20 Henri Ier - Les Rois de France
20 Henri Ier - Les Rois de France
20 Henri Ier - Les Rois de France
Histoire
des Rois de France
HENRI ier
Fils de Robert II
1031-1060
Pygmalion
IVAN GOBRY
Histoire
des Rois de France
HENRI ier
Fils de Robert II
1031-1060
Pygmalion
© 2008 Pygmalion, département de Flammarion
Dépôt légal : février 2008
Saint François d'Assise, Seuil, 1957 (76e mille), traduit en sept langues.
Les Moines en Occident.
Édition italienne, 6 volumes (1991-2000).
Édition française, 5 volumes (1985-2005).
Couronnée par l'Académie française.
Sainte Marguerite-Marie, Téqui, 1989.
Les Martyrs de la Révolution française, Perrin, 1989.
Prix de l'Union des Intellectuels indépendants.
Saint Bernard, La Table Ronde, 1990.
Grand Prix de la ville de Troyes.
Rancé, L'Âge d'Homme, 1991.
Joseph Le Bon, ou la Terreur dans le Nord de la France, Mercure de France, 1991.
Dictionnaire des martyrs de la Révolution, ARGÉ, 1990.
L'Église immolée, ARGÉ, 1990. Épuisé.
Deux papes champenois : Urbain II, Urbain IV, Troyes, Cahiers bleus, 1994.
Mozart et la mort, Thionville, Le Fennec, 1994.
Le Procès des Templiers, Perrin, 1995.
Couronné par l'Académie française.
Clovis le Grand, Régnier, 1995. Épuisé.
Saint Martin, Perrin, 1996.
Frédéric Barberousse, Tallandier, 1997.
Angèle de Foligno, Éd. F.-X. de Guibert, 1998.
Guillaume de Saint-Thierry, Éd. F.-X. de Guibert, 1998.
Le Baptême de l'Angleterre, Éd. Clovis, 1998.
Les Premiers rois de France. La Dynastie des Mérovingiens, Tallandier, 1998.
La Civilisation médiévale, Tallandier, 1999.
Charlemagne, Le Rocher, 1999.
Les Capétiens, Tallandier, 2001.
Louis XI, Tallandier, 2001.
Charles VII, Tallandier, 2001.
Mathilde de Toscane, Éd. Clovis, 2002.
Saint François d'Assise, Tallandier, 2003.
Saint Thomas d'Aquin, Salvator, 2005.
La Gloire des Capétiens, Éd. Godefroy de Bouillon, 2007.
Sommaire
Identité
Copyright
Couverture
DU MÊME AUTEUR
II - L'AFFAIRE BÉRENGER
II - DERNIÈRES CAMPAGNES
III - LA SUCCESSION
II - L'ÉCONOMIE
III - LA CULTURE
IV - LES FONDATIONS RELIGIEUSES
ANNEXES
CHRONOLOGIE
NOTICES BIOGRAPHIQUES
TABLEAUX GÉNÉALOGIQUES
BIBLIOGRAPHIE
AU TEMPS DU PÈRE
(1001-1031)
I
Henri ier est né en 1009[1]. Son père, Robert II, dit le Pieux, régnait
depuis treize ans. Il était le fils d'Hugues Capet, et ainsi l'un des
fondateurs de la dynastie capétienne.
Il ne faut pas d'ailleurs s'illusionner sur le qualificatif de capétien
donné à ce Robert. S'il est chiffré Robert II, c'est parce qu'il y a eu un
Robert ier avant Hugues Capet, qui a régné en 922-923, et dont Hugues
est le petit-fils. Ce premier Robert fut un roi élu par les Grands du
royaume pour remédier à l'incapacité du Carolingien Charles III le
Simple. Il était donc roi véritablement, ayant été choisi par les
représentants de la nation, puis sacré par l'autorité ecclésiastique. Ainsi
en avait-il été pour son frère aîné Eudes, comte de Paris et duc des
Francs, c'est-à-dire de Francie, qui avait régné glorieusement de 888 à
898. Ainsi en fut-il pour son gendre Raoul, qui lui succéda de 923 à
936.
Hugues le Grand, fils de Robert ier, avait refusé la couronne que
lui offraient les Grands. À la mort de son beau-frère Raoul, il avait fait
retourner cette couronne de France à la dynastie carolingienne dans la
personne du fils de Charles III, Louis IV d'Outremer, qui l'avait
transmise à son propre fils Lothaire, et celui-ci à son fils Louis V ;
lequel fut le dernier Carolingien sur le trône de France ; quand il
mourut, en 987, les Grands élurent pour lui succéder le fils d'Hugues le
Grand, Hugues Capet. Et Hugues Capet transmit sa couronne en 996 à
son fils Robert.
Les historiens modernes, quelque peu contestataires envers
Eudes, Robert ier et Raoul, qu'ils tendent à considérer comme des
usurpateurs, préfèrent les inclure dans la dynastie éphémère des
Robertiens, pour inaugurer la nouvelle dynastie à Hugues Capet.
Robert II, à ce compte, est le second des Capétiens ; en réalité, sa
numérotation, qui marque sa continuité avec les Robertiens, en fait le
cinquième souverain de la dynastie capétienne.
Sa dynastie étant toute nouvelle, et par le fait même fragile,
Hugues Capet avait voulu assurer sa continuité en faisant sacrer son
fils Robert de son vivant, et l'année même de son propre sacre, en 987.
Ainsi, dès que son père eut rendu l'esprit, Robert II se trouva roi, sans
contestation, et aussi sans partage. Les Carolingiens, imitant en cela les
Mérovingiens, avaient à leur décès partagé leur royaume entre leurs
fils. Du moins ce rite avait-il été repoussé avec les derniers souverains
de la dynastie ; seuls les fils aînés de Lou75
is d'Outremer et de Lothaire avaient régné. C'était introduire dans
la succession le droit de primogéniture.
La leçon ne fut pas perdue par les Capétiens. Robert II fut
l'unique fils d'Hugues Capet ; il n'avait pas à craindre la partition du
royaume à son désavantage ; simplement l'opposition des Grands.
Mais Robert eut quatre fils. Dès 1017, à l'exemple de son père, il avait
fait sacrer son fils aîné Hugues, dédommageant le cadet Henri en lui
assurant le titre de duc de Bourgogne ; c'était le début du système des
apanages, fiefs dévolus aux princes de sang, sans cesser d'appartenir à
la couronne. Quant aux deux autres fils de Robert le Pieux, Robert et
Eudes, aucune terre ne leur était promise pour le moment. Or, celui qui
devait être un jour Hugues II mourut à l'âge de dix-huit ans, du vivant
même de son père. Ce dernier, persévérant dans sa volonté de
succession par primogéniture, fit sacrer deux ans plus tard, en 1027,
son second fils, Henri.
Henri ier est le fils de la troisième femme de Robert le Pieux,
Constance d'Arles. Robert adopta une politique matrimoniale
incohérente. Du vivant même de son père (mais c'était alors la volonté
paternelle), dès 988, il épousa Rozala, fille de Bérenger II, roi d'Italie.
L'explication de ce choix est probablement qu'Hugues Capet voulait
unir sa lignée à celle des Carolingiens ; Rozala, appelée par les siens
Suzanne, se trouvait être la descendante directe de Louis le Pieux, par
la fille de celui-ci, Gisèle ; et ainsi, arrière-petite-nièce de Charles II le
Chauve, elle comptait parmi ses ascendants directs l'empereur
Bérenger ier.
