauvreté des enfants.
148
https://www.vie-publique.fr/fiches/37861-inegalites-sociales-de-sante
Cet ensemble de variables regroupe les politiques qui composent le champ de l’action publique de
lutte contre la pauvreté des enfants en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Au contraire des variables précédentes qui caractérisent le contexte et pour lesquelles nous avons
proposé une définition « abstraite » suivie d’éléments de rétrospective afin d’en comprendre la tra-
jectoire, nous n’abordons pas, ou très peu, l’aspect rétrospectif pour les variables « réponses ». En
effet, dans la mesure où nous les considérons comme une réaction à l’état du système, nous nous
limitons à en décrire l’état actuel pour la Wallonie. Il y a, néanmoins, quelques exceptions à ce prin-
cipe : pour trois variables clés (la politique de lutte contre la pauvreté, la politique des droits de l’en-
fant et le régime de sécurité sociale), nous présentons des éléments de rétrospective utiles à la
compréhension de la dynamique d’évolution de la forme prise par l’État social, dont nous verrons
qu’elle est structurante dans les scénarios 149.
149
Voir point suivant « Les composantes du système prospectif » et la Section 3 du présent chapitre.
La conception des composantes du système vise à imaginer des groupes conceptuels pertinents
pour l’analyse prospective. Ainsi, on ne peut se contenter des statuts des variables pour créer les
scénarios : ceux-ci renseignent, certes, sur la dynamique du système et permettent donc d’imaginer
son fonctionnement et les trajectoires qu’il pourrait être amené à suivre en fonction du changement
d’état des variables ; en revanche, il n’apporte pas d’information sur la nature des variables.
L’analyse par composante, en ciblant la nature des variables, complète l’information relative à leur
statut. Elle permet de stabiliser l’architecture du système et rend possible la conception des scéna-
rios.
Dans cet esprit, notre analyse a dégagé six composantes constitutives du système :
• Climat et démographie
• Modèle économique
• Forme d’État social
• Modèle socioculturel
• État des inégalités
• Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants
On remarquera qu’au sein de cette composante se retrouvent deux variables motrices (« flux migra-
toires », « changements climatiques et environnementaux ») dotées d’un impact qui s’exerce sur
d’autres composantes et variables du système. La première de ces variables, les « flux migratoires »,
est, en outre, caractérisée comme incertitude majeure : on verra en effet, dans la conception des
scénarios, que plusieurs hypothèses d’évolution contrastées peuvent être imaginées pour cette va-
riable, hypothèses grandement tributaires de ruptures telles que les guerres et conflits et les effets
des changements climatiques et environnementaux 150. La seconde de ces variables, les « change-
ments climatiques et environnementaux », est, par contre, associée à une tendance lourde. Les
transformations climatiques en cours et futures sont, en effet, connues et reconnues : la trajectoire
du réchauffement climatique à l’horizon 2050 s’établit, sans changements majeurs, à +3°C à l’échelle
mondiale 151, ce qui aura de lourdes répercussions pour l’ensemble de l’humanité et sur l’ensemble
de ses activités. Par ces deux variables, cette composante s’avère la plus motrice au sein du système.
150
Un rapport récent de l’Unicef (2023) indique qu’entre 2016 et 2022, 43 millions d’enfants dans le monde ont été reconnus
comme réfugiés climatiques, car ils ont dû quitter leur lieu de vie à cause d’inondations, d’incendies, de tempêtes ou de
sécheresses.
151
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : « Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will
Les variables définissant le système économique dans son ensemble permettent de décrire ce qui
oriente la situation économique de la Wallonie : le « paradigme économique », identifié comme va-
riable motrice, associé à la « place accordée aux technologies » dans le développement écono-
mique et sociétal, permet de comprendre la trajectoire de la dynamique économique. La « situation
économique de la Wallonie » apparaît ainsi comme variable relais de l’état de ces variables et induit
elle-même d’importants effets directs sur la « structure d’activité de la population » et le « revenu
lead to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long-
term impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate
change and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts
and related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change
impacts and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur sim-
ultaneously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence). ». Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ ; voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese
Cette composante, en tant que sous-système, joue donc un rôle moteur dans le fonctionnement
d’ensemble du système étudié. Les changements d’état de la variable motrice « paradigme écono-
mique » et ses répercussions sur la variable relais « situation économique de la Wallonie » influen-
cent dès lors fortement les trajectoires possibles du système. Nous verrons comment, dans les
quatre scénarios, les transformations de ces variables peuvent induire d’importants effets en chaîne
sur les composantes et, à l’inverse, comment ces transformations peuvent être induites ou directe-
ment occasionnées par les variables réponses.
Aussi, dans la conception de cette composante, accordons-nous un poids particulier à cette variable.
Cela ne nous empêche pas, toutefois, de concevoir qu’elle demeure tributaire d’autres variables in-
ternes du système. Elle dépend, par exemple, de deux autres variables de la composante, la « struc-
ture de l’État » et le « système politique ». En effet, ces variables concernent le niveau de fédéralisa-
tion de l’État belge, d’une part, et la nature du régime politique ainsi que la place des différents ac-
teurs parapublics dans le fonctionnement des institutions et de l’action publique, d’autre part. Par
conséquent, leur état influence fortement la manière dont l’action publique s’organise et se structure
au sein de paradigmes spécifiques et généraux. Nous avons vu précédemment que l’émergence de
la lutte contre la pauvreté infantile comme paradigme d’action publique est issue, notamment, de la
constitution d’un nouveau champ d’action publique autonome qui a transformé la manière dont le
système politique conçoit l’enfance et organise les politiques qui la concernent. Nous avons vu, éga-
lement, que ce changement de paradigme s’est appuyé sur la régionalisation de compétences en
matière de lutte contre la pauvreté et de sécurité sociale (allocations familiales).
La variable « paradigme d’action publique » conditionne également fortement la forme prise par
l’État social, ceci en interaction avec la variable « budget (finances publiques) » et, en amont, avec
les variables de la composante « modèle économique ». En effet, la rétrospective de ces variables
permet de comprendre la façon dont l’État social actif a émergé et a supplanté l’État-providence
dans le courant des années 1990 et au début des années 2000 : la réduction des dépenses publiques
dans le cadre des accords de Maastricht et de politiques d’austérité budgétaire, la mise en place de
la Nouvelle Gestion Publique au sein des administrations visant à garantir une efficacité dans l’action
Cette composante et sa dynamique entretiennent également, cela va dans dire, des liens étroits
avec la composante « action publique de lutte contre la pauvreté infantile ». Celle-ci, on le verra, est
isolée pour les besoins de l’analyse alors que plusieurs des variables qui la constituent pourraient
être intégrées à la composante « forme d’État social ». Cette distinction est néanmoins maintenue,
car elle permet de séparer le rôle de variables « structurelles » ou « contextuelles » de celui de va-
riables « leviers », moyens d’action politique à l’égard des inégalités et de la situation de pauvreté
des enfants.
L’ensemble des variables de cette composante sont des variables de régulation. Elles pourraient
donc, en principe, être écartées de l’analyse. Leur intégration nous semble importante, car elle per-
met d’affiner la compréhension de la dynamique du système. En l’occurrence, il s’agit d’appréhender
par cette composante ce qui peut influencer le contexte de vie immédiat d’un enfant : le modèle
familial, les représentations et stéréotypes relatifs à la pauvreté et le système de valeurs (place de
l’enfant dans la société).
Cinq formes d’inégalités sont appréhendées à travers cette composante : les « inégalités sociales »
dans leur ensemble, les « inégalités de santé » », les inégalités environnementales », les « inégalités
scolaires » et les « inégalités technologiques ».
Nous avons également fait le choix d’intégrer une variable au statut critique : la « cohésion sociale ».
Cette variable se caractérise par une nature hybride : elle recouvre à la fois un horizon social et un
moyen d’action. Elle joue, par cette nature, un rôle nodal. On verra que cette variable, par cette po-
sition dans le système, peut changer totalement de nature dans certains scénarios, comme le scé-
nario 3, ou apparaître comme une rupture dans d’autres, comme le scénario 1. Dans la représentation
graphique, nous l’associerons à la variable « inégalités sociales », dans la mesure où la variable « co-
hésion sociale » intègre cet aspect et que nous distinguons certaines formes d’inégalités spécifiques.
Nous avons choisi, notamment, d’isoler la variable « inégalités de santé » par rapport à la variable
« inégalités sociales », qui, pourtant, peut l’inclure, afin de rendre visible la problématique de la santé.
Nous l’avons mise en exergue, d’une part parce qu’elle représente un enjeu critique pour l’enfance
mentionné par de nombreux acteurs et experts, et d’autre part, parce qu’elle peut constituer un enjeu
d’évolution majeure dans son association avec les transformations du « paradigme économique ».
En effet, dans le scénario 3, nous verrons une mutation de ce paradigme en faveur d’une logique
post-croissance qui met à l’avant-plan du développement économique le bien-être et la pleine santé
des populations.
Ces politiques forment des résultats de la dynamique du système, car elles sont le produit des lo-
giques suivies par d’autres composantes et variables qui le composent : on pense évidemment à la
composante « forme d’État social » pour laquelle l’interaction entre la politique de lutte contre la
pauvreté et le paradigme d’action publique génèrent d’importants effets ; mais on peut également
songer à la politique des droits de l’enfant dont on a étudié les interactions avec le reste du système
Ces politiques constituent également des réponses à l’état du système, en visant à en influencer la
trajectoire. L’orientation de ces réponses est particulièrement intéressante à étudier, comme nous
l’avions évoqué au moment du prototypage du système à l’aide de la méthode DPSIR. En effet, l’ana-
lyse interroge sur la façon dont ces différentes politiques influencent l’état des variables constitutives
du système et, plus encore, quelles variables en particulier et quelles composantes. L’exemple de
la politique des droits de l’enfant étudié dans le premier chapitre montre, en effet, son statut de
réponse à l’état des inégalités vécues par les enfants. Il souligne également son rôle de levier dans
la transformation de l’État social, puisqu’en conjonction avec la transformation du régime de sécurité
sociale lors de la réforme des allocations familiales, elle a réinjecté des logiques assurantielles et
universalistes à l’égard du public des enfants.
Enfin, on notera que cette composante s’agence autour de trois groupes de variables :
• les variables qui concernent des politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’en-
fance », « politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des
droits de l’enfant ») ;
• les variables qui concernent des politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte
contre la pauvreté », « politique de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique
de promotion de la santé », « régime de sécurité sociale (y compris les allocations fami-
liales ») ;
• les variables qui jouent un rôle dans la lutte contre la pauvreté des enfants de façon indirecte,
en touchant la composante économique (« politique du logement », « politique fiscale »).
Variable
Politique scolaire
Politique du logement
Politique fiscale
• les statuts de variables jugées pertinentes pour l’analyse : les variables motrices, les variables
de régulation, les variables relais, les variables résultats, les variables réponses ;
En évoquant la structure des composantes, nous avons également introduit sous forme d’exemples
différents types de relations entre variables, en particulier des relations causales (l’état de la variable
A a pour conséquence l’état de la variable B) et, également, des relations d’influence ou de remise
en cause (l’état de la variable X influence ou remet en cause l’état de la variable Y), ceci souvent par
effet retour, ce qui est particulièrement le cas pour les variables réponses.
Nous avons également souligné que certaines variables constituent un point nodal en raison du
grand nombre de relations qu’elles entretiennent avec d’autres variables, mais aussi, par consé-
quent, du rôle transformateur qu’elles peuvent jouer au sein du système. C’est particulièrement le
cas de certaines variables relais comme les variables « budget (finances publiques) » ou « revenu
des ménages », et de variables résultats comme « cohésion sociale » et « inégalités sociales ».
Ces cinq éléments guident la représentation graphique du système prospectif. La figure 14 permet
d’appréhender ainsi l’architecture complète du système : on y identifie les éléments clés, leur posi-
tion et leur statut dans le système ainsi que les relations qu’ils entretiennent entre eux.
Cette figure permet également de mettre en exergue, par l’observation du « sous-système » formé
par l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants et ses ramifications avec le reste du
système, que cette action publique exerce son influence sur certaines parties du système. Elle se
concentre principalement sur la composante « état des inégalités » avec de rares incursions dans
d’autres composantes, notamment la composante « modèle économique » via l’action sur la variable
« revenu des ménages ». On notera que cette action n’a pas d’effet direct sur les variables motrices
du système et que, par conséquent, l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants, dans
sa forme actuelle, se limite à traiter les conséquences de la dynamique du système, sans, donc, agir
sur les causes.
Comme nous le verrons, cette dernière observation s’avèrera particulièrement intéressante à exploi-
ter, en plus des changements d’état des variables motrices et des nœuds du système, pour la con-
ception des scénarios.
Nous disposons, à présent, grâce à ce travail, des éléments nécessaires à la conception des scéna-
rios. Rappelons que les scénarios que nous proposons dans cette section constituent le fruit d’une
analyse morphologique que nous qualifions de structurée.
Par cette qualification, nous souhaitons signifier notre emploi particulier de cette méthode de scé-
narisation. En effet, comme nous l’avons présenté au chapitre précédent, le travail de réduction de
l’espace morphologique (c’est-à-dire l’identification des combinaisons d’hypothèses d’évolution per-
tinentes et vraisemblables pour la scénarisation) s’est opéré par l’enchaînement de deux exercices
de conception de scénarios.
• Dans le premier, nous avons co-construit avec un groupe d’experts un jeu de scénarios de
façon guidée : d’une part, les hypothèses d’évolution avaient été prédéfinies ; d’autre part,
les effets de la dynamique du système étaient également prédéfinis. Par conséquent, le tra-
vail des experts a consisté à imaginer des combinaisons d’hypothèses d’évolution visant à
différents états possibles des variables résultats. Un jeu de proto-scénarios combinant cer-
taines hypothèses d’évolution des variables et jouant sur certains effets de motricité-dépen-
dance est ainsi ressorti de ce premier exercice de conception des scénarios.
• Dans le second, nous avons traité ces proto-scénarios pour en accentuer les contrastes et
en limiter le nombre (passant de huit proto-scénarios à trois, plus un scénario tendanciel).
Nous les avons également enrichis de la composante « action publique de lutte contre la
pauvreté des enfants » pour obtenir les quatre scénarios présentés dans les points suivants.
Ainsi, l’analyse morphologique employée dans cette étude est structurée, d’une part, par un cadre
de scénarisation restreignant les combinaisons possibles d’hypothèses d’évolution, et d’autre part,
par la compréhension fine de la dynamique du système qui permet, pour faire contraster les scéna-
rios entre eux, de jouer sur les variations d’état de certains éléments clés qui le constituent.
Cette section vise à présenter chacun des scénarios de façon « technique ». Il s’agit d’en décomposer
la structure en caractérisant, pour chacun, deux éléments :
• « Scénario 1 – Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie pré-
carisée » ;
• « Scénario 2 – Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir » ;
• « Scénario 3 – Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités
dans une Wallonie transformée » ;
• « Scénario 4 (tendanciel) – Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance »
dans une Wallonie fragmentée ».
Nous reviendrons sur le sens de chacun des titres en introduction à chacun des scénarios. Cela per-
mettra de détailler les raisons pour lesquelles nous l’estimons évocateur du contenu du scénario.
Remarquons toutefois, d’emblée, que nous avons mis l’accent dans les quatre titres sur le rôle joué
par la forme d’État social dans la trajectoire d’évolution, pour centrer les scénarios d’entrée de jeu
sur la question des politiques sociales et, par extension, sur l’action publique de lutte contre la pau-
vreté des enfants.
Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.
Dans ce scénario, la question migratoire est traitée par la fermeture des frontières. Les personnes
d’origine immigrée déjà présentes vivent différentes formes de stigmatisation. Les conflits entre
communautés se multiplient, posant des problèmes de sécurité intérieure (sur fond de dégradation
importante de la situation sociale, de réduction des dépenses publiques et des services publics).
La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, une diminution de
la taille des ménages.
Dans ce scénario, ce vieillissement accentue les difficultés financières de l’État (réduction de l’as-
siette fiscale) et engendre une pression importante sur le système de santé, les conséquences sa-
nitaires des changements climatiques et environnementaux touchant davantage les populations
plus âgées.
152
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese
Dans cette approche, on estime que la croissance économique doit bénéficier au bien-être des po-
pulations par des « effets de ruissellement ». La croissance économique est censée, en effet, per-
mettre une amélioration du bien-être de tous par une augmentation du niveau de vie globale 153.
Par ailleurs, ce paradigme suppose que la croissance économique est permise par le développe-
ment des artefacts techniques et des technologies ainsi que des services associés estimés garants
du bien-être 154. Ce rôle central des technologies appuie une forme de techno-optimisme : grâce aux
technologies « vertes » et aux technologies « digitales », on espère que le fonctionnement de l’éco-
nomie sera optimisé (notamment, par la décarbonation) de manière à ainsi pouvoir faire face aux
enjeux des changements climatiques et environnementaux.
153
Voir Brand-Correa et al., 2022 ; Laurent, 2023.
154
Petit et al., 2022 : 30.
Indépendamment de la variante suivie par la composante économique, le budget de l’État voit ses
dépenses drastiquement réduites.
Comme la précédente, cette composante est susceptible de recevoir deux déclinaisons différentes
selon les variantes :
• Dans la variante 1 (croissance économique faible à nulle), l’État fait face à une situation parti-
culièrement tendue : d’une part, ses dépenses augmentent en raison de la gestion des crises
à répétition (et ce, malgré l’austérité budgétaire), d’autre part, les recettes s’affaiblissent. L’en-
dettement explose, ce qui risque de conduire la Wallonie vers un scénario « à la grecque »
où elle se voit imposer des plans de remboursement et doit réaliser des coupes budgétaires
massives.
• Dans la variante 2 (croissance économique soutenue), le budget de l’État 155 bénéficie de re-
cettes en augmentation qui lui permettent de rembourser sa dette tout en gérant les crises
à répétition. Les dépenses publiques sont, toutefois, réduites faute de moyens supplémen-
taires suffisants, au détriment des politiques sociales – les soutiens à l’économie en crois-
sance se maintenant.
