Mémoire Ibrahima Nima SEYDI
Mémoire Ibrahima Nima SEYDI
Mémoire Ibrahima Nima SEYDI
*******************
Mémoire de Master
Présenté par :
Sous la direction du
Membres du Jury :
1
« L’Université Assane SECK de Ziguinchor (UASZ) n’entend donner
aucune approbation ni improbation aux idées et opinions émises dans
le présent mémoire ; ces opinions devant être considérées comme
propres à leur auteur »
2
DEDICACES :
« Je dédie ce travail
A toute ma famille ;
A tous ceux qui, par leurs conseils, aides, accueils ont participé à ma formation et surtout à la
I
REMERCIEMENTS :
La rédaction d’un MEMOIRE fait appel à un travail intellectuel personnel. Mais, sa réussite
remerciements :
II
Nos remerciements vont également à l’endroit de toutes les personnes qui ont, de près
ou de loin, contribué à ma formation, en général et à la réalisation de ce Mémoire en
particulier ;
Je ne terminerai mon propos sans remercier MES TRES CHERS PARENTS qui m’ont
donnés la vie et MES CHERS FRERES qui n’ont ménagés aucun effort sur mes études.
III
LISTE DES ABRÉVIATIONS, ACCROYMES ET SIGLES
AL. : Alinéa
Art. : Article
C/ : Contre
Déc. : Décret
ÉD. : Édition
Jurisp. : Jurisprudence
N° : Numéro
IV
O.E.C : Officier d’Etat Civil
P. : Pages
Suiv. : Suivant
T. : Tome
VOL. : Volume
V
SOMMAIRE
SOMMAIRE .......................................................................................................................................... VI
INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1
Titre I : LA CONSECRATION JURIDIQUE DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE GENRE
EN DROIT SENEGALAIS ............................................................................................................... 12
CHAPITRE I : LA CONSACRATION TEXTUELLE DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE
GENRE .......................................................................................................................................... 14
Section I : Les bases constitutionnelles de la laïcité et de l’égalité de genre .......... 14
Section II : Les fondements législatifs de la laïcité et de l’égalité de genre dans le
Code de la famille ........................................................................................................ 23
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS POLITIQUES ET SOCIOCULTURELS DE LA LAÏCITE
ET L’EGALITE DE GENRE ........................................................................................................ 33
Section I : Les fondements politiques de la laïcité et de l’égalité et de genre......... 33
Section II : Les données socioculturelles de la laïcité et de l’égalité de genre ....... 40
TITRE II : L’EXPRESSION DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE GENRE EN DROIT
SENEGALAIS DE LA FAMILLE ................................................................................................... 51
CHAPITRE I : LE SUCCES DE LA TRADITION DANS LE CODE DE LA FAMILLE ......... 52
Section I : L’état des pratiques traditionnelles consacrées ..................................... 52
Section II : La manifestation de la tradition dans le droit sénégalais de la Famille
....................................................................................................................................... 61
CHAPITRE II : LA REINVENTION DES CONCEPTS LAÏCITE ET L’EGALITE DE GENRE
EN MATIERE FAMILIALE ........................................................................................................ 69
Section I : Les bases de la réinvention de la laïcité et d’égalité de genre en matière
familiale ........................................................................................................................ 69
Section II : Les moyens d’une application effective, efficace et efficiente du Code
de la famille .................................................................................................................. 78
VI
A mon défunt frère, Yéro SEYDI*
VII
INTRODUCTION
1
Dans les quatre différentes Communes sous la colonisation : Dakar, St- Louis, Gorée et Rufisque.
2
Discours de Monsieur Alioune Badara M’Bengue, Garde des Sceaux, Ministre de la justice du 26 mars 1966.
3
Loi occidentale, en l’occurrence le Code Civil français de 1804.
4
Discours du Ministre, ibid, p.4.
5
R. Decottignies « Prière pour l’Afrique », RSD., 1967, p. 13.
6
K. Mbaye, « Droit et développement en Afrique Francophone de l’Ouest », in Guy KOUASSIGAN, Quelle est
ma loi, p.197.
1
la base fondamentale des textes législatifs. C’est pourquoi, ces derniers sont tenus de se
conformer à celle-là pour leur validité. Par ailleurs, ce n’est qu’en 1972, par la loi n° 72-61 du
12 juin 1972 que fut voté le Code de la Famille dont l’entrée en vigueur fut effective le 1er
janvier 1973.
7
La laïcité est une réalité complexe et évolutive, R. Rémod, Préface aux Nouveaux enjeux de la laïcité, J. P.
Rioux. J. Baubérot, Vers un nouveau pacte laïc ? ; Gilles Bolllerot, le Certhid dir., Religions, Eglises et Droit ; L.
Laot, Catholicisme, politique, laïcité. In : Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°31, juillet-septembre, 1991. Pp
95-97.
8
E. M. Mbonga, « Dieu peut-il mourir en Afrique ? », Philosophie, AQAM, p.5.
9
A. Dieye, « La laïcité à l’épreuve des faits au Sénégal » ; Droit, Politique et Religion in Droit sénégalais n°8-
2009, p.33.
2
l’Eglise et l’Etat en France. L’article premier de ladite loi dispose que la République assure la
liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions
édictées dans l'intérêt de l'ordre public. La laïcité se conçoit, dès lors, comme la liberté
citoyenne, soucieuse de ses droits et tout autant de ses devoirs envers l’intérêt général et de
l’ordre public10. Héritée de l’occident, de la France en particulier, la laïcité s’affiche dans la
plupart des chartes fondamentales des pays de l’Afrique francophone reprenant quasiment
l’article premier de la constitution française de 195811.
L’expression «égalité de genre » se comprend dans son ensemble. Mais, nous définirons
d’abord, distinctement les notions pour plus de précisions, ensuite procéder à l’analyse
conjointe de l’expression. Ainsi, le terme égalité désigne la qualité de ce qui est égal, qui ne
crée de différence entre les personnes ou entre les choses12. En effet, l’égalité est un droit
fondamental de la personne humaine, quel que soit le sexe biologique ou social, l'orientation
sexuelle, et quelles que soient les différences entre les personnes13. Le genre quant à lui, peut
être entendu comme construction sociale des rapports de sexes qui prend des formes diverses,
mais aussi de la manière dont les sociétés fabriquent ces rapports14. Il renvoie donc,
contrairement à la différence biologique relative au système reproductif, mais aux rôles
socialement construits, historiquement vécus, culturellement admis, aux attributions, activités
et opportunités qu’une société donnée estime approprier pour les femmes et pour les hommes
et qui les leur inculque au travers de ses processus de socialisation 15 mais aussi de
développement. Le genre est un concept fluctuant, difficile à délimiter qui évolue dans le
temps, sur un espace déterminé. Il est apparu pour la première fois aux U.S.A, sous
10
Article premier de la loi portant séparation des églises et des pouvoirs politiques de 1905 (France).
11
On retrouve le concept laïcité dans les chartes béninoise (art. 2), burkinabé (art. 31), burundaise (art. 1er),
camerounaise (art. 1er), centrafricaine (art. 17), congolaise (art. 1er), gabonaise (art. 2), guinéenne (art. 1er),
malienne (art. 25), nigérienne (art. 4), sénégalaise (art. 1er), tchadienne (art. 1er) et togolaise (art. 1er), A.
Cabanis, « La laïcité à la française et constitutions de l’Afrique Francophone » ; Droit, Politique et Religion in
Droit sénégalais n°8-2009, p.27.
12
Dictionnaire français : Le grand Robert
13
Egalité, équité, mixité, parité, genre : article extrait du site http://www.adequations.org/spip.php?article362
14
G. Graba, « Genre, inégalités et religion : quelques points d’articulation », pp. 23-27, Actes du premier
colloque inter-Réseaux du programme thématique Aspects de l’État de Droit et Démocratie sur Genre, inégalités
et religion.
15
La CIDSE, Juillet 2013.
3
l’appellation anglophone gender16. En effet, pris conjointement, l’expression « égalité de
genre » est le fait de fournir aux femmes et aux hommes les mêmes droits, opportunités,
ressources dans tous les domaines. Il ne s’agit point de faire l’homme et la femme un être
identique, tout en sachant qu’ils sont biologiquement distincts. Mais, elle signifie, plutôt, la
même jouissance de droits, de responsabilités, d’opportunités et de ressources, que l’on est
femme ou homme, fille ou garçon. Il était, dès lors, opportun que le Législateur sénégalais les
consacre, envieux d’un droit moderne et participatif au processus de développement.
Parler de laïcité et de l’égalité de genre fait penser, de prime abord, à leurs enjeux sur le plan
religieux, politique, culturel, social etc. Au Sénégal, la question sur la nature laïque ou non du
Code de la famille est soulevée par un bon nombre d’auteurs, notamment des juristes ou des
sociologues. Mais ce qui est sûr, la laïcité est appréciée diversement. La version dominante est
celle qui l’attribue une nature purement technique en la comparant directement à celle vécue
ailleurs, notamment en France. C’est pourquoi, elle regorge beaucoup d’enjeux. Ceci est
renforcé par le fait que la compréhension de certains concepts pose, dès fois, problème dans
nos langues maternelles. C’est d’ailleurs tout le problème avec « laïcité et genre ». Pour
comprendre le concept « laïcité », il faut d’abord comprendre que les Etats n’ont pas la même
histoire, la même culture, la même politique sociale. Dès lors, chaque Etat, véritablement
souverain, a une façon d’édicter ses normes. Partant, il est important de reconnaitre qu’il n-y-a
pas une laïcité dans le monde mais bien des laïcités17. En effet, la laïcité au Sénégal emprunt
un chemin assez original qui n’essaie pas de créer une rupture définitive entre le temporel et
le spirituel, contrairement à ce qui se passe ailleurs. Ici, une parfaite complémentarité voire
16
Nous soutenons ici l’emploi du terme « genre » essentiellement dans son acception méthodologique, comme
moyen d’atteindre l’objectif politique de justice sociale et donc de transformation sociale.
17
J. Baubérot, « Les laïcités dans le monde », in Rousselet, Kathy. « Les figures de la laïcité postsoviétique en
Russie », Critique internationale, vol. 44, no. 3, 2009, pp. 51-64.
4
complexité s’aperçoit entre les deux. C’est d’ailleurs, ce que fait remarquer O’Brien avec le
contrat social sénégalais18.
Par contre, même si l’égalité de genre n’a pas connu un débat aussi vivace, force est de
reconnaitre qu’elle inspire la Législation sénégalaise. Etudier ces concept au sein du Code de
la famille nécessite de recadrer le sujet autour « Du lien matrimonial19» et « Des successions
20
ab intestat », même si nous faisons certaines références sur les autres parties du Code. Le
choix nous semble pertinent pour deux raisons au moins. D’une part, la famille nucléaire qu’a
voulu avoir le Législateur tire sa source sur le lien matrimonial, particulièrement du mariage.
Ce lien confère aux époux, quelle que soit leur appartenance religieuse ou ethnique, l’état
d’époux ou statut de marié, les place au même pied, conditionne aussi la nature des enfants
issus de ce lien.
D’autre part, le choix portant sur les successions ab intestat n’est ex nihilo. C’est relativement
à l’instauration des successions de droit musulman dans le corpus civil sénégalais. une
inclusion souvent jugée comme remettant en cause la laïcité et l’égalité de genre.
L’objectif de cette étude n’est pas de revenir sur les enjeux de ces concepts au sein du Code
de la famille, même si nous en faisons état à chaque fois que le besoin se présente. Il s’agira
de saisir le Code, son contenu et l’apprécier par rapport à ces principes constitutionnels pour
déterminer leur place dans ledit Code.
Plusieurs positions ont été déjà prises par rapport à la question soulevée. En effet, si certains
pensent qu’on ne peut parler de laïcité et d’une égalité de genre dans le Code de la Famille,
notamment par l’instauration de règles de droit musulman dans le corpus civil et l’attribution
de pouvoirs exorbitants à l’homme21, une égalité « fort symbolique » entre l’homme et la
18
D. B. C O’Brien, « Le contrat social sénégalais à l’épreuve », Politique africaine, n°45, mars 1992.
19
Livre II du Code de la Famille Sénégalais.
20
Livre VII du Code de la Famille Sénégalais.
21
F. k. Camara, « Le code de la famille du Sénégal ou de l’utilisation de la religion comme alibi pour la
légalisation de l’inégalité de genre », p. 170.
5
femme22, d’autres y voient un compromis23, une recherche d’équilibre24. S’inscrivant toujours
dans un tel débat, les jugements du Code de la famille persistent et varient. La lecture des
dispositions dudit Code pousse certains auteurs à affirmer le caractère « laïc affiché » de la
société25, tandis que d’autres le qualifient de « Code de la femme »26.
Mais du droit, il est bien des versions, bien des visions, bien des conceptions. Du plus
large, au plus restrictif, philosophiquement comme techniquement27. Les questions relatives à
l’analyse des normes par rapport à des concepts font partie, d’une part, de la Science juridique
et d’autre part de la Sociologie juridique. Cette recherche qui s’appuie, en plus des textes
législatifs, de la jurisprudence, de la doctrine et de quelques enquêtes, nécessite d’émission
d’hypothèses pour ensuite tirer des conclusions. Ce travail déduction précédé d’hypothèses
marque la méthode choisie, celle hypothético-déductive ou concepts systémiques28. C’est
d’ailleurs cette méthode qui domine toute notre recherche. Elle consiste à l’élaboration de
réponses anticipées vérifiables suivie d’un examen méthodique permettant de saisir les
concepts, normes ou éléments à étudier, de les apprécier et tirer des conclusions par un
raisonnement abstrait et caractérisé généralement par un degré de rupture plus élevé avec les
préjugés.
En espèce, elle nous conduit à estimer, en premier, la consécration d’une laïcité et d’une
égalité de genre dans le corpus juridique sénégalais qui promeut la sociabilité, le
développement socio-économique et surtout l’unité du Sénégal, dont les raisons se trouvent
dans la tradition, la culture et les pratiques sociales des Sénégalais (données historiques et
socioculturelles).
22
I. M. Fall, Evolution constitutionnelle du Sénégal : de la veille des indépendances aux élections de 2007 in P.
T. Fall, « La rupture du mariage coutumier en droit sénégalais : l’imbroglio juridique ? », Nouvelles annales
africaines, 2011/2.
23
S. Guinchard, « Le mariage coutumier en droit sénégalais », ibid, p.1
24
J. L. Corréa, « Divorce et compétence juridictionnelle en droit sénégalais de la famille », ibid, p.11
25
P. Mbow, « Le contexte de la réforme du code de la famille », Droit et Culture, in Revue internationale
interdisciplinaire, 2010, pp.87-96.
26
M. Kane, « La condition de la femme sénégalaise mariée selon la coutume islamisée », Rev. Jur. et Pol. 1974,
p 779 et s, in P. T. FALL, Rupture du lien matrimonial, pluralisme juridique et droits des femmes en Afrique de
l’Ouest francophone, Institut Danois des Droits de l’Homme, 2014, p.69.
27
J. C. Javallier, « Les obstacles juridiques à l’application des normes internationales du travail »,
Rapport introductif (Premier projet) vendredi 1 2 janvier 2007, p.1.
28
R. Quivy – L. V. Campenhoudt, Manuel de recherche en Sciences Sociales (résumé), p.4.
6
En deuxième, reconnaitre la distance entre le consacré et le vécu, la théorie et la pratique de
ces concepts (laïcité et égalité de genre) en droit sénégalais. Cette étape, loin d’établir une
contradiction dans la recherche, marque la relativité du travail scientifique surtout dans le
cadre des sciences sociales.
Par ailleurs, l’étude portant sur la laïcité et l’égalité de genre dans le Code de la famille
présente un intérêt capital sur les plans socio-juridiques, politico-religieux, historico-culturel
du Code mais aussi des concepts.
Avant tout, elle nous permet de comprendre que la préparation du Code de la famille a été
animée par un souci de modernisme mais aussi de développement. Ceci se justifie surtout par
le désir du Législateur de rompre avec certaines pratiques traditionnelles. Cette rupture se
manifeste à deux niveaux. D’une part, le Législateur met fin à la pluralité des statuts en
consacrant une loi unique pour tous les Sénégalais. Cette unité du Code s’accompagne d’une
conception purement volontariste et individualiste, car le but du Législateur n’étant plus le
respect absolu de la tradition avec son collectivisme, mais la réalisation de certains objectifs
jugés essentiels dans le cadre d’une politique de développement et d’une politique sociale
nouvelle. En prenant l’exemple du mariage, les volontés des futurs époux restent maitresses
de l’institution. Autrement, c’est le consentement des futurs époux qui est recherché et non
celui de leurs représentants comme cela se faisait au paravent. D’autre part, le Législateur du
Code de la famille a effectué un pas géant relativement à l’émancipation de la femme. Par le
Code, la femme se marie librement, elle exerce une activité professionnelle séparée de son
mari sans une quelconque autorisation de celui-ci, elle initie librement le divorce etc. De
7
telles avancées font du Code un instrument d’émancipation de la femme, un moyen de
modernisation, de développement etc.
Ensuite, cette étude nous met au cœur des débats relatifs au Code. La recrudescence de la
question de la laïcité au Sénégal, particulièrement sur le Code de la famille montre
parfaitement le caractère stimulant de celle-là. La réflexion sur la question de laïcité permet
d’avoir une idée claire sur l’expérience sénégalaise et de comprendre que la laïcité sénégalaise
n’a rien à voir avec celle de la France. Elle consiste en une voie spécifiquement sénégalaise,
un point de rencontre des dynamiques de l’intérieur et de l’extérieur particulièrement
affirmée. La question de la laïcité au Sénégal, notamment dans le CF est encore plus
profonde. En effet, on assiste à la confrontation de deux camps : celui des laïcs et celui des
non-laïcs. Présentée dans les débats comme garantie de la paix et l’équilibre entre les
religions, pour les premiers et comme élément à combattre, comme symbole d’une
occidentalisation corruptrice pour les seconds, la laïcité nous semble néanmoins nécessaire
pour la préservation des équilibres nationaux.
C’est d’ailleurs la même logique qui marque l’expression égalité de genre dans le CF mais, ici
plus apaisé car la question du genre est traitée avec beaucoup de mépris dans le CF. Tout de
même, le genre devient une question pratique surtout dans un monde où les femmes
participent massivement dans le processus de développement. C’est d’ailleurs là que se situe
la différence entre l’occident et l’Afrique sur la question du genre à notre époque. En Afrique,
la question est beaucoup plus orientée vers les rapports sociaux, aux tâches, aux rôles que
l’homme ou la femme effectue pour une paix sociale durable, un développement harmonieux
que sur l’orientation que l’occident fait du genre, basée sur les rapports de sexe, de sexualité,
de liberté individuelle etc. Voilà ce qui donne à ce sujet son caractère plus stimulant car
constituant un carrefour de disciplines dont la Sociologie par l’étude de phénomènes
sociologiques, la Sociologie juridique en analysant les phénomènes juridiques au-delà du
cadre normatif, et le Droit qui regorge du normatif etc.
Enfin, l’intérêt de l’étude s’appréciera de manière prospective car le jugement d’un code,
d’une norme juridique ne se fait uniquement par rapport à son contenu ou son présent. C’est
aussi faire état de son esprit, de son passé et de son avenir : le devenir d’une société, la
réinvention des concepts.
Partant de ces constatations, nous remarquons que cette étude vise à démontrer la
consécration juridique de la laïcité et de l’égalité de genre en droit sénégalais. Dès lors, nous
8
optons pour une démarche assez rétrospective et transversale. Ainsi, avant de venir
directement sur le Code de la famille, nous avons voulu montrer que ces deux principes ont
reçu une consécration constitutionnelle. Cette étape nous semble nécessaire car elle nous
permet d’examiner tous les éléments pouvant déterminer la laïcité et l’égalité de genre en se
basant sur la loi fondamentale, source d’inspiration des législations inférieures. Ensuite,
montrer la manifestation de ces concepts ou principes dans le Code. Manifestation, parce
qu’on ne trouve aucune disposition du Code intitulée « laïcité » ou « égalité de genre » mais, à
l’esprit, on peut déduire la nature laïque ou égalitaire des dispositions édictées. Avec cette
consécration, le Législateur satisfait les orientations du Code de la famille29. Ainsi, en faisant
tour des éléments qui définissent la laïcité et l’égalité de genre dans la constitution du
Sénégal, le Code de la famille les matérialise parfaitement avec la laïcisation du mariage,
pilier fondamental de la famille, des successions de droit musulman, l’égalité des époux dans
la formation du mariage, dans le divorce, dans l’entretien des enfants nés du mariage et tant
d’autres.
Cependant, pour plus de prudence dans la démarche et pour une honnêteté intellectuelle, nous
notons des égratignures de ces concepts dans la pratique. Cela est dû, particulièrement, à
l’insertion de certaines pratiques traditionnelles ou coutumières dans le Code de la famille
manifestant ainsi une prise en compte notoire de la tradition. Il en est ainsi de la polygamie,
de la puissance maritale et paternelle qui sont des pouvoirs conférés à l’homme. C’est
notamment aussi avec l’expression « droit musulman » dont le libellé fait référence à une
catégorie de citoyens, les musulmans. C’est d’ailleurs pourquoi, nous avons proposé certaines
solutions pour pallier les dérives qui pourront impacter notre droit national.
Pour une approche plus active et dynamique de cette recherche, il serait intéressant d’étudier
la consécration juridique de la laïcité et de l’égalité de genre en droit sénégalais de la famille
(TITRE I). Cette partie, largement dominée par les éléments qui définissent, les raisons
qui justifient cette consécration, plus du consacré que du vécu, plus du droit que du fait ou
encore plus du dire que du faire30, nous pousse à nous poser une question simple consistant de
29
Les quatre orientations voulues par le législateur sénégalais : l’unification du droit patrimonial de la
famille, la laïcisation du droit patrimonial de la famille, le respect du principe de laïcité et le respect du
principe d’égalité ; cf. S. Guinchard « le droit patrimonial de la famille au Sénégal », Tome
XXXII, NEA 1980, p.37.
30
M. Mekki, « Le discours du contrat : quand dire ce n’est pas toujours faire », RDC, 2006-2, in J. L. Corréa,
« Droit et non-droit dans l’expression de la liberté religieuse sur le lieu de travail en droit sénégalais », ibid, p.2.
9
savoir comment la laïcité et l’égalité de genre sont vécue dans la pratique ? La réponse à cette
question, nous amène à étudier l’expression de la laïcité et de l’égalité de genre au Sénégal,
10
TITRE I : LA CONSECRATION JURIDIQUE
DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE
GENRE EN DROIT SENEGALAIS DE LA
FAMILLE
11
Titre I : LA CONSECRATION JURIDIQUE DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE
GENRE EN DROIT SENEGALAIS DE LA FAMILLE
La laïcité et l’égalité de genre sont deux concepts dont les définitions ont toujours posé
problème. La difficulté de celles-ci réside du fait qu’il n’y a pas de définitions universelles de
ces derniers, notamment la laïcité. Cependant, cette carence de définition universelle de ces
concepts n’a point affecté la valeur qu’ils regorgent dans la sphère juridique des Etats de
république démocratique. Dans ces derniers, il est établi une loi fondamentale, la constitution,
ayant pour objet, d’une part, l’organisation des pouvoirs publics et de leurs rapports entre eux,
d’autre part, comportant des dispositions relatives à l’organisation territoriale et à la garantie
des libertés et droits fondamentaux des citoyens31. En effet, l’histoire constitutionnelle du
Sénégal32, de 24 janvier 1959 à nos jours, montre considérablement le rattachement du
Sénégal à la forme républicaine laïque et son désir de garantir les droits et libertés
fondamentaux de ses citoyens. Cela se traduit dès 1959 au travers l’article premier de la
constitution du 24 janvier 1959 qui dispose : « le Sénégal est un Etat républicain, indivisible,
laïque33, démocratique et social »34. Ce principe constitutionnel, la laïcité, est renforcé par
celui de l’égalité des citoyens devant la loi, instauré par la constitution du 26 aout 1960 qui
dispose dans son article 1er que la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale.
Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction (…) de sexe35. Il s’agit
là d’une donnée constante que l’on retrouve aussi bien dans la constitution du 26 août 1960,
du 7 mars 1963 que dans celles du 22 janvier 2001 et du 05 avril 201636. L’article 7 de la
nouvelle constitution renchérit en disposant que «les hommes et les femmes sont égaux en
droit ». Delà, on constate, sans risque de se tromper, la place importante donnée à ces valeurs
et principes républicains. Dès lors, les premières bases fondamentales de la république du
Sénégal sont la laïcité et l’égalité de genre qui d’ailleurs, ont obtenu une consécration
31
P. Avril, J. Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, Définition de la constitution; Paris, PUF, 2003.
Collection « Que sais-je ?, p29.
