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JUIN 2024

RAPPORT DE RECHERCHE

HORS Lutter contre la pauvreté des enfants en


SÉRIE Wallonie : une analyse prospective

RÉSUMÉ
Réalisée à la demande du Gouvernement des scénarios d’action publique, avec les
wallon, cette étude prospective, fruit parties prenantes et les acteurs des poli-
d’une collaboration entre l’IWEPS et tiques ; élaboration de scénarios portant
l’AVIQ, décrit la façon dont pourrait évo- sur le contexte socio-économique avec
luer l’action publique de lutte contre la des experts scientifiques ; consultation
pauvreté des enfants à l’horizon 2050. des bénéficiaires (enfants et familles en
À la croisée des politiques des droits situation de pauvreté ou de précarité),
de l’enfant et de lutte contre la pauvre- sous forme de témoignages relatifs à
té, cette action transversale à différents leurs attentes, besoins et souhaits pour
domaines (politique de l’enfance, poli- l’avenir (cf. Partie II). Le résultat de ce tra-
tiques sociales, politique scolaire…) as- vail consiste en quatre scénarios établis
socie des acteurs publics et associatifs à l’horizon 2050 et présentant à la fois le
de tous niveaux de pouvoir. Cette poli- contexte dans lequel la Wallonie pour-
tique vise à agir sur l’état de privation rait évoluer et le type d’action publique
matérielle des enfants et sur les difficul- de lutte contre la pauvreté des enfants
tés d’accès à leurs droits fondamentaux. qui pourrait s’y déployer. Ces scéna-
Depuis la ratification de la Convention rios présentent quatre configurations
internationale des droits de l’enfant en contrastées déterminées par l’état des
1992, jusqu’à la mise en œuvre de la ga- relations entre le modèle économique
rantie pour l’enfance en 2022, cette poli- et la forme prise par l’État social avec,
tique s’est formée, en Belgique, à travers en toile de fond, le rôle structurant des
différentes étapes décrites dans l’étude. effets des changements climatiques et
Pour imaginer les futurs possibles de environnementaux sur les inégalités. En
long terme de cette forme d’action pu- conclusion, l’étude développe six en-
blique, cette étude a privilégié une mé- jeux et domaines d’action permettant au
thode de scénarisation participative qui Gouvernement et aux acteurs de déve-
a mobilisé une grande diversité de pu- lopper une action stratégique basée sur
blics : co-construction du diagnostic l’analyse prospective.
prospectif, d’hypothèses d’évolution et
COLOPHON
Auteurs : Vincent CALAY (IWEPS)
Frédéric CLAISSE (IWEPS)
Caroline COUWENBERGH (AVIQ)
Michaël DEGREEF (AVIQ)
Olivier FORTZ (AVIQ)

Édition : Evelyne ISTACE (IWEPS)

Editeurs
responsables : Sébastien BRUNET (IWEPS)
Françoise LANNOY (AVIQ)

Dépôt légal : D/2024/10158/11

Création graphique : Deligraph


http://deligraph.com
Reproduction autorisée, sauf à des fins commerciales,
moyennant mention de la source.

IWEPS

Institut wallon de l’évaluation, de la


prospective et de la statistique

Route de Louvain-La-Neuve, 2
5001 NAMUR

Tel : 081 46 84 11

http://www.iweps.be

[email protected]

INTRODUCTION AVANT-PROPOS

Cette étude est le fruit d’une collaboration entre l’IWEPS et l’AVIQ, souhaitée
par le Gouvernement wallon dans le cadre du « Plan wallon de sortie de la
pauvreté » adopté le 25 novembre 2021. Elle vise à réaliser une analyse
prospective des politiques de lutte contre la pauvreté infantile en Wallonie.
L’équipe en charge de l’étude était composée, à l’IWEPS, de Vincent Calay
et de Frédéric Claisse, attachés scientifiques – experts en prospective et, à
l’AVIQ, de Caroline Couwenbergh et de Michaël Degreef, gestionnaires de
projets en évaluation des politiques publiques, prospective et statistiques.
La présentation des résultats est organisée en deux parties.
La première partie, rédigée par Vincent Calay et Frédéric Claisse, est
intitulée « Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie : rétrospective,
scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques ». Elle présente l’analyse
prospective et ses conclusions.
Une seconde partie, rédigée par Caroline Couwenbergh, Michaël Degreef
et Olivier Fortz, présente les résultats d’une consultation organisée par
l’AVIQ relative aux attentes des bénéficiaires des politiques de lutte contre
la pauvreté infantile.
Les travaux publiés n’engagent que les auteurs et leurs institutions.
L’Institut wallon de l’évaluation,
de la prospective et de la statistique

JUIN 2024

RAPPORT DE RECHERCHE

HORS Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :


rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux
SÉRIE
stratégiques

RÉSUMÉ
Réalisée à la demande du Gouverne- méthode de scénarisation participa-
ment wallon, cette étude prospec- tive qui a mobilisé une grande diver-
tive, fruit d’une collaboration entre sité de parties prenantes des poli-
l’IWEPS et l’AVIQ, décrit quatre fu- tiques considérées, ainsi qu’un panel
turs possibles de l’action publique d’experts scientifiques du contexte
de lutte contre la pauvreté des en- socio-économique. Le résultat de ce
fants à l’horizon 2050. À la croisée travail de co-construction consiste
des politiques des droits de l’enfant en quatre scénarios à l’horizon 2050,
et de lutte contre la pauvreté, cette qui présentent à la fois une trajec-
forme d’action associe des acteurs toire d’évolution du contexte global
publics et associatifs de tous niveaux pour la Wallonie et le type d’action
de pouvoir et traverse différents do- publique de lutte contre la pauvre-
maines (politique de l’enfance, poli- té des enfants qui pourrait s’y dé-
tiques sociales, politique scolaire…). ployer. Chacune de ces configura-
Elle vise à agir sur l’état de privation tions apparaît déterminée par l’état
matérielle des enfants et sur les dif- futur des relations entre le modèle
ficultés d’accès à leurs droits fonda- économique et la forme prise par
mentaux. Depuis la ratification de la l’État social avec, en toile de fond, le
Convention internationale des droits rôle structurant des effets des chan-
de l’enfant en 1992, jusqu’à la mise en gements climatiques et environne-
œuvre de la garantie pour l’enfance mentaux sur les inégalités (sociales,
en 2022, cette politique s’est progres- environnementales, scolaires, de
sivement constituée en paradigme santé…). En conclusion, l’étude déve-
d’action publique, dont cette étude loppe six enjeux et domaines d’ac-
reconstitue les étapes et questionne tion permettant au Gouvernement et
les implicites. Pour imaginer les fu- aux acteurs de développer une ac-
turs possibles de long terme de la tion stratégique basée sur l’analyse
lutte contre la pauvreté des enfants, prospective. Vincent CALAY (IWEPS)
l’étude prospective a privilégié une Frédéric CLAISSE (IWEPS)
Remerciements
Nous remercions Yasmina Al Meriouh, Caroline Couwenbergh, Michaël Degreef et Olivier Fortz, ges-
tionnaires de projets en évaluation des politiques publiques, prospective et statistiques à l’AVIQ ainsi
qu’Élodie Bardi et Céline Dévière, gestionnaires de veille informationnelle et stratégique à l’AVIQ,
pour le travail fourni pour l’organisation des ateliers prospectifs et la rédaction des fiches-variables
composant la base prospective. Nous remercions également Juliette Garain, gestionnaire de projets
en évaluation des politiques publiques, prospective et statistiques à l’AVIQ qui a alimenté l’analyse
rétrospective de ses travaux sur les allocations familiales. Nos remerciements vont aussi à Lore Pon-
cin, directrice de la Direction de la Recherche, de la Statistique et de la Veille des Politiques de l’AVIQ,
Marius Hanon, responsable du Conseil de la stratégie et de la prospective ainsi qu’Anne-Françoise
Cannella et Françoise Lannoy, co-administratrices de l’AVIQ, pour leur confiance et leur soutien.

Cette étude a également bénéficié des précieux apports de plusieurs chercheurs et chercheuses et
experts de l’IWEPS. Ils/elles ont directement contribué au développement de la base prospective
en l’alimentant d’hypothèses d’évolution. Ils/elles ont également participé, en tant qu’experts thé-
matiques, à plusieurs ateliers visant au développement de scénarios relatifs au contexte socio-éco-
nomique wallon. Sans leurs contributions, le travail de scénarisation n’aurait pu aboutir à de tels ré-
sultats. Nous remercions chaleureusement Frédéric Caruso, Marc Debuisson, Matthieu Delpierre,
Anne Deprez, Claire Dujardin, François Ghesquière, Olivier Meunier, Isabelle Reginster, Raphaël Ri-
tondo, Christine Ruyters, Vincent Scourneau, Delphine Thimus, Annick Vandenhooft et Valérie Van-
der Stricht. Ils souhaitent également remercier Síle O’Dorchai, directrice de la Direction Recherche et
évaluation, et Frédéric Vesentini, directeur de la Direction Données et indicateurs, pour avoir encou-
ragé et permis cette collaboration particulièrement fructueuse entre les directions de l’IWEPS. Nous
souhaitons également adresser nos vifs remerciements à Jean-Luc Guyot, Directeur de la Direction
Anticipation des phénomènes socio-économiques, pour son accompagnement quotidien, ses con-
seils avisés et son soutien sans faille durant toute la durée du projet. Enfin, nos remerciements vont
à Sébastien Brunet, Administrateur général de l’IWEPS, pour sa confiance et son constant soutien.

Le travail de scénarisation a également été alimenté de la collaboration d’experts thématiques. Nous


tenons à remercier vivement Périne Brotcorne, chercheuse à l’UCLouvain, Christian De Visscher,
professeur émérite à l’UCLouvain et Aurore Fransolet, chercheuse au laboratoire SONYA de l’Uni-
versité Libre de Bruxelles, pour leurs relectures des fiches-variables et leurs propositions d’hypo-
thèses d’évolution.

L’ensemble de la démarche prospective s’est appuyée sur une large participation des parties pre-
nantes des politiques de l’enfance et de lutte contre la pauvreté. La démarche a pu s’appuyer sur
des participants et participantes particulièrement investis et collaboratifs dans les différents ateliers.
Nous tenons à remercier très vivement les organisations et leurs représentants qui ont pris le temps
de s’impliquer dans ce processus : Aide à la jeunesse Fédération Wallonie-Bruxelles, ARES, ASBL
Comme chez Nous, ATD Quart Monde, Bureau fédéral du Plan, Camille, CAP48, Centre d’Étude en
Habitat durable, Centre de Formation Fédération des CPAS – Union des Villes et des Communes de
Wallonie, Centre de Planning Familial de la Province de Namur – Réseau Solidaris, Centre Local de
la Promotion de la Santé, CESE Wallonie, Confédération des Syndicats chrétiens, Délégué général
aux droits de l’enfant, Eurochild, Famiwal, Fédération Infor Jeunes Wallonie-Bruxelles, Fédération
Générale du Travail de Belgique, Fondation Roi Baudoin, Centre de Planning familial du Centre et de
Soignies, Haut conseil stratégique, Infino, KidsLife, Ligue des familles, Ministère de la Fédération
Wallonie-Bruxelles – Secrétariat général – Cellule de lutte contre la pauvreté et pour la réduction
des inégalités sociales, Office de la Naissance et de l’Enfance, Réseau Wallon de Lutte contre la
Pauvreté, Service de la prévention de Liège, Service interfédéral de lutte contre la pauvreté, la

6 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
précarité et l’exclusion sociale, SETCa, Solidaris, SPP Intégration sociale, Service public de Wallonie
– Action sociale – Direction de la cohésion sociale, Service public de Wallonie – Direction du déve-
loppement durable.

Le projet a pu bénéficier à ses différentes étapes des conseils avisés d’un Comité de suivi particuliè-
rement diversifié. Nous remercions les membres du Comité de leurs apports : Séverine Acerbis (Gou-
vernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Ministre de l’Enfance), Anne Baudaux (Office de la
Naissance et de l’Enfance), Geneviève Bazier (Office de la Naissance et de l’Enfance), Ludivine By-
kans (Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté), Philippe Defeyt (Institut pour un Développement
durable), Anne-Marie Dieu (Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse),
Philippe Durance (CNAM – Chaire Prospective et Développement durable), François Ghesquière
(IWEPS), Olivier Henskens (Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté), Carine Jansen (Service public
de Wallonie – Intérieur et Action sociale – Direction de la Cohésion sociale), Anne-Françoise Janssen
(Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté), Mélanie Joseph (Service interfédéral de lutte contre la
pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale), François Klarzynski (Gouvernement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles – Ministre-Président), Willy Lahaye (UMons – Sciences de la Famille), Solayman
Laqdim (Délégué général aux droits de l’Enfant), Vincent Lorge (Service interfédéral de lutte contre
la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale), Christine Mahy (Réseau wallon de Lutte contre la Pau-
vreté), François Maniquet (UCLouvain – CORE), Jean-Philippe Preumont (Gouvernement wallon –
Cabinet du Ministre-Président), Elodie Razy (ULiège – LASC), Dominique Rossion (Office de la Nais-
sance et de l’Enfance), Christopher Sortino (Gouvernement wallon – Cabinet du Ministre-Président),
Olivier Thévenon (OCDE – WISE), Anne-Michèle Wauthier (AVIQ).

Nous remercions spécialement Régis Doyen et Marie Gerbayhaie, respectivement chef de cabinet
adjoint et conseillère au cabinet de la ministre en charge des Allocations familiales pour leur accom-
pagnement et leur suivi du projet.

Enfin, nous remercions très vivement nos collègues Pascale Dethier, pour sa relecture approfondie
du manuscrit, Evelyne Istace, pour la qualité de son travail d’édition et Aurélie Hendrickx pour ses
conseils avisés pour la publication du rapport.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 7


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Table des matières
Remerciements...................................................................................................................................................................................... 6
RÉSUMÉ EXÉCUTIF ............................................................................................................................................................................15
1. La pauvreté touche un enfant sur cinq en Wallonie ............................................................................................. 16
2. La lutte contre la pauvreté des enfants en Belgique, en Wallonie et en Fédération Wallonie-
Bruxelles : une trajectoire historique ................................................................................................................................... 17
3. Une analyse prospective exploratoire .............................................................................................................................. 20
4. Une analyse prospective participative ...............................................................................................................................21
5. La méthode des scénarios .......................................................................................................................................................... 22
6. Quatre scénarios décrivant les futurs possibles des politiques de lutte contre la pauvreté
des enfants ................................................................................................................................................................................................23
7. Six enjeux majeurs, balises de futures stratégies ....................................................................................................24
8. Six chantiers d’avenir pour la lutte contre la pauvreté des enfants..........................................................29
9. Un guide de lecture du rapport ............................................................................................................................................... 31
INTRODUCTION ................................................................................................................................................................................... 33
1. La pauvreté persiste en Wallonie et touche un enfant sur cinq .................................................................34
2. Le Gouvernement wallon met en place un plan de sortie de la pauvreté ciblant les enfants
comme public prioritaire (2021) ................................................................................................................................................35
3. Une analyse prospective visant à alimenter la réflexion stratégique en matière de lutte
contre la pauvreté des enfants ............................................................................................................................................... 36
4. Présentation du rapport................................................................................................................................................................. 38
4.1. Chapitre 1 : la rétrospective ................................................................................................................................................ 38
4.2. Chapitre 2 : le cadrage de l’approche ........................................................................................................................ 38
4.3. Chapitre 3 : la méthode de conception des scénarios................................................................................ 39
4.4. Chapitre 4 : les scénarios dans leurs versions « technique » et « littéraire » ............................ 39
4.5. Comment utiliser cette analyse prospective comme outil d’aide à la décision ? ................. 41
CHAPITRE 1 : La lutte contre la pauvreté des enfants en Belgique, en Wallonie et en Fédération
Wallonie-Bruxelles : une trajectoire historique ........................................................................................... 42
1. La lutte contre la pauvreté infantile : une « politique spectacle » ? ..........................................................43
2. La « vulnérabilité » au cœur d’une conception politique de l’enfance ................................................. 46
2.1. La Marche blanche : un point de bifurcation ....................................................................................................... 46
2.2. L’émergence de « politiques de l’enfance » ........................................................................................................ 46
2.3. Le bien-être des enfants comme priorité politique : le tournant de la Convention
internationale des droits de l’enfant .............................................................................................................................47

8 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. L’institutionnalisation de l’enfant comme être « vulnérable » en Belgique francophone..... 49
3.1. Le Délégué général aux droits de l’enfant (1991) ............................................................................................. 49
3.2. L’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse au niveau de la
Communauté française de Belgique (1998) .......................................................................................................... 51
3.3. L’enfant pauvre comme public cible de la politique des droits de l’enfant .............................. 51
3.3.1 Le plan d’action national pour l’enfance 2005-2012 ....................................................................................... 51
3.3.2 Les plans d’action en matière de droits de l’enfant au niveau wallon (2011).............................54
3.3.3 Le rapport relatif à la pauvreté du délégué général aux droits de l’enfant (2019) ...............55
4. La pauvreté des enfants comme objet statistique .................................................................................................57
4.1. Des indicateurs européens de mesure de la pauvreté des enfants ................................................57
4.2. Première analyse statistique de l’état de la pauvreté des enfants en Belgique (2018) .. 58
4.2.1 Analyse statistique de la pauvreté des enfants en Belgique ................................................................ 58
4.2.2 Analyse des déterminants de la pauvreté des enfants.............................................................................. 58
4.2.3 Recommandations de l’étude .......................................................................................................................................... 58
5. La pauvreté « infantile » comme paradigme d’action publique ................................................................. 60
5.1. La garantie européenne pour l’enfance .................................................................................................................. 60
5.2. La mise en œuvre de la garantie européenne pour l’enfance en Belgique ............................ 62
5.2.1 La pauvreté « infantile », nouveau paradigme d’action publique...................................................... 62
5.2.2 Le « plan d’action national belge garantie européenne pour l’enfance 2022-2030 » ...... 64
6. La lutte contre la pauvreté des enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles .................................... 65
6.1. La déclaration de politique communautaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2019-
2024 ......................................................................................................................................................................................................... 65
6.2. Le plan de lutte contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités 2020-2025 ......... 66
6.3. Le plan d’action en matière de droits de l’enfant 2020-2024 ................................................................ 67
7. La lutte contre la pauvreté des enfants en Wallonie ........................................................................................... 70
7.1. La déclaration de politique régionale 2019-2024 ............................................................................................ 70
7.2. Le plan wallon de sortie de la pauvreté (2021) ................................................................................................... 71
7.3. Le plan d’action en matière de droits de l’enfant 2020-2024 ................................................................. 72
7.4. Les allocations familiales.......................................................................................................................................................73
7.4.1 Le système d’allocations familiales ..............................................................................................................................73
7.4.2 L’impact des allocations familiales sur la pauvreté des enfants .........................................................73
CHAPITRE 2 : Une analyse prospective des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants ...... 75
1. Un retour à la complexité ............................................................................................................................................................ 76
2. Intérêts et limites d’une analyse prospective ............................................................................................................. 78
2.1. Principales caractéristiques d’une démarche prospective ..................................................................... 78
2.1.1 Une posture systémique, interdisciplinaire et participative .................................................................... 78

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 9


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.1.2 Des futurs ouverts et pluriels ............................................................................................................................................ 78
2.1.3 Des problèmes pernicieux .................................................................................................................................................. 78
2.1.4 Des méthodes rigoureuses ................................................................................................................................................ 79
2.1.5 Le soutien à la décision ......................................................................................................................................................... 79
2.2. La prospective comme outil d’aide à la décision ............................................................................................ 79
2.2.1 Orienter l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables .......................... 79
2.2.2 Baliser les futurs possibles de repères qui aident à distinguer les faits porteurs d’avenir .
.....................................................................................................................................................................................................................80
2.2.3 Mobiliser l’intelligence collective et permettre l’appropriation du changement ................. 80
2.3. Prospective et prédiction ...................................................................................................................................................... 81
3. Quels scénarios pour les politiques de lutte contre la pauvreté infantile en Wallonie à
l’horizon 2050 ?...................................................................................................................................................................................... 83
3.1. Une mission complexe........................................................................................................................................................... 83
3.1.1 Un contexte politique fragmenté et de faible maturité.............................................................................. 83
3.1.2 Des implicites à questionner ............................................................................................................................................. 84
3.1.3 Exploiter les tensions et incertitudes propres à l’objet pour concevoir les scénarios ..... 85
3.2. Le scénario comme outil de l’analyse prospective ....................................................................................... 85
3.3. Quatre scénarios d’évolution des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants.... 87
3.3.1. Apports et limites des scénarios proposés........................................................................................................... 87
3.3.2. Présentation des scénarios................................................................................................................................................. 88
CHAPITRE 3 : Méthode de conception des scénarios ................................................................................................. 90
1. Phasage de l’analyse prospective ......................................................................................................................................... 91
2. Le diagnostic prospectif.................................................................................................................................................................92
2.1. La notion de « variable » en prospective .................................................................................................................92
2.2. La notion de « système prospectif »............................................................................................................................92
2.3. Le concept de « base prospective » .......................................................................................................................... 93
2.3.1. Une appréhension fine des variables ........................................................................................................................ 93
2.3.2. Une large compréhension du système ................................................................................................................... 93
2.3.3. Une lecture rétrospective et prospective des variables ........................................................................... 93
2.4. Première cartographie du système et conception de la base prospective exploitée dans
le projet ................................................................................................................................................................................................ 94
2.4.1. Exploration de l’objet analysé et des facteurs qui en influencent l’état....................................... 94
2.4.2. Consolidation des résultats de la phase exploratoire.................................................................................. 98
3. La scénarisation .................................................................................................................................................................................. 107
3.1. Le design du système prospectif................................................................................................................................ 107
3.1.1. La construction du système prospectif ................................................................................................................. 107
3.1.2. Un usage heuristique de la méthode DPSIR ..................................................................................................... 107

10 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.1.3. Une distinction entre variables de contexte et variables politiques ..............................................110
3.2. Comment déterminer les hypothèses d’évolution des variables ? .................................................. 111
3.2.1. L’importance des « hypothèses d’évolution » dans l’analyse prospective ............................... 111
3.2.2. Déterminer des hypothèses d’évolution pertinentes et vraisemblables ................................... 112
3.2.3. L’exploitation des hypothèses d’évolution dans le cadre de la scénarisation ...................... 114
3.3. Exploitation des ressources méthodologiques de l’analyse morphologique ....................... 114
3.3.1. L’analyse morphologique ................................................................................................................................................... 114
3.3.2. La problématique de la scénarisation propre au projet............................................................................116
3.3.3. Une version adaptée de la méthode d’analyse morphologique ......................................................116
4. Dimension participative de l’analyse prospective .................................................................................................119
4.1. La prospective implique-t-elle toujours une large participation ? ................................................... 119
4.2. Rôle et utilité de l’atelier prospectif ........................................................................................................................... 120
4.2.1. Qu’est-ce qu’un atelier prospectif ?........................................................................................................................... 120
4.2.2. À quoi sert un atelier dans un projet de prospective ? .............................................................................. 121
4.3. Les ateliers prospectifs développés dans le cadre du projet .............................................................122
4.3.1. L’atelier prospectif exploratoire .....................................................................................................................................122
4.3.2. L’atelier hypothèses d’évolution des variables ................................................................................................124
4.3.3. L’atelier de proto-scénarisation .....................................................................................................................................125
4.3.4. L’atelier de scénarisation .....................................................................................................................................................127
4.4. Les publics engagés dans les dispositifs participatifs du projet ...................................................... 128
4.4.1. Les parties prenantes ............................................................................................................................................................ 128
4.4.2. Les experts ..................................................................................................................................................................................... 130
4.4.3. Les publics cibles ..................................................................................................................................................................... 130
4.4.4. Les commanditaires et le comité de suivi du projet .................................................................................... 131
CHAPITRE 4 : Les scénarios ........................................................................................................................................................ 132
1. Méthode d’élaboration du système prospectif et d’identification de ses évolutions possibles
........................................................................................................................................................................................................................... 133
1.1. Prototypage par la méthode DPSIR .......................................................................................................................... 133
1.2. Analyse morphologique guidée et élaboration de proto-scénarios de contexte ............. 133
1.3. Intégration de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants au système
prospectif ......................................................................................................................................................................................... 133
1.4. Analyse morphologique structurée : caractérisation du système et de ses évolutions
futures possibles........................................................................................................................................................................ 134
2. Caractérisation du système prospectif .......................................................................................................................... 135
2.1. Comprendre la dynamique du système prospectif : l’analyse structurelle ............................ 135
2.2. Statuts des variables au sein du système prospectif ................................................................................. 137
2.2.1. Analyse structurelle des variables de contexte ............................................................................................. 137

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 11


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.2.2. Le statut ambigu de certaines variables motrices........................................................................................ 138
2.2.3. Typologie des variables de contexte....................................................................................................................... 139
2.2.4. Intégration des variables « réponses » ................................................................................................................... 140
2.3. Les variables constitutives du système prospectif ....................................................................................... 141
2.3.1. Les variables motrices ........................................................................................................................................................... 141
2.3.2. Les variables de régulation ...............................................................................................................................................142
2.3.3. Les variables relais ................................................................................................................................................................... 145
2.3.4. Les variables résultats .......................................................................................................................................................... 148
2.3.5. Les variables réponses ........................................................................................................................................................ 154
2.4. Les composantes du système prospectif ........................................................................................................... 157
2.4.1. La composante « climat et démographie » ........................................................................................................ 158
2.4.2. La composante « modèle économique » ............................................................................................................ 159
2.4.3. La composante « forme d’état social »...................................................................................................................160
2.4.4. La composante « modèle socioculturel » ............................................................................................................161
2.4.5. La composante « état des inégalités » ................................................................................................................... 162
2.4.6. La composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants » ...................... 162
2.5. La représentation graphique du système prospectif................................................................................. 163
3. Quatre états futurs possibles du système prospectif ........................................................................................166
3.1. Scénario 1 – un état social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie
précarisée ........................................................................................................................................................................................ 167
3.1.1. Pourquoi ce titre ? ..................................................................................................................................................................... 167
3.1.2. Évolution de la composante « climat et démographie » dans le scénario 1 .......................... 168
3.1.3. Évolution de la composante « modèle économique » dans le scénario 1 .............................. 169
3.1.4. Évolution de la composante « forme d’état social » dans le scénario 1 ..................................... 170
3.1.5. Évolution de la composante « modèle socioculturel » dans le scénario 1 ...............................172
3.1.6. Évolution de la composante « état des inégalités » dans le scénario 1 ..................................... 173
3.1.7. Évolution de la composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 1 ...................................................................................................................................................................... 174
3.1.8. Le scénario global et sa représentation ................................................................................................................ 177
3.2. Scénario 2 – un état sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain
d’une Wallonie qui investit dans son avenir .......................................................................................................180
3.2.1. Pourquoi ce titre ? .....................................................................................................................................................................180
3.2.2. Évolution de la composante « climat et démographie » dans le scénario 2 .........................180
3.2.3. Évolution de la composante « modèle économique » dans le scénario 2 .............................. 182
3.2.4. Évolution de la composante « forme d’état social » dans le scénario 2 .................................... 183
3.2.5. Évolution de la composante « modèle socioculturel » dans le scénario 2 ............................. 184
3.2.6. Évolution de la composante « état des inégalités » dans le scénario 2 ..................................... 185

12 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.2.7. Évolution de la composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 2 .....................................................................................................................................................................186
3.2.8. Le scénario global et sa représentation ................................................................................................................189
3.3. Scénario 3 – vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités
dans une Wallonie transformée ................................................................................................................................... 192
3.3.1. Pourquoi ce titre ? ..................................................................................................................................................................... 192
3.3.2. Évolution de la composante « climat et démographie » dans le scénario 3 ......................... 192
3.3.3. Évolution de la composante « modèle économique » dans le scénario 3.............................. 194
3.3.4. Évolution de la composante « forme d’état social » dans le scénario 3 .................................... 196
3.3.5. Évolution de la composante « modèle socioculturel » dans le scénario 3 ............................. 198
3.3.6. Évolution de la composante « état des inégalités » dans le scénario 3 ..................................... 199
3.3.7. Évolution de la composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 3 .................................................................................................................................................................... 200
3.3.8. Le scénario global et sa représentation ............................................................................................................... 203
3.4. Scénario 4 (tendanciel) – un état social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance »
dans une Wallonie fragmentée ................................................................................................................................... 206
3.4.1. Pourquoi ce titre ? .................................................................................................................................................................... 206
3.4.2. Évolution de la composante « climat et démographie » dans le scénario 4 ........................ 206
3.4.3. Évolution de la composante « modèle économique » dans le scénario 4............................. 208
3.4.4. Évolution de la composante « forme d’état social » dans le scénario 4 ................................... 209
3.4.5. Évolution de la composante « modèle socioculturel » dans le scénario 4 ............................. 210
3.4.6. Évolution de la composante « état des inégalités » dans le scénario 4 ...................................... 211
3.4.7. Évolution de la composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 4 ......................................................................................................................................................................212
3.4.8. Le scénario global et sa représentation .................................................................................................................215
4. Les narratifs ............................................................................................................................................................................................ 218
4.1. Une version « littéraire » des scénarios .................................................................................................................. 218
4.2. Scénario 1 – un état social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie
précarisée ........................................................................................................................................................................................ 219
4.3. Scénario 2 – un état sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain
d’une Wallonie qui investit dans son avenir ....................................................................................................... 224
4.4. Scénario 3 – vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités
dans une Wallonie transformée ...................................................................................................................................228
4.5. Scénario 4 (tendanciel) – un état social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance »
dans une Wallonie fragmentée .................................................................................................................................... 233

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 13


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
CONCLUSION : Comment faire de cette étude un outil d’aide à la décision ?........................................... 240
1. Apports et limites de la démarche proposée ........................................................................................................... 242
2. Les enjeux susceptibles d’orienter les stratégies futures .............................................................................. 244
2.1. Enjeu n°1 – une tendance lourde : les effets des chocs écologiques générés par les
changements climatiques et environnementaux sur les inégalités .............................................. 244
2.2. Enjeu n°2 – la dépendance de l’état social au modèle économique ........................................... 245
2.3. Enjeu n°3 – les risques sociaux et écologiques au cœur des transformations sociétales
...................................................................................................................................................................................................................247
2.4. Enjeu n°4 – une universalité des droits à géométrie variable..............................................................249
2.5. Enjeu n°5 – les transformations de la pauvreté des enfants comme phénomène social
.................................................................................................................................................................................................................. 250
2.6. Enjeu n°6 – l’autonomisation du champ d’action publique de lutte contre la pauvreté
infantile : un risque majeur « d’ensilotage » face à des problématiques sociales
complexes........................................................................................................................................................................................251
3. Quelles perspectives possibles ? ........................................................................................................................................254
3.1. Repenser la façon d’agir .....................................................................................................................................................254
3.2. Six chantiers d’avenir pour la lutte contre la pauvreté des enfants ............................................... 254
3.2.1. Une participation effective des populations et acteurs concernés ............................................... 254
3.2.2. Un système de protection sociale intégrant les nouveaux risques et vulnérabilités ..... 255
3.2.3. La place centrale des institutions d’enseignement et d’éducation................................................255
3.2.4. Deux modalités d’action pour faire face aux risques sociaux-écologiques .......................... 256
3.2.5. Une gouvernance transversale.................................................................................................................................... 256
3.2.6. Une « débureaucratisation » de l’action publique ........................................................................................257
4. Consultation des bénéficiaires : des convergences fortes........................................................................... 258
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................................................................ 259

14 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC- RÉSUMÉ EXÉCUTIF

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 15


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Réalisé entre janvier 2022 et avril 2024, le projet « Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
une analyse prospective » est le fruit d’une collaboration entre l’Institut wallon de l’Évaluation, de la
Prospective et de la Statistique (IWEPS) et l’Agence wallonne de la santé, de la protection sociale,
du handicap et des familles (AVIQ).

Ce projet procède de la mise en œuvre du Plan wallon de sortie de la Pauvreté adopté par le Gou-
vernement wallon le 25 novembre 2021 (mesure 3.6).

L’objectif de ce projet est de développer une analyse prospective de nature exploratoire visant à
établir des futurs possibles à l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants à l’horizon
2050.

L’étude présentée dans ce document développe une analyse technique approfondie des contextes
futurs conditionnant l’état de pauvreté des enfants et la lutte contre celle-ci. Elle propose, en outre,
des récits qui permettent d’en comprendre la dynamique et d’en saisir les trajectoires temporelles.
Elle développe, enfin, six enjeux et domaines d’action permettant aux gouvernements concernés et
aux acteurs de développer une action stratégique basée sur l’analyse prospective.

1. LA PAUVRETÉ TOUCHE UN ENFANT SUR CINQ EN WALLONIE


Comparativement à d’autres pays européens, la Wallonie présente des inégalités de revenus limi-
tées 1. Toutefois, la pauvreté y reste importante.

La privation matérielle et sociale touche, aujourd’hui, près de 16 % de la population wallonne 2. Elle


affecte plus gravement les familles monoparentales : en 2023, 31,7 % de la population wallonne vi-
vant dans un ménage monoparental est en situation de privation matérielle et sociale 3.

En outre, l’état de la pauvreté en Wallonie n’a cessé de se dégrader depuis le début des années
2000. On observe, notamment, depuis 2003, une croissance tendancielle du recours aux aides so-
ciales, recours qui s’est particulièrement accentué depuis 2015 pour les publics les plus jeunes (18-
24 ans) 4. De plus, depuis la fin des années 2000, se développe un accroissement de la pauvreté des
conditions de vie. Cela s’observe, notamment, dans l’indicateur de précarité énergétique, qui touche
une part croissante de la population wallonne 5.

Dans ce contexte, depuis la fin des années 2000, la pauvreté des enfants est devenue un problème
public à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie. La mise en œuvre de la
Convention internationale des droits de l’enfant a, en effet, pu s’appuyer sur de nouveaux outils de
mesure de cette pauvreté au niveau européen et belge. Ces outils permettent, depuis peu, de quan-
tifier l’état de la pauvreté des enfants : le taux de déprivation des enfants 6 en Wallonie est de 18 %
en 2021 ; en outre, 16,5 % des enfants vivent dans un ménage aux revenus inférieurs au seuil de pau-
vreté 7.

1
Voir : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2022/03/I001-GINI-032022_full1.pdf
2
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-materielle-sociale/
3
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/deprivation-materielle-severe-selon-type-de-menage/
4
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-majeurs-beneficiant-de-laide-so-
ciale/#:~:text=Les%2018%2D24%20ans%20(taux,%2C46%20%25%20en%202021).
5
Voir : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2019/12/I018-PREC.ENERG_.-122019_full1.pdf
6
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/
7
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-risque-de-pauvrete-selon-la-classe-dage-et-le-sexe/

16 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ DES ENFANTS EN BELGIQUE, EN WALLO-
NIE ET EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES : UNE TRAJECTOIRE HISTO-
RIQUE
Les initiatives mises en place aujourd’hui tant au niveau de l’État fédéral qu’à celui de la Wallonie ou
de la Fédération Wallonie-Bruxelles en matière de lutte contre la pauvreté des enfants résultent
d’une trajectoire historique qui s’est développée sur une trentaine d’années. Elle a débuté avec
l’adoption (1989), puis la ratification par la Belgique (1992), de la Convention internationale des droits
de l’enfant (CIDE). Cette trajectoire a fait se rapprocher progressivement deux domaines d’action pu-
blique aux évolutions distinctes : la politique des droits de l’enfant et la politique de lutte contre la
pauvreté.

Depuis l’adoption de la CIDE, la politique des droits de l’enfant a connu un lent développement qui
s’est traduit, au fil du temps, par la création de plusieurs institutions : le Délégué général aux droits
de l’enfant (DGDE) en 1991, l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse
(OEJAJ) en 1998 et la Commission nationale pour les droits de l’enfant (CNDE) en 2006. Ces diffé-
rentes institutions ont, par leur action, concouru à faire reconnaître la pauvreté des enfants, en tant
que défaut d’accès aux droits fondamentaux reconnus par la Convention, comme un « problème
public » – c’est-à-dire un problème politiquement reconnu comme objet d’une action publique né-
cessaire et légitime.

Que sont les « droits de l’enfant » ?

La politique des droits de l’enfant est fondée sur la Convention internationale des droits de l’enfant
de l’ONU entrée en vigueur en Belgique en 1992. Elle rend l’enfant titulaire de droits au motif de
sa « vulnérabilité » ou de sa « fragilité », droits qui lui sont personnels et indépendants de ses
parents ou de sa famille.

L’enfant est titulaire de trois types de droits censés garantir son « bien-être » : les droits de provi-
sions, les droits de protection et les droits de participation.

Les droits de provisions concernent la possibilité pour l’enfant d’accéder à un ensemble d’outils
administratifs, financiers ou juridiques qui lui permettent de mener une vie conforme aux stan-
dards du bien-être admis aujourd’hui dans un pays comme la Belgique.

Les droits de protection concernent la fixation d’un ensemble de limites à l’exercice de libertés
par le mineur afin de le protéger (financières, de loisirs, affectives et sexuelles, de consommation
d’alcool, de spiritueux et de tabac, de conduite de véhicules motorisés).

Les droits de participation concernent la participation de l’enfant aux différents types de décisions
(judiciaires, juridiques, en matière de santé, en matière politique, en matière numérique) qui le
concernent et qui touchent à différents aspects de la vie.

Cette politique est mise en œuvre par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à
la Jeunesse et par le Délégué général aux droits de l’enfant ainsi que par les administrations wal-
lonnes et de la Fédération Wallonie-Bruxelles via les Plans d’action en matière de droits de l’en-
fant.

Cette évolution historique a connu un premier tournant au milieu des années 1990 avec l’affaire Du-
troux et l’événement politique qui l’a suivi le 20 octobre 1996 : la Marche Blanche, considérée comme
l’une des plus grandes manifestations citoyennes qu’ait connues la Belgique. Ces événements ont
cristallisé un large consensus social et politique autour de la nécessité de protéger les enfants en
raison de leurs vulnérabilités, principe au cœur de la définition de l’enfance de la CIDE.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 17


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Malgré cet élan, il a fallu attendre le premier « Plan d’action national pour l’enfance 2005-2012 » pour
que soit posée la première pierre de la politique de lutte contre la pauvreté des enfants que nous
connaissons aujourd’hui. Ce plan constitue une évolution importante, car il tente d’établir une struc-
ture de gouvernance de la politique des droits de l’enfant à l’échelon belge en proposant une série
de priorités d’actions communes aux différents niveaux de pouvoir parmi lesquelles la pauvreté des
enfants occupe une place importante.

Mais la jonction entre la protection des droits de l’enfant et la lutte contre la pauvreté des enfants ne
s’est opérée de façon décisive qu’à la fin des années 2000, au terme de plusieurs évolutions con-
jointes :

• L’élargissement de l’action du DGDE à la pauvreté des enfants. En 2008, Bernard De Vos (en
fonction de 2008 à 2023) identifie la pauvreté comme enjeu majeur de la mise en œuvre de
la CIDE : « […] la pauvreté, c’est le fossoyeur des droits de l’enfant, que ce soit le droit à l’édu-
cation ou la santé. Aucun droit de la Convention des droits de l’enfant ne résiste à l’épreuve
de la pauvreté » 8. Il publie, ainsi, en 2009, le premier rapport dédié à l’analyse de la pauvreté
des enfants en Belgique francophone, le Rapport relatif aux incidences et aux conséquences
de la pauvreté sur les enfants, les jeunes et leurs familles 9.
• Une nouvelle approche de la mise en œuvre de la CIDE par l’OEJAJ centrée sur le rôle de
l’État. L’Observatoire choisit d’orienter son travail vers une information autour de l’État et de
ses obligations plutôt que vers la sensibilisation des publics adultes et mineurs concernés
par la CIDE : « Il ne s’agit pas de mieux faire connaître ou comprendre, aux adultes ou aux
enfants, les droits ou leurs droits et la manière de les exercer (article 42 de la CIDE). Il s’agit
de mieux faire connaître et comprendre, et donc de mieux faire endosser, les obligations que
l’État partie a d’assurer la pleine effectivité des droits » (OEJAJ, 2010 : 5).
• Une concertation de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la conception
et la mise en œuvre de leurs Plans d’action en matière de droits de l’enfant (PADE). La prési-
dence conjointe de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles par Rudi Demotte 10 à
partir de 2009 entraîna la mise en place de PADE au niveau de la Région wallonne pour les
compétences qui lui sont propres (logement, action sociale, santé, numérique, transport, in-
frastructures sportives), en plus des PADE déjà en place en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Par ailleurs, la coordination entre la Fédération et la Wallonie dans l’élaboration des PADE
fut renforcée à partir de novembre 2013 par un accord de coopération.

Les années 2010 voient ainsi émerger une première concentration de moyens autour de la pauvreté
des enfants, devenue un véritable « problème public » – on la nomme d’ailleurs de plus en plus
« pauvreté infantile », pour appuyer le fait qu’il s’agit d’une réalité « à part entière ». Le grand public
découvre, d’ailleurs, avec émotion à partir de 2013, grâce à l’initiative Viva for Life de la RTBF, l’im-
portance du phénomène en Belgique francophone, non sans que se constitue une controverse au-
tour d’un nouvel enjeu porté par les acteurs de la lutte contre la pauvreté et plusieurs chercheurs
actifs sur la question des inégalités : « […] se focaliser sur la pauvreté infantile, c’est encore donner
l’illusion d’une pauvreté particulière et c’est tromper la vigilance du public. Car le fond du problème,
ce sont les parents en situation de pauvreté. Cette façon de saucissonner la problématique de la
pauvreté est un non-sens sauf s’il s’agit de faire pleurer grand-mère et de chercher à attendrir en

8
Entretien accordé au périodique Le Vif publié le 27 mai 2021 : https://www.levif.be/actualite/belgique/la-jeunesse-ce-
puissant-levier-portrait-de-bernad-de-vos-delegue-general-aux-droits-de-l-enfants/article-normal-1429757.html
9
Voir : http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=8639
10
Rudi Demotte (PS) fut conjointement chef des Gouvernements (Ministre-Président) de la Fédération Wallonie-Bruxelles et
de la Wallonie entre 2009 et 2014.

18 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
mettant en avant le triste sort des enfants pauvres » indique un chercheur universitaire à propos de
l’initiative 11.

La considération de la pauvreté infantile comme réalité « à part entière » se renforce encore en 2018
lors de la publication de la première recherche scientifique sur la pauvreté des enfants en Belgique,
menée à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin, intitulée : « La pauvreté et la déprivation des en-
fants en Belgique. Comparaison des facteurs de risque dans les trois Régions et les pays voisins »
(Guio et Vandenbroucke, 2018). Cette étude établit plusieurs constats statistiques sur la pauvreté des
enfants en Belgique sur la base des données européennes SILC (Statistics on Income and Living
Conditions) qui alimenteront, par la suite, l’action de nombreux acteurs, notamment le DGDE.

Enfin, la dernière évolution connue en Belgique s’est constituée autour de la mise en œuvre de la
garantie pour l’enfance, adoptée par le Conseil de l’Union européenne 12 le 14 juin 2021. Issue du socle
européen pour les droits sociaux (2017), elle vise au développement de mesures spécifiques adres-
sées aux enfants exposés au risque de pauvreté ou à celui d’exclusion sociale : « Cette proposition
recommande aux États membres de garantir aux enfants dans le besoin un accès à des services
essentiels de qualitè́ : structures d’éducation et d’accueil de la petite enfance, scolarisation (avec
participation aux activités parascolaires), soins de santè́, alimentation et logement » 13. Il s’agit donc
d’une évolution importante pour les politiques menées au niveau des États dans la lutte contre la
pauvreté des enfants : ceux-ci se voient désormais obligés de garantir à certains enfants jugés « dans
le besoin » 14 l’accès à différents droits fondamentaux.

Ainsi, en mai 2022, l’administration fédérale belge en charge de la mise en œuvre de la garantie
européenne pour l’enfance, le SPP Intégration sociale, a publié le « Plan d’action national belge Ga-
rantie européenne pour l’enfance 2022-2030 » 15. Ce plan d’action fixe pour objectif à l’État fédéral et
aux entités fédérées de sortir 93 000 enfants de la pauvreté à l’horizon 2030 (sur les cinq millions
d’enfants « dans le besoin » recensés aujourd’hui en Europe).

Au regard de cette évolution, la pauvreté infantile semble aujourd’hui s’imposer comme un véritable
« paradigme d’action publique » c’est-à-dire « un cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seu-
lement les objectifs de la politique et le type d’instruments qui peut être utilisé pour les atteindre,
mais également la nature même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont supposés traiter » 16. À ce
titre, elle présente l’avantage de focaliser l’attention et les moyens sur une réalité particulière. Cette
évolution traduit, néanmoins, un processus d’autonomisation d’un champ d’action publique qui n’est
pas sans risques pour l’avenir, risques que cette analyse prospective tente d’identifier à travers une
série d’enjeux (voir point 7).

11
Le Vif, 17 décembre 2021 : https://www.levif.be/belgique/viva-for-life-une-operation-spectacle-regressive-et-derisoire-
contre-la-pauvrete-entretien/
12
Voir : https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/epsco/
13
Voir https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people/jobs-growth-and-investment/eu-
ropean-pillar-social-rights/european-pillar-social-rights-20-principles_fr
14
Les destinataires de la « garantie européenne pour l’enfance » recouvrent sept catégories spécifiques d’enfants : des en-
fants à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale définis comme des enfants vivant des situations qui combinent trois élé-
ments : la pauvreté de revenu pour le ménage, la déprivation matérielle sévère et la vie dans un ménage à faible intensité de
travail ; des enfants sans-abris ; des enfants souffrant d’un handicap ; des enfants vivant une situation migratoire ; des enfants
issus de minorités ethniques ou raciales ; des enfants placés en instituts de soin ou de garde ; des enfants vivant dans des
situations de famille précaires : vivant dans des familles monoparentales, vivant avec un parent souffrant d’un handicap, vivant
dans un ménage où une ou plusieurs personnes souffrent de problèmes de santé mentale ou de maladie de longue durée,
vivant dans un ménage dont certains membres sont toxicomanes, vivant dans un État différent de celui de ses parents, dont
la mère est mineure ou étant eux-mêmes mères mineures, ayant un parent emprisonné.
15
Document accessible via ce lien : https://www.mi-is.be/fr/nouvelles/garantie-europeenne-pour-lenfance-le-plan-dac-
tion-national-de-la-belgique-0#:~:text=La%20Belgique%2C%20qui%20présidera%20l,entre%200%20et%2018%20ans.
16
Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 19


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. UNE ANALYSE PROSPECTIVE EXPLORATOIRE
La prospective est une démarche d’aide à décision qui vise à éclairer l’action présente à la lumière
des futurs possibles, pour répondre à quatre questions principales :

• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation des évolutions à venir.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, que
les futurs possibles puissent servir de boussole aux décisions présentes.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.

La présente étude revêt un caractère exploratoire : elle vise à imaginer des évolutions possibles de
la pauvreté des enfants et de l’action de lutte contre celle-ci à un horizon de long terme (2050). À la
différence de démarches prévisionnelles de court terme, son objectif n’est donc pas de prédire « ce
qui va se passer », mais d’anticiper ce qui pourrait arriver dans les trente prochaines années. Ceci
porte tant sur des déterminants de l’action dont le niveau d’incertitude peut être considéré comme
peu élevé (les « tendances lourdes » auxquelles se préparer – en l’occurrence, les effets des chan-
gements climatiques et environnementaux, ou encore le vieillissement de la population), que sur des
facteurs porteurs d’incertitude majeure, dont les contraintes risquent de peser sur l’action (comme
les variables de contexte socio-économique et leurs effets sur le financement, mais aussi les con-
ceptions du modèle social).

Vu son caractère exploratoire, une étude prospective de ce type constitue un outil d’aide à la déci-
sion d’une nature spécifique : elle pointe et identifie des enjeux et des tensions qui pourraient émer-
ger et/ou s’intensifier dans les prochaines décennies et exercer de fortes contraintes sur le cadre de
décision et d’action. Les scénarios et les enjeux qui en découlent constituent, de ce fait, des balises
permettant de délimiter un cadre de décision pour le futur. La présente étude ne livre donc pas de
plan stratégique assorti d’objectifs et ne préconise pas d’actions spécifiques.

Bien que sa portée stratégique soit, de ce point de vue, limitée, cette étude présente cependant une
originalité par rapport à d’autres études prospectives de ce type : l’exploration de modalités d’action
spécifiques de lutte contre la pauvreté des enfants dans différentes configurations socio-écono-
miques. À chaque scénario est en effet associée une configuration d’action particulière qui imagine
le déploiement d’actions menées à travers un spectre très large de domaines d’action politique.
Ceux-ci peuvent être soit dédiés spécifiquement à l’enfant (politique d’accueil de l’enfance ; politique
de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse ; politique des droits de l’enfant), soit agir sur
lui à travers son milieu d’accueil (politique de lutte contre la pauvreté ; politique de soutien à la pa-
rentalité ; politique scolaire ; politique de promotion de la santé ; régime de sécurité sociale (y compris
les allocations familiales), soit encore jouer un rôle plus indirect dans la lutte contre la pauvreté des
enfants, en visant la composante économique (politique du logement ; politique fiscale).

On trouvera donc également dans cette étude de quoi imaginer des leviers d’action possibles sur le
phénomène de pauvreté des enfants, et, plus largement, de quoi alimenter le débat public et cons-
truire une vision pour l’avenir.

20 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. UNE ANALYSE PROSPECTIVE PARTICIPATIVE
Les quatre scénarios présentés dans cette étude sont le fruit d’une démarche participative qui a
associé un grand nombre de publics hétérogènes engagés, à divers titres, dans l’action publique de
lutte contre la pauvreté des enfants :

• Les parties prenantes : au cœur du système sous étude, ces acteurs ont à la fois des intérêts
en jeu et des connaissances particulières, situées, de leur domaine d’action, essentielles à la
bonne réalisation du projet : acteurs de la lutte contre la pauvreté, des droits de l’enfant, de
l’enfance et de la jeunesse, caisses d’allocations familiales, mais aussi, mutuelles, syndicats
et autres associations ou organismes actifs dans ces politiques ;
• Les experts, chercheurs et membres du monde scientifique et académique, spécialisés dans
les champs relevant de l’objet sous étude (sociologues, économistes, démographes, polito-
logues, anthropologues, spécialistes de l’aménagement du territoire, environnementa-
listes…). À la différence des parties prenantes, ces acteurs n’ont pas d’intérêts en jeu, mais
des connaissances « savantes » qui ont enrichi le processus, en particulier pour l’élaboration
des scénarios de contexte ;
• Les bénéficiaires et/ou destinataires de la décision ont, quant à eux, été intégrés en aval du
processus, à travers une série de focus groupes centrés sur des parents concernés par la
pauvreté, ainsi que sur des adolescents scolarisés, dans différents contextes sociaux et géo-
graphiques (cf. partie II de l’étude).

Chacun de ces publics a été sollicité, souvent à différentes reprises, à travers une séquence d’ateliers
répartis sur une période d’un peu plus d’un an, conçus pour parvenir à co-construire les scénarios
de cette étude :

• Des ateliers prospectifs exploratoires, réalisés avec les parties prenantes, qui ont réfléchi à
la fois sur le diagnostic du présent (la pauvreté des enfants comme phénomène et comme
expérience de vie) et sur la rétrospective (les facteurs déterminants ou événements de ces
trente dernières années qui ont mené à la situation actuelle) ;
• Des ateliers hypothèses d’évolution, portant sur les états futurs possibles, à l’horizon 2050,
des variables de contexte et des variables politiques. Travail hybride réalisé, d’une part, avec
les experts (qui ont également eu pour tâche de prioriser les variables de contexte en termes
de motricité-dépendance et d’impact-incertitude) et, d’autre part, avec les parties prenantes,
qui ont travaillé sur les futurs possibles des variables politiques ;
• Des ateliers de proto-scénarisation, menés avec les experts, qui ont co-élaboré des confi-
gurations spécifiques du futur contexte socio-économique dans lequel sera menée l’action
publique de lutte contre la pauvreté des enfants ;
• Un atelier de scénarisation, au cours duquel les parties prenantes ont pu imaginer des mo-
dalités d’action politique cohérentes avec les scénarios de contexte conçus par les experts,
ainsi que les trajectoires de ces politiques jusque 2050.

Au terme de cette séquence d’ateliers participatifs, quatre scénarios contrastés (dont un scénario
tendanciel) présentent des configurations particulières de lutte contre la pauvreté des enfants, dans
des contextes socio-économiques marqués par des états d’inégalités très variables, des formes
d’État social ou de modèle économique dont certains sont proches de la situation actuelle, d’autres
plus éloignées, voire en rupture avec celle-ci. Aucun de ces scénarios n’aurait été possible sans les
apports, réflexions, échanges et débats menés avec l’ensemble des publics engagés.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 21


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
5. LA MÉTHODE DES SCÉNARIOS
La compréhension du processus de formation de la politique de lutte contre la pauvreté infantile doit
permettre de construire une analyse prospective pertinente pour les acteurs de ces politiques afin
qu’ils puissent appuyer leurs décisions présentes sur les évolutions possibles. Cette compréhension
doit également permettre à l’analyse prospective de dépasser la lecture interne de cette politique
pour la plonger dans un environnement plus large qui permet de l’envisager comme une réalité
complexe et systémique et, ainsi, d’imaginer des trajectoires d’évolutions qui pourraient rompre avec
les tendances imaginables à partir d’une seule lecture interne qui, ce faisant, validerait le processus
de formation d’un « paradigme » d’action publique et l’autonomie qu’il suppose pour cette politique
(voir point 2).

Ainsi, la démarche prospective proposée vise à positionner cette politique dans un ensemble plus
vaste qui permet d’en comprendre les déterminants et les effets. Par cette approche, elle vise à
répondre à deux questions principales : pourquoi cette politique tend-elle à s’autonomiser pour for-
mer un champ d’action spécifique ? Comment pourrait-elle évoluer dans différents contextes et
quels seraient les causes et les effets de ces évolutions ?

Le traitement de ces deux questions est réalisé de façon simultanée : à travers le positionnement de
cette politique au sein d’un système, on peut comprendre la façon dont elle répond à un état des
inégalités sociales qui conditionne celui de pauvreté des enfants, mais aussi les raisons pour les-
quelles cette réponse politique prend une forme spécifique. Ce travail suppose donc une décons-
truction. Celle-ci s’appuie sur un cadre méthodologique propre à la « prospective française » 17 dont
nous exploitons les ressources épistémologiques et méthodologiques dans le cadre de ce projet.

La démarche menée dans cette analyse prospective vise à développer des scénarios de nature ex-
ploratoire (voir point 3). L’objectif est d’identifier un nombre restreint de scénarios contrastés dotés
d’une certaine plausibilité. Pour qu’un exercice prospectif de type exploratoire garde sa pertinence
et puisse alimenter des débats et discussions autour des stratégies à mettre en place, il est impor-
tant, pour conserver ces contrastes, d’éviter de proposer des scénarios qui consisteraient en des
variantes d’un même état du système prospectif. Ainsi, l’objectif poursuivi dans ce projet est de pro-
poser des états du système très différenciés. Ceci est obtenu en travaillant sur l’état des variables
composant le système et, en particulier, sur celui des variables motrices, aptes à créer les contrastes
recherchés.

Le travail de conception des scénarios nous a permis d’aboutir à quatre scénarios contrastés : trois
scénarios « de rupture », qui proposent trois images possibles du futur, et un scénario tendanciel. Ce
dernier consiste en un chaînage des états tendanciels des variables investiguées dans le projet. Les
trois scénarios de rupture permettent de présenter des états futurs du système cohérents et forte-
ment différenciés entre eux. Ils sont construits autour de trois formes d’État social particulières, con-
ditionnées par trois contextes spécifiques marqués par des situations socio-économiques, géopoli-
tiques et sociales singulières. Le quatrième scénario, le tendanciel, joue un rôle heuristique : il permet
de souligner certaines apories dans les orientations politiques actuelles, compte tenu de l’évolution
des contraintes contextuelles.

L’imagination de scénarios qui présentent des traits parfois radicalement différents de la situation
actuelle est l’une des idées-forces de la prospective. Aucun des quatre scénarios, a fortiori les plus
tranchés ou radicaux, ne vaut cependant pour lui-même : ils doivent être appréhendés en parallèle
et en contraste. L’horizon de long terme permet de se décentrer des enjeux du présent pour se

17
Cette approche privilégie l’analyse systémique et le développement de futurs alternatifs (Durance, 2014 ; Godet, 2009).

22 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
représenter autrement les contraintes qui pèsent sur l’action, et d’ainsi élargir le champ de la décision
et le domaine du possible.

6. QUATRE SCÉNARIOS DÉCRIVANT LES FUTURS POSSIBLES DES POLITIQUES


DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ DES ENFANTS
Les scénarios présentent le contexte dans lequel la Wallonie pourrait évoluer dans le futur et le type
d’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants qui pourrait s’y développer.

Ils présentent quatre configurations contrastées déterminées par l’état des relations entre le modèle
économique et la forme prise par l’État social avec, en toile de fond, le rôle structurant des effets des
changements climatiques et environnementaux sur les inégalités.

Ils s’organisent sur une trame commune qui répond à cinq questions principales :

• Comment se présente le contexte politique et économique international ainsi que la situation


climatique globale ?

• Quelles sont les situations respectives de la Belgique et de la Wallonie dans ce contexte ?

• Comment se configurent la situation sociale et l’État social ?

• Comment se structure l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants dans ce con-
texte ?

• Comment vivrait un enfant né en 2030 dans une famille en situation de pauvreté ou de pré-
carité dans le scénario imaginé ?

Dans le scénario 1, Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie précari-
sée, l’État social voit son budget limité et ses dépenses allouées prioritairement à la gestion des
multiples crises (sanitaires, sociales, écologiques, économiques…) issues du réchauffement clima-
tique (pandémies, inondations, vagues de chaleur et de froid, sécheresses, migrations climatiques
massives, renforcement des vulnérabilités…). L’action de l’État y est essentiellement réactive. Elle se
focalise sur des publics cibles et prioritaires dont font partie les enfants. Les situations de crise affec-
tent également grandement une classe moyenne mise sous pression : la prévention du risque de
pauvreté des enfants de la classe moyenne devient un élément central de l’action de l’État qui dé-
sinvestit progressivement le champ des politiques de lutte contre la pauvreté. Les personnes adultes
en situation de pauvreté sont davantage stigmatisées, associées à une « génération perdue » : l’État
tente de sauver leurs enfants en les extrayant de leur milieu familial et en les confiant de façon plus
systématique à des milieux d’accueil.

Dans le scénario 2, Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir, l’État social joue un rôle central dans la redistribution des fruits
d’une croissance centrée sur les « technologies vertes ». Les politiques de lutte contre la pauvreté
des enfants sont très largement financées que cela soit, par exemple, par l’investissement dans la
petite enfance qui permet à chaque enfant à partir de ses trois mois d’accéder à un système de
garde de qualité ; par la revalorisation des filières techniques et professionnelles permettant la for-
mation d’une main-d’œuvre qualifiée aux nouveaux métiers des transitions numériques et énergé-
tiques ; ou, par le développement des structures d’accueil parascolaires permettant aux enfants de
développer des compétences pertinentes pour cette double transition (formation au codage et à
l’utilisation des outils numériques, compréhension de l’intelligence artificielle et du dialogue avec les
robots, formation aux nouveaux modes de vie associés à la mobilité électrique…).

Dans le scénario 3, Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités dans
une Wallonie transformée, l’État joue un rôle de coordinateur des actions qui permettent le

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 23


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
développement du bien-être et de la « pleine santé » de sa population, l’accès aux droits fondamen-
taux et la préservation de l’environnement. Il s’agit pour lui de faciliter les processus qui renforcent
les capacités d’adaptation des populations aux différentes crises générées par les changements cli-
matiques et environnementaux. La politique scolaire et la politique de santé publique deviennent
prioritaires dans l’action de l’État. Ces politiques sont organisées d’une façon très transversale et dé-
centralisée avec le concours d’une multitude d’acteurs relevant des secteurs publics, privés et as-
sociatifs. Il en résulte une réorganisation des logiques économiques et territoriales désormais cen-
trées sur l’adaptation qui permettent la mise en place de nouvelles solidarités et de « communs »
garants de l’accès aux droits fondamentaux partagés et protégés. La pauvreté des enfants y est pra-
tiquement inexistante, car le système de protection sociale leur permet d’acquérir les compétences
et capacités nécessaires à l’adaptation aux différentes crises écologiques qui se multiplient et s’in-
tensifient. En outre, la relocalisation du système économique et le développement de différentes
formes de solidarités garantissent une forte intégration sociale ainsi qu’une sécurité dans l’accès à
certains droits fondamentaux prioritaires (se nourrir, se loger, se vêtir) qui prémunit les familles les
plus vulnérables contre la pauvreté et la précarité.

Le scénario 4, Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance » dans une Wallonie
fragmentée, se veut « tendanciel ». Depuis l’émergence de l’État social actif au début des années
2000, on a pu observer un renforcement progressif de la conditionnalité des droits et des aides so-
ciales, en particulier dans la seconde moitié des années 2010. Dans ce scénario, nous inscrivons
l’évolution de l’État social dans cette tendance. La place de l’enfant demeure prioritaire dans ce scé-
nario. Nous poursuivons la tendance observée de « montée en puissance » conjointe d’une concep-
tion « onusienne » de l’enfance et d’une priorisation du public des enfants dans la lutte contre la
pauvreté. La notion de « bonne enfance » traduit cette évolution. La conjonction du renforcement de
l’État social actif et d’une focalisation sur le public des enfants (ainsi que sur d’autres publics cibles
prioritaires) en matière de lutte contre la pauvreté et de politiques sociales conduit à une fragmen-
tation sociale importante : certains publics se voient davantage protégés que d’autres faces aux
crises qui se multiplient en raison des effets des changements climatiques et environnementaux. En
outre, cette fragmentation est aussi territoriale et économique : la Wallonie poursuit la tendance à la
tertiarisation de son économie, ce qui la fragilise face aux crises, réduit la diversité d’offre sur le mar-
ché de l’emploi et génère d’importantes disparités territoriales.

7. SIX ENJEUX MAJEURS, BALISES DE FUTURES STRATÉGIES


L’analyse par scénarios a permis de dégager différents éléments qui, d’une part, questionnent la
pertinence des orientations prises en matière de lutte contre la pauvreté des enfants depuis une
trentaine d’années en Belgique, en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, et, d’autre part,
identifient des tendances lourdes, des incertitudes majeures et des facteurs de changement qu’il
sera indispensable de prendre en compte dans les futures décisions en matière de lutte contre les
inégalités, au risque de faire face à des bifurcations critiques aux effets majeurs sur la situation de
pauvreté des enfants.

Enjeu n°1 – Une tendance lourde : les effets des chocs écologiques générés par les changements
climatiques et environnementaux sur les inégalités

L’analyse prospective a identifié les changements climatiques et environnementaux comme variable


motrice et comme tendance lourde commune à tous les scénarios. Il est, en effet, acté par les ex-
perts et travaux consultés qu’à défaut de changement dans les politiques actuelles et leur mise en
œuvre, le réchauffement climatique de la planète aura des conséquences majeures à l’horizon 2050.
Dans ce contexte, le climat connu en Belgique sera radicalement transformé par rapport à celui

24 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, printemps secs (sécheresses répé-
titives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de chaleur.

Cette situation climatique tendue pourra générer d’importantes conséquences en matière d’inégali-
tés, les populations les plus pauvres et précarisées étant davantage exposées aux effets des chan-
gements climatiques et environnementaux en raison, entre autres, de leurs revenus plus faibles, de
leur état de santé, de leur lieu de vie ou de la qualité de leur logement. Dans ce contexte, les enfants
vivant dans des milieux précarisés ou pauvres pourraient être particulièrement concernés par les
conséquences sociales des changements climatiques et environnementaux, ceci au détriment de
leurs droits fondamentaux et de leur santé physique et mentale.

Enjeu n°2 – La dépendance de l’État social au modèle économique

Les changements climatiques et environnementaux perturbent fortement le fonctionnement éco-


nomique et social, en raison des chocs violents qu’ils génèrent : pandémies, inondations, canicules,
sécheresse, tempêtes, pollutions… Comme on l’a vécu durant la pandémie de Covid-19, ils appellent
à des mesures exceptionnelles qui perturbent le cours « habituel » des choses et impactent lourde-
ment une part importante de la population, en raison de sa vulnérabilité face à de tels chocs. Le
vieillissement de la population a, par ailleurs, d’importants impacts sur la situation économique, sur
le budget de l’État et sur le système de protection sociale.

La capacité à faire face à de tels chocs est envisagée de deux façons par les scénarios :

• Dans les scénarios 1, 2 et 4, cette prise en charge est tributaire d’une capacité financière. Par
conséquent, la forme prise par l’État social y joue un rôle central. Or, cette forme est, elle-
même, dépendante du modèle économique. En conséquence, la prise en charge des
risques écologiques, en supplément des risques sociaux, est amenée à prendre, elle aussi,
des formes très différentes. Ce chaînage entre nouveaux risques, modèle économique et
forme de l’État social constitue un enjeu en soi (enjeu n°3).
• Dans le scénario 3, le modèle de développement par la croissance de l’économie cède la
place à un développement par le « bien-être » (c’est-à-dire, un accès effectif aux droits fon-
damentaux pour l’ensemble de la population, une capacité de résilience aux chocs écolo-
giques et la soutenabilité des activités humaines dans le futur) 18 et la « pleine santé » 19. Ainsi,
dans ce scénario, les effets des changements climatiques et environnementaux (et du vieil-
lissement) se présentent comme des « catalyseurs de transformation » (non des « perturba-
tions » comme dans les précédents). Cette transformation consiste, d’une part, en une mo-
dification du paradigme économique, et, d’autre part, en une évolution de l’État social : celui-
ci joue un rôle de prévention et de protection bénéfique à l’ensemble des populations face
aux risques sociaux-écologiques pour satisfaire à l’orientation économique de bien-être et
de « pleine santé ».

18
« il importe de donner la priorité aux indicateurs de bien-être (mesurant le développement humain), de résilience (mesurant
la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de soutenabilité (mesurant le bien-être futur) dans la conduite des poli-
tiques publiques en dépassant puis en abandonnant définitivement le PIB et sa croissance, dans la conduite de l’action pu-
blique en France, en Europe et au-delà. » (Laurent, 2023 : 183)
19
« La transition vers la pleine santé consiste à relier la santé humaine à la santé animale, végétale et environnementale, et à
la placer au cœur de l’action publique et notamment des politiques économiques. Elle consiste en outre à reconnaître et à
atténuer les inégalités sociales de santé, parmi lesquelles les inégalités sanitaires face aux dégradations environnementales
et dans l’accès aux ressources naturelles, à commencer par une alimentation saine. » (Laurent, 2023 : 207)

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 25


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Enjeu n°3 – Les risques sociaux et écologiques au cœur des transformations sociétales

La description de l’enjeu n°2 permet de saisir les effets importants des changements climatiques,
environnementaux et démographiques sur les interactions entre le modèle économique et la forme
prise par l’État social. On a qualifié ces effets d’« interférence » pour certains scénarios (1, 2 et 4), car
ils perturbent très sensiblement la fluidité de la relation entre le modèle économique et la forme
d’État social, tandis qu’on les a associés à un « catalyseur de transformation » pour le scénario 3. Ces
différences tiennent à la façon dont les chocs écologiques générés par les changements climatiques
et environnementaux sont intégrés comme « risques ».

Dans le scénario 2, on conçoit que la croissance économique entretient le fonctionnement d’une


« économie verte » qui permet, par ses technologies, d’atténuer les risques écologiques. En outre,
dans ce scénario, d’autres risques, notamment sociaux, bénéficient d’un système de protection so-
ciale renforcé par des mécanismes redistributifs profitant de l’embellie économique. Cependant, la
protection sociale y serait assortie de diverses formes de conditionnalités : les personnes bénéficiant
de ce système de protection sociale – qui peut être très généreux pour certaines catégories de la
population « prometteuses », mais aussi particulièrement vulnérables comme les enfants – s’inscri-
vent donc dans un engagement vis-à-vis de l’État à contribuer au fonctionnement de l’économie (par
exemple, en se formant aux « métiers en pénuries »). La forme d’État social conçue dans le scénario
2 tend donc à renforcer la cohésion sociale autour d’un projet socio-économique spécifique. Néan-
moins, cela ne prémunit pas cette société contre les inégalités. D’une part, on ne peut négliger le fait
que la croissance économique sous-tendant ce modèle est ambitionnée – les preuves empiriques
d’une « reprise de la croissance » grâce aux gains de productivité par l’investissement dans les tech-
nologies demeurent difficiles à établir (paradoxe de Solow) – et peu probable : l’ensemble des éco-
nomistes consultés projette une croissance tendancielle pour les prochaines décennies qui ne dé-
passe pas 1 %. D’autre part, le système de protection sociale demeurant conditionné à la participation
au projet socio-économique, on ne peut sous-estimer le fait qu’une partie de la population en soit
exclue et exposée à de nombreuses inégalités, renforcées par les effets des changements clima-
tiques et environnementaux. Une nouvelle pauvreté pourrait donc apparaître dans ce système.

Dans le scénario 1 et le scénario 4 (tendanciel), nous avons conçu une situation dans laquelle les
pouvoirs publics font face à une diminution de leurs ressources financières en raison d’une crois-
sance demeurant faible et/ou du poids du remboursement de la dette, situation imposant une « aus-
térité budgétaire ». Cette situation fragilise grandement l’État social : sa capacité à faire face aux
chocs écologiques est limitée et suppose de nombreux arbitrages pour parvenir à mettre en place
une mitigation des risques basée sur ses capacités financières. Dans ces scénarios, on assiste à la
« crise du régime assurantiel » de la protection sociale : l’État est contraint de désinvestir de nom-
breux pans de la sécurité sociale en renforçant la conditionnalité des droits, en confiant au secteur
privé une partie du système d’assurances sociales et écologiques, et en orientant son action vers
des publics prioritaires dont font partie les enfants. La cohésion sociale s’en trouve fortement affaiblie
et les inégalités s’accroissent sur tous les plans.

Dans le scénario 3, nous avons conçu les effets des changements climatiques et environnementaux
comme un « catalyseur de transformation ». La mitigation des risques s’opère sur d’autres bases que
la seule « capacité financière » : la transformation du modèle économique en un modèle de déve-
loppement centré sur le « bien-être » et la « pleine santé » des populations entraîne le développe-
ment d’une forme d’État social qui déploie une double action de prévention et de protection contre
les risques. Si, donc, cette mitigation des risques dépend d’une certaine capacité financière, elle se
fonde également, par la prévention, sur l’amélioration de la santé des populations et de la biosphère,
qui permet de mieux vivre les chocs écologiques et, sur le long terme, d’en réduire l’ampleur. Les
évolutions imaginées dans ce scénario supposent donc le développement de nouveaux modèles

26 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
sociaux basés sur une réduction importante de la consommation (idée de « satiété ») et une trans-
formation majeure de l’échelle des modes de vie, par l’abandon corrélatif de modes de transports
énergivores. Ce scénario, par sa capacité à répartir les effets des chocs écologiques pour en réduire
l’ampleur et par le fait qu’il ne rend pas la société dépendante de la seule capacité financière pour y
faire face, est celui dont les effets sur la réduction des inégalités est le plus important. Cela se fait au
prix d’un nivellement des conditions de vie sur des standards très différents – et, au niveau matériel,
très en deçà – de ceux connus aujourd’hui.

Enjeu n°4 – Une universalité des droits à géométrie variable

Dans ces contextes, le statut des risques sociaux et écologiques dans le fonctionnement de la so-
ciété s’avère très variable.

Dans les mondes où ces risques sont mitigés par la seule capacité financière, que cela soit sous
forme d’investissement, comme dans le scénario 2, ou sous forme de compensation/dédommage-
ment, dans les scénarios 1 et 4, c’est une logique « créancière » qui persiste : les dépenses réalisées
ne sont pas gratuites, elles supposent, de la part de leur bénéficiaire, des obligations. Ainsi, dans ces
trois cas de figure, le bénéfice de droits sociaux ou écologiques est conditionnel.

À l’inverse, dans le scénario 3, on assiste au renouvellement d’une logique universaliste dans la pro-
tection sociale : l’ensemble de la population étant considérée comme vulnérable aux chocs écolo-
giques, elle profite des mécanismes de prévention et de protection nécessaires en fonction de ses
besoins pour y faire face et, ainsi, bénéficier d’un accès inconditionnel et effectif à ses droits fonda-
mentaux.

Ainsi, la dynamique observée dans les scénarios 1, 2 et 4 tend à souligner une disparition du régime
assurantiel au profit d’un régime assistanciel : les droits sociaux s’y individualisent et leur condition-
nalité se renforce. On observe, à l’inverse, dans le scénario 3, une universalisation des droits par un
renforcement du régime assurantiel.

Cette lecture doit, néanmoins, être nuancée, car apparaissent dans les scénarios 1, 2 et 4 des formes
de « réuniversalisation » des droits à l’égard de publics spécifiques, en particulier celui des enfants :
ils se voient protégés, mais à des niveaux et selon des modalités très différentes en fonction des
scénarios, comme un public vulnérable reconnu comme tel par les droits de l’enfant. Cette protec-
tion spéciale et universelle, car elle concerne tous les enfants, se concentre sur un groupe spécifique
au sein de la population.

Enjeu n°5 – Les transformations de la pauvreté des enfants comme phénomène social

En fonction des scénarios, les inégalités vécues par les enfants et la façon dont leur pauvreté est
conçue prennent des formes variées.

Dans les scénarios 1 et 4, les inégalités auxquelles sont confrontés les enfants sont très importantes :

• Dans le scénario 1 où les capacités d’action de l’État en matière sociale sont extrêmement
réduites et privilégient certains publics, dont les enfants, les inégalités s’accentuent en tous
domaines. Les enfants sont protégés par des mesures d’urgence et voient leurs droits se
dégrader.
• Dans le scénario 4, la situation est similaire au niveau des inégalités, mais la conception de la
pauvreté est moins radicale : elle est jugée inhérente au fonctionnement socio-économique.
De ce fait, elle tend à être stigmatisée et le contrôle social de ces populations se renforce :
les parents en situation de pauvreté ou de précarité sont « suivis de près » par les acteurs de
l’enfance en vue d’assurer la protection de l’enfant.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 27


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Dans les scénarios 2 et 3, les inégalités se constituent différemment des deux précédents scénarios
et la pauvreté des enfants occupe, en conséquence, une place différente au sein de la société :

• Dans le scénario 2, la logique d’investissement de l’État dans le fonctionnement économique


et social provoque un renforcement de la cohésion sociale. Cela se fait, néanmoins, au prix
d’un modèle d’inclusion sociale conditionnel qui suppose de souscrire aux orientations poli-
tiques et économiques choisies. Les enfants bénéficient d’une protection importante et d’in-
vestissements massifs dans l’éducation et la santé, mais ces investissements demeurent
conditionnels, dépendants, dans le long terme, de leur participation aux orientations écono-
miques. Un risque de pauvreté important se développe pour les populations qui demeurent
marginales à ce modèle de développement.
• Dans le scénario 3, les orientations spécifiques du modèle économique, social et politique
conduisent à situer la question de la vulnérabilité au cœur du projet politique. La pauvreté
devient une cause politique partagée dans la mesure où elle peut affecter l’ensemble de la
population. Ce scénario suppose une forte réduction des inégalités. Les inégalités de santé
se réduisent fortement par les mécanismes de prévention et de protection. Les inégalités
environnementales sont enrayées par l’encapacitation des citoyens qui leur permet une
meilleure résilience face aux chocs, une augmentation des solidarités locales, de nouveaux
modes de coopération entre acteurs, et un rôle de coordination et de facilitation de l’État.
Les enfants bénéficient de cette situation d’ensemble et font l’objet de mesures spécifiques,
pour leurs vulnérabilités propres, notamment par une politique scolaire visant à les encapa-
citer et à réduire les inégalités.

Enjeu n°6 – L’autonomisation du champ d’action publique de lutte contre la pauvreté infantile : un
risque majeur « d’ensilotage » face à des problématiques sociales complexes

Cette analyse permet de mettre un exergue un enjeu fondamental : il apparaît indispensable de


questionner l’état actuel de la politique de lutte contre la pauvreté des enfants. En effet, la forme
qu’elle a prise aujourd’hui, si elle a le mérite de considérer le public des enfants comme digne d’une
action adaptée face à des situations de pauvreté et de précarité très diversifiées, aura, sur le long
terme, une portée très limitée face aux enjeux identifiés, en raison de la nature systémique du phé-
nomène et des risques de création de nouvelles formes de pauvretés.

L’analyse rétrospective a permis d’identifier la trajectoire qui a conduit à la formation de la politique


de lutte contre la pauvreté que nous connaissons aujourd’hui. Cette politique s’appuie sur un modèle
économique et sur une forme d’État social particuliers dont l’évolution tendancielle analysée dans le
scénario 4 mène à une accentuation des inégalités, qui n’épargneront pas les enfants.

L’autonomisation d’un champ d’action publique dédié à la lutte contre la pauvreté des enfants, issu
de cette trajectoire historique, présente de nombreux atouts, notamment en matière de coordination
des acteurs et des mesures mises en place. La reconnaissance des droits fondamentaux des enfants
constitue une avancée notable, celle de leur « intérêt supérieur » tout autant. Le risque demeure,
néanmoins, que cette politique s’organise, dans le futur, comme un « silo » distinct, voire concurrent,
des autres domaines d’action publique de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Cette évolution
pourrait donc conduire, dans un avenir proche, à une fragmentation importante de l’action et des
moyens dédiés alors même que la problématique est dépendante d’enjeux systémiques.

Dans la perspective de la conception d’une stratégie en matière de lutte contre la pauvreté des en-
fants, il nous semble donc primordial, à la lumière de cette analyse, de souligner qu’il est nécessaire,
pour son efficacité et son efficience, que cette stratégie soit le reflet de cette complexité : elle doit
pouvoir intégrer dans un cadre de gouvernance commun les différents enjeux identifiés en les

28 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
associant à des objectifs et des moyens d’action adaptés et cohérents, cadre qui articule, par ailleurs,
l’ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités.

8. SIX CHANTIERS D’AVENIR POUR LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ DES EN-


FANTS
À la lumière des enjeux particulièrement complexes que nous avons identifiés, il pourra paraître dif-
ficile, de prime abord, d’imaginer la construction de stratégies qui les exploiteraient comme base de
travail. C’est pourquoi il nous semble indispensable d’organiser des débats, discussions et échanges
avec tous les acteurs, experts et citoyens concernés autour des scénarios, tant pour leurs aspects
contextuels que pour ceux relatifs aux configurations d’action publique imaginées : nous sommes
très loin d’avoir épuisé les ressources des démarches participatives dans le cadre de ce projet, l’es-
sentiel débute au moment de le conclure !

Il nous semble, néanmoins, que six chantiers pourraient être mis en place dans l’avenir pour intégrer
les enjeux identifiés par l’étude.

Une participation effective des populations et acteurs concernés

La grande complexité des déterminants des inégalités, ainsi que les vulnérabilités multiples des po-
pulations face aux changements climatiques et environnementaux, pousse au développement de
véritables forums hybrides visant à décompartimenter les approches et cadres existants pour per-
mettre une mise en débat et l’imagination de nouvelles catégories et modalités d’action.

Un système de protection sociale intégrant les nouveaux risques et vulnérabilités

Dans les trois scénarios fondés sur la capacité financière de l’État à intégrer les risques des change-
ments climatiques et environnementaux, nous avons identifié ce qui s’apparente soit à une faiblesse
(imaginer une réuniversalisation des droits sociaux et écologiques grâce aux investissements de
l’État suppose une croissance économique soutenue, mais quid si celle-ci n’est pas au rendez-
vous ?) ; soit à une dégradation de la cohésion sociale et une augmentation des inégalités en raison
de limites budgétaires et d’un nécessaire ciblage du système de protection sur des publics spéci-
fiques (dont font partie les enfants en vertu de l’universalité de leurs droits).

L’éradication de la pauvreté des enfants dans ces scénarios semble possible, mais au prix d’une
protection spéciale et sans garantie pour l’avenir : les crises écologiques perdurant, ces enfants, pro-
tégés jusqu’à leur majorité, risquent d’être précarisés une fois devenus adultes.

Le scénario qui privilégie le déploiement d’une sécurité sociale-écologique généralisant la vulnéra-


bilité à l’ensemble de la population et visant à un universalisme dans la protection contribuerait sans
doute d’une façon plus efficiente à un objectif d’« éradication » de la pauvreté des enfants dans le
long terme, tout en assurant également leur protection une fois devenus adultes. Ce scénario contre
une faiblesse des précédents en ne s’adossant pas à la seule capacité financière pour satisfaire cet
objectif : il s’appuie sur une réorientation vers une économie du bien-être centrée sur le déploiement
des activités humaines dans le respect des limites planétaires.

La place centrale des institutions d’enseignement et d’éducation

Les deux scénarios qui visent à investir massivement dans l’école et l’éducation le font dans des
directions très différentes.

Dans un scénario (scénario 2), l’école est envisagée comme un levier de mobilité sociale qui doit
permettre aux enfants d’intégrer les métiers et activités privilégiés dans le cadre du déploiement
d’une économie verte et d’une transition énergétique. Les métiers techniques et les filières qui y
conduisent sont revalorisés. Ce système repose sur une logique économique et de redistribution

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 29


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
« traditionnelle » : une économie en croissance, guidée par les mutations technologiques imposées
par la transition énergétique, crée de nouveaux emplois et permet le maintien de systèmes de pro-
tection sociale redistributifs. À nouveau, ce système présente une double faiblesse : d’une part, il
dépend des capacités financières pour faire face aux risques climatiques, d’autre part, les services
sociaux, environnementaux et sanitaires doivent être suffisamment bien équipés pour limiter les
risques encourus par les populations.

Dans un autre scénario (scénario 3), l’école est envisagée comme un levier de prévention des risques
sociaux et écologiques : en misant sur le développement des capacités et compétences nécessaires
au développement d’une résilience face aux chocs écologiques, l’éducation permet de réduire la
vulnérabilité de futurs adultes et encourage, par ailleurs, le développement de nouveaux modes de
coopération permettant d’améliorer la résilience collective face à de tels chocs.

Ainsi, dans le premier cas, l’éradication de la pauvreté des enfants est possible moyennant leur inté-
gration au système de mobilité sociale et le fait que le système socio-économique tienne ses pro-
messes financières et de protection face aux risques sociaux et écologiques. Dans le second, l’éra-
dication de la pauvreté des enfants tient davantage à leur inclusion au sein d’un projet social centré
sur la prévention et la protection des vulnérabilités par l’encapacitation individuelle et collective per-
mettant de faire face aux chocs écologiques.

Deux modalités d’action pour faire face aux risques sociaux-écologiques

Les scénarios permettent de documenter une réflexion relative à deux modalités contrastées d’ab-
sorption des risques sociaux et écologiques par le système socio-économique et l’État social : l’une
par la « capacité financière » ; l’autre par une prévention et une protection, toutes deux basées sur
une économie du « bien-être ».

Le scénario 2 envisage la mitigation des risques sociaux et écologiques à travers les capacités finan-
cières de l’État. Dans ce scénario, c’est par l’investissement massif dans l’économie et le social que
l’État peut parvenir à atteindre des objectifs de transition et de protection de sa population. Ces ob-
jectifs sont tributaires de l’advenue d’une croissance économique soutenue.

Le scénario 3 adopte des mécanismes de financements à la fois similaires et différents, notamment


parce qu’ils ne reposent pas entièrement sur une logique de dépenses, mais aussi d’économie (de
diminution des dépenses en raison de l’amélioration de la santé de la population). Cet aspect finan-
cier se couple à une meilleure résilience de la société face aux risques sociaux-écologiques grâce
au système préventif mis en place, système qui se base, notamment, sur une « encapacitation » des
personnes pour faire face à ces risques.

Une gouvernance transversale

Comme nous l’avons évoqué, la complexité des enjeux qui conditionnent l’état de pauvreté des en-
fants suppose que s’organise, en regard, une structure de gouvernance qui soit transversale et
prenne en considération l’ensemble des politiques concernées.

Dans les scénarios, nous avons envisagé l’état de dix politiques particulières : la politique d’accueil
de l’enfance, la politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse, la politique de sou-
tien à la parentalité, la politique scolaire, la politique des droits de l’enfant, la politique de lutte contre
la pauvreté, le régime de sécurité sociale, la politique de promotion de la santé, la politique du loge-
ment et la politique fiscale. Ces politiques s’organisent dans des univers parfois très éloignés les uns
des autres. Beaucoup d’entre elles intègrent une dimension « lutte contre la pauvreté infantile »
et/ou « droits de l’enfant », mais leur niveau d’intégration et de coordination est-il satisfaisant et suf-
fisant face à la complexité des enjeux ?

30 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Une « débureaucratisation » de l’action publique

L’analyse rétrospective de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants a permis de mon-
trer la façon dont, au fil d’un parcours d’une trentaine d’années, depuis l’adoption et la ratification de
la Convention internationale des droits de l’enfant, cette politique s’est progressivement structurée
pour aboutir, aujourd’hui, à la mise en place d’objectifs chiffrés, d’outils d’action, d’indicateurs d’at-
teinte des objectifs.

Ce faisant, cette politique a tendu à restreindre la portée de son action à certains types d’enfants, les
« enfants dans le besoin », et à se focaliser sur les conséquences d’inégalités devenant structurelles.
Cette action est évidemment importante, mais sa « bureaucratisation », c’est-à-dire le fait qu’elle se
soit organisée en objectifs, outils d’action, instruments de mesure, tend à « verrouiller » les perspec-
tives d’évolution et à en restreindre la portée, alors que les évolutions futures, comme notre analyse
tend à le monter, remettront en cause les orientations choisies aujourd’hui.

Notre analyse incite donc à une « débureaucratisation », à un maintien de l’ouverture et de la créati-


vité, pour que la lutte contre la pauvreté des enfants ne perde pas de vue la réalité labile et complexe
qu’elle s’attache à combattre.

9. UN GUIDE DE LECTURE DU RAPPORT


Cette étude est divisée en quatre chapitres auxquels s’ajoute une conclusion :

• Le chapitre 1 développe l’analyse rétrospective de l’action publique de lutte contre la pau-


vreté des enfants synthétisée au point 2 ; il réalise également un état des lieux de cette action
publique en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles.
• Le chapitre 2 positionne les particularités de l’approche prospective adoptée dans ce projet :
elle vise à traiter à la fois des futurs contextes socio-économiques et politiques possibles
affectant l’état des inégalités et à déterminer les configurations possibles de l’action publique
de lutte contre la pauvreté des enfants dans chacun de ces contextes.
• Le chapitre 3 expose la méthode de conception du système prospectif et des scénarios uti-
lisés dans le projet.
• Le chapitre 4 présente deux versions des scénarios : d’une part, une version « technique »
qui détaille composante par composante et variable par variable chacun des scénarios afin
de permettre une compréhension approfondie de la dynamique à l’œuvre ; d’autre part, une
version « littéraire » qui permet de comprendre, sous forme de récit, le monde où vivraient
les Wallonnes et les Wallons en 2050, l’état de la pauvreté des enfants dans ce monde et
l’action de lutte contre celle-ci.
• Dans les conclusions, nous développons, dans le détail, les enjeux et domaines stratégiques
décrits au point 7.

En fonction des intérêts, la lecture peut donc se réaliser « à la carte ». Voici nos conseils :

• Vous vous intéressez à comprendre les scénarios, mais avez peu de temps pour rentrer dans
les détails techniques, lisez le Chapitre 4 – Section 4.
• Vous vous intéressez aux scénarios dans leur ensemble, lisez le Chapitre 4.
• Vous vous intéressez à la façon dont l’étude prospective peut être utilisée pour une dé-
marche stratégique pour lutter contre les inégalités, notamment celles qui touchent les en-
fants, lisez la Conclusion.
• Vous vous intéressez aux aspects « techniques » de la démarche prospective, lisez les Cha-
pitre 3 et Chapitre 4.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 31


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• Vous voulez en savoir plus sur les spécificités du projet et sur la démarche prospective en
général, lisez le Chapitre 2.
• Vous voulez comprendre l’historique des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants,
lisez le Chapitre 1.

32 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC- INTRODUCTION

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 33


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. La pauvreté persiste en Wallonie et touche un
enfant sur cinq
Comparativement à d’autres pays européens, la Wallonie présente des inégalités de revenus limi-
tées 20. Toutefois, la pauvreté y reste importante.
La privation matérielle et sociale touche, aujourd’hui, près de 16 % de la population wallonne 21. Elle
affecte plus gravement les familles monoparentales : en 2023, 31,7 % de la population wallonne vi-
vant dans un ménage monoparental est en situation de privation matérielle et sociale 22.
En outre, l’état de la pauvreté en Wallonie n’a cessé de se dégrader depuis le début des années
2000. On observe notamment, depuis 2003, une croissance tendancielle du recours aux aides so-
ciales, recours qui s’est particulièrement accentué depuis 2015 pour les publics les plus jeunes (18-
24 ans) 23. De plus, depuis la fin des années 2000, se développe un accroissement de la pauvreté des
conditions de vie. Cela s’observe, notamment, dans l’indicateur de précarité énergétique, qui touche
une part croissante de la population wallonne 24.
Dans ce contexte, depuis la fin des années 2000, la pauvreté des enfants est devenue un problème
public à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Wallonie. La mise en œuvre de la
Convention internationale des droits de l’enfant a, en effet, pu s’appuyer sur de nouveaux outils de
mesure de cette pauvreté au niveau européen et belge. Ces outils permettent, depuis peu, de quan-
tifier l’état de la pauvreté des enfants : le taux de déprivation des enfants 25 en Wallonie est de 18 %
en 2021 ; en outre, 16,5 % des enfants vivent dans un ménage aux revenus inférieurs au seuil de pau-
vreté 26.

20
Pour les revenus de l’année 2019, le coefficient de Gini – qui mesure l’intensité de l’écart entre les revenus les plus élevés
et les plus bas – s’élevait, en Wallonie à 0,246, ce qui en fait une des régions les plus égalitaires d’Europe par rapport aux
revenus. Voir, sur ce point, l’analyse de l’IWEPS : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2022/03/I001-GINI-
032022_full1.pdf
21
« La privation matérielle et sociale comprend l’ensemble des personnes qui ne peuvent pas, pour des raisons financières,
se permettre au moins cinq des treize "biens et services" suivants : 1° payer à temps le loyer, l’emprunt hypothécaire, les
charges du logement ou les crédits à la consommation, 2° chauffer correctement son logement, 3° faire face à des dépenses
inattendues (d’environ 1 300 €), 4° manger des protéines tous les deux jours, 5° partir une semaine en vacances une fois par
an (pas nécessairement à l’étranger), 6° remplacer des meubles usés ou dégradés, 7° avoir une voiture, 8° avoir deux paires
de chaussures, 9° remplacer les vêtements usés par des neufs, 10° se retrouver avec des amis pour dîner ou boire un verre
une fois par mois, 11° participer régulièrement à des activités de loisir (sport, cinéma…), 12° dépenser pour soi une petite somme
d’argent chaque semaine, 13° avoir un accès personnel à Internet chez soi. » Voir sur ce point l’analyse de l’IWEPS :
https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-materielle-sociale/
22
Voir sur ce point l’analyse de l’IWEPS : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/deprivation-materielle-severe-selon-
type-de-menage/
23
« L’augmentation importante depuis 2015, découlant de la limitation dans le temps des allocations d’insertion (cf. fiche part
de revenus d’intégration), touche inégalement les différents groupes d’âge. Les plus jeunes (18-24 ans, surtout, et 25-44 ans)
voient leur taux augmenter très fortement ; les 45-64 connaissent une faible augmentation. » Voir, sur ce point, l’analyse de
l’IWEPS : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-majeurs-beneficiant-de-laide-so-
ciale/#:~:text=Les%2018%2D24%20ans%20(taux,%2C46%20%25%20en%202021).
24
L’IWEPS observe une augmentation tendancielle du taux de défaut de paiement des factures de gaz et d’électricité depuis
une dizaine d’années : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2019/12/I018-PREC.ENERG_.-122019_full1.pdf
25
« L’indicateur est assez proche du taux de privation matérielle et sociale, mais il est spécifique aux conditions de vie des
enfants. Il comptabilise l’ensemble des enfants de 1 à 15 ans qui vivent dans un ménage qui ne peut pas, pour des raisons
financières, se permettre au moins trois des 17 "biens et services" suivants : 1° remplacer les vêtements usés par des neufs,
2° avoir deux paires de chaussures, 3° manger des fruits et légumes chaque jour, 4° manger des protéines chaque jour, 5° avoir
des livres adaptés à l’âge des enfants, 6° avoir des jeux d’extérieur (vélo, rollers), 7° avoir des jouets adaptés à l’âge des enfants,
8° participer régulièrement à des activités de loisirs (sport, musique, mouvement de jeunesse), 9° célébrer des événements
(anniversaires, fêtes religieuses), 10° inviter des amis chez soi, 11° partir une semaine en vacances par an, 12° participer aux
excursions scolaires (payantes), 13° remplacer des meubles usés ou dégradés, 14° ne pas avoir d’arriéré de paiement (loyer,
crédits, factures), 15° avoir un accès Internet, 16° chauffer correctement le logement, 17° avoir une voiture. Parmi ces critères,
les 12 premiers sont spécifiques aux enfants, c’est-à-dire que l’enquêteur demande à l’adulte de référence du ménage, si tous
les enfants vivant dans celui-ci ont bien accès au bien ou au service (mais pas nécessairement les adultes). » Voir sur ce point
l’analyse de l’IWEPS : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/
26
Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-risque-de-pauvrete-selon-la-classe-dage-et-le-sexe/

34 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. Le Gouvernement wallon met en place un plan
de sortie de la pauvreté ciblant les enfants
comme public prioritaire (2021)
Fort de ces constats, le Gouvernement wallon a publié, le 25 novembre 2021, le « Plan wallon de
sortie de la pauvreté ». Celui-ci vise à organiser l’action de lutte contre la pauvreté en Wallonie
jusqu’en 2024 en consacrant un budget de 482 millions d’euros. Ce plan arrive après deux événe-
ments aux effets importants sur l’état de la pauvreté en Wallonie : l’épidémie de Covid-19 et ses
conséquences sur l’économie, d’une part, et les graves inondations connues durant l’été 2021, d’autre
part. Il vise à intégrer les conséquences de ces deux crises sociales et écologiques majeures, mais
aussi à faire le bilan du premier plan de lutte contre la pauvreté, arrivé à échéance, afin d’améliorer
les effets de la politique wallonne en la matière.

Ce nouveau « Plan de sortie de la pauvreté » resserre ses objectifs autour de trois domaines d’action
prioritaires : (1) le logement, (2) l’emploi et la formation et (3) la santé physique et mentale. Il intègre
également différents objectifs visant à faciliter l’accès aux services publics et aux droits (orientation
usagers de l’administration, automatisation des droits, simplification administrative). Il pousse égale-
ment au développement d’indicateurs pertinents permettant de mesurer l’impact des mesures am-
bitionnées par le plan.

