Hamma (2006)

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Modèles linguistiques

54 | 2006
La préposition en français (II)

7. Etat des lieux sur la sémantique de la


préposition par

Badreddine Hamma

Éditeur
Association Modèles linguistiques

Édition électronique Édition imprimée


URL : http://ml.revues.org/578 Date de publication : 1 juillet 2006
DOI : 10.4000/ml.578 Pagination : 81-95
ISSN : 2274-0511

Référence électronique
Badreddine Hamma, « 7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par », Modèles linguistiques
[En ligne], 54 | 2006, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
ml.revues.org/578 ; DOI : 10.4000/ml.578

Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016.

© Modèles Linguistiques
7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 1

7. Etat des lieux sur la sémantique de la


préposition par
Badreddine Hamma

1 Il est communément admis que l’isomorphie totale entre l’identité monosémique des
mots d’une langue donnée et leurs emplois observés dans le discours est un phénomène
qui ne peut exister qu’en théorie, et ne convient qu’aux langues artificielles à l’intention
des automates ; les langues naturelles, elles, tiennent justement leur richesse de la
variabilité et des embranchements que peut connaître une même forme, en entrant dans
divers réseaux de sens. Ce phénomène est connu sous le nom de « polysémie » et
correspond, globalement, aux possibilités d’usage que peut avoir un même signe
linguistique sans qu’il perde une certaine valeur sémantique unitaire qui constitue sa
propre identité. C’est ainsi que M. Bréal (1897 : 155)1 définit ce phénomène : « Le sens
nouveau quel qu’il soit ne met pas fin à l’ancien. Ils existent tous les deux, l’un à côté de
l’autre. A mesure qu’une signification nouvelle est donnée au mot, il a l’air de se
multiplier et de produire des exemplaires nouveaux, semblables de forme, mais différents
de valeur ». Cette définition permet de distinguer et de justifier la différence entre les
polysèmes et les homonymes : la question du continuum sémantique ne se pose que pour
les mots « polysémiques » - par opposition aux homonymes dont la similitude formelle
est perçue comme accidentelle.
2 Afin de cerner le déploiement sémantique des mots, les ouvrages lexicographiques
s’ingénient à répertorier les différentes acceptions d’une unité linguistique selon les
contextes en en spécifiant le sens par des gloses particulières ; de même, ils structurent
leurs entrées et leurs définitions en fonction du double critère : la continuité et la
rupture, tant sur le plan du sens que sur le plan de la forme. Ainsi, le mot livre change de
sens selon le contexte où il peut apparaître : lire un livre (« ensemble de feuilles de papier
imprimé et relié »), le métier du livre (« le travail relatif à l’édition, à la distribution des
livres, etc. »), le livre d’or (« pages blanches reliées destinées à recueillir les remarques, les
noms, etc. des visiteurs »), parler comme un livre (« parler d’une manière affectée ou
recherchée »), etc. Les différentes définitions ci-dessus sont habituellement rangées sous

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 2

la même entrée lexicographique livre : elles se rapportent toutes au même « concept » et


n’incluent pas, en revanche, les sens de son homonyme, qui occupe une entrée
indépendante (livre 2), que l’on rencontre dans des exemples comme La livre sterling est en
baisse en ce moment (« unité monétaire du Royaume-Uni ») et Acheter une livre de pistaches
(« unité de masse anglo-saxonne »), etc. ; ce dernier mot rompt avec livre 1 au niveau du
sens (on a deux valeurs distinctes) et, en l’occurrence, au niveau de la forme (le premier
est un nom masculin alors que le second est un nom féminin). En première
approximation, cette taxinomie (adoptée par les lexicographes) paraît se justifier ; mais,
en réalité, elle pose deux difficultés majeures, appliquée telle quelle : d’une part, les
cloisonnements établis entre les emplois d’une même entrée lexicale, sans en justifier le
continuum, laissent croire que l’on a affaire à des mots complètement distincts (Qu’est-ce
qui, malgré tout, permet de dire que l’on a toujours affaire au même mot livre 1 dans ces
différents emplois, qu’il s’agit d’un cas de « polysémie », telle que’elle est définie par M.
Bréal (op. cit.) ?), d’autre part, le fait de concevoir les définitions selon un certain ordre
qui privilégie les situations concrètes et tangibles comme un sens « prototypique » (ici,
« ensemble de feuilles de papier imprimé et relié ») conduit à une hiérarchie sémantique
qui fausse le sens de l’item en question et en étouffe l’identité sémantique. Le problème se
pose avec plus d’acuité quand le mot à définir est un « morphème grammatical » ; c’est le
cas des prépositions qui sont tendanciellement appréhendées comme des « opérateurs
spatiaux », aussi bien dans les ouvrages de référence que dans les travaux spécialisés de
linguistique, et dont les autres sens sont perçus comme une sorte de « déviance » par
rapport au sens premier (« concret »), en tous cas comme autant de dérivations plus ou
moins éloignées de la valeur source.
3 Dans le présent travail, nous allons nous focaliser sur le cas de la préposition par pour
établir, dans un premier temps, un examen critique de la façon dont cette préposition est
appréhendée dans les ouvrages d’usage et dans certains travaux de linguistique pour
tenter, ensuite, de circonscrire l’invariant sémantique sous-jacent à la diversité des
contextes où elle peut apparaître. Le principe théorique qui sous-tend notre
argumentation est l’autonomie de la langue : le sens d’un item donné n’est pas corrélé à
ce qu’il évoque dans la réalité mondaine, ni dans les représentations mentales, mais
correspond à une valeur linguistique intrinsèque que l’on peut trouver dans tous les
contextes où il peut apparaître et que l’on peut cerner à partir de son actualisation dans
le discours, de sa mise en relation avec les autres signes du système et de leur mutuelle
interaction en synchronie.