32
Histoire constitutionnelle du Sénégal, Termes de références-constitution Net-, consultée sur Google le 30 Mars
2018.
33
C’est nous qui soulignons en italique.
34
I. M. Fall, « Article 1er de la constitution du 24 janvier 1959 », Textes constitutionnels du Sénégal de 1959 à
2007 ; Centre de Recherche d’Étude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines
Collection du CREDILA, XXIII, p17.
35
I. M. Fall, ibid, p.34.
36
Loi n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant constitution de la République du Sénégal.
12
constitutionnelle, inspirant toutes les législations sénégalaises, notamment le droit de la
famille (Chapitre I), même s’il est nécessaire de préciser que cette consécration est guidée
par des fondements politiques et socio-culturels (Chapitre II) de la société sénégalaise.
13
CHAPITRE I : LA CONSECRATION TEXTUELLE DE LA LAÏCITE ET DE
L’EGALITE DE GENRE
Les normes susceptibles d’être appliquées dans un Etat de droit tirent leur source
principalement de la constitution. En effet, la constitution de la République du Sénégal en
vigueur du 05 avril 2016 est composée de plusieurs dispositions fondamentales. Parmi celles-
ci, nous avons l’article 1er qui rattache le Sénégal, d’une part, à une forme d’organisation
politique démocratique et laïque, d’autre part, assure l’égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction aucune, même de sexe. Ainsi, l’intérêt de cette disposition est
double. En premier, elle constitue un fondement constitutionnel de la laïcité et de l’égalité de
genre (Section I). Par ailleurs, l'existence de la hiérarchie des normes constitue l'une des plus
importantes garanties de l'État de droit. Partant, les normes édictées ne sont valables qu'à la
condition de respecter l'ensemble des normes de droit supérieures, notamment la constitution.
En effet, les législations jugées inférieures doivent respecter cette dernière pour ne pas être
frappées d’inconstitutionnalité. C’est pourquoi, en second, elle inspire toutes les législations
en vigueur, particulièrement celle relative à la famille. C’est la raison pour laquelle, il est
primordial de constater les manifestations de la laïcité et de l’égalité de genre dans le Code la
famille du Sénégal (Section II).
37
A chaque fois que nous disons « nouvelle constitution » sans préciser, il s’agit de la constitution du Sénégal du
05 avril 2016 en vigueur.
14
Paragraphe I : La neutralité de l’Etat : une manifestation de la laïcité et de l’égalité de
genre
La constitution, en son article 1er dispose que la République du Sénégal est (…) laïque. En
effet, précisons avant tout que la laïcité est un concept complexe et équivoque. Il est complexe
et équivoque en ce sens qu’il est susceptible de plusieurs appréciations. Ainsi, selon le grand
Robert, la laïcité est une conception politique impliquant la séparation de la société civile et
de la société religieuse38. Juridiquement, le professeur Jean RIVERO écrivait en 194939 que la
laïcité ne peut s’entendre que dans un seul sens, celui de la neutralité religieuse de l’Etat.
C’est d’ailleurs, sur le fondement de la neutralité que la République du Sénégal garantit à tous
ses citoyens les libertés individuelles fondamentales (A) sans discrimination aucune entre les
sexes (B).
38
Grand Robert, Dictionnaire de langue française.
39
J. Rivero, « la notion juridique de laïcité » in Recueil Dalloz 1949 p.137.
40
Article 8 de la nouvelle Constitution du Sénégal.
41
Article 9 de la Constitution, loc. cit.
42
Article 11 de la Constitution, loc. cit.
43
La charte de la laïcité, la République laïque, point 9.
44
M. Fromont, « La liberté religieuse et le principe de laïcité en France », Universal rights in a world of
diversity, The case of religious freedom,Pontifical academy of social sciences, Acta 17, 2012, disponible sur
http://www.pass.va/content/dam/scienzesociali/pdf/acta17/acta17-fromont.pdf, consulté le 02/04/2018.
15
toujours qualifiée de laïcité hostilité45 ou laïcité neutralité46. Cette conception à la française de
la laïcité rejoint l’idée défendue par Ernest-Marie Mbonda qui soutenait la tradition de
l’indifférence religieuse, du rejet ou même la mort de Dieu47. Cette dernière a été motivée par
la modernisation, de progrès et de liberté. Sur ce, la laïcité doit être un des éléments
permettant de surmonter les obstacles aux projets novateurs. Dès lors, la laïcité était prise
comme un moyen de lutter contre, non seulement au conservatisme des hiérarchies
traditionnelles, mais également aux tentations séparatistes à base de croyances religieuses ou
ethniques qui mettent en péril l'unité nationale48 (en France). Ce principe de laïcité de la
République française se justifiait aussi, à l’origine, par la volonté de limiter l’influence
politique de l’Église Catholique : la séparation de l’État et des Églises a été considérée comme
nécessaire à l’établissement de la démocratie en France.
Par contre, aujourd’hui, cette volonté de combat a entièrement disparu et, d’ailleurs, le
principe de la liberté de religion impose que des atténuations soient apportées au principe.
Clairement affirmée dans la nouvelle constitution, la laïcité reste un principe, une valeur
fondamentale de la république du Sénégal. Elle se manifeste, d’une part, par la neutralité de
l’Etat sur les convictions religieuses (même s’il importe de constater que la laïcité sénégalaise
est très relative49), d’autre part, par la garantie de la non-discrimination entre les sexes. Par
ailleurs, cette égalité de genre affirmée par la constitution manifeste la place capitale de
l’individu dans la société moderne. En effet, cette conception individualiste met celui-ci au
centre de la société en lui conférant tous les droits sans distinction aucune. Le Sénégal n’est
une exception à cette règle quasi-universelle.
45
René Remond, « L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours », Paris, Fayard, 1999.
46
M. Ducomte, « Pour une géopolitique de la laïcité », Rev. des sciences politiques, n° 61, 1er semestre 2009,
p.50-51 ; Ph. Portier, « La France est une République… laïque. Pour une étude diachronique du principe de
laïcité », in F. de la Morena (dir.). Actualité de l’article 1 er de la Constitution de 1958, Toulouse 2005, pp. 158-
160, in J. L. Corréa, Droit et non-droit dans l’expression de la liberté religieuse sur le lieu de travail en droit
sénégalais).
47
E-M. Mbonda, «Dieu peut‐il mourir en Afrique ?» Philosophie, UQAM, p.2.
48
Abdoulaye Dieye, « La laïcité à l’épreuve des faits au Sénégal », Rev. Droit sénégalais, n° 8, 2009, pp. 33-53.
49
A. Dieye, loc.cit.
16
B- La garantie de la non-discrimination entre les sexes
Le second critère qui marque la neutralité de l’Etat est celui de la garantie de la non-
discrimination entre les sexes. Ainsi, aux termes de l’article 1er de la nouvelle constitution, la
République du Sénégal assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction (…)
de sexe. De même, l’article 7 de ladite Constitution dispose que les hommes et les femmes
sont égaux en droit. En effet, selon le Lexique des termes juridiques, l’égalité est un principe
juridique fondamental en vertu duquel tous les citoyens, dans la même situation, bénéficient
des mêmes droits et sont soumis aux mêmes obligations50. Par cette disposition, le constituant
affirme expressément sa conviction relative à l’élimination contre toute forme de
discrimination. Cette dernière est définie comme toute situation dans laquelle, sur le
fondement de son appartenance ou non ou de son orientation sexuelle ou de son sexe, une
personne est traitée de façon moins favorable qu’une autre ne l’est51. Par ces articles, le
Constituant sénégalais consacre de façon explicite, non seulement, l’égalité de genre mais
aussi la non- discrimination, surtout celle basée sur le genre. Ce principe tire sa source
principalement de la Déclaration Universelle des Droit de l’Homme et du Citoyen de 1789
qui, en son article premier dispose que les Hommes naissent libres et égaux en droit. Partant,
il ne pouvait être ignoré par les constitutions des Etats de droit mais aussi par leurs
législations inférieures. Car il permet, non seulement de bâtir un Etat de droit, mais aussi de
garantir l’égalité de tous devant la loi. En garantissant cette égalité, l’Etat assure la non-
discrimination entre les sexes du fait, quel que soit le genre, l’homme et la femme ont les
mêmes droits, devoirs, opportunités, ressources dans tous les domaines. Delà, une nuance doit
être effectuée entre égalité de genre et identité. En effet, il ne s’agit pas de rendre l’homme et
la femme identique mais de les mettre au même pied en droit de sorte qu’il n’y ait un
déséquilibre notoire entre eux. Bien connue en matière de droit du travail, la non-
discrimination garantit le respect des Droit de l’Homme et permet à toutes les couches de
participer équitablement au développement. C’est pourquoi, l’Organisation Internationale du
Travail n’a pas tardé d’adopter une convention en la matière dès 1958 relative à la non-
discrimination au travail52, ratifiée par le Sénégal en 2000 et tant d’autres conventions
50
Lexique des termes Juridiques, 2016-2017, 24e édition, p.440.
51
Lexique des termes juridiques, ibid,.
52
Convention n° 111 du 25 juin 1958 concernant la discrimination (emploi et profession), entrée en vigueur le 15
juin 1960.
17
relatives à la rémunération53, à l’égalité des chances, à l’accès à l’emploi etc. Il est important
de rappeler qu’en vertu de l’article 79 de la nouvelle constitution, « les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle
des lois… »54. Sur ce, on peut juste affirmer que ces conventions trouvent leur importance
dans l’ordonnancement juridique sénégalais55 justifiant la volonté du législateur de se
conformer à la Constitution, aux conventions internationales et de protéger ses citoyens en
garantissant une réelle égalité des sexes. Toutes ces mesures prises montrent le désir de l’Etat
de garantir la non-discrimination entre les sexes. En prônant l’égalité de genre entre les sexes,
et le Constituant et le législateur placent l’individu au centre de la société. En effet, l’individu
devient alors le noyau dur de la communauté. D’ailleurs, en consacrant les libertés, l’article 8
de la constitution affirme clairement qu’il s’agit de libertés individuelles fondamentales.56
De là, que faut-il retenir de cette conception individualiste des droits, d’origine occidentale et
le collectivisme africain, de l’esprit de groupe de ces derniers ? N’y a-t-il pas choc des idées
entre Seydou BADIAN57, Ahmadou Hampathé BA58 contre Herbert Spencer59 ?
53
Convention de l’O.I.T sur l’égalité de rémunération (nº 100) adoptée le 29 juin 1951 entrée en vigueur le 23
mai 1953.
54
Voir article 79 de la nouvelle Constitution du Sénégal, idem.
55
Hans Kelsen, « Justice et droit naturel », 1959 (extrait p.461 du manuel) : « …Un droit positif est valable,
même s'il est injuste. Cela signifie […] qu'on ne peut pas présupposer une norme de justice comme valable si
l'on considère comme valable une norme du droit positif dont la création ne correspond pas à la norme de
justice.» En gros, une norme est valable lorsqu’elle respecte la hiérarchie des normes de l’Etat.
56
Article 8 de la constitution du 22 janvier 2001.
57
S. Badian, Sous l’orage, «L’homme n’est rien sans les hommes. Il vient dans leurs mains et s’en va dans leurs
mains.», 1957.
58
A. H. Ba, Amkoullel l’enfant peul, Editions 84, 1991, « En Afrique traditionnelle, l’individu est inséparable de
sa lignée, qui continue de vivre à travers lui et dont il n’est que le prolongement. C’est pourquoi, lorsqu’on veut
honorer quelqu’un, on le salue en lançant plusieurs fois non pas son nom personnel (ce que l’on appellerait en
Europe le prénom) mais le nom de son clan : « Bâ ! Bâ ! » ou « Diallo ! Diallo ! » Ou « Cissé ! Cissé ! », car ce
n’est pas un individu isolé que l’on salue, mais, à travers lui, toute la lignée de ses ancêtres. ».
59
H. Spencer, « Principes de sociologie », (1876-1896), « La société a pour devoir essentiel de défendre
l'individualité de ses membres ».
18
avec la pensée africaine de la société car selon Durkheim, l’individualisme, ainsi entendu, est
celui de la glorification, non du moi, mais de l’individu en général60. Par la garantie des
libertés individuelles de chacune et de chacun, par cette ferme conviction de lutter contre la
non-discrimination, l’Etat assure sa neutralité et le respect de tous. Par contre, cette dernière
n’est pas le seul fondement de la laïcité et de l’égalité de genre au Sénégal. Ces principes se
trouvent être renchéris par la reconnaissance du pluralisme des religions.
A s’en tenir à la conception durkheimienne de fait social61, les religions du monde, en général,
et celles négro-africaines, en particulier constituent de véritables faits sociaux. Ainsi, pour
parvenir à un réel équilibre entre les différentes religions et assurer une paix sociale durable, il
était nécessaire de consacrer la pluralité de ces faits sociaux en assurant leur respect (A) mais
aussi permettre le libre développement de leurs institutions et enseignements (B).
L’alinéa 1er de l’article 1er de la nouvelle constitution dispose que « la République du Sénégal
est laïque (…). Elle respecte toutes les croyances ». En effet, cette consécration de la pluralité
des religions et de leur respect est l’une des particularités de la laïcité sénégalaise. Tout en
disposant que la République du Sénégal est laïque, le Constituant termine l’alinéa par montrer
l’importance accordée au fait religieux. Cela ne devrait surprendre aucun individu car, au
Sénégal, il y’a une chose que l’Etat ne doit pas ignorer : la grande majorité des citoyens se
réclame de croyances religieuses62. En Afrique, particulièrement au Sénégal, le fait religieux
est pratique et vivante. Ainsi, deux religions dominent au Sénégal. Il s’agit de la religion
Chrétienne et la religion Musulmane. Cependant, force est de reconnaitre que d’autres
religions négro-africaines restent en vigueur, quelle que soit l’appartenance religieuse.
Aujourd’hui, le fait marquant au Sénégal est que c’est un pays dont la majorité de la
60
E. Durkheim, « L'individualisme et les intellectuels », 1898.
61
É. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social, 1898, p.23 « Est
fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ; ou
bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre,
indépendante de ses manifestations individuelles ».
62
A. Dieye, ibid, p.38.
19
population est de religion musulmane (90 %) et les (10 %)63 représentent les autres religions
(christianisme, animisme, protestantisme). Il fallait donc créer un climat social apaisé en
mettant au même niveau toutes les croyances. En consacrant le respect des différentes
religions en pratique, on garantit la liberté de conscience qui, à son tour, place tous les
individus au même pied. Par ailleurs, on ne pourra se baser sur la religion d’un homme ou
d’une femme pour l’empêcher l’accès à un emploi64 ou de conclure un mariage juridiquement.
Le constituant sénégalais fait usage d’une légistique hors pair. En effet, en proclamant la
laïcité, il ajoute le respect de toutes les croyances. Cette culture de sociabilité des Sénégalais
des différentes religions, toujours vécue, consacrée aussi par l’Etat renforce la cohésion
sociale, établit un Etat de droit et permet aussi de faciliter les rapports, d’une part entre les
religions, d’autre part entre les religions et l’Etat. Ce rapport est plus visible entre les
différentes confréries65 et l’Etat. Cette place de la laïcité dans l’ordonnancement
constitutionnel n’est rien d’autre que l’affirmation juridique de la liberté religieuse. Il ne
s’agit nullement d’entraver la laïcité, mais au contraire, on permet à tous les individus, sans
distinction aucune, de faire valoir leurs convictions sans autant que celles-ci puissent être des
sources de conflits allant jusqu’à fausser l’objectif premier de l’Etat : bâtir une nation forte.
D’ailleurs, cela a permis de créer un climat social apaisé entre le religieux et le temporel
poussant certains auteurs à qualifier cette complémentarité et cette complicité de contrat
social sénégalais66.
En outre, l’Etat n’ignore non seulement pas la religion, mais aussi il entretient des relations
normales avec les différentes confessions religieuses, principalement les communautés
musulmane et chrétienne. En effet, les autorités de l’Etat participent volontiers aux
manifestations religieuses les plus solennelles, qu’elles soient musulmanes ou catholiques,
pour ne prendre que ces deux confessions : pèlerinage (à la Mecque, à Rome), Tabaski, «
Magal67 ». L’Etat subventionne les écoles privées et la part essentielle de cette aide va aux
63
Direction et prévision statistiques du Sénégal, 2002 « in » Fatou Diop, « Religion musulmane et comportement
du consommateur : Cas du Sénégal », La Revue des Sciences de Gestion 2012/3 (n° 255-256), p. 191-199. DOI
10.3917/rsg.255.0191.
64
Article 25 de la constitution du 22 janvier 2001.
65
F. Diop, idem, « La confrérie d’appartenance ou «tarîqa» est la voie par laquelle le musulman emprunte pour
accomplir les règles relatives à la «dévotion».
66
D. B. C. O’Brien, « Le contrat social sénégalais à l’épreuve », Politique africaine, n°45, mars 1992.
67
J. L.CORREA, La religion ibid, p.6, « Le Magal est la plus importante célébration de la communauté
musulmane mouride ».
20
écoles privées catholiques, accorde des journées chômées et payées à l’occasion de certaines
fêtes religieuses68.
En définitive, nous reconnaissons que l’Etat reconnaît et s’efforce de respecter toutes les
croyances tout en affirmant sa neutralité à l’égard de la religion. En légiférant ainsi, le
constituant sénégalais consacre une conception originale de la laïcité. C’est la raison pour
laquelle, certains auteurs la considèrent comme « une laïcité compréhensive, loin de la laïcité
de type français»69 ou une prise en compte du religieux consacrée et vécue qui ne remet pas
en cause la conception sénégalaise de la laïcité70». Quid du développement des institutions et
enseignements religieux au Sénégal ?
Le libre développement des institutions et enseignements religieux est le second fait marquant
sur la reconnaissance du pluralisme religieux au Sénégal. L’article 24 de la constitution du 22
janvier 2001, repris par la nouvelle Constitution dispose que « …les institutions et les
communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la
tutelle de l'Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d'une manière autonome.». Dès
lors, l’Etat reste neutre et laisse ces institutions dérouler indépendamment leurs activités. Il
faut rappeler que ces institutions et communautés religieuses sont reconnues comme moyen
d’éducation à l’article 22, alinéa 3 de la constitution du 22 janvier 2001. Partant, le fait
religieux ne peut être ignoré par l’Etat. De ce fait, l’Etat doit garantir le libre développement
de ces institutions et de leurs enseignements pour ne pas heurter la liberté de conscience
affirmée à l’article 24 de ladite Constitution. Cela ne fait que promouvoir une paix sociale
solide, durable et équilibrer les religions. C’est d’ailleurs ce que le constituant a exactement
fait. En parlant d’un libre développement des institutions et enseignements religieux, il ne
s’agit pas seulement de la religion chrétienne ou musulmane. En effet, on fait référence à
toutes les religions vivantes dans le territoire national, sans distinction aucune. Mettre au
68
A. Dieye, ibid, p.38.
69
S. M. SY, « La laïcité, fondement de l’Etat démocratique », Ethiopiques, Revue socialiste de culture négro-
africaine, n°22, 1980 in A. Dieye, ibid, p.39.
70
J. L. CORREA, « Droit et non-droit dans l’expression de la liberté religieuse sur le lieu de travail en droit
sénégalais », Publié à la revue de Droit comparé du travail et de la Sécurité Sociale COMPTRASEC, 2016/2, p.
72.
21
même pied les différentes religions revient à égaler tous les individus, respecter leurs
convictions sans discrimination, ni entre l’homme et la femme, ni sur une autre appartenance.
Avec cette consécration de la liberté du développement des institutions et enseignements
religieux, le constituant sénégalais manifeste son attachement profond aux valeurs religieuses
et culturelles fondamentales des citoyens. Il montre l’importance de la complémentarité, de
l’interactivité qui doit exister entre ces faits sociaux et l’Etat dans le respect de tous les
individus. Cette intervention du spirituel dans le temporel ne remet nullement en cause le
principe de la laïcité car, il est certain que l’Etat est non confessionnel. Par contre, elle
constitue une richesse, une particularité importante de la société sénégalaise et par
conséquent, la laïcité sénégalaise. Contrairement en France où la loi du 9 décembre 1905
affirme que l’Etat ne reconnait aucun culte, la constitution sénégalaise, quant à elle, procède
avec beaucoup de délicatesse en précisant, à juste titre, que les pratiques religieuses ou
cultuelles sont reconnues et garanties à tous. En outre, l’Etat ne fait aucune profession de foi
et la constitution ne fait référence à aucune croyance religieuse. L’Etat, les services publics ne
sont placés sous le signe d’aucune religion. De même, le quotidien religieux ne reçoit aucune
institutionnalisation juridico-politique71. C’est d’ailleurs pourquoi, l’article 4 de la
constitution du 22 janvier 2001 repris par celle du 05 avril 2016 interdit aux partis politiques
de s’identifier à une quelconque appartenance religieuse72. Toujours dans cet ordre de
différenciation, si en France la loi du 9 décembre 1905 dispose clairement que l’Etat ne
reconnait, ne subventionne, ni salarie les cultes, force est de reconnaitre qu’au Sénégal, en ce
qui concerne l'enseignement dans le privé, l'État subventionne les écoles religieuses, à la
condition que celles-ci signent une convention avec lui (dites écoles privées « sous contrat »).
En échange des fonds publics, l'école doit se soumettre à certaines règles qui limitent en
pratique l'enseignement religieux. Il s'agit en particulier pour l'école de suivre les programmes
nationaux et les horaires d'enseignement prévus, obligations qui sont contrôlées par l'État73.
La laïcité à la française, encore appelée, laïcité hostilité prône une rupture définitive avec le
clergé pour faire triompher davantage les libertés individuelles. Or, cela n’a jamais été le cas
au Sénégal, là où la religion est une véritable donnée sociale, un élément culturel et cultuel, un
moyen politique pour une paix sociale nationale. Delà, nous comprenons aisément les propos
de Baubérot lorsqu’il affirme que : « les formes de laïcité sont multiples et se colorent en
fonction des contextes politiques et de la place que telle ou telle religion se voit accorder dans
71
A. S. Sidibé, Le pluralisme juridique en Droit sénégalais des successions ab intestat, p.323.
72
Voir article 4 de la nouvelle Constitution du Sénégal.
73
A. Dieye, ibid, p.39.
22
l’espace public. De fait, il serait plus judicieux pour l’analyse, de repérer des « seuils de
laïcisation » selon les pays, leur histoire et leur régime politique »74. Ainsi, nous trouverons
toujours des éléments distinctifs entre les laïcités car nous n’avons pas la même histoire, ni la
même culture, encore moins la même politique sociale etc.
Il serait judicieux dès lors, d’affirmer sans, prétendre à être catégorique et radical qu’au
Sénégal, la laïcité et l’égalité de genre sont consacrées expressément par la constitution.
Par ailleurs, les principes constitutionnels consacrés constituent les bases fondamentales des
législations inférieures. Autrement dit, la norme législative a pour source principale la
constitution. Elle tire sa validé de celle-là. Voilà pourquoi, nous constatons une diffusion de
ces principes fondamentaux dans toutes les législations, notamment dans le Code de la famille
sénégalais.
Il est heureux d’apparoir que le législateur de la famille ne privilégie aucun sexe ni aucune
religion dans le mariage. Ce constat se justifie par la libre volonté des futurs époux dans la
formation du mariage, noyau dur de la famille (A) mais aussi par l’affirmation
jurisprudentielle de l’égalité des époux sur l’entretien des enfants nés du mariage (B).
74
J. Baubérot, « Les laïcités dans le monde », in Rousselet, Kathy. « Les figures de la laïcité postsoviétique en
Russie », loc.cit.
23
A- La libre volonté des futurs époux dans la formation du mariage
Par ailleurs, la libre volonté des futurs époux se manifeste aussi à travers la forme du mariage.
Ainsi, selon le choix des futurs époux, le mariage peut être célébré par l’officier de l’état civil
ou constaté par lui ou son délégué, dispose l’article 114 du Code de la Famille. Pour la forme
75
Manifestation de volontés destinée à produire des effets de droit, Lexique des termes juridiques, ibid, p.26
76
Caractère d’un acte qui remplit les conditions légales pour produire son plein effet, Lexique des termes
juridiques, op cit, p.1111.
