Hamma (2006)
Hamma (2006)
Hamma (2006)
54 | 2006
La préposition en français (II)
Badreddine Hamma
Éditeur
Association Modèles linguistiques
Référence électronique
Badreddine Hamma, « 7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par », Modèles linguistiques
[En ligne], 54 | 2006, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
ml.revues.org/578 ; DOI : 10.4000/ml.578
© Modèles Linguistiques
7. Etat des lieux sur la sémantique de la préposition par 1
1 Il est communément admis que l’isomorphie totale entre l’identité monosémique des
mots d’une langue donnée et leurs emplois observés dans le discours est un phénomène
qui ne peut exister qu’en théorie, et ne convient qu’aux langues artificielles à l’intention
des automates ; les langues naturelles, elles, tiennent justement leur richesse de la
variabilité et des embranchements que peut connaître une même forme, en entrant dans
divers réseaux de sens. Ce phénomène est connu sous le nom de « polysémie » et
correspond, globalement, aux possibilités d’usage que peut avoir un même signe
linguistique sans qu’il perde une certaine valeur sémantique unitaire qui constitue sa
propre identité. C’est ainsi que M. Bréal (1897 : 155)1 définit ce phénomène : « Le sens
nouveau quel qu’il soit ne met pas fin à l’ancien. Ils existent tous les deux, l’un à côté de
l’autre. A mesure qu’une signification nouvelle est donnée au mot, il a l’air de se
multiplier et de produire des exemplaires nouveaux, semblables de forme, mais différents
de valeur ». Cette définition permet de distinguer et de justifier la différence entre les
polysèmes et les homonymes : la question du continuum sémantique ne se pose que pour
les mots « polysémiques » - par opposition aux homonymes dont la similitude formelle
est perçue comme accidentelle.
2 Afin de cerner le déploiement sémantique des mots, les ouvrages lexicographiques
s’ingénient à répertorier les différentes acceptions d’une unité linguistique selon les
contextes en en spécifiant le sens par des gloses particulières ; de même, ils structurent
leurs entrées et leurs définitions en fonction du double critère : la continuité et la
rupture, tant sur le plan du sens que sur le plan de la forme. Ainsi, le mot livre change de
sens selon le contexte où il peut apparaître : lire un livre (« ensemble de feuilles de papier
imprimé et relié »), le métier du livre (« le travail relatif à l’édition, à la distribution des
livres, etc. »), le livre d’or (« pages blanches reliées destinées à recueillir les remarques, les
noms, etc. des visiteurs »), parler comme un livre (« parler d’une manière affectée ou
recherchée »), etc. Les différentes définitions ci-dessus sont habituellement rangées sous
instances, temporal) sense as their basic meaning and that the other meanings are derived by
metaphor » (1996: 281-282). Conformément à cette optique, la préposition par est définie
dans les dictionnaires comme suit :
5 A. Lieu : par exprime un déplacement et est synonyme de à travers, via, au travers de,
dans, etc.
1. par au sens de à travers : Passer par la porte, le couloir. Jeter qqch. / regarder par la fenêtre.
2. par au sens de dans : Courir par les rues. Par le monde. Par monts et par vaux.
3. par (sans mouvement) : Par endroits. Être assis par terre. MAR. A la hauteur de. Se trouver par 30°
de latitude Nord et 48° de longitude Ouest (PRLF).
du côté de, grâce a, par l’intermédiaire de - liste au terme de laquelle on peut s’interroger sur
l’identité propre de par. Aucun commentaire ne vient définir l’unicité du sens de la
préposition après cette liste impressionnante d’équivalences. Qui plus est, cette
caractérisation ne prévient pas des cas où la commutation de par avec les « formes
synonymiques » proposées est impossible : les synonymes proposés par les dictionnaires
ne sont pas toujours substituables à par : Passer par la porte ne signifie sans doute pas
Passer à travers la porte si l’on admet que cela puisse se dire dans un contexte similaire : le
premier implique un passage aisé et sans obstacles et le second présupposerait que la
porte ait été fermée et qu’ensuite elle ait été mise en morceaux pour permettre le
passage. De même, les prépositions pendant, durant et lors de ne peuvent pas remplacer par
dans ses emplois dits « temporels » de façon systématique ; ils nécessitent souvent un
déterminant, comme le montre le test de la commutation dans les exemples (1) et (2) :
16 [1]. Il est sorti (par + *pendant + *durant +* lors de) 10°.
