Reexamen de La Metodologia Freudiana - Julieta de Battista

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RÉEXAMEN DE LA MÉTHODOLOGIE FREUDIENNE POUR UNE

RECHERCHE EN PSYCHANALYSE AUJOURD'HUI

Julieta De Battista, Sidi Askofaré

ERES | « Cliniques méditerranéennes »

2015/1 n° 91 | pages 153 à 166


ISSN 0762-7491
ISBN 9782749247113
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2015-1-page-153.htm
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Cliniques méditerranéennes, 91-2015

Julieta De Battista
Sidi Askofaré

Réexamen de la méthodologie freudienne


pour une recherche en psychanalyse
aujourd’hui

L’introduction et le développement de la psychanalyse dans les univer-


sités ont entraîné du côté des psychanalystes impliqués dans l’institution
universitaire un intérêt renouvelé pour la recherche. Or, ajuster le question-
nement et l’heuristique psychanalytique aux exigences des discours scien-
tifique et universitaire ne va pas de soi. La mise en place et la direction de
ces recherches se heurtent donc d’emblée aux problèmes de méthodologie.
Disons, pour faire court, comment opérer entre les réquisits pour produire
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un savoir sur le général et la visée de la singularité. Tiraillée entre les
méthodes quantitatives et qualitatives, la recherche en psychanalyse ne peut
se contenter de l’usage exclusif de l’une ou de l’autre. D’un côté, l’approche
quantitative n’est pas adéquate pour l’abord de ses objets d’investigation, de
l’autre les approches qualitatives se heurtent souvent sur le roc de la singu-
larité de chaque cas, obstacle s’il en est à la régularité et à la généralisation.
Cet article se propose de réexaminer la logique freudienne de la recherche et
d’en extraire quelques conséquences par rapport à la position du chercheur
dès lors qu’il conçoit sa recherche et la réalise sur le fonds de l’hypothèse de
l’inconscient.

Julieta De Battista, docteur en psychopathologie de l’université de Toulouse 2-Jean-Jaurès, chercheur de


l’université nationale de La Plata (Argentine) [email protected] ; José Antonio Cabrera 5778,
Ciudad Autónoma de Buenos Aires. cp 1414. Argentina.
Sidi Askofaré, professeur de psychologie clinique du sujet et du lien social à l’université de Toulouse 2-
Jean-Jaurès, directeur de l’Axe 2 du Laboratoire de clinique pathologique et interculturelle ; 19, rue du
Taur, F-31000 Toulouse – [email protected]

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La position du chercheur et la position de l’analyste

Il n’y a pas chez Freud un article consacré explicitement à la méthodo-


logie de la recherche. Strachey nous informe que, cependant, Freud avait
formé le projet de l’écrire. Il a essayé au moins deux fois sous l’intitulé de
Allgemeine Methodik der Psychoanalyse [Méthodologie générale de la psychana-
lyse]. Finalement, les textes qui sont tenus pour les articles méthodologiques
de Freud sont les écrits dits techniques. Or, la technique de la psychanalyse
n’est pas la même chose que la méthodologie de la recherche dans ce champ.
Freud affirmait en 1912, dans ses « Conseils aux médecins sur le traitement
analytique », que la coïncidence de la recherche et du traitement dans le
travail analytique est l’une des vertus de ce dernier. Mais, il note ensuite que
la technique qui concerne le traitement s’oppose à celle de la recherche. C’est
dire que la coïncidence dont il parlait ne veut pas dire simultanéité. C’est dire
aussi qu’il convient de distinguer sévèrement les différentes formes d’inter-
vention de l’analyste au cours d’une analyse : questions, scansions, coupures,
commentaires, interprétations, voire silence. Il semblerait que pour Freud
une intervention analytique ne peut pas être conduite comme une inves-
tigation théorique. Autrement dit, dans une interprétation analytique, par
exemple, ce n’est pas sa valeur d’hypothèse heuristique qui est importante
aux yeux de l’analyste. C’est moins sa valeur épistémique – son exactitude,
par exemple – que sa capacité à déchaîner des effets de vérité, à entraîner la
production de souvenirs ou de signifiants refoulés. Conséquence : l’analyste
doit se retenir de spéculer ou méditer sur le cas pendant qu’il analyse. Cette
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abstention implique qu’il est exclu que le travail de recherche – au sens
d’une pratique active visant à la production de connaissances nouvelles – en
tant que tel puisse se faire dans le même temps que le travail analytique de
déchiffrement et d’interprétation. D’ailleurs, Freud déconseillait fortement
la théorisation du matériel pendant l’écoute et aussi pendant que le traite-
ment est en cours. Pendant la séance, il recommande que l’analyste ne fasse
pas une sélection du matériel (« attention flottante ») ; dans le cas contraire,
on risque de trouver ce que l’on sait déjà, ou d’orienter l’écoute selon les
intérêts théoriques de l’analyste, entraînant ainsi une intellectualisation de
la pratique. Au contraire, l’analyste doit prêter au matériel une attention
constamment flottante : le sens du matériel n’est saisi qu’après coup. Il faut
que l’analyste se laisse conduire par le hasard et surprendre par les chan-
gements sans y faire intervenir ses préjugés ou son savoir préalablement
acquis. Dans ce sens, l’ambition théorique est autant inadéquate que l’ambi-
tion thérapeutique.
La position de l’analyste dans la cure suppose donc de s’abandonner à
l’inconscient pendant l’écoute, sans fixer l’attention sur rien en particulier