Le plan identifie une série de publics cibles assimilés aux « personnes les plus fragiles » pour son
action : les familles monoparentales, les enfants, les femmes, les personnes d’origine étrangère, les
sans-abris et les personnes en situation de handicap.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 35


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. Une analyse prospective visant à alimenter la
réflexion stratégique en matière de lutte
contre la pauvreté des enfants
Dans le cadre de l’adoption de ce plan et de la mise en œuvre de la mesure 3.6 visant spécifiquement
la pauvreté des enfants, le Ministre-Président du Gouvernement wallon a adressé le 14 octobre 2021
un courrier invitant l’IWEPS à réaliser une étude prospective portant sur la pauvreté infantile en col-
laboration avec l’AVIQ. Ce courrier fut suivi d’une lettre de mission de la ministre en charge des allo-
cations familiales précisant le périmètre de l’analyse, le 14 janvier 2022.

L’objectif du projet est de développer une analyse prospective de nature exploratoire visant à établir
des futurs possibles à l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants à l’horizon 2050.

Le périmètre de l’étude est délimité par les éléments suivants :

• Horizon temporel fixé à 2050. Il s’agit, d’une part, de garder une cohérence avec les politiques
de long terme menées en matière climatique, ces politiques ayant d’importants effets sur
l’état des inégalités. D’autre part, cet horizon temporel d’une trentaine d’années apparaît éga-
lement cohérent avec l’analyse rétrospective, celle-ci faisant coïncider la naissance des po-
litiques contemporaines de lutte contre la pauvreté infantile avec l’adoption de la Convention
internationale des droits de l’enfant en 1989.

• L’objet analysé est l’action publique visant à faire face au phénomène de pauvreté des en-
fants. L’analyse prospective ne concerne pas directement le phénomène de pauvreté des
enfants, mais bien l’action publique qui vise à l’endiguer. Dans cette étude, nous viserons
comme produit final des scénarios relatifs aux futurs possibles de cette action publique.
L’état de la pauvreté de la population wallonne et, plus spécifiquement, des enfants ne cons-
titue pas, en soi, l’objet de l’analyse prospective. Il est, néanmoins, évident que l’on ne peut
considérer les futurs de cette action publique indépendamment des futurs possibles de la
pauvreté des enfants, ceci d’autant que l’approche prospective se veut systémique. Il s’agit
d’une difficulté majeure de la commande : un exercice prospectif s’attache en principe à ima-
giner les futurs possibles d’un objet et non de l’action sur cet objet. Pour surmonter cette
difficulté, nous avons mis en place un protocole de travail et une méthode spécifique que
nous détaillons dans la section suivante.

• L’analyse prospective réalisée est de nature exploratoire et non normative. La demande for-
mulée par le Gouvernement vise au développement d’un outil d’aide à la décision de nature
prospective. Cet outil, livré sous la forme de scénarios, doit lui permettre d’informer sa ré-
flexion stratégique en matière de lutte contre la pauvreté. À cette fin, il est demandé que la
démarche entreprise explore de façon ouverte les futurs possibles de ces politiques sans
visée normative : il ne s’agit pas d’aboutir en fin de parcours sur une vision, mais sur des
enjeux. En outre, le Gouvernement souhaite que l’analyse repose sur la mobilisation d’un
large groupe d’experts et de parties prenantes afin qu’elle s’ancre dans les réalités de terrain
et intègre au mieux la complexité du système dans lequel s’inscrit la problématique analy-
sée.

• Le livrable principal de la recherche consiste en un jeu de quatre à cinq scénarios contrastés


(dont un scénario tendanciel) permettant aux décideurs de développer leur réflexion straté-
gique. L’objectif du projet est de fournir aux décideurs un outil leur permettant d’éclairer leurs

36 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
prochaines décisions stratégiques en matière de lutte contre la pauvreté des enfants à la
lumière de futurs possibles. Il s’agira, par conséquent, de développer des images du futur
contrastées et plausibles, compte tenu de la situation actuelle, ainsi que les trajectoires qui
y mènent. Le travail de développement de ces scénarios constitue donc la pièce maîtresse
du projet, elle se base sur une méthodologie prospective qui mobilise largement parties
prenantes et experts, et s’appuie sur des techniques robustes et éprouvées garantes de leur
qualité.

• Le projet s’appuie sur un dispositif consultatif permettant « une large participation ». La dé-
marche prospective est de nature participative : elle vise à associer, en particulier, les parties
prenantes de l’action publique menée en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles en
matière de lutte contre la pauvreté des enfants. À ce titre, elle mobilise des acteurs qui ne
se situent pas uniquement dans le champ des politiques de lutte contre la pauvreté, mais
également dans celui des allocations familiales, de la politique de l’enfance, de la politique
scolaire ou de la politique des droits de l’enfant. Elle vise également, dans la mesure du
possible, à intégrer des parties prenantes issues d’autres niveaux de pouvoir (fédéral, euro-
péen, communal). En outre, elle associe à la démarche des experts issus de différents
champs disciplinaires et travaillant également dans différents domaines touchant à la pro-
blématique de la pauvreté des enfants.

Cette étude a été réalisée entre le 1er janvier 2022 et le 15 avril 2024 à travers une collaboration entre
l’Institut wallon de l’évaluation de la prospective et de la statistique (IWEPS) et l’Agence pour une vie
de qualité – Agence wallonne de la santé, de la protection sociale, du handicap et des familles (AVIQ).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 37


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. Présentation du rapport
Le présent document constitue le compte rendu des résultats de cette recherche. Il présente une
rétrospective de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants en Wallonie et propose
quatre scénarios d’évolution possible de cette action à l’horizon 2050.

Il est organisé en quatre chapitres.

4.1. CHAPITRE 1 : LA RÉTROSPECTIVE


Le premier chapitre s’attache à réaliser une rétrospective de l’action publique de lutte contre la pau-
vreté des enfants. Cette démarche constitue un préliminaire indispensable à toute analyse prospec-
tive. Il s’agit de retracer la trajectoire passée de l’objet analysé sur une durée équivalente à celle de
l’exercice prospectif.

Ainsi, l’horizon temporel des scénarios étant fixé à l’année 2050, nous avons conçu une rétrospective
qui revient sur les trente dernières années. Nous l’entamons avec l’adoption (1989) et la ratification
par la Belgique (1992) de la Convention internationale des droits de l’enfant et montrons ensuite la
façon dont, à partir des années 1990, la politique des droits de l’enfant et la politique de lutte contre
la pauvreté – née également à ce moment – ont tendu progressivement à se rapprocher, mais aussi
à entrer en tension. Ce rapprochement a conduit, d’après notre analyse, à ce que la pauvreté des
enfants devienne, à la fin des années 2000, un « problème public », c’est-à-dire un problème politi-
quement reconnu comme objet d’une action publique nécessaire et légitime. Nous montrons com-
ment ce problème public s’est institué, au début des années 2020, en un « paradigme d’action pu-
blique », c’est-à-dire un cadre doté de ses propres outils de mesure et d’action qui s’impose comme
une référence légitime et une évidence pour un ensemble d’acteurs.

Cette rétrospective permet de comprendre la façon dont l’objet analysé s’est construit à travers une
trajectoire spécifique. Ce travail permet aussi d’identifier les bifurcations qui l’ont amené à s’agencer
sous la forme connue aujourd’hui par les différentes parties prenantes. Par ce biais, la rétrospective
opère une véritable déconstruction de l’objet particulièrement utile à l’analyse prospective : en dé-
crivant les « verrouillages » qui se sont opérés dans le passé et en questionnant ce qui apparaît
comme évident aujourd’hui, elle fournit les éléments nécessaires à une réouverture du champ des
possibles. Cette rétrospective apporte un matériau précieux au travail prospectif qui ne peut se can-
tonner à prolonger la situation présente en projetant une tendance, mais doit proposer des trajec-
toires alternatives et contrastées qui repositionnent l’objet au sein d’un ensemble contextuel plus
large – un système – intégrant, notamment, la question des inégalités et de leurs déterminants.

4.2. CHAPITRE 2 : LE CADRAGE DE L’APPROCHE


Le deuxième chapitre présente les différents éléments-clés d’une démarche prospective. Comme
nous venons de l’évoquer, le premier aspect central de cette démarche est de positionner l’objet au
sein d’un système, dans le but de quitter une analyse purement interne de l’évolution de l’action
publique de lutte contre la pauvreté des enfants. Reconnecter l’objet à la complexité qui l’entoure et
qui en conditionne la trajectoire permet, en effet, d’intégrer à l’analyse un ensemble de facteurs ex-
térieurs à la politique proprement dite, comme, par exemple : le contexte économique, le contexte
sociopolitique, les enjeux associés aux changements climatiques et environnementaux ou au vieil-
lissement de la population, la question des inégalités et de l’état de pauvreté des enfants, le modèle
socioculturel de la famille, ou encore les représentations sociales de l’enfance et de la pauvreté.

Nous présentons également, dans ce chapitre de cadrage, les spécificités de la mission d’analyse
prospective. Cette mission se construit, en effet, à un moment où l’action publique de lutte contre la

38 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
pauvreté des enfants devient un nouveau paradigme d’action publique. Dans ce contexte, on ob-
serve pourtant, d’une part, que l’espace de mise en œuvre de cette politique est fragmenté en raison
de la diversité de parties prenantes, de représentations et de cadres normatifs, et, d’autre part, que
le cadre politique lui-même est peu mûr, le contenu de la politique demeurant en cours de cons-
truction et de coordination. Enfin, nous soulignons également que ce nouveau paradigme « ne va
pas de soi », car demeurent de nombreux implicites – dont certains sont déconstruits par la rétros-
pective – et parce que les parties prenantes ne s’accordent pas sur la nécessité de créer des priorités
entre publics cibles et, en particulier, de privilégier l’enfant distinctement de sa famille.

4.3. CHAPITRE 3 : LA MÉTHODE DE CONCEPTION DES SCÉNARIOS


Ce chapitre détaille la méthode conçue dans cette étude pour concevoir les scénarios. Après avoir
présenté le phasage de la démarche et introduit quelques notions-clés de ce travail (qu’est-ce
qu’une « variable » en prospective ? qu’est-ce qu’un « système prospectif » ? qu’est-ce qu’une « base
prospective » ?), il présente les résultats d’un premier travail de définition de ce système et de cette
base prospective.

Il en vient, ensuite, à aborder les enjeux et difficultés de la conception d’une méthode de scénarisa-
tion dans le cadre de ce projet.

Il propose, en particulier, de clarifier la nature de l’objet analysé dans la mesure où elle présente une
« hybridité », source de difficultés méthodologiques. En effet, la mission confiée par le Gouverne-
ment appelle à réaliser une analyse prospective des futurs possibles des politiques de lutte contre
la pauvreté infantile. Mais comment concevoir cette analyse sans y intégrer celle du phénomène de
pauvreté des enfants ? Quel serait le sens de construire des scénarios d’évolutions de ces politiques
sans pouvoir concevoir les évolutions possibles de cette pauvreté ? Si les inégalités venaient à dis-
paraître dans l’avenir et, ce faisant, la pauvreté des enfants, ce type de politique serait totalement
obsolète. De même, si les inégalités venaient à se creuser et la pauvreté à se banaliser pour être
intégrée au fonctionnement social, ces politiques seraient tout autant caduques… On comprend là
qu’il y a un véritable problème de positionnement de l’objet et de conceptualisation auquel ce cha-
pitre apporte une première réponse, qui sera approfondie dans le chapitre 4.

La suite du chapitre présente la méthode de scénarisation adoptée dans ce projet. Il s’agit de l’ana-
lyse morphologique. Ce type d’analyse vise à développer différents scénarios en combinant des
états futurs différents (des « hypothèses d’évolution ») des variables qui composent le système pros-
pectif. Nous détaillons les spécificités de la méthode mise au point dans ce projet, qui apporte cer-
tains aménagements à la version « canonique » de l’analyse morphologique. En effet, nous avons
intégré à cette analyse une ample dimension participative qui a nécessité plusieurs adaptations.

Nous clôturons ce chapitre par une présentation de la démarche participative mise en place dans ce
projet, non sans avoir évoqué préalablement, de façon plus théorique, le rôle joué par la participation
en prospective.

4.4. CHAPITRE 4 : LES SCÉNARIOS DANS LEURS VERSIONS « TECHNIQUE » ET


« LITTERAIRE »
Ce quatrième chapitre constitue le cœur de ce rapport : il apporte les principaux « livrables » du pro-
jet attendus par le Gouvernement, à savoir des « scénarios contrastés » des futurs possibles de po-
litiques de lutte contre la pauvreté infantile.

Disons-le d’emblée, pour mener à bien cette mission, nous avons requalifié l’objet en « action pu-
blique de lutte contre la pauvreté des enfants ». Cette requalification pourra paraître anodine, mais
elle suppose, en réalité, quelques nuances qu’il est utile d’avoir à l’esprit pour bien comprendre le

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 39


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
produit livré dans ce chapitre. Nous parlons d’« action publique » plutôt que de « politique » afin de
dénoter deux choses : d’une part, la lutte contre la pauvreté des enfants ne concerne pas une seule
politique, mais un groupe de politiques qui touche autant à l’enfant qu’à la situation de sa famille ;
d’autre part, ces politiques sont menées par un ensemble d’acteurs qui ne se limitent pas aux insti-
tutions publiques, c’est une action collective qui regroupe les institutions, les administrations et le
secteur associatif.

Nous parlons, par ailleurs, de « pauvreté des enfants » plutôt que de « pauvreté infantile ». En utilisant
cette expression, nous souhaitons nous distancier de l’usage de la notion de « pauvreté infantile »
qui est associée au paradigme d’action publique actuel. Nous montrons, en effet, dans l’analyse ré-
trospective, que s’opère un glissement sémantique : au moment où la pauvreté des enfants devient
un problème public, elle tend à être qualifiée de « pauvreté infantile », ce qui, d’après notre analyse,
dénote sa conception comme une réalité en soi, objet d’une action particulière. Le choix de l’utilisa-
tion de l’expression « pauvreté des enfants » vise donc à faciliter l’analyse prospective, car il nous
permet de nous détacher des spécificités historiques associées à la notion de « pauvreté infantile ».

Ces éléments permettent d’introduire le deuxième élément central de l’analyse exposée dans ce
chapitre : la définition du système prospectif. La définition de ce système est indispensable à la réa-
lisation des scénarios. En effet, les différents scénarios proposés correspondent à différents états
contrastés du système. Sans un système conçu de manière analytique, nous ne pourrions élaborer
de scénarios utiles et robustes. Une partie de ce chapitre développe par conséquent en profondeur
le processus que nous avons suivi pour élaborer ce système et le produit qui en est issu. Sur ces
bases, nous proposons quatre scénarios d’évolutions possibles. Ceux-ci sont construits grâce aux
relations de motricité-dépendance des variables au sein du système : en modifiant les états de cer-
taines variables-clés au sein du système, nous pouvons proposer quatre trajectoires d’évolutions
possibles qui font coïncider, d’une part, les transformations de l’état de pauvreté des enfants, et
d’autre part, une action publique qui s’attache à y remédier. C’est ce travail que nous qualifions de
version « technique » des scénarios.

En complément à cette version « technique », d’une lecture relativement exigeante, ce chapitre pro-
pose une version « littéraire » qui vise à mettre en récit la version technique des scénarios, à la fois
pour en faciliter l’accès et la compréhension, mais aussi pour en tester la cohérence. Cette mise en
récit suppose également que ces scénarios reçoivent un intitulé « évocateur » :

• Scénario 1 – Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie précari-
sée ;
• Scénario 2 – Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir ;
• Scénario 3 – Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités dans
une Wallonie transformée ;
• Scénario 4 (tendanciel) – Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance » dans
une Wallonie fragmentée.

Chacune de ces mises en récit est organisée en cinq parties :

• Le contexte économique et climatique mondial ;


• La situation politique et économique en Belgique et en Wallonie ;
• La situation sociale et la forme prise par l’État social ;
• L’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants ;
• Une trajectoire de vie possible d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire
dans le monde décrit par le scénario.

40 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4.5. COMMENT UTILISER CETTE ANALYSE PROSPECTIVE COMME OUTIL D’AIDE
À LA DÉCISION ?
La conclusion revient sur l’ensemble de l’étude en la relisant à la lumière de cette question qui nous
paraît fondamentale.

En effet, la prospective vise à éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles pour ré-
pondre à quatre questions principales :

• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation des évolutions à venir.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, que
les futurs possibles puissent servir de boussole aux décisions présentes.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.

Dans la conclusion, nous abordons ces questions de manière transversale :

• dans un premier temps, nous tentons d’identifier les principaux apports de l’étude ainsi que
ses limites ;
• dans un deuxième temps, nous détaillons la façon dont cette étude peut informer les déci-
sions futures en matière de politique de lutte contre la pauvreté des enfants en nous con-
centrant sur les six grands enjeux dégagés par l’analyse prospective. Ces six enjeux doivent
pouvoir servir de base aux réflexions stratégiques qui pourront être menées à la suite de
cette analyse prospective ;
• dans un troisième temps, sur la base des enjeux identifiés, nous considérons six chantiers
d’avenir pour la lutte contre la pauvreté des enfants.

Enfin, nous identifions les fortes relations qui unissent ces différents enjeux aux attentes, besoins et
craintes pour l’avenir exprimés par les enfants et les familles en situation de pauvreté et de précarité
dans le cadre de l’enquête menée par nos collègues de l’AVIQ dont les résultats sont présentés dans
la seconde partie du rapport.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 41


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC-
CHAPITRE 1

La lutte contre la pau-


vreté des enfants en
Belgique, en Wallonie et
en Fédération Wallonie-
Bruxelles : une trajec-
toire historique

42 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. La lutte contre la pauvreté infantile : une « po-
litique spectacle » ?
En 2013, la Belgique francophone découvre en regardant « Viva for Life », une nouvelle émission de
la RTBF, que de nombreux enfants vivant à Bruxelles et en Wallonie sont victimes de la pauvreté.
Sur les écrans s’affichent en gros plan les visages des animateurs de l’émission et de stars du mo-
ment couverts de larmes, peinés par le spectacle d’enfants mal-nourris, mal-vêtus ou vivant dans
des conditions de vie extrêmement difficiles à deux pas de chez eux. En plan large, on peut aperce-
voir le compteur des dons accumuler les millions d’euros. La charité des téléspectateurs livrés au
spectacle de cette pauvreté émeut d’autant plus les animateurs de l’émission, enthousiasmés et
touchés par un tel « élan de solidarité ».

Pourtant, dix ans plus tard, malgré les millions récoltés chaque année grâce à cette initiative, les
analyses statistiques perdurent à montrer qu’en Wallonie près d’un enfant sur cinq est touché par la
pauvreté et que la situation ne s’améliore pas 27. Viva for Life « sensibilise » le grand public à une
problématique importante qui ne peut qu’émouvoir, mais parvient-elle à « politiser » la question pour
que les choses changent ? « Au bout du compte, quelques millions d’euros récoltés et saupoudrés
alors que l’enjeu de la lutte contre la pauvreté pèse chaque année cinq à dix milliards. Où est fran-
chement l’utilité d’une telle opération si ce n’est une façon d’exprimer sa satisfaction de rendre un
peu plus supportable l’insupportable par la remise d’un chèque ? », questionne le professeur Phi-
lippe De Leener dans une interview donnée à l’hebdomadaire Le Vif 28. Le chercheur s’inquiète éga-
lement de voir la pauvreté découpée en différents publics cibles comme celui des enfants : « […] se
focaliser sur la pauvreté infantile, c’est encore donner l’illusion d’une pauvreté particulière et c’est
tromper la vigilance du public. Car le fond du problème, ce sont les parents en situation de pauvreté.
Cette façon de saucissonner la problématique de la pauvreté est un non-sens sauf s’il s’agit de faire
pleurer grand-mère et de chercher à attendrir en mettant en avant le triste sort des enfants
pauvres. » 29

La lutte contre la pauvreté des enfants se réduirait-elle à un détournement d’attention face à une
problématique sociale plus large, comme l’indique Philippe De Leener ? La réalité est un peu plus
complexe que cela. En effet, l’opération « Viva for Life » peut également être analysée comme le
signe de l’émergence d’un nouveau « problème public » qui la dépasse, c’est-à-dire le signe qu’un
phénomène social tend à s’institutionnaliser et à devenir l’objet d’une action publique spécifique 30.
Considérer la « pauvreté infantile » comme tel suppose que l’on comprenne la trajectoire historique
qui conduit à cette institutionnalisation. Cette analyse doit permettre d’identifier autant les enjeux qui
la parcourent que les acteurs qui l’ont portée, car l’émergence de la pauvreté des enfants 31 comme

27
Le taux de déprivation des enfants en Wallonie est de 18 % en 2021 ; en outre, 16,5 % des enfants vivent dans un ménage
aux revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Voir : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/ et
https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-risque-de-pauvrete-selon-la-classe-dage-et-le-sexe/
28
Le Vif, 17 décembre 2021 : https://www.levif.be/belgique/viva-for-life-une-operation-spectacle-regressive-et-derisoire-
contre-la-pauvrete-entretien/
29
Ibid.
30
Par « problème public », nous entendons l’apparition au sein de l’espace public de faits sociaux qui font l’objet de débats et
de controverses et qui appellent à une « intervention publique légitime sous la forme d’une décision des autorités publiques »
(Garraud, 2004 : 50)
31
Nous parlons de « pauvreté des enfants » plutôt que de « pauvreté infantile ». En utilisant cette expression, nous souhaitons
nous distancier de l’usage de la notion de « pauvreté infantile » qui est associée au paradigme d’action publique actuel. Nous
montrons, en effet, dans l’analyse rétrospective présentée dans le présent chapitre, que s’opère un glissement sémantique :
au moment où la pauvreté des enfants devient un problème public, elle tend à être qualifiée de « pauvreté infantile », ce qui,
d’après notre analyse, dénote sa conception comme une réalité en soi, objet d’une action particulière. Le choix de l’utilisation
de l’expression « pauvreté des enfants » vise donc à nous détacher des spécificités historiques associées à la notion de « pau-
vreté infantile ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 43


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
problème public provient de la rencontre de deux champs d’action publique : la politique des droits
de l’enfant et la politique de lutte contre la pauvreté, nées toutes deux au tournant des années 1980 32.

Cette émergence de la pauvreté des enfants comme problème public ne peut être vue comme
celle d’une « politique spectacle » : elle s’inscrit dans une logique de transformation des politiques
sociales portée par l’essor de l’État social actif, une forme d’État social qui spécialise son action vers
des publics de plus en plus spécifiques aux motifs de la particularité de leurs besoins et d’une meil-
leure gestion des dépenses publiques en matière sociale 33. Dans le cas de la politique de lutte contre
la pauvreté des enfants, cette orientation s’est également appuyée sur la reconnaissance progres-
sive de droits subjectifs propres à l’enfant, reconnaissance qui a mené, notamment, à la réforme des
allocations familiales dans la seconde moitié des années 2010. Celles-ci sont devenues, à ce mo-
ment, un droit subjectif 34 et universel propre à l’enfant né en Wallonie et non plus un droit des parents
lié à leur statut professionnel, comme ce fut le cas jusqu’alors (Demertzis, 2018).

Dans la suite de ce premier chapitre, nous allons nous attarder sur les principales étapes de l’institu-
tionnalisation de la pauvreté des enfants comme problème public et présenter la façon dont l’action
publique de lutte contre cette forme de pauvreté s’est organisée pour faire de la pauvreté infantile
un véritable « paradigme d’action publique » 35 au début des années 2020. Cette analyse constitue

32
Les politiques de lutte contre la pauvreté ont émergé, en Belgique, à la fin des années 1970, dans la foulée de la crise
économique issue des chocs pétroliers de 1973 et 1979. Pour le sociologue Daniel Zamora Vargas ces politiques se substituent
aux politiques sociales mises en place dans l’après-guerre et constituent le contrepoint « social » des politiques d’austérité
économique développées dans le courant des années 1980 pour faire face à la crise ainsi qu’une compensation au « détrico-
tage » du régime assurantiel développé durant les Trente Glorieuses : « Le législateur fera peu à peu de l’assistance le com-
plément naturel des politiques d’austérité menées dans la sécurité sociale. De politique « résiduelle », la « lutte contre la
pauvreté » va petit à petit devenir une politique générale et de « première ligne », mobilisée afin de répondre aux désordres
générés par le retrait des politiques assurantielles. » (Zamora Vargas, 2017 : 112). Pour cet auteur, les années 1980, et plus
singulièrement encore les années 1990, voient l’institutionnalisation en Belgique des politiques de lutte contre la pauvreté.
Cette institutionnalisation s’inscrit dans le sillon du développement d’un l’État social actif et s’appuie, notamment, sur la parti-
cipation directe des pauvres et des publics précarisés à l’évaluation de l’état de la pauvreté et à la rédaction de recomman-
dations. Ce mouvement de naissance et de développement des politiques de lutte contre la pauvreté coïncide avec la mise
en place d’une action de coordination en la matière par le Gouvernement wallon en 1992 avec la régionalisation des compé-
tences nécessaires, en particulier l’action sociale et l’intégration de personnes étrangères ou de politiques étrangères en 1994
(Jansen, 2007). Ce mouvement a débouché en 1998 sur un accord de coopération entre l’État fédéral, les Communautés et
les Régions « relatif à la continuité de la lutte contre la pauvreté ». Ces évolutions constituèrent la base de la politique de
cohésion sociale mise en place depuis le début des années 2000 en Wallonie à partir du « Contrat d’avenir pour la Wallonie »,
qui a défini le principe de « cohésion sociale » comme « la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres,
à minimiser les disparités et éviter la polarisation. Elle peut donc s’analyser comme un processus dynamique qui reprend
l’ensemble des moyens mis en œuvre pour assurer à tous l’accès aux droits fondamentaux. Ainsi définie, la cohésion sociale
englobe toutes les politiques de lutte contre la pauvreté, l’exclusion, s’intégrant globalement dans une approche de déve-
loppement durable. La cohésion sociale résulte de la force des liens qui unissent une collectivité. Elle dépend de l’accès des
citoyens au logement, à l’emploi, aux soins, à la culture, aux loisirs » (Jansen, 2007).
33
Dans cette étude, nous prenons comme référence la définition de l’État social actif fournie par le sociologue Abraham
Franssen : « Comme toute idéologie, celle de l’État social actif comporte une dimension utopique. Elle préfigure une société
idéale débarrassée de toute conflictualité sociale, conciliant protection sociale et autonomie assumée, où chacun pourrait
disposer d’un emploi – puisque le plein emploi y serait réalisé, y compris pour les femmes –, mais également disposer des
ressources et du temps lui permettant de s’engager librement « dans diverses activités permettant d’inspirer le respect et le
respect de soi : par exemple, prodiguer des soins à un ami ou à un membre de famille, réaliser des actions sociales ou cultu-
relles volontaires, reprendre une formation ou se recycler professionnellement », disposer d’une retraite active valorisée par
la collectivité. Soutenu par une éducation permettant de gommer les inégalités de départ, encouragé à se former tout au long
de sa vie, gérant sa santé de manière préventive, il ne verrait pas sa volonté d’entreprendre découragée par des normes
homogénéisantes, une fiscalité décourageante ou des allocations sociales inconditionnelles qui le piègeraient dans une
fausse sécurité, mais il serait au contraire incité à l’activité, aux différents moments de sa vie par de différentes mesures
législatives, fiscales et sociales ciblées. En cas de maladie ou d’accident dans sa trajectoire sociale et professionnelle, il se
verrait proposer un « package de mesures sur mesures » en vue de favoriser son rétablissement le plus prompt. En contre-
partie de cette autonomie, il lui reviendrait de participer activement à la gestion des risques de son existence, d’assumer
pleinement la responsabilité de ses choix et les inégalités légitimes de situation qui pourraient en résulter. « Le meilleur des
mondes » de l’individualisme démocratique n’est pas loin. » (Franssen, 2008)
34
En Droit, on qualifie de droit subjectif « la prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif qui permet
à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou, parfois, dans l’intérêt d’autrui ». Il
s’oppose au Droit objectif comme « ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent
aux membres d’une société. » (Cornu, 1987).
35
C’est-à-dire « un cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seulement les objectifs de la politique et le type d’instru-
ments qui peut être utilisé pour les atteindre, mais également la nature même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont sup-
posés traiter » (Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018).

44 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
une étape rétrospective nécessaire au développement de la démarche prospective qui sera propo-
sée dans les chapitres suivants : elle doit permettre de comprendre la dynamique à l’œuvre, les en-
jeux qui la traversent et les bifurcations connues afin d’appuyer l’anticipation de ses évolutions fu-
tures.

L’émergence de la pauvreté infantile comme problème public en Belgique francophone s’est cons-
truite à travers quatre « tournants » :

• un tournant politique au moment de la Marche Blanche en 1996, qui a cristallisé la vulnéra-


bilité comme caractéristique cardinale d’une conception politique de l’enfance ;
• un tournant en termes d’action publique avec l’adoption du premier Plan national pour l’en-
fance en 2005, qui clôt un processus d’institutionnalisation de l’enfant comme être vulné-
rable en Belgique francophone, processus entamé au début des années 1990 après l’adop-
tion et la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant ;
• un tournant cognitif avec l’introduction, au sein de la base de données européenne SILC
(Statistics on Income and Living Conditions) en 2009 d’un module spécifique dédié aux dé-
privations des enfants ;
• un tournant paradigmatique avec l’apparition, au début des années 2020, d’une politique eu-
ropéenne dédiée à la « pauvreté infantile », à travers la garantie européenne pour l’enfance.
À ce moment, la pauvreté infantile devient un « paradigme d’action publique ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 45


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. La « vulnérabilité » au cœur d’une conception
politique de l’enfance
2.1. LA MARCHE BLANCHE : UN POINT DE BIFURCATION
Le dimanche 20 octobre 1996, les rues du centre de Bruxelles sont occupées par une foule de plus
de trois cent mille personnes. Beaucoup sont vêtues de blanc et tiennent à la main un ballon blanc.
Rapidement, cette manifestation silencieuse fut baptisée « Marche Blanche ». Elle a rassemblé des
personnes qui ont répondu à l’appel de parents d’enfants disparus ou enlevés, parfois assassinés 36.
Une manifestation d’une telle ampleur était exceptionnelle en Belgique : « La Marche sera l’une des
plus grandes manifestations de masse que la Belgique ait connues », indique le journal L’Écho dans
un article dédié aux 25 ans de l’événement en octobre 2021.

Cette manifestation a rassemblé par-delà les clivages politiques traditionnels pour mettre en
exergue un fait simple : lorsque des parents se voient enlever leurs enfants par des criminels, ils font
face à une « machine judiciaire » peu sensible à la vulnérabilité de parents meurtris et peu efficace
dans la défense d’êtres eux aussi vulnérables, leurs enfants : « Meurtris par la disparition de leurs
enfants et désabusés par le fonctionnement de l’appareil judiciaire, plusieurs parents appellent à un
rassemblement de grande ampleur. […] [ils] invitent la population à se réunir lors d’une marche apoli-
tique » indique le journal L’Écho. Au terme de la manifestation, l’un des parents souligna la violence
de leur confrontation à l’institution judiciaire : « Nous avons cru que l’institution judiciaire allait nous
aider. Nous avons dû déchanter. Jusqu’au jour où un juge a bien voulu considérer nos enfants
comme des princesses à sauver. » 37.

Ce mouvement populaire soutenant la « cause des enfants » fut un véritable point de bifurcation : il
eut plusieurs répercussions importantes tant au niveau judiciaire 38 que dans celui de la protection
des enfants : en 1997 naît « Child Focus », la Fondation pour enfants disparus et sexuellement ex-
ploités 39, toujours active aujourd’hui. En outre, il consacra, par-delà les clivages politiques et de façon
unanime l’importance de protéger les enfants en raison de leur « vulnérabilité ».

2.2. L’ÉMERGENCE DE « POLITIQUES DE L’ENFANCE »


Cet événement s’inscrit dans un contexte particulier, né dans le courant des années 1970 et 1980 –
et mûri durant les années 1990 et 2000 – où la place de l’enfant dans la société belge prend une
nouvelle dimension. Plusieurs développements se structurent, en effet, au cours de ces décennies
qui concourent à former le cadre d’une « politique de l’enfance ». Celui-ci s’appuie sur diverses
formes de professionnalisations des métiers de l’enfance et de la jeunesse, mais aussi sur la création
de « droits » dont sont titulaires les enfants.

Ces transformations supposent que les pouvoirs publics et les acteurs des politiques de l’enfance
puissent jouer un rôle direct dans la vie des enfants, indépendamment du cadre familial dont ceux-
ci sont issus. Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique d’ensemble où l’État tend à agir

36
Cette Marche Blanche est organisée quelques mois après l’arrestation de Marc Dutroux le 13 août 1996. Cet homme sera
jugé coupable le 22 juin 2004 de plusieurs chefs d’accusation, dont le meurtre de Julie et de Melissa, filles de parents à l’origine
de l’organisation de cette Marche Blanche.
37
Propos rapportés par le journal L’Écho.
38
Une Commission d’enquête parlementaire fut organisée quelques mois plus tard. Elle pointa dans ses rapports de nom-
breux dysfonctionnements et manquements dans l’institution judiciaire qui conduisirent notamment à la réforme des polices
(disparation de la gendarmerie et création d’une police intégrée) et à la création du tribunal d’application des peines (inexistant
jusqu’alors).
39
Créée par plusieurs parents à l’initiative de la Marche Blanche, avec le soutien du Premier ministre et de la Fondation Roi
Baudouin.

46 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
directement à l’égard d’individus ou de groupes d’individus ciblés (comme les « jeunes », les « sans-
abris », les « immigrés », les « pauvres »…) plutôt qu’à s’appuyer sur des corps intermédiaires institués
(syndicats, institutions religieuses…) pour développer cette action 40. Cette évolution fut très visible
dans le monde du travail où le rôle joué par les syndicats, central durant les Trente Glorieuses, n’a
cessé de s’amoindrir à partir des années 1980 parallèlement à la naissance et au développement de
multiples acteurs publics ou assimilés associés aux politiques d’emploi ou d’insertion professionnelle
(Bruyère et al., 2019).

Mutatis mutandis, cette évolution aurait conduit à la formation de « politiques de l’enfance » admi-
nistrées directement par l’État. Ces politiques ne se baseraient plus uniquement sur les intermé-
diaires historiques des politiques de la famille comme le « chef de famille » 41 ou les grands corps
intermédiaires comme les syndicats ou les organisations religieuses, qui jouèrent un rôle central en
matière d’éducation et d’insertion sociale. Les professionnels de l’enfance et de l’éducation em-
ployés par des structures publiques ou subsidiées, par leur rôle d’acteurs des politiques de l’enfance,
interviendraient directement auprès des enfants et/ou des parents en fonction du mandat qui leur
est attribué. De multiples exemples permettent d’illustrer cette dynamique : des médecins d’un
centre public d’examen médical font le bilan de santé des enfants lors de « visites médicales » et
recommandent, le cas échéant, aux parents de prendre l’une ou l’autre mesure de soins de l’enfant
(correction visuelle ou auditive, régime alimentaire en cas d’excès pondéral…) ; une puéricultrice
d’une crèche publique éduque un enfant en bas âge et conseille les parents sur la meilleure manière
de s’y prendre pour le suivi à domicile ; un centre psycho-médico-social d’une école accueille un
enfant souffrant de troubles spécifiques, prend en charge le problème de santé de l’enfant et con-
seille les parents sur les façons d’agir ; l’école met en place un système de collation saine et impose
aux parents certaines pratiques de nutrition dans le cadre de la prévention de l’obésité infantile ; les
maisons des jeunes accueillent les adolescents et les accompagnent dans différents aspects de leur
vie en dehors de leur cadre familial ; etc.

2.3. LE BIEN-ÊTRE DES ENFANTS COMME PRIORITÉ POLITIQUE : LE TOUR-


NANT DE LA CONVENTION INTERNATIONALE DES DROITS DE L’ENFANT
Ces évolutions des politiques de l’enfance rendent l’enfant titulaire de droits au motif de sa « vulné-
rabilité » ou de sa « fragilité », droits qui lui sont personnels et indépendants de ses parents ou de sa
famille. Comme l’illustrait la mobilisation massive lors de la Marche Blanche, à ce moment, il n’était
plus admissible, pour la société belge, que la vulnérabilité des enfants ne soit pas politiquement
reconnue et ne fasse pas l’objet de protections spécifiques lorsque des adultes y portent atteinte,
mais aussi lorsque les enfants font face au système administratif et/ou judiciaire. Plusieurs évolutions
politiques apparaissent en effet à ce moment, en particulier l’adoption, le 20 novembre 1989, de la
« Convention internationale relative aux droits de l’enfant », qui rend contraignant, dans l’ensemble
des États qui l’ont ratifiée 42, les principes de la Déclaration des Nations-Unies sur les droits de l’enfant
adoptée, trente ans plus tôt, en 1959.

Cette Convention fixe un référentiel international contraignant pour les États signataires ainsi qu’un
système de suivi des progrès des États via le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Cela signifie

40
En sciences politiques, ce passage est généralement assimilé à celui d’une transition d’un État « corporatiste » à un État
« libéral » (ou, dans ce contexte historique spécifique, « social actif »). Dans le contexte belge, on parle également de « dépil-
larisation ».
41
Ce mouvement d’immixtion de l’État au sein des familles est historiquement ancien : « Il faut se rappeler qu’au XIXe siècle,
par la notion d’intérêt de l’enfant, l’État est parvenu à individualiser l’enfant par rapport à l’autorité absolue du père et qu’il a
ainsi pu progressivement pénétrer dans la famille qui, auparavant, était un sanctuaire inviolable. L’intérêt de l’enfant est, en
réalité, un des concepts clés qui fonde le contrôle social. » (Moreau et Van Keirsbilck, 2007 : 11)
42
En Belgique, cette ratification date du 16 décembre 1991 et suit la loi d’assentiment du 25 novembre 1991. La Convention est
entrée en vigueur en Belgique le 15 janvier 1992.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 47


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
que plusieurs notions et catégories y acquièrent une valeur juridique et doivent faire l’objet d’une
intégration dans les ordres juridiques internes 43.

Deux notions clés y sont présentes, sans forcément faire l’objet d’une définition précise : la notion
d’« enfant » et celle d’« intérêt supérieur de l’enfant ».

La Convention définit un « enfant » comme « tout être humain ágè de moins de dix-huit ans, sauf si
la majoritè́ est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (art. 1). En ce sens,
cette Convention attribue aux mineurs d’âge des droits propres, similaires pour un certain nombre
d’entre eux à ceux définis par la Convention européenne des droits de l’homme 44.

Par ailleurs, la Convention établit « l’intérêt supérieur de l’enfant » comme le guide indispensable à
suivre pour toute décision prise à son égard par une institution liée aux politiques de l’enfance :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions pu-
bliques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (art. 3.1).

Ce respect de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les décisions suppose une attention particulière à
son « bien-être » : « Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins néces-
saires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des
autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures légi-
slatives et administratives appropriées » (art. 3.2). Cette protection spéciale tire son fondement d’une
conception de l’enfant comme être vulnérable : le préambule de la Convention établit, en effet :
« l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection
spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après
la naissance. »

En outre, la Convention fixe des limites à l’exercice conjoint d’une responsabilité au bien-être des
enfants, respectivement par les parents et familles, et par l’État. Elle prévoit également que, dans
certains cas où le bien-être de l’enfant est menacé, l’État puisse suppléer aux parents : « La famille,
considérée comme le milieu naturel de l’enfant, doit veiller au bien-être, au développement et à
l’épanouissement de l’enfant. Ainsi, c’est par ses parents, qui ont une responsabilité commune dans
son développement (art. 18), qu’il doit être élevé (art. 7 al. 1). L’État, quant à lui, est engagé à prendre
les mesures nécessaires afin de garantir l’application des droits reconnus par la Convention (art. 4) et
soutenir les parents dans leur mission. Il ne doit suppléer aux parents que lorsque l’enfant est défini-
tivement ou temporairement privé de sa famille ou lorsque, pour le bien-être de celui-ci, il se doit
de le retirer de son milieu familial (art. 20) » (Jamin et Perrin, 2005 : 81).

43
La Convention a généré un tournant dans la législation relative à la protection de la jeunesse ainsi que dans la naissance de
nouvelles problématiques publiques : « les dispositions de la Convention ont fortement influencé les autorités politiques dans
la rédaction de certains textes législatifs. Il en est ainsi du décret de 1991 relatif à l’Aide à la jeunesse. Ainsi, (…) certains articles
découlent directement de la Convention (le droit du jeune à ce que son intérêt soit prépondérant dans toute intervention, le
droit à être informé de ses droits, le droit au respect de ses convictions philosophiques et religieuses…) tandis que d’autres
s’inspirent de sa philosophie (le droit à l’assistance d’un avocat ou d’une personne majeure, le respect d’un code de déonto-
logie pour les intervenants…). La Convention internationale des droits de l’enfant a par ailleurs, par les biais du Comité des
droits de l’enfant, attiré l’attention des politiques belges sur certaines thématiques problématiques. Ainsi, le Comité avait ex-
primé des préoccupations vis-à-vis de la politique menée à l’égard des enfants demandeurs d’asile. (…). Une attention toute
particulière a par ailleurs été donnée ces dernières années à la problématique des mineurs étrangers non accompagnés. »
(Jamin et Perrin, 2005 : 82-83).
44
« La Convention reconnaît à l’enfant le droit au respect à la vie privée, de la vie familiale, du domicile, de la correspondance
(art. 16). Elle lui garantit le droit à la liberté d’expression (art. 12 al. 1.), à l’accès à l’information (art. 17), la liberté de pensée, de
conscience et de religion (art. 13 et 14) » (Jamin et Perrin, 2005 : 82).

48 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. L’institutionnalisation de l’enfant comme être
« vulnérable » en Belgique francophone
3.1. LE DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL AUX DROITS DE L’ENFANT (1991)
La mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant s’est notamment appuyée
en Communauté française de Belgique sur la désignation d’un « Délégué général aux droits de l’en-
fant » en septembre 1991. La création de cette fonction visait, initialement, à la mise en place d’un
« ombudsman » centralisant les plaintes liées aux violences portées aux enfants afin de faciliter l’ac-
cès aux différents dispositifs de protection de la jeunesse 45. Son rôle ne s’est, cependant, pas limité
à celui de dépositaire de plaintes. Le décret du 20 juin 2002 a élargi les missions de cet ombudsman
en lui faisant jouer d’autres rôles, notamment la promotion des droits de l’enfant, la surveillance de
leur respect, l’émission de recommandations visant à améliorer la réglementation et le fonctionne-
ment administratif, ainsi que la réalisation d’un rapport public annuel de ses activités.

Ainsi, au fil du temps, le rôle joué par le Délégué général a évolué pour dépasser le seul cadre des
violences faites aux enfants et toucher à des questions plus individuelles, comme leur accès à une
série de droits fondamentaux, mais aussi plus intimes, en se souciant de leur « bien-être ». En 2007,
Stéphane Durviaux, qui exerçait la fonction ad interim dans l’attente de la nomination du successeur
à Claude Lelièvre (qui exerça la fonction de 1991 à 2003) déclarait au quotidien La Libre : « Selon moi,
il est important d’améliorer le quotidien des enfants, de rendre les plus harmonieux possibles ses
rapports avec sa famille, l’école, le monde associatif, son environnement général. C’est pourquoi, il
ne faut pas se focaliser sur les formes extrêmes des violations des droits de l’enfant qu’illustre de
façon emblématique l’affaire Dutroux. Elles doivent certes requérir notre attention, mais non occulter
d’autres types de violences physiques ou psychologiques qui sont infligées chaque jour aux enfants
dans des termes beaucoup moins spectaculaires, mais qui n’en sont pas moins traumatisants et qui
appellent, elles aussi, des réponses spécifiques même si elles sont moins facilement détectables. »

Bernard De Vos fut Délégué général aux droits de l’enfant en fonction de 2008 à 2023. Un important
chantier de ses mandats successifs fut la « pauvreté des enfants ». Lors de sa prise de fonction, il
entreprit une tournée en Belgique qui lui fit comprendre l’enjeu majeur de cette question dans l’ac-
cès aux droits de l’enfant : « Ce que j’ai découvert sur le terrain était édifiant, la pauvreté, c’est le
fossoyeur des droits de l’enfant, que ce soit le droit à l’éducation ou la santé. Aucun droit de la Con-
vention des droits de l’enfant ne résiste à l’épreuve de la pauvreté » 46. Durant ses mandats successifs,
le Délégué a publié deux rapports sur la pauvreté des enfants : un premier en novembre 2009 intitulé
« Rapport relatif aux incidences et aux conséquences de la pauvreté sur les enfants, les jeunes et
leurs familles » et un second intégré à son rapport d’activité 2019, intitulé « rapport pauvreté ». Le
premier rapport constitue l’assise de la démarche d’analyse de la pauvreté des enfants, tandis que
le second intègre une mise à jour des constats réalisés dix ans plus tôt et l’utilisation de nouveaux
outils de mesure de la pauvreté des enfants.

45
« Un cas d’enfant battu, de gosse violé, de mineur exploité au travail ? Il ne faudra désormais plus chercher le numéro de
téléphone de "SOS Enfants" ou frapper à toutes les portes des services d’aide à la jeunesse. Dans quelques mois, un numéro
vert devrait être installé pour répondre à toutes les questions que vous vous posez, enregistrer vos plaintes ou vos avis. À
l’autre bout du fil, un "délégué général aux droits de l’enfant" vous conseillera. La fonction a été officiellement approuvée, la
semaine dernière, par l’exécutif de la Communauté française. Il ne manque plus que la personne pour l’occuper », écrivait la
journaliste Joëlle Meskens dans le quotidien Le Soir le 18 juillet 1991.
46
Entretien accordé au périodique Le Vif publié le 27 mai 2021 : https://www.levif.be/actualite/belgique/la-jeunesse-ce-
puissant-levier-portrait-de-bernad-de-vos-delegue-general-aux-droits-de-l-enfants/article-normal-1429757.html

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 49


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Cette démarche menée par le Délégué présente deux particularités : d’une part, elle contribue à la
définition même de la notion de « pauvreté des enfants » au niveau belge francophone 47, et, d’autre
part, elle développe une méthode qualitative basée sur la participation des professionnels de l’en-
fance et des bénéficiaires des différents outils de lutte contre la pauvreté. Cette démarche contribue
à une définition non uniquement monétaire de la pauvreté par une analyse de l’expérience même
de pauvreté des enfants. Il en résulte une conception de la pauvreté élargie qui intègre la question
de l’accès à une série de « droits fondamentaux ». Dans ce premier rapport, toutefois, la définition
demeure encore floue, car elle est très fortement marquée par le dispositif développé, fondé sur un
ensemble de témoignages dont le rapport tente d’articuler une synthèse :

« La pauvreté pour l’enfant, ce n’est donc pas seulement le fait que ses parents ont peu d’ar-
gent. C’est un environnement global qui est perturbé par ces difficultés d’origine écono-
mique : la nourriture qu’il absorbe, les vêtements qu’il porte, les relations qu’il vit avec ses
parents, ses amis, sa communauté et jusqu’à l’air qu’il respire sont emprunts [sic] de cette
inégalité qui fonctionne comme un stigmate. L’avenir de l’enfant s’en trouve lourdement
compromis : les difficultés qu’il rencontre deviennent vite des handicaps insurmontables qui
complexifient encore le triste tableau. Plus grave, la pauvreté limite drastiquement la partici-
pation à la vie publique et la capacité à peser sur l’environnement public et politique. La par-
ticipation des enfants et des familles qui vivent la précarité constitue pourtant un enjeu pri-
mordial. Elle seule permet aux familles vivant dans la pauvreté de sortir des déterminismes
sociaux et économiques dans lesquels ils sont confinés et d’espérer éviter ainsi l’"abonne-
ment " intergénérationnel à la pauvreté : ce n’est que parce que celles et ceux qui vivent ces
situations difficiles, dégradantes ou humiliantes, auront la possibilité d’avancer leur propre
compréhension et leur propre expertise de celles-ci qu’ils pourront s’en sortir réellement… si
du moins il se trouve des forces sociales et politiques pour les entendre… » (Délégué général
de la Communauté française aux droits de l’enfant, 2009 : 12).

Cette définition de la pauvreté de l’enfant l’inscrit non seulement dans le manque de moyens finan-
ciers des parents, mais également dans le déterminisme de l’environnement dans lequel évolue
l’enfant. Cet environnement l’empêche d’accéder à certains droits fondamentaux : se nourrir, se vêtir,
mener des relations de qualité avec ses parents, ses amis et sa communauté, vivre dans un environ-
nement sain, participer à la vie publique. Le rapport fait de la capacité des enfants à participer aux
décisions qui les concernent un levier important de lutte contre la pauvreté, en cohérence avec ce
que nous relevions précédemment par rapport aux politiques de lutte contre la pauvreté et à l’inté-
gration d’une participation directe des publics cibles.

Dans ce rapport du Délégué général, la définition de la pauvreté de l’enfant demeure relativement


floue et peu opérationnelle au niveau politique. Elle ne fait d’ailleurs pas encore l’objet d’une qualifi-
cation précise comme celle de « pauvreté infantile », qui apparaîtra, par contre, explicitement dans
le rapport de 2019. C’est, d’ailleurs, dans ce dernier rapport qu’émergent plusieurs avancées opéra-
tionnelles, notamment parce que l’analyse peut s’appuyer sur de nouveaux travaux dédiés à la pau-
vreté des enfants en Belgique 48.

47
Le rapport de 2009 prend, notamment, comme point de départ le rapport de l’UNICEF publié en 2005 « La pauvreté des
enfants dans les pays riches », qui fait le constat d’une augmentation généralisée de la pauvreté des enfants (basée sur l’évo-
lution des revenus des parents) dans 17 pays « riches » sur 24, dont la Belgique, au cours des années 1990.
48
Notamment l’étude publiée en 2018 par la Fondation Roi Baudouin et réalisée par Anne-Catherine Guio (LISER – Luxem-
bourg Institute of Socio-Economic Research) et Franck Vandenbroucke (Université d’Amsterdam) relative à « La pauvreté et
à la déprivation des enfants en Belgique » (Guio et Vandenbroucke, 2018).

50 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.2. L’OBSERVATOIRE DE L’ENFANCE, DE LA JEUNESSE ET DE L’AIDE A LA JEU-
NESSE AU NIVEAU DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE (1998)
Un acteur majeur en matière de politique de l’enfance en Fédération Wallonie-Bruxelles est l’Obser-
vatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse (OEJAJ). L’OEJAJ a été institué par
l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 8 juin 1998 afin d’assurer la mise en œuvre
de la Convention internationale des droits de l’enfant au niveau de la Communauté française de Bel-
gique 49.

La création de l’OEJAJ visait à mettre en œuvre les articles 42 et 44 de la Convention internationale


des droits de l’enfant par lesquels les États signataires s’engagent d’une part, à une mission d’infor-
mation en faisant « largement connaître les principes et les dispositions de la présente Convention,
par des moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants » (art. 42) ; et d’autre part, à une
mission de rapportage sur la mise en œuvre de la Convention auprès du Comité des droits de l’enfant
de l’ONU par la réalisation de « rapports sur les mesures que [les États signataires] auront adoptées
pour donner effet aux droits reconnus dans la présente Convention et sur les progrès réalisés dans
la jouissance de ces droits » (art. 44). Le décret du 12 mai 2004 confie également à l’Observatoire des
missions évaluatives des politiques de l’enfance et de la jeunesse. Il joue également un rôle dans la
recherche et la collecte de données et, comme expert, dans la mise en œuvre des politiques de
l’enfance et de la jeunesse. Il élabore également des inventaires et des indicateurs relatifs à l’enfance
et à la jeunesse et aux services qui les prennent en charge. Il est doté d’un pouvoir d’avis en matière
de politique de l’enfance et de la jeunesse.

L’OEJAJ constitue l’« administration référente pour le suivi de l’application de la Convention interna-
tionale des droits de l’enfant et le rapportage aux Nations Unies ainsi que pour la mise en œuvre et
l’évaluation du plan d’action pour les droits de l’enfant » 50 en Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi
que, depuis 2013, en Wallonie, conjointement avec la Direction interdépartementale de la Cohésion
sociale du Service public de Wallonie.

Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles élabore tous les trois ans un « Plan d’actions
global relatif aux droits de l’enfant » dans les domaines de compétence de la Fédération. Ces plans
visent à intégrer les recommandations émises par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU sur la
base du travail de rapportage réalisé par l’OEJAJ et transmis à l’ONU par l’intermédiaire de la Com-
mission nationale des droits de l’enfant qui, depuis sa création en 2005, coordonne l’ensemble des
parties prenantes belges actives dans l’application de la Convention 51.

3.3. L’ENFANT PAUVRE COMME PUBLIC CIBLE DE LA POLITIQUE DES DROITS


DE L’ENFANT
3.3.1 Le Plan d’action national pour l’enfance 2005-2012
Le développement de ces actions de coordination en matière de droits de l’enfant suit les recom-
mandations réalisées par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. En effet, en 2002, dans son rap-
port d’évaluation des actions menées par la Belgique pour mettre en œuvre la Convention, « le Co-
mité reste préoccupé par l’absence de toute conception globale des droits de l’enfant et a fortiori de

49
Cet arrêté a été complété par le Décret du 12 mai 2004, qui en redéfinit les missions et l’organisation.
50
Voir le site de l’Observatoire : https://oejaj.cfwb.be/qui-sommes-nous/nosmissions/
51
Depuis la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant, la Belgique a reçu quatre « observations finales »
du Comité des droits de l’enfant de l’ONU sur la base des rapports transmis par le Gouvernement belge, en 1995, 2002, 2010
et 2019.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 51


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
toute concrétisation d’une telle conception sous forme de plan d’action national » 52. Cette préoccu-
pation du Comité donnera lieu à la mise en place en 2005 du « Plan d’action national pour l’enfance
2005-2012 ». Ce plan constitue un tournant dans l’institutionnalisation des politiques de l’enfance en
Belgique, en tentant d’établir une structure de gouvernance de ces politiques à l’échelon belge pour
veiller à satisfaire aux contraintes de rapportage et de coordination demandés par l’ONU, mais aussi
en proposant une série de priorités d’actions communes aux différents niveaux de pouvoir et en
articulant l’ensemble des politiques mises en place en matière d’enfance en Belgique. Parmi ces
priorités d’action, la pauvreté des enfants occupe une place majeure.

Le Plan d’action national pour l’enfance 2005-2012 adopté en Belgique, suite aux recommandations
du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, positionne comme deuxième objectif : « Éliminer la pau-
vreté : miser sur les enfants ». Le plan n’utilise pas la notion de « pauvreté infantile » telle qu’elle est
largement employée aujourd’hui. Cet objectif du plan se contente de partir du constat que la Bel-
gique demeure touchée par une pauvreté constante, une précarité croissante et des phénomènes
d’exclusion sociale « auxquels n’échappent pas les enfants » (p. 14). Dans cette perspective, le plan
se limite à énumérer les politiques menées en Communauté française et en Région wallonne qui
luttent préventivement contre la pauvreté des enfants : « Au sein des Communautés, l’aide à la jeu-
nesse, la promotion de la santé, l’aide aux détenus, l’enfance, l’enseignement, la culture, la jeunesse
et le sport sont autant de secteurs qui participent à la prévention des exclusions les plus diverses et
ont une fonction essentielle d’intégration sociale et d’élimination de la pauvreté chez les enfants. En
Région wallonne, diverses mesures de prévention contre la pauvreté et l’exclusion sociale ainsi que
des mesures en faveur des personnes en difficulté sociale, des étrangers et des gens du voyage
bénéficient indirectement aux enfants » (p. 14).

Le plan souligne que des projets seront développés en matière de prévention : « La Communauté
française vise à assortir ses politiques d’intégration et d’éducation des jeunes d’un développement
de politiques préventives afin d’éviter la reproduction du cycle de la pauvreté chez les enfants et
leur famille » (p. 14) et énumère quelques activités et initiatives en ce domaine telles la discrimination
positive en matière de décrochage scolaire, ou l’intervention de professionnels dans le milieu de vie
plutôt que l’éloignement du jeune en difficulté.

Le plan souligne également des projets plus spécifiques en matière de politiques de lutte contre la
pauvreté. Il évoque à ce sujet quelques mesures menées en matière de taxes et de fiscalité diffé-
renciées pour les bas revenus, un travail spécifique sur la prévention de l’endettement, ainsi que le
relogement des personnes vivant à l’année en campings résidentiels. La question de la prévention
de la mendicité chez les jeunes est également abordée au niveau de l’information : « la Communauté
française entend mettre en place des actions concrètes de sensibilisation, d’information et de formation à
l’attention des autorités et intervenants en contact direct avec la population concernée et d’approfondir la
recherche en ce qui concerne la scolarité des enfants mendiants, conçue comme un vecteur d’intégration
essentiel pour les enfants » (p. 17). La protection pénale des mineurs est également abordée à travers
l’évocation d’un projet de loi visant à la répression des adultes faisant mendier des mineurs.

Ces mesures apparaissent, pour le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, insuffisantes. En effet, dans son
évaluation du plan, le Comité apparaît particulièrement critique tant sur la structure du plan que sur la
façon dont il envisage la lutte contre la pauvreté des enfants. Sur la question de la pauvreté, le Comité
« invite instamment l’État partie ß prendre toutes les mesures voulues pour donner suite aux recomman-
dations qu’il a formulées dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique de l’État partie
et qui n’ont pas encore été suivies d’effet, ou pas suffisamment, notamment celles qui ont trait ß la

52
Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Belgium. 13/06/2002 :
https://oejaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/Hors_PublicationsTravaux/Documents/CIDE/Observations_CRC/re-
commandations_texte_definitif-2.pdf

52 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
coordination, ` ̀ la collecte de données, ` ̀ la discrimination ` ̀ l’encontre des enfants vivant dans la pauvretè́
[…] » 53. En outre, de façon globale, le Comité « regrette vivement que ses recommandations […] relatives ß
un Plan d’action national en faveur de l’enfance n’aient pas d́td́ appliquées. Il est préoccupè́ de constater
notamment que le Plan d’action national pour l’enfance 2005-2012 ne contient ni objectifs, ni buts, ni indi-
cateurs, ni calendriers précis et qu’il ne prévoit ni mécanisme pour suivre les progrès accomplis sur la voie
de la réalisation des objectifs ni budget spécifique. Étant donnd́ la nécessitè́ de mettre en place des poli-
tiques visant ` ̀ réduire la pauvretè́ et d’autres disparités dans le pays qui affectent directement les enfants,
le Comitè craint également que le cadre général et les structures de planification de la politique de dé-
veloppement de l’État partie ne prennent pas en considération le Plan d’action national en faveur de l’en-
fance » 54.

Nonobstant ces observations cinglantes des instances de l’ONU, il faut souligner que ce premier plan
belge dédié spécifiquement aux droits de l’enfant intègre très explicitement dans le champ des politiques
de l’enfance la question de la « pauvreté ». La pauvreté des enfants (qui deviendra au fil du temps la
« pauvreté infantile ») apparaît, néanmoins – même si c’est encore imparfaitement, à en croire le Co-
mité des droits de l’enfant de l’ONU – à partir de ce moment comme un « problème public » 55, c’est-
à-dire comme objet d’une intervention publique spécifique, problème qui, par injonction du Comité,
tend à s’inscrire à l’« agenda politique » puisqu’est requise de la part de la Belgique la mise en place
d’une « véritable » politique dotée d’objectifs, de budgets dédiés et d’indicateurs de mesure.

La prise en compte de la question de la « pauvreté des enfants » dans les politiques de l’enfance en
Belgique francophone semble avoir pris un tournant en 2010, lors de la publication d’un document
de l’OEJAJ intitulé « Les droits de l’enfant en Belgique : quelles sont les obligations de l’État ? ». Ce
document est issu d’un séminaire organisé par l’Observatoire et rassemblant des experts acadé-
miques des droits de l’homme.

La particularité de ce document est d’initier une nouvelle approche de la mise en œuvre de la Con-
vention internationale des droits de l’enfant. En effet, il propose d’orienter le travail de mise en œuvre
vers une information autour de l’État et de ses obligations plutôt que vers la sensibilisation des pu-
blics adultes et mineurs concernés par la Convention : « Il ne s’agit pas de mieux faire connaître ou
comprendre, aux adultes ou aux enfants, les droits ou leurs droits et la manière de les exercer (article
42 de la CIDE). Il s’agit de mieux faire connaître et comprendre, et donc de mieux faire endosser, les
obligations de l’État partie d’assurer la pleine effectivité des droits » (OEJAJ, 2010 : 5).

Cette manière d’approcher la mise en œuvre de la Convention n’est certainement pas étrangère aux
recommandations émises par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU évoquées précédemment.
En outre, cette nouvelle orientation dans les travaux de l’OEJAJ résulte également d’un constat ap-
puyé sur le rapport de 2009 du Délégué général aux droits de l’enfant dédié à la pauvreté des en-
fants : malgré l’existence de la Convention depuis la fin des années 1980 et malgré son entrée en
vigueur en Belgique depuis 1992, les constats faits en 2010 sur la situation des enfants belges ne
traduisent pas, pour l’OEJAJ, l’effectivité de tels droits pour l’ensemble des enfants. Il subsiste d’im-
portantes inégalités dans l’accès à ces droits liées aux situations de pauvreté. Pour l’Observatoire, les
statistiques sur la situation de pauvreté des enfants sont accablantes : « 12 % d’enfants vivent en

53
Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Examen des rapports prèsentès par les Ètats parties en application de l’article 44 de
la Convention. Observations finales : Belgique, Cinquante-quatrième session 25 mai-11 juin 2010, p. 2. https://oe-
jaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/Hors_PublicationsTravaux/Documents/CIDE/Observations_CRC/CO_CIDE_ver-
sion_officielle_FR.pdf
54
Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Examen des rapports prèsentès par les Ètats parties en application de l’article 44 de
la Convention. Observations finales : Belgique, Cinquante-quatrième session 25 mai-11 juin 2010, p. 3. https://oe-
jaj.cfwb.be/fileadmin/sites/oejaj/uploads/Hors_PublicationsTravaux/Documents/CIDE/Observations_CRC/CO_CIDE_ver-
sion_officielle_FR.pdf
55
Par « problème public », nous entendons l’apparition au sein de l’espace public de faits sociaux qui font l’objet de débats et
de controverses et qui appellent à une « intervention publique lègitime sous la forme d’une dècision des autoritès publiques »
(Garraud, 2004 : 50).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 53


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Belgique dans des familles sans revenus du travail, un élève francophone sur cinq est en retard
scolaire en primaire, un élève sur deux en secondaire, près de 50 % des jeunes belges de 15 à 17 ans
ne participent pas à des activités sportives, récréatives ou artistiques » (OEJAJ, 2010 : 5). Ces constats
sont très préoccupants pour l’OEJAJ qui voit, de plus, une forte dégradation de la situation générée
par la crise économique de 2008 : « Tous les services sociaux tirent la sonnette d’alarme : la pauvreté
s’étend, les familles ne savent plus où aller et les services de première ligne sont engorgés. De nom-
breux enfants, en Belgique, souffrent de la pauvreté, ce qui entraîne concomitamment la violation
des droits fondamentaux des enfants et des jeunes. Cette situation précaire a connu une accélération
avec la crise économique mondiale qui sévit depuis plus d’un an » (OEJAJ, 2010 : 8).

Face à ces constats, l’Observatoire souligne qu’il est impératif de mettre en place une action pu-
blique qui permette aux enfants de pleinement jouir de leurs droits économiques, sociaux et cultu-
rels, c’est-à-dire, aux termes de la Convention, que l’État garantisse les droits suivants : « droit à la
santé, droit à la sécurité sociale, droit à un niveau de vie suffisant (incluant le droit au logement),
accès à la culture et, bien sûr, droit à l’éducation » (OEJAJ, 2010 : 8). Il s’agit, pour l’Observatoire, d’une
obligation de l’État qui se justifie par plusieurs principes centraux dans la Convention : « l’intérêt su-
périeur de l’enfant, la non-discrimination, la survie et le développement de l’enfant et la participation
de l’enfant aux décisions qui le concernent » (OEJAJ, 2010 : 9).

Cette nouvelle approche a pour conséquence de mettre au centre des débats sur l’application de la
Convention internationale des droits de l’enfant en Communauté française l’enjeu de « la pauvreté
des enfants ». En effet, l’une des principales recommandations du document est de focaliser l’action
sur un nouveau public encore absent comme tel des politiques de l’enfance, « les enfants pauvres » :
« Il est suggéré que dans l’ensemble des actions, mesures, programmes et politiques publiques
consacrant les droits économiques, sociaux et culturels des enfants, les enfants pauvres soient une
cible spécifique et prioritaire » (OEJAJ, 2010 : 20). Cette approche sera actée par les Plans d’action en
matière des droits de l’enfant qui seront développés au cours des années 2010 tant au niveau de la
Fédération Wallonie-Bruxelles que de la Wallonie.

3.3.2 Les Plans d’action en matière de droits de l’enfant au niveau wallon (2011)
Au niveau wallon, la présidence commune de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles par
Rudi Demotte 56 à partir de 2009 généra un changement important : sous cette présidence conjointe
des deux entités fédérées, furent en effet mis en place des Plans d’action en matière de droits de
l’enfant (PADE) au niveau de la Région wallonne pour les compétences qui lui sont propres (loge-
ment, action sociale, santé, numérique, transport, infrastructures sportives). La Direction interdépar-
tementale de la cohésion sociale (DiCS) du Service public de Wallonie a eu la charge d’assurer le
suivi et la mise en œuvre du PADE wallon en concertation avec toutes les parties prenantes.

En outre, la coordination entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Wallonie fut renforcée en ma-


tière de droits de l’enfant à partir de novembre 2013 par un accord de coopération. Depuis lors, l’OE-
JAJ collabore avec la DiCS. Cette collaboration suppose que l’OEJAJ puisse intervenir pour évaluer
les plans mis en place en Wallonie. Cette collaboration permet également une coordination entre la
Wallonie et la Fédération Wallonie-Bruxelles dans l’élaboration des PADE de chacune des entités
fédérées.

Trois plans ont été mis en place en Wallonie depuis leur intégration aux politiques wallonnes : le
PADE 2011-2014, le PADE 2016-2019 et le PADE 2020-2024. Ces plans s’organisent autour de trois
axes 57 : un axe « gouvernance et pilotage des politiques publiques », un axe

56
Rudi Demotte (PS) fut conjointement chef des Gouvernements (Ministre-Président) de la Fédération Wallonie-Bruxelles et
de la Wallonie entre 2009 et 2014.
57
Voir le site de la DICS du SPW dédié au PADE : http://cohesionsociale.wallonie.be/actions/PADE

54 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
« communication/information/formation » et un axe « accès aux droits/lutte contre les inégalités ».
Ces PADE intègrent explicitement la question de la lutte contre la « pauvreté infantile », qui y devient
un objet spécifique d’action publique – alors que, comme nous l’avons vu, cet objet demeurait en-
core faiblement circonscrit jusqu’alors. Le PADE 2016-2019 positionne comme premier objectif stra-
tégique de l’axe « accès aux droits » la lutte contre la pauvreté infantile. Celle-ci est organisée autour
de deux objectifs opérationnels : (1) promouvoir l’accès à des milieux d’accueil de qualité́ pour tous
les enfants et (2) assurer un niveau de vie suffisant et des conditions de vie décente aux familles et
enfants.

3.3.3 Le rapport relatif à la pauvreté du Délégué général aux droits de l’enfant (2019)
Le rapport relatif à la pauvreté des enfants publié en 2019 par le Délégué général aux droits de l’en-
fant marque un nouveau tournant dans la façon dont ce « problème public », à l’agenda depuis à
peine une dizaine d’années, est pensé comme tel.

Ce rapport propose, en effet, un cadre spécifique d’action publique contre la pauvreté des enfants.

Le rapport se fonde en grande partie sur les recommandations du Comité des droits de l’enfant de
l’ONU. Il épingle plusieurs éléments mis en exergue par le Comité.

Tout d’abord, la nécessité de « mettre en œuvre une stratégie globale de lutte contre la pauvreté
des enfants qui soit fondée sur les droits et accompagnée d’un ensemble d’indicateurs mesurables
et assortis d’échéances ». Cet élément, déjà identifié tel quel dans les recommandations du Comité
de 2010, est mis en exergue dans le rapport du Délégué général aux droits de l’enfant.

Cette politique doit s’appuyer, ensuite, sur une approche spécifique du budget de l’État qui doit per-
mettre la mise en place d’un système d’évaluation et de reddition de comptes 58, mais aussi la défi-
nition de postes budgétaires spécifiquement dédiés aux enfants, en particulier les enfants défavori-
sés et protégés en cas de crise ou de situation d’urgence.

Enfin, cette politique doit permettre de façon effective la protection de certains droits de l’enfant. La
garantie de jouissance d’un droit à un logement convenable est vue comme une priorité. Un autre
point important souligné par le Comité et relayé dans le rapport du Délégué est la réforme du sys-
tème de prestations sociales « pour tous les enfants et toutes les familles défavorisées » afin que
ces prestations permettent à leurs bénéficiaires d’avoir un « niveau de vie décent », mais aussi que
la diversité des situations familiales puisse être prise en compte dans l’octroi et le calcul de ces allo-
cations pour éviter toute discrimination. Une autre priorité touche à l’accès à l’éducation qui demeure
très inégalitaire et peu favorable à l’intégration des enfants issus de familles pauvres et/ou de l’im-
migration, non seulement en raison du coût de la scolarité (les frais de scolarité doivent, pour le
Comité, être supprimés), mais aussi en raison des différentes formes d’exclusion de l’enseignement
général.

Sur la base de ces principes, le rapport établit une liste de recommandations. Ces recommandations
s’inscrivent dans un cadre général qui conçoit la politique de lutte contre la pauvreté des enfants
comme un sous-ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté, et non comme une concur-
rente. La justification proposée à cette articulation, mais aussi à la délimitation d’un nouvel ensemble

58
Elle doit permettre, selon les termes des recommandations relayés dans le rapport, de mettre en place « un système de
suivi de l’allocation et de l’emploi des ressources destinées aux enfants pour l’ensemble du budget ». Ce système de suivi
devrait appuyer la réalisation d’« évaluations d’impact mettant en évidence la façon dont les investissements réalisés dans un
secteur donné peuvent servir l’intérêt supérieur de l’enfant […] ». Ce budget doit, en outre, être élaboré de façon participative
et mettre en place une logique de reddition de comptes de la part des autorités locales : les pouvoirs publics doivent, pour le
Comité, « veiller à ce que l’établissement du budget soit transparent et participatif grâce à un dialogue avec la population,
notamment avec les enfants, et à ce que les autorités locales rendent dûment compte de leurs actions ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 55


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
de mesures en matière de lutte contre la pauvreté infantile, est particulièrement utile à mentionner
dans le cadre de la réflexion menée dans ce projet prospectif. Comme l’indique le Délégué :

« si ce sont bien les parents qui vivent en situation de pauvreté, et, par conséquent, qui de-
vraient être la cible prioritaire de politiques susceptibles d’améliorer notamment leur situation
socio-économique, [le Délégué] est convaincu qu’agir aussi là où ces mauvaises conditions
touchent aux droits des enfants et des jeunes peut être de nature à améliorer sensiblement
leur développement et leur bien-être. Déterminer ces atteintes à hauteur d’enfant, prendre
chaque article de la Convention et évaluer l’ampleur des dégâts en termes d’accès à l’édu-
cation, aux soins de santé, à la culture, aux loisirs, aux sports, à une protection… peut per-
mettre de recommander des mesures concrètes susceptibles d’alléger la gestion des pa-
rents et le quotidien des enfants. Car, s’il y a bien une chose qui ne peut pas être enlevée à
ces parents, c’est leur volonté tenace de protéger, vite et durablement, leurs enfants de leur
pauvreté. » 59
La politique de lutte contre la pauvreté infantile trouve, dans cette définition du Délégué, une signi-
fication et une portée particulières : il s’agit de développer une action spécifique visant à permettre
aux enfants d’accéder à leurs droits dans le but d’« alléger la gestion des parents » et de permettre
aux enfants de ressentir un certain bien-être quotidien. Les optiques des deux ensembles politiques
sont donc, dans cet esprit, complémentaires.

Les recommandations issues de l’analyse du Délégué s’organisent autour de trois axes :


1. Le revenu. Il est nécessaire, pour le Délégué, de garantir une protection des allocations familiales
en cas de médiations de dettes et d’assurer aux parents des revenus permettant à l’enfant de
conserver un bien-être quotidien.
2. L’accès aux infrastructures fondamentales au bien-être et à la vie en société. Il est nécessaire
pour le Délégué de garantir cet accès par différentes mesures :
− la gratuité réelle de l’enseignement ainsi que la mise en place de logiques financières in-
clusives pour les familles en difficulté face au paiement des frais scolaires ;
− la garantie de qualité égale des infrastructures pour toutes les filières d’enseignement (gé-
néral, professionnel, technique, spécialisé) ;
− la gratuité des transports en commun ;
− la garantie d’une couverture équitable de l’offre de mobilité sur l’ensemble du territoire ;
− la facilitation de l’accès au logement ;
− la garantie d’un accès physique et financier aux soins de santé et à la couverture assurance
maladie-hospitalisation ;
− la garantie d’accès à un système de garde de qualité pour l’ensemble des enfants en bas
âge ;
− la garantie d’accès au numérique tant au niveau technique (connexion Internet, dispositif
informatique) qu’au niveau des compétences (formation aux outils bureautiques, plate-
formes, navigateurs…).
3. L’accompagnement personnalisé de publics spécifiques. Pour le Délégué, il est nécessaire de
mettre en place une logique d’accompagnement individualisé et adapté pour le public des
jeunes, notamment pour l’accès au logement et l’automaticité de leurs droits ; mais aussi pour
les jeunes mères, notamment pour leur garantir un secours matériel adapté aux situations pré-
et postnatales. Un autre public important pour le Délégué est celui des « enfants migrants » pour
lequel il estime qu’il est nécessaire d’individualiser et d’automatiser les droits économiques et
sociaux.

59
Rapport DGDE 2019, p. 23.

56 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. La pauvreté des enfants comme objet statis-
tique
4.1. DES INDICATEURS EUROPÉENS DE MESURE DE LA PAUVRETÉ DES EN-
FANTS
La mesure de la pauvreté des enfants a connu d’importantes évolutions à partir de 2009 au niveau
européen, évolutions qui conduisirent à l’adoption de plusieurs textes européens spécifiquement
dédiés à la pauvreté des enfants au cours des années 2010 60.

En 2009, est introduit au sein de la base de données européenne SILC (Statistics on Income and
Living Conditions) – principale source statistique en matière d’analyse de la pauvreté construite à
partir d’un questionnaire – un module spécifique dédié aux déprivations des enfants (Guio et al., 2017).
Cette introduction permet la production de nouvelles données qui ont débouché sur des analyses
complexes de la situation de pauvreté des enfants. Elles se sont basées sur une liste de dix-huit
items permettant de caractériser les formes de déprivation dont peuvent souffrir les enfants : treize
de ces items sont spécifiques aux enfants et cinq relèvent du ménage dont ils font partie.

Les dix-huit items considérés sont les suivants :

1. Enfant : Quelques habits neufs (pas de deuxième main)


2. Enfant : Deux paires de chaussures de la bonne pointure
3. Enfant : Fruits et légumes frais chaque jour
4. Enfant : Viande, poulet, poisson ou équivalent végétarien chaque jour
5. Enfant : Livres à la maison adaptés à l’âge de l’enfant
6. Enfant : Équipements de loisirs extérieurs
7. Enfant : Jeux d’intérieur
8. Enfant : Un endroit adapté à la réalisation des devoirs scolaires
9. Enfant : Activités régulières de loisirs
10. Enfant : Célébrations d’occasions spéciales
11. Enfant : Invitation d’amis à venir jouer et manger de temps en temps
12. Enfant : Participation à des excursions et fêtes scolaires
13. Enfant : Vacances
14. Ménage : Remplacement de mobilier usé
15. Ménage : Absence d’arriérés de paiement
16. Adultes dans le ménage : Accès à Internet
17. Ménage : Logement adéquatement chauffé
18. Ménage : Accès à une voiture pour usage privé
En mars 2018, l’Union européenne adopte officiellement dix-sept de ces items (l’item 8 « un endroit
adapté à la réalisation des devoirs scolaires » n’étant pas retenu) comme outils de mesure de l’état
de pauvreté des enfants au niveau européen.

60
D’après Guio et al., un mouvement de reconnaissance de la « pauvreté des enfants » comme problème public s’est construit
à l’échelon européen dès le début des années 2000, à la suite de développements connus au niveau international sous l’im-
pulsion de l’UNICEF : « The fight against child poverty and social exclusion and the importance of investing in children’s well-
being has been high on the EU policy agenda for more than a decade. A first significant step was the independent report on
Taking forward the EU Social Inclusion Process, commissioned by the EU Luxembourg Presidency in the first half of 2005 […].
This report stressed the need for “children mainstreaming” and suggested a specific approach to child wellbeing at EU level.
It also argued that simple age group breakdowns of EU social indicators were insufficient to adequately capture the multidi-
mensional nature of poverty and social exclusion of children – child-specific measures are needed. Following this recom-
mendation, the EU Social Protection Committee (SPC) decided to reserve a slot for (at least) one indicator on “child wellbeing”
in the EU portfolio of social protection and social inclusion indicators and to set up an EU Task-Force on Child Poverty and
Child Well-Being. The report of this Task-Force and its 15 recommendations were endorsed by the European Commission
and all EU countries in 2008 […]. Another step forward was taken in February 2013, when the European Commission published
a Recommendation on “Investing in children, breaking the cycle of disadvantage”, which was also endorsed by all EU Member
States a few months later […] » (Guio et al., 2017 : 836).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 57


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4.2. PREMIÈRE ANALYSE STATISTIQUE DE L’ÉTAT DE LA PAUVRETÉ DES EN-
FANTS EN BELGIQUE (2018)
En 2018, Anne-Catherine Guio et Franck Vandenbroucke réalisent pour le compte de la Fondation
Roi Baudoin une étude intitulée : « La pauvreté et la déprivation des enfants en Belgique. Comparai-
son des facteurs de risque dans les trois Régions et les pays voisins » (Guio et Vandenbroucke, 2018).

Cette étude établit plusieurs constats sur la question en Belgique, dresse une analyse des détermi-
nants de la pauvreté des enfants au niveau national et propose une série de recommandations poli-
tiques.

4.2.1 Analyse statistique de la pauvreté des enfants en Belgique


D’après cette étude, le taux de déprivation des enfants est d’environ 15 % en Belgique, ce qui posi-
tionne le pays à un niveau semblable à celui de la France. La Belgique présente, toutefois, une si-
tuation de pauvreté des enfants plus grave que dans celle des pays voisins. Un enfant est considéré
comme faisant face à une situation de déprivation quand il est privé, pour des raisons financières,
d’au moins trois des dix-sept items du module de la base de données SILC. Cet état de pauvreté
varie également fortement d’une région à l’autre, les enfants wallons étant particulièrement touchés
par la pauvreté par rapport aux enfants flamands : « Cette moyenne belge recouvre de fortes dispa-
rités entre Régions : le taux d’enfants privés d’au moins trois items est de 29 % à Bruxelles, 22 % en
Wallonie et 8 % en Flandre. » (p. 7)

Lorsque l’on s’inquiète de connaître la proportion d’enfants qui est privée de quatre des dix-sept
items, la Belgique présente un taux très supérieur (12 %) à ceux des pays voisins ainsi que de la
France : « 12 % des enfants sont privés d’au moins quatre items en Belgique, alors que cette propor-
tion se situe entre 7 et 9 % aux Pays-Bas, en Allemagne et en France et n’est que de 2 % au Luxem-
bourg. » (p. 7)

4.2.2 Analyse des déterminants de la pauvreté des enfants


Pour les auteurs, la pauvreté des enfants analysée sous l’angle des déprivations matérielles et so-
ciales est principalement liée à trois types de déterminants : (1) les ressources du ménage, c’est-à-
dire son revenu disponible, mais aussi l’emploi, la formation ou l’état d’endettement ; (2) les besoins
du ménage, c’est-à-dire les différentes dépenses qu’il expose en matière de logement ou de santé,
par exemple ; (3) la composition démographique du ménage (les familles monoparentales s’expo-
sent davantage au risque de pauvreté).

Ils indiquent néanmoins que le niveau de richesse d’un pays a également d’importants effets sur la
situation de pauvreté. En effet, d’après eux, un pays « plus riche », c’est-à-dire au PIB plus élevé, offre
davantage de soutien aux plus défavorisés à travers, par exemple, la qualité et l’accessibilité finan-
cière des systèmes d’éducation, de garde d’enfants, de santé et de transport public.

Les auteurs soulignent par ailleurs que tout élément qui affecte le revenu du ménage de façon struc-
turelle ou, à tout le moins dans la longue durée, a un impact important sur l’état de déprivation des
enfants. Chômage de longue durée, faible qualification des parents, famille monoparentale, état de
locataire du logement, endettement important, problèmes de santé chroniques : ces facteurs pris
individuellement ou cumulés affectent de manière décisive la situation de pauvreté matérielle et
sociale des enfants.

4.2.3 Recommandations de l’étude


Les recommandations de l’étude s’ancrent dans la Convention internationale des droits de l’enfant
et dans les recommandations livrées par le Comité de l’ONU aux droits de l’enfant en 2017, en

58 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
insistant sur la nécessité de mettre en place des « plans globaux » permettant de développer une
politique intégrée de lutte contre la pauvreté des enfants. Les auteurs insistent, en outre, sur le rôle
important des pouvoirs locaux dans cette politique en raison de leur proximité avec les publics pré-
carisés. Pour les auteurs ces plans doivent comporter des mesures qui permettent de lutter effica-
cement contre ces déprivations. Les auteurs proposent six secteurs d’action prioritaires :

• l’emploi, en réduisant les charges fiscales et sociales afin de réduire les coûts salariaux et
d’augmenter les revenus nets, mais aussi en investissant dans le développement de l’éco-
nomie sociale ;
• le niveau de vie, en revalorisant les revenus de remplacement et les allocations sociales des
familles précarisées, notamment à travers la réforme des allocations familiales (encore en
cours au moment de la réalisation de l’étude) ;
• le logement, en développant l’offre de logements sociaux, en soutenant l’essor des agences
immobilières sociales et en renforçant les primes à la location ;
• la petite enfance, en investissant dans le développement des services d’accueil pour les
rendre abordables, de qualité et par des règles d’accès donnant priorité aux publics défavo-
risés ;
• le développement de services publics et sociaux accessibles ;
• en réinvestissant le rôle social de l’école, par une ouverture sur la communauté locale et par
des actions visant à lutter contre les différentes formes de déprivation : alimentaire, soutien
scolaire, frais scolaires, activités extrascolaires…

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 59


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
5. La pauvreté « infantile » comme paradigme
d’action publique
5.1. LA GARANTIE EUROPÉENNE POUR L’ENFANCE
À partir de 2017, le cadre international dans lequel s’inscrivent la Wallonie et la Fédération Wallonie-
Bruxelles pour la conduite de leurs actions en matière de lutte contre la pauvreté infantile a connu
une nouvelle évolution.

Lors du sommet européen de Göteborg sur les droits sociaux le 17 novembre 2017, le Conseil de
l’Union européenne, le Parlement européen et la Commission européenne ont adopté conjointe-
ment le « socle européen des droits sociaux ». Ce socle commun aux pays de l’Union européenne
définit vingt principes répartis en trois thèmes : (1) l’égalité des chances et l’accès au marché du tra-
vail, (2) des conditions de travail équitables, (3) protection et inclusion sociales. Ce socle intègre dans
son troisième chapitre un principe spécifiquement dédié à l’enfance, le principe 11, intitulé « Accueil
de l’enfance et aide à l’enfance ». Ce principe établit une protection spécifique des enfants vis-à-vis
de la pauvreté : « Les enfants ont droit à des services d’éducation et d’accueil de la petite enfance
abordables et de qualité. Les enfants ont droit à la protection contre la pauvreté. Les enfants de
milieux défavorisés ont le droit de bénéficier de mesures spécifiques visant à renforcer l’égalité des
chances » 61.

L’adoption de ce principe au sein du socle commun de droits sociaux au niveau européen en 2017 a
mené au développement d’une action spécifique en matière de protection des droits de l’enfant.
Cette action se décline en deux volets : une stratégie européenne en matière de droits de l’enfant et
la « garantie européenne pour l’enfance ». Il s’agit, d’une part, de développer un cadre d’action pu-
blique au niveau de l’Union européenne pour assurer la protection des droits de l’enfant et, d’autre
part, de garantir un accès aux services/droits fondamentaux pour les enfants en situation de pau-
vreté.

La stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant 62 a été adoptée par la Commission européenne le 24
mars 2021. Elle comporte sept axes : (1) participation à la vie politique et démocratique, (2) inclusion
socio-économique, santé et éducation, (3) lutte contre la violence à l’égard des enfants et protection
de l’enfant, (4) une justice adaptée aux enfants, (5) société numérique et de l’information, (6) dimen-
sion mondiale de la protection de l’enfance, (7) intégrer la perspective de l’enfant dans toutes les
actions de l’UE. L’axe 2 vise plus spécifiquement au développement de la lutte contre la pauvreté en
spécifiant « une Union qui se bat contre la pauvreté des enfants et promeut des sociétés inclusives
et bienveillantes à l’égard des enfants, ainsi que des systèmes sanitaires et éducatifs adaptés à ces
derniers » (p. 6).

La lutte contre la pauvreté conçue dans la stratégie vise à garantir aux enfants européens une « éga-
lité des chances ». Plusieurs constats sont relayés dans la stratégie pour étayer la nécessité d’une
action, vu les inégalités existantes en Europe.

Tout d’abord, la stratégie prend en compte le rôle de la structure familiale comme déterminant-clé
de l’état de pauvreté des enfants, mais aussi la localisation géographique ou la situation d’immigra-
tion : « le risque de pauvreté des enfants élevés par un seul parent ou dans des familles de plus de

61
Voir : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people/jobs-growth-and-in-
vestment/european-pillar-social-rights/european-pillar-social-rights-20-principles_fr
62
Voir : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/ds0821040frn_002.pdf

60 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
trois enfants, vivant dans des zones rurales et parmi les plus reculées de l’UE, ou issus de l’immigra-
tion ou de la communauté rom, est jusqu’à trois fois plus élevé que celui des autres enfants » (p. 7).

La stratégie acte également que le niveau d’éducation des parents joue un rôle important dans l’état
de pauvreté des enfants : « La moitiè environ des enfants dont les parents ont un faible niveau d’édu-
cation sont exposés au risque de pauvretè́ ou d’exclusion sociale, contre moins de 10 % des enfants
dont les parents ont un niveau d’éducation élevè́ » (p. 7).

Enfin, le document reconnaît le rôle du revenu des parents dans l’accès au logement : « Les enfants
issus de familles à faibles revenus sont exposés au risque le plus élevé de privation grave de loge-
ment ou de surpopulation et sont davantage exposés au sans-abrisme » (p. 7).

Sur cette base, la stratégie européenne prône la mise en place d’une « garantie européenne pour
l’enfance ». Il s’agit de mesures spécifiques adressées aux enfants exposés au risque de pauvreté ou
à celui d’exclusion sociale : « Cette proposition recommande aux États membres de garantir aux en-
fants dans le besoin un accès à des services essentiels de qualité : structures d’éducation et d’accueil
de la petite enfance, scolarisation (avec participation aux activités parascolaires), soins de santé, ali-
mentation et logement » (p. 7). Cette garantie constitue donc, sur la base de cette stratégie, une
orientation importante pour les politiques menées au niveau des États membres dans la lutte contre
la pauvreté infantile : accès à l’éducation et à l’enseignement, accès aux activités parascolaires, ac-
cès aux infrastructures d’accueil pour les enfants en bas âge, accès aux soins de santé, accès à une
alimentation de qualité et accès au logement.

Cette « garantie européenne pour l’enfance » a été officiellement adoptée par le Conseil de l’Union
européenne 63 le 14 juin 2021. Elle se fonde sur une analyse détaillée de la question de la pauvreté
infantile et en particulier d’une spécification particulière du public destinataire de l’action, « les en-
fants dans le besoin » (children in need) 64. Pour la Commission européenne, les destinataires de la
« garantie européenne pour l’enfance » recouvrent sept catégories spécifiques d’enfants :

1. des enfants à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale définis comme des enfants vivant
des situations qui combinent trois éléments : la pauvreté de revenu pour le ménage, la dé-
privation matérielle sévère et la vie dans un ménage à faible intensité de travail ;
2. des enfants sans-abris ;
3. des enfants souffrant d’un handicap ;
4. des enfants vivant une situation migratoire ;
5. des enfants issus de minorités ethniques ou raciales ;
6. des enfants placés en instituts de soin ou de garde ;
7. des enfants vivant dans des situations de famille précaires : vivant dans des familles mono-
parentales, vivant avec un parent souffrant d’un handicap, vivant dans un ménage où une ou
plusieurs personnes souffrent de problèmes de santé mentale ou de maladie de longue du-
rée, vivant dans un ménage dont certains membres sont toxicomanes, vivant dans un État
différent de celui de ses parents, dont la mère est mineure ou étant eux-mêmes mères mi-
neures, ayant un parent emprisonné.

63
Plus précisément par l’EPSCO (Employment, Social Policy, Health and Consumer Affairs Council) : organe du Conseil de
l’Union européenne composé des ministres chargés de l’emploi, des affaires sociales, de la santé et de la protection des
consommateurs de tous les États membres de l’UE ainsi que des membres de la Commission européenne compétents pour
ces matières. L’ESPCO a pour mission « d’augmenter les niveaux d’emploi et d’améliorer les conditions de vie et de travail,
tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine et des consommateurs dans l’UE », voir :
https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/configurations/epsco/
64
Voir le document de la Commission européenne « Commission Staff Working Document Accompanying the document
Proposal for a Council Recommendation establishing a European Child Guarantee » du 24 mars 2021 : https://ec.eu-
ropa.eu/social/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=10024&furtherNews=yes

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 61


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
La garantie européenne pour l’enfance a pour principal objectif de « briser le cercle vicieux intergé-
nérationnel de la pauvreté et de l’exclusion sociale » 65. Ce cercle vicieux est défini par cinq éléments
jouant un rôle déterminant dans la reproduction sociale de la pauvreté. D’après la Commission, (1)
l’exclusion sociale connue par les enfants destinataires de l’action a (2) des effets pervers sur les
résultats scolaires et la santé des enfants qui le conduisent (3) au décrochage scolaire. Ce décro-
chage le mène, adulte, vers un (4) chômage de longue durée qui le plonge (5) dans une situation de
pauvreté.

Afin de sortir de ce cercle vicieux, la Commission recommande aux États membres de l’Union euro-
péenne de garantir un « accès gratuit et effectif » aux enfants dans le besoin à quatre droits/ser-
vices :

1. aux structures d’éducation et d’accueil de la petite enfance ;


2. à la scolarisation et aux activités périscolaires ;
3. à au moins un repas sain chaque jour à l’école ;
4. aux soins de santé.

Elle recommande, en outre, la garantie d’un accès effectif (mais non gratuit) à une alimentation saine
et à un logement adéquat.

Afin de permettre la mise en œuvre de ce mécanisme, l’Union européenne prévoit un financement


spécifique à travers le European Social Fund Plus (ESF +). Ce fonds européen constitue un budget
de près de 100 milliards d’euros pour la période 2021-2027 spécifiquement dédié aux politiques so-
ciales, d’emploi, d’éducation et de formation dans l’UE. Il constitue également un des principaux
fonds dédiés à la relance post-Covid. Dans le cadre de la garantie européenne pour l’enfance, l’UE
prévoit que les États membres les plus touchés par la pauvreté infantile doivent consacrer 5 % de
leur dotation à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale des enfants. En outre, le recours par
les États membres de l’UE pour la mise en place de cette garantie à d’autres fonds est également
prévu via le Fonds européen de développement régional (FEDER), InvestEU et la Facilité pour la
reprise et la résilience (FRR).

5.2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA GARANTIE EUROPÉENNE POUR L’ENFANCE EN


BELGIQUE
5.2.1 La pauvreté « infantile », nouveau paradigme d’action publique
L’adoption de la garantie européenne pour l’enfance constitue un tournant dans la politique de lutte
contre la pauvreté infantile pour trois principales raisons.

Tout d’abord, elle a instauré une compréhension et une analyse du phénomène de pauvreté des
enfants propre à l’Union européenne. Cela suppose que les États européens puissent être comparés
entre eux et que la problématique soit comprise à une nouvelle échelle, spécifique au contexte so-
cio-économique des États européens (alors que le cadre de l’ONU supposait de très fortes disparités
à l’échelle internationale).

Ensuite, la garantie européenne pour l’enfance a permis de définir un cadre partagé d’objectifs poli-
tiques prioritaires, à la fois qualitatifs et quantitatifs, communs en matière de lutte contre la pauvreté
des enfants au niveau européen. Jusqu’alors, le cadre fixé par la Convention internationale des droits
de l’enfant demeurait, comme on l’a vu, déterminé par l’interprétation réalisée par les États

65
Voir le document « Factsheet: European Child Guarantee » de la Commission européenne : https://ec.europa.eu/so-
cial/main.jsp?langId=en&catId=89&newsId=10024&furtherNews=yes

62 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
signataires, leurs capacités d’action propres et les avis exprimés par le Comité des droits de l’enfant
de l’ONU qui veille à l’application de la Convention.

Enfin, l’adoption de la garantie européenne pour l’enfance a ouvert à des sources de financements
européens pouvant appuyer le développement de la politique de lutte contre la pauvreté des en-
fants dans les États membres. Elle a aussi contraint les États, dans certaines conditions, à allouer un
budget spécifique à cette politique.

De ce fait, la garantie européenne pour l’enfance fixe un cadre d’action tout à fait nouveau dans la
politique de lutte contre la pauvreté des enfants. En Belgique, ce cadre a généré une réorganisation
de la coordination de cette politique au niveau fédéral : la mise en œuvre de cette politique euro-
péenne a nécessité le développement d’un nouveau plan d’action national spécifique qui complète
et réarticule les mesures prises en matière de droits de l’enfant. Cette évolution fusionne définiti-
vement deux champs d’action publique encore distincts : les politiques de lutte contre la pauvreté
et les politiques menées en matière de droit de l’enfant. Cela se traduit au niveau institutionnel par la
prise en charge par le SPP Intégration sociale de la conception et de la mise en œuvre de ce plan,
en concertation avec les entités fédérées.

Cette évolution marque l’émergence de la « pauvreté infantile » comme un paradigme d’action pu-
blique. Elle devient « un cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seulement les objectifs de la
politique et le type d’instruments qui peut être utilisé pour les atteindre, mais également la nature
même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont supposés traiter » (Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018).

À ce titre, il est intéressant de noter le glissement sémantique progressif de l’expression « pauvreté


des enfants », qui était la plus couramment utilisée dans les années 2000, à l’expression « pauvreté
infantile » qui s’est très largement banalisée au début des années 2020.

Ce tournant sémantique est concomitant au déploiement de cette forme particulière de pauvreté


comme paradigme.

Comme nous l’avons vu, en effet, cette problématique s’est peu à peu organisée et structurée pour
stabiliser certains éléments de définition : la pauvreté des enfants est un problème d’accès à certains
droits jugés fondamentaux pour les enfants européens (se nourrir, se soigner, s’éduquer, se divertir).