77
Voir A. Cissé, Cours de Droit des personnes et de la famille, 2004-2005.
78
Article 141 du Code de la Famille, op cit.
79
Article 142 du Code de la Famille, op cit
24
du mariage, le législateur laisse le choix aux futurs époux de déterminer la façon dont il va
être célébré. En effet, il ne privilégie ni le futur époux ou la future épouse pour choisir
comment l’union sera célébrée et ni la forme du mariage. Autrement dit, les formes sont au
même pied. Dans deux décisions, le juge de la Cour Suprême adopte deux positions
différentes. Mais, force est de reconnaitre que la seconde décision constitue un principe. Il
s’agit de l’arrêt Roca du 29 novembre 1969 et l’arrêt Lochet du 25 novembre 197480
Il serait judicieux, d’ailleurs, de reproduire cet attendu de principe de l’arrêt Lochet. Ainsi, le
juge de la Cour Suprême affirme que « …Deux formes de mariage sont instituées au Sénégal,
le mariage civil devant l'officier de l’état civil et le mariage célébré suivant les coutumes,
simplement enregistré. Il ne résulte d'aucune disposition légale, ni d'aucun principe général
que le législateur ait établi une prééminence quelconque de l'une de ces formes sur l'autre […]
même de statuts différents ».81 En ce qui concerne le lieu de célébration, le mariage est
célébré publiquement au centre d’état civil, du domicile ou de la résidence de l’un ou de
l’autre des époux. Autrement dit, s’il n’est pas célébré au centre d’état civil, il peut être
célébré soit chez la femme, soit chez l’homme.
80
Dans l’arrêt Roca, le juge de la C. Suprême casse une décision autorisant la transcription d’un acte de mariage
entre une française et un sénégalais, mariage célébré à Dakar sous la coutume wolof islamisée. « Attendu que
c'est-à- tort, dans ces conditions, et en violation des textes susvisés, qu'a été validé le mariage contracté à Dakar
suivant la coutume wolof islamisée par une Française dont la loi seule pouvait régir l’union, laquelle devait en
conséquence, être célébrée devant l'officier d'état civil… Casse et annule ...
Tandis que l’arrêt Lochet pose un revirement jurisprudentiel. Dans cette décision, le juge de la Cour Suprême
affirme « Deux formes de mariage sont instituées au Sénégal, le mariage civil devant l'officier de l’état civil et le
mariage célébré suivant les coutumes, simplement enregistré. Il ne résulte d'aucune disposition légale, ni d'aucun
principe général que le législateur ait établi une prééminence quelconque de l'une de ces
formes sur l'autre, dans le cas de mariage entre deux personnes de statuts différents … ».
81
Arrêt Lochet Cour Supr. 25 novembre 1974 - Rev. sén. Dr. 1974, n Q 16 p. 47 et s. ; note BILBAO; Penant
1976 p. 534, note LAMPUE. In A-K. Boye (Thèse), Les mariages mixtes en droit international sénégalais, p.40. :
25
les régimes matrimoniaux fait état d’une appartenance religieuse82. En jetant un regard sur le
divorce, nous voyons que la logique se répète. L’article 157 du CF dispose que « le divorce
peut résulter du consentement mutuel des époux constaté par le juge de paix ou d’une décision
judiciaire prononçant la dissolution du mariage à la demande de l’un des époux ». Comme
dans la formation, la dissolution du mariage, qu’elle soit par consentement mutuel ou
contentieuse, témoigne l’égalité des époux83. Par conséquent, nous pouvons estimer que le
Code de la Famille témoigne une absence de discriminations sexistes et ne privilégie aucune
religion dans la formation du mariage. Cette laïcité et cette égalité ne se limitent pas
seulement lors de la formation du mariage. Elles se manifestent aussi à travers l’entretien des
enfants nés du mariage.
Si la laïcité et l’égalité de genre ont toujours semé des controverses doctrinales, dans le
monde en général et au Sénégal en particulier, il est important de constater que la
jurisprudence sénégalaise relative à la laïcité et à l’égalité de genre est très faible. A notre
connaissance, les juridictions sénégalaises, particulièrement celles de Ziguinchor, n’ont pas
rendu une décision sur la laïcité nonobstant la floraison des débats sur la question. C’est
pratiquement le même constat en matière de l’égalité de genre. Les décisions sont très rares en
la matière. Cette absence de jurisprudence vaut-elle absence de contentieux ? La question
reste ouverte. Mais à s’en tenir au Doyen Carbonnier, nous pouvons déduire que le Sénégal
fait preuve de gens n’ayant pas besoin de droit sur ces deux principes constitutionnels. En
effet, selon le Doyen Carbonnier, « la réalité du droit ne s'identifie pas à la jurisprudence : elle
en sort plutôt déformée. Car la jurisprudence, c'est le contentieux, et le contentieux, c'est le
droit pathologique, non point le droit à l’état normal ». Il conclut en disant simplement qu’ : «
il faut arriver au but en zigzaguant, sans s'être jamais heurté à un gendarme ou à un juge. Les
gens heureux vivent comme si le droit n'existait pas »84. Cependant, force est de reconnaitre
que le pathologique fait partie de la vie de l’homme. On ne peut s’empêcher de tomber
malade. C’est d’ailleurs pourquoi, il est judicieux de constater que le juge de la Cour Suprême
du Sénégal a consacré l’égalité des époux sur l’entretien des enfants nés du mariage à travers
82
Même s’il faut noter la résistance de certaines règles de tradition musulmane, notamment la polygamie, que
nous examinerons plus tard.
83
Y. Ndiaye, Le divorce et la séparation de corps, p.16.
84
J. Carbonnier, Flexible droit, ibid, p.42.
26
une décision rendue le 02 septembre 2015 par la chambre civile et commerciale de ladite
Cour. Il s’agit dans cette affaire un divorce prononcé aux torts exclusifs du mari, Salif Seck.
En effet, suite à un appel de l’épouse, Lémou Samb, le tribunal régional85 hors classe de
Dakar, par jugement n° 28 rendu le 17 février 2014 confirme la décision du tribunal de petite
instance et déboute celle-ci de sa demande de paiement de pension alimentaire au profit de ses
enfants au motif que les enfants sont majeurs. Insatisfaite, l’appelante forme un pourvoi pour
la cassation de la décision du tribunal régional Hors classe de Dakar. Ainsi, en se fondant sur
les articles 155 et 278 du Code de la Famille, le juge de la cour suprême casse la décision du
tribunal et affirme que le parent qui a des ressources suffisantes a l’obligation d’entretien de
son enfant majeur, mais sans ressources, qui poursuit des études dans des conditions
satisfaisantes. Par ailleurs, il serait judicieux de revenir sur les termes de la décision de la
Cour Suprême du Sénégal, notamment « le parent ». En effet, le juge soutient que « le
parent … a l’obligation d’entretien de son enfant… ». Ainsi, selon la signification
étymologique et propre, parent désigne le père et la mère au pluriel86. Sans tirer en longueur la
réflexion, nous pouvons affirmer que cette définition du mot « parent » corrobore la
conception du législateur du Code de la famille par conséquent, à la compréhension du juge
de la Cour Suprême. Partant, en parlant de « parent », sans aucune précision, le juge fait
allusion aux deux époux qui ont donnés naissance à un enfant durant le mariage, quelle que
soit leur situation actuelle : mariés, divorcés ou séparés de corps. Ces derniers ont
l’obligation87 de contribuer à l’entretien de leur enfant né du mariage dans la mesure de leurs
ressources. Par cette décision, le juge place les époux au même pied en appliquant l’article
278 in fine88. L’homme et la femme, qu’ils soient en couple ou non, sont égaux sur l’entretien
de leur enfant qu’ils ont engendré. La femme (l’épouse) ne pourra se réfugier sur son statut de
85
Avec la nouvelle réforme judiciaire, les tribunaux régionaux sont dénommés Tribunaux de Grande Instance
(TGI), ceux départementaux sont appelés Tribunaux de Petite Instance (TPI).
86
Le Dictionnaire le Littré. Cependant, depuis la loi n° 2013-404 du 17mai 2013 ouvrant le mariage pour tous en
France, le mot « parents » est employé pour remplacer l’expression « père et mère » dans les textes légaux, afin
de désigner ceux auxquels la loi reconnait, par l’effet du mariage et de l’adoption, un lien juridique d’ascendance
directe avec un enfant, Lexique des Termes Juridiques, op cit, p.782.
87
L'obligation lie un débiteur à son créancier en donnant à celui-ci le droit d'exiger une prestation ou une
abstention, article premier du COCC. Lien de droit en vertu duquel une personne, le débiteur, est tenue d’une
prestation vis-à-vis de l’autre, le créancier, Lexique des Termes Juridiques, op cit, p.740.
88
Quelle que soit la personne à laquelle les enfants sont confiés, les père et mère contribuent à l’entretien et à
l’éducation de l’enfant dans la mesure de leurs ressources.
27
femme pour échapper à cette obligation, encore moins l’homme (le mari), reconnu comme le
chef du ménage. Cette décision peut avoir deux intérêts non négligeables.
D’une part, elle appuie le principe constitutionnel, l’égalité de tous devant la loi, d’autre part,
elle émancipe les femmes, tant considérées comme inférieures aux hommes, que ce soit dans
la famille ou dans les grandes assemblées. Cette décision, loin de suffire pour attester de façon
radicale la position de la jurisprudence sur l’égalité de genre, mais nous estimons que sa
position est ouverte depuis cette décision. Quid de l’instauration des règles de droit musulman
au sein du Code de la famille ?
La nature laïque du Code de la famille a toujours était remise en cause par certains fondant
leurs critiques sur l’insertion des règles musulmanes dans le corpus civil sénégalais. Certains
parmi ces auteurs n’hésitent pas de qualifier cette instauration comme une discrimination
sélective et arbitraire basée sur la Religion91. En outre, contestant la nature laïque des
dispositions du droit musulman dans le Code de la famille, Abdoulaye Marthurin DIOP
89
F. K. Camara, « Le Code la famille du Sénégal ou de l’utilisation de la religion comme alibi à la légalisation de
l’inégalité de genre », p.10.
90
J. Baubérot, Les laïcités dans le monde, op cit.
91
F. K. Camara, loc.cit.
28
soutient l’idée selon laquelle qu’il est impossible d’appliquer les dispositions du droit
musulman aux Sénégalais non musulmans92. Cette position recevra un appui jurisprudentiel
très controversé. En effet, le 12 juin 1975, le tribunal de paix de Dakar a rendu un jugement
en matière successorale. Dans cette affaire, le juge retient qu’ « en droit musulman, un non-
musulman ne peut hériter d’un musulman et vice versa, contrairement aux successions ab
intestat de Droit commun où l’on ne fait état d’aucune confession. En conséquence, la veuve
du De cujus doit être exclue de sa succession, car, première épouse légale du De cujus, elle
n’est pas la veuve visée à l’article 574 ; en revanche la deuxième épouse, musulmane, est
héritière »93. Cependant, soutenir de telles positions, c’est méconnaitre, d’une part la laïcité de
l’ordre juridique sénégalais, d’autre part, semer une distinction catégorique entre les citoyens
sénégalais en ignorant la lettre et l’esprit de l’article 571 CF. En effet, la laïcisation des
successions de droit musulman est la conséquence de la laïcité de l’ordre juridique
sénégalais94. Tout en consacrant la laïcité de l’Etat du Sénégal, le constituant sénégalais
affirme la reconnaissance des institutions religieuses et la garantie de leur libre
développement par l’Etat. Cette forme assez originale de laïcité à la sénégalaise consacrée par
la constitution se manifeste dans le Code de la famille avec l’instauration des dispositions de
droit musulman dans ledit Code. Partant, cette légistique constitutionnelle ne remet nullement
en cause la laïcité de la République du Sénégal. Cela se justifie parfaitement par la place
prépondérante de la volonté du De cujus. D’ailleurs, l’article 571 du Code de la Famille
dispose : « les dispositions du présent Titre s’appliquent aux successions des personnes qui,
de leur vivant, ont, expressément ou par leur comportement, indiscutablement manifesté leur
volonté de voir leur héritage dévolu selon les règles du droit musulman ». Ainsi, l’application
des dispositions successorales de droit musulman repose, non sur l’appartenance du de cujus à
la religion musulmane ipso facto, mais à la volonté de celui-ci de voir sa dévolution
successorale établie selon les dispositions de droit musulman. Delà, on remarque que les
dispositions successorales de droit musulman sont étendues et par conséquent s’appliquent à
92
A. M. DIOP « la dévolution successorale musulmane : détermination des héritiers dans le Code de la famille »,
R.jur.pol.Ind. Coop., t.26, n°4, 1972, p.808.
93
Affaire rendue par la justice de paix de Dakar. En espèce, il était question d’une dame chrétienne qui avait
épousé un sénégalais musulman à la mairie de Dakar le 31 mars 1938, à la célébration de cette première union,
ce dernier prit une seconde femme musulmane. Au décès du mari polygame, il était question de savoir si une
personne non musulmane pouvait hériter un musulman ? Les juges répondent par la négative et excluent la
chrétienne de la succession de son mari musulman.
94
S. Guinchard, « Droit patrimonial et de la famille au Sénégal », [Belles pages 40], p.375.
29
tous les sénégalais désireux de voir leurs successions être appliquées auxdites règles, y
compris les non musulmans95. Le législateur aurait porté atteinte à la laïcité s’il avait tenu
compte à l’appartenance à la religion musulmane comme critère d’application de celles-ci.
Fort heureusement, ce critère a été élagué au profit de la volonté du de cujus. Peu importe
l’appartenance religieuse, tout sénégalais peut demander à ce que son héritage soit dévolu
selon les règles du droit musulman. De même, un musulman peut solliciter et exiger à ce que
sa succession soit dévolue en suivant les règles de droit commun. C’est d’ailleurs ce que
souligne le professeur Guinchard, sans ambages, dans son ouvrage « Les Réflexions critiques
Droit patrimonial et de la famille au Sénégal ». En effet, cette liberté de choix ne peut être
justifiée que par l’égalité de tous devant la loi, quel que soit le genre, mais aussi la laïcité
sénégalaise dont la ferme volonté est la création d’un climat social apaisé sans qu’il y’ ait de
distinction ou de discrimination sur nos différences. Le débat aurait plus de sens lors que la
question était relative à l’effectivité de cette disposition ou le contenu de la norme et la
pratique. D’ailleurs, force est de reconnaitre, à notre connaissance, il n-y-a pas, dans la
pratique jurisprudentielle, un non musulman qui a choisi que sa succession soit dévolue selon
les règles du droit musulman. Même si le juge joue un rôle déterminant dans l’application
desdites dispositions au De cujus.
Nous l’avons vu, le Législateur sénégalais accorde à la volonté une place très importante dans
la dévolution successorale. Cependant, si le de cujus ne manifeste pas une volonté expresse, le
juge est amené à interpréter son comportement de sorte qu’il en tire une conclusion lui
permettant d’appliquer ou non les dispositions de droit musulman. On serait tenté de se
demander si la jurisprudence corrobore-t-elle cette position du législateur ? En effet, pour
répondre à cette interrogation, nous ferons appelle à la pratique jurisprudentielle en matière
successorale en faisant recours à certaines décisions.
Ainsi, dans l’arrêt du 21 juillet 198196, la Cour Suprême s’est basée sur des actes commis
consciemment par le de cujus pour écarter les dispositions du droit musulman. En effet, selon
la haute Cour, la commission sciemment de certains actes bannis par l’Islam peut empêcher
95
Même s’il faut souligner, à notre connaissance, il n’y a pas d’abord un non musulman manifestant sa volonté
de voir sa succession dévolue selon le droit musulman.
96
Cf. La décision rendue par la cour Suprême du Sénégal dans l’affaire Babacar Diop, 22jullet 1981.
30
l’application des règles successorales de droit musulman. En adoptant une telle démarche, la
haute Cour a inclus un élément quasi-fondamental de l’option successorale, le comportement
de l’individu. Cette inclusion du comportement, à travers des actes effectués en pleine
conscience, donne au juge la conviction d’appliquer ou d’écarter lesdites dispositions. En
espèce, la Cour a décidé de ne pas appliquer la dévolution musulmane car le de cujus avait
trois enfants nés hors mariage, actes jugés graves par l’Islam, commis en connaissance de
cause de leur gravité. Pour le juge de la Cour Suprême, soit on est musulman, soit on ne l’est.
Il n’y a pas de musulman à cheval. Cette interprétation du juge, issue de l’article 571 CF,
donne cet article un double sens.
D’une part, il permet à tout sénégalais de bénéficier l’application de cette disposition lorsqu’il
manifeste sa volonté de voir sa succession effectuée selon les règles musulmanes. Dès lors
que le de cujus manifeste sa volonté, le juge est lié par celle-ci. Une obligation97 d’appliquer
le droit musulman pèse sur lui quelle que soit la religion du de cujus.
D’autre part, le juge, à travers les actions effectuées par le De cujus, comme c’est le cas en
espèce, détermine si les dispositions musulmanes sont applicables ou non. En effet, le juge ne
tire pas ce travail délicat ex nihilo. Il le fait en se basant sur les éléments qui lui sont présentés
pour preuve, les témoignages de personnes distinguées notamment. D’ailleurs, le juge utilise
des termes d’honneur afin de donner plus de crédibilité à sa décision dans les affaires
familiales98.
Enfin, en se basant aussi sur les actes accomplis de façon consciente par le De cujus,
déterminant le comportement de ce dernier, le juge rend sa décision. Expressément, cette
disposition laïcise les règles de succession de droit musulman et tacitement, elle oriente le
juge afin de pouvoir appliquer celles-ci.
Dans une seconde décision99, en l’absence encore de volonté exprimée, le juge de la Cour
Suprême se fonde sur l’attitude du de cujus. Ce dernier, par son rattachement à la religion
musulmane, en pratiquant la polygamie et de certaines pratiques islamiques, le juge fait droit
aux dispositions successorales de droit musulman. On serait tenté d’assimiler ce pragmatisme
97
Lexique des Termes Juridiques, 24eme édition, 2016-2017, p.740.
98
TD Kaolack, n° 2 du 11 janvier 2010, Fatoumata Zahara CISSE c/ Cheikh El hadji Ibrahima CISSE. Le juge
émet un jugement de valeur sur la personnalité des témoins. Il dit d’eux qu’ils sont « d’honorables personnes ».
En réalité, il s’agissait d’un grand imam et de personnes jouant parfois le rôle de médiateur social.
99
Affaire Abdourahmane Corréa rendue par la Justice de Paix de Dakar le 28 Mai 1980.
31
du juge dans les successions, au forçage100 du contrat par l’implication de ce dernier dans la
sphère des parties. Dans tous les deux cas, le juge intervient dans un domaine qui, en principe,
reste strictement privé, surtout dans le cadre des successions. Force est de reconnaitre que la
laïcisation des dispositions successorales de droit musulman ne fait aucun doute par le fait,
aussi bien le législateur que le juge, la volonté du De cujus reste le critère fondamental
d’application des règles de droit musulman. La consécration de la laïcité et de l’égalité de
genre dans la sphère juridique sénégalaise ne s’est pas faite au hasard. La politique et les
événements sociaux culturels marquent bien leur place.
100
Gounot, « le rôle du juge dans l’interprétation des contrats », 1912 in Laurent Leveneur, « le forçage du
contrat » (Dossier).
32
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS POLITIQUES ET SOCIOCULTURELS DE LA
LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE GENRE
Base naturelle et morale de toute communauté humaine101, la famille est le premier élément
du socle de l’unité nationale, l’un des objectifs politiques du Législateur. Ainsi, il importe de
déterminer les moyens de l’unité nationale (Paragraphe II), après avoir montré que le
maintien de cette unité nationale ne saurait être plus judicieux qu’à partir du Code de la
Famille (Paragraphe I). Cependant, la construction de l’unité nationale ne nécessite-t-il pas
de moyens ?
L’unité nationale est une expression complexe. C’est pourquoi, il importe de déterminer à
quoi elle renvoie (A) avant d’évoquer ses manifestations au Sénégal (B).
Pour aboutir à une compréhension plus exhaustive de l’expression « unité nation », il importe
de définir ces deux concepts distinctement. En effet, selon le Grand Robert102, unité signifie
101
Article 17 de la constitution du 22 janvier 2001 : « Le mariage et la famille constituent la base naturelle et
morale de la communauté humaine... »
102
Dictionnaire de langue française, ibid.
33
caractère de ce qui est unique, un seul. Cette définition rallie celle du dictionnaire le Littré103
qui considère l’unité comme qualité de ce qui est un, sans parties, par opposition à pluralité.
On peut, alors entendre par unité, tout élément unique ou ensemble d’éléments formant un
tout complet : un. Or, étymologiquement, nationale (au masculin national) vient du mot
nation. Par ailleurs, ce concept multi définitionnel est défini doublement. Objectivement,104 la
nation est la résultante d'éléments objectifs que sont : le territoire, la langue, la religion et la
race. De façon subjective, la nation est un groupe humain dont les membres ont, entre eux,
des affinités tenant à une histoire commune, un sentiment de parenté spirituelle, un désir de
vivre ensemble105. L’expression unité nationale est le caractère unitaire d’un groupement
d’hommes, unis par des liens, à la fois, objectifs et subjectifs, qui se considèrent comme
différents des personnes qui composent les autres groupements humains. Cette définition
regroupe les différentes conceptions de la nation. Elle semble répondre aux réalités africaines
dans la mesure où, en Afrique le découpage des frontières a été fait de manière arbitraire
allant jusqu’à disloquer une même ethnie. Malgré tout, la plupart des pays africains ont
parvenu à s’adapter, notamment le Sénégal106. Ainsi, nous pouvons retenir que cette définition
subjective est plus répandue et plus attrayante aux yeux des différents auteurs107. Car, elle
considère comme élément fondamental de la nation, la volonté de vivre ensemble, le
fondement de tout processus de construction ou de constitution de l’unité national. Selon G.
Burdeau, « la nation trouve son origine dans un sentiment attaché aux fibres les plus intimes
de notre être : le sentiment d’une solidarité qui unit les individus dans leur volonté de vivre
ensemble. La nation relève plus de l’esprit que de la chair. Par ailleurs, pour vivre ensemble, il
faut avoir la volonté, reconnaitre nos différences afin de construire un ensemble unique dans
un long processus. C’est pourquoi la nation sénégalaise ne fait aucun doute, de tant plus que
le peuple sénégalais démontre l’existence d’une unité nationale.
103
Dictionnaire de langue française, Le Littré.
104
Elle a été élaborée en Allemagne par FICHTE et TREISCHKE.
105
Deuxième définition du Lexique des Termes Juridiques, ibid, p.721 : Cette thèse est défendue par des auteurs
français tels que Fustel De Coulanges, Renan, Michelet, Bergson, J. Gicquel et A. Hauriou . Selon Michelet « la
nation nait du travail de soi, sur soi » ; Renan, pour qui « la nation est une âme, un principe spirituel (…) le
consentement actuel, le désir de vivre ensemble » ; Bergson, pour qui « la nation est une mission» in B. Traoré, «
De la genèse de la Nation et de l'Etat en Afrique noire », Présence Africaine 1983/3 (N° 127-128), p.4.
