Bac Ecrit FR
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L’étymologie grecque du mot crise, Krisis, vient du verbe krinein qui signifie
discerner, juger, décider. En quoi cette étymologie éclaire-t-elle votre lecture
de Juste la fin du monde ?
1. PLAN
A. Juste la fin du monde met en scène une crise personnelle et familiale.
→ La tragédie personnelle de Louis
→ La crise familiale
B. Afin de rétablir l’équilibre, la famille de Louis et Louis lui-même opèrent des choix.
→ La mise en place d’un tribunal familiale
→ La représentation symbolique d’une cure psychiatrique
2. INTRO
La crise est un moment de transition chaotique, souvent douloureux, qui sépare deux
périodes d’équilibre. Elle implique tension, discorde, rupture. La « crise » est d’ailleurs
profondément liée au genre théâtral puisque toute pièce met en scène le passage d’un
nœud dramatique à un dénouement. Juste la fin du monde n’échappe pas à cette règle
puisque Jean-Luc Lagarce nous invite au spectacle d’une crise personnelle et familiale à son
apogée. Mais le mot « crise » vient aussi du grec Krisis qui signifie décision, jugement et
désigne un moment crucial d’arbitrage.
En quoi cette étymologie permet-elle d’éclairer la lecture de Juste la fin du monde ? Qui juge et arbitre dans
cette pièce ? Quelle instance décisionnelle préside aux choix des personnages ?
Nous verrons comment le moment de chaos que constitue la crise dévoile les véritables responsables des
décisions qui sont prises dans l’oeuvre de Jean-Luc Lagarce : la famille et l’individu, mais surtout le destin et
ses lois inexorables.
3.CONCLU
Juste la fin du monde est bien un drame de la crise : la crise personnelle et familiale est
dénouée par une décision familiale tacite et une introspection personnelle qui poussent
Louis à quitter sa famille, sans révéler son secret. Mais la pièce dévoile surtout la crise d’un
monde désagrégé qui conduit à la désunion de tout, des êtres, des choses, des valeurs et
de langage. La crise des personnages est une fenêtre par laquelle apparaît l’effondrement
d’un monde comme on peut le voir chez un dramaturge comme Bernard-Marie Koltès dont le
théâtre exprime la tragédie de l’être solitaire et de la mort.
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4.PRISE DE NOTE
A. JUSTE LA FIN DU MONDE MET EN SCÈNE UNE CRISE PERSO ET FAM
* La tragédie personnages de Louis
→ Dès le prologue, Louis annonce sa mort à venir : « Plus tard, l’année d’après / J’allai mourir à mon tour »
Le nœud de l’intrigue ne réside pas dans la maladie de Louis mais dans son aveu .
→ Cet aveu est difficile : « C’est pénible, ce n’est pas bien / Je suis mal à l’aise / (…) Mais tu m’as mis mal
à l’aise là , / maintenant , / je suis mal à l’aise » PARTIE 1 , SCÈNE 2
Les épanorthoses et la structures chiasmique (ABBA) de ses phrases soulignent son mal-être.
→ On peut établir un parallèle avec Phèdre de Jean Racine.
Dans les tragédies classiques , si le héros ne parvient pas à lutter contre ses passions , c’est la révélation
de celles-ci qui crée le chaos.
C’est ce qui arrive à Louis : sa maladie est déjà la . Impuissant , il ne lui reste plus qu’à la révélé à son
entourage.
*La crise familiale
→ Le retour de Louis rompt l’équilibre familial et réveil les souffrances de chaque membres de la famille.
Pour la mère , le retour de Louis correspond au retour du fils prodigue dont on n’a jamais vraiment
compris le départ.
Pour Antoine , c’est le retour du frère ainé rival.
Pour Suzanne et Catherine , Louis est un miroir qui les confronte à la médiocrité et à la banalité de leur
vie.
→ La crise familiale s’exprime violemment , au travers de disputes constantes.
Tous les personnages se querellent. La violence la plus spectaculaire est celle d’Antoine dans la PARTIE
2 , SCÈNE 2 «Antoine : Tu me touches : je te tues »
TRANSITION → Juste la fin du monde met donc en scène deux crises distinctes : la crise personnelle de
Louis et la crise familiale provoquée par son retour. Comme son étymologie grecque krisis
l’indique, la crise désigne aussi un moment décisif d’arbitrage. Et l’on voit justement dans
cette pièce des mécanismes se mettre en place pour arbitrer la sortie de crise.
5. PARTIES REDIGEES
PARTIE 1
→ Juste la fin du monde met en scène une crise personnelle et familiale.