Avec l’adoption de la garantie européenne pour l’enfance, ces éléments ont conditionné les objectifs
des politiques mises en œuvre autant que leurs instruments (par exemple : le droit à une alimentation
de qualité se traduit par la garantie d’un repas sain par jour, ou l’accès à l’éducation par la gratuité de
la scolarité).

Enfin, la nature même du problème de pauvreté des enfants est désormais devenue, dans l’esprit
des décideurs, un problème d’accès aux droits fondamentaux, davantage, par exemple, qu’un pro-
blème de revenu ou de pouvoir d’achat des parents, ce qui n’est pas sans effets sur les mesures
prises ni sur la manière dont la lutte contre la pauvreté des parents et des familles peut évoluer.

En outre, comme on l’a vu également, le public des enfants pauvres est subdivisé en différents types
de publics plus spécifiques regroupés au sein d’une catégorie englobante « d’enfants dans le be-
soin ». Par ce truchement, l’enfance comme catégorie d’action publique connaît une nouvelle spé-
cification qui l’éloigne de celle, générale et abstraite, d’être « vulnérable », historiquement portée par
la Convention internationale des droits de l’enfant.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 63


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
5.2.2 Le « Plan d’action national belge Garantie européenne pour l’enfance 2022-2030 »
En mai 2022, l’administration fédérale belge en charge de la mise en œuvre de la garantie euro-
péenne pour l’enfance, le SPP Intégration sociale, a publié le « Plan d’action national belge Garantie
européenne pour l’enfance 2022-2030 » 66.

Ce document met en œuvre, au niveau belge, les accords européens portant sur la garantie pour
l’enfance. Il souligne d’emblée que le rôle joué par l’échelon fédéral porte principalement sur la coor-
dination des actions menées par les entités fédérées du pays qui sont compétentes pour les ma-
tières concernées : « La lutte contre la pauvreté des enfants nécessite une approche coordonnée
des différents domaines politiques. Les interventions politiques se situent à l’intersection de diffé-
rents domaines politiques tels que le bien-être, la jeunesse, l’éducation et la santé. Les mesures
visant à briser le cercle vicieux de la pauvreté se trouvent donc dans les différentes politiques et
plans d’action des organes politiques concernés » 67.

Ce plan d’action fixe pour objectif à l’État fédéral et aux entités fédérées de sortir 93 000 enfants de
la pauvreté à l’horizon 2030 (sur les cinq millions d’enfants « dans le besoin » recensés aujourd’hui
en Europe). Cet objectif doit être atteint à travers quatre axes de travail :

1. « Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient effectivement et gratuitement accès à une
éducation et à des soins de qualité pour la petite enfance, à des activités éducatives et sco-
laires, ainsi qu’à un repas sain chaque jour d’école ;
2. Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient un accès effectif et gratuit à des soins de
santé de qualité ;
3. Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient effectivement accès à une alimentation suf-
fisante et saine, notamment au moyen du programme européen pour la consommation de
fruits, de légumes et de lait dans les écoles ;
4. Veiller à ce que les enfants dans le besoin aient effectivement accès à un logement adé-
quat. » 68

Le plan répertorie ensuite l’ensemble des actions actuellement menées dans les entités fédérées
du pays dans le cadre de ces quatre axes.

Il détaille également les différentes sources de financement européen qui soutiendront la mise en
œuvre du plan.

Il propose, enfin, un détail des indicateurs existants pour circonscrire le groupe des « enfants dans le
besoin », désormais public cible de la politique de lutte contre la pauvreté infantile. Il énumère cer-
tains types d’« enfants dans le besoin » déjà identifiés, en soulignant le caractère non exhaustif de ce
premier inventaire : les enfants vivant dans un ménage à très faible intensité de travail, les enfants
des familles monoparentales, les enfants en situation de handicap, les enfants vivant dans une fa-
mille dont au moins un des parents est en situation de handicap, les enfants vivant dans de mau-
vaises conditions de logement, les enfants issus de l’immigration, les enfants dont les parents sont
nés à l’étranger.

66
Document accessible via ce lien : https://www.mi-is.be/fr/nouvelles/garantie-europeenne-pour-lenfance-le-plan-dac-
tion-national-de-la-belgique-0#:~:text=La%20Belgique%2C%20qui%20présidera%20l,entre%200%20et%2018%20ans.
67
Plan d’action national belge Garantie européenne pour l’enfance 2022-2030, pp. 3-4.
68
Id., p. 16.

64 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
6. La lutte contre la pauvreté des enfants en Fé-
dération Wallonie-Bruxelles
La rétrospective que nous venons de réaliser a permis d’identifier une dynamique d’institutionnalisa-
tion politique de l’enfant comme « être vulnérable », détenteur à ce titre d’une série de droits fonda-
mentaux et d’un droit à leur protection par l’État. Elle a également permis de souligner la transfor-
mation progressive de la pauvreté des enfants, d’un problème public, en un paradigme d’action pu-
blique. Celui-ci structure à présent un champ d’action publique spécifique où la politique des droits
de l’enfant et la politique de lutte contre la pauvreté se rencontrent pour s’intéresser à un nouveau
public aux contours encore flous, celui des « enfants dans le besoin ». C’est ce public qui est désor-
mais l’objet d’une attention particulière et d’une concentration de moyens de la part de l’État fédéral
et des entités fédérées belges.

Cette évolution récente ne doit toutefois pas masquer les actions entreprises depuis 2019 par la Fé-
dération Wallonie-Bruxelles et la Wallonie dans la lutte contre la pauvreté des enfants. Cette pro-
blématique occupe, en effet, une place importante dans les préoccupations politiques actuelles :
elle est abordée explicitement par les déclarations de politiques communautaire et régionale adop-
tées au début de la législature 2019-2024 et fut intégrée aux différents plans de lutte contre la pau-
vreté mis en place par les Gouvernements de la Fédération et de la Wallonie durant la législature.
Enfin, il est également important de relever que la Wallonie dispose depuis la sixième réforme de
l’État d’un outil de protection sociale particulièrement important en matière de lutte contre la pau-
vreté des enfants : les allocations familiales.

6.1. LA DÉCLARATION DE POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE LA FÉDÉRATION


WALLONIE-BRUXELLES 2019-2024
Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FW-B) en place entre 2019 et 2024 voit son
action guidée durant la législature par un document-cadre, la Déclaration de politique communau-
taire de la Fédération Wallonie-Bruxelles 69.

Ce document fixe, dès le troisième paragraphe de son introduction, une priorité d’action en matière
de « pauvreté infantile » : « Le Gouvernement s’engage ß définir un plan quinquennal de lutte contre
la pauvretè́ en collaboration avec les acteurs du secteur, ciblant en particulier la pauvretè́ infan-
tile » 70.

Cette ambition touche à différentes compétences exercées au niveau de la FW-B. Tout d’abord en
matière d’enseignement : le Gouvernement s’engage à la gratuité de l’école : « Le coût de l’éducation
constitue encore actuellement un problème pour de nombreuses familles. À terme, l’école doit de-
venir gratuite » 71.

En matière de politique de l’enfance, le Gouvernement affirme sa volonté de garantir à chaque enfant


l’accès aux droits fondamentaux garantis par la Convention internationale des droits de l’enfant. À
cette fin, il projette notamment la mise en place d’un « plan transversal de lutte contre la pauvreté
infantile en lien avec les autres niveaux de pouvoir » 72. Parallèlement, le Gouvernement s’engage à
offrir la garantie d’un accueil de qualité pour chaque enfant. Cela signifie un investissement spéci-
fique dans l’offre d’accueil de la petite enfance afin de développer une couverture territoriale dans

69
Consultable ici et citée ci-après sous l’acronyme « DPC » : https://gouvernement.cfwb.be/home/publications/declara-
tion-de-politique-communautaire.html
70
DPC, p. 3.
71
DPC, p. 15.
72
DPC, p. 27.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 65


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
l’ensemble des communes de la Fédération, mais aussi de tenir compte spécifiquement, dans l’oc-
troi des places et dans la définition de la participation financière des familles, « des situations de
pauvreté et de monoparentalité » 73. L’objectif est clairement établi par le Gouvernement : il souhaite
développer une stratégie qui doit permettre « à ce que tous les enfants en situation de pauvreté
aient l’opportunité de fréquenter un milieu d’accueil avant l’entrée ß l’école maternelle » 74. En outre,
une attention est également accordée à la formation des professionnels de la petite enfance afin
qu’ils puissent être sensibilisés aux questions et aux enjeux propres à la pauvreté infantile. Plus lar-
gement, le Gouvernement entend développer une politique de la famille qui tienne compte du pu-
blic spécifique des familles monoparentales en développant « des instruments spécifiques de sou-
tien à la monoparentalité afin de lutter contre le risque de pauvreté » 75.

6.2. LE PLAN DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET POUR LA RÉDUCTION DES


INÉGALITÉS 2020-2025
La mise en œuvre des actions de lutte contre la pauvreté ambitionnées par le Gouvernement de la
FW-B dans la Déclaration est organisée par le « Plan de lutte contre la pauvreté et pour la réduction
des inégalités sociales 2020-2025 », adopté en janvier 2021 76.

Ce plan intègre à l’analyse de la pauvreté infantile, le taux de déprivation des enfants mesuré selon
la méthode adoptée au niveau européen en 2018 (voir supra). En partant de cette analyse de la si-
tuation, le plan s’inscrit dans la lignée du « rapport pauvreté 2019 » du Délégué général aux droits de
l’enfant et de l’analyse livrée par la Fondation Roi Baudouin dans l’étude « La pauvreté et la dépriva-
tion des enfants en Belgique. Comparaison des facteurs de risque dans les trois Régions et les pays
voisins », évoqués précédemment. Dans cet esprit, ce plan intègre également l’idée selon laquelle
la pauvreté infantile est « intimement liée au risque de pauvreté et d’exclusion sociale des pa-
rents » 77.

Cependant, malgré cette prise en compte de la situation de pauvreté des familles, le plan développe
une perspective spécifiquement orientée vers les enfants, en tant que public cible de son action, en
le justifiant sur la base des nombreuses compétences exercées en matière d’enfance. Ainsi, par ce
plan, la FW-B définit un rôle à jouer pour l’entité pour « enrayer les mécanismes inégalitaires qui
touchent directement ces enfants et stopper, dès le plus jeune âge, la transmission intergénération-
nelle de la pauvreté » 78. En se positionnant de cette façon, la FW-B donne au plan un objectif central
en matière de lutte contre la pauvreté infantile : « garantir à ces enfants – et à leurs parents – un
meilleur accès et usage à des services de qualité en matière d’enseignement, de culture, de sport,
de loisirs, d’accueil de la petite enfance » 79. Ce plan semble donc traduire une mise à l’agenda poli-
tique de la « pauvreté infantile », constituée en problème public depuis la fin des années 2000.

Le plan s’organise en trois axes stratégiques déclinés en objectifs opérationnels :

• Axe I : Garantir l’accessibilité des services de la FW-B et de l’offre des opérateurs partenaires
aux personnes en situation de pauvreté ;
• Axe II : Prévenir les situations de vulnérabilité tout au long du parcours de vie des publics
dans les compétences de la FW-B ;

73
Ibid.
74
Ibid.
75
DPC, p. 28.
76
Consultable ici : http://www.federation-wallonie-bruxelles.be/index.php?eID=tx_nawsecu-
redl&u=0&g=0&hash=be119816ce69c7a95649d970ba83353f4476d5f3&file=fileadmin/sites/por-
tail/uploads/PDF/Plan%20Pauvrete%20FW-B%202020-2025%20-%20Version%20finale%20%2810.02.21%20%29.pdf
77
Plan de lutte contre la pauvreté et pour la réduction des inégalités, p. 29.
78
Ibid.
79
Ibid.

66 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• Axe III : Développer l’expertise de la FW-B en matière de lutte contre la pauvreté et de ré-
duction des inégalités sociales.
Chacun de ces axes stratégiques intègre plusieurs objectifs opérationnels concernant la lutte contre
la pauvreté infantile en matière d’enfance, d’aide à la jeunesse ou d’enseignement.

Dans le plan se retrouvent définies comme objectifs politiques des recommandations du Délégué
général aux droits de l’enfant. Plusieurs mesures vont, en effet, dans le sens d’une amélioration de
l’accès à l’enseignement et à l’éducation en misant, notamment, sur la gratuité (ou à tout le moins
une adaptation des tarifs aux revenus des familles) 80. Ces mesures sont envisagées tant pour la petite
enfance, par la facilitation de l’accès financier aux crèches, que pour l’enseignement, avec l’objectif
d’un renforcement de la gratuité de l’enseignement, l’adaptation des tarifications des activités paras-
colaires et garderies scolaires ainsi qu’une extension de la gratuité des cantines scolaires. En matière
de mobilité, le plan invite à une « réflexion sur les frais de déplacement » des jeunes et de leur famille
afin de leur permettre d’accéder aux différents services de l’aide à la jeunesse, toutefois sans enga-
gement relatif à la gratuité des transports, approche pourtant recommandée par le Délégué général
aux droits de l’enfant.

En matière d’infrastructures et de maillage territorial de celles-ci, l’accent est mis sur une améliora-
tion de la qualité des infrastructures scolaires afin de contribuer à un mieux-être des enfants. De
même, le renforcement du maillage territorial des milieux d’accueil pour enfants en bas âge est fixé
comme priorité, l’objectif étant, à ce niveau, d’augmenter la fréquentation des milieux d’accueil avant
la maternelle afin de réduire les inégalités d’apprentissage durant la période de scolarité obligatoire.
De même, l’amélioration de l’accès à l’infrastructure numérique est envisagée par le plan à travers la
mise en œuvre d’une stratégie numérique adaptée intégrant autant les aspects techniques que les
compétences personnelles des enfants et des parents.

Enfin, le développement de services adaptés auprès de publics spécifiques est également envisagé
comme priorité d’action par le plan.

6.3. LE PLAN D’ACTION EN MATIÈRE DE DROITS DE L’ENFANT 2020-2024


Concurremment à la Déclaration de politique communautaire du Gouvernement ainsi qu’au plan de
lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités, le Gouvernement de la FW-B a adopté un Plan
d’action en matière de droits de l’enfant (PADE) pour la période 2020-2024 81. Ce plan, élaboré en
collaboration avec l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse, constitue le
document de référence mettant en œuvre, au niveau de la Fédération, la Convention internationale
des droits de l’enfant. Ce plan fait suite au plan 2014-2019 et à l’évaluation qui en a été réalisée. Celle-
ci a identifié plusieurs enjeux d’évolution de l’action en matière de politique des droits de l’enfant en
FW-B 82 :

• le développement d’une planification transversale aux différents secteurs d’activité de la


FW-B ;
• la limitation des objectifs et la précision des mesures d’implémentation de ceux-ci ;

80
Cette tension entre « gratuité » et « adaptation aux situations des enfants et des familles » renvoie à une tension particulière.
Cette tension fait cohabiter, d’une part, une logique « universaliste » inhérente à la Déclaration des Nations-Unies sur les droits
de l’enfant adoptée en 1959 et traduite en traité international en 1989. Cette logique se traduit, par exemple, dans le principe
de « gratuité », qui permet la mise en œuvre d’un accès universel à différents droits comme l’éducation, la culture, la mobilité,
etc. D’autre part, une logique « individualiste » inhérente à l’État social actif, qui suppose une adaptation de l’action publique
à la diversité des situations. Dans ce cas précis, le Plan absorbe, en quelque sorte, cette tension, en fixant le principe de
gratuité comme objectif tout en prônant une logique d’individualisation des droits d’accès par une adaptation de l’action à la
diversité des situations de revenus. Pour la mobilité, par contre, c’est l’optique « individualiste » qui est poursuivie par le plan.
81
Consultable ici et cité ensuite sous l’acronyme PADE FWB : https://oejaj.cfwb.be/droitsdelenfant/les-droits-de-lenfant-
en-belgique/
82
PADE FWB, pp. 1-2.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 67


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• l’importance des inégalités sociales dans la capacité des enfants à accéder à leurs droits.
À l’instar du rapport pauvreté élaboré par le Délégué général aux droits de l’enfant, ce PADE se fonde
sur une dimension « participative ». Ainsi le PADE, met en exergue le rôle joué par le recueil de la
« parole des enfants et des jeunes » dans l’élaboration des mesures prônées 83. Cette intégration des
voix du public directement concerné par le PADE souhaite répondre au droit de participation aux
décisions qui le concernent, établi par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Répondant aux recommandations de l’évaluation du PADE 2014-2019, ce nouveau plan de la Fédé-


ration Wallonie-Bruxelles limite l’action à neuf axes prioritaires 84 parmi lesquels la lutte contre la pau-
vreté infantile occupe la première place.

Le PADE 2020-2024 établit un axe d’action spécifiquement dédié à la lutte contre la pauvreté des
enfants intitulé : « Lutter contre la pauvreté en améliorant l’accessibilité des structures et activités
propices à l’intégration sociale et à l’épanouissement personnel ». Cet intitulé met l’accent sur deux
dimensions de cette action : la garantie d’accessibilité aux structures et activités et l’attention priori-
taire apportée à l’intégration sociale et à l’épanouissement personnel, envisagés comme principaux
leviers de cette lutte.

Cet axe dédié à la lutte contre la pauvreté infantile comporte dix objectifs déclinés, le cas échéant,
en plusieurs mesures.

Ces dix objectifs 85 concernent les compétences exercées par la Fédération en matière d’enseigne-
ment, d’accueil de la petite enfance, de culture, de sport et d’aide à la jeunesse. Ils intègrent égale-
ment une approche transversale et de coordination.

On retrouve à travers plusieurs de ces objectifs un principe commun de gratuité, notamment en


matière d’enseignement. Les moyens mis en œuvre pour viser à cette gratuité par le PADE demeu-
rent essentiellement orientés vers une adaptation aux situations spécifiques des familles. En matière
d’accès aux activités para- ou extrascolaires, l’option privilégiée est de développer une politique ta-
rifaire qui s’adapte aux revenus et à la composition des ménages. De même, en matière d’accueil de

83
« C’est en se nourrissant de la parole des enfants et des jeunes, dans les contraintes de la situation sanitaires et dans les
limites des délais impartis, qu’ont été identifiées les principales mesures à ériger au rang de priorités. Dans le cadre du pro-
cessus "Nos droits, nos voix", une enquête par questionnaire auprès de plus de 2 000 enfants et jeunes âgés entre 5 et 17 ans
a été menée dans les cinq provinces de la Région wallonne ainsi qu’en Région bruxelloise. Les résultats de cette enquête ont
été affinés dans un volet qualitatif qui a permis de récolter le point de vue d’enfants issus de groupes vulnérables difficilement
atteignables par le volet quantitatif de la consultation. Ce faisant, nous voulons rappeler que ce plan d’action est plus qu’une
feuille de route gouvernementale. Il définit un instrument vivant, une opportunité et un laboratoire d’intelligence collaborative
dans lequel la société civile et les enfants sont considérés comme de véritables experts et partenaires. Les enfants et les
jeunes ont des choses à nous dire et il est essentiel de leur donner voix au chapitre. La plupart de ceux qui ont été consultés
ont l’impression d’être négligés dans la résolution des problèmes. Ils estiment que les adultes décident des mesures sans
solliciter leur avis, alors même qu’ils souhaitent l’exprimer. » PADE CFWB, p. 2.
84
Les neuf axes d’action retenus sont les suivants : (1) lutter contre la pauvreté en améliorant l’accessibilité des structures et
activités propices à l’intégration sociale et à l’épanouissement personnel ; (2) prévenir toute forme de violence et de harcèle-
ment ; (3) garantir la participation des enfants aux décisions qui les concernent ; (4) soutenir la prise en charge des besoins
fondamentaux des plus vulnérables ; (5) maintenir le lien avec les parents ; (6) former les futurs enseignants et professionnels
des milieux d’accueil ainsi que le personnel de la fonction publique à une prise en compte systématique des droits de l’enfant ;
(7) favoriser les interactions entre secteurs en charge des enfants en matière de gestion de crise ; (8) amplifier le pilotage des
droits de l’enfant ; (9) élargir la coopération intra-francophone relative aux droits de l’enfant et en améliorer la gouvernance.
85
Ces objectifs en matière de lutte contre la pauvreté des enfants sont les suivants :
1.1. Poursuivre les efforts engagés en vue de garantir la gratuité à l’école
1.2. Organiser la collaboration entre le secteur de l’enseignement et celui de l’accueil temps libre
1.3. Lutter contre le décrochage scolaire
1.4. Développer une stratégie visant à ce que tous les enfants en situation de pauvreté aient l’opportunité de fréquenter
une collectivité avant l’entrée à l’école maternelle
1.5. Garantir l’accès à la culture et à l’accueil temps libre
1.6. Garantir l’accessibilité des activités sportives
1.7. Améliorer l’accessibilité des activités jeunesse
1.8. Favoriser l’intégration d’enfants venant d’horizons culturels différents dans un environnement solidaire et accueillant
1.9. Réduire la fracture numérique
1.10. Coordonner la lutte contre la pauvreté avec les autres niveaux de pouvoir

68 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
la petite enfance, l’approche consiste également à « tendre vers la gratuité » en adaptant l’échelle
barémique pour qu’elle soit plus proche des situations financières des familles et non plus, unique-
ment, liée à un pourcentage maximum (11 %) qui défavorise les plus bas revenus.

En matière de culture, plusieurs objectifs convergent pour mettre en exergue le rôle essentiel de
l’accès à la culture dans la lutte contre la pauvreté, que cela soit en favorisant le développement
d’activités culturelles dans le temps scolaire ou extrascolaire, ou dans leur promotion au sein des
milieux d’accueil préscolaires. Cette promotion de l’accès à la culture passe par des leviers principa-
lement non monétaires liés au développement de logiques d’intégration de la culture et des arts à
l’enseignement, ainsi qu’à un travail de rapprochement des acteurs de l’enseignement et de la cul-
ture en vue de faciliter leurs collaborations. Cela passe également par un ancrage plus fort des mi-
lieux d’accueil des enfants dans leur environnement proche en suscitant le développement de rela-
tions avec les milieux associatifs locaux. L’accessibilité aux activités culturelles (mais aussi de loisirs
ou de jeunesse) est également envisagée au plan géographique, avec une attention particulière aux
difficultés de mobilité dans les zones rurales.

En matière de petite enfance, le plan intègre un objectif doté d’une série de mesures visant à assurer
un meilleur accès aux milieux d’accueil pour les publics les plus pauvres et précarisés. Outre un
travail spécifique sur l’accessibilité financière, le plan prévoit une action en matière de développe-
ment des places d’accueil ainsi que plusieurs mesures visant à une meilleure intégration des milieux
d’accueil dans leur environnement immédiat afin de favoriser l’accès des publics locaux touchés par
la pauvreté ou la précarité, ceci par un accompagnement ciblé des milieux d’accueil existants leur
permettant de développer des actions concrètes en la matière.

La lutte contre le décrochage scolaire constitue également un objectif important destiné à des pu-
blics spécifiques et doté de différents types de mesure d’accompagnement, y compris en cas d’ex-
clusion de l’élève du milieu scolaire.

La lutte contre la fracture numérique s’appuie sur l’équipement informatique des milieux scolaires,
une aide financière (réductions) destinée à l’acquisition de matériel informatique par les familles pour
leurs enfants ainsi que sur l’apprentissage de l’usage des outils informatiques à l’école.

L’intégration des publics issus d’horizons culturels différents doit bénéficier d’une meilleure forma-
tion des différents professionnels impliqués dans l’accueil et l’éducation des petits enfants, des en-
fants et des jeunes.

Enfin, le PADE soutient la nécessité d’une meilleure coordination des différents acteurs de la lutte
contre la pauvreté dans le cadre de l’accord de coopération de 1999 unissant les différents niveaux
de pouvoir (Fédéral, Communautés, Régions). L’optique est de développer et de renforcer le travail
conjoint mené sur la problématique de la pauvreté infantile.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 69


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
7. La lutte contre la pauvreté des enfants en Wal-
lonie
7.1. LA DÉCLARATION DE POLITIQUE RÉGIONALE 2019-2024
Le Gouvernement wallon entré en fonction en 2019 a fixé les grandes lignes de son action dans sa
Déclaration de politique régionale 2019-2024 86. La question de la pauvreté y occupe une place cen-
trale. En effet, dès le paragraphe d’introduction du document, le Gouvernement établit trois lignes
directrices dans son action, le social, l’écologie et l’économie : « La Wallonie nourrit une triple ambi-
tion : une ambition sociale, une ambition écologique et une ambition économique. L’ambition sociale
vise à réduire drastiquement la pauvreté et ß garantir aux citoyens une vie décente. L’ambition éco-
logique témoigne de notre volonté de Wallonnes et de Wallons d’entre exemplaires en matière de
lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de l’environnement. L’ambition écono-
mique doit permettre ß la Wallonie de se hisser parmi les régions de tradition industrielle les plus
performantes d’Europe » 87.

La Déclaration concentre son attention sur l’emploi comme levier majeur de sa politique de lutte
contre la pauvreté : « Conscient que l’emploi est un levier important pour combattre la pauvreté, le
Gouvernement soutiendra l’insertion professionnelle et la formation en particulier aux métiers en de-
mande (métiers en pénurie et métiers d’avenir) afin de continuer ß améliorer le taux d’emploi et ß
réduire le taux de chômage wallon » 88. La Déclaration confère également un rôle à la Région wal-
lonne dans l’émancipation de ces concitoyens : « La Wallonie se doit de soutenir et de permettre
l’émancipation de tous ses habitants, en particulier les plus fragiles. Elle mettra donc tout en œuvre
pour assurer ß chacun une vie digne et de réelles perspectives d’avenir » 89.

La lutte contre la pauvreté fait l’objet d’un chapitre complet de la Déclaration. Le neuvième chapitre
du document (sur 29) est intitulé : « La lutte transversale contre la pauvreté et pour la réduction des
inégalités » 90. Ce chapitre dresse les grandes lignes d’« un nouveau plan stratégique, avec budget
ad hoc, de lutte contre la pauvreté et de réduction des inégalités » 91. L’ambition du Gouvernement
est de développer une action qui s’appuie sur une logique de « consolidation et de coordination »
avec l’autorité fédérale et la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans l’esprit de l’accord de coopération
de 1999.

La question de la « pauvreté infantile » est reprise comme premier élément d’une liste de neuf thé-
matiques que ce plan devra, pour le Gouvernement, veiller à intégrer. À ce sujet, la Déclaration in-
dique que le futur plan de lutte contre la pauvreté en Wallonie devra « évaluer l’impact des politiques
pour y traquer les causes fondamentales de la pauvreté infantile et prendre des mesures soutenant
les familles précarisées et monoparentales (qui ont souvent des femmes à leur tête) » 92.

Hormis cette ligne directrice fixée en matière de lutte contre la pauvreté infantile, la Déclaration in-
tègre également, dans le cadre son chapitre 28 dédié à l’Europe et à l’international, la création d’une
« garantie pour l’enfance » qui vise à ce que « chaque enfant en Europe en risque de pauvreté ou

86
Consultable ici : https://www.wallonie.be/sites/default/files/2019-09/declaration_politique_regionale_2019-2024.pdf ;
elle sera citée selon l’acronyme « DPR » dans la suite du document.
87
DPR, p. 3.
88
Ibid.
89
Ibid.
90
DPR, pp. 48-49.
91
DPR, p. 48.
92
Ibid.

70 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
d’exclusion sociale ait accès à des soins de santé gratuits, une éducation gratuite, un accueil de la
petite enfance gratuit, un logement décent et une alimentation adéquate » 93.

7.2. LE PLAN WALLON DE SORTIE DE LA PAUVRETÉ (2021)


Le « Plan wallon de sortie de la pauvreté » 94 adopté par le Gouvernement wallon en novembre 2021
vise à développer une série de mesures de lutte contre la pauvreté organisées en deux volets : un
volet « transversal » et un volet « politiques sociales ».

Le volet transversal « entend apporter des mesures de sortie de la pauvreté qui relèvent de l’en-
semble des compétences wallonnes » 95. Il se décline autour de trois axes : (I) l’offre d’outils et de
bonnes pratiques en matière de sortie de la pauvreté à destination des pouvoirs locaux, (II) l’élabo-
ration et la mise en œuvre d’une stratégie de réduction du non-recours aux droits et (III) le soutien
aux familles monoparentales.

Le volet « politiques sociales » s’organise également autour de trois axes : (I) l’accès à l’insertion so-
cioprofessionnelle pour toutes et tous, (II) l’accès au logement pour toutes et tous et (III) l’accès au
bien-être pour toutes et tous. Ces trois axes concernent des compétences spécifiques exercées par
les pouvoirs publics wallons et visent, par conséquent, des ministres et ministères spécifiques pour
leur mise en œuvre.

Les différentes mesures développées au sein de ces deux volets sont adressées à six publics cibles :
les familles monoparentales, les enfants, les femmes, les personnes d’origine étrangère, les sans-
abris et les personnes en situation de handicap.

Les « familles monoparentales » bénéficient d’une attention particulière puisqu’elles sont spécifique-
ment visées par les mesures transversales. Cette attention contribue à la lutte contre la pauvreté
infantile en visant, en particulier, à la facilitation de l’accès aux services de garde d’enfants par, d’une
part, une information spécifique à l’égard de ce public visant à réduire le non-recours aux droits en
matière de service de garde et, d’autre part, un soutien financier aux demandeurs d’emploi chef.fe.s
de famille monoparentale par l’élargissement du bénéfice de l’intervention du Forem dans les frais
de crèche et de garderie.

La pauvreté infantile est spécifiquement visée par quatre mesures du plan :

• [mesure 1.8] la gratuité progressive des transports en commun pour les jeunes jusqu’à 25
ans ;
• [mesure 3.4] des collations saines gratuites dans les écoles maternelles et primaires à indice
socio-économique faible ;
• [mesure 3.6] allocations familiales : lutte contre le non-recours aux droits et étude prospec-
tive sur la pauvreté infantile ;
• [mesure 3.9] création et développement d’infrastructures d’accueil de la petite enfance.
Les mesures proposées par le plan s’inscrivent dans la logique d’accès à certains droits fondamen-
taux en matière de mobilité, d’alimentation, d’allocations familiales ou d’accueil de la petite enfance.
Ces différentes mesures sont envisagées de façon ciblée sans inscription dans une logique d’en-
semble :

• pour la gratuité de la mobilité, le plan envisage une diminution du prix des abonnements aux
transports en commun, sans intégrer, notamment, l’enjeu de la couverture territoriale ;

93
DPR, p. 117.
94
Cité ci-après sous l’acronyme PlanSOP et consultable ici : https://www.wallonie.be/sites/default/files/2021-11/plan_wal-
lon_de_sortie_de_la_pauvrete.pdf
95
PlanSOP, p. 29.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 71


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• pour l’alimentation, le plan se focalise sur la création de « collations santé » pour certaines
communes aux profils socio-économiques défavorables ;
• en matière d’allocations familiales, outre la réforme, des adaptations du dispositif sont envi-
sagées pour étendre leur couverture ainsi qu’un travail d’analyse prospective sur la pauvreté
infantile intégrant la question des allocations familiales ;
• à propos de l’accueil de la petite enfance, l’optique est d’augmenter les capacités d’accueil
sur le territoire wallon tout en favorisant une meilleure équité territoriale et sociale.

Nonobstant ces quatre mesures, d’autres mesures prévues par le Plan wallon de sortie de la pau-
vreté peuvent également avoir un impact direct ou indirect sur l’état de pauvreté des enfants en
Wallonie. C’est le cas des mesures adoptées en matière de logement, d’accès à l’énergie, d’accès
aux soins de santé de première ligne ou de tourisme :

• en matière de logement, le plan prévoit différentes mesures visant à améliorer l’accès au


logement des ménages en situation de précarité en octroyant une allocation spécifique aux
ménages en attente d’un logement social depuis une certaine durée ou en octroyant un prêt
à taux nul pour la constitution d’une garantie locative. Un soutien financier spécifique est
également prévu à l’égard des acteurs de l’économie sociale actifs en matière immobilière ;
• à propos de l’accès à l’énergie, le plan prévoit de garantir un accès à l’énergie à un « prix
acceptable » pour les ménages à travers un travail spécifique sur la structure tarifaire, la mise
à l’étude d’un « service universel en énergie » et l’évaluation du dispositif de « client protégé
conjoncturel » ;
• au niveau de l’accès à la santé, un soutien spécifique est prévu à travers des aides financières
favorisant l’installation de médecins généralistes « dans les zones en pénurie où les indica-
teurs d’inégalités sont très élevés » ;
• à propos du tourisme et des loisirs, le plan vise à « faciliter l’accès à l’expérience touristique
en Wallonie » pour les « publics les plus fragilisés ». Cette mesure vise un travail de sensibi-
lisation des acteurs du tourisme destiné à les encourager à utiliser différents mécanismes de
réduction et à communiquer vis-à-vis des publics concernés.

7.3. LE PLAN D’ACTION EN MATIÈRE DE DROITS DE L’ENFANT 2020-2024


En Wallonie, les plans d’accès aux droits de l’enfant (PADE) ont été mis en place à partir du début
des années 2010. Pour rappel, depuis lors, trois plans se sont succédé : le PADE 2011-2014, le PADE
2016-2019 et le PADE 2020-2024.

Le PADE 2020-2024, actuellement en vigueur, a été adopté par le Gouvernement wallon le 16 dé-
cembre 2020 96. Il comporte cinquante-quatre mesures réparties en trois axes : (1) l’axe gouvernance
et pilotage des politiques publiques, (2) l’axe communication/information/formation et (3) l’axe accès
aux droits/lutte contre les inégalités.

Dans le cadre de ce PADE, l’axe 3 est dédié à l’accès aux droits et à la lutte contre les inégalités.
Aucune mesure envisagée ne fait spécifiquement référence à la pauvreté infantile. Les documents
accessibles sur le site s’avèrent trop lacunaires pour pouvoir établir une analyse du cadre wallon de
lutte contre la pauvreté infantile développé dans l’actuel PADE 2020-2024 97.

96
Voir : http://cohesionsociale.wallonie.be/actions/PADE
97
La rédaction du présent document se clôturant le 22 avril 2024, il n’a pas été possible d’intégrer les résultats de ce PADE
présenté dans un rapport spécifique adopté, en principe, par le Gouvernement wallon le 30 avril 2024.

72 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
7.4. LES ALLOCATIONS FAMILIALES 98
7.4.1 Le système d’allocations familiales
En 2018, plus de 2,8 millions d’enfants ont bénéficié d’allocations familiales en Wallonie, soit plus de
1,6 million de familles 99. Les régimes d’allocations familiales (AF) sont définis par l’Association Inter-
nationale de la Sécurité sociale comme étant des « régimes de prestations – en espèces ou en na-
ture – dont l’objectif est de permettre la constitution ou le développement normal des familles »
(Oberlin et al., 2007 : 1). En Belgique, ces prestations se déclinent traditionnellement en plusieurs
types : les allocations familiales proprement dites et les suppléments d’allocations familiales – qui
sont versées mensuellement – les allocations de naissance et la prime d’adoption, mais également
les allocations sociales versées aux enfants orphelins.

En Wallonie, pour les enfants nés avant le 1er janvier 2020, les montants des AF varient selon l’âge et
la place dans la famille. Des suppléments sociaux existent également pour les ménages dont le
revenu ne dépasse pas un certain montant. Le régime d’allocations familiales belge a été réformé, à
partir de 2019, par les Régions. Elles deviennent, dans les trois entités, un droit de l’enfant – lié à son
existence et non plus au statut de l’attributaire. Ces nouveaux systèmes, pour les enfants nés à partir
de 2019, proposent un montant lié à l’âge pour tout enfant, complété par des suppléments sociaux
ciblés sur les familles vulnérables, en y intégrant les travailleurs pauvres (Guio et Vandenbroucke,
2019 : 42). Les deux systèmes coexistent donc.

Il y a à la fois une redistribution horizontale, basée sur la solidarité entre les familles avec enfants et
les familles sans enfant, et verticale, par un mécanisme de distribution des hauts revenus vers les
bas revenus. Nous nous demanderons quelle est l’efficacité de cette redistribution verticale et donc
l’impact des allocations familiales sur la pauvreté des enfants à travers un examen de la littérature.

7.4.2 L’impact des allocations familiales sur la pauvreté des enfants


L’impact des allocations familiales (AF) sur la pauvreté des enfants en Belgique a fait l’objet de deux
études en 2013 100. Ces études ont comparé le risque de pauvreté avant et après le transfert des AF.
Leurs conclusions sont similaires : les AF jouent un rôle important dans la réduction de la pauvreté
des familles avec enfants (Cantillon et al., 2013 ; Van Lancker et Coene, 2013). Une autre étude affirme
que la suppression des AF engendrerait une augmentation de 11 % du nombre d’enfants vivant sous
le seuil de pauvreté (UCM, 2014 : 2). Cet impact n’est pas le même pour tous les types de familles : il
est plus important auprès des familles vulnérables, des familles nombreuses et des familles mono-
parentales. Le risque de pauvreté chez les enfants de ce type de famille est presque réduit de moitié
(Cantillon et al., 2013 ; Van Lancker et Coene, 2013).

Les parents eux-mêmes sont nombreux à juger les AF importantes dans le budget du ménage. Ce
degré d’importance est confirmé par la consommation immédiate de la quasi-totalité des allocations
familiales (UCM, 2014 ; FAMIFED, 2016). L’importance des allocations familiales pour le budget dé-
pend cependant de plusieurs facteurs : le montant du revenu familial disponible, le sexe du parent,
son âge et la taille du ménage. Ces allocations représentent également une part dans le budget plus
importante pour les jeunes ménages que pour les plus âgés. Enfin, les familles nombreuses et mo-
noparentales sont plus nombreuses à les juger importantes dans leur budget familial (Hosdey-Ra-
doux et al., 2018 : 22). Cela rejoint l’analyse de Steenssens et al. (2008) d’après lesquels les AF auraient

98
Le point 2.7.4. a été rédigé par Juliette Garain (AVIQ). Cette section a pour objectif de clarifier le rôle joué par les allocations
familiales dans la lutte contre la pauvreté des enfants. Dans cette perspective, l’analyse vise les effets du dispositif et non la
présentation du dispositif lui-même, comme nous l’avons réalisé dans les sections précédentes.
99
Situation au 31 décembre 2018, chiffres publiés par Famifed.
100
Si ces deux études datent, leur analyse est comparable à celle de l’impact des transferts sociaux de 2018. On peut donc
avancer que leur conclusion est toujours valable actuellement.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 73


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
surtout un impact prépondérant pour les couples avec trois enfants dépendants et pour les familles
monoparentales. Pour d’autres types de ménages, ce serait généralement d’autres transferts sociaux
qui auraient un effet sensible sur la réduction de la pauvreté des enfants (Steenssens et al., 2008 :
26).

En plus d’être une source de revenus appréciable pour les familles vivant dans la pauvreté, les allo-
cations familiales sont précieuses pour ces dernières, car il s’agit là d’un montant fixe et prévisible
dans leur revenu. En effet, l’automatisation de l’ouverture des droits fait que peu de familles sont
confrontées à un problème d’accès au droit aux allocations familiales (Galand et al., 2013 : 116). Les
montants exacts sont versés chaque mois avec une charge administrative minimale (UCM, 2014 : 3).

Ces constats positifs sur l’impact des AF sur la pauvreté des enfants demandent néanmoins
quelques nuances.

Si la réduction de la pauvreté des enfants bénéficie indubitablement du système des AF, ces pres-
tations ne sont pas suffisantes pour prévenir complètement le risque de pauvreté. Pour de nombreux
auteurs, en effet, les AF ne suffisent pas à couvrir le coût minimal des enfants en Belgique (Storms
et Bogaerts, 2012 ; Cantillon et al., 2013 ; Van Lancker et Coene, 2013 ; Frans et al., 2014). Même si leur
montant a été adapté, les transferts qu’elles permettent restent insuffisants, y compris pour les en-
fants de personnes bénéficiant du taux majoré pour les chômeurs de longue durée et les personnes
porteuses d’un handicap (Storms et Bogaerts, 2012 : 620).

Des pistes d’explications ont été proposées, comme le fait que les suppléments d’âge, à mesure que
les enfants grandissent, restent insuffisants. Ils n’ont pas suivi le pouvoir d’achat (Storms et Bogaerts,
2012 : 620). Une autre explication tiendrait au fait que le montant des AF ne concorde pas avec le
coût réel de la vie (Storms et Bogaerts, 2012 ; Cantillon et al., 2013 ; Van Lancker et Coene, 2013). En
effet, avec le temps, les AF ont diminué de valeur. Selon Storms et Bogaerts, les salaires des ouvriers
et employés se sont accrus plus rapidement que l’augmentation du montant des AF.

Cette inadéquation avec le coût de la vie a un impact particulièrement important pour les familles
avec un emploi peu rémunéré et les familles monoparentales (Frans et al., 2014 : 14). Après transferts,
ces familles restent très vulnérables (Cantillon et al., 2013). Le poids de la sélectivité, et donc de la
solidarité verticale, dans le système belge d’AF est très limité, ce qui se traduit par une incapacité
relative à réduire sensiblement le risque de pauvreté des familles les plus vulnérables (Van Lancker
et Coene, 2013 : 285).

Il s’avère par conséquent que, dans la situation actuelle, le fait d’avoir des enfants augmente le risque
de pauvreté en faisant baisser le niveau de vie des familles. Dans ce contexte, de nombreux auteurs
en appellent à réévaluer le système de prestations familiales afin de les rendre plus efficaces dans
la lutte contre la pauvreté des familles avec enfants (Storms et Bogaerts, 2012 ; Van Lancker et
Coene, 2013).

74 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC-
CHAPITRE 2

Une analyse prospective


des politiques de lutte
contre la pauvreté des
enfants

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 75


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. Un retour à la complexité
La rétrospective livrée au chapitre précédent propose une lecture « interne » de l’évolution de l’ac-
tion publique en matière de lutte contre la pauvreté des enfants en Wallonie et en Fédération Wal-
lonie-Bruxelles.
Cette lecture permet de comprendre la façon dont la pauvreté des enfants est devenue, dans un
premier temps, un « problème public », c’est-à-dire une réalité identifiée comme nécessitant une
action publique spécifique, pour, ensuite, dans un second temps, incarner un véritable « paradigme
d’action publique ». En tant que telle, la pauvreté des enfants apparaît pour les décideurs comme
une « évidence », une problématique dont ni la réalité ni la légitimité ne sont plus questionnées. Ce
type de pauvreté devient un champ d’action publique spécifique composé d’acteurs, d’instruments
et d’outils d’action, d’objectifs quantifiés et d’outils de mesures spécifiques.
Pourtant, comme nous l’avons souligné en tête du précédent chapitre, subsiste une tension, loin
d’être anodine, souvent formulée comme une inquiétude par de nombreux acteurs, entre une action
qui se focaliserait sur la pauvreté des enfants et une autre qui envisagerait la pauvreté des familles,
voire la pauvreté dans son ensemble comme l’objet d’une action publique.
Comme a tenté de le montrer le chapitre précédent, cette tension ne constitue pas forcément une
opposition : la lutte contre la pauvreté des enfants s’inscrit dans un cadre politique plus large, celui
de la lutte contre la pauvreté dont elle présente un volet spécifique.
Néanmoins, on trouve dans l’histoire des transformations de cette politique une tendance à la décli-
naison de l’orientation de l’action vers une diversité de plus en plus grande de publics particuliers.
On constate en effet que, sur une dizaine d’années, s’est opéré un glissement du public des enfants
pauvres dans son ensemble à celui des enfants « dans le besoin », lui-même subdivisé en une série
de publics spécifiques. En outre, l’action publique de lutte contre la pauvreté « infantile » s’est dotée
d’objectifs chiffrés et d’indicateurs de mesure. La mise en œuvre de la garantie pour l’enfance mo-
bilise les acteurs autour d’un chiffre de 93 000 enfants à sortir de la pauvreté à l’horizon 2030, mais
aussi d’indicateurs permettant de vérifier l’atteinte de cet objectif.
Cette dynamique semble inscrire cette action dans une logique de « gouvernement par objectif » 101
et de « gouvernance par les nombres » 102 qui, depuis les années 1990, structure les principes de la
« Nouvelle Gestion Publique » 103 et le développement de l’État social actif. Ces évolutions tendent à
réduire la réalité à une batterie d’indicateurs, réduction qui permet à l’administration d’exercer une
action directe 104 à son égard. Ce mécanisme permet à ce champ d’action publique de s’autonomiser

101
Pour l’économiste et sociologue français Laurent Thévenot, le « gouvernement par objectif » consiste en une réduction des
objectifs politiques à la seule mesure : « Une place sans précédent est accordée ß la mesure, dans le double sens de la
quantification servant ß la détermination d’une valeur, et de la mesure politique. Plus précisément la mesure prend la forme
de l’objectif, la réalisation de l’objectif visè étant évaluée ß l’aune d’une mesure prétendant ß l’objectif. » (Thévenot, 2010 : 2),
102
Dans la perspective critique déployée par Alain Supiot, la mesure est centrale dans le fonctionnement d’une action politique
conçue comme une « machine à gouverner » : « L’état de délabrement institutionnel où se trouve plongée l’Europe procède
d’une certaine façon de penser le gouvernement des hommes, qui est apparue à l’aube de temps moderne et continue de
dominer son imaginaire normatif. Cet imaginaire consiste à se représenter le gouvernement comme une technique de pou-
voir, comme une machine dont le fonctionnement doit être indexé sur la connaissance scientifique de l’humain. » (Supiot,
2020 : 49).
103
La Nouvelle Gestion Publique se fonde sur deux principes : d’une part, une organisation efficiente de l’action administrative
qui veille à atteindre des résultats évaluables, et d’autre part, une structure administrative qui se décentralise autant en interne
que dans ses relations avec le monde extérieur à travers une contractualisation de ses objectifs stratégiques et opérationnels
avec le monde politique, à travers la collaboration avec le secteur privé pour développer ses activités et via l’implication des
usagers dans ses activités (De Visscher, 2004). Elle fut progressivement mise en place en Belgique dans le courant des années
1990 et s’est institutionnalisée au niveau fédéral par la « Réforme Copernic » en 2000 (Joris, De Visscher & Montuelle, 2009).
104
Nous présentons brièvement dans la rétrospective (Chapitre 1) la façon dont, dans le courant des années 1990, s’est cons-
titué au sein des politiques sociales un mouvement de « dépillarisation » qui permet à l’État d’agir de façon directe à l’égard
des administrés sans que ne soient mobilisés les corps intermédiaires traditionnels, mais aussi que les « usagers » ou « béné-
ficiaires » interviennent dans la gestion publique par différents mécanismes de participation, comme c’est le cas notamment
en matière de lutte contre la pauvreté ou de droits de l’enfant. Voir à ce sujet : Bruyère et al., 2019 ; Zamora Vargas, 2017.

76 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
d’une réalité plus générale que constitue la pauvreté et d’une problématique politique d’ensemble,
la protection sociale.
La compréhension du processus de formation de la politique de lutte contre la pauvreté infantile doit
permettre de construire une analyse prospective pertinente pour les acteurs de ces politiques afin
qu’ils puissent appuyer leurs décisions présentes sur les évolutions possibles. Cette compréhension
doit également permettre à l’analyse prospective de dépasser la lecture interne de cette politique
pour la plonger dans un environnement plus large qui permet de l’envisager comme une réalité
complexe et systémique et, ainsi, d’imaginer des trajectoires d’évolutions qui pourraient rompre avec
les tendances imaginables à partir d’une seule lecture interne qui, ce faisant, validerait le processus
d’autonomisation identifié par la rétrospective.
Ainsi, la démarche prospective proposée vise à positionner cette politique dans un ensemble plus
vaste qui permet d’en comprendre les déterminants et les effets. Par cette approche, elle vise à
répondre à deux questions principales : pourquoi cette politique tend-elle à s’autonomiser pour for-
mer un champ d’action spécifique ? Comment pourrait-elle évoluer dans différents contextes et
quels seraient les causes et les effets de ces évolutions ?
Le traitement de ces deux questions est réalisé de façon simultanée : à travers le positionnement de
cette politique au sein d’un système, on peut comprendre la façon dont elle répond à un état des
inégalités sociales qui conditionne celui de pauvreté des enfants, mais aussi les raisons pour les-
quelles cette réponse politique prend une forme spécifique. Ce travail suppose donc une décons-
truction. Celle-ci s’appuie sur un cadre méthodologique propre à la « prospective française » 105 dont
nous exploitons les ressources épistémologiques et méthodologiques dans le cadre de ce projet.
Les sections suivantes de ce chapitre sont destinées à baliser le champ de l’analyse prospective
livrée dans cette étude.
On y aborde, tout d’abord, de façon théorique, une série de questions-clés relatives à la prospective
afin de baliser la réflexion : quelles sont les principales caractéristiques d’une démarche prospec-
tive ? en quoi constitue-t-elle un outil d’aide à la décision ? en quoi se différencie-t-elle de la prédic-
tion ? Les réponses proposées à ces trois questions permettent de définir une série de repères. En
caractérisant la prospective, nous identifions la nature systémique de l’analyse, le rôle de la partici-
pation dans le travail mené, les effets de la prise en compte de la longue durée, la complexité inhé-
rente à ce type démarche ainsi que les spécificités des méthodes exploitées. En présentant l’utilité
d’une analyse prospective, nous développons son rôle d’outil d’aide à la décision, la cartographie du
futur qu’elle permet de structurer ainsi que son rôle mobilisateur et ses capacités de changement.
En abordant le type de futur que la démarche prospective permet de décrire, nous la différencions
de la prévision.
Dans la troisième section de ce chapitre, nous revenons, tout d’abord, sur les objectifs du projet :
réaliser des scénarios contrastés des futurs possibles des politiques de lutte contre la pauvreté des
enfants. Ces développements nous permettent de cerner les enjeux et limites de l’analyse proposée,
en particulier le fait qu’elle n’a pas de finalité stratégique directe. Ensuite, nous détaillons le concept
de « scénario » tel qu’il est employé en prospective. Nous présentons également la distinction entre
scénario « exploratoire », qui est l’objet de notre démarche dans ce projet, et scénario « normatif ».
Enfin, nous introduisons les quatre scénarios développés dans le projet, ceci avant d’en approfondir
la méthode de conception dans le quatrième chapitre et leurs architectures dans le cinquième.

105
Cette approche privilégie l’analyse systémique et le développement de futurs alternatifs (Durance, 2014 ; Godet, 2009).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 77


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. Intérêts et limites d’une analyse prospective
2.1. PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES D’UNE DÉMARCHE PROSPECTIVE 106
La prospective est une démarche de recherche et d’intelligence collective qui vise à éclairer l’action
présente à la lumière des futurs possibles. Elle vise à dépasser les analyses de court terme pour
intégrer le temps long dans la réflexion. Elle adopte (1) une posture systémique, interdisciplinaire et
participative pour explorer et/ou questionner (2) des futurs de long terme, ouverts et pluriels, portant
sur des (3) problèmes pernicieux, grâce à (4) des méthodes rigoureuses (5) afin d’alimenter la déci-
sion. Détaillons ces cinq caractéristiques.

2.1.1 Une posture systémique, interdisciplinaire et participative


La prospective considère le réel dans sa complexité. Elle postule que pour appréhender l’évolution
d’un système, il faut comprendre les facteurs économiques, politiques, sociaux, écologiques et tech-
nologiques qui l’influencent. Il est dès lors nécessaire de prendre en considération une multiplicité
de points de vue et de perspectives disciplinaires. La prospective se présente comme une démarche
participative pour deux raisons. Pour commencer, la participation permet d’améliorer les contenus
de la démarche en organisant la discussion entre les différentes expertises pertinentes pour at-
teindre une compréhension systémique des questions étudiées. Ensuite, elle se présente comme
un outil permettant une implication effective des diverses parties prenantes dans l’exploration et
l’élaboration des représentations et des cadres d’analyse qui alimentent la prise de décision (Saritas,
Pace et Stalpers, 2013).

2.1.2 Des futurs ouverts et pluriels


Le futur n’est pas envisagé comme un donné déjà défini ou préétabli par le présent ou le passé. Au
contraire, la prospective conçoit l’avenir comme ouvert et malléable. Comme le disait Jacques Le-
sourne, « l’avenir apparaît être à la fois le fruit du hasard, de la nécessité, mais également de la vo-
lonté » (cité in Lugan, 2006). Par conséquent, le futur ne peut être prédit, mais des alternatives peu-
vent être mises en évidence et des futurs préférables envisagés ou inventés. Pour alimenter notre
réflexion sur le présent, il est donc utile d’envisager des futurs multiples (Dator, 2019).

2.1.3 Des problèmes pernicieux


La prospective traite de wicked problems (problèmes pernicieux). Ce sont des problèmes qui sont
régis par l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté et dont la solution ne peut être apportée par une
approche strictement causaliste (Head, 2008). En 2020, la crise de la Covid-19 a fourni un exemple
de ce type de problème. Ainsi, les mesures de confinement prises pour gérer la crise sanitaire ont
provoqué des difficultés économiques et sociales pour une partie de la population et pour les sec-
teurs de l’économie les plus à risque du point de vue de la transmission du virus. La prospective traite
spécifiquement de ces problèmes où il y a controverse autour des faits et conflit entre les valeurs,
les préférences et les représentations et donc sur les futurs possibles, souhaitables et les stratégies
qui y mènent.

106
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».

78 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.1.4 Des méthodes rigoureuses
La prospective, à la différence de la science-fiction, mobilise une méthode de recherche et des
techniques rigoureuses pour produire ses représentations du futur. La compréhension du système
et les futurs possibles sont construits grâce à un arsenal de méthodes parfois issues des sciences
humaines et sociales et parfois propres à la prospective. L’usage des scénarios en constitue
l’exemple le plus connu. Par ailleurs, la prospective s’appuie sur les autres sciences, comme la so-
ciologie, l’économie ou la science politique pour informer sa démarche.

2.1.5 Le soutien à la décision


Si la démarche prospective vise l’exploration des futurs, c’est pour contribuer à l’action dans le pré-
sent. Par sa capacité à réinterroger les enjeux, la prospective informe les décideurs, facilite la mobi-
lisation des parties prenantes, voire contribue à la transformation du système considéré. La valeur
d’un exercice de prospective ne réside donc pas dans son pouvoir prédictif, mais dans son habileté
à nourrir la prise de décision et l’action.

2.2. LA PROSPECTIVE COMME OUTIL D’AIDE A LA DÉCISION107


Dans le premier tome de son Manuel de prospective stratégique, Michel Godet (2007) définit l’utilité
de la prospective par sa faculté à doter les décisions stratégiques d’organisations publiques ou pri-
vées d’une meilleure appréhension des incertitudes futures. Cette utilité se décline en trois objectifs
stratégiques pour les démarches prospectives : (1) orienter l’action présente à la lumière des futurs
possibles et souhaitables ; (2) baliser les futurs possibles de repères qui aident à distinguer les faits
porteurs d’avenir ; (3) mobiliser l’intelligence collective et, par ce fait, permettre une appropriation du
changement par l’anticipation partagée (Godet, 2007 : 5-11).

Ces trois objectifs de la prospective peuvent être déclinés, en s’appuyant sur d’autres auteurs (no-
tamment : Da Costa et al., 2008 ; Fobé et Brans, 2011 ; Lugan, 2006), en une série de fonctions qui
permettent de comprendre l’utilité de la prospective.

2.2.1 Orienter l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables


Une des grandes particularités de la prospective est d’offrir un ensemble de méthodes et d’outils
rationnels, rigoureux et à visée scientifique qui permettent la préparation de stratégies dans des si-
tuations d’incertitude.

De façon générale, la prospective exploite ces différents outils et méthodes dans l’objectif de ré-
pondre à quatre questions clés :

• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie,
qu’un choix parmi les futurs possibles puisse être posé à un moment donné.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.

De façon indirecte, les connaissances prospectives développées en cours d’analyse jouent un rôle
de facilitation dans la mise en œuvre des décisions. En effet, le travail d’identification des futurs

107
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 79


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
possibles et/ou souhaitables se base sur une rétrospective ainsi que sur un diagnostic de la situation.
L’état des lieux critique permis par la démarche prospective ouvre les perspectives en facilitant la
compréhension des enjeux liés aux décisions prises.

Plus fondamentalement, en tant que démarche stratégique orientée vers l’action, le travail prospectif
est supposé contribuer à la transformation du système sous examen.

2.2.2 Baliser les futurs possibles de repères qui aident à distinguer les faits porteurs d’avenir
La prospective propose une gamme d’outils et de méthodes qui permettent de créer une lisibilité
de l’avenir. Plusieurs aspects des futurs identifiés dans un exercice prospectif comportent une utilité
intrinsèque pour orienter l’action présente.

Au niveau du diagnostic de la situation, la démarche prospective identifie des tendances lourdes


dans le fonctionnement d’un système qui peuvent contribuer à la formation de plusieurs futurs pos-
sibles. Elle pointe également les différents types de ressources dont bénéficie le système analysé
ainsi que les contraintes dont il est l’objet. Le travail d’identification des futurs possibles tient compte,
également, des marges de manœuvre possibles du système sous examen.

Au niveau des évolutions possibles, la démarche prospective, grâce notamment à son approche
systémique, est apte à identifier les risques auxquels s’expose un système ainsi que les inerties dont
il peut être l’objet. Cette analyse permet d’envisager des phénomènes de transformation issus de
ruptures ou d’émergences d’innovation. L’identification de ces différents éléments permet d’établir
des enjeux, opportunités d’action ou germes de changements, tous éléments qui concourent à l’éta-
blissement de « faits porteurs d’avenir » dans le présent, soit des « faits infimes par leurs dimensions
présentes, mais immenses par leurs conséquences virtuelles » (Massé, 1962).

2.2.3 Mobiliser l’intelligence collective et permettre l’appropriation du changement


Les démarches de prospective visent à l’établissement d’une pluralité de futurs. Elles se dévelop-
pent fréquemment en exploitant les ressources de l’intelligence collective. Différents types de dis-
positifs collaboratifs organisent une confrontation de modes de compréhension des enjeux et de
visions qui alimentent la construction de la gamme des futurs possibles. Cet aspect participatif de la
prospective revêt plusieurs significations.

Tout d’abord, l’intégration d’experts, de parties prenantes et/ou de publics plus larges contribue à la
légitimation des démarches autant qu’à leur transparence. En outre, elle permet aux participants et
participantes de comprendre de l’intérieur les spécificités de la méthode employée dans la dé-
marche prospective.

Ensuite, l’information et les connaissances produites dans le cadre du dispositif permettent égale-
ment aux participants et participantes d’intégrer les différents éléments contribuant à la définition
des futurs possibles et souhaitables. Cette démarche leur permet donc de s’approprier les diffé-
rentes formes de changements possibles, ce qui aide à la compréhension des décisions.

En outre, les connaissances développées par les participants et participantes aux exercices pros-
pectifs permettent aussi d’adopter une posture critique. La démarche prospective permet, en effet,
de remettre en cause des idées reçues ou habitudes ainsi que, par le travail d’analyse rétrospective,
de questionner les choix et décisions dans le passé. Elles nourrissent ainsi le développement du libre
arbitre face à l’avenir, pour faire de ce dernier un espace de liberté plutôt que de fatalité.

Enfin, les dispositifs d’intelligence collective développés dans les démarches prospectives, par les
différents types de confrontation de points de vue qu’ils orchestrent, aident à l’alignement des posi-
tions exprimées et à l’établissement d’une vision commune.

80 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.3. PROSPECTIVE ET PRÉDICTION 108
La prospective n’a pas vocation à prédire l’avenir. Le futur n’est pas écrit et ne peut être prédit : il est
à préparer et à construire. On peut, avec de Jouvenel (1999), résumer la philosophie sur laquelle
repose la démarche prospective en trois postulats : l’avenir est un domaine de liberté, de pouvoir et
de volonté. Le caractère par essence inconnaissable de l’avenir ouvre à une pluralité de futurs pos-
sibles que la prospective se propose d’explorer, de manière à orienter l’action vers un futur souhaité
et non subi. L’originalité de la démarche prospective est ainsi d’associer incertitude et capacité d’agir.

Cette posture est le fruit d’un contexte particulier, lié aux défis de l’après-guerre. Dans la France en
reconstruction, la prospective naît de la prise de conscience progressive des limites de l’approche
planificatrice. Aux États-Unis, c’est sous l’impulsion de l’armée de l’air que se développe une réflexion
formalisée sur les futurs, sur fond de guerre froide et d’entrée dans l’ère atomique (Durance, 2014 ;
Andersson et Prat, 2015). Par la suite, l’échec répété des prévisionnistes à prévoir les grandes crises
et évolutions du monde (chocs pétroliers de 1974 et 1979, krach boursier de 1987, chute de l’Union
soviétique), n’ont cessé de mettre en évidence la nécessité d’intégrer la complexité, l’incertitude et
le temps long (Gouirand, 1996). La multiplication des ruptures entraîne souvent les décideurs à ré-
pondre dans l’urgence à des situations de crise, quand il est déjà trop tard. Pour sortir de la pure
réactivité, la prospective vise à adopter une attitude préactive (« se préparer à un changement anti-
cipé ») et proactive (« agir pour provoquer un changement souhaitable » (Godet, 2007).

Ce refus du déterminisme situe la prospective, parmi les différentes manières d’étudier le futur, aux
antipodes de la prévision. À la différence des prévisionnistes, qui basent souvent leurs travaux sur
des modèles mathématiques et des séries quantifiées, la prospective souligne l’instabilité de sys-
tèmes complexes et l’impossibilité d’en prédire les états futurs. Pour le dire comme certains socio-
logues, il y a une « indétermination objective présente à des degrés divers dans tout système social »
(Boudon et Bourricaud, 1982). La société n’est pas comparable à un mécanisme dont on pourrait
connaître et maîtriser tous les rouages.

L’ignorance et les limites de l’observateur ne sont pas seules en cause : même s’il nous était donné
de connaître le futur, tout porte à croire que personne n’agirait sur la foi d’une telle prédiction. Les
anticipations des acteurs font partie intégrante de la réalité sociale. Si ce n’était pas le cas, la pros-
pective perdrait sa raison d’être : cela signifierait en effet qu’une meilleure connaissance du futur
serait sans conséquence sur celui-ci et que nous n’aurions qu’à le subir. Or, dans certains cas, le
simple fait d’énoncer une prévision entraîne des conséquences telles qu’elles sont invalidées (pro-
phéties auto-destructrices) ou rendues vraies (prophéties auto-réalisatrices).

Pour certains chercheurs dans le domaine des Futures studies, la question du rapport à la prévision
ne se pose même pas, dans la mesure où la prospective telle qu’ils la conçoivent porte sur des
représentations du futur avant même de porter sur des tendances objectivables (Milojevi et Inayatul-
lah, 2015). On retrouve cette position dans les principes énoncés en guise de boutade sous le nom
de « Lois du Futur » par Jim Dator (2019), dont la première se lit comme suit : « I. "Le futur" ne peut
être "prédit" parce que "le futur" n’existe pas ». Le rôle du chercheur est dès lors de travailler sur les
« images du futur » que se font les participants et participantes à une démarche prospective, de
manière à imaginer avec eux d’autres futurs et, parmi ceux-ci, des futurs souhaitables, dans une
perspective stratégique.

Parce qu’ils n’entendent pas prédire l’avenir et ne constituent pas des « connaissances sur le futur »,
les énoncés issus d’une démarche prospective ne sont pas évaluables en termes de vérité et d’er-
reur. Ils s’expriment en effet « dans le langage de la possibilité (mode conditionnel) et non dans celui

108
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 81


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
des faits (mode indicatif) » (Bishop, 2014). Le futur peut invalider nos prédictions. En revanche, les
futurs possibles d’une démarche prospective ne trouvent pas leur justification dans leur confirmation
ou leur infirmation à long terme : leur vocation est d’orienter l’action présente. Plutôt que de la juger
sur sa capacité à prédire l’avenir, on devrait plutôt évaluer la prospective sur sa pertinence ou même
son impertinence, sa capacité à remettre en cause les idées reçues, à imaginer des ruptures, à rendre
plausible ce qui peut sembler de premier abord étrange et provocant. Autant de critères qui permet-
tent de juger de l’intérêt et de la pertinence d’une démarche prospective.

82 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. Quels scénarios pour les politiques de lutte
contre la pauvreté infantile en Wallonie à l’ho-
rizon 2050 ?
3.1. UNE MISSION COMPLEXE
Le Gouvernement wallon a demandé à l’IWEPS de réaliser, en collaboration avec l’AVIQ, une analyse
prospective visant à identifier un jeu de scénarios contrastés présentant les évolutions possibles des
politiques de lutte contre la pauvreté infantile en Wallonie à l’horizon 2050. Cette demande insiste
également sur la nécessité d’appuyer le travail sur une large participation des acteurs institutionnels
et de terrain en lien avec la pauvreté et les politiques de l’enfance ainsi que des experts.

Ces objectifs ont alimenté la mise en place d’un dispositif d’analyse visant au développement de
scénarios exploratoires destinés à alimenter la réflexion stratégique des décideurs et parties pre-
nantes en matière de politique de lutte contre la pauvreté des enfants. L’étude vise, par conséquent,
à alimenter un débat sur les évolutions possibles du système dans lequel s’insère cette politique.

3.1.1 Un contexte politique fragmenté et de faible maturité


En termes d’action publique, le contexte de la mission se caractérise, d’une part, par une grande
fragmentation et, d’autre part, par une faible maturité.

La fragmentation que nous identifions concerne non seulement la diversité des parties prenantes
concernées par la pauvreté des enfants, mais aussi les représentations et cadres normatifs utilisés
par ces parties prenantes pour l’appréhender au niveau politique. Le projet et sa méthodologie doi-
vent donc pouvoir intégrer cet aspect. De ce point de vue, la demande de « large participation »
formulée par le Gouvernement tend à faciliter les choses puisqu’elle ouvre à ce que l’ensemble des
parties prenantes soient consultées et participent aux différentes phases de l’analyse prospective
sans qu’un secteur plutôt que l’autre soit privilégié. En outre, la demande, telle qu’elle est formulée,
permet également d’intégrer au projet les différents niveaux de pouvoir et entités concernés.
Comme nous le verrons, le dispositif participatif mis en place vise, d’une part, à consulter les parties
prenantes sur leurs représentations de la problématique, des enjeux et de leurs visions des évolu-
tions futures, et d’autre part, de leur permettre de collaborer au-delà des partages institutionnels,
pour s’acculturer à la diversité des représentations existantes et aux enjeux transversaux des poli-
tiques menées en matière de pauvreté des enfants. Cette démarche n’a donc pas de finalité déci-
sionnelle, elle relève spécifiquement du domaine cognitif, les participants et participantes étant
amenés à expliciter leurs représentations, mais aussi à les mettre en question et à les faire évoluer.

La faible maturité que nous évoquons renvoie aux constats d’une problématisation publique très
récente de la pauvreté des enfants. Le Plan d’action national pour l’enfance adopté dans le courant
des années 2000 a inauguré la mise en place de différents plans et initiatives à tous les niveaux de
pouvoir. Des tentatives d’articulations ont également émergé, notamment par la coordination des
Plans d’action en matière des droits de l’enfant développés conjointement par la Wallonie et par la
Fédération Wallonie-Bruxelles et, très récemment, dans le cadre de la mise en œuvre de la garantie
européenne pour l’enfance 109. Il s’avère, cependant, que ces différentes initiatives se construisent de
façon sectorielle, selon les politiques impliquées, mais qu’aucun cadre commun aux différentes po-
litiques concernées n’a encore été mis en place, même si l’on peut subodorer que la garantie pour

109
Voir Chapitre 1.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 83


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
l’enfance pourrait jouer ce rôle dans un avenir plus ou moins proche. Ces évolutions apparaissent
également liées à une spécialisation des dispositifs en fonction de « publics cibles », comme nous
l’analysions au précédent chapitre.

3.1.2 Des implicites à questionner


Si cette approche par publics cibles a le mérite de viser à une adéquation fine de l’action publique à
la diversité des situations rencontrées par les personnes, il s’avère, néanmoins, qu’elle empêche une
conceptualisation plus large et poussée de la problématique de la pauvreté dans son ensemble, et
des inégalités de façon générale.

On peut s’interroger, par exemple, sur le sens d’une politique visant à l’« investissement dans la petite
enfance » 110 motivée par des analyses montrant que la « réussite » sociale est davantage condition-
née par l’environnement de vie de l’enfant durant ses premières années et par les situations rencon-
trées par les familles, et en particulier par les femmes, confrontées à un marché de l’emploi aux
salaires insuffisants pour faire face aux dépenses multiples que suppose une vie de salarié et de
parent. Ce type d’approche, qui est tout à fait défendable et certainement pertinente, semble envi-
sager exclusivement la problématique à travers les publics concernés : des « familles monoparen-
tales » à « faible revenu », des « enfants en âge préscolaire », en l’occurrence, auxquels s’adaptent
des dispositifs d’action spécifiques. La problématique d’ensemble et l’horizon social de ces politiques
demeurent implicites. Ils semblent correspondre à une approche de type « État social actif » qui vise
à permettre aux personnes, en fonction des particularités de leur situation, de bénéficier d’une aide
adaptée à leurs besoins en les « encapacitant » afin d’améliorer leur situation de vie personnelle,
sans pour autant que ne soit visé un horizon de justice social d’ensemble intégrant la question poli-
tique des inégalités.

La question des implicites et, en particulier, du rôle joué par l’État et les pouvoirs publics dans les
politiques sociales, est l’objet de désaccords et de tensions entre les différentes parties prenantes.
Le caractère transversal de la pauvreté des enfants semble les faire émerger de façon assez

110
La question d’une conception nouvelle de l’action à l’égard de l’enfance dans la lutte contre la pauvreté est aujourd’hui
mise en exergue par les acteurs de la petite enfance qui relaient les thèses avancées par certains économistes spécialistes
des questions de pauvreté et de sécurité sociale depuis le milieu des années 2000, à travers l’idée « d’investissement dans la
petite enfance », associée aux travaux de l’économiste James Heckman, Prix de la Banque de Suède en 2000 (voir Behaghel
et al., 2023). Ces thèses ont été amplifiées et confortées dans les années 2010, notamment suite à la diffusion des travaux
menés en neurosciences sur la plasticité neuronale et le développement du cerveau des enfants (par exemple, sur l’effet du
stress dû à la pauvreté sur le cerveau des enfants, voir Blair et Cybele Raver, 2016). Une initiative comme celle de l’UNICEF,
basée sur le concept des « 1 000 premiers jours » (de la conception aux deux premières années de l’enfant), témoigne de
l’importance croissante de cette littérature scientifique dans l’élaboration de politiques publiques centrées sur l’enfance (pour
une discussion plus générale sur ce point, voir Broer et Pickersgill, 2015).
En sciences sociales, cette position s’inscrit également dans la suite des travaux de l’économiste et sociologue danois Gøsta
Esping-Andersen. Dans son ouvrage de 2008, Trois leçons sur l’État-providence (Esping-Andersen, 2008), cet auteur a iden-
tifié l’importance de prendre en compte l’âge préscolaire comme vecteur d’(in)égalités sociales. Selon les analyses qu’il dé-
veloppe dans la « deuxième leçon », le défaut des politiques sociales dans leur lutte contre les inégalités est de s’être focali-
sées sur les âges scolaires et d’avoir négligé la période préscolaire qui est, d’après lui, cruciale pour le développement des
capacités d’apprentissage de l’enfant, pour sa réussite scolaire future et, donc, pour son insertion future dans la société en
tant qu’adulte. En outre, l’investissement dans les infrastructures d’accueil de la petite enfance génèrerait d’autres effets ver-
tueux en matière d’emploi des femmes. Comme le dit Caroline Helfter dans sa recension de l’ouvrage d’Esping-Andersen :
« Le défi consiste donc à garantir un bon départ à tous les enfants. À cet égard, les structures collectives d’accueil ont un rôle
crucial. D’une part, parce que l’accès à un mode de garde abordable favorise l’activité des mères, surtout des plus faiblement
qualifiées. Or soutenir l’emploi des femmes, en particulier au bas de l’échelle des revenus, constitue un puissant moyen de
lutter contre la pauvreté infantile et ses conséquences au plan de l’échec scolaire et des coûts sociaux que celui-ci engendre.
Sans compter que les dépenses allouées à la garde d’enfants sont concrètement remboursées grâce à l’augmentation des
revenus de la mère tout au long de sa vie, soit aussi à celle des impôts que l’intéressée verse à l’État » (Helfter, 2010). L’inves-
tissement dans la petite enfance permettant un accueil des enfants hors de leur famille, il contribuerait également à rompre
les phénomènes de reproduction sociale de la pauvreté : « L’accueil des enfants hors de la famille permet, d’autre part, de
lutter contre les mécanismes-clés de l’hérédité sociale. En termes de stimulation des tout-petits comme de temps qui leur
est consacré par les parents – et, singulièrement, les pères –, il existe effectivement de fortes disparités qui dépendent du
niveau de qualification des parents et s’exercent au détriment des enfants des milieux défavorisés. Or, contrer l’impact de la
culture familiale est d’autant plus fondamental que ses effets sont généralement beaucoup plus importants que ceux liés au
revenu lorsqu’il s’agit d’expliquer les différences cognitives entre les jeunes de 15 ans » (Helfter, 2010).

84 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
naturelle : les tensions entre représentations du monde sont bien présentes entre acteurs des poli-
tiques de lutte contre la pauvreté, acteurs des politiques de l’enfance, acteurs des politiques des
droits de l’enfant et acteurs économiques.

3.1.3 Exploiter les tensions et incertitudes propres à l’objet pour concevoir les scénarios
Ces tensions sont inhérentes à la vie politique et démocratique. Or, la démarche prospective se par-
ticularise, précisément, par un travail d’investigation de futurs possibles ouverts et contrastés qui
émanent très souvent d’une diversité de visions du monde émergeant de débats, voire de contro-
verses autour d’une problématique. Dans le cadre de ce projet, la demande de réaliser quatre à cinq
scénarios contrastés des futurs possibles des politiques de lutte contre la pauvreté infantile tend à
encourager à ce que l’expression de cette diversité de visions soit permise par le dispositif et ali-
mente la conception des scénarios.

La fragmentation et la faible maturité évoquées pourraient apparaître sur le court terme comme des
faiblesses. Cependant, placées dans une logique de réflexion prospective de long terme, les incer-
titudes qu’elles supposent constituent une opportunité pour envisager des futurs possibles très ou-
verts et intégrant les relations étroites entre l’état de la pauvreté des enfants, les politiques menées
pour l’endiguer ainsi que les types d’État social qui les sous-tendent.

Le projet prospectif proposé dans le cadre de cette demande est agencé en vue de tenir compte
de la complexité de la situation actuelle pour l’intégrer au mieux autant à la démarche mise en place
qu’aux objectifs du projet. Ainsi, un dispositif de nature participative permettant une large consulta-
tion des parties prenantes et d’experts est organisé durant les phases de diagnostic prospectif et de
scénarisation dans une double perspective : d’une part, pour alimenter la réflexion de la diversité de
points de vue que nous venons d’évoquer, d’autre part, pour permettre, par les débats, réflexions et
travaux menés dans le cadre de ce dispositif, de contribuer à la maturation de ce nouvel espace
d’action publique.

Dans la suite de cette section, nous présentons une approche théorique du scénario prospectif afin
de baliser la démarche proposée par cette étude et introduisons les scénarios finaux du projet, en
décrivant les « images du futur » qui les caractérisent. Cette présentation permet de souligner l’arti-
culation de ces scénarios autour de quatre futurs de l’État social et des politiques de lutte contre la
pauvreté infantile qui s’y déploient.

3.2. LE SCÉNARIO COMME OUTIL DE L’ANALYSE PROSPECTIVE111


Dans le langage courant, le terme de scénario renvoie au déroulement préétabli d’une suite d’ac-
tions, réelles (par exemple, une cérémonie) ou fictives (une pièce de théâtre, par exemple). En pros-
pective, il vise à la fois la narration d’une trajectoire entre deux états, l’un, présent et l’autre, futur, et
la description de ce dernier.

Le scénario, en tant que dispositif méthodologique et didactique, occupe, en prospective, une place
privilégiée, au point qu’on assimile parfois l’un à l’autre, alors que ces deux termes ne sont pas syno-
nymes.

Suivant les objectifs visés et les modes d’élaboration, il est possible de distinguer plusieurs types de
scénarios prospectifs. La distinction la plus courante différencie scénarios exploratoires et scénarios
normatifs.

Pour de Jouvenel (1993), un scénario prospectif exploratoire est destiné à explorer le champ des
possibles. Il intègre trois éléments :

111
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 85


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. la base, c’est-à-dire la représentation cohérente que l’on se fait du système actuel analysé
en termes dynamiques ;

2. les cheminements, qui sont élaborés en faisant évoluer le système à travers le temps,
compte tenu que, dans cette progression, se posent des questions par rapport auxquelles
on considérera plusieurs hypothèses, en prenant ensuite soin d’en faire découler les consé-
quences. Ainsi, l’arborescence des futurs possibles, descendants potentiels du présent, est
construite par déduction et en précisant à chaque fois la conditionnalité ;

3. les images finales, qui sont obtenues à différentes étapes, et particulièrement à l’horizon de
l’étude (l’aboutissement des cheminements). La production de ces images finales n’est pas
plus importante que les chemins y conduisant. En outre, il est fondamental de préciser l’ordre
de grandeur des phénomènes et le moment de leur émergence.

Traditionnellement, la conception des scénarios exploratoires s’inscrit au sein d’un « cône des fu-
turs » dont le sommet est la situation actuelle et la base les différentes options envisagées. Aux ex-
trémités de cette base s’établissent des scénarios d’encadrement qui positionnent les situations les
plus extrêmes possibles du système. Entre ces deux extrémités s’insèrent un scénario de rupture qui
propose une image du futur totalement opposée à la situation actuelle ainsi qu’un scénario de réfé-
rence qui présente l’image du futur la plus vraisemblable. D’autres scénarios, définis comme des
variantes de l’une ou l’autre évolution possible, sont également envisagés dans l’analyse.

Figure 1 : Le cône des futurs

Source : Gall et al., 2022.

Le scénario exploratoire constitue donc une simulation d’évolution possible du système à travers le
temps. En ce sens, il peut être considéré comme « le déroulement hypothétique d’un certain nombre
de processus consécutifs à des données de départ ou plus précisément la description de l’état pré-
sent d’un système, d’un état futur possible de ce système et de l’ensemble des processus permet-
tant de passer de cette situation présente à cette situation future » (Lugan, 2006 : 74). Selon Lugan
(2006), sa valeur sera fonction :

1. de la pertinence des observations de l’état présent du système ;

2. de la pertinence des hypothèses qui sous-tendent le cheminement ;

86 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. de la cohérence des relations identifiées entre les variables composant le système et à l’ori-
gine de son évolution récente. Une attention toute particulière doit être apportée à cette
cohérence, car elle remplit une fonction pédagogique (éclairer les processus, leurs points
d’articulation et les enjeux).

Selon de Jouvenel (1993), cette méthode comporte un risque. La tentation, en effet, peut être grande
de multiplier les scénarios, par exemple par souci d’exhaustivité. Le danger est alors de se perdre
dans la complexité et le nombre des cheminements, sans mettre en exergue quelques grandes op-
tions et d’en examiner les conséquences. Il convient donc de se limiter à un nombre restreint de
scénarios, l’objectif n’étant pas de noyer le décideur ou les parties prenantes, mais de les éclairer.
Cette limitation peut s’appuyer sur une probabilisation des scénarios ou sur une décision plus arbi-
traire, mettant l’accent, par exemple, sur quelques grandes configurations très dissemblables et très
contrastées.

À l’inverse des scénarios exploratoires, les scénarios prospectifs normatifs, aussi qualifiés de straté-
giques, partent d’un objectif que l’on s’est fixé dans l’avenir et remontent dans le temps, établissent
un programme à rebours des actions à entreprendre pour l’atteindre (backcasting), au lieu de partir
du présent pour aller vers l’avenir comme le font les scénarios exploratoires (forecasting) (de Jouve-
nel, 1993). Le scénario normatif peut également être défini comme celui qui représente, parmi les
futurs possibles, l’expression du choix d’un avenir souhaitable (Julien et al., 1975).

Les deux démarches peuvent être combinées : dans un premier temps, des scénarios exploratoires
pour défricher ce qui peut advenir et, dans un deuxième temps, des scénarios stratégiques afin
d’identifier ce que l’on peut mettre en œuvre pour concrétiser un futur souhaitable et nourrir la vision
prospective.

3.3. QUATRE SCÉNARIOS D’ÉVOLUTION DES POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA


PAUVRETÉ DES ENFANTS
3.3.1. Apports et limites des scénarios proposés
La démarche menée dans cette analyse prospective vise à développer des scénarios de nature ex-
ploratoire. Il s’agit d’éclairer les décideurs et les parties prenantes sur les évolutions possibles des
politiques de lutte contre la pauvreté des enfants. L’objectif est d’identifier un nombre restreint de
scénarios contrastés dotés d’une certaine plausibilité. Comme nous l’indiquions au point précédent,
pour qu’un exercice prospectif de type exploratoire garde sa pertinence et puisse alimenter des dé-
bats et discussions autour des stratégies à mettre en place, il est important, pour conserver ces con-
trastes, d’éviter de proposer des scénarios qui consisteraient en des variantes d’un même état du
système prospectif. Ainsi, l’objectif poursuivi dans ce projet est de proposer des états du système
très différenciés. Ceci est obtenu, comme nous le verrons, en travaillant sur l’état des variables com-
posants le système et, en particulier, sur les variables motrices, aptes à créer les contrastes recher-
chés.

Le travail de conception des scénarios décrit aux chapitres suivants nous a permis d’aboutir à quatre
scénarios contrastés : trois scénarios « de rupture », qui proposent trois images possibles du futur, et
un scénario tendanciel. Ce dernier consiste en un chaînage des états tendanciels des variables in-
vestiguées dans le projet. Les trois scénarios de rupture permettent de présenter des états futurs du
système cohérents et fortement différenciés entre eux. Ils sont construits autour de trois formes
d’État social particulières, conditionnées par trois contextes spécifiques marqués par des situations
socio-économiques, géopolitiques et sociales singulières. Le quatrième scénario, le tendanciel ou
baseline, joue un rôle heuristique : il permet de souligner certaines apories dans les orientations po-
litiques actuelles, compte tenu de l’évolution des contraintes contextuelles.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 87


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Le choix de limiter le nombre de scénarios et d’en accentuer les contrastes est issu d’un processus
de développement et de conception qui a mobilisé un groupe d’experts, compétents sur des va-
riables de contexte spécifiques. En travaillant avec ce groupe dans le cadre d’ateliers visant à imagi-
ner des scénarios de contexte, nous avons développé jusqu’à huit scénarios, dont certains se sont
révélés être des variantes d’un scénario commun 112. Au terme de ce processus itératif, nous avons
opté pour les scénarios présentés au point suivant, en raison des versions très différenciées du sys-
tème analysé qu’ils permettent de décrire.

Ce choix s’avère également plus pertinent au regard des objectifs d’aide à la décision du projet : en
proposant des versions différentes, contrastées et plausibles des futurs possibles de l’État social et
de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants, nous fournissons des scénarios qui ne
constituent pas une fin en soi, mais le début d’un travail de réflexion stratégique qui pourra être mené
ultérieurement. Ces scénarios permettent, en effet, d’appréhender les futurs possibles et, de ce fait,
d’alimenter le débat public : en se confrontant à plusieurs futurs possibles, on perçoit autrement ce
qui peut advenir et ce qu’il est possible de faire. On comprend également mieux les conséquences
potentielles de ce qui est entrepris aujourd’hui.

3.3.2. Présentation des scénarios


Les scénarios identifient des mondes différents qui se veulent contrastés. Ils s’organisent sur une
trame commune qui répond à cinq questions principales :

• Comment se présente le contexte politique et économique international ainsi que la situation


climatique globale ?

• Quelles sont les situations respectives de la Belgique et de la Wallonie dans ce contexte ?

• Comment se configurent la situation sociale et l’État social ?

• Comment se structure l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants dans ce con-
texte ?

• Comment vivrait un enfant né en 2030 dans une famille en situation de pauvreté ou de pré-
carité dans le scénario imaginé ?

Les quatre scénarios se différencient principalement dans les formes contrastées que prennent l’État
social et l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants.
Dans le scénario 1, Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie précari-
sée, l’État social voit son budget limité et ses dépenses allouées prioritairement à la gestion des
multiples crises (sanitaires, sociales, écologiques, économiques…) issues du réchauffement clima-
tique (pandémies, inondations, vagues de chaleur et de froid, sécheresses, migrations climatiques
massives, renforcement des vulnérabilités…). L’action de l’État y est essentiellement réactive. Elle se
focalise sur des publics cibles et prioritaires dont font partie les enfants. Les situations de crise affec-
tent également grandement une classe moyenne mise sous pression : la prévention du risque de
pauvreté des enfants de la classe moyenne devient un élément central de l’action de l’État qui dé-
sinvestit progressivement le champ des politiques de lutte contre la pauvreté. Les personnes adultes
en situation de pauvreté sont davantage stigmatisées, associées à une « génération perdue » : l’État
tente de sauver leurs enfants en les extrayant de leur milieu familial et en les confiant de façon plus
systématique à des milieux d’accueil.
Dans le scénario 2, Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir, l’État social joue un rôle central dans la redistribution des fruits

112
Voir Chapitre 3, point 4.3.3.

88 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
d’une croissance centrée sur les « technologies vertes ». Les politiques de lutte contre la pauvreté
des enfants sont très largement financées, que cela soit, par exemple, par l’investissement dans la
petite enfance qui permet à chaque enfant à partir de ses trois mois d’accéder à un système de
garde de qualité ; par la revalorisation des filières techniques et professionnelles permettant la for-
mation d’une main-d’œuvre qualifiée aux nouveaux métiers des transitions numériques et énergé-
tiques ; ou, par le développement des structures d’accueil parascolaires permettant aux enfants de
développer des compétences pertinentes pour cette double transition (formation au codage et à
l’utilisation des outils numériques, compréhension de l’intelligence artificielle et du dialogue avec les
robots, formation aux nouveaux modes de vie associés à la mobilité électrique…).
Dans le scénario 3, Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités dans
une Wallonie transformée, l’État joue un rôle de coordinateur des actions qui permettent le déve-
loppement du bien-être et de la « pleine santé » de sa population, l’accès aux droits fondamentaux
et la préservation de l’environnement. Il s’agit pour lui de faciliter les processus qui renforcent les
capacités d’adaptation des populations aux différentes crises générées par les changements clima-
tiques et environnementaux. La politique scolaire et la politique de santé publique deviennent prio-
ritaires dans l’action de l’État. Ces politiques sont organisées d’une façon très transversale et décen-
tralisée avec le concours d’une multitude d’acteurs relevant des secteurs publics, privés et associa-
tifs. Il en résulte une réorganisation des logiques économiques et territoriales désormais centrées
sur l’adaptation qui permettent la mise en place de nouvelles solidarités et de « communs » garants
de l’accès aux droits fondamentaux partagés et protégés. La pauvreté des enfants y est pratique-
ment inexistante, car le système de protection sociale leur permet d’acquérir les compétences et
capacités nécessaires à l’adaptation aux différentes crises écologiques qui se multiplient et s’inten-
sifient. En outre, la relocalisation du système économique et le développement de différentes
formes de solidarités garantissent une forte intégration sociale ainsi qu’une sécurité dans l’accès à
certains droits fondamentaux prioritaires (se nourrir, se loger, se vêtir) qui prémunit les familles les
plus vulnérables contre la pauvreté et la précarité.
Le scénario 4, Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance » dans une Wallonie
fragmentée, se veut « tendanciel ». Il se distingue des trois précédents en ce qu’il projette les ten-
dances futures de variables, comme les variables démographiques ou macroéconomiques, dans un
contexte global conçu comme « stable », alors même que ce contexte est parcouru de nombreuses
incertitudes, notamment en matière géopolitique et climatique, mais aussi du point de vue de l’évo-
lution des régimes politiques européens. Ce scénario décrit donc un futur peu plausible. Néanmoins,
il est pourvu d’une fonction heuristique : il permet de dégager certaines tensions majeures qui sont
appelées à s’intensifier dans l’avenir et les bifurcations qui pourraient en émerger comme, par
exemple, la tension entre l’action contre les changements climatiques et environnementaux et la
volonté de poursuivre des objectifs de croissance économique ; la tension entre la nécessité de
maintenir un budget régional à l’équilibre et celle de dépenser massivement dans la gestion des
conséquences des changements climatiques, environnementaux et du vieillissement de la popula-
tion ; ou encore la tension entre la volonté de protéger les publics les plus vulnérables comme les
enfants et celle de maintenir la cohésion sociale dans un contexte de réduction des dépenses pu-
bliques.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 89


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC-
CHAPITRE 3

Méthode de conception
des scénarios

90 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. Phasage de l’analyse prospective
Les scénarios proposés résultent d’un processus itératif et participatif qui a débuté en septembre
2022 et s’est achevé en avril 2024. Ce processus s’est construit sur la base d’une large participation
de parties prenantes 113 et d’experts 114 durant la phase de « scénarisation », mais aussi au moment de
la phase de « diagnostic prospectif » qui l’a précédée. Ces deux phases ont structuré la démarche
prospective menée dans ce projet en permettant, d’une part, au cours de la première phase, de
développer la « base prospective » qui constitue la base d’informations nécessaires à la conception
du système prospectif et des scénarios prospectifs, et, d’autre part, au cours de la seconde phase,
d’élaborer les scénarios. Ces deux phases, comme le montre la figure ci-dessous, suivent, par ail-
leurs, la phase de délimitation de l’objet dont nous avons livré les résultats au premier chapitre.
Figure 2 : Phasage et planning du projet

Ainsi, le projet fut organisé en trois phases : (1) la délimitation de la mission, (2) la réalisation du dia-
gnostic prospectif et (3) la construction des scénarios prospectifs. Ces phases se sont succédé dans
le temps et étaient articulées entre elles de façon cohérente : la délimitation de l’objet a permis de
réaliser le travail exploratoire nécessaire à la mise en œuvre du travail de réalisation du diagnostic
prospectif qui, lui-même, a constitué la base de l’exercice de scénarisation.
Dans le cadre de ce chapitre méthodologique de l’étude, nous nous focaliserons sur une description
synthétique des résultats du travail mené dans les phases 2 et 3 afin de permettre au lecteur inté-
ressé par ces aspects de cerner les contours de la méthode employée. Nous avons également choisi
de mettre l’accent sur l’aspect participatif des méthodes employées en présentant les dispositifs
dans une section dédiée en fin de chapitre.

113
Les parties prenantes mobilisées dans le processus participatif appartiennent au groupe d’organisations qui, en Wallonie
et en Fédération Wallonie-Bruxelles, concourent à l’action de lutte contre la pauvreté des enfants. Elles sont issues des sec-
teurs suivants : secteur associatif actif dans la lutte contre la pauvreté et les droits de l’enfant ; secteur public wallon, de la
Fédération Wallonie-Bruxelles et fédéral actif dans la lutte contre la pauvreté, les droits de l’enfant, la politique scolaire, la
politique d’aide et de protection de la jeunesse, la politique du logement, la politique de promotion de la santé, les allocations
familiales ; mutuelles et caisses d’allocations familiales ; syndicats. Le lecteur intéressé par l’aspect participatif de la démarche
prospective consultera le chapitre 3 – section 4 du présent document.
114
Un groupe d’experts scientifiques a contribué directement à la réalisation des scénarios. Il était constitué de 29 chercheurs
et chercheuses (22 experts IWEPS et 7 experts externes) disposant d’une compétence sur les disciplines, thématiques et
domaines abordés (économie, démographie, géographie, système politique et social, anthropologie…).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 91


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. Le diagnostic prospectif
La réalisation du diagnostic prospectif constitue une étape importante de la démarche prospective.
Elle permet de développer la base prospective qui constitue le socle du travail d’exploration des
futurs possibles.

Cette étape vise à analyser la problématique de façon systémique. Dans l’analyse prospective, ce
système est élaboré à partir d’un jeu de variables et de leurs relations. Cette phase de diagnostic
permet également d’identifier les acteurs qui participent au fonctionnement du système et à com-
prendre les enjeux dont ils sont porteurs.

Le diagnostic prospectif fournit deux livrables principaux : d’une part, la base prospective, qui est
composée de la liste des variables pertinentes et des fiches variables qui les caractérisent ; d’autre
part, la représentation du système analysé qui doit permettre de comprendre le positionnement de
chacune des variables et leurs interactions.

2.1. LA NOTION DE « VARIABLE » EN PROSPECTIVE 115


En prospective, les variables constituent les composantes pertinentes d’un système prospectif. Elles
s’assimilent à des facteurs dont les dynamiques peuvent influencer l’évolution du système. Elles sont
identifiées en recourant à des méthodes de collecte d’information de différentes natures : étude do-
cumentaire, veille prospective, consultation d’expert(e)s, réalisation d’ateliers avec les acteurs clés
de la problématique analysée… Dans l’analyse, les variables sont généralement distinguées des phé-
nomènes : elles caractérisent un descripteur de la réalité (par exemple : le prix du pétrole, suscep-
tible de monter ou de baisser), tandis que les phénomènes spécifient une réalité en transformation
(par exemple : la hausse du prix du pétrole, qui n’est qu’une modalité du prix).

Le travail sur les variables joue plusieurs rôles dans l’analyse prospective (Godet, 2007 : 114-115). Il
consiste en l’identification de variables motrices, c’est-à-dire les variables décisives dans les dyna-
miques de transformation du système. Le travail descriptif des évolutions possibles de chacune des
variables du système constitue, par ailleurs, la base de l’élaboration des scénarios.

2.2. LA NOTION DE « SYSTÈME PROSPECTIF » 116


La prospective cherche à produire des connaissances utiles à la prise de décision concernant des
systèmes humains complexes (Van der Steen, 2017 : 183). Ceux-ci se caractérisent à la fois par l’action
de variables qui le structurent et par le comportement d’acteurs qui le font évoluer. Dès lors, pour
produire ses anticipations, la prospective adopte un parti pris systémique (Cunha, 1988).

L’objet de l’analyse est conçu comme un système structuré et dynamique, composé d’éléments
(des variables et/ou des acteurs) en interaction. Cette posture permet de mettre en relation les ap-
ports d’une multiplicité de disciplines scientifiques et d’envisager des connexions qui ne se limitent
pas à des liens de causalité linéaire.

La prospective cherche donc à mettre en évidence ce type de dynamique afin d’explorer les futurs
possibles. Pratiquement, la représentation du système est la plus souvent organisée en strates. La
première est le système spécifique, c’est-à-dire l’organisation, le territoire ou la problématique que
s’est donnée la démarche prospective. Les autres concernent le contexte avec lequel le système
spécifique interagit, à savoir son environnement proche (ou écosystème), sur lequel il conserve une

115
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».
116
Ibid.

92 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
certaine capacité d’action, et l’environnement global, dont les transformations l’affectent sans qu’il
puisse agir dessus (Godet, 2007).

Une conséquence pratique de cette posture systémique est que plusieurs étapes de la démarche
prospective visent tantôt la modélisation du système (pendant la phase de diagnostic), tantôt l’anti-
cipation de ses changements et de ses états nouveaux (pendant la phase d’exploration).