Cette situation économique de la Wallonie particulièrement tendue est renforcée par la transforma-
tion de la structure de l’État qui la conduit à une autonomie très importante dans la gestion des com-
pétences, notamment en matière de sécurité sociale, autant que dans ses ressources.
Ce micro-scénario de la composante « forme de l’État social » peut prendre place dans deux envi-
ronnements politiques assez différents : l’un où dominerait une coalition politique de type néo-libé-
rale avec une tendance au glissement vers un régime illibéral 156 (variante 1) ; l’autre où apparaîtrait un
pouvoir politique de type autoritaire-conservateur (variante 2).
155
Par « État », nous entendons le pouvoir public légitime considéré dans l’analyse, en l’occurrence la Région wallonne. Notons
que, dans la mesure où nous traitons l’information de façon prospective, nous concevons que la forme prise par l’État peut
évoluer dans le futur.
156
Dans le langage courant, une démocratie « illibérale » consiste en « un régime élu démocratiquement, qui, prétendant
détenir le monopole de la volonté générale du peuple, ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir et va
jusqu’à déposséder les citoyens de leurs droits et libertés ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illibé-
ral/188534. Pour une analyse de la notion, voir également Mineur, 2019.
Cette approche s’insère dans un cadre plus large qui conçoit la pauvreté comme une condition dont
la personne est estimée responsable, notamment pour des motifs psychologiques (l’inadaptation
sociale, par exemple). De ce fait, la pauvreté est davantage envisagée comme un problème de sé-
curité publique traité par le système pénal et, pour les plus jeunes, par la protection de la jeunesse,
avec la systématisation du placement.
• territorial (activités économiques et logements dépendants des lieux de production des ri-
chesses) ;
• en matière de santé (privatisation, dualisation du système de santé, dégradation de l’état de
santé des plus précaires) ;
• en matière environnementale (les populations pauvres et précarisées sont plus exposées
que les autres aux conséquences des changements climatiques et environnementaux) ;
• au niveau scolaire (dualisation du système scolaire) ;
• au niveau technologique (accroissement de la fracture numérique).
3.1.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 1
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.
Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par deux éléments :
• Une approche « low-cost » : les infrastructures d’accueil sont limitées à des accueils d’ur-
gence ; les droits de l’enfant demeurent prioritaires, mais dans l’idée d’éviter le basculement
dans la pauvreté.
• Une protection des enfants à la fois bureaucratisée et priorisée : le champ de la politique de
protection de la jeunesse tend à s’étendre, la pénalisation et le placement se banalisant (sou-
tenu par le recours aux familles d’accueil et la privatisation des institutions) ; le retrait de
l’autorité parentale se systématise également.
• Un contrôle social omniprésent : les familles et les enfants sont profilés (plutôt qu’accompa-
gnés), notamment grâce aux outils technologiques et à l’intelligence artificielle, et leurs si-
tuations sont davantage psychologisées, la sortie de la norme les reléguant à des offres al-
ternatives.
• Une concentration sur des cibles prioritaires : les politiques s’adressent à des publics « dans
la norme ». Les enfants ou familles qui sortent du cadre (enfants en décrochage, enfants se
démarquant par leur intelligence supérieure à la norme, familles monoparentales, familles
pauvres, familles précarisées) sont écartés d’une prise en charge par les institutions pu-
bliques. En outre, majorité et âge de fin de scolarité sont abaissés à 16 ans pour permettre
une réduction des dépenses : les jeunes se retrouvent plus tôt sur le marché de l’emploi et
sont peu qualifiés.
• Une relégation des publics ne rentrant pas dans la norme à une « offre alternative » : ces
publics sont orientés (ou exclus) vers d’autres systèmes de prises en charge. Les enfants en
difficulté sont rapidement conduits vers l’enseignement spécialisé. Les enfants qui se dé-
marquent par leur potentiel peuvent bénéficier de bourses du secteur caritatif pour intégrer
des « écoles d’élites ». Les enfants peuvent également être amenés à rejoindre des sys-
tèmes alternatifs (néo-religieux). Pour les familles, l’exclusion des systèmes de protection et
de sécurité sociale peut également s’accélérer si diverses obligations ne sont pas rencon-
trées (par exemple : conditionnalité des allocations familiales à la scolarisation) ou s’ils ne
bénéficient pas de revenus suffisants (par exemple : accès à des soins de santé privatisés).
Cela peut les amener vers d’autres structures garantissant une protection (caritatif, associatif,
organisations criminelles) ou à se « débrouiller » via leurs relations sociales.
Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments éga-
lement :
• La priorisation : au niveau du logement, on cible des jeunes issus de classes moyennes dé-
favorisées, plutôt que les populations pauvres ; au niveau des revenus de substitution, on
supprime toute forme de revenus alternatifs et d’aides sociales pour les remplacer par une
allocation universelle (allocation familiale qui se prolonge).
• La segmentation : les territoires se segmentent, la ségrégation spatiale augmente (les popu-
lations pauvres et précaires vivent dans des logements vétustes dans des territoires davan-
tage exposés aux risques climatiques) ; le système de protection sociale se fragmente avec
le développement d’une offre caritative et philanthropique qui pallie le désinvestissement
de l’État.
• Le contrôle : criminalisation de la pauvreté et/ou incitants fiscaux à la sortie de la pauvreté.
Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 1, nous proposons une présenta-
tion du scénario global à travers deux figures (15 et 16). Celles-ci permettent de visualiser le scénario
global pour en comprendre la dynamique d’ensemble.
Ces figures livrent également une information supplémentaire : la diachronie des événements. Nous
proposons, en effet, d’imaginer à travers ces figures les trajectoires d’évolution des scénarios afin de
situer dans le temps les changements d’état des composantes évoqués aux points précédents. Ainsi,
peut-on mieux comprendre les transformations qui s’opéreraient entre 2025 et 2050 si ce scénario
venait à se réaliser.
La présentation du scénario global ressuscite également une distinction que nous avions suspendue
le temps de la conception du scénario : la distinction entre les composantes contextuelles et la com-
posante d’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants. Il nous a semblé, en effet, utile et
nécessaire de la réintroduire à ce stade pour pouvoir proposer une vision spécifique de la forme que
pourrait prendre l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants à travers les différents po-
litiques qui la composent. La figure 16 détaille, ainsi, de façon diachronique, la façon dont chacune
des dix politiques prises en considération dans l’analyse pourrait évoluer congrument avec l’évolu-
tion du contexte présentée dans la figure 15 et en corrélation les unes avec les autres.
Dans la section dédiée aux narratifs, nous intégrerons de façon discursive l’information livrée dans
ces figures.
• Le retour d’un État qui oriente les directions prises par l’économie dans le cadre de la transition
écologique. L’intervention de l’État vise à soutenir le développement d’une économie « verte »
et « durable » qui mise sur l’innovation et les technologies, en particulier en matière énergétique.
Cette approche est vue comme « responsable » aux plans environnemental et sociétal et devient
le cadre de référence partagé par le monde politique et économique.
• Dans ce contexte, l’enfance est l’objet d’une attention très particulière : les enfants sont considé-
rés comme un « capital humain » dans lequel il est prioritaire d’investir pour assurer l’advenue
des talents nécessaires aux nouveaux secteurs économiques, mais aussi, pour les plus pauvres,
en vue de les sortir de la spirale de la pauvreté et de la précarité par la mobilité sociale.
• La Wallonie s’inscrit pleinement dans cette approche de l’économie en investissant dans les in-
frastructures et dans le soutien aux activités économiques prioritaires pour la transition. Elle in-
vestit également dans les différentes politiques de l’enfance, avec une attention particulière à la
scolarité et à l’accueil dès le plus jeune âge. Elle revalorise les filières techniques et profession-
nelles pour permettre le développement de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire. Les politiques
sociales bénéficient de l’embellie économique par les effets redistributifs. Cependant, l’investis-
sement de l’État dans le système social n’est pas sans contrepartie : les droits demeurent condi-
tionnels à l’inscription des personnes dans des projets de vie et professionnels qui correspondent
aux orientations politiques et économiques.
157
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese
Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.
La situation climatique mondiale a d’importantes répercussions sur le phénomène migratoire : les
migrations climatiques prennent de l’ampleur, à la fois en raison de l’inhabitabilité de certaines ré-
gions du globe et du développement de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles.
Dans ce scénario, la question migratoire est traitée d’une façon moins radicale que dans le scénario
précédent : les frontières ne sont pas fermées, mais les flux migratoires sont très strictement contrô-
lés. Les migrations de travail qualifié sont accueillies et encouragées. Une politique poussée d’inté-
gration des personnes issues de pays extérieurs à l’Union européenne est mise en place.
La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, une diminution de
la taille des ménages.
Dans ce scénario, ce vieillissement pèse lourdement sur les finances publiques en raison de la ré-
duction de l’assiette fiscale et de la pression qu’il exerce sur le système de santé, les populations
plus âgées étant davantage exposées aux effets des changements climatiques et environnemen-
taux. Il est, en revanche, compensé, comme nous le verrons dans l’analyse des composantes « mo-
dèle économique » et « forme d’État social », par une « embellie » économique qui profite aux mé-
canismes de redistribution, ainsi que par d’importants investissements de l’État dans l’infrastructure
de santé et de sécurité sociale.
Par ailleurs, la réduction de la taille des ménages est compensée, dans ce scénario, par un soutien
spécifique aux familles monoparentales, celles-ci présentant un risque accru de pauvreté et de pré-
carité.
Tableau 22 : Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 2
Dans ce contexte émerge un État qui, par ses investissements, oriente l’économie vers une transition
énergétique rapide. Le rôle de l’innovation et la place des technologies sont centraux dans ce mo-
dèle de développement économique qui demeure fondé sur une logique de croissance. Ainsi, à
l’instar du scénario précédent, le paradigme économique demeure ancré dans un techno-optimisme
qui voit dans les technologies vertes et digitales des leviers pour faire face aux enjeux des change-
ments climatiques et environnementaux. Les investissements massifs des pouvoirs publics permet-
tent de soutenir la croissance en stimulant la demande effective. Ainsi, la planification économique
est renforcée. L’État investit également massivement dans le système de formation et d’éducation,
dans une logique « adéquationniste », c’est-à-dire qui rend disponible une main-d’œuvre qui satisfait
aux demandes d’un marché orienté vers la transition énergétique. Les personnes sont vues comme
des ressources pour l’économie, et les enfants comme un capital humain potentiel à faire fructifier
par l’investissement dans les structures d’accueil, l’éducation et la formation.
158
Voir Brand-Correa et al., 2022.
Par une logique d’investissement dans son « capital humain », cette forme hybride d’État social dé-
veloppe des politiques sociales ambitieuses en matière de logement, de santé, d’éducation, de
transport… Ces politiques permettent à l’économie de se développer et garantissent, par ailleurs, une
certaine mobilité sociale. En misant sur diverses formes d’innovations sociales qui permettent de
nouvelles formes de coordination entre acteurs, elles renforcent la cohésion sociale. La question de
« l’investissement dans l’enfance » y occupe une place centrale, avec un égard particulier pour la
petite enfance 159.
Dans ce scénario, le budget de l’État connaît, d’une part, un accroissement des recettes dû à la crois-
sance économique importante et, d’autre part, une augmentation des dépenses due aux investisse-
ments dans l’économie et à ceux réalisés dans les politiques sociales via les mécanismes redistribu-
tifs.
Cette situation économique favorable de la Wallonie est renforcée par la septième réforme de l’État
belge qui accroît fortement l’autonomie régionale, notamment en matière de sécurité sociale et de
fiscalité. La Wallonie est relativement libre pour mener des politiques qui correspondent aux orien-
tations choisies par ses institutions politiques.
Celles-ci bénéficient d’ailleurs d’une confiance accrue de la population : le système politique a évo-
lué vers une nouvelle forme de corporatisme (au sens d’Esping-Andersen) qui inclut davantage les
acteurs des différents secteurs et développe la participation des bénéficiaires. L’organisation poli-
tique est gouvernée par un consensus transpartisan 160 de type centriste.
159
Cette approche s’inscrit dans la suite des travaux de l’économiste et sociologue danois Gøsta Esping-Andersen. Dans son
ouvrage de 2008, Trois leçons sur l’État-providence (Esping-Andersen, 2008), cet auteur a identifié l’importance de prendre
en compte l’âge préscolaire comme vecteur d’(in)égalités sociales. Selon les analyses qu’il développe dans la « deuxième
leçon », le défaut des politiques sociales dans leur lutte contre les inégalités est de s’être focalisées sur les âges scolaires et
d’avoir négligé la période préscolaire qui est, d’après lui, cruciale pour le développement des capacités d’apprentissage de
l’enfant, pour sa réussite scolaire future et, donc, pour son insertion future dans la société en tant qu’adulte.
160
Par « transpartisan », nous entendons : « Qui cherche à dépasser le traditionnel clivage des partis en prônant des solutions
susceptibles de recueillir un large consensus pour le bénéfice de tous ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/fran-
cais/transpartisan/188391
Les composantes « modèle économique » et « forme d’État social » influencent une conception par-
ticulière de l’enfance inspirée de sa définition onusienne. L’enfance est « onusienne » dans le sens
où elle est considérée comme un groupe distinct du reste de la société qui bénéficie d’une protec-
tion particulière. Cela conduit également à une promotion de l’autonomie des enfants. Par ailleurs, la
vision de l’enfance comme ressource sociale à valoriser supportée par les paradigmes économiques
et politiques mène à une logique de formation aux attentes et aux besoins de la société. Cette spé-
cificité constitue un contrepoint aux investissements consentis par l’État aux services dont bénéficie
l’enfant pour la pleine réalisation de ses droits fondamentaux et pour favoriser « l’égalité des
chances ».
Cette dynamique propre au modèle socioculturel et ses liens avec celles des autres composantes
du système suppose une réduction de la pauvreté sans, pour autant, aller jusqu’à sa disparition. Le
modèle sociétal très inclusif suppose que les personnes qui n’y participent pas et/ou en sont exclues
forment un groupe marginalisé qui alimente une pauvreté « résiduelle ». Cette pauvreté est sociale-
ment acceptée, car elle est appréhendée comme un choix individuel de demeurer « hors système » :
tous les moyens sont mis en œuvre pour garantir aux personnes leur participation à la dynamique
Par conséquent, même si ce scénario suppose une réduction globale des inégalités, la pauvreté
demeure importante. La protection sociale demeurant conditionnelle, les effets des changements
climatiques et environnementaux ont des répercussions majeures sur les situations de vie et de
santé des personnes pauvres et précarisées, ceci malgré une amélioration de l’accessibilité globale
des soins de santé.
Dans ce système, les enfants, pour autant qu’ils participent aux orientations de l’éducation et de la
formation, bénéficient d’une importante réduction des inégalités, en particulier en matière scolaire,
un objectif central des politiques mises en place étant l’augmentation des compétences et de l’em-
ployabilité des élèves.
Dans ce contexte techno-centré, l’accès aux technologies est très largement facilité, tant sur le plan
financier que sur celui de la conception et du design, qui permet à une diversité de public de les
utiliser.
3.2.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 2
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.
Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par trois éléments :
• L’investissement massif dans les structures d’accueil : accueil gratuit et inconditionnel dès le
plus jeune âge et pour tous les enfants, accessibilité géographique, simplification adminis-
trative, revalorisation des métiers de l’accueil, cohérence avec la politique scolaire.
• Une logique de prévention : l’Aide à la jeunesse est prioritaire ; soutien important à la préven-
tion et à l’accompagnement des familles par des logiques transversales et intersectorielles.
• Un renforcement des droits de l’enfant : l’enfant « onusien » est au cœur des politiques me-
nées en matière d’enfance ; soutiens financiers importants aux acteurs (par exemple, le Dé-
légué général aux droits de l’enfant) et aux projets (par exemple, garantie pour l’enfance) qui
permettent à l’intérêt supérieur de l’enfant de prévaloir.
Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments :
• Un universalisme « conditionnel » : les allocations familiales sont revalorisées pour les fa-
milles les plus pauvres et accessibles à tout enfant (y compris des enfants sans papiers) ; de
nouveaux droits et protections apparaissent pour faire face aux vulnérabilités climatiques ;
ces droits sociaux dépendent d’une double logique de contractualisation (notamment liée à
Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par deux éléments :
• Le droit au logement est une priorité politique : l’offre de logement s’améliore substantielle-
ment (accessibilité géographique et financière, performance énergétique, réaffectation de
bâtiments publics…) ; les logements sociaux sont adaptés à la taille des ménages ; les transi-
tions de vie sont accompagnées (ex. accès au logement pour les mineurs émancipés et ma-
jeurs en difficulté).
• L’État (se) donne les moyens financiers de ses ambitions : allocation universelle modulée
selon les phases de la vie (petite enfance, périodes de formation, pension…) et conçue pour
assurer une vie décente ; globalisation des revenus et révision des tranches d’imposition,
guidée par un principe de justice fiscale ; moyens renforcés de lutte contre l’évasion fiscale.
Tableau 27 : Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 2
Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 2, nous proposons, comme nous
l’avons fait pour le scénario précédent, une présentation du scénario global à travers deux figures
(17 et 18). Celles-ci permettent de visualiser le scénario global pour en comprendre la dynamique
d’ensemble.
• À la différence des deux précédents titres de scénario qui insistaient sur la forme prise par l’État
social, celui-ci met l’emphase sur un aspect plus fondamental : l’émergence d’un nouveau con-
trat social-environnemental. En effet, ce qui différencie ce troisième scénario est une refonte
complète du projet de société. Celui-ci est remis en cohérence pour satisfaire à des objectifs de
justice sociale et environnementale dans la transition économique, sociale et politique induite
par les multiples crises écologiques qui vulnérabilisent l’humanité. Un véritable changement de
paradigme tant au niveau économique (« post-croissance ») que politique (« sécurité sociale-
écologique ») anime la dynamique de ce scénario.
