La Nature
La Nature
La Nature
INTRODUCTION :
Le concept de « nature » et ses dérivés « naturel » , « naturellement »
trouvent dans la langue différentes acceptions , selon qu’on renvoie à la norme
ou à ce qui s’oppose à l’artificiel et au culturel. Est naturel ce qui parait normal,
logique ou ce qui n’a pas changé du fait de l’intervention de l’homme. Cette
polysémie de la notion de nature traduit la multiplicité des représentations
humaines de la nature. De ce fait , il convient de distinguer la nature comme
réalité empirique et la nature comme idée forgée par l’entendement de
l’homme. En effet , comme réalité , la nature est l’ensemble de ce qui existe , le
tout de la réalité , l’univers , le monde , les êtres et le temps soumis à des lois
immuables. Du sens étymologique « nascere »qui veut dire « naitre » nous
avons un deuxième sens : la nature est ce qui définit tout être à la naissance ,
c’est son essence et le principe qui lui donne existence. Mais , la nature est aussi
une idée , c’est-à-dire une représentation susceptible de traduire des valeurs.
Cette complexité de la définition du terme nature nous amène à poser les
problématiques suivantes : -- Quels effets sur la vie de l’homme peuvent avoir
nos représentations de la nature ?
-- Quelle place occupe l’homme dans la nature ? Et comment définir
la nature humaine ?
-- Quels rapports établir avec la nature ?
I- Les différentes représentations de la nature :
1- La nature comme un ensemble d’êtres et de lois physiques : C’est la
représentation scientifique inaugurée par les présocratiques et Aristote dans
l’Antiquité. Cherchant à dépasser toute explication mythique , les
présocratiques( Thalès, Héraclite , Anaximandre )considéraient que la nature est
matière , soumise à un principe premier : les quatre éléments, le feu, l’eau, l’air,
la terre . Aristote leur emboite le pas , en définissant la nature comme
l’ensemble des choses qui contiennent en elles-mêmes leur principe de
mouvement : ce principe renvoie à leur croissance , à leur modification et
transformation dans le temps. Mais ,l’homme antique continue à voir dans la
nature un spectacle digne de contemplation . La science moderne , au XVIIème
siècle , ne cherche plus le principe , ne se pose plus la question : pourquoi ?
Mais se demande : comment l’ordre de la nature fonctionne d’une telle façon ?
Ce qui permet de découvrir les lois de la mécanique et les relations
fonctionnelles entre les substances et les organes . La nature n’est plus divinisée
et le monde est désenchanté. Tout mystère n’est mystère que faute de
connaissance . Galilée voit dans la nature « un livre écrit en langage
mathématique » et Descartes exprime l’ambition de l’homme à se « rendre
comme maitre et possesseur de la nature ». De ce fait , la nature devient une
simple ressource et ses lois des relations susceptibles d’être imitées pour les
besoins de la technique. Cette représentation instrumentale de la nature
légitime alors son exploitation.( voir le cours sur la science)
2- La nature comme origine des valeurs : On se représente la nature
comme pourvoyeuse des valeurs du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Elle
est considérée alors comme un idéal. Ainsi, pour les Grecs , la nature porte en
elle les traces d’une intelligence , elle est ordre , harmonie et raison , c’est
pourquoi , suivre la nature est le choix qui permet d’accéder au bonheur pour
les épicuriens et les stoïciens. En effet , Epicure ,lorsqu’il distingue les désirs
naturels et non naturels , c’est pour s’aligner à un ordre d mesure et de raison
propre à la nature. « Vivre selon la nature » c’est comprendre qu’il y a un
équilibre dans la nature et fonder son bonheur sur l’équilibre corporel : boire
quand on a soif , éviter l’excès et tout ce qui est artificiel et superflu. Les
stoïciens voient dans la nature un ordre parfait orienté vers le bien et dans le
monde ( cosmos= beauté) la trace du logos divin. L’homme , faisant partie de la
nature, se doit de la suivre , en soumettant ses désirs à cette raison
organisatrice et divine. C’est ainsi qu’il peut trouver le chemin de la perfection ,
de la vertu et donc du bonheur. Cette vision est remise en question par les
Sophistes . Calliclès , personnage de Platon dans le Gorgias , considère que tout
dans la nature est puissance et c’est la force qui y prime , il est normal donc que
le fort domine le faible. Imiter la nature , c’est se donner tous les droits et
laisser libre cours à ses désirs sans se soucier de la morale des faibles. De ce
fait , on peut conclure que la nature est plus une idée qu’autre chose .( voir le
cours sur le bonheur)
3- La représentation politique : La nature a été instrumentalisée pour
fonder des théories politiques , elle est considérée comme une hypothèse
théorique pour légitimer le droit positif, ou utilisée comme un espace utopique
pour dénoncer les injustices de la société. Ainsi, Hobbes , cherchant à légitimer
le pouvoir souverain absolu , considère que l’homme dans l’état de nature « est
un loup pour l’homme » . Cette thèse a été remise en question par Rousseau ,
pour qui l’état de la nature est un état d’innocence et d’harmonie et c’est
l’entrée dans la société qui corrompt l’homme .D’où , la nécessité d’un contrat
social qui mettrait fin aux inégalités et aux conflits .( voir le cours sur l’Etat et
l’injustice).
Par ailleurs , la nature a été considérée comme un refuge et une mère
bienfaitrice dans les Utopies( l’âge d’or ,l’Arcadie ), car elle réveille la nostalgie
du paradis perdu , c’est pourquoi elle a été utilisée comme un argument
idéologique et publicitaire : un yaourt est nature , le paradis ressemble à une
nature calme et verdoyante.