106
B. Traoré, « De la genèse de la Nation et de l'Etat en Afrique noire », loc.cit.
107
A. S. Sidibé, « Le pluralisme juridique en Afrique », ibid, p.396.
34
B- La manifestation de l'unité nationale au Sénégal
Parmi les différents Etats francophones indépendants, le Sénégal est l’un des pays qui illustre
le long cheminement de la nation108. Cette voie de la nation sénégalaise s’est construite bien
avant la colonisation. En effet, les diversités ethniques (wolof, peulh, manding, sérères,
Ballante etc.) et celle religieuse (Islam, christianisme...) n’ont pas empêché la construction
d’une communauté nationale dans ce pays109. Ainsi, le Sénégal est l’exemple parfait d’une
diversité dans l’unité. C’est pourquoi, il est heureux de constater que sa forme de laïcité
corrobore, sans ambages, avec les réalités du terroir. Par ailleurs, la nation des peuples
africains, du moins, celle sénégalaise, s’est toujours manifestée. Si la thèse dominante a
toujours prôné que l’Etat précède la nation en Afrique, force est de reconnaitre que les
peuples africains ont toujours montré un commun vouloir vivre ensemble, partagé des
histoires communes (l’esclavage, la colonisation) et rêvant toujours de continuer ce commun
vouloir vivre ensemble110. Ils ont toujours eu les forces sociales, culturelles et psychiques
suffisantes pour construire la nation et des Etats nationaux. B. Traoré affirme qu’ « ici,
comme en Europe, la nation a précédé l'Etat, et l’idée reçue selon laquelle, en Afrique l'Etat a
précédé la nation est un manifeste, une pétition de principe, plutôt qu'une hypothèse vérifiée
scientifiquement ». Cette thèse nous parait fondée car, quoi qu’on puisse dire, la solidarité
africaine, la pensée collective, l’esprit de groupe, la personnalité juridique du chef (famille,
communauté etc.) et non de l’individu dans l’Afrique traditionnelle, n’est plus à démontrer. Il
importe cependant, de reconnaitre que la nation a besoin toujours de l’Etat afin de se
consolider durablement. C’est d’ailleurs pourquoi, les Etats africains s'y sont édifiés. Mais, il
faut constater avec G. Kouassigan qu’à l’intérieur des cadres territoriaux de [certains111] Etats
Africains hérités de la colonisation, coexistent des ethnies qui, par attachement à leurs
traditions, mettent volontiers l'accident sur les éléments qui les distinguent et les séparent les
unes des autres plutôt que de faire ressortir les éléments qui les rapprochent et qui permettent
de parler d’une communauté de vie sociale et de civilisation112. Il faut juste constater que le
108
B. Traoré, « De la genèse de la Nation et de l'Etat en Afrique noire », op cit, p.6.
109
B. Traoré, loc. cit.
110
La volonté des chefs d’Etat africains de réaliser l’unité africaine.
111
C’est nous qui ajoutons « certains » en crochets car il faut reconnaitre que certains Etats font l’exception,
notamment le cas du Sénégal.
112
G. A. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernité dans le droit privé de la famille en Afrique noire
francophone, EDITIONS A. PEDONE 13, Rue Soufflot- Paris, p.162.
35
Sénégal fait une exception à cette thèse de M. Kouassigan qui, dans son histoire montre un
brassage et un métissage ethnique créant des communautés ethnoculturelles comme l’a fait
remarquer B. Traoré113. En outre, beaucoup d’éléments ou de moyens ont permis la
consolidation d’une nation sénégalaise. Il s’agit particulièrement de l’Islam, le cousinage
entre ethnie, le dialogue islamo-chrétien et tant d’autres. Toutes ces affirmations manifestent
parfaitement l’existence d’une nation sénégalaise. Il s’y ajoute un des éléments fondamental
de la nation à savoir la langue. Au Sénégal, les ¾ (soit 43.7%114) de la population parlent le
Wolof, l’une des langues nationales la plus parlée, même si le Français reste la langue
officielle du pays115. Le Sénégal a montré une unité nationale à travers le sens de la solidarité,
du partage et du dialogue qui constituent l’une des caractéristiques essentielles à la volonté de
vivre ensemble et de résoudre le problème de la coexistence de différentes ethnies et religions
au sein d'un même territoire. Ce qui fera dire à M. P. Fougeyrollas « Parmi toutes les sociétés
d’Afrique au Sud du Sahara, le Sénégal nous semble actuellement fournir l'un des meilleurs
exemples de formation et de renforcement de la société nationale »116. Il fallait donc une
politique de conservation de cette unité de la part du Législateur pour un développement
durable. C’est d’ailleurs ce qu’il a pu réaliser, ce malgré certaines ambiguïtés, en élaborant
une loi unique en rapport avec les aspirations des sénégalais. Par contre, nous devons
reconnaitre que cette unité est accompagnée de séquelles, notamment avec le problème de la
Casamance117 créé par le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC)
113
Voir aussi GAUTRON et ROUGEVIN-BAVILLE, "Droit public au Sénégal" - 2e édit. 1977 - Paris – Pédone.
Ces auteurs soutiennent que « le Sénégal, par tradition, possédait depuis longtemps une personnalité politique,
reposant sur les anciens royaumes, puissamment forgée par l'Islam, que les divisions ethniques n’entamaient
pas ».
114
M. CISSE, « Langues, « Etat et Société au Sénégal » Revue Electronique Internationale de sciences du
langage SUDLANGAGE », n°5, UCAD (Sénégal), p.3 ; disponible sur http://www.sudlangues.sn/
[email protected].
115
Article 2 de la Constitution du 22 janvier2001.
116
P. Fougeyrollas, « Où va le Sénégal ? » /J_ IFAN - Dakar - Ed. Anthropos - Paris 1970, p.37, in A. S. Sidibé,
op cit, p.399.
117
La région naturelle de la Casamance, située au sud du Sénégal, a des limites qui tiennent à la fois de la nature
et de l'histoire. Elles sont à l'Ouest l'océan Atlantique, à l'Est la rivière Kuluntu (affluent du fleuve Gambie), au
Nord la Gambie, et au Sud la Guinée Bissau. Extrait du « Au Sénégal » sur http://www.au-senegal.com/la-
casamance,026.html, consulté le 04-05-2018 à 01h00.
36
qui réclame, depuis 1982, l’indépendance de la Casamance sous la « domination » du
Sénégal118.
Fort heureusement, cette situation dans la partie sud du Sénégal ne remet nullement en cause
la nation sénégalaise. Car, nonobstant les diversités ethniques, culturelles et religieuses qui
existent au sein du territoire, les sénégalais s’entendent entre eux et parviennent à tisser
d’excellentes relations avec les pays limitrophes, notamment la Gambie les deux Guinées le
Mali et la Mauritanie.
Le sommet de l’unité nationale est un idéal, un processus infini. Dès lors, il importe
d’avoir des moyens ou organes permettant de réaliser cet idéal. Parmi ces acteurs, l’Etat (A) et
le Code de la famille (B) jouent des rôles prépondérants.
L’Etat peut être conçu comme une personne morale dotée de la souveraineté exerçant son
pouvoir de contrainte sur une population, dans un territoire déterminé. La forteresse de son
pouvoir a permis certains auteurs de lui donner des qualifications hyperboliques. C’est le cas
de Thomas Hobbes « Léviathan », de Nietzsche «le plus froid des monstres froids ». En dépit
de toutes ces exagérations, l’Etat n’est-il pas une nécessité ? M. Bakounine répond aisément
par l’affirmative en soutenant que l’Etat est un « mal historiquement nécessaire »119. Cette
affirmation nous parait se justifier par la mission principale que l’Etat s’assigne, notamment
dans la réalisation de l’unité nationale. En effet, dans le processus de constitution ou de
maintien de l’unité nationale, l’État est le premier acteur. Il incarne, non seulement, l’unité
fondée sur le passé historique et la diversité des individus vivant dans le territoire national
mais la garantit aussi. Ainsi, l’article 1er de la constitution de 1963, repris par toutes les
Constitutions sénégalaises successives, dispose que : « La devise de la République du Sénégal
est : «Un Peuple - Un But - Une Foi» ». Cette unité qu’incarne l'État se manifeste dans la
société sénégalaise, notamment par sa neutralité. L’Etat garantit à tous les sénégalais leurs
droits et libertés. Il assure, en tout temps et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et
l'intégrité du territoire et la vie des populations : défense militaire et la défense Civile. Sur ce,
118
Pour plus de détails, voir A. S. Sidibé, « Le pluralisme juridique en Afrique », op cit, p.399-402.
119
M. Bakounine, « Dieu et l’Etat », L’Altiplano, 2008, p.39.
37
l’article 5 de la constitution dispose que tout acte de discrimination (…), toute propagande
régionaliste pouvant porter atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat ou à l'intégrité du territoire
de la République sont punis par la loi. L’Etat du Sénégal garantit, non seulement, l’intégrité
du territoire mais aussi renforce les liens sociaux. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Abdou Diouf,
Président de la République de 1981 à 2000, dans son allocution à l’occasion du 26eme
anniversaires de l’indépendance du Sénégal en ces termes : «la paix ne s'obtient pas sans la
concorde, l'amitié, la fraternité dans l'unité et la cohésion nationale ». "C'est dans cet objectif",
poursuit le Président de la République, « que je viens de prendre d'importantes mesures de
clémence en faveur de certains de nos frères casamançais que la justice a condamnés pour
activités séparatistes…» »120. C’est pratiquement dans cette même logique que poursuivent
ses successeurs. Ainsi, le Président actuel du Sénégal M. Macky Sall, dans son discours à la
nation du 03 avril 2018 affirme que «le 04 avril, moment solennel de communion et
d’introspection, rassemble en tant que Nation unie par l’histoire et un destin communs ». Il
poursuit «cette fête, l’indépendance, nous exhorte de transcender notre détermination à édifier
une Nation prospère…».
En plus de ces missions ci-dessus, l'État maintient l'ordre public. En remplissant cette mission,
l’Etat assure, d’une part, la sécurité de ses citoyens et manifeste son attachement à la cohésion
et à l’unité. D’autre part, limite l’exercice des libertés individuelles qui peuvent violer les
bonnes mœurs, l’une des caractéristiques de l’existence d’une société collective ou nationale.
Si l’Etat du Sénégal a réussi à maintenir l’unité nationale forgée depuis fort longtemps, c’est
grâce aussi à la flexibilité de la laïcité de l’Etat qui reconnait la liberté de conscience aux
citoyens tout en étant non confessionnel. Quid maintenant du Code de la famille comme
facteur de maintien de l’unité nationale ?
Le Sénégal a eu, juste après les indépendances, l’audace et le courage de se lancer dans un
processus d’élaboration d’une loi unique qui régit tous les sénégalais, sans aucune distinction,
en matière familiale. Mais, il lui faudra attendre plus de dix (10) ans, onze (11) ans plus
précisément pour se doter d’un Code de la famille par la loi n° 72-61 du 12 juin 1972, entrée
en vigueur le 1er janvier 1973. Delà, il est important de se demander à quoi est due cette
lenteur dans l’élaboration du Code de la Famille sénégalais ? C’est parce que, naturellement,
120
Le "Soleil" du 7 Avril 1986, p.3. in A.S. Sidibé, « Le pluralisme juridique dans les Etats d’Afrique
francophone », op cit, p. 404.
38
il était question de réfléchir dans un domaine très subtil, la famille. En effet, comme nous
l’avons constaté plus haut, le Sénégal est un milieu dans lequel coexiste une multitude de
différences (ethnique, culturelle, religieuse etc.). Codifier dans un tel domaine ne pourrait être
chose aisée. Fort heureusement, sur un ensemble de 854 articles, le Législateur sénégalais a
réussi à réaliser un instrument juridique unifié sur la famille pour tous les sénégalais. Cette
unification du droit a pour effet celle des esprits constituant ainsi un moyen de consolidation
de l’unité nationale121. Par ce Code, la famille sénégalaise dont a voulu avoir le législateur
reste unifier. Toutes les règles qui régissent la famille sénégalaise sont unifiées122 à travers ce
Code de la Famille. En faisant ce dur labeur de synthèse, le Législateur rapproche les liens
entre nationaux et substitue la diversité des coutumes à un droit unique. Cette politique du
Législateur n’est que la confirmation d’un vouloir vivre ensemble. Il crée un instrument
juridique tendant à maintenir l’unité nationale du pays. C’est pourquoi certains, comme le
Ministre de la Justice de l’époque, affirment qu’il n’existe pas d’Etat solide qui ne recouvre
une nation dotée d’un seul et même statut123. Ainsi, pour qu’un peuple recouvre le statut de
nation, il importe d’avoir les mêmes aspirations, les mêmes objectifs. Afin d’enforcir les
acquis sur le savoir vivre ensemble au Sénégal, le Législateur ne pouvait avoir une autre
ambition plus sérieuse que d’établir une loi unificatrice des divers statuts qui peuvent même
être des sources d’inégalités ou d’insécurité juridique sans conteste. En plus, il ne faut surtout
pas oublier la place centrale que constitue la famille dans la société humaine. En effet, unifier
les règles qui la concernent, équivaut à renforcer les liens internes de celle-ci de sorte qu’elle
puisse s’épanouir dans la communion, la fraternité, la solidarité, bref dans une commode
nationalisation de la société tout entière. Voilà pourquoi, le Droit en général, de la famille en
particulier constitue un moyen efficace de construction ou de maintien de l’unité nationale.
Par contre, la réalisation d'un tel objectif dans le domaine de la famille ne pouvait se faire sans
la prise en compte des réalités du peuple sénégalais. D’ailleurs, le domaine de la famille est
toujours jugé sensible. Mais, nous estimons qu’il le restera toujours tant qu’une prise en
compte des réalités locales est négligée par le Législateur. C’est ce qui nous conduit à voir
maintenant les données socioculturelles de la laïcité et de l’égalité de genre dans le Code de la
Famille.
121
S. Guinchard, « Réflexions critiques sur les grandes orientations du Code sénégalais de la famille », p.226.
122
Même s’il faut constater la place capitale de l’option dans le Code, notamment en matière de mariage, de
succession etc.
123
Travaux du Comité des options du Code de la Famille - T. 1. p. 4. in A. S. Sidibé, ibid, p.404.
39
Section II : Les données socioculturelles de la laïcité et de l’égalité de genre
Le centre de gravité du droit réside-t-il dans la législation ? Autrement dit, le droit doit-il être
recherché essentiellement dans son aspect juridique ? A ces questions, un véritable positiviste
comme Hans Kelsen répondrait par l’affirmative en considérant que la validité d’une norme
est intrinsèquement liée à sa conformité avec la norme qui lui est supérieure. Or, la sociologie
juridique, notamment avec E. Ehrlich, soutenu par le Doyen Carbonnier dans Flexible droit et
de Emile Durkheim dans les Règles de la méthode sociologique, position que nous
partageons d’ailleurs, montre que le centre de gravité du droit ne doit être recherché ni dans
la législation, ni dans la jurisprudence encore moins dans la doctrine. Celui-ci doit être
recherché dans la société elle-même. Et la société n’est rien d’autre que l’articulation de ses
données ou réalités morales et économiques, sociales et culturelles pouvant influencer son
droit positif. Ainsi, dans le cadre de cette section, nous mettrons l’accent particulièrement sur
les données sociales (Paragraphe I) et celles culturelles (Paragraphe II) qui ont
considérablement conditionné la démarche du Législateur sur la laïcité et l’égalité de genre
dans le Code de la famille.
Les données sociales constituent l’une des bases de toute orientation de la norme juridique. Le
législateur ne peut et ne doit ignorer leur importance dans le processus d’élaboration d’une
loi. En effet, au Sénégal, l’un des faits marquant dans cette République laïque, est
l’islamisation de la majorité des sénégalais (A). Ce phénomène produit un impact non
négligeable dans la législation mais aussi dans la pratique jurisprudentielle (B) en matière
familiale.
Parmi les éléments à prendre en compte dans le jugement d’une norme juridique figure en
grande partie la période dans laquelle celle-ci fut adoptée. En effet, le recensement de 1960-
61 indique que la population sénégalaise s’élevait à 3.049.560 recensés dont 2.780.600 se
réclamaient de religion islamique, soit 90% de la population124. En 1970, sur une population
de 3.620.000 d’habitants, 3.339.000 sont adeptes musulmans, soit 92 % des recensés125. Ce
124
A.S. Sidibé, « Le pluralisme juridique en Afrique », Exemple du droit successoral sénégalais », op cit, p.47.
125
A.S. Sidibé, loc.cit.
40
fort taux de musulmans installé sur toute l’étendue du territoire national est réparti dans quatre
(4) grandes Confréries126, l’une des particularités de l’islam sénégalais. Si l’on parle de
l’Islam au Sénégal, les premières choses qui viennent à l’esprit sont les confréries religieuses
appelées également les « tarîqa »127. La confrérie d’appartenance ou « tarîqa » est la voie par
laquelle le musulman emprunte pour accomplir les règles relatives à la « dévotion »128. Par
ailleurs, ces chiffres ne font que grimper. La population du Sénégal est estimée à quatre-vingt-
quatorze pourcents (94 %) de musulmans en 2013. On y trouve un faible taux des chrétiens (4
%) ; les animistes et autres religions constituent les 2 % restants129. La présence de l’Islam au
Sénégal ne date pas des indépendances. Il est introduit au Sénégal au X ème (10ème) siècle130.
Mais son expansion était difficile du fait de la présence de l’Eglise justifiée par sa « mission
civilisatrice » mais aussi d’un ensemble de croyances diverses. Cette forte islamisation de la
population conduit à la création d’un Comité Islamique pour la Réforme du Code de la
Famille Sénégalais (CIRCOFS). La mise en place du CIRCOFS, composé à la fois de
représentants des familles religieuses, du Collectif des Associations Islamiques du Sénégal, et
d’individuels, se fait en 1996, date à laquelle il commence à travailler sur un projet de code du
statut personnel131. L’objectif principal de ce Comité est de doter le Sénégal un Code de Statut
Personnel (CSP se basant principalement sur les exigences de l’Islam, la religion dominante
au Sénégal. Le CIRCOFS a ainsi rédigé 278 articles d’un « Projet de CSP ». Maître Babacar
Niang132, leader du CIRCOFS, justifie la nécessité d’adopter un nouveau Code en ces termes :
126
Tidjane, Mouride, Khadyr, Layène.
127
F. Diop, « Religion musulmane et comportement du consommateur : Cas du Sénégal » op cit, p.4.
128
F. Diop, loc.cit.
129
Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) Dakar, Sénégal, Enquête Démographique et
de Santé Continue au Sénégal (EDS-Continue) 2012-2013 Rapport final 1 ère année, p.17.
130
L'islam est introduit au Sénégal dès le Xe siècle par les tribus berbères du Tagant (Mauritanie) qui assurent,
appuyés par les pouvoirs étatiques autochtones, la diffusion de la nouvelle religion dans le nord du pays. La
grande expansion de l'islam au Sénégal date de la seconde moitié du XIXe siècle, favorisée par la colonisation :
les colons détruisant les systèmes monarchiques alors en place, la population s'est tournée vers les marabouts,
cherchant leur protection. Source : I. THIOUB (département d'histoire UCAD - Dakar – Sénégal), Histoire de
l'islam au Sénégal : X-XXe siècles in A Dieye, op cit, p.45.
131
M. Brossier, « Les débats sur la réforme du code de la famille au Sénégal : La redéfinition de la laïcité comme
enjeu du processus de démocratisation », aout 2004, p.51.
132
Me Babacar Niang, leader du CIRCOFS. Formé dans le système éducatif français à Dakar, il devient avocat à
la Cour, à Dakar. Il s’engage également dans la politique et devient membre du parti marxiste PAI (Parti africain
pour l’Indépendance) jusqu’à sa dissolution en 1963, puis du RND (Rassemblement National Démocratique) de
Cheikh A. Diop, un parti nationaliste panafricain et socialiste. A la suite des élections législatives de 1983, il
41
«Il serait donc faux et dangereux de se contenter de simples modifications de tels ou tels
articles de l’actuel Code de la Famille. Il s’impose en vérité d’adopter un autre Code
totalement différent dans sa substance de l’actuel Code de la famille, et pour ce faire, il
convient de respecter la liberté de conscience de chacun inscrite dans notre Constitution en
substituant au Code de la Famille un Code de Statut Personnel qui soumet chacun à sa loi
personnelle, c’est-à-dire qui soumet les musulmans à la Charia, les Chrétiens et les autres non
musulmans à leur loi personnelle ». Pour ce Comité, la liberté de conscience légitime
l’adoption d’un nouveau code de statut personnel en respectant la conviction de chacun.
Malgré le nombre important de musulmans et le rattachement de ces derniers aux confréries,
le CIRCOFS n’a, jusque-là, pas réussi sa mission. Le Code de la famille reste stable en ce qui
concerne les réformes tendant à remettre radicalement en cause la laïcité et l’égalité de genre.
Par contre, si le projet de CIRCOFS n’a toujours pas vu le jour dans l’ordre juridique
sénégalais, notons que la forte islamisation des Sénégalais influence aussi bien le législateur
que la jurisprudence en matière familiale.
rompt avec le RND et forme le PLP (Parti pour la Libération du Peuple) devenant son leader politique. Il
s’engage dans la voie de l’islamisation à la fin des années 1990 en acceptant sa nomination à la tête du
CIRCOFS. Il décède en juillet 2007, in M. Brossier, op cit, p.498.
42
B- L'influence de l’islam dans la législation et dans la jurisprudence en matière
familiale
La prise en compte de l’islam dans la législation et dans la jurisprudence est faite de façon très
discrète. En ce qui concerne le Code de la famille, il faut préciser qu’on ne rencontre aucune
disposition évoquant expressément sa nature islamique. Autrement dit, la laïcisation des
dispositions dudit Code est réussie quant à la lettre de celles-ci. Cependant, plusieurs d’entre
elles manifestent, à l’esprit, leur caractère religieux, notamment islamique. Nous ne pourrons
faire un inventaire exhaustif mais retenons les plus flagrants. Pour s’en sortir dans sa
démarche, qui nous semble cohérente, le Législateur a fait usage des options afin de satisfaire
un besoin social, l’une des directives du Code de la Famille133.
En effet, l’article 114 du Code prouve cette légistique dans ledit Code. Cet article, relatif à la
forme du mariage, en prévoit deux : le mariage civil ou célébré par l’officier d’état civil
(OEC) et le mariage constaté par celui-ci ou par son délégué ou représentant lorsque les futurs
époux observent une coutume matrimoniale en usage au Sénégal134. C’est d’ailleurs cette
dernière option qui nous concerne le plus. Ainsi, la constatation du mariage par l’OEC n’est
possible que lorsque les futurs époux observent une coutume matrimoniale en usage au
Sénégal. Lorsque cette condition est remplie, le mariage est valide135. Ce qu’il y’a lieu de
constater, le Législateur a ouvert une brèche aux sénégalais de faire vivre leurs coutumes,
particulièrement celles islamisées avec l’importance numérique des sénégalais. Le choix
devient plus général avec la reconnaissance de la validité du mariage coutumier non
constaté136 qui est généralement célébré en suivant les règles religieuses, particulièrement
celles islamiques. En plus, le Législateur introduit une autre disposition en tenant compte
considérablement de la religion islamique. Il s’agit, en l’occurrence, l’article 133 du Code de
la famille relatif à la pluralité des liens137. Cet article donne à l’homme le droit d’avoir jusqu’à
133
La directive qui consistait à satisfaire un besoin social était de dire «dans l’unicité du Code, une diversité des
options selon les croyances ».
134
Article 114 CF : « Selon le choix des futurs époux, le mariage peut être célébré par l’officier de l’état civil ou
constaté par lui ou son délégué, dans les conditions prévues par la loi. Le mariage ne peut être constaté que
lorsque les futurs époux observent une coutume matrimoniale en usage au Sénégal ».
135
Arrêt Lochet Cour supr. 25 novembre 1974.
136
Article 146 CF : «Lorsque les époux ont choisi de ne pas faire célébrer leur mariage par l’officier de l’état
civil, si pour une raison quelconque la conclusion de leur union n’a pas été constatée par l’officier de l’état civil
ou son représentant, le mariage non constaté est valable […]. »
137
Article 133 CF : « Le mariage peut être conclu : Soit sous le régime de la polygamie, auquel cas l’homme ne
peut avoir simultanément plus de quatre épouses, soit sous le régime de la limitation de polygamie, soit sous le
43
quatre (4) femmes, limite prévue par l’Islam. Cette disposition n’est que le reflet de l’Islam
dans le Code de la famille. Toujours dans cette logique de prise en compte discrète des règles
islamiques ou de la coutume islamique, le Législateur introduit la dot mais l’en a fait une
faculté pour les époux138. Ces différentes remarques de la prise en compte du religieux dans la
loi civile nous conduisent à soutenir l’existence d’une laïcité à la sénégalaise et d’une
conception propre à l’égalité de genre. L’homme n’est pas supérieur à la femme mais ce sont
les rôles qui sont assignés à l’un et à l’autre qui sont différents.