1. Le sens de la préposition par dans les ouvrages de


référence
4 Les descriptions lexicographiques établissent globalement une hiérarchie sémantique
dans les définitions des prépositions, qu’elles justifient par des attestations relatives à
leur évolution historique. L’inventaire des emplois des prépositions commence le plus
souvent par le sens « spatial », suivi des autres emplois - un ordre qui semble s’appuyer
sur des arguments diachroniques selon lesquels les mots grammaticaux auraient connu
un certain processus de « grammaticalisation » ou de « métaphorisation » en passant du
sens originel « concret » (spatial) à des emplois « dérivés » et « abstraits » (notionnels),
comme en témoigne ce qu’en dit J. O’Keefe (1996), repris par M.L. Groussier (1997), au
sujet des prépositions de l’anglais: « The prepositions of English have a spatial (or, in one or two

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instances, temporal) sense as their basic meaning and that the other meanings are derived by
metaphor » (1996: 281-282). Conformément à cette optique, la préposition par est définie
dans les dictionnaires comme suit :
5 A. Lieu : par exprime un déplacement et est synonyme de à travers, via, au travers de,
dans, etc.
1. par au sens de à travers : Passer par la porte, le couloir. Jeter qqch. / regarder par la fenêtre.
2. par au sens de dans : Courir par les rues. Par le monde. Par monts et par vaux.
3. par (sans mouvement) : Par endroits. Être assis par terre. MAR. A la hauteur de. Se trouver par 30°
de latitude Nord et 48° de longitude Ouest (PRLF).

6 B. Temps : par au sens de durant, pendant, lors de, etc. :


7 Par une belle matinée de printemps.
Sortir par 10° / C’est comme par le passé.
Il faut du courage pour se baigner par un froid pareil (PRLF).
Voyager par beau temps (GRLF).
Il faut interdire a cette créature, si frêle et si délicate, de sortir par le mauvais temps (TLF).
8 C. Moyen/Manière : le PRLF, par exemple, rapproche par de la préposition avec :
9 Obtenir qqch. par la force, par la douceur.
Répondre par oui ou par non, par le silence.
Tenir un couteau par le manche.
Voyager par le train.
Envoyer une lettre par la poste.
10 D. Cause : par apparaît dans des contextes où elle est synonyme de à cause de :
11 Il a fait cela par curiosité, par envie.
L’un était brave par vertu et l’autre par férocité (LLF).
Faire qqch. par acquit de conscience, amitié, amour, bonté, calcul, caprice.... (TLF).
Il s’est tu par discrétion (GRLF).
12 E. Agent : par au sens de grâce à l’action de :
13 La Comédie Humaine par Balzac.
Une méthode confirmée par l’expérience.
Ecrasement du faible par le fort (TLF).
14 Dans une telle énumération d’emplois, la première question que l’on se pose est celle
relative au « continuum » : les différents emplois d’un mot devraient laisser voir un
certain rapport de continuité, une corrélation qui légitime leur appartenance à la même
entrée lexicographique. Or, dans les gloses relatives à par, ci-dessus, cet aspect est a priori
absent - en tous cas, il n’est pas indiqué de façon explicite qu’il existe un rapport entre
Sortir par la fenêtre (dit emploi « spatial ») et Une méthode confirmée par l’expérience (sens
d’agent) ou Envoyer une lettre par la poste (la « manière ») et Sortir par 10° (le « temps »). Ce
que ces ouvrages ont tendance à faire est de multiplier les synonymes du mot à définir en
fonction de ses emplois.
15 Citons l’exemple du TLF, qui semble représentatif du reste des dictionnaires, avec la
conclusion synthétique qu’il donne de la préposition par à la suite d’un long inventaire de
ses emplois : il y apparaît que la préposition serait le synonyme de toutes les prépositions
et les locutions prépositives suivantes : à travers, via, au milieu de, dans, sur, au cours de,
durant, en, lors de, pendant, à cause de, du fait de, par suite de, à l’aide de, au moyen de, avec, de,

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 4

du côté de, grâce a, par l’intermédiaire de - liste au terme de laquelle on peut s’interroger sur
l’identité propre de par. Aucun commentaire ne vient définir l’unicité du sens de la
préposition après cette liste impressionnante d’équivalences. Qui plus est, cette
caractérisation ne prévient pas des cas où la commutation de par avec les « formes
synonymiques » proposées est impossible : les synonymes proposés par les dictionnaires
ne sont pas toujours substituables à par : Passer par la porte ne signifie sans doute pas
Passer à travers la porte si l’on admet que cela puisse se dire dans un contexte similaire : le
premier implique un passage aisé et sans obstacles et le second présupposerait que la
porte ait été fermée et qu’ensuite elle ait été mise en morceaux pour permettre le
passage. De même, les prépositions pendant, durant et lors de ne peuvent pas remplacer par
dans ses emplois dits « temporels » de façon systématique ; ils nécessitent souvent un
déterminant, comme le montre le test de la commutation dans les exemples (1) et (2) :
16 [1]. Il est sorti (par + *pendant + *durant +* lors de) 10°.
[2.] Voyager (par + *pendant + *durant +* lors de) beau temps.
17 De même, avec ne paraît pas pouvoir remplacer par en (3), (4) et (5). En effet, la
préposition avec présuppose, contrairement à par, un certain « détachement » entre son
régime et le procès global :
18 [3] */ ? Tenir un couteau avec le manche.
[4] *Voyager avec le train.
[5] *Envoyer une lettre avec la poste.
19 Il en va de même pour l’emploi « causal », le « synonyme » proposé à cause de nécessite
obligatoirement un déterminant, ce qui n’est pas le cas avec par :
20 [6]. *Il a fait cela à cause de curiosité / à cause d’envie.
21 et, de toute façon, même dans le cas où un déterminant serait ajouté pour rendre la
phrase plus grammaticale, le sens obtenu ne peut pas paraphraser celui de la
construction en par (Hamma 2006a) :
22 [6]a. ? Il a fait cela à cause de la curiosité, à cause de l’envie.
23 Avec à cause de, la cause peut être attribuée à quelqu’un d’autre à part le sujet :
24 [6.]b. Léa a quitté la salle à cause de la curiosité de Max / à cause de l’envie de Marie.
25 ce qui n’est pas le cas avec par, qui implique nécessairement que le sujet de la phrase est
la « source » de cette cause ; de fait, l’alléguer à quelqu’un d’autre dans le cas de
l’utilisation de par est impossible :
26 [6]b. *Léa a quitté la salle par curiosité de Max / par envie de Marie.
27 Cependant, on peut très bien avoir :
28 [6]b. Léa a quitté la salle par curiosité / par envie.
29 qui signifie que c’est Léa qui est le « siège » de la curiosité ou de l’envie.
30 Quant à la paraphrase grâce à l’action de, elle ne semble fonctionner que dans de rares cas
dans l’emploi dit d’« agent » ; en effet, son sens est marqué positivement et implique un
sujet humain ; de fait, la plupart des exemples ne l’admettent pas :
31 [7] *La Comédie Humaine grâce à l’action de Balzac.
[8.] ?/*Une méthode confirmée grâce à l’action de l’expérience.
[9] ? ? Ecrasement du faible grâce à l’action du fort.