[2.] Voyager (par + *pendant + *durant +* lors de) beau temps.
17 De même, avec ne paraît pas pouvoir remplacer par en (3), (4) et (5). En effet, la
préposition avec présuppose, contrairement à par, un certain « détachement » entre son
régime et le procès global :
18 [3] */ ? Tenir un couteau avec le manche.
[4] *Voyager avec le train.
[5] *Envoyer une lettre avec la poste.
19 Il en va de même pour l’emploi « causal », le « synonyme » proposé à cause de nécessite
obligatoirement un déterminant, ce qui n’est pas le cas avec par :
20 [6]. *Il a fait cela à cause de curiosité / à cause d’envie.
21 et, de toute façon, même dans le cas où un déterminant serait ajouté pour rendre la
phrase plus grammaticale, le sens obtenu ne peut pas paraphraser celui de la
construction en par (Hamma 2006a) :
22 [6]a. ? Il a fait cela à cause de la curiosité, à cause de l’envie.
23 Avec à cause de, la cause peut être attribuée à quelqu’un d’autre à part le sujet :
24 [6.]b. Léa a quitté la salle à cause de la curiosité de Max / à cause de l’envie de Marie.
25 ce qui n’est pas le cas avec par, qui implique nécessairement que le sujet de la phrase est
la « source » de cette cause ; de fait, l’alléguer à quelqu’un d’autre dans le cas de
l’utilisation de par est impossible :
26 [6]b. *Léa a quitté la salle par curiosité de Max / par envie de Marie.
27 Cependant, on peut très bien avoir :
28 [6]b. Léa a quitté la salle par curiosité / par envie.
29 qui signifie que c’est Léa qui est le « siège » de la curiosité ou de l’envie.
30 Quant à la paraphrase grâce à l’action de, elle ne semble fonctionner que dans de rares cas
dans l’emploi dit d’« agent » ; en effet, son sens est marqué positivement et implique un
sujet humain ; de fait, la plupart des exemples ne l’admettent pas :
31 [7] *La Comédie Humaine grâce à l’action de Balzac.
[8.] ?/*Une méthode confirmée grâce à l’action de l’expérience.
[9] ? ? Ecrasement du faible grâce à l’action du fort.
32 Par ailleurs, on peut relever un certain flottement dans les descriptions données en
passant d’un dictionnaire à l’autre ; ainsi, le même exemple est repéré sous des emplois
qui sont - à l’aune de l’intuition, au moins -hétérogènes, que ce soit dans le même ouvrage
ou en passant d’un ouvrage à l’autre. Ainsi, les exemples en [10] :
33 [10] (Arriver, partir, voyager) par terre, par mer, par air, par la voie des airs.
34 sont répertoriés dans le GRLF dans l’emploi « spatial » alors qu’ils figurent sous l’emploi
« instrumental » dans le TLF. Ces chevauchements sont également manifestes dans le
GR&CO qui range les exemples en par selon des emplois doubles ; on y trouve des entrées
où deux emplois sont associés : « agent / cause », « moyen / manière », « lieu /
direction », « raison / motif », « distribution / mesure », etc. Par conséquent, le seul type
de relation que l’on puisse établir entre ces emplois serait un rapport de « ressemblance
de famille », tel que le définit L. Wittgenstein (1986), selon lequel un élément a peut être
associé à un élément c, quand bien même il en serait complètement différent, tout
simplement parce que a est, en l’occurrence, relié à un élément b qui est relié, à son tour,
à c ; de fait, a et c se trouvent reliés d’une façon indirecte, par le biais de b. Mais cette
démarche n’est pas pertinente quand on cherche à établir des nuances sémantiques fines,
puisqu’elle peut très bien permettre d’établir un lien (de type indirect) entre, par
exemple, livre 1 et livre 2, alors que ce sont des homonymes, et mêmes avec d’autres mots
n’ayant rien à voir (cahier, manuscrit, stylo, auteur, photocopie, édition, masse, kilogramme,
mètre, etc.).
