Analyse Linéaire Chap.6 Candide
Analyse Linéaire Chap.6 Candide
Analyse Linéaire Chap.6 Candide
Objectif : faire une analyse linéaire du chapitre 6 de Candide puis s’entrainer à la question de
grammaire
Le chapitre 6 forme un petit récit court, complet et dense. Les actions s’y enchainent avec
rapidité. On peut relever quatre étapes importantes dans le récit : la prise de décision de
l’autodafé, la désignation de coupables, le déroulement de la procession religieuse,
l’exécution de la sentence. Ce chapitre introduit véritablement la question religieuse dans le
conte. La critique du clergé n’avait été abordée que de façon allusive auparavant. Voltaire
veut dénoncer les pratiques de l’Inquisition, cet organisme judiciaire de l’Eglise était chargé
de réprimer l’hérésie, c’est-à-dire toute opinion ou doctrine contraire au catholicisme : très
active au XVIe, elle ne fut abolie au Portugal qu’en 1820.
1e § : Une longue phrase englobe tout le premier §. Voltaire inscrit dans son conte (pourtant
tissé d’invraisemblances romanesques) un événement historique : le tremblement de terre
de Lisbonne du 1er novembre 1755 qui a fait 40 000 morts pour en marquer la gravité. Cet
événement l’a profondément marqué (il avait déjà écrit un Poème sur le désastre de
Lisbonne en 1756 que vous pouvez lire en cliquant sur ce lien :
https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/poeme-desastre-lisbonne )
La première phrase du chapitre 6 évoque les circonstances et la gravité de l’événement :
destruction des « ¾ de Lisbonne » et le moyen utilisé pour éviter de nouvelles secousses : le
recours à la superstition. Voltaire fait preuve ici d’ironie car il feint d’approuver, d’admirer
cette décision inadmissible comme s’il était logique d’organiser un autodafé : « sage » est
utilisé en antiphrase, « bel autodafé » est un oxymore. Le rapport de cause à conséquence
est absurde. Il veut montrer ici que la religion est pervertie par l’obscurantisme. On retrouve
l’horreur qui devient un spectacle comme dans le chapitre sur la guerre : « le spectacle de
quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie ». L’autodafé devient un
spectacle théâtral.
2e §
• La locution « en conséquence » de la 1ère phrase du 2e § met en valeur le renversement du
lien de cause à effet : au lieu de procéder à un autodafé parce qu’il y a des coupables, on
a décidé de faire un autodafé en premier lieu et de chercher des coupables ensuite,
coupables qui seront donc des victimes, des boucs-émissaires. La causalité absurde est ici
dénoncée par Voltaire qui montre bien l’absence totale de logique, le raisonnement faussé
des inquisiteurs qui ne sont pas nommés par prudence.
• Le pronom sujet de la première phrase est « on » comme dans le sous-titre du chapitre
« comment on fit un bel autodafé » : pronom indéfini qui révèle que la responsabilité est
diluée, masquée et innocentée par la voix d’une institution à laquelle tout le monde
adhère. « On avait en conséquence », « On vint lier », « on orna ». Qui est réellement ce
« on » ? une foule anonyme, sans visage, en fait c’est la société tout entière car elle
cautionne ce qui se passe.
• Les coupables choisis sont au nombre de 5. Au départ un Biscayen (originaire du Nord du
pays) et deux Portugais, puis Pangloss et Candide. Leurs crimes sont divers, n’ont aucun
rapport avec le tremblement de terre évidemment et on peut noter une gradation vers
l’absurde dans les motifs d’arrestation, si les deux premiers ont un lien avec la religion, les
deux suivants n’en ont plus du tout :
– manquement à la discipline de l’Église pour le Biscayen « convaincu d’avoir épousé
sa commère » c’est-à-dire accusé d’avoir épousé la marraine de son filleul or c’est
interdit par l’Église
– pratique d’une religion autre que le catholicisme pour les deux Portugais : ils ont
suivi une loi de la religion juive, ils sont donc considérés comme des hérétiques. A
l’époque, on entourait parfois le poulet d’un morceau de lard. Or, les Juifs ne
mangent pas de porc donc ils ont arraché le morceau de lard pour ne pas le
manger.
– parole et écoute pour Pangloss et Candide : ces deux raisons sont les plus
dérisoires, finalement on ne sait pas trop pourquoi ils sont arrêtés, les motifs sont
ridicules. Cela fait penser à la peccadille de l’âne dans Les Animaux malades de la
Peste de La Fontaine « Sa peccadille fut jugée un cas pendable ». Pangloss et
Candide sont condamnés pour une peccadille, on a voulu trouver un prétexte à
leur arrestation.
• Pangloss et Candide sont conduits en prison mais celle-ci est évoqué par une périphrase à
valeur d’euphémisme humoristique « des appartements d’une extrême fraîcheur dans
lesquels on n’était jamais incommodé du soleil » : c’est encore une fois le point de vue naïf
de Candide que Voltaire semble adopter ici. Les hyperboles « extrême », « jamais »
permettent de percevoir le ton satirique de Voltaire. Il feint de décrire la prison d’une
manière méliorative.
• Le complément circonstanciel de temps « huit jours après » montre qu’il y a des ellipses
dans le récit (des événements non racontés) : on ne parle pas du séjour en prison, on ne
parle pas du procès, on ne parle pas de l’état d’âme des condamnés. On passe tout de
suite à l’autodafé. Les éléments sont juxtaposés dans une même phrase : succession des
faits sans connecteur logique, il y a suppression des mots de liaison, conjonctions ou
adverbes, c’est une figure de style que l’on nomme l’asyndète. Cela se poursuit par la
suite : la succession des étapes semble mécanique.