2.3. LE CONCEPT DE « BASE PROSPECTIVE » 117


La base prospective comprend l’ensemble de l’information nécessaire à la compréhension de l’objet
analysé et utile au développement des scénarios. Comme l’indique Michel Godet : « La première
phase de la méthode des scénarios vise ß construire la "base" c’est-ß-dire une "image" de l’état actuel
du système constituè par le phénomène étudié et son environnement ß partir de laquelle l’étude
prospective pourra se développer » (Godet, 2003 : 117). La base prospective joue, ainsi, un triple rôle :
(1) comprendre l’état actuel de l’objet analysé et de son contexte, (2) saisir la nature systémique des
interactions entre l’objet et son contexte, (3) constituer les fondements du travail de développement
des scénarios.

Cet auteur souligne en outre que, pour qu’une base prospective soit suffisamment documentée et
couvre le plus exhaustivement possible la réalité analysée, elle doit intégrer une information répon-
dant à quatre critères (Godet, 2003 : 118) : détaillée, globale, dynamique et explicative.

2.3.1. Une appréhension fine des variables


Elle doit être « détaillée » dans le sens où l’information proposée à propos des variables doit com-
porter des éléments quantitatifs et qualitatifs afin d’en cerner au mieux l’état actuel. Il s’agit de déve-
lopper une appréhension de chacune des variables la plus fine et détaillée possible en intégrant un
descriptif statistique constitué de séries temporelles, mais aussi d’avoir une lecture plus qualitative
de son évolution qui permet d’en saisir la dynamique, c’est-à-dire d’interpréter les tendances, trans-
formations et ruptures.

2.3.2. Une large compréhension du système


L’information comprise dans la base prospective doit être « globale » : elle doit permettre de saisir
l’ensemble des dimensions qui influencent l’état de l’objet analysé. L’objectif de la démarche par
scénarios exploratoires étant d’investiguer des futurs possibles et contrastés, il est important que la
complexité des phénomènes influençant l’état de l’objet puisse être comprise et intégrée à la base
d’information. Ainsi, des variables de natures très diverses (politiques, économiques, sociales, tech-
nologiques, environnementales, légales, etc.) doivent être prises en compte et documentées d’une
façon similaire, sans privilégier a priori l’un ou l’autre facteur. À ce stade de l’analyse, il est en effet
important de traiter de façon similaire les éléments constitutifs du système afin de garder un poten-
tiel de développement d’une diversité de trajectoires possibles. Nous verrons dans le chapitre sui-
vant que l’analyse des dynamiques d’interactions entre variables permet de les classer et ainsi d’en-
visager les manières dont le système peut évoluer de façon plausible – c’est-à-dire cohérente par
rapport à son état actuel et à son évolution passée – dans le futur.

2.3.3. Une lecture rétrospective et prospective des variables


L’information rassemblée doit permettre de saisir la « dynamique » du système. Cela suppose qu’elle
permette de dégager et de mettre en évidence « les tendances passées et les faits porteurs d’ave-
nir » insiste Godet (Godet, 2003 : 118). La dimension dynamique de l’information collectée comporte
donc deux dimensions : réaliser une rétrospective et identifier des signaux faibles ou germes de

117
Ibid.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 93


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
changements. Comme nous l’avons présenté dans le premier chapitre, nous avons entamé la re-
cherche par une analyse rétrospective, permettant de comprendre la dynamique à l’œuvre en ma-
tière d’action publique de lutte contre la pauvreté infantile et de délimiter l’objet analysé. L’aspect
rétrospectif englobé par la base prospective apparaît plus large puisqu’il vise à couvrir l’ensemble
des éléments qui influencent l’état de ces politiques. Les signaux faibles ou germes de changement
ressortent fréquemment de cette rétrospective. Ils renseignent sur des phénomènes émergents,
encore peu perceptibles ou objectivables, mais qui ont le potentiel de produire des changements
importants dans la dynamique du système étudié.

L’information rassemblée doit enfin être « explicative ». Elle doit permettre de caractériser la façon
dont les éléments du système évoluent dans le temps pour permettre de comprendre les méca-
nismes à l’œuvre dans cette évolution : il est nécessaire d’identifier des « hypothèses d’évolution »
pour chacune des variables composant la base prospective. L’exploitation de ces hypothèses con-
tribuera utilement au travail de scénarisation, soit pour imaginer des prolongements de tendances,
soit pour représenter des futurs alternatifs.

2.4. PREMIÈRE CARTOGRAPHIE DU SYSTÈME ET CONCEPTION DE LA BASE


PROSPECTIVE EXPLOITÉE DANS LE PROJET
Dans le cadre de ce projet, cette phase de travail a poursuivi deux objectifs : d’une part, parvenir à
présenter la problématique analysée sous forme de système, et d’autre part, établir et décrire l’en-
semble des composants de ce système, les variables.

Cette phase de travail fut organisée en trois parties : une partie « exploratoire », une partie de « con-
solidation » des résultats de l’exploration et une partie « documentaire » durant laquelle fut réalisée
la base prospective.

2.4.1. Exploration de l’objet analysé et des facteurs qui en influencent l’état


Le travail rétrospectif réalisé dans le cadre de la phase de délimitation de l’objet a permis, d’une part,
de cerner les contours de l’objet analysé et, d’autre part, d’identifier les parties prenantes pertinentes
à consulter dans le cadre des dispositifs participatifs mis en place dans le projet. Sur cette base, nous
avons réalisé un « atelier prospectif exploratoire » 118. Il s’est tenu à trois reprises en septembre 2022.
Ce dispositif avait un double objectif : 1) comprendre la manière dont les parties prenantes appré-
hendent la question de la pauvreté des enfants ; 2) proposer aux participants et participantes de ré-
fléchir aux facteurs qui en influencent l’état. Par cet intermédiaire, nous avons dégagé une définition
commune aux parties prenantes de la pauvreté des enfants et une analyse partagée de facteurs qui
en conditionnent l’état.

2.4.1.1. La pauvreté des enfants comme réalité systémique

Sur la base des travaux menés avec les parties prenantes, nous avons synthétisé une définition de
la pauvreté des enfants. Elle est schématisée dans la Figure 3.

Ce diagramme positionne au cœur de la problématique deux éléments indissociables : l’enfant en


situation de pauvreté et son contexte familial. En effet, si chacun peut être envisagé individuellement,
il semble crucial pour la grande majorité des participants et participantes aux ateliers que le lien entre
l’enfant et sa famille soit pris en considération.

Autour de ce cœur de cible s’agencent trois ensembles qui caractérisent la pauvreté de l’enfant de
trois façons différentes. On retrouve l’opposition entre la pauvreté comme « état objectif » et comme

118
Voir le détail du dispositif au point 4.3.1. du présent chapitre.

94 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
« expérience vécue ». S’y ajoute un troisième élément qui la conçoit comme un parcours de vie, la
pauvreté étant envisagée dans ses effets cumulatifs.

En tant qu’état objectif, la pauvreté de l’enfant s’assimile à une situation qui peut être décrite via
différents outils d’analyse, notamment quantitatifs, qui appuient et calibrent une action politique et
administrative à son égard : l’accès à un ensemble d’items permet, par exemple, de déterminer la
réalité d’une situation de pauvreté, le niveau de ressources financières également. Comme nous
l’avons vu précédemment, l’état de déprivation matérielle constitue l’entrée analytique privilégiée
dans les analyses statistiques relatives à la pauvreté infantile et structure l’appareil de mesure mis
en place au niveau européen ainsi que l’action publique de lutte contre cette pauvreté.

Figure 3 : Proposition de définition de la pauvreté infantile sur la base du matériau issu des trois
journées d’atelier

En tant qu’expérience vécue, la pauvreté de l’enfant concerne la réalité subjective de l’enfant en


situation de pauvreté. La stigmatisation, l’isolement social, la perte de confiance en soi, les problèmes
de santé mentale et/ou physique ou encore l’intériorisation de l’échec constituent des éléments
vécus par l’enfant qui, cumulés, forment son expérience de la pauvreté et conditionnent, potentiel-
lement, son parcours de vie.

Le « parcours de vie » constitue la troisième partie de cette définition de la pauvreté de l’enfant. Il


permet de mettre l’accent sur le fait que son état de pauvreté se forme et varie au gré des différents
âges qu’il traverse, de la petite enfance à l’adolescence, mais aussi des situations de « transition »
vécues dans son contexte familial qui peuvent influencer sa situation et son expérience. La notion
de « parcours de vie » concerne également l’effet cumulatif des expériences vécues au cours de
ces différents âges ou événements de vie qui peuvent confiner l’enfant à une condition de pauvreté
personnelle qui le marginalise.

2.4.1.2. À la recherche des variables qui influencent l’état de la pauvreté infantile

Le second volet des travaux menés dans le cadre de ce dispositif consultatif a visé à comprendre la
façon dont les parties prenantes analysent les déterminants de la pauvreté des enfants. Les résultats
de cette réflexion ont permis de dégager une représentation du système dans lequel se situe la
pauvreté infantile.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 95


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Le diagramme ci-dessous présente les résultats de ce premier prototypage du système et de ses
composants.

Figure 4 : Première représentation systémique du phénomène de pauvreté des enfants

Ce diagramme représente donc, de façon simplifiée, la pauvreté des enfants inscrite dans un sys-
tème de facteurs 119 qui en influencent l’état. Ces facteurs ne sont pas directement représentés sur le
diagramme pour éviter de l’alourdir. Le tableau ci-dessous reprend la liste complète de facteurs
associés aux catégories induites figurant sur le diagramme. Lus conjointement, ces éléments per-
mettent une première appréhension du système et de sa dynamique.

Tableau 1 : Les facteurs influençant l’état de la pauvreté infantile identifiés au cours de l’atelier
prospectif exploratoire

Catégories Facteurs

Politique budgé- Le sous-financement de : la politique de la petite enfance, de la transition


taire économique de la Wallonie, de l’enfance, de l’école et de l’éducation, du
logement, des transports, de la santé, de l’accueil temps libre.

Nouvelle Gestion • État social actif


Publique • Nouveau paradigme de financements
• Libéralisation des services publics

Réforme de l’État • Régionalisation


belge • Éclatement des compétences
• Absence de coordination

119
Cette première représentation du système met l’accent sur une définition individualisée de la pauvreté de l’enfant. Dans la
suite de la recherche, nous nous distancierons de cette approche pour envisager la pauvreté des enfants comme partie
intégrante de la question des inégalités sociales. L’analyse prospective portera donc sur les déterminants des inégalités qui
touchent les enfants pour en imaginer les évolutions possibles.

96 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Droit international • Convention internationale des droits de l’enfant
• Convention de l’ONU pour les droits des personnes handicapées

Politiques sociales • Taux cohabitant


• Non-automaticité/conditionnement des droits
• Non-individualisation des droits
• Non-recours aux droits
• Tiers payant
• Automatisation des allocations familiales

Mondialisation • Désindustrialisation
• Précarisation du monde du travail
• Présence croissante des femmes sur le marché du travail
• Migrations
• Crises financières et énergétiques
• Obsolescence programmée
• Concentration des commerces et hausse des prix

Revenu et pouvoir • Baisse du pouvoir d’achat


d’achat • Facilitation de l’accès au crédit et surendettement
• Prix du logement, revenu
• Régime d’aides sociales

Socialisation • Digitalisation et complexification


• Digitalisation et déshumanisation
• École, seul lieu de socialisation obligatoire
• Évolution du modèle familial/monoparentalité
• Affaiblissement de la solidarité et des liens sociaux

École • École, seul lieu de socialisation obligatoire


• Reproduction des inégalités scolaires
• Défaut d’éducation aux médias
• Évolution du système éducatif
• Organisation de l’enseignement
• Coût de l’école (son défaut de gratuité)
• Politique scolaire
• Rôle et perception sociale du diplôme
• Barrière de la langue (pour les enfants issus de l’immigration)

Monde incertain Crises sanitaires, économiques et écologiques

Valeurs • Place de l’enfant dans la société


• Consumérisme/matérialisme
• Image/représentations de la pauvreté
• Intérêt supérieur de l’enfant
• Sentiment anti-islam

Démographie • Vieillissement de la population


• Immigration

Cette première représentation a servi de base au travail mené ensuite dans la partie « consolidation »
de cette phase de travail, que nous détaillons dans la section suivante du rapport.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 97


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.4.2. Consolidation des résultats de la phase exploratoire
Cette séquence de travail a consisté, d’une part, en un enrichissement des résultats de l’atelier ex-
ploratoire d’éléments issus de la littérature et des discussions collectives et individuelles menées
avec le comité de suivi du projet, et, d’autre part, en un travail de stabilisation d’une liste de variables.

2.4.2.1. L’enrichissement des résultats de l’atelier prospectif exploratoire

Cet enrichissement a consisté en un travail de traitement approfondi des résultats de l’atelier. Il fut
réalisé à travers la préparation de « rapports d’étonnement » 120 par les membres de l’équipe projet,
réalisés à partir des discussions individuelles et collectives tenues avec les membres du comité de
suivi du projet. Les éléments issus de ce travail ont ensuite été discutés avec les participants et par-
ticipantes à l’atelier dans le cadre d’une séance de restitution dédiée à la présentation du travail de
traitement des résultats. Les rapports d’étonnement ont identifié trois types d’éléments. Tout d’abord,
les « grands absents » : il s’agit d’éléments qui n’ont pas été évoqués dans le cadre des trois séances
d’atelier alors que leur importance semble manifeste pour les experts du comité de suivi. Ensuite,
les « éléments de rupture » : il s’agit d’éléments relevés dans le cadre des discussions avec les ex-
perts du comité de suivi ou dans la littérature qui n’ont pas été abordés dans les ateliers. Enfin, les
« éléments qui affinent » : il s’agit d’informations qui permettent de préciser certains points de débats
ou de discussion présents lors des ateliers, mais peu développés.

Tableau 2 : Éléments qui enrichissent le travail exploratoire en atelier

Éléments complémen- Description


taires et de rupture
La dimension territo- Les aspects territoriaux et spatiaux de la pauvreté apparaissent
riale et spatiale de la comme des éléments importants à prendre en compte dans l’analyse
pauvreté autant que dans l’action relative à la pauvreté et à la pauvreté infantile.
Sur le plan territorial, on constate d’importantes inégalités entre terri-
toires liées aux structures socio-économiques (communes ou terri-
toires plus vastes à haut niveau de revenu par habitant et communes
ou territoires plus vastes à bas revenu par habitant) et aux politiques
locales développées notamment par les CPAS (comme, par exemple,
le financement des milieux d’accueil des enfants – écoles commu-
nales, activités parascolaires, crèches).
Sur le plan spatial, certains soulignent les effets de ségrégation so-
ciale liés aux politiques de logement social et prônent davantage de
mixité sociale et générationnelle tant dans les quartiers que dans les
bâtiments, afin d’éviter les phénomènes d’entre-soi et de ghettoïsation
qui soutiennent les phénomènes de reproduction de la pauvreté, et
rendent plus difficile la sortie de situation de pauvreté et, pour les en-
fants, l’accès à une vie « normale ».
Le genre La question du genre n’a pas été évoquée dans le cadre des ateliers
comme élément caractéristique de la situation de pauvreté des en-
fants, ni non plus comme facteurs en déterminant l’état.
Dans les discussions réalisées avec les experts, nous avons pourtant
identifié des « effets de genre » importants, principalement concer-
nant la situation des parents. Il apparaît en effet que les femmes sont
davantage exposées au risque de pauvreté lorsqu’elles sont en situa-
tion de « famille monoparentale », car, statistiquement, l’adulte

120
Chaque membre de l’équipe prépare individuellement une note qui vise à identifier les éléments qu’il juge originaux ou
manquants au sein de l’information collectée. La discussion de ces lectures individuelles en équipe permet ensuite d’enrichir
l’information et d’en discuter avec les participants et participantes aux ateliers lors d’une séance de restitution des résultats.

98 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
présent dans la très grande majorité des ménages monoparentaux est
une femme (Guio et Van Lancker, 2023).
D’autres éléments liés au genre jouent également. D’une part, il appa-
raît que, dans certains dispositifs d’action publique, les femmes sont
« responsabilisées » en tant que mères (ainsi, par exemple, en Région
de Bruxelles-Capitale, les allocations familiales sont versées directe-
ment à la mère des enfants). D’autre part, il apparaît que les mouve-
ments féministes développent une lecture critique des inégalités qui
touchent les femmes dans leur rapport à la prise en charge des en-
fants. Ainsi, certains revendiquent une libération totale des femmes
des obligations traditionnellement conçues comme « maternelles ».
Cela se traduit, notamment, dans la nécessité d’assurer la prise en
charge des enfants par des structures d’accueil, comme les crèches,
dès le plus jeune âge. D’autres, par contre, souhaitent laisser aux pa-
rents le choix d’organiser la prise en charge de leurs enfants selon leur
convenance, hommes ou femmes, en leur permettant de libérer le
temps nécessaire à ces activités. D’autres encore, souhaitent que le
rôle joué par les femmes dans la prise en charge des enfants soit re-
connu et valorisé.
Le bien-être des pa- L’état de santé physique et mentale des parents peut également in-
rents fluencer l’exposition des enfants au risque de pauvreté : le bien-être
des parents à la fois en tant qu’adulte et membre de la société (travail,
inclusion sociale et politique, liberté de choix de vie…) conditionne for-
tement le cadre de vie des enfants. Au niveau politique et social, la
question du respect et de la reconnaissance des choix parentaux et
des choix d’éducation apparaît fondamentale. Elle interroge les
normes sociales et les diverses formes d’injonction qui peuvent éma-
ner des différents métiers assurant la prise en charge des enfants,
l’accompagnement des parents, voire les décisions liées aux situa-
tions familiales conflictuelles.
Le courant child free et Récemment, la place de l’enfant dans la société semble avoir évolué.
le « regret parental » Au sein des populations plus jeunes en âge de devenir parents se dé-
veloppe un imaginaire « child free », c’est-à-dire la conception d’une
vie sans enfants. Il s’agit, dans certains cas, d’une revendication fémi-
niste qui rompt avec une norme sociale qui conduirait les femmes
adultes à devenir mères, de manière à leur permettre d’avoir une vie
personnelle. De même émergent différents discours et recherches
autour du thème du « regret parental ». Celui-ci caractérise des pa-
rents (souvent des femmes) qui reconnaissent leur regret d’avoir des
enfants. Certaines recherches soulignent que ce regret parental con-
cerne près de 20 % des parents dans des pays comme les États-Unis
ou l’Allemagne (Piotrowski, 2021). D’après certaines études, ce regret
concerne des populations affectées par une enfance personnelle dif-
ficile, une santé mentale ou physique affaiblie, une sensibilité exacer-
bée au jugement social, une crise d’identité parentale ou un burn-out
parental. Le regret parental s’associe aussi à une situation financière
difficile et/ou à la situation familiale du parent (séparation, divorce,
monoparentalité), ainsi qu’au fait d’avoir des enfants avec des besoins
particuliers (enfants handicapés…). Cette situation suppose, évidem-
ment, d’importantes répercussions possibles sur la situation propre
des enfants et sur leur exposition au risque de pauvreté.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 99


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Les représentations Comment les travailleurs sociaux abordent-ils la pauvreté ? Quel rôle
des travailleurs sociaux jouent leurs représentations et leurs schémas cognitifs et normatifs
à l’égard des personnes dans la définition de la pauvreté ? En quoi ces représentations contri-
en situation de pau- buent-elles à la reproduction de certaines formes de pauvreté et em-
vreté pêche l’évolution des politiques sociales ? Les politiques sociales con-
temporaines s’organisent autour d’un principe d’intervention ciblée
fondé sur la prise en compte des spécificités des situations indivi-
duelles : en quoi cette vision individualisante contribue-t-elle à la réali-
sation, au développement et au maintien de politiques sociales « d’ac-
tivation » fondées sur les principes de fonctionnement de l’État social
actif, sans prise en compte d’autres approches possibles ?
Les innovations so- Face aux situations de vie et aux transformations des structures so-
ciales comme l’« habi- ciales, notamment influencées par le développement de la monopa-
tat kangourou » rentalité et l’augmentation du coût du logement (ou également les
« pièges à l’emploi »), quelles sont les innovations sociales qui se met-
tent en place, c’est-à-dire les actions d’adaptation aux transformations
de contexte qui émargent aux cadres définis au niveau institutionnel ?
Comment le système en place est-il questionné ou mis en cause par
des actions ou des dispositifs de différentes natures, potentiellement
aptes à induire certains changements ?
L’habitat kangourou en constitue un exemple. Il s’agit d’une innovation
sociale qui répond, par l’adaptation, à une combinaison de variables
de différentes natures : démographiques (vieillissement de la popula-
tion et augmentation des familles monoparentales), économiques
(hausse du prix du logement, perte de pouvoir d’achat), géogra-
phiques (structures spatiales du logement), politiques (sous-investis-
sement dans les logements sociaux…). Il s’agit de développer des lo-
gements intergénérationnels qui permettent plusieurs choses : le dé-
veloppement de formes de socialisation, de solidarités et d’activités
intergénérationnelles, l’occupation d’espaces de logement vides, la
réduction du coût du logement, l’amélioration des revenus des per-
sonnes âgées, l’amélioration de la situation économique et sociale de
familles monoparentales…

2.4.2.2. Les éléments qui affinent les résultats de l’atelier exploratoire

Complémentairement aux éléments précédents, nous en avons également cerné une série d’autres
qui permettent d’approfondir et de préciser ceux avancés durant les ateliers. Nous en avons relevé
onze, présentés et décrits dans le tableau ci-dessous.

Tableau 3 : Éléments qui affinent le travail exploratoire en atelier

Éléments qui affinent Description


La politique de l’emploi Difficultés de parents à travailler lorsque l’exercice de cet emploi sup-
et les pièges à l’emploi pose l’exposition de frais tellement importants (frais de garde des en-
fants, de déplacement…) qu’il devient plus coûteux, à court terme, de
travailler que de ne pas travailler.
Les publics spécifiques Les personnes issues de l’immigration s’exposent à des risques de
(notamment les publics pauvreté plus importants en raison d’un cumul de difficultés cultu-
immigrés) relles, administratives…
La question démogra- Le développement des familles monoparentales (un seul parent pour
phique (notamment la exercer la garde et s’occuper des enfants) pose question, par son am-
forte croissance du pleur et par ses répercussions sur les différentes dimensions de la vie
en société ainsi que sur la pauvreté des personnes et des enfants.

100 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
nombre de familles
monoparentales)
Le modèle d’interven- Le métier des travailleurs sociaux est modelé sur des cadres spéci-
tion sociale fiques qui définissent la nature de leur intervention. Par exemple, en
matière de politiques de l’enfance, l’intervention se limite à la « pré-
vention ». Les travailleurs sociaux ne peuvent donc entreprendre d’ac-
tion d’ordre curatif lorsqu’ils font face à des situations difficiles, a for-
tiori graves. Ils abordent également leur action en termes d’« encapa-
citation », c’est-à-dire que leur rôle consiste à aider les personnes à
analyser leur situation et à leur permettre d’accéder aux différents
droits dont ils bénéficient. Cette action s’insère donc dans un modèle
plus large, conditionné par la nature des politiques sociales.
Le rôle de la participa- Les bénéficiaires des politiques sociales pourraient intervenir davan-
tion des bénéficiaires tage dans la manière dont ces politiques sont conçues et mises en
œuvre afin que la réalité de leur situation soit davantage connue et re-
connue, et, par conséquent, les mécanismes mieux adaptés.
Le rôle du capital social La question de la socialisation des personnes, de leur insertion dans
(la « force des liens des réseaux pour leur permettre d’accéder à différents types de droits
faibles ») apparaît comme une caractéristique importante dans un contexte où
les pouvoirs publics jouent un rôle limité pour la garantie de ces droits.
La politique d’allocation Cette politique joue un rôle important sur plusieurs plans : d’abord,
familiale évidemment, sur le revenu des familles puisqu’elle permet aux en-
fants de bénéficier dès leur naissance d’un soutien financier continu ;
ensuite, parce que les réflexions menées par les organismes en
charge de ces allocations pour l’octroi des suppléments sociaux peu-
vent aider à mieux comprendre les catégories de publics concernés
par la pauvreté infantile et la manière dont ces catégories sont con-
çues et développées.
La politique de la petite Le rôle joué par la petite enfance dans le développement futur de
enfance l’enfant est devenu un élément important de réflexion et d’action pour
de nombreux acteurs, afin de permettre de concevoir et de mettre en
œuvre des politiques sociales de l’enfance « post » État-providence
(celui-ci mettant l’accent sur la période de scolarité obligatoire).
La politique de la jeu- Comment cette politique est-elle conçue ? Quels en sont les acteurs,
nesse les valeurs, les modèles d’action et d’intervention ? Comment se situe-
t-elle par rapport aux autres politiques touchant les enfants : de l’en-
fance, de la petite enfance, scolaire ?
La politique fiscale L’état de « parent » est pris en compte par les politiques fiscales : en-
fant fiscalement à charge, situation de handicap éventuelle de l’en-
fant, déductibilité de frais de garde, etc. Comment les politiques fis-
cales s’adaptent-elles aux transformations sociétales et à la réalité dé-
mographique (familles recomposées, monoparentales…) pour éviter
les effets de seuil et risquer d’accentuer les inégalités sociales (avec
leurs répercussions sur la situation de pauvreté des enfants) ?

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 101


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
La mesure de la pau- Les systèmes de mesure et d’analyse des situations de pauvreté et de
vreté infantile et de la pauvreté infantile se focalisent sur différents types d’indicateurs (dé-
pauvreté privation matérielle, revenus, accès aux droits fondamentaux) définis-
sant la pauvreté en tant qu’état objectif. Comment faire évoluer ce
système de mesure pour qu’il intègre d’autres variables, notamment
celles associées à l’expérience de la pauvreté et aux parcours de vie ?

2.4.2.3. Développement de la base prospective

La qualité de la liste des variables utilisées pour développer la base prospective apparaît fondamen-
tale. Par exemple, une liste trop longue et trop détaillée pourrait rendre l’analyse trop complexe et
difficile à réaliser. A contrario, une liste trop courte présenterait un risque de simplification du système
et de son fonctionnement. Cela pourrait conduire à formuler des scénarios trop génériques, si les
variables sont essentiellement contextuelles, ou, à l’inverse, trop spécifiques, si ne sont prises en
compte que des variables internes. Dans le premier cas, l’analyse demeurerait relativement superfi-
cielle puisqu’elle ne donnerait pas aux décideurs de clés suffisamment précises pour orienter leurs
choix présents. À l’inverse, dans le second cas, une analyse centrée sur les variables internes empê-
cherait de comprendre les enjeux contextuels parfois déterminants pour les évolutions futures et
cantonnerait les scénarios proposés à des variations autour d’une tendance, sans que, par exemple,
des ruptures contextuelles puissent être intégrées à l’analyse.

L’établissement de la liste des variables pertinentes pour l’analyse prospective résulte d’un travail de
synthèse d’informations recueillies à diverses sources et via différents dispositifs : entretiens, ateliers,
analyse documentaire… Comme le note bien Michel Godet : « Afin d’identifier une liste la plus ex-
haustive possible des variables, caractérisant le système constituè par le phénomène étudiè et son
environnement, aucune voie de recherche n’est a priori exclue, et tous les moyens de brainstorming
et de créativité sont bons » (Godet, 2003 : 157). Il explique également que ce travail d’inventaire est
de nature itérative et résulte d’un processus de réflexion et d’affinage exploitant les ressources d’un
travail collectif. Dans ce point, nous revenons sur certains éléments précédemment évoqués à pro-
pos de l’atelier prospectif exploratoire à partir duquel s’est développé l’établissement de cette liste
de variables et présentons brièvement le processus qui a mené à une liste stabilisée tant dans le
nombre de variables retenues que dans leur libellé.

2.4.2.4.Une maquette de la liste de variables

L’atelier prospectif exploratoire a permis de lister une cinquantaine de facteurs qui influencent l’état
de la pauvreté des enfants. Comme nous l’avons décrit précédemment, cette liste de facteurs a
ensuite été enrichie d’éléments complémentaires recueillis via d’autres sources.

Les données brutes issues des travaux réalisés par les participants et participantes aux ateliers ont
fait l’objet d’un traitement par regroupement. Pour ce faire, nous avons procédé à l’aide de deux
méthodes différentes.

Dans un premier traitement, nous avons distribué les facteurs retenus dans une matrice PESTEL
(politique, économique, social, technologique, environnemental, légal). Chaque occurrence des fac-
teurs identifiés a également fait l’objet d’un recensement. Sur ce dernier point, nous avons opté pour
une distinction entre facteurs très fréquemment identifiés et facteurs moins fréquemment identifiés.
En outre, les catégories PESTEL ont également fait l’objet d’une adaptation : nous avons intégré une
catégorie « éducation », spécifique à l’objet analysé.

Dans un second traitement, nous avons regroupé les facteurs distribués dans la matrice en catégo-
ries plus spécifiques ou « clusters ». Cette démarche visait à dégager, en première analyse, une grille
de lecture de la dynamique de formation de la pauvreté des enfants ancrée dans les savoirs produits

102 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
par les participants et participantes aux ateliers. L’ensemble des facteurs ainsi redécrits a permis
d’ébaucher la première analyse systémique présentée dans la section précédente.

Ces deux premiers traitements ont permis de tester des regroupements possibles des variables au
sein de catégories agrégées pour tenter de dégager des variables qui puissent couvrir les facteurs
identifiés et être libellées d’une façon plus générique.

2.4.2.5.L’établissement d’une première liste de variables

Ce double traitement a servi de base de travail à une séance de brainstorming de l’équipe projet,
dont l’objectif principal était de parvenir à une liste de variables suffisamment « compacte », d’une
part, pour être exploitable et documentable dans le cadre du projet et, d’autre part, pour couvrir
l’ensemble du système analysé, tant au niveau des variables internes, propres à la pauvreté des
enfants, que des variables externes qui permettent d’en décrire le contexte.

À l’issue de cette séance, les regroupements ont été précisés, les variables qui les composent défi-
nies et labellisées d’une façon générique. Certaines incertitudes se sont maintenues au niveau du
partage ainsi que de la labellisation. Nous verrons au point suivant que ces incertitudes seront résor-
bées dans le cadre du travail sur la base prospective. Ainsi, malgré ces incertitudes, une première
liste de variable a pu être stabilisée en vue d’entamer le développement de la base prospective.

L’équipe a retenu six groupes de variables :

1. Les variables institutionnelles. Ces variables recouvrent l’ensemble des aspects politiques et
réglementaires envisagés par les participants et participantes aux ateliers. Comme nous
l’avons vu, les parties prenantes présentes à l’atelier confèrent à ce type de variables un rôle
important dans l’état de pauvreté des enfants. Dans le cadre de l’analyse prospective, cet
élément attire notre attention pour deux raisons : d’une part, car cette importance peut être
due à un biais de perception venant du fait que les parties prenantes sont actives dans la
mise en œuvre de ces politiques et les connaissent particulièrement bien ; d’autre part, car
ces aspects devront faire l’objet du travail de scénarisation, le projet portant sur le futur des
politiques en matière de lutte contre la pauvreté infantile. Nous reviendrons sur ces deux
aspects dans la section suivante où nous présenterons la mise en système des variables et
la discussion relative à leur poids dans le système. Relevons, en outre, que cette catégorie
« institutionnelle » est celle qui aura mis le plus de temps à se stabiliser – nous y reviendrons
également.

2. Les variables économiques. Ces variables ont été envisagées dans les ateliers sur différents
plans, au niveau de la situation économique des personnes, mais aussi au niveau politique,
en considérant le rôle des contraintes budgétaires dans le financement des politiques, et à
une échelle plus globale, en prenant en compte les transformations de l’économie et les
tendances macroéconomiques. Ces éléments ont permis une traduction relativement aisée
en variables plus génériques constituant un groupe rapidement stabilisé.

3. Les variables sociales et culturelles. Ces aspects ont été envisagés par les participants et
participantes à travers différentes dimensions : celles associées à la famille et à la place de
l’enfant, celles associées aux représentations et valeurs sociales, enfin celles liées aux iné-
galités et à la cohésion sociale. Les variables retenues dans ce groupe permettent de couvrir
ces différents champs d’analyse. Elles permettent également d’intégrer des dimensions re-
levant à la fois d’enjeux sociaux et de dimensions culturelles associées au rapport à la famille
et à la place des enfants dans la société.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 103


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. Les variables technologiques. Ce groupe de variable mentionné par les participants et parti-
cipantes s’avère utile à prendre en compte au même titre que des variables liées aux trans-
formations climatiques et environnementales. Elles permettent de décrire le phénomène de
digitalisation de la société et de l’économie qui se présente comme une tendance de fond.
Ce groupe de variables est décliné en deux parties : la place des technologies digitales dans
la société et la question de l’accès à ces technologies.

5. Les variables environnementales. Ce groupe recouvrait au moment de cette première con-


ception une seule variable : l’exposition aux risques environnementaux. Il est également mar-
qué par une forte incertitude. Il aura connu une évolution importante au fil du travail de con-
solidation, nous y reviendrons au point suivant.

6. Les variables démographiques. Ce groupe de variables renvoie aux phénomènes de trans-


formation de la composition des familles ainsi qu’aux enjeux liés aux migrations. Bien pré-
sents dans les discussions lors des ateliers, ces éléments, comme nous le verrons, peuvent
potentiellement jouer un rôle important dans les évolutions futures du système comme élé-
ments de rupture.

2.4.2.6. La consolidation de la liste de variables

La première version de la liste de variables a permis d’entamer le travail de développement de la


base prospective.

Lors du travail de rédaction, ainsi qu’en phase de clôture, nous avons été amené à faire évoluer la
liste des variables : certaines variables se sont avérées trop génériques et ont demandé à être scin-
dées ; d’autres étaient au contraire trop spécifiques et ont dû être reformulées et développées ;
d’autres encore relevaient d’un statut encore imprécis qui a dû être repensé ; enfin, il est apparu que
certaines variables nécessaires n’avaient pas été prises en compte et devaient être intégrées à la
base prospective. Ces différents éléments sont apparus « chemin faisant » et ont permis d’enrichir et
de préciser la documentation disponible.

La formalisation de ce processus de consolidation se structure en quatre « tests de complétudes »


réalisés successivement, en cours de développement de la base prospective. Un premier test a con-
sisté en une confrontation de la première version de la liste de variables à la liste de facteurs identifiés
avec les parties prenantes afin de vérifier que cette liste permet de les couvrir dans leur ensemble.
Un deuxième test s’est opéré au cours de la rédaction des fiches-variables, certaines apparaissant
comme trop longues et trop larges dans les thématiques abordées et devant donc être scindées. Un
troisième test a été réalisé en comparant la liste à laquelle nous avions abouti après les deux pre-
miers tests, à celle retenue dans une autre recherche prospective portant sur une thématique simi-
laire 121. Enfin, un quatrième test fut réalisé dans le cadre des ateliers « hypothèses d’évolution » des
variables organisés en juin et juillet 2023 (voir sections suivantes) en parallèle avec une série d’experts
et les parties prenantes. À cette occasion, il est apparu que certaines variables devaient être ajoutées
à la base prospective pour parfaire la description du système analysé.

2.4.2.7.Liste finale des variables de la base prospective

À l’issue de ce travail itératif de définition et de consolidation de la liste de variables, nous avons


stabilisé une liste finale. Cette liste intègre donc l’ensemble des modifications et ajustements réalisés
durant cette phase de travail. Elle comprend également un élément que nous avons mentionné très
rapidement : la catégorisation des variables en groupes ou « clusters » au sein de cette liste. Dans la
présentation des différents tests indiqués, nous avions conservé la structuration initiale en six

121
Voir Sonecom, IDD et CRI-ULg pour IWEPS (2018). « Étude prospective : Pauvreté, précarité et exclusion socio-économique
en Wallonie : quels futurs possibles ? Annexe au rapport synthétique », Namur, Iweps.

104 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
groupes permettant de couvrir différents types de variables : institutionnelles, économiques, so-
ciales, culturelles, technologiques et environnementales. Cette catégorisation avait présenté un in-
térêt heuristique spécifique en début de travail. Cependant, celle-ci est devenue relativement peu
opérante dès le moment où nous avons entrepris d’intégrer ces variables au sein d’un système de
relations.

Afin de répondre à cette contrainte, nous avons exploité, en première approche, la méthode de clas-
sification « DPSIR » 122 (Drivers, Pressures, State, Impacts, Responses) pour permettre de conférer –
provisoirement – aux variables un statut, notamment lié à leur rôle moteur ou à leur dépendance, au
sein du système.

Dans la présentation de la liste de variables ci-dessous, nous avons intégré cette catégorisation dont
le sens et la pertinence heuristique dans le cadre du travail sur la description du système prospectif
apparaîtront à la section suivante.

Tableau 4 : Liste finale des variables de la base prospective

Groupe de variables Variables


Drivers Flux migratoires
Paradigme d’action publique
Paradigme économique
Place des technologies
Structure de l’État
Structure par âge de la population
Représentations et stéréotypes relatifs à la pauvreté
Système de valeurs (place de l’enfant dans la société)
Changements climatiques et environnementaux
Pressures Situation économique de la Wallonie
Modèle familial
Revenu des ménages
Structure d’activité de la population
Structure des ménages
Budget (finances publiques)
Inégalités technologiques
State Inégalités de santé
Inégalités environnementales
Inégalités sociales
Système politique
Impacts Cohésion sociale
Inégalités scolaires

122
Voir point 3.1.2 du présent chapitre.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 105


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Responses Politique d’accueil de l’enfance
Politique de l’aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse
Politique de lutte contre la pauvreté
Politique de promotion de la santé
Politique des droits de l’enfant
Politique de soutien à la parentalité
Politique du logement
Politique fiscale
Politique scolaire
Régime de sécurité sociale (y compris les allocations familiales)

106 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. La scénarisation
3.1. LE DESIGN DU SYSTÈME PROSPECTIF
3.1.1. La construction du système prospectif
Dans le cadre de ce projet, la construction du système prospectif a fait face à un écueil majeur :
devons-nous traiter la question de la pauvreté infantile comme cœur du système analysé et en com-
prendre les déterminants de contexte, ou devons-nous nous focaliser sur l’action publique de lutte
contre la pauvreté infantile et, de même, concevoir les différents déterminants qui en influencent
l’état ?

Nos analyses préliminaires ont permis de saisir, d’une part, ce qui compose l’action publique de lutte
contre la pauvreté à travers la dynamique qui l’anime et les acteurs qui l’ont façonnée, et d’autre part,
ce qui caractérise la pauvreté des enfants, par le travail exploratoire réalisé avec les parties pre-
nantes. De ce fait, nous disposions des informations nécessaires pour comprendre les deux dimen-
sions de l’objet sous analyse. Cependant, nous faisions face à la difficulté de savoir comment les
relier pour rendre compte de leurs interdépendances.

Pour surmonter cet obstacle, nous avons fait un double choix : d’une part, nous avons subsumé la
question de la pauvreté des enfants sous une catégorie plus large, celle d’inégalités ; d’autre part,
nous avons conçu que chaque politique composant l’action publique de lutte contre la pauvreté des
enfants comporte, sinon induit, une définition propre de la pauvreté de l’enfant. Ainsi, par exemple,
comme nous l’avons développé dans le deuxième chapitre, la politique menée aujourd’hui via la
garantie européenne pour l’enfance réduit la question de la pauvreté infantile à une problématique
d’accès à certains droits fondamentaux pour des publics bien spécifiques. Cette définition concerne,
toutefois, un domaine d’action publique qui s’est autonomisé. En élargissant le spectre des politiques
prises en compte, notamment en intégrant la politique fiscale ou la politique du logement, nous ou-
vrons à une pluralité potentielle de définitions de la pauvreté de l’enfant ou, a minima, de logiques
qui l’influencent.

Par ailleurs, ce choix a pu s’appuyer sur une méthode spécifique permettant un premier design du
système prospectif, la méthode « DPSIR » (voir point suivant). L’usage de cette méthode nous a per-
mis de clarifier, en première approche, l’architecture du système et sa dynamique. Cette clarification
est apparue indispensable pour pouvoir penser les interactions entre les deux dimensions de l’objet
analysé, mais aussi, comme nous allons le voir, pour organiser le travail de scénarisation avec deux
publics spécifiques : (1) les experts, pour traiter les variables de contexte, et (2) les parties prenantes,
pour réfléchir aux évolutions possibles des différentes politiques dont elles sont les actrices.

3.1.2. Un usage heuristique de la méthode DPSIR


La méthode « DPSIR » – pour, en anglais, Drivers, Pressures, State, Impacts, Responses – s’avère
particulièrement utile en prospective pour opérer un premier classement des variables et com-
prendre, en première analyse, leurs interactions. Largement employée depuis les années 1990 au
sein des Environmental Studies 123, elle permet de penser de façon systémique les interactions entre
des « Drivers » (que nous traduisons par « variables motrices »), un état des choses ou « State » (que
nous traduisons par « variables d’état ») et des « Responses », des réponses incarnées dans diffé-
rents types d’actions (politiques, recherches, technologies…) visant à influencer en retour les variables

123
Cette méthode est utilisée dans ce domaine de recherche pour appréhender les effets de l’anthropisation des écosys-
tèmes, notamment les systèmes océaniques (Sun et al., 2015 ; Patricio et al. 2016). Elle fut conçue par l’OCDE au début des
années 1990 dans l’objectif d’organiser les relations entre différents indicateurs afin de faciliter leur lecture par les décideurs
(Tscherning et al., 2012).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 107


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
d’état et les variables motrices. Cette analyse intègre également les Impacts et les Pressures (que
nous associons à des « variables relais ») qui rassemblent les différents facteurs influençant directe-
ment l’état de la situation et la nature des réponses apportées.

Dans le cas étudié par Labianca et al. (2020), illustré ci-dessous par la figure 5, la méthode est em-
ployée pour analyser le système de pollution des eaux. Dans ce cas, les auteurs associent aux Dri-
vers les pratiques agricoles, la démographie ou l’industrialisation qui constituent les variables mo-
trices de ce phénomène. Les Pressures recouvrent, notamment, les rejets de produits contaminants
ou la pollution des nappes phréatiques générés par les Drivers. Ces variables relais affectent, en
conséquence, l’état (State) des sédiments marins, de l’eau de mer ou de la biodiversité, variables qui
permettent de caractériser la situation par différents indicateurs. Ces détériorations ont un impact
(Impacts) par contamination sur les organismes marins, l’eutrophisation par des algues toxiques ou
la santé humaine. En réponse (Responses) à ces différentes problématiques, des politiques et des
technologies ad hoc sont développées dans différentes directions : agir sur les causes structurelles,
en tentant de modifier les Drivers, réduire les Pressures en transformant les technologies employées
et remédier à la détérioration de l’état (State) des mers.

Figure 5 : La méthode « DPSIR »

Source : Labianca et al., 2020

Par analogie, nous pouvons imaginer un système « DPSIR » qui permet d’englober l’état des inéga-
lités à travers le groupe de variables d’état (State) et les politiques mises en place pour lutter contre
ces inégalités, que cela soit pour agir directement sur les variables d’état (State), sur leurs causes
structurelles (Drivers) ou sur les phénomènes qui conditionnent (Pressures) directement les variables
d’état.

Dans ce design du système, la pauvreté des enfants apparaît principalement au sein des variables
relais (« Impacts ») : elle est envisagée comme une conséquence de l’état des inégalités qui in-
fluence les variables « cohésion sociale » et « inégalités scolaires ». Appréhendée comme telle, et
considérant les observations réalisées à propos des politiques actuelles de lutte contre la pauvreté
des enfants en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, la lutte contre la pauvreté des enfants
semble donc consister en une action qui s’attaque pour l’essentiel aux conséquences de causes
structurelles et de l’état des inégalités. Cette observation tranche avec la façon dont l’orientation des
variables réponses est habituellement conçue dans les travaux employant cette méthode (Elliott et
al., 2017 ; Labianca et al., 2020 ; Sun et al., 2015 ; Tscherning et al., 2012) : ceux-ci situent, en règle

108 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
générale, les effets des actions menées au niveau des Drivers, Pressures et States et non au niveau
des Impacts.

La figure 6 représente le système étudié en associant la liste finalisée de variables à la méthode


d’analyse DPSIR. Cette première représentation permet de formuler deux principales observations
préliminaires relatives à la dynamique du système.

Figure 6 : Représentation du système prospectif par la méthode DPSIR

En premier lieu, ce diagramme permet de questionner le statut attribué à chacune des variables :
pourquoi associer telle ou telle variable à telle ou telle catégorie ? À ce stade, il est important de
noter que nous employons l’outil DPSIR de façon heuristique : il s’agit de prototyper le système pros-
pectif pour, en première analyse, tenter de saisir les dynamiques de relations entre variables. Ce
prototype du système prospectif, basé sur nos travaux exploratoires, est amené à évoluer, en parti-
culier à partir des résultats de l’atelier de proto-scénarisation où nous avons développé l’étude des
relations d’influence et de dépendance entre variables (voir point suivant).

En second lieu, comme nous l’avons évoqué, cette représentation du système permet de question-
ner le rôle spécifique joué par les variables politiques. Nous affirmions, en effet, que l’essentiel de
l’action menée porte sur les effets des inégalités (Impacts) sur la situation de pauvreté des enfants,
que nous avons associée à deux variables spécifiques : la cohésion sociale et les inégalités scolaires.
Il faut toutefois noter que cette lecture dépend de la catégorisation des variables : on pourrait, en
effet, considérer que plusieurs politiques agissent directement sur l’état des inégalités (State) notam-
ment en matière d’accès aux droits fondamentaux (politique des droits de l’enfant, garantie pour
l’enfance). D’autres politiques peuvent également porter leurs effets au niveau des Pressures : par
exemple, la politique de la famille ou la politique d’accueil de l’enfance peut répondre aux transfor-
mations des modèles familiaux, comme l’essor des familles monoparentales. Il faut, en revanche,
remarquer que cette représentation tendrait à laisser penser que les politiques associées à la lutte
contre la pauvreté des enfants ne touchent pas directement aux causes structurelles des inégalités
et de la pauvreté.

On le voit donc, à ce stade, cette première représentation du système soulève davantage de ques-
tions qu’elle n’apporte de réponses. Ces questions seront retravaillées et évolueront dans la suite de

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 109


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
ce compte rendu de recherche : elles poursuivent une réflexion sur les interactions entre l’action
publique de lutte contre la pauvreté des enfants et la complexité du contexte dans lequel elles pren-
nent place, réflexion entamée au deuxième chapitre et que l’on proposera de refermer dans la con-
clusion de l’étude consacrée aux enjeux et domaines stratégiques.

3.1.3. Une distinction entre variables de contexte et variables politiques


La représentation du système DPSIR permet de mettre en exergue le lien entre le cœur du système,
l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants, et un contexte d’ensemble composé,
comme nous venons de le voir, de différents types de variables couvrant, notamment, la question
du phénomène de pauvreté des enfants. Ainsi, les variables politiques peuvent-elles être envisagées
comme des réponses à ce contexte avec lequel elles interagissent.

Ce constat nous a amenés à concevoir le travail de scénarisation en deux volets (figure 7).

Dans un premier volet, nous avons choisi de nous interroger sur les transformations du contexte en
intégrant les variables motrices (Drivers) et les variables d’état (States) ainsi que les deux groupes de
variables relais (Pressures et Impacts) dans un ensemble cohérent. Leur mise en interaction forme
un sous-système qui permet de comprendre les déterminants de l’état de la pauvreté des enfants.
En outre, l’isolement de ce premier groupe de variables présente l’avantage de cibler un public spé-
cifique à consulter : des experts scientifiques et académiques de ces différentes variables de con-
texte. Ainsi que nous le détaillons au point suivant, qui décrit les dispositifs participatifs mis en place
dans ce projet, nous avons mobilisé un groupe d’experts pluridisciplinaire composé d’économistes,
de démographes, de sociologues, de géographes, d’environnementalistes, de psychologues so-
ciaux et d’anthropologues. Grâce à ce dispositif consultatif, nous avons stabilisé les hypothèses
d’évolution des variables de contexte ; nous avons également pu améliorer la définition du statut de
motricité et d’incertitude des variables ; enfin, nous avons élaboré des proto-scénarios de contexte
qui ont formé le socle à partir duquel furent conçus les scénarios finaux de l’étude.

Dans un second volet, nous avons focalisé le travail sur les variables politiques (Responses). Cette
focale nous a permis d’intégrer une réflexion parallèle à celle menée sur le contexte en nous ques-
tionnant sur les évolutions possibles de ces politiques. Ce travail fut également mené dans le cadre
d’un dispositif participatif rassemblant les parties prenantes de ces politiques : notre objectif était de
mobiliser leurs connaissances de terrain et leurs analyses pour pouvoir, dans un premier temps, ali-
menter l’élaboration d’hypothèses d’évolution de ces variables politiques. Dans un second temps,
nous avons organisé un nouvel atelier prospectif où les parties prenantes ont pris connaissance des
proto-scénarios de contexte issus du travail des experts et ont élaboré des scénarios d’évolution des
politiques cohérents avec ces proto-scénarios, en exploitant leur réflexion antérieure sur les hypo-
thèses d’évolution.

110 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 7 : Le processus de scénarisation basé sur la distinction entre le contexte et les politiques

3.2. COMMENT DÉTERMINER LES HYPOTHÈSES D’ÉVOLUTION DES VA-


RIABLES ?
3.2.1. L’importance des « hypothèses d’évolution » dans l’analyse prospective
Comme nous l’avons souligné précédemment, l’approche prospective envisage le futur comme ou-
vert et pluriel : il ne peut être réduit à une extrapolation de la situation présente ni au prolongement
de tendances passées. Dans cet esprit, afin de comprendre les dynamiques d’évolutions possibles,
l’analyse prospective élabore des hypothèses d’évolution pour chacune des variables qui compo-
sent le système prospectif.

Ces hypothèses sont formulées sur la base, notamment, de l’analyse rétrospective des variables
réalisées dans le cadre de la phase de délimitation de l’objet et, d’une façon approfondie, dans le
cadre du développement de la base prospective.

La compréhension des trajectoires d’évolution passées des variables permet d’identifier, dans cer-
tains cas, des changements de tendance, voire des ruptures, mais aussi des modifications progres-
sives d’orientation. Ces ruptures et ces modifications constituent des bifurcations qui contribuent,
comme nous l’avons vu au chapitre 1, à la formation de la situation actuelle.

Dans ce chapitre rétrospectif, nous avons pu identifier, à travers l’histoire de l’émergence de la pau-
vreté des enfants comme problème public puis comme paradigme d’action publique, les différents
moments-clés de cette évolution qui ont induit des transformations et changements de trajectoires
aboutissant à la situation présente. On pourrait ainsi, rétrospectivement, se demander ce qu’il en se-
rait de la situation actuelle si la reconnaissance publique de la vulnérabilité des enfants après la
Marche Blanche n’avait pas eu lieu ; ou si le Comité des droits de l’enfant de l’ONU n’avait pas adressé
de façon récurrente des recommandations fortes à la Belgique pour qu’elle élabore une politique
structurée en matière de droits de l’enfant ; ou encore, si des acteurs comme la Fondation Roi Bau-
doin ou le Délégué général aux droits de l’enfant n’avaient pas mené un travail d’analyse approfondi
de l’état de la pauvreté des enfants en Belgique et en Fédération Wallonie-Bruxelles ; mais égale-
ment, si, au niveau européen, ne s’était pas mise en place la garantie européenne pour l’enfance, les
objectifs qui l’accompagnent et les fonds mis à disposition pour sa mise en œuvre.

Ainsi, dans la conception des hypothèses d’évolution, la prise en compte et l’anticipation de bifurca-
tions possibles apparaissent indispensables. Anticiper les bifurcations possibles, c’est-à-dire

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 111


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
imaginer les modifications d’état des variables et des stratégies des acteurs, modifications qui peu-
vent impacter le système et influencer la dynamique de l’objet prospectif, permet de construire des
futurs possibles multiples. Dans cette perspective, le travail prospectif doit être attentif aux informa-
tions qui indiquent une amorce de rupture de tendance ou l’apparition d’événements pouvant pro-
voquer, à terme, des changements importants du système. Dans ce cadre, la détection des signaux
faibles 124 revêt une grande importance. Ceux-ci renseignent, en effet, sur des phénomènes émer-
gents qui ont le potentiel de produire des changements importants dans la dynamique du système.

3.2.2. Déterminer des hypothèses d’évolution pertinentes et vraisemblables


Le travail d’identification d’hypothèses d’évolution pertinentes et vraisemblables constitue une tâche
particulièrement complexe, en particulier lorsque les variables prises en compte pour définir le sys-
tème prospectif apparaissent très variées (variables économiques, démographiques, sociales, tech-
nologiques, environnementales…). Par exemple, les hypothèses d’évolution de variables démogra-
phiques s’insèrent dans un cadre relativement balisé : les évolutions de population sont tributaires
de projections ancrées dans la situation présente avec des ruptures de tendances liées à des fac-
teurs spécifiques et connus (guerres, émigrations/immigrations massives, pandémies, famines, vieil-
lissement…). Au niveau économique, de la même manière, des projections tendancielles d’évolution
peuvent être réalisées « toutes choses égales par ailleurs ». Cependant, pour ces variables, les in-
certitudes et ruptures peuvent être plus difficiles à anticiper : si les guerres, les phénomènes migra-
toires, les pandémies ou le vieillissement peuvent indéniablement exercer un impact important sur
le contexte économique, de nombreux autres facteurs peuvent également l’influencer : la situation
géopolitique mondiale, les orientations politiques des gouvernements, les crises financières, sociales
et écologiques, etc. Pour ce type de variables, le développement d’hypothèses d’évolution pourrait
donc s’avérer particulièrement complexe, les incertitudes provenant parfois de champs de connais-
sances éloignés de ceux des experts consultés pour formuler ces hypothèses.

Dans le cadre du présent projet, nous avons conçu une méthode d’élaboration des hypothèses
d’évolution qui articule deux dimensions : (1) le recours à des experts scientifiques pour la formulation
d’hypothèses relatives aux variables de contexte, et la mobilisation des parties prenantes pour celles
concernant les variables politiques ; (2) l’utilisation d’un cadre « contraint » pour la formulation des
hypothèses d’évolution afin de baliser le travail des personnes consultées, souvent perplexes, à dé-
faut de culture prospective, lorsqu’il s’agit d’imaginer une évolution différente de la tendance.

3.2.2.1. La consultation d’experts scientifiques et de parties prenantes

Comme nous l’indiquions précédemment, la distinction entre « variables de contexte » et « variables


politiques » nous a permis d’organiser deux processus parallèles de consultation d’experts scienti-
fiques (pour les premières) et de parties prenantes (pour les secondes). Cette consultation a visé au
développement des hypothèses d’évolution des variables sur la base des fiches-variables préala-
blement rédigées par l’équipe projet et composant la base prospective 125.

3.2.2.2. Des « futurs alternatifs génériques » pour cadrer la formulation des hypothèses d’évolution

Comme nous l’indiquions, la formulation d’hypothèses d’évolution peut apparaître déroutante lors-
que les personnes sont amenées à répondre de façon directe à la question : d’après vous, quelles

124
Les signaux faibles sont des « données non structurées, fragmentées et incomplètes » (Ponce del Castillo, 2020). Ils ren-
seignent sur des phénomènes émergents, encore peu perceptibles ou objectivables, mais qui ont le potentiel de produire
des changements importants dans la dynamique du système étudié. Il peut s’agir d’événements surprenants qui ne font pas
sens compte tenu des tendances actuelles, ou de signes annonçant le renforcement de tendances déjà existantes (Kuosa,
2016). Voir : https://www.iweps.be/faq_prospective/quest-ce-quun-signal-faible/
125
Le dispositif consultatif a, de la sorte, permis une relecture critique de l’ensemble des fiches-variables par les experts et
parties prenantes. Voir la Section 4 du présent chapitre.

112 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
sont les évolutions possibles de telle variable dans le long terme ? On a pu observer que si, pour les
experts, la formulation d’une tendance s’avère relativement aisée, il est souvent plus difficile pour
eux de « jouer le jeu » d’imaginer d’autres évolutions possibles. Cet exercice peut, en effet, s’appa-
renter à un exercice de conjecture qui s’éloigne de leur rôle d’expert pour les amener à proposer
une opinion qu’il ou elle pourrait voir comme personnelle, bien qu’elle soit fondée sur leur connais-
sance approfondie de la thématique. De même, le travail réalisé en atelier avec les parties prenantes
a nécessité un cadrage spécifique pour leur permettre d’adopter une « attitude prospective » 126, ou-
verte à des futurs en rupture.

Pour aider les personnes consultées à adopter cette attitude, nous avons fait le choix d’exploiter les
« futurs alternatifs génériques » imaginés par le prospectiviste américain Jim Dator (Dator, 2009). Ce
chercheur a conceptualisé, de façon inductive, quatre archétypes de futurs qu’il a exploités dans de
nombreux ateliers pour amener les participants et participantes à se projeter dans des futurs con-
trastés et en rupture.

Le premier futur alternatif concerne un futur qui s’inscrit en continuité avec le présent. Il s’agit d’une
évolution tendancielle de la situation actuelle. Le deuxième concerne un scénario d’effondrement
(« collapse »). Il s’agit d’un futur qui voit, par l’effet d’une rupture majeure, les structures d’une société
(économiques, sociales, environnementales…) se désagréger et disparaître, en totalité ou en partie,
pour laisser place à des versions alternatives fortement dégradées. Le troisième futur alternatif con-
cerne une évolution qui serait maîtrisée de façon incrémentale, consciente de ses limites (« discipli-
ned »), contrairement au premier type de futur qui n’intègre pas les contraintes du contexte, mais les
neutralise. Le quatrième futur alternatif est un futur de transformation sociétale majeure dû à des
orientations choisies (au contraire du scénario d’effondrement où le changement est subi par l’effet
d’une rupture non désirée).

Pour baliser la réflexion des participants et participantes, nous leur avons proposé de réfléchir à
quatre types d’hypothèses d’évolution, inspirées de ces archétypes : une hypothèse tendancielle,
une hypothèse incrémentale, une hypothèse de transformation et une hypothèse de dégradation.

Pour le premier type d’hypothèse, il leur était simplement demandé d’imaginer l’évolution tendan-
cielle de la variable au cours des vingt à trente prochaines années, en leur laissant le soin d’interpré-
ter le terme de « tendance ».

Pour le deuxième type d’hypothèse, nous leur demandions d’imaginer les changements incrémen-
taux qui pourraient conférer à la variable une trajectoire différente de l’évolution tendancielle, en se
focalisant sur l’évolution « interne » de la variable, par exemple en exploitant ce qui, selon eux, ca-
ractérise ses forces actuelles ou en imaginant des améliorations par rapport aux faiblesses obser-
vables aujourd’hui.

Pour le troisième type d’hypothèse, la question posée portait sur une transformation majeure de la
situation, un futur alternatif au tendanciel et à l’incrémental. Nous leur proposions d’imaginer un point
de bifurcation, correspondant à un changement majeur pouvant amener la variable à évoluer dans
une trajectoire nouvelle et en rupture. Nous leur proposions également d’intégrer à leur réflexion la
transformation d’autres variables ayant des effets majeurs sur celle prise en considération.

126
L’attitude prospective peut être définie à la suite de Gaston Berger comme une manière de penser et d’agir basée sur cinq
principes : voir loin (penser à un avenir lointain), voir large (réfléchir de façon interdisciplinaire et transversale), voir profond
(prendre le temps d’analyser les choses en profondeur pour en comprendre toute la complexité), prendre des risques (réflé-
chir différemment, sortir du cadre, critiquer les idées reçues), penser à l’Homme (mettre l’humain au centre de la mesure des
choses, se réapproprier l’avenir par le débat démocratique).
Voir https://www.iweps.be/faq_prospective/quentend-on-par-attitude-prospective/

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 113


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Pour le quatrième type d’hypothèse, nous sollicitions leur imagination pour développer l’hypothèse
d’une très forte dégradation de la situation, en exploitant également, éventuellement, l’apparition
d’une rupture, d’un point de bifurcation, menant la variable à évoluer vers une trajectoire dégradée.
Cette démarche supposait bien entendu, de la part des participants et participantes, de porter un
jugement de valeur sur ce que constitue un état de dégradation pour la variable.

Par ce biais, nous avons pu collecter des informations relatives à des états futurs possibles contrastés
des variables, mais aussi recueillir des éléments concernant les ruptures et points de bifurcation,
éléments utiles à la conception des trajectoires des différents scénarios.

3.2.3. L’exploitation des hypothèses d’évolution dans le cadre de la scénarisation


Le dispositif consultatif nous a permis d’intégrer un jeu d’hypothèses d’évolution particulièrement
étoffé de l’ensemble des variables constituant la base prospective. Le matériau collecté fournit une
information prospective d’une double nature : d’une part, elle apporte quatre types d’évolutions pos-
sibles répondant à un canevas spécifique ; d’autre part, elle documente pour chacune des variables
des futurs possibles et contrastés.

Cette information prospective constitue le socle du travail de conception des scénarios. Elle doit,
cependant, faire l’objet de nouveaux traitements : d’une part, pour comprendre la façon dont les
états futurs des variables peuvent s’influencer mutuellement pour générer des trajectoires d’évolu-
tion contrastées du système ; d’autre part, pour parvenir à concevoir des scénarios qui soient adaptés
à l’objet analysé. Cela suppose que ces scénarios se structurent à partir des relations de motricité et
de dépendance entre variables du système étudié, mais aussi qu’ils intègrent les incertitudes ma-
jeures caractéristiques de l’objet et de son contexte. Un tel travail suppose de nouvelles étapes dans
la conception des scénarios. Nous les abordons tout d’abord de façon théorique, dans le point sui-
vant dédié à la méthode d’analyse morphologique, méthode qui sera déclinée, ensuite, de façon
empirique au chapitre 4 pour décrire le processus de conception des quatre scénarios introduits à la
fin du chapitre 2.

3.3. EXPLOITATION DES RESSOURCES MÉTHODOLOGIQUES DE L’ANALYSE


MORPHOLOGIQUE
3.3.1. L’analyse morphologique
Comme le souligne Michel Godet, « l’analyse morphologique » consiste en un outil de développe-
ment de scénarios relativement simple, mais particulièrement utile pour stimuler l’imagination et la
créativité des personnes concourant à leur conception 127.

Dans la pureté des principes, cette méthode peut être définie comme un travail de combinaison des
différentes hypothèses d’évolution identifiées pour chacune des variables composant le système.
Cet exercice combinatoire permet de construire le champ des possibles, que l’on appelle également
« espace morphologique ». Ainsi, par exemple, comme l’illustre la figure 8, un système composé de
quatre variables dotées chacune de quatre hypothèses d’évolution structure un espace morpholo-
gique composé de deux cent cinquante-six combinaisons possibles.

127
« "Analyse morphologique", un nom bien savant pour une méthode très simple […] [qui] peut s’avérer très utile pour stimuler
l’imagination, aider à identifier de nouveaux produits ou procédés jusque-là ignorés et pour balayer le champ des scénarios
possibles » (Godet, 2009 : 221).

114 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 8 : L’analyse morphologique

La simplicité de la mise en place de la méthode masque une difficulté majeure : comment parvenir
à faire le tri entre les différentes combinaisons possibles pour pouvoir proposer des scénarios qui
soient, comme le souligne Véronique Lamblin, cohérents, vraisemblables et « vraiment » contrastés
(Lamblin, 2018 : 5) ? En multipliant les combinaisons, il est en effet fort probable que certains en-
sembles d’hypothèses s’avèrent peu cohérents, peu vraisemblables et, surtout, peu contrastés entre
eux : plusieurs scénarios pourraient se présenter comme des variantes réciproques, les nuances se
construisant, à la marge, à partir de variables peu motrices.

Cet écueil suppose qu’en aval de cette matrice des hypothèses d’évolution soit mis en place un
système de traitement qui permet de limiter les combinaisons possibles à un nombre manipulable
pour les analystes. Il faut, nous dit Michel Godet, « réduire l’espace morphologique » : « La réduction
de l’espace morphologique est nécessaire, car il est impossible à l’esprit humain de balayer, pas à
pas, tout le champ des solutions possibles issues de la combinatoire ; elle est aussi souhaitable, car
il est inutile d’identifier des solutions qui, de toute façon, seraient rejetées dès la prise en compte des
critères de choix technique, économique, etc. » (Godet, 2009 : 225).

Ce travail de réduction de l’espace morphologique peut se décliner de différentes façons, notam-


ment selon des critères élaborés par l’analyste (contraintes d’exclusion ou de préférence d’hypo-
thèses), de contraintes spécifiques au projet (orientations/nombre de scénarios souhaités par le
commanditaire) et/ou du dispositif employé pour la conception des scénarios (degré de participa-
tion, types d’expertises impliquées…). Ces éléments peuvent donc varier en fonction des analyses. Il
est, par conséquent, nécessaire qu’ils soient clarifiés dans le protocole méthodologique de la re-
cherche.

Malgré l’aspect casuistique de la démarche, les praticiens de la méthode morphologique s’accor-


dent sur la nécessité de réduire l’espace morphologique au moyen de « composantes » : « Un sys-
tème de 20 à 30 variables, voire plus, est très fréquent dans des exercices de prospective […] ; or,
combiner 30 hypothèses en une seule fois s’avère trop difficile pour nos esprits. Dans ce type de cas,
il est conseillé d’assembler les différentes variables en groupes, appelés composantes du système
prospectif » (Lamblin, 2018 : 8).

Reste, néanmoins, à élaborer une méthode qui permette à ces regroupements d’être réalisés. De ce
point de vue, à nouveau, différents critères pourront être employés, guidés par l’objet analysé, l’ex-
périence des analystes et/ou la nature du dispositif de conception des scénarios, notamment leur
co-construction éventuelle avec des parties prenantes et/ou des experts. Mais, comme le remarque

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 115


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Véronique Lamblin, ce processus de regroupement vise avant tout à aider le travail de conception
des scénarios et non à l’alourdir : « Cette séparation en composantes n’est jamais pure, dans le sens
où il y a toujours des variables que l’on pourrait ranger dans une composante ou dans une autre. […]
En pratique, on veillera à avoir à peu près le même nombre de variables dans chaque composante.
Il n’y a pas lieu de discuter très longtemps de la place d’une variable dans une composante plutôt
que dans une autre. Car toutes les variables seront prises en compte dans l’analyse morphologique
emboîtée, quelle que soit la composante où les variables auront été classées. » (Lamblin, 2018 : 8-9).

Ce regroupement de variables en composantes permet de créer des sous-systèmes pour lesquels


pourront se concevoir des « micro-scénarios ». C’est la combinaison des micro-scénarios entre eux
qui permettra d’élaborer des scénarios globaux. C’est pour cette raison que l’on parle de méthode
morphologique emboîtée.

3.3.2. La problématique de la scénarisation propre au projet


L’analyse prospective que nous développons dans ce rapport est dotée d’un jeu de contraintes
propres qui nécessitent l’élaboration d’un protocole de scénarisation adapté. En effet, d’une part,
nous nous inscrivons dans une analyse de type participative qui requiert l’implication de différents
types de publics à chaque étape ; d’autre part, nous travaillons sur un objet « hybride », qui fait
coexister un phénomène (la pauvreté des enfants) et une action à son égard (l’action publique de
lutte contre ce type de pauvreté).

Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises les conséquences de cette contrainte double sur la
démarche développée dans cette analyse prospective et proposons en guise de rappel, avant de
présenter la méthode adoptée, de les synthétiser en trois points :

• Le travail exploratoire nous a amenés à établir une liste consolidée de trente-trois variables
structurant le système analysé. Cette liste a servi de fondement au développement de la
base prospective.
• Nous avons également opéré un premier regroupement des variables par l’intermédiaire de
la méthode DPSIR. Ce premier regroupement a facilité la réalisation d’une cartographie du
système. Cette méthode a également permis d’identifier les difficultés à associer à l’un ou
l’autre groupe de variables le phénomène de pauvreté des enfants ainsi que les effets des
politiques menées pour lutter contre celle-ci.
• Cette méthode nous a ensuite servi à distinguer les aspects contextuels des aspects poli-
tiques. Grâce à cette distinction, nous avons pu, d’une part, mettre l’action publique au centre
de l’analyse sans exclure le phénomène de pauvreté des enfants, situé au sein du contexte,
et, d’autre part, organiser un double travail participatif, avec un groupe d’experts et les parties
prenantes, pour concevoir les scénarios.

3.3.3. Une version adaptée de la méthode d’analyse morphologique


Pour commencer à réduire l’espace morphologique et ainsi faciliter le travail de scénarisation, nous
avons choisi d’isoler les variables de contexte et les variables politiques.

3.3.3.1. Les variables de contexte

Dans un premier temps, nous avons mis l’accent sur les variables de contexte. Le travail s’est orga-
nisé en quatre étapes :

Premièrement, pour les variables retenues pour décrire le contexte (voir supra), des hypothèses
d’évolution ont été formulées de façon individuelle par des experts scientifiques via un questionnaire
en ligne.

116 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Deuxièmement, un atelier de « proto-scénarisation » a rassemblé les experts consultés. Cet atelier
poursuivait trois objectifs :

1. permettre aux experts de prendre connaissance de la centaine d’hypothèses d’évolution for-


mulées par leurs pairs pour les variables de contexte ;
2. débattre des relations de motricité-dépendance entre variables et traiter de leur niveau d’im-
pact et d’incertitude ;
3. concevoir des scénarios de contexte sur la base d’une analyse morphologique guidée : les
participants et participantes devaient concevoir un nombre limité de scénarios (huit) en choi-
sissant les hypothèses d’évolution en fonction d’un état prédéterminé des variables-résul-
tats 128. Ce travail de conception des scénarios s’est appuyé sur les résultats de l’analyse de
motricité-dépendance et d’impact-incertitude qui a permis aux participants et participantes
de pondérer le poids de certaines variables dans la conception des scénarios.

Troisièmement, le traitement des résultats de cet atelier a visé à identifier les composantes du sys-
tème et à stabiliser le poids des variables. Nous avons défini l’architecture du système autour de cinq
composantes : économie, système politique, climat et démographie, société et état des inégalités.
Ces cinq composantes furent ultérieurement complétées d’une sixième, la composante politique,
traitée séparément. Nous avons, par ailleurs, consolidé les matrices de motricité-dépendance et
d’impact-incertitude nécessaires à la conception des micro-scénarios et des scénarios globaux.

Quatrièmement, en exploitant ces matrices et les proto-scénarios élaborés par les experts durant
l’atelier, nous avons conçu quatre scénarios contrastés articulés autour de micro-scénarios décrivant
les états futurs de chacune des composantes du système. Cette conception s’est appuyée sur une
analyse morphologique qualifiée de structurée, car le choix des hypothèses d’évolution et la déter-
mination du poids accordé aux variables se sont basés sur le travail préparatoire réalisé au cours des
trois étapes précédentes.

3.3.3.2.Les variables politiques

L’analyse prospective des variables politiques s’est opérée dans un cadre distinct de celle des va-
riables de contexte. Ce travail a été mené en trois étapes.

Premièrement, nous avons développé les hypothèses d’évolution des variables politiques en colla-
boration avec les parties prenantes, dans le cadre d’un atelier spécifiquement dédié.

Deuxièmement, nous avons développé des scénarios d’évolution de ces variables politiques au
moyen d’une analyse morphologique structurée 129, en collaboration avec les parties prenantes, dans
le cadre d’un atelier de scénarisation 130. Le choix des hypothèses d’évolution s’est opéré en cohé-
rence avec les scénarios de contexte.

Troisièmement, suite à l’atelier de scénarisation, nous avons intégré les micro-scénarios politiques
aux scénarios de contexte pour concevoir les scénarios globaux.

Ce protocole nous a ainsi permis d’organiser la réduction de l’espace morphologique en intégrant


les contraintes participatives fortes ainsi que la nature hybride de l’objet. En structurant le processus
de réduction sur une base participative, nous avons également visé à simplifier l’atteinte des objectifs
de cohérence, de vraisemblance et de pertinence des scénarios.

Figure 9 : Méthode de scénarisation morphologique participative développée dans le projet

128
Voir point 4.3.3. du présent chapitre pour le détail de l’animation de cet atelier.
129
Car les évolutions de contexte avaient été stabilisées en amont sous forme de trois scénarios de contexte. Voir point 4.3.4.
du présent chapitre.
130
Voir point 4.3.4. du présent chapitre pour le détail de l’animation de cet atelier.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 117


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Le diagramme présenté en figure 9 permet de synthétiser l’ensemble de la démarche de scénarisa-
tion développée dans le projet, depuis l’élaboration de la base prospective jusqu’à la mise au point
des scénarios globaux. Cette figure conjugue le processus de scénarisation morphologique aux con-
traintes participatives du projet et à la nature hybride de l’objet.

118 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. Dimension participative de l’analyse prospec-
tive
4.1. LA PROSPECTIVE IMPLIQUE-T-ELLE TOUJOURS UNE LARGE PARTICIPA-
TION ? 131
La participation est une dimension essentielle de la démarche prospective, et ce pour au moins
deux raisons. D’une part, la prospective considère que, pour appréhender le réel dans sa complexité,
il est nécessaire de prendre en compte une multiplicité de points de vue sur le système dont on
envisage les futurs possibles. D’autre part, la démarche prospective s’inscrit dans une visée d’ap-
prentissage et d’encapacitation d’acteurs et de parties prenantes qui s’interrogent sur leur avenir ou
celui du système qui les préoccupe.

Si l’intelligence collective et l’apprentissage mutuel sont inhérents à la démarche prospective, l’in-


tensité et l’ampleur de la participation peuvent varier selon les objectifs et le type de projet à mener.
La meilleure mobilisation n’est pas toujours la plus large ou la plus intense : elle est celle qui répondra
le mieux à la question prospective et aux attendus de la démarche. La première étape de la dé-
marche prospective consistera ainsi, entre autres, à identifier les principales parties prenantes (et leur
rôle dans le processus), mais aussi à circonscrire la problématique analysée et le niveau de mobili-
sation requis pour mener à bien la mission. Cette étape est d’autant plus cruciale que la participation
suscite souvent des attentes très élevées, qui risquent d’être déçues si le périmètre de l’étude n’est
pas d’abord soigneusement calibré.

On peut distinguer quatre situations-types, selon, d’une part, le niveau de mobilisation souhaité
(faible ou élevé) et, d’autre part, le lien (direct ou non) de la démarche avec la prise de décision (Bootz,
2010 ; Bootz et al., 2019). (1) Une situation de type « aide à la réflexion » pourra ainsi parfaitement
s’accommoder d’une participation limitée à un petit groupe de parties prenantes, sans lien avec la
décision. (2) À l’extrême opposé, une démarche de « conduite du changement », qui doit aboutir à la
définition d’un plan stratégique, impliquera étroitement un plus grand nombre de parties prenantes
qui verront leurs représentations et cadres d’analyse se transformer profondément au cours du pro-
cessus. En pratique, les situations intermédiaires ou hybrides seront nombreuses à se présenter, qu’il
s’agisse, par exemple, (3) de travailler avec un groupe restreint de décideurs ou, (4) d’impliquer un
grand nombre de parties prenantes dans des projets de prospective exploratoire.

Le présent projet de prospective s’inscrit dans ce dernier cas de figure. Le commanditaire, qui n’in-
tervient pas directement dans le processus, souhaitait l’implication d’un grand nombre de publics
diversifiés et hétérogènes (parties prenantes, experts scientifiques et académiques, bénéficiaires),
de manière à informer le processus de décision (la réalisation d’une « analyse prospective » figure
dans la liste de mesures du « Plan wallon de sortie de la pauvreté », adopté par le Gouvernement le
25 novembre 2021).

Si la participation, en prospective comme ailleurs, suscite autant de malentendus, cela tient sans
doute au fait que le terme est investi de significations multiples. En effet, il peut désigner à la fois (1)
un projet politique, (2) un principe de justice et (3) un outil d’aide à la décision.

Premièrement, on entend par démocratie participative « l’ensemble des procédures, instruments et


dispositifs qui favorisent l’implication directe des citoyens au gouvernement des affaires publiques »
(Rui, 2013). En permettant aux gouvernés d’être impliqués directement dans les affaires qui les

131
Cette section est issue du « FAQ de la prospective de l’IWEPS ».

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 119


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
concernent, ces dispositifs viendraient pallier les limites, voire la crise présumée des institutions de
la démocratie représentative. Bien que ces dispositifs puissent être institutionnalisés et rendus obli-
gatoires (comme, par exemple, l’enquête publique préalable à un projet d’aménagement du terri-
toire, prévu au CWATUP et au Code wallon de l’environnement), leur lien avec la décision politique
est toutefois souvent ténu. Cela n’empêche pas ces dispositifs de connaître aujourd’hui une vague
sans précédent dans les pays développés (OECD, 2020). Leur popularité peut ainsi conduire à con-
sidérer comme « normal » de consulter largement certaines parties prenantes (voire des citoyens)
dans une démarche prospective, alors que cette implication ne va pas nécessairement de soi.

Deuxièmement, dans un sens assez proche, la participation peut désigner le principe de justice pro-
cédurale qui sous-tend de telles démarches : indépendamment de son résultat (en termes distribu-
tifs), une décision sera supposée plus « juste » si elle associe les destinataires de la décision. Au nom
de ce principe, dans des cas extrêmes, la participation peut ainsi être utilisée, voire instrumentalisée,
pour légitimer une décision, ce qui peut faire peser sur le processus dans son ensemble un soupçon
de manipulation (que les participants et participantes perçoivent cependant souvent assez vite).

Enfin, la participation peut, plus modestement peut-être, représenter un outil d’aide à la décision :
indépendamment de ses effets en termes de légitimation, la participation de destinataires de la dé-
cision (citoyens, usagers, parties prenantes, etc.) permet de prendre de meilleures décisions, c’est-
à-dire non seulement plus « justes », mais plus informées, plus pertinentes et plus robustes.

Ces dimensions ne sont pas mutuellement exclusives. On peut, par exemple, initier un processus
participatif parce qu’on y est contraint par la législation, mais aussi parce qu’on pense que c’est in-
trinsèquement juste, qu’il faut dépasser le cadre de la démocratie représentative au sens strict, mais
qu’en outre, cela va substantiellement améliorer la décision. À l’inverse, il n’est pas nécessaire de
souscrire au projet politique de la démocratie participative pour initier une démarche participative :
celle-ci peut se justifier simplement parce qu’on est convaincu qu’elle pourra améliorer le processus
de décision.

Dans le cadre de ce projet, la participation revêt essentiellement une fonction d’aide à la décision :
les divers publics engagés, grâce à leur expertise de l’objet sous étude (la pauvreté des enfants)
et/ou à leur expérience privilégiée de l’action publique menée en la matière, permettent d’appré-
hender le phénomène dans toute sa complexité, et d’ainsi contribuer à mieux informer la décision.

4.2. RÔLE ET UTILITÉ DE L’ATELIER PROSPECTIF


4.2.1. Qu’est-ce qu’un atelier prospectif ?
Un atelier prospectif est un dispositif d’animation qui permet à des participants et participantes de
mener une réflexion ouverte et créative sur les futurs possibles d’un champ d’action, d’une problé-
matique ou, plus généralement, de toute question qui les concerne. Les échanges sont encadrés
par un facilitateur ou une facilitatrice qui veille à ce que les participants et participantes soient, les
uns vis-à-vis des autres, dans une logique collaborative de dialogue, d’écoute et d’égalité de leur
prise de parole.

Une démarche prospective se construit dans l’échange argumenté entre des expériences, des po-
sitions et des savoirs différents : c’est un processus délibératif. Il est donc attendu des participants et
participantes qu’ils puissent modifier leurs représentations de l’objet, améliorer leurs connaissances
au contact d’autres formes de savoirs : la démarche prospective suppose un apprentissage collectif.
Ceci vaut pour tous les savoirs engagés dans le processus : savoirs « situés » des parties prenantes,
expertises « savantes », expertises « d’usage »… On vise un ajustement (individuel et mutuel) des
croyances et des représentations. La démarche prospective consiste également en partie à

120 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
« encapaciter » les participants et participantes au processus : les faire monter en compétence, les
équiper de manière à pouvoir imaginer et délibérer ensemble au sujet d’une pluralité de futurs pos-
sibles.

Pour cette raison, les participants et participantes sont invités à s’exprimer en leur seul nom et non
en tant que représentants et représentantes d’une organisation ou d’un collectif. L’atelier est un
groupe de travail et non une tribune : c’est un lieu de construction d’une réflexion collective positive.
La collecte et l’analyse du matériau produit lors d’un atelier tendent d’ailleurs à abstraire les produc-
tions des personnes particulières qui les ont énoncées.

Précisions enfin une particularité de la démarche « à la française », par rapport à d’autres approches :
sa visée réaliste. Le diagnostic prospectif n’est pas le simple « reflet » des représentations des parti-
cipants et participantes : il se veut une représentation (systémique) de la réalité de l’objet sous étude
(relations entre variables, rétrospective, tendances, hypothèses d’évolution…).

Cette conception « réaliste » a des conséquences importantes sur la nature des ateliers prospectifs
à mener. Contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas de mettre des participants et participantes
autour d’une table pour faire émerger des idées innovantes, ni même pour recueillir un matériau
intéressant, tant du point de vue des parties prenantes que de celui de l’équipe en charge. La parti-
cipation n’est pas une « boîte à idées ». Certains participants et participantes expriment d’ailleurs ré-
gulièrement leur malaise à devoir s’exprimer sur des sujets qu’ils ne connaissent pas ou maîtrisent
mal. Ils demandent souvent à être « outillés » avant de se sentir habilités à exprimer un avis pertinent :
informations, données, rencontres avec des experts… Le fait d’avoir une place légitime dans un pro-
cessus ne suffit pas à construire un point de vue argumenté. Une démarche prospective « réaliste »
suppose de mettre les participants et participantes en capacité d’exprimer un point de vue aussi
informé et contextualisé que possible – d’où l’importance de la base prospective et des fiches-va-
riables dans la séquence d’ateliers prospectifs.

4.2.2. À quoi sert un atelier dans un projet de prospective ?


Grâce à ces caractéristiques, un atelier permet de répondre à une diversité d’objectifs, selon les fi-
nalités et les modalités du projet prospectif dans lequel il s’inscrit.

A minima, il sert à collecter des réflexions fournies par toute personne identifiée, au sens large,
comme « partie prenante » du point de vue du phénomène sous étude (acteurs, experts, usagers,
bénéficiaires, citoyens, décideurs, consommateurs…). La dimension prospective de l’atelier suppose
que les réflexions produites soient de nature innovante : elles permettent de jeter un autre regard
non seulement sur le futur, mais sur le présent et même le passé – les événements, tendances,
décisions et ruptures qui, en contribuant à la situation actuelle, montrent ce que cette situation a de
contingent. On attend de la confrontation de ces réflexions qu’elle ouvre le champ des positions et
des analyses des personnes impliquées dans un atelier prospectif.

Même s’il ne s’agit pas toujours d’un objectif explicite d’un projet prospectif, un atelier constitue de
ce fait un espace d’apprentissage individuel et collectif. Dans les projets plus stratégiques, qui s’ins-
crivent dans une démarche de conduite du changement (large participation et lien direct à la déci-
sion), un atelier peut également représenter une opportunité d’intégrer de nouvelles références par-
tagées.

Dans le cadre de cette étude, la séquence d’ateliers prospectifs a été conçue pour solliciter les con-
naissances et l’expérience d’une diversité de publics (parties prenantes, experts scientifiques et aca-
démiques), de manière à construire une réflexion collective sur les futurs possibles de l’action pu-
blique en matière de lutte contre la pauvreté des enfants. Les ateliers ont fourni le matériau qui a
permis d’alimenter les différentes étapes de l’étude, depuis la phase diagnostic (atelier prospectif

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 121


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
exploratoire) jusqu’à la phase de scénarisation (ateliers hypothèses d’évolution, atelier de proto-scé-
narisation, et enfin de scénarisation).

4.3. LES ATELIERS PROSPECTIFS DÉVELOPPÉS DANS LE CADRE DU PROJET


La figure ci-dessous identifie trois types d’ateliers : l’« atelier prospectif exploratoire », tenu durant la
phase 2 du projet visant à la réalisation du diagnostic prospectif ; les ateliers « hypothèses d’évolu-
tion » tenus en début de phase 3 (printemps 2023) au moment d’initier le processus de scénarisation ;
les ateliers « scénarios » (proto-scénarisation et scénarisation) tenus durant l’été et l’automne 2023,
au cœur de la phase de conception des scénarios.

Figure 10 : Phases du projet et ateliers prospectifs

4.3.1. L’atelier prospectif exploratoire


L’atelier prospectif exploratoire poursuivait trois objectifs : (1) Sensibiliser les parties prenantes à la
nature exploratoire de l’analyse prospective menée dans ce projet en la différenciant d’une prospec-
tive stratégique et normative ; (2) Mieux comprendre la notion de « pauvreté infantile », en clarifiant
les éléments qui la composent et les débats ou tensions éventuels qui en entourent l’usage ; (3)
Comprendre la dynamique qui, selon les participants et participantes, a façonné, au cours des der-
nières décennies, les formes prises aujourd’hui par la pauvreté des enfants en Wallonie.

Les participants et participantes ont été invités à s’inscrire à une matinée de travail parmi trois dates
proposées (14, 21 et 22 septembre 2022), à raison d’une vingtaine de participants et participantes par
session. Lors de chaque session, les personnes ont été réparties en quatre sous-groupes de quatre
à six personnes. De cette manière, il s’agissait de pouvoir récolter douze (trois fois quatre) productions
originales. Le nombre de tables sur les trois jours devait permettre d’atteindre un certain seuil de
redondance, et donc de saturation de l’information qualitative.

Le petit nombre de participants et participantes par table devait aussi faciliter l’autonomie et les
échanges au sein de chaque groupe, sans facilitation spécifique, avec une intervention des anima-
teurs et organisateurs limitée à l’explicitation des consignes et à la gestion du temps.

Il était expressément demandé aux participants et participantes de s’exprimer à titre personnel, de


manière libre et ouverte, c’est-à-dire en leur seul nom et non en tant que représentant(e) d’une

122 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
organisation ou d’un collectif. L’objectif était de développer une réflexion collective qui tente de se
détacher d’options politiques, stratégiques ou idéologiques. La réflexion devait certes être menée
sur la base de l’expérience professionnelle de chacun. C’est cependant bien un avis fondé, et non
une opinion, qui était recherché dans le cadre de ces ateliers. Ces principes de dialogue ont été
rappelés oralement par les animateurs dans le cadre de la présentation des exercices. Ils figuraient
par ailleurs sur une plaquette (« Comment participer à cet atelier ? ») mise à la disposition des parti-
cipants et participantes à chacune des tables.

La répartition des participants et participantes en sous-groupes au sein des ateliers tâchait de ré-
pondre à deux grands principes : (1) assurer ouverture et diversité de points de vue autour d’une
table ; (2) garantir, au-delà de cette diversité, une certaine complémentarité entre intervenants. Ainsi
nous avons systématiquement évité de rassembler des personnes appartenant à la même institution
(premier principe), mais aussi de réunir à une même table des profils trop atypiques (second principe).
De manière générale, l’objectif était que chaque table puisse apporter une contribution riche et per-
tinente au diagnostic prospectif.

Au moment de la composition des tables, ces deux principes sont parfois entrés en tension, ce qui
a nécessité des arbitrages au cas par cas. Parfois, nous avons délibérément recherché une certaine
cohérence entre les participants et participantes sous certains points de vue, par exemple le niveau
de pouvoir (régional, communautaire, fédéral) dont relève leur action. Parfois, c’est au contraire la
confrontation de points de vue ou de logiques d’action qui a été favorisée. Nous avons également
pris soin qu’aucune table ne présente de déséquilibre en termes de genre. De manière générale, les
tables ainsi constituées ont été passées plusieurs fois en revue pour vérifier que ces principes avaient
été suivis.

Chaque session était structurée de la manière suivante :

• Lors d’un premier exercice, les participants et participantes ont mené un travail (individuel,
puis collectif) autour de la question : « C’est quoi, "être un enfant pauvre" aujourd’hui en Wal-
lonie ? Les six caractéristiques de la pauvreté infantile. » Concrètement, chaque sous-groupe
devait reporter le résultat de leur réflexion sur un grand cube (à raison d’une caractéristique
par face), puis le présenter lors d’une séance plénière de mise en commun. L’animateur syn-
thétisait alors le produit de la discussion sur un grand poster reprenant la production de tous
les groupes.
• Le second exercice était centré sur la rétrospective. Il était demandé aux participants et par-
ticipantes de répondre à la question « Comment en est-on arrivé là ? », et de s’accorder sur
une liste dix facteurs qui ont conduit à la situation actuelle. Chaque facteur était décrit sur un
Post-it de couleur (selon son importance : influent, très influent, déterminant) et positionné
sur une ligne du temps, entre 1990 et 2020. La restitution était cette fois assurée par un, une
ou plusieurs porte-parole du groupe chargés d’exposer en plénière le résultat de leurs ré-
flexions. Le travail de l’animateur était ici plus limité que lors de l’exercice 1 (relances, expli-
citations, recoupements).

Le matériau collecté a ensuite été analysé selon une méthode inspirée de la théorisation ancrée
(grounded theory, Glaser et Strauss, 2010) : les chercheurs élaborent progressivement un cadre con-
ceptuel qui rend compte de leurs observations ou de leurs données en élaborant des catégories de
plus en plus générales. Le processus est considéré comme suffisamment complet ou achevé lors-
que l’information a été saturée sur le plan qualitatif, c’est-à-dire que toute donnée supplémentaire
n’apporte plus de nouveaux éléments et peut être intégrée au jeu de catégories, sans devoir res-
tructurer le matériau.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 123


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Le produit de ces journées a ainsi permis une première représentation systémique du phénomène
de pauvreté des enfants ainsi que des facteurs qui en influencent l’état. Ce matériau a ensuite été
consolidé, affiné et présenté aux participants et participantes lors d’une séance unique de restitution
(23 novembre 2022). Avant de valider ce diagnostic et de passer aux étapes suivantes du processus
prospectif et de la séquence d’ateliers, il était en effet indispensable de tester la pertinence de l’ana-
lyse du matériau, et en particulier de la liste de variables, auprès de celles et ceux qui avaient con-
tribué à l’élaborer.

4.3.2. L’atelier hypothèses d’évolution des variables


Une fois constituée la base prospective (la rédaction des fiches-variables définissant et documentant
les variables identifiées lors des ateliers exploratoires), l’étape suivante du processus consistait à re-
venir auprès des participants et participantes pour les aider à élaborer des hypothèses d’évolution
de ces variables. Pour rappel, lors de cette étape du projet, deux processus parallèles ont été menés
auprès de deux publics distincts :

• D’une part, le travail sur l’évolution des variables de contexte a été soumis à un groupe d’ex-
perts scientifiques, constitués de 29 chercheurs et chercheuses (22 experts IWEPS et 7 ex-
perts externes) disposant d’une compétence sur les disciplines, thématiques et domaines
abordés (économie, démographie, géographie, système politique et social, anthropologie…).
• D’autre part, la réflexion quant à l’évolution des variables politiques a été soumise à la dis-
cussion des parties prenantes, représentant différents organismes impliqués dans les poli-
tiques de lutte contre la pauvreté, dans les politiques de l’enfance ou dans la politique des
droits de l’enfant – c’est-à-dire une grande partie du public qui avait déjà participé à l’atelier
prospectif exploratoire.

Le travail sur les variables de contexte a été mené à distance par le groupe d’experts, entre le 26 mai
et le 16 juin 2023, via une plateforme d’enquête en ligne – en l’occurrence le logiciel Mesydel déve-
loppé à l’ULiège (François et al., 2013), qui s’inspire de la méthode Delphi (Landeta, 2006) pour faciliter
les consultations à distance de panels d’acteurs. En plus de disposer de toutes les fonctionnalités
permettant l’administration globale d’une enquête qualitative en ligne, la plateforme Mesydel per-
met une gestion collaborative et facilite l’analyse des données, à travers une interface adaptée aux
utilisateurs.

La première partie du questionnaire en ligne portait sur la relecture critique des fiches-variables.
Chaque expert pouvait choisir de relire et de commenter une ou plusieurs variables, en fonction de
ses domaines de compétences et affinités, afin de formuler des améliorations ou des corrections.
Dans un deuxième temps, la personne avait la possibilité de choisir la ou les variables sur lesquelles
formuler des hypothèses d’évolution. Pour cadrer l’exercice et aider les experts, parfois réticents à
se projeter dans des futurs de long terme, nous avons eu recours aux « futurs alternatifs géné-
riques » 132.

Grâce à un taux de participation élevé (80 %), cette consultation à distance a permis de récolter un
matériau particulièrement riche (32 000 mots, soit 198 réponses pour 115 questions). Au lieu de re-
courir à un second tour de questionnaire en ligne, les participants et participantes avaient été in-
formé.es qu’ils et elles seraient invité.es à discuter de leurs hypothèses en présentiel, à la faveur d’un
atelier spécifique dédié à la proto-scénarisation (voir section suivante).

Le travail sur les variables politiques a quant à lui été réalisé avec les parties prenantes lors d’un
atelier en présentiel d’une journée entière, qui s’est tenu le 4 juillet 2023. Pour faciliter la discussion

132
Voir supra, Chapitre 3 point 3.2.2.2.

124 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
en sous-groupes, les variables avaient été préalablement regroupées en quatre ensembles, selon
leur proximité avec les politiques de l’enfance ou de la famille. À leur arrivée, les participants et par-
ticipantes étaient invités à choisir de brèves synthèses des fiches-variables, mises à disposition au
centre de la salle en nombre limité (de manière à s’assurer que toutes les variables seraient choisies),
et à se placer à l’une des quatre tables en fonction de leur choix. Un facilitateur ou facilitatrice était
chargé de structurer et d’animer les débats à chaque table. En plus de l’enregistrement (réalisé de
manière à assurer la restitution la plus fidèle possible des échanges), des observateurs ou observa-
trices volants circulaient entre les tables pour prendre des notes sur le processus.

La journée était structurée en trois temps, correspondant à trois objectifs distincts. Premièrement,
s’informer : à l’aide des synthèses des fiches-variables, les participants et participantes mènent une
réflexion, d’abord individuelle, puis collective, sur la définition et la rétrospective des variables con-
sidérées. Deuxièmement, analyser : le premier exercice de la journée (occupant toute la matinée)
était consacré à une analyse de type « AFOM » (Atouts-Faiblesses-Opportunités-Menaces) des po-
litiques menées, du point de vue de l’état actuel de la situation (chaque variable correspondant à une
politique). La partie « Opportunités » et « Menaces » de la discussion comportait déjà un élément de
projection dans le futur, qui devait préparer l’exercice suivant. Troisièmement, imaginer : à partir des
analyses AFOM de la matinée, l’exercice de l’après-midi consistait à réfléchir à des hypothèses
d’évolution de long terme pour chacune des variables considérées. Comme pour le travail avec les
experts techniques, nous avons eu recours aux « futurs alternatifs génériques » pour faciliter la ré-
flexion des parties prenantes. Les participants et participantes avaient pour tâche d’imaginer simul-
tanément, pour chaque variable considérée, des hypothèses « tendancielles », « incrémentales »,
« de rupture » et « de dégradation » 133.