• La place des enfants dans ce nouveau projet de société est tout aussi centrale que dans les deux
précédents, mais pour des motifs très différents. Les enfants demeurent conçus comme un
groupe d’êtres vulnérables, mais au même titre que le reste de la société, qui est fragilisée par
la multiplication des crises écologiques. Dans ce scénario, on imagine, dans cette idée, que la
Sécurité sociale est rebâtie autour de ce principe de vulnérabilité pour à la fois prévenir et pro-
téger les personnes et leurs activités contre des risques sociaux-écologiques. Par leur logique
préventive, les politiques sociales visent à permettre aux publics d’acquérir les compétences et
capacités (« encapacitation ») nécessaires à faire face à l’intensification de ces crises.
• Le visage de la Wallonie s’en voit transformé : son territoire est complètement réorganisé par les
nouvelles logiques politiques, sociales et économiques mises en place. La dé-globalisation des
activités économiques suppose la relocalisation de nombreuses activités, notamment en ma-
tière alimentaire. Les chaînes de valeurs se raccourcissent drastiquement. Le territoire est réor-
ganisé autour de bassins de vie qui permettent à l’ensemble de la population d’accéder aux
biens et services fondamentaux (conçus comme des « communs » inaliénables, protégés et par-
tagés) grâce à des moyens de déplacement peu énergivores et de participer de façon active à
la vie politique, économique et sociale locale, menant à un renforcement des solidarités.
161
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese
Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.
Dans ce scénario, la question migratoire est traitée d’une façon proche du scénario précédent : les
flux migratoires demeurent contrôlés, mais les pays européens sont davantage ouverts à l’accueil
des personnes quittant des zones touchées par les effets des changements climatiques et environ-
nementaux. Une politique d’intégration des personnes issues de pays extérieurs à l’Union euro-
péenne est mise en place.
La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, à la différence des
deux précédents, une augmentation de la taille des ménages.
Dans ce scénario, ce vieillissement pèse également de façon importante sur les finances publiques
en raison de la réduction de l’assiette fiscale et de la pression qu’il exerce sur le système de santé,
les populations plus âgées étant davantage exposées aux effets des changements climatiques et
environnementaux. Il est, par contre compensé, comme dans le scénario 2, par des évolutions no-
tables des composantes « modèle économique » et « forme d’État social », pour des raisons, néan-
moins, tout à fait différentes : d’une part, le système de santé et, globalement, le bien-être des po-
pulations constituent le cœur de la logique économique ; d’autre part, le système de financement
de la Sécurité sociale bénéficie d’une fiscalité favorable au système redistributif ainsi que de nou-
velles formes d’organisations sociales et de solidarités qui prémunissent davantage contre les effets
des changements climatiques et environnementaux. On notera, par ailleurs, que nous envisageons,
dans ce scénario, une reprise limitée de la natalité, qui compense légèrement le vieillissement. Ce
phénomène est conçu comme la conséquence d’une transformation des paradigmes économiques
et politiques qui priorisent la qualité de vie et la prévention des risques sociaux et écologiques.
Par ailleurs, l’augmentation (relative) de la taille des ménages imaginée, de façon spécifique, pour ce
scénario, correspond à une transformation de leur structure engendrée par de nouveaux phéno-
mènes de cohabitation, comme les habitats groupés et intergénérationnels.
162
Les travaux d’économie écologique (Fransolet et Vanhille, 2023 ; Laurent, 2011) distinguent la « durabilité forte » de la « du-
rabilité faible ». La « durabilité faible » est héritée du rapport Brundtland (1987) : elle suppose une recherche d’équilibre entre
le capital économique, le capital social et le capital écologique (les « trois piliers du développement durable »). Cela suppose
que leurs états respectifs sont pensés d’une façon tout à fait symétrique : par exemple, une dégradation de l’environnement
par la croissance économique compensée par une amélioration de la situation sociale peut déboucher sur un équilibre entre
les trois capitaux et peut donc, dans cette perspective, être considérée comme « durable » (c’est l’optique privilégiée dans le
scénario 2). À l’inverse, la « durabilité forte » ne traite pas de façon symétrique les trois capitaux : d’une part, elle les considère
comme « encastrés » les uns dans les autres et fortement interdépendants et, d’autre part, elle considère le capital écologique
La place des technologies s’avère, en conséquence, très différente de celle observée dans les autres
scénarios. À l’abandon de l’horizon de la croissance et de l’accumulation de richesses correspond un
abandon des croyances « techno-optimistes ». Les technologies n’en occupent pas pour autant une
place négligeable : les changements technologiques demeurent conçus comme des leviers impor-
tants de transition, mais dans un cadre conceptuel très différent. En effet, d’une part, les technologies
et l’innovation technologique ne sont pas conçues comme leviers uniques de la transition écolo-
gique, elles accompagnent avant tout d’importantes transformations dans les pratiques de l’en-
semble de la population et des acteurs économiques (il s’agit donc de moyens plutôt que de fins).
D’autre part, les technologies sont envisagées au prisme de la « satiété » : celle-ci suppose un emploi
bien dimensionné, c’est-à-dire adapté aux usages réels et non projetés ou imaginés et aux res-
sources planétaires limitées. Par conséquent, le rôle de facilitateur de l’État est également important
pour garantir ce dimensionnement des technologies par leurs producteurs.
Ces évolutions génèrent une augmentation du taux d’emploi, une amélioration de la qualité des em-
plois, le développement de l’emploi local et une valorisation économique des activités des popula-
tions bénéfiques au bien commun, même si elles s’organisent en dehors du cadre économique et
légal traditionnel du travail.
Les revenus moyens et médians augmentent, les écarts entre revenus diminuent.
comme vital aux sociétés humaines en le dotant de limites critiques (les « limites planétaires ») qui ne sont nullement com-
pensables : une fois ces limites atteintes, c’est l’ensemble du système qui est menacé, indépendant des « compensations »
qui peuvent être mises en place en matière sociale par exemple.
163
Voir Bauler et al., 2021 : https://www.iweps.be/publication/la-transition-juste-en-europe-mesurer-pour-evoluer/
• le remboursement aux autres branches des dépenses effectuées pour des risques liés aux
changements climatiques et environnementaux ;
• le financement des dépenses de prévention des risques naturels ;
164
Rédigé par la sénatrice Mélanie Vogel et déposé le 30 mars 2022 : https://www.senat.fr/rap/r21-594/r21-594.html
Cette forme d’État social intègre à la fois des politiques sociales préventives qui visent à permettre
un accès aux droits fondamentaux à l’ensemble des citoyens et, ainsi, viser à les prémunir contre les
risques et les détériorations auxquels ils pourraient être exposés par les effets des problèmes éco-
logiques. Il intègre également une optique de protection en garantissant l’assurance des risques gé-
nérés par les chocs écologiques : risques sanitaires, naturels et environnementaux, de santé, de re-
venus, énergétiques, alimentaires ainsi qu’en matière professionnelle (réorientations des travailleurs
issus de secteurs exnovés).
Ce système de sécurité sociale-écologique se fonde donc sur des politiques redistributives à la por-
tée amplifiée. Il s’accompagne, en outre, d’un renforcement des services sociaux et environnemen-
taux mis en place par les pouvoirs publics. Cela se traduit notamment, dans une logique de facilita-
tion, par la reconnaissance financière des activités dédiées au bien commun ainsi que par le renfor-
cement des capacités politiques des citoyens (compétences leur permettant de participer de façon
effective aux décisions qui les concernent).
Cette situation de la Wallonie bénéficie de la septième réforme de l’État belge qui accroît fortement
l’autonomie régionale, notamment en matière de sécurité sociale et de fiscalité. La Wallonie est re-
lativement libre pour mener des politiques qui correspondent aux orientations choisies par ses insti-
tutions politiques.
Les institutions bénéficient d’une confiance accrue : le système politique a évolué vers la participa-
tion active de l’ensemble de la population ainsi que des acteurs administratifs, économiques et as-
sociatifs, ce qui facilite la mise en place, la légitimité et l’équité des orientations choisies.
La famille nucléaire demeure un modèle culturel de référence, mais son statut de norme sociale
tend à s’estomper, laissant davantage de place dans l’imaginaire collectif à une diversification et à
une transformation des modèles familiaux. Aussi, l’accompagnement des familles tient-il pleinement
compte de leur situation spécifique : un équilibre est recherché entre la situation de la famille et
l’intérêt de l’enfant pour que celui-ci puisse développer ses capacités.
Les composantes « modèle économique » et « forme d’État social » génèrent une transformation
importante dans la conception de l’enfance, qui reste marquée par « l’enfant onusien », mais s’en
éloigne substantiellement. En effet, l’intégration des risques climatiques au modèle économique et
à l’État social suppose une reconnaissance de la vulnérabilité de l’ensemble de la société et non
uniquement de groupes particuliers. Aussi, les enfants demeurent conçus, dans l’esprit onusien,
comme un groupe à part à protéger et à encapaciter, mais au même titre que d’autres groupes vul-
nérables, devenus nombreux face aux risques climatiques. Par ailleurs, l’enfant est conçu comme un
membre à part entière de la société : il prend une part active aux transformations que provoque la
transition sociale-écologique. À ce titre, il bénéficie, comme le reste de la société, d’une encapacita-
tion destinée à lui permettre d’acquérir les compétences nécessaires pour pleinement vivre dans un
monde en transformation.
Cette dynamique propre au modèle socioculturel et ses liens avec celles des autres composantes
du système supposent une conception de la pauvreté très différente de celle rencontrée dans les
autres scénarios. Le modèle sociétal fondé sur la vulnérabilité collective, sur la protection de toutes
et tous et sur des logiques d’encapacitation individuelles fait de la pauvreté un risque collectif qu’il
est nécessaire de combattre.
Ce scénario suppose donc une forte réduction des inégalités par une tendance à l’égalisation des
conditions de vie issue du nivellement des extrêmes (richesses et pauvreté) généré par le modèle
économique et la forme d’État social qui structurent la dynamique de ce scénario.
Les inégalités de santé se réduisent fortement : l’accès aux soins de santé est garanti pour toute la
population et sur tout le territoire, celui-ci bénéficiant d’une meilleure cohésion issue de la relocali-
sation des activités économiques et des services collectifs.
Par ailleurs, malgré les effets importants des changements climatiques et environnementaux, l’en-
capacitation des citoyens, les solidarités locales et le rôle facilitateur de l’État permettent d’atténuer
fortement les vulnérabilités et de réduire en conséquence les inégalités environnementales.
Les enfants bénéficient d’une protection spécifique en tant que groupe vulnérable : l’école constitue
un lieu central d’encapacitation qui permet de réduire les inégalités.
Les technologies sont maîtrisées et bien dimensionnées : elles sont utilisées sur la base d’un triple
principe de précaution, de nécessité et de partage. De ce fait, elles demeurent très largement ac-
cessibles.
3.3.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 3
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.
Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par trois éléments, très semblables à ceux du scénario 2, mais avec quelques
nuances, en particulier concernant la conception des droits de l’enfant :
• L’investissement massif dans les structures d’accueil : accueil gratuit et inconditionnel dès le
plus jeune âge et pour tous les enfants, accessibilité géographique, simplification adminis-
trative, revalorisation des métiers de l’accueil, cohérence avec la politique scolaire ; dévelop-
pement de l’accueil extrascolaire à l’échelle des bassins de vie.
• Une logique de prévention : l’Aide à la jeunesse est prioritaire ; soutien important à la préven-
tion et à l’accompagnement des familles par des logiques transversales et intersectorielles.
• Un renforcement des droits de l’enfant : l’enfant, en raison de ses vulnérabilités face aux
risques climatiques, est au centre de nombreuses politiques ; soutiens financiers importants
aux acteurs (par exemple, Délégué général aux droits de l’enfant) et aux projets qui permet-
tent de le protéger et de l’encapaciter pour jouer pleinement son rôle dans la société, no-
tamment par une plus grande participation politique.
Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments :
• Une éducation capacitaire : la politique scolaire est au cœur de l’action publique, elle béné-
ficie d’un refinancement structurel et massif ; ses missions se centrent sur l’apprentissage
Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par deux éléments :
• Le droit au logement est une priorité politique : l’offre de logement s’améliore substantielle-
ment (accessibilité géographique et financière, performance énergétique, réaffectation de
bâtiments publics…) ; les logements sociaux sont adaptés à la taille des ménages ; les transi-
tions de vie sont accompagnées (ex. accès au logement pour les mineurs émancipés et ma-
jeurs en difficulté) ; le marché locatif est régulé ; les propriétaires sont soutenus pour la réno-
vation énergétique et la mise à disposition de biens.
• L’État (se) donne les moyens financiers de ses ambitions : allocation universelle conçue
comme un salaire d’activité (extension du revenu minimum inconditionnel) ; globalisation des
revenus (travail et patrimoine) et révision des tranches d’imposition, guidée par un principe
de justice fiscale ; moyens renforcés de lutte contre l’évasion fiscale ; augmentation du taux
marginal sur les successions, mais diminution pour les patrimoines modestes.
Tableau 33 : Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 3
Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 3, nous proposons, comme nous
l’avons fait pour les deux scénarios précédents, une présentation du scénario global à travers deux
figures qui permettent d’en visualiser la dynamique d’ensemble : les figures 19 et 20.
• Le renforcement de l’État social actif : depuis l’émergence de l’État social actif au début des an-
nées 2000, on a pu observer un renforcement progressivement de la conditionnalité des droits
et des aides sociales, en particulier dans la seconde moitié des années 2010, à la suite d’impor-
tantes réductions dans les dépenses sociales. Dans ce scénario, nous inscrivons l’évolution de
l’État social dans cette tendance.
• La place de l’enfant demeure prioritaire dans ce scénario, comme dans les trois autres. Les rai-
sons de cette mise à l’avant-plan de l’enfance dans le fonctionnement social et les modalités de
mises en œuvre s’approchent à bien des égards du scénario 1. Nous poursuivons la tendance
observée dans le deuxième chapitre de l’étude de « montée en puissance » conjointe d’une con-
ception « onusienne » de l’enfance et d’une priorisation du public des enfants dans la lutte contre
la pauvreté. La notion de « bonne enfance » traduit cette évolution.
• La conjonction du renforcement de l’État social actif et d’une focalisation sur le public des enfants
(ainsi que sur d’autres publics cibles prioritaires) en matière de lutte contre la pauvreté et de
politiques sociales conduit à une fragmentation sociale importante : certains publics se voient
davantage protégés que d’autres faces aux crises qui se multiplient en raison des effets des
changements climatiques et environnementaux. En outre, cette fragmentation est aussi territo-
riale et économique : la Wallonie poursuit la tendance à la tertiarisation de son économie, ce qui
la fragilise face aux crises, réduit la diversité d’offre sur le marché de l’emploi et génère d’impor-
tantes disparités territoriales.
165
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese
Par ailleurs, la réduction de la taille des ménages correspond, comme dans les scénarios 1 et 2, à
l’accroissement des ménages monoparentaux, mais aussi des isolés. Dans ce scénario, nous imagi-
nons, également, de nouvelles formes de cohabitations et une diversification des configurations fa-
miliales qui tendent à limiter la rapidité et l’ampleur de ce phénomène de réduction de la taille des
ménages.
Par ailleurs, ce paradigme suppose que la croissance économique est permise par le développe-
ment de l’innovation technologique (« technologies vertes ») ainsi que des services associés. Ce rôle
central des technologies appuie un certain techno-optimisme : grâce aux technologies « vertes » et
aux technologies « digitales », le fonctionnement de l’économie va pouvoir être optimisé (notam-
ment, par la décarbonation) et, ainsi, faire face aux enjeux des changements climatiques et environ-
nementaux.
Cette situation économique difficile se traduit par un relèvement limité du taux d’emploi, tiré par une
participation croissante des femmes et des seniors au marché du travail, et un chômage structurel
166
Nous opposons ici volontairement le caractère « durable » de cette économie, au caractère « soutenable » de l’économie
déployée dans le scénario 3. La différence entre ces deux terminologies provient de la prise en compte des « limites plané-
taires » par l’économie « soutenable », qui suppose une remise en cause des objectifs de croissance économique, tandis que
le développement « durable » conserve une optique de croissance, mais suppose que le développement économique vise
à faire face aux changements climatiques et environnementaux et à leurs effets, notamment via l’innovation technologique.
Dans ce contexte, la croissance des salaires demeure modérée. Des écarts tendent à se creuser
entre les hauts revenus et les revenus de la classe moyenne inférieure. Les minimas sociaux sont en
augmentation. La baisse relative des revenus de certains ménages entraîne une baisse de niveau de
vie pour une partie de la population qui se précarise.
Dans ce scénario, qui se veut – répétons-le – tendanciel, l’État social est sous tension : il doit faire
plus (étendre le système de protection sociale aux risques sociaux-écologiques) avec moins (re-
cettes en diminution relative et capacités d’endettement limitées). De ce fait, comme dans le scéna-
rio 1, l’État doit réduire la voilure des politiques sociales et redistributives et renforcer la
Ce contexte économique et social tendu met le budget de l’État sous pression : il devient structurel-
lement déficitaire. Ce déficit est principalement dû aux effets conjoints du vieillissement de la popu-
lation et des effets de plus en plus intenses des changements climatiques et environnementaux
(crises sanitaires et énergétiques, inondations, pénuries alimentaires, pénuries en eau…).
La situation politique s’avère, par conséquent, également tendue : on observe une crise de confiance
majeure et structurelle envers les institutions et le personnel politique qui se traduit par une crois-
sance des partis populistes en Belgique et en Europe. Celle-ci demeure, néanmoins, contenue par
un consensus trans-partisan associant gauche et droite « modérées » autour d’une politique cen-
triste.