Par ailleurs, le Législateur n’est pas le seul influencé par l’importance numérique et la
domination de la coutume islamique au Sénégal. Les juges subissent la même tension. En
effet, dans le cadre de la résolution des différends, nous constatons que les juges sont
influencés par la majorité des musulmans. Par conséquent, certaines de leurs décisions
reflètent exactement le quotidien islamique. Comme nous l’avons vu plus haut dans les
affaires Abdourahmane Corréa et Babacar Diop, la religion, particulièrement celle musulmane
des défunts, a joué pleinement dans la détermination du droit applicable. Malgré l’abrogation
des coutumes par l’article 830 CF, celles-ci continuent à être appliquées de façon tacite par
l’office du juge qui lui donne une possibilité de tenir compte du cadre sociologique des
sénégalais. Cette prise en compte des règles islamiques est souvent justifiée par un souci de
pragmatisme des juges. Ce qu’il faut juste noter, la motivation des décisions ne se fait qu’en
suivant la règle établie. Cet office du juge s’aperçoit davantage dans la rupture du lien
matrimonial. Le constat est presque unanime, en pratique, la répudiation demeure un
problème véritable au Sénégal nonobstant son abandon par le Code de la Famille. A chaque
fois que le juge constate que le maintien du lien matrimonial est impossible aboutissant à une
répudiation, il peut, en principe, prononcer le divorce pour injure grave de l’homme139. En
plus, l’article 166, énumérant les différentes causes de divorce, fait état de l’incompatibilité
d’humeur rendant intolérable le maintien du lien matrimonial. Cette cause plus que permissive
donne aux époux une possibilité de rompre leur lien facilement. Elle est qualifiée par certains
régime de la monogamie. Faute par l’homme de souscrire l’une des options prévues à l’article 134, le mariage
est placé sous le régime de la polygamie ».
138
Article 132 CF : « les futurs époux peuvent convenir que la fixation d’une somme d’argent, ou la
détermination de biens à remettre en partie ou en totalité par le futur époux à la future épouse, sera une condition
de fond du mariage. Cette dot ne peut dépasser la valeur maximum fixée par la loi ».
139
A. Bengaly (Mali), B. Youra (Niger) et P. T. Fall (Sénégal), Rupture du lien matrimonial, pluralisme
juridique et droits des femmes en Afrique de l’Ouest francophone, Institut danois des droits de l’homme
Bamako, Dakar, Niamey et Copenhague 2014, p.68.
44
comme « moyen de faire survivre la répudiation 140» ou une « répudiation déguisée». Ce
pragmatisme des juges fait revivre un ensemble de traditions et de pratiques que le Code a
expressément supprimées avec l’abrogation des coutumes et pratiques traditionnelles par
l’article 830 CF. Voilà tant d’éléments, sans prétendre à l’exhaustivité, justifiant l’influence
de la majorité islamique dans le CF, particulièrement sur la laïcité et l’égalité de genre et dans
la jurisprudence. Que peut-on dire de la diversité culturelle des sénégalais ?
Le Sénégal, comme partout en Afrique au sud du Sahara, est marqué par la pluralité des
cultures. En effet, cette dernière est composée, d’une part, par la diversité ethnique (A) et
d’autre part, par la diversité confessionnelle (B).
La variété ethnique est une réalité au Sénégal. Elle est confirmée par les travaux de la
Commission de codification du Code de la famille et du Code des Obligations Civiles et
Commerciales (COCC)141. Avant la rédaction du projet de loi portant Code de la famille du
Sénégal, une Commission de Codification (CC) était établie afin de recenser l’ensemble des
coutumes142 en vigueur au Sénégal. A la suite des travaux sociologiques de la Commission,
un décret fixe une liste de soixante-huit (68) coutumes143, reliées à trente (30) ethnies144. On
140
I. Y. Ndiaye, « Le mariage à l’épreuve du droit traditionnel, Revue sénégalaise de droit » n° 36, janvier-juin
2011, p 13 et s spécialement p 36 in Rupture du lien matrimonial, pluralisme juridique et droits des femmes en
Afrique de l’Ouest francophone, op cit, p.78.
141
Cette commission est installée par décret le 12 avril 1961.
142
Il s'agit des coutumes: Badiaranké ; Bainouck fétichiste; Baïnouck catholique ; Bainouck musulmane ;
Balante ; Balante islamisée : Bambara; Bambara islamisée ; Bassari animiste ; Créole portugais ; Dahoméenne
Catholique ; Diakhankhé ; Diakhankhé: islamisée' ; Dialonké islamisée; Diola fétichiste Diola catholique ; Diola
islamisée ; Fandanké ; Fandanké animiste ; Guinéenne musulmane ; Khassonké ; Laobé ; Léboue ; Halinké ;
Malinké animiste; Malinké islamisée; Mandingue ; Mandingue islamisée ; Manjaque ; Manjaque catholique ;
Manjaque fétichiste ; Maure ; Maure musulmane ; Maure islamisée ; Mossi ; Mouride ;. Niominké ; None
catholique ;' None islamisée ; Ouoloff ; Ouoloff.catholique; Ouoloff islamisée; Peulh ; Peulh Fouladou ;
Peulh Fouta ; Peulh Camana ; Peulh M'Ball ; Peulh musulmane ; Pouladié ; Sarakolé ; Sarakolé musulmane ;
Sérère ; Sérère catholique ; Sérère fétichiste ; Sérère islamisée; Sérère Niominké ; Sérère Thiédo Socé ; Soussou
; Toucouleur; Toucouleur islamisée ; Tourka, A. S. Sidibé, ibid, p.41.
143
Pour la répartition des coutumes, voir A.S. Sidibé, ibid, p.42.
45
constate aisément la diversité ethnique des sénégalais à travers la publication de ce décret.
Ceci s’explique par le fait que la majorité des sénégalais était régie par un droit traditionnel
varié. Mais, notons que l'arrêté de 1961 ne signalait que les coutumes les plus pratiquées au
Sénégal. D'autres coutumes effectivement appliquées dans le pays ne figuraient pas sur la
liste. Il en est ainsi de la coutume dogon islamisée invoquée par une partie à un litige porté en
appel devant le tribunal de 1ère instance de Dakar le 17-4-1971145. Cette diversité qui existait
à l’époque précoloniale, a subsisté même pendant la période coloniale. Le colonisateur avait
établi une politique, que nous jugeons discriminatoire, consistant à faire juger les personnes
d’un même territoire, avec des lois différentes dans des tribunaux différents. Il créa des
tribunaux coutumiers ou indigènes pour les ressortissants des autres localités que les quatre
(4) communes dans lesquels on appliquait les coutumes nationales et des tribunaux dits
modernes dans les quatre communes de plein exercice considérées comme partie intégrante de
la France, dans lesquels le droit civil français était rendu applicable. Cette diversité ethnique
et par conséquent une diversité des statuts personnels devrait être harmonisée voir unifiée
dans le Code de famille. Partant, un Comité des options est créé le 26 mars 1966 146. Par
ailleurs, le comité avait un rôle double : d’une part, faire une comparaison des coutumes et
leur conciliation avec la loi moderne147 afin de déterminer ce qui est, d’autre part, de proposer
une loi unique, à la limite du possible, pour tous les sénégalais148. Une chose qui ne pouvait
être aisée car le nombre important des ethnies jouait conséquemment sur la codification. Mais,
ce qui était clair, malgré cette diversité ethnique, la société sénégalaise vivait en harmonie, en
144
F.K. Camara, « Le code de la famille du Sénégal ou de l’utilisation de la religion comme alibi pour la
légalisation de l’inégalité de genre », ibid, p.3.
145
A.S. Sidibé, « Le pluralisme juridique en Afrique », ibid, p.43. Catholique ; Diakhankhé ; Diakhankhé:
islamisée' ; Dialonké islamisée; Diola fétichiste Diola catholique ; Diola islamisée ; Fandanké ; Fandanké
animiste ; Guinéenne musulmane ; Khassonké ; Laobé ; Léboue ; Halinké ; Malinké animiste; Malinké
islamisée; Mandingue ; Mandingue islamisée ; Manjaque ; Manjaque catholique ; Manjaque fétichiste ; Maure ;
Maure musulmane ; Maure islamisée ; Mossi ; Mouride ;. Niominké ; None catholique ;' None islamisée ;
Ouoloff ; Ouoloff.catholique; Ouoloff islamisée; Peulh ; Peulh Fouladou ;
Peulh Fouta ; Peulh Camana ; Peulh M'Ball ; Peulh musulmane ; Pouladié ; Sarakolé ; Sarakolé musulmane ;
Sérère ; Sérère catholique ; Sérère fétichiste ; Sérères islamisée; Sérère Niominké ; Sérère Thiédo Socé ; Soussou
; Toucouleur; Toucouleur islamisée ; Tourka, A. S. Sidibé, ibid, p.41.
145
Pour la répartition des coutumes, voir A.S. Sidibé, ibid, p.42.
145
F.K. Camara, « Le code de la famille du Sénégal ou de l’utilisation de la religion
146
Discours de Monsieur Alioune Badara M’Bengue, Garde des Sceaux, Ministre de la justice du 26 mars 1966.
147
Loi occidentale, en l’occurrence le code civil français de 1804.
148
Discours du Ministre, ibid.
46
une parfaite communion. C’est pourquoi, il était normal de trouver des palliatifs afin d’établir
une loi unique et ne pas heurter les multiples ethnies en place. Pour ce faire, le législateur a
préféré les options, à chaque fois que l’unité était impossible. Nous constatons alors que
l’unité du Code enterre les diversités ethniques et les fait revivre par l’option. Nous assistons
à une unité dans la diversité. En plus de ces variétés des règles traditionnelles liées aux
ethnies, il faut ajouter celles modernes et islamiques. Dès lors, Législateur devait trouver un
équilibre dans sa démarche. Sur ce, nonobstant la diversité des positions, nous estimons que le
législateur a pu trouver un compromis entre le droit traditionnel, moderne et islamique. Cet
équilibre aboutit à une conception propre de la laïcité à la sénégalaise.
En plus de son caractère multi ethnique, le Sénégal est un pays multiconfessionnel. Si dans
les données sociales nous avons mis l’accent particulièrement sur la forte islamisation des
sénégalais, ici l’accent sera mis sur les différents cultes pratiqués au Sénégal.
En effet, le Sénégal est composé principalement de trois (3) religions : le christianisme (les
Catholiques et les protestants), l’Islam et l’Animisme. Ainsi, comme nous l’avons constaté
plus haut, l’Islam constitue la religion dominante au Sénégal149.
149
Relatif à la religion musulmane, voir plus haut, de la page 25 à 28.
150
4% de la population, Rapport de l’ANSD 2013, op cit.
151
A. S. Sidibé, « Le pluralisme juridique en Afrique », op cit, p.42.
47
La dernière religion est celle animiste ou fétichiste avec 2% de la population selon le Rapport
de l’ANSD de 2013. Elle est la plus ancienne et constitue la religion du terroir152. Elles sont
implantées bien avant l’arrivée des prêcheurs conquérants musulmans et des missionnaires
catholiques européens (Portugais, puis Français). Elles se sont peu à peu mêlées à certains
aspects du christianisme et de l’islam, rendant difficiles les frontières entre chaque religion.
En effet, ces religions traditionnelles se caractérisent par des esprits sacrés, attribués par
l’animisme aux objets, arbres, fleuves et montagnes. Elles conçoivent l’existence d’un Dieu
ou d’un créateur, d’où un monothéisme sans incompatibilité avec l’islam ou le christianisme.
Le décret de 1961 avait dénoté huit (8) coutumes animistes. Par contre, il y’a lieu de retenir
deux (2) choses fondamentales qui caractérisent la diversité confessionnelle sénégalaise.
D’une part, il est heureux de constater qu’au Sénégal, malgré la répartition des religions, nous
remarquons une pratique vivante de la tradition. En effet, les populations continuent toujours
à pratiquer les rites religieux, notamment des offrandes, des prières traditionnelles153 afin
d’avoir un climat social paisible. D’autre part, cette diversité confessionnelle n’entache en
rien le savoir vivre ensemble des sénégalais. L’unité du Sénégal finit toujours par triompher.
Ainsi, Moustapha Tamba affirme en ce sens que «le Sénégal reste une exception dans le
domaine religieux au monde, comme la France l’est dans le domaine de la culture et de l’art.
Il y a 90% de musulmans, 5% de chrétiens et 5% d’adeptes de l’animisme. C’est le pays où le
premier président de la République, Léopold Sédar Senghor, était catholique, où les
concessions comptent à la fois des ménages musulmans et chrétiens, où les musulmans et les
catholiques partagent le même cimetière (Joal-Fadhiout et Ziguinchor), où les conjoints
partagent des religions différentes, où les écoles privées catholiques comptent 60 à 70%
d’élèves de confession musulmane, etc. Ce phénomène n’est pas dû au hasard. En fait,
l’histoire et la sociologie des religions permettent de l’expliquer amplement. Nous nous
sommes permis de mettre en exergue cette exception sénégalaise en recourant à ces deux
disciplines qui se complètent pour la connaissance des sociétés. Au moment où notre monde
actuel est en proie au fanatisme, à l’intolérance et au terrorisme religieux, le Sénégal, lui,
propose un autre « modèle» »154. Cette assertion nous parait fondée car le quotidien des
sénégalais nous démontre parfaitement que nous n’avons rien à envier au reste du monde en
matière de vivre ensemble. Les diversités culturelles et confessionnelles sont des atouts, une
152
F.K. Camara, « Le code de la famille du Sénégal ou de l’utilisation de la religion comme alibi pour la
légalisation de l’inégalité de genre », op cit. p.3.
153
F. K. Camara, ibid, p.4.
154
Moustapha Tamba, « Histoire et sociologie des religions au Sénégal », aux éditions L’Harmattan, résumé.
48
richesse pour notre Sénégal. Le Code de la famille, par une démarche originale, consacre la
laïcité et l’égalité de genre. Cependant, s’il est vrai que ces concepts, ou disons, ces principes
constitutionnels existent dans le Code, force est de reconnaitre leur expression altère le dire et
le faire.
49
TITRE II : L’EXPRESSION DE LA
LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE GENRE
EN DROIT SENEGALAIS DE LA FAMILLE
50
TITRE II : L’EXPRESSION DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE GENRE EN
DROIT SENEGALAIS DE LA FAMILLE
Depuis son adoption en 1972, le Code de la famille ne cesse de recevoir des critiques. Celles-
ci tendent souvent à remettre en cause sa conformité avec la Loi fondamentale (la
Constitution), notamment en ce qui concerne la laïcité et l’égalité de genre. L’instauration de
règles traditionnelles ou coutumières voire religieuses fonde cette position des puristes du
droit. Car, faut-il le reconnaitre, de nombreuses pratiques traditionnelles ou coutumières
assiègent le Code de la famille ayant un impact sur la nature technique de certains concepts.
Mais comme toute norme juridique, le caractère pur ou technique, autrement dit l’application
stricte ou directe de la règle de droit ou des principes consacrés sont des idéaux, des faits
extraordinaires pour ne pas dire de l’utopie. Une relativité est toujours nécessaire pour la
Science juridique, par conséquent pour le juriste. Ainsi, ce relativisme que prône Jean
Carbonnier dans Flexible Droit s’aperçoit aussi à travers les écrits de Jean-Claude
JAVILLIER155 qui loue une conception « moyenne » de la sphère d’analyse du Droit.
Par conséquent, le droit de la famille n’échappe pas ce principe, d’ailleurs c’est le domaine
dans lequel, le droit rencontre toute sorte d’ineffectivité, d’inefficacité ou d’inefficience avec
la résistance sans conteste des coutumes et traditions. Par ailleurs, cette démarche relativiste et
non contradictoire nous conduit à constater une distance entre le consacré et le vécu
relativement à la laïcité et de l’égalité de genre en droit sénégalais de la famille. Ce départ est
plus frappant lorsqu’on compare l’application de ces concepts très chargés avec nos réalités
ou comment ils sont consacrés voire vécus en Afrique, particulièrement au Sénégal. Partant,
la laïcité et l’égalité de genre s’expriment de façon originale avec l’influence des pratiques
traditionnelles ou coutumières tendant à léser ces derniers dans leurs conceptions techniques
(Chapitre I). Cependant, pour parvenir à une meilleure appropriation de ces concepts, il nous
semble judicieux de les adapter nos imaginaires. Pour ce faire, une réinvention du Droit de la
Famille est nécessaire en adaptant ces concepts aux réalités africaines de la famille (Chapitre
II).
155
J-C. Javillier, « Les obstacles juridiques à l’application des normes internationales du travail », Rapport
introductif (Premier projet) vendredi 1 2 janvier 2007, p.1.
51
CHAPITRE I : LE SUCCES DE LA TRADITION DANS LE CODE DE LA FAMILLE
L’entrée en vigueur du Code de la famille avait, pour autre, mission la dotation du Sénégal
une Loi unique applicable à tous les sénégalais en matière de la famille par la suppression des
divers statuts personnels. En effet, le Législateur du Code de la famille espérait mettre fin à
l’application des coutumes générales et locales à travers leur abrogation par l’article 830 du
Code de la famille. Ces dernières étaient perçues comme éparses et comme un frein au
développement. Donc il fallait, pour le Législateur, supprimer ces coutumes et pratiques
traditionnelles pour un développement rapide afin de s’afficher aux côtés des pays émergents.
Après quelques années d’application du Code, le législateur a-t-il réussi sa politique dans ce
domaine ? Certes la réponse est partagée, mais la doctrine dominante manifeste l’échec du
Législateur, particulièrement sur les concepts « laïcité et égalité de genre ». En effet, nous
remarquons une forte résistance de la coutume ou la tradition, aussi bien dans le Code de la
famille que dans la pratique des Sénégalais. Nous ferons l’état de ces dernières (Section I)
avant de montrer leur manifestation ou expression (Section II) dans le droit sénégalais de la
famille.
Faire l’état des normes traditionnelles ou coutumières dans le Code de la famille n’est pas
facile. L’inventaire des pratiques traditionnelles ou coutumières s’étudiera à travers les
rapports entre l’homme et la femme (Paragraphe I) et à travers le vivre ensemble : la laïcité
(Paragraphe II).
L’état des pratiques traditionnelles ou coutumières entre l’homme et la femme se fera quant
aux règles relatives aux effets du mariage (A) mais aussi quant aux dispositions qui ont trait
aux successions ab intestat de droit musulman (B).
52
A- Les règles relatives aux effets du mariage
Cependant, les devoirs ou droits impliquant plus de pouvoirs ou de responsabilités entre les
époux sont confiés, en principe, à l’époux, le mari. Il en est ainsi de la puissance maritale. Le
mari est le chef de la famille, il exerce ce pouvoir dans l’intérêt commun du ménage et des
enfants, dispose l’article 152 CF. Le Législateur fait du mari le maitre de la maison. Donc,
son épouse est sous son autorité, sous sa protection et sous sa responsabilité. La femme,
quelles que soient ses ressources, est absorbée juridiquement par son époux relativement à la
chefferie du ménage. Elle doit obéir à son mari. D’ailleurs, le choix de la résidence lui
appartient et la femme est tenue d’y habiter. Le Législateur ne se limite pas là pour marquer le
déséquilibre qui existe entre l’homme et la femme manifestant ainsi une éraflure de l’égalité
entre l’homme et la femme. En plus, l’article 277 CF confère la puissance paternelle au père.
Il dispose en ces termes « la puissance paternelle sur les enfants légitimes appartient
conjointement au père et à la mère ». Par contre, cet alinéa est automatiquement neutralisé par
l’alinéa suivant, ôtant la femme le droit d’exercer la puissance paternelle durant le mariage.
Ainsi l’alinéa 2, du même article, dispose que « durant le mariage, elle est exercée par le père
en qualité de chef de famille ». A travers ces dispositions, le Législateur manifeste un
déséquilibre entre les genres que certains appelleront une discrimination entre l’homme et la
femme157. Ces dispositions ne sont que la consécration de pratiques longtemps vécues dans le
monde, en Afrique et particulièrement au Sénégal. L’homme a toujours était considéré
comme le protecteur de la femme. La patria potestas lui appartenait toujours. Dans
156
Article 149 et suivant du Code de la famille.
157
F. K. Camara, « Le code de la famille du Sénégal ou de l’utilisation de la religion comme alibi pour la
légalisation de l’inégalité de genre », op. cit. p.10.
53
« L’autorité de la famille », J. Pineau relève qu’à Rome, la famille avait pour donnée
fondamentale la patria potestas ou puissance paternelle. Elle était dans les mains de l'ancêtre
qui avait tous pouvoirs : c'était la base du système familial romain. L’ancêtre, ici, n’est autre
que le chef de famille, celui considéré comme le seul détenteur de pouvoir dans la famille.
Outre, le législateur français, fortement influencé par le droit Romain, consacra aussi bien la
puissance maritale que la puissance paternelle à l’époque158. TIBAUDEAU159 disait à ce
propos que « la nature a fait de nos femmes nos esclaves ! Le mari a le droit de dire à sa
femme : « Madame, vous ne sortirez pas ! Madame, vous n'irez pas à la Comédie ! Madame,
vous m'appartenez corps et âme ! »160.
Cette puissance du patriarcat, longtemps suivie en Afrique, notamment par l’appui de l’Islam
et du Christianisme, finit par rejaillir dans leurs législations. Ces pratiques religieuses,
considérées comme des modes de vie, facteurs d’union et de fraternité, donnent plus de
pouvoirs ou de droits à l’homme qu’à la femme. Sur ce, l’exception sénégalaise sur le vivre
ensemble ne devrait être ignorée par le Législateur. Dès lors, il fallait partir à pas dans la
réglementation, surtout sur la famille, que de vouloir marquer coûte-que-coûte l’égalité entre
l’homme et la femme à cette époque. Donc, pour éviter de créer une discorde sociale, il n’était
question, à tort ou à raison, d’abandonner la puissance du patriarcat. Mais ce qu’il faut retenir,
cette démarche du législateur démontre une manifestation originale du droit de la famille
sénégalais.
158
Avec le Code Civil de 1804.
159
Antoine claire TIBAUDEAU est le premier consul sous l’ère napoléonienne.
160
A. C. Tibaudeau, « Mémoire sur le Consulat », p. 426, in J. Pineau, « L'autorité dans la famille », Les Cahiers
de droit, (1965), 7(2), 201–225. doi:10.7202/1004230ar
54
juridictionnelle du tribunal du domicile de l’épouse ne s’est fixée ex nihilo. En effet, elle n’est
que la consécration de pratiques traditionnelles africaines. Par ailleurs, dans cette partie du
monde, le mariage mettait non seulement en rapports deux familles mais l’union était aussi
célébrée au domicile de l’épouse. Tout se faisait chez elle [entendu chez ses parents]. Et
lorsqu’un danger se présentait dans le couple, la femme se rendait chez elle. Les négociations
pour son retour se faisaient chez elle encore161. Donc, en attribuant compétence au tribunal du
domicile de l’épouse, le Législateur n’a fait que répéter cette pratique traditionnelle dans le
Code de la famille. De même, l’article 371 du même Code poursuit dans la même veine en
attribuant à la femme des biens, appelés réservés, dont elle a la pleine gestion.
La partie relative aux successions de droit musulman comporte des dispositions qui semblent
altérer l’égalité de genre dans le Code de la Famille. Le système successoral Sénégalais de
droit musulman se base sur le patriarcat des sociétés arabo-musulman dans lequel un privilège
est accordé à l’homme. Peut-on dire que c’est de cette façon qu’ils conçoivent l’égalité ?
Comme durant le mariage, l’homme est encore mis en haut de l’échelle successorale. La
dévolution successorale se fait en référence au sexe de l’héritier. D’ailleurs, l’article 637164 du
Code de la famille fait état de ce privilège du sexe masculin en disposant que : « Si les aceb
161
Sur ce propos, voir J. L. CORREA, « Divorce et compétence juridictionnelle en droit sénégalais de la
famille », p.9.
162
M. kane, « La condition de la femme sénégalaise mariée selon la coutume islamisée », Rev. Jur. et Pol. 1974,
p 779 et suiv in P. T. Fall, « la rupture du Rupture du lien matrimonial, pluralisme juridique et droits des femmes
en Afrique de l’Ouest francophone », ibid, p.69.
163
J. L. Corréa, ibid, p.11.
164
Cette disposition tire sa source fondamentalement du coran en son verset 11 de la sourate IV, « Voici ce
qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles (…) », voir A. A
Diouf, L’article 571 du Code de la famille, les successions musulmanes et le système juridique sénégalais, p.8.
55
appelés à concourir ne sont pas tous du même sexe, les mâles reçoivent une part double de
celle des femelles »165. En effet, on entend par « males », les individus du sexe masculin166
par opposition aux femelles (donc, individus de sexes féminin). Or, par « double », on entend
quelque chose qui est répétée deux fois, qui vaut deux fois (la chose désignée), ou qui est
formé de deux choses de nature plus ou moins semblable167. En affirmant que « …les males
reçoivent une part double …», le Législateur attribue expressément un avantage aux hommes
fondé sur le sexe. A chaque fois qu’il y-a concours des deux sexes, celui masculin est
privilégié pour la répartition des parts successorales.