Un système de rotation des participants et participantes d’une table à l’autre, sur le format « World
Café », a permis de discuter et de compléter, de manière itérative, le matériau produit par le groupe
précédent. Chaque participant et participante a ainsi eu l’occasion de s’exprimer au moins une fois
sur chacune des variables, et même d’approfondir, s’il ou elle le souhaitait, la discussion sur une
variable en particulier (la dernière rotation de la journée était en placement libre). À la fin de chaque
exercice, chaque facilitateur ou facilitatrice de table restituait en séance plénière, pour l’ensemble
de la salle, la réflexion de son groupe, transcrite sur un support (un poster au format A0).

4.3.3. L’atelier de proto-scénarisation


L’étape de proto-scénarisation consistait, pour les experts scientifiques, à ébaucher des proto-scé-
narios de contexte, en s’appuyant sur leur travail préalable de réflexion sur les hypothèses d’évolu-
tion mené lors de la consultation à distance (voir section précédente). Pour ce faire, ils et elles ont
été conviés à participer à une séquence d’ateliers, dont le premier s’est déroulé dans la foulée de la
consultation, le 20 juin 2023.

Le travail de l’atelier était structuré en deux temps. Durant la matinée, les experts ont d’abord eu
l’occasion de prendre connaissance de l’ensemble des hypothèses sur les variables de contexte, qui
avaient été affichées sur les murs de la salle de réunion, à la manière d’un « cabinet de curiosité des
futurs de la Wallonie ». En circulant parmi l’exposition, les experts étaient invités à réfléchir aux ques-
tions suivantes, qui devaient préparer le prochain exercice portant sur la caractérisation des va-
riables : « Quels sont les éléments qui me marquent parmi les hypothèses d’évolution proposées ? »,
« Comment s’organisent les relations entre variables (influence/dépendance) ? Comment apprécier
la qualité des variables (impact-incertitude) ? » Après un moment de réflexion individuelle, les parti-
cipants et participantes, répartis en trois sous-groupes, devaient s’accorder sur le statut des variables

133
Voir supra, Chapitre 3 point 3.2.2.2.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 125


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
en termes, respectivement, de motricité et d’incertitude. Pour ce faire, des matrices et des flipcharts
avaient été mis à leur disposition. En conclusion de la matinée, chaque sous-groupe devait présenter
le résultat de ses réflexions, sous forme de deux graphiques positionnant les variables en termes
d’influence/dépendance, ainsi que d’impact-incertitude.

L’exercice de l’après-midi consistait à développer des proto-scénarios en imaginant et en associant


des états futurs des variables selon quatre contextes contrastés d’évolution des inégalités à l’horizon
2050 : (1) réduction des inégalités ; (2) accroissement des inégalités ; (3) dualisation extrême ; (4) so-
ciété égalitaire. À la différence de la phase « hypothèses d’évolution », qui partait du cadre des « fu-
turs alternatifs génériques » pour cadrer et faciliter la projection dans le futur, la réflexion était donc
ici orientée par quatre états différents des inégalités en 2050, de manière à forcer le contraste en
partant d’une variable très structurante, intrinsèquement liée au futur de l’objet sous étude. Chaque
groupe devait ensuite exposer, en séance plénière, le résultat de son travail à l’ensemble des parti-
cipants et participantes. Comme souvent dans ce type d’ateliers, l’exercice comportait une dimen-
sion itérative. Après avoir travaillé sur un proto-scénario spécifique lié à un des quatre états des iné-
galités en 2050, chaque groupe avait l’occasion, soit de réfléchir à un scénario alternatif, soit de cor-
riger ou d’améliorer le scénario proposé par le groupe précédent.

Sur les huit proto-scénarios possibles (quatre sous-groupes multipliés par deux rotations), six seule-
ment représentaient des scénarios originaux, avec deux scénarios consistant en variantes ou correc-
tifs de scénarios proposés au premier tour. Dans l’ensemble, comme l’analyse du matériau l’a con-
firmé, le rôle assigné à chaque variable lors de cet exercice est venu corroborer le statut qui lui avait
été assigné lors de la matinée.

De manière à réduire l’espace de variations et le nombre de proto-scénarios ainsi généré, les experts
ont été invités à participer à un deuxième atelier, dit « de consolidation », le 9 octobre 2023. Après
l’exposé des résultats et la présentation des six proto-scénarios issus de l’atelier de juin, les partici-
pants et participantes ont été répartis en deux sous-groupes, correspondant respectivement à trois
scénarios d’accroissement et trois scénarios de réduction des inégalités.

Les tâches demandées aux experts lors de ce deuxième atelier étaient les suivantes : « Comparez
les trois scénarios entre eux, quels en sont les points communs et les différences ? » ; « Y a-t-il moyen
d’en rapprocher certains, voire de les fusionner ? », « Comment pourriez-vous affiner ces scénarios
pour décrire une image du futur relativement précise et concise ? ». À travers cette réflexion, indivi-
duelle puis collective, il s’agissait donc expressément d’éliminer les scénarios considérés comme
trop proches et de se concentrer sur des images du futur suffisamment précises et contrastées. Il
leur était également demandé de réfléchir aux trajectoires et aux jalons intermédiaires pouvant me-
ner à l’état futur en 2050, en particulier pour les scénarios qui présentent des points communs : à
quel moment s’opère(nt) le(s) point(s) de bifurcation qui les fera ou feront se différencier ? À ces élé-
ments s’ajoute une dimension plus systémique : « Les scénarios confirment-ils ou non le statut des
variables analysé lors du premier atelier (influence-dépendance et impact-incertitude) ? » « Ce statut
est-il cohérent d’un scénario à l’autre ? » « Le scénario porte-t-il bien sur les variables de contexte,
ou n’incorpore-t-il pas déjà, implicitement, des évolutions de variables politiques ? »

C’est donc à un véritable test de complétude et de pertinence que les experts scientifiques se sont
livrés lors de ce second atelier. La discussion en sous-groupes, puis en plénière, a permis de réduire
substantiellement le nombre de scénarios. D’une part, trois proto-scénarios d’accroissement des iné-
galités (ou de dualisation extrême) ont fusionné en un seul, avec deux variantes (selon, notamment,

126 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
le niveau de croissance économique ou l’évolution plus ou moins « illibérale » 134 du système poli-
tique). D’autre part, un proto-scénario de société égalitaire a été éliminé par les experts, qui ont con-
sidéré qu’il était instable et/ou irréaliste. Des six proto-scénarios initialement considérés, seuls trois
(dont un avec deux variantes) ont été retenus pour être soumis aux parties prenantes pour les ateliers
finaux de scénarisation (voir section suivante).

Le résultat final du travail de consolidation, à savoir les trois scénarios de contexte et leurs compo-
santes, a été enfin présenté aux experts, lors d’un atelier de restitution qui s’est déroulé le 5 dé-
cembre 2023.

4.3.4. L’atelier de scénarisation


Ultime étape de cette séquence d’ateliers prospectifs et participatifs, la scénarisation a été réalisée
avec les parties prenantes lors d’un atelier qui s’est déroulé sur une journée, le 8 novembre 2023.
Les mêmes personnes qui avaient été invitées lors de l’atelier « hypothèses d’évolution » du 4 juillet
2023 ont de nouveau été conviées à cette dernière journée de travail. Après leur avoir présenté,
composante par composante, les trois scénarios de contexte élaborés en parallèle par les experts
scientifiques (voir section précédente), les participants et participantes ont été répartis en trois sous-
groupes (un par scénario), chacune animée par un facilitateur ou une facilitatrice. Il faut noter qu’à ce
stade, les scénarios avaient encore des titres de travail, centrés sur le rôle de l’État et la forme d’État
social dans chacun des contextes considérés : « Scénario 1 : l’État gestionnaire de crise » ; « Scénario
2 : l’État investisseur dans l’économie, le social et l’environnement » ; « Scénario 3 : l’État facilitateur
d’une transition sociale-écologique ».

La journée s’est déroulée en trois rotations (une le matin, deux l’après-midi), qui ont permis à chaque
participant de travailler tour à tour sur chacun des scénarios, en reprenant la réflexion là où le groupe
précédent l’avait laissée, pour la compléter et l’affiner. Chaque rotation se terminait par une restitu-
tion en séance plénière réalisée par le facilitateur ou la facilitatrice, qui permettait à l’ensemble des
participants et participantes d’avoir un aperçu du développement du travail collectif.

Pour leur réflexion, les participants et participantes ont pu s’appuyer sur l’ensemble des hypothèses
d’évolution qu’ils avaient formulées lors de l’atelier du 4 juillet, préalablement synthétisées et en-
voyées dans les jours qui ont précédé le dernier atelier. Une (petite) minorité qui n’avait pu y participer
et prenait le processus en marche avait donc pu en prendre connaissance et s’est intégrée sans
difficulté aux discussions. Il s’agissait tout d’abord de reprendre, parmi les hypothèses d’évolution
imaginées en juillet, celles qui permettaient de développer le scénario considéré – ou d’en imaginer
d’autres. L’attention des participants et participantes a été attirée sur le fait que certaines hypothèses
consistaient spécifiquement en mesures, actions ou leviers politiques. Le cas échéant, il s’agissait de
se demander si ces mesures étaient effectivement compatibles avec le scénario, et s’il ne convien-
drait pas d’en imaginer d’autres.

Comme pour les experts scientifiques, la question des trajectoires, avec les états intermédiaires et
les états successifs, avait été intégrée à l’exercice : sur les supports (grands posters au format A0),
les scénarios comportaient, en plus de l’horizon final de 2050, des jalons en 2030 et 2040. Cette
dimension de la réflexion s’est révélée très précieuse lorsqu’il a fallu synthétiser les résultats de la
journée et élaborer la dynamique temporelle des scénarios. La dernière consigne donnée aux parti-
cipants et participantes portait sur la dimension systémique de l’exercice : réfléchir à la cohérence
de l’hypothèse d’évolution, non seulement avec le scénario, mais aussi avec les autres hypothèses ;

134
Dans le langage courant, une démocratie « illibérale » consiste en « un régime élu démocratiquement, qui, prétendant
détenir le monopole de la volonté générale du peuple, ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir et va
jusqu’à déposséder les citoyens de leurs droits et libertés ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illibé-
ral/188534. Pour une analyse de la notion, voir également Mineur, 2019.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 127


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
imaginer enfin les conséquences de ces évolutions sur les autres éléments du scénario (variables,
hypothèses…).

Pour les deux derniers tours (répartis sur l’après-midi), qui voyaient les participants et participantes
reprendre et développer le travail des groupes précédents, de nouvelles consignes leur avaient été
données, visant à renforcer la cohérence interne du scénario : préciser ou affiner l’image du futur ;
imaginer des compléments ou des alternatives ; vérifier que le scénario dans sa globalité donne bien
une image globale et cohérente d’un futur possible de l’action publique en matière de lutte contre
la pauvreté des enfants ; s’interroger enfin sur la « portabilité » du scénario (est-il aisément commu-
nicable, au moins dans ses grandes lignes ?).

Ce dernier atelier a donc opéré la conjonction du matériau récolté lors des ateliers précédents : les
hypothèses d’évolution des variables politiques (produites lors de l’atelier du 4 juillet avec les parties
prenantes) ont été en quelque sorte « injectées » dans les scénarios de contexte socio-économique,
quant à eux élaborés avec les experts scientifiques, d’abord à distance (consultation en ligne du 26
mai au 16 juin), puis en présentiel (ateliers de « proto-scénarisation » du 20 juin et du 9 octobre).

Se concluait ainsi une séquence d’ateliers prospectifs et participatifs qui s’était échelonnée sur un
peu plus d’un an, entre septembre 2022 et novembre 2023 : en tout, sans compter les deux séances
de restitution, le projet a nécessité l’organisation de trois ateliers avec les parties prenantes et de
trois ateliers et/ou consultations avec les experts scientifiques.

4.4. LES PUBLICS ENGAGÉS DANS LES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS DU PROJET


4.4.1. Les parties prenantes
Les parties prenantes (stakeholders, « teneurs d’enjeux ») sont les acteurs au cœur du système sous
étude. Ils ont à la fois des intérêts en jeu et des connaissances particulières, situées, de leur domaine
d’action, essentielles à la bonne réalisation du projet.

La composition de ce public fut déterminée par trois principaux critères : (1) une certaine homogé-
néité dans les types de connaissance et d’appréhension de la pauvreté infantile, (2) une diversité la
plus large possible des points de vue, (3) un état qualifiable de « partie prenante », que ce soit dans
les politiques de lutte contre la pauvreté, des politiques de l’enfance ou dans les politiques de lutte
contre la pauvreté des enfants (ou, naturellement, à leur intersection). Ce public fut identifié à travers
l’analyse documentaire et les entretiens exploratoires individuels réalisés avec les membres du co-
mité de suivi du projet.

Tout d’abord, nous avons cherché à rassembler un public « homogène » dans les types de connais-
sance et d’appréhension de la pauvreté des enfants, dans l’objectif de dégager un « référentiel »
partagé ainsi que des points de tension entre acteurs de ces politiques. Cette orientation dans la
composition du groupe de participants et participantes aux ateliers repose sur un principe de cohé-
rence et une recherche de saturation de l’information au niveau des acteurs de l’action publique
contemporaine. Dans ce cadre, nous avons délibérément fait le choix de ne pas inclure parmi les
parties prenantes trois autres types de publics : (1) les « experts », chercheurs scientifiques et acadé-
miques (à une exception : un sociologue de l’UCL a participé à la discussion lors d’une journée d’ate-
lier exploratoire), (2) les publics cibles et bénéficiaires de l’action, enfin, (3) le commanditaire et le
personnel politique. Ces trois publics (détaillés dans les deux sections suivantes) devaient en effet
intervenir à d’autres moments du projet afin d’alimenter la définition de la pauvreté des enfants et
d’élargir, le cas échéant, le champ des variables prises en considération dans l’analyse, ainsi que les
points de bifurcation envisageables dans l’avenir.

128 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Ensuite, nous avons privilégié la diversité de parties prenantes la plus large possible. Nous avons
tenté de dépasser le cercle des acteurs administratifs des politiques de lutte contre la pauvreté et
des politiques de l’enfance en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, en proposant à plu-
sieurs catégories d’acteurs de participer aux séances : outre, donc, les administrations de la Fédéra-
tion et de la Wallonie précitées, nous avons élargi le cercle aux acteurs publics fédéraux, à l’en-
semble des associations actives en matière de lutte contre la pauvreté et/ou de politiques de l’en-
fance en Wallonie et en Belgique, à différents acteurs parastataux actifs sur ces questions, telle la
Fondation Roi Baudouin, ainsi qu’à des acteurs intervenants à l’échelon européen, comme Eurochild.
Nous avons également proposé à des représentants du monde économique tels l’Union wallonne
des entreprises (UWE) ou le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE) de
participer. La diversification des acteurs consultés vise à permettre d’identifier les tensions entre vi-
sions et définitions de la notion de pauvreté des enfants ainsi que celles relatives à ses déterminants.

Enfin, un troisième critère repose sur l’identification des personnes invitées comme membres d’or-
ganisations qualifiables de « parties prenantes » en matière de politique de lutte contre la pauvreté,
de politique de l’enfance et de politiques de lutte contre la pauvreté des enfants. Par « partie pre-
nante », nous entendons toute organisation détentrice d’un intérêt spécifique (institutionnel ou poli-
tique) dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces politiques.

Comme le montre la Figure ci-dessous, le public effectif qui a participé aux ateliers exploratoires de
septembre 2022 était composé en majorité par les acteurs des politiques de l’enfance et des poli-
tiques de lutte contre la pauvreté. Cinquante-sept personnes au total se sont inscrites aux trois demi-
journées d’ateliers.

Ces participants et participantes se sont répartis comme suit :

• 25 % relevait d’un monde associatif actif directement dans ces politiques (Réseau wallon de
lutte contre la pauvreté, Ligue des familles, Eurochild…) ;
• 21 % étaient issus des organes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Délégué général aux
droits de l’enfant, Aide à la jeunesse, ONE, ARES…) ;
• 11 % provenaient des différentes caisses d’allocations familiales actives en Wallonie ;
• 9 % représentaient les services du SPW actifs en matière de politique de lutte contre la pau-
vreté et d’enfance (Haut Conseil Stratégique, Infrastructures/Crèches, DiCS) ;
• 7 % étaient issus des syndicats ;
• 7 % étaient membres d’organes fédéraux (Bureau du Plan, Service interfédéral de lutte
contre la pauvreté) ;
• D’autres types d’organismes, tels que les mutuelles, le Comité de Branche « Familles » de
l’AVIQ, la Fondation Roi Baudoin, l’AVIQ, CAP48 ou la Commission nationale des droits de
l’enfant, également actifs dans ces politiques, étaient représentés. Malgré nos efforts, des
organismes plus éloignés de ces politiques comme l’Union wallonne des entreprises ou les
pouvoirs locaux n’ont pas répondu à l’invitation ou n’ont pas pu participer.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 129


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 11 : Composition du public des ateliers exploratoires

4.4.2. Les experts


Par « experts », il faut entendre les chercheurs et les membres du monde scientifique et acadé-
mique, spécialisés dans les champs relevant de l’objet sous étude (sociologues, économistes, dé-
mographes, politologues, anthropologues, spécialistes de l’aménagement du territoire…).

À la différence des parties prenantes (voir section précédente), ils n’ont pas d’intérêts en jeu, mais
ont des connaissances « savantes » qui peuvent enrichir le processus à différents moments du pro-
jet : lors de la phase exploratoire, tout au long du suivi du projet, lors du développement de la base
prospective. Plus spécifiquement, un panel d’experts scientifiques a été constitué en cours de pro-
cessus, pour l’élaboration des hypothèses d’évolution des variables de contexte, puis la construction
des proto-scénarios qui ont servi de cadre aux parties prenantes pour l’élaboration des scénarios
finaux.

4.4.3. Les publics cibles


Les publics cibles, bénéficiaires et/ou destinataires de la décision (en l’occurrence, certains publics
cibles de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants : publics précarisés, experts du
vécu…) ont une expertise dite « d’usage » : des savoirs qu’on peut qualifier « profanes » (par opposition
aux savoirs « savants » des experts), qui peuvent à la fois enrichir le processus et contribuer à le
légitimer (au sens du critère de justice procédurale – voir supra, Section 4.1).

Dans le cadre de ce projet, les bénéficiaires de l’action ont été intégrés en aval du processus, à
travers une série de focus groups centrés sur des parents concernés par la pauvreté, ainsi que sur
des adolescents scolarisés, dans différents contextes sociogéographiques (voir Partie II du présent
rapport).

130 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4.4.4. Les commanditaires et le comité de suivi du projet
Même si, dans certains cas de figure très spécifiques de projets prospectifs, le commanditaire peut
figurer parmi les parties prenantes et participer activement au processus, son rôle a été ici limité au
portage du projet, essentiel dans ce type de démarche. Il est en effet difficile et démobilisant de
demander à des parties prenantes de s’impliquer dans une séquence de travail d’un an, sans garantie
que le projet aura un destinataire qui soit en mesure, sinon d’en transposer, du moins d’en relayer
les conclusions. C’est ainsi que le commanditaire s’est adressé aux parties prenantes à travers une
capsule vidéo, projetée lors de chacun des ateliers exploratoires.

Il est, par ailleurs, prévu que les résultats de l’étude et les scénarios prospectifs soient présentés aux
élus et discutés par ceux-ci, en fin de projet.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 131


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC-
CHAPITRE 4

Les scénarios

132 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. Méthode d’élaboration du système prospectif
et d’identification de ses évolutions possibles
Dans les parties précédentes de ce rapport, nous avons apporté différents éléments permettant
d’aborder la conception du système prospectif. On peut y cerner trois phases distinctes auxquelles
s’ajoute une quatrième que nous développons dans cette section.

1.1. PROTOTYPAGE PAR LA MÉTHODE DPSIR


La première phase a consisté en l’exploitation de la méthode DPSIR pour élaborer une première
représentation du système. Celle-ci a ouvert à une compréhension des dynamiques reliant les va-
riables qui le constituent. Par cet intermédiaire, nous avons également distingué les variables poli-
tiques et les variables de contexte. Cette distinction a conduit à examiner les relations qu’entretien-
nent les variables politiques avec le reste du système, variables conçues à la fois comme des con-
séquences et des réponses à l’état du système et à sa dynamique. L’exploitation des ressources de
la méthode DPSIR a aussi permis d’expérimenter les écueils de la catégorisation des variables. On a
pu voir, en effet, que leur association à l’une ou l’autre composante du système peut s’avérer difficile
et incertaine, ce qui a des répercussions sur la manière dont on analyse l’orientation des réponses
politiques vers les autres composantes du système. Enfin, ce prototypage a aidé à intégrer à la ré-
flexion la question du statut des variables en termes de motricité et de dépendance.

1.2. ANALYSE MORPHOLOGIQUE GUIDÉE ET ÉLABORATION DE PROTO-SCENA-


RIOS DE CONTEXTE
La deuxième phase de la conception du système a porté sur le développement de proto-scénarios
de contexte, réalisés en atelier avec un groupe d’experts. Fondé sur une méthode d’analyse mor-
phologique guidée, ce travail a permis d’associer une série d’hypothèses d’évolution et, ce faisant,
de réaliser une première réduction de l’espace morphologique. L’élaboration de ces proto-scénarios
de contexte s’est également fondée sur une analyse des relations de motricité-dépendance entre
les variables ainsi que sur une discussion de leur niveau d’incertitude et d’impact sur la dynamique
du système. Ainsi, à l’issue de cet atelier et du traitement de ses résultats, un premier jeu de scénarios
de contexte a pu être défini. Ce jeu de scénarios a, ensuite, servi de base de travail à une analyse
morphologique structurée dont nous présentons les résultats dans le présent chapitre 135.

1.3. INTÉGRATION DE L’ACTION PUBLIQUE DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ


DES ENFANTS AU SYSTÈME PROSPECTIF
La troisième phase s’est attachée à concevoir l’intégration de l’action publique de lutte contre la
pauvreté des enfants au système prospectif. Cette phase s’est agencée en deux volets distincts.

Un premier volet a consisté en un travail de définition d’hypothèses d’évolution des différentes poli-
tiques qui constituent ce champ d’action publique. Ce travail s’est opéré dans le cadre d’un atelier
rassemblant les parties prenantes de ces différentes politiques. Le dispositif a permis la co-cons-
truction d’hypothèses d’évolution par variables et l’identification de futurs possibles contrastés.

Un second volet a visé à la mise en concordance des hypothèses d’évolution avec les scénarios de
contexte. Les parties prenantes ont été amenées, dans le cadre d’un atelier, à choisir et à combiner

135
Voir Chapitre 3 point 3.3.3. pour la présentation de la méthode d’analyse morphologique et pour l’explicitation de la distinc-
tion entre analyse morphologique guidée et structurée.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 133


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
ces hypothèses pour construire des micro-scénarios propres à cette composante spécifique du sys-
tème 136, micro-scénarios qui répondent aux différents scénarios de contexte proposés.

1.4. ANALYSE MORPHOLOGIQUE STRUCTURÉE : CARACTÉRISATION DU SYS-


TÈME ET DE SES ÉVOLUTIONS FUTURES POSSIBLES
À ces trois phases, s’en ajoute une quatrième et dernière divisée en deux volets : un premier où
s’élabore la version finale du système dans sa forme générique ; un deuxième où cette forme géné-
rique est déclinée en formes spécifiques définissant chacune un scénario global d’évolution possible.
Cette phase finale de conception du système prospectif et de ses évolutions possibles pour aboutir
à des scénarios globaux est élaborée sur la base d’une analyse morphologique structurée 137.

Le premier volet de cette dernière phase vise à définir le système prospectif générique, c’est-à-dire
à stabiliser et à représenter une architecture du système articulant différentes composantes regrou-
pant chacune un jeu de variables clés, pertinentes en termes de motricité et d’incertitude.

Le second volet de cette dernière phase présente chacun des quatre futurs possibles du système
qui ont été retenus en dernière analyse, c’est-à-dire les quatre scénarios globaux. Nous la présen-
tons ici en trois points :

• dans un premier point, nous caractérisons le statut des variables en termes de motricité-
dépendance et d’incertitude/impact pour le scénario en question ;
• dans un deuxième point, nous détaillons les micro-scénarios de chacune des composantes
du système, micro-scénarios basés sur des hypothèses d’évolution spécifiques des variables
qui le composent ;
• dans un troisième point, nous représentons et expliquons l’état d’ensemble du système et le
scénario global qu’il définit.

136
Voir Chapitre 3 point 4.3.4.
137
Voir Chapitre 3 point 3.3.3.1.

134 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. Caractérisation du système prospectif
2.1. COMPRENDRE LA DYNAMIQUE DU SYSTÈME PROSPECTIF : L’ANALYSE
STRUCTURELLE
La compréhension de la dynamique du système prospectif suppose, d’une part, de pouvoir carac-
tériser le niveau de motricité ou d’influence des variables qui le composent, et d’autre part, d’identi-
fier les variables qui peuvent en infléchir l’évolution.

Pour parvenir à repérer ces variables-clés du système prospectif, il existe une méthode : l’analyse
structurelle (Godet, 2009 : 155-186). Cet outil permet de saisir les relations d’interdépendance unis-
sant les variables et de leur conférer un statut de motricité et/ou de dépendance les unes vis-à-vis
des autres. Concrètement, il repose sur un positionnement des variables sur un plan à deux axes :
l’ordonnée caractérise le niveau de motricité de la variable, et l’abscisse, celui de dépendance. Par
ce moyen, on peut identifier trois types de variables essentielles à la compréhension de la dyna-
mique du système :

• les variables motrices, très influentes et peu dépendantes ;


• les variables relais, à la fois très influentes et dépendantes de l’état des variables motrices ;
• les variables résultats, peu influentes et très dépendantes, dont l’état est déterminé par celui
des variables motrices et des variables relais.

Deux autres types de variables peuvent également ressortir de l’analyse :

• d’une part, les variables d’arrière-plan, peu influentes et peu dépendantes, qui apparaissent
déconnectées du système et sans effet direct sur sa dynamique ;
• et, d’autre part, les variables de régulation, moyennement influentes et/ou dépendantes,
dont les effets sur la dynamique du système demeurent limités.

La préparation de ce type d’analyse s’opère par l’utilisation d’une matrice influence-dépendance. Il


s’agit d’un tableau dont chacun des deux axes répertorie les variables sélectionnées. À partir de ces
deux axes, sont étudiées les corrélations entre variables. Cette analyse peut être réalisée soit de
façon booléenne (1-0), afin d’identifier s’il existe ou non une relation entre les deux variables (ap-
proche dite qualitative), soit en quantifiant l’intensité de la relation (3-forte, 2-moyenne, 1-faible, P-
potentielle) (Godet, 2009 : 163-166). L’analyse est confiée à un groupe d’experts auquel il est de-
mandé de remplir individuellement et/ou collectivement la matrice. Le traitement des matrices peut
ensuite être réalisé de façon quantitative (élévation en puissance 138) ou qualitative (débat entre les
experts autour des résultats de leur analyse). C’est cette seconde méthode que nous avons choisi
d’employer dans la présente étude 139.

Pour renforcer la qualité de l’analyse du statut des variables, l’analyse structurelle peut être complé-
tée d’une analyse en termes d’impact-incertitude. Celle-ci permet d’approcher le phénomène de
motricité-dépendance sous un angle qui met en exergue les enjeux que peuvent représenter les
effets de certaines variables sur le système. Dans l’analyse structurelle, les variables relais peuvent
également être qualifiées de variables-enjeux. En effet, d’une part, leur état dépend de celui des
variables motrices, ce qui les rend sensibles à leur changement et, de ce fait, incertaines et, d’autre
part, elles jouent un rôle important dans la détermination de l’état des variables résultats. Les va-
riables relais apparaissent donc comme des leviers essentiels dans le fonctionnement du système.

138
Par la méthode dite micmac : la matrice est multipliée par elle-même plusieurs fois jusqu’à saturation de l’information afin
d’amplifier les contrastes entre variables et ainsi pouvoir les hiérarchiser (Godet, 2009 : 169-172).
139
Pour la présentation des dispositifs participatifs du projet, voir Chapitre 3 – Section 4.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 135


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 12 : L’analyse structurelle

Une approche en termes d’impact-incertitude permet de caractériser ce phénomène de façon di-


recte. Pratiquement, le protocole de travail consiste à interroger des experts sur leur appréciation du
niveau d’impact de chacune des variables sur l’ensemble du système ainsi que sur leur degré d’in-
certitude (chaque caractéristique est quantifiée : 3-forte, 2-moyenne, 1-faible). Ces appréciations
sont, après traitement, reportées sur un graphe qui situe chacune des variables sur un plan impact-
incertitude, à l’image de l’opération réalisée pour l’étude des relations d’influence-dépendance. Ce
travail permet d’identifier les statuts possibles de chaque variable : tendance lourde, incertitude ma-
jeure, rupture critique ou germe de changement.

Figure 13 : Analyse impact-incertitude

136 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.2. STATUTS DES VARIABLES AU SEIN DU SYSTÈME PROSPECTIF
2.2.1. Analyse structurelle des variables de contexte
Le dispositif participatif mis en place dans ce projet pour réaliser l’analyse structurelle 140 a permis de
caractériser les statuts des variables aux plans de l’influence-dépendance et de l’impact-incertitude.
Ainsi, les variables étudiées ont pu être associées à un statut spécifique au sein du système de con-
texte en tant que variables motrices, variables relais, variables résultats ou comme variables de ré-
gulation. Certaines d’entre elles ont également pu être caractérisées comme variables d’arrière-plan,
peu opérantes dans le système. De même, l’analyse a permis d’associer aux variables un statut lié à
leur niveau d’incertitude et/ou d’impact dans le système pour les qualifier de tendances lourdes,
d’incertitudes majeures ou de ruptures critiques 141.

Tableau 5 : Statuts des variables de contexte

Statut de motricité-dé- Statut d’incertitude-im-


Variables
pendance 142 pact

Flux migratoires motrice incertitude majeure

Modèle familial motrice/régulation incertitude majeure

Paradigme d’action publique motrice/relais incertitude majeure

Structure de l’État motrice/relais incertitude majeure

Changements climatiques et environne-


motrice/relais tendance lourde
mentaux

Paradigme économique motrice/relais tendance lourde

Place des technologies régulation incertitude majeure

Structure d’activité de la population régulation incertitude majeure

Structure des ménages régulation incertitude mineure

Structure par âge de la population régulation incertitude mineure

Budget (finances publiques) relais Incertitude majeure

Système politique relais incertitude majeure

Revenu des ménages relais incertitude majeure

Situation économique de la Wallonie relais incertitude majeure

Inégalités environnementales résultat incertitude majeure

Inégalités scolaires résultat incertitude majeure

140
Pour la présentation des dispositifs participatifs du projet, voir Chapitre 3 – Section 4.
141
Rappelons que ces deux analyses ne sont pas exclusives, mais complémentaires : elles visent à se consolider mutuelle-
ment pour renforcer la qualité de l’analyse prospective. Le dispositif participatif exploité pour réaliser cette analyse a d’ailleurs
permis de caractériser le niveau de consensus relatif au statut de chacune des variables : des opinions parfois divergentes
sur le statut de l’une ou l’autre variable ou, au contraire, convergentes ont pu apparaître durant ces échanges. Les résultats
présentés intègrent le niveau de consensus sur le statut de chacune des variables.
142
Pour certaines variables, on remarquera que deux statuts sont pris en considération. Cette double identité témoigne d’un
désaccord entre les experts consultés sur le statut de la variable au sein du système de contexte (voir note précédente).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 137


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Inégalités sociales résultat incertitude majeure

Inégalités de santé résultat incertitude majeure

Inégalités technologiques résultat Incertitude mineure

Cohésion sociale résultat rupture critique

Représentations et stéréotypes relatifs à


arrière-plan arrière-plan
la pauvreté

Système de valeurs (place de l’enfant


arrière-plan arrière-plan
dans la société)

2.2.2. Le statut ambigu de certaines variables motrices


Le statut de motricité-dépendance des variables motrices du système présenté dans le tableau 5
apparaît comme relativement instable : pour la plupart, il est tendu entre celui de variable motrice et
celui de variable relais. Les quatre variables concernées sont : paradigme d’action publique ; struc-
ture de l’État ; changements climatiques et environnementaux ; et paradigme économique.

Cette difficulté à les catégoriser tient à la question de leur dépendance et non de leur motricité. En
effet, pour les experts qui ont débattu du statut de ces variables, cette tension est liée, principale-
ment, à la question des limites du système. Toutes les variables évoquées jouent un rôle important,
mais sont inévitablement dépendantes de l’état d’autres variables : par exemple, la variable « chan-
gements climatiques et environnementaux », dont la motricité fait consensus, dépend de variables
comme les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre, mais aussi des politiques
climatiques ; de même, la « structure de l’État belge » dépend de variables comme l’état des rap-
ports de force entre courants politiques ou la situation économique, elles-mêmes tributaires d’autres
variables comme, par exemple, la situation géopolitique mondiale.

Ce statut ambigu de certaines variables tient en partie à la limite entre variables internes et externes
au système. On verra, dans la description des scénarios, que cette limite peut demeurer poreuse
dans certains cas de figure. Ainsi, la variable « changements climatiques et environnementaux » sera
principalement considérée comme motrice, bien que les états de variables externes dont elle dé-
pend soient pris en compte dans les narratifs des scénarios : on intégrera, par exemple, les effets de
la situation géopolitique mondiale ou l’état des politiques climatiques pour décrire la situation d’en-
semble dans laquelle se trouve plongé le système étudié.

En revanche, pour certaines variables, notamment le « paradigme d’action publique » ou la « struc-


ture de l’État », on établira leur dépendance aux transformations de la composante économique, qui
demeure un groupe de variables internes. Ces variables-ci seront donc, dans ce cas, considérées
comme variables relais.

Cette observation relative à la dépendance des variables motrices concerne, de façon particulière,
la variable « modèle familial » pour laquelle l’hésitation porte sur son niveau de motricité et de dé-
pendance, puisque son statut se tend entre la motricité et la régulation. Pour cette variable, les ex-
perts consultés s’entendent sur le fait qu’elle conditionne l’état d’autres variables, mais demeurent
en désaccord sur l’intensité de sa motricité. Cette tension tient au rôle conféré à cette variable dans
les inégalités dont souffrent certains enfants, en particulier ceux vivant dans des familles monopa-
rentales, familles pour lesquelles le risque de pauvreté est plus élevé que la moyenne. On verra
comment cette incertitude sur le statut de la variable peut être exploitée en fonction des scénarios
envisagés : dans certains cas, comme dans le scénario tendanciel (scénario 4), elle pourra jouer un
rôle moteur ; par contre, dans les autres scénarios, elle tiendra un rôle de régulation, voire même

138 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
d’arrière-plan, car d’autres variables motrices transforment le contexte à un point tel que le rôle mo-
teur de cette variable dans la situation de pauvreté des enfants apparaît davantage comme secon-
daire, voire fusionné à la variable « structure des ménages ».

2.2.3. Typologie des variables de contexte


La conjonction d’une analyse de motricité-dépendance et d’impact-incertitude permet de consoli-
der l’interprétation du rôle joué par les variables au sein du système étudié. En effet, le tableau 5
permet de distinguer cinq types de variables composant le système et de confirmer l’appartenance
de chaque variable à un de ces cinq types.

Les variables motrices, pour deux d’entre elles, sont conçues comme tendances lourdes (climat,
paradigme économique). On ne retrouve pas de tendances lourdes associées à d’autres types de
variables : cela tend à confirmer la cohérence de l’analyse et conforte le statut de ces variables. Bien
entendu, cet effet de consolidation n’exclut pas, comme nous venons de le développer, que cer-
taines variables puissent glisser de statut en fonction des scénarios : certaines variables seront con-
sidérées comme variables relais ou de régulation plutôt que comme variables motrices dans certains
scénarios. En outre, le statut d’incertitude-impact pourra également évoluer, par exemple de ten-
dance lourde à incertitude majeure, en raison de certaines ruptures dans la dynamique du système.

Les variables de régulation sont des variables secondaires dans le système. La majorité d’entre elles
sont considérées comme relevant d’incertitudes mineures (au contraire des variables relais, pour
lesquelles l’incertitude est exclusivement majeure), ce qui tend à souligner et à renforcer le caractère
peu influent de ce groupe de variables dans le système. Au sein de ce groupe, on relève, néanmoins,
que deux variables (place des technologies, structure d’activité de la population) sont jugées tribu-
taires d’incertitudes majeures. Cet élément sera intégré dans la conception des scénarios : l’incerti-
tude associée à la variable technologique joue en effet un rôle important, en association avec
d’autres variables, principalement économiques. De même, l’incertitude associée à la structure d’ac-
tivité de la population, également grandement tributaire de l’état d’autres variables économiques,
sera prise en considération dans chacun des scénarios.

Les variables relais sont uniquement associées à des incertitudes majeures. Cela confirme leur rôle
d’enjeu dans le fonctionnement du système : si les états futurs de ces variables sont marqués par
une grande incertitude alors qu’elles jouent un rôle majeur dans l’état des variables résultats, elles
vont contribuer grandement aux trajectoires d’évolution possible du système. L’état du « budget (fi-
nances publiques) de la Wallonie », le « système politique », le « revenu des ménages » et, globale-
ment, la « situation économique de la Wallonie », constituent les quatre variables clés dans l’évolu-
tion du système, toutes dotées d’incertitudes majeures. Ces variables constituent donc des points
nodaux dans le système et dans la conception des scénarios. À ce groupe de variables s’ajoutent les
variables « paradigme d’action publique » et « structure de l’État » dont nous avons expliqué le statut
de variables relais plutôt que motrices dans le système. Cela permet d’accentuer leur statut d’enjeux
dans l’évolution du système puisque, comme nous l’avons mentionné précédemment, la variable
« paradigme d’action publique » joue un rôle nodal dans le fonctionnement du système et, par con-
séquent, dans la conception des scénarios.

Les variables résultats constituent les variables de sortie du système. Elles forment un ensemble
composé exclusivement de variables désignant l’état des inégalités (« inégalités environnemen-
tales », « inégalités scolaires », « inégalités sociales », « inégalités de santé », « inégalités technolo-
giques », « cohésion sociale »). Ces variables sont en majorité estimées tributaires d’incertitudes ma-
jeures dans leur état. Ce jugement semble cohérent et répondre aux incertitudes identifiées pour les

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 139


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
variables relais. Le cas de la variable « cohésion sociale » 143, considérée comme une rupture critique,
en fait un enjeu majeur de l’évolution du système pouvant entraîner d’importants changements
d’état. Cela souligne, par ailleurs, l’effet retour potentiel de ces variables résultats sur le reste du
système ainsi que, comme nous l’avions relevé lors du prototypage du système via la méthode
DPSIR, leurs interactions avec la composante politique du système 144.

Les variables d’arrière-plan sont des variables dont l’évolution, si elle peut être influencée par l’état
du système, l’affecte de façon négligeable. L’analyse de motricité-dépendance, en associant cer-
taines variables à ce statut, permet donc, théoriquement, de les écarter du travail prospectif. Deux
variables relèvent de cette catégorie : « représentations et stéréotypes relatifs à la pauvreté » et
« système de valeurs (place de l’enfant dans la société) ». Écarter ces deux variables dans l’analyse
du système pourrait paraître quelque peu arbitraire, car elles demeurent liées à la dynamique du
système et l’on perdrait une partie de l’information en les excluant de l’analyse. Aussi, nous les réin-
tégrerons à l’analyse en tant que variables de régulation.

2.2.4. Intégration des variables « réponses »


Dans le cadre du prototypage du système prospectif par la méthode DPSIR, nous avions associé aux
Responses les politiques constituant le champ de l’action publique de lutte contre la pauvreté des
enfants. Nous avions pris en compte des politiques agissant directement et indirectement sur la si-
tuation de pauvreté de l’enfant : « l’accueil de l’enfance », la « politique d’aide et de protection de la
jeunesse », la « politique de la famille et de l’enfance », la « politique du logement », la « politique
scolaire », la « politique de lutte contre la pauvreté », la « politique des droits de l’enfant », la « poli-
tique fiscale », le « régime de sécurité sociale (y compris les allocations familiales) » et la « politique
de santé publique ».

L’intégration de cet ensemble au système prospectif n’obéit pas à une logique similaire à celle des
variables de contexte. En effet, cet ensemble de variables concerne l’action menée à l’égard de la
pauvreté des enfants. Les variables de contexte étudiées précédemment permettent de décrire et
de comprendre la pauvreté des enfants en tant que phénomène systémique. Intégrer les variables
politiques au système suppose, par conséquent, qu’elles soient considérées dans l’analyse comme
un ensemble d’actions influençant les différentes variables qui composent le système et, ce faisant,
l’état de pauvreté des enfants. Dans le design du système, nous devons donc pouvoir incorporer à
son architecture, tout en la distinguant, la spécificité de ces variables politiques. En effet, cette incor-
poration doit pouvoir identifier la nature des interactions entre ces variables politiques et les autres
variables du système, ces interactions pouvant mener, dans un sens, à conditionner l’état des va-
riables politiques, et dans l’autre, à influencer l’état des autres variables composant le système. Grâce
au travail de prototypage du système réalisé par la méthode DPSIR, nous avons pu opter pour une
intégration de ces variables comme « variables réponses » distinctes des variables résultats. Nous
concevrons également ce groupe de variables comme une composante spécifique du système, la
composante « action publique de lutte contre la pauvreté des enfants » 145.

143
Remarquons que cette variable, à la différence des autres, possède un caractère hybride : elle concerne à la fois l’état de
l’accès aux droits fondamentaux et l’action menée pour garantir cet accès. Le fait qu’elle soit considérée comme une rupture
critique, au contraire des variables objectivant l’état des inégalités, nous semble traduire cette double nature puisqu’une dé-
gradation de l’état de cette variable suppose une dégradation conjointe de l’accès aux droits fondamentaux et de l’action
menée pour garantir cet accès.
144
Voir Chapitre 3 – Section 1 – Point 1.1.
145
Voir point 2.4.6 du présent chapitre.

140 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.3. LES VARIABLES CONSTITUTIVES DU SYSTÈME PROSPECTIF
L’analyse structurelle nous a permis d’associer à chaque variable un statut déterminé. Ce travail per-
met, d’une part, de stabiliser l’architecture du système prospectif, et d’autre part, d’identifier les va-
riables utiles par leur rôle dans le système à la conception de scénarios contrastés, leurs change-
ments d’état pouvant induire des trajectoires d’évolution très différentes.

Dans cette section, nous allons passer en revue chacune des variables sélectionnées, c’est-à-dire
les variables motrices, les variables de régulation, les variables relais, les variables résultats et les
variables réponses. Par cet inventaire, nous en définissons la nature et en caractérisons l’évolution
récente par des éléments rétrospectifs.

2.3.1. Les variables motrices


Les variables motrices jouent un rôle majeur dans le fonctionnement du système. Indépendantes
des autres variables internes, elles en conditionnent fortement l’état, soit directement, soit indirecte-
ment.

L’analyse structurelle a permis d’identifier trois variables motrices : les « changements climatiques et
environnementaux », les « flux migratoires » et le « paradigme économique ». Chacune de ces va-
riables occupe donc une position importante dans le système par l’influence qu’elle peut exercer
individuellement ou en conjonction avec d’autres sur son état et sur ses évolutions.

Variable Définition et éléments de rétrospective


« Variation de l’état du climat, qu’on peut déceler (par exemple au moyen de
tests statistiques) par des modifications de la moyenne et/ou de la variabilitè́
de ses propriétés et qui persiste pendant une longue période, généralement
pendant des décennies ou plus. Les changements climatiques et environne-
mentaux peuvent être dus ß des processus internes naturels ou ß des forçages
externes, notamment les modulations des cycles solaires, les éruptions volca-
niques ou des changements anthropiques persistants dans la composition de
Changements cli-
l’atmosphère ou dans l’utilisation des terres. » (Source : GIEC)
matiques et envi-
En Belgique, on observe un réchauffement annuel du climat de 0,38°C en
ronnementaux moyenne par décennie depuis 1981. Ce réchauffement représentait en 2020
une augmentation de la température moyenne annuelle de 2,1° par rapport au
milieu du XIXe siècle. En conséquence, les vagues de chaleur augmentent en
nombre, en intensité et en durée depuis 1981. Depuis les années 1990, on ob-
serve, par ailleurs, une réduction des précipitations printanières, sources de
sécheresses plus intenses, et une augmentation des précipitations estivales
abondantes, sources d’inondations plus nombreuses aux conséquences im-
portantes. (Source : IRM)
Ensemble des entrées (immigrations) et des sorties (émigrations) d’individus
dans un pays, au cours d’une année.
Depuis le début des années 1990, le solde migratoire de la Belgique est positif
(entrées supérieures aux sorties) et tendanciellement en hausse en raison de
Flux migratoires flux migratoires entrants en constante augmentation et supérieurs aux flux sor-
tants. Entre la fin des années 1990 et 2010, les flux entrants sont principalement
alimentés par les migrations issues des nouveaux États membres de l’Union
européenne. Depuis 2010, les migrations intra-européennes demeurent majo-
ritaires en Belgique, mais sont complétées de flux importants générés par la
guerre en Syrie et, plus récemment, en Ukraine.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 141


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
La notion renvoie au courant qui domine conjointement, à un moment donné,
un champ de réflexion et d’action en matière économique. Ce courant do-
mine jusqu’à ce que s’opère un « changement de paradigme ».
L’histoire de la pensée économique depuis la Deuxième Guerre mondiale fait
généralement se succéder dans le temps deux grandes périodes : la période
keynésienne liée au développement des économies fordistes et à d’impor-
tants investissements publics en soutien à l’économie ; puis, la période néo-
libérale ou néoclassique qui domine les économies postfordistes où l’investis-
sement public connaît une forte contraction et l’économie de marché un essor
Paradigme éco-
important. Le passage d’un paradigme à l’autre est situé au moment des deux
nomique « chocs pétroliers » de 1973 et de 1979. À partir des années 1980 et jusqu’à la
crise de 2007-2008, il est communément admis que le paradigme néoclas-
sique 146 domine la pensée et l’action économiques. Depuis lors, cette domina-
tion est remise en cause par le renforcement progressif de plusieurs courants
critiques internes à l’économie nés dans les années 1980 : les économies néo-
et postkeynésiennes, l’économie comportementale, l’économie institution-
nelle, l’économie des inégalités ou encore l’économie écologique. Récem-
ment, la perspective de la « post-croissance » 147 portée par l’économie écolo-
gique a reçu une reconnaissance européenne (Parrique et al., 2023) qui tend à
polariser de nouveaux clivages autour du modèle et de l’action économiques.

2.3.2. Les variables de régulation


Les variables de régulation jouent un rôle secondaire dans le fonctionnement du système. Cela si-
gnifie que la dynamique du système et ses évolutions s’avèrent moins dépendantes de leur état que
d’autres variables aux effets structurants comme les variables motrices et les variables relais. Cet
impact peu élevé sur le fonctionnement du système pourrait conduire à les exclure de l’analyse
prospective. Nous avons, cependant, fait le choix de les conserver dans le but d’enrichir la descrip-
tion du système. Comme nous le verrons dans la section suivante, de nombreuses variables appar-
tenant à cette catégorie permettent d’affiner la description des composantes du système.

Par exemple, la variable « place des technologies » permettra d’agrémenter la description d’une va-
riable motrice telle que le « paradigme économique » d’éléments clés sur les choix et orientations
des politiques économiques, le rôle conféré aux aspects technologiques dans la recherche de crois-
sance occupant une place importante dans de nombreux programmes politiques et économiques.

De plus, une variable démographique telle que la « structure par âge de la population » joue un rôle
important dans l’évolution de plusieurs variables relais : le vieillissement de la population impacte de
nombreuses variables économiques, et par ricochet, plusieurs variables associées à la forme prise
par l’État social.

Enfin, comme nous l’avons évoqué précédemment, nous avons fait le choix de réintégrer des va-
riables estimées d’arrière-plan dans l’analyse structurelle associées aux « représentations de la pau-
vreté » et à la « conception de la place de l’enfant dans la société ». Ces variables apparaissent

146
Le paradigme néoclassique met au centre des relations économiques le marché en tant que vecteur le plus efficient dans
l’allocation des ressources : un marché en équilibre (où l’offre égale la demande grâce à la libre concurrence) doit permettre
que l’amélioration de la situation d’un agent économique ne se fasse pas au détriment de la situation d’au moins un autre. Ce
principe est au fondement de celui de croissance économique : celle-ci permet une amélioration du bien-être de tous par
une augmentation du niveau de vie globale (Brand-Correa et al., 2022 ; Laurent, 2023). Cette croissance économique est basée
sur le développement des artefacts techniques et des technologies ainsi que des services associés estimés garants du bien-
être (Petit et al., 2022 : 30). Ce paradigme se fonde également sur un principe de comportement rationnel des individus : ils
sont censés chercher à maximiser l’utilité et leur satisfaction dans leurs choix économiques. En outre, la loi de l’offre et de la
demande, au cœur des logiques de marché, est estimée la seule à même de fixer un prix « juste » et de conférer, par ce fait,
une valeur à un bien ou à un service.
147
Le terme de « post-croissance » renvoie à un ensemble de travaux de recherches critiques qui visent à concevoir une
économie dont l’objectif n’est plus l’accumulation de richesses par la croissance continue, mais un bien-être des êtres hu-
mains et des êtres non humains respectueux des limites planétaires (Cassiers et al., 2017 ; Laurent, 2023 ; Rumpala, 2019).

142 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
indispensables, en effet, à la compréhension de la manière dont est conçue la pauvreté des enfants
et l’action pour y faire face.

Tableau 6 : Les variables de régulation

Variable Définition et éléments de rétrospective


Le modèle familial désigne la structure de la famille et la manière dont les indi-
vidus qui la composent interagissent entre eux (Marquet, 2001). Ce modèle peut
prendre différentes formes : nucléaire, monoparentale, recomposée, homopa-
rentale, d’accueil ou couple parental (couple séparé dont les membres s’occu-
pent conjointement des enfants).
Au cours des trente dernières années, le modèle familial a passablement évo-
Modèle familial lué : si le modèle « nucléaire » demeure la norme, on a assisté à des transforma-
tions importantes, en particulier la forte baisse des mariages (on passe d’environ
20 000 mariages par an en 1990 à 10 000 en 2021 en Wallonie), une forte aug-
mentation de l’union consensuelle (cohabitation légale) (multiplication par 25 en
Wallonie) et une sensible augmentation du nombre de familles monoparentales
(en 1992, on en dénombre environ 120 000 en Wallonie contre 197 000 en 2022).
(Source : STATBEL).
Rôles joués par les technologies dans l’organisation et le fonctionnement de
l’économie, du social et du politique.
En Wallonie, depuis le début des années 2000, on observe une croissance im-
Place des tech- portante de l’usage des technologies de l’information et de la communication et,
nologies par exemple, une croissance substantielle de la digitalisation des services admi-
nistratifs, notamment à partir des années 2010 (Calay et al., 2019). Les confine-
ments successifs liés à la pandémie de Covid-19 ont également renforcé la digi-
talisation des activités économiques et de l’État, notamment de la sécurité so-
ciale (Calay, 2021)
Qualifications socialement partagées d’une réalité qui a pour effet de réduire
cette réalité à l’une de ses composantes et/ou de l’associer à une projection
normative du groupe qui partage cette représentation.
Représentations On peut distinguer trois représentations sociales de la pauvreté : la pauvreté in-
et stéréotypes tégrée (condition d’une grande partie de la population intégrée à un débat public
associés à la d’ensemble sur le développement social, politique et économique), la pauvreté
pauvreté marginale (condition d’une part marginale de la population intégrée à un débat
public portant sur la lutte contre la pauvreté et sur les inégalités), la pauvreté
disqualifiante (condition sociale potentielle de l’ensemble de la population me-
nacée de paupérisation qui génère une crainte collective face au risque d’exclu-
sion) (D’après Paugam, 2013).
Caractérisation de la population en âge de travailler en termes de taux d’activité
et de taux d’emploi ; de la population active en termes de taux de chômage ; de
la population active occupée en fonction du type d’emploi (salariés, indépen-
dants, emplois temporaires, emplois permanents).
En Wallonie, entre 1990 et 2021, on observe une hausse globale du taux d’emploi
et une baisse globale du taux de chômage. Ce phénomène touche, néanmoins,
Structure d’acti- très diversement la population et le territoire.
vité de la popu- La hausse du taux d’emploi bénéficie de façon globale aux femmes (le taux
lation d’emploi des hommes baisse d’un point de pourcentage tandis que celui des
femmes augmente de 11 points). Cette hausse du taux d’emploi concerne prin-
cipalement la tranche 50-64 ans dont le taux augmente de près de 20 points de
pourcentage, tandis que celui des 25-49 ans n’augmente que de 3 points et celui
des 15-24 ans est, par contre, en baisse de près de 2 points. Cela traduit un vieil-
lissement global de la population active et sa féminisation. En outre, en 2022, le
taux d’emploi est supérieur chez les personnes hautement diplômées (85,4 %
contre 67,2 % chez les personnes moyennement diplômées et 42,5 % chez les

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 143


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
personnes faiblement diplômées) (IWEPS, 2023). Ce phénomène tend à se ren-
forcer en raison de pénuries de travailleurs qualifiés qui mettent le marché du
travail sous tension (CSE, 2023). En outre, l’augmentation du taux d’emploi s’ac-
compagne d’une précarisation, avec une augmentation des formes de travail
flexibles (flexi-jobs, travail étudiant) et du temps partiel (CSE, 2023).
Sur la même période, le taux de chômage est en baisse, passant de 12,7 % à
8,9 %. Cette baisse concerne principalement la tranche 15-24 ans (-8 %) (par l’effet
de la réduction de la durée des droits adoptée dans la seconde moitié des an-
nées 2010). Pour le reste de la population active, la baisse du niveau de chômage
concerne davantage la tranche 25-49 ans (baisse de 3 points). Le taux de chô-
mage des 50-64 ans reste relativement stable (baisse d’un point). (Source :
IWEPS).
La très large majorité de la population active occupée wallonne demeure sala-
riée. On observe, toutefois, une hausse de l’emploi indépendant en Wallonie qui
touche particulièrement le statut d’indépendant à titre complémentaire (sans les
aidants) dont le nombre passe d’environ 40 000 en 1997 à plus de 90 000 en
2022, alors que le nombre d’indépendant à titre principal augmente beaucoup
plus lentement (165 000 en 1997 contre 188 000 en 2022) (Source : IWEPS)
Unité de la population constituée « soit par une personne vivant habituellement
seule, soit par deux ou plusieurs personnes qui, unies ou non par des liens de
parenté, occupent habituellement un même logement et y vivent en commun »
(Source : IWEPS). Un ménage privé peut-être de différents types : couple marié
sans enfant, couple marié avec enfant(s), couple non marié sans enfant, couple
non marié avec enfant(s), familles monoparentales, ménages de type isolé (1 per-
sonne), ménages non familiaux (colocations…).
Structure des En Wallonie, depuis 1992, on observe un phénomène conjoint d’augmentation
ménages du nombre de ménages privés (de 1 319 092 personnes en 1992 à 1 612 974 en
2022) et de diminution de leur taille (de 2,46 personnes par ménage en 1992 à
2,24 en 2022). Par ailleurs, la part de couple non marié avec enfant(s) est en cons-
tante augmentation durant la même période (de 2,1 % à 9,7 %) alors que celle des
couples mariés avec enfant(s) se réduit (de plus de 30 % à 17 %). La part des mé-
nages isolés est corrélativement en croissance, de façon plus nette pour les
hommes (de 12,5 % à 17,9 %) que pour les femmes, qui n’évolue pratiquement
pas (de 17,8 % à 19,1 %). En outre, le nombre de familles monoparentales passe
de 123 646 en 1992 à 197 252 en 2022. (Source : IWEPS)
Caractérisation de la population par classes d’âges. La population est entendue
comme « la population résidente, telle qu’inscrite au Registre national des per-
sonnes physiques (RNPP), au 1er janvier de la période de référence concernée.
La population belge comprend les Belges et les non-Belges admis ou autorisés
à s’établir ou à séjourner sur le territoire, mais ne comprend pas les non-Belges
séjournant pendant moins de trois mois sur le territoire, les demandeurs d’asile
Structure par et les non-Belges en situation irrégulière. » (Source : STATBEL)
âge de la popu-
lation Le taux de croissance global de la population wallonne entre 1991 et 2022 est de
12 % (passage de 3 255 711 à 3 662 495 habitants). Cette croissance est inégale-
ment répartie au sein des classes d’âges. Le taux de croissance des 18-64 ans
est de 9 % durant la même période (de 2 027 000 à 2 210 466) ; celui des plus de
65 ans est de 39 % (de 508 832 à 706 211) alors que celui des enfants de moins
de 18 ans est inférieur à 1 % (de 740 091 à 745 818). Cela témoigne d’une nette
tendance au vieillissement de la population. (Source : IWEPS)

144 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Manière dont une société conçoit la notion d’enfance et lui confère un rôle et
un statut particulier au sein du fonctionnement social à travers des normes, des
institutions et des pratiques.
Système de va- On parle, par exemple, d’« enfant Onusien » pour caractériser une conception
leurs (place de universelle de l’enfance en en faisant un groupe social distinct des autres, doté
l’enfant dans la de droits subjectifs, valant en tout lieu et en tout temps, indépendamment,
société) donc, des contextes sociaux, économiques, politiques et culturels dans les-
quels ils évoluent (D’après de Suremain et Bonnet, 2014).
Le processus historique d’institutionnalisation de cette conception de l’enfance
a fait l’objet de l’analyse livrée au chapitre 1.

2.3.3. Les variables relais


Également qualifiées de variables enjeux, les variables relais occupent une position nodale dans le
fonctionnement du système : elles sont à la fois très dépendantes de l’état des variables motrices et
des variables de régulation, et déterminantes dans l’état des variables résultats.

La prise en compte de ces variables dans la présentation et la compréhension de la dynamique du


système apparaît donc indispensable, d’autant qu’elles jouent un rôle majeur dans la conception des
trajectoires d’évolution du système.

Six variables ont été retenues comme variables relais. Quatre d’entre elles relèvent du fonctionne-
ment de l’État : « budget (finances publiques) », « paradigme d’action publique », « structure de
l’État » et « système politique ». Les deux autres concernent des aspects économiques : « situation
économique de la Wallonie » et « revenu des ménages ».

Ces éléments nous permettront d’alimenter la description de deux composantes centrales du sys-
tème et de positionner des enjeux clés de son fonctionnement : d’une part, la forme de l’État social,
déterminée, notamment, par les quatre variables relais évoquées ; d’autre part, le modèle écono-
mique, qui intègre les deux variables relais citées et d’autres variables, notamment motrices, comme
le « paradigme économique ».

Tableau 7 : Les variables relais

Variable Définition et éléments de rétrospective


Le budget est un « acte annuel de prévision des recettes à réaliser et des dé-
penses à effectuer pour une période déterminée. C’est, en outre, une autorisa-
tion donnée par le pouvoir législatif […] au pouvoir exécutif […] de réaliser ces dé-
penses et de percevoir ces recettes. Le budget est donc une estimation, une
prévision des recettes et une autorisation maximale des dépenses d’une an-
née » (Source : SPW). Les finances publiques, qui l’englobent, concernent les
moyens dont dispose l’État pour financer le fonctionnement de son administra-
tion et pour réaliser les investissements nécessaires au développement de ses
missions.
Budget (finances Le budget de la Wallonie a été multiplié par quatre entre 2001 et 2024 (de 5
publiques) milliards d’euros à un peu plus de 20 millions d’euros). La part d’emprunts au
sein de ce budget est demeurée sous les 5 % jusqu’en 2010, puis est passée à
environ 7 % en moyenne entre 2010 et 2018 et a fortement cru ensuite : 16 % en
2019, 48 % en 2020 (crise Covid), 23 % en 2021, 27 % en 2022, 21 % en 2023 et 16 %
en 2024 (Source : IWEPS). Le budget de la Wallonie demeure très légèrement
déficitaire.
« Le budget de la Wallonie a connu une forte croissance au cours des années
2010 en raison de la sixième réforme de l’État et de la régionalisation de com-
pétences en matière fiscale et de sécurité sociale (régionalisation du budget al-
locations familiales qui représente 2,9 milliards d’euros).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 145


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Comme les autres entités publiques belges, la Région wallonne n’a pas été
épargnée par les conséquences de la crise sanitaire liée à la Covid-19, de la crise
en Ukraine et de la crise énergétique ; sans oublier, dans le cas de la Wallonie,
les inondations de juillet 2021. Cependant, la dégradation des finances publiques
wallonnes est antérieure à la crise liée à ces crises. Entre 2015 et 2019, la crois-
sance des dépenses était de 12,7 %, alors que celle des recettes était seulement
de 8,8 %. Sur la période 2019-2021, essentiellement en raison de la crise sanitaire
et des inondations, les dépenses ont progressé de 25,5 %, alors que les recettes
n’augmentaient que de 4,8 %. Cet écart s’est traduit par une aggravation du dé-
ficit budgétaire et, corrélativement, une augmentation de la dette directe qui est
passée de 7,9 milliards d’euros au 31 décembre 2015 à 20,6 milliards d’euros au
31 décembre 2021, soit une augmentation de plus de 160 %. En 2022, selon les
dernières estimations disponibles de l’ajustement budgétaire, la croissance des
recettes serait de 14,2 %, tandis que celle des dépenses serait de 6,4 %. Les pré-
visions pour le budget 2023 prévoient une tendance similaire avec une crois-
sance des recettes de 10 % et une hausse des dépenses de 4,9 %. Cependant,
le niveau absolu des dépenses étant toujours supérieur à celui des recettes, les
prévisions pour 2023 prévoient un nouveau déficit (solde de financement) de
l’ordre de 2,6 milliards d’euros. » (Bayenet, 2023 : 7).
« Cadre d’idées et de standards, qui spécifie non seulement les objectifs de la
politique et le type d’instruments qui peut être utilisé pour les atteindre, mais
également la nature même des problèmes qu’ils [les décideurs] sont supposés
traiter » (Hall, 1993 ; Ribémont et al., 2018).
Dans ce projet, le paradigme d’action publique renvoie à la forme prise par l’État
social. À partir des années 1990, dans le cadre du traité de Maastricht, les gou-
vernements fédéraux belges successifs mettent en place une série de réformes
du régime de sécurité sociale qui contribuent à la naissance d’un nouveau pa-
radigme d’État social : l’État social actif. Celui-ci se caractérise par une série de
Paradigme d’ac- principes visant à optimiser financièrement les mécanismes de protection so-
tion publique ciale à travers la responsabilisation, l’autonomisation et, progressivement, un
contrôle accru des bénéficiaires d’aides sociales. En outre, cette forme d’État
social tend à « désuniversaliser » les mécanismes de sécurité sociale propres à
l’État-providence en orientant les systèmes d’aides vers des publics cibles ou
des « groupes à risque » (dans les années 1990, « jeunes », « SDF »… ; puis, à par-
tir des années 2000, « femmes », « familles monoparentales » auxquels, dans le
courant des années 2010, s’ajoutent les « enfants »). En outre, les systèmes
d’aide deviennent conditionnels et soumis à une contractualisation (projet pro-
fessionnel, projet de réinsertion…). Le mot d’ordre est « l’activation » : la protec-
tion sociale n’est pas octroyée gratuitement, elle suppose une participation de
son bénéficiaire à l’économie et/ou la société. (D’après Zamora Vargas, 2017)
« Le revenu disponible net des ménages s’élève, en 2022, à 22 513 euros par an
et par habitant en Wallonie. La majeure partie des revenus provient de la parti-
cipation des ménages à l’activité économique. Il s’agit des revenus dits primaires
qui s’élèvent en Wallonie à 26 263 euros par habitant et sont composés de la
rémunération des salariés, des revenus immobiliers et mobiliers ainsi que du re-
venu mixte, qui est propre aux personnes indépendantes. Pour passer au revenu
disponible qui est le revenu monétaire "poche" qui sera consacré à la consom-
mation finale ou à l’épargne, il faut déduire les cotisations sociales et les impôts
Revenu des mé-
courants et ajouter les prestations sociales ainsi que divers transferts. Au total,
nages
ces taxes et transferts réduisent donc le niveau de revenu en Wallonie. Toute-
fois, l’État consacre une partie de ses recettes à des transferts sociaux en nature
(principalement pour l’enseignement et les soins de santé) considérés comme
étant au bénéfice individuel des ménages. En tenant compte de ces transferts,
on obtient un revenu disponible ajusté de 30 582 euros qui dépasse donc à nou-
veau les revenus primaires.
Les revenus wallons ont une part plus importante de rémunération des salariés
et moins de revenus mobiliers et immobiliers. La redistribution des revenus a un

146 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
effet plus important pour le revenu des Wallon·nes, puisque le revenu dispo-
nible net s’élève à 85,7 % du solde des revenus primaires nets contre 81,9 % à
Bruxelles et 80,9 % en Flandre. En 2022, étant donné la fin des principales me-
sures prises par les gouvernements, la redistribution a un impact moins impor-
tant qu’en 2020. Les transferts sociaux en nature, par habitant, ont des valeurs
relativement proches entre les trois régions et donc un poids relativement plus
important dans le revenu des ménages wallons. En Wallonie et à Bruxelles, les
ménages ont un revenu disponible ajusté net largement plus haut que leur re-
venu primaire net tout en étant supérieur en Flandre contrairement aux autres
années en raison des mesures de soutien aux ménages prises par les différents
gouvernements. » (Source : IWEPS)
Cette variable cerne le contexte économique de la Wallonie par des indicateurs
tels que le PIB, l’activité des différents secteurs économiques (primaire, secon-
daire et tertiaire) et l’impact de ceux-ci sur le PIB. Elle positionne la Wallonie à
l’international (parts d’exportations et d’importations réalisées par la Région) et
identifie les produits pour lesquels elle est dépendante des importations.
La situation économique de la Wallonie a connu de multiples soubresauts au
cours des trente dernières années : la seconde moitié des années 1990 se ca-
ractérise par une relative embellie économique qui est suivie d’une accalmie au
début des années 2000, puis d’une reprise de la croissance à partir de 2004
Situation écono- jusqu’à la crise financière de 2007 et la récession qui l’a suivie. La situation s’est
mique de la améliorée dans le courant des années 2010 grâce à au développement des ex-
Wallonie portations et au soutien financier européen avec une alternance de période de
récession et d’amélioration de la situation économique. La pandémie de Covid-
19 en 2020 a marqué une rupture par la contraction inédite de l’activité écono-
mique mondiale qui n’a, bien entendu, pas épargné la Wallonie. Il y eut néan-
moins un effet rebond dès 2021, encouragé par les différents plans de relance
mis en place à l’échelle européenne, belge et wallonne qui ont « dopé » la crois-
sance : « Le net rebond de l’activité économique observé en 2021 à la suite de
la chute observée en 2020 en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie du
Covid-19 s’est suivi en 2022 d’une forte croissance. En déduisant l’évolution des
prix, le taux de croissance du PIB wallon est de +3,3 %. » (Source : IWEPS)
Organisation institutionnelle de l’État (unitaire, fédérale ou confédérale). Dans le
cas belge, il s’agit, actuellement, d’un État fédéral : « les compétences étatiques
sont réparties entre un niveau fédéral (en Belgique, l’Autorité fédérale) et des
collectivités politiques autonomes que l’on appelle des entités fédérées (en Bel-
gique, essentiellement les Régions et les Communautés). Il existe donc plusieurs
pouvoirs législatifs et plusieurs pouvoirs exécutifs ainsi que, éventuellement
(mais ce n’est pas le cas en Belgique), plusieurs pouvoirs judiciaires. L’ordre juri-
dique fédéral est unique et uniforme : il s’applique à tout le territoire national et
à toute la population du pays. Les ordres juridiques fédérés sont multiples et
hétérogènes : il y en a autant qu’il y a d’entités fédérées et chacun d’entre eux
est spécifique à une entité fédérée. » (Source : CRISP)
Structure de La Belgique est engagée depuis le début des années 1970 dans un processus
l’État de « réforme de l’État » continue visant à la fédéralisation d’un État conçu, lors
de son indépendance en 1830, comme unitaire. Depuis lors, six « réformes de
l’État » se sont succédé (1970-1973 ; 1980-1983 ; 1988-1990 ; 1992-1993 ; 2001 ;
2012-2014).
Les trente dernières années constituent un point de bascule important dans
l’histoire de la structure de l’État belge : la quatrième réforme de 1992-1993 voit
la constitutionnalisation du statut de « fédération » de l’État belge. Par ailleurs,
outre l’octroi de compétences supplémentaires aux entités fédérées, cette ré-
forme accorde à certaines régions et communautés du pays une « autonomie
constitutive » : la Wallonie voit son parlement élu directement par la population.
La cinquième réforme de l’État, mise en œuvre en 2001 à l’initiative du Parlement
flamand, entraîne, notamment, la régionalisation de nouvelles compétences

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 147


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
(agriculture, commerce extérieur, pouvoirs locaux) et accentue l’autonomie fis-
cale des régions.
La sixième réforme de l’État (2012-2014) génère une transformation importante
de la structure de l’État en organisant des transferts budgétaires et de compé-
tences renforçant le poids des entités fédérées dans le fédéralisme belge. Cette
réforme touche notamment, pour la première fois, le système de sécurité so-
ciale : les prestations familiales (allocations familiales, allocations de naissance,
primes d’adoption) sont transférées aux entités fédérées, dont la Région wal-
lonne. Celle-ci bénéficie, en effet, par l’accord dit de la « Sainte-Émilie » (2013),
de compétences nouvellement transférées revenant, en principe, à la Commu-
nauté française (les prestations familiales étant des matières personnalisables).
(Source : CRISP)
Le système politique inclut l’organisation constitutionnelle des gouvernants (le
régime politique) et l’ensemble des acteurs et processus qui concourent à for-
mer le gouvernement d’un pays (le régime des partis, les libertés publiques et
les médias, les mécanismes de socialisation politique des citoyens, etc.) (D’après
Quermonne, 2006 et Hermet et al., 2023).
Le système politique belge est analysé comme une « démocratie consociative »
basée sur un régime de « pilarisation ». Ce type de démocratie se caractérise par
une logique de compromis dans la résolution des conflits. Cela suppose, notam-
ment, un gouvernement formé de larges coalitions politiques et une décentra-
lisation de la décision (Caluwaerts et Reuchamps, 2020).
Caluwaerts et Reuchamps (2020) distinguent trois périodes dans l’histoire ré-
cente de la Belgique consociative : une première (jusqu’aux années 1960) où les
clivages religieux et socio-économiques structurent le système politique belge
en trois « piliers » (démocrate-chrétien, socialiste, libéral) ; une deuxième, entre
le début de la fédéralisation de l’État belge en 1970 et 2007, qui voit l’émergence
d’un « fédéralisme consociatif » basé sur le clivage linguistique ; une troisième,
depuis 2007, qui se caractérise par une « crise » du consociativisme belge (gou-
vernements non représentatifs de l’état du clivage linguistique, perte de con-
Système poli- fiance dans les institutions politiques et demande croissante de participation des
tique populations) sur fond de renforcement de la fédéralisation de l’État.
Cette évolution du consociativisme belge correspond également à un mouve-
ment de « dépilarisation » entamé au début des années 1970. Jusqu’alors, le sys-
tème politique belge fondait son fonctionnement sur les trois « piliers » évoqués.
Ceux-ci étaient composés de divers types d’organisations (mutualités, syndicats,
organisations professionnelles, coopératives, mouvements sociaux de diffé-
rentes natures, associations culturelles, sportives, de loisirs…) gravitant autour
d’un parti politique et visant à « encadrer » la vie des citoyens de la naissance à
la mort. Il est communément admis que ces organisations jouaient un rôle de
« courroie de transmission » entre les citoyens et les partis qui garantissait la
confiance dans les institutions et dans l’élite politique, indispensables au bon
fonctionnement du système consociatif. Cependant, dès les années 1960, ce
système a tendu à progressivement se déstructurer : tout en conservant une
certaine influence sur le fonctionnement du système politique, il a vu les fron-
tières entre piliers devenir poreuses, voire dans certains cas disparaître au profit
de logiques pluralistes. Ce phénomène se caractérise par trois évolutions : l’in-
dividualisation des parcours de vie des citoyens moins, voire plus du tout, dé-
pendants des piliers ; la transformation d’organisations qui se « dépilarisent » en
s’ouvrant à d’autres courants idéologiques ; l’apparition de partis sans pilier ou
de partis qui n’en souhaitent pas. (D’après CRISP).

2.3.4. Les variables résultats


Ces variables constituent également un élément structurant au sein du système. Dans une analyse
structurelle, elles forment le dernier ensemble de variables pertinentes pour l’analyse.

148 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Les variables envisagées au sein de ce groupe permettent donc d’identifier l’état de l’objet analysé,
en l’occurrence la situation de pauvreté des enfants.

Ce groupe est, dans cet esprit, composé de variables qui décrivent différentes inégalités condition-
nant l’état de pauvreté des enfants : « inégalités de santé », « inégalités technologiques », « inégalités
environnementales », « inégalités scolaires » et, de façon générique, les principales « inégalités so-
ciales ». Ce groupe intègre également la « cohésion sociale » qui permet de caractériser l’état d’ac-
cès des personnes aux droits fondamentaux ainsi que les processus mis en place pour garantir cet
accès.

L’état de cet ensemble de variables permet donc de comprendre la manière dont la dynamique du
système structurée par les autres types de variables détermine l’état de pauvreté des enfants.

Tableau 8 : Les variables résultats

Variable Définition et éléments de rétrospective


Notion hybride qui vise à la fois un horizon social ou sociétal et une modalité
d’action. En tant qu’horizon sociétal, la cohésion sociale renvoie à un projet
qui comporte de nombreuses ambiguïtés. C’est, d’abord, un horizon porteur
de craintes car il vise à lutter contre un phénomène de « détérioration so-
ciale » issu des mutations de l’État-providence entamées dans les années
1970 et de la mondialisation, engendrant crises et conflits. À rebours, c’est,
ensuite, un horizon visant à l’harmonie sociale : créer une cohésion, c’est par-
venir à une société sans apérités ni conflits où les relations entre groupes so-
ciaux sont apaisées, malgré l’existence d’inégalités. C’est, enfin, un horizon de
coresponsabilité car cette cohésion dépend autant de la responsabilité des
institutions collectives que de celle des individus pour « faire société ». En tant
que domaine d’action, la cohésion sociale renvoie à la prévention de l’exclu-
sion, à la lutte contre la pauvreté et à la promotion de l’égalité des chances.
(D’après Avenel, 2014)
En Wallonie, la notion concerne la politique visant à garantir l’accès aux droits
fondamentaux c’est-à-dire : le droit à l’aide juridique, le droit à un revenu
digne, le droit à l’éducation, l’enseignement et la formation, le droit au travail,
au libre choix d’une activité professionnelle, le droit à l’aide sociale, le droit à
la santé, le droit à l’alimentation, le droit à un logement décent, le droit à
Cohésion sociale l’énergie et à l’eau, le droit à un environnement et un cadre de vie adapté, le
droit à la mobilité, le droit à une vie familiale et amoureuse non contrainte, le
droit à une vie sociale et culturelle, le droit à l’accès numérique et à l’informa-
tion et le droit à la participation citoyenne et démocratique.
L’IWEPS a développé un indicateur synthétique d’accès aux droits fondamen-
taux (ISADF). Cet indicateur permet de caractériser de façon agrégée la situa-
tion des populations wallonnes face à neuf droits fondamentaux (revenu, ali-
mentation, santé, sécurité sociale, éducation et enseignement, logement, en-
vironnement, mobilité, travail) en cartographiant la situation de vulnérabilité
de la population wallonne face à ces droits. Cette analyse géographique per-
met de constater un accès à ces droits relativement homogène sur le terri-
toire wallon. Cependant, trois espaces présentent une situation moins favo-
rable qui traduit des inégalités au sein de la population. Premièrement, le sil-
lon Sambre et Meuse (en particulier les villes de Liège et de Charleroi) se ca-
ractérise par des scores relativement faibles qui contrastent avec le reste des
espaces wallons. Ce sillon est, en effet, historiquement marqué par les con-
séquences socio-économiques de la désindustrialisation et de la fin des char-
bonnages engagées depuis les années 1970-1980. La deuxième exception
concerne des zones périphériques au sillon également touchées par la dé-
sindustrialisation : la région de Mons et du Borinage ainsi que les communes
de Verviers et de Dison. La troisième exception concerne des communes

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 149


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
rurales éloignées de centres économiques, en particulier dans le sud-ouest
de la province de Namur et dans le sud-est du Hainaut. Remarquons, par ail-
leurs, que les parties de la Wallonie qui bénéficient des meilleures situations
socio-économiques (en particulier le Brabant Wallon, l’est de la Province de
Liège et les communes du sud de la province du Luxembourg favorisée par
l’économie transfrontalière avec le Grand-Duché de Luxembourg) bénéficient
des scores les plus élevés.
Différences d’état de santé entre individus ou groupes d’individus, liées à des
facteurs sociaux. Il peut s’agir d’écarts importants concernant l’espérance de
vie ou la plus forte probabilité d’être atteint de telle ou telle maladie selon le
groupe social 148.
À propos de la Wallonie, l’IWEPS relève plusieurs éléments :
- les inégalités sociales face aux crises sanitaires comme la pandémie de Co-
vid-19 sont importantes : « Plusieurs ètudes […] ont montrè que la surmortalité
liée ß la Covid-19 a frappé plus durement les groupes de population les plus
défavorises, parmi lesquels, entre autres, les bénéficiaires de l’intervention
majorée ou BIM […]. En outre, plusieurs enquêtes ou études […] ont montré que
les troubles de santé et la difficulté d’accès aux soins ont affectè plus sensi-
blement certaines sous-populations : les jeunes, les adultes en situation so-
cio-économique difficile, les membres de familles monoparentales, les tra-
vailleurs de l’Horeca, du secteur du transport, les artistes et les travailleurs de
très petites entreprises (TPE) en difficulté. [Une autre étude] […] montre […]
d’une part qu’un plus grand nombre d’années de vie en bonne santè ont ètè
perdues par les personnes atteintes d’une maladie chronique et ayant un sta-
tut social « bas » par rapport ß celles atteintes également et qui ont un statut
social plus élevé, et d’autre part, que d’une enquête ß l’autre, cette inégalité
a augmentè au cours de ces dernières années. »
- les inégalités de santé en fonction des revenus et du lieu de vie : « Les ré-
sultats mettent en évidence un état de santè considérablement dégradè et
un risque de surmortalité important chez les personnes qui résident dans les
Inégalités de santé zones géographiques les plus défavorisées. En comparaison avec ceux et
celles qui résident dans les quartiers les plus riches, les personnes habitant
les quartiers les plus pauvres ont un risque accru de 51 % de souffrir du dia-
bète et de 84 % de décéder dans l’année. » En outre, les résultats montrent
que « la détérioration de l’état de santé (que ce soit au travers de la mortalitè́
ou du diabète) suit un gradient continu selon le niveau de revenus des quar-
tiers : l’état de santé se dégrade de façon continue ß mesure que le revenu
du quartier diminue (relativement ß l’état de santè de la population totale).
Cette tendance s’observe également dans les quartiers plus riches, le risque
de mortalité diminue ß mesure que le revenu du quartier augmente. »
- l’accentuation des inégalités de santé en dessous d’un certain seuil de re-
venu : « Les résultats indiquent par ailleurs qu’en dessous d’un certain seuil
de revenu, les risques de santè sont beaucoup plus élevés que pour le reste
de la population ». « Cela démontre qu’un certain niveau de revenu minimum
est indispensable pour assurer des conditions de vie “suffisantes” qui garan-
tissent un bon état de santè. »
- l’exposition plus importante des personnes pauvres aux soins lourds : « Le
gradient social est également bien marquè pour les soins lourds, dont l’utili-
sation augmente progressivement ß mesure que le niveau de revenu dimi-
nue. Les personnes qui vivent dans les quartiers les plus pauvres sont celles
qui ont le plus de risque d’être admises ß l’hôpital (y compris pour les enfants),
de recourir aux urgences hospitalières et d’être hospitalisées ou de résider
dans des institutions de soins psychiatriques, soit tous des soins qui peuvent
être considérés comme lourds. [...]. »

148
https://www.vie-publique.fr/fiches/37861-inegalites-sociales-de-sante

150 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
- les inégalités sociales se creusent également en matière de soins bucco-
dentaires : « Le gradient social est très marquè pour les soins dentaires avec
un risque de ne pas bénéficier de soins dentaires sur trois années consécu-
tives qui diminue progressivement avec le revenu. L’écart relatif d’utilisation
est important entre les quartiers les plus favorisés et les moins favorisés. »
(Source : Deprez, Reginster et Ruyters, 2023 : 40-41)
Écarts de position au sein d’une société entre différents groupes sociaux face
aux enjeux environnementaux : niveau d’exposition et de vulnérabilité aux dé-
gradations et risques environnementaux et climatiques (pollution de l’air et
des sols, proximité d’infrastructures industrielles polluantes, canicules, séche-
resses, inondations, pandémies…), capacité d’accès aux aménités et res-
sources environnementales (accès aux espaces verts, à l’énergie, à l’eau…)
La question des inégalités environnementales vécues par les familles de-
meure encore, statistiquement, peu documentée en Belgique et en Wallonie.
La Fondation Roi Baudouin propose à ce sujet les Baromètres de la précarité
énergétique et hydrique dont la septième édition a paru en 2021.
D’après les analyses de la Fondation, la population wallonne est la plus expo-
sée, en Belgique, à la « précarité énergétique » : en 2019, 28,3 % des ménages
wallons seraient touchés par au moins deux des formes de précarité énergé-
tique évoquées contre 15,1 % en Flandre et 27,6 % à Bruxelles.
Du point de vue de l’évolution temporelle, la Fondation remarque une stabilité
dans le temps de la précarité énergétique, malgré une tendance à la baisse
de la facture énergétique en raison d’hivers moins rudes et d’une relative di-
minution du coût de l’énergie. Cette précarité perdure en raison, pour la Fon-
dation, de la hausse du coût du logement qui génère une baisse du revenu
Inégalités environ- disponible des ménages.
nementales L’évolution de la précarité énergétique au cours des vingt dernières années
est également observée par l’indicateur de la part des compteurs à budget
pour l’électricité. Si cette part reste, certes, limitée (autour de 4 %), il est, néan-
moins, remarquable de constater sa croissance continue depuis la seconde
moitié des années 2000.
Les enfants vivant en familles monoparentales s’avèrent particulièrement ex-
posés à la précarité énergétique. Les analyses de la Fondation montrent que
les familles monoparentales sont particulièrement touchées par la précarité
énergétique. Il s’agit du second type de ménage le plus touché par ce type
de précarité après les isolés. Les couples avec enfants sont proportionnelle-
ment quatre fois moins touchés par la précarité énergétique que les familles
monoparentales.
Concernant la précarité hydrique, des observations similaires sont réalisées :
21 % de la population wallonne est en situation de précarité hydrique et cette
précarité touche davantage les familles monoparentales que les autres fa-
milles.
Les publics précarisés sont également ceux qui sont les plus touchés par la
précarité énergétique : en 2019, 41 % des ménages locataires sociaux étaient
en situation de précarité énergétique, contre 20,5 % tous types de logements
confondus.
Écarts de position au sein du système scolaire entre les différents groupes
d’élèves, qui sont produits et/ou amplifiés par le fonctionnement et l’organi-
sation du système scolaire et qui mènent à créer des inégalités de situation
entre groupes d’élèves. Il existe cinq principales formes d’inégalités scolaires :
Inégalités scolaires les inégalités relatives à l’origine sociale des élèves, au genre, à l’orientation
sexuelle, au handicap et à l’origine ethnique des élèves.
Les indicateurs de l’enseignement ont représenté et mis en avant la disparité
socio-économique entre les formes d’enseignement secondaire ordinaire et
spécialisé. (Source : Fédération Wallonie-Bruxelles)

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 151


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
En 2021, 8,3 % de jeunes en Wallonie avaient quitté prématurément l’ensei-
gnement. Le taux pour la Région de Bruxelles-Capitale était de 9,1 %. Une ten-
dance à la baisse s’observe en Wallonie et dans les autres régions. En effet,
le taux en Wallonie est passé de 16,1 % en 2002 à 10,3 % en 2016. Il a oscillé
ensuite autour des 10 %. À partir de 2020, il a, à nouveau, diminué. (Source :
IWEPS)
Au niveau du nombre de signalements d’exclusion et de refus de réinscrip-
tion, un pic des signalements est observé pour 2009-2010, une baisse en
2010-2011 et une légère augmentation en 2011-2012. (Source : CGé)
Entre 1991 et 2021, l’augmentation du niveau de diplôme s’observe pour
toutes les catégories d’âge. La part des personnes qui n’ont au maximum
qu’un diplôme du secondaire inférieur diminue fortement. (Source : IWEPS)
Les chiffres de 2021 montrent que, de manière générale, la part des per-
sonnes qui ont un emploi s’élève avec le niveau de diplôme. (Source : IWEPS)
Au niveau salarial, les chiffres de 2019 pour la Wallonie montrent que le salaire
moyen est nettement supérieur pour des personnes qui ont un diplôme uni-
versitaire par rapport à ceux qui ont un diplôme de l’enseignement primaire
ou du secondaire inférieur. (Source : IWEPS)
Selon des chiffres de 2021, 33 % des jeunes âgés entre 16 et 24 ans n’ont pas
les compétences numériques de base nécessaires pour la suite de leur par-
cours. (Source : FRB)
Écarts de position au sein d’une société entre différents groupes sociaux dans
l’accès à ce qui est défini comme ressources par cette société, c’est-à-dire
les biens matériels ou immatériels dont la possession permet à l’individu de
survivre ou de préserver ses acquis (D’après Lin, 1995). Mesurer les inégalités
sociales au sein de la population vise à décrire ces phénomènes de concen-
tration et de dispersion de certaines ressources dont l’inégale répartition peut
s’avérer contraire, par exemple, à des « droits fondamentaux » constitutifs du
bien-être d’une personne, tels que se nourrir, se vêtir, se loger, s’alimenter, se
mouvoir, être soigné…
De façon plus générale, dans une société dominée par une économie moné-
tarisée, la distribution des revenus au sein de la population constitue un vec-
teur important de mesure des inégalités.
L’évolution du taux de risque de pauvreté des enfants de 0 à 17 ans depuis
2005 permet de réaliser un constat très net : ce taux est relativement stable,
fluctuant au cours de cette période entre environ 20 et 25 %. Cela signifie deux
choses : d’une part, depuis vingt ans, entre un enfant sur quatre et un enfant
sur cinq vit dans une famille dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté ;
Inégalités sociales et d’autre part, depuis vingt ans la pauvreté des enfants en Wallonie, si elle
n’a pas augmenté, est restée extrêmement stable et importante. (Source :
IWEPS)
L’évolution du taux de privation des enfants entre 2009 et 2021 montre une
relative baisse de ce taux sur la dernière décennie en Wallonie et dans les
autres régions belges. Le taux demeure, néanmoins, relativement élevé, tou-
chant près d’un enfant sur cinq en Wallonie, ce qui est supérieur à la moyenne
belge. (Source : IWEPS)
L’indice de situation sociale de la Wallonie présente une analyse agrégée qui
permet de caractériser « l’état de la société » wallonne ainsi que les « désé-
quilibres socio-économiques » qui la traversent. Cet indice est défini via les
disparités entre quatre composantes : la santé, la formation, le revenu et l’em-
ploi. Les analyses de cet indice fournies par l’IWEPS (Deprez, Reginster et
Ruyters, 2022) permettent de dégager une augmentation tendancielle des
inégalités au sein de la société wallonne.
On observe une relative stagnation de l’indice entre 2004 et 2011, puis une
croissance tendancielle des déséquilibres. La période 2015-2016 voit une ré-
duction de ces déséquilibres induite par une réduction des inégalités de

152 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
genre chez les diplômés de l’enseignement supérieur combinée à celle des
jeunes en décrochage scolaire. Cette parenthèse est cependant suivie d’une
croissance continue de 2016 à 2019, notamment due à l’augmentation impor-
tante du recours aux aides sociales chez les jeunes. Une relative stabilisation
des déséquilibres socio-économiques à partir de 2020 peut être imputée aux
mesures gouvernementales prises durant la crise sanitaire.
Écarts de position au sein d’une société dans la capacité technique, financière,
cognitive et capacitaire des personnes à se procurer et à utiliser les techno-
logies de l’information et de la communication (ordinateur, smartphone, ta-
blette, Internet…).
La Fondation Roi Baudouin a publié en 2022 son baromètre de l’inclusion nu-
mérique. Il présente les constats suivants :
Une augmentation tendancielle de la connexion à Internet : « en 2021, 92 %
des mènages belges disposent d’une connexion Internet ß leur domicile. Cela
reprèsente une hausse de 15 % sur la derniçre dècennie »
8 % des ménages ne disposent pas d’une connexion Internet à domicile :
parmi eux, un ménage sur cinq le justifie par les coûts du matériel ou de la
connexion ; un ménage sur trois par un manque de compétences ; 35 % indi-
quent l’inutilité ou l’absence de nécessité d’une connexion Internet au domi-
cile ; la moitié de ces ménages n’a pas de connexion en raison d’un handicap
physique ou sensoriel.
Par ailleurs, les causes du non-accès varient selon l’âge. Pour les plus jeunes,
c’est davantage le coût qui est discriminant : « Si le manque d’utilitè́ perçue
est une explication courante parmi les personnes de 55 ß 74 ans (41 %) et parmi
celles ayant un diplôme peu élevè́ (40 %), c’est beaucoup moins le cas parmi
les jeunes ágès de 16 ß 24 ans (19 %) ou parmi les personnes diplômées de
l’enseignement supérieur (17 %). En revanche, le coût du matériel représente
un frein pour un jeune sur deux vivant dans un foyer ß bas revenus non con-
nectè ß Internet (47 %). »
Inégalités techno-
logiques Les non-utilisateurs « demeurent avant tout des personnes isolées, disposant
de niveaux de revenu et de diplôme peu élevés »
Le smartphone est devenu le principal terminal d’accès à Internet : il repré-
sente 90 % des utilisateurs d’Internet, ce qui manifeste une augmentation de
5 % entre 2020 et 2022. Les jeunes sont en moyenne plus équipés (97 %) que
le reste de la population.
En termes d’inégalités, les autrices de l’étude soulignent l’importance de l’ef-
fet Matthieu : « Ce principe décrit les mécanismes par lesquels les groupes
les plus favorisés sur le plan socio-économique ou culturel tendent ß entre-
tenir ou accroître leurs avantages par rapport aux groupes plus défavorisés.
Appliquè au numérique, cela signifie que les personnes les plus familiarisées
aux technologies numériques, celles qui disposent de plus de moyens pour
accéder ß ces outils et pour se les approprier, sont les premiers ß en profiter
et en tirer des bénéfices, alors que les groupes les plus défavorisés accèdent
plus difficilement aux mêmes ressources. »
Cet effet est notamment discriminant chez les enfants dès que l’éducation se
digitalise : « le déploiement de l’apprentissage ß distance, qui incite de plus
en plus ß recourir ß l’usage de l’ordinateur portable, est une évolution d’em-
blée accessible aux individus déjß̀ équipés. Elle peut représenter a contrario
une charge importante dans le budget des ménages ne disposant que de
faibles revenus, lesquels sont contraints de faire l’achat d’un ordinateur pour
répondre ß cette nouvelle exigence scolaire. »
Malgré cette importance des taux d’équipement de la population, le niveau
« des compétences numériques générales des Belges peine à s’élever : près

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 153


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
d’un Belge sur deux demeure en situation de vulnérabilité ». D’après l’étude,
46 % des Belges sont exposés à un risque de vulnérabilité numérique, car
leurs compétences ne suivent pas l’évolution des technologies. Ainsi, ils peu-
vent être correctement équipés, mais être pas ou peu capables d’utiliser les
ressources dont ils disposent.

2.3.5. Les variables réponses


Dans notre travail de conception du système, nous avons dû intégrer un objet hybride composé d’un
phénomène, la pauvreté des enfants, et de l’action sur ce phénomène, les politiques de lutte contre
cette forme de pauvreté. Cette intégration nous a amenés à concevoir d’autres variables, les va-
riables réponses.

Cet ensemble de variables regroupe les politiques qui composent le champ de l’action publique de
lutte contre la pauvreté des enfants en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Au contraire des variables précédentes qui caractérisent le contexte et pour lesquelles nous avons
proposé une définition « abstraite » suivie d’éléments de rétrospective afin d’en comprendre la tra-
jectoire, nous n’abordons pas, ou très peu, l’aspect rétrospectif pour les variables « réponses ». En
effet, dans la mesure où nous les considérons comme une réaction à l’état du système, nous nous
limitons à en décrire l’état actuel pour la Wallonie. Il y a, néanmoins, quelques exceptions à ce prin-
cipe : pour trois variables clés (la politique de lutte contre la pauvreté, la politique des droits de l’en-
fant et le régime de sécurité sociale), nous présentons des éléments de rétrospective utiles à la
compréhension de la dynamique d’évolution de la forme prise par l’État social, dont nous verrons
qu’elle est structurante dans les scénarios 149.

Tableau 9 : Les variables réponses

Variable Situation en Wallonie/Fédération Wallonie-Bruxelles


Cette politique concerne l’accueil de la petite enfance (de 0 à 6 ans) et l’ac-
cueil extrascolaire.
L’accueil de la petite enfance s’organise dans des milieux d’accueil collectifs
(crèches privées ou communales) ou familiaux (accueillants et accueil-
lantes). Au contraire de l’école, l’accueil de la petite enfance est libre d’obli-
gation.
En Fédération Wallonie Bruxelles, l’Office de la naissance et de l’enfance
(ONE) organise le secteur par l’octroi de subventions (70 % des milieux d’ac-
cueil sont subventionnés), la fourniture des autorisations d’activité, l’accom-
Politique d’accueil pagnement des structures d’accueil et le contrôle. Dans les structures sub-
de l’enfance ventionnées, le revenu et le barème ONE sont pris en compte pour déter-
miner la participation financière.
L’accueil extrascolaire concerne l’accueil d’enfants en âge scolaire en de-
hors des heures scolaires et du cadre familial. Il s’agit d’activités autonomes
et encadrées – éducatives, culturelles, sportives ou autres – qui prennent
place dans l’enceinte de l’école ou en dehors. C’est également l’ONE qui est
compétent pour la mise en application des dispositions réglementaires qui
encadrent cet accueil.
Dans ces deux types d’accueil, les communes jouent un rôle organisateur et
financier important.