Une alliance matrimoniale avec la lignée carolingienne n'était
pourtant ni flatteuse ni profitable. En France, la dynastie était
définitivement éteinte. Son dernier rejeton, Louis V, était mort
misérablement et sans postérité en 987 ; c'était la descendance de
Robert ier qui lui succédait glorieusement. En Germanie, les petits-fils
de Louis ier, lui-même fils de Louis le Pieux, s'étaient éteints tour à tour
sans héritiers et sans prestige, rois sur les lambeaux de territoires qui
leur avaient échu en partage. Ils étaient remplacés maintenant par une
dynastie nouvelle, issue du duc Otton de Saxe. Le fils de celui-ci,
Henri l'Oiseleur, avait été élu roi par les Grands de Germanie en 919 ;
et son fils Otton ier le Grand, qui lui avait succédé en 936, s'était fait
couronner vingt-six ans plus tard empereur d'un nouvel État, le Saint
Empire romain germanique. C'était maintenant cette nouvelle dynastie
qui était à courtiser ; et les deux dynasties françaises l'avaient montré
aussitôt : chez les Carolingiens, Louis IV d'Outremer s'était uni à une
sœur d'Otton le Grand, Gerberge ; chez les Capétiens, Hugues le Grand
avait épousé son autre sœur, Hedwige. Hugues Capet se trouvait ainsi
le fils d'Hedwige de Germanie et le cousin germain de l'empereur
Otton II. Il n'y avait donc pas d'alliance matrimoniale à chercher de ce
côté, sous peine de consanguinité. Mais les Carolingiens d'Italie,
descendants de l'empereur Bérenger, n'étaient plus rien non plus. Au
roi Bérenger II d'Italie, père de Rozala, avait succédé Otton le Grand,
qui s'était approprié ce trône.
Surtout, d'un point de vue tout humain, le mariage de Robert II de
France avec Rozala constituait une monstruosité. Au moment des
noces, cette femme était une veuve. Elle s'était mariée en 967 (vingt
ans plus tôt) avec le comte Arnoul II de Flandre, auquel elle avait
donné pour successeur Baudouin IV le Barbu. Cette veuve n'avait pas
moins de trente-cinq ans ; et on la jetait dans les bras d'un prince qui en
avait seize et auquel elle devait en outre assurer une descendance.
C'était la raison d'État.
Cette raison était-elle si solide et si déterminante ? Hugues Capet
constata qu'il n'en était rien. Et le jeune héritier plus encore,
probablement. Les chroniqueurs nous disent laconiquement qu'il
« renvoya » son embarrassante épouse, sans fournir de mobiles, de
motifs ou de prétextes. On reste surpris de voir comment cet
événement royal s'exécuta à la sauvette. Comment Robert se
débarrassa-t-il de Suzanne sans provoquer l'excommunication,
sentence dont il serait expressément menacé pour son second
mariage ? Il est possible que les deux rois, père et fils, aient prétexté un
lien de consanguinité ; mais la double généalogie ne nous en fournit
aucun. Peut-être, malgré cette absence, quelques prélats complaisants
consentirent-ils à en invoquer un ; mais nous ne trouvons aucune
mention du fait chez les historiens du temps. La cour de Rome elle-
même n'intervint pas. Eut-elle seulement connaissance de cette
répudiation ? Eut-elle même connaissance du mariage, opéré fort
discrètement ? Mariage et répudiation eurent lieu en 988 et 989, années
durant lesquelles le pape Jean XV se trouvait bousculé et réduit à
l'inaction par les luttes entre factions romaines. Était-il informé des
événements de Paris ?
Robert le Pieux ne reçut ainsi aucune progéniture de la reine
Rozala. Une nouvelle union était nécessaire pour obtenir ce souhait de
tous les rois. Habituellement, ce sont eux qui marient leurs fils. Cette
fois encore, ce fut Robert qui se chargea du choix. Un choix
commandé non pas par la raison politique, mais par l'attrait ; et plus
qu'un attrait : par la passion amoureuse. Il jeta à nouveau son dévolu
sur une veuve : Berthe de Bourgogne.
Leurs amours avaient commencé peu avant la mort du roi
Hugues, en mars 996. Certes, Berthe était une véritable Carolingienne,
petite-fille de Louis IV d'Outremer par sa mère Mathilde ; et elle avait
donné des preuves de sa fécondité. Mais un éventuel mariage était
grevé de deux empêchements canoniques. D'une part, Robert était le
parrain d'un des enfants de Berthe, ce qui les faisait compère et
commère ; d'autre part et surtout, les deux amoureux étaient frappés de
consanguinité, descendant du même arrière-grand-père, le roi
Henri ier de Germanie. Celui-ci avait eu deux filles : Gerberge, devenue
la grand-mère de Berthe ; et Hedwige, mère d'Hugues Capet, devenue
la grand-mère de Robert le Pieux. La répudiation de Rozala, quasi
inaperçue, n'avait pas provoqué les foudres du clergé ; mais, cette fois,
elles ne se firent pas attendre.
Au lieu de rompre, les deux amants s'installèrent dans une liaison
concubinaire. Hugues Capet mourut quelques mois plus tard, et Robert
espéra un arrangement avec l'Église. Quel évêque consentirait à les
unir ? Après avoir subi un refus de Gerbert, archevêque de Reims, puis
de Seguin, archevêque de Sens, ils trouvèrent enfin un prélat
compréhensif dans la personne d'Archambaud, archevêque de Tours,
qui leur donna discrètement la bénédiction nuptiale. Aussi discrète que
fût celle-ci, la nouvelle en parvint au pape Grégoire V. C'était un
pontife zélé et délivré des sujétions italiennes, car son grand-oncle
Otton II et son oncle Otton III avaient apporté l'ordre à Rome et dans la
péninsule. Grégoire convoqua aussitôt un concile, qui somma Robert
de renoncer à Berthe sous peine d'excommunication[2]. Des ambassades
successives tentèrent vainement de fléchir le pape, qui s'apprêtait à
frapper les récalcitrants quand il trépassa, en février 999. Il fut
remplacé par l'aimable Gerbert, devenu Sylvestre II, qui usa, lui, de
longanimité, et attendit avec patience la soumission des réprouvés. De
fait, en 1001, objets du mépris des Grands et du peuple, Robert et
Berthe se séparèrent.
Pendant les trois années de leur liaison, ils n'avaient obtenu
aucune progéniture. C'eût été d'ailleurs inutile pour la dynastie, car un
fils issu de leur union eût été réputé illégitime, et ainsi incapable de
régner. Il fallait donc au jeune roi prendre une troisième épouse,
légitime, féconde et d'une noblesse suffisante. Il ne la trouva qu'en
1003. Il avait trente et un ans. Il n'y avait plus guère de Carolingiennes
à épouser, sous peine encore d'excommunication ; le roi devait se
résigner à choisir parmi les filles de ses vassaux.
Il opta pour celle d'un vassal lointain et de faible importance, le
comte Guillaume d'Arles, en fait dépendant du roi d'Arles ou de
Bourgogne. Elle s'appelait Constance. Le mariage eut lieu aussitôt. La
reine ne manifesta pas tout de suite sa fécondité. Mais, quatre ans après
cette union, elle donna naissance tour à tour à quatre princes : Hugues
(1007), Henri, le futur roi (1009), Robert (1011), Eudes (1013 ou
1014) ; et à une princesse, Adélaïde. La succession au trône était
constituée.
1. Cette petite erreur du moine historien a incité certains historiens modernes à faire de Constance une fille de Guillaume ier,
duc d'Aquitaine. S'il en avait été ainsi, elle aurait eu un empêchement canonique majeur à son mariage avec le roi Robert ; celui-ci
était en effet le fils d'Adélaïde d'Aquitaine, sœur de Guillaume.
2. Il s'agit ici du duché, non du royaume.
3. Histoires, III, 9.
III
VERS LA ROYAUTÉ
(1017-1027)
« Ayez pitié, Seigneur, de ceux qui sur terre sont [dans l'affliction,
Si les larmes allègent leur profonde douleur
Et si leur chagrin s'exprime dans les gémissements,
Puisque la mort nous arrache à l'humanité…
Une mort funeste a enlevé celui-ci aux hommes ;
Aucun autre ne brillera en notre temps
Admiré des royaumes, réclamé par l'Empire,
Qui s'honore de si hautes victoires dans la guerre
Et soit son égal par la force de son corps.
