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26 LE FINANCEMENT DE L’ENVIRONNEMENT

Le financement de l’environnement
Le marché de l’environnement est souvent annoncé comme très prometteur, mais
comme tous les marchés d’apparition récente, il manque encore de visibilité pour
les banquiers et bailleurs de fonds. L’intervention publique permet la création de
ressources financières dédiées, et apporte des garanties aux acteurs.

par Arnaud BERGER

Plus la dégradation de l’environnement s’accélère, ✔ Si le marché de l’environnement (éco-innovation,


et plus les rapports la décrivant et l’évaluant se multi- construction durable) est, souvent, cité comme pré-
plient. Le récent rapport du GIEC évalue le coût du sentant un fort potentiel économique, les données –
réchauffement climatique à entre 1,5 % et 2 % du PIB trop rares – sur l’évolution réelle des entreprises des
mondial (de 48,244 Milliards de dollars en 2006) (1), biens et services, dans ce domaine, n’en donnent
pour une augmentation de la température du globe de pas une bonne visibilité pour le secteur de la
2,5°C. L’économiste anglais Nicholas Stern démontre banque (et de l’assurance). Cette méconnaissance
que le réchauffement de la planète coûterait 5 500 créé un facteur de risque supplémentaire ;
milliards d’euros, si rien n’était mis en œuvre afin de ✔ Les équipements écologiques ont un coût d’acqui-
l’endiguer. sition plus élevé que des équipements convention-
La lutte contre le réchauffement climatique et, plus nels, mais ils génèrent, le plus souvent, des charges
généralement, la protection de l’environnement, moindres, sur la durée totale de leur utilisation. Les
appellent des moyens financiers d’accompagnement investissements écologiques présentent un TRI (2)
bien supérieurs aux capacités de mobilisation budgé- moins élevé sur une courte période, mais plus élevé
taire des Etats. L’aide publique est importante pour sur une longue période, à la différence des biens
déclencher des opérations pilotes, en amont de leur d’équipements qui sont (usuellement) financés dans
présentation au marché, mais elle sera insuffisante une optique d’utilisation maximale et sur la courte
pour répondre aux besoins – considérables – à venir. durée, afin de maximiser les ROE (3). Un investis-
Sans l’intervention du secteur de la banque et des sement écologique présentant un temps de retour
assurances, les grandes mesures d’écodéveloppement sur investissement plus long qu’un bien de produc-
préconisées au niveau mondial ou au niveau national, tion usuel, il expose son détenteur (entreprise, col-
à l’instar du Grenelle de l’environnement, risquent lectivité ou particulier) à un taux d’endettement
d’être confrontées assez rapidement aux limites de plus élevé, lui-même porteur d’un risque supplé-
l’intervention économique publique. mentaire, tant pour lui-même que pour son ban-
quier ;
Les enjeux de l’implication bancaire dans la ✔ Ce coût du risque augmente encore, dans le cas des
protection de l’environnement PME éco-innovantes, dont la caractéristique est de
créer des produits nouveaux, dans un marché à
Les banques ont une responsabilité sociétale évi- créer, avec des clients nouveaux et en l’absence –
dente dans l’enclenchement des mécanismes de mise par définition – de références connues. De plus, qui
sur le marché et de financement du développement sait si tel nouveau procédé est parfaitement maîtri-
durable. Elles ont également un rôle majeur à jouer sé, et s’il ne va pas induire des préjudices entraînant
dans la pédagogie du développement durable, en une recherche de responsabilité, à l’initiative de ses
amont des projets d’investissement de leurs clients utilisateurs, ou d’autres parties prenantes ?
(particuliers, ou entreprises). L’état des lieux actuel Les financements sont, aujourd’hui, orientés vers
n’est pas facile à dresser. des secteurs offrant une certaine visibilité (ce qui n’est
Si de nombreux travaux ont été consacrés à l’éco- pas le cas, nous l’avons vu, de l’environnement). La
nomie de l’environnement, peu d’entre eux concer- tendance peut être renversée, grâce à des instruments
nent son financement. Il est rare de voir associer des favorisant la création de ressources dédiées et de dis-
banques commerciales aux travaux économiques. positifs de garantie.
Pourtant, en l’absence d’un dialogue transparent avec L’insuffisante intégration de l’environnement dans
les Banques, il n’est pas sûr que des mesures écono- la relation client explique que certaines banques se
miques puissent induire un soutien financier puissant laissent impliquer dans le financement de projets pol-
et ce, pour plusieurs raisons : luants. Ceux-ci sont identifiés et tracés par les ONG