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 5

32 Par ailleurs, on peut relever un certain flottement dans les descriptions données en
passant d’un dictionnaire à l’autre ; ainsi, le même exemple est repéré sous des emplois
qui sont - à l’aune de l’intuition, au moins -hétérogènes, que ce soit dans le même ouvrage
ou en passant d’un ouvrage à l’autre. Ainsi, les exemples en [10] :
33 [10] (Arriver, partir, voyager) par terre, par mer, par air, par la voie des airs.
34 sont répertoriés dans le GRLF dans l’emploi « spatial » alors qu’ils figurent sous l’emploi
« instrumental » dans le TLF. Ces chevauchements sont également manifestes dans le
GR&CO qui range les exemples en par selon des emplois doubles ; on y trouve des entrées
où deux emplois sont associés : « agent / cause », « moyen / manière », « lieu /
direction », « raison / motif », « distribution / mesure », etc. Par conséquent, le seul type
de relation que l’on puisse établir entre ces emplois serait un rapport de « ressemblance
de famille », tel que le définit L. Wittgenstein (1986), selon lequel un élément a peut être
associé à un élément c, quand bien même il en serait complètement différent, tout
simplement parce que a est, en l’occurrence, relié à un élément b qui est relié, à son tour,
à c ; de fait, a et c se trouvent reliés d’une façon indirecte, par le biais de b. Mais cette
démarche n’est pas pertinente quand on cherche à établir des nuances sémantiques fines,
puisqu’elle peut très bien permettre d’établir un lien (de type indirect) entre, par
exemple, livre 1 et livre 2, alors que ce sont des homonymes, et mêmes avec d’autres mots
n’ayant rien à voir (cahier, manuscrit, stylo, auteur, photocopie, édition, masse, kilogramme,
mètre, etc.).
35 En revanche, nous pourrions penser que les flottements relevés dans les étiquettes
utilisées (les emplois qui en rappellent d’autres) et les nombreux chevauchements
remarqués sont des indices qui masquent un certain « continuum », une notion qui
parcourt tous les emplois de par, mais qui n’est pas cernée de façon précise et dont la
seule intuition ne peut rendre compte.
36 Quant aux grammaires de référence consultées au sujet du sens de par, elles se limitent à
quelques emplois de la préposition, voire souvent à un seul, les autres se trouvant
dispersés - s’ils y sont tous - à titre de comparaison avec d’autres morphèmes ou d’autres
emplois de façon très sommaire. Ce qui intéresse la syntaxe, en effet, c’est le fait qu’une
construction impose un certain terme, ce qui est le cas de par, largement grammaticalisé,
dans les compléments dits d’« agent » (un complément « vedette » dans les études
générativistes en particulier) - emploi qui, en revanche, apparaît secondaire dans les
descriptions lexicographiques, lesquelles se préoccupent plutôt de définir l’identité
sémantique : dans les différents ouvrages consultés, il vient généralement, du point de
vue de l’ordre, après les emplois « spatial », « temporel », « instrumental » et « causal ».
Et, de toute façon, l’intérêt porté pour l’emploi de par dans le complément d’agent ne
concerne guère le sens de la préposition en soi.
37 Ainsi, les grammaires, tout comme les dictionnaires, ne traitent de par que de façon
partielle et cloisonnée : inutile d’espérer y trouver des réponses concernant la question
de l’unicité du sens de la préposition par.

2. Les travaux de linguistique sur par


38 Les travaux de linguistique disponibles sur la préposition par n’échappent pas,
globalement, au type de démarche restrictif adopté dans les ouvrages de référence : ce
sont les emplois dits « spatiaux » de la préposition qui y sont considérés au premier chef,