II- La nature de l’homme :
1- L’homme a une nature , c’est-à-dire une essence qui le définit : la nature
humaine permet de distinguer l’homme de l’animal. Considérée comme une
espèce à part , l’homme semble doté de caractères innés : caractères physiques
comme la station verticale et caractères moraux comme la conscience . Aristote
le définit comme « un animal politique doué de logos ( de raison et de
langage) », c’est un être perfectible et libre qui peut se détacher de son
animalité en maitrisant ses instincts . Les religions monothéistes lui confèrent
une place particulière. Le christianisme se le représente à l’image de Dieu le
père , mais la nature de l’homme est marquée par le péché originel . Cette
représentation est à l’origine de la prétention d’une supériorité humaine et de
l’anthropocentrisme. Les différentes tentatives de définition de l’homme
suscitent des réserves car elles le figent . Or étant libre , sa nature semble rétive
à toute définition.
2- la nature de l’homme est d’être privée de nature : C’est Pic de la
Mirandole ( 1463-1494)dans De la dignité de l’homme , qui met en avant cette
absence de définition . En effet, Pic de La Mirandole reprend le mythe de
Prométhée et le mythe de la création pour montrer que l’homme est une
exception au milieu de la nature. Donnant la parole à Dieu , il dit : « Je ne t’ai
donné ni place déterminée ni visage propre , ni don particulier, ô Adam, afin
que ta place , ton visage, tes dons , tu les veuilles , les conquières et les
possèdes toi-même .La nature enferme d’autres espèces en des lois par moi
établies .Mais , toi , que ne limite aucune borne, par ton libre arbitre , entre les
mains duquel je t’ai placé , tu te définis toi-même. » De ce fait , on peut dire que
le propre de l’homme est de s’affranchir de toute loi naturelle . Cette liberté est
une propriété métaphysique fondamentale comme l’affirme Sartre «
L’existence précède l’essence » et «l’homme n’ est que ce qu’il fait » ( voir le
cours sur la liberté). Au lieu donc de parler de nature humaine , il vaut mieux
parler de condition culturelle de l’homme.
3- La condition culturelle de l’homme : Le terme condition renvoie à une
faculté d’adaptation au milieu qui permet l’apprentissage. Claude Lévi-
Strauss(1908-2009) – philosophe et ethnologue français- pense que l’homme a
des dispositions biologiques ( il est doté d’un appareil phonatoire , a des
structures psychologiques et mentales ) qui doivent être sollicitées en société , à
travers la culture et par l’apprentissage pour se développer . Sans la culture , ces
dispositions naturelles sont inopérantes . Le film « L’enfant sauvage » de
Truffaut illustre cet aspect ; en effet ,Victor de l’Aveyron a vécu , seul , dès sa
naissance dans la forêt et n’a pas pu durant six ans développer un
comportement humain. Recueilli par un médecin Jean Itard , il agissait au début
comme un animal sauvage , ne savait ni se nourrir , ni s’habiller , ni marcher
comme un humain. Il a fallu de grands efforts pour l’amener à développer ses
aptitudes et devenir homme . Un animal peut être dressé mais reste en deçà de
ce qu’est un homme. Ce qui nous permet d’avancer que la nature de l’homme
est cette faculté à s’arracher à l’animalité en lui grâce à la culture c’est-à-dire la
création des valeurs, le travail , la technique et les mœurs . Nous pouvons
donner comme exemple le caractère humain que constitue la prohibition de
l’inceste .Comme interdit universel, il représente d’après Lévi-Strauss , la
transformation nécessaire du passage de la nature à la culture. L’universalité de
cet interdit fait de lui à la fois un caractère naturel de la société humaine et une
règle culturelle.
Cette capacité à s’arracher à la nature animale et à se définir par la culture
donne à l’homme le droit de dominer la nature , et de modifier son
environnement. Quels effets peut avoir cette action de « rendre artificielle » la
nature ? A-t-il le droit de la transformer. La nature( l’animal , les plantes , le
climat) ne peut-elle pas être un sujet de droit ?
III- Quels rapports établir avec la nature ?
1- Changer de vision : Le rationalisme cartésien a traité la nature comme un
objet d’usage , une ressource exploitable . Cela a eu comme conséquence , à la
suite du développement technique, la transformation du milieu naturel et sa
destruction , mais aussi la modification de notre regard. Nous ne connaissons
plus les choses en elles-mêmes , tout devient outil , matière et objet soumis à
notre puissance. Même l’homme est considéré comme simple ressource .
Heidegger utilise le concept d’arraisonnement pour désigner cette dévaluation
et cette soumission de la nature à la rationalité humaine. L’agression
technicienne nous a caché la vérité de l’être. Un retour à la nature , c’est un
retour à la réalité des choses en soi , à leur essence.
2- Etablir un contrat naturel : Le concept de contrat naturel , forgé par
Michel Serres , fait de la nature un sujet de droit. L’homme ne devrait plus se
considérer comme un être en dehors de la nature , il en fait partie. Et de ce fait ,
la destruction de l’écosystème et la mise à mal de la biodiversité est une
menace pour toute vie. Le contrat stipule qu’on accorde une valeur à toute
forme de vie , qu’on repense cette relation avec la nature dans la durée , car une
vie durable de la nature assure un développement durable des activités
humaines .C’est pourquoi , dit Michel Serres , « autant la nature donne à
l’homme , autant celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit . » Ce
nouveau rapport à la nature se concrétise par l’adoption de lois préservant les
sites naturels classés au patrimoine mondial de l’Unesco . Mais cela suffit-il pour
éviter le désastre ?