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tiative de ses utilisateurs, ou d’autres parties prenantes exemple, les prêts écologiques aux entreprises repo-
? sent sur un champ large d’équipements et de services
Les financements sont, aujourd’hui, orientés vers qui ne font pas l’objet d’une codification ou de labels
des secteurs offrant une certaine visibilité (ce qui n’est les identifiant clairement. La sphère d’intervention du
pas le cas, nous l’avons vu, de l’environnement). La financement de l’éco-innovation est, souvent, restrein-
tendance peut être renversée, grâce à des instruments te aux sociétés du secteur des éco-industries (eau,
favorisant la création de ressources dédiées et de dis- déchets…) et des énergies renouvelables, ressortissant
positifs de garantie. à des secteurs connus (identifiés, en France, par un
L’insuffisante intégration de l’environnement dans code d’activité APE spécifique). Ne sont pas prises en
la relation client explique que certaines banques se compte les PME des secteurs industriels traditionnels
laissent impliquer dans le financement de projets pol- inventant des biens ou des services éco-conçus, car
luants. Ceux-ci sont identifiés et tracés par les ONG celles-ci ne bénéficient pas d’un code APE spécifique
regroupées au sein du réseau Banktrack. Cependant, permettant d’en assurer le suivi statistique. Comment,
cette approche « punitive » identifie l’environnement dès lors, recenser, sous un poste de nomenclature spé-
trop exclusivement comme un facteur de risque, et cifique, une entreprise du secteur de l’appareillage
non comme un levier d’opportunités et une source de domestique développant un produit apportant une
développement. innovation technique et environnementale ?
Et pourtant, le secteur bancaire peut contribuer de Au niveau international, on ne peut encore mesurer
façon décisive au succès d’une croissance durable, en la sensibilisation du secteur bancaire qu’à l’aune des
soutenant les investissements et les éco-innovations déclarations publiques, relayées par les médias. Il en
s’inscrivant dans les objectifs écologiques d’une poli- va ainsi de la banque HSBC (5), qui s’est engagée à
tique, que celle-ci soit nationale, européenne ou mon- apporter 100 milliards de dollars, sur cinq ans, à
diale. En cela, il peut agir, dans une large mesure, afin quatre ONG engagées dans la défense de l’environne-
de mobiliser des ressources en vue de la protection de ment, ou encore de Citigroup (6), qui a annoncé qu’il
l’environnement. mobiliserait 50 milliards de dollars pour soutenir les
Cette idée commence à faire son chemin. Ainsi, M. énergies renouvelables et les nouvelles technologies.
Yvo de Boer, Directeur de la convention cadre de En 2007, plusieurs colloques et rapports ont sorti de
l’ONU sur le changement climatique (UNFCCC (4)), l’ombre les réflexions portant sur l’utilisation des outils
qui organisa la conférence de Bali (du 3 au 14 financiers en soutien à la préservation de la biodiver-
décembre 2007), y a indiqué que « la conception sité. L’essor des cartes de paiement ‘vertes’ a certaine-
d’une solution de long terme pour lutter contre l’effet ment contribué à cette évolution (7).
de serre est, avant tout, un défi d’ingénierie financière Derrière ces faits remarquables (et en-dehors de
innovante […] Je pense qu’il y a une opportunité, ici, quelques banques pionnières ou spécialisées, comme
pour les ministres des finances, de faire face à ce pro- la banque Triodos en Belgique, la Cooperative Bank en
blème et le tourner en une opportunité de croissance Angleterre ou les Banques Populaires en France), les
économique verte plutôt qu’un risque ». À ceci, le outils bancaires spécifiques à l’environnement, tant au
ministre des Finances indonésien, M. Sri Mulyani niveau international que français, ont été développés
Indrawati, avait ajouté : « Le rôle des ministres des tardivement et ne représentent pas un poids important
Finances est de mener cette discussion pour avoir des face aux outils bancaires classiques.
options politiques plus larges ». En développant les Ils se concentrent principalement dans le secteur de
instruments bancaires écologiques, il est possible de l’investissement en capital (private equities) et de l’as-
mobiliser des ressources financières conséquentes qui set management, à travers l’ISR (8) et, plus spéciale-
permettent d’atteindre un niveau élevé de préservation ment, des fonds thématiques environnement, à l’instar
de l’environnement, tout en minimisant le coût de cet du fonds H2O de Natixis, en France. Les financements
effort pour la collectivité. se développent aussi. Il faut prendre soin de distinguer
les financements de projets industriels, essentiellement
Panorama actuel du financement de l’envi- axés sur les énergies renouvelables et portés par les
ronnement grandes banques d’affaires, des financements diffus
(particuliers, PME), qui répondent à des règles diffé-
rentes et sont portés par des banques de proximité,
International parfois spécialisées (Crédit Coopératif).
Une récente étude, menée à l’échelle internationa-
Un recensement du volume de financement des le par le Consortium européen Fundetec, a tenté d’in-
politiques de l’environnement ou des écoproduits ventorier et de détailler le nombre des instruments
bancaires, dans le monde ou en Europe (voire, en financiers adoptés par les développeurs de technolo-
France), n’est pas chose aisée. Il n’existe, en effet, gies environnementales.
aucune base de données. La définition même d’un Cette étude témoigne de la présence universelle (en
financement de l’environnement n’est pas établie. Par Asie, en Amérique et Europe, notamment) de ces