149
Voir point suivant « Les composantes du système prospectif » et la Section 3 du présent chapitre.

154 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Aide à la jeunesse a pour objectif d’aider
les mineurs qui sont en danger ou en situation difficile au niveau social. Il
existe deux types d’aide dont un mineur et/ou sa famille peut/peuvent se
saisir : l’aide sociale générale (aide consentie) et l’aide sociale spécialisée
(négociée et acceptée). L’aide sociale générale (aide consentie) s’opère par
l’intermédiaire des centres publics d’aide sociale, des centres de santé men-
Politique de l’Aide à tale et psycho-médicosociaux. L’aide sociale spécialisée est introduite par
la jeunesse et de l’intermédiaire du service de l’Aide à la jeunesse. Les familles en difficulté
protection de la jeu- peuvent également bénéficier du soutien de services d’aide en milieu ou-
nesse vert.
La protection de la jeunesse concerne l’imposition de mesures par le tribu-
nal de la jeunesse. Cela peut concerner une situation où la famille d’un mi-
neur en danger refuse les mesures d’aide qui lui sont proposées. Cela con-
cerne également les situations de délinquance juvénile sauf s’il y a dessai-
sissement du tribunal de la jeunesse pour un tribunal pénal de droit com-
mun.
Les politiques de lutte contre la pauvreté sont apparues en Belgique à la fin
des années 1970. Il s’agit de politiques spécifiquement dédiées au phéno-
mène de pauvreté. Elles s’appuient sur un paradigme « assistanciel » plutôt
qu’« assurantiel ». Ces politiques ciblent différents publics spécifiques con-
sidérés comme exclus, précarisés ou en situation de risque de pauvreté et
nécessitant une aide spécifique et adaptée. Depuis 2021, cette politique est
organisée en Wallonie par le « Plan wallon de sortie de la pauvreté ». Ce plan
Politique de lutte
se concentre sur trois domaines d’action prioritaires : (1) le logement, (2) l’em-
contre la pauvreté
ploi et la formation et (3) la santé physique et mentale. Il intègre également
différents objectifs visant à faciliter l’accès aux services publics et aux droits
(orientation usagers de l’administration, automatisation des droits, simplifica-
tion administrative). Ce plan identifie pour son action une série de publics
cibles assimilés aux « personnes les plus fragiles » : les familles monoparen-
tales, les enfants, les femmes, les personnes d’origine étrangère, les sans-
abris et les personnes en situation de handicap.
Il s’agit d’un « processus social et politique global, qui comprend non seule-
ment des actions visant à renforcer les aptitudes et les capacités des indivi-
dus, mais également des mesures visant à changer la situation sociale, en-
vironnementale et économique, de façon à réduire ses effets négatifs sur la
santé publique et sur la santé des personnes. La promotion de la santé est
le processus qui consiste à permettre aux individus de mieux maîtriser les
déterminants de la santé et d’améliorer ainsi leur santé » (Source : OMS). La
Politique de promo- promotion de la santé forme une composante de la santé publique au
tion de la santé même titre que la surveillance des maladies, l’organisation du système de
soins et la protection.
La promotion de la santé cherche à dépasser la prévention des maladies
(objectif de l’éducation à la santé). Il s’agit d’une approche globale portant à
la fois sur les déterminants individuels et collectifs de la santé. Outre les as-
pects biologiques et psychologiques, la promotion de la santé intègre aussi
dans ces processus les aspects sociaux, culturels, environnementaux et
économiques afin d’envisager une vision holistique de la santé.
La politique des droits de l’enfant est fondée sur la Convention internationale
des droits de l’enfant de l’ONU entrée en vigueur en Belgique en 1992. Elle
rend l’enfant titulaire de droits au motif de sa « vulnérabilité » ou de sa « fra-
Politique des droits gilité », droits qui lui sont personnels et indépendants de ses parents ou de
de l’enfant sa famille. L’enfant est titulaire de trois types de droits censés garantir son
« bien-être » : les droits de provisions, les droits de protection et les droits de
participation. Les droits de provisions concernent la possibilité pour l’enfant
d’accéder à un ensemble d’outils administratifs, financiers ou juridiques qui
lui permettent de mener une vie conforme aux standards du bien-être admis

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 155


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
aujourd’hui dans un pays comme la Belgique. Les droits de protection con-
cernent la fixation d’un ensemble de limites à l’exercice de libertés par le
mineur afin de le protéger (financières, de loisirs, affectives et sexuelles, de
consommation d’alcool, de spiritueux et de tabac, de conduite de véhicules
motorisés). Les droits de participation concernent la participation de l’enfant
aux différents types de décisions (judiciaires, juridiques, en matière de santé,
en matière politique, en matière numérique) qui le concernent et qui tou-
chent à différents aspects de la vie. Cette politique est mise en œuvre par
l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse et par
le Délégué général aux droits de l’enfant ainsi que par les administrations
wallonnes et de la Fédération Wallonie-Bruxelles via les Plans d’action en
matière de droits de l’enfant.
Cette politique vise à permettre aux enfants d’avoir de « bons parents »,
c’est-à-dire des parents qui donnent à l’enfant « la sécurité de base néces-
saire à l’élaboration d’une perception positive du monde et de lui-même »
(Source : ONE). Cet objectif s’appuie sur le principe du bien-être et de l’inté-
rêt supérieur de l’enfant de la Convention internationale des droits de l’en-
fant. Les actions entreprises s’inscrivent dans une logique de développe-
ment des compétences des parents et de renforcement de leur autonomie.
Elles ont une portée universelle : elles s’adressent à tous les parents (familles
Politique de soutien
monoparentales, familles recomposées, familles homoparentales, familles
à la parentalité
défavorisées…). Elles intègrent la diversité des contextes de vie (familial, cul-
turel, social, historique). Cette politique se base sur un « référentiel » déve-
loppé par l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) qui fournit un cadre
de travail et de réflexion aux professionnels de l’enfance. Plusieurs types de
structures subventionnées par l’ONE interviennent dans cette politique : les
Lieux de rencontre enfants et parents (LREP), les Espaces parents dans la
séparation (EPS), les Services d’accompagnement des familles (SAF), les
Services d’accompagnement périnatal (SAP).
En Wallonie, la politique du logement vise à garantir un droit au logement,
c’est-à-dire « le droit à un logement décent en tant que lieu de vie, d’éman-
cipation et d’épanouissement des individus et des familles. » (Code wallon
de l’habitation durable – CWHD). Elle vise également à développer l’habitat
durable c’est-à-dire une « habitation saine, répondant à des critères minima
de sécurité, accessible à tous et consommant peu d’énergie » (CWHD). Ces
Politique du loge- objectifs s’inscrivent dans une logique de renforcement de la cohésion so-
ment ciale : les actions des pouvoirs publics wallons « tendent à favoriser la cohé-
sion sociale et la mixité sociale par la stimulation de la rénovation du patri-
moine et par une diversification et un accroissement de l’offre d’habitations
dans les noyaux d’habitat » (CWHD). Cette politique s’accompagne d’une
politique d’offre de logements sociaux, c’est-à-dire des « biens immobiliers
d’habitation loués à des prix inférieurs à ceux du marché et attribués selon
des règles spécifiques » (Source : OCDE).
La politique fiscale se définit à travers deux dimensions : d’une part, le sys-
tème fiscal mis en place, c’est-à-dire la manière dont sont organisées les
diverses formes d’impositions et de taxes qui structurent le revenu de l’État ;
d’autre part, la manière dont l’État fixe les objectifs de ces prélèvements
obligatoires. En Belgique, les objectifs de la politique fiscale sont : le finan-
cement de l’État et de ses politiques, la redistribution des richesses et la ré-
Politique fiscale gulation de l’activité économique. Le système fiscal belge s’organise à tra-
vers la fiscalité directe (impôt sur les personnes physiques et impôt sur les
sociétés) et la fiscalité indirecte (TVA, accises, droits d’enregistrement, droits
de succession, droits de douane…).
La politique fiscale belge a connu dans les années 2010 une réforme impor-
tante portant sur les revenus du travail (tax shift) et sur la fiscalité sur les so-
ciétés. Le tax shift a réduit la fiscalité sur le travail, augmenté la fiscalité

156 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
indirecte et augmenté la fiscalité sur le capital. La 6e réforme de l’État (2011)
a augmenté de façon substantielle l’autonomie fiscale des Régions en ma-
tière d’impôt sur les personnes physiques, une partie de cet impôt étant ré-
gionalisé. Les Régions sont également devenues compétentes pour oc-
troyer des avantages fiscaux (réductions d’impôts/crédits d’impôt) liés à
leurs compétences. En 2023, le Gouvernement fédéral belge a tenté, sans
succès, une réforme de la fiscalité sur le revenu (modification des tranches
imposables) et le développement d’une fiscalité « verte » (notamment la
taxe carbone) ainsi qu’une évolution de la taxation du patrimoine.
La politique scolaire se fonde sur le droit à l’éducation, reconnu internatio-
nalement. En Belgique, l’enseignement est géré par les Communautés.
L’obligation scolaire et la gratuité de l’accès à l’enseignement sont inscrites
dans la Constitution belge. L’obligation scolaire commence l’année durant
laquelle l’enfant atteint l’âge de 5 ans et se termine l’année de ses 18 ans.
L’enseignement a pour objectif « de développer l’autonomie de l’enfant en
stimulant ses compétences, ses capacités d’apprentissage et ses autres ap-
Politique scolaire titudes, son sens de la dignité humaine, l’estime de soi et la confiance en soi.
Sa mission est également de préparer les élèves à devenir de futurs citoyens
responsables, acteurs de la démocratie et du vivre ensemble » (Source :
UNIA). Dans le système éducatif belge, l’enseignement maternel, les six an-
nées de l’enseignement primaire et les deux premières années de l’ensei-
gnement secondaire sont considérés comme un continuum pédagogique.
L’enseignement secondaire ordinaire comprend 4 formes d’enseignement :
le général, le technique, l’artistique et le professionnel.
Le régime de sécurité sociale désigne l’ensemble des mécanismes mis en
place par un État pour assurer de façon collective une protection de ses ci-
toyens contre les conséquences financières des risques sociaux, c’est-à-
dire l’ensemble des situations qui peuvent menacer la sécurité écono-
mique d’une personne et/ou de sa famille en raison d’une diminution de
ses ressources et/ou d’une augmentation de ses dépenses. Dans une lo-
gique assurantielle, ces mécanismes permettent de faire face à des situa-
tions associées à une perte de revenu liée au travail (pension de retraite,
d’invalidité, allocations de chômage) ou à un changement de situation fa-
miliale (diverses formes de congés associés à la parentalité, à la maladie
Régime de sécurité
d’un membre de la famille, allocations familiales…). Dans une logique assis-
sociale (y compris
tancielle, ces mécanismes permettent d’assurer un revenu minimum qui ne
les allocations fami-
couvre pas nécessairement un risque spécifique (revenu d’intégration so-
liales)
ciale, garantie de revenu aux personnes âgées, allocations familiales, allo-
cations aux personnes handicapées). Cette indemnité est conditionnelle,
dans le sens où elle dépend d’une série de conditions pour qu’elle puisse
être attribuée, mais aussi pour l’établissement de son montant (notamment
la situation familiale). Dans une logique de protection universelle, certaines
catégories de dépenses, en particulier en matière de soins de santé, sont
couvertes pour tous les individus, quelle que soit leur situation. Cette lo-
gique concerne également, depuis le milieu des années 2010, le système
d’allocations familiales, cette allocation étant devenue un droit subjectif et
universel de tout enfant résidant en Belgique.

2.4. LES COMPOSANTES DU SYSTÈME PROSPECTIF


L’analyse morphologique « emboîtée » propose de faciliter le travail de scénarisation par combinai-
son d’hypothèses d’évolution, lorsque celles-ci sont nombreuses, en imaginant une architecture du
système organisée autour de composantes. Ces composantes regroupent chacune des variables
qui, ensemble, forment un sous-système pour lequel peut être imaginé un « micro-scénario ». Le
scénario global du système découle de l’assemblage des micro-scénarios conçus pour chacune des
composantes.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 157


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Au fil de l’analyse des variables, nous avons, progressivement, évoqué de tels ensembles de va-
riables. Ceux-ci sont apparus en cours de traitement, l’analyse ayant mis en évidence que certaines
variables appartenaient à des ensembles conceptuels communs tels que l’économie, l’État et la po-
litique, ou encore la démographie. Par ailleurs, certaines variables ont pu être associées en raison de
leur statut, notamment les variables réponses qui, relevant toutes du domaine des politiques pu-
bliques, se regroupent au sein d’un ensemble cohérent : l’action publique de lutte contre la pauvreté
des enfants.

La conception des composantes du système vise à imaginer des groupes conceptuels pertinents
pour l’analyse prospective. Ainsi, on ne peut se contenter des statuts des variables pour créer les
scénarios : ceux-ci renseignent, certes, sur la dynamique du système et permettent donc d’imaginer
son fonctionnement et les trajectoires qu’il pourrait être amené à suivre en fonction du changement
d’état des variables ; en revanche, il n’apporte pas d’information sur la nature des variables.

L’analyse par composante, en ciblant la nature des variables, complète l’information relative à leur
statut. Elle permet de stabiliser l’architecture du système et rend possible la conception des scéna-
rios.

Dans cet esprit, notre analyse a dégagé six composantes constitutives du système :

• Climat et démographie
• Modèle économique
• Forme d’État social
• Modèle socioculturel
• État des inégalités
• Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants

2.4.1. La composante « Climat et démographie »


Cette première composante intègre des variables de natures climatique et démographique. Nous
les avons regroupées, car elles jouent un rôle à la fois structurant dans le système et distinct des
variables des autres composantes. Celles-ci relèvent en effet chacune d’un groupe de variables de
nature spécifique (économique, politique, socioculturelle, action publique, inégalités).

On remarquera qu’au sein de cette composante se retrouvent deux variables motrices (« flux migra-
toires », « changements climatiques et environnementaux ») dotées d’un impact qui s’exerce sur
d’autres composantes et variables du système. La première de ces variables, les « flux migratoires »,
est, en outre, caractérisée comme incertitude majeure : on verra en effet, dans la conception des
scénarios, que plusieurs hypothèses d’évolution contrastées peuvent être imaginées pour cette va-
riable, hypothèses grandement tributaires de ruptures telles que les guerres et conflits et les effets
des changements climatiques et environnementaux 150. La seconde de ces variables, les « change-
ments climatiques et environnementaux », est, par contre, associée à une tendance lourde. Les
transformations climatiques en cours et futures sont, en effet, connues et reconnues : la trajectoire
du réchauffement climatique à l’horizon 2050 s’établit, sans changements majeurs, à +3°C à l’échelle
mondiale 151, ce qui aura de lourdes répercussions pour l’ensemble de l’humanité et sur l’ensemble
de ses activités. Par ces deux variables, cette composante s’avère la plus motrice au sein du système.

150
Un rapport récent de l’Unicef (2023) indique qu’entre 2016 et 2022, 43 millions d’enfants dans le monde ont été reconnus
comme réfugiés climatiques, car ils ont dû quitter leur lieu de vie à cause d’inondations, d’incendies, de tempêtes ou de
sécheresses.
151
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : « Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will

158 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
On notera par ailleurs que cette composante, par sa dimension démographique, accueille égale-
ment deux autres variables : la « structure des ménages » et la « structure par âge de la population ».
Estimées variables de régulation, par leur rôle secondaire dans les transformations du système, elles
n’en jouent pas pour autant un rôle mineur : d’une part, l’évolution dans la structure des ménages
peut avoir un impact non négligeable sur la situation de pauvreté des familles et, par conséquent,
des enfants (comme on l’a déjà noté, actuellement, les familles monoparentales présentent un
risque de pauvreté accru par rapport aux autres types de familles) ; d’autre part, la structure par âge
de la population est largement prévisible et est caractérisée, en Belgique, par une tendance forte au
vieillissement. Cette dernière variable demeure, néanmoins, marquée par une incertitude, bien que
mineure, liée aux effets potentiels – même si limités – d’immigrations de populations jeunes issues
de pays en guerre et/ou touchés par les effets des changements climatiques et environnementaux.

Tableau 10 : Variables de la composante « Climat et démographie »

Statut de motricité-dé- Statut d’incertitude-im-


Variables
pendance pact

Changements climatiques et environne-


motrice tendance lourde
mentaux

Flux migratoires motrice incertitude majeure

Structure des ménages régulation incertitude mineure

Structure par âge de la population régulation incertitude mineure

2.4.2. La composante « Modèle économique »


La composante « modèle économique » regroupe les variables économiques du système. Celles-ci
permettent de caractériser différents versants du phénomène de pauvreté des enfants. On retrouve,
en effet, des variables qui touchent au fonctionnement d’ensemble du système économique (« pa-
radigme économique », « place des technologies » et « situation économique de la Wallonie ») et
des variables qui permettent d’approcher la situation des familles (« revenu des ménages » et
« structure d’activité de la population »).

Les variables définissant le système économique dans son ensemble permettent de décrire ce qui
oriente la situation économique de la Wallonie : le « paradigme économique », identifié comme va-
riable motrice, associé à la « place accordée aux technologies » dans le développement écono-
mique et sociétal, permet de comprendre la trajectoire de la dynamique économique. La « situation
économique de la Wallonie » apparaît ainsi comme variable relais de l’état de ces variables et induit
elle-même d’importants effets directs sur la « structure d’activité de la population » et le « revenu

lead to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long-
term impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate
change and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts
and related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change
impacts and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur sim-
ultaneously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence). ». Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ ; voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 159


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
des ménages » ainsi que, comme nous allons le voir, par ricochet, sur les composantes que sont la
forme prise par l’État social, la situation sociale et l’état des inégalités.

Cette composante, en tant que sous-système, joue donc un rôle moteur dans le fonctionnement
d’ensemble du système étudié. Les changements d’état de la variable motrice « paradigme écono-
mique » et ses répercussions sur la variable relais « situation économique de la Wallonie » influen-
cent dès lors fortement les trajectoires possibles du système. Nous verrons comment, dans les
quatre scénarios, les transformations de ces variables peuvent induire d’importants effets en chaîne
sur les composantes et, à l’inverse, comment ces transformations peuvent être induites ou directe-
ment occasionnées par les variables réponses.

Tableau 11 : Variables de la composante « Modèle économique »

Statut de motricité-dé- Statut d’incertitude-im-


Variables
pendance pact

Paradigme économique motrice tendance lourde

Place des technologies régulation incertitude majeure

Situation économique de la Wallonie relais incertitude majeure

Structure d’activité de la population régulation incertitude majeure

Revenu des ménages relais incertitude majeure

2.4.3. La composante « Forme d’État social »


La composante « forme d’État social » rassemble quatre variables relais : « structure de l’État », « sys-
tème politique », « paradigme d’action publique » et « budget (finances publiques) ». Remarquons,
néanmoins, à propos de la variable « paradigme d’action publique », que l’analyse structurelle a sou-
ligné son caractère ambigu, car elle est estimée motrice par une partie des experts consultés.

Aussi, dans la conception de cette composante, accordons-nous un poids particulier à cette variable.
Cela ne nous empêche pas, toutefois, de concevoir qu’elle demeure tributaire d’autres variables in-
ternes du système. Elle dépend, par exemple, de deux autres variables de la composante, la « struc-
ture de l’État » et le « système politique ». En effet, ces variables concernent le niveau de fédéralisa-
tion de l’État belge, d’une part, et la nature du régime politique ainsi que la place des différents ac-
teurs parapublics dans le fonctionnement des institutions et de l’action publique, d’autre part. Par
conséquent, leur état influence fortement la manière dont l’action publique s’organise et se structure
au sein de paradigmes spécifiques et généraux. Nous avons vu précédemment que l’émergence de
la lutte contre la pauvreté infantile comme paradigme d’action publique est issue, notamment, de la
constitution d’un nouveau champ d’action publique autonome qui a transformé la manière dont le
système politique conçoit l’enfance et organise les politiques qui la concernent. Nous avons vu, éga-
lement, que ce changement de paradigme s’est appuyé sur la régionalisation de compétences en
matière de lutte contre la pauvreté et de sécurité sociale (allocations familiales).

La variable « paradigme d’action publique » conditionne également fortement la forme prise par
l’État social, ceci en interaction avec la variable « budget (finances publiques) » et, en amont, avec
les variables de la composante « modèle économique ». En effet, la rétrospective de ces variables
permet de comprendre la façon dont l’État social actif a émergé et a supplanté l’État-providence
dans le courant des années 1990 et au début des années 2000 : la réduction des dépenses publiques
dans le cadre des accords de Maastricht et de politiques d’austérité budgétaire, la mise en place de
la Nouvelle Gestion Publique au sein des administrations visant à garantir une efficacité dans l’action

160 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
publique, le développement de la conditionnalité des droits sociaux, entre autres, ont supporté le
glissement d’un paradigme assurantiel à un paradigme assistanciel dans le régime de sécurité so-
ciale belge.

Cette composante et sa dynamique entretiennent également, cela va dans dire, des liens étroits
avec la composante « action publique de lutte contre la pauvreté infantile ». Celle-ci, on le verra, est
isolée pour les besoins de l’analyse alors que plusieurs des variables qui la constituent pourraient
être intégrées à la composante « forme d’État social ». Cette distinction est néanmoins maintenue,
car elle permet de séparer le rôle de variables « structurelles » ou « contextuelles » de celui de va-
riables « leviers », moyens d’action politique à l’égard des inégalités et de la situation de pauvreté
des enfants.

Tableau 12 : Variables de la composante « Forme d’État social »

Statut de motricité-dé- Statut d’incertitude-im-


Variables
pendance pact

Structure de l’État relais incertitude majeure

Système politique relais incertitude majeure

Paradigme d’action publique relais incertitude majeure

Budget (finances publiques) relais Incertitude majeure

2.4.4. La composante « Modèle socioculturel »


La composante « modèle socioculturel » vise à intégrer un ensemble de variables qui permettent de
décrire le cadre normatif et cognitif qui influence la situation de vie des personnes et, pour le cas qui
nous occupe dans ce projet, des enfants.

L’ensemble des variables de cette composante sont des variables de régulation. Elles pourraient
donc, en principe, être écartées de l’analyse. Leur intégration nous semble importante, car elle per-
met d’affiner la compréhension de la dynamique du système. En l’occurrence, il s’agit d’appréhender
par cette composante ce qui peut influencer le contexte de vie immédiat d’un enfant : le modèle
familial, les représentations et stéréotypes relatifs à la pauvreté et le système de valeurs (place de
l’enfant dans la société).

Tableau 13 : La composante « Modèle socioculturel »

Statut de motricité-dé- Statut d’incertitude-im-


Variables
pendance pact

Modèle familial régulation incertitude majeure

Représentations et stéréotypes relatifs à


régulation incertitude mineure
la pauvreté

Système de valeurs (place de l’enfant


régulation incertitude mineure
dans la société)

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 161


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2.4.5. La composante « État des inégalités »
La composante « état des inégalités » rassemble uniquement des variables résultats. Elle permet de
caractériser la manière dont différentes inégalités se structurent au sein de la société.

Cinq formes d’inégalités sont appréhendées à travers cette composante : les « inégalités sociales »
dans leur ensemble, les « inégalités de santé » », les inégalités environnementales », les « inégalités
scolaires » et les « inégalités technologiques ».

Nous avons également fait le choix d’intégrer une variable au statut critique : la « cohésion sociale ».
Cette variable se caractérise par une nature hybride : elle recouvre à la fois un horizon social et un
moyen d’action. Elle joue, par cette nature, un rôle nodal. On verra que cette variable, par cette po-
sition dans le système, peut changer totalement de nature dans certains scénarios, comme le scé-
nario 3, ou apparaître comme une rupture dans d’autres, comme le scénario 1. Dans la représentation
graphique, nous l’associerons à la variable « inégalités sociales », dans la mesure où la variable « co-
hésion sociale » intègre cet aspect et que nous distinguons certaines formes d’inégalités spécifiques.

Nous avons choisi, notamment, d’isoler la variable « inégalités de santé » par rapport à la variable
« inégalités sociales », qui, pourtant, peut l’inclure, afin de rendre visible la problématique de la santé.
Nous l’avons mise en exergue, d’une part parce qu’elle représente un enjeu critique pour l’enfance
mentionné par de nombreux acteurs et experts, et d’autre part, parce qu’elle peut constituer un enjeu
d’évolution majeure dans son association avec les transformations du « paradigme économique ».
En effet, dans le scénario 3, nous verrons une mutation de ce paradigme en faveur d’une logique
post-croissance qui met à l’avant-plan du développement économique le bien-être et la pleine santé
des populations.

Tableau 14 : La composante « État des inégalités »

Statut de motricité-dé- Statut d’incertitude-im-


Variables
pendance pact

Cohésion sociale résultat rupture critique

Inégalités sociales résultat incertitude majeure

Inégalités de santé résultat incertitude majeure

Inégalités environnementales résultat incertitude majeure

Inégalités scolaires résultat incertitude majeure

Inégalités technologiques résultat Incertitude mineure

2.4.6. La composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »


Cette composante du système isole un groupe de politiques publiques qui traitent de façon directe
ou indirecte de la pauvreté des enfants. Les variables de cette composante sont conçues comme
des réponses à la dynamique du système. Cela signifie, d’une part, qu’elles sont des résultats de
cette dynamique et, d’autre part, qu’elles visent à l’influencer en retour.

Ces politiques forment des résultats de la dynamique du système, car elles sont le produit des lo-
giques suivies par d’autres composantes et variables qui le composent : on pense évidemment à la
composante « forme d’État social » pour laquelle l’interaction entre la politique de lutte contre la
pauvreté et le paradigme d’action publique génèrent d’importants effets ; mais on peut également
songer à la politique des droits de l’enfant dont on a étudié les interactions avec le reste du système

162 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
dans le premier chapitre de ce rapport. Cette politique se présente, en effet, comme un produit de
l’évolution de la composante « forme d’État social ».

Ces politiques constituent également des réponses à l’état du système, en visant à en influencer la
trajectoire. L’orientation de ces réponses est particulièrement intéressante à étudier, comme nous
l’avions évoqué au moment du prototypage du système à l’aide de la méthode DPSIR. En effet, l’ana-
lyse interroge sur la façon dont ces différentes politiques influencent l’état des variables constitutives
du système et, plus encore, quelles variables en particulier et quelles composantes. L’exemple de
la politique des droits de l’enfant étudié dans le premier chapitre montre, en effet, son statut de
réponse à l’état des inégalités vécues par les enfants. Il souligne également son rôle de levier dans
la transformation de l’État social, puisqu’en conjonction avec la transformation du régime de sécurité
sociale lors de la réforme des allocations familiales, elle a réinjecté des logiques assurantielles et
universalistes à l’égard du public des enfants.

Enfin, on notera que cette composante s’agence autour de trois groupes de variables :

• les variables qui concernent des politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’en-
fance », « politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des
droits de l’enfant ») ;
• les variables qui concernent des politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte
contre la pauvreté », « politique de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique
de promotion de la santé », « régime de sécurité sociale (y compris les allocations fami-
liales ») ;
• les variables qui jouent un rôle dans la lutte contre la pauvreté des enfants de façon indirecte,
en touchant la composante économique (« politique du logement », « politique fiscale »).

Tableau 15 : La composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »

Variable

Politique d’accueil de l’enfance

Politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse

Politique de soutien à la parentalité

Politique scolaire

Politique des droits de l’enfant

Politique de lutte contre la pauvreté

Régime de sécurité sociale (y compris les allocations familiales)

Politique de promotion de la santé

Politique du logement

Politique fiscale

2.5. LA REPRÉSENTATION GRAPHIQUE DU SYSTÈME PROSPECTIF


L’analyse du système prospectif a permis d’établir, au fil de l’exposé, trois des éléments qui le cons-
tituent :

• les statuts de variables jugées pertinentes pour l’analyse : les variables motrices, les variables
de régulation, les variables relais, les variables résultats, les variables réponses ;

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 163


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• les variables elles-mêmes, en les caractérisant et en identifiant les points clés de leur rétros-
pective ;
• les composantes du système, qui rassemblent en groupes cohérents certaines variables.

En évoquant la structure des composantes, nous avons également introduit sous forme d’exemples
différents types de relations entre variables, en particulier des relations causales (l’état de la variable
A a pour conséquence l’état de la variable B) et, également, des relations d’influence ou de remise
en cause (l’état de la variable X influence ou remet en cause l’état de la variable Y), ceci souvent par
effet retour, ce qui est particulièrement le cas pour les variables réponses.

Nous avons également souligné que certaines variables constituent un point nodal en raison du
grand nombre de relations qu’elles entretiennent avec d’autres variables, mais aussi, par consé-
quent, du rôle transformateur qu’elles peuvent jouer au sein du système. C’est particulièrement le
cas de certaines variables relais comme les variables « budget (finances publiques) » ou « revenu
des ménages », et de variables résultats comme « cohésion sociale » et « inégalités sociales ».

Ces cinq éléments guident la représentation graphique du système prospectif. La figure 14 permet
d’appréhender ainsi l’architecture complète du système : on y identifie les éléments clés, leur posi-
tion et leur statut dans le système ainsi que les relations qu’ils entretiennent entre eux.

Cette figure permet également de mettre en exergue, par l’observation du « sous-système » formé
par l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants et ses ramifications avec le reste du
système, que cette action publique exerce son influence sur certaines parties du système. Elle se
concentre principalement sur la composante « état des inégalités » avec de rares incursions dans
d’autres composantes, notamment la composante « modèle économique » via l’action sur la variable
« revenu des ménages ». On notera que cette action n’a pas d’effet direct sur les variables motrices
du système et que, par conséquent, l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants, dans
sa forme actuelle, se limite à traiter les conséquences de la dynamique du système, sans, donc, agir
sur les causes.

Comme nous le verrons, cette dernière observation s’avèrera particulièrement intéressante à exploi-
ter, en plus des changements d’état des variables motrices et des nœuds du système, pour la con-
ception des scénarios.

164 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 14 : Représentation du système prospectif

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 165


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. Quatre états futurs possibles du système pros-
pectif
La caractérisation du système prospectif nous a permis d’établir sa composition et d’en comprendre
la dynamique. Par ce moyen, nous avons, d’une part, identifié six composantes rassemblant chacune
cinq variables en moyenne, et d’autre part, cerné les états de motricité et de dépendance des diffé-
rentes variables, ainsi que l’action des variables de la composante « action publique » sur l’ensemble
du système. Comme nous le notions au point précédent, l’analyse de la dynamique du système a
également permis de souligner le rôle nodal joué par certaines variables ainsi que la zone concernée
par les effets de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants.

Nous disposons, à présent, grâce à ce travail, des éléments nécessaires à la conception des scéna-
rios. Rappelons que les scénarios que nous proposons dans cette section constituent le fruit d’une
analyse morphologique que nous qualifions de structurée.

Par cette qualification, nous souhaitons signifier notre emploi particulier de cette méthode de scé-
narisation. En effet, comme nous l’avons présenté au chapitre précédent, le travail de réduction de
l’espace morphologique (c’est-à-dire l’identification des combinaisons d’hypothèses d’évolution per-
tinentes et vraisemblables pour la scénarisation) s’est opéré par l’enchaînement de deux exercices
de conception de scénarios.

• Dans le premier, nous avons co-construit avec un groupe d’experts un jeu de scénarios de
façon guidée : d’une part, les hypothèses d’évolution avaient été prédéfinies ; d’autre part,
les effets de la dynamique du système étaient également prédéfinis. Par conséquent, le tra-
vail des experts a consisté à imaginer des combinaisons d’hypothèses d’évolution visant à
différents états possibles des variables résultats. Un jeu de proto-scénarios combinant cer-
taines hypothèses d’évolution des variables et jouant sur certains effets de motricité-dépen-
dance est ainsi ressorti de ce premier exercice de conception des scénarios.
• Dans le second, nous avons traité ces proto-scénarios pour en accentuer les contrastes et
en limiter le nombre (passant de huit proto-scénarios à trois, plus un scénario tendanciel).
Nous les avons également enrichis de la composante « action publique de lutte contre la
pauvreté des enfants » pour obtenir les quatre scénarios présentés dans les points suivants.

Ainsi, l’analyse morphologique employée dans cette étude est structurée, d’une part, par un cadre
de scénarisation restreignant les combinaisons possibles d’hypothèses d’évolution, et d’autre part,
par la compréhension fine de la dynamique du système qui permet, pour faire contraster les scéna-
rios entre eux, de jouer sur les variations d’état de certains éléments clés qui le constituent.

Cette section vise à présenter chacun des scénarios de façon « technique ». Il s’agit d’en décomposer
la structure en caractérisant, pour chacun, deux éléments :

• Les évolutions individuelles de chaque composante au sein du système : nous explicitons


pour chacune des composantes du système la dynamique spécifique qui l’anime sous forme
de « micro-scénarios » construits à partir des hypothèses d’évolution retenues pour les va-
riables qu’elle regroupe.
• Le scénario global : nous présentons de façon agrégée la dynamique de l’ensemble du sys-
tème produite par l’emboîtement des micro-scénarios, sa trajectoire temporelle d’évolution
à l’horizon 2050 et déclinons, par ailleurs, l’évolution temporelle de l’action publique de lutte
contre la pauvreté des enfants.

166 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Cette présentation « technique » des scénarios est suivie d’une présentation « littéraire » consacrée
aux « narratifs » des scénarios : ils visent à mettre en récit les versions techniques de chacun des
scénarios.

Chacun des scénarios s’est vu attribuer un titre :

• « Scénario 1 – Un État social « hyperactif » : une enfance protégée dans une Wallonie pré-
carisée » ;
• « Scénario 2 – Un État sponsor d’une économie responsable : l’enfance, capital humain d’une
Wallonie qui investit dans son avenir » ;
• « Scénario 3 – Vers un nouveau contrat social-environnemental : des enfants encapacités
dans une Wallonie transformée » ;
• « Scénario 4 (tendanciel) – Un État social actif renforcé : la quête d’une « bonne enfance »
dans une Wallonie fragmentée ».

Nous reviendrons sur le sens de chacun des titres en introduction à chacun des scénarios. Cela per-
mettra de détailler les raisons pour lesquelles nous l’estimons évocateur du contenu du scénario.
Remarquons toutefois, d’emblée, que nous avons mis l’accent dans les quatre titres sur le rôle joué
par la forme d’État social dans la trajectoire d’évolution, pour centrer les scénarios d’entrée de jeu
sur la question des politiques sociales et, par extension, sur l’action publique de lutte contre la pau-
vreté des enfants.

3.1. SCÉNARIO 1 – UN ÉTAT SOCIAL « HYPERACTIF » : UNE ENFANCE PROTÉGÉE


DANS UNE WALLONIE PRÉCARISÉE
3.1.1. Pourquoi ce titre ?
Le titre du scénario souhaite mettre l’accent sur trois phénomènes :

• Le renforcement de l’État social actif : il devient « hyperactif » dans le sens où la condition-


nalité des droits est poussée à l’extrême, en particulier à travers un renforcement et une
automatisation des contrôles permis par la digitalisation. Ces politiques sont menées dans le
cadre d’une logique de réduction drastique des moyens alloués aux politiques sociales et le
ciblage sur des publics particuliers.
• L’enfance fait précisément l’objet d’un de ces ciblages de l’action des politiques sociales. Les
droits de l’enfant prévalent et, dans certains cas, préemptent ceux des parents : le contrôle
renforcé des situations des familles conduit à une systématisation du placement au nom de
la « protection » de l’enfant. L’expression « enfance protégée » veut également traduire
l’élargissement du champ d’application des logiques de protection de la jeunesse.
• La Wallonie est précarisée : le contexte économique et politique s’avère très difficile. L’éco-
nomie mondiale est dominée par quelques grands oligopoles étasuniens et chinois qui dis-
tribuent leurs produits et dominent l’économie européenne. La Wallonie attire sur son terri-
toire certaines de ces entreprises aux prix de régimes fiscaux très favorables qui réduisent
ses recettes. La croissance économique demeure limitée. Une incertitude forte plane sur les
finances de la Région, car elle fait face de façon récurrente à des crises écologiques (pan-
démies, effets des changements climatiques et environnementaux, pollution…) qu’elle doit
gérer dans l’urgence et dont elle doit assumer les coûts. Son endettement ne cesse de
s’alourdir avec peu de perspectives d’amélioration : les coupes budgétaires s’imposent, au
détriment des populations les plus pauvres et précarisées.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 167


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.1.2. Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 1
La composante climat et démographie est marquée, dans ce scénario et dans les trois autres, par
une situation climatique très tendue, calquée sur le scénario « business as usual » développé par le
GIEC 152 : le réchauffement climatique à l’horizon 2050 atteint les +3°C à l’échelle planétaire si l’on s’en
tient aux actions actuellement décidées et pour autant que celles-ci soient complètement mises en
œuvre.

Un tel niveau de réchauffement suppose des transformations majeures du climat de l’ensemble de


la planète : les zones tropicales deviennent quasiment inhabitables et les climats tempérés de l’hé-
misphère nord comme celui de l’Europe connaissent d’importantes transformations, marquées par
des sécheresses, inondations et vagues de chaleur intenses, fréquentes et longues.

La Belgique, à l’instar des autres pays européens, connaît un réchauffement de sa température


moyenne annuelle de plus de 3°C. Son climat est radicalement transformé par rapport à celui qu’elle
a connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, printemps secs (sécheresses ré-
pétitives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de chaleur.

Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.

La situation climatique mondiale a d’importantes répercussions sur le phénomène migratoire : les


migrations climatiques prennent de l’ampleur, à la fois en raison de l’inhabitabilité de certaines ré-
gions du globe et du développement de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles.

Dans ce scénario, la question migratoire est traitée par la fermeture des frontières. Les personnes
d’origine immigrée déjà présentes vivent différentes formes de stigmatisation. Les conflits entre
communautés se multiplient, posant des problèmes de sécurité intérieure (sur fond de dégradation
importante de la situation sociale, de réduction des dépenses publiques et des services publics).

La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, une diminution de
la taille des ménages.

Dans ce scénario, ce vieillissement accentue les difficultés financières de l’État (réduction de l’as-
siette fiscale) et engendre une pression importante sur le système de santé, les conséquences sa-
nitaires des changements climatiques et environnementaux touchant davantage les populations
plus âgées.

152
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese

168 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Par ailleurs, la réduction de la taille des ménages conditionne des risques accrus pour les ménages
en situation de pauvreté et de précarité en raison, dans ce scénario, de la réduction des dépenses
publiques et de la limitation drastique de la protection sociale.

Tableau 16 : Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 1

Variable Statut Hypothèses d’évolution dans le scénario 1


Monde à +3°C : sécheresses, inondations, vagues de chaleur in-
tenses, fréquentes et longues sur l’ensemble de la planète. Zones
tropicales devenues peu habitables.
Perte de biodiversité massive : zoonoses, nouveaux risques sani-
taires, dégradation des écosystèmes.
Changements cli-
matiques et envi- motrice En Belgique, le réchauffement s’opère plus rapidement qu’au ni-
ronnementaux veau planétaire et dépasse les +3°C. Cela se manifeste par des hi-
vers peu froids et humides, des étés plus chauds et très humides,
des printemps secs. L’impact de l’augmentation de la fréquence et
de l’intensité des précipitations génère d’importantes inondations.
Les canicules estivales deviennent régulières (au moins une par
an). Les sécheresses deviennent très fréquentes.
Migrants climatiques et de zones de conflits.
Flux migratoires motrice Frontières fermées : tensions intérieures et géopolitiques. Stigmati-
sation de certains groupes issus de l’immigration.
Structure des mé- régula-
Baisse tendancielle de la taille des ménages.
nages tion
Vieillissement de la population qui entraîne une diminution de l’as-
Structure par âge régula-
siette fiscale, de multiples pressions sur le système de santé ac-
de la population tion
centuées par les effets du réchauffement climatique.

3.1.3. Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 1


Dans ce scénario, la composante « modèle économique » s’organise autour de la variable « para-
digme économique ». Celle-ci s’inscrit dans la poursuite de la vision ou néo-libérale du fonctionne-
ment de l’économie, c’est-à-dire une économie dominée par les logiques de marché. Le rôle de
l’État y est, d’une part, de pallier les effets des « externalités négatives » des marchés et des activités
productives (changements climatiques et environnementaux) en gérant les risques qu’ils engen-
drent, et d’autre part, de soutenir les secteurs économiques à fort potentiel de croissance par l’in-
vestissement public.

Dans cette approche, on estime que la croissance économique doit bénéficier au bien-être des po-
pulations par des « effets de ruissellement ». La croissance économique est censée, en effet, per-
mettre une amélioration du bien-être de tous par une augmentation du niveau de vie globale 153.

Par ailleurs, ce paradigme suppose que la croissance économique est permise par le développe-
ment des artefacts techniques et des technologies ainsi que des services associés estimés garants
du bien-être 154. Ce rôle central des technologies appuie une forme de techno-optimisme : grâce aux
technologies « vertes » et aux technologies « digitales », on espère que le fonctionnement de l’éco-
nomie sera optimisé (notamment, par la décarbonation) de manière à ainsi pouvoir faire face aux
enjeux des changements climatiques et environnementaux.

153
Voir Brand-Correa et al., 2022 ; Laurent, 2023.
154
Petit et al., 2022 : 30.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 169


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Sur la base de cet effet moteur de la variable « paradigme économique » au sein de la composante,
nous avons conçu deux variantes possibles à ce scénario :

• Dans la variante 1, la capacité des technologies à améliorer la productivité, la compétitivité


et à optimiser le fonctionnement de l’économie ne se matérialise pas : la croissance écono-
mique stagne à moins de 1 %. Cela génère des conséquences en chaîne sur la structure d’ac-
tivité de la population et, in fine, sur les revenus des ménages : le taux d’emploi augmente
de façon très faible et l’on assiste à une modération salariale qui engendre une croissance
des ménages à faibles revenus.
• Dans la variante 2, les promesses des technologies sont en revanche rencontrées : la crois-
sance économique est soutenue (autour de 3 %). Cette embellie centrée sur les technologies
génère un clivage entre emplois hautement et faiblement qualifiés et rémunérés, avec néan-
moins une augmentation du revenu médian et moyen. Dans ce contexte, conjointement à la
réduction des dépenses publiques (voir composante « forme d’État social »), les allocations
sociales sont revues à la baisse.

Tableau 17 : Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 1

Variable Statut Hypothèses d’évolution dans le scénario 1


Intensification du paradigme néo-libéral :
- Rôle limité de l’État à la gestion des risques et des consé-
quences des changements climatiques et environnemen-
taux, ainsi qu’au soutien aux secteurs économiques à forte
Paradigme éco- croissance et/ou valeur ajoutée.
motrice - Les orientations du développement économique sont
nomique
données par le marché et l’industrie.
- Principe de « ruissellement » : l’innovation et la croissance
bénéficient par l’augmentation générale du niveau de vie
matériel au bien-être général, sans intervention forte des
pouvoirs publics.
Place des techno- régula- Techno-optimisme : priorité à l’innovation technologique et verte
logies tion comme vecteurs de croissance économique.
Variante 1 : Les promesses de croissance par la technologie et le
marché sont peu rencontrées : la croissance économique est mo-
Situation écono- dérée à faible (autour de 1 %).
mique de la Wal- relais
lonie Variante 2 : Les gains de compétitivité et les opportunités de mar-
ché fournies par les technologies engendrent une croissance éco-
nomique soutenue (autour de 3 %).
Variante 1 : Augmentation modérée du taux d’emploi, précarisation
Structure d’acti- de l’emploi, chômage.
régula-
vité de la popula-
tion Variante 2 : Clivage entre emplois hautement et faiblement quali-
tion
fiés et rémunérés.
Variante 1 : Modération salariale, augmentation des ménages à
Revenu des mé- faibles revenus.
relais
nages Variante 2 : Augmentation du revenu médian et moyen ; baisse des
allocations sociales.

3.1.4. Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 1


La forme prise par l’État social s’agence, en grande partie, autour de la variable « paradigme d’action
publique », variable relais-dépendante, notamment, de la variable « paradigme économique ». Ainsi,
de façon congruente à la logique néo-libérale qui guide le paradigme économique, la forme prise
par l’État social est celle d’un État social actif renforcé.

170 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Cette forme d’État social suppose une réduction importante de la voilure des politiques sociales et
redistributives. Les moyens sont priorisés, l’État intervient peu : il se focalise sur la gestion des mul-
tiples crises générées par les effets des changements climatiques et environnementaux, l’économie
de marché réduisant à la marge ses « externalités négatives » par le progrès technologique. Dans ce
contexte de réduction des dépenses et de gestion de l’urgence, les politiques d’activation et la con-
ditionnalité des droits sociaux sont renforcées. Une forte individualisation/responsabilisation domine
les politiques : les consommateurs et bénéficiaires d’aides sociales sont incités à prendre en charge
les difficultés et risques de leurs situations.

Indépendamment de la variante suivie par la composante économique, le budget de l’État voit ses
dépenses drastiquement réduites.

Comme la précédente, cette composante est susceptible de recevoir deux déclinaisons différentes
selon les variantes :

• Dans la variante 1 (croissance économique faible à nulle), l’État fait face à une situation parti-
culièrement tendue : d’une part, ses dépenses augmentent en raison de la gestion des crises
à répétition (et ce, malgré l’austérité budgétaire), d’autre part, les recettes s’affaiblissent. L’en-
dettement explose, ce qui risque de conduire la Wallonie vers un scénario « à la grecque »
où elle se voit imposer des plans de remboursement et doit réaliser des coupes budgétaires
massives.
• Dans la variante 2 (croissance économique soutenue), le budget de l’État 155 bénéficie de re-
cettes en augmentation qui lui permettent de rembourser sa dette tout en gérant les crises
à répétition. Les dépenses publiques sont, toutefois, réduites faute de moyens supplémen-
taires suffisants, au détriment des politiques sociales – les soutiens à l’économie en crois-
sance se maintenant.

Cette situation économique de la Wallonie particulièrement tendue est renforcée par la transforma-
tion de la structure de l’État qui la conduit à une autonomie très importante dans la gestion des com-
pétences, notamment en matière de sécurité sociale, autant que dans ses ressources.

Ce micro-scénario de la composante « forme de l’État social » peut prendre place dans deux envi-
ronnements politiques assez différents : l’un où dominerait une coalition politique de type néo-libé-
rale avec une tendance au glissement vers un régime illibéral 156 (variante 1) ; l’autre où apparaîtrait un
pouvoir politique de type autoritaire-conservateur (variante 2).

155
Par « État », nous entendons le pouvoir public légitime considéré dans l’analyse, en l’occurrence la Région wallonne. Notons
que, dans la mesure où nous traitons l’information de façon prospective, nous concevons que la forme prise par l’État peut
évoluer dans le futur.
156
Dans le langage courant, une démocratie « illibérale » consiste en « un régime élu démocratiquement, qui, prétendant
détenir le monopole de la volonté générale du peuple, ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir et va
jusqu’à déposséder les citoyens de leurs droits et libertés ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illibé-
ral/188534. Pour une analyse de la notion, voir également Mineur, 2019.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 171


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 18 : Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 1

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 1


La Belgique devient une confédération.
Structure de l’État relais
Régionalisation complète de la Sécurité sociale.
Variante 1 : Coalition à tonalité néo-libérale, risque de bascule-
ment vers des régimes illibéraux.
Système politique relais
Variante 2 : Tonalité autoritaire-conservatrice, clientélisme élec-
toral.
État social actif renforcé :
- Priorisation des moyens à la gestion des crises ;
- Renforcement des politiques d’activation et de condition-
Paradigme d’ac-
relais nalité des droits sociaux ;
tion publique
- Incitation et responsabilisation des consommateurs/ bé-
néficiaires d’aides.
De façon globale : recul des politiques sociales et redistributives.
Variante 1 : Austérité budgétaire et risque de scénario « à la
grecque » (crise de la dette et plans de remboursement impo-
Budget (finances sés)
relais
publiques) Variante 2 : Augmentation des recettes qui profite exclusivement
au remboursement de la dette. Diminution des dépenses pu-
bliques.

3.1.5. Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 1


Le modèle socioculturel dans ce scénario est marqué par la famille nucléaire, une conception « Onu-
sienne » de l’enfance et une forte individualisation de la condition des personnes.

La famille nucléaire reste un modèle culturel dominant de référence, malgré la diversification et


l’éclatement des modèles familiaux. Les familles qui demeurent en dehors de ce cadre comme les
familles monoparentales sont fragilisées et mises sous pression, de même que les familles en situa-
tion de pauvreté.

Cette vision normative de la famille s’accompagne d’une conception « Onusienne » de l’enfance :


l’enfant est considéré comme membre d’un groupe distinct du reste de la société (y compris de ses
parents) caractérisé par sa vulnérabilité ; à ce titre, au nom de son intérêt supérieur, il bénéficie d’une
protection particulière. Dans ce scénario, cette vision est poussée à l’extrême : l’État peut se substi-
tuer aux parents pour protéger l’enfant dès que l’intérêt de celui-ci est menacé. Cela touche donc
particulièrement les familles précaires et en situation de pauvreté, qui peuvent être rapidement stig-
matisées dans un contexte où les crises se multiplient.

Cette approche s’insère dans un cadre plus large qui conçoit la pauvreté comme une condition dont
la personne est estimée responsable, notamment pour des motifs psychologiques (l’inadaptation
sociale, par exemple). De ce fait, la pauvreté est davantage envisagée comme un problème de sé-
curité publique traité par le système pénal et, pour les plus jeunes, par la protection de la jeunesse,
avec la systématisation du placement.

172 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 19 : Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 1

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 1


La famille nucléaire demeure le modèle social de référence mal-
gré une diversification et un éclatement des modèles familiaux.
Dans ce contexte, fragilisation des familles monoparentales dont
Modèle familial régulation
l’adulte est en très large majorité une femme, ainsi que des fa-
milles en situation de pauvreté, jugées en déficit par rapport à la
norme.
Les pauvres sont jugés responsables de leur sort.
La pauvreté est individualisée et psychologisée.
Représentations
La pauvreté est vue comme un problème de sécurité publique
et stéréotypes re- régulation
traitée davantage par les systèmes pénaux et, pour les plus
latifs à la pauvreté
jeunes, par la protection de la jeunesse (placements en instituts
de plus en plus fréquents et systématiques).
Les enfants sont davantage conçus comme un groupe à part
constitué d’êtres vulnérables et à protéger (« enfant Onusien »).
La substitution de l’État aux parents, lorsque « l’intérêt supérieur
Système de va-
de l’enfant » n’est pas respecté, devient plus systématique. Cela
leurs (place de
régulation touche particulièrement les familles précaires et en situation de
l’enfant dans la
pauvreté qui sont beaucoup plus stigmatisées. Les enfants de-
société)
viennent un public prioritaire à protéger dans un contexte de
crises multiples (crise climatique, des finances publiques, so-
ciale…).

3.1.6. Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 1


Ce contexte d’ensemble débouche sur une société marquée par d’importantes inégalités qui de-
viennent structurelles. La société est extrêmement dualisée. Dans ce scénario, l’État se concentrant
sur la gestion des crises à répétition, la cohésion sociale s’effondre : les inégalités se creusent et se
renforcent mutuellement à tous les niveaux :

• territorial (activités économiques et logements dépendants des lieux de production des ri-
chesses) ;
• en matière de santé (privatisation, dualisation du système de santé, dégradation de l’état de
santé des plus précaires) ;
• en matière environnementale (les populations pauvres et précarisées sont plus exposées
que les autres aux conséquences des changements climatiques et environnementaux) ;
• au niveau scolaire (dualisation du système scolaire) ;
• au niveau technologique (accroissement de la fracture numérique).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 173


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 20 : Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 1

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 1


Inégalités fortes d’accès aux droits fondamentaux.
Inégalités territoriales élevées : activités économiques et loge-
Cohésion sociale résultat ments dépendants des lieux de production des richesses.
Absence de projet sociétal dans un contexte de crises multiples
et de réduction du rôle de l’État.
Dualisation de la société : l’accès aux droits fondamentaux est,
plus que jamais, tributaire des revenus.
Inégalités sociales résultat
Les inégalités deviennent structurelles : les classes sociales s’ap-
parentent presque à des « castes ».
Renforcement des inégalités de santé : la privatisation de la pro-
tection sociale génère un système de santé à l’accès dualisé et
une qualité de soin dégradée pour les populations les plus
Inégalités de santé résultat
pauvres (peu de personnel soignant disponible, inégalités territo-
riales dans la couverture en soins de santé…). La santé mentale et
physique des populations pauvres et précarisées se dégrade.
Renforcement des inégalités environnementales : les popula-
Inégalités environ- tions les plus pauvres souffrent davantage des conséquences du
résultat
nementales réchauffement climatique (sécheresses, inondations, vagues de
chaleur) tant au niveau économique que social et sanitaire.
Dualisation du système scolaire :
Variante α : Privé performant et coûteux et public sous-financé et
Inégalités scolaires résultat
débordé.
Variante ß : Segmentation accrue du marché scolaire.
Clivage entre insiders et outsiders des technologies digitales et
Inégalités techno- vertes.
résultat
logiques Fracture technologique issue des difficultés d’accès aux techno-
logies.

3.1.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 1
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.

Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par deux éléments :

• Une approche « low-cost » : les infrastructures d’accueil sont limitées à des accueils d’ur-
gence ; les droits de l’enfant demeurent prioritaires, mais dans l’idée d’éviter le basculement
dans la pauvreté.
• Une protection des enfants à la fois bureaucratisée et priorisée : le champ de la politique de
protection de la jeunesse tend à s’étendre, la pénalisation et le placement se banalisant (sou-
tenu par le recours aux familles d’accueil et la privatisation des institutions) ; le retrait de
l’autorité parentale se systématise également.

174 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments :

• Un contrôle social omniprésent : les familles et les enfants sont profilés (plutôt qu’accompa-
gnés), notamment grâce aux outils technologiques et à l’intelligence artificielle, et leurs si-
tuations sont davantage psychologisées, la sortie de la norme les reléguant à des offres al-
ternatives.
• Une concentration sur des cibles prioritaires : les politiques s’adressent à des publics « dans
la norme ». Les enfants ou familles qui sortent du cadre (enfants en décrochage, enfants se
démarquant par leur intelligence supérieure à la norme, familles monoparentales, familles
pauvres, familles précarisées) sont écartés d’une prise en charge par les institutions pu-
bliques. En outre, majorité et âge de fin de scolarité sont abaissés à 16 ans pour permettre
une réduction des dépenses : les jeunes se retrouvent plus tôt sur le marché de l’emploi et
sont peu qualifiés.
• Une relégation des publics ne rentrant pas dans la norme à une « offre alternative » : ces
publics sont orientés (ou exclus) vers d’autres systèmes de prises en charge. Les enfants en
difficulté sont rapidement conduits vers l’enseignement spécialisé. Les enfants qui se dé-
marquent par leur potentiel peuvent bénéficier de bourses du secteur caritatif pour intégrer
des « écoles d’élites ». Les enfants peuvent également être amenés à rejoindre des sys-
tèmes alternatifs (néo-religieux). Pour les familles, l’exclusion des systèmes de protection et
de sécurité sociale peut également s’accélérer si diverses obligations ne sont pas rencon-
trées (par exemple : conditionnalité des allocations familiales à la scolarisation) ou s’ils ne
bénéficient pas de revenus suffisants (par exemple : accès à des soins de santé privatisés).
Cela peut les amener vers d’autres structures garantissant une protection (caritatif, associatif,
organisations criminelles) ou à se « débrouiller » via leurs relations sociales.

Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments éga-
lement :

• La priorisation : au niveau du logement, on cible des jeunes issus de classes moyennes dé-
favorisées, plutôt que les populations pauvres ; au niveau des revenus de substitution, on
supprime toute forme de revenus alternatifs et d’aides sociales pour les remplacer par une
allocation universelle (allocation familiale qui se prolonge).
• La segmentation : les territoires se segmentent, la ségrégation spatiale augmente (les popu-
lations pauvres et précaires vivent dans des logements vétustes dans des territoires davan-
tage exposés aux risques climatiques) ; le système de protection sociale se fragmente avec
le développement d’une offre caritative et philanthropique qui pallie le désinvestissement
de l’État.
• Le contrôle : criminalisation de la pauvreté et/ou incitants fiscaux à la sortie de la pauvreté.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 175


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 21 : Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 1

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 1


Institutions d’accueil calibrées sur le « minimum » pour ré-
Politique d’accueil
réponse pondre à l’urgence (infrastructures inadaptées, déficit d’enca-
de l’enfance
drement).
Passage d’une logique de prévention à une logique de place-
ment, voire de pénalisation.
Soutien aux familles d’accueil, pour décharger les institutions.
Privatisation partielle des institutions de placement.
Identification des situations « à risques » facilitée par le profi-
Politique de l’Aide à lage et la digitalisation.
la jeunesse et de Décisions de placement plus systématiques : priorité à l’enfant
réponse
protection de la à risque de pauvreté, au détriment des parents.
jeunesse Quasi-conditionnalité des droits parentaux : déchéance plus ra-
pide de l’autorité parentale si les parents ne répondent pas cer-
taines obligations.
Logique de surveillance : déprofessionnalisation et déqualifica-
tion des métiers de l’enfance et de la jeunesse.
Pénurie de travailleurs sociaux.
Politique de soutien Profilage des familles, contrôle social et stigmatisation des pa-
réponse
à la parentalité rents.
Psychologisation des difficultés scolaires, basculement vers
des filières de relégation dans l’enseignement spécialisé.
Spirale de l’exclusion : les décrochages aggravent la situation
des familles (perte d’allocations familiales).
Abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire et de la majo-
rité à 16 ans, entraînant une déqualification professionnelle : les
Politique scolaire réponse
jeunes se retrouvent très tôt, peu qualifiés sur le marché du tra-
vail.
Émergence de réseaux alternatifs, néo-religieux.
Certains enfants, qui se démarquent par leur potentiel, sont re-
pérés comme des talents : ils bénéficient de bourses assurées
par le secteur caritatif.
Droits de l’enfant « low-cost » : la priorité est d’éviter le bascule-
Politique des droits ment dans la pauvreté, assurer le minimum.
réponse
de l’enfant Centralité de l’enfance dans les politiques sociales, mais dans
une logique de gestion des risques.
Fin de la lutte contre la pauvreté, remplacée par des luttes ci-
blées, centrées sur la gestion des risques (classes moyennes
précarisées, familles monoparentales).
Politique de lutte
réponse Relégation des publics hors champ vers des offres de protec-
contre la pauvreté
tion alternatives (philanthropie ; réseaux mafieux).
Gestion algorithmique, surveillance et profilage des publics à
risques, vus comme criminogènes.
Individualisation et conditionnalité des droits : exclusion, voire
pénalisation, pour les « non-méritants », perte de droits pour les
Régime de sécurité « mauvais parents », ciblage des aides.
sociale (y compris Allocations familiales conditionnées à l’obligation scolaire.
réponse
les allocations fami- Logique de profilage, de surveillance et de contrôle.
liales) Digitalisation et automatisation des procédures.
Relégation vers la « débrouille », les activités délictueuses et
criminelles associées à l’économie mafieuse.

176 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Politique de promo-
réponse Dualisation du système de santé. Privatisation croissante.
tion de la santé
Accès au logement : priorité aux jeunes de classes moyennes
précarisées.
Politique du loge- Segmentation accrue, voire ghettoïsation (territoires plus expo-
réponse
ment sés aux changements climatiques et environnementaux, loge-
ments sociaux non rénovés).
Criminalisation du sans-abrisme, notamment des mineurs.
Fin des mécanismes de redistribution : une allocation univer-
selle (sur la base de l’allocation familiale prolongée) remplace
tous les revenus de substitution (filet de sécurité pour la classe
Politique fiscale réponse moyenne), suppression des suppléments sociaux.
Toutes les autres assurances sont privatisées.
Incitants fiscaux à la sortie de la pauvreté (variante 1).
Développement d’un secteur caritatif et philanthropique.

3.1.8. Le scénario global et sa représentation


Comme nous l’indiquions en introduction à cette section dédiée à la présentation technique des
scénarios, ceux-ci sont le produit, dans la méthode utilisée, d’un emboîtement des micro-scénarios
imaginés pour les différentes composantes.

Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 1, nous proposons une présenta-
tion du scénario global à travers deux figures (15 et 16). Celles-ci permettent de visualiser le scénario
global pour en comprendre la dynamique d’ensemble.

Ces figures livrent également une information supplémentaire : la diachronie des événements. Nous
proposons, en effet, d’imaginer à travers ces figures les trajectoires d’évolution des scénarios afin de
situer dans le temps les changements d’état des composantes évoqués aux points précédents. Ainsi,
peut-on mieux comprendre les transformations qui s’opéreraient entre 2025 et 2050 si ce scénario
venait à se réaliser.

La présentation du scénario global ressuscite également une distinction que nous avions suspendue
le temps de la conception du scénario : la distinction entre les composantes contextuelles et la com-
posante d’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants. Il nous a semblé, en effet, utile et
nécessaire de la réintroduire à ce stade pour pouvoir proposer une vision spécifique de la forme que
pourrait prendre l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants à travers les différents po-
litiques qui la composent. La figure 16 détaille, ainsi, de façon diachronique, la façon dont chacune
des dix politiques prises en considération dans l’analyse pourrait évoluer congrument avec l’évolu-
tion du contexte présentée dans la figure 15 et en corrélation les unes avec les autres.

Dans la section dédiée aux narratifs, nous intégrerons de façon discursive l’information livrée dans
ces figures.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 177


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 15 : Scénario 1 – Ruptures et dynamique temporelle de contexte

178 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 16 : Scénario 1 – Dynamique temporelle de la composante action publique

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 179


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.2. SCÉNARIO 2 – UN ÉTAT SPONSOR D’UNE ÉCONOMIE RESPONSABLE : L’EN-
FANCE, CAPITAL HUMAIN D’UNE WALLONIE QUI INVESTIT DANS SON AVE-
NIR
3.2.1. Pourquoi ce titre ?
À l’instar du précédent, le titre de ce scénario met l’accent sur trois éléments :

• Le retour d’un État qui oriente les directions prises par l’économie dans le cadre de la transition
écologique. L’intervention de l’État vise à soutenir le développement d’une économie « verte »
et « durable » qui mise sur l’innovation et les technologies, en particulier en matière énergétique.
Cette approche est vue comme « responsable » aux plans environnemental et sociétal et devient
le cadre de référence partagé par le monde politique et économique.
• Dans ce contexte, l’enfance est l’objet d’une attention très particulière : les enfants sont considé-
rés comme un « capital humain » dans lequel il est prioritaire d’investir pour assurer l’advenue
des talents nécessaires aux nouveaux secteurs économiques, mais aussi, pour les plus pauvres,
en vue de les sortir de la spirale de la pauvreté et de la précarité par la mobilité sociale.
• La Wallonie s’inscrit pleinement dans cette approche de l’économie en investissant dans les in-
frastructures et dans le soutien aux activités économiques prioritaires pour la transition. Elle in-
vestit également dans les différentes politiques de l’enfance, avec une attention particulière à la
scolarité et à l’accueil dès le plus jeune âge. Elle revalorise les filières techniques et profession-
nelles pour permettre le développement de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire. Les politiques
sociales bénéficient de l’embellie économique par les effets redistributifs. Cependant, l’investis-
sement de l’État dans le système social n’est pas sans contrepartie : les droits demeurent condi-
tionnels à l’inscription des personnes dans des projets de vie et professionnels qui correspondent
aux orientations politiques et économiques.

3.2.2. Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 2


La composante climat et démographie est marquée, à l’instar du scénario 1, par une situation clima-
tique très tendue, calquée sur le scénario « business as usual » du GIEC 157 : le réchauffement clima-
tique à l’horizon 2050 atteint les +3°C à l’échelle planétaire.

Un tel niveau de réchauffement suppose des transformations majeures du climat de l’ensemble de


la planète : les zones tropicales deviennent quasiment inhabitables et les climats tempérés de l’hé-
misphère nord comme celui de l’Europe connaissent d’importantes transformations, marquées par
des sécheresses, inondations et vagues de chaleur intenses, fréquentes et longues.

La Belgique, comme les autres pays européens, connaît un réchauffement de sa température


moyenne annuelle de plus de 3°C. Son climat est radicalement transformé par rapport à celui qu’elle

157
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese

180 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
a connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, printemps secs (sécheresses ré-
pétitives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de chaleur.

Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.
La situation climatique mondiale a d’importantes répercussions sur le phénomène migratoire : les
migrations climatiques prennent de l’ampleur, à la fois en raison de l’inhabitabilité de certaines ré-
gions du globe et du développement de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles.
Dans ce scénario, la question migratoire est traitée d’une façon moins radicale que dans le scénario
précédent : les frontières ne sont pas fermées, mais les flux migratoires sont très strictement contrô-
lés. Les migrations de travail qualifié sont accueillies et encouragées. Une politique poussée d’inté-
gration des personnes issues de pays extérieurs à l’Union européenne est mise en place.
La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, une diminution de
la taille des ménages.
Dans ce scénario, ce vieillissement pèse lourdement sur les finances publiques en raison de la ré-
duction de l’assiette fiscale et de la pression qu’il exerce sur le système de santé, les populations
plus âgées étant davantage exposées aux effets des changements climatiques et environnemen-
taux. Il est, en revanche, compensé, comme nous le verrons dans l’analyse des composantes « mo-
dèle économique » et « forme d’État social », par une « embellie » économique qui profite aux mé-
canismes de redistribution, ainsi que par d’importants investissements de l’État dans l’infrastructure
de santé et de sécurité sociale.
Par ailleurs, la réduction de la taille des ménages est compensée, dans ce scénario, par un soutien
spécifique aux familles monoparentales, celles-ci présentant un risque accru de pauvreté et de pré-
carité.
Tableau 22 : Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 2

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 2


Monde à +3°C : sécheresses, inondations, vagues de chaleur in-
tenses, fréquentes et longues sur l’ensemble de la planète.
Zones tropicales devenues peu habitables.
Perte de biodiversité massive : zoonoses, nouveaux risques sa-
nitaires, dégradation des écosystèmes.
Changements cli- En Belgique, le réchauffement s’opère plus rapidement qu’au
matiques et envi- motrice niveau planétaire et dépasse les +3°C. Cela se manifeste par
ronnementaux des hivers peu froids et humides, des étés plus chauds et très
humides, des printemps secs. L’impact de l’augmentation de la
fréquence et de l’intensité des précipitations génère d’impor-
tantes inondations. Les canicules estivales deviennent régu-
lières (au moins une par an). Les sécheresses deviennent très
fréquentes.
Contrôle des flux migratoires.
Flux migratoires motrice Immigration de travail (qualifié).
Politique d’intégration (populations hors UE)
Structure des mé- Baisse tendancielle de la taille des ménages,
régulation
nages compensée par un soutien aux familles monoparentales.
Structure par âge Vieillissement de la population,
régulation
de la population amorti par l’embellie économique.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 181


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.2.3. Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 2
La composante « modèle économique » s’organise autour de la variable motrice « paradigme éco-
nomique ». Dans ce scénario, à la différence du précédent, le rôle joué par l’État dans le fonctionne-
ment de l’économie suit une logique de type « post-keynésienne ». Celle-ci suppose que la de-
mande effective joue un rôle décisif dans les dynamiques et les états macroéconomiques (Eloi,
2023), notamment le plein emploi qui ne peut être assuré par les seuls processus de marché. Pour
ce courant, les pouvoirs publics jouent donc un rôle important dans la stimulation de la demande
effective par des investissements 158.

Dans ce contexte émerge un État qui, par ses investissements, oriente l’économie vers une transition
énergétique rapide. Le rôle de l’innovation et la place des technologies sont centraux dans ce mo-
dèle de développement économique qui demeure fondé sur une logique de croissance. Ainsi, à
l’instar du scénario précédent, le paradigme économique demeure ancré dans un techno-optimisme
qui voit dans les technologies vertes et digitales des leviers pour faire face aux enjeux des change-
ments climatiques et environnementaux. Les investissements massifs des pouvoirs publics permet-
tent de soutenir la croissance en stimulant la demande effective. Ainsi, la planification économique
est renforcée. L’État investit également massivement dans le système de formation et d’éducation,
dans une logique « adéquationniste », c’est-à-dire qui rend disponible une main-d’œuvre qui satisfait
aux demandes d’un marché orienté vers la transition énergétique. Les personnes sont vues comme
des ressources pour l’économie, et les enfants comme un capital humain potentiel à faire fructifier
par l’investissement dans les structures d’accueil, l’éducation et la formation.

Tableau 23 : Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 2

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 2


État « investisseur » :
- Soutien de l’État à l’innovation à travers des plans de
relance (Green Deal, PRW, etc.) ;
- Politique d’investissement dans les technologies vertes,
en réponse aux enjeux climatiques ;
Paradigme écono- - Large adhésion aux normes « RSE » ;
motrice - Investissement dans la formation, revalorisation des fi-
mique
lières techniques et professionnelles ;
- Éducation et formation « adéquationnistes » (réponse
aux demandes sur le marché de l’emploi) : les per-
sonnes sont vues comme des ressources pour l’écono-
mie, les enfants comme un capital humain potentiel à
faire fructifier par l’investissement.
Place des technolo- Techno-optimisme : priorité à l’innovation technologique et
régulation
gies verte.
Situation écono-
Wallonie en croissance dans une Europe en croissance.
mique de la Wallo- relais
Gains de productivité
nie
Croissance du nombre d’emplois.
Structure d’activité
régulation Amélioration de la qualité des emplois (revalorisation des fi-
de la population
lières techniques et professionnelles).
Revenu des mé-
relais Augmentation du revenu des ménages.
nages

158
Voir Brand-Correa et al., 2022.

182 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Dans ce contexte, la situation économique de la Wallonie s’améliore : l’ensemble de l’Union euro-
péenne s’inscrit dans une trajectoire de croissance qui bénéficie à la Région. Le nombre d’emplois
augmente en conséquence ainsi que leur qualité : la revalorisation des filières techniques et profes-
sionnelles permet aux populations issues de milieux moins favorisés d’accéder à des situations pro-
fessionnelles stables et bien rémunérées, mais aussi de former de nouveaux « talents » à des métiers
techniques centraux dans la transition énergétique. En conséquence, la situation des ménages
s’améliore globalement par un accroissement de leurs revenus.

3.2.4. Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 2


La situation économique favorable, guidée par l’investissement public, conditionne et dépend, éga-
lement, d’une forme d’État social spécifique. Dans ce scénario réapparaissent des mécanismes as-
sociés à l’État-providence qui viennent compléter ceux de l’État social actif pour former un hybride
qui mixe ces deux formes d’État social.

Par une logique d’investissement dans son « capital humain », cette forme hybride d’État social dé-
veloppe des politiques sociales ambitieuses en matière de logement, de santé, d’éducation, de
transport… Ces politiques permettent à l’économie de se développer et garantissent, par ailleurs, une
certaine mobilité sociale. En misant sur diverses formes d’innovations sociales qui permettent de
nouvelles formes de coordination entre acteurs, elles renforcent la cohésion sociale. La question de
« l’investissement dans l’enfance » y occupe une place centrale, avec un égard particulier pour la
petite enfance 159.

Dans ce scénario, le budget de l’État connaît, d’une part, un accroissement des recettes dû à la crois-
sance économique importante et, d’autre part, une augmentation des dépenses due aux investisse-
ments dans l’économie et à ceux réalisés dans les politiques sociales via les mécanismes redistribu-
tifs.

Cette situation économique favorable de la Wallonie est renforcée par la septième réforme de l’État
belge qui accroît fortement l’autonomie régionale, notamment en matière de sécurité sociale et de
fiscalité. La Wallonie est relativement libre pour mener des politiques qui correspondent aux orien-
tations choisies par ses institutions politiques.

Celles-ci bénéficient d’ailleurs d’une confiance accrue de la population : le système politique a évo-
lué vers une nouvelle forme de corporatisme (au sens d’Esping-Andersen) qui inclut davantage les
acteurs des différents secteurs et développe la participation des bénéficiaires. L’organisation poli-
tique est gouvernée par un consensus transpartisan 160 de type centriste.

159
Cette approche s’inscrit dans la suite des travaux de l’économiste et sociologue danois Gøsta Esping-Andersen. Dans son
ouvrage de 2008, Trois leçons sur l’État-providence (Esping-Andersen, 2008), cet auteur a identifié l’importance de prendre
en compte l’âge préscolaire comme vecteur d’(in)égalités sociales. Selon les analyses qu’il développe dans la « deuxième
leçon », le défaut des politiques sociales dans leur lutte contre les inégalités est de s’être focalisées sur les âges scolaires et
d’avoir négligé la période préscolaire qui est, d’après lui, cruciale pour le développement des capacités d’apprentissage de
l’enfant, pour sa réussite scolaire future et, donc, pour son insertion future dans la société en tant qu’adulte.
160
Par « transpartisan », nous entendons : « Qui cherche à dépasser le traditionnel clivage des partis en prônant des solutions
susceptibles de recueillir un large consensus pour le bénéfice de tous ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/fran-
cais/transpartisan/188391

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 183


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 24 : Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 2

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 2


Septième réforme de l’État : accentuation de la régionalisa-
Structure de l’État relais tion/communautarisation des compétences fédérales.
Régionalisation accrue de la Sécurité sociale
Confiance dans les institutions de la part de la population.
Consensus trans-partisan : union gauche/droite de type cen-
triste.
Néo-corporatisme : inclusion des acteurs des différents sec-
Système politique relais
teurs dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des
politiques publiques.
Participation accrue des bénéficiaires des politiques dans leur
évaluation et leur conception.
« Mix » État social actif/ État-providence :
- Politiques sociales amplifiées et ambitieuses (loge-
Paradigme d’action ment, santé, éducation, transport, rénovation urbaine…) ;
relais - Accent mis sur l’innovation sociale ;
publique
- Soutien à la mobilité sociale ;
- Soutien spécifique à la petite enfance : le paradigme de
l’investissement dans l’enfance domine.
Augmentation des recettes due à un contexte économique flo-
Budget (finances rissant.
relais
publiques) Augmentation des dépenses : redistribution des fruits de la
croissance

3.2.5. Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 2


Le modèle socioculturel est marqué par la famille nucléaire, une conception de l’enfance comme
ressource sociale et une pauvreté résiduelle acceptée.

La famille nucléaire demeure un modèle culturel dominant, malgré la diversification et l’éclatement


des modèles familiaux. L’accompagnement des familles, en particulier des familles monoparentales,
tient compte d’une certaine diversité, tout en conservant à l’avant-plan la protection de l’intérêt su-
périeur de l’enfant pour qu’il puisse développer son plein potentiel.

Les composantes « modèle économique » et « forme d’État social » influencent une conception par-
ticulière de l’enfance inspirée de sa définition onusienne. L’enfance est « onusienne » dans le sens
où elle est considérée comme un groupe distinct du reste de la société qui bénéficie d’une protec-
tion particulière. Cela conduit également à une promotion de l’autonomie des enfants. Par ailleurs, la
vision de l’enfance comme ressource sociale à valoriser supportée par les paradigmes économiques
et politiques mène à une logique de formation aux attentes et aux besoins de la société. Cette spé-
cificité constitue un contrepoint aux investissements consentis par l’État aux services dont bénéficie
l’enfant pour la pleine réalisation de ses droits fondamentaux et pour favoriser « l’égalité des
chances ».

Cette dynamique propre au modèle socioculturel et ses liens avec celles des autres composantes
du système suppose une réduction de la pauvreté sans, pour autant, aller jusqu’à sa disparition. Le
modèle sociétal très inclusif suppose que les personnes qui n’y participent pas et/ou en sont exclues
forment un groupe marginalisé qui alimente une pauvreté « résiduelle ». Cette pauvreté est sociale-
ment acceptée, car elle est appréhendée comme un choix individuel de demeurer « hors système » :
tous les moyens sont mis en œuvre pour garantir aux personnes leur participation à la dynamique

184 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
collective, y demeurer extérieur est considéré comme relevant de la responsabilité individuelle. Par
conséquent, ces personnes émargent aux mécanismes d’aides sociales.

Tableau 25 : Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 2

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 2


La famille nucléaire demeure le modèle social de référence
malgré une diversification et un éclatement des modèles fami-
liaux.
Modèle familial régulation L’accompagnement des familles, en particulier des familles
monoparentales, tient compte d’une certaine diversité, tout en
conservant à l’avant-plan la protection de l’intérêt supérieur de
l’enfant pour qu’il puisse développer son plein potentiel.
Représentations et Pauvreté résiduelle acceptée.
stéréotypes relatifs régulation Développement d’une pauvreté marginale inaccessible aux
à la pauvreté aides sociales.
Les enfants sont conçus comme un groupe à part constitué
d’êtres à autonomiser et à former aux attentes et besoins de la
société. En contrepartie, l’État fournit de nombreux services aux
Système de valeurs parents et aux milieux d’accueil pour offrir aux enfants les meil-
(place de l’enfant régulation leures conditions de réalisation de leurs droits. Dans ce con-
dans la société) texte, l’enfant est conçu comme une ressource à valoriser par
l’investissement dans son développement. Cette approche est
également vue comme un levier majeur pour favoriser l’égalité
des chances entre enfants.

3.2.6. Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 2


Ce contexte d’ensemble qui structure une société plus inclusive permet un renforcement de la co-
hésion sociale. De nombreuses personnes sont, en effet, réintégrées dans le circuit socio-écono-
mique.

Cependant, l’approche politico-économique du modèle d’inclusion sociale suppose une réduction


des libertés individuelles puisqu’il faut participer à un modèle de développement économique spé-
cifique pour bénéficier des leviers d’autonomie et d’émancipation. En outre, ce système ne garantit
pas l’inclusion de la population dans sa diversité.

Par conséquent, même si ce scénario suppose une réduction globale des inégalités, la pauvreté
demeure importante. La protection sociale demeurant conditionnelle, les effets des changements
climatiques et environnementaux ont des répercussions majeures sur les situations de vie et de
santé des personnes pauvres et précarisées, ceci malgré une amélioration de l’accessibilité globale
des soins de santé.

Dans ce système, les enfants, pour autant qu’ils participent aux orientations de l’éducation et de la
formation, bénéficient d’une importante réduction des inégalités, en particulier en matière scolaire,
un objectif central des politiques mises en place étant l’augmentation des compétences et de l’em-
ployabilité des élèves.

Dans ce contexte techno-centré, l’accès aux technologies est très largement facilité, tant sur le plan
financier que sur celui de la conception et du design, qui permet à une diversité de public de les
utiliser.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 185


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 26 : Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 2

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 2


Renforcement de la cohésion sociale, société plus inclusive.
Meilleure cohésion territoriale.
Cohésion sociale résultat
Réintégration d’un grand nombre de personnes dans le circuit
socio-économique.
Réduction globale des inégalités.
Inégalités sociales résultat
Mobilité sociale accrue.
Réduction partielle des inégalités : malgré une amélioration de
l’accessibilité globale des soins de santé, la santé physique et
Inégalités de santé résultat
mentale des populations pauvres et précaires est fragilisée par
les effets des changements climatiques et environnementaux.
Réduction partielle des inégalités environnementales : les po-
pulations les plus pauvres souffrent davantage des consé-
Inégalités environ-
résultat quences du réchauffement climatique (sécheresses, inonda-
nementales
tions, vagues de chaleur) tant au niveau économique que social
et sanitaire, malgré les investissements publics.
Priorité à la réduction des inégalités scolaires.
Inégalités scolaires résultat Objectif : augmentation des compétences et de l’employabilité
des élèves.
Inégalités technolo- Accès facilité aux technologies, tant sur le plan financier que
résultat
giques sur celui de la conception et du design.

3.2.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 2
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.

Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par trois éléments :

• L’investissement massif dans les structures d’accueil : accueil gratuit et inconditionnel dès le
plus jeune âge et pour tous les enfants, accessibilité géographique, simplification adminis-
trative, revalorisation des métiers de l’accueil, cohérence avec la politique scolaire.
• Une logique de prévention : l’Aide à la jeunesse est prioritaire ; soutien important à la préven-
tion et à l’accompagnement des familles par des logiques transversales et intersectorielles.
• Un renforcement des droits de l’enfant : l’enfant « onusien » est au cœur des politiques me-
nées en matière d’enfance ; soutiens financiers importants aux acteurs (par exemple, le Dé-
légué général aux droits de l’enfant) et aux projets (par exemple, garantie pour l’enfance) qui
permettent à l’intérêt supérieur de l’enfant de prévaloir.

Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments :

• Un universalisme « conditionnel » : les allocations familiales sont revalorisées pour les fa-
milles les plus pauvres et accessibles à tout enfant (y compris des enfants sans papiers) ; de
nouveaux droits et protections apparaissent pour faire face aux vulnérabilités climatiques ;
ces droits sociaux dépendent d’une double logique de contractualisation (notamment liée à

186 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
la participation aux objectifs politico-économique de transition) et d’accompagnement par
les services sociaux.
• Une prise en charge des enfants dès le plus jeune âge : obligation scolaire dès 3 ½ ans ;
l’école est totalement gratuite et joue le rôle de lieu de prévention, de promotion et de for-
mation à la santé (alimentation, utilisation des technologies, exposition aux écrans…) ; les en-
fants et les jeunes sont accompagnés dans les différentes transitions, notamment à la sortie
du milieu scolaire ou de formation.
• Une participation accrue des acteurs dans la conception et la mise en œuvre des politiques :
les politiques, notamment la lutte contre la pauvreté, sont davantage conçues et mises en
œuvre par les acteurs eux-mêmes avec la participation des bénéficiaires, mais les orienta-
tions générales demeurent fixées par les institutions politiques.

Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par deux éléments :

• Le droit au logement est une priorité politique : l’offre de logement s’améliore substantielle-
ment (accessibilité géographique et financière, performance énergétique, réaffectation de
bâtiments publics…) ; les logements sociaux sont adaptés à la taille des ménages ; les transi-
tions de vie sont accompagnées (ex. accès au logement pour les mineurs émancipés et ma-
jeurs en difficulté).
• L’État (se) donne les moyens financiers de ses ambitions : allocation universelle modulée
selon les phases de la vie (petite enfance, périodes de formation, pension…) et conçue pour
assurer une vie décente ; globalisation des revenus et révision des tranches d’imposition,
guidée par un principe de justice fiscale ; moyens renforcés de lutte contre l’évasion fiscale.

Tableau 27 : Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 2

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 2


Accueil gratuit et inconditionnel pour tous les enfants.
Offre variée, simplifiée et accessible (répartition géographique).
Politique d’accueil
réponse Développement de l’accueil extrascolaire.
de l’enfance
Revalorisation des statuts des métiers de l’accueil.
Cohérence avec les politiques scolaires.
Priorité politique et financière à la prévention et à l’accompa-
Politique de l’Aide à
gnement.
la jeunesse et de
réponse Amélioration de la prévention par une prise en charge transver-
protection de la
sale et intersectorielle.
jeunesse
Maintien du lien parents-enfant, même en cas de placement.
Soutien à la parentalité et maintien du lien parents-enfant,
même pour les enfants en familles d’accueil.
Politique de soutien Revalorisation des allocations familiales pour les familles
réponse
à la parentalité pauvres.
Le droit de l’enfant prime : couverture étendue (allocations),
quelle que soit la situation de l’enfant (familles sans papiers).
Refinancement massif.
Le droit à l’éducation comme principe directeur : gratuité totale,
fin de la relégation…
Politique scolaire réponse L’âge de la scolarité obligatoire passe à 3 ½ ans.
Accompagnement des enfants et des jeunes dans les transi-
tions scolaires et à la fin de la scolarité.
Revalorisation des filières techniques et professionnelles.
Sensibilisation des enseignants aux enjeux et situations de

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 187


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
pauvreté.
Participation des parents.
École comme levier de politique de santé (alimentation, expo-
sition aux écrans…).
Santé à l’école : un repas chaud par jour.
Extension des missions et des compétences du DGDE ; renfor-
cement de la garantie européenne pour l’enfance.
Mise en œuvre des recommandations du Comité des droits de
l’enfant de l’ONU.
Politique des droits Participation des enfants à la décision politique et à l’évaluation
réponse
de l’enfant des politiques.
La définition « onusienne » de l’enfant comme être vulnérable
s’impose : l’intérêt supérieur de l’enfant constitue le référentiel
partagé et à mettre en œuvre pour tous les professionnels de
l’enfance.
Continuité : « patchwork » de plans et d’objectifs segmentés et
superposés, mais avec une coordination et une transversalité
accrues.
Politique de lutte Institutionnalisation de la participation des bénéficiaires.
réponse
contre la pauvreté Priorités : encapaciter les publics cibles, investir dans l’action
sociale.
Co-élaboration des politiques et large autonomie accordée aux
acteurs du secteur, à l’expertise étendue.

Émergence de nouveaux droits et de nouvelles protections so-


ciales pour faire face aux nouvelles vulnérabilités climatiques.
Régime de sécurité
Priorité : « Leave No One Behind ».
sociale (y compris
réponse Régime mixte d’aides fondé sur la contractualisation et accom-
les allocations fami-
pagnement (ex. PIIS).
liales)
Augmentation de l’enveloppe de financement (globalisation
des revenus).

Accès simplifié aux soins (sur le plan administratif et géogra-


phique).
Remboursement étendu.
Politique de promo-
réponse Transversalités avec la politique scolaire (alimentation, exposi-
tion de la santé
tion aux écrans…).
Détection et accompagnement des problématiques de santé
mentale des jeunes.
Droit au logement : priorité politique.
Amélioration de l’offre de logements (accessibilité géogra-
phique et financière, performance énergétique, réaffectation de
Politique du loge-
réponse bâtiments publics…).
ment
Logement social adapté à la taille du ménage.
Soutien aux transitions de vie (ex. accès au logement pour les
mineurs émancipés et majeurs en difficulté).
Allocation universelle modulée selon les phases de la vie (pe-
tite enfance, périodes de formation, pension…) et conçue pour
assurer une vie décente.
Politique fiscale réponse
Globalisation des revenus et révision des tranches d’imposition,
guidée par un principe de justice fiscale.
Moyens renforcés de lutte contre l’évasion fiscale.

188 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.2.8. Le scénario global et sa représentation
Comme nous le rappelions pour le scénario 1, les scénarios proposés sont le produit, dans la mé-
thode utilisée, d’un emboîtement des micro-scénarios imaginés pour les différentes composantes.

Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 2, nous proposons, comme nous
l’avons fait pour le scénario précédent, une présentation du scénario global à travers deux figures
(17 et 18). Celles-ci permettent de visualiser le scénario global pour en comprendre la dynamique
d’ensemble.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 189


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 17 : Scénario 2 – Ruptures et dynamique temporelle de contexte

190 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 18 : Scénario 2 – Dynamique temporelle de la composante action publique

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 191


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.3. SCÉNARIO 3 – VERS UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL-ENVIRONNEMEN-
TAL : DES ENFANTS ENCAPACITES DANS UNE WALLONIE TRANSFORMÉE
3.3.1. Pourquoi ce titre ?
Ce titre, à l’image de ceux des deux précédents scénarios, est composé de trois éléments :

• À la différence des deux précédents titres de scénario qui insistaient sur la forme prise par l’État
social, celui-ci met l’emphase sur un aspect plus fondamental : l’émergence d’un nouveau con-
trat social-environnemental. En effet, ce qui différencie ce troisième scénario est une refonte
complète du projet de société. Celui-ci est remis en cohérence pour satisfaire à des objectifs de
justice sociale et environnementale dans la transition économique, sociale et politique induite
par les multiples crises écologiques qui vulnérabilisent l’humanité. Un véritable changement de
paradigme tant au niveau économique (« post-croissance ») que politique (« sécurité sociale-
écologique ») anime la dynamique de ce scénario.
• La place des enfants dans ce nouveau projet de société est tout aussi centrale que dans les deux
précédents, mais pour des motifs très différents. Les enfants demeurent conçus comme un
groupe d’êtres vulnérables, mais au même titre que le reste de la société, qui est fragilisée par
la multiplication des crises écologiques. Dans ce scénario, on imagine, dans cette idée, que la
Sécurité sociale est rebâtie autour de ce principe de vulnérabilité pour à la fois prévenir et pro-
téger les personnes et leurs activités contre des risques sociaux-écologiques. Par leur logique
préventive, les politiques sociales visent à permettre aux publics d’acquérir les compétences et
capacités (« encapacitation ») nécessaires à faire face à l’intensification de ces crises.
• Le visage de la Wallonie s’en voit transformé : son territoire est complètement réorganisé par les
nouvelles logiques politiques, sociales et économiques mises en place. La dé-globalisation des
activités économiques suppose la relocalisation de nombreuses activités, notamment en ma-
tière alimentaire. Les chaînes de valeurs se raccourcissent drastiquement. Le territoire est réor-
ganisé autour de bassins de vie qui permettent à l’ensemble de la population d’accéder aux
biens et services fondamentaux (conçus comme des « communs » inaliénables, protégés et par-
tagés) grâce à des moyens de déplacement peu énergivores et de participer de façon active à
la vie politique, économique et sociale locale, menant à un renforcement des solidarités.

3.3.2. Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 3


La composante climat et démographie se caractérise, comme dans les scénarios précédents, par
une situation climatique très tendue, calquée sur le scénario « business as usual » du GIEC 161 : le
réchauffement climatique à l’horizon 2050 atteint les +3°C à l’échelle planétaire.

161
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese

192 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Un tel niveau de réchauffement suppose des transformations majeures du climat de l’ensemble de
la planète : les zones tropicales deviennent quasiment inhabitables et les climats tempérés de l’hé-
misphère nord comme celui de l’Europe connaissent d’importantes transformations, marquées par
des sécheresses, inondations et vagues de chaleur intenses, fréquentes et longues.

La Belgique, comme les autres pays européens, connaît un réchauffement de sa température


moyenne annuelle de plus de 3°C. Son climat est radicalement transformé par rapport à celui qu’elle
a connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, printemps secs (sécheresses ré-
pétitives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de chaleur.

Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.

La situation climatique mondiale a d’importantes répercussions sur le phénomène migratoire : les


migrations climatiques prennent de l’ampleur, à la fois en raison de l’inhabitabilité de certaines ré-
gions du globe et du développement de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles.

Dans ce scénario, la question migratoire est traitée d’une façon proche du scénario précédent : les
flux migratoires demeurent contrôlés, mais les pays européens sont davantage ouverts à l’accueil
des personnes quittant des zones touchées par les effets des changements climatiques et environ-
nementaux. Une politique d’intégration des personnes issues de pays extérieurs à l’Union euro-
péenne est mise en place.

La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, à la différence des
deux précédents, une augmentation de la taille des ménages.

Dans ce scénario, ce vieillissement pèse également de façon importante sur les finances publiques
en raison de la réduction de l’assiette fiscale et de la pression qu’il exerce sur le système de santé,
les populations plus âgées étant davantage exposées aux effets des changements climatiques et
environnementaux. Il est, par contre compensé, comme dans le scénario 2, par des évolutions no-
tables des composantes « modèle économique » et « forme d’État social », pour des raisons, néan-
moins, tout à fait différentes : d’une part, le système de santé et, globalement, le bien-être des po-
pulations constituent le cœur de la logique économique ; d’autre part, le système de financement
de la Sécurité sociale bénéficie d’une fiscalité favorable au système redistributif ainsi que de nou-
velles formes d’organisations sociales et de solidarités qui prémunissent davantage contre les effets
des changements climatiques et environnementaux. On notera, par ailleurs, que nous envisageons,
dans ce scénario, une reprise limitée de la natalité, qui compense légèrement le vieillissement. Ce
phénomène est conçu comme la conséquence d’une transformation des paradigmes économiques
et politiques qui priorisent la qualité de vie et la prévention des risques sociaux et écologiques.

Par ailleurs, l’augmentation (relative) de la taille des ménages imaginée, de façon spécifique, pour ce
scénario, correspond à une transformation de leur structure engendrée par de nouveaux phéno-
mènes de cohabitation, comme les habitats groupés et intergénérationnels.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 193


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 28 : Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 3

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 3


Monde à +3°C : sécheresses, inondations, vagues de chaleur in-
tenses, fréquentes et longues sur l’ensemble de la planète.
Zones tropicales devenues peu habitables.
Perte de biodiversité massive : zoonoses, nouveaux risques sa-
nitaires, dégradation des écosystèmes.
Changements cli- En Belgique, le réchauffement s’opère plus rapidement qu’au
matiques et envi- motrice niveau planétaire et dépasse les +3°C. Cela se manifeste par
ronnementaux des hivers peu froids et humides, des étés plus chauds et très
humides, des printemps secs. L’impact de l’augmentation de la
fréquence et de l’intensité des précipitations génère d’impor-
tantes inondations. Les canicules estivales deviennent régu-
lières (au moins une par an). Les sécheresses deviennent très
fréquentes.
Flux migratoires motrice Politique d’intégration des populations extra-UE.
Augmentation relative de la taille des ménages.
Structure des mé-
régulation Hétérogénéité (habitats groupés, solidarité intergénération-
nages
nelle…)
Structure par âge Vieillissement de la population
régulation
de la population (Timide) retour de la natalité

3.3.3. Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 3


La composante « modèle économique » s’organise autour de la variable motrice « paradigme éco-
nomique ». Dans ce scénario, de façon similaire au précédent, l’État joue un rôle important dans le
fonctionnement de l’économie. Ce rôle n’est, toutefois, pas équivalent et les causes de cette place
privilégiée des pouvoirs publics dans le fonctionnement de l’économie sont, également, très diffé-
rentes.

Ce scénario est orienté par le paradigme économique de la « post-croissance ». Le terme de « post-


croissance » renvoie à une conception de l’économie dont l’objectif n’est plus l’accumulation de ri-
chesse par la croissance continue, mais le développement d’un bien-être conjoint des humains et
des non-humains (c’est-à-dire, les organismes vivants et les biotopes non humains peuplant égale-
ment la biosphère terrestre), respectueux des limites planétaires. Ce paradigme économique sup-
pose une réorganisation et une réorientation de l’économie par un changement de priorités qui ont
des répercussions en chaîne sur la façon dont est conçu le fonctionnement économique, social et
politique.

Au niveau économique, ce paradigme suppose un engagement dans une transition sociale-écolo-


gique garante de justice (entre êtres humains, entre générations, entre humains et non humains,
entre populations du globe exposées très diversement aux effets du réchauffement climatique). Le
rôle de l’État est important, pour cette raison, il doit faciliter le fonctionnement de l’économie pour
qu’elle puisse s’inscrire dans une orientation globale vers une durabilité forte 162. Ce rôle de facilitateur

162
Les travaux d’économie écologique (Fransolet et Vanhille, 2023 ; Laurent, 2011) distinguent la « durabilité forte » de la « du-
rabilité faible ». La « durabilité faible » est héritée du rapport Brundtland (1987) : elle suppose une recherche d’équilibre entre
le capital économique, le capital social et le capital écologique (les « trois piliers du développement durable »). Cela suppose
que leurs états respectifs sont pensés d’une façon tout à fait symétrique : par exemple, une dégradation de l’environnement
par la croissance économique compensée par une amélioration de la situation sociale peut déboucher sur un équilibre entre
les trois capitaux et peut donc, dans cette perspective, être considérée comme « durable » (c’est l’optique privilégiée dans le
scénario 2). À l’inverse, la « durabilité forte » ne traite pas de façon symétrique les trois capitaux : d’une part, elle les considère
comme « encastrés » les uns dans les autres et fortement interdépendants et, d’autre part, elle considère le capital écologique

194 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
suppose que l’État fournisse, durant la phase de « transition », les moyens nécessaires aux acteurs
de l’économie pour s’y inscrire pleinement. Cela peut passer par des incitations permettant à toutes
et tous un accès effectif aux alternatives durables, des accompagnements à sortir des activités non
soutenables (exnovation), voire, dans certains cas, par des réglementations strictes et des pénalisa-
tions.

En outre, le découplage de l’économie et de la croissance suppose une réorganisation des activités


autour des droits fondamentaux : des indicateurs comme ceux d’accès aux droits fondamentaux ou
« de pleine santé » 163 deviennent les boussoles de l’activité économique (et non plus la croissance
du PIB comme dans les deux scénarios précédents, ainsi que dans le suivant). Cette réorganisation
passe également par la mise en place de « communs » : de nombreux biens et services de première
nécessité deviennent des ressources communes protégées, inaliénables et partagées.