165
Article 637 CF.
166
Le grand Robert, ibid.
167
Le Grand Robert, ibid.
168
Article 589 CF.
56
égalité entre l’homme et la femme, mais l’autorité dans la famille est toujours accordée à
l’homme. Force est de reconnaitre que la législation de certains états a évolué sur ce domaine.
En France, l’article 17-3 du Code Civil dispose que « le mineur âgé de moins de seize ans doit
être représenté par celui ou ceux qui exercent à son égard l'autorité parentale »169. De même
qu’au Québec, l’article 174 nouveau du Code Civil québéquois dispose que « la femme
concourt avec le mari à assurer la direction morale et matérielle de la famille, à pourvoir à son
entretien, à élever les enfants et à préparer leur établissement »170. Par ces dispositions, les
législateurs français et québécois placent l’homme et la femme au même pied dans le cadre
famille171.
Au Sénégal, il ne fait pas l’ombre d’un doute de l’influence de la religion, surtout celle
musulmane dans les différentes législations. Cette influence est occasionnée par le nombre
important de personnes qui se réclament de croyance musulmane. Cette dernière a une
169
Article 17-3 du Code civil français- Dernière modification le 03 janvier 2018 - Document généré le 14 février
2018 Copyright (C) 2007-2018 Légifrance.
170
J. Pineau, « L'autorité dans la famille », ibid, p.5.
171
Même si l’histoire législative montre que la puissance paternelle et maritale appartenait aux hommes dans ces
Etats : article 174 ancien du Code Civil québécois «le mari doit protection à sa femme ; la femme obéissance à
son mari» ;
57
certaine particularité au Sénégal, à savoir la pratique confrérique. La religion musulmane finit
par être institutionnalisée dans le Code de la famille dans son Titre III du Livre VII.
Nonobstant le fait que le Législateur ait l’amabilité et l’intelligence de se référer à la volonté
et au comportement pour la dévolution successorale de droit musulman, l’institutionnalisation
de ce droit en ces termes « Des successions de droit musulman » peut trahir l’idée de laïcité,
surtout à la française. Traduite en wolof par Mamadou Cissé, Professeur de Linguistique à
l’UCAD comme « ndeyu-sex » littéralement « maman des jumeaux », la laïcité est ce principe
qui doit respecter l’équidistance non seulement des religions mais aussi assurer la séparation
entre le religieux et le temporel172». Cette conception de la laïcité rejoint l’idée de Fatou K.
Camara qui estime que les rédacteurs du Code de la famille ont expressément violé le principe
constitutionnel à savoir la laïcité en institutionnalisant le droit musulman des successions.
L’interrogation de F. K Camara sur la laïcité est pertinente dans la mesure où, le commun des
laïcistes est la neutralité de l’Etat, comme cette mère des jumeaux qui donne chacun de ses
fils un sein lorsqu’elle les allaite, et la séparation de l’Etat et du religieux. Quelle que soit la
supériorité numérique de l’une ou de l’autre Religion, l’Etat doit respecter le même traitement
entre celles-ci173. Delà, nous constatons une éviction de la laïcité selon le Pr. Diédhiou. Mais
force est de reconnaitre cette démarche du législateur confirme la consécration de la laïcité à
la sénégalaise dans le Code poussant certains de la qualifier d’ambiguë174. Cette pratique de la
laïcité à la sénégalaise se poursuit, cette fois-ci, non pas par rapport au Code de la famille,
mais à un aspect plus général. Il s’agit du recours des politiques au religieux pour élargir leur
popularité. Voulant toujours utiliser leur nombre important, les politiques n’hésitent pas de se
réfugier derrière les hommes religieux pour des consignes de votes. Cela, depuis L. S.
Senghor, d’ailleurs, le premier à comprendre l’influence non négligeable de ces derniers dans
la société sénégalaise175.
Cependant, notons que le législateur se montre très prudent face aux influences de nature
fanatique tendant à remettre en cause radicalement et complètement la laïcité du CF. C’est
172
Entretien avec Paul Diédhiou, Professeur d’Anthropologie à l’Université Assane Seck de Ziguinchor,
Coordonnateur du MASTER POLITIQUE PUBLIQUE ET DÉVELOPPEMENT, MIGRATION SANTÉ ET
DÉVELOPPEMENT au Département de Sociologie de ladite Université, le 22 mai 2018, 10h15-11h20 dans son
bureau sise à Elevage.
173
P. Diédhiou, Entretien.
174
M. Ndiaye, « les ambiguïtés de la laïcité sénégalaise : La référence au droit islamique La référence au droit
islamique », in Baudouin Dupret, La chari’a aujourd'hui, La Découverte « Recherches », 2012, pp. 209-222.
175
A. Dieye, ibid, p.46.
58
pourquoi, nous semble, le projet du CIRCOFS, se fondant particulièrement de la Shari’a, n’a
pas abouti jusqu’à présent. Fort heureusement, la laïcité est un principe qui promeut l’unité
dans la diversité.
Tandis que, le second régime dénommé Des successions de droit musulman trouve sa base sur
le Coran. Dès lors, nous constatons que ces deux régimes sont limitatifs et exclusifs. En effet,
ils sont limitatifs dans la mesure où les règles successorales du Code de la famille se limitent
sur le droit commun, inspiré du droit canonique et les règles de droit musulman. Ils sont
exclusifs du fait qu’on ne retrouve, dans ledit Code, les règles coutumières des autres
confessions, notamment le fétichisme. Cette exclusion a deux conséquences majeures. En
premier, notons que l’exclusion des règles coutumières ou traditionnelles ou fétichistes
constitue une ineffectivité voire une inefficacité des règles successorales du Code de la
59
famille dans certaines zones du pays comme au Sud. Ainsi, en excluant celles-ci, les
populations se voient priver de ce qui leur est cher, à savoir la tradition et par conséquent,
trouvent les dispositions du Code contraires à leurs pratiques. S’il est vrai qu’on prône
l’égalité dans les règles de droit commun et que la femme ne reçoit que la moitié de ce que
doit recevoir l’homme dans les successions de droit musulman, il n’est pas interdit que celle-
ci hérite une parcelle de terre avec le droit commun des successions. Cependant, en milieu
Joola, la femme ne peut pas hériter un terrain, une parcelle. Elle n’a pas l’accès à la terre
même si elle peut avoir un droit de regard, de contrôle ou de surveillance 176. La non prise en
compte de leurs pratiques successorales crée ainsi un déphasage entre les règles du Code et
celles traditionnelles des Joolas du sud entrainant, par ailleurs, une réception parcelle du Code
dû à la résistance de leurs coutumes.
La seconde conséquence est celle relative à l’option entre les deux régimes confirmant encore
la démarche du Législateur et l’existence d’une laïcité à la sénégalaise. Cependant, en limitant
les règles successorales aux dispositions du Code civil de 1804 et des dispositions de droit
musulman, le législateur lèse une partie de la population. Car, quoiqu’on puisse fermer les
yeux, il faut noter que les règles successorales du droit sénégalais regroupent les règles du
droit canonique, le christianisme en particulier et les règles de droit musulman. D’ailleurs, ce
sont les deux religions les plus pratiquées au Sénégal. Qu’a-t-on fait des autres confessions ?
Nous pouvons juste répondre qu’elles sont réduites au néant laissant leurs pratiquants dans la
désespérance car se voyant leurs croyances hypothéquées entre deux régimes limitatifs et
exclusifs. Lors d’un entretien, le Professeur Diédhiou affirme « quel que soit le nombre de
pratiquants d’une religion, ces derniers ne doivent être, ni privilégiés, ni lésés. Le législateur
doit tout faire afin de respecter les croyances des uns et des autres. Et seul le respect de la
laïcité parvient à garantir cette égalité des croyances ». L’idée toujours avancée pour
l’exclusion de ces règles coutumières est celle du développement économique. Avec ces
diversités, les règles successorales ne pouvaient assurer une sécurité juridique et judiciaire.
Cependant, le législateur a-t-il atteint son objectif sur ce coup ? La réponse est partagée. Mais
en ce qui nous concerne, nous pouvons estimer que la résistance des coutumes et règles
traditionnelles dans certaines zones, notamment chez les Joolas du sud du Sénégal, comme
176
P. Diédhiou, entretien.
60
l’affirme M Sagna177, montre que le pari n’est pas atteint à cent pourcent particulièrement en
matière successorale. D’ailleurs, la tradition se manifeste vigoureusement dans le Code de la
famille.
Le Code de la famille fait état d’un compromis non négligeable entre les règles modernes, les
dispositions religieuses et celles traditionnelles ou coutumières. Cette légistique prouve le
caractère hétérogène des droits africains178 et particulièrement ceux de la famille, domaine
dans lequel la tradition conserve une place très importante. D’ailleurs, nonobstant la rupture
qu’a voulue établir le Législateur sénégalais vis-à-vis de la tradition, celle-ci finit par être
réapparaitre avec une forte résistance. Ainsi, les résistances de la tradition dans le Code sont,
à la fois, consacrée (Paragraphe I) et factuelle (Paragraphe II).
Les réalités africaines, tant combattues dans les lois de connotations modernes, finissent
toujours par réapparaitre dans ces dernières. Dans le Code de la famille, les mêmes cas se
reproduisent. Mais, nous prenons deux faits majeurs les plus flagrants. Il s’agit de la
consécration expresse de la polygamie et la survivance de la dot (A) marquant ainsi une
résistance de la tradition (B).
Parmi les pratiques traditionnelles les plus marquantes et critiquées consacrées, en matière de
mariage, par le Code de famille figurent la polygamie et la dot.
En effet, si elle est interdite et réprimée en France, il est important de constater que nul
n’ignore la réalité de la polygamie en Afrique subsaharienne et particulièrement au Sénégal.
D’ailleurs, toutes les législations de ces pays l’ont consacrée sauf la Cote d’Ivoire où elle est
177
Mamadou Lamine Sagna, coordonnateur de la Maison de Justice de Ziguinchor. Il affirme, lors de l’entretien,
qu’en milieu Joola, la tradition résiste toujours notamment en matière de succession. Il précise que les femmes
n’héritent pas la terre. Entretien réalisé le 23 mai 2018 à la Maison de Justice de Ziguinchor, de 11h45 à 12h15.
178
C. Desouches et G. Conac (dir.), « Dynamiques et finalités des droits africains », Actes du colloque "La vie
du droit en Afrique", in : Politique étrangère, n°2 - 1981 - 46ᵉannée. pp. 474-476.
61
interdite par l’article 2 de la loi relative au mariage du 7 octobre 1964 179. Cette longue
pratique traditionnelle n’a pas épargné le Sénégal. En effet, l’article 116-2 du Code de la
Famille dispose : « …qu’en l’absence d’une option au moment du mariage ou
postérieurement, l’homme peut avoir simultanément quatre épouses… ». L’article 133,
intitulé « pluralité de liens », de rajouter que : « le mariage peut être conclu : soit sous le
régime de la polygamie, auquel cas l’homme ne peut avoir simultanément plus de quatre
épouses ; soit sous le régime de la limitation de polygamie… ». A travers ces dispositions, le
Législateur sénégalais consacre expressément des pratiques traditionnelles largement connues,
à savoir la polygamie et la dot.
Par polygamie, on entend une organisation sociale reconnaissant les unions légitimes
multiples et simultanées, en général, d'un homme avec plusieurs femmes. De façon précise,
elle est conçue comme le fait, pour un homme d’épouser, simultanément, deux (2) ou
plusieurs femmes. Dans les sociétés traditionnelles, en cas de polygamie, le nombre n’était
pas limité, contrairement en Islam. En droit sénégalais comme dans le coran, le nombre est
limité à quatre (4), maximum. Par ailleurs, les règles sociales régissant le mariage dans les
pays africains ont conduit à un régime démographique favorable à la polygamie. Plusieurs
raisons peuvent expliquer cet état de fait. Ainsi, un âge au mariage relativement jeune chez les
femmes, un écart d'âge important entre les conjoints, une quasi-absence de célibat définitif
quel que soit le sexe et le remariage rapide sont des facteurs déterminants de cette
organisation sociale. Cette pratique de la polygamie est réconfortée par le lévirat ou le sororat.
En ce qui concerne la dot, elle est comprise différemment. Dans la conception occidentale,
romano-germanique en particulier, la dot est le bien que la femme apporte au mari pour
supporter les charges du mariage180. De cette définition, il apparait que les biens de la dot sont
apportés par la femme pour sa partition aux charges du foyer. Dans la vision africaine, par
contre, la dot est un ensemble d’objets et de cadeaux en espèces ou en nature (compensation
matrimoniale en raison d’un service spécial rendu) offerts par la famille du fiancé à celle de la
fiancée pour exprimer l’hommage que la famille demanderesse rend à la belle-famille et à la
femme, et aussi pour avoir plus tard des enfants légitimes jouissant de tous les droits civils et
179
Même s’il faut reconnaitre que l’effectivité de cette règle laisse probablement à désirer : en pratique, la
polygamie se perpétue en effet par le biais de la célébration (illicite) de mariages coutumier, Vareilles-
Sommières Pascal, « De la polygamie dans les pays d'Afrique subsaharienne anciennement sous administration
française (aspects juridiques comparatifs et internationaux) », in : Revue européenne des migrations
internationales, vol. 9, n°1,1993. pp. 143-159.
180
Ancien article 1540 du code civil français.
62
civiques181. Dans cette partie du monde, la dot est considérée comme un symbole d’alliance
entre les familles des futurs époux et la femme devient épouse lorsque la dot est versée
partiellement ou intégralement. Dès lors, elle devient une obligation morale ou sociale qui
crée le mariage. Dans le Code de la famille, la dot est une condition de fond dont les futurs
époux peuvent convenir ensemble quand et comment elle sera versée. Condition de
légitimation de l’union, facteur de stabilité du lien, symbole d’alliance entre familles, besoin
de compensation182, le rôle de la dot ne pouvait être ignoré par les législateurs africains,
notamment sénégalais. Partant, les raisons de la consécration de la polygamie et de la dot
dans le Code de la famille sont diverses. Cependant, les plus connues sont d’ordre social,
culturel et économique. En effet, Longuement pratiquées mais aussi avec l’influence de
l’Islam, ces dernières finissent par être sacralisées dans la tradition africaine. Carrefour de
règles ayant pour but, d’une part, de doter le Sénégal une loi unique en matière familiale et
d’autre part la consécration d’un droit répondant aux exigences de la modernité et du
développement, le Code la Famille avait aussi pour mission de maintenir le climat social de la
famille sénégalaise. Voilà pourquoi, certaines pratiques traditionnelles ou coutumières ne
pouvaient être ignorées par les rédacteurs dudit Code qui finiront par l’impacter.
C’est ce qu’indique l’article 113 du Code de la famille qui dispose que la femme ne peut
contracter un nouveau mariage avant la mention sur le registre de l’état civil de la dissolution
181
B. Djobo, « La dot chez les Kotokoli de Sokodè », Recueil Penant, 1962, p.548 « in » I. A. Anani, « La dot
dans le code des personnes et de la famille des pays d’Afrique occidentale francophone : Cas du Bénin, du
Burkina-Faso, de la Côte d’Ivoire et du Togo », p.9.
182
L’institutionnalisation de la dot répond à un besoin de compensation de la perte que subit de la famille qui
cède l’une de ses membres en mariage, car la femme joue un rôle clé dans la production et la reproduction des
acteurs sociaux, C. A. Diop, L’unité culturelle de l’Afrique, Présence Africaine, 1982, p. 33 in : I. A. Anani, ibid,
p.9.
63
du précédent. Lorsqu’une femme s’aventure à se marier nouvellement sans qu’il y’ ait
dissolution du premier lien matrimonial, ce nouveau lien contracté est nul. La nullité de celui-
ci est absolue et l’action peut être exercée par les époux et toute autre personne y ayant
intérêt, y compris le ministère public. Où est l’égalité entre l’homme et la femme dans ce cas
précis ? Comment obliger une femme à être fidèle d’un homme de quatre (4) épouses ? Les
réponses à ces questions semblent être difficiles, d’autant plus qu’à l’époque de la
codification du Code de la Famille, les questions de genre, de l’égalité entre l’homme et la
femme n’étaient pas à l’ordre du jour des débats.
D’ailleurs, c’est ce que suggérait un membre du comité des options s’exprimant en ces
termes : je vous demande de ne pas trop insister sur ce problème de l’égalité de la femme et
de l’homme…Nous savons tous que la Constitution reconnaît cette égalité-là. Mais alors nous
avons reconnu quand même que moi, j’ai le droit d’avoir quatre femmes, mais qu’une femme
n’a pas le droit d’avoir quatre maris ! Nous avons même reconnu qu’en cas d’héritage, moi
j’ai le droit d’avoir une part entière et la femme la moitié d’une part183. La nécessité et les
vertus de cette pratique sont toujours louées et continuent d’être célébrées.
Mais reconnaissons que la polygamie constitue, non seulement une charge pour le foyer,
lorsque les moyens sont limités mais brave considérablement aussi le principe d’égalité.
L’ambiguïté de sa consécration ne fait aucun doute. C’est d’ailleurs pourquoi, certaines
législations l’ont purement et simplement supprimée. Il en est ainsi du Code des Personnes et
de la Famille (CPF) du Bénin. En effet, l’article 125 du Code béninois des Personnes et de la
Famille dispose que nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la mention sur le
registre de l’état civil de la dissolution du précédent. Aussi bien l’homme que la femme, le
mariage polygamique est prohibé par la loi dans cet Etat du Bénin. L’article 143 dudit Code
rajoute que seul le mariage monogamique est reconnu. A travers ces dispositions, le Bénin fait
un pas géant en matière d’égalité entre l’homme et la femme. Cette consécration est issue de
la décision de la cour constitutionnelle de ce pays en vue de mettre en conformité la
constitution et les législations inférieures184. Cependant, on se demanderait si la pratique
africaine du mariage permettrait-elle une effectivité voire une efficacité de ces dernières ? Il
183
Intervention de D. Sow à l’occasion des débats du Comité des options – séance du vendredi 22
avril 1966, Tome II p. 68 in A. T. Ndiaye, ibid, p.14.
184
L’Assemblée Nationale a délibéré et adopté en sa séance du 07 juin 2002, puis en sa séance du 14 juin 2004,
suite à la décision DCC 02-144 du 23 décembre 2002 de la Cour constitutionnelle, pour mise en conformité à la
Constitution, exposé des motifs de la loi n°2002-07 portant Code des Personnes et de la Famille du Bénin.
64
y’a de quoi douter relativement à cette question car malgré la prohibition de la polygamie
dans certaines législation de la famille, en Côte d’Ivoire par exemple, celle-ci reste bien
vivante185. C’est la même logique qu’on aperçoit sur la dot. Elle est la seconde pratique
traditionnelle qui porte plus atteinte, nous semble, aux droits des femmes. Ses différentes
considérations font que la dot est la base de beaucoup de violences conjugales.
Prix d’achat de la femme pour certains, compensation de la perte que subit la famille
d’origine de la femme pour d’autres, la dot porte atteinte aux droits de la femme à travers ces
considérations. En plus, le fait que la famille du futur époux verse la dot à celle de la future
épouse est un obstacle considérable quand les femmes tentent de sortir d'une relation d'abus.
Cependant, malgré l’importance et sa valeur de plus en plus en hausse dans nos sociétés
contemporaines, la dot ne pourrait compenser ou représenter le prix d’achat de la femme, à
notre avis. Nous nuançons ces positions car, pour nous, la dot ne doit pousser un mari à porter
sa main sur sa femme. D’ailleurs, l’une des causes de divorce au Sénégal se trouve être le
mauvais traitement, excès ou sévices186.
La résistance factuelle est celle qui se manifeste à travers les faits quotidiens de la société
sénégalaise. Ainsi, il importe de reconnaitre que la tradition résiste considérablement par le
biais de la faible appropriation du droit par la société (A) stabilisant le Code de la Famille face
aux réformes suscitées (B).
Les débats sur le Code de la famille sont toujours d’actualité. La plupart des sujets sont
relatifs à la mise en conformité du Code à la constitution et aux conventions internationales.
L’un des principes faisant l’objet de discussions est celui relatif à l’égalité de genre, des sexes
dans le Code de la Famille. En effet, l’article 7 de la constitution dispose que « … les hommes
et les femmes sont égaux en droit. ». Ce principe clair et précis en théorie est très complexe
dans la pratique des sénégalais, particulièrement en matière de famille. Son caractère
largement inspiré du droit colonial crée un décalage entre le consacré et le vécu notamment
lors de la formation du lien matrimonial, durant sa consommation et lors de sa dissolution. Il
185
Voir note de bas de page n°154.
186
Article 166 CF.
65
ne serait question de revenir sur les rapports d’égalité ou d’inégalité entre les genres
appréhendés précédemment, mais de constater que la société sénégalaise a, jusqu’à présent,
du mal à s’approprier de certaines dispositions clairement consacrées par le législateur de la
famille.
En matière de formation du mariage, le législateur distingue deux (2) voire trois (3) formes de
mariages : le mariage civil ou célébré, le mariage constaté (coutumier constaté) et le mariage
coutumier non constaté. En faisant cette catégorisation des mariages, le législateur incite les
sénégalais à célébrer leur mariage ou, au moins, de le faire constater pour bénéficier des
avantages de l’Etat, des collectivités locales, des pouvoirs publics ou privés. Nonobstant cette
incitation sur la forme du mariage, la plupart des sénégalais célèbre leur mariage
coutumièrement187. En plus, rares sont ceux qui font constater leurs mariages. Ceci marque la
survivance de la tradition dans les affaires familiales qui, toujours crée, une appréhension
particulière des rapports de sexes. Cette non-appropriation est due, nous semble-t-il, au taux
élevé d’analphabètes dans les pays au sud du Sahara, particulièrement au Sénégal. Avec ce
taux élevé, les sénégalais n’étaient pas familiarisés au formalisme des rapports qui régissaient
leurs relations.
C’est le même constat que l’on fait en matière de divorce. Quelle que soit la forme du
mariage, le divorce est toujours et obligatoirement judiciaire. De termes autres, les époux qui
tombent d’accord sur leur désaccord ou celui parmi eux qui souhaite la dissolution du lien,
doivent passer devant le juge pour celle-ci. Si le mariage n’était pas constaté, le juge est,
alors, obligé de le constater ensuite prononcer le divorce suite à l’accord des parties ou à la
requête de l’une d’elles. Il était question, là, de mettre au même pied les époux en mettant fin
à la pratique traditionnelle et islamique, la répudiation. Cette dernière est l’acte par lequel
l’homme renvoie sa femme chez sa famille d’origine, de façon unilatérale, en rompant le lien
de mariage qui leur liait. Cependant, la pratique montre que d’énormes dissolutions de
mariages se font hors des tribunaux. C’est d’ailleurs ce que souligne le Professeur Pape Talla
Fall constatant qu’en réalité, malgré le caractère impératif des dispositions du Code de la
famille en matière de divorce, beaucoup de mariages sont rompus en dehors des tribunaux188.
Nous assistons là à une égalité consacrée et une inégalité vécue. Car, la majeure partie des
187
P. T. Fall, « Rupture du lien matrimonial, pluralisme juridique et droits des femmes en Afrique de l’Ouest
francophone », ibid, p.64.
188
P. T. Fall, loc.cit.
66
divorces au Sénégal sont, soit rompus hors des tribunaux ou émanent d’une simple discussion,
soit la confirmation d’une répudiation189.
Cette même situation s’aperçoit en matière successorale. Dans cette matière, la société
sénégalaise ne s’approprie de façon effective les dispositions successorales du Code de la
famille. En effet, dans la transmission des biens, la pratique montre que tout s’organise au
sein de la famille. Elle se fait principalement selon le droit d’ainesse faisant vivre le droit
coutumier. Ce mécanisme de transmission privilégie la masculinité crée ainsi un départ entre
le dire et le faire. Cette situation fait que le Code, particulièrement sur les principes de laïcités
et d’égalité, reste stable.