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en même temps que sur tout à parts égales. L’analyste se sert ainsi de son
inconscient comme instrument de l’analyse et fait confiance au domaine de
l’inconscient dans l’établissement de la trame. Les communications de l’ana-
lyste au patient ne sont pas le résultat d’un travail de recherche théorique sur
le cas ; et quand elles le sont, la dimension de suggestion devient prévalente
et conduit à une sortie du discours analytique. Aussi, nous n’allons pas nous
occuper ici de cette dimension importante – et qui pourrait être discutée plus
amplement et plus exhaustivement –, dans la mesure où ce que nous visons à
mettre au jour et contribuer à élaborer est : comment et à quelles conditions
fait-on de la recherche en psychanalyse ? On peut d’ores et déjà énoncer la
thèse freudienne de 1912 quitte à l’interroger et éventuellement à l’enrichir :
une fois le traitement fini, l’analyste peut soumettre le matériel acquis au
travail synthétique de la pensée. Là commence la tâche du chercheur.
Freud recommande de ne pas avancer dans l’élaboration théorique du
cas tandis que le traitement est encore en cours. Il ne conseille pas non plus
de s’occuper d’un patient dans un but scientifique. Chaque cas requiert un
abord sans prémisses préalables et l’analyste pourra passer de la position
analytique à la position du chercheur selon la situation dans laquelle il se
trouve. De cette oscillation des positions dépend le placement correct de
l’analyste dans l’analyse et dans la recherche. Freud établit ainsi une première
différence entre la position de l’analyste et la position du chercheur. Toutes
les deux se différencient aussi de la position du philosophe qui cherche une
solution complète, une Weltanschauung, à laquelle l’analyste renonce.
Dans la mesure où l’analyste doit s’abstenir de faire de la recherche
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pendant qu’il analyse et donc que le traitement est en cours – car le travail
de synthèse et de spéculation est exclu de l’attention flottante –, la question
qui en découle alors est de savoir ce que fait l’analyste quand il fait de la
recherche : se sert-il de son inconscient comme instrument de recherche ?
Fait-il confiance au domaine de l’inconscient dans l’élaboration de la trame ?
Se pose ici la question : de quelle notion d’inconscient nous servons-nous ?

Le travail de recherche selon Freud : présuppositions et concepts

Freud aborde la question de la recherche dans son introduction à


« Pulsions et destins des pulsions », le premier article de sa métapsycho-
logie. Celle-ci est considérée par P.-L. Assoun, qui a étudié l’épistémologie
freudienne, comme un discours freudien de la méthode, plus précisément le
discours de la méthode de construction métapsychologique (Assoun, 1981,
p. 81). À son avis, cette introduction recueille les « propositions essentielles
qui constituent le capital méthodologique freudien » (ibid.), et permet ainsi
d’examiner les méthodes par lesquelles la psychanalyse acquiert ou étend ses

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connaissances. Nous allons suivre la recommandation d’Assoun de se référer


à l’introduction de cet article pour l’abord de la méthodologie freudienne de
la recherche, et nous allons ponctuer les repères que Freud dégage dans la
démarche de l’investigation analytique. Pour cela, nous ne pourrons pas faire
l’économie d’une longue citation qui mérite d’être révisée et désembrous-
saillée rigoureusement. Il s’agit des mots introductifs à la métapsychologie qui
commence ainsi : « Nous avons souvent entendu formuler l’exigence suivante :
une science doit être construite sur des concepts fondamentaux clairs et nette-
ment définis. En réalité, aucune science, même la plus exacte, ne commence
par de telles définitions. Le véritable commencement de l’activité scientifique
consiste plutôt dans la description de phénomènes, qui sont ensuite rassem-
blés, ordonnés et insérés dans des relations » (Freud, 1915, p. 11).
Le premier geste freudien consiste donc à se séparer de l’exigence de
partir des concepts fondamentaux (Grundbegriffe) qui seraient déjà là, déjà
construits et clairement définis 1. Il délaisse l’idéal d’une science qui parti-
rait de concepts préalablement établis. Freud récupère la description des
phénomènes comme départ de la recherche, description d’ailleurs entendue
en termes de mise en ordre de phénomènes par l’établissement de rela-
tions. Cela peut sembler répondre à une attitude empirique naïve, mais
Freud précise : « Dans la description, déjà, on ne peut éviter d’appliquer au
matériel certaines idées abstraites que l’on puise ici ou là et certainement
pas dans la seule expérience actuelle. De telles idées – qui deviendront les
concepts fondamentaux de la science – sont dans l’élaboration ultérieure des
matériaux, encore plus indispensables. Elles comportent d’abord nécessaire-
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ment un certain degré d’indétermination ; il ne peut être question de cerner
clairement leur contenu. Aussi longtemps qu’elles sont dans cet état, on se
met d’accord sur leur signification en multipliant les références au matériel
de l’expérience, auquel elles semblent être empruntées mais qui, en réalité,
leur est soumis. Elles ont donc, en toute rigueur, le caractère de conventions,
encore que tout dépende du fait qu’elles ne soient pas choisies arbitrairement
mais déterminées par leurs importantes relations au matériel empirique ;
ces relations, on croit les avoir devinées avant même de pouvoir en avoir la
connaissance et en fournir la preuve » (Freud, 1915, p. 11-12).