35 En revanche, nous pourrions penser que les flottements relevés dans les étiquettes
utilisées (les emplois qui en rappellent d’autres) et les nombreux chevauchements
remarqués sont des indices qui masquent un certain « continuum », une notion qui
parcourt tous les emplois de par, mais qui n’est pas cernée de façon précise et dont la
seule intuition ne peut rendre compte.
36 Quant aux grammaires de référence consultées au sujet du sens de par, elles se limitent à
quelques emplois de la préposition, voire souvent à un seul, les autres se trouvant
dispersés - s’ils y sont tous - à titre de comparaison avec d’autres morphèmes ou d’autres
emplois de façon très sommaire. Ce qui intéresse la syntaxe, en effet, c’est le fait qu’une
construction impose un certain terme, ce qui est le cas de par, largement grammaticalisé,
dans les compléments dits d’« agent » (un complément « vedette » dans les études
générativistes en particulier) - emploi qui, en revanche, apparaît secondaire dans les
descriptions lexicographiques, lesquelles se préoccupent plutôt de définir l’identité
sémantique : dans les différents ouvrages consultés, il vient généralement, du point de
vue de l’ordre, après les emplois « spatial », « temporel », « instrumental » et « causal ».
Et, de toute façon, l’intérêt porté pour l’emploi de par dans le complément d’agent ne
concerne guère le sens de la préposition en soi.
37 Ainsi, les grammaires, tout comme les dictionnaires, ne traitent de par que de façon
partielle et cloisonnée : inutile d’espérer y trouver des réponses concernant la question
de l’unicité du sens de la préposition par.
complétant des verbes de « préhension », comme tenir, saisir, etc. (1999). L’auteur s’est
penchée, en particulier, sur les distributions et les propriétés syntaxiques et lexicales des
trois types de construction ; elle parvient à en établir une description linguistique étayée
par divers tests de transformation syntaxique ; cependant, en ce qui concerne la question
du sens, l’auteur reprend, globalement, les mêmes étiquettes utilisées
traditionnellement ; par exemple, elle parle de sens « spatial », de « préhension » et de
« parties de corps », dans les relations méronymiques, du type Prendre qqn par la main / par
le col / par le bras, etc., et en déduit que par permet de mettre en place une certaine notion
de « possession inaliénable » : quand Paul prend Marie par la main, c’est Marie tout entière
que celui-là prend et non sa main séparément d’elle. D’après l’auteur, le propre de par
serait que l’acte « physique » exercé par le sujet sur une partie du référent de l’objet est
vu comme s’exerçant en réalité sur le tout, ce qui vaut effectivement pour le complément
considéré mais suppose le recours à l’extension métaphorique pour que soit rendu
compte par exemple de prendre quelqu’un par les sentiments / par son faible / par la douceur,
etc. (où il ne s’agit plus de saisie « physique » ni de « partie du corps » ; de plus, on ne voit
pas a priori comment utiliser la définition proposée pour cet emploi dans des exemples
tels que voyager par le train, sortir par beau temps.