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outils, qui privilégient les fonds d’investissement, plu- tifs de la CE, à savoir une réduction de 20 % de la
tôt que les financements bancaires. Leur nombre reste consommation d’énergie et l’utilisation de 20 %
cependant très limité, face à la profusion des produits d’énergies renouvelables d’ici 2020. Selon ce rapport,
financiers existant dans les autres secteurs de l’écono- les éco-industries représentent actuellement 2,1 % du
mie. PIB de l’Union et elles emploient 3,5 millions de per-
sonnes. Cependant, il faut entendre l’éco-innovation
Europe non pas au sens large, mais restreinte aux éco-indus-
tries du secteur de l’eau, des déchets, de la dépollu-
En Europe, l’état du financement de l’environne- tion… et du secteur des énergies renouvelables.
ment est paradoxal, car il est, tout à la fois, reconnu L’éco-innovation n’est cependant pas encore trans-
et méconnu. Pratiquement aucune donnée sur la crite dans les programmes européens. Dans un docu-
mobilisation financière privée n’est disponible ment d’orientation daté du 10 septembre 2007, la
concernant les grands thèmes de l’environnement, Commission Européenne fournit des lignes directrices

© Martin Bond/STILL PICTURES-BIOSPHOTO


L’éco-innovation doit être entendue au sens des éco-industries du secteur de l’eau, des déchets, de la dépollution, et du sec-
teur des énergies renouvelables (traitement biologique des eaux usées dans un éco-village écossais).

même si les tendances sont plus lisibles en ce qui en vue d’une meilleure utilisation des sources de
concerne le secteur de l’éco-innovation. financement européen de la recherche, de l’innova-
Cette dernière est clairement identifiée et reconnue tion et de la cohésion sociale, partant du principe que
par la Commission Européenne (CE), qui a publié, le 3 la croissance portée par l’innovation favorise le pro-
mai 2007, un rapport sur les tendances et les évolu- grès social : cela représente un pas en avant important
tions de l’éco-innovation dans l’Union et qui a statué vers une insertion opérationnelle dans les grands pro-
sur la nécessité d’un recours massif à l’innovation grammes européens.
propre et écologique. Le développement de ce secteur Sur le plan financier, des initiatives ont été prises
est considéré comme central pour atteindre les objec- pour amplifier l’intervention bancaire dans l’environ-