1. Lacan suit Freud sur cette voie : « Que concernent les formules dans la psychanalyse ?
Qu’est-ce qui motive et module ce glissement de l’objet ? Y a-t-il des concepts analytiques d’ores
et déjà formés ? Le maintien presque religieux des termes avancés par Freud pour structurer
l’expérience analytique, à quoi se rapporte-t-il ? S’agit-il d’un fait très surprenant dans l’histoire
des sciences – que Freud serait le premier, et serait resté le seul, dans cette science supposée,
à avoir introduit des concepts fondamentaux ? Sans ce tronc, ce mât, ce pilotis, où amarrer
notre pratique ? Pouvons-nous dire même que ce dont il s’agit, ce soit à proprement parler
des concepts ? Sont-ils des concepts en formation ? Sont-ils des concepts en évolution, en
mouvement, à réviser ? » J. Lacan (1964), Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux
de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 15.

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La description des phénomènes n’est donc pas un abord dépourvu


d’idées. Il y a ce que Freud nomme « idées abstraites » ou « présupposi-
tions », lesquelles influencent la description des phénomènes tout en en
faisant partie. Cette description est plutôt soumise à ces idées, lesquelles ne
sont pas d’emblée clairement définies. Ces présuppositions sont indispen-
sables dans l’élaboration des concepts, même si elles sont indéterminées
au début : ce sont elles qui deviendront des concepts fondamentaux. Cette
indétermination initiale n’a pas une connotation négative et, de ce fait, elle
permet une multiplication de références au matériel empirique, laquelle finit
par décanter dans un accord, une convention, quant à la signification de
ces idées. Ces dernières, qui opèrent dans la description des phénomènes,
peuvent, par le biais de leurs relations au matériel, devenir des conventions :
un pas préalable dans l’élaboration des concepts.
Bien qu’il s’agisse de conventions ou fictions, elles ne sont pas d’origine
arbitraire. Le choix des conventions est déterminé par l’importance des rela-
tions de l’idée au matériel clinique. Cette importance accordée aux relations
est un fait capital de la construction des concepts chez Freud. Il faut ajouter
que ces relations, qui sont à la base du choix des conventions, sont des rela-
tions « devinées » (erraten), terme dont Freud fait un usage particulier par
rapport tant à la tâche de l’analyste qu’à celle du chercheur.

Le rôle du « deviner » [erraten] dans la recherche freudienne

Le dernier terme à remarquer est alors celui d’erraten 2 traduit en fran-


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çais par « deviner ». En allemand, ce terme possède un éventail d’acceptions
plus ample – qui inclut l’idée de l’intuition, mais aussi de la déduction :
erraten est deviner, atteindre, trouver la solution ou la réponse (par exemple
dans un concours), conclure à partir des indices ou allusions (par exemple
une devinette ou énigme) ; c’est aussi se rendre compte ou discerner avec
l’imagination et enquêter par l’intuition ou la capacité de compénétration.
Les traducteurs privilégient soit la version plus intellectuelle soit la version
plus hasardeuse, sans trouver un mot qui recueille toutes les acceptions du
terme en allemand. Erraten est alors une sorte de « deviner » mais fondé sur
des indices, c’est-à-dire : il n’est pas un processus entièrement intellectuel ni
complètement intuitif (De Battista, 2011, p. 115-123). C’est plutôt une opéra-
tion de production de conclusions par un procédé qui, bien qu’il ne soit pas

2. Dans ce qui suit, nous préférons utiliser le terme allemand « erraten » au lieu de sa traduction
française la plus souvent utilisée « deviner ». Étant donné que nous ne trouvons pas un terme
en français qui réunisse les acceptions du terme en allemand et du fait que « deviner » entraîne
le risque de réduire le terme à son acception plus hasardeuse, nous décidons de conserver le
terme dans sa langue originale.