Par lui, la nation des Francs prospérait dans la joie,
L'espérance et la paix régnaient sur toute la Gaule…
Mais notre temps, ô le plus beau des jeunes hommes,
Hélas ! Hélas ! n'était pas digne de toi…
Maintenant, ô très bon Seigneur de tous les temps, choisissez-en un autre
Qui sache gouverner la nation des Francs à l'abri de tous les dangers
Et soit capable de repousser ses redoutables ennemis. »
1. Chroniques, 41.
DEUXIÈME PARTIE
LES CONVULSIONS
Eudes de Blois n'était pas calmé. On peut même dire qu'il était
plus insatiable, plus ardent, plus insatisfait, plus agressif que jamais.
La mort de Robert le Pieux n'avait sur ses sentiments aucun effet
sédatif. Son ennemi n'était pas Robert le Pieux, c'était la monarchie. Il
n'admettait pas de suzerain, car il n'admettait pas de limitation à sa
puissance.
C'était pourquoi il voulait sans cesse amplifier ses domaines. En
1016, il envahit les terres de Foulques Nerra, comte d'Anjou. En 1019,
il mena contre lui une campagne féroce. En 1023, malgré l'opposition
du roi, il occupait militairement les comtés de Troyes et de Meaux,
enserrant ainsi avec ses terres de l'ouest le domaine royal. En 1030, il
soutenait militairement le prince Henri dans sa lutte contre son père.
Maintenant qu'Henri était devenu roi régnant, il ne faisait plus figure
d'allié mais d'adversaire.
À ce moment, sa cible n'était pas le roi de France, dont il n'avait
plus rien à espérer. C'était l'empereur germanique, devenu son
compétiteur pour la succession de la couronne de Bourgogne dont il se
prétendait l'héritier.
Le royaume de Bourgogne, entité fluctuante, avait connu bien des
vicissitudes, et n'était guère viable, entouré des royaumes de France, de
Germanie et d'Italie. Il avait été fondé par Rodolphe (Rudolf) ier, fils du
comte Conrad d'Auxerre ; à l'anarchie qui avait suivi, en 888, la mort
de l'empereur Charles le Gros, il s'était proclamé roi de la Petite
Bourgogne, ou Bourgogne transjurane, et il s'était fait sacrer à l'abbaye
Saint-Maurice d'Agaune, dans le Valais. Ce nouveau royaume
comprenait ce que sont actuellement la Suisse occidentale (les cantons
romands), la Franche-Comté et la Savoie. Le souverain résidait à Orbe,
dans l'actuel canton de Vaud, où Brunhilde, reine de la Bourgogne
mérovingienne, possédait autrefois une villa. Les empereurs
germaniques, loin d'accabler ce parvenu, le tolérèrent. Arnulf le
reconnut dès 894.
Rodolphe ier eut pour successeur son fils Rodolphe II. Celui-ci
épousa Berthe, fille de son principal adversaire, le duc Burkhard de
Souabe. En 921, les seigneurs italiens, mécontents du roi Bérenger,
vinrent lui offrir la couronne d'Italie. Il entra à Pavie, où l'archevêque
de Milan le couronna roi. Hugues, comte de Provence, lui disputa son
trône ; finalement, quand ils firent la paix, Hugues devint roi d'Italie en
abandonnant la Provence à Rodolphe. Celui-ci avait maintenant un
royaume qui s'étendait jusqu'à la mer. Il s'intitula roi d'Arles et de
Bourgogne, ou encore roi des Deux Bourgognes. Le royaume de
Gontran et de Brunhilde était ressuscité.
Rodolphe II mourut en 937 et eut pour successeur son fils Conrad,
dit le Pacifique. Il épousa en 958 Mathilde, fille de Louis IV
d'Outremer et sœur du roi de France, Lothaire. Il en eut au moins trois
enfants ; et c'est ici qu'il faut prêter attention à cette généalogie.
L'unique fils fut Rodolphe III, qui devait mourir sans postérité. La fille
aînée, Berthe, épousa Eudes ier, comte de Blois ; elle en eut trois fils :
Thibaud, qui fut comte de Blois de 995 à 1000, et mourut sans
progéniture ; Eudes II, qui lui succéda, et Robert. La fille cadette,
Gerberge, se maria à Hermann, duc de Souabe ; ils eurent pour fille
Gisèle, qui épousa Conrad le Salique, duc de Franconie, lequel fut élu
roi de Germanie en 1024 pour succéder à Henri II, puis couronné
empereur du Saint-Empire en 1027 par le pape Jean XIX.
Rodolphe III, sachant qu'il devait mourir sans descendants,
institua le roi Conrad pour son héritier. Aussi, en 1032, quand il
décéda, Conrad se déclara roi de Bourgogne.
Eudes de Blois protesta aussitôt. Il fit valoir qu'un roi ne pouvait
disposer de l'héritage de son royaume en ignorant l'ordre naturel de la
succession. Or, Conrad le Salique n'était que l'époux d'une petite-fille
du roi Conrad de Bourgogne ; il n'en était pas le descendant direct.
Eudes, lui, était le fils d'une fille de roi ; il en était descendant direct, et
même masculin, par la fille aînée, alors que la femme de Conrad était
issue de la fille cadette. Aucun doute n'était possible : en instituant
Conrad le Salique pour son héritier, Rodolphe III avait dépassé ses
droits et violé les lois de son royaume.
Conrad était allé très vite. Il avait pris possession du royaume de
Rodolphe avant que le comte de Blois ait pu réagir : il était roi sacré, et
ne pouvait plus revenir en arrière. D'ailleurs, l'aurait-il pu qu'il ne
l'aurait pas fait : en succédant à son grand-oncle, il reconstituait
l'empire de Lothaire, que ce fils de Louis le Pieux avait reçu par le
traité de Verdun. Les trois royaumes, Germanie, Italie, Bourgogne sous
un même souverain, c'était vraiment la constitution du véritable Saint
Empire romain germanique, que le grand Otton n'avait pas établi
complètement. Il n'était donc pas question de transiger.
Eudes, n'abandonnant pas ses projets et cherchant à gagner du
temps, proposa une transaction : Conrad demeurait roi nominalement
et gardait la possession du royaume ; mais lui, Eudes, était reconnu
comme roi bénéficiaire et administrait le territoire. C'eût été pour
l'empereur une renonciation à ses prérogatives ; il repoussa tout
accommodement. C'était ce qu'attendait Eudes, qui avait eu le temps
de recruter des troupes. Il se trouvait alors dans son comté de Troyes ;
à marches forcées, il traversa la Lorraine et parvint au cœur de la
Haute-Bourgogne, où se trouvent maintenant les cantons suisses de
Vaud et de Neuchâtel. Il s'y fit reconnaître et peupla les places fortes de
garnisons.
Informé de cette invasion, Conrad leva des troupes et s'avança à
Strasbourg pour y célébrer les fêtes de Noël de 1032 ; puis il pénétra
en Bourgogne, autant pour y signaler sa présence que pour recueillir
l'approbation des seigneurs et de la population. Il séjourna à Soleure et,
en février 1033, réunit une diète à Payerne, près du lac de Neuchâtel.
Wippo, biographe de Conrad, nous a laissé le récit de la campagne qui
suivit :
« Les Grands et le peuple de Bourgogne l'acclamèrent… Il
entreprit aussitôt le siège des places fortes dont le comte de Troyes
s'était emparé. Mais la rigueur du froid qui sévissait alors devint un
obstacle invincible… Durant le siège du château de Morat, il gelait si
fort durant la nuit que, au matin, les pieds des chevaux ne faisaient
plus qu'un avec le sol ; les animaux étaient contraints de rester
immobiles jusqu'à ce qu'on eût cassé la glace à coups de hache. »
Dans l'incapacité de poursuivre sa campagne, Conrad fit retraite
jusqu'à Zurich, se réservant de reprendre les hostilités au printemps si
l'ennemi s'obstinait. Il s'obstina : les rigueurs de l'hiver terminées,
Conrad apprit que le comte de Blois n'avait pas quitté la Bourgogne. Il
leva une nouvelle armée et, en deux mois, reprit toutes les places dont
Eudes avait pris possession.
Hypocritement, le comte demanda la paix. Mais, dès que le roi
germanique eut regagné sa capitale de Ratisbonne, on apprit que le
comte Eudes avait à nouveau pénétré avec ses troupes en Bourgogne.