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nement. Ces actions font la part belle à l’éco-innova- logies ; ceci complique la construction de fonds en
tion, avec un rapide développement des actions ados- capital-risque dédiés, dont l’utilisation pourrait repo-
sées au marché carbone et les premières tentatives de ser sur l’analyse de dossiers provenant de réseaux
financement de la biodiversité. d’universités ou d’incubateurs reconnus dans ce
On peut notamment citer la publication, le 9 mars domaine.
2007, d’un rapport compilant les retours d’expérience Les outils pratiques permettant de guider les PME
de quatre ateliers qui se sont penchés sur les pratiques dans la recherche de financements de croissance
à adopter afin d’améliorer le financement de PME à la manquent encore. Cela a conduit, en septembre
fois innovantes et à forte croissance. Le 30 mars 2007, 2007, le Haut Responsable de l’Intelligence écono-
un rapport relatif à la réunion d’un groupe d’experts mique (HRIE) (11) à publier dix fiches pratiques
ayant étudié les moyens permettant de favoriser l’in- décrivant aux industriels les démarches de levée des
vestissement en capital, au niveau européen, a été fonds auprès des financiers. Malheureusement, si le
publié. Dans ces ateliers, le sujet de l’éco-innovation a risque social est envisagé, dans les questions qu’il est
été abordé. Cependant il faudra attendre la publication recommandé de se poser, en revanche, l’opportunité
prochaine du rapport FUNDETEC pour connaître une du lien avec l’éco-innovation n’est pas abordée. En
première estimation du nombre d’outils bancaires l’absence d’un processus systémique, les dossiers
effectivement présents sur le marché de l’éco-innova- d’investissements concernant les éventuels projets
tion et pour pouvoir évaluer le degré de mobilisation d’éco-innovation sont étudiés au cas-par-cas, et ils ne
des institutions financières en matière de financement bénéficient d’aucun dispositif fiscal, ni d’aucune
de l’environnement. garantie spécifique.
Les fonds français spécialisés dans l’investissement
France des entreprises dédié à l’environnement représentent
environ 400 millions d’euros de fonds collectés. Ils
En France, un recensement réalisé à l’occasion du sont concentrés dans les énergies renouvelables (dont
Grenelle de l’Environnement (9) montre que la res- une bonne partie sur l’éolien), et nous sommes très
source financière verte dédiée au montage d’écopro- loin des 10 milliards d’activité du secteur du private
duits financiers est faible. Comme dans d’autres pays, equity. A titre de comparaison, le fonds d’investisse-
certaines banques pionnières sont à l’origine de ces ment anglais Impax New Energy possède une dotation
produits, qu’elles développent petit à petit. Les prêts de 400 millions de Livres, dédiée aux énergies renou-
écologiques n’ont été banalisés qu’en début d’année velables.
2007 par l’intervention de l’Etat. Ils n’en demeurent Pour le financement de l’environnement, peut-on
pas moins limités aux particuliers et assimilés (profes- dire que l’herbe est plus verte, ailleurs ?
sions libérales et agriculteurs), ainsi qu’à la rénovation L’annonce, récente et largement médiatisée dans la
écologique des bâtiments. presse spécialisée, de Bank of America déclarant
La mobilisation actuelle n’est pas à la hauteur des investir 20 milliards de dollars (soit 13,4 milliards
enjeux de moyen terme : plusieurs centaines de mil- d’euros) dans les écotechnologies renforce le senti-
liards d’euros (le chiffre de 600 milliards a été avancé), ment général d’un leadership anglo-saxon dans ce
pour la seule rénovation thermique des bâtiments. domaine.
Ressort, de ce panorama, le besoin de mieux mobili- Mais, à y regarder de plus près, la réalité est plus
ser les ressources et les instruments financiers consa- nuancée. En annonçant le verdissement du Codevi,
crés à l’environnement. qui s’est transformé en Livret de développement
L’exemple du private equity est significatif. La durable (LDD) avec, simultanément, une augmenta-
France est le premier marché du Capital tion du plafond de collecte par épargnant (passé de 4
Investissement (ou private equity) en Europe continen- 600 à 6 000 euros), le gouvernement français a permis
tale et le troisième au monde, avec plus de 10 mil- aux réseaux bancaires de collecter plus de 10 milliards
liards d’euros investis, en 2006, par les opérateurs d’euros et, ce, en quelques mois.
français (en France et à l’étranger). Ce secteur compte, Cette action implique la majorité des banques fran-
en France, 240 sociétés de gestion, soit environ 3 000 çaise, de manière bien plus marquante que l’action –
professionnels. Avec 4 852 entreprises en portefeuille, isolée – de la banque américaine. Autre exemple : 2,4
1,5 million de salariés employés en France et 200 mil- milliards de dollars ont été investis, en 2006, en capi-
liards d’euros de chiffre d’affaire réalisé en France, le tal risque dans les énergies renouvelables, aux Etats-
Capital Investissement démontre son rôle-clé dans la Unis (12) ; ramené au prorata de la population, ce
création, le développement des entreprises et l’emploi chiffre équivaut au montant relevé en France.
en France (10). La mobilisation financière pourrait surtout venir
Pourtant, on ne compte que de rares fonds de capi- d’un acteur clé, peu répandu en France : les business
tal risque dédiés à l’éco-innovation ou au développe- angels (13).
ment durable. Ce secteur est moins lisible, car il est L’étude d’un panel de développeurs d’écotechno-
moins structuré que celui des NTIC ou des biotechno- logies montre que ceux qui exercent aux Etats-Unis

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Figure 1. Etapes clefs du développement de l’éco-entreprise.