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tout à fait déductif, procède d’une méthode : la lecture des indices. Quoiqu’il
s’agisse d’un procédé intellectuel, il laisse place aussi à la contingence.
C’est au procédé d’erraten que Freud réserve l’origine de ces idées
abstraites, présupposées, sorties non seulement de l’expérience actuelle
mais aussi de l’expérience passée. La réduction d’erraten à l’acception de
« deviner » peut entraîner des lectures problématiques. C’est le cas, croyons-
nous, de celle de P.-L. Assoun qui privilégie le phantasieren comme travail
de production d’un concept métapsychologique. Il cite la lettre de Freud à
Fliess du 25 mai 1895, dans laquelle ce dernier présente une série des verbes
– phantasieren (imaginer), ubersetzen (transposer) et erraten (deviner) – pour
nommer son travail de pensée. Assoun met l’accent sur le phantasieren qui
désigne, à son avis, l’essentiel du processus, lui donnant la place principale
dans la logique de la découverte freudienne : « Le traitement théorique
s’alimenterait donc à une logique de l’inconscient homologue dont la racine
commune serait le phantasieren » (Assoun, 1981, p. 91). Pour notre part, nous
considérons qu’il convient de distinguer cette logique d’une logique liée à la
fantasmatique, ou au sens imaginaire. L’inconscient n’est pas l’homologue
du fantasme. Et, en tout cas, le terme le plus souvent employé par Freud pour
se référer à la logique de la tâche de l’analyste et du chercheur est celui d’er-
raten. Assoun réserve le terme erraten à la traduction française « deviner »,
ce qui le conduit à dire que ledit terme connote le « caractère erratique du
travail engagé […] “deviner” ce qui nous mène aux confins de la rationalité
et de la forme “scientifique” du savoir » (ibid., p. 92). Mais, comme on vient
de le montrer, erraten n’implique pas seulement le fait de deviner. Ce qui est
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en jeu dans l’analyse et dans la recherche analytique n’est pas la dimension
fantasmatique, laquelle serait plutôt responsable des points aveugles de
l’analyste, qui devraient rester hors-jeu dans l’analyse et dans la recherche.

Un savoir insu dans la recherche

Nous récupérons donc ce terme freudien d’erraten pour rendre compte


de la méthodologie freudienne de la recherche et la production des présup-
positions. Ce procédé de l’erraten envisage la dimension d’un savoir insu,
du fait que le choix des idées présupposées est déterminé par leurs relations
avec le matériel empirique, et ces relations « on croit les avoir devinées avant
même de pouvoir en avoir la connaissance et en fournir la preuve ». On
pourrait ajouter : « Avant même d’en avoir eu conscience. » La nature de ces
présuppositions et leur rapport à l’inconscient sont manifestes chez Freud,
qui l’exprime de la manière suivante : « Ce qui fut de nature à me consoler
du mauvais accueil qui, même dans le cercle étroit de mes amis, fut réservé à
ma conception de l’étiologie sexuelle des névroses (il ne tarda pas à se former

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alors un vide autour de ma personne), ce fut la conviction que je combattais


pour une idée neuve et originale. Mais un jour, certains souvenirs vinrent
troubler ma satisfaction, tout en me révélant certains détails très intéressants,
concernant la manière dont s’effectue notre activité créatrice et relatifs à la
nature de notre connaissance. L’idée dont j’avais assumé la responsabilité ne
m’était nullement personnelle. Je la devais à trois personnes dont les opinions
avaient droit à mon plus profond respect, à Breuer lui-même, à Charcot et
au gynécologue de notre Université, Chrobak, un de nos médecins viennois
les plus éminents. Ces trois hommes m’avaient transmis une conception
qu’à proprement parler ils ne possédaient pas. Deux d’entre eux contestaient
cette transmission ; quant au troisième (le maître Charcot), il en aurait sans
doute fait autant, s’il m’avait été donné de le revoir. Mais ces transmissions
identiques que je m’étais assimilées sans les comprendre avaient sommeillé
en moi pendant des années, pour se révéler un jour comme une conception
originale, m’appartenant en propre » (Freud, 1914a, p. 110).
Ni tellement nouvelle ni tellement originale, mais en même temps radi-
calement nouvelle et originale, l’idée freudienne de l’étiologie sexuelle relève
d’une « transmission inconsciente » et connaît des « prédécesseurs incons-
cients » qui n’échappent pas ni l’une ni les autres aux réseaux transférentiels
de Freud. Il s’agit d’un savoir que Freud avait assimilé sans le comprendre
pendant longtemps, et c’est seulement après coup qu’il découvre l’ampleur
de sa portée. On repère alors que la découverte freudienne est dans un
intime rapport avec une transmission inconsciente sous transfert. Se pose
de nouveau la question : de quel inconscient parlons-nous en l’occurrence ?
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S’agit-il de l’inconscient refoulé ? Tout semble indiquer que la formation de
l’analyste conduit à un autre rapport à l’inconscient que le refoulement, un
rapport plus proche de la fonction du jugement, lequel conduit de la pensée
à l’action (Freud, 1925). L’analyste est quelqu’un qui est averti du détermi-
nisme de son propre inconscient et de ce fait il peut répondre autrement que
par le refoulé aux occurrences de l’inconscient. Ainsi, le travail de recherche
fait par un analyste démontre sa complexité, étant donné que celui-ci prend
en compte non seulement le travail de synthèse de la conscience mais égale-
ment l’influence de l’inconscient analysé de l’analyste.
Trois maîtres ont transmis à Freud – sans le savoir – l’idée de la causa-
lité sexuelle des névroses 3, et à un moment donné Freud a pu récupérer