58 A l’issue de l’examen des différentes investigations linguistiques disponibles sur par, tant
dans les ouvrages de référence que dans les travaux de linguistique, nous avons pu
circonscrire la tâche qui nous revient, afin de prendre la relève de ces investigations et de
combler les manques. Ainsi, pour soutenir que, dans tous les cas de figure précédents où
apparaît par, il s’agit toujours du même par et que l’on n’a pas affaire à des homonymes, il
faudrait déterminer son signifié propre qui traverse tous ses emplois et qui ne soit
imputable qu’à la préposition elle-même : son identité sémantique.
puisqu’il participe à l’identité lexicale du verbe. En outre, avec par SN, le verbe passer
implique un déplacement dont une partie s’opère dans le lieu couloir mais dont la finalité
est un autre endroit : par le couloir indique donc un « mode d’accès » choisi par quelqu’un
pour parvenir quelque part, et non à proprement parler un « lieu » (il participe à l’idée
d’un moyen adopté pour une certaine fin). Il en va de même de la différence qui se trouve
entre les énoncés en jeter dans [21] :
68 [21] a. Paul a jeté la bouteille.
b. Paul a jeté la bouteille par la fenêtre.
69 Ici, on peut considérer que jeter a le même sens dans les deux cas : « se débarrasser de
quelque chose », ce qui conduit à considérer que par la fenêtre est plutôt un « ajout », et
non un « complément » comme par le couloir en [20]. Cependant par la fenêtre n’a pas le
même rôle qu’un SP en a comme a la poubelle par exemple, qui serait la précision banale
(et d’ailleurs interprétée par défaut en l’absence de spécification) : il confère à jeter la
connotation que l’on ne s’est pas débarrassé de l’objet d’une manière ordinaire,
habituelle. Semblablement au cas précédent, par la fenêtre, n’a pas, ici, trait seulement au
« lieu » : si la fenêtre est bien l’endroit du déplacement de l’objet, par y ajoute, pour son
propre compte, que ce lieu n’est pas conforme à ce à quoi l’on s’attend.
70 On peut faire l’hypothèse, en comparant [20] et [21], que la spécification par le couloir joue
le même rôle : dans Paul est passé dans le salon, le salon indique simplement le terme du
déplacement de Paul ; dire Paul est passé par le couloir signalerait que le couloir est un lieu
relativement inattendu pour parvenir au salon, qu’on se serait attendu que Paul y arrive
autrement, étant donné la situation ou ce que tout le monde fait d’habitude.
71 3.2. Considérons, maintenant, des occurrences véhiculant un rapport sémantique dit de
« temps » :
72 [22]a Il est sorti.
b Il est sorti par 10°.
73 Comme précédemment, on peut admettre que par 10° est un ajout (sortir implique dans les
deux cas que le sujet va dehors, quitte l’intérieur de son logis). Le choix même de
l’exemple par le lexicographe va dans le sens de l’hypothèse ci-dessus convoquant un
contexte particulier (le locuteur trouve que ce n’est pas raisonnable de la part du sujet, il
fait trop froid pour sortir quand on a son âge, quand on est malade, etc.) : par 10° procure
à l’ensemble de l’événement un caractère surprenant. Le confirme le fait que dans ce type
d’emploi, le N de « temps » introduit par par est représenté comme spécifique, par une
modification par un adjectif, un complément de nom ou une relative que l’on ne peut
supprimer sans obtenir une phrase agrammaticale : Max est sorti par une nuit (*E + sans
lune), Léa est allée se baigner par un froid (*E + pareil), Il est sorti se balader par une (*E + belle)
matinée (*E + de printemps), etc. ; en cas d’absence de modification, on a obligatoirement une
expérience directe appartenant à l’énonciation, comme le montre l’emploi du
déterminant situationnel « ce » ; les autres déterminants ne sont possibles que quand le N
est modifié (cf. Il veut aller a la montagne par ce (*le / un) froid / par cette (*la / une) chaleur,
etc.). Ainsi par ne se borne-t-il pas à introduire une simple précision temporelle, comme le
feraient a l’aube, dans la matinée, pendant la nuit : son rôle est de signaler qu’il ne s’agit pas
de n’importe quel jour, matin, temps, et ce dont témoignent les exemples venus sous la
plume des lexicographes, c’est que la circonstance de l’action, en l’occurrence présente
un caractère étonnant, voire scandaleux, en tous cas relativement inattendu : Il est sorti
par 10° implique « il n’aurait pas dû sortir par 10° ».