La place des technologies s’avère, en conséquence, très différente de celle observée dans les autres
scénarios. À l’abandon de l’horizon de la croissance et de l’accumulation de richesses correspond un
abandon des croyances « techno-optimistes ». Les technologies n’en occupent pas pour autant une
place négligeable : les changements technologiques demeurent conçus comme des leviers impor-
tants de transition, mais dans un cadre conceptuel très différent. En effet, d’une part, les technologies
et l’innovation technologique ne sont pas conçues comme leviers uniques de la transition écolo-
gique, elles accompagnent avant tout d’importantes transformations dans les pratiques de l’en-
semble de la population et des acteurs économiques (il s’agit donc de moyens plutôt que de fins).
D’autre part, les technologies sont envisagées au prisme de la « satiété » : celle-ci suppose un emploi
bien dimensionné, c’est-à-dire adapté aux usages réels et non projetés ou imaginés et aux res-
sources planétaires limitées. Par conséquent, le rôle de facilitateur de l’État est également important
pour garantir ce dimensionnement des technologies par leurs producteurs.

Cette transformation radicale du modèle économique se répercute sur la situation économique de


la Wallonie. En effet, dans ce modèle s’opère une « dé-globalisation » : la satiété dans la consom-
mation de biens et de services et la mise en adéquation de l’activité économique avec les limites
planétaires réduisent sensiblement l’échelle de l’activité économique. Les activités productives re-
pensées et réorganisées dans une logique de post-croissance se rapprochent des consommateurs,
la taille des unités de production se réduit, les chaînes de valeur se raccourcissent drastiquement.
De ce fait, de nombreuses activités économiques se relocalisent en Europe et, bien entendu, en
Wallonie. Le territoire wallon tend, dans ce contexte, à se réorganiser : les activités économiques se
distribuent et se répartissent de façon plus égalitaire sur le territoire à proximité de bassins pertinents
pour le bien-être des populations (et non plus pour la rentabilité économique de l’activité). Cette
dynamique est également facilitée par la diffusion du modèle de cogestion au sein des entreprises
ainsi que du modèle de la coopérative.

Ces évolutions génèrent une augmentation du taux d’emploi, une amélioration de la qualité des em-
plois, le développement de l’emploi local et une valorisation économique des activités des popula-
tions bénéfiques au bien commun, même si elles s’organisent en dehors du cadre économique et
légal traditionnel du travail.

Les revenus moyens et médians augmentent, les écarts entre revenus diminuent.

comme vital aux sociétés humaines en le dotant de limites critiques (les « limites planétaires ») qui ne sont nullement com-
pensables : une fois ces limites atteintes, c’est l’ensemble du système qui est menacé, indépendant des « compensations »
qui peuvent être mises en place en matière sociale par exemple.
163
Voir Bauler et al., 2021 : https://www.iweps.be/publication/la-transition-juste-en-europe-mesurer-pour-evoluer/

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 195


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 29 : Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 3

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 3


Réorientation vers la transition sociale-écologique et une éco-
nomie « post-croissance » centrée sur la justice sociale-écolo-
gique et le bien-être des populations :
- L’État joue un rôle de facilitateur ou de partenaire (im-
pulsions et incitations fortes), voire de régulateur (péna-
lités, réglementations) ;
- Priorité absolue à l’accès aux droits fondamentaux (indi-
Paradigme écono- cateurs alternatifs au PIB : ISADF, indicateurs de
motrice « pleine santé »…) et au « bien-être » ;
mique
- Activité économique organisée dans les limites des
ressources planétaires ;
- Objectif de soutenabilité de l’économie : économie cir-
culaire et « exnovation » (politique d’accompagnement
à la sortie des activités non soutenables) ;
- Émergence de « communs » : de nombreux biens et
services de première nécessité deviennent des res-
sources communes et partagées.
« Satiété technologique » : technologies bien dimensionnées,
basées sur les besoins et le partage dans un contexte de rareté
Place des technolo- croissante des ressources. Les technologies sont un moyen
régulation
gies utile aux sociétés humaines pour faire face aux défis des chan-
gements climatiques et environnementaux, mais ne constituent
pas une fin en soi : la régulation des pouvoirs publics est forte.
Relocalisation de l’activité économique en Europe et en Wallo-
nie, réindustrialisation partielle, chaînes de valeur plus courtes.
Situation écono- Entreprises de plus petite taille.
mique de la Wallo- relais Réorganisation autour de nouvelles unités territoriales.
nie Diffusion du modèle de cogestion dans les entreprises : les
employés participent directement à la définition des orienta-
tions et stratégies de leur employeur.
Augmentation du taux d’emploi, des emplois de qualité et de
Structure d’activité
régulation l’activité au sens large.
de la population
Emplois locaux.
Revenu des mé- Augmentation du revenu médian et moyen.
relais
nages Réduction de l’écart entre les revenus.

3.3.4. Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 3


L’évolution du modèle économique vers une « économie du bien-être » s’accompagne d’une trans-
formation majeure de l’État social : il se réorganise autour d’une « sécurité sociale-écologique ».
Celle-ci absorbe une série de compétences et d’activités actuellement organisées dans le cadre de
politiques environnementales, agricoles ou énergétiques ainsi que dans la gestion des risques. Une
telle extension suppose la création d’une nouvelle branche dédiée à la couverture du risque de
« vulnérabilité » engendré par les problèmes écologiques (changements climatiques et environne-
mentaux, perte de biodiversité, pollutions…). Cette branche pourrait, d’après un récent rapport du
Sénat français dédié à la thématique 164, s’organiser autour de huit missions principales :

• le remboursement aux autres branches des dépenses effectuées pour des risques liés aux
changements climatiques et environnementaux ;
• le financement des dépenses de prévention des risques naturels ;

164
Rédigé par la sénatrice Mélanie Vogel et déposé le 30 mars 2022 : https://www.senat.fr/rap/r21-594/r21-594.html

196 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• l’intervention publique en matière d’assurance récolte ;
• la couverture des risques environnementaux devenus inassurables par les organismes pri-
vés ;
• la compensation des conséquences du changement climatique sur les revenus des mé-
nages les moins aisés ;
• la prise en charge de dépenses de transition énergétique ;
• le financement de l’accompagnement des mutations professionnelles imposées par la tran-
sition et du droit à une alimentation saine et durable.

Cette forme d’État social intègre à la fois des politiques sociales préventives qui visent à permettre
un accès aux droits fondamentaux à l’ensemble des citoyens et, ainsi, viser à les prémunir contre les
risques et les détériorations auxquels ils pourraient être exposés par les effets des problèmes éco-
logiques. Il intègre également une optique de protection en garantissant l’assurance des risques gé-
nérés par les chocs écologiques : risques sanitaires, naturels et environnementaux, de santé, de re-
venus, énergétiques, alimentaires ainsi qu’en matière professionnelle (réorientations des travailleurs
issus de secteurs exnovés).

Ce système de sécurité sociale-écologique se fonde donc sur des politiques redistributives à la por-
tée amplifiée. Il s’accompagne, en outre, d’un renforcement des services sociaux et environnemen-
taux mis en place par les pouvoirs publics. Cela se traduit notamment, dans une logique de facilita-
tion, par la reconnaissance financière des activités dédiées au bien commun ainsi que par le renfor-
cement des capacités politiques des citoyens (compétences leur permettant de participer de façon
effective aux décisions qui les concernent).

Dans ce scénario, les dépenses publiques de soutien et de facilitation de la transition sociale-écolo-


gique s’avèrent particulièrement élevées. Le budget de l’État est pourtant à l’équilibre. Il bénéficie de
soutiens économiques européens et d’une transformation de la fiscalité qui taxe davantage la ri-
chesse et, de façon particulièrement importante, les externalités négatives des activités écono-
miques. En outre, les dépenses de l’État sont fortement allégées par les économies réalisées en
matière de santé grâce aux effets bénéfiques des politiques de prévention sur la santé de la popu-
lation. Elles bénéficient également de l’abandon des subsides aux énergies fossiles qui représen-
taient en 2022 13 milliards d’euros, soit 2,3 % du PIB. Enfin, la relocalisation de l’activité économique
sur le territoire wallon et l’augmentation du revenu moyen et médian assurent une croissance des
recettes fiscales par l’impôt des sociétés et sur les revenus professionnels.

Cette situation de la Wallonie bénéficie de la septième réforme de l’État belge qui accroît fortement
l’autonomie régionale, notamment en matière de sécurité sociale et de fiscalité. La Wallonie est re-
lativement libre pour mener des politiques qui correspondent aux orientations choisies par ses insti-
tutions politiques.

Les institutions bénéficient d’une confiance accrue : le système politique a évolué vers la participa-
tion active de l’ensemble de la population ainsi que des acteurs administratifs, économiques et as-
sociatifs, ce qui facilite la mise en place, la légitimité et l’équité des orientations choisies.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 197


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 30 : Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 3

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 3


Septième réforme de l’État : accentuation de la régionalisa-
tion/communautarisation des compétences fédérales.
Structure de l’État relais
Régionalisation accrue de la Sécurité sociale : autonomie régio-
nale très élevée.
Renforcement de la participation politique (légitimation des poli-
Système politique relais
tiques).
Sécurité sociale-écologique.
Priorité à l’accès aux droits fondamentaux.
Politiques redistributives amplifiées.
Paradigme d’action Renforcement des services sociaux et environnementaux.
relais
publique Renforcement de la capacité économique de chacun à contri-
buer à l’activité.
Renforcement de la capacité politique de chacun (« encapacita-
tion »).
Budget à l’équilibre, malgré l’augmentation des dépenses.
Augmentation des recettes (taxation des richesses ; taxation des
Budget (finances externalités négatives de l’économie ; abandon des subsides aux
relais
publiques) énergies fossiles ; réduction des dépenses de sécurité sociale is-
sues des effets bénéfiques des politiques préventives en matière
de santé).

3.3.5. Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 3


Le modèle socioculturel est marqué par une évolution dans la norme sociale de la famille nucléaire,
une conception de l’enfant comme être à protéger et à encapaciter, et une conception de la pau-
vreté comme un enjeu collectif.

La famille nucléaire demeure un modèle culturel de référence, mais son statut de norme sociale
tend à s’estomper, laissant davantage de place dans l’imaginaire collectif à une diversification et à
une transformation des modèles familiaux. Aussi, l’accompagnement des familles tient-il pleinement
compte de leur situation spécifique : un équilibre est recherché entre la situation de la famille et
l’intérêt de l’enfant pour que celui-ci puisse développer ses capacités.

Les composantes « modèle économique » et « forme d’État social » génèrent une transformation
importante dans la conception de l’enfance, qui reste marquée par « l’enfant onusien », mais s’en
éloigne substantiellement. En effet, l’intégration des risques climatiques au modèle économique et
à l’État social suppose une reconnaissance de la vulnérabilité de l’ensemble de la société et non
uniquement de groupes particuliers. Aussi, les enfants demeurent conçus, dans l’esprit onusien,
comme un groupe à part à protéger et à encapaciter, mais au même titre que d’autres groupes vul-
nérables, devenus nombreux face aux risques climatiques. Par ailleurs, l’enfant est conçu comme un
membre à part entière de la société : il prend une part active aux transformations que provoque la
transition sociale-écologique. À ce titre, il bénéficie, comme le reste de la société, d’une encapacita-
tion destinée à lui permettre d’acquérir les compétences nécessaires pour pleinement vivre dans un
monde en transformation.

Cette dynamique propre au modèle socioculturel et ses liens avec celles des autres composantes
du système supposent une conception de la pauvreté très différente de celle rencontrée dans les
autres scénarios. Le modèle sociétal fondé sur la vulnérabilité collective, sur la protection de toutes
et tous et sur des logiques d’encapacitation individuelles fait de la pauvreté un risque collectif qu’il
est nécessaire de combattre.

198 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 31 : Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 3

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 3


La norme sociale de la famille nucléaire tend à s’estomper dans
le cadre d’une diversification et d’un éclatement des modèles fa-
miliaux.
Modèle familial régulation L’accompagnement des familles tient pleinement compte de
leur situation spécifique. Un équilibre est recherché entre la si-
tuation spécifique des parents et l’intérêt de l’enfant pour que
celui-ci puisse développer ses capacités.
Représentations et
La pauvreté devient un enjeu collectif et un phénomène à com-
stéréotypes relatifs régulation
battre.
à la pauvreté
Dans un monde marqué par les crises et les ruptures, les enfants
demeurent conçus comme un groupe à part à protéger et à en-
Système de valeurs capaciter, à l’instar d’autres groupes vulnérables.
(place de l’enfant régulation
dans la société) Dans ce contexte, l’enfant est conçu comme un membre à part
entière de la société qui prend une part active dans la transfor-
mation sociale.

3.3.6. Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 3


Ce contexte d’ensemble structure une société très inclusive qui permet un renforcement important
de la cohésion sociale. Face aux multiples vulnérabilités générées par les effets du changement
climatique, l’éradication de la pauvreté devient un projet collectif.

Ce scénario suppose donc une forte réduction des inégalités par une tendance à l’égalisation des
conditions de vie issue du nivellement des extrêmes (richesses et pauvreté) généré par le modèle
économique et la forme d’État social qui structurent la dynamique de ce scénario.

Les inégalités de santé se réduisent fortement : l’accès aux soins de santé est garanti pour toute la
population et sur tout le territoire, celui-ci bénéficiant d’une meilleure cohésion issue de la relocali-
sation des activités économiques et des services collectifs.

Par ailleurs, malgré les effets importants des changements climatiques et environnementaux, l’en-
capacitation des citoyens, les solidarités locales et le rôle facilitateur de l’État permettent d’atténuer
fortement les vulnérabilités et de réduire en conséquence les inégalités environnementales.

Les enfants bénéficient d’une protection spécifique en tant que groupe vulnérable : l’école constitue
un lieu central d’encapacitation qui permet de réduire les inégalités.

Les technologies sont maîtrisées et bien dimensionnées : elles sont utilisées sur la base d’un triple
principe de précaution, de nécessité et de partage. De ce fait, elles demeurent très largement ac-
cessibles.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 199


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 32 : Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 3

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 3


Renforcement de la cohésion sociale.
Segmentation territoriale accrue, de pair avec la relocalisation de
Cohésion sociale résultat
l’activité économique et des services collectifs.
Éradication de la pauvreté comme grand projet collectif.
Réduction des inégalités.
Inégalités sociales résultat Tendance à l’égalisation des conditions de vie : nivellement des
extrêmes (richesse et pauvreté).
Les inégalités de santé sont très faibles, l’accès aux soins de
Inégalités de santé résultat santé est garanti pour toute la population et sur l’ensemble du
territoire.
Malgré les effets importants des changements climatiques et
Inégalités environ- environnementaux, l’encapacitation des citoyens, les solidarités
résultat
nementales locales et le rôle facilitateur de l’État permettent d’atténuer forte-
ment ce type d’inégalités.
Priorité à la réduction des inégalités scolaires.
Inégalités scolaires résultat
Objectif : augmentation des capacités des élèves.
Les technologies sont maîtrisées et bien dimensionnées ; elles
Inégalités technolo- sont utilisées sur la base d’un triple principe de précaution, de
résultat
giques nécessité et de partage, elles demeurent très largement acces-
sibles.

3.3.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 3
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.

Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par trois éléments, très semblables à ceux du scénario 2, mais avec quelques
nuances, en particulier concernant la conception des droits de l’enfant :

• L’investissement massif dans les structures d’accueil : accueil gratuit et inconditionnel dès le
plus jeune âge et pour tous les enfants, accessibilité géographique, simplification adminis-
trative, revalorisation des métiers de l’accueil, cohérence avec la politique scolaire ; dévelop-
pement de l’accueil extrascolaire à l’échelle des bassins de vie.
• Une logique de prévention : l’Aide à la jeunesse est prioritaire ; soutien important à la préven-
tion et à l’accompagnement des familles par des logiques transversales et intersectorielles.
• Un renforcement des droits de l’enfant : l’enfant, en raison de ses vulnérabilités face aux
risques climatiques, est au centre de nombreuses politiques ; soutiens financiers importants
aux acteurs (par exemple, Délégué général aux droits de l’enfant) et aux projets qui permet-
tent de le protéger et de l’encapaciter pour jouer pleinement son rôle dans la société, no-
tamment par une plus grande participation politique.

Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par trois éléments :

• Une éducation capacitaire : la politique scolaire est au cœur de l’action publique, elle béné-
ficie d’un refinancement structurel et massif ; ses missions se centrent sur l’apprentissage

200 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
des compétences et des enjeux de la transition ; elle accueille l’enfant de façon obligatoire
dès 3 ans ; l’école devient le point central des politiques de l’enfance (accueil étendu aux
activités extrascolaires) ; les contenus d’apprentissage sont étendus à la participation et à la
citoyenneté ; logique de transversalités fortes entre les politiques scolaire, de santé et de
mobilité : l’école est un acteur important de prévention (alimentation, exposition aux écrans)
et d’encapacitation.
• Une sécurité sociale-écologique : la lutte contre la pauvreté est au cœur de l’action de l’État
social ; la sécurité sociale-écologique généralise la vulnérabilité à l’ensemble de la popula-
tion ; les risques sociaux et écologiques sont intégrés au sein d’une seule institution de sé-
curité sociale-écologique et bénéficient de modalités de financement communes ; univer-
salisme de la protection accentué ; participation forte de tous les publics concernés.
• Une territorialisation forte : les soins de santé et la politique scolaire sont réorganisés autour
de l’accessibilité géographique (bassins de vie) ; des acteurs de prévention sociale-écolo-
gique sont présents sur l’ensemble du territoire pour accompagner les personnes et les ac-
teurs face à leurs vulnérabilités.

Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par deux éléments :
• Le droit au logement est une priorité politique : l’offre de logement s’améliore substantielle-
ment (accessibilité géographique et financière, performance énergétique, réaffectation de
bâtiments publics…) ; les logements sociaux sont adaptés à la taille des ménages ; les transi-
tions de vie sont accompagnées (ex. accès au logement pour les mineurs émancipés et ma-
jeurs en difficulté) ; le marché locatif est régulé ; les propriétaires sont soutenus pour la réno-
vation énergétique et la mise à disposition de biens.
• L’État (se) donne les moyens financiers de ses ambitions : allocation universelle conçue
comme un salaire d’activité (extension du revenu minimum inconditionnel) ; globalisation des
revenus (travail et patrimoine) et révision des tranches d’imposition, guidée par un principe
de justice fiscale ; moyens renforcés de lutte contre l’évasion fiscale ; augmentation du taux
marginal sur les successions, mais diminution pour les patrimoines modestes.

Tableau 33 : Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 3

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 3


Priorité politique : refinancement massif.
Accueil gratuit et inconditionnel pour tous les enfants.
Offre étendue, variée, simplifiée et accessible (répartition géo-
graphique).
Politique d’accueil
réponse Développement de l’accueil extrascolaire : augmentation de
de l’enfance
l’offre d’activités (notamment de loisir, culturelles et sportives), à
l’échelle des bassins de vie.
Revalorisation des statuts des métiers de l’accueil.
Cohérence avec les politiques scolaires.
La prévention s’étend au partenariat avec les parents et milieux
Politique de l’Aide à d’accueil et à la participation des enfants.
la jeunesse et de Maintien du lien parents-enfant, même en cas de placement. La
réponse
protection de la confiance est au centre des dispositifs.
jeunesse Refinancement structurel des services.
Renforcement (en qualité et quantité) des effectifs.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 201


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Soutien à la parentalité et maintien du lien parents-enfant, même
Politique de soutien
réponse pour les enfants en familles d’accueil.
à la parentalité
Le droit de l’enfant prime, et le parent reste au centre.
Priorité absolue d’action publique : refinancement structurel
massif.
Renforcement des apprentissages et des compétences pour les
enjeux de la transition.
Obligation scolaire dès 3 ans.
Politique scolaire réponse École comme point central des politiques de l’enfance : accueil
étendu (activités extrascolaires), citoyenneté, participation (éten-
due aux contenus d’apprentissage).
Sensibilisation aux enjeux de pauvreté, formation continue du
personnel.
Participation et soutien aux parents.
Augmentation du financement, extension des missions et des
compétences du DGDE ; avis rendu obligatoire.
Politique des droits La promotion des droits de l’enfant devient un axe transversal de
réponse
de l’enfant toutes les politiques publiques.
Participation des enfants à la décision politique et à l’évaluation
des politiques (inclusivité, mixité et hétérogénéité).
Enjeu social prioritaire.
Lutte contre la pauvreté étendue à la promotion de l’accès aux
Politique de lutte
réponse droits fondamentaux.
contre la pauvreté
La promotion des droits de l’enfant oriente et reconfigure la poli-
tique de lutte contre la pauvreté.
Changement de paradigme : le système n’est plus basé sur le
travail et l’emploi.
Développement d’une sécurité sociale-écologique, centrée sur
Régime de sécurité
les capacités des personnes et pensée au départ des enfants.
sociale (y compris
réponse Nouveau « contrat social-environnemental ».
les allocations fami-
Participation de tous les publics concernés.
liales)
Soutien aux transitions de vie (ex. allocataires étudiants-bour-
siers).
Accessibilité de plus en plus étendue.
Réorganisation des soins de santé sur la notion d’accessibilité
(bassins de vie) et de gratuité.
Politique de promo- Prévention assurée par des antennes locales (type maisons mé-
réponse
tion de la santé dicales).
Transversalités avec la politique scolaire (alimentation, exposition
aux écrans…) et la politique de mobilité.
Droit au logement effectif.
Augmentation et amélioration de l’offre de logements (accessibi-
lité géographique et financière, performance énergétique).
Politique du loge- Logement social adapté à la taille du ménage.
réponse
ment Soutien aux transitions de vie (ex. accès au premier logement, lo-
gements intergénérationnels…).
Régulation du marché locatif (sanctions, réquisitions) et soutien
aux propriétaires (rénovation, mise à disposition de biens).
Allocation universelle conçue comme un salaire d’activité (exten-
sion du revenu minimum inconditionnel).
Globalisation des revenus (travail et patrimoine) et révision des
tranches d’imposition, guidée par un principe de justice fiscale.
Politique fiscale réponse
Augmentation du taux marginal sur les successions, mais dimi-
nution pour les patrimoines modestes.
Moyens renforcés de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale :
peines alourdies.

202 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.3.8. Le scénario global et sa représentation
Comme indiqué précédemment, les scénarios proposés sont le produit, dans la méthode utilisée,
d’un emboîtement des micro-scénarios imaginés pour les différentes composantes.

Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 3, nous proposons, comme nous
l’avons fait pour les deux scénarios précédents, une présentation du scénario global à travers deux
figures qui permettent d’en visualiser la dynamique d’ensemble : les figures 19 et 20.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 203


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 19 : Scénario 3 – Ruptures et dynamique temporelle de contexte

204 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 20 : Scénario 3 – Dynamique temporelle de la composante action publique

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 205


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3.4. SCÉNARIO 4 (TENDANCIEL) – UN ÉTAT SOCIAL ACTIF RENFORCE : LA
QUÊTE D’UNE « BONNE ENFANCE » DANS UNE WALLONIE FRAGMENTÉE
3.4.1. Pourquoi ce titre ?
Le titre de ce scénario évoque trois dimensions :

• Le renforcement de l’État social actif : depuis l’émergence de l’État social actif au début des an-
nées 2000, on a pu observer un renforcement progressivement de la conditionnalité des droits
et des aides sociales, en particulier dans la seconde moitié des années 2010, à la suite d’impor-
tantes réductions dans les dépenses sociales. Dans ce scénario, nous inscrivons l’évolution de
l’État social dans cette tendance.
• La place de l’enfant demeure prioritaire dans ce scénario, comme dans les trois autres. Les rai-
sons de cette mise à l’avant-plan de l’enfance dans le fonctionnement social et les modalités de
mises en œuvre s’approchent à bien des égards du scénario 1. Nous poursuivons la tendance
observée dans le deuxième chapitre de l’étude de « montée en puissance » conjointe d’une con-
ception « onusienne » de l’enfance et d’une priorisation du public des enfants dans la lutte contre
la pauvreté. La notion de « bonne enfance » traduit cette évolution.
• La conjonction du renforcement de l’État social actif et d’une focalisation sur le public des enfants
(ainsi que sur d’autres publics cibles prioritaires) en matière de lutte contre la pauvreté et de
politiques sociales conduit à une fragmentation sociale importante : certains publics se voient
davantage protégés que d’autres faces aux crises qui se multiplient en raison des effets des
changements climatiques et environnementaux. En outre, cette fragmentation est aussi territo-
riale et économique : la Wallonie poursuit la tendance à la tertiarisation de son économie, ce qui
la fragilise face aux crises, réduit la diversité d’offre sur le marché de l’emploi et génère d’impor-
tantes disparités territoriales.

3.4.2. Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 4


La composante climat et démographie se caractérise, comme dans les scénarios précédents, par
une situation climatique très tendue, calquée sur le scénario « business as usual » du GIEC 165 : le
réchauffement climatique à l’horizon 2050 atteint les +3°C à l’échelle planétaire.
Un tel niveau de réchauffement suppose des transformations majeures du climat de l’ensemble de
la planète : les zones tropicales deviennent quasiment inhabitables et les climats tempérés de l’hé-
misphère nord comme celui de l’Europe connaissent d’importantes transformations, marquées par
des sécheresses, inondations et vagues de chaleur intenses, fréquentes et longues.
La Belgique, comme les autres pays européens, connaît un réchauffement de sa température
moyenne annuelle de plus de 3°C. Son climat est radicalement transformé par rapport à celui qu’elle

165
Les travaux les plus récents du GIEC/IPCC ont été publiés dans le « Sixth Assessment Report, Climate Change 2022: Im-
pacts, Adaptation and Vulnerability » en février 2022. Parmi les nombreux constats réalisés par le Groupe de Travail II, auteur
de cette partie du rapport, on relèvera : “Beyond 2040 and depending on the level of global warming, climate change will lead
to numerous risks to natural and human systems (high confidence). For 127 identified key risks, assessed mid- and long- term
impacts are up to multiple times higher than currently observed (high confidence). The magnitude and rate of climate change
and associated risks depend strongly on near-term mitigation and adaptation actions, and projected adverse impacts and
related losses and damages escalate with every increment of global warming (very high confidence). Climate change impacts
and risks are becoming increasingly complex and more difficult to manage. Multiple climate hazards will occur simultane-
ously, and multiple climatic and non-climatic risks will interact, resulting in compounding overall risk and risks cascading
across sectors and regions. Some responses to climate change result in new impacts and risks (high confidence). If global
warming transiently exceeds 1.5°C in the coming decades or later (overshoot), then many human and natural systems will face
additional severe risks, compared to remaining below 1.5°C (high confidence). Depending on the magnitude and duration of
overshoot, some impacts will cause release of additional greenhouse gases (medium confidence) and some will be irreversi-
ble, even if global warming is reduced (high confidence).” Voir : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/resources/spm-hea-
dline-statements/ Voir également la synthèse réalisée par le SPF Climat : https://climat.be/changements-clima-
tiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese

206 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
a connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, printemps secs (sécheresses ré-
pétitives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de chaleur.
Cette situation climatique se répercute sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodiver-
sité qui génèrent d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacent
la sécurité alimentaire.
La situation climatique mondiale a d’importantes répercussions sur le phénomène migratoire : les
migrations climatiques prennent de l’ampleur, à la fois en raison de l’inhabitabilité de certaines ré-
gions du globe et du développement de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles.
Dans ce scénario, la question migratoire est traitée d’une façon proche des scénarios 2 et 3 : les flux
migratoires demeurent contrôlés, mais les pays européens sont davantage ouverts à l’accueil des
personnes quittant des zones touchées par les effets des changements climatiques et environne-
mentaux. Une politique d’intégration des personnes issues de pays extérieurs à l’Union européenne
est mise en place.
Dans ce scénario, nous imaginons également un renforcement des migrations intra-européennes
causées par le réchauffement climatique, en particulier en raison de situations climatiques et éco-
nomiques tendues dans les pays de l’arc méditerranéen.
Dans la mesure où ce scénario se veut également tendanciel, nous intégrons un renforcement des
migrations intérieures à la Belgique de populations jeunes depuis Bruxelles vers la Wallonie en raison
d’une augmentation importante du coût du logement bruxellois.
La situation démographique de la population est marquée, dans ce scénario comme dans les trois
autres, par un vieillissement tendanciel de la population. Il présente, par ailleurs, comme les scéna-
rios 1 et 2, une réduction de la taille des ménages.
Tableau 34 : Évolution de la composante « Climat et démographie » dans le scénario 4

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 4


Monde à +3°C : sécheresses, inondations, vagues de chaleur in-
tenses, fréquentes et longues sur l’ensemble de la planète.
Zones tropicales devenues peu habitables.
Perte de biodiversité massive : zoonoses, nouveaux risques sani-
taires, dégradation des écosystèmes.
Changements clima-
tiques et environne- motrice En Belgique, le réchauffement s’opère plus rapidement qu’au ni-
mentaux veau planétaire et dépasse les +3°C. Cela se manifeste par des
hivers peu froids et humides, des étés plus chauds et très hu-
mides, des printemps secs. L’impact de l’augmentation de la fré-
quence et de l’intensité des précipitations génère d’importantes
inondations. Les canicules estivales deviennent régulières (au
moins une par an). Les sécheresses deviennent très fréquentes.
Migrations climatiques et de zones de conflits.
Migrations intra-européennes.
Flux migratoires motrice
Migrations intérieures depuis Bruxelles vers la Wallonie de popu-
lations jeunes.
Augmentation des ménages monoparentaux et isolés
Structure des mé-
régulation Nouvelles formes de cohabitations.
nages
Diversification des configurations familiales.
Structure par âge de Vieillissement de la population
régulation
la population et allongement de l’espérance de vie
Comme dans les trois autres scénarios, le vieillissement pèse lourdement sur les finances publiques
en raison de la réduction de l’assiette fiscale et de la pression qu’il exerce sur le système de santé,

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 207


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
les populations plus âgées étant davantage exposées aux effets des changements climatiques et
environnementaux.

Par ailleurs, la réduction de la taille des ménages correspond, comme dans les scénarios 1 et 2, à
l’accroissement des ménages monoparentaux, mais aussi des isolés. Dans ce scénario, nous imagi-
nons, également, de nouvelles formes de cohabitations et une diversification des configurations fa-
miliales qui tendent à limiter la rapidité et l’ampleur de ce phénomène de réduction de la taille des
ménages.

3.4.3. Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 4


Dans ce scénario, comme dans les trois précédents, la composante « modèle économique » s’orga-
nise autour de la variable « paradigme économique ». Celle-ci s’inscrit dans une vision de type néo-
keynésienne de l’économie, c’est-à-dire une économie qui demeure dominée par les logiques de
marché, mais où l’État intervient pour corriger les « imperfections » dans l’allocation des ressources,
qui ne peut être pleinement garantie par le marché seul. Le rôle de l’État y est double. D’une part, il
compense les effets des changements climatiques et environnementaux générés par l’économie de
marché en gérant les risques qu’ils engendrent et en garantissant la protection des publics vulné-
rables. D’autre part, il soutient les secteurs économiques qui s’inscrivent dans une optique de « crois-
sance verte » guidée par le Green Deal européen, notamment en matière énergétique, d’économie
circulaire, de santé ou de vieillissement. Cette approche doit permettre le développement d’une
croissance économique « durable » 166 et une augmentation corrélative du taux d’emploi.

Par ailleurs, ce paradigme suppose que la croissance économique est permise par le développe-
ment de l’innovation technologique (« technologies vertes ») ainsi que des services associés. Ce rôle
central des technologies appuie un certain techno-optimisme : grâce aux technologies « vertes » et
aux technologies « digitales », le fonctionnement de l’économie va pouvoir être optimisé (notam-
ment, par la décarbonation) et, ainsi, faire face aux enjeux des changements climatiques et environ-
nementaux.

Dans ce paradigme, les changements climatiques et environnementaux apparaissent donc davan-


tage comme des « défis » ou des « opportunités » pour l’essor de nouvelles activités économiques
porteuses de croissance.

Dans ce scénario, ce paradigme économique apparaît, néanmoins, déphasé de l’évolution réelle de


la situation économique de la Wallonie. En effet, on observe une baisse tendancielle de la croissance
économique, qui stagne sur le long terme, à environ 1 %, ceci, notamment, en raison d’effets très
limités des technologies sur les gains de productivité et sur leurs effets sur la mitigation des risques
climatiques. L’économie wallonne poursuit, en outre, la tertiarisation de son économie (et, en consé-
quence, sa désindustrialisation) qui se traduit, notamment, par une forte fragmentation des chaînes
de valeur. Par ailleurs, la Wallonie demeure fortement dépendante des investissements étrangers
pour son développement. Cette dynamique d’ensemble la rend très vulnérable aux effets écono-
miques des changements climatiques et environnementaux.

Cette situation économique difficile se traduit par un relèvement limité du taux d’emploi, tiré par une
participation croissante des femmes et des seniors au marché du travail, et un chômage structurel

166
Nous opposons ici volontairement le caractère « durable » de cette économie, au caractère « soutenable » de l’économie
déployée dans le scénario 3. La différence entre ces deux terminologies provient de la prise en compte des « limites plané-
taires » par l’économie « soutenable », qui suppose une remise en cause des objectifs de croissance économique, tandis que
le développement « durable » conserve une optique de croissance, mais suppose que le développement économique vise
à faire face aux changements climatiques et environnementaux et à leurs effets, notamment via l’innovation technologique.

208 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
autour de 7 % qui se maintient pendant plusieurs décennies. La croissance de la population active
demeure faible, en raison du vieillissement de la population.

Dans ce contexte, la croissance des salaires demeure modérée. Des écarts tendent à se creuser
entre les hauts revenus et les revenus de la classe moyenne inférieure. Les minimas sociaux sont en
augmentation. La baisse relative des revenus de certains ménages entraîne une baisse de niveau de
vie pour une partie de la population qui se précarise.

Tableau 35 : Évolution de la composante « Modèle économique » dans le scénario 4

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 4


Les grands objectifs de politique économique restent inchangés :
priorité à l’augmentation conjointe de la croissance et du taux
d’emploi.
Paradigme écono- La Wallonie s’inscrit dans le Green Deal européen : la transition
motrice
mique énergétique/climatique est vue comme un moyen d’assurer la
croissance du PIB.
Soutien au développement d’activités vues comme porteuses
d’enjeux (économie circulaire, énergie, santé, vieillissement).
Place des technolo- Techno-optimisme : priorité à l’innovation technologique et verte
régulation
gies comme vecteurs de croissance économique.
Baisse tendancielle de la croissance (autour de 1 % sur le LT).
Tertiarisation/ désindustrialisation, forte fragmentation des
chaînes de valeur.
Situation écono-
relais Dépendance aux investissements étrangers et aux marchés in-
mique de la Wallonie
ternationaux.
Essoufflement des retombées technologiques sur les gains de
productivité.
Croissance faible de la population active (liée au vieillissement
de la population).
Relèvement graduel et limité du taux d’emploi.
Structure d’activité
régulation Chômage structurel autour de 7 % entre 2028 et 2070 (projection
de la population
du Bureau fédéral du plan).
Participation croissante des femmes et des seniors au marché du
travail.
La croissance des salaires suit la croissance (1 %/an).
Augmentation des minimas sociaux.
Revenu des mé- Augmentation des hauts revenus.
relais
nages Affaiblissement des revenus de la classe moyenne inférieure.
Baisse du niveau de vie (accès de plus en plus limité à certains
biens et ressources).

3.4.4. Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 4


La forme prise par l’État social s’agence, en grande partie, autour de la variable « paradigme d’action
publique », variable relais-dépendante de l’état de la composante « modèle économique ». La situa-
tion économique tendue de la Wallonie, couplée à un modèle économique néo-keynésien, suppose
à la fois une limitation des ressources économiques de l’État et le maintien d’un rôle important dans
la correction des « imperfections de marchés », c’est-à-dire les conséquences environnementales,
sociales et sanitaires des logiques de croissance économique.

Dans ce scénario, qui se veut – répétons-le – tendanciel, l’État social est sous tension : il doit faire
plus (étendre le système de protection sociale aux risques sociaux-écologiques) avec moins (re-
cettes en diminution relative et capacités d’endettement limitées). De ce fait, comme dans le scéna-
rio 1, l’État doit réduire la voilure des politiques sociales et redistributives et renforcer la

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 209


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
conditionnalité des droits, les mécanismes d’« activation » et de contrôle. Le système assurantiel
(chômage, maladie, pension) tend à glisser vers un système assistanciel (RIS, GRAPA) qui se limite à
garantir un filet de sécurité aux populations les plus précarisées. De même, les politiques sociales
visent à toucher certains publics cibles jugés prioritaires (femmes, enfants, familles monoparentales,
seniors, jeunes). De façon congruente, afin de réduire ses dépenses sociales, l’État soutient la priva-
tisation de pans importants de la sécurité sociale.

Ce contexte économique et social tendu met le budget de l’État sous pression : il devient structurel-
lement déficitaire. Ce déficit est principalement dû aux effets conjoints du vieillissement de la popu-
lation et des effets de plus en plus intenses des changements climatiques et environnementaux
(crises sanitaires et énergétiques, inondations, pénuries alimentaires, pénuries en eau…).

En outre, la Wallonie est fragilisée par l’accentuation de la régionalisation et de la communautarisa-


tion des compétences en matière fiscale et de sécurité sociale qui réduisent fortement les effets des
mécanismes de péréquation.

La situation politique s’avère, par conséquent, également tendue : on observe une crise de confiance
majeure et structurelle envers les institutions et le personnel politique qui se traduit par une crois-
sance des partis populistes en Belgique et en Europe. Celle-ci demeure, néanmoins, contenue par
un consensus trans-partisan associant gauche et droite « modérées » autour d’une politique cen-
triste.

Tableau 36 : Évolution de la composante « Forme d’État social » dans le scénario 4

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 4


Septième réforme de l’État : accentuation de la régionalisa-
Structure de l’État relais tion/communautarisation des compétences fédérales.
Régionalisation accrue de la sécurité sociale
Crise de la confiance dans les institutions.
Part croissante des partis populistes en Belgique et en Europe.
Système politique relais
Maintien d’un consensus trans-partisan associant gauche et
droite « modérées » autour d’une politique centriste.
État social actif renforcé :
- Activation renforcée/conditionnalité accrue des droits
sociaux ;
Paradigme d’action - Glissement de l’assurance sociale (chômage, maladie,
relais pension) vers l’assistance sociale (RIS, GRAPA) ;
publique
- Privatisation croissante du régime assurantiel ;
- Politiques sociales limitées à des publics prioritaires :
femmes, enfants, familles monoparentales, seniors,
jeunes…
Budget structurellement déficitaire.
Budget (finances pu- Augmentation des recettes (globalisation des revenus), qui ne
relais
bliques) compense pas l’augmentation des dépenses (liées au vieillisse-
ment et aux effets du réchauffement climatique).

3.4.5. Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 4


Le modèle socioculturel est marqué par la famille nucléaire, une conception de l’enfance comme
groupe vulnérable à protéger, et une pauvreté « intégrée ».

La famille nucléaire demeure le modèle dominant, malgré la diversification et l’éclatement des mo-
dèles familiaux. L’accompagnement des familles, en particulier des familles monoparentales, tient

210 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
compte d’une certaine diversité, tout en conservant à l’avant-plan la protection de l’intérêt supérieur
de l’enfant pour qu’il puisse se développer et s’autonomiser.

La combinaison des composantes « modèle économique » et « forme d’État social » tend à renforcer
une conception « onusienne » de l’enfance. Les enfants sont conçus comme un groupe à part cons-
titué d’êtres vulnérables à protéger et à autonomiser. L’État veille à « l’intérêt supérieur de l’enfant »,
conçu comme un référentiel pour les professionnels de l’enfance. Quelle que soit leur situation per-
sonnelle, les parents sont contraints à mettre tout en œuvre pour préserver cet intérêt, au risque de
stigmatiser les familles (les plus précaires) qui n’y parviennent pas. Les enfants tendent à devenir un
public prioritaire à protéger dans un contexte de crises multiples (crise climatique, des finances pu-
bliques, sociale…).

Cette dynamique propre au modèle socioculturel et ses liens avec celles des autres composantes
du système supposent le développement d’une représentation de la pauvreté comme « intégrée » :
elle fait partie intégrante du fonctionnement socio-économique et ne peut définitivement plus être
éradiquée. Les stéréotypes négatifs à l’égard de la pauvreté tendent à se renforcer, ce qui soutient
le développement de logiques de stigmatisation et de contrôle social de ces populations.

Tableau 37 : Évolution de la composante « Modèle socioculturel » dans le scénario 4

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 4


La famille nucléaire demeure le modèle social de référence mal-
gré une diversification et un éclatement des modèles familiaux.
Modèle familial régulation L’accompagnement des familles, en particulier des familles mo-
noparentales, tient compte d’une certaine diversité, tout en con-
servant à l’avant-plan la protection de l’intérêt supérieur de l’en-
fant pour qu’il puisse développer son plein potentiel.
Passage d’une pauvreté disqualifiante à une pauvreté intégrée.
Représentations et
Renforcement des stéréotypes négatifs associés à la pauvreté
stéréotypes relatifs à régulation
(stigmatisation et contrôle social).
la pauvreté
Forte polarisation dans les représentations de la pauvreté.
Les enfants sont conçus comme un groupe à part constitué
d’êtres vulnérables à protéger et à autonomiser.
L’État veille à « l’intérêt supérieur de l’enfant », conçu comme un
Système de valeurs référentiel pour les professionnels de l’enfance. Quelle que soit
(place de l’enfant régulation leur situation personnelle, les parents sont contraints à mettre
dans la société) tout en œuvre pour préserver cet intérêt, au risque de stigmati-
ser les familles les plus précaires. Les enfants tendent à devenir
un public prioritaire à protéger dans un contexte de crises mul-
tiples (crise climatique, des finances publiques, sociale…).

3.4.6. Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 4


Ce contexte d’ensemble débouche sur une société qui connaît une accentuation des inégalités et
une dégradation corrélative de la cohésion sociale : le projet de société ne fait plus sens, l’individua-
lisme se renforce.

De façon générale, la croissance des inégalités est poussée par une augmentation des écarts de
patrimoine et de revenus. Certaines franges de la population, faisant l’objet d’une action prioritaire de
l’État, bénéficient d’une forme de stabilisation, grâce notamment à la revalorisation des pensions et
à la hausse des pensions des femmes. Cependant, d’autres se voient davantage confrontées au
risque de pauvreté, notamment les classes moyennes inférieures et les jeunes en raison de la perte
de pouvoir d’achat et de la stagnation du taux d’emploi.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 211


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Les inégalités de santé se creusent également. La privatisation partielle de la protection sociale gé-
nère un système de santé à l’accès dualisé et une qualité de soin dégradée pour les populations les
plus pauvres (peu de personnel soignant disponible, inégalités territoriales dans la couverture en
soins de santé…). La santé mentale et physique des populations pauvres et précarisées se dégrade
fortement.

Les inégalités environnementales s’accentuent en parallèle : les populations les plus pauvres souf-
frent davantage des conséquences du réchauffement climatique (sécheresses, inondations, vagues
de chaleur) tant au niveau économique que social et sanitaire.

Les inégalités scolaires suivent la courbe des inégalités sociales et augmentent : la Fédération Wal-
lonie-Bruxelles est définancée, le niveau d’enseignement se dégrade corrélativement.

La fracture numérique s’accroît en raison de la baisse du pouvoir d’achat et de l’omniprésence des


technologies dans les diverses sphères de la vie sociale, économique et politique.

Tableau 38 : Évolution de la composante « État des inégalités » dans le scénario 4

Variable Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 4


Dégradation de la cohésion sociale.
Cohésion sociale résultat Individualisation croissante.
Perte de sens du projet de société.
Croissances des inégalités de patrimoine.
Stabilisation du taux de pauvreté (revalorisation des pensions et
Inégalités sociales résultat hausse des pensions des femmes).
Augmentation du risque de pauvreté des jeunes (liée à la stagna-
tion du taux d’emploi).
Renforcement des inégalités de santé : la privatisation partielle
de la protection sociale génère un système de santé à l’accès
dualisé et une qualité de soin dégradée pour les populations les
Inégalités de santé résultat plus pauvres (peu de personnel soignant disponible, inégalités
territoriales dans la couverture en soins de santé…). La santé
mentale et physique des populations pauvres et précarisées se
dégrade.
Renforcement des inégalités environnementales : les popula-
Inégalités environne- tions les plus pauvres souffrent davantage des conséquences du
résultat
mentales réchauffement climatique (sécheresses, inondations, vagues de
chaleur) tant au niveau économique que social et sanitaire.
Inégalités scolaires renforcées.
Inégalités scolaires résultat Dégradation du niveau d’enseignement (liée au définancement
de la FWB).
Inégalités technolo- Aggravation de la fracture numérique
résultat
giques (liée à la baisse du pouvoir d’achat).

3.4.7. Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des en-
fants » dans le scénario 4
Cette composante s’organise autour de trois groupes de variables politiques dont l’évolution con-
jointe permet de saisir la dynamique à l’œuvre dans ce scénario.

Pour les politiques dédiées à l’enfance (« politique d’accueil de l’enfance », « politique de l’Aide à la
jeunesse et de protection de la jeunesse », « politique des droits de l’enfant »), la situation dans ce
scénario est marquée par deux éléments :

212 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• Une économie de pénurie : les infrastructures d’accueil présentent un taux de couverture
insuffisant et une pénurie de professionnels de l’enfance (y compris dans l’enseignement) ;
les politiques de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse font face à une impor-
tante pénurie de travailleurs sociaux, la qualité des services s’en ressent.
• Des enfants prioritaires et protégés : les familles sont « hyper-responsabilisées » vis-à-vis de
la situation de l’enfant, indépendamment des spécificités de leur situation, c’est l’intérêt su-
périeur de l’enfant qui prime ; les parents défaillants tendent à être stigmatisés ; les place-
ments en institution augmentent ; la relation des familles avec les institutions se « managé-
rialise » (contractualisation, logique de projet, supervision plutôt qu’accompagnement) ; le
référentiel « onusien » s’impose dans la promotion des droits de l’enfant et comme référen-
tiel partagé par les professionnels de l’enfance.

Pour les politiques touchant l’enfant et sa famille (« politique de lutte contre la pauvreté », « politique
de soutien à la parentalité », « politique scolaire », « politique de promotion de la santé », « régime
de sécurité sociale »), la situation dans ce scénario est marquée par quatre éléments :

• Un contrôle renforcé : les logiques d’activation et de conditionnalité des droits sont renfor-
cées.
• Une politique scolaire paradoxale : des réformes ambitieuses sont mises en place pour amé-
liorer la condition des enfants et prioriser leurs droits dans le système scolaire, mais elles ont
peu d’effets, faute de financement.
• Une concentration sur des cibles prioritaires : les politiques s’adressent à des publics jugés
particulièrement vulnérables et prioritaires : enfants, familles monoparentales, femmes, se-
niors, classe moyenne précarisée.
• L’externalisation du sort d’autres publics à une « offre alternative » : de nombreux publics prix
en charge par les acteurs de la lutte contre la pauvreté doivent se tourner vers d’autres
sources et formes d’aides en raison d’une réduction des soutiens financiers publics au
monde associatif et aux structures publiques d’accueil. Ces publics sont orientés (ou exclus)
vers d’autres systèmes de prise en charge relevant du monde associatif ou caritatif (notam-
ment les MENA). Cette externalisation vaut aussi pour le système de santé : la privatisation
du système assurantiel générant diverses formes d’exclusion.

Pour les politiques jouant un rôle indirect dans la lutte contre la pauvreté des enfants (« politique du
logement », « politique fiscale »), la situation dans ce scénario est marquée par deux éléments :

• La priorisation : au niveau du logement, on cible des publics spécifiques (jeunes, familles


monoparentales, fractions précarisées des classes moyennes) ;
• Des ambitions limitées en matière fiscale : des tentatives de taxation des revenus du patri-
moine et de globalisation des revenus sont mises en place puis abandonnées ; la question
du revenu/allocation universelle est écartée.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 213


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Tableau 39 : Évolution de la composante « Action publique de lutte contre la pauvreté des enfants »
dans le scénario 3

Variables Statut Hypothèse d’évolution dans le scénario 4


Politique d’accueil de Taux de couverture insuffisant.
réponse
l’enfance Pénurie de puéricultrices.
Hyper-responsabilisation des familles.
« Managérialisation » de la relation des familles aux institutions :
les familles sont encadrées et « coachées » par des profession-
Politique de l’Aide à nels pour qu’elles respectent l’intérêt supérieur de l’enfant.
la jeunesse et de Stigmatisation des parents qui s’écartent de la norme « onu-
réponse
protection de la jeu- sienne ».
nesse Pénurie de travailleurs sociaux.
Augmentation des décisions de placement (par extension du
diagnostic d’écart à la norme).
Politique de soutien à
réponse Soutien spécifique aux familles monoparentales.
la parentalité
Réformes ambitieuses, mais non financées.
Défis structurels reportés à la génération suivante.
Politique scolaire réponse Pénurie d’enseignants (« génération sacrifiée »).
Ineffectivité des mesures prises contre la segmentation et le
marché scolaire.
Pressions internationales (Comité des droits de l’enfant de l’ONU)
et européennes (garantie pour l’enfance) sur la Wallonie.
Élargissement des compétences du DGDE.
Le référentiel « onusien » s’impose dans la promotion des droits
Politique des droits de l’enfant (émancipation de l’enfant comme individu). Le prin-
réponse
de l’enfant cipe d’« intérêt supérieur de l’enfant » constitue le référentiel par-
tagé des professionnels de l’enfance.
Abaissement de la majorité des enfants.
Participation croissante des enfants aux décisions qui les concer-
nent.
Ciblage sur des publics prioritaires (femmes, enfants, familles
monoparentales, seniors), au détriment d’autres (jeunes, mi-
Politique de lutte grants).
réponse
contre la pauvreté Désinvestissement progressif de l’État, faute de moyens.
Délégation aux secteurs associatif et caritatif, eux aussi de plus
en plus ciblés (ex. MENA).
Renforcement des logiques d’activation et de conditionnalité des
droits.
Glissement d’une logique assurantielle à une logique assistan-
cielle.
Régime de sécurité
Privatisation croissante du système assurantiel.
sociale (y compris les réponse
Ciblage sur des publics prioritaires.
allocations familiales)
Soutien à la classe moyenne inférieure précarisée.
Suppression du statut de cohabitant.
Augmentation du non-recours aux droits.
Nouvelles formes de solidarités « chaudes ».
Politique de promo-
réponse Dualisation croissante du système de santé.
tion de la santé

214 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Peu d’effectivité du droit au logement : conditionnalités strictes,
Politique du loge- digitalisation des services.
réponse
ment Ciblage sur des publics prioritaires : jeunes, familles monoparen-
tales, fractions précarisées des classes moyennes.
Pas d’allocation universelle.
Politique fiscale réponse Amorce de taxation des revenus du patrimoine, tentative de glo-
balisation des revenus.

3.4.8. Le scénario global et sa représentation


Comme indiqué précédemment, les scénarios proposés sont le produit, dans la méthode utilisée,
d’un emboîtement des micro-scénarios imaginés pour les différentes composantes.

Dans ce dernier point dédié à la description technique du scénario 4, nous proposons, comme nous
l’avons fait pour les trois autres scénarios, une présentation du scénario global via deux figures qui
en visualisent la dynamique d’ensemble : les figures 21 et 22.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 215


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 21 : Scénario 4 – Ruptures et dynamique temporelle de contexte

216 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Figure 22 : Scénario 4 – Dynamique temporelle de la composante action publique

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 217


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. Les narratifs
4.1. UNE VERSION « LITTERAIRE » DES SCÉNARIOS
La rédaction d’une version « littéraire » des scénarios présentés à la section 3 fait partie intégrante
de l’analyse morphologique : elle en constitue la dernière étape. Il s’agit d’un véritable « test de co-
hérence », car la mise en récit des combinaisons d’hypothèses d’évolution imaginées pour chacun
des scénarios met « à l’épreuve la cohérence profonde des trames élaborées. En effet, seule la ré-
daction détaillée des scénarios utilisant les définitions précises des hypothèses et racontant l’évolu-
tion d’aujourd’hui à l’horizon de l’exercice de prospective, permet de tester la cohérence interne de
chaque scénario » (Lamblin, 2018 : 8).

Cette mise en récit constitue donc un des éléments des scénarios prospectifs : il s’agit d’une des
étapes de la scénarisation qui aide autant à leur conception qu’à leur communication, puisque le
langage employé dans ces mises en récit doit être aisément appropriable et s’éloigner du caractère
technique de leur description par composante. Il s’agit, en d’autres termes, de les « mettre en mu-
sique » et qu’ils « sonnent juste » pour pouvoir être facilement audible par un large public.

Un autre élément important de cette mise en récit est l’intégration des trajectoires temporelles que
nous avons présentées dans les figures descriptives des scénarios globaux : « Un scénario ne doit
pas seulement être une combinaison d’hypothèses représentant un futur possible, mais la descrip-
tion d’un cheminement y conduisant depuis la situation actuelle. Il faut sortir de la logique combina-
toire pour réfléchir à ce cheminement et le baliser, et ce d’autant plus que l’horizon temporel retenu
est lointain » (Lamblin, 2018 : 8).

Enfin, dernier point fondamental de cette mise en récit, le titre du scénario : celui-ci doit pouvoir
évoquer les éléments-clés du scénario, ce qui le différencie des autres, mais aussi ce qu’il apporte
à l’objet de l’analyse prospective. Le titre doit être suffisamment « évocateur » comme l’indique Vé-
ronique Lamblin (Lamblin, 2018) : il doit permettre de saisir la logique intrinsèque du scénario.

À ces éléments traditionnellement admis comme centraux dans la démarche de mise en récit des
scénarios, nous en ajoutons deux autres.

Premièrement, lors de cette mise en récit, nous avons souhaité prendre, à certains moments, une
certaine distance par rapport aux balises fournies par la liste des variables et leurs hypothèses d’évo-
lution, en ajoutant certains éléments permettant d’accentuer les contrastes ou des informations de
contexte aidant à la compréhension de la dynamique propre au scénario. Il est donc important de
lire ces mises en récit conjointement au reste de l’analyse pour comprendre en profondeur la logique
de chacun des scénarios.

Deuxièmement, nous avons souhaité intégrer à la démarche de scénarisation le principe de « l’écri-


ture laboratoire » chère au sociologue Bruno Latour (Latour, 2006). Ce principe suppose, pour le dire
rapidement, que, dans un travail de recherche, le processus rédactionnel – en l’occurrence le travail
de mise en récit – constitue en lui-même un processus de recherche : par les liens qu’il permet de
faire, les idées qu’il permet de faire germer, les précisions qu’il impose, les intuitions qu’il génère, ce
travail alimente la recherche, il n’en est pas le produit. Dans cet esprit, nous avons choisi de réaliser
cette mise en récit des scénarios de façon itérative : nous en avons rédigé une première version sur
la base du matériau brut (base prospective, hypothèses d’évolution, résultats des ateliers) dont nous
disposions en décembre 2023, avant de la discuter avec les membres du comité de suivi du projet
en février 2024 et d’écrire de façon détaillée la version technique des scénarios en mars 2024. Ce
processus a permis d’aboutir à une seconde version, présentée dans ce rapport.

218 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
La structure de ces récits est parfaitement identique pour tous les scénarios : nous suivons une lo-
gique concentrique qui part d’éléments de contexte génériques pour resserrer progressivement la
focale vers la situation spécifique et imaginée d’enfants à naître, en 2030, dans une famille en situa-
tion de pauvreté. Ainsi, chacun des récits est divisé en cinq parties :

• Le contexte économique et climatique mondial ;


• La situation en Belgique et en Wallonie ;
• La situation sociale et la forme prise par l’État social ;
• L’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants ;
• Une trajectoire de vie possible d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire
dans le monde décrit par le scénario.

4.2. SCÉNARIO 1 – UN ÉTAT SOCIAL « HYPERACTIF » : UNE ENFANCE PROTÉGÉE


DANS UNE WALLONIE PRÉCARISÉE
Ce qu’évoque le titre de ce scénario

Le titre du scénario souhaite mettre l’accent sur trois phénomènes :

• Le renforcement de l’État social actif : il devient « hyperactif » dans le sens où la condition-


nalité des droits est poussée à l’extrême, en particulier à travers un renforcement et une
automatisation des contrôles permis par la digitalisation. Ces politiques sont menées dans le
cadre d’une logique de réduction drastique des moyens alloués aux politiques sociales et le
ciblage sur des publics particuliers.
• L’enfance fait précisément l’objet d’un de ces ciblages de l’action des politiques sociales. Les
droits de l’enfant prévalent et, dans certains cas, préemptent ceux des parents : le contrôle
renforcé des situations des familles conduit à une systématisation du placement au nom de
la « protection » de l’enfant. L’expression « enfance protégée » veut également traduire
l’élargissement du champ d’application des logiques de protection de la jeunesse.
• La Wallonie est précarisée : le contexte économique et politique s’avère très difficile. L’éco-
nomie mondiale est dominée par quelques grands oligopoles étasuniens et chinois qui dis-
tribuent leurs produits et dominent l’économie européenne. La Wallonie attire sur son terri-
toire certaines de ces entreprises aux prix de régimes fiscaux très favorables qui réduisent
ses recettes. La croissance économique demeure limitée. Une incertitude forte plane sur les
finances de la Région, car elle fait face de façon récurrente à des crises écologiques (pan-
démies, effets des changements climatiques et environnementaux, pollution…) qu’elle doit
gérer dans l’urgence et dont elle doit assumer les coûts. Son endettement ne cesse de
s’alourdir avec peu de perspectives d’amélioration : les coupes budgétaires s’imposent, au
détriment des populations les plus pauvres et précarisées.

Contexte économique et climatique mondial

Les objectifs de neutralité carbone à l’échelle mondiale ne sont pas atteints, malgré les engage-
ments répétés des États les plus pollueurs à décarboner leurs économies. En conséquence, les
impacts des changements climatiques et environnementaux touchent l’entièreté de la popula-
tion mondiale. Certaines zones du globe deviennent inhabitables. Les crises sanitaires, écolo-
giques, économiques et sociales se répètent et s’intensifient.

La situation géopolitique mondiale devient tendue, car dominent, au sein des grandes puis-
sances mondiales, des partis populistes, protectionnistes et xénophobes qui luttent pour le
maintien de leurs zones d’influence économiques et militaires.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 219


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
L’économie de marché structure l’activité économique. Elle est dominée par de grandes entre-
prises oligopolistiques chinoises et étasuniennes actives dans les secteurs stratégiques d’une
transition énergétique focalisée sur les technologies (optimisation de la gestion énergétique, bio-
carburants et carburants de synthèse, production d’énergie électrique principalement nu-
cléaire…) ainsi que dans la digitalisation de l’ensemble des sphères de l’activité socio-écono-
mique. Ces oligopoles jouent un rôle important dans l’accompagnement des gouvernements
pour gérer les différentes crises générées par les changements climatiques et environnemen-
taux. Des logiques de profilage et de surveillance des populations sont mises en place et bana-
lisées pour assurer la gestion de ces crises et contraindre efficacement les comportements des
populations.

Le rôle de l’Union européenne s’est fortement amoindri à la suite de l’arrivée au pouvoir de partis
conservateurs et protectionnistes dans de nombreux États membres, dont certains ont quitté
l’Union. Les États européens soutiennent leurs propres secteurs d’innovation technologique,
dans un contexte de concurrence exacerbé. Les gouvernements assurent une gestion autoritaire
des crises en s’appuyant sur des groupes d’experts thématiques et des technologies de contrôle
des populations sans prendre en compte la complexité sociale des situations. Les mouvements
d’opposition des populations se multiplient. Ils sont tolérés mais sévèrement réprimés. Les droits
associés aux manifestations publiques sont limités. De nombreuses tensions au sein des popu-
lations émergent également en raison des effets des migrations climatiques de populations is-
sues de zones tropicales humides devenus invivables ainsi que des nombreux conflits qui se
développent dans ces régions et se répercutent au sein des communautés immigrées présentes
dans les pays européens. La situation intérieure des pays européens est tendue, les attentats et
conflits civils se multiplient.

Situation politique et économique de la Belgique et de la Wallonie

Sous la pression des partis nationalistes flamands, la Belgique a pris la forme d’une confédéra-
tion. La Wallonie a gagné en indépendance, mais reste fortement tributaire de certains méca-
nismes de péréquation qui assurent un transfert des richesses entre entités confédérées. La
Flandre est devenue une région particulièrement riche et prospère, très active dans les secteurs
à haute valeur ajoutée favorisés par les orientations de l’économie mondiale. Les revenus qu’elle
tire de cette situation économique lui permettent de faire face, notamment, à la montée du ni-
veau de la mer du Nord qui a d’importants impacts sur son territoire. La Wallonie a su attirer sur
ses terres certaines filiales des oligopoles dominant l’économie mondiale. Une centrale nucléaire
à fission, construite et gérée par une entreprise chinoise, remplace la centrale de Tihange et
fournit un tiers des besoins en énergie électrique de la population belge. Une usine de produc-
tion d’automobiles électriques chinoise s’est implantée à Charleroi. Un mégacentre logistique
européen financé par la Chine, automatisé à 90 %, s’est développé autour de l’aéroport de Liège.

Le Gouvernement wallon demeure un gouvernement de coalition dont l’action est fortement


déterminée par la situation économique mondiale. Conseillé par de grandes entreprises améri-
caines et chinoises et par une batterie d’experts et de consultants, il met en place une série de
politiques économiques favorisant le développement des technologies « vertes » et incitant la
population à adopter ces technologies.

À l’instar des autres gouvernements européens, le Gouvernement wallon fait face à des crises à
répétition liées aux conséquences du réchauffement climatique. Cette situation l’oblige à con-
centrer ses activités sur la gestion de ces crises et de leurs conséquences, car ses ressources
financières apparaissent extrêmement limitées. En effet, la croissance économique demeure
très faible malgré les mesures de soutien du Gouvernement à la digitalisation de l’économie et

220 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
à la transition énergétique. En outre, les transferts de richesses depuis la Flandre deviennent
limités, et le vieillissement de la population réduit la taille de la population active ainsi que celle
de l’assiette fiscale. Les activités industrielles chinoises présentes sur son sol profitent d’une fis-
calité allégée et leurs effets d’entraînement sur l’économie demeurent très limités.

Ainsi, dans ce contexte financier tendu, les politiques menées en matière sociale sont de plus en
plus ciblées sur des publics prioritaires, voire sur des profils spécifiques, poussant la classe
moyenne à recourir à des acteurs privés pour assurer les différents risques liés au travail et à la
santé (perte de revenu, hospitalisation…).

En conséquence, les inégalités au sein de la population se creusent.

Situation sociale et forme prise par l’État social

Dans ce contexte, la pauvreté des enfants devient la principale porte d’entrée des politiques de
lutte contre la pauvreté. En effet, la situation sociale s’avère de plus en plus tendue, car les
risques de paupérisation de la classe moyenne, mise sous pression par les différentes crises et
la réduction de la protection sociale, deviennent une priorité d’action pour le Gouvernement.
Cela suppose une réallocation des moyens disponibles vers la prévention de ce basculement et
une prise en charge des enfants vivants dans des familles en situation de grande précarité/pau-
vreté, car ils sont considérés comme des personnes vulnérables vivant avec des adultes jugés
responsables de leur situation de pauvreté. Les populations les plus pauvres et les plus précaires
ne bénéficient plus que de filets minimums garants de la survie.

Cette situation conduit à reléguer une partie de la population hors du champ des politiques so-
ciales : cette population exclue devient tributaire d’une « offre » alternative, soit issue de la cha-
rité des plus riches, soit de groupes criminels et mafieux qui assurent une protection en échange
d’une participation aux économies organisant les différents trafics illicites (drogues, êtres hu-
mains, organes, déchets…) qui prospèrent en raison de la situation politique et économique dé-
létère. Certaines entreprises issues de grands groupes américains ou chinois proposent, par ail-
leurs, un cadre de vie « intégré » à leur personnel : en devenant salariés de l’entreprise, les em-
ployés bénéficient d’une structure d’existence complète qui couvre autant leur logement que
différents services nécessaires à leur vie quotidienne (alimentation, santé, éducation des enfants,
loisirs). Les salaires sont limités, mais compensés par ces émoluments en nature, ce qui rend les
employés captifs. Ces entreprises en viennent à créer des gated communities organisées autour
de leur propre fonctionnement sur des territoires enclos, autonomes énergétiquement, sévère-
ment gardés et détachés du reste de la société.

Cette situation de fragmentation et de disparition de tout projet politique orienté vers le bien
commun amène à un risque permanent de basculement vers des régimes politiques illibéraux 167
et autoritaires fonctionnant sur un mode clientéliste. Pour éviter ce glissement, les partis poli-
tiques traditionnels demeurant à la manœuvre mettent en place des politiques visant à un con-
trôle accru des populations.

Cela se traduit au niveau des politiques sociales, par un ciblage de l’action de l’État sur des pu-
blics spécifiques. Ces politiques s’assimilent à des politiques de surveillance et de sanction de
publics « déviants » : le ciblage devient un profilage permis par les intelligences artificielles ba-
nalisées dans la gestion publique, avec comme objectif principal l’anticipation du risque. Cela
conduit à une individualisation et à une psychologisation des formes de déviance dont fait partie

167
Dans le langage courant, une démocratie « illibérale » consiste en « un régime élu démocratiquement, qui, prétendant
détenir le monopole de la volonté générale du peuple, ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir et va
jusqu’à déposséder les citoyens de leurs droits et libertés ». Voir https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/illibé-
ral/188534. Pour une analyse de la notion, voir également Mineur, 2019.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 221


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
la pauvreté, envisagée comme une « anomalie ». Les problèmes sociaux deviennent des pro-
blèmes de santé mentale.

Cette logique de gouvernement par l’anticipation des risques consacre le retour de la stigmati-
sation des « classes dangereuses » : des publics menaçants qu’on va « contenir » avec des poli-
tiques d’activation de plus en plus conditionnelles (contrôle, type « Covid Safe Ticket de l’em-
ploi ») et de sanction (pénalisation). Apparaît dans ce cadre une criminalisation progressive de la
pauvreté.

Cette situation politique et économique conduit à la création d’emplois peu qualifiés dans les
domaines du contrôle et de la sécurité.

Par ailleurs, les partis politiques en place veillent à la protection de leur clientèle électorale en
menant une série de politiques visant à répondre aux peurs générées par les crises à répétition,
notamment en stigmatisant certains groupes sociaux, dont ceux issus de l’immigration.

L’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants

La psychologisation des situations et le profilage par intelligence artificielle des publics à risque
ont pour effet de stigmatiser les parents ou les familles, présumés inaptes/incapables de pren-
dre en charge leurs enfants, ce qui accélère les procédures de placement, procédures qui se
banalisent et occupent une bonne part des activités des métiers de protection de la jeunesse.
Les aspects éducatifs et d’assistance sociale des professionnels de la famille et de l’enfance
deviennent marginaux au sein de ces métiers, qui se bureaucratisent et se focalisent davantage
sur le contrôle et la sanction. Cela conduit à une systématisation progressive du retrait des en-
fants de leurs familles – de façon parfois « préventive » dès le moment où les algorithmes anti-
cipent des risques majeurs – pour les placer dans des institutions d’accueil. L’état de ces institu-
tions s’avère extrêmement variable en fonction des financements qui leur sont accordés : dans
certains cas, les logiques caritatives et philanthropiques développées par les fortunes privées
permettent à certains enfants jugés plus « doués » de sortir de leur condition, mais le système
d’accueil demeure extrêmement inégalitaire. La majeure partie des enfants qui se retrouvent
dans des situations de placement bénéficient d’un accès à des droits fondamentaux dégradés,
« low-cost », et vivent dans des institutions dominées par des logiques de surveillance plutôt
que d’éducation.

La situation des enfants des familles de la classe moyenne devient un objet de préoccupation
politique important qui suppose une réallocation importante des fonds antérieurement consa-
crés à la lutte contre la pauvreté. Cette dynamique contribue à une disparition progressive de la
politique de lutte contre la pauvreté telle qu’elle est connue en Wallonie en 2024. Les crises à
répétitions fragilisent, en effet, grandement la classe moyenne. Les logiques de recomposition
familiales et l’essor des familles monoparentales contribuent également à la précarisation des
enfants.

La réduction des dépenses en matière de protection sociale conduit à concentrer les budgets
alloués aux revenus de substitutions (allocations de chômages, indemnisations pour maladies,
RIS, GRAPA…) ainsi qu’aux allocations familiales en un seul budget dédié à une allocation « uni-
verselle » qui les remplace. La mise en place de cette allocation pousse les salaires à la baisse,
ce qui permet aux entreprises de diminuer leurs charges et de compenser les pertes de com-
pétitivité liées à la faible croissance de l’activité économique. Le modèle utilisé pour cette allo-
cation est celui de l’allocation familiale, qui est prolongée et augmentée après 25 ans. Les autres
assurances (maladie, perte de revenus, retraite…) sont reléguées au secteur privé. Cette mesure
vise à protéger la classe moyenne du basculement dans la pauvreté et la précarité et tient lieu

222 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
de complément de salaire indispensable à des travailleurs bénéficiant de contrats de travail de
plus en plus précaires. Les familles monoparentales bénéficient, par ce mécanisme, d’un sys-
tème de superposition des allocations (celle du parent dans les familles monoparentales + celle
des enfants) censé les prémunir contre la pauvreté.

Ce système d’allocation est conditionnel. Par exemple, pour les enfants, l’allocation n’est garantie
que pour autant que l’enfant soit scolarisé. Pour les publics précarisés, sont mis en place diffé-
rents incitants comme une majoration temporaire d’allocation s’il s’accompagne d’un projet d’in-
sertion. Des sanctions sont également développées comme la suppression d’allocations en cas
de refus d’emplois en pénurie. En outre, dans la mesure où les parents bénéficient de leurs
propres allocations, les suppléments sociaux aux allocations familiales sont supprimés.

Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?

Née en 2030, Lucie est la deuxième enfant d’une famille d’employés modestes qui occupent
une maison unifamiliale située en grande périphérie urbaine. À cette époque, les soubresauts de
l’actualité, avec ses rumeurs de conflits mondiaux, les grands déplacements de population aux
frontières de l’Union européenne, l’inquiétude croissante suscitée par les vagues de chaleur que
connaît la Wallonie presque chaque année, semblent encore très loin de leurs préoccupations.
Les vrais ennuis commencent quand les parents de Lucie perdent chacun leur emploi à un an
d’intervalle, alors qu’elle était en 3e maternelle. Son père, qui n’avait pas pu souscrire à l’une des
assurances complémentaires déjà nombreuses à fleurir sur le marché, voit ses allocations très
rapidement diminuer, d’autant plus qu’il peine à convaincre son référent-emploi de la pertinence
de son projet de réactivation professionnelle.

Un signal automatique de « risque de précarité infantile » alerte rapidement les services de pro-
tection de l’enfance et de la jeunesse, récemment digitalisés, qui mettent alors en place le nou-
veau dispositif « parachute » conçu spécifiquement pour les enfants de classes moyennes en
difficulté : chèques scolaires, augmentation temporaire des allocations familiales, rembourse-
ments majorés pour certains soins de santé, réductions pour séjours de vacances… Très géné-
reux pour Lucie et son frère aîné, le système est en réalité très lourd pour ses parents, qui vivent
très mal leur situation de « nouveaux pauvres » et doivent constamment batailler sur le plan ad-
ministratif pour prouver qu’ils peuvent continuer à offrir un cadre de vie suffisant pour leurs en-
fants – des difficultés encore aggravées par la quasi-absence de guichet humain, qui complique
les interactions avec les services compétents. Il est vrai que, pour nouer les deux bouts, le père
accepte parfois de rendre de menus services pour « l’association de quartier », comme il l’ap-
pelle pudiquement pour dissimuler l’aspect mafieux de ses activités… Mais comment faire autre-
ment ?

Les résultats scolaires de Lucie commencent à se ressentir des problèmes et tensions vécues à
la maison. Les services de prévention détectent chez elle un trouble de l’attention, qui lui vaut
d’être prise en charge dans l’enseignement spécialisé dès la 3e primaire. Son petit frère, né trois
ans après elle, a eu plus de chance : l’association « Jeunes Pépites », financée par un grand
groupe technologique, a détecté chez lui un potentiel scolaire qui lui permettra sans doute de
poursuivre des études supérieures. Quant à son grand frère, de cinq ans plus âgé qu’elle, il a
arrêté ses études à 16 ans, le nouvel âge légal, et vit essentiellement de petits boulots, tout en
bénéficiant d’une allocation-logement pour les enfants de classe moyenne précarisée.

En 2050, quand Lucie se compare à d’autres enfants de son quartier, elle se dit qu’elle aurait pu
avoir moins de chance : certains copains de son école, avec qui elle a perdu contact, ont été
placés en institution ; d’autres, qui ont échappé aux radars des services de l’Aide à la jeunesse,

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 223


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
ont été rattrapés par la délinquance. Autour d’elle, personne ne semble avoir été épargné par ce
qu’on appelle maintenant la « méga-crise ». Certains disent que la situation aurait été encore pire
si on n’avait pas fermé les frontières… On s’est habitués, pour ne pas dire résignés, à l’idée de
vivre dans un monde moins sûr et moins confortable. Après tout, avec un peu d’efforts, chacun
peut encore se débrouiller pour tirer son épingle du jeu… L’État continue d’ailleurs à assurer le
minimum, en attendant que les investissements en matière de transition climatique fassent enfin
sentir leurs effets. Ce qui est sûr, c’est que ses parents n’en bénéficieront pas : sa maison d’en-
fance, comme la majorité de celles de son quartier, a été déclarée « irrénovable » par l’Agence
des Transitions. En attendant la construction de nouveaux logements, il faudra vivre avec les
canicules et les hivers presque sans chauffage.

4.3. SCÉNARIO 2 – UN ÉTAT SPONSOR D’UNE ÉCONOMIE RESPONSABLE : L’EN-


FANCE, CAPITAL HUMAIN D’UNE WALLONIE QUI INVESTIT DANS SON AVE-
NIR
Ce qu’évoque le titre de ce scénario

À l’instar du précédent, le titre de ce scénario met l’accent sur trois éléments :

• Le retour d’un État qui oriente les directions prises par l’économie dans le cadre de la transi-
tion écologique. L’intervention de l’État vise à soutenir le développement d’une économie
« verte » et « durable » qui mise sur l’innovation et les technologies, en particulier en matière
énergétique. Cette approche est vue comme « responsable » aux plans environnemental et
sociétal et devient le cadre de référence partagé par le monde politique et économique.
• Dans ce contexte, l’enfance est l’objet d’une attention très particulière : les enfants sont con-
sidérés comme un « capital humain » dans lequel il est prioritaire d’investir pour assurer l’ad-
venue des talents nécessaires aux nouveaux secteurs économiques, mais aussi, pour les
plus pauvres, en vue de les sortir de la spirale de la pauvreté et de la précarité par la mobilité
sociale.
• La Wallonie s’inscrit pleinement dans cette approche de l’économie en investissant dans les
infrastructures et dans le soutien aux activités économiques prioritaires pour la transition. Elle
investit également dans les différentes politiques de l’enfance, avec une attention particu-
lière à la scolarité et à l’accueil dès le plus jeune âge. Elle revalorise les filières techniques et
professionnelles pour permettre le développement de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire.
Les politiques sociales bénéficient de l’embellie économique par les effets redistributifs. Ce-
pendant, l’investissement de l’État dans le système social n’est pas sans contrepartie : les
droits demeurent conditionnels à l’inscription des personnes dans des projets de vie et pro-
fessionnels qui correspondent aux orientations politiques et économiques.

Contexte économique et climatique mondial

L’Union européenne est à la pointe de la lutte contre le changement climatique. La décarbona-


tion des activités humaines est perçue non seulement comme une urgence pour les territoires
et les populations, mais aussi comme une réelle opportunité économique qui engage l’ensemble
des acteurs, publics comme privés, dans une véritable course contre la montre pour réduire les
émissions de gaz à effet de serre. Les États poursuivent une politique de soutien à l’innovation,
à travers une succession de plans de relance ambitieux, facilités par l’assouplissement progressif
des règles européennes en matière de dépenses d’investissement et d’infrastructure. De leur
côté, les grandes entreprises intègrent, voire devancent, le cadre réglementaire de plus en plus
contraignant que leur imposent les normes en matière de responsabilité sociale et environne-
mentale (RSE). Avec la part croissante des technologies vertes dans la production, les secteurs

224 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
les plus polluants, comme la pétrochimie, accélèrent leur transition : ils se diversifient et se réo-
rientent en ligne avec les objectifs de phasing out des énergies fossiles.

La logique qui prévaut pour tous les acteurs, à tous les niveaux, est celle de l’investissement.
Chaque euro dépensé est vu soit comme une promesse de gain futur, soit comme un coût évité
pour l’avenir. Chacun prend sa part de risque et de responsabilité. Les objectifs de transition po-
sent un horizon de transformation qui s’inscrit en réalité dans la continuité des démarches déjà
entreprises par le monde économique.

Bien que l’Europe soit parvenue à mettre en place une action de lutte contre les changements
climatiques et environnementaux satisfaisante et coordonnée à l’échelle de l’Union, les effets
globaux demeurent limités. En effet, le poids des États européens et de l’Union dans les orien-
tations prises par l’économie mondiale est insuffisant pour contrer la domination croissante de la
Chine. Face à des États-Unis devenus protectionnistes et principalement centrés sur leur marché
intérieur, la Chine s’est progressivement hissée à la tête de l’économie mondiale et distribue ses
technologies numériques et énergétiques dans l’ensemble du monde.

La situation climatique mondiale demeure très tendue, certaines régions du monde sont deve-
nues inhabitables, entraînant d’importants flux migratoires. En matière d’accueil, les États euro-
péens mènent une double politique : ils ont à la fois durci les conditions d’entrée sur le territoire
de l’Union, n’ouvrant progressivement ce dernier qu’à une immigration de travail, mais aussi ren-
forcé la politique d’intégration des populations vulnérables, en particulier extra-européennes,
arrivées au gré des catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes (sécheresses, inonda-
tions, voire famines) et qui bénéficient d’un statut spécial de réfugiés climatiques équivalent à
celui des réfugiés politiques.

Situation politique et économique de la Belgique et de la Wallonie

À la suite de la septième réforme de l’État, mais surtout à l’adoption du nouveau pacte vert eu-
ropéen, la Wallonie dispose de leviers importants pour orienter sa politique économique. L’in-
vestissement dans la transition permet de dégager des gains de productivité significatifs. Dans
une Europe en croissance, la Wallonie renoue ainsi elle-même avec la croissance. Les emplois
augmentent en quantité et en qualité, notamment grâce à la revalorisation des filières techniques
et professionnelles. L’État se met à l’écoute des acteurs du monde économique, qui demandent
activement la décarbonation et veulent s’y investir. Les filières de formation sont largement pen-
sées selon une logique « adéquationniste », en fonction des besoins sur le marché de l’emploi.

Le coût élevé de la transition n’empêche pas de nouveaux acteurs économiques d’apparaître,


tant au niveau global, dans les secteurs les plus intensifs en matière technologique, que dans
celui des low-tech, qui propose des solutions alternatives souvent indispensables à l’atteinte des
objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Au niveau local, de nouveaux modes de coopé-
ration se développent, notamment dans les domaines énergétiques et alimentaires. Le tissu éco-
nomique wallon se densifie.

Situation sociale et forme prise par l’État social

La croissance économique permet non seulement le maintien, mais aussi l’amplification de po-
litiques sociales ambitieuses. On ne peut pas parler pour autant de « retour de la question so-
ciale » : les grands axes des politiques actuelles sont maintenus et continuent de se superposer,
avec des adaptations techniques, de sorte que l’impression de patchwork demeure. Cette par-
cellisation peut être vue comme un héritage de la « pillarisation », mais qui n’est plus pour autant
indexé sur les clivages qui structuraient la vie politique.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 225


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Dans ce paysage complexe, la lutte contre la pauvreté représente un héritage historique, avec
des publics de plus en plus segmentés et une portée toujours moins universaliste. La Région se
dit qu’il est plus intéressant de faire confiance aux professionnels qui connaissent ces publics,
notamment à travers la participation des bénéficiaires des politiques concernées, désormais lar-
gement facilitée et instituée. Elle ôte petit à petit les obstacles identifiés par les acteurs et laisse
ceux-ci s’autonomiser dans leurs missions (un peu à l’image de ce qu’il s’est passé dans le monde
du travail, avec la mise en place de comités de gestion « paritaires »).

En accord avec l’idée d’un « État social actif 2.0 », l’objectif est d’augmenter l’encapacitation des
publics pauvres et précaires. Malgré l’absence de projet sociétal d’ensemble, un large consen-
sus transpartisan fait de l’investissement le grand leitmotiv de l’action sociale. Il en va dans le
champ des politiques sociales comme dans le champ économique : investir devient le maître-
mot. L’État veille particulièrement à ce que l’action menée en matière de transition climatique ne
porte pas préjudice aux populations les plus vulnérables. Qu’il s’agisse de logement, de santé,
de mobilité, d’emploi ou de rénovation urbaine, le mot d’ordre “Leave no one behind” se géné-
ralise et guide les politiques publiques.

Cependant, de nouvelles formes de pauvreté et de risques sanitaires apparaissent, liées à la


détérioration relative des conditions de vie (épisodes de canicule plus nombreux et plus longs)
et au vieillissement de la classe moyenne (par exemple, les maladies liées au surpoids et à la
consommation). Bien que difficiles à prendre en charge et peu perceptibles (du fait de l’isolement
fréquent de ces personnes), ces situations font l’objet d’une attention particulière de la part des
professionnels du secteur, qui tirent la sonnette d’alarme et demandent des moyens spécifiques.

Sur le plan de la cohésion sociale, la situation s’améliore, mais reste loin d’être idéale. La marche
forcée vers la transition techno-verte crée beaucoup de nouveaux « laissés-pour-compte ». Cer-
tains publics plus immédiatement touchés par la crise veulent des solutions plus rapides, sans
attendre le retour sur investissement des politiques. Un grand nombre de personnes qui ne se
reconnaissent pas dans l’évolution socio-économique alimentent une sociabilité parallèle et dé-
veloppent des modes de vie alternatifs dans des conditions de précarité ou de pauvreté, entre
débrouille et activisme décroissant. Ces populations échappent souvent à l’action publique :
elles relèvent d’une pauvreté résiduelle inaccessible aux aides sociales, et globalement accep-
tée par le reste de la population, dans la mesure où les inégalités ont globalement diminué et
où la mobilité sociale tend à s’améliorer sur le long terme.

L’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants

Les enfants sont les grands bénéficiaires de l’accent mis par l’État sur l’investissement. L’idée
selon laquelle un euro investi dans l’enfance en rapporte quatre à sept, ou encore celle du ca-
ractère décisif des 1000 premiers jours du développement de l’enfant (des débuts de la gros-
sesse à ses deux ans), fait désormais l’objet d’un large consensus transpartisan. Bien que très
segmentées, les politiques sociales suivent ainsi les cahiers de revendication élaborés par les
secteurs et les métiers de l’enfance, de l’éducation et de la jeunesse. L’État donne du crédit à
l’expertise des parties prenantes et élabore ses politiques avec elles. La reconnaissance de cette
expertise s’étend même à des champs dont les professionnels étaient traditionnellement exclus,
comme la politique fiscale. La suppression du statut cohabitant devient le symbole de cette re-
connaissance par l’État des revendications du secteur. Une place importante est laissée à l’inno-
vation sociale, à la coopération et à l’apprentissage mutuel.

La transversalité et la coordination entre ces revendications sont assurées par le point focal de
ces politiques, à savoir l’enfance. L’enfant est désormais au cœur d’un système qui se concentre
sur ses vulnérabilités, dans un monde également rendu vulnérable par la crise climatique.

226 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
L’extension des pouvoirs du Délégué général aux droits de l’enfant et le renforcement de dispo-
sitifs comme la garantie européenne pour l’enfance ont sensiblement amélioré la représentation
des enfants et la défense de leurs droits fondamentaux.

La priorisation des moyens sur l’enfance et les structures familiales porteuses de vulnérabilité
accrue pour les enfants (comme les familles monoparentales) a eu pour effet de reconfigurer
partiellement le champ des acteurs de la lutte contre la pauvreté. Les acteurs historiques de ce
champ continuent à porter des revendications, mais centrées sur des publics plus spécifiques,
non concernés par l’enfance : personnes âgées, isolées, familles avec personnes à charge han-
dicapées… Le modèle de gouvernance par l’expertise a ainsi pour conséquence d’étendre prati-
quement le champ d’action de la lutte contre la pauvreté, malgré une certaine rivalité entre sec-
teurs. Ces effets de concurrence et de complémentarité amènent à une baisse effective de la
pauvreté, malgré la diminution relative des ressources affectées à la lutte contre la pauvreté en
tant que telle. L’effet visé par l’État reste la maximisation de l’action sociale. On recherche une
certaine forme d’optimisation dans l’allocation des ressources.

Avec le retour de la croissance, la priorité donnée à l’investissement, ou encore l’accent mis sur
l’innovation à tous les niveaux (y compris celui de l’action sociale), l’idée d’une allocation univer-
selle fait progressivement son chemin. Un modèle d’allocation intermédiaire est finalement ex-
périmenté, puis généralisé. Conçue pour assurer une vie décente, l’allocation est modulée selon
les phases de la vie, de la petite enfance à la pension, en passant par la ou les périodes de
formation professionnelle des personnes.

Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?

Né en 2030, Martin a grandi avec sa mère et sa grande sœur Clémentine dans un logement
social au centre d’une ville moyenne de Wallonie. Quand elle parle de son divorce, sa maman
ne peut s’empêcher de se dire qu’ils reviennent de loin… Si elle n’avait pas pu compter sur le
système de places « joker » en crèches, ou sur les nouvelles possibilités d’activités extrascolaires
organisées dans l’enceinte de l’école – sans, de manière générale, l’attention dont ses enfants
ont pu bénéficier dans le cadre scolaire, ainsi que l’accompagnement et la compréhension des
services d’aide à la jeunesse, elle n’aurait jamais réussi à jongler entre ses différents emplois à
temps partiel, et Martin et Clémentine auraient certainement connu une enfance et une scolarité
beaucoup plus chahutées.

Quand il avait cinq ans, la mère de Martin a refait sa vie avec Ravi, brillant informaticien spécialisé
dans la digitalisation des transitions, qui a pu bénéficier du programme « TalentAbroad » à des-
tination des professionnels de métiers en pénurie dans les zones menacées par le réchauffe-
ment climatique. Sans la suppression du statut cohabitant, il y a quelques années, un tel choix
de vie aurait été beaucoup plus difficile. Même s’il n’était pas spécialement doué ni assidu à
l’école, Martin s’est très vite intéressé au codage et a pu intégrer dès 15 ans les nouvelles filières
technologiques mises en place par la Wallonie. Son avenir semblait tout tracé, au point qu’il avait
été invité à partager son expérience lors des Assises des Vocations organisées par sa commune.

Mais contre toute attente, après deux ans de formation, Martin délaisse le codage pour le théâtre.
Dans un monde culturel largement désinvesti par les pouvoirs publics, il découvre que sa pas-
sion n’est pas finançable, perd ses crédits-formation et intègre une troupe de comédiens ama-
teurs. Sa nouvelle vie, aux marges de la société, le condamne à une espèce de pauvreté volon-
taire qui préoccupe beaucoup sa mère. Les services et dispositifs d’aides de la jeunesse, inondés
de requêtes de parents désemparés, peinent à donner une réponse satisfaisante à ce type de
situations, écartelés qu’ils sont entre des priorités et des injonctions contradictoires. On laisse

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 227


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
entendre que Martin, trop vieux pour certaines aides, trop versatile pour encore mériter qu’on
investisse sur lui, a laissé passer sa chance et qu’il doit maintenant assumer ses choix.

De son côté, sa sœur Clémentine, qui a plus difficilement vécu les bouleversements familiaux, a
pu bénéficier de la récente politique de soutien au logement pour les jeunes majeurs en diffi-
culté. Avec la mise en place du nouveau dispositif d’allocations-études, elle avait d’abord envi-
sagé de reprendre une formation vers les métiers du renouvelable, pour devenir installatrice
photovoltaïque. Malheureusement, elle développe une maladie chronique qui lui interdit l’exer-
cice de tout métier lourd. Déqualifiée pour le monde de la transition, elle doit se contenter de
l’allocation universelle minimum, qu’elle agrémente de petits boulots. Son vrai plaisir, c’est d’ai-
der son grand-père, qui bénéficie quant à lui d’aides ciblées à destination des « maxi-seniors »,
nouveau public particulièrement sensible aux vagues de chaleur.

4.4. SCÉNARIO 3 – VERS UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL-ENVIRONNEMEN-


TAL : DES ENFANTS ENCAPACITES DANS UNE WALLONIE TRANSFORMÉE
Ce qu’évoque le titre de ce scénario

Ce titre, à l’image de ceux des deux précédents scénarios, est composé de trois éléments :

• À la différence des deux précédents titres de scénario qui insistaient sur la forme prise par
l’État social, celui-ci met l’emphase sur un aspect plus fondamental : l’émergence d’un nou-
veau contrat social-environnemental. En effet, ce qui différencie ce troisième scénario est
une refonte complète du projet de société. Celui-ci est remis en cohérence pour satisfaire à
des objectifs de justice sociale et environnementale dans la transition économique, sociale
et politique induite par les multiples crises écologiques qui vulnérabilisent l’humanité. Un vé-
ritable changement de paradigme tant au niveau économique (« post-croissance ») que po-
litique (« sécurité sociale-écologique ») anime la dynamique de ce scénario.
• La place des enfants dans ce nouveau projet de société est tout aussi centrale que dans les
deux précédents, mais pour des motifs très différents. Les enfants demeurent conçus
comme un groupe d’êtres vulnérables, mais au même titre que le reste de la société, qui est
fragilisée par la multiplication des crises écologiques. Dans ce scénario, on imagine, dans
cette idée, que la sécurité sociale est rebâtie autour de ce principe de vulnérabilité pour à la
fois prévenir et protéger les personnes et leurs activités contre des risques sociaux-écolo-
giques. Par leur logique préventive, les politiques sociales visent à permettre aux publics
d’acquérir les compétences et capacités (« encapacitation ») nécessaires à faire face à l’in-
tensification de ces crises.
• Le visage de la Wallonie s’en voit transformé : son territoire est complètement réorganisé par
les nouvelles logiques politiques, sociales et économiques mises en place. La dé-globalisa-
tion des activités économiques suppose la relocalisation de nombreuses activités, notam-
ment en matière alimentaire. Les chaînes de valeurs se raccourcissent drastiquement. Le
territoire est réorganisé autour de bassins de vie qui permettent à l’ensemble de la popula-
tion d’accéder aux biens et services fondamentaux (conçus comme des « communs » inalié-
nables, protégés et partagés) grâce à des moyens de déplacement peu énergivores et de
participer de façon active à la vie politique, économique et sociale locale, menant à un ren-
forcement des solidarités.

Contexte économique et climatique mondial

En Europe occidentale, la répétition des crises causées par les changements climatiques et en-
vironnementaux et leurs conséquences mobilise un large mouvement d’opinion de plus en plus
critique à l’égard du manque d’ambition et de réactivité des instances internationales. Les enjeux

228 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
environnementaux apparaissent désormais comme cruciaux pour la survie même des popula-
tions. Cette prise de conscience incite les États membres de l’Union européenne les plus avan-
cés sur la question de la transition vers une neutralité climatique à prendre les devants et à unir
leurs efforts pour mettre en place la transition économique, politique et sociale nécessaire pour
faire face aux multiples crises (changements climatiques et environnementaux, pertes de biodi-
versité, pollutions de l’air, de l’eau et des sols…) qui rendent vulnérables l’ensemble de l’humanité.

En Wallonie comme dans les grands pays voisins, les activités économiques sont désormais
passées au crible d’un ensemble d’indicateurs de performance, non seulement en matière de
respect des limites planétaires, mais aussi d’inégalités sociales et environnementales, qu’elles
doivent impérativement satisfaire sous peine de se voir imposer de lourdes sanctions. L’intégra-
tion des coûts réels de production se reflète progressivement dans le prix de certains biens et
services, y compris pour les biens importés, dont les consommateurs se détournent au profit de
solutions locales, basées sur l’économie circulaire et la réutilisation de matériaux. Ce n’est, du
reste, pas seulement une question de choix politique : le pic de production a été atteint pour
certaines ressources naturelles, y compris celles sur lesquelles se fondaient les espoirs d’une
transition facilitée par les technologies. Il est désormais évident que le monde est entré dans une
nouvelle ère, celle de la post-croissance.

La logique de sobriété ou de « satiété » en matière de consommation qui gagne l’ensemble de


l’Union européenne a d’importants effets sur les échanges économiques mondiaux. Le com-
merce international connaît une importante contraction qui pousse la plupart des grandes puis-
sances à se concentrer sur leur marché intérieur et sur leurs zones d’influence. La quasi-totalité
des activités productives qui avaient été relocalisées en Asie et en Chine à la fin du XXe siècle
se redéploient en Europe. En outre, une partie d’entre elles trop consommatrices en ressources
et évaluées non soutenables sont « exnovées », en particulier dans les domaines technolo-
giques, dans la mobilité et dans l’industrie lourde. Un travail de coordination de l’activité écono-
mique à l’échelle européenne est mis en place afin de garantir le fonctionnement d’espaces ter-
ritoriaux pertinents, organisés autour des villes et de leur hinterland. Les ceintures alimentaires
se généralisent dans toutes les villes européennes. Une logique d’équilibre territorial est égale-
ment mise en place afin de permettre une meilleure distribution des populations sur le territoire.
Les trois quarts des produits consommés sur un territoire sont produits dans un rayon de moins
de trente kilomètres, ce qui permet leur acheminement par des moyens peu énergivores.

L’économie se réorganise autour de ces nouveaux modes de vie : elle renoue avec son sens
premier de « gestion des communs » afin de permettre le bien-être de toutes et tous ainsi que
leur accès aux droits fondamentaux. Dans ce contexte, les inégalités sociales sont extrêmement
limitées et n’affectent en aucune manière la qualité de vie des populations.

Situation politique et économique de la Belgique et de la Wallonie

Dotée d’une large autonomie au sein d’une Belgique au fédéralisme renforcé, mais aussi d’une
Union européenne qui encadre les initiatives nationales et régionales en matière de transition
sociale et écologique, la Wallonie fait figure de pionnière. Elle développe des normes et des
dispositifs innovants qui permettent de valoriser et de monétiser les activités qui maximisent le
bien-être, l’amélioration de la santé des populations et leur encapacitation. Les « services pu-
blics », comme on les appelait autrefois, ne sont plus conçus comme des charges supportées
(ou subventionnées) par l’État, mais comme des activités génératrices de valeur. Dans ce nou-
veau paradigme, le rôle de la Wallonie est de faciliter ces activités, soit en fournissant directe-
ment des services collectifs, soit en mettant en capacité les acteurs socio-économiques de les
organiser. Le contexte difficile, marqué par la crise et la rareté croissante de certains biens, oblige

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 229


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
la Région à promouvoir des systèmes d’échange performants, basés sur des chaînes de valeur
et de solidarité plus locales. Pour ce faire, la Wallonie peut compter sur une longue histoire d’in-
novation sociale et économique, et notamment sur un large tissu coopératif et entrepreneurial,
qui lui permet de relocaliser une grande partie de la production sur son territoire autour d’entre-
prises de taille plus petite.