3. Freud affirme cette idée lors de la séance du premier avril 1908 de la Société psychanalytique
de Vienne : « Malgré les similitudes que beaucoup ont relevées entre lui et Nietzsche, Freud
peut assurer que les idées de Nietzsche n’ont eu aucune influence sur ses travaux. Pour montrer
combien la genèse des idées nouvelles est complexe et parfois étrange, Freud raconte à cette
occasion comment est née son idée de l’étiologie sexuelle des névroses : trois grands médecins,
Breuer, Charcot et Chrobak, avaient exprimé cette idée en sa présence. Mais ce fait ne lui revint
à la mémoire que plus tard, lorsqu’il dut justifier son idée contre la réprobation [générale]. »

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cette occurrence d’abord oubliée. Les trois anecdotes pourraient se résumer


par les phrases suivantes : « Il s’agit toujours de secrets d’alcôve » (Breuer),
« Essayez donc, je vous assure, vous y arriverez. Mais, dans des cas pareils,
c’est toujours la chose génitale, toujours… toujours… toujours » (Charcot),
« Rp. Penis normalis dosim Repetatur ! » (Chrobak). Le savoir insu des maîtres
est entendu par Freud, mais l’idée nouvelle ne vient qu’après coup. Freud
a pris au sérieux les dires des maîtres, surtout ce qu’ils disaient sans s’en
rendre compte : « Si j’insiste sur cette origine auguste de la conception tant
décriée, ce n’est pas le moins du monde pour en rejeter la responsabilité sur
d’autres. Je sais qu’exprimer une idée une ou plusieurs fois, sous la forme
d’un rapide aperçu, est une chose ; et que la prendre au sérieux, dans son
sens littéral, la développer à travers toutes sortes de détails, souvent en
opposition avec elle, lui conquérir une place parmi les vérités reconnues, en
est une autre. Il s’agit là d’une différence analogue à celle qui existe entre un
flirt léger et un mariage honnête, avec tous les devoirs et toutes les difficultés
qu’il comporte. “Épouser les idées de…”, disent avec raison les Français »
(Freud, 1914a, p. 113).
Sans doute, ce qui a fait la différence est la décision de Freud de casser
les œufs et faire l’omelette. Il l’adjuge à son « courage moral » et souligne
aussi que l’originalité scientifique n’est qu’apparente, qu’il y a un « côté
subjectif de l’originalité » (Freud, 1923, p. 93-95) qui répond justement à un
déterminisme inconscient.
Ces « idées abstraites » ou « présuppositions », dont l’origine n’est pas
seulement consciente ni actuelle et qui demandent parfois un énorme courage
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pour les soutenir comme on vient de le repérer, sont la base de la construction
des concepts fondamentaux et de leurs définitions. Mais ceux-ci ne sont pas
non plus définitifs. Dans la démarche freudienne il y a toujours de la place
pour la modification de la théorie et les définitions rigides en sont exclues :
« Ce n’est qu’après un examen plus approfondi du domaine de phénomènes
considérés que l’on peut aussi saisir plus précisément les concepts scienti-
fiques fondamentaux qu’il requiert et les modifier progressivement pour
les rendre largement utilisables ainsi que libres de toute contradiction. C’est
alors qu’il peut être temps de les enfermer dans des définitions. Mais le
progrès de la connaissance ne tolère pas non plus de rigidité dans les défi-
nitions. Comme l’exemple de la physique l’enseigne de manière éclatante,
même les « concepts fondamentaux » qui ont été fixés dans des définitions
voient leur contenu constamment modifié » (Freud, 1915, p. 12).
Pour faire le bilan, le schéma freudien considère d’abord la description
des phénomènes, laquelle est soumise à l’action des idées abstraites, présup-

Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de Vienne. Tome I, 1906-1908,


Paris, Gallimard, 1976, p. 372.

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positions. Lesdites idées, tirées tant de l’expérience actuelle que de l’expé-


rience passée, peuvent contribuer à l’élaboration de concepts si elles sont en
étroite relation avec le matériel empirique. Si cela est le cas, un accord sur la
signification de ces idées se produira et une convention pourra s’établir à ce
propos. Le choix des conventions n’est pas arbitraire, sinon déterminé par les
relations qu’on devine (erraten) du matériel même. On les devine avant d’en
avoir eu connaissance et de pouvoir en administrer la preuve.
C’est la dimension d’un savoir insu, inconscient, qui semble trouver ici
sa place et nous apporter une première réponse à notre question : l’analyste,
se sert-il de son inconscient comme instrument de recherche ?