Nombre de seigneurs, et même les habitants de certaines villes, le
reconnaissaient comme roi.
Conrad resurgit. Il commença par se faire reconnaître comme roi
légitime par un certain nombre de Grands dont il redoutait la sécession,
particulièrement l'archevêque de Lyon et le prince de Genève. Puis il
reprit la route du nord et donna victorieusement l'assaut à la citadelle
de Morat. Pour punir les habitants, il les mit en captivité et les déporta.
Les petits seigneurs de la région qui avaient reconnu Eudes, saisis de
frayeur, s'enfuirent ; mais les hommes de l'empereur les poursuivirent,
les capturèrent et les chassèrent du royaume. Les autres vinrent faire
piteusement leur soumission.
Eudes avait perdu. Du moins, pensait-il, momentanément. Il ne
désespérait pas de se lancer dans une nouvelle offensive, victorieuse
cette fois. Il attendait pour cela que l'empereur fût occupé au loin.
L'agitation antigermanique sévissait en Italie du Nord, et les peuples
slaves s'agitaient sur le Danube et l'Elbe. De fait, l'empereur employa
l'année 1034 à guerroyer. Les Liutizes, ethnie slave de la Baltique,
avaient pénétré en force dans le Holstein. Les Saxons, maintenant
intégrés à la Germanie sous forme d'un duché héréditaire, avaient
peine à lutter contre eux. Conrad accourut et, pendant que les intrus
semblaient disparaître, éleva une forteresse à Verden, où il logea une
garnison. Puis il retourna en Franconie. Dès qu'il eut le dos tourné, les
Liutizes réapparurent, s'emparèrent de la forteresse et massacrèrent la
garnison. L'empereur dut accourir et entamer une reconquête féroce du
territoire.
Ces campagnes sur l'Elbe avaient occupé toute l'année 1035.
Eudes de Blois, dès leur début, attendait leur prolongation, et surtout
un signe lui permettant de reprendre la conquête. Ce signe, il le vit
dans un message que lui adressait Héribert, archevêque de Milan, l'un
des plus tenaces opposants de Conrad en Italie du Nord ; ce puissant
prélat offrait au comte de Blois d'occuper le trône d'Italie. Pour Eudes,
il n'en était pas question ; mais cette invitation l'assurait de la fragilité
du pouvoir de l'empereur germanique. Puisque, aux deux extrémités de
l'Empire, les peuples s'agitaient et contestaient, provoquant des
interventions qui éloignaient le souverain de la Bourgogne, il était
temps de s'emparer de celle-ci.
De fait, au printemps de 1036, après avoir soumis les Liutizes,
Conrad, avec une nouvelle armée, passait les Alpes pour mettre de
l'ordre en Italie. Ce fut le signal pour Eudes. Il commença par
soumettre le Nord du royaume bourguignon ; et quand l'ensemble des
seigneurs locaux eut reconnu son autorité, il descendit la vallée du
Rhône, reçut l'hommage de Lyon, mais se heurta à Vienne, dont il dut
faire le siège. Quand la ville eut ouvert ses portes, il s'estima maître de
la Bourgogne et décida de s'en faire couronner roi. Dangereusement, il
préféra obtenir d'abord de nouveaux succès. Comme si sa situation
confortable en Bourgogne ne lui suffisait pas, il résolut de s'attaquer à
la Lorraine.
La première place importante sur son chemin était Toul. Il la
somma de se livrer à lui. Mais la garnison était sous le commandement
de l'évêque Brunon, futur Léon IX, qui organisa la résistance. Le siège
fut une défaite. De rage, l'assiégeant détruisit les faubourgs de la ville :
le bourg Saint-Amand, l'église Saint-Gengoult, les abbayes Saint-
Epvre et Saint-Mansuy.
Devait-il persévérer ? Une nouvelle démarche des Italiens l'y
incita. Il reçut une ambassade des évêques de Milan, de Verceil, de
Crémone et de Plaisance lui offrant la couronne d'Italie. Il accepta. Et
déjà son imagination l'entraînait plus loin : s'il devenait souverain de
deux royaumes de l'Empire germanique, il n'avait plus qu'à prendre
possession du troisième et devenir empereur. Il était sur les rives de la
Moselle. Quelques journées de marche lui livreraient Aix-la-Chapelle.
Dans un délire d'ambition, il répétait à son entourage : « À Noël, je
serai assis sur le trône dans le palais d'Aix. » Il ne voyait pas que le
trône d'Italie lui était offert ; qu'il trouverait là-bas des alliés, des
vassaux, des armées, et qu'à ce moment toutes les chances lui
souriaient pour ce trône ; alors que la Lorraine, qu'il entreprenait de
conquérir, était tout acquise à l'empereur, que ses princes et ses villes
ne sauraient que lui opposer une résistance fatale.
Renonçant à Toul, il assiégea Bar, qui deviendrait Bar-le-Duc ; la
ville se rendit. Il y laissa une garnison de cinq cents hommes, et
entama une marche vers le nord, qu'il supposait victorieuse. Toute la
Lorraine fut sur le qui-vive. L'empereur suivait de l'Italie les
événements. Il chargea Gozlon[1] de prendre la défense du territoire.
C'était un puissant personnage. En 959, Otton le Grand avait partagé
l'ancien royaume de Lotharingie en deux duchés : au nord, celui de
Basse-Lorraine, ou Lothier, comprenant ce que sont aujourd'hui la
Rhénanie-Westphalie et le Bénélux, avec pour villes principales
Cologne et Liège ; au sud, celui de Haute-Lorraine, comprenant la
vallée de la Moselle et la vallée supérieure de la Meuse, avec pour
villes principales Trèves et Metz. Au début de cette guerre entre Eudes
et Conrad, le duc de Basse-Lorraine était Gozlon. En 1033, Frédéric II,
duc de Haute-Lorraine, étant décédé sans progéniture masculine,
l'empereur donna le duché à Gozlon, qui devint ainsi duc des deux
Lorraines.
Le fils de Gozlon était Godefroy le Bossu, qui épousa en
deuxièmes noces Béatrix de Toscane, mère de la fameuse grande
comtesse Mathilde, qui fut la protectrice de Grégoire VII. Et Godefroy
le Bossu fut à son tour le père de sainte Ida, épouse du comte
Eustache II de Boulogne et mère de Godefroy de Bouillon ; lequel,
frère cadet d'Eustache III qui reçut de son père le comté de Boulogne,
reçut de sa mère le duché de Basse-Lorraine.
Ce fut à Gozlon, cet important vassal de l'empereur, que fut
confiée la résistance à l'entreprise d'Eudes de Blois. Le duc visita les
principaux seigneurs de son fief pour leur réclamer leur secours. À
l'évêque Rainard de Liège, il disait de façon pathétique :
« Ce n'est pas seulement la Lorraine qui est en danger, c'est
l'Empire tout entier ; si Eudes l'emporte, nous serons frappés d'un
opprobre éternel. »
Gozlon parvint à former une armée avec les contingents fournis
par Rainard de Liège, le comte Gérard de Namur et l'abbé Richard de
Saint-Vanne. Et il marcha hardiment au-devant du comte Eudes, dont
on lui disait que les hommes étaient beaucoup plus nombreux. Celui-
ci, évitant Verdun, avait pris la route de Metz, dont il projetait sans
doute de s'emparer. L'armée de Gozlon l'atteignit alors qu'il avait peu
progressé. Il empruntait la vallée de l'Orne, rivière qui prend sa source
à la limite orientale de l'actuel département de la Meuse pour aller se
jeter dans la Moselle entre Metz et Thionville. Le gros de ses forces se
trouvait dans une localité du nom de Honol, qui n'a pas laissé de traces,
et que l'on peut situer dans le cours supérieur de l'Orne, probablement
entre Étain et Jarny.
Les deux armées se mirent aussitôt face à face. Eudes était
confiant dans la victoire. Les troupes qui s'opposaient à lui étaient
numériquement inférieures, et elles n'étaient guère expérimentées ; les
siennes étaient aguerries par trois campagnes rigoureuses. Avant
l'affrontement, l'abbé Richard avait célébré la messe, où un grand
nombre de combattants avaient reçu la communion. Il avait prononcé
un sermon où il avait annoncé avec ferveur que les Lorrains
remporteraient la victoire.
