Questions de Constitution: Dominique Rousseau
Questions de Constitution: Dominique Rousseau
Questions de Constitution: Dominique Rousseau
Politique et Sociétés
Questions de constitution
Dominique Rousseau
ISSN
1203-9438 (print)
1703-8480 (digital)
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Dominique Rousseau
Université de Montpellier
3. Voir, par ex., M. Van de Kerchove et F. Ost, Le système juridique entre ordre et
désordre, Paris, P.U.F., 1988 ; Le droit ou les paradoxes du jeu, Paris, P.U.F.,
1992 ; J. Lenoble et F. Ost, Droit, mythe et raison, Facultés universitaires Saint-
Louis, Bruxelles, 1980 ; J. Lenoble et A. Berten, Dire la norme, Paris, L.G.D.J.,
1990, J. Habernas, Droit et Démocratie, Paris, Gallimard, 1997 ; H.G. Gadama,
Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1976 ; F. Millier, Discours de la méthode
juridique, Paris, P.U.F. Leviathan, 1996 ; L. Wittgenstein, Traetatus logico-
philosophiques, Paris, Gallimard, 1961 ; Investigations philosophiques, Paris,
Gallimard, 1961 ; G. Vattimo, Éthique de l'interprétation, Paris, La Découverte,
1991, V. Eco, Les limites de l'interprétation, Paris, Grasser, 1992.
4. P. Bourdieu, Esquisses d'une théorie de la pratique, Droz, Genève, 1972 ;
Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984 ; « La force du Droit », Actes de la
Recherche, n° 64, 1986, p. 3.
5. J. Derrida, Force de la loi : le fondement mystique de l'autorité, Cardozo Law
Review, vol. 11, 1990.
6. M. Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Gallimard/Seuil, 1997 ; La volonté
de savoir, Paris, Gallimard, 1976.
7. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 ; Le juste, Paris, Esprit,
1995.
8. P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999.
9. P. Amselek (dir.), Théorie des actes de langage, éthique et droit, Paris, P.U.F.,
1986.
10. M. Troper, Pour une théorie juridique de l'État, Paris, P.U.F., 1986.
U . C . Lefort, Le travail de l'œuvre Machiavel, Paris, Gallimard, 1972 ; Essais sur la
politique XIXe et XXe siècle, Paris, Seuil, 1986.
12. M. Abensour, La démocratie entre l'État, Paris, P.U.F., 1997.
13. B. Lacroix, « Ordre politique et ordre social : objectivisme, objectivation et
analyse politique », dans Traité de Science politique, t. 1, Paris, P.U.F., 1994.
14. L. Marin, De la représentation, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1994.
15. O. Cayla, La notion de signification en droit, thèse, Paris II, 1992.
16. D. de Béchillon, Qu'est-ce que la règle de droit ?, Paris, Odile Jacob, 1997.
17. O. Jouanjan, « État de Droit, forme de gouvernement et représentation », dans
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Strasbourg, 1998.
18. Lucien, Hermotime ou comment choisir sa philosophie ? Paris, P.U.F. 1993.
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22. Voir, par ex. :, J. Habermas, Droit et Démocratie, Paris, Gallimard, 1997.
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au sérieux les produits qu'elle crée, par croire en leur vérité vraie, et
glissements après glissements, par en imposer le respect et l'obéis-
sance comme s'il s'agissait de dogmes révélés, de règles sacrées et par
exiger que la constitution, son produit suprême, soit l'objet d'un culte.
Ce «moment-là» de la constitution n'est ni passé ni dépassé; il
est toujours présent et servi, sur un mode souvent inavoué, par
nombre de constitutionnalistes. Mais il côtoie une autre pensée de la
constitution, celle de sa déchéance.
sociétés loin des choses de la vie dans les délires froids des machi-
neries totalitaires; Tune s'alimente à la philosophie triomphante des
Lumières, l'autre à l'antirationalisme revivifié par Auschwitz dans la
pensée moderne ou postmoderne. Le moment où l'idée de
constitution-néant commence à s'affirmer est, en effet, celui où les
sciences humaines déconstruisent les grands systèmes philosophiques,
rejettent l'hypothèse d'un sujet raisonnable, libre et conscient,
démontrent la perversion radicale de la raison ; et celui aussi où sont
vantées la puissance, la richesse et l'énergie créatrice d'une vie
libérée des carcans institutionnels.