L’explicitation des présuppositions : leur nécessité ou leur contingence

Entre la description des phénomènes et l’élaboration des concepts


fondamentaux, Freud situe alors les idées abstraites ou présuppositions –
les hypothèses –, lesquelles acquièrent une place prépondérante dans sa
méthodo­logie. Il donne toute sa valeur à ces idées et suggère de les identifier
et expliciter : « Nous n’appliquons pas seulement à notre matériel d’expé-
rience certaines conventions, sous la forme de concepts fondamentaux, mais
nous nous servons aussi de mainte présupposition compliquée pour nous
guider dans l’élaboration du monde des phénomènes psychologiques. Nous
avons déjà fait intervenir la plus importante de ces présuppositions ; il ne
nous reste plus qu’à le mettre explicitement en évidence » (ibid., p. 15).
Les présuppositions sont encore plus hiérarchisées que les concepts
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mêmes, du fait de leur rôle dans l’élaboration de ces derniers. Il peut y en
avoir plusieurs en jeu, et Freud soutenait que « […] il serait souhaitable que
l’on puisse emprunter ces hypothèses à un autre domaine pour les transférer
en psychologie » (ibid., p. 22). Ainsi, on trouve chez Freud des présupposi-
tions venant de la biologie, de la médecine, de la physique, de l’électricité, de
l’hydraulique, de l’archéologie, de l’étude des hiéroglyphes, de la peinture,
de la sculpture, de l’art, de la littérature, etc. Ceci dit, il ne suppose pas que
la psychanalyse se perde dans les domaines d’autres sciences, étant donné
que « l’investigation analytique des troubles psychiques demeure la source
principale de nos connaissances » (ibid., p. 23). Cela n’empêche pas le cher-
cheur de réfléchir sur les présuppositions de son cru qui participent de la
description des phénomènes et de l’élaboration des concepts. Il s’agit alors
non pas de rejeter le rôle de l’inconscient du chercheur mais de le repérer et
d’établir son incidence.
Le défi est alors celui d’identifier ces présuppositions hypothétiques et
de les expliciter en les énonçant. Très tôt dans son œuvre, en 1894, Freud fait
preuve de ce principe en formulant l’hypothèse auxiliaire de nature élec-

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trique sous laquelle il fonde ses premières élucidations des psychonévroses


de défense (Freud, 1894, p. 14).
Mais le fait de formuler les présuppositions ne suffit pas non plus. Il
faut aussi mesurer le degré de justification d’une présupposition quelconque
et sa nécessité ou sa contingence éventuelle, un travail critique s’avère donc
indispensable. Une hypothèse peut maintenir un caractère hautement indé-
terminé, tandis qu’une autre peut s’avérer aussi indéterminée mais néces-
saire. Pour en donner un exemple freudien, on peut citer la présupposition
biologique selon laquelle le système nerveux est un appareil dont la tâche
principale est celle de maîtriser les excitations : voici un exemple d’une
présupposition qui, selon Freud, est nécessaire. Par contre, la distinction
entre pulsions du moi et pulsions sexuelles semble être, elle, « une simple
construction auxiliaire, qui ne sera conservée qu’aussi longtemps qu’elle
s’avérera utile et qui pourra être remplacée par une autre sans que cela
change grand-chose aux résultats de notre travail de description et de mise
en ordre des faits (Freud, 1915, p. 21).
Il y a donc des présuppositions nécessaires et des présuppositions
contingentes ou auxiliaires. La distinction des pulsions, déjà soulignée
– présupposition contingente –, trouve son origine dans l’histoire du
développement de la psychanalyse dont le premier objet d’étude était les
névroses de transfert : « Il est toujours possible qu’une étude approfondie
des autres affections névrotiques (surtout des psychonévroses narcissiques :
les schizophrénies) nous oblige à changer cette formule et, en même temps,
à grouper autrement les pulsions originaires » (ibid.). Il y a aussi des présup-
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positions « inappropriées » comme celle de Jung concernant l’échec de la
théorie de la libido pour expliquer la dementia praecox, dont Freud prône qu’il
« […] n’est pas un argument, c’est un décret ; it begs the question, il anticipe la
décision et épargne la discussion car, justement, ce qu’on devrait examiner,
c’est si cela est possible et comment » (Freud, 1914b, p. 224).
On peut imaginer toutes sortes de relations, mais le matériel clinique est
celui qui a le dernier mot, du fait qu’il peut offrir une résistance à certaines
présuppositions ou se clarifier à partir d’autres. Il faut mesurer si les idées
et les concepts répondent à la nécessité interne de l’expérience, en faisant
confiance à la trame et en offrant une lecture qui lui soit convenable.
Enfin, ce qui compte est le pouvoir de la présupposition pour expli-
quer les phénomènes et la nécessité d’une telle hypothèse : « Tout ce que je
sais, c’est que toutes les tentatives pour rendre compte de ces phénomènes
par d’autres moyens ont radicalement échoué » (ibid., p. 222). En suivant
avec l’exemple, ce n’est pas le cas de la distinction entre pulsions du moi et
pulsions sexuelles. Freud va jusqu’à dire qu’il doute qu’il soit possible de se
fonder sur des élaborations psychologiques pour classer les pulsions (Freud,

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1915, p. 22). On a alors des présuppositions nécessaires et des présuppositions