Vers neuf heures du matin, en ce mois d'octobre 1037, les
trompettes des deux armées sonnèrent le signal du combat. Le début
fut favorable à Eudes. L'aile gauche des Lorrains, commandée par
Gozlon, fut enfoncée et dispersée. Eudes se rua alors sur l'aile droite,
dirigée par l'évêque Rainard et le comte Gérard. La mêlée fut furieuse.
Gérard fut frappé à mort ; ses combattants fléchissaient. Mais Gozlon,
de façon inattendue, avait rallié les fuyards et attaqua le flanc des
Blésois. Sous l'effet de la surprise, toute une partie des envahisseurs
céda et se disloqua. Eudes, décontenancé, fit faire demi-tour à sa
monture et abandonna ses guerriers.
Ce n'était pas digne d'un chef. Un chevalier lorrain du nom de
Thierry le poursuivit et lui passa sa lance au travers du corps. Près de
lui, Manassès, comte de Dammartin, fut frappé également à mort.
Waleran de Breteuil, atteint au talon, cria à Richard de Saint-Vanne
qu'il se plaçait sous sa protection ; l'abbé, compatissant, le revêtit de
l'habit religieux, et nul n'osa attenter à la vie d'un homme ainsi vêtu.
Transporté à l'abbaye de Saint-Vanne, il y fut soigné par les moines
jusqu'à guérison. Alors, il demanda à prendre l'habit pour de bon. Il fit
ses études de théologie, fut ordonné prêtre et devint abbé à son tour.
Eudes de Blois avait disparu. Le lendemain de l'affrontement, un
groupe de combattants, conduit par l'évêque Roger de Châlons,
parcourut le champ de bataille et trouva son corps, dépouillé par des
pillards et couvert de blessures. On le fit parvenir à la comtesse
Ermengarde, qui présida ses funérailles et son inhumation à l'abbaye
de Noirmoutier. Pendant ce temps, les vainqueurs, ayant ramassé
l'étendard du vaincu, le portaient en Italie à l'empereur Conrad.
Les deux fils d'Eudes II, Thibaud et Étienne, se partagèrent ses
États. Thibaud IV, l'aîné, reçut les comtés de Blois et de Chartres, et les
seigneuries de Châteaudun et de Sancerre, transformées bientôt en
comtés. Ce qui, malgré cet héritage partiel, faisait de lui un puissant et
redoutable vassal. Étienne II, le cadet, eut les comtés de Troyes et de
Meaux.
Thibaud, sans avoir l'ambition démesurée de son père, en avait
l'humeur guerrière. Il avait secondé le prince Eudes dans sa révolte
contre le roi Henri. Vaincu, il reprit les armes en 1039, et subit une
nouvelle défaite. Il tourna sa hargne héréditaire contre Geoffroy
Martel, comte d'Anjou, fils de Foulques Nerra. Geoffroy, ayant refoulé
son adversaire, mit le siège devant Tours. La ville se rendit et Thibaud
fut capturé. Geoffroy ne lui rendit la liberté que contre la cession du
comté de Touraine.
Le vaincu trouva une compensation à l'est. Étienne, son frère,
mourut en 1048, laissant les comtés de Troyes et de Meaux à son fils
Eudes. Thibaud objecta que ce jeune homme était de naissance
illégitime. Après un court conflit, où Eudes fut vaincu, Thibaud
s'empara des deux comtés de son neveu ; lequel continua de se
considérer comme comte de Troyes. Mais il mourut sans postérité,
laissant ainsi son oncle reconstituer l'ensemble territorial formé par
Eudes II de Blois.
1. Ce nom se trouve avec de multiples orthographes : Gozelon, Gozilon, Gauzelon, Gauzlon, Goscelon, Gothelon.
III
LA SUCCESSION DE NORMANDIE
(1045-1052)
I
LE CONFLIT
D'HENRI i AVEC LE SAINT-SIÈGE
er
1. Sylvestre III (janvier-février 1045), Grégoire VI (mai 1045-décembre 1046), Clément II (décembre 1046-octobre 1047),
Damase II (juillet-août 1048). Quatre papes en trois ans et demi.
2. Terme tiré du nom de Simon le Magicien qui, dans les Actes des Apôtres, offrait aux Apôtres de leur acheter le pouvoir de
communiquer le Saint-Esprit.
3. L'administration de la iiie République, pour franciser l'orthographe de cette localité, nous la fait écrire Éguisheim. C'est là
un abus linguistique ; ainsi pour Guebwiller et Haguenau.
4. Ville de la province de Viterbe, à 40 km au nord-ouest de Rome.
5. Luc, XVIII, 29.
6. Il s'agit d'un siège suburbicaire de Rome, épiscopal et cardinalice.
7. Hugues de Langres, Hugues de Nevers, Josfrid de Coutances, Pudicus de Nantes.
8. Rennes, Saint-Malo, Saint-Brieuc, Tréguier, Saint-Pol, Quimper, Vannes.
II
L'AFFAIRE BÉRENGER
1. On trouve un exposé de cette affaire particulièrement détaillé dans Darras, Histoire générale de l'Église, t. XXI, pp. 177 à
219, auquel le présent récit doit beaucoup. Récit détaillé également dans Delarc, Essai historique sur saint Léon IX et son temps,
Paris, 1876 ; et dans Eugène Martin, Saint Léon IX, Lecoffre, 1904.
2. Gilson orthographie Béranger.
3. Biographie universelle, t. IV, Paris, 1811, p. 235, col. 1.
4. Fameux intellectuel irlandais (810-877), professeur à Paris sous Charles le Chauve.
III
LE MARIAGE DE GUILLAUME
DE NORMANDIE
LE SOUCI DE LA SUCCESSION
(1052-1060)
I
ANNE DE KIEV
DERNIÈRES CAMPAGNES
(1052-1060)
Durant ses dernières années de règne, Henri ier trouva encore des
occasions de guerroyer contre ses vassaux. Sans grande bravoure, mais
avec certains desseins politiques.
Sa cible fut d'abord Geoffroy II, dit Martel, comte d'Anjou, dont
l'ambition l'inquiétait. Fils de Foulques III Nerra, dont il reçut le comté
en héritage, Geoffroy épousa Agnès de Bourgogne, veuve de
Guillaume V, duc de Guyenne. De ce fait, il réclama à Guillaume VI,
successeur de son père, la Saintonge, qui faisait partie de ses États. Le
jeune Guillaume protesta que ce mariage ne conférait aucun droit à
l'époux de la veuve de son père. Geoffroy ne tint pas compte de cette
juste allégation, envahit la Saintonge et l'annexa à son comté.
En 1045, il se tourna contre Thibaud IV, comte de Blois, de
Chartres et de Tours, qui avait hérité ces trois comtés de son père, le
fameux Eudes II, tué en tentant de conquérir la Lorraine. Thibaud
n'avait pas l'étoffe de son géniteur. Geoffroy assiégea et prit Tours,
captura Thibaud, et ne lui rendit la liberté que contre la cession de la
Touraine.
Conforté par ces deux succès, Martel convoita le comté du Maine,
au nord de ses États. Cette fois, il espérait profiter d'une succession
difficile. En 1010, Herbert ier, comte du Maine, dit Chien-Éveillé,
décéda en laissant son comté à son fils mineur, Hugues II. Ce fut alors
que Geoffroy Martel vit dans ce comte jeune, célibataire et sans
héritier une proie facile. Il envahit le Maine. Hugues était peu capable
de défendre ses terres ; mais Gervais, évêque du Mans, qui avait déjà
sauvé son héritage, organisa la résistance, et appela à son secours le
suzerain du comte, le roi Henri. Pour plus de succès, sachant Henri
timoré et versatile, il conseilla à Hugues de laisser par testament
l'héritage de son comté au duc Guillaume de Normandie.