Le spectateur est invité tout d’abord à la tragédie personnelle de Louis, le personnage
principal. Dès le prologue, il annonce sa mort prochaine : « Plus tard, l’année d’après /
J’allais mourir à mon tour ». Le nœud de l’action ne réside pas dans la maladie de Louis – le
personnage se sait condamné et le dénouement est connu d’avance par le spectateur –
mais dans son aveu : parviendra-t-il à dévoiler ce douloureux secret ? Son mal-être est
perceptible dès le début de la pièce car sa révélation est difficile : « C’est pénible, ce n’est
pas bien / Je suis mal à l’aise. / (…) mais tu m’as mis mal à l’aise et là, / maintenant, / je suis
mal à l’aise. » (Partie I, scène 2). Les épanorthoses (Louis revient sans cesse sur ses
termes pour les nuancer) et la structure en chiasme (ABBA) de ses phrases révèlent son
enferment dans une crise intérieure dont il ne parvient pas à se libérer. En cela, Jean-Luc
Lagarce crée un parallèle avec Phèdre de Jean Racine dans laquelle l’aveu de l’héroïne
éponyme est au centre de la tragédie. Dans les tragédies classiques, le héros est en proie à
des passions violentes contre lesquelles il ne peut pas lutter : c’est la révélation de ses
passions qui crée le chaos. C’est ce qui arrive à Louis : sa maladie est déjà là au début de la
pièce. Impuissant, il ne lui reste plus qu’à la révéler à son entourage. Louis vit donc deux
tragédies simultanées : son combat contre la mort et sa difficulté à avouer ce combat. À
l’image de Phèdre, son déchirement intérieur en fait un modèle de héros tragique en pleine
situation critique
→Au-delà de la crise personnelle de Louis, c’est tout l’édifice familial qui est placé dans une
situation de crise. Le retour de Louis bouleverse en effet l’équilibre familial et réveille les
souffrances de chaque membre de la famille. Pour la mère, le retour de Louis correspond au
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retour du fils prodigue, écrivain, dont on n’a jamais vraiment compris le départ. Pour Antoine,
c’est le retour du frère aîné rival, celui qui réactive ses complexes, ses passions et sa
jalousie. Pour Catherine et Suzanne, Louis est un miroir qui les confronte à la médiocrité et à
la banalité de leur vie. La crise familiale s’exprime violemment, au travers de disputes
constantes. Ainsi, tous les personnages se querellent : Antoine et Catherine, Antoine et
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Suzanne, Suzanne et Catherine, la mère et ses enfants. La violence la plus spectaculaire est
celle d’Antoine qui fait éclater la rivalité fraternelle au grand jour dans la scène 2 de la
deuxième partie : « ANTOINE : Tu me touches : je te tues ». L’asyndète (absence de liaison
entre les deux propositions) accentue la violence du propos et le caractère dramatique de
cette scène où la famille, au paroxysme de la crise, se déchire sous nos yeux.
PARTIE 2
→ Afin de rétablir l’équilibre, la famille de Louis et Louis lui-même opèrent des choix.
Le retour de Louis, après douze ans d’absence, provoque une véritable crise dans le foyer.
Immédiatement, un tribunal familial se met en place pour juger le frère aîné. Ainsi, le champ
lexical du droit abonde dans le texte. Catherine dit elle-même : « je ne voudrais pas avoir
l’air de vous faire un mauvais procès ». Louis accepte d’endosser la culpabilité : « et ces
crimes que je ne me connais pas, je les regrette, j’en éprouve du remords « (2ème partie,
scène 1). Ce tribunal familial ne s’en prend pas qu’à Louis et juge tour à tour les
personnages. Ainsi, Antoine est également accusé d’être « brutal » dans la scène 2 de la
deuxième partie et c’est Louis qui le défend comme le ferait un avocat : « Non il n’a pas été
brutal ». La scène devient donc une juridiction dans laquelle chaque personnage se retrouve
sur le banc des accusés. De ce point de vue, Juste la fin du monde fait songer à la pièce
Huis-clos de Sartre où les personnages, enfermés dans une même pièce après leur mort, se
jugent les uns les autres. Mais le verdict final de ce tribunal domestique conduit à rejeter
Louis hors du cercle familial. Ainsi, dans la scène 3 de la deuxième partie, les personnages
féminins sont gagnés par l’immobilité et s’effacent devant la confrontation des deux frères : «
LA MÈRE : Nous ne bougeons presque plus, nous sommes toutes les trois, comme
absentes, on les regarde, on se tait. » Le silence qui règne jusqu’à la fin de la scène suggère
leur adhésion au discours d’Antoine et une rupture complète entre Louis et sa famille
→La pièce peut aussi se lire comme la représentation d’une cure psychanalytique qui mène
Louis à sa décision finale, annoncée dans l’épilogue : « Je pars / je ne reviens plus jamais ».