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 6

du fait que le paradigme théorique dominant a une forte tendance cognitivo-


référentielle ; l’espace y est perçu comme « primaire » et « premier » ; en conséquence,
les autres emplois sont écartés par choix ou par omission. Le trait de sens typique qui est
souvent associé à par est le « trajet » ou le « passage » (selon, notamment Laur 1993,
Flageul 1997, KwonPak 1997, MontesRendon 2002, Stosic 2002, Aurnague & Stosic 2002).
Mais, là aussi, d’un côté, ces gloses ne lui sont pas propres, dans la mesure où la notion de
« passage » et de « trajet », par exemple, s’appliquent à d’autres unités de la langue de
différentes catégories syntaxiques - (des prépositions) a travers, au travers de, entre, via ;
(des verbes) traverser, percer, franchir, passer, circuler, couler, etc. ; (des noms) passage, chenal,
couloir, trajet, etc. -, et d’un autre côté, elles ne la définissent pas dans toutes ses
manifestations discursives ; ainsi, dans les exemples [11], [12] et [13] pris dans le PRLF
nous ne voyons pas comment justifier l’idée de « trajet » ou de « passage » :
39 [11] J’ai appris la nouvelle par mes voisins.
[12] L’exploitation de l’homme par l’homme.
[13] Multiplier / diviser une quantité par une autre.
40 ni même pour ses emplois dits « spatiaux » dans [14] et [15] :
41 [14] Être assis par terre.
[15] Voitures qui se heurtent par l’avant, etc.
42 Certes, dans J’ai appris la nouvelle par mes voisins, on pourrait considérer, selon un certain
raisonnement conceptuel, que par indique le « trajet » de la nouvelle, qui va des voisins à
celui qui parle (je) ; mais, outre que cela vaudrait a priori aussi pour de, dans (11a), alors
que par en est absent :
43 [11]a J’ai appris la nouvelle de mes voisins.
44 on peut se demander si ce n’est pas le verbe lui-même (apprendre) qui indique que
« quelque chose » va d’une personne à une autre : il y a toujours l’idée d’un « passage »
dans [11]b :
45 [11]b Les voisins m’ont appris la nouvelle.
46 Il est sans doute naturel que l’étude de l’espace importe énormément dans les travaux
linguistiques en raison de son importance discursive et l’abondance des situations à
valeur « locative » ; mais le fait de considérer uniquement les acceptions spatiales d’une
préposition en écartant ses autres emplois ne permet qu’une analyse partielle de ces
unités. Et, de toute manière, il n’est pas pertinent d’imputer à la préposition par
l’expression de l’« espace » ; en effet, cette valeur lui vient plutôt de son entour,
notamment, le verbe et le paradigme des noms-régimes qu’elle peut sélectionner. Ainsi,
dans la phrase [16] :
47 [16] Alicia est venue / passée par la porte de secours.
48 la relation « spatiale » est le résultat de la combinaison de la préposition par avec le
procès venir (verbe de « déplacement ») et la porte de secours ; il suffit de commuter le SN
avec un autre nom compatible avec le verbe venir pour que le sens « locatif » s’évanouisse
au profit, respectivement, des sens de « moyen » en [16]a, de « cause » en [16]b, de
« distribution » en [16]c, de « temps » en [16] d et de « manière » en [16]e et [16]f :
49 [16]a Alicia est venue par bateau.
b Alicia est venue par sympathie.
c Alicia venait deux fois par jour.
d Alicia est venue par un beau matin du mois de mai / par ce froid.

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 7

e Alicia est venue par hasard.


f Alicia est venue par erreur.
50 Il en va de même pour l’énoncé avec le verbe passer - si l’on y remplace la porte de secours
par de rudes épreuves en [16]g ou Paul en [16]h, on s’apercevra que l’étiquette « préposition
spatiale » n’a plus de raison d’être :
51 [16]g Alicia est passée par de rudes épreuves.
52 h Alicia est passée par Paul (pour rencontrer le directeur).
53 L’espace n’est plus présent dans ces énoncés que par rapport à l’utilisation du verbe
passer. Et, si l’on y remplace passer, dit verbe de « déplacement », par un autre verbe (et
que l’on y garde la préposition par), il n’y restera rien, ni de loin, ni de près, de la valeur
spatiale dans [16]i :
54 [16]i. Alicia est attendue / respectée / dessinée par Paul.
55 où l’on a une phrase passive avec un « agent » introduit par par. Toutefois, on ne parlera
pas non plus de préposition exprimant l’« agent » ou la « cause », à propos de par, ni le
« moyen », le « temps », etc. : ce ne sont de même que des valeurs générées par l’énoncé
de façon globale, et par n’y fait qu’apporter sa contribution spécifique de sens - qu’il s’agit
de définir.
56 Outre la littérature abondante sur l’emploi « spatial » de par (cf. supra) et sur son statut
d’introducteur de l’agent dans la phrase passive (cf. Gross 2000, Gaatone 1998, Schasler
2000, entre autres), ainsi que les travaux qui traitent des prépositions, dont par, de façon
générale (cf. Spang-Hanssen 1963, Melis 2004, etc.), nous avons quatre articles ayant tenu
compte des autres emplois de la préposition par : P. Cadiot (1991) et A.M. Berthonneau
(1976, 1978 & 1999). Le premier auteur a considéré les emplois de par, entre autres
prépositions, en rapport avec le nom train. La thèse principale est que la préposition, en
tant que tête de syntagme, impose des contraintes particulières à son régime ; c’est un
« opérateur de polysémie » qui sert à (re) configurer les référents du nom-régime selon
des principes pragma-sémantiques et cognitifs spécifiques en les transformant en
« repères ». Globalement, P. Cadiot (op. cit.) montre que le mot train, en fonction
« complément », est susceptible de se construire avec plusieurs prépositions et que le
choix de celles-ci est tributaire, pour l’essentiel, de la polysémie du mot train et de son
déterminant (le + un + 0), d’une part telle qu’elle est induite par le type du verbe ou
groupe verbal introducteur, par exemple « se rendre à l’école », « le voyage est prévu »,
« rencontrer X », « monter » et « aller chercher X », d’autre part, telle qu’elle est
exprimable en termes de construction de la représentation du référent du mot train et des
principes cognitifs qui président à cette construction. En l’occurrence, la préposition par
aurait pour « sémantique idéalisée » dans la polysémie de son nom-régime train,
l’expression du « lieu-instrument » par opposition aux autres prépositions prises en
compte qui sélectionnent des configurations différentes : en (« le mode de transport »),
avec (« le type de transport »), dans (« l’objet physique individualisé ») et à (« le lieu
fonction »). Mais P. Cadiot ne précise pas si cette notion en rapport avec l’expression de
l’« instrument » relève de l’identité de par dans la totalité des emplois observables ou
constitue seulement un effet de sens des occurrences où la préposition est associée à
l’item train.
57 A.M. Berthonneau-Dessaux a traité de trois autres types d’occurrences en par : les
compléments formés avec par et un nom « temporel » (1976), les compléments
« distributifs » en par (1978) et les N relevant de « parties de corps » introduits par par et