C'était frapper à la bonne porte. En 1050, répondant à l'appel et en
mutuelle concertation, Henri et Guillaume levèrent des troupes et les
unirent. Contournant le Maine, ils s'attaquèrent au sud de l'Anjou et
assiégèrent le château de Mouliherne, non loin de Saumur. Henri alors,
voyant dans le duc de Normandie un général expérimenté, se contenta
de cette promenade militaire, fit demi-tour, laissant son associé prendre
le château.
Pendant ce temps, peu effrayé de voir ses adversaires enlever ses
forteresses, Martel continuait sa conquête du Maine et s'emparait du
Mans. L'évêque Gervais s'enfuit et se réfugia auprès de Guillaume.
Geoffroy, au lieu d'aller défendre l'Anjou, poursuivit son avancée vers
le nord, pénétra en Normandie, prit Alençon et Domfront. Cette fois,
Guillaume accourut et mit le siège devant Domfront. Après quelques
mois de vains efforts pour réduire la place, il apprit que Geoffroy
faisait route vers les assiégeants. Il allait donc être pris entre deux
feux : les assiégés et les assiégeants des assiégeants. Il tenta une
curieuse échappatoire. Il fit porter à son ennemi un défi en forme : un
duel en champ clos. Pas besoin de décimer les troupes de vaillants
guerriers : les deux chefs se mesureraient l'épée à la main, et le
vainqueur serait déclaré maître de Domfront. Martel accepta. Les deux
armées attendaient impatiemment ce combat de deux capitaines
renommés, deux forces de la nature, chacune craignant en même temps
de voir succomber son propre champion. Au matin du rendez-vous,
Guillaume était là ; Geoffroy était absent. Il s'était dérobé.
Guillaume s'emporta. Il laissa l'un de ses adjoints mener à bien le
siège de Domfront et marcha contre Alençon. La place s'était mise en
état de défense et ne voulut rien savoir aux sommations. Le duc prit
alors d'assaut un faubourg et l'incendia. Puis, pour convaincre les
récalcitrants, il choisit la méthode la plus cruelle ; il amena sous les
remparts trente-deux hommes, nobles ou bourgeois, capturés dans le
faubourg, et leur fit trancher les pieds et les mains sous les yeux des
défenseurs. L'horreur décida ceux-ci ; la ville se rendit. Quelques mois
plus tard, Domfront céda. Guillaume avait récupéré la partie de son
duché conquise par Geoffroy Martel.
Le duc avait pourtant encore un compte à régler avec l'un de ses
vassaux. C'était Robert de Courserault, qui s'était allié à Geoffroy
Martel pendant cette petite guerre. Il avait à cet effet fortifié ses deux
châteaux de Saint-Céneré et de la Roche d'Igé. Guillaume vint les
assiéger. Pendant le siège, Robert mourut soudain à Saint-Céneré après
avoir enduré de vives douleurs. On parla de poison. Orderic Vital
prend cette explication très au sérieux. Il raconte que, avant de s'aliter
pour cette maladie mortelle, le châtelain avait mangé deux pommes
que lui offrait sa femme ; or, celle-ci était une cousine du duc. Mais si
le duc était cruel, il l'était avec violence, non avec des procédés
sournois. On ne le voit guère supprimer un vassal par le poison. De
toute façon, cette suppression n'offrait pas une solution militaire ; car
Robert fut remplacé à Saint-Céneré par son neveu Ernaut, qui prit en
main la résistance avec vigueur. Considérant qu'un siège prolongé
n'était guère avantageux, Guillaume choisit un procédé supérieur au
poison : il promit au vassal, contre sa reddition, son pardon sans
condition. L'autre, heureux de s'en tirer à si bon compte, plia le genou
devant son seigneur et l'assura de sa fidélité.
Mais le vent tournait du côté du trône. Le roi Henri, toujours
imprévisible, allait prendre parti contre son plus dévoué vassal. Et pour
une affaire somme toute frivole. Richard II, grand-père du bâtard, avait
constitué pour son frère Guillaume, lui-même bâtard, le comté d'Eu.
Ce Guillaume mourut très âgé en 1050, laissant le comté à sa femme et
à ses fils, lesquels étaient donc des cousins du duc actuel. Mais celui-ci
convoitait le comté d'Eu, et surtout le château, forteresse importante à
la frontière de ses États. Sans égards et sans concertation, il chassa la
veuve et ses fils et s'empara du comté.
Le second fils du défunt, Guillaume Busac, n'avait pas accepté
cette dépossession. Il attendait l'heure de reprendre son bien. Elle vint
deux ans plus tard, quand il constata que le duc avait allégé la garnison
du château ; il survint donc avec une troupe d'hommes d'armes et s'en
empara. C'était puéril : il n'ignorait pas que son suzerain disposait de
forces amplement supérieures. Ce qui devait arriver arriva : d'un seul
assaut, le duc s'empara du château d'Eu et condamna Busac au
bannissement. Et pour faire bonne mesure, il appela Robert, frère de
Busac, et le constitua vicomte d'Eu. Ainsi, le révolté était puni, le
docile était récompensé, et la famille reprenait ses droits.
Busac se réfugia auprès du roi Henri, dont il était l'arrière-vassal.
Pas exactement en fait, car, en tant que cadet, il n'était pas l'héritier du
comté. Mais, étourdi ou querelleur, Henri fit de Guillaume Busac un
vicomte de Soissons, comté qui avait beaucoup plus d'importance que
celui d'Eu. Ce qui constituait une injure à l'égard du duc Guillaume.
Comprenant un peu tardivement qu'il venait de se brouiller avec
un vassal puissant et vindicatif, le roi tint à se prémunir par un
renversement d'alliances. En cette même année 1052, il réclama à
Geoffroy Martel une entrevue et conclut avec lui un traité de paix. Ce
n'était pas assez pour vaincre Guillaume en cas de guerre. Henri tint à
s'assurer des complicités au sein même du duché. C'était facile avec
certains seigneurs contestataires, toujours avides de conjurations et de
mauvais coups. Henri gagna sans effort à sa cause le comte Gui
d'Arques, frère de Robert le Magnifique et oncle du duc actuel, dont il
était l'adversaire irréconciliable. Le duc Guillaume avait confisqué la
forteresse d'Arques et y avait placé une garnison. Mais, à la nouvelle
de l'alliance de Gui avec le roi, le capitaine de la garnison livra la place
à son comte. Henri avait poussé un pion important sur son jeu.
Encouragé par ce résultat, il se fit livrer traîtreusement une forteresse
au cœur même du Perche, le château de Moulins-la-Marche, à quatre
lieues de Mortagne. C'était là un acte d'hostilité inconsidéré et sans nul
prétexte. À quel résultat aboutir ?
Le duc se trouvait à ce moment loin d'Arques, à Coutances, dans
le Cotentin. À la nouvelle de la chute de cette place forte, l'une des
plus puissantes de son duché, il bondit, entraînant un groupe d'hommes
d'armes, appela à lui un contingent de Rouen, disposa l'ensemble
autour d'Arques pour un siège en règle, et repartit pour Coutances en
laissant la direction des opérations à l'un de ses vassaux. À cette
nouvelle, Henri décida d'entrer lui-même en action. Selon son
habitude, redoutant d'attaquer seul, il s'assura l'alliance du propre beau-
frère de Guillaume, le comte Enguerrand de Ponthieu, époux d'Aélis,
fille d'Arlette. Les deux colonnes se réunirent non loin d'Arques. Leur
intervention était éventée. Elles se laissèrent surprendre. La petite
armée fut soudain entourée des hommes du duc, et livra un combat
féroce dans lequel le comte de Ponthieu fut tué. Mais les assiégeants
furent finalement dispersés, et Henri parvint à faire pénétrer dans la
place une partie de ses troupes, avec un ravitaillement suffisant pour
prolonger la résistance. Il aurait pu parachever sa victoire. Il n'insista
pas. Il fit demi-tour, laissant le siège faire son œuvre. Au début de
1053, Arques se rendit. Comme le roi ne bougeait pas, la garnison de
Moulins se rendit à son tour.