• « ils furent tous deux revêtus » : proposition à la voix passive pour insister sur la passivité
de Pangloss et Candide, tous deux victimes de leur sort.
• Les détails des vêtements dont Pangloss et Candide sont habillés sont pittoresques,
Voltaire veut montrer que les inquisiteurs observent un certain folklore : mitres de papier
sur la tête (coiffant normalement les évêques) et san-benito, vêtements d’infamie ornés
ici de peintures porteuses de signification : flammes et diables représentent l’enfer.
Voltaire détaille ici la disposition des motifs et met en évidence la bizarrerie du rituel.
Pangloss est condamné à mort, Candide non, donc leurs vêtements sont différents. Le
symbolisme est ridiculisé par Voltaire : les flammes droites et les diables de Pangloss avec
griffes et queues proclament la gravité de sa faute qui le voue au bûcher et à l’enfer. La
faute de Candide est moindre et les flammes sont donc à l’envers et ses diables sont sans
queues ni griffes. La religion est ici réduite à des détails matériels superficiels et à des
superstitions primaires. Voltaire s’attarde sur des détails qui vident la cérémonie de toute
spiritualité.
• « Ils marchèrent en procession ainsi vêtus… en faux bourdon.» : on retrouve comme dans
le chapitre sur la guerre l’idée d’un beau spectacle visuel « procession » et sonore « belle
musique en faux bourdon ». Le supplice se déroule comme un spectacle bien orchestré :
« Candide fut fessé en cadence pendant qu’on chantait. » Voltaire montre que les hommes
mettent du raffinement dans les actes les plus cruels, ils font le mal en artistes. Voltaire
travestit donc lui aussi le mal en bien. Cette mise en scène est une arme de dénonciation.
Le procédé consiste à minimiser les horreurs décrites en faisant semblant de rendre beau
ou cocasse ce qui est tragique. C’est le principe du registre burlesque : « fessé » est utilisé
à la place de « flagellé », une réalité grave est évoquée de manière triviale. (Cela rappelle
le coup de pied au derrière du baron au chapitre 1 et on retrouvera ce registre burlesque
avec la vieille amputée d’une fesse).
• La cérémonie semble vue par un spectateur admiratif : « bel autodafé », « belle
musique », « grande cérémonie ». Ces expressions sont évidemment ironiques et Voltaire
montre son indignation en montrant le décalage entre les faits : les hommes sont brûlés
« à petit feu », (expression utilisée plutôt en cuisine) c’est-à-dire tout doucement pour
offrir un beau divertissement à la foule. On en met plein la vue avec des costumes décorés
et plein les oreilles avec la musique d’accompagnement. Mais au final des innocents sont
en train de mourir ! L’horreur est présentée de manière légère. Le décalage entre les faits
et la façon de les raconter a pour but de susciter l’indignation du lecteur.
• Fin du 2e § : Brutalité de l’épilogue, effet de chute « le même jour » : deuxième secousse
(fait historique, réplique survenue le 21 décembre 1755 à Lisbonne). C’est comme la
revanche de la réalité sur la superstition. Tout l’édifice des inquisiteurs s’écroule. La
nouvelle secousse discrédite totalement leurs actes. L’adjectif « épouvantable » insiste sur
la violence des éléments naturels et ramène brusquement à la réalité. Cette phrase fait
écho à la formule du 1er paragraphe « un secret infaillible pour empêcher la terre de
trembler ». Elle apporte un démenti irréfutable à la superstition. La cérémonie louée
comme un spectacle était d’une totale inutilité. Des innocents ont péri pour rien.
L’injustice est ainsi dénoncée. Le « secret » soi-disant « infaillible » se révèle une bêtise
totale.
3e §
Réaction de Candide : énumération d’adjectifs qualificatifs montrant son désespoir, puis
succession de deux participes présents « palpitant, sanglant » précédés de l’adverbe intensif
« tout » qui rappelle qu’il a été maltraité. Il y a des effets sur son état physique et moral. Le
traumatisme le pousse à réagir, à sortir de sa naïveté. Il constate l’écart entre la philosophie
de l’Optimisme et la réalité. Série de questions qu’il se pose qui sont aussi des exclamations
montrant un début de révolte de sa part même s’il reste encore naïf : il reste le disciple naïf
de Pangloss « le plus grand des philosophes » et l’amoureux transi de Cunégonde « la perle
des filles ». Candide commence son éducation mais il reste encore du chemin à faire, il
conserve une partie de ses illusions.
4e §
L’énumération « prêché, fessé, absous et béni » est burlesque car elle associe trois participes
passés à connotation religieuse à un participe passé différent, trivial. Elle discrédite le pardon
en lui associant un châtiment, une punition, pour enfant de surcroît.
Comme à la fin du chapitre sur la guerre, la fin du chapitre 6 est une transition vers la suite
des aventures de Candide. Celui-ci fait une nouvelle rencontre : la vieille. On voit que Voltaire
relance à nouveau son intrigue pleine de rebondissements.
Travail personnel à faire avant mercredi matin : analyse logique de la phrase suivante (avant
dernière phrase du 2e §)
« Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui
n’avaient point voulu manger de lard furent brûlé et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit
pas la coutume. »
Analyser grammaticalement cette phrase en faisant toutes les remarques nécessaires sur sa
construction. Combien de propositions ? Nature et fonction de celles-ci ? Caractéristiques des
verbes utilisés ? Temps utilisés ? Intérêt de ces choix grammaticaux pour l’enjeu du passage ?