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 8

complétant des verbes de « préhension », comme tenir, saisir, etc. (1999). L’auteur s’est
penchée, en particulier, sur les distributions et les propriétés syntaxiques et lexicales des
trois types de construction ; elle parvient à en établir une description linguistique étayée
par divers tests de transformation syntaxique ; cependant, en ce qui concerne la question
du sens, l’auteur reprend, globalement, les mêmes étiquettes utilisées
traditionnellement ; par exemple, elle parle de sens « spatial », de « préhension » et de
« parties de corps », dans les relations méronymiques, du type Prendre qqn par la main / par
le col / par le bras, etc., et en déduit que par permet de mettre en place une certaine notion
de « possession inaliénable » : quand Paul prend Marie par la main, c’est Marie tout entière
que celui-là prend et non sa main séparément d’elle. D’après l’auteur, le propre de par
serait que l’acte « physique » exercé par le sujet sur une partie du référent de l’objet est
vu comme s’exerçant en réalité sur le tout, ce qui vaut effectivement pour le complément
considéré mais suppose le recours à l’extension métaphorique pour que soit rendu
compte par exemple de prendre quelqu’un par les sentiments / par son faible / par la douceur,
etc. (où il ne s’agit plus de saisie « physique » ni de « partie du corps » ; de plus, on ne voit
pas a priori comment utiliser la définition proposée pour cet emploi dans des exemples
tels que voyager par le train, sortir par beau temps.
58 A l’issue de l’examen des différentes investigations linguistiques disponibles sur par, tant
dans les ouvrages de référence que dans les travaux de linguistique, nous avons pu
circonscrire la tâche qui nous revient, afin de prendre la relève de ces investigations et de
combler les manques. Ainsi, pour soutenir que, dans tous les cas de figure précédents où
apparaît par, il s’agit toujours du même par et que l’on n’a pas affaire à des homonymes, il
faudrait déterminer son signifié propre qui traverse tous ses emplois et qui ne soit
imputable qu’à la préposition elle-même : son identité sémantique.

3. L’identité de la préposition par : vers une hypothèse


unitaire
59 A partir de l’observation des occurrences en par, on peut déceler une certaine régularité
au niveau des distributions lexicales et syntaxiques ; tous les énoncés en par
correspondent à une construction élémentaire, constituée de par, lui-même associé à son
régime (noté R) et d’un procès dénoté généralement par le verbe (que l’on note P), dans la
relation P par R ; mais le procès peut ne pas apparaître en surface suivant l’une des thèses
harrissiennes selon laquelle l’énoncé observable est la « réduction » d’un ensemble
d’énoncés plus vaste et plus explicite. Partir de ce schéma se justifie par le fait que par
introduit, dans tous les cas de figure, une séquence qui se rapporte au procès en
déterminant le type de circonstance qui affecte sa réalisation ; on a, grosso modo, un
procès dont on rapporte les conditions de la réalisation, conditions qui sont spécifiées et
représentées par l’emploi de la préposition par sous un certain angle particulier. Cette
invariance syntaxique peut nous mettre sur une piste fructueuse pour cerner l’invariance
sémantique de par - conformément au « principe de naturalité » tel que défini par J.C.
Milner (1989) - et, selon son actualisation dans le discours (constructions syntaxiques,
combinaisons lexicales, etc.), cette structure de base « P(rocès) par R(égime) », connaît des
modulations de sens, qui correspondent aux « emplois » dans la tradition grammaticale et
lexicographique (« lieu, temps, moyen, manière, cause, etc. »). Considérons les énoncés
[17], [18] et [19] :

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 9

60 [17] Il pénétra au rez-de-chaussée de l’Empire State par une porte secondaire.