sont en relation plus étroite avec les acteurs du sec- terventions, allant du prêt écologique aux particuliers,
teur du private equity, qu’ils sont mieux au courant aux outils de marché. Quelques mesures, simples mais
de leurs attentes et qu’ils les intègrent mieux à leur concertées, permettraient d’en amplifier l’action.
développement que ce n’est le cas, en Europe. Ce A l’occasion du Grenelle de l’Environnement, des
qui semble réellement discriminant, de part et propositions, parfois très novatrices, ont été formulées.
d’autre de l’Atlantique, c’est la force d’intervention Nous nous proposons de les décrire dans la suite de
des business angels (certains développeurs améri- cet article, à titre d’exemple d’une politique concertée
cains attestent qu’ils ont réellement pu faire décoller faisant une grande place aux partenariats public-privé.
leur projet, après l’intervention d’un de ces business
angels (14). Cette proximité des business angels est Les propositions du Grenelle
cruciale, car leur intervention se fait dès les premiers
stades de développement des entreprises, comme le Le financement de l’éco-innovation (et, plus large-
montre le tableau ci-dessous. Cependant, leur ment, de l’environnement) est un thème qui reste à
moindre présence en Europe (surtout en France) explorer, pour les acteurs privés du monde de la finan-
pourrait être compensée par la mise en place d’un ce. A contrario, c’est un secteur où de nombreuses ini-
fonds de garantie des prêts bancaires, qui pourraient tiatives sont possibles, pour peu que l’on crée les
ainsi pallier l’absence desdits business angels, car, conditions nécessaires à leur réalisation.
contrairement aux Etats-Unis, les instruments finan- L’activité bancaire peut être synthétisée par une
ciers de dette (obligations) sont plus développés, en analyse du ratio opportunités/risques inhérent à toute
Europe (cf. figure 1). intervention financière. Les principales mesures d’in-
Les acteurs publics ont un rôle à jouer pour donner citation publiques visant à développer le secteur de
confiance, dans ce domaine, à la finance et aux por- l’environnement se sont attachées à renforcer le critè-
teurs de projet. Cela passe par des actions politiques, re d’opportunité, au moyen d’outils fiscaux et d’aides
par exemple, en favorisant l’innovation en France par directes. Cette solution a apporté la preuve de son effi-
une action mieux concertée entre la R&D des centres cacité ; mais elle comporte aussi un coût, qui peut être
de recherche et l’industrie, en vue de détecter les inno- prohibitif pour la collectivité.
vations convergentes. C’est ce que montre le rapport Il est possible de diversifier ce soutien public à la
Futuris. C’est aussi l’action de régions impliquées, en protection de l’environnement à travers trois leviers
plus de l’action de l’Etat, dans la création de clusters, majeurs : un renforcement de la collecte financière
ces réseaux d’entreprises innovantes d’un même écologique sur livret, la création de prêts bonifiés et la
domaine visant à favoriser l’essor d’une éco-innova- diminution des risques de financement et d’investisse-
tion forte. On peut citer le cluster éco-énergies, dans ment dans l’environnement, grâce à l’instauration de
la région Rhône-Alpes, dont une des priorités est la fonds de garantie ‘verts’.
construction d’une offre globale dans les énergies
renouvelables. Ces actions auront des conséquences Développer la ressource financière écologique
indirectes sur les financements, en facilitant la lecture
et le développement des projets éco-innovants. L’étape préalable au soutien d’un secteur prioritaire
La France fait preuve d’originalité, dans le finance- est la constitution d’une ressource financière dédiée.
ment de l’environnement. Si les outils financiers y sont C’est le but des principaux livrets d’épargne grand
encore perfectibles, ils couvrent un large spectre d’in- public actuels, dédiés au développement d’une filière

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LE FINANCEMENT DE L’ENVIRONNEMENT 31