échangeables, bien qu’en fin de compte la boussole de la recherche continue
à être la clinique : « Ni particulièrement clairs à saisir ni suffisamment riches
en contenu ; une théorie spéculative des relations en cause se proposerait
avant tout d’arriver à un concept rigoureusement circonscrit qui serve de
fondement. Pourtant, voilà précisément, à mon avis, la différence entre une
théorie spéculative et une science édifiée sur l’interprétation de l’empirie.
Cette dernière n’enviera pas à la spéculation le privilège d’un fondement
tiré au cordeau, logiquement irréprochable, mais se contentera volontiers
de pensées fondamentales nébuleuses, évanescentes, à peine représentables,
qu’elle espère pouvoir saisir plus clairement au cours de son développement,
et qu’elle est prête aussi à échanger éventuellement contre d’autres. C’est que
ces idées ne sont pas le fondement de la science, sur lequel tout repose ; ce
fondement, au contraire, c’est l’observation seule. Ces idées ne sont pas le
soubassement mais le faîte de tout l’édifice, et elles peuvent sans dommage
être remplacées et enlevées. Nous faisons encore, de nos jours, la même expé-
rience pour la physique, dont les conceptions fondamentales sur la matière,
les centres de force, l’attraction, etc., sont à peine moins discutables que les
conceptions correspondantes en psychanalyse » (Freud, 1914b, p. 221).
En l’absence d’une théorie fondée préalablement, il y a donc d’abord
l’observation, ensuite la tentative d’élucidation à laquelle on ne peut se sous-
traire et enfin l’épreuve d’une hypothèse – pas n’importe laquelle – qu’il faut
poursuivre jusqu’à ce qu’elle soit infirmée ou confirmée (ibid., p. 222). Voilà,
succinctement, le modus operandi freudien.
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« La théorie, c’est bon, mais ça n’empêche pas d’exister »

L’élaboration théorique surgit comme une tentative d’explication de


l’expérience clinique, bien que celle-ci soit déjà traversée par des présuppo-
sitions dont on ne connaît pas toute la portée. La question de l’expérience
est centrale. Freud a mis la propre expérience de l’inconscient au sein de
la formation des analystes, au-delà de la transmission théorique par la
bibliographie. Dès un premier moment, Freud entendait ce savoir insu et
lui donnait toute sa valeur. Il a avoué qu’autant Charcot que Breuer disaient
souvent, sans s’en rendre compte, que la sexualité était au cœur de la souf-
france hystérique. Freud prend ceci au pied de la lettre.
La théorie essaie de rendre compte de l’expérience clinique, et non
l’inverse : l’élaboration d’une théorie qui serait appliquée à la pratique.
L’expérience clinique a aussi la valeur de mettre en question toute théorie
construite et Freud n’a pas hésité à modifier sa théorie de l’inconscient
face aux phénomènes qui restaient inexplicables par cette dernière. C’est la

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clinique qui enseigne, non la théorie. « La théorie, c’est bon, mais ça n’em-
pêche pas d’exister », était l’une des phrases de Charcot que Freud préférait,
qui l’avait réveillé de la tradition rationaliste de la pensée allemande. Ce
respect pour l’expérience clinique est l’une des caractéristiques fondamen-
tales de la méthode de recherche freudienne.
L’expérience est donc souveraine. Les catégories théoriques comptent
si elles permettent de saisir avec précision cette expérience, en s’animant
de ce fait. Le rôle de la clinique n’est pas celui d’illustrer ou d’exemplifier,
mais plutôt celui d’une mise à l’épreuve de la théorie (Abelhauser, 2004,
p. 303-310).
Le point de départ est alors la clinique, mais il s’agit d’une expérience
clinique nouvelle, différente de la clinique psychiatrique connue à ce
moment-là. Il s’agit d’une expérience clinique déterminée par le dispositif
créé par Freud : un dispositif de parole où il faut parler librement même
si l’on sait a priori que cette liberté est contrainte. C’est une expérience de
langage où la souffrance occupe la place centrale. Mais, comment se fait-il
que l’analyste puisse faire de la recherche à propos d’une expérience par
laquelle il est intimement concerné ? Et l’analyste-chercheur ? La formation
de l’analyste affecte-elle l’analyste-chercheur ?

Conclusion

Nous conclurons brièvement en posant que la question de la recherche


en psychanalyse ne peut pas être séparée de celle de la formation des
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analystes. Un analyste ne peut pas se dépouiller de sa formation pour faire de
la recherche. Cette formation a alors une influence dans la recherche menée
par ledit analyste et permet d’y introduire une réflexion sur l’incidence de
l’inconscient. Ce qui fait une différence d’avec la recherche traditionnelle
dans les sciences dites humaines est justement que la psychanalyse ne forclos
pas la dimension subjective de sa démarche de recherche et peut considérer
le rôle du désir du chercheur dans ses découvertes. Lacan nous enseigne
qu’« il est indispensable que l’analyste soit au moins deux : l’analyste pour
avoir des effets et l’analyste qui, ces effets, les théorise » (Lacan, 1974-1975).
La formation des analystes concerne alors ces deux aspects : produire des
effets et théoriser les effets produits. C’est aussi l’analyste qui a la tâche de
théoriser sur les effets qu’il produit. L’étude critique des présuppositions
des analystes permet ainsi de saisir les points aveugles, les préjugés qui se
transmettent dans leur formation et qui peuvent donner lieu aux déviations
de la théorie analytique. Pour finir, nous proposerons l’idée – à discuter et à
mettre à l’épreuve – que le discours psychanalytique inaugure une nouvelle
forme d’objectivité dans le champ de la recherche, en tant qu’elle promeut