C'est dans cet ordre-là du discours philosophique — «La vie
contre la Raison, la vie contre le Droit» — que se glisse, en écho,
l'analyse de Georges Burdeau observant, à la fin des années 1950,
que le déclin du concept de constitution est solidaire du déclin de la
philosophie rationaliste qui l'avait conduit à la perfection et que ce
concept ne peut plus avoir «cours à une époque où les seules valeurs
dotées d'un prestige social sont celles qui magnifient la vie dans ses
forces élémentaires et spontanées41. Michel Guenaire utilise le même
type d'argumentation lorsqu'il déplore, en 1991, que la Constitution
étouffe et brise les élans de la vie politique42. Retrouvant les thèmes
vitalistes de la philosophie antirationnaliste, les juristes découvrent
que le monde saisi par le droit devient un monde mort et que le droit
saisi par le monde devient un droit qui perd ses attributs de créateur
d'ordre et d'unité.
Cette «découverte» occupe et séduit aujourd'hui de nombreux
esprits. Mais elle peut en faire rire ou sourire d'autres, amusés de voir
certains défendre, et avec force arguments convaincants, la thèse de la
constitution-être absolu saisissant par ses dispositions la vie, la société
et l'homme dans leur totalité, et d'en voir d'autres, avec autant
d'arguments convaincants, défendre la thèse de la constitution-néant
radical impuissante à dire quelque chose sur le monde. N'est-elle pas
en effet amusante la «pensée» de l'un ou de l'autre, du noir ou du
blanc, du bien ou du mal, de l'extérieur ou de l'intérieur, du sujet ou
de la structure, de l'être ou du néant? Car une pensée qui pense
n'est-elle pas celle qui assume les contradictions de l'existant, qui
rassemble les contraires et qui se reconnaît paradoxale? Tel est, en
tout cas, le caractère de ma démarche, de mon raisonnement pour
tenter de penser la constitution à la fois être et néant, comme principe
de réflexion des hommes sans qualités.
l'image que lui représente la constitution. Cette image n'est pas pour
autant un faux ou une déformation de l'identité réelle de l'individu, car
précisément ce dernier n'a pas la qualité de citoyen-français-
être-de-droit avant qu'elle ne lui soit représentée par la constitution.
En ce sens, cette qualité peut être dite «définie en extériorité»,
puisqu'elle n'est pas antérieure à sa mise en forme constitutionnelle.
A condition d'achever le raisonnement de l'extériorité : dès lors que
l'image de citoyen-français-être-de-droit se constitue par la mise en
forme constitutionnelle, elle devient nécessairement la réalité de la
représentation que l'individu se fait de lui-même, ce à travers quoi il
se perçoit et se vit; et, partant, elle n'est plus un élément étranger à
son univers pratique, mais, au contraire, le principe qui va comman-
der ses relations avec la société. Pas d'intériorité sans extériorité;
l'extériorité est une condition de l'intériorité, l'autre une condition du
je : c'est par et dans l'autre — le citoyen-français-être-de-droit — que
la constitution lui renvoie que l'individu devient ce «je - citoyen-
français-être-de-droit ».
Véritable miroir magique — «miroir, dis-moi qui je suis ?» —, la
constitution est le lieu où prend naissance l'homme moderne. Sans
doute, certains l'analysent comme le moment de l'aliénation de
l'homme soit parce qu'elle le sépare de ses racines naturelles, de sa
relation à Dieu, de ses identités traditionnelles, soit parce qu'elle
consacre, selon la formule marxiste, la séparation de l'homme avec
l'homme et l'égoïsme bourgeois. Mais il ne pourrait y avoir sépara-
tion ou aliénation que si l'individu abandonnait son identité, ou ses
qualités antérieures, pour acquérir celle qui, par la magie du miroir
constitutionnel, vont précisément le constituer être de droit. Or, même
si l'on admet qu'il possède des qualités antérieures — ce qui est
discutable au regard de la condition de l'homme moderne —, la
constitution, loin de les supprimer, permet, par l'effet de miroir, de
construire une image unifiée du «je» dans l'espace social : travail-
leur, consommateur, électeur, parent, propriétaire, libre-penseur ou
croyant, toutes ces qualités se trouvent précipitées — au sens chi-
mique du mot — dans l'image de l'être de droit que l'individu ren-
contre dans la constitution44. En ce sens, elle est ce lieu où se struc-
ture l'identité des hommes des temps désenchantés.
La constitution est aussi, et en conséquence de cela, le lieu auquel
chacun peut référer son action, c'est-à-dire la comprendre, la juger, la
critiquer, bref, la réfléchir. Il ne s'agit pas ici de réintroduire la thèse
de la constitution moteur et principe d'explication des comportements
des acteurs sociaux. On ne saurait en effet revenir en deçà de l'idée
selon laquelle la matrice du comportement des uns et des autres est un
44. Chacun reconnaîtra ces qualités dans les différents alinéas et articles de la
Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946.
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