Cette fois, le roi bougea. Il continuait à compter sur ses vassaux
plutôt que sur lui-même, ce qui, trop souvent, devenait désastreux pour
les vassaux. Cette fois, il en appela deux sous sa bannière : Gui de
Ponthieu, frère d'Enguerrand, qui réclamait de venger son frère, et
Simon, comte de Valois. En outre, il sortit de son immobilité son plus
jeune frère, Eudes, qui, bien qu'ayant franchi la quarantaine, restait
sans fief et sans fonctions officielles. Il promit à Eudes, au cas où les
armées royales seraient victorieuses de Guillaume, le duché de
Normandie.
Ces armées, il y en eut trois qui convergèrent vers Rouen. La
première, sous les ordres du prince Eudes, assisté des comtes de
Ponthieu et de Valois, se formait à Beauvais et traversait le pays de
Bray ; la seconde, commandée par le roi lui-même, était rassemblée à
Mantes et descendrait la vallée de la Seine ; la troisième, appartenant à
Geoffroy Martel, devait s'acheminer par Évreux. Henri ier, au début de
son règne sauvé par son vassal, naguère son allié, hier son agresseur,
s'acharnait maintenant sur lui pour lui ravir son fief. Nul motif à cette
conduite insensée ; pas même l'ambition, car le projet de transférer la
Normandie à son frère était tout récent, et ne lui venait que de sa
hargne contre son vassal.
En février 1054, les trois armées s'ébranlèrent vers leur commun
objectif. La première à franchir la frontière de Normandie fut celle
d'Eudes, qui passa l'Epte, contourna sans peine Aumale et arriva ainsi
joyeusement à Mortemer, au bord de l'Eaune, à moins de trois lieues de
Neufchâtel. Il n'en faudrait plus ensuite qu'une douzaine pour parvenir
devant Rouen. Presque une marche triomphale. Nulle résistance
n'entravait la progression dans ce pays plat. On n'avait pas vu un
seul casque à l'horizon. Nul doute que Monseigneur Mauger,
archevêque de Rouen, qui avait entretenu mainte rébellion contre le
duc son neveu, serait ravi d'accueillir ces conquérants. Eudes de France
oserait-il se présenter devant lui comme l'héritier du fief ? Lui
demanderait-il sa bénédiction ?
La campagne normande était riche. Tous ces soudards avaient, en
cours de route, écumé les domaines agricoles, volé les bestiaux et les
volailles, le cidre, la monnaie dans les bas de laine. Ils avaient même
raflé le vin dans les monastères et chez les tenanciers aisés. On ne
récoltait pas le raisin dans le pays de Bray, mais le trafic du vin y était
prospère, et Rouen était le premier port au nord de la Loire pour le
commerce de cette boisson, entre la Germanie et l'Angleterre. Le soir
où Eudes dressa son camp à Mortemer, toute son armée fit ripaille
jusqu'à minuit. Et s'endormit pesamment.
Contre cette armée du Nord, tranquille et satisfaite, le duc
Guillaume avait envoyé, avec la plus complète discrétion, une troupe
aguerrie commandée par deux de ses dévoués vassaux, Gautier
Giffard, seigneur de Longueville, et Robert, qu'il avait fait comte d'Eu.
Elle s'engagea le soir dans le pays de Bray, où l'on savait que l'armée
d'Eudes progressait. Les éclaireurs apportèrent le renseignement : les
hommes du roi sont à Mortemer.
Les Normands attendirent que tous les guerriers du prince Eudes
fussent pesamment endormis. Ils approchèrent discrètement du camp,
et Giffard donna le signal de l'attaque. Avant qu'ils eussent le temps de
prendre les armes, la moitié des ennemis étaient occis ou prisonniers.
Eudes, en vaillant guerrier, s'empressa de sauter sur sa monture et
s'enfuit, laissant ceux qui le pouvaient galoper à sa suite, et les autres
résister désespérément.
Les estafettes allèrent à bride abattue porter au duc Guillaume la
nouvelle de la victoire de Mortemer. Henri, dont le courage était égal à
celui de son frère, avançait à pas comptés dans la vallée de la Seine,
attendant l'annonce d'une victoire de ses vassaux avant d'attaquer à son
tour. Ce furent des chevaliers de l'entourage du duc qui vinrent crier
aux abords de son camp le désastre de Mortemer. Leva-t-il son armée
pour aller le venger ? Ce fut pour déguerpir. Laissant Gui de Ponthieu
et cent arrière-vassaux aux mains des Normands, trahissant lâchement
son alliance avec Geoffroy Martel, le roi fit demi-tour sans chercher à
combattre.
Pour le comte d'Anjou, privé de la concertation promise, la
situation devenait délicate. Il ne pouvait guère prendre l'offensive dans
le Perche sans le concours de la garnison de Tillières, qui appartenait
toujours au roi. Mais la garnison, ne recevant pas d'ordre, ne sortait
pas. Le duc Guillaume la fit surveiller par un de ses fidèles barons,
Guillaume Fitz Osbern, qu'il installa avec un détachement au château
de Breteuil, à faible distance.
Il fallait traiter. Encore. Henri, n'ayant pas su faire la guerre,
devait maintenant faire la paix. Avec le désavantage infligé au vaincu.
Qu'avait le roi à donner pour payer le vainqueur ? Peu de chose : la
châtellenie de Tillières. Il la donna. Ses autres concessions furent faites
au détriment de ses alliés. Il consentit au duc Guillaume la possession
de tous les domaines et seigneuries enlevés, jusque-là et ensuite, à
Geoffroy Martel ; il s'engageait en outre à ne plus secourir celui-ci. Le
comté de Ponthieu devenait un fief du duché de Normandie. Contre
tous ces avantages, le duc consentait à libérer les prisonniers capturés à
Mortemer.
Il n'y avait plus qu'à réduire le comte d'Anjou. Le duc le somma
de se soumettre aux conditions consenties par le roi. Mais Geoffroy
avait plus de pugnacité qu'Henri. Il répondit par un silence méprisant.
La guerre n'était donc pas finie entre Normandie et Anjou. Une
nouvelle fois, le duc réunit son ost, et pénétra en armes dans le Maine.
Le comte Herbert II, sans postérité, avait fait de Guillaume, par
testament, son héritier. Or, il n'était pas encore décédé, et Guillaume
n'était pas encore chez lui dans ce comté. Il misait sur la faiblesse
d'Herbert, mais celui-ci avait des vassaux avec lesquels il fallait
compter.
Le duc commença par s'emparer du château d'Ambières, sur la
Mayenne, au nord du comté. Or, ce château était possession du
seigneur de Mayenne, l'un des plus puissants du Maine. Le seigneur,
offusqué, appela au secours Geoffroy Martel, et au surplus le comte
Éon de Penthièvre, régent de Bretagne pour son neveu, le duc mineur
Conon II. Ces trois seigneurs unirent leurs forces pour s'attaquer aux
Normands qui occupaient Ambières. Le succès restant à Guillaume,
Martel et Éon abandonnèrent le terrain. Mayenne, impuissant, se
soumit.
Trois ans après ces événements, c'est-à-dire en 1057, Henri ier,
toujours à l'affût d'une revanche contre Guillaume de Normandie, et
jamais capable de la prendre, trouva, lui sembla-t-il, une nouvelle
occasion. Son allié d'hier, deux fois trahi, Geoffroy Martel, guerrier
infatigable, profitant des querelles entre Bretons, venait de s'emparer
de la ville de Nantes. Admirant cette prouesse, le roi admit que,
décidément, cet audacieux vassal valait la peine d'une nouvelle
alliance. Il ne l'appela pas à Paris : ce fut lui qui se déplaça jusqu'à
Angers, et lui proposa une nouvelle entente. Martel, sans attendre des
merveilles de ce souverain craintif et maladroit, accepta : ce
dévouement lui serait sans doute profitable.
Le roi réunit tout de suite son ost, et donna rendez-vous à son
vassal dans le nord du Maine, à la frontière de la Normandie ; cette
jonction s'explique peut-être par le dessein de disposer d'une armée
plus forte. À quoi bon ? Guillaume se trouvait à Falaise, et disposait
lui-même de forces réduites. Henri n'avait aucun sens de la stratégie. Il
lui eût suffi, en ligne directe, de traverser l'Ouche, le Lieuvin et de se
cantonner au nord de Falaise ; de demander à Geoffroy de traverser le
pays de Domfront et d'arriver par le sud. Guillaume eût été pris en
tenailles.