[18]. Il me prit par le coude pour me faire traverser : cela me gêna, je m’en souviens.
19. Elle avait saisi la bouteille de whisky par le goulot et, d’un geste que j’avais déjà vu
dans les mauvais feuilletons à la télévision, elle brisa le flacon sur le bord du gros
cendrier, le liquide se répandit sur la petite table du salon.
61 Les différentes situations décrites en l’occurrence sont habituellement appréhendées
comme des relations « spatiales ». Or, ici, aucun énoncé n’admet la question en Où ? que
l’on associe traditionnellement à l’expression du lieu (comme pour l’exemple Où est Paul ?
- Il est dans la cuisine), seul le premier admettant la question Par où ?. La question la plus
adéquate dans tous ces contextes est plutôt Comment ? ou l’une de ses variantes (De quelle
façon / manière ?) :
62 [17]a (Par où +*Où + Comment + De quelle façon / manière) pénétra-t-il au rez-de-chaussée de
l’Empire State ? — Par la porte.
[18]a (*Par où + *Où + Comment + De quelle façon / manière) m’a-t-elle fait traverser ? - En me
prenant par le coude.
[19]a (*Par où + *Où + Comment + De quelle façon / manière) attrapa-t-elle la bouteille ? — Par
le goulot.
63 Dans tous ces cas, la question montre que par ne se borne pas à introduire un lieu (ou une
partie de quelqu’un ou quelque chose) mais permet dans le même temps d’identifier le
procès (P) en en indiquant le mode de réalisation : « pénétrer quelque part » en (17),
« faire traverser quelqu’un » en (18), « attraper une bouteille » en (19) ; on a globalement
« qqn qui fait qqch. en procédant d’une certaine manière ». Cette première observation
montre que l’identité de la préposition n’est pas réductible à l’expression du seul lieu
même dans les emplois dits « locatifs », ni à celle du seul rapport physique en (18) ou (19),
mais elle ne peut constituer, telle que formulée, le signifié de par du fait que les questions
Comment ? ou De quelle manière / façon ? ne s’appliquent pas à tous les cas de figure ; elle
révèle cependant que par associe à la précision spatiale un certain point de vue, qui la fait
interpréter comme une manière de réaliser le procès. Si cette hypothèse est exacte, il
nous revient de spécifier ce point de vue que par véhiculerait en propre.
64 Dans ce qui suit, nous allons considérer un exemple de chaque emploi répertorié en par
afin de cerner l’apport propre de cette préposition, décelable dans tous les contextes où
elle peut apparaître. Pour ce faire, nous opposerons ces occurrences à d’autres qui
comprennent le même procès, mais en l’absence du complément ou de l’ajout en par, ce
qui permettra de mesurer les répercussions de sens que la préposition peut avoir en
intervenant dans un énoncé donné.
65 3.1. L’emploi « spatial » de par le plus représenté dans les ouvrages lexicographiques et
dans les travaux de linguistiques, est celui du « passage » ; les exemples cités qui s’y
rapportent se construisent typiquement avec le verbe passer. Comparons les deux énoncés
suivants (a) et (b) :
66 [20] a. Paul est passé.
b. Paul est passé par le couloir.
67 Le verbe passer change d’identité selon qu’il est complété par le SP par le couloir ou non, du
fait que (a) s’interprète plutôt comme « Paul nous a fait une rapide visite », mais (b)
comme « Paul a utilisé le couloir pour arriver à un certain lieu ». De fait, du point de vue
sémantique, le SP par le couloir n’est guère supprimable : il est obligatoire si l’on veut
garder le même sens global de l’énoncé, ce qui lui confère ainsi le statut de complément,

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 10

puisqu’il participe à l’identité lexicale du verbe. En outre, avec par SN, le verbe passer
implique un déplacement dont une partie s’opère dans le lieu couloir mais dont la finalité
est un autre endroit : par le couloir indique donc un « mode d’accès » choisi par quelqu’un
pour parvenir quelque part, et non à proprement parler un « lieu » (il participe à l’idée
d’un moyen adopté pour une certaine fin). Il en va de même de la différence qui se trouve
entre les énoncés en jeter dans [21] :
68 [21] a. Paul a jeté la bouteille.
b. Paul a jeté la bouteille par la fenêtre.
69 Ici, on peut considérer que jeter a le même sens dans les deux cas : « se débarrasser de
quelque chose », ce qui conduit à considérer que par la fenêtre est plutôt un « ajout », et
non un « complément » comme par le couloir en [20]. Cependant par la fenêtre n’a pas le
même rôle qu’un SP en a comme a la poubelle par exemple, qui serait la précision banale
(et d’ailleurs interprétée par défaut en l’absence de spécification) : il confère à jeter la
connotation que l’on ne s’est pas débarrassé de l’objet d’une manière ordinaire,
habituelle. Semblablement au cas précédent, par la fenêtre, n’a pas, ici, trait seulement au
« lieu » : si la fenêtre est bien l’endroit du déplacement de l’objet, par y ajoute, pour son
propre compte, que ce lieu n’est pas conforme à ce à quoi l’on s’attend.
70 On peut faire l’hypothèse, en comparant [20] et [21], que la spécification par le couloir joue
le même rôle : dans Paul est passé dans le salon, le salon indique simplement le terme du
déplacement de Paul ; dire Paul est passé par le couloir signalerait que le couloir est un lieu
relativement inattendu pour parvenir au salon, qu’on se serait attendu que Paul y arrive
autrement, étant donné la situation ou ce que tout le monde fait d’habitude.
71 3.2. Considérons, maintenant, des occurrences véhiculant un rapport sémantique dit de
« temps » :
72 [22]a Il est sorti.
b Il est sorti par 10°.
73 Comme précédemment, on peut admettre que par 10° est un ajout (sortir implique dans les
deux cas que le sujet va dehors, quitte l’intérieur de son logis). Le choix même de
l’exemple par le lexicographe va dans le sens de l’hypothèse ci-dessus convoquant un
contexte particulier (le locuteur trouve que ce n’est pas raisonnable de la part du sujet, il
fait trop froid pour sortir quand on a son âge, quand on est malade, etc.) : par 10° procure
à l’ensemble de l’événement un caractère surprenant. Le confirme le fait que dans ce type
d’emploi, le N de « temps » introduit par par est représenté comme spécifique, par une
modification par un adjectif, un complément de nom ou une relative que l’on ne peut
supprimer sans obtenir une phrase agrammaticale : Max est sorti par une nuit (*E + sans
lune), Léa est allée se baigner par un froid (*E + pareil), Il est sorti se balader par une (*E + belle)
matinée (*E + de printemps), etc. ; en cas d’absence de modification, on a obligatoirement une
expérience directe appartenant à l’énonciation, comme le montre l’emploi du
déterminant situationnel « ce » ; les autres déterminants ne sont possibles que quand le N
est modifié (cf. Il veut aller a la montagne par ce (*le / un) froid / par cette (*la / une) chaleur,
etc.). Ainsi par ne se borne-t-il pas à introduire une simple précision temporelle, comme le
feraient a l’aube, dans la matinée, pendant la nuit : son rôle est de signaler qu’il ne s’agit pas
de n’importe quel jour, matin, temps, et ce dont témoignent les exemples venus sous la
plume des lexicographes, c’est que la circonstance de l’action, en l’occurrence présente
un caractère étonnant, voire scandaleux, en tous cas relativement inattendu : Il est sorti
par 10° implique « il n’aurait pas dû sortir par 10° ».