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Réexamen de la méthodologie freudienne 165

une nouvelle figure du chercheur – l’analyste-chercheur – qui, en raison de


sa traversée de l’expérience analytique, peut et doit faire une critique de sa
subjectivité dans le savoir qu’il produit.

Bibliographie

Abelhauser, A. 2004. « L’éthique de la clinique selon Lacan », L’évolution psychiatrique,


69, 303-310.
Assoun, P.-L. 1981. Introduction à l’épistémologie freudienne, Paris, Payot.
De Battista, J. 2011. « Posición paranoica, posición del analista : un posible diálogo
entre el colegir freudiano y el delirio de relación paranoico », dans C. Escars et
coll. La trama de la interpretación. Lógica y condición de las operaciones del analista,
Buenos Aires, Letra viva, 115-123.
Freud, S. 1894. « Les psychonévroses de défense », dans Névrose, psychose et perversion,
Paris, Puf, 1981, 1-14.
Freud, S. 1912. « Conseils aux médecins sur le traitement analytique », dans Œuvres
complètes, Paris, Puf, 1998.
Freud, S. 1914a. « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique »,
dans Cinq leçons de psychanalyse, suivi de Contribution à l’histoire du mouvement
psychanalytique, Paris, Payot, 1965, 67-155.
Freud, S. 1914b. « Pour introduire le narcissisme », dans Œuvres complètes, Paris, Puf,
2005, 213-246.
Freud, S. 1915. « Pulsions et destins des pulsions » dans Métapsychologie, Paris,
Gallimard, 1968, 11-43.
Freud, S. 1923. « Josef Popper-Lynkeus et la théorie du rêve », dans Résultats, idées,
problèmes, Paris, Puf, 1985, p. 93-95.
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Freud, S. 1925. « La négation », dans Résultats, idées, problèmes, Paris, Puf, 1985.
Lacan, J. 1974-1975. Le Séminaire, Livre XXII, rsi, inédit, séance du 10 décembre 1974.
Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, tome I-1906-
1908, Paris, Gallimard, 1976.

Résumé
L’article s’inscrit dans le champ plus vaste de la méthodologie de la recherche dans les
sciences humaines et propose une réflexion sur l’apport freudien à partir de l’examen
de quelques énoncés concernant les différences entre la position du chercheur et la
position de l’analyste. Cette réflexion permet de faire une lecture des pas que Freud
reconnaît dans son travail de recherche et propose aussi comme problématique
l’inclusion de l’inconscient dans l’activité du chercheur. Que fait l’analyste quand il
fait de la recherche ? Se sert-il de son inconscient comme instrument de recherche ?
Fait-il confiance au domaine de l’inconscient dans l’élaboration de la trame ?
L’inclusion de la dimension de l’inconscient dans la réflexion sur la méthodologie
de la recherche en psychanalyse permet de repenser les possibles « points aveugles »
du chercheur, qui apparaissent sous la forme des présuppositions et préjugés. Cette
inclusion éclaire aussi une autre dimension de la recherche : celle de l’originalité

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apparente des découvertes. L’article propose comme conclusion que l’analyste


chercheur introduit une nouvelle conception de l’objectivité dans la recherche : celle
d’une subjectivité critiquée qui considère le rôle de l’inconscient du chercheur dans
la production de la connaissance.

Mots-clés
Recherche, méthode, psychanalyse, Freud, inconscient, deviner, objectivité, subjectivité,
présuppositions, clinique.

Reconsideration of Freudian methodology for research in psychoanalysis


today

Summary
The article is part of a wider field of research methodology in the human sciences
and proposes a reflection on the Freudian contribution from the review of some
statements concerning the differences between the researcher`s position and the
analyst’s position. This reflection allows for a critical reading of Freud`s research
work steps and proposes as a problematic topic the inclusion of the unconscious
in the researcher work. The question that arises is : what does the analyst do when
he’s doing research ? Does he use his unconscious as a research tool ? Does he trust
the domain of the unconscious in the development of the plot ? The inclusion of the
dimension of the unconscious in the reflection on the methodology of research in
psychoanalysis can rethink possible « blind spots » of the researcher, which appear
in the form of presuppositions and prejudices. This inclusion also clarifies another
dimension of the research : the originality of the findings. The article concludes
that the research analyst introduces a new conception of objectivity in research :
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a subjectivity criticized because he considers the role of the unconscious of the
researcher in the production of knowledge.

Keywords
Research, methodology, psychoanalysis, Freud, unconscious, guess-objectivity, subjectivity,
presuppositions, clinic.

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