sensible. Le livret A est destiné au financement du Il a été proposé, dans les travaux préparatoires du
logement social, le livret de développement durable a Grenelle de l’Environnement, de concevoir des éco-
longtemps été dédié au financement de l’artisanat et prêts à taux préférentiel, destinés aux entreprises et
des PME, avant d’être réorienté pour partie vers le aux copropriétés prêtes à s’engager dans des investis-
financement de l’environnement. Plus récemment ins- sements écologiques.
titué (en juillet 2006), le livret d’épargne co-dévelop- Aborder la constitution d’éco-prêts revient à définir
pement vise à soutenir la politique de co-développe- les investissements éligibles ; donc, à définir ce qu’est
ment de l’Etat. une éco-entreprise. La définition qui peut en être don-
La solution idéale pour soutenir l’environnement née consiste à sérier trois profils éligibles :
est donc la création d’un livret d’épargne spécifique ✔ les PME, les professionnels et les copropriétés
éponyme. Un tel livret présente un double avantage : acquérant des équipements écologiques permettant
il permet une pédagogie de la banque envers le sous- leur « verdissement » ;
cripteur, qui peut ainsi orienter son épargne vers des ✔ les éco-entreprises du secteur de l’environnement
financements répondant aux valeurs (morales) aux- (eau, air, déchets, bruit, lutte contre les pollutions) ;
quelles il est attaché, en connaissance de cause ; il ✔ le développement des entreprises éco-innovantes,
permet aussi un ciblage et un reporting clair des finan- c’est-à-dire le financement de la production de
cements écologiques réalisés. Cette solution, idéale, a biens ou de services occasionnant un moindre
été présentée lors de l’actualisation du Plan climat, en impact sur l’environnement.
2006. Fin 2006, les discussions préalables à la créa- Malheureusement, à cette segmentation des candi-
tion dudit livret vert ont révélé des impératifs a priori dats, s’ajoute le besoin de définir les équipements éli-
contradictoires. Ce projet défendu par les ONG, les gibles. Or, aucun code d’activité APE n’est affecté aux
élus, les entreprises et les banques s’est trouvé PME éco-innovantes. De plus, la diversité des investis-
confronté à l’impératif, pour l’Etat, de ne plus déve- sements verts est telle, qu’il est impossible d’établir
lopper de livret supplémentaire, ceux-ci étant déjà très une liste exhaustive des équipements concernés.
nombreux dans le paysage français de l’épargne (cette De ce fait, rien ne permet d’identifier les éco-entre-
proposition n’a donc pas été retenue). prises au sens large : aucun financement, aucune sub-
La solution intermédiaire du verdissement du vention, aucune fiscalité propre ne sont systématisés ;
Codevi en Livret de Développement Durable, en jan- les dossiers sont donc traités au cas-par-cas.
vier 2007, a, malgré tout, permis de collecter très rapi- Une solution pourrait consister en la mise en place
dement (en un an) 10 milliards d’euros, somme dédiée de comités régionaux d’attribution de ces prêts, tout
au segment restreint du financement de la rénovation au moins en ce qui concerne leur partie technique.
thermique immobilière adossée à un crédit d’impôt. Ces comités rassembleraient l’administration et les
Aujourd’hui, cette ressource collectée reste insuffi- organisations professionnelles : ADEME régionale,
sante, au regard du besoin global de mobilisation DRIRE, Agence de l’eau, Chambre des métiers, CCI
financière à diriger, sur une très longue durée, vers régionale, CGPME, Conseil Régional.
l’ensemble des publics concernés : particuliers, entre-
prises et collectivités. Ces comités régionaux d’attribution présente-
Au total, cette solution permettrait à l’Etat, par des raient plusieurs avantages
actions faciles à mettre en œuvre, d’agir rapidement et
avec force sur le chantier majeur de l’immobilier ✔ ils assureraient l’exhaustivité des financements éco-
durable, sans aggraver pour autant le déficit public. logiques, toute entreprise pouvant solliciter l’accord
du comité, pour éviter de restreindre le conditionne-
Créer des prêts bonifiés ment des prêts à des listes d’éligibilité compliquées,
compte tenu de la diversité des investissements envi-
La profession envisage une tendance haussière de sagés par l’entreprise ;
la ressource financière disponible sur les marchés, sur ✔ ils faciliteraient le reporting des encours de prêts
le long terme, dans un contexte d’inflation stable. aux éco-entreprises, permettant d’alimenter une
Cette tendance milite en faveur de la création d’une base de données ;
ressource stable, sur livret, et attractive, permettant de ✔ ils susciteraient le développement de prêts bonifiés
développer des prêts verts à taux préférentiels, donc régionaux. Actuellement, de nombreux conseils
incitatifs, pour financer la protection de l’environne- régionaux mettent en place des subventions au pro-
ment auprès de cibles économiques non encore tou- fit de PME éco-innovantes ou d’investissements
chées par le livret développement durable : particu- écologiques. Généralement, ces subventions sont
liers acquéreurs de logements neufs, éco-industries, attribuées après la finalisation des investissements,
entreprises éco-innovantes, professionnels, coproprié- ce qui oblige l’entreprise qui en bénéficie à deman-
tés. der une avance à sa banque, sous forme d’autorisa-
tion de découvert ou d’affacturage ; une partie des
Les prêts aux personnes morales subventions directes (jusqu’à 10 %) est donc absor-