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 11

74 3.3 Il en va de même pour les énoncés exprimant un rapport de « moyen / manière » :


75 [23]a. J’ai envoyé la lettre.
b J’ai envoyé la lettre par la poste.
76 Le procès envoyer une lettre convoque par défaut le moyen de la poste, si bien qu’on peut
se demander quelle est l’utilité de le préciser, si par la poste est purement redondant, déjà
contenu dans le procès envoyer une lettre. On peut supposer que le locuteur devance une
croyance de l’interlocuteur (par exemple : « une lettre d’une telle importance, tu l’as
forcément confiée à un porteur spécial pour être sûr qu’elle arrive à son destinataire ») :
le rôle de par est donc moins d’indiquer le moyen que de signaler que le moyen choisi ne
correspond pas à l’attente de l’interlocuteur, n’est pas celui auquel il peut spontanément
penser : on a, de ce fait, une opposition entre ce qui a été fait et ce qui, de manière
évidente, aurait dû être fait.
77 L’observation est la même pour un autre exemple donné par les dictionnaires pour
illustrer les emplois « moyen / manière » : Répondre par le silence, formulation quasi
oxymorique relativement à l’idée que l’on a de « répondre » - normalement, répondre
suppose un discours, et c’est ne pas répondre qui évoque le silence. Ainsi, la formulation
Répondre par le silence entre-t-elle parfaitement dans l’hypothèse précédemment dégagée.
Les lexicographes donnent aussi Répondre par oui ou par non, qui convoque également une
situation conflictuelle : demander à quelqu’un de répondre par oui ou par non, c’est
protester contre son silence alors que l’on attend de lui une opinion précise, ou bien
l’engager à faire court, alors qu’il se lance dans de longues considérations qui noient le
poisson - dans les deux cas, le locuteur s’oppose à l’interlocuteur en manifestant un choix
qui n’est pas celui de son vis-à-vis.
78 3.4 On retrouve la même valeur dans l’emploi dit « causal » :
79 [24]a Il s’est tu.
b Il s’est tu par discrétion.
80 Dans les énoncés (a) et (b), on peut dire globalement que le SP en par est un ajout, puisque
sa suppression ne change pas fondamentalement le sens du procès se taire (« s’est abstenu
de parler / Ne rien dire ») : on comprend en [24a que quelqu’un devait dire quelque chose,
mais il s’est abstenu ; cet énoncé peut faire suite à une question du type Il a continué à
parler ? / Il leur a dit ce qui se passait à propos de Max ?, etc. —> (Non,) Il s’est tu., alors qu’en
[24]b, l’ajout du SP en par apporte une information supplémentaire : la raison pour
laquelle quelqu’un n’a rien dit ; mais ce que cette raison a de particulier - et que l’on peut
rapprocher de l’effet de sens produit dans les énoncés précédents - est que la raison
donnée est présentée par le locuteur comme une raison qui échappe à son interlocuteur
(ou pourrait lui échapper) différente de la façon dont les choses se déroulent
habituellement ; le locuteur préjuge la raison qui explique la réalisation du procès à la fois
inconnue et ne pouvant faire l’objet d’une déduction à partir de la situation générale ; elle
rompt, en quelque sorte, avec ce qui est évident et attendu, comme c’est le cas pour l’effet
dégagé dans les énoncés [20]b, [21]b, [22]b et [23]b : la raison par discrétion en [24]b est
représentée par le locuteur comme non évidente.
81 3.5. Nous constatons les mêmes faits dans l’emploi dit « agent du passif » : on sait que le
« complément d’agent » n’est pas obligatoire dans la formulation d’une phrase au passif,
soit qu’il serait évident, soit qu’on ne tienne pas à expliciter le responsable de l’action (cf.
Lors de la manifestation, divers étudiants ont été blessés.). Par conséquent, spécifier Une
méthode confirmée par l’expérience ne fait pas que préciser l’agent (au sens grammatical) par

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 12

rapport à Une méthode confirmée : dans ce dernier cas, il n’est pas certain que le lecteur ou
l’interlocuteur rétablirait ce qui justifie le jugement que la méthode est confirmée, le
verbe pouvant n’avoir trait qu’à la parole, au discours (cf. Je confirme ce que vous dites.) :
formuler Une méthode confirmée par l’expérience (en précisant donc le moyen), c’est insister
sur la véracité, la consistance du jugement en spécifiant dans quelles conditions il est
émis (il s’appuie sur l’expérience et non sur de simples discours, qui pourraient être sans
fondement).
82 Il se dégage donc de l’analyse de ces exemples :
1. d’une part, la possibilité de dissocier par de son contexte, en comparant divers énoncés où la
préposition contribue à exprimer des notions différentes mais qui ne lui sont pas spécifiques
(par n’est pas spécialement « spatial » en (20) ou en (21) : l’interprétation locative est plutôt
convoquée par ce qui l’environne dans l’énoncé, puisqu’on passe ou jette quelque chose
forcément quelque part ;
2. d’autre part, la possibilité de lui affecter, par cette dissociation, une identité propre : celle
que l’on peut retrouver quel que soit le contexte, et qui, par conséquent, doit bien être celle
de par, qui est la seule forme commune à tous ces énoncés. D’autres contextes peuvent être
analysés de la même manière, contribuant à étayer cette hypothèse : veuillez entrer par la
porte a quelque chose d’étrange comme invite, si la situation est « normale » ; la formulation
implique une complication qui fait que les choses ne sont pas comme on les attend - par
exemple, l’hôte se trompait et se dirigeait vers une autre ouverture que la porte pour
pénétrer dans la pièce (Hamma 2005). De même, par terre dans Être assis par terre contredit les
attentes du simple Être assis, qui appelle par défaut la situation où le sujet est sur un siège
(Hamma 2006a), et spécifier par le manche dans Tenir un couteau par le manche produit le
même effet que par la poste dans Envoyer une lettre par la poste (le manche désignant la partie
normale du couteau par laquelle on le tient). Le fait de sélectionner un élément particulier
d’un ensemble d’éléments potentiels est une valeur spécifique de la préposition par que
l’on a pu aussi vérifier dans les connecteurs et les expressions polylexicales construits en
par ; on y trouve semblablement une mise en rapport de plusieurs éléments dont un seul (ou
plus) est mis en valeur en se détachant de l’ensemble (Il y a des volcans en activité en Italie ; par
exemple, le Vésuve (Hamma 2004) ; Je suis désolé ; j’ai ouvert votre courrier par erreur ; Il a eu le
travail par le canal de Max ; Je l’ai rencontré par hasard ; etc. (Hamma 2006b) et même dans les
périphrases verbales en par (cf. Il a commencé par peindre les murs du salon ; Il a fini par
manger sa soupe ; etc. où l’énoncé implique une succession de procès, avec un certain ordre :
le SP par VINFINITIF informe de la disposition aspectuelle particulière qui conditionne la
réalisation du procès ; le procès complété par par est opposé à d’autres procès qui viennent
après, avec commencer (après cela, le sujet fera autre chose, par exemple « peindre les murs
de la chambre des enfants » ou « tondre la pelouse », etc.) ou avant, avec finir par VINFINITIF
(avant de manger sa soupe, il faisait autre chose).