La famille nucléaire demeure le modèle dominant, malgré la diversification et l’éclatement des mo-
dèles familiaux. L’accompagnement des familles, en particulier des familles monoparentales, tient
La combinaison des composantes « modèle économique » et « forme d’État social » tend à renforcer
une conception « onusienne » de l’enfance. Les enfants sont conçus comme un groupe à part cons-
titué d’êtres vulnérables à protéger et à autonomiser. L’État veille à « l’intérêt supérieur de l’enfant »,
conçu comme un référentiel pour les professionnels de l’enfance. Quelle que soit leur situation per-
sonnelle, les parents sont contraints à mettre tout en œuvre pour préserver cet intérêt, au risque de
stigmatiser les familles (les plus précaires) qui n’y parviennent pas. Les enfants tendent à devenir un
public prioritaire à protéger dans un contexte de crises multiples (crise climatique, des finances pu-
bliques, sociale…).
Cette dynamique propre au modèle socioculturel et ses liens avec celles des autres composantes
du système supposent le développement d’une représentation de la pauvreté comme « intégrée » :
elle fait partie intégrante du fonctionnement socio-économique et ne peut définitivement plus être
éradiquée. Les stéréotypes négatifs à l’égard de la pauvreté tendent à se renforcer, ce qui soutient
le développement de logiques de stigmatisation et de contrôle social de ces populations.
De façon générale, la croissance des inégalités est poussée par une augmentation des écarts de
patrimoine et de revenus. Certaines franges de la population, faisant l’objet d’une action prioritaire de
l’État, bénéficient d’une forme de stabilisation, grâce notamment à la revalorisation des pensions et
à la hausse des pensions des femmes. Cependant, d’autres se voient davantage confrontées au
risque de pauvreté, notamment les classes moyennes inférieures et les jeunes en raison de la perte
de pouvoir d’achat et de la stagnation du taux d’emploi.
Les inégalités environnementales s’accentuent en parallèle : les populations les plus pauvres souf-
frent davantage des conséquences du réchauffement climatique (sécheresses, inondations, vagues
de chaleur) tant au niveau économique que social et sanitaire.
Les inégalités scolaires suivent la courbe des inégalités sociales et augmentent : la Fédération Wal-
lonie-Bruxelles est définancée, le niveau d’enseignement se dégrade corrélativement.
3.4.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 4
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.
Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par deux éléments :
Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par quatre éléments :
• Un contrôle renforcé : les logiques d’activation et de conditionnalité des droits sont renfor-
cées.
• Une politique scolaire paradoxale : des réformes ambitieuses sont mises en place pour amé-
liorer la condition des enfants et prioriser leurs droits dans le système scolaire, mais elles ont
peu d’effets, faute de financement.
• Une concentration sur des cibles prioritaires : les politiques s’adressent à des publics jugés
particulièrement vulnérables et prioritaires : enfants, familles monoparentales, femmes, se-
niors, classe moyenne précarisée.
• L’externalisation du sort d’autres publics à une « offre alternative » : de nombreux publics prix
en charge par les acteurs de la lutte contre la pauvreté doivent se tourner vers d’autres
sources et formes d’aides en raison d’une réduction des soutiens financiers publics au
monde associatif et aux structures publiques d’accueil. Ces publics sont orientés (ou exclus)
vers d’autres systèmes de prise en charge relevant du monde associatif ou caritatif (notam-
ment les MENA). Cette externalisation vaut aussi pour le système de santé : la privatisation
du système assurantiel générant diverses formes d’exclusion.
Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par deux éléments :
Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 4, nous proposons, comme nous
l’avons fait pour les trois autres scénarios, une présentation du scénario global via deux figures qui
en visualisent la dynamique d’ensemble : les figures 21 et 22.
Cette mise en récit constitue donc un des éléments des scénarios prospectifs : il s’agit d’une des
étapes de la scénarisation qui aide autant à leur conception qu’à leur communication, puisque le
langage employé dans ces mises en récit doit être aisément appropriable et s’éloigner du caractère
technique de leur description par composante. Il s’agit, en d’autres termes, de les « mettre en mu-
sique » et qu’ils « sonnent juste » pour pouvoir être facilement audible par un large public.
Un autre élément important de cette mise en récit est l’intégration des trajectoires temporelles que
nous avons présentées dans les figures descriptives des scénarios globaux : « Un scénario ne doit
pas seulement être une combinaison d’hypothèses représentant un futur possible, mais la descrip-
tion d’un cheminement y conduisant depuis la situation actuelle. Il faut sortir de la logique combina-
toire pour réfléchir à ce cheminement et le baliser, et ce d’autant plus que l’horizon temporel retenu
est lointain » (Lamblin, 2018 : 8).
Enfin, dernier point fondamental de cette mise en récit, le titre du scénario : celui-ci doit pouvoir
évoquer les éléments-clés du scénario, ce qui le différencie des autres, mais aussi ce qu’il apporte
à l’objet de l’analyse prospective. Le titre doit être suffisamment « évocateur » comme l’indique Vé-
ronique Lamblin (Lamblin, 2018) : il doit permettre de saisir la logique intrinsèque du scénario.
À ces éléments traditionnellement admis comme centraux dans la démarche de mise en récit des
scénarios, nous en ajoutons deux autres.
Premièrement, lors de cette mise en récit, nous avons souhaité prendre, à certains moments, une
certaine distance par rapport aux balises fournies par la liste des variables et leurs hypothèses d’évo-
lution, en ajoutant certains éléments permettant d’accentuer les contrastes ou des informations de
contexte aidant à la compréhension de la dynamique propre au scénario. Il est donc important de
lire ces mises en récit conjointement au reste de l’analyse pour comprendre en profondeur la logique
de chacun des scénarios.
Les objectifs de neutralité carbone à l’échelle mondiale ne sont pas atteints, malgré les engage-
ments répétés des États les plus pollueurs à décarboner leurs économies. En conséquence, les
impacts des changements climatiques et environnementaux touchent l’entièreté de la popula-
tion mondiale. Certaines zones du globe deviennent inhabitables. Les crises sanitaires, écolo-
giques, économiques et sociales se répètent et s’intensifient.
La situation géopolitique mondiale devient tendue, car dominent, au sein des grandes puis-
sances mondiales, des partis populistes, protectionnistes et xénophobes qui luttent pour le
maintien de leurs zones d’influence économiques et militaires.
Le rôle de l’Union européenne s’est fortement amoindri à la suite de l’arrivée au pouvoir de partis
conservateurs et protectionnistes dans de nombreux États membres, dont certains ont quitté
l’Union. Les États européens soutiennent leurs propres secteurs d’innovation technologique,
dans un contexte de concurrence exacerbé. Les gouvernements assurent une gestion autoritaire
des crises en s’appuyant sur des groupes d’experts thématiques et des technologies de contrôle
des populations sans prendre en compte la complexité sociale des situations. Les mouvements
d’opposition des populations se multiplient. Ils sont tolérés mais sévèrement réprimés. Les droits
associés aux manifestations publiques sont limités. De nombreuses tensions au sein des popu-
lations émergent également en raison des effets des migrations climatiques de populations is-
sues de zones tropicales humides devenus invivables ainsi que des nombreux conflits qui se
développent dans ces régions et se répercutent au sein des communautés immigrées présentes
dans les pays européens. La situation intérieure des pays européens est tendue, les attentats et
conflits civils se multiplient.
Sous la pression des partis nationalistes flamands, la Belgique a pris la forme d’une confédéra-
tion. La Wallonie a gagné en indépendance, mais reste fortement tributaire de certains méca-
nismes de péréquation qui assurent un transfert des richesses entre entités confédérées. La
Flandre est devenue une région particulièrement riche et prospère, très active dans les secteurs
à haute valeur ajoutée favorisés par les orientations de l’économie mondiale. Les revenus qu’elle
tire de cette situation économique lui permettent de faire face, notamment, à la montée du ni-
veau de la mer du Nord qui a d’importants impacts sur son territoire. La Wallonie a su attirer sur
ses terres certaines filiales des oligopoles dominant l’économie mondiale. Une centrale nucléaire
à fission, construite et gérée par une entreprise chinoise, remplace la centrale de Tihange et
fournit un tiers des besoins en énergie électrique de la population belge. Une usine de produc-
tion d’automobiles électriques chinoise s’est implantée à Charleroi. Un mégacentre logistique
européen financé par la Chine, automatisé à 90 %, s’est développé autour de l’aéroport de Liège.
À l’instar des autres gouvernements européens, le Gouvernement wallon fait face à des crises à
répétition liées aux conséquences du réchauffement climatique. Cette situation l’oblige à con-
centrer ses activités sur la gestion de ces crises et de leurs conséquences, car ses ressources
financières apparaissent extrêmement limitées. En effet, la croissance économique demeure
très faible malgré les mesures de soutien du Gouvernement à la digitalisation de l’économie et
Ainsi, dans ce contexte financier tendu, les politiques menées en matière sociale sont de plus en
plus ciblées sur des publics prioritaires, voire sur des profils spécifiques, poussant la classe
moyenne à recourir à des acteurs privés pour assurer les différents risques liés au travail et à la
santé (perte de revenu, hospitalisation…).
Dans ce contexte, la pauvreté des enfants devient la principale porte d’entrée des politiques de
lutte contre la pauvreté. En effet, la situation sociale s’avère de plus en plus tendue, car les
risques de paupérisation de la classe moyenne, mise sous pression par les différentes crises et
la réduction de la protection sociale, deviennent une priorité d’action pour le Gouvernement.
Cela suppose une réallocation des moyens disponibles vers la prévention de ce basculement et
une prise en charge des enfants vivants dans des familles en situation de grande précarité/pau-
vreté, car ils sont considérés comme des personnes vulnérables vivant avec des adultes jugés
responsables de leur situation de pauvreté. Les populations les plus pauvres et les plus précaires
ne bénéficient plus que de filets minimums garants de la survie.
Cette situation conduit à reléguer une partie de la population hors du champ des politiques so-
ciales : cette population exclue devient tributaire d’une « offre » alternative, soit issue de la cha-
rité des plus riches, soit de groupes criminels et mafieux qui assurent une protection en échange
d’une participation aux économies organisant les différents trafics illicites (drogues, êtres hu-
mains, organes, déchets…) qui prospèrent en raison de la situation politique et économique dé-
létère. Certaines entreprises issues de grands groupes américains ou chinois proposent, par ail-
leurs, un cadre de vie « intégré » à leur personnel : en devenant salariés de l’entreprise, les em-
ployés bénéficient d’une structure d’existence complète qui couvre autant leur logement que
différents services nécessaires à leur vie quotidienne (alimentation, santé, éducation des enfants,
loisirs). Les salaires sont limités, mais compensés par ces émoluments en nature, ce qui rend les
employés captifs. Ces entreprises en viennent à créer des gated communities organisées autour
de leur propre fonctionnement sur des territoires enclos, autonomes énergétiquement, sévère-
ment gardés et détachés du reste de la société.
Cette situation de fragmentation et de disparition de tout projet politique orienté vers le bien
commun amène à un risque permanent de basculement vers des régimes politiques illibéraux 167
et autoritaires fonctionnant sur un mode clientéliste. Pour éviter ce glissement, les partis poli-
tiques traditionnels demeurant à la manœuvre mettent en place des politiques visant à un con-
trôle accru des populations.
Cela se traduit au niveau des politiques sociales, par un ciblage de l’action de l’État sur des pu-
blics spécifiques. Ces politiques s’assimilent à des politiques de surveillance et de sanction de
publics « déviants » : le ciblage devient un profilage permis par les intelligences artificielles ba-
nalisées dans la gestion publique, avec comme objectif principal l’anticipation du risque. Cela
conduit à une individualisation et à une psychologisation des formes de déviance dont fait partie
167
Dans le langage courant, une démocratie « illibérale » consiste en « un régime élu démocratiquement, qui, prétendant
détenir le monopole de la volonté générale du peuple, ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir et va
jusqu’à déposséder les citoyens de leurs droits et libertés ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illibé-
ral/188534. Pour une analyse de la notion, voir également Mineur, 2019.
Cette logique de gouvernement par l’anticipation des risques consacre le retour de la stigmati-
sation des « classes dangereuses » : des publics menaçants qu’on va « contenir » avec des poli-
tiques d’activation de plus en plus conditionnelles (contrôle, type « Covid Safe Ticket de l’em-
ploi ») et de sanction (pénalisation). Apparaît dans ce cadre une criminalisation progressive de la
pauvreté.
Cette situation politique et économique conduit à la création d’emplois peu qualifiés dans les
domaines du contrôle et de la sécurité.
Par ailleurs, les partis politiques en place veillent à la protection de leur clientèle électorale en
menant une série de politiques visant à répondre aux peurs générées par les crises à répétition,
notamment en stigmatisant certains groupes sociaux, dont ceux issus de l’immigration.
La psychologisation des situations et le profilage par intelligence artificielle des publics à risque
ont pour effet de stigmatiser les parents ou les familles, présumés inaptes/incapables de pren-
dre en charge leurs enfants, ce qui accélère les procédures de placement, procédures qui se
banalisent et occupent une bonne part des activités des métiers de protection de la jeunesse.
Les aspects éducatifs et d’assistance sociale des professionnels de la famille et de l’enfance
deviennent marginaux au sein de ces métiers, qui se bureaucratisent et se focalisent davantage
sur le contrôle et la sanction. Cela conduit à une systématisation progressive du retrait des en-
fants de leurs familles – de façon parfois « préventive » dès le moment où les algorithmes anti-
cipent des risques majeurs – pour les placer dans des institutions d’accueil. L’état de ces institu-
tions s’avère extrêmement variable en fonction des financements qui leur sont accordés : dans
certains cas, les logiques caritatives et philanthropiques développées par les fortunes privées
permettent à certains enfants jugés plus « doués » de sortir de leur condition, mais le système
d’accueil demeure extrêmement inégalitaire. La majeure partie des enfants qui se retrouvent
dans des situations de placement bénéficient d’un accès à des droits fondamentaux dégradés,
« low-cost », et vivent dans des institutions dominées par des logiques de surveillance plutôt
que d’éducation.
La situation des enfants des familles de la classe moyenne devient un objet de préoccupation
politique important qui suppose une réallocation importante des fonds antérieurement consa-
crés à la lutte contre la pauvreté. Cette dynamique contribue à une disparition progressive de la
politique de lutte contre la pauvreté telle qu’elle est connue en Wallonie en 2024. Les crises à
répétitions fragilisent, en effet, grandement la classe moyenne. Les logiques de recomposition
familiales et l’essor des familles monoparentales contribuent également à la précarisation des
enfants.
La réduction des dépenses en matière de protection sociale conduit à concentrer les budgets
alloués aux revenus de substitutions (allocations de chômages, indemnisations pour maladies,
RIS, GRAPA…) ainsi qu’aux allocations familiales en un seul budget dédié à une allocation « uni-
verselle » qui les remplace. La mise en place de cette allocation pousse les salaires à la baisse,
ce qui permet aux entreprises de diminuer leurs charges et de compenser les pertes de com-
pétitivité liées à la faible croissance de l’activité économique. Le modèle utilisé pour cette allo-
cation est celui de l’allocation familiale, qui est prolongée et augmentée après 25 ans. Les autres
assurances (maladie, perte de revenus, retraite…) sont reléguées au secteur privé. Cette mesure
vise à protéger la classe moyenne du basculement dans la pauvreté et la précarité et tient lieu
Ce système d’allocation est conditionnel. Par exemple, pour les enfants, l’allocation n’est garantie
que pour autant que l’enfant soit scolarisé. Pour les publics précarisés, sont mis en place diffé-
rents incitants comme une majoration temporaire d’allocation s’il s’accompagne d’un projet d’in-
sertion. Des sanctions sont également développées comme la suppression d’allocations en cas
de refus d’emplois en pénurie. En outre, dans la mesure où les parents bénéficient de leurs
propres allocations, les suppléments sociaux aux allocations familiales sont supprimés.
Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?
Née en 2030, Lucie est la deuxième enfant d’une famille d’employés modestes qui occupent
une maison unifamiliale située en grande périphérie urbaine. À cette époque, les soubresauts de
l’actualité, avec ses rumeurs de conflits mondiaux, les grands déplacements de population aux
frontières de l’Union européenne, l’inquiétude croissante suscitée par les vagues de chaleur que
connaît la Wallonie presque chaque année, semblent encore très loin de leurs préoccupations.
Les vrais ennuis commencent quand les parents de Lucie perdent chacun leur emploi à un an
d’intervalle, alors qu’elle était en 3e maternelle. Son père, qui n’avait pas pu souscrire à l’une des
assurances complémentaires déjà nombreuses à fleurir sur le marché, voit ses allocations très
rapidement diminuer, d’autant plus qu’il peine à convaincre son référent-emploi de la pertinence
de son projet de réactivation professionnelle.
Un signal automatique de « risque de précarité infantile » alerte rapidement les services de pro-
tection de l’enfance et de la jeunesse, récemment digitalisés, qui mettent alors en place le nou-
veau dispositif « parachute » conçu spécifiquement pour les enfants de classes moyennes en
difficulté : chèques scolaires, augmentation temporaire des allocations familiales, rembourse-
ments majorés pour certains soins de santé, réductions pour séjours de vacances… Très géné-
reux pour Lucie et son frère aîné, le système est en réalité très lourd pour ses parents, qui vivent
très mal leur situation de « nouveaux pauvres » et doivent constamment batailler sur le plan ad-
ministratif pour prouver qu’ils peuvent continuer à offrir un cadre de vie suffisant pour leurs en-
fants – des difficultés encore aggravées par la quasi-absence de guichet humain, qui complique
les interactions avec les services compétents. Il est vrai que, pour nouer les deux bouts, le père
accepte parfois de rendre de menus services pour « l’association de quartier », comme il l’ap-
pelle pudiquement pour dissimuler l’aspect mafieux de ses activités… Mais comment faire autre-
ment ?
Les résultats scolaires de Lucie commencent à se ressentir des problèmes et tensions vécues à
la maison. Les services de prévention détectent chez elle un trouble de l’attention, qui lui vaut
d’être prise en charge dans l’enseignement spécialisé dès la 3e primaire. Son petit frère, né trois
ans après elle, a eu plus de chance : l’association « Jeunes Pépites », financée par un grand
groupe technologique, a détecté chez lui un potentiel scolaire qui lui permettra sans doute de
poursuivre des études supérieures. Quant à son grand frère, de cinq ans plus âgé qu’elle, il a
arrêté ses études à 16 ans, le nouvel âge légal, et vit essentiellement de petits boulots, tout en
bénéficiant d’une allocation-logement pour les enfants de classe moyenne précarisée.