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32 LE FINANCEMENT DE L’ENVIRONNEMENT

bée par des frais financiers. Cette situation pourrait en matière d’émissions, en leur envoyant un signal
être évitée, en convertissant ces aides sous forme de prix sur le carbone.
bonification de taux des financements accordés par De manière générale, les politiques publiques d’in-
lesdits comités. Cette mesure serait d’ailleurs plus citations écologiques ciblant des populations nom-
efficace qu’une aide directe. breuses et diffuses (particuliers, artisans et PME) sont
Cette organisation, sous forme de comité, n’est pas appuyées par des mesures fiscales, ou des subventions
une utopie. La Banque Populaire d’Alsace active le directes.
comité PREVair depuis 1990 et d’autres Banques L’agrégation de projets domestiques, via les finan-
Populaires travaillent à dupliquer ce modèle avec des cements bancaires, en diminue les coûts de gestion.
partenaires publics. Elle rend possible la substitution partielle (voire totale)
Cette mesure n’entraîne aucun coût pour l’Etat, hor- des aides publiques directes par un adossement au
mis la défiscalisation des livrets déjà appliquée, ces marché carbone desdits financements et, ce, pour un
livrets étant à l’origine du financement de prêts à taux résultat identique.
préférentiels. Dans le rapport d’évaluation sur les projets domes-
tiques carbone réalisé par la Caisse des dépôts et
Les prêts aux particuliers consignations, on estime à 10-15 millions de tonnes
équivalent CO2 les émissions annuelles pouvant être
Le prêt bonifié écologique immobilier est un outil réduites, en France, grâce à ce dispositif. Avec un pré-
efficace pour accélérer l’acquisition (ou la rénovation) visionnel de valorisation à 10 euros net la tonne de
de logements de type Effinergie. Cependant, la diffu- CO2, la collectivité peut économiser entre 100 et 150
sion d’un prêt à 0 % par l’Etat devient difficile à ima- millions d’euros de subventions directes.
giner, dès lors qu’elle risquerait d’entrer en contradic- Les montages en agrégation des projets domes-
tion avec la capacité de déduire (des impôts sur le tiques doivent se faire dans un esprit de partenariat
revenu) ces mêmes intérêts d’emprunts contractés entre les banques et les régions, en vue d’une adéqua-
pour l’acquisition de logements (neufs, ou anciens). tion des financements aux objectifs retenus par les
Pour cette raison, est proposée une bonification fixe contrats de projet Etat-Région. Dans ce dispositif d’ac-
(d’un point de marge) sur les prêts immobiliers tions réductrices d’émissions de CO2 prises par des
consentis sur ressources du LDD, qui crée un effet de particuliers, le Conseil Régional bonifie les prêts verts
levier, par le cumul de l’avantage de la déduction des dédié aux opérations réductrices élémentaires (par
intérêts avec celui que représente un taux attractif. exemple : installation de chauffe-eau solaires ou sub-
De plus, cette mesure nationale peut être relayée stitution d’un chauffage au bois à un chauffage au
par les régions, de plus en plus nombreuses à déve- fioul). En retour, le Conseil Régional se voit attribuer
lopper des partenariats locaux avec les acteurs ban- financièrement le CO2 économisé, à travers les finan-
caires pour distribuer des prêts bonifiés (afin de finan- cements bancaires auxquels il aura contribué, grâce à
cer des équipements écologiques, ou liés à une leur bonification. Une opération test est en cours de
rénovation d’habitation, à l’attention des particuliers). mise au point par le Conseil Régional Rhône-Alpes.
Les conseils régionaux Alsace, Nord-Pas-de-Calais, Son expérimentation n’a pas encore pu, à ce stade,
Picardie, Aquitaine et Centre développent, actuelle- être lancée sur le terrain, à l’attention des particuliers,
ment, cette solution au niveau métropolitain. Les faute de prise de la décision par les pouvoirs publics.
Conseils Régionaux des régions Rhône-Alpes,
Franche-Comté et Lorraine ont pris des engagements Les dispositifs de garantie
similaires. La Banque Populaire et le Crédit Agricole
sont, aujourd’hui, les principales banques partenaires Concomitamment à la création de la ressource
de ces collectivités dans la diffusion de ces prêts. financière, la création d’un dispositif de garantie effi-
cace des investissements écologiques réalisés par des
Une bonification par le biais du mécanisme de personnes morales est un facteur important de dyna-
marché carbone domestique misation du marché de la protection de l’environne-
ment. Son rôle est très important, au démarrage du
Le dispositif français de « projets domestiques CO2 financement d’un secteur peu connu, comme l’est
» peut devenir une source nouvelle de bonification l’environnement, car des obstacles tant psycholo-
des financements. Décidé fin 2006, il a été imaginé giques et techniques que financiers constituent des
dans le but de fournir un instrument de réduction des freins au lancement des premiers projets. Du côté des
émissions de CO2 sur le territoire national, en-dehors établissements financiers, l’existence d’une couverture
des sites couverts par le système européen d’échange des risques liés à de nouvelles techniques environne-
de quotas. Le dispositif de projets domestiques pré- mentales, parfois non assurables par les assurances
sente l’avantage, par rapport au système européen, de classiques (c’est aujourd’hui le cas en ce qui concerne
toucher les secteurs les plus sensibles et les plus diffus la géothermie profonde, voire pour certains projets