L’évolution de la société sénégalaise190 est sans conteste. Elle s’aperçoit sur tous les plans :
politique, culturel, social, juridique etc. Il est juste de constater que malgré cette évolution, le
Code de la Famille reste stable sur un bon nombre de points. Il en est ainsi en matière
d’égalité entre l’homme et la femme. Sur ce point, nous pouvons affirmer que le Code
conserve toujours les grandes orientations, notamment le maintien de l’unité nationale et
surtout de la famille. Jusque-là, les réformes tendant à remettre en cause cette inégalité
n’aboutissent pas. Cela est dû au désintéressement de la population des réformes qui
pourraient controverser la société. En effet, les réformes ou, si nous pouvons dire des
modifications entamées, ont concerné que de rares dispositions. Elles ne tendent à remettre en
cause fondamentalement la philosophie du Code. Ces dernières ont pour vocation majeure la
réduction de l’incapacité juridique de la femme mariée. C’est notamment la réforme n° 89-01
du 17 janvier 1989 qui donne le droit à la femme d’exercer une activité professionnelle
séparément de celle de son mari et sans l’autorisation préalable de celui-ci.
Cependant, relativement aux réformes qui tendent à égaler techniquement les hommes et les
femmes dans la famille ou qui remettraient en cause fondamentalement la laïcité sénégalaise,
le législateur fait preuve de sobriété. Après la réforme de 1989, deux (2) autres ont été initiées
en 1996 et 2000, respectivement portant sur la limitation de la polygamie à deux épouses
simultanément pour l’homme et sur l’autorité parentale, deux projets touchant principalement
189
P. T. Fall, « Rupture du lien matrimonial, pluralisme juridique et droits des femmes en Afrique de l’Ouest
francophone »ibid, p.68.
190
M. Brossier, « Les débats sur le droit de la famille au Sénégal », ibid, p.6.
67
l’organisation de la famille. Un troisième projet, cette fois-ci, de l’ensemble du Code a été
rendu public par le CIRCOFS le 12 octobre 2002 lors d’une conférence tenue à Dakar. Ce
dernier semble être plus dynamique, proposant un Code de Statut Personnel (CSP) pour les
musulmans et laissant la possibilité aux non-musulmans de conserver le Code en vigueur.
68
CHAPITRE II : LA REINVENTION DES CONCEPTS DE LAÏCITE ET D’EGALITE
DE GENRE EN MATIERE FAMILIALE
Compte tenu de la recrudescence des discussions sur les concepts laïcité et égalité de genre,
repenser ces derniers est, nous semble-t-il, la solution idoine surtout dans nos sociétés.
191
A. S. Sidibé, « Le pluralisme juridique en Afrique », Titre de thèse.
192
R. Dumont. « L'Afrique Noire est mal partie ». In : Annales de Géographie, t. 72, n°393, 1963. pp. 620-621 ;
doi : 10.3406/geo.1963.16499
http://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1963_num_72_393_16499
193
R. Decottignies « Requiem pour la famille africaine », Annales africaines, 1965.
69
Réinventer ou repenser ces concepts ne signifie pas de les abandonner définitivement, encore
moins de prendre un Etat quelconque comme miroir parfait. La réinvention de ces derniers,
passe par leur réappropriation à une spécificité africaine de la famille et du mariage, bases de
toute société (Paragraphe I). Ce retour à la source nous permettra d’avoir des dispositions
adaptées, qui pourront être observées par la base, d’où l’impact de la réinvention
(Paragraphe II).
Il existe des domaines dans lesquels il y-a une parfaite opposition entre la pensée occidentale
et celle africaine195. L’opposition est plus marquante en matière de famille, notamment dans
les domaines de la parenté, de la filiation et du mariage196. Ainsi, parlant de ce dernier,
fondement sine qua non de la famille dans la pensée occidentale ou des droits occidentaux (et
ceux des nouveaux droits africains), le mariage peut être conçu comme le contrat civil et
solennel par lequel l’homme et la femme s’unissent en vue de vivre en commun et de se prêter
mutuellement assistance et secours sous la direction du mari, chef de famille197. De cette
définition purement européenne, la notion de famille est intrinsèquement liée à celle du
194
J. L. Corréa, « L’écriture du droit des contrats » : Discours de la méthode pour une réforme du droit des
obligations au Sénégal, p.2. Comme le souligne le Professeur CORREA dans ce passage, il y’a une nécessité
d’un retour aussi à la source du droit de la famille au Sénégal.
195
M. Alliot, « La coutume dans les droits originellement africains », Bulletin de liaison du LAJP, n° 7-8, 1985,
pp. 79-100, p.4.
196
G. A. Kouassigan, Quelle est ma loi ?, ibid, pp. 197-217.
197
A. Collin et H. Capitant, « Cours élémentaire de droit civil », tome I, p. 124 in G. A. Kouassigan, Quelle est
ma loi ?, ibid, p.210.
70
mariage. On peut même dire que c’est le mariage, accord de volonté entre l’homme et la
femme198, qui fonde la famille. En l’absence de cette volonté exprimée de l’homme et de la
femme, le consentement, il n’y- a point de mariage199 dans les droits occidentaux (et des
nouveaux droits africains : art. 108 CF). C’est donc par le mariage que nait la famille
comprenant les époux et éventuellement leurs enfants. Cette conception du mariage finira par
être consacrée par les Etats ayant nouvellement acquis leurs indépendances en Afrique.
198
Il faut juste préciser que cette définition a évolué dans certains pays occidentaux comme la France avec la
consécration de l’autorité parentale et du mariage pour tous.
199
Article 146 C. civ.
200
G. A. Kouassigan, « Quelle est ma loi ? », ibid, p.210.
201
Article 108 CF
202
G. A. Kouassigan, « Quelle est ma loi ? » ibid, p.211.
71
Le chef incarne toute la vie juridique de la communauté dans ses rapports avec le monde
étranger, en assume la responsabilité et apprécie les relations juridiques de chacun des
membres selon les intérêts de la communauté. Les mariages à conclure doivent être
conformes, non seulement aux prescriptions de la coutume mais aussi avec les intérêts,
notamment moraux de la famille. Ces liens juridiques ne doivent compromettre l’unité et la
cohésion sociale. La famille, base de toute société, incarne le vivre-ensemble et oriente le
comportement que chacun doit adopter pour une société unie et paisible. Cette façon de
concevoir la famille conditionnera la vie en société des individus et par conséquent, permettra
d’avoir une manière d’apercevoir les concepts comme la laïcité qui reflétera notre quotidien.
Car, comme disait A. R. Radcliffe-Brown « pour la compréhension d’un aspect quelconque de
la vie sociale d’une population africaine, aspect économique, politique ou religieux, il est
essentiel de posséder une connaissance approfondie de son organisation familiale et
matrimoniale »203. Et pour comprendre cette famille, il faut avant tout, savoir que nos
imaginaires, nos conceptions sur celle-ci sont différents. Les conceptions occidentales sont, le
plus souvent, vécues ou comprises de façon contraire à celles africaines. Dès lors que nous
appréhendons ces concepts selon notre quotidien, nous aurons au Sénégal une laïcité qui ne
doit plus rien à celle pratiquée en France ou ailleurs du fait de son caractère contraignant.
Celle qui nous correspond reposera sur la tolérance « le maslah », la solidarité et le respect
mutuel tant connus dans cet Etat. Cette réinvention des concepts famille et mariage ou
mariage et famille, pierres angulaires de la société, est devenue immédiate pour, d’une part,
maintenir l’unité nationale qui est l’un des objectifs de la laïcité à la sénégalaise, d’autre part,
pour parvenir à avoir un droit du développement moderne. Ce retour à la source ne signifie
nullement repli total en soi ou la manifestation d’une ipséité juridique exclusive204 en ignorant
l’apport des autres systèmes juridiques et l’appel sans cesse de la modernité. Une ouverture
sur ces derniers est indispensable. Parce qu’il est important de préciser qu’ouverture ou
modernité ne vaut pas l’abandon de son passé par l’importation d’un vécu ailleurs. Mais c’est,
avant tout, l’adaptation de son propre passé par rapport aux évolutions ; c’est se reposer sur la
possibilité d’échanger sans pour autant s’anéantir et se dépouiller de ce qu’on est et de ce
qu’on a. Parlant de la modernité dans « Comment concilier tradition africaine et modernité »,
Assata Fall affirme qu’être moderne c’est encore contribuer, par son histoire, par ses richesses
originales propres et par celles de ses ancêtres, à l’évolution du monde en mouvements. C’est
203
A. R. Radcliffe-Brown, « African Systems of Kinship and Marriage » in « En Afrique, la famille à la croisée
des chemins », p.3.
204
J. L. Corréa, « l’écriture du droit des obligations », ibid, p.1.
72
pourquoi nous soutenons qu’il est grand temps que l’Afrique divorce avec ces concepts
d’inspiration purement occidentale qui ne cessent de mettre en filigrane sa dépendance dans
tous les domaines, même juridiques. Nos coutumes et traditions, malgré leurs diversités, sont
connues et reconnues.
L’existence des droits originellement africains ne fait d’aucun doute. Pour parvenir à
démontrer l’existence de ceux-ci, il serait judicieux de rejoindre la pensée de Michel Alliot
consistant de les prendre comme le contraire des droits dits occidentaux 205; même si on ne
peut nier l’interférence notoire des deux. Il suffit juste d’analyser les définitions africaine et
occidentale de la famille, du mariage pour s’en rendre compte. Ou encore de la définition du
Droit même. En effet, si en Europe, la famille est réduite entre époux et éventuellement leurs
enfants, en Afrique traditionnelle celle-ci est construite autour de toute une communauté, elle
est dite étendue. De même qu’en matière de mariage, si ailleurs la volonté (seule) concordante
des futurs époux fait le mariage, ici le mariage est la résultante d’une large consultation
faisant regrouper deux familles206 représentées par leurs chefs. En partant de la définition du
Droit selon sa finalité207, on se rend compte que l’Afrique a toujours vécu avec ses droits. Ces
imaginaires, renforcés par la définition du Droit selon BERGEL, conduisent à la
reconnaissance d’un droit africain, particulièrement de la famille. La reconnaissance dudit
droit, encore appelé droit coutumier fut définitive en 1957 avec l’ouvrage d’Alias T. Olawalé,
La nature du droit coutumier africain208. Il est loin question d’affirmer l’existence d’un droit
africain codifié intégralement, notamment avec l’ampleur de l’oralité à l’époque. Mais de
reconnaitre qu’il existe des principes généraux ou des concepts qui sont connus et reconnus
205
M. Alliot, « Les résistances traditionnelles du droit moderne des États d’Afrique francophone et à Madagascar
» ibid, p.4.
206
Il s’agit du mariage de raison selon le Doyen Carbonnier : « le mariage de raison était une affaire
qui se négociait entre deux familles », J. Carbonnier, Flexible Droit, p.259.
207
Selon J. L. Bergel, « Théorie générale du droit », Dalloz, 3 e éd., n° 5, il s’agit d’un système de normes
tendant à établir un ordre social harmonieux et à régler les rapports sociaux avec le souci d’y promouvoir, à des
degrés différents selon les cas, une certaine sécurité juridique ; in Moussa Thioye, « Part respective de la
tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone ».
208
M. Alliot, « Les résistances traditionnelles du droit moderne des États d’Afrique francophone et à Madagascar
» ibid, p.2.
73
partout en Afrique noire. Ainsi, sur trois points principaux, les droits originellement africains
se différencient de ceux occidentaux et marquent, par-là, leur existence.
Ainsi, il s’agit du rôle dévolu à la communauté, de la finalité des droits africains et enfin les
sources de ces derniers. En effet, il faut noter que les droits originellement africains tirent
principalement leurs sources dans l’oralité, dans la coutume. Mais, cette absence de l’écrit
dans, presque, toute l’Afrique subsaharienne traditionnelle n’a point affecté la manifestation
d’une société harmonieuse. C’est dans cette perspective que F. DIA soutient que « dans notre
culture, seule la parole a du poids, celle d’un homme d’honneur était, disait-on, comparable à
l’eau : une fois sortie de son contenant, bouche ou outre, elle ne se ramasse plus [entendez : le
dédit ou parjure n’est pas permis]. Mais une signature ? Un signe que l’on appose au bas d’un
papier anodin et qu’on est jamais sûr de pouvoir reproduire pouvait-il avoir la valeur d’un
serment ? ». A cette question, F. DIA affirme que le témoignage, qu’il soit écrit ou oral, n’est
finalement qu’un témoignage humain et vaut ce que vaut l’homme. […] Rien ne prouve, a
priori, que l’écrit rende plus fidèlement compte d’une réalité que le témoignage oral transmis
de génération en génération209. En effet, ce prolongement donnant ainsi un caractère
obligatoire des pratiques, installe une réalité et fait qu’ils sont souvent qualifiés de droits
coutumiers. Par ailleurs, cette source éminemment coutumière de ces droits ne remet
nullement en cause leur existence. Un fait pourrait rendre nébuleux les droits coutumiers
africains à savoir le privilège des droits écrits de nos jours. Mais, force est de reconnaitre que
la société n’est pas régie uniquement que des règles juridiques. Un ensemble de normes
participe à la régulation des faits et actes de la vie en société. Il s’agit de la morale, les mœurs,
la politesse, la civilité, l’honneur, la bienfaisance etc. Ces normes, bien connues en Afrique
traditionnelle, contribuent efficacement, de part égale ou supérieure autant que le Droit, à
l’organisation de la vie collective pour ainsi croire au Doyen Carbonnier.
Le second point qui manifeste l’existence de ces droits, est la valorisation du passé. Dans
l’Afrique traditionnelle, le constat est, presque unanime, les sociétés traditionnelles «
valorisent le passé et mettent leur idéal à s’écarter le moins possible de ce passé qu’elles
considèrent volontiers comme un âge d’or »210. Cette thèse se justifie d’ailleurs par la forte
résistance de la tradition dans les codes et dans la pratique de ces sociétés.
209
F. DIA, « Lettre ouverte d’un fils de tirailleur sénégalais à ses ci-devant parents gaulois », in Moussa Thioye,
ibid, p.12.
210
M. Alliot, op. cit., p. 6, 105 et 106, in M. Thioye, ibidem, p.19.
74
Enfin, dans cette partie du monde, la part dévolue à la communauté est plus qu’importante.
L’individu n’y apparait que par filigrane. La société africaine est caractérisée par la solidarité,
la communauté notamment dans la famille, les villages etc. Ces critères qui, distinguent
fondamentalement les droits traditionnels et ceux modernes, font connaitre et reconnaitre une
famille de droits originellement africains. Repartir sur ces conceptions et/ou droits recrée une
nouvelle société basée sur ses propres conceptions de son droit en général et de la famille en
particulier.
Le recours aux imaginaires africains de la famille, renforcés par les droits originairement
africains constitue l’un des meilleurs moyens de parfaire le Droit de la famille. Autrement dit,
l’application de la sociologie juridique211, faite sur les imaginaires et les droits originairement
africains permettra l’orientation du législateur sur la consécration du vivre-ensemble dans le
Code de la famille (A) mais aussi l’adoption des dispositions qui prêcheront la
complémentarité des sexes (B).
Le vivre-ensemble, tout comme la règle de droit sont des idéaux mettant l’accent
particulièrement sur « ce qui devrait être», le sollen et ce qui est, le sein. Une société, aussi
harmonieuse qu’elle soit, est toujours envieuse d’atteindre cet idéal car il y’a toujours des
dérives. La théorie du contrat social Sénégal d’OBRIEN montre parfaitement le vivre
ensemble dont font preuve les sénégalais. Mais, nous constatons des failles notamment au sud
du Sénégal avec le MFDC ; même si le fondement du conflit n’est pas lié à des considérations
religieuses ou ethniques. Par ailleurs, il est vrai que l’idéel montre qu’il y’a un appel sans
cesse au vivre-ensemble, à l’égalité surtout par les textes, mais la réalité, la pratique nous
révèlent autre. Cela est, peut-être, dû au désir d’embrasser une « civilisation occidentale » ou
des concepts chargés en un saut. Pour reprendre deux anciennes maximes « plus presser que
la musique, danse mal » ou encore « qui trop embrasse, mal étreint ». Voilà pourquoi, il était
211
Selon Jean Carbonnier, Sociologie juridique : Sociologie du droit de la famille, 1963-1964, p.11, « la
sociologie juridique est, essentiellement, une explication du droit … pour une compréhension des institutions
juridiques qui lui sont familières ». En effet, nous estimons qu’en expliquant les institutions coutumières
africaines, notamment la famille et le mariage, on peut espérer apporter aux juristes (surtout africains) une
compréhension de ces institutions pour la consécration de règles leur correspondant.
75
nécessaire de partir à point pour une efficience et efficace droit de la famille nous
correspondant. En quoi faisant ? La démarche nous parait simple car c’est tout l’intérêt de la
sociologique juridique mais aussi de la sociologie de l’école durkheimienne212. En effet, après
avoir constaté, connu et reconnu l’existence des imaginaires, des droits propres à l’Afrique,
l’importance est, maintenant, de mettre en pratique ces imaginaires ou droits. Le législateur,
en se documentant, en s’informant auprès de la documentation fournie par les coutumiers, des
auteurs de sociologie juridique, parviendra à édicter des lois efficaces et efficientes. Nous ne
minimisons pas les efforts fournis par la commission de codification et du comité des options,
mais on peut se demander s’il n’y a pas eu plus d’acculturation juridique213 que de reflet de
nos mœurs dans le Code de la famille sénégalais ? Ainsi, en tenant compte de la
réglementation du mariage, de la famille toute entière, notre réponse est plus qu’affirmative
qu’infirmative. Or, le vivre-ensemble que prône la laïcité, d’une société laïque devrait, avant
tout, commencer par les institutions qui la fondent. Partant, notre façon de vivre
harmonieusement doit être cultivée selon nos propres pensées ou illusions. Il ne doit pas être
conditionné strictement par un mode de vie vécu ailleurs. C’est dire que la laïcité que doivent
vivre les sénégalais ne doit pas être comparée de celle vécue ailleurs jusqu’à vouloir remettre
en cause radicalement celle que nous vivons. De termes autres et plus explicites, la laïcité à la
française, par exemple, ne doit pas être prise comme un principe absolu dans le monde. Dès
lors que le législateur le comprend, les règles qu’il consacrera refléteront non seulement nos
réalités en ce domaine mais permettront aussi de relâcher ce cordon de fer entre l’Afrique et
l’occident.
Toujours dans cette logique de consécration de règles conservant le vivre ensemble, l’idéal
serait, dès lors, de revoir l’intitulé du Titre III du Livre VII du CF. En effet, ce Titre est
intitulé « Des successions de droit musulman ». Toute la polémique se situe au niveau de
« droit musulman », un droit faisant référence à une confession religieuse dans une loi pour
tous les sénégalais. Même si nous brandons que l’article 571 est purement laïc car mettant
l’accent beaucoup plus sur la volonté du De cujus. Mais pour ne pas faire référence à une
quelconque religion, il serait judicieux de changer l’intitulé de ce Titre en le nommant Des
successions d’exception étant donné le Titre II dudit livre s’intitule Des successions ab intestat
de droit commun. De cet intitulé, le Législateur mettra fin à ce débat sur la laïcité dans le CF.
Une autre possibilité est envisageable. Il s’agirait de les qualifier Des successions
212
J. Carbonnier, Sociologie juridique, ibid, p.16.
213
J. Carbonnier, Ibidem, p.26. «L’acculturation, c'est […] l'accès des populations dites primitives à une culture
de type européen ».
76
coutumières. Dès lors, le législateur fera une pierre, deux coups. D’une part, il réintégrera les
autres formes de succession (traditionnelles, animistes etc.) omises par ces deux régimes
limitatifs et exclusifs. D’autre part, cette réintégration des successions coutumières palliera
l’ineffectivité du CF relativement aux successions dans certaines zones du pays préférant
toujours appliquer les règles traditionnelles à leurs successions. Delà, nous assisterons à un
Code dans lequel toutes les couches se sentiront impliquer et respecter reflétant ce que nous
sommes. Car le système juridique n’est que le devenir des vies d’une société. Alors, devenons
ce que nous sommes dans le respect de ce que nous sommes.
214
E. Millard, Droit des femmes, droit de la famille.
215
J. Carbonnier, Sociologie juridique, ibid, p.208.
77
D’autre part, elle constitue une solution non négligeable pour l’effectivité, l’efficacité et
l’efficience des règles édictées.
En effet, la société africaine, telle qu’elle est conçue et constituée, l’homme et la femme sont
des êtres complémentaires. L’un, est presque, sans intérêt sans l’autre surtout envers
l’homme. Ils se complètent et ne forment qu’un. Ainsi, la nature privée de la femme dans
l’Afrique traditionnelle ne lui fait pas inférieure à l’homme, contrairement à ce que pensent la
plupart des penseurs occidentaux ou occidentalisés cherchant à connaitre l’Afrique et non de
la reconnaitre avec toutes ses richesses. En outre, certains clament en voix haute l’inégalité
notoire existant dans le CF. Mais, depuis son adoption jusqu’à nos, le Code reste stable
relativement à la question de l’égalité comme le constate A. T Ndiaye et cela prouve encore la
méfiance de la société africaine et particulièrement sénégalaise de ces concepts chargés. Cette
situation de fuite ou de méfiance cause une ineffectivité voire une inefficacité des règles.
Donc, pour pallier cette situation, il serait préférable d’adopter des dispositions qui feront état
d’une complémentarité des genres. Or, comment mettre en œuvre de telles dispositions ?
L’application d’une règle est une chose, son effectivité, son efficacité et son efficience en sont
d’autres. Cependant, l’idéal est, lorsqu’une règle est édictée que celle-ci puisse être effective
dans son application pour ensuite permettre son efficacité ou son efficience216. Ainsi, après
avoir pris l’initiative de se ressourcer sur nos imaginaires, nos droits de la famille,
l’importance serait de présenter une solution afin que ce droit réinventé puisse être à la vue et
à la portée des populations pour lesquelles il est conçu. Sans ignorer l’impérieuse conciliation
de ce droit nouveau aux mouvements et évolutions de la société, il nous semble judicieux de
procéder à la diffusion des règles consacrées dans toute l’étendue du territoire national
(Paragraphe I). En plus de cette diffusion, des conditions ampliatives (Paragraphe II) sont
nécessaires pour un droit effectif, efficace et efficient.
216
Pour la différence ou, disons, la nuance entre l’effectivité, l’efficacité et l’efficience, voir F. Rangeon,
« Réflexions sur l’effectivité du droit ». Selon F. Rangeon, l'effectivité mesure les écarts entre le droit et son
application or, I' efficacité permet d'évaluer les résultats et les effets sociaux du droit, tandis que I’ efficience
consiste à vérifier que les objectifs assignés à la règle de droit ont été atteints au meilleur coût.
78
Paragraphe I : La diffusion des règles du Code de la famille
Quarante-cinq (45) ans après, le Code de la famille reste toujours inconnu, ou disons, mal
connu dans certaines zones du pays. Les raisons sont multiples. Hormis l’analphabétisme de
la majeure partie des sénégalais, il faut reconnaitre que le Code fait référence à une part
grandissante des droits importés ou infligés. Partant, sa réception est moindre. Y-a-t-il échec
de cette acculturation dans le Code ? La réponse est partagée mais il faut juste reconnaitre que
la réussite n’est ni totale et son échec n’est pas fatal car l’application des dispositions du Code
ne fait pas de doute. Cependant, le mieux pourrait se faire. Dès lors, après qu’il y-ait retour à
la case départ, l’effectivité du Code ferait appel des mécanismes de diffusions (A) pour
permettre une connaissance et une reconnaissance de celui-ci (B).
Après son entrée en vigueur le 1er janvier 1973, plusieurs méthodes étaient au rendez-vous :
conférences, débats, scènes de sensibilisation (en wolof surtout) etc. Mais, toujours est-il sa
vulgarisation est limitée. Dès lors, il nous semble opportun de changer la donne, autrement les
méthodes. L’heure n’est plus de rester dans les Amphithéâtres, dans les salons télévisés et
vouloir propager un Code pour tous les sénégalais. Car faut-il le rappeler, un étudiant en
première année de droit est en contact direct avec le Code de la famille dès ses premiers pas à
l’université. Mais, nous constatons aussi que dans les autres filières, un nombre important
d’étudiants de Master (même) ne savent c’est quoi ou ne s’intéressent pas au Code de la
famille. Parce qu’ils sont heureux ?217
Ainsi, trois (3) méthodes nous semblent fondamentales. La première, est celle de l’application
des enquêtes sociologiques218. Il ne s’agit pas de faire des enquêtes ensuite les jeter à la
poubelle parce que les résultats sont divers ou qu’ils ne correspondent aux objectifs. Mais, de
les mettre en œuvre pour une meilleure adaptation du droit aux réalités sociales.