En 2050, quand Lucie se compare à d’autres enfants de son quartier, elle se dit qu’elle aurait pu
avoir moins de chance : certains copains de son école, avec qui elle a perdu contact, ont été
placés en institution ; d’autres, qui ont échappé aux radars des services de l’Aide à la jeunesse,
• Le retour d’un État qui oriente les directions prises par l’économie dans le cadre de la transi-
tion écologique. L’intervention de l’État vise à soutenir le développement d’une économie
« verte » et « durable » qui mise sur l’innovation et les technologies, en particulier en matière
énergétique. Cette approche est vue comme « responsable » aux plans environnemental et
sociétal et devient le cadre de référence partagé par le monde politique et économique.
• Dans ce contexte, l’enfance est l’objet d’une attention très particulière : les enfants sont con-
sidérés comme un « capital humain » dans lequel il est prioritaire d’investir pour assurer l’ad-
venue des talents nécessaires aux nouveaux secteurs économiques, mais aussi, pour les
plus pauvres, en vue de les sortir de la spirale de la pauvreté et de la précarité par la mobilité
sociale.
• La Wallonie s’inscrit pleinement dans cette approche de l’économie en investissant dans les
infrastructures et dans le soutien aux activités économiques prioritaires pour la transition. Elle
investit également dans les différentes politiques de l’enfance, avec une attention particu-
lière à la scolarité et à l’accueil dès le plus jeune âge. Elle revalorise les filières techniques et
professionnelles pour permettre le développement de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire.
Les politiques sociales bénéficient de l’embellie économique par les effets redistributifs. Ce-
pendant, l’investissement de l’État dans le système social n’est pas sans contrepartie : les
droits demeurent conditionnels à l’inscription des personnes dans des projets de vie et pro-
fessionnels qui correspondent aux orientations politiques et économiques.
La logique qui prévaut pour tous les acteurs, à tous les niveaux, est celle de l’investissement.
Chaque euro dépensé est vu soit comme une promesse de gain futur, soit comme un coût évité
pour l’avenir. Chacun prend sa part de risque et de responsabilité. Les objectifs de transition po-
sent un horizon de transformation qui s’inscrit en réalité dans la continuité des démarches déjà
entreprises par le monde économique.
Bien que l’Europe soit parvenue à mettre en place une action de lutte contre les changements
climatiques et environnementaux satisfaisante et coordonnée à l’échelle de l’Union, les effets
globaux demeurent limités. En effet, le poids des États européens et de l’Union dans les orien-
tations prises par l’économie mondiale est insuffisant pour contrer la domination croissante de la
Chine. Face à des États-Unis devenus protectionnistes et principalement centrés sur leur marché
intérieur, la Chine s’est progressivement hissée à la tête de l’économie mondiale et distribue ses
technologies numériques et énergétiques dans l’ensemble du monde.
La situation climatique mondiale demeure très tendue, certaines régions du monde sont deve-
nues inhabitables, entraînant d’importants flux migratoires. En matière d’accueil, les États euro-
péens mènent une double politique : ils ont à la fois durci les conditions d’entrée sur le territoire
de l’Union, n’ouvrant progressivement ce dernier qu’à une immigration de travail, mais aussi ren-
forcé la politique d’intégration des populations vulnérables, en particulier extra-européennes,
arrivées au gré des catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes (sécheresses, inonda-
tions, voire famines) et qui bénéficient d’un statut spécial de réfugiés climatiques équivalent à
celui des réfugiés politiques.
À la suite de la septième réforme de l’État, mais surtout à l’adoption du nouveau pacte vert eu-
ropéen, la Wallonie dispose de leviers importants pour orienter sa politique économique. L’in-
vestissement dans la transition permet de dégager des gains de productivité significatifs. Dans
une Europe en croissance, la Wallonie renoue ainsi elle-même avec la croissance. Les emplois
augmentent en quantité et en qualité, notamment grâce à la revalorisation des filières techniques
et professionnelles. L’État se met à l’écoute des acteurs du monde économique, qui demandent
activement la décarbonation et veulent s’y investir. Les filières de formation sont largement pen-
sées selon une logique « adéquationniste », en fonction des besoins sur le marché de l’emploi.
La croissance économique permet non seulement le maintien, mais aussi l’amplification de po-
litiques sociales ambitieuses. On ne peut pas parler pour autant de « retour de la question so-
ciale » : les grands axes des politiques actuelles sont maintenus et continuent de se superposer,
avec des adaptations techniques, de sorte que l’impression de patchwork demeure. Cette par-
cellisation peut être vue comme un héritage de la « pillarisation », mais qui n’est plus pour autant
indexé sur les clivages qui structuraient la vie politique.
En accord avec l’idée d’un « État social actif 2.0 », l’objectif est d’augmenter l’encapacitation des
publics pauvres et précaires. Malgré l’absence de projet sociétal d’ensemble, un large consen-
sus transpartisan fait de l’investissement le grand leitmotiv de l’action sociale. Il en va dans le
champ des politiques sociales comme dans le champ économique : investir devient le maître-
mot. L’État veille particulièrement à ce que l’action menée en matière de transition climatique ne
porte pas préjudice aux populations les plus vulnérables. Qu’il s’agisse de logement, de santé,
de mobilité, d’emploi ou de rénovation urbaine, le mot d’ordre “Leave no one behind” se géné-
ralise et guide les politiques publiques.
Sur le plan de la cohésion sociale, la situation s’améliore, mais reste loin d’être idéale. La marche
forcée vers la transition techno-verte crée beaucoup de nouveaux « laissés-pour-compte ». Cer-
tains publics plus immédiatement touchés par la crise veulent des solutions plus rapides, sans
attendre le retour sur investissement des politiques. Un grand nombre de personnes qui ne se
reconnaissent pas dans l’évolution socio-économique alimentent une sociabilité parallèle et dé-
veloppent des modes de vie alternatifs dans des conditions de précarité ou de pauvreté, entre
débrouille et activisme décroissant. Ces populations échappent souvent à l’action publique :
elles relèvent d’une pauvreté résiduelle inaccessible aux aides sociales, et globalement accep-
tée par le reste de la population, dans la mesure où les inégalités ont globalement diminué et
où la mobilité sociale tend à s’améliorer sur le long terme.
Les enfants sont les grands bénéficiaires de l’accent mis par l’État sur l’investissement. L’idée
selon laquelle un euro investi dans l’enfance en rapporte quatre à sept, ou encore celle du ca-
ractère décisif des 1000 premiers jours du développement de l’enfant (des débuts de la gros-
sesse à ses deux ans), fait désormais l’objet d’un large consensus transpartisan. Bien que très
segmentées, les politiques sociales suivent ainsi les cahiers de revendication élaborés par les
secteurs et les métiers de l’enfance, de l’éducation et de la jeunesse. L’État donne du crédit à
l’expertise des parties prenantes et élabore ses politiques avec elles. La reconnaissance de cette
expertise s’étend même à des champs dont les professionnels étaient traditionnellement exclus,
comme la politique fiscale. La suppression du statut cohabitant devient le symbole de cette re-
connaissance par l’État des revendications du secteur. Une place importante est laissée à l’inno-
vation sociale, à la coopération et à l’apprentissage mutuel.
La transversalité et la coordination entre ces revendications sont assurées par le point focal de
ces politiques, à savoir l’enfance. L’enfant est désormais au cœur d’un système qui se concentre
sur ses vulnérabilités, dans un monde également rendu vulnérable par la crise climatique.
La priorisation des moyens sur l’enfance et les structures familiales porteuses de vulnérabilité
accrue pour les enfants (comme les familles monoparentales) a eu pour effet de reconfigurer
partiellement le champ des acteurs de la lutte contre la pauvreté. Les acteurs historiques de ce
champ continuent à porter des revendications, mais centrées sur des publics plus spécifiques,
non concernés par l’enfance : personnes âgées, isolées, familles avec personnes à charge han-
dicapées… Le modèle de gouvernance par l’expertise a ainsi pour conséquence d’étendre prati-
quement le champ d’action de la lutte contre la pauvreté, malgré une certaine rivalité entre sec-
teurs. Ces effets de concurrence et de complémentarité amènent à une baisse effective de la
pauvreté, malgré la diminution relative des ressources affectées à la lutte contre la pauvreté en
tant que telle. L’effet visé par l’État reste la maximisation de l’action sociale. On recherche une
certaine forme d’optimisation dans l’allocation des ressources.
Avec le retour de la croissance, la priorité donnée à l’investissement, ou encore l’accent mis sur
l’innovation à tous les niveaux (y compris celui de l’action sociale), l’idée d’une allocation univer-
selle fait progressivement son chemin. Un modèle d’allocation intermédiaire est finalement ex-
périmenté, puis généralisé. Conçue pour assurer une vie décente, l’allocation est modulée selon
les phases de la vie, de la petite enfance à la pension, en passant par la ou les périodes de
formation professionnelle des personnes.
Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?
Né en 2030, Martin a grandi avec sa mère et sa grande sœur Clémentine dans un logement
social au centre d’une ville moyenne de Wallonie. Quand elle parle de son divorce, sa maman
ne peut s’empêcher de se dire qu’ils reviennent de loin… Si elle n’avait pas pu compter sur le
système de places « joker » en crèches, ou sur les nouvelles possibilités d’activités extrascolaires
organisées dans l’enceinte de l’école – sans, de manière générale, l’attention dont ses enfants
ont pu bénéficier dans le cadre scolaire, ainsi que l’accompagnement et la compréhension des
services d’aide à la jeunesse, elle n’aurait jamais réussi à jongler entre ses différents emplois à
temps partiel, et Martin et Clémentine auraient certainement connu une enfance et une scolarité
beaucoup plus chahutées.
Quand il avait cinq ans, la mère de Martin a refait sa vie avec Ravi, brillant informaticien spécialisé
dans la digitalisation des transitions, qui a pu bénéficier du programme « TalentAbroad » à des-
tination des professionnels de métiers en pénurie dans les zones menacées par le réchauffe-
ment climatique. Sans la suppression du statut cohabitant, il y a quelques années, un tel choix
de vie aurait été beaucoup plus difficile. Même s’il n’était pas spécialement doué ni assidu à
l’école, Martin s’est très vite intéressé au codage et a pu intégrer dès 15 ans les nouvelles filières
technologiques mises en place par la Wallonie. Son avenir semblait tout tracé, au point qu’il avait
été invité à partager son expérience lors des Assises des Vocations organisées par sa commune.
Mais contre toute attente, après deux ans de formation, Martin délaisse le codage pour le théâtre.
Dans un monde culturel largement désinvesti par les pouvoirs publics, il découvre que sa pas-
sion n’est pas finançable, perd ses crédits-formation et intègre une troupe de comédiens ama-
teurs. Sa nouvelle vie, aux marges de la société, le condamne à une espèce de pauvreté volon-
taire qui préoccupe beaucoup sa mère. Les services et dispositifs d’aides de la jeunesse, inondés
de requêtes de parents désemparés, peinent à donner une réponse satisfaisante à ce type de
situations, écartelés qu’ils sont entre des priorités et des injonctions contradictoires. On laisse
De son côté, sa sœur Clémentine, qui a plus difficilement vécu les bouleversements familiaux, a
pu bénéficier de la récente politique de soutien au logement pour les jeunes majeurs en diffi-
culté. Avec la mise en place du nouveau dispositif d’allocations-études, elle avait d’abord envi-
sagé de reprendre une formation vers les métiers du renouvelable, pour devenir installatrice
photovoltaïque. Malheureusement, elle développe une maladie chronique qui lui interdit l’exer-
cice de tout métier lourd. Déqualifiée pour le monde de la transition, elle doit se contenter de
l’allocation universelle minimum, qu’elle agrémente de petits boulots. Son vrai plaisir, c’est d’ai-
der son grand-père, qui bénéficie quant à lui d’aides ciblées à destination des « maxi-seniors »,
nouveau public particulièrement sensible aux vagues de chaleur.
Ce titre, à l’image de ceux des deux précédents scénarios, est composé de trois éléments :
• À la différence des deux précédents titres de scénario qui insistaient sur la forme prise par
l’État social, celui-ci met l’emphase sur un aspect plus fondamental : l’émergence d’un nou-
veau contrat social-environnemental. En effet, ce qui différencie ce troisième scénario est
une refonte complète du projet de société. Celui-ci est remis en cohérence pour satisfaire à
des objectifs de justice sociale et environnementale dans la transition économique, sociale
et politique induite par les multiples crises écologiques qui vulnérabilisent l’humanité. Un vé-
ritable changement de paradigme tant au niveau économique (« post-croissance ») que po-
litique (« sécurité sociale-écologique ») anime la dynamique de ce scénario.
• La place des enfants dans ce nouveau projet de société est tout aussi centrale que dans les
deux précédents, mais pour des motifs très différents. Les enfants demeurent conçus
comme un groupe d’êtres vulnérables, mais au même titre que le reste de la société, qui est
fragilisée par la multiplication des crises écologiques. Dans ce scénario, on imagine, dans
cette idée, que la sécurité sociale est rebâtie autour de ce principe de vulnérabilité pour à la
fois prévenir et protéger les personnes et leurs activités contre des risques sociaux-écolo-
giques. Par leur logique préventive, les politiques sociales visent à permettre aux publics
d’acquérir les compétences et capacités (« encapacitation ») nécessaires à faire face à l’in-
tensification de ces crises.
• Le visage de la Wallonie s’en voit transformé : son territoire est complètement réorganisé par
les nouvelles logiques politiques, sociales et économiques mises en place. La dé-globalisa-
tion des activités économiques suppose la relocalisation de nombreuses activités, notam-
ment en matière alimentaire. Les chaînes de valeurs se raccourcissent drastiquement. Le
territoire est réorganisé autour de bassins de vie qui permettent à l’ensemble de la popula-
tion d’accéder aux biens et services fondamentaux (conçus comme des « communs » inalié-
nables, protégés et partagés) grâce à des moyens de déplacement peu énergivores et de
participer de façon active à la vie politique, économique et sociale locale, menant à un ren-
forcement des solidarités.
En Europe occidentale, la répétition des crises causées par les changements climatiques et en-
vironnementaux et leurs conséquences mobilise un large mouvement d’opinion de plus en plus
critique à l’égard du manque d’ambition et de réactivité des instances internationales. Les enjeux
En Wallonie comme dans les grands pays voisins, les activités économiques sont désormais
passées au crible d’un ensemble d’indicateurs de performance, non seulement en matière de
respect des limites planétaires, mais aussi d’inégalités sociales et environnementales, qu’elles
doivent impérativement satisfaire sous peine de se voir imposer de lourdes sanctions. L’intégra-
tion des coûts réels de production se reflète progressivement dans le prix de certains biens et
services, y compris pour les biens importés, dont les consommateurs se détournent au profit de
solutions locales, basées sur l’économie circulaire et la réutilisation de matériaux. Ce n’est, du
reste, pas seulement une question de choix politique : le pic de production a été atteint pour
certaines ressources naturelles, y compris celles sur lesquelles se fondaient les espoirs d’une
transition facilitée par les technologies. Il est désormais évident que le monde est entré dans une
nouvelle ère, celle de la post-croissance.
L’économie se réorganise autour de ces nouveaux modes de vie : elle renoue avec son sens
premier de « gestion des communs » afin de permettre le bien-être de toutes et tous ainsi que
leur accès aux droits fondamentaux. Dans ce contexte, les inégalités sociales sont extrêmement
limitées et n’affectent en aucune manière la qualité de vie des populations.
Dotée d’une large autonomie au sein d’une Belgique au fédéralisme renforcé, mais aussi d’une
Union européenne qui encadre les initiatives nationales et régionales en matière de transition
sociale et écologique, la Wallonie fait figure de pionnière. Elle développe des normes et des
dispositifs innovants qui permettent de valoriser et de monétiser les activités qui maximisent le
bien-être, l’amélioration de la santé des populations et leur encapacitation. Les « services pu-
blics », comme on les appelait autrefois, ne sont plus conçus comme des charges supportées
(ou subventionnées) par l’État, mais comme des activités génératrices de valeur. Dans ce nou-
veau paradigme, le rôle de la Wallonie est de faciliter ces activités, soit en fournissant directe-
ment des services collectifs, soit en mettant en capacité les acteurs socio-économiques de les
organiser. Le contexte difficile, marqué par la crise et la rareté croissante de certains biens, oblige
Pour certains biens qui ont été exnovés, comme les voitures individuelles ou les téléphones por-
tables, la logique devient celle des communs, centrés sur les droits fondamentaux et le partage
de ressources. La norme qui se généralise en 2050 est celle de la satiété dans la consommation
de ressources : les Wallonnes et les Wallons, comme le reste de la population en Europe, sont
dans leur majorité moins propriétaires que leurs parents de biens et d’objets très gourmands en
énergie et en matériaux. En outre, ces objets sont bien dimensionnés et répondent à leurs be-
soins réels.
En même temps qu’elle tourne le dos aux activités les plus polluantes, la Wallonie, comme
d’autres régions européennes, met en œuvre des dispositifs pour requalifier le personnel des
entreprises concernées. De manière générale, les filières techniques et professionnelles sont
fortement revalorisées, de manière à anticiper les besoins d’emplois, en quantité et en qualité,
dans les nouvelles filières de la transition et de l’économie du bien-être, moins intensive techno-
logiquement, mais requérant davantage de compétences pour des chaînes de production et de
commercialisation plus courtes. Le métier d’agricultrice/-teur est, par exemple, fortement reva-
lorisé afin de permettre le déploiement des ceintures alimentaires.
Là où certains pays subissent de plein fouet le choc de la fin de la croissance, la Wallonie, avec
d’autres États et régions, invente ainsi progressivement un autre modèle qui réussit à accompa-
gner et à faciliter la transition.