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LE FINANCEMENT DE L’ENVIRONNEMENT 33

(7) Cas notamment de Rabobank, avec sa « green card » en par-


photovoltaïques), permet de vaincre leurs réticences et tenariat avec WWF.
facilite le financement des projets en rassurant celles-
(8) ISR : Investissement Socialement Responsable.
ci.
L’augmentation, en 2006, des interventions des (9) Cf. note Banque Populaire sur la Contribution bancaire à la
protection de l’environnement, disponible sur le site internet du
fonds de garantie sur les marchés classiques, tant en
Grenelle de l’environnement.
matière de financements que de fonds propres
(10) Source : AFIC.
(exemple du fonds de développement technologique
de PME d’Oseo) révèle une recherche accrue de (11) Source : http://www.intelligence-economique.gouv.fr/IMG/
garantie des banques, à travers les prêts qu’elles pdf/070924_10_fiches_pratiques_HRIE.pdf.
consentent. (12) Source : MIT, dans Technology Review, page 32, oct. 2007.
Aujourd’hui, les acteurs économiques du secteur de (13) Business angel : personne qui investit dans une entreprise
l’environnement ne bénéficient pas de fonds de garan- innovante et généralement, met gracieusement à disposition de
tie qui soient à la fois suffisamment puissants et d’une l’entrepreneur ses compétences, son expérience, ses réseaux
relationnels et une partie de son temps.
utilisation aisée.
Les fonds de garantie existants en France dans le (14) Source : Rapport FUNDETEC, page 72.
domaine de l’environnement sont, soit trop peu nom- (15) Source : Mémorandum de la France pour une relance de la
breux, soit inadaptés à l’accompagnement des inves- politique énergétique européenne dans une perspective de
développement durable
tissements des personnes morales (PME, collectivités,
(http://www.industrie.gouv.fr/energie/politiqu/memorandum-
copropriétés) dans l’environnement. france.htm).
Il est donc recommandé de créer un fonds de
garantie dédié au financement de l’environnement et
à la lutte contre l’effet de serre.
Ce fonds devra intervenir, dès le stade de la création
de l’entreprise, pour faciliter le financement de PME
qui, actuellement, se tournent vers le capital risque, en
l’absence de fonds propres suffisants pour obtenir des
prêts classiques auprès de leurs banques.
Ce fonds devra être accessible aux personnes
morales : PME, professionnels, copropriétés et collecti-
vités. Il peut être construit sur l’exemple du fonds piloté
par le FEI, de 1996 à 2002, à travers le programme
Croissance et environnement.
La France peut s’appuyer sur la mise à l’étude d’un
fonds de garantie européen visant à mobiliser le sec-
teur bancaire sur la question de l’efficacité énergé-
tique – un fonds qui favoriserait, par exemple, le finan-
cement des projets d’efficacité énergétique et la mise
en place de crédits de la Banque européenne d’inves-
tissement (BEI) pour la construction/rénovation de
bâtiments très faiblement consommateurs d’énergie
(15).

Notes
(1) Source : banque mondiale
http://siteresources.worldbank.org/
DATASTATISTICS/Resources/GDP.pdf.
(2) TRI : temps de retour sur investissement.
(3) ROE : Return on equity ou Ratio de Rentabilité des Fonds
Propres. Il mesure le rapport entre le bénéfice net consolidé du
groupe, et les fonds propres consolidés hors intérêts minori-
taires.
(4) UNFCC : UN Framework Convention on Climate Change.
(5) In Le Monde du 1er juin 2007.
(6) In médiaterre du 17 septembre 2007 : http://www.mediater-
re.org/ amerique-nord/actu,20070917164857.html.

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