Selon Freud, trois instances sont présentes chez l’homme : le moi qui assure la stabilité et le
contact avec la réalité extérieure, le ça, lieu de pulsions qui ne supporte pas la contradiction,
et le surmoi, instance morale qui rappelle les interdits. Les personnages de la pièce
semblent symboliser ces trois éléments : la Mère serait une sorte de surmoi (l’instance
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morale), Antoine le ça (les pulsions) et Louis l’inconscient qui ne parvient pas à émerger et
dire la mort. Le jeu sur les temps (« je suis touché, j’ai été touché » 1re partie, scène 2)
suggère une introspection dans le passé, comme cela se pratique lors d’une psychanalyse.
La multiplication des épanorthoses fait penser à une parole analytique qui se cherche pour
découvrir une vérité intérieure. On pourrait ainsi rapprocher Juste la fin du monde du théâtre
de Nathalie Sarraute qui joue sur les codes de la psychanalyse pour en faire une aventure
esthétique et littéraire. Comme Nathalie Sarraute, Jean-Luc Lagarce s’attache à saisir les
non-dits et les sentiments cachés derrière l’apparente banalité des conventions sociales.
Ainsi, dans la scène de retrouvailles (partie I, scène 1), des sentiments de gêne, de rejet
tacite et d’hésitation se devinent derrière les phrases stéréotypées et le masque pesant des
politesses : « SUZANNE : C’est Catherine. / Elle est Catherine. / Catherine, c’est Louis. /
Voilà Louis. / Catherine. »
PARTIE 3
→Juste la fin du monde montre avant tout que seul le destin décide
véritablement, les personnages étabt soumis à une autorité supérieure qui leur échappe.
Le destin est la véritable instance décisionnelle de la pièce. Louis est d’abord soumis à un
destin biologique : celui de la maladie. Celle-ci est presque invisible – Louis ne parvient pas
à en parler – mais elle est la véritable maîtresse du jeu qui agit sur les personnages. Elle est
d’ailleurs évoquée au début de l’œuvre, dans le Prologue (« J’allais mourir à mon tour ») et à
la fin, dans l’Epilogue (« Je meurs quelques mois plus tard »), dans une circularité parfaite.
La maladie incarne la fatalité tragique inéluctable qui scelle le destin du personnage. Elle
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remporte le combat inégal et perdu d’avance par Louis. Le destin auquel est soumis le
personnage est également héréditaire. On découvre que trois hommes de trois générations
successives portent le prénom de Louis. Jean-Luc Lagarce joue sur la récurrence de ce
prénom pour inscrire son personnage principal dans une lignée tragique qui fait songer à la
malédiction des Atrides dans la mythologie grecque. La crise familiale semble donc être
inscrite dans un continuum qui sous-entend que le destin des personnages est écrit
d’avance, comme dans les tragédies. C’est en outre ce que suggère Louis dans la scène 1
de la deuxième partie : « C’est exactement ainsi, / lorsque j’y réfléchis, / que j’avais imaginé
les choses »
→ Soumis à un destin qui leur échappe, les personnages sont également emportés dans une
crise collective d’un monde qui ne parvient plus à fonctionner. Le titre Juste la fin du monde
invite d’ailleurs les spectateurs à être les témoins d’un monde en crise. L’expression « la fin
du monde » fait allusion à une apocalypse collective tandis que l’adverbe « juste » dévoile
l’ironie d’un auteur qui observe ce chaos avec distance et humour. Tout comme Louis qui
assiste, impuissant, à la crise familiale, le spectateur est invité à regarder l’état de crise
permanent dans lequel sont plongés les membres de cette famille. Car si la crise intérieure
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de Louis, due à sa maladie, suscite la compassion, qu’en est-il de l’obsession psychologique
des autres personnages qui se disputent sur chaque mot ? Pris dans un culte de la
complication, une recherche de la crise pour la crise, les personnages passent à côté de
l’essentiel. Jean-Luc Lagarce montre ainsi un monde où tout se délite : les valeurs, la famille,
le langage. Les dialogues des personnages ressemblent d’ailleurs parfois à ceux du théâtre
de l’absurde, tel l’échange banal entre Louis et Antoine qui rappelle les échanges
mécaniques entre Vladimir et Estragon dans En attendant Godot de Beckett : « Je vais bien /
Je n’ai pas de voiture, non / Toi comment est-ce que tu vas ? ANTOINE Je vais bien. Toi
comment est-ce que tu vas ? » (1re partie, scène 1).