Avec l’évidence de la nécessité de changer de modèle économique, la question sociale fait son
grand retour sur la scène politique. Un consensus se dégage pour accompagner la transition
climatique de mesures fortes pour y associer les publics les plus précaires. La lutte contre la
pauvreté devient rapidement un enjeu social prioritaire. Par rapport aux politiques sociales des
décennies précédentes, la focale s’élargit : il ne s’agit plus seulement de lutter contre la pauvreté,
mais de promouvoir l’accès aux droits fondamentaux, au premier rang desquels ceux des en-
fants. Avec la transition sociale et écologique, c’est en réalité un grand projet collectif, émanci-
pateur et universaliste, qui mobilise la Région.
La question des enfants et de la pleine promotion de leurs droits devient la porte d’entrée des
politiques sociales. À travers elle, c’est tout le champ de la lutte contre la pauvreté qui se trouve
Cet accent mis sur le renforcement des capacités et la projection dans les enjeux de demain
amène à faire de l’école un maillon essentiel des politiques de transition. L’enseignement devient
une priorité absolue d’action publique. L’école est le centre de toutes les attentions : elle devient
un lieu où on forme les enfants pour les rendre plus capables et compétents pour affronter ces
enjeux et s’adapter aux chocs écologiques. Elle voit aussi sa capacité d’accueil s’étendre, jusqu’à
intégrer des activités qui relevaient du domaine parascolaire. En offrant ainsi aux enfants l’occa-
sion d’une vie en dehors du milieu familial, l’école allège la charge éducative et financière qui
pèse sur les familles, avec des effets bénéfiques sur l’autonomie des enfants. Elle est aussi re-
connue comme le premier lieu de participation à la vie démocratique et institutionnelle. Cela
passe par un mode de gouvernance scolaire plus inclusif, qui associe les enfants aux décisions
qui les concernent – allant, en 2050, jusqu’aux contenus mêmes d’apprentissage.
Avec l’école, le logement constitue un autre axe prioritaire de politique publique du nouveau
contrat social-environnemental. La Région entend créer, réhabiliter et mettre à disposition une
plus grande quantité de logements en bon état, mieux adaptés aux besoins et aux situations très
hétérogènes des publics pauvres et précaires. Elle intervient activement sur le marché locatif,
pour garantir l’effectivité du droit au logement, en incitant les propriétaires à rénover leurs biens,
L’attention portée aux bénéficiaires amène les pouvoirs publics à réfléchir à la pauvreté davan-
tage comme une trajectoire avec ses points de bascule, qui affecte les transitions et les parcours
de vie au niveau individuel. La Région, suivant en cela l’exemple d’autres pays, accompagne ces
évolutions en renforçant la capacité des individus et en réduisant leur vulnérabilité : petite en-
fance (accueil inconditionnel et garanti), obligation scolaire dès trois ans, soutien pour le premier
logement, octroi du statut d’allocataire boursier pour les étudiants (leur permettant de sortir de
la dépendance des familles comme du marché du travail).
Le régime d’allocations familiales accompagne ces évolutions. Il suit l’enfant, sinon jusqu’à son
autonomie, du moins jusqu’à la possibilité pour le jeune adulte d’accéder à d’autres formes de
revenus, après la fin de sa formation. En déconnectant la sécurité sociale de la question du travail
et de l’emploi, le système d’allocations familiales ouvre progressivement la porte à l’octroi d’un
revenu minimum inconditionnel, qui s’ajoute aux autres formes de rémunérations et donne la
possibilité, en 2050, de recevoir un véritable salaire d’activité. Celui-ci permet une reconnais-
sance de la contribution de plus en plus large prise par chacun au bien-être de tous.
Très coûteux durant les années 2030, l’investissement public massif dans l’école, le logement et
la prévention porte ses fruits avec l’arrivée à l’âge adulte de la première génération formée dans
le nouveau système social. En 2050, le nombre de dossiers d’aide et de protection de la jeunesse
à gérer a fortement diminué. Bien que les recettes de la Région soient elles-mêmes en baisse
(au regard de la manière dont on les valorisait en termes de PIB trente ans plus tôt), les politiques
sociales sont en réalité moins coûteuses. La Région peut ainsi continuer d’investir dans la pré-
vention et dans l’éducation, mais il est (paradoxalement) moins dépensier en 2050 qu’en 2024.
Tous les services liés aux droits fondamentaux sont pour la plupart gratuits et accessibles dans
un rayon de trente kilomètres.
Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?
Né en 2030, Timéo vit avec ses parents, son frère aîné et ses deux sœurs cadettes dans une
banlieue ouvrière d’un bassin industriel wallon. D’aussi loin qu’il se souvienne, on n’a jamais cessé
de parler de changement et de transformation autour de lui. Les choses bougent si vite qu’il a
parfois l’impression que le monde changera encore plusieurs fois avant ses vingt ans. Quand son
père parle de la Grande Accélération, c’est avec des sentiments très contrastés. Lorsque la ci-
menterie où il travaillait depuis dix ans a dû fermer ses portes dans le cadre du programme « Ex-
Carbone », il a bénéficié d’un accompagnement à la reconversion dans les métiers de la cons-
truction durable. Un emploi stable et de qualité, mais qui ne l’empêche pas de regretter souvent
des aspects de sa vie d’avant – l’époque où il avait encore sa propre voiture, où le débit des
téléphones portables n’était pas plafonné, où le soda coulait à flots…
Le changement le plus spectaculaire, c’est à l’école que Timéo et ses sœurs l’ont connu. Moins
d’enfants par classe, un soutien spécial pour les copains qui ne parlent pas français à la maison,
plein d’activités gratuites proposées à l’école même, un repas chaud par jour, c’était déjà une
sacrée différence. Mais il y a aussi ce qu’ils y font : pour grandir dans un monde qui change très
vite, il faut d’abord le comprendre, apprendre à vivre ensemble, développer des projets qui nous
arment pour mieux nous y adapter – menuiserie, couture, électricité, culture potagère… Et quand
il faut prendre une décision importante, qui engage l’école, Timéo a son mot à dire.
Vers 2040, la famille a pu rénover son logement grâce au nouveau système de « tiers-payant »,
qui leur a permis d’entamer les travaux sans avancer la totalité des fonds. Avec les épisodes de
canicules de plus en plus nombreux, ce n’était vraiment pas du luxe. De son côté, la mère de
Timéo, longtemps aide-ménagère en titres-services, a été parmi les premières à expérimenter
le programme-pilote « acti-services », mis en place pour valoriser l’activité au sein des nouveaux
bassins de vie. Leur quartier s’est réorganisé autour de services (mobilité, communication, éner-
gie), qui demandent beaucoup de temps et de travail, mais contribuent aussi énormément au
« score de bien-être » de leur commune.
Le contraste est d’ailleurs très grand avec leurs cousins et leur famille nombreuse, qu’ils voient
peu, même s’ils ne vivent qu’à septante kilomètres de là. Longtemps précaire, la situation des
cousins s’était améliorée au long des années 2030 : avant la petite révolution de l’automatisation
des droits, le « facilitateur ou facilitatrice technique » les avait déjà bien aidés dans leurs dé-
marches avec le numérique, sans parler des « figures de proximité » qui ont permis aux parents
de maintenir le contact avec l’école. Aux dernières nouvelles, leur bassin de vie était cependant
beaucoup moins avancé dans le développement de services et de communs. Avec la rupture
de certaines chaînes d’approvisionnement, de nombreux équipements individuels ont cessé de
fonctionner. Les délestages hivernaux font partie du quotidien. Comme beaucoup de familles
dans le même cas, les cousins songent aujourd’hui à vivre avec les grands-parents, trois géné-
rations sous le même toit, dans l’un de ces logements en « cœur de ville » mis à disposition par
un propriétaire moyennant une garantie de la Région. Tous les territoires sont loin d’être égaux
face aux changements en cours et à venir. Certaines villes peinent à attirer l’activité. La Région
fait son possible, mais par endroits, le modèle qu’elle encourage touche à ses limites.
Ce quatrième scénario doit être lu différemment des précédents. En effet, si l’on dispose de pro-
jections tendancielles de long terme pour certaines variables démographiques ou macroécono-
miques à l’échelle de la Wallonie, ces projections n’ont de sens que « toutes autres choses
égales par ailleurs ». Or, le contexte global reste, quant à lui, marqué par des incertitudes ma-
jeures, en particulier aux plans géopolitique (les rapports de force mondiaux étant occupés à se
redessiner) et climatique (le scénario tendanciel à l’horizon 2050 développé par le GIEC suppo-
sant des changements climatiques et environnementaux majeurs aux lourdes conséquences
économiques, sociales et sanitaires).
Plutôt que de représenter une image tendancielle du futur, l’intérêt de ce scénario est de mettre
en évidence de multiples tensions non résolues dans l’état actuel du système. Par exemple, pour
n’en citer que quelques-unes : la tension entre l’action contre les changements climatiques et
Ainsi, à la différence des trois précédents scénarios qui présentent une certaine cohérence, car
les tensions y sont résolues, celui-ci, par ses incohérences, fait émerger des enjeux porteurs de
changements ou de bifurcations possibles.
• Le renforcement de l’État social actif : depuis l’émergence de l’État social actif au début des
années 2000, on a pu observer un renforcement progressivement de la conditionnalité des
droits et des aides sociales, en particulier dans la seconde moitié des années 2010, à la suite
d’importantes réductions dans les dépenses sociales. Dans ce scénario, nous inscrivons
l’évolution de l’État social dans cette tendance.
• La place de l’enfant demeure prioritaire dans ce scénario, comme dans les trois autres. Les
raisons de cette mise à l’avant-plan de l’enfance dans le fonctionnement social et les moda-
lités de mises en œuvre s’approchent à bien des égards du scénario 1. Nous poursuivons la
tendance observée dans le chapitre 1 de l’étude de « montée en puissance » conjointe d’une
conception « onusienne » de l’enfance et d’une priorisation du public des enfants dans la
lutte contre la pauvreté. La notion de « bonne enfance » traduit cette évolution.
• La conjonction du renforcement de l’État social actif et d’une focalisation sur le public des
enfants (ainsi que sur d’autres publics cibles prioritaires) en matière de lutte contre la pau-
vreté et de politiques sociales conduit à une fragmentation sociale importante : certains pu-
blics se voient davantage protégés que d’autres faces aux crises qui se multiplient en raison
des effets des changements climatiques et environnementaux. En outre, cette fragmentation
est aussi territoriale et économique : la Wallonie poursuit la tendance à la tertiarisation de son
économie, ce qui la fragilise face aux crises, réduit la diversité d’offre sur le marché de l’em-
ploi et génère d’importantes disparités territoriales.
Le contexte géopolitique mondial est dominé par de fortes incertitudes. Les principales puis-
sances économiques et militaires (États-Unis, Chine, Russie, Union européenne) tentent
d’étendre ou de défendre leurs zones d’influence dans le monde. Ces grandes puissances s’ins-
crivent dans une concurrence accrue dans l’accès aux ressources.
Malgré les efforts menés en Europe pour atteindre la neutralité carbone à travers le Green Deal
adopté dans les années 2020, cet objectif ambitieux n’est que partiellement atteint. La décarbo-
nation du transport des personnes et des marchandises ainsi que du chauffage domestique a
connu un certain succès. Cependant, le tissu industriel demeure encore fortement dépendant
des énergies fossiles pour son fonctionnement. En outre, l’accroissement massif de la demande
en énergie électrique pose de nombreux problèmes dans la gestion du mix énergétique (qui
suppose la réintroduction d’énergies fossiles dans sa production), ainsi que dans l’approvision-
nement en matières premières en raison des tensions géopolitiques.
En Europe, les partis politiques traditionnels entretiennent des politiques protectionnistes et très
strictes vis-à-vis des flux migratoires, en raison à la fois de la montée des partis populistes et
xénophobes (dont les succès électoraux se multiplient du fait de la situation sociale tendue), et
de la portée de plus en plus réduite des régimes de protection sociale. Certains pays dont la
population active demeure plus jeune et qui ont su recruter via les migrations de travail connais-
sent, toutefois, une certaine embellie économique en raison du redéploiement d’une partie du
tissu industriel en matière de technologie de décarbonation et d’adaptation aux changements
climatiques et environnementaux. En outre, malgré les difficultés engendrées par les impacts
des changements climatiques et environnementaux, l’Union européenne est parvenue à main-
tenir une sécurité alimentaire, mais au prix d’un accroissement important des coûts de produc-
tion qui s’est répercuté dans le portefeuille des consommateurs européens. Ceux-ci voient, en
moyenne, leur pouvoir d’achat se restreindre, quoique d’une façon très inégalement distribuée
sur le territoire européen. Certains pays ont su tirer parti des opportunités économiques liées au
réchauffement climatique ou y sont plus résilients, comme les pays scandinaves, dont le niveau
de vie est devenu très supérieur à la moyenne européenne. Les pays de l’arc méditerranéen ont
connu, en revanche, un effondrement de leurs conditions de vie, touchés de plein fouet par les
conséquences du réchauffement climatique et une économie structurellement affaiblie.
Au fil des réformes de l’État et des nombreux financements européens liés aux politiques de
transition énergétique, la Wallonie a gagné en autonomie dans l’orientation de ses politiques. Sa
situation économique tendue la rend, néanmoins, encore très fortement tributaire des méca-
nismes de péréquation entre entités fédérées.
Dans ce contexte, les inégalités sociales se creusent, ceci en particulier en matière de patrimoine
et d’exposition aux effets des changements climatiques et environnementaux. Les populations
les plus précarisées souffrent davantage des crises qui se multiplient. Dans un contexte écono-
mique au taux d’emploi à très faible croissance, les jeunes (18-25 ans) sont également davantage
confrontés aux situations de pauvreté et de précarité. Malgré cette paupérisation de certaines
franges de la population, on observe, en moyenne, une stabilisation du taux de pauvreté encou-
ragé par la revalorisation des pensions et la hausse des pensions des femmes.
La situation sociale de la Wallonie devient très fragmentée. Certains publics comme les femmes,
en particulier les femmes seules avec enfants, ou les personnes âgées, qui bénéficient d’une
action spécifique, voient leur situation sociale se stabiliser voire légèrement s’améliorer. D’autres
publics comme les jeunes, les migrants ou les personnes en grande précarité se retrouvent plus
facilement marginalisés et exclus de ces politiques par les effets du non-recours aux droits.
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https://www.plan.be/uploaded/documents/202307110905350.REP_CEVSCVV2023_12855_F.pdf
Dans ce paysage complexe, la Région s’appuie également sur le tissu associatif pour l’aider à
faire face à une situation sociale qu’elle peine à maîtriser. Elle s’en remet à la charité et à la phi-
lanthropie pour trouver des mesures de soutien aux populations les plus précarisées, en parti-
culier lorsqu’il s’agit d’enfants : les actions caritatives et associatives en faveur des familles et des
mineurs étrangers non accompagnés (MENA) se multiplient en raison d’un désinvestissement de
l’État sur ce front.
Dans ce contexte, la lutte contre la pauvreté des enfants devient un leitmotiv pour les gouver-
nements successifs avec la tentation croissante d’orienter davantage de moyens vers ce public,
notamment parce qu’ils y sont poussés par les instances internationales (Comité international
des droits de l’enfant) et européennes (Garantie européenne pour l’enfance), mais aussi parce
que l’idée qu’il s’agit d’un investissement pour le futur s’est très largement banalisée. Cette lo-
gique génère le développement de politiques de plus en plus ciblées, notamment en matière
de logement, y compris pour les classes moyennes inférieures et les publics les plus jeunes.
Diverses aides au logement sont mises en place, mais leur accès est rendu complexe en raison
de conditionnalités très strictes et du fait qu’elles ne sont accessibles qu’en ligne.
Sur le plan de la cohésion sociale, la situation se détériore également. La société wallonne s’est
fortement fragmentée et individualisée. La faible croissance économique et les politiques so-
ciales de plus en plus restreintes et conditionnelles créent beaucoup de nouveaux « laissés-
pour-compte ».
Sous la pression des institutions internationales (Comité international des droits de l’enfant) et de
l’Union européenne (Garantie européenne pour l’enfance), et à la suite du développement d’un
secteur institutionnel et associatif dédié à la mise en œuvre des droits de l’enfant en Belgique
francophone, les décennies 2020, 2030 et 2040 ont vu l’émergence et le renforcement progressif
du caractère normatif du référentiel de la « bonne enfance ». Cela s’est notamment traduit par
un élargissement des compétences du Délégué général aux droits de l’enfant (sans pour autant
que ses moyens soient augmentés).
La « bonne enfance » devient, en effet, l’objectif implicite de l’ensemble des politiques qui luttent
contre la pauvreté des enfants. Elle suppose plusieurs principes qui trouvent leur origine dans la
Convention : une capacité d’action autonome, une participation aux décisions qui le concernent,
des droits subjectifs propres, une égalité de genre, une aide à la réussite dans une société com-
pétitive, une liberté d’orientation philosophique, religieuse et éducative.
Ce cadre, qui vise à l’émancipation de l’enfant comme individu, devient un référentiel partagé
par de nombreux acteurs politiques et associatifs. Ceux-ci poussent notamment à un abaisse-
ment de la majorité des enfants ainsi qu’à une politique de la famille et de l’enfance qui tend à
surresponsabiliser les parents, voire à organiser un « management social » lorsque ceux-ci
s’écartent de cette norme. Les familles les plus défavorisées (en termes de capitaux écono-
mique, social et culturel) peinent à satisfaire ces critères et sont souvent stigmatisées pour leurs
mauvais comportements. Pour cette raison, elles font l’objet d’un contrôle renforcé, ce qui con-
tribue encore à détériorer leurs relations avec les institutions de prise en charge.
Par conséquent, le système d’accueil des enfants connaît de multiples difficultés inhérentes à
une réduction des dépenses publiques dans les services sociaux : le taux de couverture en
crèche demeure insuffisant et le secteur fait face à une pénurie de puéricultrices ; les services
de placement font face à des coûts croissants et à une pénurie de travailleurs sociaux. Quant au
système d’enseignement, malgré une succession de réformes ambitieuses, il continue de faire
face à des défis de plus en plus considérés comme structurels : stagnation des performances,
pénurie d’enseignants, inégalités entre élèves et entre établissements.
Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?
Née en 2030, Emma vit dans un petit appartement situé en banlieue d’une grande ville wallonne,
avec sa mère célibataire, arrivée en Belgique cinq ans auparavant. Faute de places en crèche,
mais surtout de possibilités d’accueil durant les heures de travail très variables de sa mère (tech-
nicienne de surface pour une grande entreprise sous-traitante en nettoyage de bureaux), Emma
a été ballottée chez ses tantes durant toute sa petite enfance. De sa scolarité difficile, dans un
établissement surpeuplé de la Ville, elle ne garde pas un très bon souvenir. Malgré la bonne
volonté du personnel enseignant, souvent dépassé par les défis de l’intégration d’élèves ne par-
lant pas français à la maison, elle a accumulé une série de retards qui l’ont orientée, à ses 14 ans,
vers une formation dans le domaine de la restauration et de l’alimentation.
Très souvent, sa mère se sent coupable de ne pas avoir réussi à donner davantage de chances
à Emma. Dans ses interactions avec les services sociaux, on ne manquait pas de lui faire com-
prendre que sa fille avait des droits, et que si elle n’était pas en mesure de prendre en charge
son enfant, d’autres solutions s’offraient à elle, comme l’assistance familiale, voire le placement.
Elle s’y est toujours refusée, même si les projets et autres « contrats parentaux » qu’on lui pro-
posait impliquaient souvent des sacrifices importants, en termes d’autonomie – sans parler de
l’humiliation ressentie face au manque de confiance des institutions. Le comble, c’était quand on
lui faisait remarquer que la taille de la chambre d’Emma n’était pas suffisante… Était-ce sa faute
si le propriétaire avait mal cloisonné l’appartement, ou si la commune ne lui avait pas encore
octroyé de logement social ?
Quand les premiers migrants ont commencé à arriver depuis les régions du sud de l’Europe
menacées de sécheresse, la mère d’Emma a vite compris que la situation n’allait pas s’améliorer.
Certes, elle est devenue prioritaire sur certaines aides aux familles monoparentales, mais en cas
de perte de revenus, elle se demande si elle aura seulement droit à des allocations ou si elle ne
devra pas de nouveau demander le revenu d’intégration sociale, comme à son arrivée en
Était-ce une si bonne idée de demander à sa mère de venir la rejoindre en Belgique ? D’un côté,
ils pourront peut-être vivre ensemble – il y a maintenant aussi des aides spécifiques pour le
maintien à domicile des seniors, et même des primes pour les habitats intergénérationnels. Il y a
aussi des associations qui ont pris le relais des pouvoirs publics pour proposer des solutions plus
ou moins stables aux « primo-arrivants » ou à leurs enfants mineurs, mais voilà bien longtemps
qu’elle n’est plus dans les conditions… Sans compter que grand-mère a besoin de soins de plus
en plus coûteux, et qu’elle-même ne rajeunit pas non plus… Elle a parfois l’impression que le
système ne tient qu’à un fil. En été, le rationnement en eau fait grincer quelques dents – com-
ment cela est-il possible, dans un pays comme la Belgique, où il pleut la moitié de l’année ? Avec
le développement des maladies ré-émergentes, le SPW Futur demande déjà à la population de
se préparer à des nouvelles épidémies. Arrivera-t-on à protéger tout le monde ?
INTRODUC-
CONCLUSION
La prospective se veut un « détour par le futur », qui vise à éclairer l’action présente à la lumière des
futurs possibles pour répondre à quatre questions principales :
• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation des évolutions à venir.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, que
les futurs possibles puissent servir de boussole aux décisions présentes.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.
Au moment de conclure cette étude, il nous semble particulièrement important de revenir sur ces
quatre questions guidant la démarche prospective, pour cerner les éléments de réponses que nous
y avons apportés.
• dans un premier temps, nous tentons d’identifier les principaux apports de l’étude ainsi que
ses limites ;
• dans un deuxième temps, nous détaillons la façon dont cette étude peut informer les déci-
sions futures en matière de politique de lutte contre la pauvreté des enfants en nous con-
centrant sur les six grands enjeux dégagés par l’analyse prospective. Ces six enjeux doivent
pouvoir servir de base aux réflexions stratégiques qui pourront être menées à la suite de
cette analyse prospective ;
• dans un troisième temps, sur la base des enjeux identifiés, nous considérons six chantiers
d’avenir pour la lutte contre la pauvreté des enfants.
Enfin, nous identifions les fortes relations qui unissent ces différents enjeux aux attentes, besoins et
craintes pour l’avenir exprimés par les enfants et les familles en situation de pauvreté et de précarité
dans le cadre de l’enquête menée par nos collègues de l’AVIQ dont les résultats sont présentés dans
la seconde partie du rapport.
Dans ce projet, nous avons débuté l’analyse par une rétrospective approfondie de l’objet analysé
pour en fournir une lecture « interne » la plus développée possible. Nous avons montré la façon dont
la pauvreté des enfants s’est constituée en « problème public », puis en « paradigme d’action pu-
blique ». Ce phénomène a permis l’autonomisation d’un champ d’action publique spécifique autour
d’un objet déterminé, « la pauvreté infantile », doté de moyens d’action adaptés, d’acteurs organisés
et d’objectifs quantifiés. Cette analyse rétrospective a aussi permis de souligner le fait que cette
autonomisation ne s’est pas produite sans tensions : la lutte contre la pauvreté infantile est réguliè-
rement critiquée comme présentant un risque de désinvestissement des autres versants de la poli-
tique de lutte contre la pauvreté et, plus généralement, de la lutte contre les inégalités.
Cette lecture interne de la trajectoire historique de l’objet a permis de constituer une base de travail
pour la démarche prospective en identifiant plusieurs sources d’incertitudes et de difficultés dans la
démarche.
Premièrement, nous avons constaté le caractère fragmenté et la faible maturité du cadre politique
actuel : fragmenté tant en raison de la diversité de parties prenantes et de politiques publiques con-
cernées par la lutte contre la pauvreté des enfants, que de la multiplication de représentations et de
cadres normatifs ; faible maturité, en raison du caractère récent de l’émergence de la pauvreté des
enfants comme problème public et de l’incertitude planant sur les orientations prises par les actions
de lutte contre celle-ci.
Deuxièmement, nous avons souligné que de nombreux implicites habitent aujourd’hui cette poli-
tique, qui ne sont plus questionnés. Cela concerne, notamment, un de ses principaux fondements :
le ciblage sur un public spécifique. Cet implicite soulève de nombreuses interrogations et incerti-
tudes : les moyens vont-ils être réorientés vers ce public ? que vont devenir les familles ? est-il per-
tinent de distinguer la pauvreté de l’enfant de la pauvreté de sa famille ou de son milieu d’accueil ?
les parents jugés « défaillants » en raison de leur situation de pauvreté ou de précarité ne risquent-
ils pas d’être responsabilisés, voire stigmatisés comme « mauvais parents » au nom de « l’intérêt su-
périeur de l’enfant » ? (cf. scénarios 1 et 4)
Troisièmement, nous avons mis en exergue le fait que ces incertitudes, fragmentations et tensions
constituent aussi des opportunités intéressantes pour l’analyse prospective, car elles ouvrent à une
diversité de perspectives utiles à la construction des scénarios. Elles témoignent, en effet, de la com-
plexité inhérente à l’objet. Ainsi, la caractérisation de cette complexité a été positionnée comme ob-
jectif de la démarche, en l’associant au développement d’une analyse de la problématique comme
un système. La compréhension systémique de l’objet a permis, de la sorte, de le concevoir comme
encastré dans un environnement où se joue une interdépendance entre différentes variables qui
influencent l’état de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants et en détermine l’évo-
lution.
Arrivés à ce stade de la démarche, nous avons été confrontés à un problème majeur : l’objet analysé
étant une politique, soit une action sur un phénomène et, éventuellement, sur ses déterminants,
comment en concevoir les évolutions possibles, sans prendre en compte celles du phénomène
Enfin, ce rapide bilan du projet serait incomplet, si nous ne mentionnions pas le caractère participatif
de la démarche menée. Cette dimension participative du projet visait à permettre aux parties pre-
nantes concernées par l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants de contribuer aux
différentes étapes de la démarche d’analyse prospective : de la réalisation du diagnostic à la con-
ception des scénarios. La démarche n’a pas visé à légitimer des choix ou orientations préalablement
définies, mais bien à ouvrir le dispositif à une diversité de connaissances, d’expériences, de préoc-
cupations ainsi que d’expertises, de manière à ancrer l’étude aussi bien dans les mondes des acteurs
des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants, que dans les analyses des différents experts
des aspects contextuels. Cette démarche a mis en débat la situation présente, a questionné ses
implicites pour tenter de déverrouiller le paradigme d’action publique organisant les politiques ac-
tuelles et, ainsi, de « désincarcérer le futur » : l’éloigner d’une projection de tendance qui la réduirait
à un exercice de prévision, pour ouvrir le champ des possibles.
Cette approche très participative de la démarche, par sa proximité avec les visions et analyses des
participants et participantes, présente le risque de réduire la portée de l’exercice en le rendant tribu-
taire des visions et analyses proposées par les personnes consultées. Pour limiter ce risque, la mé-
thode employée a visé, d’une part, à exploiter différents canaux de traitement des données collec-
tées, ce qui a permis de « saturer » l’information sur les problématiques traitées et, d’autre part, à
opérer différents recoupements pour rendre nos données les plus robustes possibles.
Cette question est nécessaire et pertinente : l’analyse proposée ne fournit pas de « feuille de route »
clé sur porte ni de plan d’action prêt à l’emploi. Sa force ne réside pas là. Une des forces de l’analyse
prospective proposée, et notamment des scénarios, est d’identifier des enjeux pour l’avenir sur les-
quels construire de façon informée de futures stratégies.
L’analyse par scénarios a permis de dégager, en effet, différents éléments qui, d’une part, question-
nent la pertinence des orientations prises en matière de lutte contre la pauvreté des enfants depuis
une trentaine d’années en Belgique, en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, et, d’autre
part, identifient des tendances lourdes, des incertitudes majeures et des facteurs de changement
qu’il sera indispensable de prendre en compte dans les futures décisions en matière de lutte contre
les inégalités, au risque de faire face à des bifurcations critiques aux effets majeurs sur la situation
de pauvreté des enfants.
2.1. ENJEU N°1 – UNE TENDANCE LOURDE : LES EFFETS DES CHOCS ÉCOLO-
GIQUES GÉNÉRÉS PAR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET ENVIRONNE-
MENTAUX SUR LES INÉGALITÉS
L’analyse prospective a identifié les changements climatiques et environnementaux comme variable
motrice et comme tendance lourde commune à tous les scénarios. Il est, en effet, acté par les ex-
perts et travaux consultés qu’à défaut de changement dans les politiques actuelles et leur mise en
œuvre, le réchauffement climatique de la planète atteindra les 3°C à l’horizon 2050.
La Belgique connaîtra un réchauffement supérieur à celui observé à l’échelle mondiale (à cette der-
nière échelle, l’inertie thermique des océans joue favorablement). Son climat en sera radicalement
transformé par rapport à celui connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, prin-
temps secs (sécheresses répétitives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de
chaleur.
Cette situation climatique se répercutera sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodi-
versité générant d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacera
la sécurité alimentaire.
Cette situation climatique tendue pourra également générer d’importantes conséquences en ma-
tière d’inégalités, les populations les plus pauvres et précarisées étant davantage exposées aux ef-
fets des changements climatiques et environnementaux en raison, entre autres, de leurs revenus
plus faibles, de leur état de santé, de leur lieu de vie ou de la qualité de leur logement.
Dans ce contexte, les enfants vivant dans des milieux précarisés ou pauvres pourraient être particu-
lièrement concernés par les conséquences sociales des changements climatiques et environne-
mentaux, ceci au détriment de leurs droits fondamentaux et de leur santé physique et mentale.
Les orientations suivies par le modèle économique ont, en effet, d’importantes répercussions sur les
ressources financières de l’État et, par ricochet, sur l’ambition et la portée des politiques sociales.
Trois des quatre scénarios présentent un modèle économique fondé sur des logiques de croissance
et d’accumulation de richesses : des paradigmes économiques estimés aptes à générer un « bien-
être » fondé sur une l’amélioration globale des conditions de vie matérielles des populations, amé-
lioration permise par les progrès techniques et l’innovation technologique, à la fois supports et pro-
duits de la croissance économique.
Cette conception du modèle économique, si elle conditionne la forme prise par l’État social, interagit
toutefois avec elle de façon très différente dans chacun des trois scénarios, ceci pour deux princi-
pales raisons : d’une part, la croissance économique et ses effets sont variables d’un scénario à
l’autre ; d’autre part, les changements climatiques, environnementaux et démographiques interfèrent
fortement dans la relation entre le modèle économique et la forme prise par l’État social.
• En premier lieu, la croissance économique attendue n’est pas rencontrée dans deux des trois
scénarios : les promesses de gains de productivité et d’efficacité dans la lutte contre les ef-
fets des changements climatiques et environnementaux apparaissent peu réalistes dans les
scénarios 1 et 4, ce dernier étant considéré comme le tendanciel. La croissance, dans ces
scénarios (pour le scénario 1, dans une de ses deux variantes), stagne autour de 1 %, ce qui a
de lourdes répercussions sur le budget de l’État et sur les formes prises par l’État social : les
Ceci nous amène à la question de « l’interférence » que jouent les changements climatiques, envi-
ronnementaux et démographiques dans la relation entre le modèle économique et la forme prise
par l’État social.
La capacité à faire face à de tels chocs est envisagée de deux façons par les scénarios :
• Dans les scénarios évoqués 1, 2 et 4, cette prise en charge est tributaire d’une capacité finan-
cière. Par conséquent, la forme prise par l’État social y joue un rôle central. Or, cette forme
est, elle-même, dépendante du modèle économique. En conséquence, la prise en charge
des risques écologiques, en supplément des risques sociaux, est amenée à prendre, elle
aussi, des formes très différentes. Ce chaînage entre nouveaux risques, modèle économique
et forme de l’État social constitue un enjeu en soi (enjeu n°3).
• Dans le scénario 3, le modèle de développement par la croissance de l’économie cède la
place à un développement par le « bien-être » (c’est-à-dire, un accès effectif aux droits fon-
damentaux pour l’ensemble de la population, une capacité de résilience aux chocs écolo-
giques et la soutenabilité des activités humaines dans le futur) 169 et la « pleine santé » 170.
Ainsi, dans ce scénario, les effets des changements climatiques et environnementaux (et du
vieillissement) se présentent comme des « catalyseurs de transformation » (non des « per-
turbations » comme dans les précédents). Cette transformation consiste, d’une part, comme
nous venons de l’évoquer, en une modification du paradigme économique, et, d’autre part,
en une évolution de l’État social : celui-ci joue un rôle de prévention et de protection béné-
fique à l’ensemble des populations face aux risques sociaux-écologiques pour satisfaire à
l’orientation économique de bien-être et de « pleine santé ».
169
« il importe de donner la priorité aux indicateurs de bien-être (mesurant le développement humain), de résilience (mesurant
la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de soutenabilité (mesurant le bien-être futur) dans la conduite des poli-
tiques publiques en dépassant puis en abandonnant définitivement le PIB et sa croissance, dans la conduite de l’action pu-
blique en France, en Europe et au-delà. » (Laurent, 2023 : 183)
170
« La transition vers la pleine santé consiste à relier la santé humaine à la santé animale, végétale et environnementale, et à
la placer au cœur de l’action publique et notamment des politiques économiques. Elle consiste en outre à reconnaître et à
atténuer les inégalités sociales de santé, parmi lesquelles les inégalités sanitaires face aux dégradations environnementales
et dans l’accès aux ressources naturelles, à commencer par une alimentation saine. » (Laurent, 2023 : 207)
Nous avons indiqué dans la description de l’enjeu précédent que l’intégration de ces risques dépend
d’une « capacité financière » dans les scénarios 1, 2 et 4 : c’est, en fonction de la situation écono-
mique, par l’intermédiaire des effets bénéfiques de la croissance économique sur les finances pu-
bliques et sur le bien-être matériel (scénario 2) ou par l’endettement (scénario 1 et 4) que les risques
sont intégrés et limités. En revanche, dans le scénario 3, l’intégration de ces risques dépend, certes
d’une certaine capacité financière, mais aussi de mécanismes de prévention et de protection fondés
sur une encapacitation individuelle (développement de capacités et compétences des personnes)
et collective (transformation des modes de coopération) améliorant la résilience face aux chocs éco-
logiques et environnementaux.
• Trois scénarios (les scénarios 1, 2 et 4) « absorbent » ces chocs par leur capacité à financer
une anticipation (comme l’investissement dans « l’économie verte ») et une gestion (écono-
mie de la « réparation » des dégâts causés par ces chocs) de leurs conséquences. Mais,
comme on l’a vu, les configurations financières s’avérant très contrastées, cette double ca-
pacité d’anticipation et de gestion apparaît très inégale d’un scénario à l’autre.
• Dans le scénario 3, on observe, en revanche, une autre façon d’absorber ces chocs par une
adaptation poussée du modèle économique : sa réorientation vers un « bien-être » social-
écologique et vers la « pleine santé » des êtres humains et de l’ensemble de la biosphère.
L’absorption des chocs y devient le cœur de la transformation sociale : elle ne dépend pas
uniquement de la capacité financière, mais devient un projet politique.
Dans ces contextes, le statut des risques sociaux et écologiques dans le fonctionnement de la so-
ciété s’avère très variable.