rapport à Une méthode confirmée : dans ce dernier cas, il n’est pas certain que le lecteur ou
l’interlocuteur rétablirait ce qui justifie le jugement que la méthode est confirmée, le
verbe pouvant n’avoir trait qu’à la parole, au discours (cf. Je confirme ce que vous dites.) :
formuler Une méthode confirmée par l’expérience (en précisant donc le moyen), c’est insister
sur la véracité, la consistance du jugement en spécifiant dans quelles conditions il est
émis (il s’appuie sur l’expérience et non sur de simples discours, qui pourraient être sans
fondement).
82 Il se dégage donc de l’analyse de ces exemples :
1. d’une part, la possibilité de dissocier par de son contexte, en comparant divers énoncés où la
préposition contribue à exprimer des notions différentes mais qui ne lui sont pas spécifiques
(par n’est pas spécialement « spatial » en (20) ou en (21) : l’interprétation locative est plutôt
convoquée par ce qui l’environne dans l’énoncé, puisqu’on passe ou jette quelque chose
forcément quelque part ;
2. d’autre part, la possibilité de lui affecter, par cette dissociation, une identité propre : celle
que l’on peut retrouver quel que soit le contexte, et qui, par conséquent, doit bien être celle
de par, qui est la seule forme commune à tous ces énoncés. D’autres contextes peuvent être
analysés de la même manière, contribuant à étayer cette hypothèse : veuillez entrer par la
porte a quelque chose d’étrange comme invite, si la situation est « normale » ; la formulation
implique une complication qui fait que les choses ne sont pas comme on les attend - par
exemple, l’hôte se trompait et se dirigeait vers une autre ouverture que la porte pour
pénétrer dans la pièce (Hamma 2005). De même, par terre dans Être assis par terre contredit les
attentes du simple Être assis, qui appelle par défaut la situation où le sujet est sur un siège
(Hamma 2006a), et spécifier par le manche dans Tenir un couteau par le manche produit le
même effet que par la poste dans Envoyer une lettre par la poste (le manche désignant la partie
normale du couteau par laquelle on le tient). Le fait de sélectionner un élément particulier
d’un ensemble d’éléments potentiels est une valeur spécifique de la préposition par que
l’on a pu aussi vérifier dans les connecteurs et les expressions polylexicales construits en
par ; on y trouve semblablement une mise en rapport de plusieurs éléments dont un seul (ou
plus) est mis en valeur en se détachant de l’ensemble (Il y a des volcans en activité en Italie ; par
exemple, le Vésuve (Hamma 2004) ; Je suis désolé ; j’ai ouvert votre courrier par erreur ; Il a eu le
travail par le canal de Max ; Je l’ai rencontré par hasard ; etc. (Hamma 2006b) et même dans les
périphrases verbales en par (cf. Il a commencé par peindre les murs du salon ; Il a fini par
manger sa soupe ; etc. où l’énoncé implique une succession de procès, avec un certain ordre :
le SP par VINFINITIF informe de la disposition aspectuelle particulière qui conditionne la
réalisation du procès ; le procès complété par par est opposé à d’autres procès qui viennent
après, avec commencer (après cela, le sujet fera autre chose, par exemple « peindre les murs
de la chambre des enfants » ou « tondre la pelouse », etc.) ou avant, avec finir par VINFINITIF
(avant de manger sa soupe, il faisait autre chose).
83 Le fait d’utiliser par dépasse ainsi la simple information à l’intention d’un interlocuteur
qui ignore tout de la situation ; ce qui est spécifique à par est que, du point de vue du
locuteur, l’interlocuteur se fait déjà une petite idée sur ce qui se passe ou peut avoir tiré
des conclusions selon un certain raisonnement logique, mais sans avoir raison ; il se forge
son point de vue à partir d’un substrat culturel (savoir partagé, doxa, lois naturelles,
principes universels, etc., mais qui peut relever aussi d’un simple accord restreint entre
individus - dont les interlocuteurs). L’information avancée par le locuteur vient s’opposer
à celles qui peuvent apparaître comme évidentes ou normales dans un contexte donné. De
fait, on peut constater que l’utilisation de la préposition par donne souvent à la modalité
actualisée dans l’énoncé un certain aspect d’inattendu, d’anormal - effet de sens que l’on
peut retrouver dans la plupart des emplois de la préposition.