Avec la raréfaction des ressources, les chaînes de production et de consommation tendent à se


raccourcir. La vie sociale et économique est ainsi progressivement réorganisée autour de nou-
velles unités territoriales et de communs qui assurent l’essentiel des services collectifs, notam-
ment en matière d’éducation, de santé et de mobilité. L’espace wallon, comme d’autres espaces
régionaux européens, se divise ainsi en une multitude de bassins de vie. La relative spécialisation
de ces territoires continue toutefois d’assurer leur interdépendance et leur cohésion au sein d’en-
tités plus larges, comme les bassins « culturels ». Les villes retrouvent ainsi une nouvelle attrac-
tivité, du fait de leur concentration élevée en activités génératrices de valeur (éducation, ensei-
gnement, culture, réseaux d’entraide, commerces de proximité, etc.), tandis que les campagnes
profitent d’une plus grande disponibilité foncière pour déployer des activités agricoles nourri-
cières d’un habitat plus concentré.

Pour certains biens qui ont été exnovés, comme les voitures individuelles ou les téléphones por-
tables, la logique devient celle des communs, centrés sur les droits fondamentaux et le partage
de ressources. La norme qui se généralise en 2050 est celle de la satiété dans la consommation
de ressources : les Wallonnes et les Wallons, comme le reste de la population en Europe, sont
dans leur majorité moins propriétaires que leurs parents de biens et d’objets très gourmands en
énergie et en matériaux. En outre, ces objets sont bien dimensionnés et répondent à leurs be-
soins réels.

En même temps qu’elle tourne le dos aux activités les plus polluantes, la Wallonie, comme
d’autres régions européennes, met en œuvre des dispositifs pour requalifier le personnel des
entreprises concernées. De manière générale, les filières techniques et professionnelles sont
fortement revalorisées, de manière à anticiper les besoins d’emplois, en quantité et en qualité,
dans les nouvelles filières de la transition et de l’économie du bien-être, moins intensive techno-
logiquement, mais requérant davantage de compétences pour des chaînes de production et de
commercialisation plus courtes. Le métier d’agricultrice/-teur est, par exemple, fortement reva-
lorisé afin de permettre le déploiement des ceintures alimentaires.

Là où certains pays subissent de plein fouet le choc de la fin de la croissance, la Wallonie, avec
d’autres États et régions, invente ainsi progressivement un autre modèle qui réussit à accompa-
gner et à faciliter la transition.

Situation sociale et forme prise par l’État social

Avec l’évidence de la nécessité de changer de modèle économique, la question sociale fait son
grand retour sur la scène politique. Un consensus se dégage pour accompagner la transition
climatique de mesures fortes pour y associer les publics les plus précaires. La lutte contre la
pauvreté devient rapidement un enjeu social prioritaire. Par rapport aux politiques sociales des
décennies précédentes, la focale s’élargit : il ne s’agit plus seulement de lutter contre la pauvreté,
mais de promouvoir l’accès aux droits fondamentaux, au premier rang desquels ceux des en-
fants. Avec la transition sociale et écologique, c’est en réalité un grand projet collectif, émanci-
pateur et universaliste, qui mobilise la Région.

La question des enfants et de la pleine promotion de leurs droits devient la porte d’entrée des
politiques sociales. À travers elle, c’est tout le champ de la lutte contre la pauvreté qui se trouve

230 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
reconfiguré. Mais au lieu, comme dans le scénario 1, de concentrer tous les moyens sur les en-
fants, au risque de pénaliser les familles et milieux d’accueil jugés les moins aptes, la vision qui
prévaut invite plutôt à reconstruire l’ensemble du système de sécurité sociale en partant de l’ac-
cès des enfants à leurs droits fondamentaux.

Dans ce nouveau contrat social-environnemental, la question écologique est indissociable de la


question sociale. L’action publique vise à mettre en capacité les personnes pour les rendre plus
autonomes et moins vulnérables, notamment vis-à-vis des très longues chaînes de valeur du
mode de production qui prévalait encore jusqu’au premier quart du XXIe siècle. L’objectif pour-
suivi est celui d’une « sécurité sociale-écologique ». De quoi les enfants et les adultes de demain
ont-ils besoin pour être mieux armés dans ce monde en transformation, avec un climat déréglé ?
La politique des droits de l’enfant devient ainsi un principe dans la construction de la sécurité
sociale. C’est un changement fondamental : on ne pense plus la sécurité sociale uniquement à
travers le travail et l’emploi, on y intègre complètement la question de la prévention et de l’as-
surance de risques sociaux-écologiques.

L’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants

Cet accent mis sur le renforcement des capacités et la projection dans les enjeux de demain
amène à faire de l’école un maillon essentiel des politiques de transition. L’enseignement devient
une priorité absolue d’action publique. L’école est le centre de toutes les attentions : elle devient
un lieu où on forme les enfants pour les rendre plus capables et compétents pour affronter ces
enjeux et s’adapter aux chocs écologiques. Elle voit aussi sa capacité d’accueil s’étendre, jusqu’à
intégrer des activités qui relevaient du domaine parascolaire. En offrant ainsi aux enfants l’occa-
sion d’une vie en dehors du milieu familial, l’école allège la charge éducative et financière qui
pèse sur les familles, avec des effets bénéfiques sur l’autonomie des enfants. Elle est aussi re-
connue comme le premier lieu de participation à la vie démocratique et institutionnelle. Cela
passe par un mode de gouvernance scolaire plus inclusif, qui associe les enfants aux décisions
qui les concernent – allant, en 2050, jusqu’aux contenus mêmes d’apprentissage.

La promotion de la citoyenneté à l’école accompagne un mouvement plus large de renforce-


ment de la participation citoyenne, notamment au niveau local, et qui ne se limite pas aux ins-
tances politiques. L’élargissement de la question sociale a, par exemple, pour effet de transfor-
mer la concertation sociale, allant jusqu’à développer des formes de cogestion qui associent les
salariés à la décision. Déjà en voie d’institutionnalisation dans les politiques de lutte contre la
pauvreté, l’inclusion des bénéficiaires et des usagers irrigue toutes les politiques d’aides sociales.
En matière d’aide à la jeunesse, l’objectif est de construire de véritables partenariats avec les
destinataires de la décision (enfants, familles et milieux d’accueil). On n’imagine plus concevoir
de politiques publiques sans prendre en considération l’expérience vécue des destinataires.
L’expertise d’usage est largement reconnue et respectée. Le modèle de gouvernance dominant
est celui du « forum hybride » : des espaces publics de délibération et de participation à la vie
collective, marqués par l’hétérogénéité des parties prenantes. Les institutions politiques de la
démocratie représentative ne disparaissent pas, mais voient leur rôle se modifier sous l’effet de
la diffusion de ce nouveau modèle de gouvernance plus distribué, moins dominé par les partis
politiques.

Avec l’école, le logement constitue un autre axe prioritaire de politique publique du nouveau
contrat social-environnemental. La Région entend créer, réhabiliter et mettre à disposition une
plus grande quantité de logements en bon état, mieux adaptés aux besoins et aux situations très
hétérogènes des publics pauvres et précaires. Elle intervient activement sur le marché locatif,
pour garantir l’effectivité du droit au logement, en incitant les propriétaires à rénover leurs biens,

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 231


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
en favorisant l’accès au premier logement pour les jeunes majeurs, voire en réquisitionnant les
logements de propriétaires récalcitrants.

L’attention portée aux bénéficiaires amène les pouvoirs publics à réfléchir à la pauvreté davan-
tage comme une trajectoire avec ses points de bascule, qui affecte les transitions et les parcours
de vie au niveau individuel. La Région, suivant en cela l’exemple d’autres pays, accompagne ces
évolutions en renforçant la capacité des individus et en réduisant leur vulnérabilité : petite en-
fance (accueil inconditionnel et garanti), obligation scolaire dès trois ans, soutien pour le premier
logement, octroi du statut d’allocataire boursier pour les étudiants (leur permettant de sortir de
la dépendance des familles comme du marché du travail).

Le régime d’allocations familiales accompagne ces évolutions. Il suit l’enfant, sinon jusqu’à son
autonomie, du moins jusqu’à la possibilité pour le jeune adulte d’accéder à d’autres formes de
revenus, après la fin de sa formation. En déconnectant la sécurité sociale de la question du travail
et de l’emploi, le système d’allocations familiales ouvre progressivement la porte à l’octroi d’un
revenu minimum inconditionnel, qui s’ajoute aux autres formes de rémunérations et donne la
possibilité, en 2050, de recevoir un véritable salaire d’activité. Celui-ci permet une reconnais-
sance de la contribution de plus en plus large prise par chacun au bien-être de tous.

Très coûteux durant les années 2030, l’investissement public massif dans l’école, le logement et
la prévention porte ses fruits avec l’arrivée à l’âge adulte de la première génération formée dans
le nouveau système social. En 2050, le nombre de dossiers d’aide et de protection de la jeunesse
à gérer a fortement diminué. Bien que les recettes de la Région soient elles-mêmes en baisse
(au regard de la manière dont on les valorisait en termes de PIB trente ans plus tôt), les politiques
sociales sont en réalité moins coûteuses. La Région peut ainsi continuer d’investir dans la pré-
vention et dans l’éducation, mais il est (paradoxalement) moins dépensier en 2050 qu’en 2024.
Tous les services liés aux droits fondamentaux sont pour la plupart gratuits et accessibles dans
un rayon de trente kilomètres.

Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?

Né en 2030, Timéo vit avec ses parents, son frère aîné et ses deux sœurs cadettes dans une
banlieue ouvrière d’un bassin industriel wallon. D’aussi loin qu’il se souvienne, on n’a jamais cessé
de parler de changement et de transformation autour de lui. Les choses bougent si vite qu’il a
parfois l’impression que le monde changera encore plusieurs fois avant ses vingt ans. Quand son
père parle de la Grande Accélération, c’est avec des sentiments très contrastés. Lorsque la ci-
menterie où il travaillait depuis dix ans a dû fermer ses portes dans le cadre du programme « Ex-
Carbone », il a bénéficié d’un accompagnement à la reconversion dans les métiers de la cons-
truction durable. Un emploi stable et de qualité, mais qui ne l’empêche pas de regretter souvent
des aspects de sa vie d’avant – l’époque où il avait encore sa propre voiture, où le débit des
téléphones portables n’était pas plafonné, où le soda coulait à flots…

Le changement le plus spectaculaire, c’est à l’école que Timéo et ses sœurs l’ont connu. Moins
d’enfants par classe, un soutien spécial pour les copains qui ne parlent pas français à la maison,
plein d’activités gratuites proposées à l’école même, un repas chaud par jour, c’était déjà une
sacrée différence. Mais il y a aussi ce qu’ils y font : pour grandir dans un monde qui change très
vite, il faut d’abord le comprendre, apprendre à vivre ensemble, développer des projets qui nous
arment pour mieux nous y adapter – menuiserie, couture, électricité, culture potagère… Et quand
il faut prendre une décision importante, qui engage l’école, Timéo a son mot à dire.

232 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Max, son frère aîné, n’a pas eu cette chance : il avait déjà décroché quand tout cela s’est mis en
place. Plusieurs fois, il aurait pu basculer, mais il y avait toujours quelque chose ou quelqu’un
pour le retenir – les services sociaux ont vraiment fait le maximum pour maintenir le lien avec
ses parents. Aujourd’hui, malgré son faible niveau de qualifications, il se rend utile dans la coo-
pérative alimentaire de la commune, qui lui permet de bénéficier d’une aide au premier loge-
ment pour jeunes majeurs. Grâce au programme « alimentation durable pour tous », grâce aussi
aux cuisines de quartier entretenues par des retraités (contre un salaire d’activités en complé-
ment de leur pension), Max a réappris à son père à manger sainement et à lui éviter que son
diabète ne dégénère.

Vers 2040, la famille a pu rénover son logement grâce au nouveau système de « tiers-payant »,
qui leur a permis d’entamer les travaux sans avancer la totalité des fonds. Avec les épisodes de
canicules de plus en plus nombreux, ce n’était vraiment pas du luxe. De son côté, la mère de
Timéo, longtemps aide-ménagère en titres-services, a été parmi les premières à expérimenter
le programme-pilote « acti-services », mis en place pour valoriser l’activité au sein des nouveaux
bassins de vie. Leur quartier s’est réorganisé autour de services (mobilité, communication, éner-
gie), qui demandent beaucoup de temps et de travail, mais contribuent aussi énormément au
« score de bien-être » de leur commune.

Le contraste est d’ailleurs très grand avec leurs cousins et leur famille nombreuse, qu’ils voient
peu, même s’ils ne vivent qu’à septante kilomètres de là. Longtemps précaire, la situation des
cousins s’était améliorée au long des années 2030 : avant la petite révolution de l’automatisation
des droits, le « facilitateur ou facilitatrice technique » les avait déjà bien aidés dans leurs dé-
marches avec le numérique, sans parler des « figures de proximité » qui ont permis aux parents
de maintenir le contact avec l’école. Aux dernières nouvelles, leur bassin de vie était cependant
beaucoup moins avancé dans le développement de services et de communs. Avec la rupture
de certaines chaînes d’approvisionnement, de nombreux équipements individuels ont cessé de
fonctionner. Les délestages hivernaux font partie du quotidien. Comme beaucoup de familles
dans le même cas, les cousins songent aujourd’hui à vivre avec les grands-parents, trois géné-
rations sous le même toit, dans l’un de ces logements en « cœur de ville » mis à disposition par
un propriétaire moyennant une garantie de la Région. Tous les territoires sont loin d’être égaux
face aux changements en cours et à venir. Certaines villes peinent à attirer l’activité. La Région
fait son possible, mais par endroits, le modèle qu’elle encourage touche à ses limites.

4.5. SCÉNARIO 4 (TENDANCIEL) – UN ÉTAT SOCIAL ACTIF RENFORCE : LA


QUÊTE D’UNE « BONNE ENFANCE » DANS UNE WALLONIE FRAGMENTÉE
Préambule

Ce quatrième scénario doit être lu différemment des précédents. En effet, si l’on dispose de pro-
jections tendancielles de long terme pour certaines variables démographiques ou macroécono-
miques à l’échelle de la Wallonie, ces projections n’ont de sens que « toutes autres choses
égales par ailleurs ». Or, le contexte global reste, quant à lui, marqué par des incertitudes ma-
jeures, en particulier aux plans géopolitique (les rapports de force mondiaux étant occupés à se
redessiner) et climatique (le scénario tendanciel à l’horizon 2050 développé par le GIEC suppo-
sant des changements climatiques et environnementaux majeurs aux lourdes conséquences
économiques, sociales et sanitaires).

Plutôt que de représenter une image tendancielle du futur, l’intérêt de ce scénario est de mettre
en évidence de multiples tensions non résolues dans l’état actuel du système. Par exemple, pour
n’en citer que quelques-unes : la tension entre l’action contre les changements climatiques et

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 233


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
environnementaux et la volonté de poursuivre des objectifs de croissance économique ; ou, la
tension entre la nécessité de maintenir un budget régional à l’équilibre et celle de dépenser
massivement dans la gestion des conséquences des changements climatiques et environne-
mentaux et du vieillissement de la population ; ou encore, la tension entre la volonté de protéger
les publics les plus vulnérables comme les enfants et celle de maintenir la cohésion sociale dans
un contexte de réduction des dépenses publiques. En projetant dans l’avenir les grandes ten-
dances d’un système à l’état instable, les instabilités et tensions actuelles n’en ressortent qu’avec
plus d’évidence.

Ainsi, à la différence des trois précédents scénarios qui présentent une certaine cohérence, car
les tensions y sont résolues, celui-ci, par ses incohérences, fait émerger des enjeux porteurs de
changements ou de bifurcations possibles.

Ce qu’évoque le titre de ce scénario

Le titre de ce scénario évoque trois dimensions :

• Le renforcement de l’État social actif : depuis l’émergence de l’État social actif au début des
années 2000, on a pu observer un renforcement progressivement de la conditionnalité des
droits et des aides sociales, en particulier dans la seconde moitié des années 2010, à la suite
d’importantes réductions dans les dépenses sociales. Dans ce scénario, nous inscrivons
l’évolution de l’État social dans cette tendance.
• La place de l’enfant demeure prioritaire dans ce scénario, comme dans les trois autres. Les
raisons de cette mise à l’avant-plan de l’enfance dans le fonctionnement social et les moda-
lités de mises en œuvre s’approchent à bien des égards du scénario 1. Nous poursuivons la
tendance observée dans le chapitre 1 de l’étude de « montée en puissance » conjointe d’une
conception « onusienne » de l’enfance et d’une priorisation du public des enfants dans la
lutte contre la pauvreté. La notion de « bonne enfance » traduit cette évolution.
• La conjonction du renforcement de l’État social actif et d’une focalisation sur le public des
enfants (ainsi que sur d’autres publics cibles prioritaires) en matière de lutte contre la pau-
vreté et de politiques sociales conduit à une fragmentation sociale importante : certains pu-
blics se voient davantage protégés que d’autres faces aux crises qui se multiplient en raison
des effets des changements climatiques et environnementaux. En outre, cette fragmentation
est aussi territoriale et économique : la Wallonie poursuit la tendance à la tertiarisation de son
économie, ce qui la fragilise face aux crises, réduit la diversité d’offre sur le marché de l’em-
ploi et génère d’importantes disparités territoriales.

Contexte économique et climatique mondial

Le contexte géopolitique mondial est dominé par de fortes incertitudes. Les principales puis-
sances économiques et militaires (États-Unis, Chine, Russie, Union européenne) tentent
d’étendre ou de défendre leurs zones d’influence dans le monde. Ces grandes puissances s’ins-
crivent dans une concurrence accrue dans l’accès aux ressources.

Malgré les efforts menés en Europe pour atteindre la neutralité carbone à travers le Green Deal
adopté dans les années 2020, cet objectif ambitieux n’est que partiellement atteint. La décarbo-
nation du transport des personnes et des marchandises ainsi que du chauffage domestique a
connu un certain succès. Cependant, le tissu industriel demeure encore fortement dépendant
des énergies fossiles pour son fonctionnement. En outre, l’accroissement massif de la demande
en énergie électrique pose de nombreux problèmes dans la gestion du mix énergétique (qui
suppose la réintroduction d’énergies fossiles dans sa production), ainsi que dans l’approvision-
nement en matières premières en raison des tensions géopolitiques.

234 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Au niveau mondial, malgré les engagements répétés des États les plus pollueurs à décarboner
leurs économies au gré des COP annuelles, le réchauffement climatique n’a pu être limité et
atteint, en 2050, les 3 degrés à l’échelle de la planète : l’heure est à l’adaptation. Dans ce contexte,
les impacts des changements climatiques et environnementaux touchent la totalité de la popu-
lation mondiale, y compris les populations européennes qui doivent affronter chaque année sé-
cheresses, inondations, violentes tempêtes et canicules, ainsi que l’apparition de maladies au-
paravant réservées aux pays tropicaux. Certaines zones du globe, en particulier les régions tro-
picales humides africaines, deviennent inhabitables alors qu’elles ont connu une croissance dé-
mographique très importante dans les décennies précédentes. Cette situation génère des crises
migratoires récurrentes qui touchent directement le continent européen. Les conditions d’entrée
sur le territoire de l’Union deviennent de plus en plus restrictives et limitées aux migrations de
travail. L’accueil des réfugiés climatiques et des personnes fuyant des zones de conflits armés
obéit à des conditions de plus en plus drastiques.

En Europe, les partis politiques traditionnels entretiennent des politiques protectionnistes et très
strictes vis-à-vis des flux migratoires, en raison à la fois de la montée des partis populistes et
xénophobes (dont les succès électoraux se multiplient du fait de la situation sociale tendue), et
de la portée de plus en plus réduite des régimes de protection sociale. Certains pays dont la
population active demeure plus jeune et qui ont su recruter via les migrations de travail connais-
sent, toutefois, une certaine embellie économique en raison du redéploiement d’une partie du
tissu industriel en matière de technologie de décarbonation et d’adaptation aux changements
climatiques et environnementaux. En outre, malgré les difficultés engendrées par les impacts
des changements climatiques et environnementaux, l’Union européenne est parvenue à main-
tenir une sécurité alimentaire, mais au prix d’un accroissement important des coûts de produc-
tion qui s’est répercuté dans le portefeuille des consommateurs européens. Ceux-ci voient, en
moyenne, leur pouvoir d’achat se restreindre, quoique d’une façon très inégalement distribuée
sur le territoire européen. Certains pays ont su tirer parti des opportunités économiques liées au
réchauffement climatique ou y sont plus résilients, comme les pays scandinaves, dont le niveau
de vie est devenu très supérieur à la moyenne européenne. Les pays de l’arc méditerranéen ont
connu, en revanche, un effondrement de leurs conditions de vie, touchés de plein fouet par les
conséquences du réchauffement climatique et une économie structurellement affaiblie.

Situation politique et économique de la Belgique et de la Wallonie

Au fil des réformes de l’État et des nombreux financements européens liés aux politiques de
transition énergétique, la Wallonie a gagné en autonomie dans l’orientation de ses politiques. Sa
situation économique tendue la rend, néanmoins, encore très fortement tributaire des méca-
nismes de péréquation entre entités fédérées.

Le Gouvernement wallon, à l’instar de ceux de nombreux pays européens, demeure un gouver-


nement de coalition qui doit, néanmoins, faire face au développement de nouveaux mouve-
ments populistes et xénophobes. L’orientation de ses politiques demeure marquée par l’objectif
de croissance du PIB et du taux d’emploi. L’action du Gouvernement s’inscrit également dans le
cadre du Green Deal européen qui permet de soutenir le développement de nouvelles activités,
notamment en matière énergétique ou d’économie circulaire, ainsi qu’un ensemble d’activités
liées à la santé et au vieillissement. Dans ce cadre, la Wallonie bénéficie d’importants soutiens
financiers européens. Elle demeure, d’ailleurs, très largement tributaire, pour le fonctionnement
de son économie, des investissements étrangers.

De façon générale, l’économie wallonne a poursuivi sa désindustrialisation et s’est fortement ter-


tiarisée. Elle demeure donc également très fortement dépendante des importations pour les

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 235


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
biens et produits manufacturés ainsi que pour son alimentation. Après un lent démarrage, causé
par le manque de revalorisation et d’attractivité des filières techniques et professionnelles, un
tissu important de PME actives en matière énergétique et technologique a fini par se développer,
sans pour autant avoir d’impact massif sur la croissance de l’économie. En outre, les promesses
de gains de productivité des technologies ne se sont pas confirmées et de nombreux investis-
sements en ces matières se sont avérés peu rentables. Malgré l’action de soutien du Gouverne-
ment à certains secteurs jugés porteurs, la situation économique de la Wallonie demeure diffi-
cile : la croissance du PIB connaît une baisse tendancielle pour dépasser à peine plus de 1 % par
an.

Par ailleurs, cette croissance limitée, couplée au vieillissement de la population active et à la


faiblesse des migrations de travail, a généré une évolution très limitée du taux d’emploi qui passe
entre 2019 et 2070 de 68,9 % à 76,4 %, conformément aux prévisions du Comité d’étude sur le
vieillissement 168, en particulier en raison de la part croissante du travail des femmes et des se-
niors. Par ailleurs, un chômage structurel d’environ 7 % se met en place et se stabilise à partir de
2028 pour plusieurs décennies. Cette situation économique fragilise la classe moyenne infé-
rieure, qui voit ses revenus faiblir, tandis que les hauts revenus augmentent et que les minimas
sociaux suivent l’évolution du PIB.

Dans ce contexte, les inégalités sociales se creusent, ceci en particulier en matière de patrimoine
et d’exposition aux effets des changements climatiques et environnementaux. Les populations
les plus précarisées souffrent davantage des crises qui se multiplient. Dans un contexte écono-
mique au taux d’emploi à très faible croissance, les jeunes (18-25 ans) sont également davantage
confrontés aux situations de pauvreté et de précarité. Malgré cette paupérisation de certaines
franges de la population, on observe, en moyenne, une stabilisation du taux de pauvreté encou-
ragé par la revalorisation des pensions et la hausse des pensions des femmes.

Situation sociale et forme prise par l’État social

La situation sociale de la Wallonie devient très fragmentée. Certains publics comme les femmes,
en particulier les femmes seules avec enfants, ou les personnes âgées, qui bénéficient d’une
action spécifique, voient leur situation sociale se stabiliser voire légèrement s’améliorer. D’autres
publics comme les jeunes, les migrants ou les personnes en grande précarité se retrouvent plus
facilement marginalisés et exclus de ces politiques par les effets du non-recours aux droits.

Le budget de la Wallonie est devenu structurellement déficitaire – malgré le plan de désendet-


tement adopté dans les années 2020 – en raison des dépenses croissantes nécessaires pour
faire face au vieillissement de la population et aux conséquences économiques et sociales des
crises écologiques qui se répètent. Le déficit est aggravé par la baisse de l’assiette fiscale, sans
être compensé par les mesures de taxation des revenus du patrimoine adoptées à la fin des
années 2020, qui se révèlent insuffisantes.

Ce contexte de finances publiques tendues génère d’importantes évolutions en matière de po-


litiques sociales. L’État social actif tel qu’il s’est développé à partir de la seconde moitié des an-
nées 2010 se renforce : activation et conditionnalité des droits deviennent le cœur des politiques
sociales. Le système de protection sociale glisse d’une logique assurantielle (chômage, maladie,
pension) à une logique assistancielle (RIS, GRAPA), phénomène encore accentué par la privati-
sation croissante du système assurantiel, peu accessible aux personnes à bas revenus. Les po-
litiques sociales perdent, en outre, leur portée universelle, pour se concentrer sur des publics
prioritaires (femmes, enfants, familles monoparentales, personnes âgées, jeunes) qui bénéficient

168
https://www.plan.be/uploaded/documents/202307110905350.REP_CEVSCVV2023_12855_F.pdf

236 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
de mesures de soutien spécifiques. En outre, la perte de pouvoir d’achat importante de la classe
moyenne rend l’accès à l’alimentation et à l’énergie de plus en plus difficile, ce qui suppose la
mise en place de mesures de soutien spécifiques à la classe moyenne inférieure, très fragilisée
et en proie à glisser dans la précarité ou la pauvreté.

Dans ce paysage complexe, la Région s’appuie également sur le tissu associatif pour l’aider à
faire face à une situation sociale qu’elle peine à maîtriser. Elle s’en remet à la charité et à la phi-
lanthropie pour trouver des mesures de soutien aux populations les plus précarisées, en parti-
culier lorsqu’il s’agit d’enfants : les actions caritatives et associatives en faveur des familles et des
mineurs étrangers non accompagnés (MENA) se multiplient en raison d’un désinvestissement de
l’État sur ce front.

Dans ce contexte, la lutte contre la pauvreté des enfants devient un leitmotiv pour les gouver-
nements successifs avec la tentation croissante d’orienter davantage de moyens vers ce public,
notamment parce qu’ils y sont poussés par les instances internationales (Comité international
des droits de l’enfant) et européennes (Garantie européenne pour l’enfance), mais aussi parce
que l’idée qu’il s’agit d’un investissement pour le futur s’est très largement banalisée. Cette lo-
gique génère le développement de politiques de plus en plus ciblées, notamment en matière
de logement, y compris pour les classes moyennes inférieures et les publics les plus jeunes.
Diverses aides au logement sont mises en place, mais leur accès est rendu complexe en raison
de conditionnalités très strictes et du fait qu’elles ne sont accessibles qu’en ligne.

Sur le plan de la cohésion sociale, la situation se détériore également. La société wallonne s’est
fortement fragmentée et individualisée. La faible croissance économique et les politiques so-
ciales de plus en plus restreintes et conditionnelles créent beaucoup de nouveaux « laissés-
pour-compte ».

L’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants

Sous la pression des institutions internationales (Comité international des droits de l’enfant) et de
l’Union européenne (Garantie européenne pour l’enfance), et à la suite du développement d’un
secteur institutionnel et associatif dédié à la mise en œuvre des droits de l’enfant en Belgique
francophone, les décennies 2020, 2030 et 2040 ont vu l’émergence et le renforcement progressif
du caractère normatif du référentiel de la « bonne enfance ». Cela s’est notamment traduit par
un élargissement des compétences du Délégué général aux droits de l’enfant (sans pour autant
que ses moyens soient augmentés).

La « bonne enfance » devient, en effet, l’objectif implicite de l’ensemble des politiques qui luttent
contre la pauvreté des enfants. Elle suppose plusieurs principes qui trouvent leur origine dans la
Convention : une capacité d’action autonome, une participation aux décisions qui le concernent,
des droits subjectifs propres, une égalité de genre, une aide à la réussite dans une société com-
pétitive, une liberté d’orientation philosophique, religieuse et éducative.

Ce cadre, qui vise à l’émancipation de l’enfant comme individu, devient un référentiel partagé
par de nombreux acteurs politiques et associatifs. Ceux-ci poussent notamment à un abaisse-
ment de la majorité des enfants ainsi qu’à une politique de la famille et de l’enfance qui tend à
surresponsabiliser les parents, voire à organiser un « management social » lorsque ceux-ci
s’écartent de cette norme. Les familles les plus défavorisées (en termes de capitaux écono-
mique, social et culturel) peinent à satisfaire ces critères et sont souvent stigmatisées pour leurs
mauvais comportements. Pour cette raison, elles font l’objet d’un contrôle renforcé, ce qui con-
tribue encore à détériorer leurs relations avec les institutions de prise en charge.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 237


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Cette idéologie de la « bonne enfance » se déploie également dans un contexte de transforma-
tion importante des modèles familiaux, dans le sens d’une diversification des configurations
(formes et nombre : familles recomposées, familles de parents de même sexe, familles mi-
grantes, extension de la pluri-parenté, etc.). Avec la disparition du statut cohabitant, apparaissent
en outre des phénomènes de cohabitation de familles monoparentales. Ces nouvelles formes
de vie familiale « étendues » permettent également d’assurer une protection à ses membres via
des mécanismes de « solidarité chaude » qui compensent l’affaiblissement des politiques so-
ciales et des corps intermédiaires.

Ces transformations familiales se complètent également d’un accroissement de la prise en


charge des enfants mineurs par les institutions de placement : la précarisation grandissante de
certaines populations, ainsi que l’attention plus importante accordée aux situations des enfants
portée par les principes de la « bonne enfance », mènent à un plus grand nombre de diagnostics
de situations de danger pour l’enfant, qui conduisent à son placement.

Par conséquent, le système d’accueil des enfants connaît de multiples difficultés inhérentes à
une réduction des dépenses publiques dans les services sociaux : le taux de couverture en
crèche demeure insuffisant et le secteur fait face à une pénurie de puéricultrices ; les services
de placement font face à des coûts croissants et à une pénurie de travailleurs sociaux. Quant au
système d’enseignement, malgré une succession de réformes ambitieuses, il continue de faire
face à des défis de plus en plus considérés comme structurels : stagnation des performances,
pénurie d’enseignants, inégalités entre élèves et entre établissements.

Quelle pourrait être la vie d’un enfant né en 2030 dans un milieu pauvre ou précaire dans ce scé-
nario ?

Née en 2030, Emma vit dans un petit appartement situé en banlieue d’une grande ville wallonne,
avec sa mère célibataire, arrivée en Belgique cinq ans auparavant. Faute de places en crèche,
mais surtout de possibilités d’accueil durant les heures de travail très variables de sa mère (tech-
nicienne de surface pour une grande entreprise sous-traitante en nettoyage de bureaux), Emma
a été ballottée chez ses tantes durant toute sa petite enfance. De sa scolarité difficile, dans un
établissement surpeuplé de la Ville, elle ne garde pas un très bon souvenir. Malgré la bonne
volonté du personnel enseignant, souvent dépassé par les défis de l’intégration d’élèves ne par-
lant pas français à la maison, elle a accumulé une série de retards qui l’ont orientée, à ses 14 ans,
vers une formation dans le domaine de la restauration et de l’alimentation.

Très souvent, sa mère se sent coupable de ne pas avoir réussi à donner davantage de chances
à Emma. Dans ses interactions avec les services sociaux, on ne manquait pas de lui faire com-
prendre que sa fille avait des droits, et que si elle n’était pas en mesure de prendre en charge
son enfant, d’autres solutions s’offraient à elle, comme l’assistance familiale, voire le placement.
Elle s’y est toujours refusée, même si les projets et autres « contrats parentaux » qu’on lui pro-
posait impliquaient souvent des sacrifices importants, en termes d’autonomie – sans parler de
l’humiliation ressentie face au manque de confiance des institutions. Le comble, c’était quand on
lui faisait remarquer que la taille de la chambre d’Emma n’était pas suffisante… Était-ce sa faute
si le propriétaire avait mal cloisonné l’appartement, ou si la commune ne lui avait pas encore
octroyé de logement social ?

Quand les premiers migrants ont commencé à arriver depuis les régions du sud de l’Europe
menacées de sécheresse, la mère d’Emma a vite compris que la situation n’allait pas s’améliorer.
Certes, elle est devenue prioritaire sur certaines aides aux familles monoparentales, mais en cas
de perte de revenus, elle se demande si elle aura seulement droit à des allocations ou si elle ne
devra pas de nouveau demander le revenu d’intégration sociale, comme à son arrivée en

238 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Belgique… D’autres dispositifs, a-t-elle appris plus tard, lui ont échappé, faute d’informations suf-
fisantes ou même de compétences pour les demander – il faut dire que tout est en ligne, et
même pour prendre rendez-vous au guichet, c’est au-dessus de ses capacités… Ce qui est sûr,
c’est qu’on ne la regarde pas différemment des nouveaux arrivants. Autour d’elle, c’est chacun
pour soi. On la voit comme une concurrente, pour l’emploi comme pour les aides sociales. Le
pire, c’est que c’est pareil pour Emma, qui est pourtant née ici !

Était-ce une si bonne idée de demander à sa mère de venir la rejoindre en Belgique ? D’un côté,
ils pourront peut-être vivre ensemble – il y a maintenant aussi des aides spécifiques pour le
maintien à domicile des seniors, et même des primes pour les habitats intergénérationnels. Il y a
aussi des associations qui ont pris le relais des pouvoirs publics pour proposer des solutions plus
ou moins stables aux « primo-arrivants » ou à leurs enfants mineurs, mais voilà bien longtemps
qu’elle n’est plus dans les conditions… Sans compter que grand-mère a besoin de soins de plus
en plus coûteux, et qu’elle-même ne rajeunit pas non plus… Elle a parfois l’impression que le
système ne tient qu’à un fil. En été, le rationnement en eau fait grincer quelques dents – com-
ment cela est-il possible, dans un pays comme la Belgique, où il pleut la moitié de l’année ? Avec
le développement des maladies ré-émergentes, le SPW Futur demande déjà à la population de
se préparer à des nouvelles épidémies. Arrivera-t-on à protéger tout le monde ?

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 239


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC-
CONCLUSION

Comment faire de cette


étude un outil d’aide à la
décision ?

240 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Que faire des scénarios proposés ? Que peuvent-ils apporter à l’action présente ?

La prospective se veut un « détour par le futur », qui vise à éclairer l’action présente à la lumière des
futurs possibles pour répondre à quatre questions principales :

• Que peut-il advenir ? Cette question suppose que l’analyse prospective développe une série
de futurs possibles afin de permettre l’anticipation des évolutions à venir.
• Que puis-je faire ? Cette question interroge les capacités et moyens d’action des personnes
et organisations qui font face à ces futurs possibles. Elle lie donc la réflexion prospective à
l’action.
• Que vais-je faire ? Cette question suppose qu’une vision prospective puisse être établie, que
les futurs possibles puissent servir de boussole aux décisions présentes.
• Comment le faire ? Cette question induit le développement d’une construction stratégique
qui permet de définir les objectifs à atteindre pour parvenir à la vision définie.

Au moment de conclure cette étude, il nous semble particulièrement important de revenir sur ces
quatre questions guidant la démarche prospective, pour cerner les éléments de réponses que nous
y avons apportés.

Pour ce faire, nous proposons de les aborder transversalement :

• dans un premier temps, nous tentons d’identifier les principaux apports de l’étude ainsi que
ses limites ;
• dans un deuxième temps, nous détaillons la façon dont cette étude peut informer les déci-
sions futures en matière de politique de lutte contre la pauvreté des enfants en nous con-
centrant sur les six grands enjeux dégagés par l’analyse prospective. Ces six enjeux doivent
pouvoir servir de base aux réflexions stratégiques qui pourront être menées à la suite de
cette analyse prospective ;
• dans un troisième temps, sur la base des enjeux identifiés, nous considérons six chantiers
d’avenir pour la lutte contre la pauvreté des enfants.

Enfin, nous identifions les fortes relations qui unissent ces différents enjeux aux attentes, besoins et
craintes pour l’avenir exprimés par les enfants et les familles en situation de pauvreté et de précarité
dans le cadre de l’enquête menée par nos collègues de l’AVIQ dont les résultats sont présentés dans
la seconde partie du rapport.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 241


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
1. Apports et limites de la démarche proposée
Le principal apport d’une démarche prospective en matière stratégique est d’inscrire l’objet de la
réflexion dans un contexte d’ensemble pour en comprendre les évolutions possibles : il s’agit, véri-
tablement, de « sortir le nez du guidon » pour se réinterroger sur la nature de l’objet, sur sa trajectoire
d’évolution passée et future, ceci afin d’améliorer la qualité des actions menées et d’adapter les ob-
jectifs qui les guident aux transformations de contexte, actuelles et futures.

Dans ce projet, nous avons débuté l’analyse par une rétrospective approfondie de l’objet analysé
pour en fournir une lecture « interne » la plus développée possible. Nous avons montré la façon dont
la pauvreté des enfants s’est constituée en « problème public », puis en « paradigme d’action pu-
blique ». Ce phénomène a permis l’autonomisation d’un champ d’action publique spécifique autour
d’un objet déterminé, « la pauvreté infantile », doté de moyens d’action adaptés, d’acteurs organisés
et d’objectifs quantifiés. Cette analyse rétrospective a aussi permis de souligner le fait que cette
autonomisation ne s’est pas produite sans tensions : la lutte contre la pauvreté infantile est réguliè-
rement critiquée comme présentant un risque de désinvestissement des autres versants de la poli-
tique de lutte contre la pauvreté et, plus généralement, de la lutte contre les inégalités.

Cette lecture interne de la trajectoire historique de l’objet a permis de constituer une base de travail
pour la démarche prospective en identifiant plusieurs sources d’incertitudes et de difficultés dans la
démarche.

Premièrement, nous avons constaté le caractère fragmenté et la faible maturité du cadre politique
actuel : fragmenté tant en raison de la diversité de parties prenantes et de politiques publiques con-
cernées par la lutte contre la pauvreté des enfants, que de la multiplication de représentations et de
cadres normatifs ; faible maturité, en raison du caractère récent de l’émergence de la pauvreté des
enfants comme problème public et de l’incertitude planant sur les orientations prises par les actions
de lutte contre celle-ci.

Deuxièmement, nous avons souligné que de nombreux implicites habitent aujourd’hui cette poli-
tique, qui ne sont plus questionnés. Cela concerne, notamment, un de ses principaux fondements :
le ciblage sur un public spécifique. Cet implicite soulève de nombreuses interrogations et incerti-
tudes : les moyens vont-ils être réorientés vers ce public ? que vont devenir les familles ? est-il per-
tinent de distinguer la pauvreté de l’enfant de la pauvreté de sa famille ou de son milieu d’accueil ?
les parents jugés « défaillants » en raison de leur situation de pauvreté ou de précarité ne risquent-
ils pas d’être responsabilisés, voire stigmatisés comme « mauvais parents » au nom de « l’intérêt su-
périeur de l’enfant » ? (cf. scénarios 1 et 4)

Troisièmement, nous avons mis en exergue le fait que ces incertitudes, fragmentations et tensions
constituent aussi des opportunités intéressantes pour l’analyse prospective, car elles ouvrent à une
diversité de perspectives utiles à la construction des scénarios. Elles témoignent, en effet, de la com-
plexité inhérente à l’objet. Ainsi, la caractérisation de cette complexité a été positionnée comme ob-
jectif de la démarche, en l’associant au développement d’une analyse de la problématique comme
un système. La compréhension systémique de l’objet a permis, de la sorte, de le concevoir comme
encastré dans un environnement où se joue une interdépendance entre différentes variables qui
influencent l’état de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants et en détermine l’évo-
lution.

Arrivés à ce stade de la démarche, nous avons été confrontés à un problème majeur : l’objet analysé
étant une politique, soit une action sur un phénomène et, éventuellement, sur ses déterminants,
comment en concevoir les évolutions possibles, sans prendre en compte celles du phénomène

242 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
sous-jacent, à savoir la pauvreté des enfants ? Nous avons fait de cette limite de l’exercice une con-
trainte dans la conception du système et des scénarios, contrainte qui nous a obligés à investiguer
séparément l’évolution du contexte déterminant l’état des inégalités – et, par répercussion, la situa-
tion de pauvreté des enfants – de l’évolution des politiques, conçues comme réponses aux transfor-
mations de contexte. Cette nature hybride de l’objet nous a ainsi, conduits à concevoir l’analyse pros-
pective autour de deux axes : d’une part, explorer les transformations possibles du réel, d’autre part,
investiguer les stratégies possibles qui répondent à ces transformations.

Enfin, ce rapide bilan du projet serait incomplet, si nous ne mentionnions pas le caractère participatif
de la démarche menée. Cette dimension participative du projet visait à permettre aux parties pre-
nantes concernées par l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants de contribuer aux
différentes étapes de la démarche d’analyse prospective : de la réalisation du diagnostic à la con-
ception des scénarios. La démarche n’a pas visé à légitimer des choix ou orientations préalablement
définies, mais bien à ouvrir le dispositif à une diversité de connaissances, d’expériences, de préoc-
cupations ainsi que d’expertises, de manière à ancrer l’étude aussi bien dans les mondes des acteurs
des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants, que dans les analyses des différents experts
des aspects contextuels. Cette démarche a mis en débat la situation présente, a questionné ses
implicites pour tenter de déverrouiller le paradigme d’action publique organisant les politiques ac-
tuelles et, ainsi, de « désincarcérer le futur » : l’éloigner d’une projection de tendance qui la réduirait
à un exercice de prévision, pour ouvrir le champ des possibles.

Cette approche très participative de la démarche, par sa proximité avec les visions et analyses des
participants et participantes, présente le risque de réduire la portée de l’exercice en le rendant tribu-
taire des visions et analyses proposées par les personnes consultées. Pour limiter ce risque, la mé-
thode employée a visé, d’une part, à exploiter différents canaux de traitement des données collec-
tées, ce qui a permis de « saturer » l’information sur les problématiques traitées et, d’autre part, à
opérer différents recoupements pour rendre nos données les plus robustes possibles.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 243


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
2. Les enjeux susceptibles d’orienter les straté-
gies futures
Cette brève synthèse des apports et limites de la démarche nous ramène au fil conducteur de cette
conclusion : comment faire de cette étude un outil d’aide à la décision ? Comment cette étude peut-
elle contribuer, en particulier, à la conception de stratégies futures en matière de politiques de lutte
contre la pauvreté des enfants ?

Cette question est nécessaire et pertinente : l’analyse proposée ne fournit pas de « feuille de route »
clé sur porte ni de plan d’action prêt à l’emploi. Sa force ne réside pas là. Une des forces de l’analyse
prospective proposée, et notamment des scénarios, est d’identifier des enjeux pour l’avenir sur les-
quels construire de façon informée de futures stratégies.

L’analyse par scénarios a permis de dégager, en effet, différents éléments qui, d’une part, question-
nent la pertinence des orientations prises en matière de lutte contre la pauvreté des enfants depuis
une trentaine d’années en Belgique, en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, et, d’autre
part, identifient des tendances lourdes, des incertitudes majeures et des facteurs de changement
qu’il sera indispensable de prendre en compte dans les futures décisions en matière de lutte contre
les inégalités, au risque de faire face à des bifurcations critiques aux effets majeurs sur la situation
de pauvreté des enfants.

2.1. ENJEU N°1 – UNE TENDANCE LOURDE : LES EFFETS DES CHOCS ÉCOLO-
GIQUES GÉNÉRÉS PAR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET ENVIRONNE-
MENTAUX SUR LES INÉGALITÉS
L’analyse prospective a identifié les changements climatiques et environnementaux comme variable
motrice et comme tendance lourde commune à tous les scénarios. Il est, en effet, acté par les ex-
perts et travaux consultés qu’à défaut de changement dans les politiques actuelles et leur mise en
œuvre, le réchauffement climatique de la planète atteindra les 3°C à l’horizon 2050.

Un tel niveau de réchauffement suppose des transformations majeures du climat de l’ensemble de


la planète. Les zones tropicales deviendront quasiment inhabitables et les climats tempérés de l’hé-
misphère nord se transformeront, marqués annuellement par des sécheresses, inondations et
vagues de chaleur intenses, fréquentes et longues.

La Belgique connaîtra un réchauffement supérieur à celui observé à l’échelle mondiale (à cette der-
nière échelle, l’inertie thermique des océans joue favorablement). Son climat en sera radicalement
transformé par rapport à celui connu jusqu’aux années 1980 : hivers peu froids et très humides, prin-
temps secs (sécheresses répétitives), étés humides et plus chauds avec davantage de vagues de
chaleur.

Cette situation climatique se répercutera sur les écosystèmes, avec des pertes massives de biodi-
versité générant d’importants risques sanitaires, notamment de pandémies à répétition, et menacera
la sécurité alimentaire.

Cette situation climatique aura, en outre, des répercussions en chaîne.

Les migrations climatiques prendront de l’ampleur, à la fois en raison de l’inhabitabilité de certaines


régions du globe et du développement de conflits liés à l’accès aux ressources naturelles, ce qui
mettra les pays européens comme la Belgique sous pression migratoire. Il est également plausible
qu’apparaissent des migrations intra-européennes causées par le réchauffement climatique, en

244 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


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rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
particulier en raison de situations climatiques, économiques et sociales tendues dans les pays de
l’arc méditerranéen générées par des sécheresses et canicules de grande ampleur, ainsi qu’une ra-
réfaction des ressources en eau douce.

Outre le phénomène migratoire, la situation climatique accentuera la pression du vieillissement de


la population sur le système de santé et, par ricochet, sur les mécanismes de protection sociale ainsi
que sur leur financement, les populations plus âgées étant davantage exposées aux effets des chan-
gements climatiques et environnementaux.

Cette situation climatique tendue pourra également générer d’importantes conséquences en ma-
tière d’inégalités, les populations les plus pauvres et précarisées étant davantage exposées aux ef-
fets des changements climatiques et environnementaux en raison, entre autres, de leurs revenus
plus faibles, de leur état de santé, de leur lieu de vie ou de la qualité de leur logement.

Dans ce contexte, les enfants vivant dans des milieux précarisés ou pauvres pourraient être particu-
lièrement concernés par les conséquences sociales des changements climatiques et environne-
mentaux, ceci au détriment de leurs droits fondamentaux et de leur santé physique et mentale.

2.2. ENJEU N°2 – LA DÉPENDANCE DE L’ÉTAT SOCIAL AU MODÈLE ÉCONO-


MIQUE
L’analyse souligne, de façon commune aux quatre scénarios, la forte interdépendance entre le mo-
dèle économique et la forme prise par l’État social.

Les orientations suivies par le modèle économique ont, en effet, d’importantes répercussions sur les
ressources financières de l’État et, par ricochet, sur l’ambition et la portée des politiques sociales.

Trois des quatre scénarios présentent un modèle économique fondé sur des logiques de croissance
et d’accumulation de richesses : des paradigmes économiques estimés aptes à générer un « bien-
être » fondé sur une l’amélioration globale des conditions de vie matérielles des populations, amé-
lioration permise par les progrès techniques et l’innovation technologique, à la fois supports et pro-
duits de la croissance économique.

Cette conception du modèle économique, si elle conditionne la forme prise par l’État social, interagit
toutefois avec elle de façon très différente dans chacun des trois scénarios, ceci pour deux princi-
pales raisons : d’une part, la croissance économique et ses effets sont variables d’un scénario à
l’autre ; d’autre part, les changements climatiques, environnementaux et démographiques interfèrent
fortement dans la relation entre le modèle économique et la forme prise par l’État social.

Sur la question de la croissance économique et de ses effets redistributifs et/ou améliorateurs du


bien-être des populations, les scénarios 1, 2 et 4 montrent des trajectoires proches sur certains points
et divergentes sur d’autres. Elles sont proches, car, dans les trois scénarios, le point de départ de
l’orientation économique est la croissance : celle-ci est jugée, par les technologies qui la soutiennent
et qu’elle produit, apte à faire face aux effets des changements climatiques et environnementaux
sur l’économie et le fonctionnement social.

Leurs trajectoires s’éloignent, cependant, sur deux points :

• En premier lieu, la croissance économique attendue n’est pas rencontrée dans deux des trois
scénarios : les promesses de gains de productivité et d’efficacité dans la lutte contre les ef-
fets des changements climatiques et environnementaux apparaissent peu réalistes dans les
scénarios 1 et 4, ce dernier étant considéré comme le tendanciel. La croissance, dans ces
scénarios (pour le scénario 1, dans une de ses deux variantes), stagne autour de 1 %, ce qui a
de lourdes répercussions sur le budget de l’État et sur les formes prises par l’État social : les

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 245


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rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
effets de « ruissellement » et/ou les mécanismes redistributifs ne pouvant fonctionner plei-
nement, à défaut d’amélioration des conditions de vie matérielle et d’augmentation des ri-
chesses.
• En second lieu, dans une des deux variantes du scénario 1 ainsi que dans le scénario 2, on
imagine, au contraire, une croissance économique soutenue (que l’on situe autour de 3 %),
permise par les gains de productivité générés par l’innovation technologique. Dans ces deux
cas de figure, les impacts sur l’État social apparaissent contrastés : dans un cas (variante du
scénario 1), l’augmentation des recettes de l’État profite au remboursement de la dette, les
effets redistributifs apparaissant, en conséquence, limités ; dans un autre cas (scénario 2),
l’augmentation des recettes de l’État profite à la redistribution et à la protection, mais sous
certaines conditions (voir enjeu n°3).

Ceci nous amène à la question de « l’interférence » que jouent les changements climatiques, envi-
ronnementaux et démographiques dans la relation entre le modèle économique et la forme prise
par l’État social.

Les changements climatiques et environnementaux perturbent, en effet, fortement le fonctionne-


ment économique et social, en raison des chocs violents qu’ils génèrent : pandémies, inondations,
canicules, sécheresses, tempêtes, pollutions… Comme on l’a vécu durant la pandémie de Covid-19,
ils appellent à des mesures exceptionnelles qui perturbent le cours « habituel » des choses et im-
pactent lourdement une part importante de la population, en raison de sa vulnérabilité face à de tels
chocs. Le vieillissement de la population a, par ailleurs, d’importants impacts sur la situation écono-
mique, sur le budget de l’État et sur le système de protection sociale.

La capacité à faire face à de tels chocs est envisagée de deux façons par les scénarios :

• Dans les scénarios évoqués 1, 2 et 4, cette prise en charge est tributaire d’une capacité finan-
cière. Par conséquent, la forme prise par l’État social y joue un rôle central. Or, cette forme
est, elle-même, dépendante du modèle économique. En conséquence, la prise en charge
des risques écologiques, en supplément des risques sociaux, est amenée à prendre, elle
aussi, des formes très différentes. Ce chaînage entre nouveaux risques, modèle économique
et forme de l’État social constitue un enjeu en soi (enjeu n°3).
• Dans le scénario 3, le modèle de développement par la croissance de l’économie cède la
place à un développement par le « bien-être » (c’est-à-dire, un accès effectif aux droits fon-
damentaux pour l’ensemble de la population, une capacité de résilience aux chocs écolo-
giques et la soutenabilité des activités humaines dans le futur) 169 et la « pleine santé » 170.
Ainsi, dans ce scénario, les effets des changements climatiques et environnementaux (et du
vieillissement) se présentent comme des « catalyseurs de transformation » (non des « per-
turbations » comme dans les précédents). Cette transformation consiste, d’une part, comme
nous venons de l’évoquer, en une modification du paradigme économique, et, d’autre part,
en une évolution de l’État social : celui-ci joue un rôle de prévention et de protection béné-
fique à l’ensemble des populations face aux risques sociaux-écologiques pour satisfaire à
l’orientation économique de bien-être et de « pleine santé ».

169
« il importe de donner la priorité aux indicateurs de bien-être (mesurant le développement humain), de résilience (mesurant
la résistance aux chocs, notamment écologiques) et de soutenabilité (mesurant le bien-être futur) dans la conduite des poli-
tiques publiques en dépassant puis en abandonnant définitivement le PIB et sa croissance, dans la conduite de l’action pu-
blique en France, en Europe et au-delà. » (Laurent, 2023 : 183)
170
« La transition vers la pleine santé consiste à relier la santé humaine à la santé animale, végétale et environnementale, et à
la placer au cœur de l’action publique et notamment des politiques économiques. Elle consiste en outre à reconnaître et à
atténuer les inégalités sociales de santé, parmi lesquelles les inégalités sanitaires face aux dégradations environnementales
et dans l’accès aux ressources naturelles, à commencer par une alimentation saine. » (Laurent, 2023 : 207)

246 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


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2.3. ENJEU N°3 – LES RISQUES SOCIAUX ET ÉCOLOGIQUES AU CŒUR DES
TRANSFORMATIONS SOCIÉTALES
La description de l’enjeu n°2 permet de saisir les effets importants des changements climatiques,
environnementaux et démographiques sur les interactions entre le modèle économique et la forme
prise par l’État social. On a qualifié ces effets d’« interférence » pour certains scénarios (1, 2 et 4), car
ils perturbent très sensiblement la fluidité de la relation entre le modèle économique et la forme
d’État social, tandis qu’on les a associés à un « catalyseur de transformation » pour le scénario 3. Ces
différences tiennent à la façon dont les chocs écologiques générés par les changements climatiques
et environnementaux sont intégrés comme « risques ».

Nous avons indiqué dans la description de l’enjeu précédent que l’intégration de ces risques dépend
d’une « capacité financière » dans les scénarios 1, 2 et 4 : c’est, en fonction de la situation écono-
mique, par l’intermédiaire des effets bénéfiques de la croissance économique sur les finances pu-
bliques et sur le bien-être matériel (scénario 2) ou par l’endettement (scénario 1 et 4) que les risques
sont intégrés et limités. En revanche, dans le scénario 3, l’intégration de ces risques dépend, certes
d’une certaine capacité financière, mais aussi de mécanismes de prévention et de protection fondés
sur une encapacitation individuelle (développement de capacités et compétences des personnes)
et collective (transformation des modes de coopération) améliorant la résilience face aux chocs éco-
logiques et environnementaux.

• Dans le scénario 2, on conçoit que la croissance économique entretient le fonctionnement


d’une « économie verte » qui permet, par ses technologies, d’atténuer les risques écolo-
giques : on peut imaginer, par exemple, une mitigation des risques associés aux canicules
par la généralisation de systèmes de climatisation des bâtiments alimentés par une énergie
renouvelable. En outre, dans ce scénario, d’autres risques, notamment sociaux, bénéficient
d’un système de protection sociale renforcé par des mécanismes redistributifs profitant de
l’embellie économique. Cependant, la protection sociale y serait assortie de diverses formes
de conditionnalités, car elle est appréhendée comme un investissement dans une popula-
tion considérée comme un « capital humain » : par ses compétences, la population participe
au développement de cette « économie verte ». Les personnes bénéficiant de ce système
de protection sociale – qui peut être très généreux pour certaines catégories de la popula-
tion « prometteuses », mais aussi particulièrement vulnérables comme les enfants – s’inscri-
vent donc dans un engagement vis-à-vis de l’État à contribuer au fonctionnement de l’éco-
nomie (par exemple, en se formant aux « métiers en pénuries »). On parlera, à ce titre, d’un
« universalisme conditionnel » (voir enjeu n°4). En outre, cet engagement des personnes
s’opérant à titre individuel, il suppose une responsabilisation personnelle dans leur capacité
à obtenir cette protection de l’État, l’obtention des aides n’étant pas automatique. La forme
d’État social conçue dans le scénario 2 tend donc à renforcer la cohésion sociale autour d’un
projet socio-économique spécifique. Néanmoins, cela ne prémunit pas cette société contre
les inégalités. D’une part, on ne peut négliger le fait que la croissance économique sous-
tendant ce modèle est ambitionnée – les preuves empiriques d’une « reprise de la crois-
sance » grâce aux gains de productivité par l’investissement dans les technologies demeu-
rent difficiles à établir (paradoxe de Solow) – et peu probable : l’ensemble des économistes
consultés projette une croissance tendancielle pour les prochaines décennies qui ne dé-
passe pas 1 %. D’autre part, le système de protection sociale demeurant conditionné à la par-
ticipation au projet socio-économique, on ne peut sous-estimer le fait qu’une partie de la
population en soit exclue et exposée à de nombreuses inégalités, renforcées par les effets
des changements climatiques et environnementaux. Une nouvelle pauvreté pourrait donc
apparaître dans ce système (enjeu n°5).

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 247


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• Dans le scénario 1 et le scénario 4 (tendanciel), nous avons conçu une situation dans laquelle
les pouvoirs publics font face à une diminution de leurs ressources financières en raison
d’une croissance demeurant faible et/ou du poids du remboursement de la dette, situation
imposant une « austérité budgétaire » ou, dans le pire des cas, un « scénario à la grecque »,
c’est-à-dire d’importantes coupes budgétaires. Cette situation fragilise grandement l’État so-
cial : sa capacité à faire face aux chocs écologiques est limitée et suppose de nombreux
arbitrages pour parvenir à mettre en place une mitigation des risques basée sur ses capacités
financières. Dans ces scénarios, on assiste à la « crise du régime assurantiel » de la protection
sociale : l’État est contraint de désinvestir de nombreux pans de la sécurité sociale en ren-
forçant la conditionnalité des droits, en confiant au secteur privé une partie du système d’as-
surances sociales et écologiques, et en orientant son action vers des publics prioritaires dont
font partie les enfants. La cohésion sociale s’en trouve fortement affaiblie et les inégalités
s’accroissent sur tous les plans : tant en matière de santé (les publics les plus pauvres et
précaires vivant une dualisation du système de santé) qu’au niveau environnemental, ces
populations étant davantage vulnérables aux chocs écologiques en raison, notamment, de
leur faible revenu/patrimoine, de leur état de santé, de leur lieu de vie ou de leur logement.
• Dans le scénario 3, nous avons conçu les effets des changements climatiques et environne-
mentaux comme un « catalyseur de transformation ». La mitigation des risques s’opère sur
d’autres bases que la seule « capacité financière » : la transformation du modèle écono-
mique en un modèle de développement centré sur le « bien-être » et la « pleine santé » des
populations entraîne le développement d’une forme d’État social qui déploie une double
action de prévention et de protection contre les risques. Si, donc, cette mitigation des risques
dépend d’une certaine capacité financière, elle se fonde également, par la prévention, sur
l’amélioration de la santé des populations et de la biosphère, qui permet de mieux vivre les
chocs écologiques et, sur le long terme, d’en réduire l’ampleur. Le rôle de l’État social dans
ce scénario est particulièrement important. Elle se base, notamment, sur une intégration des
risques sociaux et écologiques qui sont appréhendés de façon conjointe, sous la forme d’une
sécurité sociale-écologique. Celle-ci vise à garantir l’effectivité de l’accès aux droits fonda-
mentaux par une double action de prévention et de protection. Le financement de cette
mutualisation du risque est découplé de l’impératif de croissance économique et de ses ef-
fets redistributifs : il est garanti par une transformation du système de fiscalité, l’abandon des
subsides aux énergies fossiles, une amélioration de la santé générale de la population et de
la biosphère qui permettent de réduire la charge des dépenses de santé et l’ampleur des
chocs écologiques, de nouvelles orientations économiques fondées sur l’économie du
« bien-être », une reterritorialisation des activités économiques, sociales et politiques au sein
de « bassins de vie », la protection des ressources fondamentales comme communs ainsi
que de nouveaux modes de coopération au sein de la société. Les évolutions imaginées
dans ce scénario supposent donc le développement de nouveaux modèles sociaux basés
sur une réduction importante de la consommation (idée de « satiété ») et une transformation
majeure de l’échelle des modes de vie, par l’abandon corrélatif de modes de transports
énergivores. Ce scénario, par sa capacité à répartir les effets des chocs écologiques pour en
réduire l’ampleur et par le fait qu’il ne rend pas la société dépendante de la seule capacité
financière pour y faire face, est celui dont les effets sur la réduction des inégalités est le plus
important. Cela se fait au prix d’un nivellement des conditions de vie sur des standards très
différents – et, au niveau matériel, très en deçà – de ceux connus aujourd’hui. En outre, les
échelles de vie se transformant radicalement dans ce scénario, cela pourrait induire l’émer-
gence de nouvelles inégalités entre territoires : certains territoires pourraient parvenir à des
niveaux de transition sociale-écologique particulièrement avancés et réussis, alors que

248 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


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d’autres pourraient éprouver certaines difficultés à s’y engager, ou, d’autres encore, pour-
raient poursuivre d’autres modalités de développement.

2.4. ENJEU N°4 – UNE UNIVERSALITÉ DES DROITS À GÉOMÉTRIE VARIABLE


Comme on l’a montré à travers les deux précédents enjeux, si les impacts des changements clima-
tiques et environnementaux sont communs à l’ensemble des scénarios, la manière dont ces chan-
gements transforment le fonctionnement économique et social est très différente.

• Trois scénarios (les scénarios 1, 2 et 4) « absorbent » ces chocs par leur capacité à financer
une anticipation (comme l’investissement dans « l’économie verte ») et une gestion (écono-
mie de la « réparation » des dégâts causés par ces chocs) de leurs conséquences. Mais,
comme on l’a vu, les configurations financières s’avérant très contrastées, cette double ca-
pacité d’anticipation et de gestion apparaît très inégale d’un scénario à l’autre.
• Dans le scénario 3, on observe, en revanche, une autre façon d’absorber ces chocs par une
adaptation poussée du modèle économique : sa réorientation vers un « bien-être » social-
écologique et vers la « pleine santé » des êtres humains et de l’ensemble de la biosphère.
L’absorption des chocs y devient le cœur de la transformation sociale : elle ne dépend pas
uniquement de la capacité financière, mais devient un projet politique.

Dans ces contextes, le statut des risques sociaux et écologiques dans le fonctionnement de la so-
ciété s’avère très variable.

• Dans les mondes où ces risques sont mitigés par la seule capacité financière, que cela soit
sous forme d’investissement, comme dans le scénario 2, ou sous forme de compensa-
tion/dédommagement, dans les scénarios 1 et 4, c’est une logique « créancière » qui per-
siste : les dépenses réalisées ne sont pas gratuites, elles supposent, de la part, de leur bé-
néficiaire, des obligations. Ainsi, dans ces trois cas de figure, le bénéfice de droits sociaux ou
écologiques est conditionnel.
• À l’inverse, dans le scénario 3, on assiste au renouvellement d’une logique universaliste dans
la protection sociale : l’ensemble de la population étant considérée comme vulnérable aux
chocs écologiques, elle profite des mécanismes de prévention et de protection nécessaires
en fonction de ses besoins pour y faire face et, ainsi, bénéficier d’un accès inconditionnel et
effectif à ses droits fondamentaux.

Ainsi, la dynamique observée dans les scénarios 1, 2 et 4 tend à souligner une disparition du régime
assurantiel au profit d’un régime assistanciel : les droits sociaux s’y individualisent et leur condition-
nalité se renforce. On observe, à l’inverse, dans le scénario 3, une universalisation des droits par un
renforcement du régime assurantiel.

Cette lecture doit, néanmoins, être nuancée, car apparaissent dans les scénarios 1, 2 et 4 des formes
de « réuniversalisation » des droits à l’égard de publics spécifiques, en particulier celui des enfants :
ils se voient protégés, mais à des niveaux et selon des modalités très différentes en fonction des
scénarios, comme un public vulnérable reconnu comme tel par les droits de l’enfant. Cette protec-
tion spéciale et universelle, car elle concerne tous les enfants, se concentre sur un groupe spécifique
au sein de la population.

• Dans un scénario comme le scénario 2, le bénéfice de ces droits universels est conditionnel :
il suppose que l’enfant, en tant que « capital humain » d’une économie évoluant vers une
transition énergétique, se conforme aux attentes de cette société pour en bénéficier ; s’il s’en
écarte, il peut perdre le bénéfice de ces droits.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 249


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rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
• Dans les scénarios 1 et 4, cet universalisme est altéré par les difficultés financières que ren-
contre l’État : les droits de l’enfant sont maintenus, les enfants bénéficient d’un statut spécial
en tant que publics vulnérables, mais ces droits deviennent « low cost ». Par exemple, la
protection de l’enfant pourra se traduire par un placement plus systématique en institution
ou en famille d’accueil, mais cet environnement visant à le protéger s’avèrera « dégradé »,
soit, car les familles d’accueil sont peu suivies et dans un rapport utilitariste à leur mission,
soit, car les instituts d’accueil se concentrent sur des logiques de surveillance plutôt que
d’éducation par un personnel peu qualifié.

2.5. ENJEU N°5 – LES TRANSFORMATIONS DE LA PAUVRETÉ DES ENFANTS


COMME PHÉNOMÈNE SOCIAL
Comme on y a insisté dans la description des quatre précédents enjeux, les effets des changements
climatiques et environnementaux sur le fonctionnement d’ensemble de la société s’avèrent moteurs
dans la façon dont se structurent les inégalités.

Dans les scénarios 1, 2 et 4, l’absorption des chocs écologiques par la seule capacité financière de
l’État tend à rendre très incertaine l’issue en termes de protection de la population : d’une part, parce
que le financement de la protection sociale dépend des phénomènes redistributifs, eux-mêmes tri-
butaires de la croissance économique ; d’autre part, parce que l’incertitude sur les capacités finan-
cières de l’État pousse à rendre les systèmes de protection conditionnels, à les « désuniversaliser »,
et à les « réuniversaliser » pour des publics particuliers, dont font partie les enfants.

Ce phénomène de protection universelle à « géométrie variable » commun à ces scénarios et béné-


fique aux enfants s’ancre dans une conception partagée de l’enfance (l’enfance « onusienne »)
comme groupe distinct du reste de la société (y compris de ses propres parents) et caractérisé par
sa vulnérabilité. Dans les scénarios évoqués, les trajectoires de cette protection des droits de l’enfant,
et, par conséquent, de la pauvreté qui les affectent sont contrastées : dans le scénario 1, la protection
de l’enfant permet à l’État de se substituer à des parents jugés « défaillants », car responsables de
leur situation de pauvreté ou de précarité ; dans le scénario 2, l’enfance bénéficie d’un soutien im-
portant en tant que « capital humain », pour autant, qu’elle réponde aux attentes de la société et que
les enfants participent au développement d’une économie et d’une croissance verte ; dans le scé-
nario 4, les enfants bénéficient d’une protection spéciale contre les crises et leurs parents sont for-
tement encadrés pour permettre à l’« intérêt supérieur de l’enfant » d’être respecté.

Par les spécificités évoquées précédemment, le scénario 3 s’éloigne de cette conception « onu-
sienne » de l’enfance, tout en y restant ancré. L’intégration des risques écologiques au cœur du pro-
jet politique suppose une reconnaissance de la vulnérabilité de l’ensemble de la société et non uni-
quement de groupes particuliers. Les enfants demeurent conçus, dans l’esprit onusien, comme un
groupe à protéger et à encapaciter, mais au même titre que d’autres groupes jugés plus vulnérables
face aux crises. Par ailleurs, l’enfant est conçu comme un membre à part entière de la société : il
prend une part active aux transformations que provoque la transition sociale-écologique. À ce titre,
il bénéficie d’une encapacitation destinée à lui permettre d’acquérir les capacités et compétences
nécessaires pour pleinement vivre dans un monde en transformation.

Dans ces contextes variés, les inégalités vécues par les enfants et la façon dont leur pauvreté est
conçue prennent des formes variées.

• Dans les scénarios 1 et 4, les inégalités auxquelles sont confrontés les enfants sont très im-
portantes.
Dans le scénario 1 où les capacités d’action de l’État en matière sociale sont extrêmement
réduites et privilégient certains publics, dont les enfants, les inégalités s’accentuent en tous

250 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


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rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
domaines : inégalités de santé, inégalités environnementales, inégalités scolaires, inégalités
technologiques prennent de l’ampleur et mènent à une société dualisée. Les enfants sont
protégés par des mesures d’urgence et voient leurs droits se dégrader. Dans ce scénario, la
pauvreté est conçue comme relevant de la responsabilité individuelle, elle est davantage
envisagée comme une problématique psychique personnelle et comme un problème de
sécurité publique.
Dans le scénario 4, la situation est similaire au niveau des inégalités, mais la conception de la
pauvreté est moins radicale : elle est jugée inhérente au fonctionnement socio-économique.
De ce fait, elle tend à être stigmatisée et le contrôle social de ces populations se renforce :
les parents en situation de pauvreté ou de précarité sont « suivis de près » par les acteurs de
l’enfance en vue d’assurer la protection de l’enfant.
• Dans les scénarios 2 et 3, les inégalités se constituent différemment des deux précédents
scénarios et la pauvreté des enfants occupe, en conséquence, une place différente au sein
de la société.
Dans le scénario 2, la logique d’investissement de l’État dans le fonctionnement économique
et social provoque un renforcement de la cohésion sociale. Cela se fait, néanmoins, au prix
d’un modèle d’inclusion sociale conditionnel qui suppose de souscrire aux orientations poli-
tiques et économiques choisies. Dans ce contexte, un risque de pauvreté important se dé-
veloppe pour les populations qui demeurent marginales à ce modèle de développement.
Les inégalités vécues par ces populations peuvent, par conséquent, être très importantes
que cela soit en matière de santé, dans leur exposition aux crises écologiques et environne-
mentales. Comme on l’a souligné, les enfants bénéficient d’une protection importante et d’in-
vestissements massifs dans l’éducation et la santé, mais ces investissements demeurent
conditionnels, dépendants, dans le long terme, de leur participation aux orientations écono-
miques. Ainsi, ce scénario très inclusif tend à réduire la pauvreté, sans pour autant la faire
disparaître. Il présente, par ailleurs, le risque de créer une nouvelle pauvreté. Dans ce cas de
figure, la pauvreté est vue comme une anomalie qui repose sur un choix de la personne
concernée. Elle est acceptée, mais émarge aux mécanismes d’aides sociales.
Dans le scénario 3, les orientations spécifiques du modèle économique, social et politique
conduisent à situer la question de la vulnérabilité au cœur du projet politique. La pauvreté
devient une cause politique partagée dans la mesure où elle peut affecter l’ensemble de la
population. Ce scénario suppose une forte réduction des inégalités. Les inégalités de santé
se réduisent fortement par les mécanismes de prévention et de protection. Les inégalités
environnementales sont enrayées par l’encapacitation des citoyens qui leur permet une
meilleure résilience face aux chocs, une augmentation des solidarités locales, de nouveaux
modes de coopération entre acteurs, et un rôle de coordination et de facilitation de l’État.
Les enfants bénéficient de cette situation d’ensemble et font l’objet de mesures spécifiques,
pour leurs vulnérabilités propres, notamment par une politique scolaire visant à les encapa-
citer et à réduire les inégalités.

2.6. ENJEU N°6 – L’AUTONOMISATION DU CHAMP D’ACTION PUBLIQUE DE


LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ INFANTILE : UN RISQUE MAJEUR « D’ENSI-
LOTAGE » FACE À DES PROBLÉMATIQUES SOCIALES COMPLEXES
Les cinq enjeux précédents montrent à quel point la pauvreté des enfants est conditionnée par un
système complexe.

La pauvreté des enfants sera, dans les trois prochaines décennies, tributaire d’un contexte climatique
et environnemental tendu. Nous avons souligné cet enjeu majeur : les interactions entre la situation

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 251


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
climatique et environnementale, le modèle économique et la forme prise par l’État social s’avèreront
déterminantes dans la façon dont la pauvreté dans son ensemble, et la pauvreté des enfants en
particulier, évolueront dans l’avenir.

Pour chacun des quatre scénarios développés dans l’étude, nous avons conçu, sur la base du travail
participatif mené avec les parties prenantes, quatre configurations d’action publique de lutte contre
la pauvreté des enfants cohérentes avec la dynamique de chacun des scénarios et répondant à
l’enjeu climatique de façon très diversifiée – avec des résultats très variés sur l’état de pauvreté des
enfants. Ces politiques sont présentes dans chacun des scénarios, car, comme on l’a vu, les enfants
constituent, en toutes hypothèses, un public « protégé ».

• Dans le scénario 1, marqué par une réduction des moyens alloués à la protection sociale,
l’action publique en matière de lutte contre la pauvreté des enfants se caractérise par une
approche « low cost » qui priorise les moyens et domaines d’action, « bureaucratise » la pro-
tection de l’enfance et de la jeunesse et accentue le contrôle social sur les familles. L’action
de lutte contre la pauvreté des enfants tend à identifier de nouveaux publics cibles au sein
même des publics précarisés : les politiques s’adressent à des publics « dans la norme ». Les
enfants et les familles jugés hors cadres sont relégués à une offre alternative.
• Dans le scénario 4 (tendanciel), la situation présente de nombreuses similarités : on conçoit
une action publique qui fonctionne en situation de « pénurie » : les infrastructures d’accueil
présentent un taux de couverture insuffisant par rapport aux besoins de la population, les
professionnels de l’enfance, de l’aide à/protection de la jeunesse et de l’éducation man-
quent à l’appel. La politique scolaire devient paradoxale : elle est très ambitieuse, souhaite
améliorer la condition des enfants et réduire les inégalités, mais manque de moyens pour y
parvenir. Le manque de moyens touche l’ensemble du système de protection sociale. Il ren-
force la protection des enfants : face à des situations familiales difficiles s’imposent des lo-
giques de contrôle et de suivi des parents. Il pousse également à focaliser l’action sur des
cibles prioritaires (enfants, familles monoparentales, femmes, seniors, classe moyenne pré-
carisée) au détriment des autres. Enfin, à l’instar du scénario 1, il tend à reléguer les publics
hors cadre à des « offres alternatives », au risque de renforcer leur précarité : philanthropie,
monde associatif, secteur privé voire sociétés mafieuses.
• Dans le scénario 2, la situation apparaît très contrastée avec les deux précédents scénarios :
investissements massifs dans les structures d’accueil de l’enfance et prise en charge des
enfants dès le plus jeune âge ; revalorisation des filières techniques et professionnelles ; pré-
vention et accompagnement des familles par des logiques transversales et intersectorielles ;
renforcement des droits de l’enfant par des soutiens financiers importants aux acteurs clés
comme le Délégué général aux droits de l’enfant ainsi qu’aux projets qui permettent à l’inté-
rêt supérieur de l’enfant de prévaloir, comme la garantie pour l’enfance. Apparaissent des
droits sociaux universels, mais conditionnels : allocations familiales revalorisées, nouveaux
droits et protections pour faire face aux vulnérabilités climatiques (allocation universelle mo-
dulée selon les phases de la vie), mais dépendants d’une contractualisation et d’un accom-
pagnement par les services sociaux en vue d’assurer la participation aux orientations politico-
économique de la transition énergétique.
• Dans le scénario 3, on observe d’importantes similarités avec le précédent scénario : inves-
tissement massif dans les structures d’accueil, logiques de prévention, renforcement des
droits de l’enfant sont au cœur des politiques de l’enfance. La politique scolaire et la politique
sociale évoluent, néanmoins, dans une direction contrastée. La politique scolaire développe
une éducation capacitaire qui vise à l’apprentissage des compétences et des capacités né-
cessaires à la transition sociale-écologique. Les contenus d’apprentissage sont étendus à la

252 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
participation et la citoyenneté. L’école devient le point central des politiques de l’enfance
(accueil dès le plus jeune âge et étendu à l’extrascolaire) et bénéficie de transversalités fortes
avec les politiques de santé et de mobilité, qui en fait également un acteur de prévention de
première ligne. La politique sociale se construit autour d’une sécurité sociale-écologique : la
vulnérabilité des populations est au cœur du projet politique ; la sécurité sociale-écologique
vise à en prévenir les effets et à protéger des crises écologiques, ce qui bénéficie particuliè-
rement aux enfants.

Cette analyse permet de mettre un exergue un enjeu fondamental : il apparaît indispensable de


questionner l’état actuel de la politique de lutte contre la pauvreté des enfants. En effet, la forme
qu’elle a prise aujourd’hui, si elle a le mérite de considérer le public des enfants comme digne d’une
action adaptée face à des situations de pauvreté et de précarité très diversifiées, aura, sur le long
terme, une portée très limitée face aux enjeux identifiés, en raison de la nature systémique du phé-
nomène.

L’analyse rétrospective a permis d’identifier la trajectoire qui a conduit à la formation de la politique


de lutte contre la pauvreté que nous connaissons aujourd’hui. Cette politique s’appuie sur un modèle
économique et sur une forme d’État social particuliers dont l’évolution tendancielle analysée dans le
scénario 4 mène à une accentuation des inégalités, qui n’épargneront pas les enfants.

L’autonomisation d’un champ d’action publique dédié à la lutte contre la pauvreté des enfants, issu
de cette trajectoire historique, présente de nombreux atouts, notamment en matière de coordination
des acteurs et des mesures mises en place. La reconnaissance des droits fondamentaux des enfants
constitue une avancée notable, celle de leur « intérêt supérieur » tout autant. Le risque demeure,
néanmoins, que cette politique s’organise, dans le futur, comme un « silo » distinct, voire concurrent,
des autres domaines d’action publique de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Cette évolution
pourrait donc conduire, dans un avenir proche, à une fragmentation importante de l’action et des
moyens dédiés alors même que la problématique est dépendante d’enjeux systémiques.

Dans la perspective de la conception d’une stratégie en matière de lutte contre la pauvreté des en-
fants, il nous semble donc primordial, à la lumière de cette analyse, de souligner qu’il est nécessaire,
pour son efficacité et son efficience, que cette stratégie soit le reflet de cette complexité : elle doit
pouvoir intégrer dans un cadre de gouvernance commun les différents enjeux identifiés en les as-
sociant à des objectifs et des moyens d’action adaptés et cohérents, cadre qui articule, par ailleurs,
l’ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 253


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
3. Quelles perspectives possibles ?
À la lumière des enjeux particulièrement complexes que nous avons identifiés, il pourra paraître dif-
ficile, de prime abord, d’imaginer la construction de stratégies qui les exploiteraient comme base de
travail. C’est pourquoi il nous semble indispensable d’organiser des débats, discussions et échanges
avec tous les acteurs, experts et citoyens concernés autour des scénarios, tant pour leurs aspects
contextuels que pour ceux relatifs aux configurations d’action publique imaginées : nous sommes
très loin d’avoir épuisé les ressources des démarches participatives dans le cadre de ce projet, l’es-
sentiel débute au moment de le conclure !

Au terme de cette analyse, outre les enjeux identifiés, nous souhaitons mettre en exergue deux
pistes de réflexion susceptibles de guider un futur travail de construction stratégique.

3.1. REPENSER LA FAÇON D’AGIR


Une première piste concerne la façon d’agir. L’enjeu n°6 souligne un risque majeur « d’ensilotage »
de l’action publique alors que l’analyse prospective permet de montrer la grande complexité des
déterminants de la pauvreté des enfants. De ce point de vue, deux pistes de travail et de réflexion
nous semblent fondamentales comme point de départ et peuvent se résumer en deux mots-clés,
réorienter et requalifier :

• Réorienter : les politiques actuelles s’attachent principalement aux effets des inégalités, alors
que les scénarios montrent que de nombreux enjeux se situent à d’autres niveaux ; réorienter
l’action vers les causes structurelles paraît nécessaire pour influencer de manière décisive
l’état des inégalités.
• Requalifier : deux variables motrices jouent et joueront dans le futur un rôle fondamental sur
la pauvreté des enfants : les changements climatiques et environnementaux, et la situation
économique. Une approche systémique montre les interrelations entre ces différentes va-
riables. Les politiques actuelles sont hautement compartimentées et spécialisées en fonc-
tion des acteurs, des outils d’action, des sources de financement, des outils de diagnostic et
de mesure… Les scénarios montrent que des requalifications et de nouvelles catégories d’ac-
tion sont nécessaires pour que les outils puissent évoluer et intégrer les transformations du
réel et, en particulier, le nexus social-écologique.

Une seconde piste s’attache à tenter de répondre à l’une des questions évoquées en tête de cette
conclusion : compte tenu des analyses fournies, que pouvons-nous faire ?

Il va de soi que la Wallonie ne peut agir seule et directement contre les changements climatiques et
environnementaux qui joueront un rôle majeur dans les évolutions futures.

À son niveau, elle peut, en revanche, organiser son action pour prévenir l’accroissement des inéga-
lités qui affectent les enfants, voire les réduire. Elle peut aussi stimuler des initiatives en dehors de
l’univers politique via les administrations, le monde associatif, le monde économique, la philanthropie
ou la recherche des actions qui permettent de dépasser le cadre de ses compétences actuelles,
pour ainsi préparer l’avenir.

3.2. SIX CHANTIERS D’AVENIR POUR LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ DES


ENFANTS
3.2.1. Une participation effective des populations et acteurs concernés
La grande complexité des déterminants des inégalités, ainsi que les vulnérabilités multiples des po-
pulations face aux changements climatiques et environnementaux, poussent au développement de

254 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
véritables forums hybrides visant à décompartimenter les approches et cadres existants pour per-
mettre une mise en débat et l’imagination de nouvelles catégories et modalités d’action.

Cette situation incite également à ce que la conception et la mise en œuvre des politiques intègrent
la participation des parties prenantes et des bénéficiaires.

Ces mécanismes supposent une effectivité de la participation : les personnes et acteurs sont enca-
pacités afin de pouvoir faire porter leur voix et opinion, tant du point de vue des compétences que
du temps et des moyens financiers disponibles.

3.2.2. Un système de protection sociale intégrant les nouveaux risques et vulnérabilités


Dans les trois scénarios fondés sur la capacité financière de l’État à intégrer les risques des change-
ments climatiques et environnementaux, nous avons identifié ce qui s’apparente soit à une faiblesse
(imaginer une réuniversalisation des droits sociaux et écologiques grâce aux investissements de
l’État suppose une croissance économique soutenue, mais quid si celle-ci n’est pas au rendez-
vous ?) ; soit à une dégradation de la cohésion sociale et une augmentation des inégalités en raison
de limites budgétaires et d’un nécessaire ciblage du système de protection sur des publics spéci-
fiques (dont font partie les enfants en vertu de l’universalité de leurs droits).

L’éradication de la pauvreté des enfants dans ces scénarios semble possible, mais au prix d’une
protection spéciale et sans garantie pour l’avenir : les crises écologiques perdurant, ces enfants, pro-
tégés jusqu’à leur majorité, risquent d’être précarisés une fois devenus adultes.

Le scénario qui privilégie le déploiement d’une sécurité sociale-écologique généralisant la vulnéra-


bilité à l’ensemble de la population et visant à un universalisme dans la protection contribuerait sans
doute d’une façon plus efficiente à un objectif d’« éradication » de la pauvreté des enfants dans le
long terme, tout en assurant également leur protection une fois devenus adultes. Ce scénario contre
une faiblesse des précédents en ne s’adossant pas à la croissance économique pour satisfaire cet
objectif : il s’appuie sur une réorientation vers une économie du bien-être centrée sur le déploiement
des activités humaines dans le respect des limites planétaires.

3.2.3. La place centrale des institutions d’enseignement et d’éducation


Les deux scénarios qui visent à investir massivement dans l’école et l’éducation le font dans des
directions très différentes.

Dans un scénario (scénario 2), l’école est envisagée comme un levier de mobilité sociale qui doit
permettre aux enfants d’intégrer les métiers et activités privilégiés dans le cadre du déploiement
d’une économie verte et d’une transition énergétique. Les métiers techniques et les filières qui y
conduisent sont revalorisés. Ce système repose sur une logique économique et de redistribution
« traditionnelle » : une économie en croissance, guidée par les mutations technologiques imposées
par la transition énergétique, crée de nouveaux emplois et permet le maintien de systèmes de pro-
tection sociale redistributifs. À nouveau, ce système présente une double faiblesse : d’une part, il
dépend des capacités financières pour faire face aux risques climatiques, d’autre part, les services
sociaux, environnementaux et sanitaires doivent être suffisamment bien équipés pour limiter les
risques encourus par les populations.

Dans un autre scénario (scénario 3), l’école est envisagée comme un levier de prévention des risques
sociaux et écologiques : en misant sur le développement des capacités et compétences nécessaires
au développement d’une résilience face aux chocs écologiques, l’éducation permet de réduire la
vulnérabilité de futurs adultes et encourage, par ailleurs, le développement de nouveaux modes de
coopération permettant d’améliorer la résilience collective face à de tels chocs.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 255


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
Ainsi, dans le premier cas, l’éradication de la pauvreté des enfants est possible moyennant leur inté-
gration au système de mobilité sociale et le fait que le système socio-économique tienne ses pro-
messes financières et de protection face aux risques sociaux et écologiques. Dans le second, l’éra-
dication de la pauvreté des enfants tient davantage à leur inclusion au sein d’un projet social centré
sur la prévention et la protection des vulnérabilités par l’encapacitation individuelle et collective per-
mettant de faire face aux chocs écologiques.

3.2.4. Deux modalités d’action pour faire face aux risques sociaux-écologiques
Les scénarios permettent de documenter une réflexion relative à deux modalités contrastées d’ab-
sorption des risques sociaux et écologiques par le système socio-économique et l’État social : l’une
par la « capacité financière » ; l’autre par une prévention et une protection, toutes deux basées sur
une économie du « bien-être ».

Nous y avons insisté longuement au fil de la conclusion : le scénario 2 envisage la mitigation des
risques sociaux et écologiques à travers les capacités financières de l’État. Dans ce scénario, c’est
par l’investissement massif dans l’économie et le social que l’État peut parvenir à atteindre des ob-
jectifs de transition et de protection de sa population. Comme on l’a également répété, ces objectifs
sont tributaires de l’advenue d’une croissance économique soutenue. Dans ce scénario, les méca-
nismes financiers imaginés reposent sur plusieurs réformes fiscales (globalisation des revenus et
révision des tranches d’imposition guidées par un principe de justice fiscale ; moyens renforcés de
lutte contre l’évasion fiscale). L’État bénéficie, en outre, de l’embellie économique via l’impôt sur les
revenus et les sociétés. Par ailleurs, les personnes bénéficient d’une allocation universelle construite
à partir des allocations familiales et modulée selon les phases de la vie (petite enfance, périodes de
formation, pension, maladie…), tout en restant conditionnelle.

Le scénario 3 adopte des mécanismes de financements à la fois similaires et différents, notamment


parce qu’ils ne reposent pas entièrement sur une logique de dépenses, mais aussi d’économie (de
réduction des dépenses). Dans ce scénario, les revenus de l’État bénéficient d’une transformation de
la fiscalité sur les revenus similaire à celle imaginée pour le scénario précédent. Il bénéficie, par ail-
leurs, de revenus issus de la sortie des secteurs d’activités non soutenables (taxe sur les externalités
négatives des activités économiques) et d’une réduction des dépenses liées à l’abandon des sub-
sides aux énergies fossiles, qui représentent aujourd’hui plus de 2 % du PIB. En outre, les dépenses
de l’État sont fortement allégées par les économies réalisées en matière de santé, grâce aux effets
bénéfiques des politiques de prévention sur la santé de la population. Enfin, la relocalisation de l’ac-
tivité économique et l’augmentation du revenu moyen et médian assurent une croissance des re-
cettes fiscales par l’impôt des sociétés et sur les revenus professionnels. Dans ce scénario, le soutien
et la participation aux activités dédiées au bien commun sont reconnus à travers un salaire d’activité.
Cet aspect financier se couple à une meilleure résilience de la société face aux risques sociaux-
écologiques grâce au système préventif mis en place, système qui se base, notamment, sur une
« encapacitation » des personnes pour faire face à ces risques.

3.2.5. Une gouvernance transversale


Comme nous l’avons évoqué, la complexité des enjeux qui conditionnent l’état de pauvreté des en-
fants suppose que s’organise, en regard, une structure de gouvernance qui soit transversale et
prenne en considération l’ensemble des politiques concernées.

Dans les scénarios, nous avons envisagé l’état de dix politiques particulières : la politique d’accueil
de l’enfance, la politique de l’Aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse, la politique de sou-
tien à la parentalité, la politique scolaire, la politique des droits de l’enfant, la politique de lutte contre
la pauvreté, le régime de sécurité sociale, la politique de promotion de la santé, la politique du

256 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
logement et la politique fiscale. Ces politiques s’organisent dans des univers parfois très éloignés les
uns des autres. Beaucoup d’entre elles intègrent une dimension « lutte contre la pauvreté infantile »
et/ou « droits de l’enfant », mais leur niveau d’intégration et de coordination est-il satisfaisant et suf-
fisant face à la complexité des enjeux ?

En outre, ce domaine pourrait être étendu à d’autres politiques, notamment la politique économique
et industrielle, la politique agricole, la politique climatique et environnementale. Dans une perspec-
tive d’éradication de la pauvreté des enfants et de couverture des différents enjeux identifiés par
l’étude, ces politiques devraient être intégrées à la réflexion stratégique pour permettre le question-
nement du modèle économique et la façon dont les risques climatiques et environnementaux peu-
vent être intégrés à la lutte contre la pauvreté des enfants.

3.2.6. Une « débureaucratisation » de l’action publique


L’analyse rétrospective de l’action publique de lutte contre la pauvreté des enfants a permis de mon-
trer la façon dont, au fil d’un parcours d’une trentaine d’années, depuis l’adoption et la ratification de
la Convention internationale des droits de l’enfant, cette politique s’est progressivement structurée
pour aboutir, aujourd’hui, à la mise en place d’objectifs chiffrés, d’outils d’action, d’indicateurs d’at-
teinte des objectifs.

Ce faisant, cette politique a tendu à restreindre la portée de son action à certains types d’enfants, les
« enfants dans le besoin », et à se focaliser sur les conséquences d’inégalités devenant structurelles.
Cette action est évidemment importante, mais sa « bureaucratisation », c’est-à-dire le fait qu’elle se
soit organisée en objectifs, outils d’action, instruments de mesure, tend à « verrouiller » les perspec-
tives d’évolution et à en restreindre la portée, alors que les évolutions futures, comme notre analyse
tend à le monter, remettront en cause les orientations choisies aujourd’hui.

Notre analyse incite donc à une « débureaucratisation », à un maintien de l’ouverture et de la créati-


vité, pour que la lutte contre la pauvreté des enfants ne perde pas de vue la réalité labile et complexe
qu’elle s’attache à combattre.

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 257


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
4. Consultation des bénéficiaires : des conver-
gences fortes
La partie II du présent rapport, réalisée par l’AVIQ, présente la synthèse des résultats d’une démarche
de consultation des bénéficiaires de l’action en matière de lutte contre la pauvreté des enfants. L’ob-
jectif de cette phase de travail était d’intégrer à l’analyse la réception et l’évaluation de ces scénarios
par ces publics (enfants et adolescents d’une part, adultes précarisés d’autre part).

Cette démarche était expérimentale à plus d’un titre : l’appropriation des scénarios de l’étude par ces
publics représentait un défi en termes de conception et d’animation d’ateliers. Malgré ces difficultés
de mise en œuvre, qui se sont traduites par une certaine déconnexion d’avec les scénarios, les té-
moignages recueillis lors de cette consultation présentent néanmoins un certain nombre de conver-
gences avec les enseignements de l’étude prospective, que nous souhaitions ici brièvement mettre
en évidence avant de renvoyer le lecteur à cette partie.

Les enfants consultés (six ateliers, dont quatre en Action en Milieu Ouvert) comme les adultes (deux
ateliers) partagent un certain nombre de préoccupations qui se laissent aisément traduire en do-
maines d’action pour lutter contre les inégalités : assurer la gratuité de l’école tout en améliorant la
qualité de l’enseignement et en diminuant la taille des classes ; améliorer l’accès (financier et géo-
graphique) aux soins de santé (tant physique que mentale) ; développer une offre de logements
abordables et de qualité ; rendre l’accès à l’emploi plus facile pour les jeunes (par exemple en reva-
lorisant certaines filières, ou en favorisant la transmission des savoirs vers les plus jeunes dans le
monde de l’entreprise). Enfants et adultes se montrent également préoccupés par les inégalités cau-
sées par l’augmentation du coût de la vie, et, de manière générale, par les discriminations et les
injustices sociales, qui se reflètent directement dans un certain nombre de privations matérielles
dont les enfants sont victimes, mais aussi dans les inégalités d’accès à des services comme les
crèches (encore accentuées par l’éloignement géographique, pour ceux qui vivent en milieu rural).
Si les adultes semblent plutôt concernés par des problèmes concrets et des solutions pragmatiques,
les enfants se montrent davantage préoccupés par des problèmes plus globaux, comme le réchauf-
fement climatique, et des réponses qu’on pourrait qualifier de plus systémiques.

Cette liste de préoccupations, très brièvement résumée ici, recoupe largement celle qui était issue
des ateliers menés avec les parties prenantes sur la définition et l’expérience de la pauvreté infantile.
Elle tend ainsi à conforter le choix d’ouvrir la démarche prospective à des politiques publiques trans-
versales qui ne sont pas spécifiquement dédiées à l’enfance et à la jeunesse, mais y touchent direc-
tement (à travers son milieu d’accueil) ou indirectement (à travers la composante économique).

Les propos recueillis témoignent d’une préoccupation très palpable face à l’avenir : même si les par-
ticipants et participantes ont eu du mal à se projeter dans des scénarios préconstruits, ils ne man-
quent pas de capacités de se projeter à long terme. L’horizon 2050 peut sembler éloigné pour ceux
qui conçoivent le futur à l’échelle d’une ou deux législatures. Pour des enfants, il s’agit, plus simple-
ment, du monde où ils vivront quand ils seront grands, en tant qu’adultes. D’où l’importance qu’ils
attachent à une reconnaissance de leur propre regard prospectif et à leur nécessaire consultation
pour les décisions qui les concernent.

258 Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques

INTRODUC- BIBLIOGRAPHIE

Rapport de recherche de l’IWEPS Hors-série 259


Lutter contre la pauvreté des enfants en Wallonie :
rétrospective, scénarios à l’horizon 2050 et enjeux stratégiques
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L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et
de la statistique (IWEPS) est un institut scientifique
public d’aide à la prise de décision à destination
des pouvoirs publics. Autorité statistique de la
Région wallonne, il fait partie, à ce titre, de l’Institut
Interfédéral de Statistique (IIS) et de l’Institut
des Comptes Nationaux (ICN). Par sa mission
scientifique transversale, il met à la disposition des
décideurs wallons, des partenaires de la Wallonie
et des citoyens, des informations diverses qui
vont des indicateurs statistiques aux études en
sciences économiques, sociales, politiques et
de l’environnement. Par sa mission de conseil
stratégique, il participe activement à la promotion
et la mise en œuvre d’une culture de l’évaluation et
de la prospective en Wallonie.
Plus d’infos : https://www.iweps.be

2024
Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique
Vous pouvez consulter ou télécharger cette publication sur notre site : www.iweps.be

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