• Dans les mondes où ces risques sont mitigés par la seule capacité financière, que cela soit
sous forme d’investissement, comme dans le scénario 2, ou sous forme de compensa-
tion/dédommagement, dans les scénarios 1 et 4, c’est une logique « créancière » qui per-
siste : les dépenses réalisées ne sont pas gratuites, elles supposent, de la part, de leur bé-
néficiaire, des obligations. Ainsi, dans ces trois cas de figure, le bénéfice de droits sociaux ou
écologiques est conditionnel.
• À l’inverse, dans le scénario 3, on assiste au renouvellement d’une logique universaliste dans
la protection sociale : l’ensemble de la population étant considérée comme vulnérable aux
chocs écologiques, elle profite des mécanismes de prévention et de protection nécessaires
en fonction de ses besoins pour y faire face et, ainsi, bénéficier d’un accès inconditionnel et
effectif à ses droits fondamentaux.
Ainsi, la dynamique observée dans les scénarios 1, 2 et 4 tend à souligner une disparition du régime
assurantiel au profit d’un régime assistanciel : les droits sociaux s’y individualisent et leur condition-
nalité se renforce. On observe, à l’inverse, dans le scénario 3, une universalisation des droits par un
renforcement du régime assurantiel.
Cette lecture doit, néanmoins, être nuancée, car apparaissent dans les scénarios 1, 2 et 4 des formes
de « réuniversalisation » des droits à l’égard de publics spécifiques, en particulier celui des enfants :
ils se voient protégés, mais à des niveaux et selon des modalités très différentes en fonction des
scénarios, comme un public vulnérable reconnu comme tel par les droits de l’enfant. Cette protec-
tion spéciale et universelle, car elle concerne tous les enfants, se concentre sur un groupe spécifique
au sein de la population.
• Dans un scénario comme le scénario 2, le bénéfice de ces droits universels est conditionnel :
il suppose que l’enfant, en tant que « capital humain » d’une économie évoluant vers une
transition énergétique, se conforme aux attentes de cette société pour en bénéficier ; s’il s’en
écarte, il peut perdre le bénéfice de ces droits.
Dans les scénarios 1, 2 et 4, l’absorption des chocs écologiques par la seule capacité financière de
l’État tend à rendre très incertaine l’issue en termes de protection de la population : d’une part, parce
que le financement de la protection sociale dépend des phénomènes redistributifs, eux-mêmes tri-
butaires de la croissance économique ; d’autre part, parce que l’incertitude sur les capacités finan-
cières de l’État pousse à rendre les systèmes de protection conditionnels, à les « désuniversaliser »,
et à les « réuniversaliser » pour des publics particuliers, dont font partie les enfants.
Par les spécificités évoquées précédemment, le scénario 3 s’éloigne de cette conception « onu-
sienne » de l’enfance, tout en y restant ancré. L’intégration des risques écologiques au cœur du pro-
jet politique suppose une reconnaissance de la vulnérabilité de l’ensemble de la société et non uni-
quement de groupes particuliers. Les enfants demeurent conçus, dans l’esprit onusien, comme un
groupe à protéger et à encapaciter, mais au même titre que d’autres groupes jugés plus vulnérables
face aux crises. Par ailleurs, l’enfant est conçu comme un membre à part entière de la société : il
prend une part active aux transformations que provoque la transition sociale-écologique. À ce titre,
il bénéficie d’une encapacitation destinée à lui permettre d’acquérir les capacités et compétences
nécessaires pour pleinement vivre dans un monde en transformation.
Dans ces contextes variés, les inégalités vécues par les enfants et la façon dont leur pauvreté est
conçue prennent des formes variées.
• Dans les scénarios 1 et 4, les inégalités auxquelles sont confrontés les enfants sont très im-
portantes.
Dans le scénario 1 où les capacités d’action de l’État en matière sociale sont extrêmement
réduites et privilégient certains publics, dont les enfants, les inégalités s’accentuent en tous
La pauvreté des enfants sera, dans les trois prochaines décennies, tributaire d’un contexte climatique
et environnemental tendu. Nous avons souligné cet enjeu majeur : les interactions entre la situation
Pour chacun des quatre scénarios développés dans l’étude, nous avons conçu, sur la base du travail
participatif mené avec les parties prenantes, quatre configurations d’action publique de lutte contre
la pauvreté des enfants cohérentes avec la dynamique de chacun des scénarios et répondant à
l’enjeu climatique de façon très diversifiée – avec des résultats très variés sur l’état de pauvreté des
enfants. Ces politiques sont présentes dans chacun des scénarios, car, comme on l’a vu, les enfants
constituent, en toutes hypothèses, un public « protégé ».
• Dans le scénario 1, marqué par une réduction des moyens alloués à la protection sociale,
l’action publique en matière de lutte contre la pauvreté des enfants se caractérise par une
approche « low cost » qui priorise les moyens et domaines d’action, « bureaucratise » la pro-
tection de l’enfance et de la jeunesse et accentue le contrôle social sur les familles. L’action
de lutte contre la pauvreté des enfants tend à identifier de nouveaux publics cibles au sein
même des publics précarisés : les politiques s’adressent à des publics « dans la norme ». Les
enfants et les familles jugés hors cadres sont relégués à une offre alternative.
• Dans le scénario 4 (tendanciel), la situation présente de nombreuses similarités : on conçoit
une action publique qui fonctionne en situation de « pénurie » : les infrastructures d’accueil
présentent un taux de couverture insuffisant par rapport aux besoins de la population, les
professionnels de l’enfance, de l’aide à/protection de la jeunesse et de l’éducation man-
quent à l’appel. La politique scolaire devient paradoxale : elle est très ambitieuse, souhaite
améliorer la condition des enfants et réduire les inégalités, mais manque de moyens pour y
parvenir. Le manque de moyens touche l’ensemble du système de protection sociale. Il ren-
force la protection des enfants : face à des situations familiales difficiles s’imposent des lo-
giques de contrôle et de suivi des parents. Il pousse également à focaliser l’action sur des
cibles prioritaires (enfants, familles monoparentales, femmes, seniors, classe moyenne pré-
carisée) au détriment des autres. Enfin, à l’instar du scénario 1, il tend à reléguer les publics
hors cadre à des « offres alternatives », au risque de renforcer leur précarité : philanthropie,
monde associatif, secteur privé voire sociétés mafieuses.
• Dans le scénario 2, la situation apparaît très contrastée avec les deux précédents scénarios :
investissements massifs dans les structures d’accueil de l’enfance et prise en charge des
enfants dès le plus jeune âge ; revalorisation des filières techniques et professionnelles ; pré-
vention et accompagnement des familles par des logiques transversales et intersectorielles ;
renforcement des droits de l’enfant par des soutiens financiers importants aux acteurs clés
comme le Délégué général aux droits de l’enfant ainsi qu’aux projets qui permettent à l’inté-
rêt supérieur de l’enfant de prévaloir, comme la garantie pour l’enfance. Apparaissent des
droits sociaux universels, mais conditionnels : allocations familiales revalorisées, nouveaux
droits et protections pour faire face aux vulnérabilités climatiques (allocation universelle mo-
dulée selon les phases de la vie), mais dépendants d’une contractualisation et d’un accom-
pagnement par les services sociaux en vue d’assurer la participation aux orientations politico-
économique de la transition énergétique.
• Dans le scénario 3, on observe d’importantes similarités avec le précédent scénario : inves-
tissement massif dans les structures d’accueil, logiques de prévention, renforcement des
droits de l’enfant sont au cœur des politiques de l’enfance. La politique scolaire et la politique
sociale évoluent, néanmoins, dans une direction contrastée. La politique scolaire développe
une éducation capacitaire qui vise à l’apprentissage des compétences et des capacités né-
cessaires à la transition sociale-écologique. Les contenus d’apprentissage sont étendus à la
L’autonomisation d’un champ d’action publique dédié à la lutte contre la pauvreté des enfants, issu
de cette trajectoire historique, présente de nombreux atouts, notamment en matière de coordination
des acteurs et des mesures mises en place. La reconnaissance des droits fondamentaux des enfants
constitue une avancée notable, celle de leur « intérêt supérieur » tout autant. Le risque demeure,
néanmoins, que cette politique s’organise, dans le futur, comme un « silo » distinct, voire concurrent,
des autres domaines d’action publique de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Cette évolution
pourrait donc conduire, dans un avenir proche, à une fragmentation importante de l’action et des
moyens dédiés alors même que la problématique est dépendante d’enjeux systémiques.
Dans la perspective de la conception d’une stratégie en matière de lutte contre la pauvreté des en-
fants, il nous semble donc primordial, à la lumière de cette analyse, de souligner qu’il est nécessaire,
pour son efficacité et son efficience, que cette stratégie soit le reflet de cette complexité : elle doit
pouvoir intégrer dans un cadre de gouvernance commun les différents enjeux identifiés en les as-
sociant à des objectifs et des moyens d’action adaptés et cohérents, cadre qui articule, par ailleurs,
l’ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Au terme de cette analyse, outre les enjeux identifiés, nous souhaitons mettre en exergue deux
pistes de réflexion susceptibles de guider un futur travail de construction stratégique.
• Réorienter : les politiques actuelles s’attachent principalement aux effets des inégalités, alors
que les scénarios montrent que de nombreux enjeux se situent à d’autres niveaux ; réorienter
l’action vers les causes structurelles paraît nécessaire pour influencer de manière décisive
l’état des inégalités.
• Requalifier : deux variables motrices jouent et joueront dans le futur un rôle fondamental sur
la pauvreté des enfants : les changements climatiques et environnementaux, et la situation
économique. Une approche systémique montre les interrelations entre ces différentes va-
riables. Les politiques actuelles sont hautement compartimentées et spécialisées en fonc-
tion des acteurs, des outils d’action, des sources de financement, des outils de diagnostic et
de mesure… Les scénarios montrent que des requalifications et de nouvelles catégories d’ac-
tion sont nécessaires pour que les outils puissent évoluer et intégrer les transformations du
réel et, en particulier, le nexus social-écologique.
Une seconde piste s’attache à tenter de répondre à l’une des questions évoquées en tête de cette
conclusion : compte tenu des analyses fournies, que pouvons-nous faire ?
Il va de soi que la Wallonie ne peut agir seule et directement contre les changements climatiques et
environnementaux qui joueront un rôle majeur dans les évolutions futures.
À son niveau, elle peut, en revanche, organiser son action pour prévenir l’accroissement des inéga-
lités qui affectent les enfants, voire les réduire. Elle peut aussi stimuler des initiatives en dehors de
l’univers politique via les administrations, le monde associatif, le monde économique, la philanthropie
ou la recherche des actions qui permettent de dépasser le cadre de ses compétences actuelles,
pour ainsi préparer l’avenir.
Cette situation incite également à ce que la conception et la mise en œuvre des politiques intègrent
la participation des parties prenantes et des bénéficiaires.
Ces mécanismes supposent une effectivité de la participation : les personnes et acteurs sont enca-
pacités afin de pouvoir faire porter leur voix et opinion, tant du point de vue des compétences que
du temps et des moyens financiers disponibles.
L’éradication de la pauvreté des enfants dans ces scénarios semble possible, mais au prix d’une
protection spéciale et sans garantie pour l’avenir : les crises écologiques perdurant, ces enfants, pro-
tégés jusqu’à leur majorité, risquent d’être précarisés une fois devenus adultes.
Dans un scénario (scénario 2), l’école est envisagée comme un levier de mobilité sociale qui doit
permettre aux enfants d’intégrer les métiers et activités privilégiés dans le cadre du déploiement
d’une économie verte et d’une transition énergétique. Les métiers techniques et les filières qui y
conduisent sont revalorisés. Ce système repose sur une logique économique et de redistribution
« traditionnelle » : une économie en croissance, guidée par les mutations technologiques imposées
par la transition énergétique, crée de nouveaux emplois et permet le maintien de systèmes de pro-
tection sociale redistributifs. À nouveau, ce système présente une double faiblesse : d’une part, il
dépend des capacités financières pour faire face aux risques climatiques, d’autre part, les services
sociaux, environnementaux et sanitaires doivent être suffisamment bien équipés pour limiter les
risques encourus par les populations.
Dans un autre scénario (scénario 3), l’école est envisagée comme un levier de prévention des risques
sociaux et écologiques : en misant sur le développement des capacités et compétences nécessaires
au développement d’une résilience face aux chocs écologiques, l’éducation permet de réduire la
vulnérabilité de futurs adultes et encourage, par ailleurs, le développement de nouveaux modes de
coopération permettant d’améliorer la résilience collective face à de tels chocs.
3.2.4. Deux modalités d’action pour faire face aux risques sociaux-écologiques
Les scénarios permettent de documenter une réflexion relative à deux modalités contrastées d’ab-
sorption des risques sociaux et écologiques par le système socio-économique et l’État social : l’une
par la « capacité financière » ; l’autre par une prévention et une protection, toutes deux basées sur
une économie du « bien-être ».
Nous y avons insisté longuement au fil de la conclusion : le scénario 2 envisage la mitigation des
risques sociaux et écologiques à travers les capacités financières de l’État. Dans ce scénario, c’est
par l’investissement massif dans l’économie et le social que l’État peut parvenir à atteindre des ob-
jectifs de transition et de protection de sa population. Comme on l’a également répété, ces objectifs
sont tributaires de l’advenue d’une croissance économique soutenue. Dans ce scénario, les méca-
nismes financiers imaginés reposent sur plusieurs réformes fiscales (globalisation des revenus et
révision des tranches d’imposition guidées par un principe de justice fiscale ; moyens renforcés de
lutte contre l’évasion fiscale). L’État bénéficie, en outre, de l’embellie économique via l’impôt sur les
revenus et les sociétés. Par ailleurs, les personnes bénéficient d’une allocation universelle construite
à partir des allocations familiales et modulée selon les phases de la vie (petite enfance, périodes de
formation, pension, maladie…), tout en restant conditionnelle.
Dans les scénarios, nous avons envisagé l’état de dix politiques particulières : la politique d’accueil
de l’enfance, la politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse, la politique de sou-
tien à la parentalité, la politique scolaire, la politique des droits de l’enfant, la politique de lutte contre
la pauvreté, le régime de sécurité sociale, la politique de promotion de la santé, la politique du
En outre, ce domaine pourrait être étendu à d’autres politiques, notamment la politique économique
et industrielle, la politique agricole, la politique climatique et environnementale. Dans une perspec-
tive d’éradication de la pauvreté des enfants et de couverture des différents enjeux identifiés par
l’étude, ces politiques devraient être intégrées à la réflexion stratégique pour permettre le question-
nement du modèle économique et la façon dont les risques climatiques et environnementaux peu-
vent être intégrés à la lutte contre la pauvreté des enfants.
Ce faisant, cette politique a tendu à restreindre la portée de son action à certains types d’enfants, les
« enfants dans le besoin », et à se focaliser sur les conséquences d’inégalités devenant structurelles.
Cette action est évidemment importante, mais sa « bureaucratisation », c’est-à-dire le fait qu’elle se
soit organisée en objectifs, outils d’action, instruments de mesure, tend à « verrouiller » les perspec-
tives d’évolution et à en restreindre la portée, alors que les évolutions futures, comme notre analyse
tend à le monter, remettront en cause les orientations choisies aujourd’hui.
Cette démarche était expérimentale à plus d’un titre : l’appropriation des scénarios de l’étude par ces
publics représentait un défi en termes de conception et d’animation d’ateliers. Malgré ces difficultés
de mise en œuvre, qui se sont traduites par une certaine déconnexion d’avec les scénarios, les té-
moignages recueillis lors de cette consultation présentent néanmoins un certain nombre de conver-
gences avec les enseignements de l’étude prospective, que nous souhaitions ici brièvement mettre
en évidence avant de renvoyer le lecteur à cette partie.
Les enfants consultés (six ateliers, dont quatre en Action en Milieu Ouvert) comme les adultes (deux
ateliers) partagent un certain nombre de préoccupations qui se laissent aisément traduire en do-
maines d’action pour lutter contre les inégalités : assurer la gratuité de l’école tout en améliorant la
qualité de l’enseignement et en diminuant la taille des classes ; améliorer l’accès (financier et géo-
graphique) aux soins de santé (tant physique que mentale) ; développer une offre de logements
abordables et de qualité ; rendre l’accès à l’emploi plus facile pour les jeunes (par exemple en reva-
lorisant certaines filières, ou en favorisant la transmission des savoirs vers les plus jeunes dans le
monde de l’entreprise). Enfants et adultes se montrent également préoccupés par les inégalités cau-
sées par l’augmentation du coût de la vie, et, de manière générale, par les discriminations et les
injustices sociales, qui se reflètent directement dans un certain nombre de privations matérielles
dont les enfants sont victimes, mais aussi dans les inégalités d’accès à des services comme les
crèches (encore accentuées par l’éloignement géographique, pour ceux qui vivent en milieu rural).
Si les adultes semblent plutôt concernés par des problèmes concrets et des solutions pragmatiques,
les enfants se montrent davantage préoccupés par des problèmes plus globaux, comme le réchauf-
fement climatique, et des réponses qu’on pourrait qualifier de plus systémiques.
Cette liste de préoccupations, très brièvement résumée ici, recoupe largement celle qui était issue
des ateliers menés avec les parties prenantes sur la définition et l’expérience de la pauvreté infantile.
Elle tend ainsi à conforter le choix d’ouvrir la démarche prospective à des politiques publiques trans-
versales qui ne sont pas spécifiquement dédiées à l’enfance et à la jeunesse, mais y touchent direc-
tement (à travers son milieu d’accueil) ou indirectement (à travers la composante économique).
Les propos recueillis témoignent d’une préoccupation très palpable face à l’avenir : même si les par-
ticipants et participantes ont eu du mal à se projeter dans des scénarios préconstruits, ils ne man-
quent pas de capacités de se projeter à long terme. L’horizon 2050 peut sembler éloigné pour ceux
qui conçoivent le futur à l’échelle d’une ou deux législatures. Pour des enfants, il s’agit, plus simple-
ment, du monde où ils vivront quand ils seront grands, en tant qu’adultes. D’où l’importance qu’ils
attachent à une reconnaissance de leur propre regard prospectif et à leur nécessaire consultation
pour les décisions qui les concernent.
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2024
Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique
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