79
ou privées, religieuses ou culturelles, dans tous les coins du territoire national. Il est
malheureux de constater que des gens sont prêts à faire des « boxing-day » à l’approche des
élections. Or, lorsqu’il s’agit des projets de ce genre qu’ils restent invisibles. Par ailleurs, il ne
s’agit pas de nier le rôle que les médias peuvent jouer et jouent dans cette rubrique de
sensibilisation. Mais, force est de reconnaitre que le sénégalais est très attaché à la
considération et au respect. Sur ce, procéder à une sensibilisation à présence physique est le
moyen le plus efficace pour une large diffusion des règles du Code de la famille.
La troisième et dernière solution consiste à vulgariser les règles édictées dans toutes les
langues. Ces dernières constituent des atouts considérables à ce sujet. C. A. Diop démontre
parfaitement dans l’unité culturelle africaine, l’importance de celles-ci et surtout la simplicité
de comprendre les choses de la vie avec sa propre langue. Il affirme à ce propos que l’unité
linguistique sur la base d’une langue étrangère, sous quelque angle qu’on l’envisage, est un
avortement culturel. En outre, il est sans conteste, le Sénégal est caractérisé par une diversité
linguistique. Donc pour une compréhension simple et plus facile des règles, l’important serait
de peaufiner une stratégie de vulgarisation de celles-ci dans toutes les langues parlées au
Sénégal. Ainsi, la mise en œuvre de ces solutions nous permettra d’avoir un Code accessible,
connu et reconnu.
80
(mais inversement) avec l’ancien colonisateur. Les occidentaux ont tout fait pour connaitre
les coutumes, les règles appliquées en Afrique. Mais, rares parmi eux ont cherché à
reconnaitre celles-ci. C’est pourquoi le pluralisme normatif220 est toujours vivant dans nos
systèmes juridiques avec une résistance considérable des règles de la famille que nous
connaissons et reconnaissons déjà. La reconnaissance du Code dans tout le territoire national
implique une politique législative large. Dès lors, le législateur doit avoir une image
déterminée de la famille dont la reconnaissance ne devrait être difficile par la société. Sur ce,
les règles qui la gouvernent, doivent avoir un rapport avec celle-là. Puis, cette reconnaissance
se fera dans un temps long de façon qu’on ne puisse sentir une rupture brutale entre les règles
traditionnelles reconnues et celles modernes qui sont seulement connues. C’est d’une part, la
combinaison de la reconnaissance de la règle par la population, d’autre part, les esprits
pragmatique du juge et celui programmatique du Législateur qui mèneront vers l’effectivité
voire l’efficacité ou l’efficience du Code. Car, l’écart patent entre le vécu et le consacré n’est
que source d’ineffectivité. Sur-ce d’ailleurs, le Conseil de l'Europe dans son Rapport sur la
décriminalisation en Strasbourg affirme que « si l'écart entre la législation et le « public »
devient trop grand, les gens cesseront de respecter la loi, en partie parce qu'ils auront perdu
confiance et respect envers ses « agents », et en partie parce qu'il est trop difficile de suivre
des lois qu'on ne comprend ni n'approuve et qui sont en opposition avec les normes de
conduite largement acceptées »221. Bien vrai que les concepts « public » et « gens » sont
indéfinis, mais nous pensons que le Conseil fait référence à la majorité de la population.
Ainsi, la large compréhension des règles conduit à leurs reconnaissance, acceptation et par
conséquence à leur effectivité et de la réalisation de tous ses corollaires notamment
l’efficacité et l’efficience du code.
220
Pluralisme normatif est différent de pluralisme juridique. Le pluralisme normatif inclut les règles qui ne sont
pas de connotation juridique (morale, mœurs, l’honneur, la bienfaisance etc.) alors que le pluralisme juridique est
le système dans lequel deux ordres juridiques différents sont en concurrence, conflit ou complémentaire (droit
laïc et droit religieux par exemple). Ces phénomènes sont, aujourd'hui, en sociologie générale, appelés volontiers
acculturation juridique, qui est le greffage d’une culture d'origine étrangère sur une culture autochtone, J.
Carbonnier, Flexible droit, ibid, p.21.
221
Conseil de l'Europe, Rapport sur la décriminalisation, Strasbourg, 1980, pp. 99-130 in P. Lascoumes et E.
Serverin, Théories et Pratiques de l’effectivité du Droit, p. 111 Droit et Société (p.12/25) sur l’article.
81
Paragraphe II : Les conditions ampliatives de l’effectivité, l’efficacité et l’efficience des
règles édictées
Plusieurs conditions participent pour une effectivité, une efficacité et une efficience de la
norme juridique. Certaines conditions n’ont pas été évoquées malgré leur indispensabilité
pour la règle juridique. Il s’agit des conditions classiques notamment la sanction et le respect
de l’ordre juridique, la hiérarchie des normes. Cette omission de ces dernières dans un
développement assez large n’est nullement une ignorance de leur place importante dans leur
participation à l’effectivité de la norme. Mais, du fait toujours de leur caractère négatif222,
nous avons jugé nécessaire d’aller plus loin pour saisir celles positives. Partant, loin de
procéder par des annulations, des représailles. Mais de voir comment la norme est perçue,
conçue, depuis son élaboration jusqu’à sa mise en œuvre (A). Dès que cette phase est bien
traitée, la réception (B) de la norme ne pourra être que facile.
« Ce n’est pas parce que la règle est posée, selon les procédures exigées par la constitution et
toute la hiérarchie des normes qu’elle sera, parfaitement, reçue, acceptée, appliquée »223. Cette
affirmation trouve toute son importance dans une étude relative à l’effectivité, à l’efficacité et
à l’efficience de la norme. Un ensemble de techniques est nécessaire pour l’effectivité de cette
dernière. Cela commence dès l’élaboration de la règle car celle-ci doit avoir une certaine
qualité et légitimité. C’est pourquoi, la conception ici revêt un double sens. C’est d’une part,
la création de la norme et d’autre part la façon dont elle est perçue ou vue voire appréciée etc.
En effet, la règle doit avoir un ensemble de caractères requis pour qu’elle soit valide et
conforme aux normes qui lui sont supérieures dans un système donné de façon qu’elle
présente le moins de difficultés possibles dans son application, eu égard à son contenu et à sa
position dans la hiérarchie des normes. Il s’agit là de porter un jugement sur la règle adoptée
pour déterminer si elle présente moins de difficultés. Dès lors, comment reconnaitre que la
règle présente moins de difficultés ? Sur-ce, il nous semble, avant toute appréciation, qu’il
faut connaitre la norme de façon à déceler les avantages qu’elle présente. Cela dépend
naturellement de l’appréciation, de la compréhension ou encore de la conception de celle-ci
222
B. HENRY-MENGUY, « L'obligation de légiférer en France » in J. Betaille (thèse), Les conditions juridiques
de l’effectivité de la norme en Droit Public interne : illustrations en droit de l’urbanisme et en droit de
l’environnement, p.432.
223
B. Cubertafond, « La création du droit », p. 103 in J. Betaille (thèse), ibid, p.337.
82
par ses acteurs. Selon l’intérêt qu’elle suscite auprès de ces derniers, la norme aura une qualité
qui la permettrait d’être appréciée positivement par ses destinataires et par conséquent, d’être
plus efficace et efficiente.
En plus de la qualité, la norme doit être légitime afin de présenter moins de difficultés et
d’être effective, efficace et efficiente davantage. La règle est légitime, dès lors qu’elle est
juste, qu’elle existe et qu’on doit l’obéir. Il est impensable d’affirmer la légitimité d’une règle
qui n’est pas conçue positivement par la population destinataire. L’effectivité et par
conséquent, l’efficacité et l’efficience sont toujours liées à la légitimité de la norme. C’est
pourquoi, afin qu’il ait la qualité et la légitimité de voir être appliqué par tous les sénégalais,
le Code de la famille doit avoir la qualité et la légitimité des sénégalais. Mais ce qui semble
un peu contradictoire avec ce dernier. Il est justifié que la majeure partie des sénégalais n’ont
pas une conception légitimant le Code de la famille. Les raisons de la non-légitimation du
Code sont nombreuses et partagées. Certains estiment qu’il s’agit d’une loi purement
d’inspiration occidentale, par conséquent ne reflétant pas notre quotidien tandis que d’autres
soutiennent que cela est dû au fait que la majorité de la population est analphabète. Dès lors,
ils n’ont aucune connaissance pouvant leur permettre d’apprécier celui-ci. A ces thèses, il faut
reconnaitre que la méconnaissance du Code n’est pas seulement liée à l’analphabétisme. Un
bon nombre de fonctionnaires, d’étudiants ignorent catégoriquement le fond du Code de la
famille. Raison pour laquelle nous préconisons sa vulgarisation pour permettre sa réception, et
par la population et par le juge.
Du verbe recevoir, la réception est le fait, pour un destinataire, de recevoir une chose.
Elaborée puis mise en œuvre par la puissance publique, la norme juridique est ensuite mise en
possession de ses destinataires et du juge qui la reçoivent.
En effet, cette réception de la norme par ses destinataires est une condition essentielle pour sa
mise en œuvre et par conséquent de tous les effets qui pourront en découler. On ne peut
mettre en mouvement une chose qu’on n’a la maitrise, de connaissance, qu’on ignore de fond
en comble, bref une chose qu’on ne reçoit pas. Même s’il est de coutume que nul n’est censé
ignorer la loi, mais sa réception est fondamentale par les destinataires. Car avant toute
application de la loi par le juge, elle doit être portée par un plaignant.
En défendant leurs intérêts devant le juge, les destinataires de la norme donnent en effet à
celui-ci l’opportunité d’interpréter la norme et de faire prévaloir cette interprétation aux
83
moyens des pouvoirs dont il dispose. Et cela ne pourrait être possible sans la réception de
celle-là. Parce que le juge ne peut mettre en œuvre, en principe, une règle que lorsqu’il est
saisi. Car ce n’est que dans de rares cas qu’il soulève d’office une règle de droit dans un
procès. Dès lors, l’accès à la justice lui-même est subordonné de la réception, de la
connaissance de la norme par ses acteurs. C’est pourquoi, nous proposons d’étudier ces
conditions ampliatives vectrices d’une bonne application de la loi. Pris du point de vue du CF,
ce dernier, pour une application effective, efficace et efficiente, doit être reçu par ses
destinataires. Cette réception, qu’on peut qualifier positive, permet aux instruments
juridiques, les règles édictées, d’acquérir un caractère obligatoire et déployer tous leurs effets
dans la sphère juridique. La réception du code est une condition de son applicabilité. Cette
réception appartient non seulement à la population, la cible principale mais aussi au juge.
En effet, si la réception de la règle par ses destinataires est indispensable pour son application,
il faut noter qu’elle est insuffisante. Le juge y joue un rôle important pour l’effectivité de la
loi car l’action en justice doit être admise par lui et l’interprétation qu’il a de la norme
s’impose, en principe, sur tous ceux qui sont habilités à l’interpréter. En interprétant la règle,
le juge donne une signification à celle-ci après l’avoir saisie dans tous ses sens. Donc, avant
toute interprétation, le juge reçoit la règle. Cette réception lui confère la possibilité de mettre
en œuvre ses pouvoirs. Et par l’interprétation, il devient la « bouche de la loi »224. Dès lors, le
juge part plus loin en essayant de mettre en œuvre l’intention du législateur et partant, son
intention, parce que la loi ne peut pas tout dire de la solution juridique et le législateur ne peut
pas tout prévoir225. Cependant, tout cela dépend comment le juge reçoit la norme. Car sa
décision est intrinsèquement à la compréhension, à la façon dont il l’interprète. D’ailleurs, les
décisions des juges sont souvent liées à cette interprétation qu’ils ont de la règle mais aussi au
souci de pragmatisme pour éviter d’éventuelles situations de déni de justice. Conséquemment,
ces conditions ampliatives constituent de véritables remèdes à l’ineffectivité et partant, de
l’efficacité et de l’efficience de la règle. C’est pourquoi, nous pensons que pour pallier
l’ineffectivité du CF, il faut remplir ces conditions ampliatives.
224
J. Betaille, « Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en Droit Public interne : illustrations en
droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement (thèse), ibidem, p.594.
225
M. Villey, « Préface », in « L’interprétation dans le droit », APD, n° 17, Sirey, 1972, p. 4 in J. Betaille
(thèse), loc.cit.
84
CONCLUSION
85
Cette recherche avait pour objectif général de vérifier l’existence de la laïcité et de
l’égalité de genre dans le Code de la famille sénégalais. Ainsi, par une démarche hypothético-
déductive, nous avons pu démontrer la consécration d’une laïcité et d’une égalité de genre en
droit sénégalais de la famille dans le Titre premier, largement dominé par les éléments de
définition, les raisons qui déterminent ou conditionnent la laïcité et l’égalité de genre en droit
sénégalais.
Par ailleurs, le deuxième Titre de ce travail, matérialise le vécu de ces concepts qui
chevauchent entre le consacré et la pratique ou encore entre tradition et modernité. Cette
partie démontre l’originalité de la voie purement sénégalaise, loin d’un caractère technique et
radical en matière de laïcité et l’égalité de genre. Elle témoigne l’écart ou la distance constaté
entre le consacré et le pratiqué par le respect de certaines usages traditionnels présents dans le
quotidien des sénégalais et parfois consacrés dans le Code de la famille. C’est la raison pour
laquelle, en constatant ces éraflures, nous avons proposé une réinvention de la laïcité et de
l’égalité de genre en matière familiale en faisant un retour aux sources, aux imaginaires
africains de la famille, aux droits africains pour une effectivité, une efficacité et une efficience
Code.
Néanmoins, des domaines majeurs de l’espace laïc et de l’égalité de genre au Sénégal restent
à explorer. C'est dire que nous avons fait une prestation bien modeste et plus que parcellaire.
Il ne saurait en être autrement au regard d'un thème aussi vaste et singulièrement traversé par
des tendances polymorphes et instables.
Partant, cette étude mérite d’être perfectionnée par une recherche plus approfondie. Ainsi,
après avoir défini les concepts laïcité et genre, déterminé leur consécration, les raisons qui
déterminent celle-ci et leur vécu dans la société, bases de cette recherche, le prolongement de
l’édifice se fera sur les enjeux que ces concepts engendrent sur les plans social, culturel,
religieux, politique et juridique. Si ailleurs on marche « Vers un nouveau pacte laïque »226. Il
est question ici, comment conserver notre idéal laïc et la promotion de l’égalité de genre dans
une société traditionnelle, majoritairement musulmane ?
Dans cette entreprise titanesque de conservation ou de maintien de la cohésion, de la
solidarité, de la paix nationale, d’un souci de modernisation et du développement dans le
Code de la famille, la laïcité et l’égalité de genre ne doivent ni se dérober, ni être mises à
l’écart complètement. Le rôle prépondérant qu’elles jouent dans une société
multiconfessionnelle, multiculturelle, globalisée et par conséquent, en mutation fulgurante, les
engage à chevaucher entre les origines de celle-ci et son devenir. Elles se doivent de les
assumer impérativement.
Dès lors, quelle politique du législateur pour assurer ce chevauchement pour un droit de la
famille plus original, plus adapté et plus effectif, prenant appui considérablement sur les droits
originellement africains ? Autrement, quel avenir de la laïcité et l’égalité de genre dans une
société pluraliste, fortement attachée à la foi et soucieuse de son développement ?
Par contre, si la consécration de la laïcité et de l’égalité de genre s’est inspirée largement de la
législation française, force est de reconnaitre que les comportements traditionnels rejaillissent
toujours dans le CF. Mais n'est-ce pas dans la nature de la famille, une sphère investie du droit
et du non droit ?
226
J. Baubérot, « Vers un nouveau pacte laïque », in Vingtième Siècle, revue d’histoire, n° 31, ibid, pp. 95-97.
86
BIBLIOGRAPHIE :
TEXTES OFFICIELS
OUVRAGES GENERAUX
87
GUINCHARD Serge, « Le droit patrimonial de la famille au Sénégal », Tome
XXXII, NEA 1980, 669p
BOUREL Pierre, « Le droit de la famille au Sénégal, successions, régimes
Matrimoniaux », éditions Economica. 1981 ;
DURKHEIM Émile, « Les règles de la méthode sociologique », 1980 ;
88
BETAILLE Julien (thèse), Les conditions juridiques de l’effectivité de la
norme en Droit Public interne : illustrations en droit de l’urbanisme et en droit
de l’environnement ; 2012.
DICTIONNAIRES
89
VANDERLINDEN Jacques, « Les droits africains entre positivisme et
pluralisme » ; Bulletin des séances de l’Académie royale des sciences d’outre-
mer, 46 (2000) 279-292) ;
90
Rousselet, Kathy. « Les figures de la laïcité postsoviétique en Russie »,
Critique internationale, vol. 44, no. 3, 2009 ;
91
GAUTRON et ROUGEVIN-BAVILLE, Droit public au Sénégal - 2e édit.
1977 - Paris – Pédone ;
92
ANANI Isabelle Akouhaba, « La dot dans le Code des personnes et de la
famille des pays d’Afrique occidentale francophone : Cas du Bénin, du
Burkina-Faso, de la Côte d’Ivoire et du Togo » ;
93
LACOUSTUMES Pierre et SERVERIN Evelyne, « Théories et Pratiques de
l’effectivité du Droit » ;
CIDSE, Égalité des sexes : Contours et définition. CIDSE est une alliance
internationale d’organisations de développement catholiques, juillet 2013 ;
JURISPRUDENCES
Cour suprême, 22 Juillet 1981, Penant 1983, p .223 et s, Note Lampue ; RSD
1983, p.35 et s, note Serge GUINCHARD ;
Arrêt N°2086 du 4 Novembre 2008 rendu par le tribunal régional Hors classe
Dakar ;
Cour de Cassation française, « l’usage quel que soit ancien qu’il soit, ne peut
jamais prévaloir sur l’autorité de la loi » (cf. Crime. 30 juin 1827 .Gen . Forets,
n769)
Cour suprême, chambre civile, 2avril 2010, publié sur WWW.UMS.SN;
94
Arrêt Roca de la Cour suprême 29 novembre 1969 - Penant 1970, p. 371, note
P. GULPHE ; Rev. Sén. Dr. 1970, n° 7, p. 63, note P. BOUREL in A.-K
BOYE, Les mariages mixtes en droit international privé sénégalais, p.25.
Arrêt Lochet de la Cour Supr. 25 novembre 1974 - Rev. sén. Dr. 1974, n Q 16
p. 47 et s. ; note BILBAO; Penant 1976 p. 534, note LAMPUE. In A-K. Boye
(Thèse), Les mariages mixtes en droit privé international privésénégalais, p.39.
COURS
CORREA Jean Louis, cours, « Droit des obligations », Théorie Générale des
contrats Université Assane SECK de Ziguinchor.
95
TABLES DES MATIERES
SOMMAIRE ........................................................................................................................... VI
INTRODUCTION ................................................................................................................ VII
Titre I : LA CONSECRATION JURIDIQUE DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE
DE GENRE EN DROIT SENEGALAIS .......................................................................... 12
CHAPITRE I : LA CONSACRATION TEXTUELLE DE LA LAÏCITE ET DE
L’EGALITE DE GENRE............................................................................................... 14
Section I : Les bases constitutionnelles de la laïcité et de l’égalité de genre .......... 14
Paragraphe I : La neutralité de l’Etat : une manifestation de la laïcité de
l’égalité de genre ...................................................................................................... 15
A- La garantie des libertés individuelles fondamentales des citoyens ....... 15
B- La garantie de la non-discrimination entre les sexes ............................. 17
Paragraphe II : La reconnaissance du pluralisme religieux ................................ 19
A- Le respect du pluralisme des religions .................................................... 19
B- Le libre développement des institutions et enseignements religieux .... 21
Section II : Les fondements législatifs de la laïcité et de l’égalité de genre dans le
Code de la famille ........................................................................................................ 23
Paragraphe I : Absence de discriminations sexistes et de convictions religieuses
dans le mariage ........................................................................................................ 23
A- La libre volonté des futurs époux dans la formation du mariage ......... 24
B- L’affirmation jurisprudentielle de l’égalité des époux sur l’entretien
des enfants nés du mariage.................................................................................. 26
Paragraphe II : La laïcisation des successions ab intestat de droit musulman .. 28
A- La place capitale de la volonté du De cujus dans les successions de droit
musulman.............................................................................................................. 28
B- La pratique jurisprudentielle dans l’application des dispositions
successorales de droit musulman au De cujus ................................................... 30
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS POLITIQUES ET SOCIOCULTURELS DE
LA LAÏCITE ET L’EGALITE DE GENRE ................................................................ 33
Section I : Les fondements politiques de la laïcité et de l’égalité et de genre......... 33
Paragraphe I : La conservation de l’unité nationale sénégalaise ........................ 33
A- La notion d’« unité nationale » au Sénégal ............................................. 33
B- La manifestation de l'unité nationale au Sénégal ................................... 35
Paragraphe II : Les instruments de constitution ou de maintien de l'unité
nationale ................................................................................................................... 37
A- L'Etat : acteur de l'unité nationale.......................................................... 37
B- Le Code de la famille : instrument de maintien de l'unité nationale ... 38
96
Section II : Les données socioculturelles de la laïcité et de l’égalité de genre ....... 40
Paragraphe I : Les données sociales de l’élaboration du Code de la Famille .... 40
A- L'islamisation de la majorité des sénégalais ........................................... 40
B- L'influence de l’islam dans la législation et dans la jurisprudence en
matière familiale ................................................................................................... 43
Paragraphe II : La diversité culturelle des sénégalais ......................................... 45
A- La diversité ethnique des sénégalais ........................................................ 45
B- La diversité confessionnelle des sénégalais ............................................. 47
TITRE II : L’EXPRESSION DE LA LAÏCITE ET DE L’EGALITE DE GENRE EN
DROIT SENEGALAIS DE LA FAMILLE...................................................................... 51
CHAPITRE I : LE SUCCES DE LA TRADITION DANS LE CODE DE LA
FAMILLE ........................................................................................................................ 52
Section I : L’état des pratiques traditionnelles consacrées ..................................... 52
Paragraphe I : Les pratiques traditionnelles relatives aux rapports de genre .. 52
A- Les règles relatives aux effets du mariage .............................................. 53
B- Les règles relatives aux successions ab intestat de droit musulman..... 55
Paragraphe II : Les pratiques coutumières relatives aux rapports entre le
religieux et le politique ............................................................................................ 57
A- L’influence majeure du fait religieux dans les successions de droit
sénégalais .............................................................................................................. 57
B- L’expression du religieux dans le droit sénégalais des successions .......... 59
Section II : La manifestation de la tradition dans le droit sénégalais de la Famille
....................................................................................................................................... 61
Paragraphe I : La résistance consacrée dans le Code de la Famille ................... 61
A- La consécration de la polygamie et la dot dans le Code de la famille ...... 61
B- L’impact de la de la polygamie et de la dot dans le Code de la famille 63
Paragraphe II : La résistance factuelle de la tradition en droit sénégalais de la
famille ....................................................................................................................... 65
A- La faible appropriation par la société au principe d’égalité de genre . 65
B- La constance du Code de la famille face aux réformes suscitées .......... 67
CHAPITRE II : LA REINVENTION DES CONCEPTS LAÏCITE ET L’EGALITE
DE GENRE EN MATIERE FAMILIALE ................................................................... 69
Section I : Les bases de la réinvention de la laïcité et d’égalité de genre en matière
familiale ........................................................................................................................ 69
Paragraphe I : La réappropriation d’une spécificité africaine de la famille et du
mariage ..................................................................................................................... 70
A- Le recours aux imaginaires africains de la famille ................................ 70
B- La reconnaissance des droits originellement africains de la famille .... 73
97
Paragraphe II : L’impact de la réinvention du droit de la famille ..................... 75
A- La consécration de règles orientant le vivre-ensemble dans le Code de
la famille ................................................................................................................ 75
B- L’adoption de règles prônant la complémentarité des sexes ................ 77
Section II : Les moyens d’une application effective, efficace et efficiente du Code
de la famille .................................................................................................................. 78
Paragraphe I : La diffusion des règles du Code de la famille ...................................... 79
A- Les mécanismes de diffusion des règles du code de la famille ....................... 79
B- L’effet de la diffusion du CF : reconnaissance des règles édictées ................ 80
Paragraphe II : Les conditions ampliatives de l’effectivité, l’efficacité et l’efficience des
règles édictées ............................................................................................................. 82
A- La conception de la règle adoptée ................................................................ 82
B- La réception par les destinataires et le juge de la règle ................................ 83
CONCLUSION .......................................................................................................... 85
BIBLIOGRAPHIE : .................................................................................... 87
98