83 Le fait d’utiliser par dépasse ainsi la simple information à l’intention d’un interlocuteur
qui ignore tout de la situation ; ce qui est spécifique à par est que, du point de vue du
locuteur, l’interlocuteur se fait déjà une petite idée sur ce qui se passe ou peut avoir tiré
des conclusions selon un certain raisonnement logique, mais sans avoir raison ; il se forge
son point de vue à partir d’un substrat culturel (savoir partagé, doxa, lois naturelles,
principes universels, etc., mais qui peut relever aussi d’un simple accord restreint entre
individus - dont les interlocuteurs). L’information avancée par le locuteur vient s’opposer
à celles qui peuvent apparaître comme évidentes ou normales dans un contexte donné. De
fait, on peut constater que l’utilisation de la préposition par donne souvent à la modalité
actualisée dans l’énoncé un certain aspect d’inattendu, d’anormal - effet de sens que l’on
peut retrouver dans la plupart des emplois de la préposition.

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 13

84 Ainsi, aboutit-on à l’hypothèse que la préposition par est susceptible d’une lecture
« polyphonique », selon l’approche d’O. Ducrot : elle ne se contente pas d’introduire le
lieu, le moyen ou l’agent de l’action dans cet emploi, mais elle vient établir une
information qui, du point de vue du locuteur, semble échapper à l’interlocuteur ; soit
parce que cela n’est pas évident (cela sort de ce qui est canonique), soit parce que le
locuteur déduit ou croit que son interlocuteur ne sait pas ou confond tel ou tel aspect. De
fait, la polyphonie telle que véhiculée par par dévoile, en l’occurrence, trois points de vue
(ou, selon les termes de M. Bakhtine (1978 : 156), « voix » ; voir également O. Ducrot
1984) : le premier est explicite, c’est le contenu de l’énoncé tel qu’il est produit par le
locuteur, le second est implicite et peut apparaître dans certaines formes linguistiques (la
question rhétorique, la négation, certains marqueurs d’opposition, etc.) et le troisième,
qui est du même ordre, correspond à celui de l’interlocuteur ou de la doxa, et qui est
écarté par le locuteur.

Conclusion
85 Ainsi, on aura démontré que les divers emplois de la préposition par sont susceptibles
d’un traitement unitaire du fait qu’ils laissent toujours entrevoir l’identité décelée de la
préposition. Dans une occurrence donnée, la préposition par entretient une relation
consubstantielle avec, d’un côté, son régime et, de l’autre, le procès global. La suite P par
R est constituée ainsi d’une « disposition différentielle » (par R) qui renvoie
« négativement » à d’autres dispositions possibles - non réalisées, en l’occurrence - qui
forment avec celle réalisée dans l’énoncé en par un ensemble de dispositions potentielles.
Notons que le fait de sélectionner un élément d’un ensemble et d’exclure les autres (qui
sont toujours présents négativement dans l’énoncé) procure souvent à l’énoncé le
caractère d’une « non-évidence » de la disposition par R : du point de vue du locuteur, les
dispositions écartées paraissent plus canoniques que celle que valide l’énoncé.

BIBLIOGRAPHIE

Dictionnaires
PRLF : Petit Robert de la langue Française, Dictionnaires le Robert, VEUF (1994). LLF : Littré de la
langue française, Emile Littré (1872).

GRLF : Grand Robert de la langue française, tome III, Canada S.c.c., Montréal (1992).

GR & CO : Grand Robert & Collins électronique, Dictionnaires le Robert, VEUF (2003).

RE : Robert Electronique, Dictionnaires le Robert, VEUF (2001). TLF : Trésor de la langue française,

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7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 14

NOTES
1. Le premier qui a introduit les études sémantiques en linguistique.

RÉSUMÉS
Badreddine Hamma établit à propos de par la doxa telle que répercutée dans le discours
lexicographique et les travaux linguistiques de diverses obédiences ; l’évaluation critique de ces
descriptions permet, dans un cadre théorique et méthodologique différent, de proposer une
hypothèse unitaire pour l’identité de la préposition : le point commun à l’ensemble des énoncés
observés est que par introduit un complément dont le référent est inattendu par rapport à toutes
les potentialités associées au sujet (Paul est entré dans la pièce par la fenêtre est ainsi plus naturel
que Paul est entré dans la pièce par la porte, ce dernier énoncé décrivant la situation prototypique
attendue de l’entrée dans une pièce).

AUTEUR
BADREDDINE HAMMA
Université Paris X-Nanterre et CNRS-UMR 7114 (MoDyCo)

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