Les deux compères étaient-ils assez timides pour ne pas attaquer
le duc dans son repaire ? Au lieu de ce coup direct, ils jouèrent à la
petite guerre. Contournant Falaise au lieu de l'attaquer, ils ravagèrent le
pays d'Auge, semant la terreur et l'incendie. La déplorable défaite de
Mortemer n'avait pas été une leçon. La double armée s'installa pour
quelques jours à Saint-Pierre-sur-Dives, à cinq lieues au nord de
Falaise. Guillaume n'était pas inconscient du danger ; la situation était
menaçante pour lui ; mais, connaissant son homme, il savait qu'Henri
ne l'exploiterait pas et ne laisserait pas Geoffroy l'exploiter.
De fait, négligeant leur avantage, le roi et son vassal prirent la
direction du nord-ouest et traversèrent le Bessin, où leur soldatesque
trouvait de nouveaux lieux de pillages. Quand elle fut gavée, Henri
donna l'ordre d'un demi-tour, délaissant Caen pour s'installer à
l'embouchure de la Dives, là où se trouvent aujourd'hui les stations
balnéaires de Cabourg et d'Houlgate.
À quoi rimait ce jeu ? Le roi de France menait-il une campagne
militaire ou offrait-il une promenade à ses guerriers ? Une promenade
plaisante d'ailleurs, avec festins quotidiens. Pendant ce temps, il aurait
dû le savoir, le duc Guillaume rassemblait ses propres guerriers. Non
pas une grande armée, mais, comme à son habitude, une troupe légère,
mobile et très déterminée, comme celle de Mortemer. Il fut vite
renseigné sur l'itinéraire de l'ennemi. Quand il parvint à proximité de
cette troupe insouciante, elle était en train de franchir la Dives, juste au
sud de Dives-sur-Mer. Non pas à gué, car les pluies avaient été fortes,
mais sur un malheureux pont de bois. Quelle négligence ! Cavaliers,
fantassins, lourds chariots de butin s'entassaient pour s'écouler
lentement sur ce frêle passage.
On annonça l'arrivée du duc. Sa troupe n'était pas nombreuse. Il
n'était que de lui faire face et de la culbuter. Le roi donna-t-il un ordre
à cette colonne qui s'étirait sur les deux bords de la rivière ? À
l'annonce de la menace des féroces Normands, les combattants se
transformèrent en fuyards. Sur le pont, c'est la bousculade. Il cède,
s'effondre, et la rivière engloutit les poltrons avec armes et bagages.
L'armée royale se trouve partagée en deux tronçons : l'un sur la rive
droite, qui fuit devant l'ennemi, avec le roi et ses compagnons
d'armes ; l'autre sur la rive gauche, commandé par le comte Étienne-
Henri de Blois, dont la mission est de faire face à l'ennemi. Mais ce
face à face se change en fuite éperdue, et le comte reste aux mains de
l'ennemi. Guillaume ignore que le fils de son prisonnier, Étienne, sera
un jour son descendant sur le trône de l'Angleterre.
Enfin, Henri est pris de remords. Il comprend soudain qu'il est le
chef, et le responsable de ce semblant d'armée en déroute. Timidement,
il avertit son état-major qu'il va donner l'ordre de contre-attaquer. Il est
bien temps ! Les comtes et chevaliers qui l'entourent sont encore plus
couards que lui. Ils se récrient : c'est maintenant impossible. Fuyons
plutôt ! Henri se soumet à la décision de ses conseillers, laissant une
partie de son armée se noyer et une autre aux mains de l'ennemi.
Y avait-il besoin d'un nouveau traité de paix ? C'était bien inutile :
chaque fois qu'il mettait fin à un affrontement, ce roi hargneux en
méditait un nouveau. Et ce roi inconséquent semblait ignorer que
chacune de ses interventions était vouée à un désastre.
III
LA SUCCESSION
BILAN DU RÈGNE
I
FÉODALITÉ ET CHEVALERIE
L'ÉCONOMIE
LA CULTURE
1. Un certain nombre de monastères étaient dotés d'un chauffoir ; mais il était d'un recours extraordinaire.
2. « Recevez, Sainte Trinité, l'offrande de ce livre. »
3. Dom Jean Leclercq, L'Amour des lettres et le désir de Dieu, Cerf, 1957, pp. 118-119.
4. Les Moines d'Occident, Paris, 1882, t. VI, p. 206.
5. Histoire ecclésiastique, IV, 10.
IV
Sources
Adémar de Chabannes, Chroniques, Paris, 1897.
Flodoard, Annales, Reims, 1855.
Raoul Glaber, Histoires, Paris, 1886.
Richer, Histoire de France, t. II, Belles-Lettres, 1937.
Bernold de Constance, Chronicon, Patrologie Latine, t. 148.
Hugues de Flavigny, Chronica, P.L., t. 154.
Sigebert de Gembloux, Chronica, P.L., t. 160.
Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, P.L., t. 1745.
Ordéric Vital, Historia ecclesiastica, P.L., t. 188.
Études
Babelon, Ernest, Les Derniers Carolingiens, Paris, 1878.
Roy, J.-J., Hugues Capet et son époque, Tours, 1854.
Lot Ferdinand, Naissance de la France, Fayard, 1948.
Mourin, Ernest, Les Comtes de Paris, Paris, 1869.
Theis, Laurent, Robert le Pieux, le roi de l'an mil, Perrin, 1999.
Fliche, Augustin, Le Règne de Philippe ier, Paris, 1912.
Dauxois, Jacqueline, Anne de Kiev, reine de France, Presses de la
Renaissance, 2000.
Darras, Histoire générale de l'Église, t. 22 à 25, Paris, 1877.
Marolles, Abbé de, Histoire des anciens comtes d'Anjou, Paris,
1681.
Thierry, Augustin, Histoire de la conquête de l'Angleterre par les
Normands, Paris, 1825, 4 vol.
Taviani-Carozzi, Huguette, La terreur du monde. Robert
Guiscard et la conquête normande de l'Italie, Fayard, 1996.
Gobry, Ivan, Les Capétiens, Tallandier, 2000.
— La Civilisation médiévale, Tallandier, 1999.
— Robert II, Pygmalion, 2005.
— Philippe ier, Pygmalion, 2003.
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
Histoire des Rois de France
par Ivan Gobry
Les Mérovingiens :
Clotaire ier. R Clotaire II. R Dagobert.
Les Carolingiens :
Pépin le Bref. R Louis ier. R Charles II. R Charles III.
Les Capétiens :
Eudes. R Robert II. R Philippe ier. R Louis VI.
Louis VII. R Philippe III.
Les Rois qui ont fait la France
par Georges Bordonove
Les Précurseurs :
Clovis. R Charlemagne.
Les Capétiens :
Hugues Capet, le fondateur.
Philippe Auguste. R Saint Louis.
Philippe le Bel.
Les Valois :
Jean II le Bon. R Charles V. R Charles VI. R Charles VII. Louis XI. R Louis XII. R François ier.
R Henri II. R Charles IX. Henri III.
Les Bourbons :
Henri IV. R Louis XIII. R Louis XIV. R Louis XV. Louis XVI. R Louis XVIII. R Charles X. R
Louis-Philippe.
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
Histoire des Reines de France
Clotilde
par Anne Bernet
—
Radegonde
par Anne Bernet
—
Aliénor d'Aquitaine
par Philippe Delorme
—
Blanche de Castille
par Philippe Delorme
—
Marguerite de Provence
par Christiane Gil
—
Isabeau de Bavière
par Philippe Delorme
—
Anne de Bretagne
par Henri Pigaillem
—
Claude de France
par Henri Pigaillem
—
Marie de Médicis
par Philippe Delorme
—
Anne d'Autriche
par Philippe Delorme
—
Marie-Antoinette
par Philippe Delorme