84 Ainsi, aboutit-on à l’hypothèse que la préposition par est susceptible d’une lecture
« polyphonique », selon l’approche d’O. Ducrot : elle ne se contente pas d’introduire le
lieu, le moyen ou l’agent de l’action dans cet emploi, mais elle vient établir une
information qui, du point de vue du locuteur, semble échapper à l’interlocuteur ; soit
parce que cela n’est pas évident (cela sort de ce qui est canonique), soit parce que le
locuteur déduit ou croit que son interlocuteur ne sait pas ou confond tel ou tel aspect. De
fait, la polyphonie telle que véhiculée par par dévoile, en l’occurrence, trois points de vue
(ou, selon les termes de M. Bakhtine (1978 : 156), « voix » ; voir également O. Ducrot
1984) : le premier est explicite, c’est le contenu de l’énoncé tel qu’il est produit par le
locuteur, le second est implicite et peut apparaître dans certaines formes linguistiques (la
question rhétorique, la négation, certains marqueurs d’opposition, etc.) et le troisième,
qui est du même ordre, correspond à celui de l’interlocuteur ou de la doxa, et qui est
écarté par le locuteur.
Conclusion
85 Ainsi, on aura démontré que les divers emplois de la préposition par sont susceptibles
d’un traitement unitaire du fait qu’ils laissent toujours entrevoir l’identité décelée de la
préposition. Dans une occurrence donnée, la préposition par entretient une relation
consubstantielle avec, d’un côté, son régime et, de l’autre, le procès global. La suite P par
R est constituée ainsi d’une « disposition différentielle » (par R) qui renvoie
« négativement » à d’autres dispositions possibles - non réalisées, en l’occurrence - qui
forment avec celle réalisée dans l’énoncé en par un ensemble de dispositions potentielles.
Notons que le fait de sélectionner un élément d’un ensemble et d’exclure les autres (qui
sont toujours présents négativement dans l’énoncé) procure souvent à l’énoncé le
caractère d’une « non-évidence » de la disposition par R : du point de vue du locuteur, les
dispositions écartées paraissent plus canoniques que celle que valide l’énoncé.
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaires
PRLF : Petit Robert de la langue Française, Dictionnaires le Robert, VEUF (1994). LLF : Littré de la
langue française, Emile Littré (1872).
GRLF : Grand Robert de la langue française, tome III, Canada S.c.c., Montréal (1992).
GR & CO : Grand Robert & Collins électronique, Dictionnaires le Robert, VEUF (2003).
RE : Robert Electronique, Dictionnaires le Robert, VEUF (2001). TLF : Trésor de la langue française,
NOTES
1. Le premier qui a introduit les études sémantiques en linguistique.
RÉSUMÉS
Badreddine Hamma établit à propos de par la doxa telle que répercutée dans le discours
lexicographique et les travaux linguistiques de diverses obédiences ; l’évaluation critique de ces
descriptions permet, dans un cadre théorique et méthodologique différent, de proposer une
hypothèse unitaire pour l’identité de la préposition : le point commun à l’ensemble des énoncés
observés est que par introduit un complément dont le référent est inattendu par rapport à toutes
les potentialités associées au sujet (Paul est entré dans la pièce par la fenêtre est ainsi plus naturel
que Paul est entré dans la pièce par la porte, ce dernier énoncé décrivant la situation prototypique
attendue de l’entrée dans une pièce).
AUTEUR
BADREDDINE HAMMA
Université Paris X-Nanterre et CNRS-UMR 7114 (MoDyCo)